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+*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 30067 ***
+
+ŒUVRES COMPLÈTES
+DE
+LORD BYRON,
+AVEC NOTES ET COMMENTAIRES,
+COMPRENANT
+SES MÉMOIRES PUBLIÉS PAR THOMAS MOORE,
+ET ORNÉS D'UN BEAU PORTRAIT DE L'AUTEUR.
+
+_Traduction Nouvelle_
+
+PAR M. PAULIN PARIS,
+DE LA BIBLIOTHÈQUE DU ROI.
+
+
+
+TOME NEUVIÈME.
+
+
+Paris.
+DONDEY-DUPRÉ PÈRE ET FILS, IMPR.-LIB.
+RUE SAINT-LOUIS, N° 46,
+ET RUE RICHELIEU, N° 47 _bis._
+
+1830.
+
+
+
+
+LETTRES
+DE LORD BYRON,
+ET
+MÉMOIRES SUR SA VIE,
+PAR THOMAS MOORE.
+
+
+
+_Préface du Traducteur_.
+
+Depuis la publication des deux premiers volumes de ces _Mémoires_, les
+journaux de la Grande-Bretagne ont ouvert leurs colonnes aux
+interminables réclamations des amis de lady Noël Byron, à lès en croire,
+injustement traitée dans le cours de cet ouvrage. La veuve de l'illustre
+poète a fait elle-même retentir ces organes insoucians du mensonge et de
+la vérité, des plaintes que _semblaient_ lui arracher l'indiscrétion de
+l'éditeur, la perfidie de ses demi-confidences, et surtout le rôle
+affreux qu'il prêtait aux personnes dont elle était entourée à l'époque
+de la déplorable affaire de son divorce. Certes le public a dû voir avec
+étonnement les récriminations de lady Byron. Jusqu'alors, il accusait M.
+Moore d'une partialité peu généreuse en faveur des adversaires de
+l'illustre poète qui lui avait remis l'honorable soin de le défendre; et
+le dépositaire, peut-être infidèle, semblait avoir assez fait, sinon
+pour sa considération personnelle, du moins pour celle d'une famille à
+laquelle Lord Byron avait toujours attribué ses chagrins les plus
+cuisans. Voici la première lettre de lady Byron, publiée dans la
+_Litterary Gazette_, et reproduite quelques jours après dans le _Times_:
+
+«Déjà, une multitude d'écrits remplis de faits notoirement faux ont été
+livrés au public; j'ai dédaigné d'y répondre. Mais aujourd'hui il s'agit
+d'un ouvrage publié par un homme regardé comme l'ami, le confident de
+Lord Byron, et par conséquent comme un personnage dont les révélations
+sont fondées sur la meilleure autorité. Cependant les faits contenus
+dans cet ouvrage n'en sont pas moins erronés. On ne devrait jamais
+attirer l'attention du public sur les détails de la vie privée; mais
+quand cela arrive, les personnes victimes d'une telle indiscrétion ont
+le droit de repousser d'injurieuses attaques. M. Moore a donné au public
+ses propres impressions sur des événemens particuliers qui me touchent
+de fort près; et il en a parlé comme s'il eût eu la connaissance la plus
+parfaite de ce dont il parlait. La mort de Lord Byron me rend plus
+pénible encore l'obligation de revenir sur des circonstances qui me
+reportent à l'époque de mon mariage. Mon intention est donc de ne les
+faire connaître qu'autant qu'il le faudra pour parvenir au but que je me
+propose dans cette déclaration. Nul motif de justification personnelle
+ne m'anime, et je n'accuserai personne: mais la conduite de mes parens
+étant représentée sous un jour odieux dans certains passages extraits
+des lettres de Lord Byron et dans les remarques de son biographe, je me
+crois obligée de les défendre d'imputations que je _sais_ être fausses.
+
+Voici les divers passages des lettres de Lord Byron dont je veux parler:
+
+Dans le second volume on a outragé la réputation de ma mère en disant:
+
+«Mon enfant est dans un état de santé florissant et prospère à ce qu'on
+me dit; mais je veux y voir par moi-même; je ne me sens nullement
+disposé à l'abandonner à la contagion de la société de sa grand'mère.»
+
+C'est à tort qu'on l'a accusée de s'être abaissée à employer des
+espions: «Une dame C. (espèce de factotum et _espion de lady Noël_) est
+regardée par des gens bien instruits comme la cause occulte de toutes
+nos dissensions domestiques.»
+
+Je cite aussi le passage où, après avoir voulu m'excuser moi-même, on
+ajoute immédiatement après: «Ses plus proches parens sont.......» Ici le
+mot laissé en blanc indique que l'expression était trop offensante pour
+être publiée.
+
+Ces passages tendent évidemment à jeter quelque défaveur sur mes parens,
+et peuvent faire croire que ce sont eux qui ont personnellement causé
+notre séparation, ou qu'ils l'ont provoquée par les espions officieux
+qu'ils ont employés.
+
+On peut induire aussi des passages suivans de la biographie, que mes
+parens ont du moins exercé une influence qui ne leur appartenait pas,
+afin de parvenir à leur but. «Ce fut peu de semaines après notre
+dernière entrevue (Lord Byron et M. Moore) que lady Byron prit la
+résolution de se séparer de son époux. Elle avait quitté Londres dans
+les derniers jours de janvier pour aller voir son père dans le comté de
+Leicester, et Lord Byron devait l'y rejoindre peu de tems après. Ils
+s'étaient quittés dans une union parfaite: en route, elle lui écrivit
+encore une lettre pleine de tendresse et de gaîté; mais à peine arrivée
+à Kirkby-Mallory, le père écrivit à Lord Byron pour lui apprendre que
+jamais il ne la reverrait.»
+
+En répondant à ce passage, j'éviterai autant qu'il me sera possible de
+parler de choses personnelles soit à Lord Byron, soit à moi-même. Je me
+borne à rétablir les faits. Je quittai Londres le 15 janvier 1816 pour
+me rendre à Kirkby-Mallory, résidence de mon père et de ma mère. Lord
+Byron m'avait signifié formellement dans sa lettre du 6 du même mois,
+qu'il désirait que je quittasse Londres aussitôt qu'il me paraîtrait
+convenable de le faire. Mais je ne pouvais me risquer à entreprendre ce
+voyage fatigant plus tôt que le 15. Avant mon départ, j'avais été
+vivement frappée de cette idée que Lord Byron était atteint de folie. Ce
+qui surtout m'avait donné cette opinion, c'étaient les confidences de
+ses plus proches amis, et de ses domestiques qui avaient eu plus que moi
+le loisir de l'observer pendant la dernière partie de notre séjour en
+ville. On avait même été jusqu'à me dire qu'il était à redouter qu'il ne
+se détruisit lui-même. D'accord avec sa famille, j'avais consulté le 8
+janvier le docteur Baillie, notre ami, sur cette maladie qu'on
+soupçonnait. Je lui racontai toutes les particularités venues à ma
+connaissance, et j'ajoutai que Lord Byron m'avait témoigné le désir de
+me voir quitter Londres. Le docteur saisît aussitôt cette idée, et pensa
+qu'en cas de quelque dérangement d'esprit, mon éloignement pouvait être
+fort utilement mis à profit. Le docteur Baillie ne pouvait avoir, à cet
+égard, d'opinion arrêtée, puisqu'il n'avait point approché
+personnellement Lord Byron. Il me recommanda d'éviter avec soin dans ma
+correspondance tout sujet de déplaisir ou de tristesse.
+
+Telles étaient donc mes pensées quand je quittai Londres, bien résolue
+de suivre les avis du médecin. Quelle qu'eût été la conduite de Lord
+Byron à mon égard depuis mon mariage, c'eût été une véritable inhumanité
+de montrer dans cette circonstance le moindre ressentiment. Le jour de
+mon départ, et encore à mon arrivée à Kirkby, le 16 janvier, j'écrivis à
+Lord Byron une lettre fort affectueuse, ainsi que j'en étais convenue
+avec M. Baillie. On a plus tard répandu ma dernière lettre, et on a
+voulu trouver là des preuves que j'avais cédé à des influences
+étrangères, quand ensuite j'abandonnai mon mari. On en a tiré la
+conséquence que j'avais quitté Lord Byron dans le plus parfait accord;
+que des sentimens incompatibles avec la moindre idée d'outrage m'avaient
+dicté ma dernière lettre, et que ma résolution n'avait subitement changé
+que quand je m'étais trouvée sous l'influence de mes parens. Ces
+assertions sont absolument dénuées de fondement: il n'y a point eu la
+moindre intervention étrangère.
+
+A mon arrivée à Kirkby-Mallery, mes parens ne se doutaient en rien des
+circonstances qui détruisaient toutes mes espérances de félicité; et
+quand je leur fis part de l'état d'esprit dans lequel se trouvait Lord
+Byron, ils firent tous leurs efforts pour me dissuader et le défendre.
+Ils assurèrent en outre à ceux de nos parens qui étaient avec lui à
+Londres qu'ils feraient tout ce qui dépendrait d'eux pour guérir sa
+maladie par les soins les plus attentifs, et qu'ils espéraient, si on
+pouvait le décider à venir les voir, obtenir les meilleurs résultats de
+leurs efforts. C'est dans ces intentions que ma mère écrivit le 17 à
+Lord Byron, en l'engageant à se rendre à Kirkby-Mallory. Elle l'avait
+toujours traité avec la plus affectueuse considération: son indulgence
+pour lui s'étendait jusqu'à ses moindres sentimens. Jamais, tant qu'elle
+vécut avec lui, il ne lui échappa une parole qui pût le blesser[1].
+
+ [Note 1: On peut, afin d'apprécier la véracité de lady Byron,
+ consulter, sur la _bienveillance_ de sa mère pour notre
+ poète, le premier chant de _Don Juan_ et les _Mémoires du
+ capitaine Medwin_.]
+
+Après notre séparation, les détails que me donnèrent des personnes qui
+vivaient dans son intimité ne firent que fortifier les doutes qui déjà
+s'étaient élevés dans mon esprit sur la réalité de son mal; les rapports
+des médecins étaient d'ailleurs loin d'établir le fait de l'aliénation
+mentale. Dans ces circonstances, je crus devoir déclarer à mes parens
+que, si je devais considérer la conduite passée de Lord Byron comme
+celle d'un homme dans son bon sens, rien ne pourrait m'engager à
+retourner auprès de lui. Mes parens et moi jugeâmes convenable de
+consulter les gens les plus capables de nous éclairer à cet égard. Ma
+mère se détermina donc à se rendre à Londres, pour cet objet, et afin
+d'y recueillir de plus amples informations sur ce qui avait pu faire
+supposer un dérangement d'esprit. Je lui avais donné procuration pour
+recueillir les opinions d'hommes de lois sur un mémoire que j'avais fait
+moi-même, bien que j'eusse alors des motifs de cacher une partie de
+l'affaire, même à mon père et à ma mère.
+
+Convaincue par ces recherches et par toute la conduite de Lord Byron,
+que les soupçons de folie conçus contre lui étaient tout-à-fait faux, je
+n'hésitai point à autoriser les mesures qui devaient lui ôter tout
+pouvoir sur moi. C'est d'après ma résolution, que mon père lui écrivit
+le 2 février pour lui proposer de nous séparer à l'amiable. Lord Byron
+repoussa d'abord cette proposition; mais quand on lui eut assuré que,
+s'il persistait dans son refus, il faudrait en venir aux lois, il
+consentit à signer l'acte de séparation. Je m'adressai au docteur
+Lushington, qui avait parfaitement connu tous les détails de cette
+affaire, pour qu'il voulût bien écrire tous ses souvenirs, et voici la
+lettre qu'il me répondit à ce sujet. Elle prouvera que ma mère ne put
+jamais avoir contre Lord Byron le moindre sentiment d'inimitié:
+
+
+MA CHÈRE LADY BYRON,
+
+«Voici tout ce que ma mémoire peut me fournir sur le sujet dont vous
+m'entretenez dans votre lettre.
+
+«Lady Noël me consulta d'abord pour votre affaire pendant que vous étiez
+encore à la campagne. Ce qu'elle me dit alors suffisait pour justifier
+une séparation; mais cependant les choses ne me parurent pas tellement
+graves, qu'il fût indispensable d'en venir à ce point. Je crus même
+qu'une réconciliation avec Lord Byron n'était pas impossible, et je m'y
+serais très-volontiers employé. Je ne vis dans le récit de lady Noël, ni
+la moindre exagération, ni le plus léger désir d'empêcher un
+rapprochement: elle ne fit aucune objection quand j'en parlai. Lorsque
+vous revîntes en ville, quinze jours ou peut-être plus après ma première
+entrevue avec lady Noël, vous fûtes la première à m'informer de faits
+qui, je n'en doute pas, n'étaient à la connaissance ni de sir Ralph ni
+de lady Noël. Ces nouveaux renseignemens changèrent tout-à-fait mon
+opinion; la réconciliation me parut dès-lors impossible; je déclarai ce
+que je pensais, et j'ajoutai que, si jamais on revenait à cette idée de
+rapprochement, je ne m'en mêlerais absolument en rien, soit en restant
+dans les devoirs de ma profession, soit autrement.
+
+«Croyez-moi toujours votre très-affectionné,»
+
+ ÉTIENNE LUSHINGTON.
+
+
+
+Je dois seulement ajouter ici que, si les informations sur lesquelles
+mes conseils légaux (feu sir Samuel Romilly et le docteur Lushington)
+ont formé leur opinion étaient fausses, c'est sur _moi seule_ que
+devraient retomber tout l'odieux et toute la responsabilité.
+
+J'espère que les faits que je viens d'exposer ici suffiront pour
+disculper mon père et ma mère de toute participation à mon divorce. Ils
+ne l'ont ni causé, ni provoqué, ni conseillé; l'on ne peut les condamner
+pour avoir donné à leur fille l'abri et l'assistance qu'elle réclamait
+d'eux. Comme il n'y a point d'autres personnes de ma famille qui
+puissent défendre leur mémoire de l'insulte, je me vois forcée de rompre
+un silence que j'espérais garder toujours, et je demande à ceux qui
+liront la vie de Byron qu'ils pèsent avec impartialité le témoignage
+qu'on vient de m'arracher.
+
+Hanger-Hill, 19 février.
+
+ A.J. NOËL BYRON.
+
+
+Le lecteur, avide de détails sur les circonstances et les causes de
+cette fameuse séparation, n'en trouve que de bien insignifians dans la
+lettre que nous venons de citer. Que lady Byron ait demandé de sa propre
+inspiration, ou d'après les conseils de sa mère, l'acte du fatal
+divorce, c'est une circonstance assez peu intéressante en elle-même. La
+seule chose que l'on doit ici remarquer, c'est que lady Byron avait le
+malheur de méconnaître non-seulement le génie sublime, mais le bon sens
+et la raison de son mari. Elle l'avoue naïvement: il lui fallu le
+témoignage de tous ceux qui approchaient Lord Byron; il fallut la
+sentence formelle des médecins pour lui persuader que l'auteur de
+_Childe Harold_ n'était pas un fou. Avouons-le: ce premier motif de
+divorce ne doit pas nous prévenir en faveur du second.
+
+La longue lettre de M. Campbell, insérée dans le _New Monthly Magazine_
+(avril 1830), offre moins d'intérêt encore que la précédente. Son
+étendue ne nous permet pas de la traduire en entier; ce ne serait pas,
+d'ailleurs, chose facile: jamais on n'a tant abusé de la facilité
+malheureuse qu'offre la langue anglaise de multiplier les mots et les
+phrases sonores sans exprimer d'idées et sans en suggérer au lecteur.
+
+L'illustre auteur des _Plaisirs de la Mémoire_[2], au mérite duquel
+Byron a rendu si amplement justice, M. Campbell, commence par nous
+apprendre qu'il avait consenti, le mois précédent, à l'insertion, dans
+la _Revue_ qu'il dirige, d'un article louangeur, sur les _mémoires_; que
+même, il en avait fait disparaître certains passages, où le critique
+reprochait à M. Moore une partialité coupable envers lady Byron. «Mais,
+ajoute-t-il, j'avais agi ainsi par suite de ma répugnance à blâmer _mon
+ami_ M. Moore, et parce que je n'avais pas assez approfondi les passages
+du livre incriminés. En outre, je ne croyais pas _alors_, comme je le
+sais aujourd'hui, que lady Byron fût entièrement irréprochable dans
+l'affaire de la séparation.»
+
+ [Note 2: Voyez dans les _Poètes anglais et les Journalistes
+ écossais_, page 373 du deuxième vol. des œuvres complètes.]
+
+Comment! cette fameuse séparation date de quatorze ans, et voilà enfin
+la conviction de M. Campbell tout-à-coup formée, arrêtée, ou plutôt
+changée du tout au tout! que s'est-il donc passé pendant ce mois de
+mars? Le voici: M. Campbell a écrit à lady Byron, lui demandant pour
+_son instruction particulière_ une appréciation de l'exactitude ou de
+l'inexactitude des faits avancés par M. Moore, et il en reçut la réponse
+qu'il publie _à ses périls_, parce qu'elle lui a paru importante, _et
+sans avoir eu le tems d'en demander la permission_ à cette dame:
+
+
+MON CHER M. CAMPBELL,
+
+«En prenant la plume dans l'intention de vous indiquer, pour votre
+_instruction particulière_, les passages du livre de M. Moore qui me
+concernent et que je crois susceptibles de contradiction, je les trouve
+encore bien plus nombreux que je n'avais d'abord supposé. Nier une
+assertion _çà et là_, ce serait implicitement reconnaître la vérité du
+reste. Si, au contraire, j'entreprenais de prouver toute la fausseté du
+point de vue sous lequel M. Moore présente les choses, je me verrais
+obligée à de certains détails, que dans les circonstances actuelles je
+ne puis dévoiler, d'après mes principes et mes sentimens. Peut-être, par
+un exemple, vous convaincrai-je mieux de la difficulté du cas: il n'est
+pas vrai que des embarras pécuniaires furent les causes qui troublèrent
+l'esprit[3] de Lord Byron, et la principale raison des arrangemens qu'il
+prit à cette époque. Mais puis-je raisonnablement m'attendre que vous ou
+d'autres le croirez, à moins que je ne vous montre quelles ont été les
+causes en question?... et c'est ce que je ne puis faire.
+
+Je suis, etc.»
+
+ E. NOËL BYRON.
+
+ [Note 3: Encore _l'esprit de Lord Byron troublé_! mais vous
+ avez avoué que c'était une de vos chimères.]
+
+Là-dessus M. Campbell de s'écrier: «Excellente femme! honorée de tous
+ceux qui la connaissent, attaquée seulement par ceux qui ne la
+connaissent pas, je l'en croirai certainement sur son seul témoignage!»
+
+Certes, si une pareille lettre a suffi pour déterminer la conviction de
+M. Campbell, il est au moins douteux qu'elle produise le même effet sur
+l'esprit des lecteurs. Il ajoute, il est vrai, qu'il a recueilli un
+petit nombre de faits à d'autres sources authentiques, qui lui prouvent
+jusqu'à l'évidence l'innocence de cette dame, mais qu'il ne nous
+répétera pas pour ne pas offenser notre délicatesse. Or, n'est-ce pas se
+jouer un peu trop du public que de lui dire chaque jour: voilà la
+vérité, je la tiens enfin, la voilà... mais vous ne la saurez pas!
+
+M. Campbell nous représente ensuite lady Byron comme la femme forte, qui
+trouve dans sa propre conscience la sanction de sa conduite, et s'occupe
+peu de l'opinion du monde; à la bonne heure, mais alors pourquoi donc
+importuner de nouveau le public? pourquoi lui écrire par la voie des
+journaux, uniquement pour lui dire qu'on ne lui dira rien?
+
+L'esprit de Byron était essentiellement versatile; il n'est donc pas
+étonnant qu'il ait quelquefois cherché à excuser sa femme et à
+s'attribuer tous les torts d'une rupture qui fit le malheur de sa vie.
+M. Campbell reproche à M. Moore d'avoir affaibli l'effet de ces
+prétendus aveux, en y ajoutant ses propres réflexions, et en y opposant
+les passages de sa correspondance où son noble ami parle dans un sens
+tout-à-fait contraire. Il cite à cet égard la lettre CCXXXV du recueil:
+elle passera sous les yeux de nos lecteurs, et, nous sommes fâchés de le
+dire, ils pourront voir que M. Campbell en a singulièrement altéré et
+amplifié les termes.
+
+C'est un singulier argument en faveur de lady Byron que de dire: si elle
+n'avait pas eu de justes sujets de désirer une séparation, le docteur
+Lushington ne se serait pas chargé de sa cause. Dans une affaire, il y a
+toujours au moins un avocat de chaque côté: souvent tous les deux sont
+des hommes de talent; et nous devons en outre les supposer tous deux des
+hommes d'honneur et de bonne foi. Alors, que devient l'argument? Un peu
+plus loin se trouve un passage que je traduirai textuellement, parce
+qu'il est d'une naïveté qui ne serait pas déplacée dans une comédie:
+«C'est encore une erreur de M. Moore, et je pourrais le prouver au
+besoin, que de représenter miss Millbank comme engagée avec son futur
+époux dans un commerce épistolaire, au moment où il venait de solliciter
+inutilement sa main. Jamais elle ne proposa de correspondance; au
+contraire, ce fut lui qui, après avoir éprouvé un premier échec, lui
+écrivit qu'il allait quitter l'Angleterre et voyager pendant quelques
+années en Orient; qu'il partait le cœur plein de douleur, mais sans
+entretenir aucun ressentiment, et qu'il s'estimerait heureux qu'elle
+daignât lui faire dire verbalement qu'elle s'intéressait encore à son
+bonheur. Une personne aussi bien élevée que miss Millbank pouvait-elle
+faire autrement que de répondre poliment à un pareil message? Elle lui
+envoya donc une réponse pleine de confiance et d'affection, ce qui ne
+signifiait nullement qu'elle voulût l'encourager à renouveler ses offres
+de mariage. Il lui écrivit, depuis, une lettre extrêmement intéressante
+sur lui-même, sur ses vues personnelles, morales et religieuses, à
+laquelle c'eût été manquer de charité que de ne point répondre. Il s'en
+suivit une correspondance insensiblement plus fréquente, et bientôt elle
+s'attacha passionnément à lui............................................
+........................................................................»
+
+Puisqu'après quatorze ans, passés dans l'attente, il paraît que nous
+sommes condamnés à ne rien savoir de certain sur cette fameuse affaire
+de la séparation, il faut bien en prendre notre parti et nous contenter
+de simples conjectures. Les adversaires les plus acharnés du noble poète
+sont obligés de convenir qu'il se montra toujours généreux, aimant et
+aimable; les partisans les plus ardens de sa veuve ne contestent ni sa
+fierté, ni sa froideur glaciale, ni ses prétentions ridicules à l'esprit
+et aux connaissances scientifiques. Lord Byron, qu'elle accuse, après sa
+mort, de torts qu'elle refuse de spécifier, et dont personne ne peut, en
+conséquence, justifier sa glorieuse mémoire, Lord Byron n'a jamais perdu
+un ami pendant la durée trop courte de son existence, il est au
+contraire parvenu à s'attacher sincèrement des hommes qui d'abord
+s'étaient déclarés ses ennemis; il fut un fils, sinon tendre, du moins
+attentif et respectueux envers une assez mauvaise mère; nous pouvons
+donc en conclure qu'il se fût montré bon mari, si l'épouse n'eût été
+encore plus insupportable que la mère.
+
+Les _Mémoires_ que nous donnons aujourd'hui au public ne sont pas, au
+moins quant à cette première partie, ce que le monde littéraire avait
+droit d'attendre, et attendait en effet de M. Moore, écrivant la vie et
+publiant la correspondance de Lord Byron. Cependant ils ne laissent pas
+d'offrir le plus vif intérêt. Il en est du chantre de Childe Harold,
+comme de tous les hommes véritablement grands: sa mort nous a fait mieux
+apprécier son mérite, et le temps, loin de diminuer sa gloire, n'a fait
+qu'ajouter à la popularité de ses ouvrages immortels. On voudra
+connaître la vie d'un homme si étonnant, on voudra assister au
+développement graduel de ce puissant génie; et des détails qui, partout
+ailleurs, pourraient sembler puérils, prendront de l'intérêt à cause de
+celui auquel ils se rapportent. Il eût été à désirer sans doute que la
+position sociale de M. Moore, en lui imposant moins de ménagemens envers
+les vivans, lui eût permis de rendre plus de justice à l'illustre mort.
+Lié avec tous ceux qui tiennent le premier rang dans l'aristocratie et
+dans la littérature de la Grande-Bretagne, non seulement M. Moore n'a
+pas osé tout dire, mais encore il a souvent gauchi devant la vérité. Sa
+prose, toujours maniérée, devient presque inintelligible précisément
+dans les passages où nous aurions le plus désiré qu'il nous donnât une
+idée précise des hommes et des choses. Ceux qui ont lu, je ne dis pas
+ses œuvres poétiques, mais ses ouvrages en prose, seront fort étonnés du
+mince talent qu'il a déployé dans celui-ci; et personne ne reconnaîtra
+dans le pâle compilateur des _Mémoires de Lord Byron_, l'auteur si
+ingénieux, si léger et si profond à la fois des _Mémoires du célèbre
+chef irlandais, le capitaine Rock_.
+
+Au moment où nous songions à donner cette traduction, d'autres libraires
+en faisaient paraître une autre que recommandait le nom de son auteur.
+Madame Belloc l'avait, en effet, commencée avec le talent que tout le
+monde lui reconnaît; mais bientôt, pressée sans doute par son éditeur,
+elle a plutôt résumé que traduit le texte anglais, et son style s'est
+beaucoup ressenti de la précipitation de son travail. Ajoutons qu'elle
+n'a pas eu plus d'égards pour les lettres de Lord Byron que pour les
+commentaires un peu longs de son biographe; en sorte que l'on peut dire
+avec vérité qu'elle n'a réellement donné au public, ni la vie, ni la
+correspondance de Lord Byron.
+
+Pour nous, nous avons religieusement tout traduit, et nous nous sommes
+appliqué à rendre notre auteur dans les termes dont il se serait servi,
+s'il eût écrit en français. A peine nous sommes-nous permis de
+retrancher dans ce premier volume une ou deux notes absolument
+étrangères au sujet. Dans le second, nous serons forcé de supprimer près
+d'une demi-feuille d'impression, c'est-à-dire quelques lettres où le
+noble poète consulte un de ses amis sur la coupe de certains vers, sur
+le choix de certaines expressions anglaises; le lecteur sentira
+facilement que ces lettres eussent été presque impossibles à traduire,
+et que la lecture ne lui eût offert aucune espèce d'intérêt.
+
+
+
+
+PRÉFACE
+DE L'ÉDITEUR ANGLAIS.
+
+
+En publiant cet ouvrage, je n'aurais pu, je l'avoue, me défendre d'une
+grande défiance, en songeant à tout ce qui me manquait pour accomplir
+une pareille tâche, si je n'étais persuadé que le sujet lui-même et la
+variété des matériaux qu'il comporte doivent conserver une grande partie
+de leur intérêt, même dans les mains les plus inhabiles. Les motifs qui
+portèrent Lord Byron à fuir son pays sont bien déplorables sans doute,
+mais c'est à son éloignement de l'Angleterre, alors que son génie
+brillait du plus vif éclat, que nous devons toutes les lettres qui
+formeront la plus grande partie du troisième et du quatrième volume de
+cet ouvrage, et qui, nous n'en doutons pas, seront jugées pour
+l'intérêt, l'énergie et la variété, comparables à ce qui honore le plus
+notre littérature dans le même genre.
+
+On a dit de Pétrarque que sa correspondance et ses vers offraient
+l'intérêt progressif d'un récit dans lequel le poète s'identifie
+toujours avec l'homme.» On peut appliquer, et plus justement encore, les
+mêmes expressions à Lord Byron, tant sa physionomie littéraire et son
+caractère personnel sont intimement liés. C'est même au point que
+priver ses ouvrages du commentaire instructif qu'en offrent sa
+correspondance et l'histoire de sa vie, ce serait commettre une égale
+injustice envers lui-même et envers le monde.
+
+
+
+
+MÉMOIRES
+SUR LA VIE
+DE LORD BYRON.
+
+
+On a dit de Lord Byron qu'il était plus fier de descendre de ces Byron
+qui accompagnèrent Guillaume-le-Conquérant en Angleterre, que d'avoir
+composé _Childe-Harold_ et _Manfred_. Cette remarque n'est pas dénuée de
+tout fondement, l'orgueil de la naissance était certainement l'un des
+traits caractéristiques du noble poète; et d'ailleurs toute
+l'illustration que les années donnent à une famille, il pouvait
+justement la réclamer pour la sienne. Le nom de Ralph de Burun occupe,
+dès le tems de Guillaume-le-Conquérant, un rang distingué dans le
+_Doomsday-Book_, parmi les tenanciers du Nottinghamshire; et pendant les
+règnes suivans, nous voyons les descendans de ce Ralph, sous le titre de
+lords de Horestan-Castle[4], posséder, dans le Derbyshire, des
+propriétés considérables, auxquelles la terre de Rochdale, dans le duché
+de Lancastre, fut ajoutée au tems d'Édouard Ier. Telle était, dans ces
+premiers tems, la richesse territoriale de la famille, que le partage de
+ses biens, dans le seul Nottinghamshire, avait suffi pour fonder
+quelques-unes des premières maisons de la province.
+
+ [Note 4: Il y avait, dit Thoroton, dans le parc de Horseley,
+ un château dont on peut voir encore quelques ruines; il
+ s'appelait Horestan-Castle, et était le principal manoir des
+ successeurs de Ralphe de Burun.
+ (_Note de Moore_.)]
+
+Mais son antiquité n'était pas la seule distinction qui recommandât à
+ses héritiers le nom de Byron; le mérite personnel et les hauts faits
+qui doivent former le premier ornement d'une généalogie, semblent avoir
+été le partage fréquent de ses ancêtres. Dans l'un de ses premiers
+poèmes, il fait allusion à la gloire de ses aïeux, et rappelle avec une
+vive satisfaction «ces fiers barons bardés de fer, qui brillaient parmi
+ceux qui conduisirent leurs vassaux européens dans les plaines de
+Palestine;» puis il ajoute: «Sous les remparts d'Ascalon périt John de
+Horiston; la mort a glacé la main de son ménestrel.» Cependant comme,
+autant que je l'ai pu découvrir, il n'est fait mention nulle part de
+quelqu'un de ses ancêtres qui se fût croisé, il est possible que sa
+seule autorité, en composant ces vers, fut la tradition qui se
+rapportait à certains groupes des vieilles boiseries de Newsteadt. Dans
+l'un de ces groupes profondément sculptés et se détachant du panneau, on
+peut reconnaître facilement un Sarrasin, ou un Maure avec une femme
+européenne, d'un côté, et de l'autre un soldat chrétien. Un deuxième
+groupe, placé dans l'une des chambres à coucher, représente une femme au
+centre, et de chaque côté la tête d'un Sarrasin, dont les yeux sont
+fixés avec intérêt sur elle. On ne sait rien de bien exact sur ces
+sculptures; mais la tradition est, m'a-t-on dit, qu'elles se rapportent
+à quelque aventure d'amour dans laquelle se trouvait engagé l'un des
+chevaliers croisés dont parle le jeune poète. Quant aux exploits les
+mieux prouvés, ou du moins les plus connus des Byron, il suffira de dire
+que sous Édouard III, au siége de Calais et dans les plaines mémorables,
+à diverses époques, de Créci, de Bosworth et de Marston Moor, leur nom
+se montre revêtu de la double illustration de rang et de mérite, dont se
+glorifiait leur plus jeune descendant, dans les vers que nous venons de
+citer.
+
+Ce fut sous le règne de Henri VIII, à l'époque de la suppression des
+monastères, que l'église et le prieuré de Newsteadt furent, avec les
+terres contiguës, ajoutés, par un don royal, aux autres domaines de la
+famille Byron[5]. Le favori à qui furent données les dépouilles du
+monastère, était le petit neveu du vaillant guerrier qui combattit à
+Bosworth, aux côtés de Richemond, et que l'on distingue des chevaliers
+du même nom par le titre de sir John Byron _le Court, à la grande
+barbe_: son portrait était du petit nombre de ceux qui décoraient les
+murs de l'abbaye, quand elle appartenait au noble poète.
+
+ [Note 5: Le prieuré de Newsteadt avait été fondé et dédie à
+ Dieu et à la Vierge, par Henri II; ses moines, chanoines
+ réguliers de l'ordre de St.-Augustin, étaient, à ce qu'il
+ paraît, les objets particuliers de la faveur royale, dans
+ leurs doubles intérêts spirituels et temporels. Pendant la
+ vie du cinquième Lord Byron, on trouva dans le lac de
+ Newsteadt, où l'on supposait que les moines avaient tenté de
+ le cacher, un grand aigle de cuivre; on le fit ouvrir, et
+ l'on découvrit dans l'intérieur une case secrète qui recelait
+ plusieurs vieilles chartes relatives aux droits et aux
+ privilèges de la fondation. A la vente des effets du vieux
+ Lord Byron, en 1776-1777, cet aigle avec trois candélabres,
+ trouvés à la même époque, furent achetés par un horloger de
+ Nottingham (celui-même qui avait trouvé les pièces dont nous
+ venons de parler), et ayant de ses mains passé dans celles de
+ sir Richard Kaye, prébendier de Southwell, ils forment à
+ présent un des ornemens les plus remarquables de la
+ cathédrale de cette ville. Un document curieux, trouvé,
+ dit-on, dans l'aigle, appartient aujourd'hui au colonel
+ Wildman; c'est un plein pardon, accordé par Henri II, de tous
+ les crimes possibles (et l'on en trouve désigné un assez long
+ catalogue) que les moines peuvent avoir commis avant le huit
+ décembre précédent. «_Murdris_ per ipsos _post decimum nonum
+ diem_ novembris ultimo præteritum perpetratis, si quæ
+ fuerint, _exceptis_.»]
+
+Au couronnement de Jacques Ier, nous trouvons un autre représentant de
+cette famille, le petit-fils de sir John Byron _le Court_, devenu
+l'objet de nouvelles faveurs royales et créé chevalier du Bain (_Knight
+of the Bath_). Une lettre de ce personnage, conservée dans _les
+Illustrations de Lodge_, nous apprend, que, malgré l'ostentation d'une
+apparente prospérité, cette ancienne famille avait déjà l'expérience des
+embarras pécuniaires. Dans cette pièce, après avoir parlé à son héritier
+du meilleur moyen de payer ses dettes, «je vous conseille donc,
+continue-t-il[6], aussitôt que vous aurez terminé, comme vous le devez,
+les funérailles de votre père, de régler et de réduire ce grand train de
+maison, et de ne garder de tous vos domestiques que quarante ou
+cinquante au plus. Dans mon opinion, vous feriez beaucoup mieux de vivre
+quelque tems dans le comté de Lancastre que dans celui de Nottingham; et
+cela, pour plusieurs raisons excellentes, qu'au lieu de vous écrire, je
+vous dirai à notre première entrevue.»
+
+ [Note 6: Le comte de Shrewsbury.
+ (_Note de Moore_.)]
+
+C'est du règne suivant, celui de Charles Ier, que date l'origine de la
+noblesse de la famille. En 1643, sir John Byron, arrière-petit-fils de
+celui qui avait obtenu le riche domaine de Newsteadt, fut créé baron
+Byron de Rochdale, dans le comté de Lancastre; et rarement de pareils
+titres furent concédés pour des services aussi réels et aussi honorables
+que ceux auxquels ce gentilhomme dut le sien. Presque à chaque page de
+l'histoire de nos guerres civiles, son nom se trouve lié aux diverses
+fortunes de son roi; toujours fidèle, persévérant et désintéressé dans
+sa conduite. «Sir John Byron, dit l'auteur des _Mémoires du colonel
+Hutchinson_, plus tard Lord Byron, et tous ses frères, hommes d'armes,
+actifs et vaillans de leurs personnes, étaient tous acquis passionnément
+au roi.» Dans une réponse que le colonel Hutchinson eut l'occasion de
+faire, étant gouverneur de Nottingham, à son cousin germain, sir Richard
+Byron, il accorde un glorieux tribut à la valeur et à la fidélité de la
+famille. Sir Richard ayant envoyé quelqu'un vers son parent pour
+l'engager à rendre le château, reçut pour réponse «que, sauf le cas où
+il trouverait dans son cœur quelque disposition à une trahison
+semblable, il devait se rappeler qu'il coulait dans ses veines assez du
+sang des Byron, pour qu'il eût horreur de trahir ou d'abandonner ce
+qu'il avait entrepris de défendre.»
+
+Tels sont quelques-uns des personnages distingués qui ont transmis à
+Byron leur nom illustré.
+
+Du côté maternel notre poète pouvait vanter ses ancêtres, à la noblesse
+desquels l'Écosse ne pouvait rien préférer, sa mère étant de la famille
+des Gordon de Gight, descendans de sir William Gordon, troisième fils du
+comte de Huntley, par la fille de Jacques Ier.
+
+Après les tems agités des guerres civiles, où se distinguèrent aussi
+plusieurs Byron, puisqu'à la fameuse bataille d'Edgehill on vit jusqu'à
+sept frères de ce nom, leur renommée semble assoupie pendant près d'un
+siècle. Mais vers l'année 1750, le naufrage et les souffrances du
+grand-père de notre poète, M. Byron, plus tard amiral, réveillèrent à un
+haut degré l'attention et l'intérêt du public. Quelque tems après, une
+autre sorte de célébrité, moins glorieuse il est vrai, devint le partage
+de deux autres membres de la famille: l'un grand-oncle, l'autre père de
+Lord Byron. Le premier, en 1765, subit un jugement devant la Chambre des
+Pairs, pour avoir tué en duel, ou plutôt au milieu d'une querelle, son
+parent et son voisin, M. Chaworth; le second ayant enlevé et conduit sur
+le continent la femme de lord Carmarthen, l'épousa dès que le marquis
+eut réussi à obtenir un divorce. Une fille fut le seul fruit de cette
+courte union: ce fut l'honorable Augusta Byron, aujourd'hui femme du
+colonel Leigh.
+
+En parcourant ainsi rapidement les premiers et les derniers ancêtres de
+Lord Byron, on ne peut s'empêcher de remarquer à quel point ce dernier
+réunissait en lui une partie des grandes et peut-être des mauvaises
+qualités remarquables dans plusieurs de ses aïeux! La générosité, la
+hardiesse, la grandeur d'ame des plus illustres; mais aussi les passions
+déréglées, la bizarrerie, le mépris de l'opinion publique, qui
+caractérisaient les autres.
+
+M. Byron, le père du poète, ayant perdu sa première femme en 1784, se
+remaria l'année suivante à miss Catherine Gordon, fille et unique
+héritière de George Gordon de Gight. Outre le domaine de Gight, qui
+pourtant était dans l'origine bien plus important qu'aujourd'hui, cette
+dame possédait en valeur pécuniaire, actions, etc., une fortune
+considérable; et l'opinion commune était que M. Byron ne lui avait fait
+la cour que pour s'affranchir de ses dettes.
+
+Un trait bien singulier que l'on raconte de miss Gordon, surtout si
+jusqu'alors elle n'avait jamais vu le capitaine Byron, prouve en même
+tems l'extrême vivacité et la véhémence des sentimens qu'elle avait déjà
+pour lui. Elle était au théâtre d'Edimbourg, un soir que le rôle
+d'_Isabella_ était rempli par Mrs. Siddons; l'illusion que faisait cette
+grand actrice l'affecta au point de la faire tomber, avant la fin de la
+pièce, dans de violentes attaques de nerf. On l'emporta hors du théâtre,
+tandis qu'elle s'écriait à haute voix: «Oh! mon Byron, mon Byron!»
+
+A l'occasion de son mariage, un rimeur écossais fit paraître une ballade
+que l'on a dernièrement réimprimée dans une collection d'_anciennes
+chansons et ballades du nord de l'Écosse_.
+
+Comme elle porte la preuve de la réputation de fortune qu'avait la
+nouvelle épouse et de l'inconduite extravagante de son époux, on en
+pourra lire volontiers l'extrait suivant:
+
+
+MISS GORDON DE GIGHT.
+
+Oh! où êtes-vous allée, jolie miss Gordon? où êtes-vous allée si
+gentille et si parée? Vous avez épousé, vous avez épousé John Byron,
+pour dissiper les terres de Gight.
+
+Ce jouvenceau est un mauvais sujet venu d'Angleterre; les Écossais ne
+connaissent pas sa famille; il entretient des maîtresses; son hôte
+l'importune et ne peut s'en faire payer. Oh! ce sera bientôt fait des
+terres de Gight.
+
+Oh! où êtes-vous allée, etc.
+
+Entendez-vous les coups de fusil, le bruit du tambourin, celui du cor
+dans les bois, de la cornemuse sous le vestibule, les aboiemens des
+chiens courans et des chiens d'arrêt. Avec tout ce bruit-là, ce sera
+bientôt fait des terres de Gight.
+
+Oh! où êtes-vous allée, etc.
+
+Bientôt après le mariage, qui eut lieu, je crois, à Bath, M. Byron et sa
+femme se retirèrent dans leur terre d'Écosse, et il se passa peu de tems
+avant que les pronostics du faiseur de ballades ne se réalisassent. La
+malheureuse héritière mesura alors des yeux l'abîme de dettes qui devait
+engloutir sa fortune. Les créanciers de M. Byron se présentèrent sans
+perdre de tems. Argent comptant, actions de la Banque, droits de pêche,
+tout fut sacrifié pour les satisfaire; tout cela ne suffisant pas, il
+fallut grever la propriété d'une hypothèque assez considérable.
+
+Dans l'été de 1786, elle et son mari quittèrent l'Écosse pour la France;
+et l'année suivante il fallut vendre le domaine de Gight, toujours pour
+payer des dettes. La totalité du prix de la vente y passa, à l'exception
+d'une petite somme remise en main tierce, pour l'usage particulier de
+mistress Byron, qui se vit ainsi, dans le court espace de deux ans,
+réduite d'un état d'opulence à un revenu modique de 150 livres
+sterling[7].
+
+ [Note 7: Les détails que je joins ici sur la fortune de
+ mistress Byron (la mère), avant son mariage, et la rapidité
+ avec laquelle cette même fortune fut dissipée bientôt après,
+ sont de la plus grande exactitude; j'ai tout lieu de le
+ croire, d'après l'authenticité de la source où je les ai
+ puisés.
+
+ «A l'époque de son mariage, miss Gordon possédait à peu près
+ 3,000 liv. st. en espèces, deux actions de la banque
+ d'Aberdeen, les domaines de Gight et de Monkshill, et le
+ privilège de deux pêcheries de saumons sur la Dee. Peu après
+ l'arrivée de M. et de mistress Byron en Écosse, il fut
+ évident que le premier avait contracté des dettes
+ considérables, et ses créanciers commencèrent des poursuites
+ légales pour arriver au recouvrement de leurs créances.
+ L'argent comptant fut immédiatement sacrifié pour les
+ satisfaire, les actions de la banque furent vendues à raison
+ de 600 liv. st. (elles en valent actuellement 5,000); on
+ abattit sur la terre de Gight et l'on vendit du bois, au
+ montant de 1,500 liv. st. On disposa de la ferme de Monkshill
+ et des pêcheries, formant un franc-fief, pour 480 liv. st. Ce
+ n'est pas tout, dans l'année même du mariage, on emprunta une
+ somme de 8,000 liv. st., pour laquelle mistress Byron donna
+ hypothèque sur son domaine de Gight.
+
+ «En mars 1786, un contrat de mariage fut dressé selon la
+ _coutume_ d'Écosse et signé par les parties. Dans le cours de
+ l'été de la même année, M. et mistress Byron quittèrent Gight
+ pour n'y plus revenir; le domaine fut vendu l'année suivante
+ à Lord Haddo moyennant 17,850 liv. st. La totalité de cette
+ somme fut employée à payer les dettes de M. Byron, excepté
+ une rente de 55 liv. sterl. 17 schellings 1 penny, douaire de
+ la grand'mère de mistress Byron, représentant un capital de
+ 1,128 liv. st., qui devait revenir à cette dernière à la mort
+ de son aïeule, et 3,000 qui devaient être déposées en mains
+ tierces pour l'usage particulier de mistress Byron, et qui
+ furent depuis placées chez M. Carsewell de Ratharllet, dans
+ le comté de Fife.»
+
+ Une autre personne, bien informée, m'a raconté une
+ particularité singulière qui eut lieu avant la vente de la
+ terre, c'est que tous les ramiers de la maison de Gight
+ s'envolèrent de concert et se rendirent au colombier de Lord
+ Haddo; leur exemple fut suivi par une troupe de hérons qui
+ avaient fait leur nid depuis maintes années dans un bois
+ voisin d'un grand lac, appelé le _Hagberry-Pot_. On vint en
+ avertir Lord Haddo. «Laissez venir les oiseaux, répondit-il,
+ ne les effarouchez pas, la terre ne manquera pas de les
+ suivre.» Ce qui arriva effectivement.
+ (_Note de Moore_.)]
+
+Mistress Byron revint en Angleterre à la fin de 1787, et le 22 janvier
+suivant elle mit au monde à Londres, dans _Holle-street_, son premier et
+unique enfant, George Gordon Byron. Le nom de Gordon lui fut donné par
+suite d'une condition testamentaire imposée à quiconque épouserait
+l'héritière de Gight; l'enfant, à son baptême, eut pour parrains le duc
+de Gordon et le colonel Duff de Fetteresso.
+
+A propos de sa qualité de fils unique, Lord Byron, dans une des feuilles
+de son journal, rapporte quelques coïncidences curieuses du même fait
+dans sa famille, qui, pour un esprit disposé comme le sien à trouver
+partout du merveilleux dans tout ce qui avait rapport à lui-même,
+devaient paraître plus singulières et plus frappantes qu'elles ne le
+sont en effet: «J'ai pensé, dit-il, à une chose bizarre; ma fille, ma
+femme, ma sœur de père, ma mère, ma tante maternelle, la mère de ma
+sœur, ma fille naturelle et moi-même sommes ou étions tous fils ou
+filles uniques; la mère de ma sœur, lady Conyers, n'eut que ma sœur de
+son second mariage; elle-même était fille unique; mon père n'eut que moi
+de son second mariage avec ma mère, également fille unique. Une telle
+complication dans une seule famille est bien singulière, elle semble
+vraiment l'effet de la fatalité.» Ensuite il ajoute ces paroles
+caractéristiques: «Mais les plus fiers animaux ont le moins de petits,
+tels que les lions, les tigres et jusqu'aux éléphans, qui sont doux en
+comparaison des premiers.»
+
+De Londres mistress Byron se rendit avec son enfant en Écosse; et, en
+1790, elle fixa son séjour à Aberdeen, où le capitaine Byron vint
+bientôt la rejoindre. C'est là qu'ils vécurent ensemble quelque tems,
+logés en garni chez un nommé Anderson, dans _Queen-street_; mais leur
+union étant loin d'être parfaite, une séparation fut bientôt jugée
+nécessaire, et mistress Byron prit le parti d'aller loger, toujours en
+garni, à l'extrémité de la même rue[8]. Malgré cette désunion, ils n'en
+continuèrent pas moins à se visiter de tems en tems, et même à prendre
+le thé l'un chez l'autre; mais les élémens de discorde se multiplièrent
+et finirent par amener leur séparation complète et définitive. Il
+arrivait toutefois fréquemment au mari, d'accoster la bonne et son fils
+dans leur promenade et d'exprimer un vif désir d'avoir l'enfant chez lui
+pour un ou deux jours. Mistress Byron était d'abord peu disposée à céder
+à ce vœu; mais la bonne lui représenta que _si le père avait l'enfant
+une seule nuit, il n'en voudrait pas davantage_, et cette réflexion la
+décida enfin à y consentir. L'événement justifia la prédiction de la
+bonne; quand elle vint le lendemain s'informer de son enfant, le
+capitaine Byron lui déclara qu'il avait assez de son jeune hôte, et
+qu'elle pouvait le reprendre tout de suite.
+
+ [Note 8: Il semble que plusieurs fois elle changea de
+ domicile à Aberdeen; on désigne encore deux maisons où elle
+ aurait quelque tems logé, l'une dans _Virginia-street_, et
+ l'autre chez un M. Leslie, je crois, dans _Broad-street_.
+ (_Note de Moore_.)]
+
+Il faut observer qu'à cette époque la fortune de mistress Byron ne lui
+permettait pas d'avoir plus d'une domestique; il n'est donc pas étonnant
+que l'enfant envoyé affronter l'épreuve d'une visite, sans la
+surveillance ordinaire de sa bonne, se soit montré un hôte difficile à
+gouverner.
+
+Du reste, que dès l'enfance son caractère fût violent, sournois et
+colère, il est impossible d'en douter; jusque dans ses petites jupes, il
+manifestait avec sa bonne ce même esprit d'impatience dont il donna dans
+la suite tant de preuves à ses critiques. Un jour elle le réprimanda
+vivement d'avoir sali ou déchiré un fourreau qu'on venait de lui mettre:
+ces reproches le firent entrer dans une de ces _rages silencieuses_,
+comme il les nomme lui-même; il prit le fourreau de ses deux mains, le
+mit en pièces, puis revint à une soudaine immobilité, défiant et son
+censeur et son ressentiment.
+
+Mais malgré cette petite scène et d'autres emportemens semblables,
+auxquels ne l'encourageait que trop l'exemple de sa mère (qui en
+agissait, dit-on, fréquemment de même avec ses bonnets et ses robes), il
+y avait dans ses inclinations, et le témoignage de ses bonnes, de ses
+maîtres et de tous ceux qui eurent alors des rapports avec lui est ici
+conforme, un mélange de douceur affectueuse et d'enjouement qui lui
+gagnait nécessairement les cœurs, et qui plus tard, comme dans ses plus
+tendres années, rendait son commerce facile pour ceux qui l'aimaient et
+le connaissaient assez pour user toujours à son égard de douceur et de
+fermeté. La gouvernante, dont nous avons déjà parlé, et la sœur de cette
+femme, May-Gray, qui la remplaça, prirent sur son esprit une influence à
+laquelle il ne résistait que bien rarement; tandis que sa mère, dont les
+caprices et les accès de tendresse et d'emportement diminuaient
+également le respect et l'affection de son enfant, ne dut jamais qu'à
+l'autorité de son titre de mère le faible pouvoir qu'elle eut sur lui.
+
+Par l'effet d'un accident qui, dit-on, arriva au moment de sa naissance,
+l'un de ses pieds fut détourné de sa position naturelle. Ce défaut,
+grâce surtout aux efforts que l'on fit pour y remédier, fut pour lui,
+pendant sa jeunesse, la source d'une foule de douleurs et d'ennuis. On
+voulut redresser ce membre d'après les expédiens alors en vogue, et sous
+la direction du célèbre John Hunter, qui même entretint à ce sujet une
+correspondance avec le docteur Livingstone d'Aberdeen. C'était à sa
+gouvernante qu'était confié le soin de lui mettre le soir ses
+machines-bandages; souvent alors, comme elle l'a raconté depuis, elle
+lui chantait ou lui racontait, pour mieux l'endormir, des histoires et
+des légendes auxquelles, comme la plupart des enfans, il prenait un
+grand plaisir. Elle lui apprit encore, dans cet âge si tendre, à répéter
+un grand nombre de psaumes, et le premier et le vingt-troisième furent
+ceux qu'il confia d'abord à sa mémoire. C'est un fait vraiment
+remarquable que, par les soins de cette respectable et pieuse personne,
+il acquit une connaissance plus parfaite des saintes Écritures, que ne
+l'ont en général les jeunes gens. Dans une lettre qu'il écrivit d'Italie
+à M. Murray, en 1821, après lui avoir demandé, par la première occasion,
+l'envoi d'une bible, il ajoute: «N'oubliez pas cela, car je suis un
+grand lecteur et admirateur de ces livres; je les avais parcourus tous
+avant l'âge de huit ans,--c'est-à-dire les livres de l'Ancien-Testament;
+quant au Nouveau, sa lecture me semblait une tâche, et celle de l'autre
+un plaisir. J'en parle d'après mes idées d'enfant, telles que je me les
+rappelle, et comme se présente encore à ma mémoire ce tems que je passai
+à Aberdeen en 1796.»
+
+La difformité de son pied était dès-lors un sujet qui l'affligeait
+beaucoup et sur lequel il se montrait très-irascible. Une personne de
+Glascow m'a rapporté que la gouvernante de sa femme et celle de Byron se
+voyaient souvent quand elles sortaient pour promener les enfans qui leur
+étaient confiés, et qu'un jour elle lui avait dit: «Quel bel enfant que
+ce Byron! et quel malheur qu'il ait un pareil pied!» L'enfant
+l'entendit, et soudain, outré de colère, il la frappa d'un petit fouet
+qu'il avait à la main, en s'écriant avec impatience: _Ne parlez pas de
+cela_. Quelquefois cependant, comme plus tard, il parlait avec
+indifférence et même plaisantait de son infirmité. Dans le voisinage se
+trouvait un autre enfant qui avait dans l'un de ses pieds un défaut
+semblable; Byron disait alors à cette occasion en riant: _Venez voir les
+deux petits garçons qui s'en vont dans Brood-street avec leurs deux
+pieds bots_.
+
+Parmi une foule d'exemples de vivacité et d'énergie, sa gouvernante
+citait le suivant. Un soir, elle l'avait conduit au théâtre, à la
+représentation de la _Femme colère corrigée_ (_the taming of the
+Shrew_); il avait suivi la pièce pendant quelque tems avec un intérêt
+silencieux, mais à la scène entre Catherine et Pétruchio, quand les
+acteurs en furent à ces deux vers:
+
+ CATHERINE. Je sais que c'est la lune.
+ PETRUCHIO. Non, vous mentez, c'est le soleil bienfaisant.
+
+Le petit Geordie (ainsi l'appelait-on), se levant de son siége, se mit à
+crier vivement: _Mais je vous dis, moi, que c'est la lune, monsieur_.
+
+Nous avons déjà parlé du séjour du capitaine Byron à Aberdeen; il revint
+encore y passer deux ou trois mois avant son départ définitif pour la
+France. Chaque fois, le principal objet de sa visite était de tirer
+encore, s'il le pouvait, quelque argent de la malheureuse femme qu'il
+avait réduite à la misère; et il y réussit si bien, que la dernière fois
+cette dame, gênée comme elle l'était, parvint à lui procurer les moyens
+de se rendre à Valenciennes[9], où il mourut l'année suivante (1791).
+Bien que sur la fin Mrs. Byron refusât de le voir, elle lui conserva
+toujours, dit-on, une vive affection; et à cette époque, quand la
+gouvernante venait à le rencontrer, elle ne manquait pas de s'informer
+auprès d'elle, avec la plus tendre sollicitude, de sa santé et de l'air
+de son visage. Quand elle apprit sa mort, sa douleur, suivant le récit
+de la même personne, tenait du désespoir, et ses cris perçans furent
+entendus jusque dans la rue. C'était vraiment une femme extrême dans
+toutes ses passions; sa douleur et sa tendresse partaient de son
+tempérament autant que d'une sensibilité réelle. Quoi qu'il en soit,
+déplorer la mort d'un pareil mari était, il faut l'avouer, faire preuve
+d'une générosité bien gratuite; d'autant plus que ne l'ayant épousée,
+comme il le disait tout haut, que pour sa fortune, et ayant bientôt
+dissipé le seul charme qu'elle eût à ses yeux, il avait la cruauté de
+lui reprocher fréquemment les inconvéniens de la pénurie, fruit de son
+extravagante prodigalité.
+
+ [Note 9: Mrs. Byron, dit quelqu'un que j'ai déjà cité,
+ s'était endettée de trois cents liv. st., par suite des
+ avances d'argent faites à M. Byron lors de ses deux visites à
+ Aberdeen, et par les frais d'ameublement de la chambre
+ qu'elle occupa après la mort de son mari, dans Brood-street.
+ Les intérêts de cette somme réduisirent son revenu à 139
+ liv.; toutefois elle sut vivre sans augmenter ses dettes, et
+ à la mort de sa grand'mère, ayant hérité des 1,122 liv.
+ réservées pour le douaire de cette dame, elle les acquitta
+ entièrement.]
+
+Le jeune Byron n'avait pas cinq ans accomplis quand on l'envoya à une
+école primaire, tenue à Aberdeen par M. Bowers[10]. Il y resta, sauf
+quelques interruptions, durant l'espace de douze mois, comme l'atteste
+l'extrait suivant du registre journalier de l'école:
+
+
+GEORGES GORDON BYRON,
+
+19 novembre 1792.
+
+19 novembre 1793, reçu une guinée.
+
+ [Note 10: Dans _Long-acre_, l'instituteur actuel de cette
+ école est M. Davie Gronta, l'ingénieux éditeur d'une
+ _collection de batailles et monumens militaires_, et d'un
+ ouvrage fort utile intitulé: _Livre classique des poèmes
+ modernes_.]
+
+Le prix de cette école, pour la lecture seulement, n'était que de 5
+_shillings_ par quartier; et ce fut certainement moins dans le but de
+hâter ses progrès que pour mieux échapper à sa turbulence que sa mère
+l'y envoya. Quant au résultat de ces premières études à Aberdeen, tant
+sous M. Bowers que sous différens autres instituteurs, il nous en offre
+lui-même le curieux document dans une sorte de journal commencé sous le
+titre de _mon Dictionnaire_, et qu'on retrouve dans l'un de ses
+manuscrits:
+
+«J'ai vécu dans cette ville plusieurs années de ma première jeunesse;
+mais depuis l'âge de dix ans je n'y suis pas retourné. A cinq ans, ou
+plus tôt même, on m'envoyait à l'école tenue par un M. Bowers, que l'on
+surnommait _Bodsy_, à cause de son air vif et éveillé. C'était une école
+à l'usage des deux sexes; j'y appris peu de chose, si ce n'est à répéter
+par cœur, à force de l'entendre, mais sans en retenir une lettre, la
+première leçon monosyllabique: _Dieu fit l'homme, il faut l'aimer_. La
+seule preuve que je donnais de mes progrès à la maison, c'était de
+répéter ces mots avec la plus grande volubilité; mais un jour, ayant
+tourné le feuillet, j'eus le malheur de redire encore la même chose, et
+cela fit découvrir les bornes étroites de mes jeunes talens: on me tira
+les oreilles (criante injustice, attendu que c'était par elles que
+j'avais appris ce que je savais), et l'on confia mes dispositions aux
+soins d'un nouveau précepteur; c'était un pieux et habile petit prêtre,
+nommé Ross, devenu plus tard, ministre de l'une des églises d'Écosse
+(celle d'_East_, je pense). Je fis sous lui d'étonnans progrès, et je me
+rappelle encore aujourd'hui ses manières douces et sa généreuse
+sollicitude. Dès que je pus lire, ma grande passion fut l'histoire, et
+surtout je me passionnai, pourquoi? je l'ignore, pour la bataille donnée
+près du lac Régille, dans l'histoire romaine, que l'on m'avait d'abord
+mise entre les mains. Il y a quatre ans, me trouvant sur les hauteurs de
+Tusculum, mes regards s'arrêtèrent sur le petit lac circulaire, jadis de
+Régille, et qui n'est plus qu'un point dans la perspective; alors je me
+souvins de mon jeune enthousiasme et de mon vieux instituteur. Plus tard
+j'eus pour maître un nommé Paterson, honnête jeune homme, mais
+très-sérieux et taciturne: c'était le fils de mon cordonnier; du reste
+fort instruit, comme le sont généralement les Écossais; c'était de plus
+un presbytérien rigide. Je commençai avec lui le latin, dans la
+grammaire de Ruddeman, et je continuai jusqu'au moment où l'on me mit à
+l'_école de grammaire_. Là je fis toutes mes classes jusqu'à la
+quatrième forme[11], époque de mon rappel en Angleterre, ma patrie, par
+la mort de mon oncle.
+
+ [Note 11: Un collége régulier anglais se divise généralement
+ en six _formes_, quoiqu'un même professeur puisse être chargé
+ de deux à la fois. L'ordre des _formes_ est inverse du nôtre;
+ ainsi (la rhétorique et la philosophie faisant partie de
+ l'enseignement spécial des universités), la sixièmes _forme_
+ correspondra à notre classe de seconde, et la première forme
+ à notre septième ou aux classes plus élémentaires encore.
+ (_Note du Traducteur_.)]
+
+C'est à Aberdeen, et sur les belles exemples de M. Duncan, que j'acquis
+le beau point d'écriture que je ne lis pas moi-même sans difficulté. Je
+ne pense pas qu'il se mît beaucoup en peine de mes progrès. J'écrivais
+mieux alors que je n'ai jamais fait depuis; la hâte et l'agitation d'une
+et d'autre espèce ont fait de moi le plus parfait griffonneur qui jamais
+ait tenu une plume. Il pouvait y avoir à cette école de grammaire cent
+cinquante enfans de tout âge; elle était divisée en cinq classes, tenues
+par quatre maîtres, le principal se chargeant de la quatrième et de la
+cinquième forme, comme en Angleterre la cinquième et la sixième forme et
+les moniteurs ont toujours pour professeur le chef de l'école.»
+
+Parmi ses compagnons de classe, il en est de vivans qui se souviendront
+encore de lui[12], et l'impression qu'ils en ont conservée est que
+c'était un enfant vif et passionné, emporté, rancunier, mais affectueux
+et sociable à l'égard de ses camarades; hardi, singulièrement aventureux
+et toujours, comme l'un d'eux le répétait heureusement, toujours _plus
+prêt à donner qu'à recevoir des coups_. Entr'autres anecdotes à l'appui
+de ce caractère, on cite qu'une fois, revenant de l'école, il se trouva
+de compagnie avec un enfant qui l'avait auparavant insulté, sans en
+avoir été puni. Le petit Byron avait juré qu'il le lui paierait à la
+première occasion; en conséquence cette fois-ci, bien que plusieurs
+autres enfans prissent le parti de son adversaire, il parvint à lui
+donner une _volée complète_; et quand il arriva chez sa mère, tout
+essoufflé, la servante lui demanda ce qu'il avait fait. Il répondit,
+avec un mélange de rage et d'enjouement, qu'il venait d'acquitter une
+dette en rossant un enfant auquel il l'avait promis; qu'il était un
+Byron, et que jamais il ne fausserait sa devise: _Croys Byron_.
+
+ [Note 12: Le vieux portier du collége aussi se rappelle bien
+ le petit garçon à la jaquette rouge et au pantalon de nankin,
+ qu'il a si souvent chassé de la cour du collége.]
+
+Il est certain qu'il cherchait bien plus à se distinguer parmi ses
+camarades par sa supériorité dans tous les jeux et exercices violens,
+que par ses progrès à l'étude[13]. Cependant il était plein d'ardeur dès
+qu'on parvenait à fixer son attention, ou qu'un genre d'étude venait à
+lui plaire. Il était en général parmi les derniers de sa classe, et ne
+semblait guère ambitieux de places plus honorables. Il est d'usage, je
+crois, dans cette pension, d'intervertir de tems en tems l'ordre des
+places et de mettre les plus faibles écoliers sur les bancs
+ordinairement réservés aux plus forts, sans doute dans la vue de mieux
+stimuler l'ardeur des uns et des autres. Dans ces occasions, et
+seulement alors, Byron était parfois à la tête de ses condisciples, et
+son professeur disait en le raillant; _Allons, George, vous ne tarderez
+pas à retourner à la queue_[14].
+
+ [Note 13: C'était, dit l'un de ceux que j'ai consultés, un
+ bon joueur de billes, il les lançait plus loin que la plupart
+ des enfans; il excellait aussi aux _barres_, jeu qui exige
+ une grande agilité de jambes.]
+
+ [Note 14: Il paraît, d'après la liste trimestrielle tenue a
+ l'école de grammaire d'Aberdeen, dans laquelle le nom des
+ enfans se trouve placé suivant le rang qu'ils tenaient dans
+ leur classe; il paraît, dis-je, qu'en avril 1794, le nom de
+ Byron se trouvait le vingt-troisième sur une liste de
+ trente-huit enfans, dans la seconde forme. En avril 1798, il
+ lui arriva d'être le cinquième dans la quatrième classe,
+ composée de vingt-sept enfans, et de dépasser plusieurs de
+ ses condisciples qui l'avaient toujours devancé jusque-là.]
+
+Durant cette période, sa mère et lui eurent l'occasion de faire visite à
+plusieurs de leurs amis: ils passèrent quelque tems à Fetteresso,
+demeure de son parrain le colonel Duff (on s'y rappelle encore le
+plaisir que prenait l'enfant à jouer avec un vieux sommelier, bon
+vivant, nommé Ernest Fiddler). Ils s'arrêtèrent aussi à Banff, où
+résidaient quelques proches parens de mistress Byron.
+
+Il eut en 1796 une attaque de fièvre scarlatine, après laquelle sa mère
+l'envoya, pour changer d'air, dans les montagnes de l'Écosse
+(_highlands_); et ce fut alors, ou l'année suivante, qu'ils choisirent
+pour résidence une ferme dans le voisinage de Ballater. C'est un séjour
+recherché pendant l'été par ceux qui veulent reprendre leur santé ou
+leur enjouement; il est situé sur la rivière, à quarante milles environ
+d'Aberdeen. Bien que cette maison, où l'on montre encore avec orgueil le
+lit du jeune Byron, soit naturellement devenue un but de pélerinage pour
+les admirateurs du génie, elle est, ainsi que la vallée étroite et aride
+dans laquelle elle est bâtie, bien indigne de s'associer au souvenir
+d'un poète. A peu de distance de là, on peut vanter avec raison un
+paysage où se retrouvent tous les genres de beautés sauvages qui suivent
+le cours de la Dée à travers les montagnes. C'est là que les noirs
+sommets de _Lachin-y-Gair_ s'élançaient en forme de tourelles aux yeux
+du poète futur; les vers qu'il consacra, plusieurs années après, au
+tableau de ces objets sublimes, montrent que déjà, malgré sa tendre
+jeunesse, il connaissait tous les genres de _gloire sourcilleuse_ qui
+s'y rattachaient[15].
+
+ [Note 15: Les souvenirs exprimés dans cette pièce sont
+ charmans, mais il n'en est pas moins certain, d'après le
+ témoignage de sa gouvernante, qu'il alla tout au plus deux
+ fois sur cette montagne, située à quelques milles de leur
+ résidence ordinaire.]
+
+Ah! c'est là que mes pas s'égarèrent souvent dans mon enfance; mon
+chapeau était le bonnet à carreaux, mon manteau le _plaid_ des
+montagnards; les souvenirs des chefs de _clans_, morts depuis long-tems,
+venaient s'offrir à mon esprit, quand, chaque jour, j'errais dans les
+clairières couvertes de pins. Je ne songeais pas à retourner au château,
+avant que la gloire du jour mourant n'eût fait place aux rayons brillans
+de l'étoile polaire, car mon imagination charmée aimait à se nourrir des
+traditions glorieuses que je recueillais de la bouche des habitans de la
+sombre Loch-na-Gar.
+
+On a plusieurs fois attribué la première étincelle de son génie poétique
+à la sévérité grandiose des scènes au milieu desquelles s'écoula son
+enfance; mais on pourrait se demander si jamais pareilles facultés
+furent l'effet d'un pareil accident. Que les charmes d'une nature
+pittoresque, nés principalement de notre imagination et de nos
+souvenirs, soient profondément sentis à un âge où l'imagination est à
+peine née, où les souvenirs sont rares, c'est ce qu'on concevra
+difficilement, tout en faisant la part d'un génie prématuré. L'éclat que
+le poète voit dans les aspects de la nature n'est pas autant dans les
+objets eux-mêmes que dans l'œil qui les contemple; et l'imagination doit
+entourer ses tableaux d'une sorte d'auréole avant de pouvoir leur
+emprunter quelque inspiration.
+
+A la vérité, comme matériaux susceptibles d'être mis en œuvre par la
+faculté poétique quand elle sera développée, ces merveilleuses
+impressions, recueillies dès l'enfance avec toute la vivacité,
+conservées avec toute la puissance de souvenir qui appartient au génie,
+peuvent bien former l'un des plus purs et des plus précieux alimens dont
+il se nourrira par la suite; mais cependant la source de ce charme est
+dans le sentiment poétique qui existait en lui et qui s'éveille alors.
+C'est l'imagination seule qui, agissant sur ses souvenirs, imprégnera
+pour lui, dans la suite, tout le passé de poésie.
+
+Il faut donc classer les impressions que Lord Byron reçut dans son
+enfance des scènes de la nature, avec les divers autres souvenirs qu'il
+conserva de la même période, comme de son innocence, de ses jeux, de ses
+espérances et de ses affections premières, tous souvenirs que le poète
+sait convertir à son usage, mais dont aucun ne fait le poète; pas plus
+que le miel (pour employer une comparaison de Byron lui-même) ne fait
+l'abeille qui le butine.
+
+Quand il arrive, comme ce fut le cas en Grèce pour Lord Byron, que les
+mêmes accidens de nature, sur lesquels la mémoire a réfléchi son charme,
+se reproduisent devant les yeux, entourés de circonstances nouvelles et
+inspiratrices, et de tous les accessoires qu'une imagination riche et
+vigoureuse peut leur prêter; alors, et le passé, et le présent, tout
+contribue à rendre l'enchantement complet. Or, jamais cœur ne fut mieux
+né pour réunir ces divers sentimens que celui de Lord Byron. Dans un
+poème écrit un ou deux ans avant sa mort[16], il fait honneur de sa
+passion pour les montagnes aux impressions de son séjour dans les
+_highlands_; et il attribue même le plaisir que lui fit éprouver
+l'aspect de l'Ida et du Parnasse, bien moins aux traditions classiques
+qu'aux souvenirs profonds que lui fournissaient son enfance et
+_Lachin-y-gair_.
+
+ [Note 16: L'Ile.]
+
+Celui dont les premiers regards se sont arrêtés sur les montagnes de
+l'Écosse, couronnées d'un bleu céleste, aimera à contempler toutes les
+cimes qui lui offriront une couleur analogue; il saluera, dans chaque
+mamelon, le visage connu d'un ami; à la vue d'une montagne, son ame
+s'épanouira, comme pour l'embrasser. Long-tems j'ai parcouru des pays
+qui n'étaient pas mon pays; j'ai adoré les Alpes, aimé les Apennins,
+révéré le Parnasse, admiré l'Ida cher à Jupiter, et l'Olympe qui s'élève
+majestueusement au-dessus de la mer. Mais ce n'était point le souvenir
+de leur gloire antique, ce n'était point la vue de leur beauté présente
+qui m'imposaient ces impressions profondes de respect et d'amour. Les
+ravissemens que l'enfant avait éprouvés survivaient à l'âge de
+l'enfance. Loch-na-Gar dominait avec l'Ida sur les champs de la Troade.
+Les souvenirs celtiques entouraient le mont Phrygien, et les eaux des
+cascades des _highlands_ se mêlaient à la claire fontaine de Castalie.
+
+Dans une note jointe à ce morceau, nous le voyons faire le même
+anachronisme dans l'histoire de ses propres sentimens, et rapporter à
+son enfance elle-même cet amour des montagnes, qui n'était autre chose
+que le résultat du travail de son imagination se reportant au passé.
+«C'est, dit-il, de cette époque (celle de son séjour dans les
+_highlands_) que date mon amour des pays montagneux. Je n'oublierai
+jamais l'effet que produisit sur moi, quelques années plus tard, en
+Angleterre, la seule chose que j'eusse vue depuis long-tems qui
+ressemblât à des montagnes, quoiqu'en miniature; je veux parler des
+_Malvern-hills_. Lorsque je retournai à Cheltenham, je les regardais
+chaque soir, au coucher du soleil, avec une émotion que je ne pourrais
+décrire.» Son amour pour les courses solitaires et pour les excursions
+de toutes espèces[17], le conduisait souvent assez loin pour donner sur
+lui des inquiétudes sérieuses. Il lui arrivait à Aberdeen, toutes les
+fois qu'il en trouvait l'occasion, de s'esquiver, inaperçu, de la
+maison. Quelquefois il se dirigeait du côté de la mer; et un jour, après
+de longues et pénibles recherches, on trouva le petit aventurier se
+débattant au milieu d'une fondrière ou mare, d'où il n'aurait pu se
+tirer de lui-même.
+
+ [Note 17: Cette phrase rend fort douteuse l'assurance donnée
+ par sa gouvernante (au rapport de Thomas Moore), que Byron
+ n'avait jamais vu que deux fois la montagne de
+ _Lachin-y-gair_, si voisine de l'habitation de sa mère.
+ (_N. du Tr._)]
+
+Dans le cours de l'une de ces excursions d'été le long de la Dée, il eut
+l'occasion de voir les sauvages beautés des _highlands_, mieux encore
+que dans les environs de leur résidence à Ballatrech. Sa mère l'avait
+conduit sur la route romantique d'_Invercauld_, jusqu'à la petite chute
+d'eau appelée _la vigne de la Dée_; sa passion pour les aventures fut
+alors sur le point de lui coûter la vie: comme il grimpait le long d'une
+pente inclinée sur cette cascade, une bruyère arrêta son pied bot et il
+tomba. Déjà même il roulait vers le précipice, quand la gouvernante eut
+la force et la présence d'esprit de le retenir, et de le ravir ainsi à
+une mort certaine.
+
+Il n'avait encore que huit ans: ce fut alors qu'un sentiment plus près
+de l'amour qu'on ne le supposerait possible dans un âge si tendre, prit,
+de son propre aveu, sur ses pensées, une puissance absolue, et prouva
+ainsi, de bonne heure, combien il était facile d'éveiller sa sensibilité
+sur ce point comme sur tous les autres[18]. L'objet de son attachement
+était Marie Duff; et les passages d'un journal, tenu par lui en 1813,
+montrent avec quelle fraîcheur, après un intervalle de dix-sept ans, il
+se rappelait toutes les circonstances de cette première passion:
+
+ [Note 18: On sait que Dante n'avait que neuf ans quand, à la
+ _fête du Mai_, il vit pour la première fois Béatrix et en
+ devint amoureux. Alfieri lui-même, amant précoce, considère
+ une telle sensibilité prématurée comme le signe incontestable
+ d'une ame née pour les beaux-arts. «_Effetti_, dit-il en
+ décrivant ce qu'il éprouva lui-même lors de son premier
+ amour, _che poche persone intendono, e pochissime provano: ma
+ a quei soli pochissimi è concesso l' uscir della folla
+ volgare in tutte le umane arti_.» Canova disait ordinairement
+ qu'il se rappelait fort bien avoir été amoureux dès l'âge de
+ cinq ans.]
+
+«J'ai dernièrement, dit-il, beaucoup pensé à Marie Duff; il est bien
+étrange que j'aie pu me passionner aussi profondément pour cette jeune
+fille, à un âge où je ne pouvais connaître l'amour, ni ce que ce mot
+signifiait: et pourtant c'était bien de l'amour. Ma mère me raillait
+d'habitude sur cet attachement puéril; et plusieurs années après
+(j'avais alors seize ans), elle me dit un jour: _Byron, je reçois une
+lettre d'Edimbourg; miss Abercromby me mande que votre ancienne passion,
+Marie Duff, est mariée à un M. Co_..... Et quelle fut ma réponse? En
+vérité, je ne sais comment expliquer ce que je ressentis en ce moment;
+mais je faillis entrer en convulsion. Ma mère en fut tellement alarmée,
+que plus tard elle évita toujours de revenir sur ce sujet _avec
+moi_,--se contentant de le redire volontiers à chacune de ses
+connaissances. Maintenant que signifiait tout cela? Je ne l'avais pas
+vue depuis que, par suite d'un _faux pas_ de sa mère, à Aberdeen, elle
+fut ramenée à Banff, auprès de son aïeule: nous étions tous deux de
+véritables enfans; j'avais dès-lors, et j'ai depuis éprouvé cinquante
+fois, d'autres sentimens tendres; cependant je me rappelle encore tout
+ce que nous nous disions l'un à l'autre, toutes nos caresses, ses
+traits, mon inquiétude, mes insomnies, mes instances auprès de la
+servante de ma mère pour qu'elle lui écrivît de ma part; ce qu'elle fit
+à la fin pour me tranquilliser. La pauvre Nancy pensait que j'étais fou;
+et comme je ne pouvais écrire une lettre moi-même, elle devint mon
+secrétaire. Je me rappelle aussi nos promenades, mon bonheur quand
+j'étais assis près de Marie dans l'appartement des enfans, à leur maison
+proche des _Plainstones_ à Aberdeen. Alors, tandis que sa petite sœur
+jouait à la poupée, nous faisions l'amour à notre manière.
+
+«Comment diable tout cela arriva-t-il à un pareil âge? d'où cela
+provenait-il? Certainement, plusieurs années après, je n'avais pas
+encore l'idée de la distinction des sexes; et cependant mes tourmens et
+mon amour furent si violens, que je doute quelquefois si j'ai jamais été
+depuis réellement amoureux.
+
+«Qu'il en soit ce qu'on voudra, l'annonce de son mariage, plusieurs
+années après, fut pour moi un coup de foudre et fut sur le point de
+m'étouffer, au grand effroi de ma mère et à l'étonnement de tous les
+spectateurs qui refusaient d'y croire. C'est dans ma vie un phénomène
+(puisque je n'avais alors que huit ans), qui m'a souvent tourmenté et
+qui me tourmentera jusqu'à ma dernière heure; et récemment encore, je ne
+sais pas pourquoi, son souvenir (non pas l'amour lui-même) s'est
+représenté avec plus de force que jamais. Je serais bien étonné qu'elle
+eût gardé de moi la moindre souvenance, et qu'elle se rappelât comme
+elle plaignait sa petite sœur Hélène de ne pas avoir aussi un amoureux!
+Il est incroyable comme j'ai gardé d'elle une parfaite et charmante
+idée; de son front, de ses cheveux noirs, de ses yeux d'un brun clair,
+de ses vêtemens même: je serais vraiment fâché de la voir aujourd'hui;
+la réalité, toute belle qu'elle serait, détruirait ou du moins
+obscurcirait les traits de la charmante Péri que je contemplais alors en
+elle, et qui vit encore dans mon imagination après plus de seize années.
+J'ai maintenant vingt-cinq ans et quelques mois.....
+
+«Ma mère, je le suppose, raconta cette circonstance (l'effet qu'avait
+produit son mariage sur moi) aux Parkynses et certainement à la famille
+Pigot; elle le mentionna sans doute également à miss Abercromby, qui
+connaissait mon ancien penchant, et qui sans doute n'avait donné cette
+nouvelle qu'à mon intention..... Je l'en remercie! Comme ses
+commencemens, le terme de cette passion m'a souvent fait réfléchir;
+quant à l'exactitude des faits, d'autres les connaissent aussi bien que
+moi, et le souvenir que j'en conserve est encore plein de vie. Mais plus
+j'y songe, et plus je suis embarrassé d'assigner quelques causes à cette
+précocité d'affection.»
+
+Les chances qu'il avait de succéder au titre de ses ancêtres furent
+quelque tems tout-à-fait incertaines; car; en 1794, le cinquième lord
+Byron vivant avait encore un petit-fils. Sa mère cependant, dès sa
+naissance, avait caressé l'espoir qu'il serait non-seulement un lord,
+mais encore un grand homme. Une circonstance bizarre sur laquelle elle
+fondait cette espérance, c'est qu'il était boiteux; pourquoi? il serait
+difficile de le dire, si ce n'est peut-être qu'ayant un esprit des plus
+superstitieux, elle avait consulté quelque diseur de bonne aventure,
+qui, pour anoblir aux yeux d'une mère cette infirmité, l'avait rattachée
+à la destinée future de l'enfant.
+
+La mort du petit-fils du vieux lord, arrivée en Corse en 1794, brisa le
+seul obstacle qui se trouvait jusqu'alors placé entre le petit George et
+l'héritage immédiat de la pairie: l'importance sensible que cet
+événement leur donna fut sentie non-seulement par Mrs. Byron, mais aussi
+par le jeune baron futur de Newsteadt. Pendant l'hiver de 1797, sa mère
+lisait un jour par hasard un discours prononcé à la Chambre des
+Communes; un ami se trouvait présent, qui dit à l'enfant: «Nous aurons
+un jour ou l'autre le plaisir de lire aussi vos discours à la Chambre
+des Communes.» _J'espère que non_, répondit-il; _si vous en lisez
+quelqu'un de moi, ce sera à la Chambre des Lords_.
+
+Le titre dont il se félicitait ainsi ne lui fut que trop tôt dévolu.
+S'il avait pu demeurer encore pendant dix ans tout simplement George
+Byron, on ne peut douter que son caractère n'y eût gagné sous beaucoup
+de rapports. L'année suivante, son grand oncle, le cinquième lord Byron,
+mourut à l'abbaye de Newsteadt, ayant consommé les dernières années de
+sa vie dans un état d'isolement austère et presque sauvage.
+
+Le lendemain de l'accession du petit Byron à la pairie, on dit qu'il
+courut à sa mère et lui demanda _si elle apercevait quelque changement
+en lui depuis qu'il était lord, car il n'en trouvait lui-même aucun_.
+Réflexion ingénieuse et naturelle; l'enfant ne songeait pas encore que
+la simple addition d'une syllabe au-devant de son nom avait suffi pour
+opérer un changement complet et magique dans toutes ses relations
+futures avec la société.
+
+On peut se faire une idée de l'effet que produisit dès-lors sur lui cet
+événement, d'après l'agitation que, dit-on, il manifesta en s'entendant,
+pour la première fois, appeler dans l'école avec l'addition du titre de
+_dominus_. Incapable de faire la réponse habituelle, _adsum_, il resta
+silencieux au milieu de la surprise générale de ses camarades, et finit
+enfin par fondre en larmes.
+
+Le nuage qu'avait jeté, et sans cause, à plusieurs égards, sur le
+caractère du dernier lord Byron, sa malheureuse affaire avec M.
+Chaworth, avait encore été, dans la suite, obscurci par les effets
+naturels d'une vie insociable et bizarre. On fait encore dans le
+voisinage les récits les plus exagérés de sa cruauté envers lady Byron,
+avant leur séparation mutuelle, et l'on croit même que, dans l'un de ses
+accès de fureur, il avait été jusqu'à la précipiter dans l'étang de
+Newsteadt. Une autre fois, dit-on, ayant tué son cocher pour quelque
+désobéissance, il avait jeté le cadavre dans la voiture où se trouvait
+lady Byron, et montant aussitôt sur le siége, il avait lui-même conduit
+les chevaux. Ces histoires sont, à n'en pas douter, des fables
+grossières, comme la plupart de celles dont son illustre héritier fut
+plus tard la victime. Une femme au service du vieux lord, encore
+vivante, contredit ces deux récits comme autant d'inventions de la
+calomnie; elle suppose pourtant que la première est fondée sur les
+circonstances suivantes. Une jeune dame du nom de Booth se trouvait à
+Newsteadt en visite; un soir, on fit une partie de plaisir devant la
+façade de l'abbaye, et lord Byron, par accident, l'avait poussée dans le
+bassin qui reçoit la cascade: de là, sans doute, le conte dont nous
+avons parlé.
+
+Une fois séparé de lady Byron, l'isolement complet dans lequel il vécut
+réveilla toute la puissance d'imagination des habitans de l'endroit; nul
+fait atroce ou désespéré que les commères du village ne fussent
+disposées à lui imputer. Il y avait dans son triste jardin deux images
+grimaçantes de satyres, que bientôt l'effroi de ceux qui les entrevirent
+décora du nom de _diables du vieux lord_. On sait qu'il marchait
+toujours armé, et l'on rapporte que le dernier sir John Warren, son
+voisin, ayant été admis à dîner un jour avec lui, trouva sur la table
+une boîte à pistolets placée là comme partie ordinaire du service.
+
+Dans ses dernières années, les seuls compagnons de sa solitude, outre
+cette colonie de grillons qu'il s'amusait, dit-on, lui-même, à nourrir
+et à dresser[19], étaient le vieux Murray, plus tard valet favori de son
+successeur, et la domestique dont je viens de citer l'autorité. Cette
+dernière, d'après les fonctions auxquelles on suppose qu'elle avait été
+promue auprès de son noble maître, avait reçu généralement dans le pays
+le nom de _Lady Betty_.
+
+ [Note 19: Lord Byron avait l'habitude d'ajouter à ceci, sur
+ l'autorité de vieux domestiques, que le jour de la mort de
+ leur patron, ces grillons laissèrent tous de concert la
+ maison, et en si grand nombre, qu'il était impossible de
+ faire un pas dans le vestibule sans en écraser quelques-uns.]
+
+Quoiqu'il vécût dans sa solitude d'une manière sordide, il paraît qu'il
+éprouvait souvent le besoin d'argent; et l'un des torts les plus sérieux
+qu'il fit à sa propriété, fut la vente du domaine de Rochdale, dans le
+duché de Lancastre, dont le produit minéralogique passait pour
+très-important. Il savait bien, dit-on, à l'époque de la vente, qu'il
+n'avait pas le droit de donner un titre légal de possession, et il n'est
+pas croyable que ceux qui rachetèrent ignorassent l'irrégularité de la
+transaction; mais ils prévirent sans doute, comme en effet cela arriva,
+qu'avant d'être dépossédés de la propriété ils seraient à peu près
+indemnisés par le produit qu'ils en tireraient.
+
+On tenta, pendant la minorité du jeune lord, de rentrer dans le domaine
+de Rochdale, et, comme on le lira bientôt, ce fut avec un plein succès.
+Pour Newsteadt, les bâtimens et les dépendances menaçaient une ruine
+prochaine, et parmi les rares témoignages de la sollicitude ou de la
+dépense de son propriétaire, se trouvaient quelques masses de pierres
+réunies à grands frais, et quelques bâtimens, crénelés, élevés sur le
+bord du lac et dans l'épaisseur du bois. Les forts bâtis sur le lac
+étaient destinés à donner un aspect naval à ses ondes: souvent, quand il
+était en bonne humeur, il se plaisait à des combats simulés; ses
+bâtimens attaquaient la forteresse, qui à son tour les canonnait. Le
+plus grand de ses vaisseaux avait été construit pour lui dans l'un des
+ports de mer de l'est: on l'avait dirigé sur des roues vers la forêt de
+Newsteadt, comme pour accomplir l'une des prophéties de la mère Shipton,
+_que quand un vaisseau chargé de_ ling _traverserait la forêt de
+Shervood, le domaine de Newsteadt sortirait de la famille Byron_. Dans
+le duché de Nottingham, _ling_ répond au mot bruyère; et afin de
+justifier la mère Shipton et de dépiter le vieux lord, on dit que les
+paysans escortaient le vaisseau en y jetant sans cesse des touffes de
+bruyère.
+
+Cet homme singulier prenait évidemment fort peu de soin du sort de ses
+descendans; il n'avait entretenu aucun rapport avec son jeune héritier
+d'Écosse, et s'il lui arrivait d'en parler, ce qui était fort rare, ce
+n'était jamais que sous le nom _du petit enfant qui est à Aberdeen_.
+
+La mort de son grand oncle faisait de Lord Byron _le pupille de la
+chancellerie_, et le comte de Carlisle fut désigné pour être son tuteur.
+Il avait avec la famille quelques rapports de parenté, comme fils de la
+sœur du défunt lord. En 1798, pendant l'automne, Mrs. Byron et son fils,
+escortés de leur fidèle May Gray, quittèrent Aberdeen pour Newsteadt.
+Avant leur départ, ils avaient vendu le mobilier de l'humble appartement
+qu'ils occupaient, et le produit, à l'exception du linge et de la
+vaisselle que Mrs. Byron emporta, fut de 74 livres sterling 17 shillings
+7 pence.
+
+Le tems que Byron passa en Écosse, où sa mère avait d'ailleurs pris
+naissance, lui permettait de se considérer lui-même, comme il s'en est
+glorifié dans Don Juan, _à moitié Écossais par sa naissance, et
+entièrement par son éducation_.
+
+Nous avons déjà vu avec quelle vivacité il gardait le souvenir des
+montagnes qui, dans l'origine, avaient frappé ses yeux; les allusions
+qu'il y fait, dans le passage de Don Juan que je viens de citer, au pont
+romantique du Don et aux autres localités d'Aberdeen, montrent la même
+fidélité et le même entraînement de souvenir.
+
+De dire comment _Auld-Lang-Syne_ évoque devant moi l'Écosse en masse et
+dans tous ses détails, les Plaids écossais, les _Snoods_ écossais, les
+montagnes bleues, les ondes claires, la Dee, le Don, le mur noir du pont
+de Balgounie, mes souvenirs d'enfant, en un mot le plus doux songe de ce
+qui me faisait alors rêver, enveloppé, comme les fils de Banco, de leurs
+manteaux funéraires;--d'expliquer ces allusions enfantines qui ramènent
+sous mes yeux ma douce enfance,--je ne m'en soucie pas, c'est un effet
+de _Auld-Lang-Syne_.
+
+Puis il ajoute en note:
+
+Le pont du Don, près de _la vieille ville_ d'Aberdeen, avec son arche
+unique et ses eaux noirâtres et poissonneuses, me sont encore présens,
+comme si je les avais vus hier. Je me rappelle également, bien que je le
+cite mal peut-être, le terrible proverbe qui, dans ma jeunesse, me
+faisait craindre et pourtant désirer de le passer, parce que j'étais
+fils unique, au moins du côté de ma mère. Le voici tel que je m'en
+souviens, quoique je ne l'aie entendu ni lu depuis l'âge de neuf ans:
+
+ Brig of Balgounie, black's your wa'
+ Wi a wife's ae son, and a mear's ae foal
+ Down ye shall fa'.....
+
+Pont de Balgounie, ton mur est noir, tu tomberas avec le fils unique
+d'une femme et le poulain unique d'une cavale.
+
+Il eut toujours un véritable plaisir à rencontrer une personne
+d'Aberdeen: quand feu M. Scott, qui était né dans cette ville, lui
+rendit une visite à Venise, en 1819, il lui désigna surtout, en
+rappelant leurs habitudes d'enfance, une place nommée la niche de
+Wallace, où se trouve encore aujourd'hui une grossière statue de ce
+guerrier écossais. Cette sorte de souvenir ne le trouvait jamais
+insensible. A son premier voyage en Grèce, non-seulement l'aspect des
+montagnes, mais le jupon court des Albanais, tout, dit-il, le _reportait
+à Morven_. Dans sa dernière et fatale expédition, l'habit qu'il portait
+de préférence, à Céphalonie, était une veste de _tartane_.
+
+Mais quelque sincères et profondément senties que fussent les
+impressions qu'il gardait de l'Écosse, il lui arrivait quelquefois,
+comme pour toutes ses affections les plus aimables, de donner un démenti
+à son bon naturel; et lorsque la colère ou l'ironie l'excitait, de
+persuader et les autres et lui-même que toutes ses affections se
+portaient vers des objets directement opposés.
+
+Le fiel qu'il répandit à l'occasion de sa querelle avec la _Revue
+d'Édimbourg_, sur tout ce qu'il y avait d'Écossais, offre l'exemple de
+ce triomphe temporaire de ses passions. Dans tous les tems, le moindre
+soupçon de ridicule jeté sur l'Écosse ou ses habitans suffisait pour
+faire taire ses affectueux sentimens. Un de ses amis me raconta
+l'amusante colère dans laquelle le mit un jour une innocente jeune
+fille, pour avoir remarqué qu'il avait quelque chose de l'accent
+écossais: «Bon dieu! s'écria-t-il, j'espère bien que non; j'aimerais
+mieux voir tomber la maudite Écosse dans la mer que d'avoir l'accent
+écossais.»
+
+Mais on ajoutera peu de foi aux saillies de ce genre répandues dans ses
+écrits ou sa conversation, quand on les comparera aux preuves décisives
+qu'il a laissées de son attachement pour le pays où il passa son
+enfance. Et si, pour lui, ces impressions étaient ineffaçables, de
+l'autre il y a chez les citoyens d'Aberdeen, qui le regardent comme leur
+compatriote, une correspondance chaleureuse d'affection pour sa mémoire
+et pour son nom. Ils montrent encore aux voyageurs les diverses maisons
+où il résidait dans sa jeunesse; l'avoir vu seulement une fois, réveille
+en eux un souvenir d'orgueil, et le pont du Don, déjà beau en lui-même,
+est désormais revêtu, grâce à la mention qu'il en a faite dans son _Don
+Juan_, d'un nouveau charme. Il y a deux ou trois ans qu'on offrit une
+somme de cinq liv. st. à une personne d'Aberdeen en échange d'une lettre
+écrite par le capitaine Byron quelques jours avant sa mort; et au nombre
+des souvenirs du jeune poète, devenus autant de trésors pour ceux qui
+les possèdent, il en est un dont il n'aurait pu sans rire entendre
+parler, c'est tout simplement une vieille soucoupe de porcelaine dont il
+avait une fois mordu un large morceau dans un accès de colère.
+
+Ce fut dans l'été de 1798 que Lord Byron, alors dans sa onzième année,
+quitta l'Écosse avec sa mère et sa _bonne_, pour prendre possession de
+l'ancien domaine de ses ancêtres. Voici comme il parle de ce voyage dans
+une de ses dernières lettres:
+
+«Je me souviens de Loch-Leven comme si c'était d'hier; ce fut pourtant à
+l'époque de mon voyage d'Angleterre, en 1798, que je le vis.»
+
+Déjà ils touchaient à la barrière de Newsteadt, ils voyaient les bois de
+l'abbaye s'élancer comme pour les recevoir, quand Mrs. Byron, affectant
+de méconnaître l'endroit, demanda à la femme de la barrière à qui
+appartenait cette propriété. On lui répondit que le possesseur, Lord
+Byron, était mort depuis quelques mois. «Et quel est l'héritier? demanda
+la mère avec un orgueil satisfait.--On dit, répondit la femme, que c'est
+un petit enfant qui vit à Aberdeen.--Et le voici, dieu le bénisse!»
+s'écria la gouvernante, incapable de se contenir, et couvrant de baisers
+le jeune lord assis sur ses genoux.
+
+Une élévation si soudaine aurait eu sans doute, même dans des
+circonstances plus favorables pour lui, une influence dangereuse sur son
+caractère; le guide qui désormais allait conduire les pas du jeune Byron
+dans le monde ne pouvait être plus inhabile à lui en montrer les
+écueils. Sa mère, dépourvue de jugement et d'empire sur elle-même,
+employait à son égard, avec la même maladresse, et l'indulgence, et ce
+qui était pire encore, une violence dont l'enfant s'amusait. Ce
+sentiment exquis du ridicule qui, plus tard, le rendit si remarquable,
+et que dès-lors il possédait, l'emportait toujours sur la crainte que
+pouvait lui inspirer sa mère. Quand Mrs. Byron, femme petite et dont
+l'embonpoint embarrassait la marche, essayait, dans ses accès de colère,
+de l'atteindre afin de le punir, le petit diable, glorieux de sa
+légèreté, se plaisait à lui échapper sans cesse, courant autour de la
+chambre en dépit de sa jambe boiteuse, et riant à gorge déployée d'avoir
+pu rendre inutiles toutes ses menaces. Dans ses _Memoranda_, il a
+consigné quelques anecdotes de ces premiers tems, et bien qu'il n'y
+nomme jamais sa mère qu'avec respect, il est facile de voir que l'idée
+qu'il en avait conservée, du moins la plus caractéristique, était d'une
+nature pénible. L'un des passages les plus frappans de ces _Mémoires_ se
+rapporte au chagrin profond qu'il ressentait de son infirmité; il décrit
+l'impression d'horreur et d'humiliation qui s'empara de lui quand sa
+mère, dans un accès de colère, l'appela, _vilain boiteux_. Comme il
+reproduit dans sa poésie, sous une forme ou l'autre, tous les sentimens
+profonds de sa vie, il ne faut pas être surpris d'y retrouver une
+expression de ce genre; nous voyons donc à l'ouverture de son drame, _le
+Difforme transformé_:
+
+ BERTA. Va-t'en, vilain bossu.
+ ARNOLD. Ma mère, je suis né ainsi.
+
+On peut se demander si l'origine du drame entier ne serait pas due à cet
+unique souvenir.
+
+Avec un pareil caractère dans la personne qui devait seule diriger ses
+premières années, on conçoit qu'il dut perdre tout le fruit des soins et
+de la sollicitude qu'un tuteur éclairé eût pu avoir pour lui. D'ailleurs
+Lord Carlisle, peu lié avec la famille, et n'ayant jamais eu l'occasion
+de connaître l'enfant, n'avait accepté qu'avec répugnance cette charge
+pénible; et comme ce titre le mettait surtout en rapport avec Mrs.
+Byron, il ne faut pas s'étonner qu'il ne désirât jamais pénétrer dans
+les détails de l'éducation de son pupille, plus qu'il n'y était
+rigoureusement obligé: ce qui l'en éloignait était la crainte de se
+trouver en opposition avec les habitudes violentes et capricieuses de la
+mère.
+
+D'un autre côté, si la réputation du dernier Lord eût été assez
+populaire pour piquer d'émulation son jeune successeur, peut-être
+l'envie salutaire de rivaliser avec les morts eût suppléé aux bons
+exemples des survivans, et nul esprit ne se serait plus facilement
+ouvert à cette louable émulation que celui de Byron. Mais
+malheureusement, comme nous venons de le dire, les circonstances étaient
+autres, et à la place d'un aussi désirable stimulant fut substituée une
+rivalité d'une espèce contraire. Les étranges anecdotes qui circulaient
+sur le feu Lord dans le pays où ses rudes et solitaires habitudes
+avaient laissé une trace d'effroi; ces anecdotes, dis-je, avaient frappé
+son imagination poétique, et réveillé dans son jeune esprit une espèce
+d'admiration pour des bizarreries qui lui semblaient un motif
+d'étonnement et de souvenir. On a même quelquefois supposé que ce fut le
+récit des bizarreries de son oncle, qui nourrit son imagination de ces
+sombres peintures et de ces figures idéales, qu'il sut par la suite
+revêtir de formes diverses et anoblies par son génie[20]. Mais, quoi
+qu'il en soit, on peut conjecturer que, dans sa pénurie de meilleurs
+modèles, les singularités de son prédécesseur immédiat eurent une grande
+influence sur ses goûts et son imagination. Une habitude, entre autres,
+qu'il semblait devoir à cet esprit d'imitation, et qu'il conserva toute
+sa vie, fut celle d'avoir ordinairement auprès de lui une arme d'une
+espèce quelconque; même encore enfant, il portait toujours de petits
+pistolets chargés dans la poche de sa veste.
+
+ [Note 20: Pourquoi donc accuser ces impressions, si les
+ effets en furent si admirables?
+ (_N. du Tr._)]
+
+La querelle du dernier Lord avec M. Chaworth avait pu d'ailleurs, dès
+l'origine, lier d'une sorte de connexité, dans son esprit, le nom de sa
+famille et l'habitude des duels; peut-être aussi les mortifications que
+lui faisait dévorer, ou du moins craindre, à l'école, son infirmité
+physique, trouvèrent une sorte de consolation dans l'espoir qu'un jour
+les lois du combat singulier lui permettraient de lutter avec le plus
+fort, à armes égales.
+
+Aussitôt après leur départ d'Écosse, Mrs. Byron, dans l'espoir d'obtenir
+sa guérison, avait confié son fils aux soins d'un individu de Nottingham
+qui se chargeait de ces sortes de cures: cet homme, charlatan de son
+métier, se nommait Lavender; son procédé était de frotter d'abord
+d'huile pendant long-tems le pied malade, puis de le tordre violemment
+et de le tenir comprimé dans une machine de bois. Pour que l'enfant ne
+fût pas, durant cet intervalle, retardé dans ses études, un respectable
+professeur venait lui donner des leçons de latin. M. Rogers, c'était son
+nom, lisait avec lui des morceaux de Virgile et de Cicéron, et ses
+progrès lui parurent alors, malgré sa jeunesse, extrêmement sensibles:
+toutefois, dans le cours de ses leçons, il éprouvait fréquemment de
+violentes douleurs, à cause de la position de son pied; un jour, M.
+Rogers lui dit: «Milord, je ne puis vous voir en proie à une douleur
+comme celle que vous souffrez.--N'y songez pas, M. Rogers, répondit
+l'enfant, vous ne vous en apercevrez plus.»
+
+Cet homme distingué, qui ne parle jamais de son élève que dans les
+termes les plus affectueux, se souvient de plusieurs exemples de la
+plaisante malice avec laquelle il aimait à se venger de son bourreau, en
+mettant à découvert sa fastueuse ignorance. Un jour il avait placé au
+hasard, sur une feuille de papier, toutes les lettres de l'alphabet,
+mais toutefois en les disposant de manière à simuler des mots et des
+phrases; il mit le papier sous les yeux du docte personnage en lui
+demandant quelle langue c'était: «De l'italien,» répondit notre homme,
+incapable d'avouer de bonne foi son ignorance. On conçoit que cette
+réponse fut accueillie par la joie immodérée et les insultans éclats de
+rire de notre jeune satirique, charmé du succès de ce premier piége
+tendu au charlatanisme.
+
+C'est par une suite de la profonde impression qu'il conservait de tout
+ce qui l'entourait dans sa jeunesse, et qui semblait un des traits
+distinctifs de son caractère, que plusieurs années après, se trouvant
+dans les environs de Nottingham, il envoya une lettre à son vieux
+précepteur, remplie de sentimens affectueux. Il avait même chargé celui
+qui la portait de dire à M. Rogers, qu'à compter d'un certain endroit de
+Virgile, qu'il désignait, il pouvait encore réciter une vingtaine de
+vers qu'il se souvenait fort bien d'avoir expliqués avec lui tandis
+qu'il souffrait le plus.
+
+C'est dans ce tems, au rapport de sa gouvernante May Gray, que se
+manifestèrent en lui les premiers indices de dispositions poétiques.
+Voici à quel propos: une dame âgée, qui faisait de fréquentes visites à
+sa mère, s'était servie à son égard d'expressions fort insultantes; et
+ces affronts, il en conservait ordinairement un ressentiment implacable.
+Cette dame s'était formé des idées singulières relativement à notre ame:
+elle s'imaginait qu'elle s'arrêtait dans la lune comme pour y subir une
+épreuve préliminaire avant d'aller plus loin. Un jour, Byron ayant reçu,
+comme il paraît, une seconde injure du même genre, se présente en fureur
+devant sa gouvernante: «Eh bien, mon petit héros, lui dit-elle,
+qu'avez-vous donc?» L'enfant répondit que cette vieille l'avait mis dans
+une affreuse colère, qu'il ne pouvait plus la supporter, etc., etc.;
+puis soudain il répéta plusieurs fois les mauvais vers suivans, charmé
+d'avoir trouvé un moyen d'exhaler sa bile:
+
+Dans le comté de Nott, demeure à Swan-Green une vieille maudite, si
+jamais il en fut, et quand elle mourra (promptement je l'espère) elle
+croit sur-le-champ qu'elle ira dans la lune.
+
+Ces vers ont peut-être été rajustés après coup; et lui-même, comme on va
+le voir, date d'une année plus tard son premier essai poétique, mais
+l'anecdote n'en fait pas moins connaître son caractère; c'est ce qui m'a
+décidé à la conserver.
+
+Dans le même tems les faibles revenus de Mrs. Byron reçurent une
+augmentation fort opportune sans doute, mais dont j'ignore le motif. Ce
+fut une pension sur la liste civile de 300 liv. st. de rente; la lettre
+suivante est une copie de l'ordonnance royale rendue à ce sujet:
+
+
+GEORGES ROI.
+
+Il nous a plu accorder à Catherine Gordon, veuve Byron, une rente
+annuelle de 300 livres, à commencer au 5 juillet 1799, pour continuer
+durant notre plaisir. Nous voulons et il nous plaît, qu'en vertu de
+notre lettre générale du sceau privé, sous la date du 5 novembre 1760,
+des fonds de notre trésor ou de l'échiquier applicables au service de
+notre liste civile, vous payiez à ladite Catherine Gordon, veuve Byron,
+ou à son ordre, ladite rente, à commencer du 5 juillet 1799, pour lui
+être servie par quartier ou autrement, dès que l'échéance sera arrivée;
+la présente sera votre garantie.
+
+ Le 2 octobre 1799; de notre règne la 39me.
+ _Par ordre de sa majesté_,
+
+ Signé W. PITT,
+ S. DOUGLAS.
+
+Peu satisfaite de l'opérateur de Nottingham, Mrs. Byron, pendant l'été
+de 1799, jugea convenable de conduire son enfant à Londres, où, d'après
+l'avis de Lord Carlisle, on le confia aux soins du docteur Baillie. Il
+était important de le placer dans une école paisible où l'on pût
+facilement lui faire suivre le régime que l'on adopterait pour sa
+guérison: on choisit à cet effet la maison de feu le docteur Glennie à
+Dulwich; et comme en outre on jugea à propos de lui donner une chambre à
+coucher séparée, le docteur Glennie avait fait placer un lit dans son
+propre cabinet pour son nouvel élève. Mrs. Byron, à son arrivée dans la
+ville après être restée peu de tems après lui à Newsteadt, prit un
+appartement à Sloane-terrace, et, sous la direction du docteur Baillie,
+on chargea l'un de messieurs Sheldrake de la construction d'une machine
+propre à redresser peu à peu la jambe de l'enfant[21]. On lui prescrivit
+de la modération dans tous les exercices du corps, mais le docteur
+Glennie trouvait le précepte plus facile à donner qu'à faire exécuter,
+et bien que l'enfant fût assez tranquille dans les heures d'étude, dès
+que celle des jeux sonnait, il ne montrait pas moins d'_émulation_ dans
+tous les exercices athlétiques que les enfans les plus robustes de
+l'école: «émulation,» ajoute le docteur Glennie, avec lequel j'ai eu
+quelques entretiens peu de tems avant sa mort, «que j'ai en général
+remarquée dans les jeunes enfans affectés de semblables défauts
+naturels[22].»
+
+ [Note 21: Dans une lettre adressée dernièrement par M.
+ Sheldrake à l'éditeur d'un journal médical, on établit que la
+ personne du même nom qui fut appelée à Dulwich auprès de Lord
+ Byron doit à une méprise cet honneur, et ne fit rien pour sa
+ guérison. L'auteur de la lettre ajoute qu'il fut lui-même
+ consulté par Lord Byron, quatre ou cinq années plus tard, et
+ bien qu'il n'ait pu alors entreprendre la guérison du pied à
+ cause du peu de docilité de son noble patient, il parvint
+ cependant à lui construire une sorte de soulier qui allégea
+ l'inconvénient de son infirmité.]
+
+ [Note 22: «Quoique, dit Alfieri en parlant de son tems
+ d'étude, je fusse le plus petit de tous les _grands_ qui se
+ trouvaient au second appartement où j'étais descendu, c'était
+ précisément mon infériorité de taille, d'âge et de force, qui
+ m'engageait à me distinguer.]
+
+Comme le jeune écolier avait reçu les élémens de la langue latine
+suivant le système d'enseignement adopté à Aberdeen, il eut de la peine
+à revenir sur ses pas, et se trouva, comme cela arrive souvent, retardé
+dans ses études et embarrassé dans ses souvenirs, par la nécessité de se
+soumettre au mode d'enseignement suivi dans les écoles anglaises. «Je
+m'aperçus, dit le docteur Glennie, qu'il montra d'abord de l'ardeur et
+obtint des succès: il était gai, toujours de bonne humeur et chéri de
+ses camarades; il connaissait nos poètes et nos historiens bien mieux
+que les enfans de son âge, et dans mon cabinet il trouvait à sa
+disposition une foule de livres capables de flatter son goût et de
+satisfaire sa curiosité, entre autres une collection de poètes, depuis
+Chaucer jusqu'à Churchill, que je serais tenté de croire qu'il parcourut
+depuis le commencement jusqu'à la fin. Il avait encore à cet âge une
+connaissance étendue de la partie historique des saintes écritures; il
+aimait à m'en entretenir, surtout après nos exercices pieux du dimanche
+soir, et quand il lui arrivait de raisonner sur les faits racontés dans
+nos livres sacrés, il le faisait avec l'air d'être persuadé des vérités
+divines qu'ils renferment. Que les impressions de son enfance, dit
+encore la même personne, se soient conservées plus tard dans sa mémoire,
+malgré ses habitudes d'une vie irrégulière, c'est ce qu'on ne peut guère
+révoquer en doute après avoir lu ses ouvrages sans prévention, et je
+n'ai jamais pu m'ôter de la tête que, dans les étranges désordres qui
+malheureusement marquèrent sa carrière, il n'ait dû souvent trouver bien
+difficile de violer les excellens principes qu'il avait d'abord
+adoptés.»
+
+J'aurais dû mentionner, parmi les traits caractéristiques de sa
+jeunesse, et d'après le récit du mari de sa première gouvernante, qu'il
+montrait dès-lors, et dans toutes les occasions, un esprit investigateur
+en matières religieuses.
+
+Le docteur Glennie ne fut pas long-tems sans s'apercevoir que la mère
+était beaucoup plus difficile à conduire que l'enfant. Tout en
+professant la plus entière déférence pour les représentations de
+l'habile instituteur, quant à la nécessité de ne pas interrompre les
+études de son fils, Mrs. Byron n'avait ni assez de raison, ni assez
+d'empire sur elle-même, pour confirmer ses paroles par ses actions; en
+dépit des remontrances du docteur et des injonctions de Lord Carlisle,
+elle ne laissa pas d'intervenir dans les détails de l'instruction de son
+fils, et comme on pouvait l'attendre d'une mère tendre, impérieuse et
+passionnée. En vain lui représentait-on que dans toutes les
+connaissances élémentaires exigées d'un jeune homme que l'on destinait à
+l'une des grandes écoles publiques, Lord Byron était fort en arrière, et
+que pour suppléer à ce défaut il n'avait pas trop de tous ses instans;
+Mrs. Byron paraissait bien comprendre la justice de ces observations,
+mais elle s'embarrassait peu d'en profiter, et n'en continuait pas moins
+à déranger sans cesse le professeur et l'enfant. Peu satisfaite
+d'emmener son fils du samedi au lundi à _Sloane-terrace_, contre la
+volonté du docteur Glennie, elle le retenait fréquemment chez elle une
+semaine de plus; et pour ajouter encore à la distraction née de ces
+interruptions, elle réunissait autour de lui un cercle nombreux de
+jeunes amis, sans mettre dans ses choix beaucoup de sagacité. En
+pouvait-il être autrement? se demande le docteur Glennie. «Mrs. Byron
+était totalement étrangère à la société et aux manières anglaises; avec
+un extérieur peu prévenant, une intelligence assez bornée et un esprit
+singulièrement peu cultivé, elle avait conservé tous les préjugés nés
+des opinions et des habitudes du nord. Je ne pense donc pas faire la
+moindre injure à sa mémoire en déclarant que Mrs. Byron n'était pas
+précisément une Mrs. Lambert, ornée des facultés capables de redresser
+les torts de la fortune, et de former l'esprit et le caractère d'un
+jeune homme de bonne famille.»
+
+Plus d'une fois l'intervention de Lord Carlisle, dont il fallut alors
+invoquer l'autorité, avait mis quelque obstacle à cette indulgence
+inopportune. Grâce à un tel soutien, le docteur Glennie osa bien
+s'opposer à la sortie du samedi, dont on avait tant abusé; mais les
+scènes violentes auxquelles il était en butte à chaque nouveau refus
+auraient pu lasser la patience de tout autre professeur moins
+consciencieux et moins zélé. Mrs. Byron, dont les accès d'emportement
+n'étaient pas comme ceux de son fils, _des silencieuses rages_, se
+laissait souvent entraîner à des cris dont les écoliers et les valets
+recevaient la confidence. C'est au point que le docteur Glennie eut un
+jour le chagrin d'entendre un camarade de son noble élève lui dire:
+«Byron, ta mère est une sotte;» à quoi l'autre répondit gravement: «Je
+le sais bien.» Par suite de toutes ces violences et de ces
+incompatibilités de mœurs, Lord Carlisle finit par ne plus se mêler de
+son pupille, et l'instituteur ayant sollicité une autre fois le bénéfice
+de son intervention, il répondit: «Je ne veux plus rien avoir à démêler
+avec Mrs. Byron, tirez-vous-en comme vous pourrez avec elle.»
+
+Parmi les livres que l'enfant pouvait consulter dans le cabinet du
+docteur Glennie, était une brochure écrite par le frère d'un de ses
+meilleurs amis, et intitulée: _Relation du naufrage de la Junon sur la
+côte d'Arracan, en l'année 1795_; l'auteur avait été officier en second
+du vaisseau, et le récit qu'il avait envoyé à ses amis des souffrances
+de leur équipage leur avait paru assez touchant et assez extraordinaire
+pour être publié. La brochure ne flatta que faiblement, à ce qu'il
+paraît, l'opinion publique; mais elle était à Dulwich la lecture
+favorite des jeunes élèves, et l'impression qu'elle laissa sur l'esprit
+observateur de Byron contribua peut-être à lui suggérer le désir
+d'étudier toutes les relations de naufrages, afin de mieux retracer la
+grande et magnifique scène du même genre que l'on trouve dans _Don
+Juan_. Les passages suivans de la brochure ont été adoptés, comme on va
+le voir, avec de faibles changemens, par notre poète, sauf quelques
+incidens:
+
+«De ceux qui n'étaient pas immédiatement auprès de moi, je ne sais rien,
+si ce n'est par leurs cris. Quelques-uns résistaient long-tems et
+mouraient dans une agonie complète, mais ce n'était pas toujours ceux
+dont la faiblesse était plus sensible qui succombaient avec moins de
+peine, quoiqu'il en arrivât quelquefois ainsi. Je me rappelle
+particulièrement les exemples suivans: le valet de M. Wade, garçon fort
+et robuste, mourut instantanément et presque sans murmurer, tandis qu'un
+autre jeune homme du même âge, mais d'un extérieur moins robuste,
+résista beaucoup plus long-tems. La destinée de ces malheureux jeunes
+gens fut encore différente sous un autre rapport mémorable. Leurs pères
+à tous deux étaient dans les hunes à l'instant où leurs enfans
+commencèrent à être malades; le père du valet de M. Wade apprit avec
+indifférence l'état de son fils, _il ne pouvait rien faire pour lui, il
+l'abandonnait à son sort_. L'autre, quand il reçut la même nouvelle,
+descendit à la hâte, et, saisissant le moment favorable, se traîna le
+long du plat-bord jusqu'à son fils qui était dans les agrès de mizaine;
+cependant il ne restait plus que trois ou quatre planches du gaillard
+d'arrière, justement sur la galerie contiguë à l'autre; c'est là que le
+père infortuné transporta son fils et l'attacha à la rampe pour
+l'empêcher d'être emporté par les flots: quand le jeune homme était
+saisi d'un accès de vomissement, le père le soulevait et essuyait
+l'écume qui couvrait ses lèvres; s'il survenait une pluie d'orage, il
+lui ouvrait la bouche pour qu'il pût en recevoir les gouttes, ou bien
+les exprimait d'un linge où il les avait recueillies. C'est dans cette
+situation douloureuse qu'ils restèrent tous deux quatre ou cinq jours,
+après lesquels l'enfant expira. Le malheureux père, comme s'il n'eût pu
+croire à ce qu'il voyait, se mit à soulever le corps, à le regarder
+attentivement; et quand enfin il ne conserva plus aucun doute, il le
+regarda en silence jusqu'au moment où la mer l'emporta; alors,
+s'enveloppant dans une pièce de toile, il tomba à terre et ne se releva
+plus. Il doit cependant avoir vécu deux ou trois jours au-delà, comme
+nous le jugeâmes d'après les tremblemens convulsifs de ses jambes, quand
+une vague venait à le couvrir[23].»
+
+[Note 23: Le passage suivant est la traduction qu'a tentée Lord Byron de
+ce touchant récit, et tous les lecteurs jugeront que c'est un des
+exemples dans lesquels la poésie est forcée de céder la palme à la
+prose. Il y a dans la dernière phrase de la relation originale un
+sublime que les artifices de la mesure et de la rime affaiblissent
+nécessairement, et que nuls vers, quelles que soient leurs beautés, ne
+sauraient exprimer avec moitié autant de force et de naturel.
+
+ 87. Dans cette déplorable troupe, il y avait deux pères et
+ avec eux les deux fils. L'un de ceux-ci paraissait le plus
+ robuste et le mieux portant; il mourut des premiers. À
+ l'instant de sa mort, son plus proche voisin en avertit le
+ père, qui dit, en jetant les yeux sur lui: «Je n'y puis rien,
+ la volonté de Dieu soit faite!» Et sans une larme ou soupir,
+ il vit jeter son corps à la mer.
+
+ 88. Le second père avait un fils plus faible, aux joues
+ décolorées, au maintien délicat. Ce jeune homme résista
+ long-tems, et se roidit contre sa destinée avec une patiente
+ tranquillité d'esprit. Il parlait peu, et de tems en tems il
+ souriait pour alléger le poids des mortelles pensées qui
+ oppressaient d'autant plus le cœur de son père, qu'il voyait
+ son fils les supporter comme lui.
+
+ 89. Penché sur son corps, le père ne levait pas les yeux de
+ dessus son visage; il essuyait l'écume qui couvrait ses
+ lèvres, et n'avait d'attention que pour lui. Quand la pluie
+ tant désirée vint enfin à tomber, et que les yeux de
+ l'enfant, déjà demi-voilés d'une membrane épaisse, vinrent à
+ briller et à remuer pour un instant, il exprima quelques
+ gouttes de pluie dans sa bouche expirante:--ce fut en vain.
+
+ 90. L'enfant mourut.--Le père demeura long-tems attaché sur
+ son corps; mais enfin, quand la mort se montra à découvert,
+ et que le poids insensible pressé contre son cœur ne lui
+ donna plus de mouvement ni d'espérance, il ne le perdit pas
+ des yeux, jusqu'au moment où une vague impitoyable éloigna le
+ corps du lieu d'où il avait été jeté. Alors il tomba lui-même
+ roide et glacé, ne donnant d'autre signe de vie que
+ l'agitation convulsive de ses jambes.
+
+ Le lecteur trouvera le récit de la perte de _la Junon_ dans
+ la _Collection des naufrages et désastres maritimes_, à
+ laquelle Lord Byron eut habilement recours, pour y puiser les
+ connaissances techniques et les circonstances de sa belle
+ description.]
+
+Ce fut sans doute pendant les vacances de cette année que sa jeune
+cousine, miss Parker, en faisant naître en lui une passion enfantine,
+eut la gloire de lui inspirer ses premiers essais poétiques; c'est à
+elle du moins qu'il attribué cet heureux effet. «Mes premiers essais
+poétiques, dit-il, remontent à 1800, c'était l'ébullition d'une belle
+passion pour ma cousine germaine, Marguerite Parker, fille et
+petite-fille des deux amiraux Parker, l'une des plus belles de ces
+jeunes filles qui, comme des fleurs, périssent dans leur printems. J'ai
+oublié depuis long-tems les vers; mais elle, il me serait difficile de
+l'oublier; ses yeux noirs, ses longs cils, son profil d'un style
+tout-à-fait grec! J'avais alors douze ans, elle était un peu plus âgée,
+peut-être d'un an. Elle mourut, un ou deux ans après, des suites d'une
+chute; elle s'était brisé l'épine du dos, et cet accident amena la
+consomption. Sa soeur _Augusta_, que quelques-uns regardaient comme plus
+belle encore, périt de la même maladie, et c'est même en lui prodiguant
+ses soins que Marguerite éprouva l'accident qui occasionna sa propre
+mort. Ma sœur m'a dit que quand elle alla la voir peu de tems avant sa
+fin, mon nom ayant été cité par hasard, le rouge monta à la figure de
+Marguerite, quoique la mort fut déjà dans ses yeux, au grand étonnement
+de ma sœur, qui, vivant avec sa grand'mère lady Holderness, et ne me
+voyant que rarement, pour raisons de famille, ne savait rien de notre
+attachement, et ne pouvait concevoir comment mon nom faisait un tel
+effet sur elle dans un tel moment. Je ne sus rien de sa maladie qu'après
+sa mort; j'étais à cette époque à Harrow ou dans la campagne. Quelques
+années après, j'essayai une élégie; elle était bien plate[24].
+
+ [Note 24: Cette élégie est la première de son volume non
+ publié.]
+
+«Je ne me rappelle rien d'égal à la beauté transparente de ma cousine,
+ou à la douceur de son caractère, pendant la courte période de notre
+intimité. _On l'eût dite faite d'un arc-en-ciel_: tout en elle était
+paix et beauté.
+
+«Ma passion eut sur moi ses effets habituels: je ne pouvais ni dormir,
+ni manger, ni reposer, bien que j'eusse toutes les raisons de croire
+qu'elle m'aimât. Mon tourment de chaque jour était de penser au tems qui
+devait s'écouler avant que je la revisse: c'était ordinairement douze
+heures. J'étais alors bien fou, et maintenant je ne suis guère plus
+sage.»
+
+Il y avait deux ans qu'il était sous la garde du docteur Glennie, quand
+sa mère, mécontente de la lenteur de ses progrès, lenteur dont elle
+pouvait, comme nous l'avons vu, s'accuser avant tous les autres, pressa
+tellement lord Carlisle de le faire passer dans une école publique, que
+celui-ci finit par accéder à ses vœux. «En conséquence, dit le docteur
+Glennie, il entra à Harrow aussi mal préparé qu'il est naturel de le
+supposer, après deux années d'instruction élémentaire, et
+continuellement dérangé par tout ce qui pouvait distraire son jeune
+esprit de l'école et de toute étude sérieuse.»
+
+Ce sage instituteur ne vit plus que rarement Lord Byron à compter de ce
+moment; mais à en juger par ce qu'en disent Mrs. Glennie et lui, il est
+clair qu'ils le suivirent toujours avec intérêt dans le reste de sa
+carrière; ils virent ses déviations, mais à travers le prisme flatteur
+d'une affection réelle; et dans ses aberrations les plus étranges, ils
+conservèrent la trace des belles qualités qu'ils avaient chéries et
+admirées dans son enfance. Au reste les affectueux sentimens du docteur
+Glennie furent mis à une rude épreuve, quand en 1817 il visita Genève,
+peu de tems après le départ de Lord Byron de cette ville, et au moment
+où sa réputation personnelle était frappée de la plus grande
+impopularité; ceux qui voyaient dans le docteur Glennie son ancien
+maître, ne manquaient pas d'accuser ce dernier de l'avoir mal élevé, ou,
+pour employer leurs propres expressions, de n'en avoir pas fait un
+meilleur sujet.
+
+Tandis que Lord Byron venait continuer à Londres son éducation, sa
+gouvernante May Gray quittait le service de sa mère et retournait dans
+son pays natal, où elle mourut il y a trois ans environ. Elle s'était
+mariée convenablement; et dans l'une de ses dernières maladies elle
+recevait les soins du docteur Ewing d'Aberdeen, qui, ayant toujours été
+admirateur enthousiaste de Lord Byron, éprouva autant de joie que de
+surprise de trouver une ancienne servante de son poète favori, dans une
+femme qu'il avait soignée plusieurs années. Comme on peut le supposer,
+il recueillait avec avidité de la bouche de sa malade toutes les
+particularités qu'elle pouvait se rappeler des premiers jours de sa
+seigneurie. Toutes ces communications, M. Ewing nous en a fait la
+confidence; c'est à lui que nous devons une partie des anecdotes que
+nous avons citées.
+
+Byron, au départ de May Gray, voulut lui donner un témoignage de sa
+reconnaissance pour les soins qu'elle avait eus de lui; il lui donna sa
+montre, la première qu'il eût eue en sa possession. La fidèle
+gouvernante conserva ce précieux souvenir jusqu'à sa mort, comme une
+sorte de trésor; et aussitôt après, son mari la donna au docteur Ewing,
+qui l'apprécia également comme une relique du génie. L'affectueux enfant
+lui avait aussi donné son portrait, grande miniature en pied peinte par
+Kay d'Édimbourg, en 1795. Il s'y trouve représenté tenant à la main un
+arc et des flèches, avec les plus beaux cheveux du monde tombant sur ses
+épaules. Ce morceau curieux est également passé dans la possession du
+docteur Ewing.
+
+Byron étendit les effets de sa reconnaissance à la sœur de cette femme,
+qui avait été sa première gouvernante. Il lui écrivit quelques années
+après son départ d'Écosse, et dans les termes les plus aimables; il
+s'informait de sa santé, et lui apprenait avec joie que son pied s'était
+assez bien redressé pour lui permettre de se servir de bottes
+ordinaires; «événement qu'il avait si long-tems désiré, et qui lui
+ferait sans doute à elle-même le plus vif plaisir.» Il accompagna sa
+mère à Cheltenham durant l'été de 1801, et le récit qu'il fait de ses
+propres sensations à cette époque nous montre à quel âge prématuré il
+était familier avec les impressions poétiques. Un enfant qui contemple
+avec émotion le soleil couchant sur les hauteurs, parce qu'il lui
+rappelle les montagnes où il a passé sa jeunesse, a déjà sans doute le
+cœur et l'imagination d'un poète. Ce fut pendant ce voyage à Cheltenham
+qu'une diseuse de bonne aventure, consultée par sa mère, fit sur lui une
+prédiction à laquelle il pensa quelque tems avec inquiétude. Mrs. Byron,
+dans sa première visite à cette femme (c'était, si je ne me trompe, la
+fameuse Mrs. Williams), s'était donnée pour une demoiselle; la sibylle
+toutefois ne s'y trompa point: elle déclara que celle qui la consultait
+était non-seulement mariée, mais la mère d'un fils boiteux; que ce fils
+était prédestiné, entre autres événemens qu'elle lisait dans les astres,
+à courir les dangers d'un empoisonnement avant sa majorité; qu'il serait
+deux fois marié, et la seconde fois à une étrangère.
+
+Après deux ans, le jeune Byron raconta ces particularités à la personne
+dont je tiens cette histoire, et il disait que l'idée de la première
+partie de la prédiction s'était souvent présentée à lui. Cependant la
+dernière partie semble avoir été plus près de se réaliser.
+
+Si on fait attention au caractère réservé de Byron dans sa jeunesse, et
+même jusqu'à un certain point dans toute sa vie, la transition d'un
+établissement paisible comme celui de Dulwich au fracas d'une grande
+école publique était assez difficile. Aussi trouvons-nous, d'après son
+propre témoignage, que, pendant les premiers dix-huit mois, _il haïssait
+Harrow_. Cependant son esprit actif et social finit par vaincre sa
+répugnance, et après avoir été, comme il le dit lui-même, _enfant fort
+impopulaire_, il parvint à se montrer le boute-en-train de tous les
+plaisirs et de toutes les espiégleries de l'école. Pour bien connaître
+ses dispositions et ses habitudes de ce tems-là, nous ne pouvons mieux
+faire que de nous en rapporter à la digne et respectable autorité du
+docteur Drury, qui était alors à la tête de l'école, et auquel Lord
+Byron a payé un tribut d'affection qui, semblable aux respectueux
+sentimens de Dryden pour le docteur Belly, uniront à jamais les deux
+noms du poète et de l'instituteur. Ce savant vénérable m'a fait passer
+le morceau suivant qui, malgré sa brièveté, présente d'importans détails
+sur l'impression que le jeune Lord fit alors sur lui.
+
+«Lord Byron avait treize ans et demi quand M. Hanson, son guide, vint le
+confier à mes soins. Il me fit remarquer que son éducation avait été
+négligée, et ajouta qu'il était mal préparé pour les études d'une école
+publique; mais qu'après tout il croyait à l'enfant de véritables
+dispositions. Aussitôt son départ, je pris dans mon cabinet le nouvel
+élève, et j'essayai de le faire parler, en m'informant de ses plaisirs,
+de ses habitudes, de ses amis dans son autre pension; mais je perdis
+presque entièrement mon tems, et je compris bientôt qu'on m'avait confié
+un jeune faon sauvage. Cependant il y avait de l'esprit dans ses yeux,
+et il fallait d'abord le lier d'amitié avec un enfant plus âgé, qui pût
+le familiariser avec les nouveaux objets qui l'entouraient et avec le
+système de la maison dont il allait faire partie. Mais ce qu'il apprit
+dans la conversation de son conducteur lui causa de la peine quand il
+sut que des élèves beaucoup plus jeunes que lui étaient bien plus
+avancés, et il se crut humilié de ne pouvoir rivaliser avec eux. Je m'en
+aperçus et m'empressai de le confier aux soins spéciaux de l'un des
+maîtres, comme répétiteur, en assurant l'enfant qu'il ne prendrait rang
+dans la classe qu'au moment où son travail lui permettrait de marcher
+avec ceux de son âge. Cette promesse lui plut, et dès-lors il fut plus à
+son aise avec ses camarades, car pendant un certain tems il gardait une
+sorte de timidité. Ses manières et son caractère me firent bientôt juger
+qu'il était plus facile de le conduire avec un fil de soie qu'avec un
+câble; et je me réglai sur ce principe. Après quelque séjour à Harrow,
+et comme son esprit commençait à se développer, lord Carlisle, son
+parent, exprima le désir de me voir; j'allai trouver sa seigneurie. Son
+but était de m'apprendre quels étaient les biens à venir de Byron; il me
+représenta ses espérances de fortune comme bornées, et voulut savoir
+quelle était sa capacité. Je ne fis pas d'observation sur ses premières
+confidences, et je répondis à sa question: _Il a des talens, milord, qui
+ajouteront de l'éclat à son rang_. En vérité!!! répondit sa seigneurie,
+avec un air de surprise qui n'indiquait pas, à mon avis, toute la
+satisfaction que j'en attendais. Quant à son talent pour l'art oratoire,
+voici la circonstance à laquelle vous faisiez allusion. Les hautes
+classes de l'école avaient composé de ces sortes de déclamations qui,
+après avoir été corrigées par les répétiteurs, étaient portées au
+professeur; alors ceux qui les avaient faites les répétaient, afin qu'on
+pût réformer leurs gestes et leur accent, avant qu'ils les prononçassent
+en public. Je fus, en cette occasion, enchanté de l'attitude, de la
+prononciation et des gestes de Lord Byron, non moins que de son travail
+en lui-même. Tous les jeunes orateurs ne manquaient pas de suivre à la
+lettre leur composition écrite: Lord Byron fit de même dans la première
+partie de son travail; mais à ma surprise, il s'écarta tout d'un coup de
+son manuscrit, et avec assez de hardiesse et de rapidité pour me faire
+craindre de le voir manquer de mémoire pour la conclusion. Mes alarmes
+n'étaient pas fondées, il fournit sa carrière sans hésitation et sans le
+moindre embarras. Je lui demandai, pourquoi il avait ainsi altéré sa
+composition; il me répondit qu'il n'y avait rien changé, et qu'il ne
+s'était pas aperçu qu'il s'en fût écarté le moins du monde. Je le crus,
+et d'après l'expérience que j'avais de sa manière d'être, je compris
+qu'étant plein de son sujet, il avait involontairement substitué des
+expressions et des couleurs plus vives à celles que sa plume avait
+tracées.»
+
+Le docteur Drury, en me communiquant ces détails, ajoute un fait qui
+atteste tout le cas que Lord Byron fit toujours des opinions de son
+vieux maître, même quand il fut au faîte de sa gloire.
+
+«Après ma retraite d'Harrow, je reçus de lui deux lettres pleines
+d'affection, et dans mes visites à Londres, à l'époque où ses ouvrages
+fascinaient les yeux du public, je lui demandai pourquoi il n'avait pas
+pensé à m'en faire tenir un seul, comme c'était son devoir. _C'est_, me
+dit-il, _parce que vous êtes le seul homme auquel je crains de les voir
+lire_. Puis, après un court intervalle, il ajouta: _Que pensez-vous du
+Corsaire_?»
+
+Maintenant je vais mettre sous les yeux du lecteur les diverses notes
+sur sa vie au collége, qu'il a consignées lui-même dans plusieurs livres
+de souvenirs. Il n'est pas besoin de dire qu'étant son ouvrage, elles
+présenteront sur ce tems les particularités les plus fidèles et les plus
+curieuses.
+
+«J'avais dix-huit ans, tout singulier que cela puisse paraître, avant
+d'avoir jamais lu une _revue_; mais étant à Harrow, mes connaissances,
+sur toute sorte de sujets nouveaux, étaient assez grandes pour faire
+supposer que je devais aux revues toute ma science, attendu qu'on ne me
+voyait jamais lisant, mais toujours badinant, jouant, ou occupé à
+quelque méchanceté. La vérité est que je lisais en mangeant, au lit et
+partout où nul ne lisait; et avant d'avoir cinq ans j'avais lu toutes
+sortes de livres, à l'exception d'une revue: cette exception est ce qui
+me l'a fait remarquer. Je me souviens qu'en 1804, Hunter et Curzon
+m'ayant confié l'idée qu'on avait de moi au collége à ce sujet, je les
+fis bien rire en leur demandant d'un air surpris: et qu'est-ce donc
+qu'une revue? Au reste, elles étaient alors moins répandues. Trois
+années plus tard je les connus beaucoup mieux: mais enfin j'en lus une
+pour la première fois en 1806.
+
+«J'ai déjà dit qu'on remarquait à l'école l'étendue et la variété de mes
+connaissances générales; mais n'ayant aucune activité sous les autres
+rapports, je pouvais bien faire d'une haleine trente ou quarante
+hexamètres grecs fidèles à la prosodie, Dieu sait comme! mais d'un
+travail soutenu j'en étais incapable. Mes dispositions étaient plutôt
+celles de l'orateur ou du guerrier que celles du poète; et c'était
+l'opinion du docteur Drury, mon grand patron et le principal du collége,
+d'après ma faconde, ma turbulence, mon organe, mon talent de gestes et
+de déclamation, que je deviendrais un jour grand orateur[25]. Je me
+souviens que ma première déclamation le surprit, et qu'il m'en fit
+devant mes rivaux les plus vifs complimens à la première répétition, ce
+qui était étonnant, car il en était fort économe. Mes premiers vers de
+Harrow (j'entends vers anglais) furent la traduction d'un chœur du
+Prométhée d'Eschyles. M. Drury les reçut froidement; et personne ne
+prévoyait en moi, d'après eux, la moindre disposition poétique.
+
+ [Note 25: Pour mieux développer son talent dans ce genre,
+ Byron ne manquait pas de choisir pour les jours de discours
+ les passages les plus véhémens, comme le discours de Zanga
+ sur le corps d'Alonzo et le monologue de Léar. Dans l'une de
+ ces occasions publiques, il était convenu qu'il prendrait le
+ rôle de Drancès, et le jeune Peel celui de Turnus; mais Lord
+ Byron changea tout d'un coup d'idée et préféra le rôle de
+ Latinus, craignant, comme on le supposa, d'inspirer quelque
+ allusion ridicule avec cette raillerie de Turnus: _Ventosa in
+ lingua, pedibusque fugacibus istis_.]
+
+«Peel, cet orateur et cet homme d'état (car il l'était, l'est et le
+sera), était de la même _forme_ que moi; nous en tenions _la tête_ tous
+deux, suivant l'expression reçue. Nous étions bien ensemble; mais son
+frère était mon ami intime. Maîtres et écoliers nous avions conçu de
+Peel les plus grandes espérances, et il ne les trompa pas.
+
+«Pour les connaissances classiques, il était de beaucoup au-dessus de
+moi; comme orateur et acteur; on m'estimait au moins son égal. Hors de
+l'école j'étais toujours en partie et lui jamais, tandis qu'en classe il
+savait toujours ses leçons et moi rarement; mais quand une fois je les
+savais, je les savais presque aussi bien. Du reste, en instruction
+générale, en histoire, etc., etc., je pense que je lui étais supérieur,
+aussi bien qu'à la plupart des enfans de mon âge.
+
+«La merveille du collége, de notre tems, était George Sinclair, fils de
+sir John; il faisait, à la lettre, les exercices de la moitié des
+écoliers, des vers à volonté et des amplifications presque malgré
+lui..... Il était de mes amis; comme nous nous trouvions dans la même
+division, il me demandait souvent de le laisser faire mes devoirs,
+faveur que je lui accordais toujours avec empressement quand ils étaient
+difficiles, ou quand j'avais à faire quelqu'autre chose, ce qui
+m'arrivait au moins une fois par heure. Du reste, son humeur était douce
+et la mienne querelleuse. Il m'arrivait souvent de me battre pour lui,
+ou de battre les autres à son intention, ou bien encore de le battre
+lui-même pour le forcer à battre les autres quand je jugeais qu'il le
+devait pour l'honneur de sa taille. D'autres fois nous parlions
+politique, sujet sur lequel il était très-fort. Nous nous aimions
+beaucoup, et je conserve encore des lettres qu'il m'a écrites de
+l'école[26].
+
+ [Note 26: Malheureusement ses réponses à M. Sinclair sont
+ perdues. Je tiens de ce dernier qu'il y en avait une, entre
+ autres, où Lord Byron développait toute l'ombrageuse
+ sensibilité de son caractère. Elle exprimait le ressentiment
+ d'une insulte imaginaire, et commençait par l'apostrophe
+ boudeuse de _monsieur_!]
+
+«Un autre prodige effrayant de savoir, de talent et d'espérance était
+Clayton; j'ignore ce qu'il est devenu, mais c'était réellement un génie.
+Les amitiés de collége, étaient pour moi de véritables _passions_[27]
+(car je n'ai jamais senti à demi), et je ne pense pas que j'en aie
+conservé une seule; mais il faut dire que plusieurs de ceux qui me les
+inspirèrent n'existent plus. Ma liaison avec lord Clare fut l'une des
+premières et des plus durables dont je me souvienne, l'éloignement ayant
+pu seul la refroidir. Jamais je n'entendis prononcer le nom de _Clare_
+sans un vif battement de cœur, et remarquez-le, j'écris encore
+aujourd'hui sous le charme de mes impressions de 1803, 1804 et 1805,
+etc., etc.»
+
+ [Note 27: Dans l'un de ses journaux, et sous la date de 1808,
+ je trouve le passage suivant de Marmontel, qui sans doute
+ l'avait frappé comme s'appliquant à l'enthousiasme de ses
+ premières liaisons. «L'amitié, qui dans le monde est à peine
+ un sentiment, est une passion dans les cloîtres.»
+ (_Contes moraux_.)]
+
+J'emprunte l'extrait suivant à un autre de ses _Souvenirs_.
+
+«À Harrow, je tenais bien ma place au coup de poing[28]. Je crois me
+rappeler que je ne fus battu qu'une fois sur sept, et c'était avec
+H..... encore le drôle ne me battit que par l'intervention déloyale des
+gens de la maison où il mangeait, et où la scène se passait; je n'avais
+pas même de second. Je ne lui pardonnerai jamais, et je serais fâché de
+le rencontrer aujourd'hui, car certainement nous nous querellerions. Mes
+combats les plus mémorables furent avec Morgan, Rice, Raiesford et lord
+Jocelyn, mais nous restâmes toujours bons amis par la suite. J'étais un
+des enfans les moins aimés, cependant je finis par me faire respecter.
+J'ai gardé toutes mes amitiés de collége et toutes mes haines, si ce
+n'est relativement au docteur Butler, contre lequel je me révoltais, ce
+dont plus tard j'ai été fâché. Le docteur Drury, que je tourmentais
+aussi passablement, fut de tous mes amis le meilleur, le plus tendre, et
+j'ajouterai le plus sévère; je le regarde encore aujourd'hui comme un
+père.
+
+ [Note 28: M. d'Israeli, dans son livre ingénieux _sur le
+ caractère des gens de lettres_, a émis l'opinion que l'un des
+ indices du génie dans les jeunes gens est le dégoût des jeux
+ et des exercices du corps. Il cite en preuve Beattie, qui
+ peint ainsi son ménestrel idéal:
+
+ «Il avait toujours fui le bruit, les réunions, les fatigues,
+ et ne se souciait pas de paraître dans la tumultueuse mêlée
+ des écoliers; mais les forêts avaient pour lui le plus grand
+ charme.»
+
+ Son autorité la plus imposante est Milton, qui dit aussi de
+ lui-même:
+
+ «Étant enfant, nul jeu d'enfant ne m'était agréable.»
+
+ On ne peut appliquer ces règles générales, ni aux
+ dispositions ni au mérite des hommes de génie, si dans les
+ personnages cités par M. d'Israeli on reconnaît quelque
+ infirmité corporelle, et si dans plusieurs autres on peut
+ remarquer des goûts directement opposés. Une foule d'autres
+ poètes, comme Eschyles, Dante, Camoëns, se sont distingués à
+ la guerre, le plus turbulent des exercices; et si l'on est
+ obligé d'avouer qu'Horace fut mauvais cavalier, et que
+ Virgile ne savait pas jouer à la paume, on trouve d'un autre
+ côté que Dante fut aussi habile à la chasse qu'à l'escrime,
+ que Tasse sut également bien danser et manier le fleuret,
+ qu'Alfieri était bon cavalier, Klopstock bon patineur, Cowper
+ renommé dans sa jeunesse à la crosse et au ballon, et
+ qu'enfin Lord Byron excellait dans tous les exercices du
+ corps.]
+
+«P. Hunter, Curzon, Long et Tatersant furent les principaux objets de
+mon affection; je m'attachai encore à Clare, Dorset, C. Gordon, Debath,
+Claridge et J. Wingfield; ils étaient plus jeunes que moi, et je les
+gâtais par mon indulgence. Peut-être n'ai-je jamais aimé quelqu'un
+autant que le pauvre Wingfield, qui mourut à Coimbre en 1811, avant mon
+retour en Angleterre.»
+
+Un des plus frappans résultats de l'éducation en Angleterre c'est qu'on
+ne retrouve dans aucun pays autant d'exemples d'amitié vigoureuse formée
+dès l'enfance et conservée dans l'âge mûr, et que dans nulle autre
+contrée peut-être les sentimens d'affection pour la maison paternelle ne
+sont aussi rares ou du moins aussi faibles. Éloignés, comme ils le sont,
+des cercles de famille, dans un tems où leur cœur est le plus accessible
+aux sentimens affectueux, les enfans substituent naturellement aux liens
+de parenté ces amitiés de collége, qui, s'unissant ensuite aux scènes et
+aux événemens qui charmèrent leur jeunesse, conservent toujours sur eux
+la plus grande force. On peut observer des résultats tout-à-fait
+différens en Irlande, et je crois aussi en France, où le système
+d'éducation se lie mieux aux souvenirs domestiques. Là, la maison
+paternelle obtient une sorte de partage naturel et légitime dans le cœur
+des enfans; mais aussi les amitiés hors de ce cercle domestique sont en
+proportion moins vives et moins durables[29].
+
+ [Note 29: À huit ou neuf ans, on met l'enfant à l'école, et
+ dès-lors il dévient étranger dans la maison où il est né;
+ l'affection de son père est interrompue pour lui, et les
+ sourires de sa mère, ses tendres avis, la sollicitude de ses
+ parens, ne sont plus devant ses yeux. D'année en année, il se
+ sent vers eux moins d'entraînement, et il finit par perdre
+ ses premiers sentimens au point de se trouver plus heureux
+ partout ailleurs que dans sa famille.
+ (_Lettres de Cowper_.)]
+
+Pour un jeune homme comme Byron, rempli des sentimens les plus
+passionnés, et ne trouvant dans la maison maternelle de sympathie
+qu'avec la portion la moins noble de sa nature, le petit univers de
+l'école devait nécessairement mettre en jeu ses affections, et leur
+donner une extension extrême. Voilà pourquoi les amitiés qu'il contracta
+au collége se ressentirent beaucoup de ce qu'il désigne lui-même comme
+des _passions_. C'est le vide de pareilles affections dans ses foyers,
+et leur vivacité parmi _la sociale réunion d'Ida_, qu'il décrit ainsi
+dans l'un de ses premiers poèmes[30].
+
+ [Note 30: Même avant ses liaisons de collége, il avait montré
+ la même sorte d'attachement romanesque pour un enfant de son
+ âge, fils d'un de ses fermiers de Newsteadt. Dans deux ou
+ trois de ses premiers poèmes il ne s'arrête pas moins sur
+ l'inégalité que sur la chaleur de cette amitié.
+
+ «Que la folie sourie, en voyant ton nom et le mien unis par
+ l'amitié; la vertu roturière a plus de droit à ce sentiment
+ que le vice anobli.
+
+ «Bien que ton sort ne soit pas égal au mien, puisque ma
+ naissance m'appelle aux honneurs de la pairie, ne m'envie pas
+ cet éclat pompeux, un mérite modeste fait ton orgueil.
+
+ «Nos ames du moins se rencontrent égales, ton humble
+ condition n'est point une disgrâce pour ma position élevée;
+ notre commerce n'en sera pas moins doux, puisque le mérite
+ remplace en toi la naissance.»]
+
+N'y a-t-il point quelqu'autre cause qui rende ce mot d'enfance si cher à
+tout le monde? Ah! sûrement il y a une voix secrète qui nous dit tout
+bas que l'amitié sera doublement douce à celui qui est obligé de
+chercher des cœurs aimans, de les chercher hors du sein de sa famille,
+quand il ne peut les y trouver. Ces cœurs, chère _Ida_[31], je les ai
+trouvés dans ton sein, tu as été pour moi une famille, un monde, un
+paradis.
+
+ [Note 31: _Ida_, nom poétique de l'école d'Harrow.
+ (_N. du Tr._)]
+
+Cette première publication est remplie des témoignages les plus touchans
+de ses amitiés de collége; il n'est pas jusqu'aux reproches qu'il
+adresse à l'un d'eux, à propos de quelques griefs, qui ne portent un
+caractère de tendresse.
+
+Vous saviez que mon ame, que mon cœur, que ma vie étaient à vous en cas
+de danger; vous saviez que les années et la distance ne m'avaient pas
+changé, que je n'existais que pour l'amour et l'amitié.
+
+Vous saviez... mais pourquoi revenir en vain sur le passé? les liens qui
+nous unissaient sont rompus. Peut-être ce souvenir vous arrachera-t-il
+un jour des larmes tardives; vous soupirerez alors en songeant à celui
+qui fut votre ami!
+
+La description suivante de ce qu'il éprouvait après avoir quitté Harrow,
+quand il retrouvait dans le monde quelqu'un de ses anciens camarades, se
+rapproche beaucoup de la scène qui eut lieu en Italie, quelques années
+seulement avant sa mort, quand à la vue de son cher lord Clare, après
+une longue séparation, il se sentit touché jusqu'aux larmes par les
+souvenirs qu'il réveillait en lui.
+
+..... Si par hasard quelque figure que je me rappelle bien, quelque
+ancien camarade de mon enfance vient, une honnête joie peinte sur la
+figure, réclamer en moi son ami; mes yeux, mon cœur, tout montre que je
+suis encore un enfant: la scène éblouissante, les groupes bruyans qui
+m'entourent disparaissent devant l'ami que je viens de retrouver.
+
+On a vu par les extraits de son _journal_ que M. Peel était l'un de ses
+condisciples d'Harrow. La curieuse anecdote suivante, qui les concerne
+tous deux, m'a été rapportée par un ami de ce dernier, et je tâcherai de
+me rapprocher autant que possible des propres expressions du narrateur.
+
+Tandis que Lord Byron et M. Peel étaient à Harrow, un tyran[32], plus
+vieux de quelques années, réclama le droit de _basculer_ le petit Peel,
+droit que Peel, à tort ou à raison, ne voulut pas reconnaître. Mais sa
+résistance fut vaine: le tyran non-seulement le fit fléchir, mais il
+résolut d'infliger une punition à l'esclave réfractaire. Il se mit donc
+en devoir de lui administrer une espèce de bastonnade sur la partie
+interne du bras, que durant l'opération il avait comprimé de deux
+cordes, avec un talent cruel, pour rendre la douleur plus vive. Tandis
+que les coups se succédaient rapidement et que le pauvre Peel n'en
+pouvait déjà plus, Byron aperçut et comprit de suite les tourmens de son
+ami; il savait bien qu'il n'était pas assez fort pour chercher querelle
+au tyran et que d'ailleurs il était dangereux de l'approcher; toutefois
+il s'avance vers la scène de l'action, et le visage rouge de colère, les
+yeux pleins de larmes et une voix que l'indignation et la terreur
+rendaient incertaine, il lui demanda humblement qu'il voulût bien lui
+dire combien de coups il entendait infliger. «Et que t'importe? petit
+drôle! répondit l'exécuteur.--C'est que si vous y consentiez, repartit
+Byron, en présentant son bras, j'en prendrais la moitié.» Il y a dans ce
+petit trait un mélange de simplicité et de grandeur vraiment héroïque;
+nous pouvons sourire à notre aise des amitiés d'enfance, mais il est
+rare que celles de l'âge mûr soient capables d'une générosité comparable
+à celle-ci.
+
+ [Note 32: On appelle ainsi, dans les grands colléges
+ d'Angleterre, les élèves les plus anciens; ceux des dernières
+ classes sont désignés sous le nom d'esclaves. Il en était de
+ même à l'école polytechnique, il y a quelques années, et la
+ _bascule_ était également une servitude qu'imposaient les
+ élèves de deuxième année à ceux de la première.
+ (_N. du Tr._)]
+
+Parmi ses favoris d'école, on peut remarquer qu'un grand nombre étaient
+nobles, ou de familles nobles, tels que les lords Clare et Delaware, le
+duc de Dorset, et le jeune Wingfield. Une circonstance peut laisser
+croire que leur rang avait eu quelque part dans les motifs qui
+attirèrent Byron vers eux: un jour, celui de ses condisciples qui me
+raconta le fait, avait, en sa qualité de moniteur, mis lord Delaware sur
+sa liste de punition; Byron s'en étant aperçu, s'approcha de lui, en
+disant: «Wildman, je vois que vous avez mis Delaware sur votre liste; ne
+le faites pas frapper, je vous prie.--Pourquoi donc?--Je ne sais pas,
+mais enfin c'est mon collègue à la pairie.» Il est inutile d'ajouter que
+son intervention en pareil cas n'était rien moins qu'heureuse; car l'un
+des rares bienfaits de l'éducation publique est de faire tomber en
+quelque sorte ces distinctions artificielles, et de placer les jeunes
+plébéiens dans une égalité parfaite avec les pairs, bien que ces
+derniers puissent avoir leur revanche dans le monde.
+
+Il est vrai que, dans Lord Byron, le sentiment de sa supériorité
+nobiliaire était alors assez peu déguisé pour lui attirer fréquemment
+les moqueries de ses camarades; c'est, je crois, à Dulwich que son
+habitude de tirer orgueil de la prééminence qu'il trouvait dans un vieux
+baron anglais, sur tous les nouveaux pairs, lui fit donner le surnom de
+_vieux baron anglais_. Mais ce serait une erreur de croire que, soit à
+l'école, soit plus tard, il ait jamais été guidé par d'aristocratiques
+sympathies dans le choix de ses amis. Tout au contraire, suivant l'usage
+des hommes d'une extrême fierté, il préférait généralement pour _ses
+intimes_, ceux d'un rang inférieur au sien, et tels étaient presque tous
+ceux qu'il comptait à l'école parmi ses amis. D'un autre côté, ce qui le
+charmait le plus dans ses autres plus jeunes amis, c'était leur
+infériorité sous le rapport de l'âge et de la force. Elle lui permettait
+de se complaire encore dans son généreux orgueil, en prenant quand il le
+fallait, à leur égard, le rôle de protecteur.
+
+William Harness, qui était entré à Harrow à dix ans, tandis que Byron en
+avait quatorze, fut l'un de ceux qu'il aima le plus, par ce dernier
+motif, bien qu'il ait oublié d'en parler. Le jeune Harness, encore
+boiteux des suites d'un accident d'enfance, et à peine remis d'une
+maladie grave, était peu capable de surmonter les difficultés d'une
+école publique; Byron le vit un jour maltraité par un enfant beaucoup
+plus âgé et plus fort; il se hâta de prendre sa défense. Le lendemain,
+le petit enfant demeurait seul à l'écart; Byron vint encore à lui, et
+lui dit: «Harness, si quelqu'un te bat, dis-le-moi, et, si je puis, je
+le rosserai.» Il tint sa parole, et, dès ce moment, le protecteur et le
+protégé devinrent, malgré leur différence d'âge, des amis inséparables.
+Cependant leur amitié subit un refroidissement auquel Lord Byron, dans
+une lettre écrite après six ans, fait allusion avec tant de sensibilité,
+de franchise et de délicatesse, que je ne puis m'empêcher d'anticiper la
+date, et d'en donner ici un extrait.
+
+«Nous paraissons tous deux nous rappeler parfaitement, avec un mélange
+de plaisir et de regret, les jours que nous passions ensemble; et je
+vous jure bien sincèrement que je les compte au nombre des plus heureux
+de mes courts instans de bonheur. Maintenant je touche à ma majorité,
+c'est-à-dire que j'ai vingt ans et un mois; encore un an, et je
+parcourrai dans le monde ma carrière de folie. Alors j'avais quatorze
+ans: vous étiez presque le premier de mes amis d'Harrow, le premier
+certainement en estime, sinon en date; mais une assez longue absence
+d'Harrow, et de votre part de nouvelles liaisons, le contraste de votre
+conduite (décidément tout à votre avantage) et de ces habitudes
+turbulentes et querelleuses qui m'entraînèrent dans tous les genres de
+désordres, toutes ces circonstances se réunirent pour détruire une
+intimité que l'affection me pressait de continuer, et que la mémoire
+m'obligeait de regretter amèrement. Mais il n'est pas une particularité
+de cette époque, pas même une seule de nos conversations, qui ne reste
+encore aujourd'hui gravée dans mon esprit. Je n'en dirai pas davantage:
+cette assurance seule vous prouvera que si je n'y avais pas attaché de
+prix, je ne me souviendrais pas aussi bien de tout cela. Comme je me
+rappelle la lecture de vos _premiers essais_! Une autre circonstance que
+vous ignorez, c'est que les _premiers vers_ que j'essayai de faire à
+Harrow vous étaient adressés, vous deviez les voir; mais Sinclair en
+avait gardé la copie quand nous allâmes en vacance, et à notre retour
+nous avions cessé d'être liés; ils furent détruits, et certes ce ne fut
+pas une grande perte. Par ce fait, vous pouvez juger de mes sentimens à
+un âge où l'on ne saurait être hypocrite.
+
+«Je me suis arrêté plus que je ne pensais sur ce sujet, et je finirai
+par où j'aurais dû commencer. Nous étions autrefois amis, nous l'avons
+même toujours été, car notre séparation fut l'effet du hasard et non du
+refroidissement. J'ignore où notre destinée doit nous conduire l'un et
+l'autre; mais si l'occasion et quelque penchant vous décident à jeter
+une pensée sur un écervelé de mon espèce, vous me trouverez toujours
+sincère, et jamais assez aveugle sur mes défauts pour envelopper les
+autres dans leurs conséquences. Voulez-vous m'écrire quelquefois? Je ne
+dis pas souvent; mais enfin, si nous nous retrouvons, j'espère que nous
+serons l'un pour l'autre ce que nous _devions_ être et ce que nous
+_étions_.»
+
+Une autre preuve aussi forte de la vivacité de ses impressions de
+jeunesse, c'est, quand ses amis ont gardé un si petit nombre de ses
+anciennes lettres, le soin avec lequel il conserva toutes celles que lui
+adressèrent les principaux d'entr'eux, même les plus jeunes. Et si
+quelquefois ses correspondans oubliaient de dater leurs missives, sa
+fidèle mémoire, après plusieurs années d'intervalle, suppléait à leur
+oubli. Parmi ces souvenirs qu'il conservait si précieusement, il en est
+un qu'il serait injuste de ne pas citer, soit comme monument de
+l'énergie qui brillait au milieu de son langage enfantin, soit en
+mémoire des tendres et affectueux sentimens que leur lecture réveillait,
+comme on le verra plus tard, dans l'ame de Byron.
+
+À LORD BYRON, etc., etc.
+
+
+Harrow-la-Montagne, 28 juillet 1805.
+
+«Puisque vous avez paru assez peu mon ami pour me _dire des noms_ toutes
+les fois que vous me rencontriez ces jours derniers, je vous demande une
+explication, et je désire savoir si vous voulez que nous soyons aussi
+bons amis qu'auparavant. J'ai bien vu que ce mois-ci vous m'aviez
+absolument laissé là, sans doute pour vos nouvelles connaissances; mais
+il ne faut pas croire, parce que vous aurez dans la tête un caprice
+quelconque, que je reviendrai toujours à vous, comme certains autres le
+font, pour regagner votre amitié. Ne pensez pas que je sois votre ami
+par intérêt, et parce que vous êtes plus grand ou plus âgé que moi: non,
+cela n'est pas, et ne sera jamais. J'étais votre ami, et je ne le suis
+encore qu'à une condition: c'est qu'en me voyant vous ne me _direz plus
+des noms_. Vous avez bien vu, j'en suis sûr, que je n'aimais pas cela;
+pourquoi donc le faisiez-vous, si ce n'est parce que vous ne voulez plus
+être mon ami? et pourquoi le resterais-je, si vous me traitez mal? Je ne
+tiens à rien de pareil; vous pouvez bien laisser les autres m'attaquer,
+mais si vous vous moquez de moi, je serai bien plus malheureux.
+
+«Je ne suis pas un hypocrite, Byron, et je ne le serai jamais assez pour
+rester votre ami quand vous me _direz des noms_. Personne ne dira, j'en
+suis sûr, que je me sois abaissé pour regagner une amitié dont vous ne
+voulez plus. Pourquoi le ferais-je? ne suis-je pas votre égal? Quel
+intérêt y aurais-je? Quand vous me retrouverez dans le monde
+(c'est-à-dire si vous le voulez), vous ne pourrez m'avancer ou me
+protéger, ni moi vous. Je vous engage donc et vous demande, si vous
+tenez à mon amitié (ce qui n'est pas, à en juger par votre conduite), à
+ne pas me donner les noms que vous faites, ni à vous moquer de moi.
+Jusqu'alors il me sera impossible de vous nommer mon ami. Je vous serai
+obligé de me répondre de suite.
+
+»En attendant, je demeure votre...
+
+»Je ne puis dire votre ami.»
+
+
+Sur le dos de cette lettre était la note suivante, de la main de Byron:
+
+«Cette lettre et une seconde furent écrites à Harrow par mon _alors_ et
+toujours cher ami Lord de ***, quand nous étions camarades d'études. Il
+me les adressa à la suite de je ne sais plus quel malentendu, le seul
+qui s'éleva jamais entre nous; il fut d'ailleurs de courte durée, et je
+ne conserve cette lettre que pour la lui rappeler quand je le verrai,
+afin que nous puissions rire au souvenir de l'insignifiance de notre
+première et dernière querelle.»
+
+ BYRON.
+
+
+On retrouve dans une lettre du même enfant, écrite deux années plus
+tard[33], ces passages remarquables:
+
+«Votre dernière lettre m'a fait penser que vous étiez extrêmement piqué
+contre la plupart de vos amis, et même un peu contre moi, si je ne me
+trompe. Vous dites d'un côté: _Il n'est presque pas douteux que peu
+d'années ou de mois nous rendront aussi indifférens l'un à l'autre, que
+si nous n'avions pas passé ensemble une partie de notre vie_. En vérité,
+Byron, vous me faites injure, et je n'ai pas de doute, au moins je
+l'espère, que vous ne vous calomniiez vous-même.»
+
+ [Note 33: D'autres lettres encore offrent de curieuses
+ preuves de la sensibilité jalouse et passionnée de Byron.
+ Dans l'une d'elles, par exemple, nous voyons qu'il s'était
+ offensé que son jeune ami lui eût écrit _mon cher Byron_ au
+ lieu de _mon très-cher_; et dans une autre, qu'il avait eu de
+ la jalousie de quelques expressions échappées à son ami, à
+ l'occasion du départ de Lord John Russell pour l'Espagne.
+ «Vous me dites, lui répond-on, que jamais vous ne me vîtes
+ agité comme quand j'écrivis ma dernière lettre; pensez-vous
+ que j'eusse tort? J'avais reçu une lettre de vous le samedi,
+ où vous me disiez que vous quittiez l'Angleterre au mois de
+ mars pour six ans; et le lundi John Russell partait pour
+ l'Espagne. Mais pouvez-vous imaginer que je fusse plus triste
+ au sujet de Lord Russell, qui s'en va pour quelques mois, et
+ de qui j'aurai constamment des nouvelles, que relativement à
+ vos six années de voyage au bout du monde, pendant lesquelles
+ j'entendrai à peine parler de vous, et qui peut-être
+ m'empêcheront de vous revoir jamais? J'éprouve une véritable
+ peine de ce que vous me dites, que je dois vous excuser si
+ vous êtes jaloux de me voir plus affecté du départ d'un ami
+ qui était près de vous que de celui qui était éloigné. Il est
+ impossible que vous ayez pu croire un moment que l'absence de
+ John m'affectât plus que la vôtre. Je finis donc sur ce
+ sujet.»]
+
+Malgré ces habitudes de jeux et de paresse qui semblaient l'indice d'une
+certaine absence d'idées et de réflexions, il y avait des momens où le
+jeune poète rentrait profondément en lui-même et se livrait à des
+méditations incompatibles avec l'enjouement et l'insouciance de son âge.
+On montre encore dans le cimetière d'Harrow une tombe élevée, d'où la
+vue plane sur Windsor; c'était l'endroit favori où l'on savait si bien
+qu'il aimait à s'arrêter, que les enfans l'appelaient _la tombe de
+Byron_[34], et c'est là, dit-on, qu'il demeurait des heures entières
+abîmé dans ses pensées, ruminant dans la solitude ses premières
+inspirations sublimes et passionnées, et parfois, peut-être, entrevoyant
+déjà cet avenir de gloire qui lui inspirait, à peine âgé de quinze ans,
+ces vers remarquables:
+
+_Mon nom seul sera mon épitaphe_. S'il ne suffit pour honorer ma cendre,
+qu'aucune autre gloire ne me soit accordée en récompense. On ne doit
+voir que ce nom, ce nom seul sur mon tombeau; illustré par lui, ou comme
+lui à jamais oublié.
+
+ [Note 34: C'est à cette tombe que se rapporte ce passage des
+ _souvenirs d'enfance_, qui font partie de ses œuvres
+ inédites:
+
+ «Souvent, quand, oppressé de tristes pressentimens, je
+ m'asseyais incliné sur notre tombe favorite.»]
+
+Il passa quelque tems à Bath avec sa mère, pendant l'automne de 1802,
+et, quoique bien jeune, il prit assez de part aux plaisirs de ces lieux.
+Il parut dans un bal masqué, donné par lady Riddel, sous le costume d'un
+jeune Turc; modèle anticipé, quant à la beauté et au costume, de son
+jeune Sélim de la _Fiancée d'Abydos_. Au moment d'entrer dans la maison,
+quelqu'un de la foule essaya d'arracher le diamant qui attachait le
+croissant de son turban, mais l'un de ceux qui l'accompagnaient
+s'aperçut à tems de cette tentative de vol. La dame qui m'apprit cette
+anecdote, et qui voyait beaucoup alors Mrs. Byron, a bien voulu ajouter
+à son récit les remarqués suivantes: «J'ai vu beaucoup Lord Byron à
+Bath; sa mère m'a invité souvent à prendre le thé avec elle; il était
+toujours fort plaisant et original; quand la conversation tombait sur
+ses amis absens, il montrait un léger penchant à la satire, auquel plus
+tard il s'abandonna, comme chacun sait, avec une liberté entière.»
+
+Nous touchons maintenant à un événement qui, d'après sa profonde
+conviction, exerça sur sa vie et son caractère une influence vive et
+durable.
+
+Ce fut en 1803, que son cœur, déjà deux fois éprouvé, comme nous l'avons
+vu, par d'enfantines impressions d'amour, conçut un attachement qui,
+jeune comme il était encore, domina ses facultés au point de colorer
+d'une teinte particulière le reste de ses jours. Que les passions
+malheureuses soient en général les plus durables, c'est une triste
+vérité qui, pour être confirmée, n'avait pas besoin de ce nouvel
+exemple; mais peut-être faut-il attribuer à la même circonstance
+l'innocence parfaite de cet attachement pour miss Chaworth, qui le
+distingua, sans jamais l'effacer de son cœur, de tous ceux qui le
+suivirent. Comme c'est le seul sentiment du même genre dont les détails
+puissent être suivis sans dangers, ou dont les résultats, bien que
+douloureux, puissent être racontés, nous pensons qu'on s'y arrêtera avec
+plaisir.
+
+Mrs. Byron, en partant de Bath, vint séjourner à Nottingham, Newsteadt
+étant en ce tems-là loué à lord Grey de Ruthen; et pendant les vacances
+de Harrow, son jeune fils vint l'y rejoindre. Tel était son attachement
+pour Newsteadt, que c'était même un plaisir pour lui d'être dans son
+voisinage; aussi, avant d'avoir fait la connaissance de lord Grey, il
+lui arrivait souvent de passer la nuit dans une petite maison contiguë à
+la grande porte et qu'on appelle encore à présent la hutte[35]; mais
+bientôt des rapports d'amitié s'établirent entre son noble locataire et
+lui, et dès-lors il eut toujours à son service un appartement dans
+l'abbaye. Comme il avait, peu de tems auparavant, été présenté à Londres
+à la famille de miss Chaworth, qui, actuellement, résidait à Annesley,
+dans le voisinage immédiat de Newsteadt, il renouvela bientôt
+connaissance avec elle. La jeune héritière elle-même joignait à tous les
+avantages sociaux qui l'environnaient une grande beauté et les
+dispositions les plus aimables et les plus séduisantes.
+
+ [Note 35: Je tiens ce fait de l'un des vieux domestiques de
+ Newsteadt, mais je ne dissimulerai pas que d'autres n'aient
+ révoqué en doute ces haltes nocturnes à _la hutte_.]
+
+Le jeune poète avait déjà remarqué ses charmes; mais ce fut seulement à
+l'époque où nous sommes arrivés, comme il était dans sa seizième année
+et miss Chaworth dans sa dix-huitième, qu'il semble en avoir été
+complètement ébloui. Six courtes semaines d'été, écoulées près d'elle,
+suffirent pour éveiller une passion qui dura toute sa vie.
+
+D'abord, bien qu'on lui offrît un lit à Annesley, il avait l'habitude de
+revenir chaque nuit à Newsteadt, et le motif qu'il alléguait était sa
+frayeur des tableaux de famille des Chaworth, qui, s'imaginait-il,
+l'avaient pris en grippe en souvenir du duel de son oncle, et se
+seraient détachés la nuit de leurs cadres pour le tourmenter. À la fin
+il dit gravement un soir à miss Chaworth et à sa cousine: «La dernière
+nuit, en m'en retournant, j'ai vu un _bogle_.» Comme ce dernier mot
+écossais était complètement inintelligible pour les jeunes dames, il
+leur fit entendre que c'était un revenant, et qu'il ne voulait pas ce
+soir-là retourner à Newsteadt. À compter de là, il coucha toujours à
+Annesley jusqu'à ce que ses visites furent interrompues par une courte
+excursion à Matlock et à Castleton, dans laquelle il eut le bonheur
+d'accompagner miss Chaworth et ses parens. Voici la curieuse notice que
+l'on trouve de ce voyage dans l'un de ses livres-journaux:
+
+«J'avais quinze ans quand il m'arriva, dans une caverne du duché de
+Derby, de traverser dans une barque, où deux personnes seulement
+pouvaient rester couchées, un ruisseau qui coulait sous une roche; cette
+dernière était tellement proche de l'eau, que nous fûmes obligés de
+faire pousser la barque par un conducteur enfumé, espèce de Caron, qui
+se tenait derrière, entièrement courbé dans l'eau. J'avais alors pour
+second M. A. C., dont j'avais été passionnément amoureux sans le lui
+dire, mais non pas sans qu'elle le découvrît. Je me rappelle mes
+sensations, mais je ne puis les décrire. Notre société se composait de
+Mrs. W., des deux miss W...s, de M. et Mrs. Cl...ke, de miss R. et de ma
+M. A. C. Hélas! pourquoi dire _ma_? Notre mariage aurait apaisé des
+haines qui avaient fait couler le sang de nos pères; il aurait réuni des
+propriétés vastes et riches; au moins aurait-il réuni un seul cœur et
+deux êtres assez bien assortis pour l'âge (elle avait deux ans de plus
+que moi), et... et... et... qu'en est-il résulté?»
+
+Miss Chaworth prenait ordinairement part aux danses du soir, à Matlock,
+tandis que son amant restait à la contempler, solitaire et mécontent. Il
+est possible que le dégoût qu'il exprima toujours pour ce genre de
+plaisir soit venu de quelque sentiment amer éprouvé dans sa jeunesse en
+voyant la _dame de son cœur_ conduite par d'autres à la danse joyeuse
+dont lui-même était exclu. Un jour que la jeune héritière d'Annesley
+avait eu pour cavalier une personne qu'elle n'avait jamais vue, Byron
+lui dit, d'un air de dépit, quand elle vint reprendre sa place:
+«J'espère que vous aimez votre nouvel ami.» Ces paroles étaient à peine
+prononcées, qu'il se vit accosté par une dame écossaise, d'une tournure
+déplaisante, qui vint se recommander à lui comme cousine, et qui,
+mettant son orgueil à la torture à force de manières et d'expressions
+vulgaires, décida la belle miss Chaworth à lui dire à son tour à
+l'oreille: «J'espère que vous aimez votre nouvelle amie.» À Annesley, il
+passait la plus grande partie de son tems à faire des courses à cheval
+avec miss Chaworth et sa cousine, ou plongé dans une morne rêverie, les
+mains occupées de son mouchoir; ou bien tirant contre une porte qui
+donne sur la terrasse, et qui conserve encore les vestiges de ses
+balles. Mais son plus grand plaisir était de s'asseoir auprès de miss
+Chaworth lorsqu'elle faisait de la musique; son air favori était la
+jolie chanson galloise _Maryanne_, sans doute principalement à cause de
+son nom. Pendant tout ce tems, il avait la douleur de voir celle qu'il
+aimait, entièrement occupée d'un autre amour; et comme il le dit
+lui-même:
+
+«Ses soupirs n'étaient pas pour lui: pour elle il était un frère, mais
+rien de plus.»
+
+Il n'est pas même probable, si le cœur de miss Chaworth eût été libre,
+que Lord Byron eût été choisi par elle comme un objet d'attachement.
+Deux ans de plus donnent à une jeune fille une avance dans la vie,
+contre laquelle un homme ne peut pas lutter. Miss Chaworth ne voyait
+dans Byron qu'un collégien: ses manières étaient d'ailleurs alors dures
+et peu sociables; elles n'avaient, comme je l'ai entendu répéter vingt
+fois, rien de flatteur pour les jeunes filles de son âge. Si dans un
+moment d'illusion il s'était flatté d'inspirer quelque amour à la jeune
+miss, il dut être bientôt désabusé par une circonstance notée dans ses
+_Mémoires_ comme l'une des plus douloureuses humiliations auxquelles son
+infirmité l'eût exposé. Il entendit un jour miss Chaworth dire à sa
+femme de chambre: «Pouvez-vous croire que je me soucie jamais de ce
+petit boiteux?» Ces mots, comme il l'a rappelé lui-même, furent un coup
+de foudre pour lui. Il était nuit fermée quand il les entendit; mais il
+sortit à l'instant de la maison, et, sans rien voir devant lui, il
+courut sans s'arrêter jusqu'à Newsteadt.
+
+La peinture qu'il a faite de cet amour, dans l'un de ses plus touchans
+poèmes, _le Songe_, montre comment le génie et la sensibilité peuvent
+élever les réalités de cette vie, et donner un lustre immortel aux
+objets et aux événemens les plus communs. Sous le nom de l'_antique
+oratoire_, la vieille salle d'Annesley rappellera long-tems à
+l'imagination la vierge et l'adolescent qui s'y trouvèrent une fois
+réunis; tandis que l'image du coursier de l'amant, bien que le type en
+ait été la race laborieuse et peu poétique des chevaux de Nottingham,
+ajoute encore aux charmes généraux de la scène, et jette sur le tableau
+une portion de la lumière que le génie seul peut à son gré répandre.
+
+Au reste, dès cet âge encore tendre, il paraît avoir eu assez
+d'expérience de la vie galante pour savoir comment les premiers trophées
+peuvent conduire en amour à de nouvelles conquêtes; il se glorifiait
+souvent, auprès de miss Chaworth, d'un nœud de cheveux que lui avait
+donné quelque beauté sensible (sans doute cette jolie cousine dont il
+parle avec tant de chaleur dans l'une des notes que nous avons citées).
+Déjà, et il ne l'ignorait pas, il avait la beauté qui, malgré quelque
+tendance à l'excessif embonpoint de sa mère, lui promettait cette
+expression particulière qui donnait à ses traits tant de finesse et tant
+de charme. Mais avec les fêtes de l'été finit le rêve de sa jeunesse: il
+ne vit plus qu'une fois miss Chaworth l'année suivante, et il lui dit un
+dernier adieu, comme il le racontait souvent, sur cette montagne près
+d'Annesley, qu'il a si bien décrite dans son poème du _Songe_, comme
+étant _couronnée d'un particulier diadême_[36]. Personne, à l'entendre,
+n'aurait pu deviner tout ce qu'il éprouvait, car sa contenance était
+calme et ses sentimens comprimés. «La première fois que je vous
+reverrai, lui dit-il en la quittant, vous serez sans doute Mrs.
+Chaworth[37]?--Je l'espère;» telle fut sa réponse. C'était avant cette
+entrevue qu'il avait écrit au crayon, dans un volume des lettres de Mme
+de Maintenon, qui appartenait à la jeune miss, les vers suivans:
+
+ [Note 36: Parmi les vers inédits en ma possession, je trouve
+ les fragmens suivans, écrits quelque tems après cette époque:
+
+ «Collines d'Annesley, arides et nues, dans lesquelles s'égara
+ mon enfance imprudente, comme les tempêtes du nord grondent
+ et mugissent au-dessus de vos ombrages touffus! Aujourd'hui
+ les heures ne s'écoulent plus délicieusement dans ces
+ promenades chéries; le sourire de Marie ne fait plus de vous
+ un paradis pour moi.»]
+
+ [Note 37: Son mari prit en effet, pendant quelque tems, le
+ surnom de Chaworth.]
+
+Cesse, ô mémoire! de me tourmenter. Le présent est aujourd'hui décoloré
+pour moi: l'avenir ne m'offre plus d'espérances; et quant au passé, par
+pitié, cache-le-moi. Pourquoi ramener devant mes yeux ces images de ce
+que je ne reverrai pas? pourquoi me représenter ces délicieux instans à
+jamais évanouis? Le plaisir passé augmente la peine présente; le regret
+de ce qui n'est plus se joint à la douleur de ce qui est. Espérances,
+regrets, vous n'êtes plus que de vains mots: je ne demande plus qu'à
+vous oublier.
+
+L'année suivante, miss Chaworth épousa l'heureux rival de Byron. M. John
+Muster, l'un de ceux qui se trouvaient présens quand il en reçut la
+première nouvelle, raconte ainsi ce qui se passa alors en lui: «J'étais
+présent quand il apprit ce mariage, sa mère lui dit: _Byron, j'ai à vous
+apprendre une nouvelle.--Eh bien, qu'est-ce?--D'abord, tirez votre
+mouchoir, car vous en aurez besoin.--Quelle absurdité!--Prenez, dis-je,
+votre mouchoir_ (il le fit pour lui plaire), _miss Chaworth est mariée_.
+À ces mots une expression singulière et impossible à décrire se peignit
+sur sa pâle figure; il remit violemment son mouchoir dans sa poche,
+puis, avec une affectation de froideur et de nonchalance: _Est-ce là
+tout?_ dit-il.--_Comment, je m'attendais à vous voir accablé de
+douleur._ Il ne répondit rien, et bientôt après il ouvrit la
+conversation sur un autre sujet.»
+
+Sa vie d'Harrow présente les mêmes particularités. Pendant toute sa
+durée, comme il le dit lui-même, il était toujours jouant, se
+révoltant[38], _ramant_ et se livrant à toute sorte d'espiègleries.
+L'esprit de révolte dont il parle ici (bien qu'il n'ait jamais été
+jusqu'à lui inspirer des actes de violence) se manifesta à l'occasion de
+la retraite du docteur Drury, quand, à la place vacante, se présentèrent
+les trois candidats, Mark Drury, Evans et Butler. Dans le premier
+mouvement auquel cette rivalité donna lieu parmi les écoliers, le jeune
+Wildman se montra à la tête du parti de Mark Drury, tandis que Byron
+avait commencé par rester neutre. Mais dans l'espérance de l'avoir pour
+allié, l'un des membres de la faction Drury dit à Wildman: «Byron, je le
+sais, ne se joindra pas à nous, parce qu'il ne veut jamais de la seconde
+place; mais vous pourriez, en lui donnant la première, vous l'assurer.»
+Wildman suivit cet avis, et Byron prit en effet le commandement de la
+faction.
+
+ [Note 38: Gibbon, parlant des écoles publiques, dit: «La
+ scène comique d'une révolte de collége fait connaître, sous
+ leur véritable point de vue, les ministériels et les
+ indépendans de la génération nouvelle.» Mais de pareils
+ pronostics ne sont pas toujours sûrs; ainsi le doux et
+ paisible Addisson fut, étant au collége, chef d'un
+ soulèvement.]
+
+La violence qu'il mit dans son opposition au choix que l'on fit de
+Butler, et surtout la vive affection qui l'unissait au dernier maître,
+contribuèrent à aigrir les relations qu'il eut avec le nouveau directeur
+pendant le reste de son séjour à Harrow. Par malheur, Byron résidant
+dans les appartemens de Butler, les occasions de mésintelligence étaient
+on ne peut plus fréquentes. Un jour le jeune rebelle, dans un accès de
+défiance, arracha tous les grillages des fenêtres de la salle; et quand
+le docteur lui demanda le motif de cette violence, il répondit, avec un
+grand sang-froid: «Parce qu'ils obscurcissent la salle.» Une autre fois
+il lui avoua hardiment la haine qu'il avait contre lui. Ce fut long-tems
+la coutume que le maître, à la fin de chaque terme, invitât à dîner les
+élèves les plus âgés; et cette faveur, semblable aux invitations
+royales, était en général regardée comme un ordre. Lord Byron cependant
+y répondit par un refus; cela surprit beaucoup le docteur Butler, et, à
+la première occasion, il lui en demanda le motif devant les autres
+élèves: «Aviez-vous quelque autre engagement?--Non, monsieur.--Mais vous
+aviez donc une raison, Lord Byron?--J'en avais.--Et laquelle?--Parce que
+(répliqua le jeune pair avec une fierté composée) s'il vous arrivait de
+passer dans mon voisinage tandis que je serais à Newsteadt, je ne
+songerais certainement pas à vous inviter à dîner; en conséquence, je ne
+dois pas accepter une pareille invitation de votre part.» En général
+l'idée qu'avaient de lui ses professeurs à Harrow était celle d'un
+enfant paresseux, qui ne voulait jamais rien apprendre; et si l'on fait
+attention à ses habitudes ordinaires, on avouera que cette réputation
+n'était pas dépourvue de fondement. Il est impossible de jeter les yeux
+sur les livres dont il se servait, et qui sont couverts de translations
+interlignées, sans être frappé de l'absence de son attention. Les mots
+grecs les plus ordinaires ont leur traduction anglaise barbouillée à
+leur côté, et cette circonstance prouve bien qu'il ne les connaissait
+pas assez pour les traduire de mémoire. Ainsi, dans son Xénophon, nous
+trouvons νεοι, _jeunes_, σωμασιν, _corps_, ανθρωποις τοις αγαθοις, _bons
+hommes_, etc., etc.; et même, dans les volumes de pièces grecques qu'il
+vendit en partant à la bibliothèque du collége, nous remarquons, entre
+autres exemples, le mot usuel χρυσος flanqué de son synonyme anglais
+(or).
+
+Mais quelque faibles que fussent ses progrès dans les matières purement
+scolastiques auxquelles nous consacrons en pure perte une si précieuse
+portion de la vie[39], il n'en montrait pas moins des dispositions
+merveilleuses pour tous les genres variés d'instruction qui ne sont
+utiles que dans le monde. Né avec un esprit trop scrutateur et trop
+vagabond pour être facilement emprisonné dans des limites déterminées,
+il s'attachait à des sujets qui déjà intéressaient ses goûts virils, et
+que ne pouvait comprendre l'esprit purement pédantesque d'une école;
+mais ses accès irréguliers et violens de travail, dans cette direction,
+donnaient à son intelligence une impulsion bien plus haute que celle de
+ses condisciples les plus laborieux. La liste qu'il a faite de tous les
+ouvrages divers dont il avait à la hâte, et de son propre choix, dévoré
+les pages, avant d'atteindre sa quinzième année, est tellement
+considérable, qu'on a de la peine à y ajouter foi; et elle présente une
+telle masse de recherches, qu'elle pourrait défier les plus vieux
+_helluones librorum_.
+
+ [Note 39: Il est déplorable de songer à la perte de tems que
+ l'on fait subir aux enfans dans la plupart des colléges, en
+ les occupant pendant six ou sept ans à apprendre seulement
+ des mots, et encore d'une manière fort imparfaite.
+ (COWLEY, _Essai_.)
+
+ Si un Chinois entendait parler de notre système d'éducation,
+ ne supposerait-il pas que nous destinons tous nos jeunes gens
+ à professer des langues mortes dans les pays étrangers, et
+ non pas à faire jamais usage de la nôtre?
+ (LOCKE, _sur l'Éducation_.)]
+
+Il ne faut pourtant pas croire, d'après l'étendue et l'activité de son
+esprit, que Byron pût de lui-même choisir une direction privilégiée;
+quel que soit, en effet, le plan d'instruction d'un jeune homme de
+talent dans les grandes écoles et dans les universités d'Angleterre, il
+ne suppléera pas complètement à ce qui lui manque sous le rapport
+intellectuel, et pourra même l'exposer à des écarts embarrassans et
+dangereux[40]. Dans la difficulté ou même l'impossibilité absolue qu'il
+trouvera à combiner l'acquisition des connaissances pratiques avec les
+études de l'antiquité qui lui sont nécessaires pour obtenir les honneurs
+scolastiques, il devra choisir ou de porter toute son attention et ses
+vœux vers ce dernier objet, et alors il n'aura aucune idée de tout ce
+qui doit lui servir le plus dans le monde; ou d'adopter comme Lord Byron
+et d'autres personnages distingués le système contraire, et consentir à
+passer à l'école pour un élève incapable et paresseux, afin de se
+préparer des moyens de supériorité dans le monde.
+
+ [Note 40: Un excellent écolier peut quitter les bancs de
+ Westminster ou d'Eton dans une ignorance complète du train de
+ vie et de la conversation du monde anglais, vers la fin du
+ dix-huitième siècle.
+ (GIBBON.)]
+
+Les _souvenirs_ inscrits par le jeune poète dans ses livres d'école
+peuvent nous permettre de croire que dans un âge si tendre il prévoyait
+déjà vaguement que tout ce qui se rapportait à lui deviendrait par la
+suite un objet d'intérêt et de curiosité. La date de son entrée à
+Harrow[41], le nom des enfans qui furent ses moniteurs, la liste des
+chefs de classe parmi ses condisciples sous le docteur Drury[42], tout y
+est noté avec la dernière minutie, et comme pour former des points de
+retour pour l'histoire de sa vie. Un exemple touchant suffira pour
+montrer qu'il lui arriva plus d'une fois de s'arrêter à ces idées. Nous
+trouvons sur la première page de ses _Scriptores græci_ la suivante note
+écrite à la main: «George Gordon Byron, vendredi 26 juin, a. d. 1805,
+trois heures trois quarts de l'après-midi, classe de troisième, Calvert
+moniteur, Tem, Wildman à ma gauche et Long à ma droite.
+Harrow-la-Montagne.» Et sur la même feuille se trouve le commentaire
+suivant, écrit cinq ans plus tard:
+
+ _Eheu fugaces, Posthume! Posthume!
+ Labuntur anni_.
+ B., 9 janvier 1809.
+
+ [Note 41: Byron, Harrow-la-Montagne, dans le Middlesex,
+ _alumnus scholæ lyonensis privus, in anno domini_ 1801,
+ _Ellison duce_.
+
+ Moniteur en 1801: Ellison, Royston, Hunxman, Rashleigh,
+ Rokeby, Leigh.]
+
+ [Note 42: Chefs de classe de Drury, 1804: Byron, Drury,
+ Sinclair, Clare, Bolder, Annesley, Calvert, Strong, Acland,
+ Gordon, Drummond.]
+
+«Des quatre personnes dont les noms sont ici mentionnés, l'une est
+morte, une autre est dans un climat lointain: tous sont séparés: il n'y
+a pas cinq ans qu'ils étaient ensemble réunis dans la même classe; et
+nul encore n'aurait atteint sa vingt et unième année.»
+
+Il passa les vacances de 1804[43] avec sa mère à Southwell: Mrs. Byron
+était venue s'y fixer pendant l'été de cette année, en quittant
+Nottingham, et elle avait choisi pour demeure la maison appelée
+Burgage-Manor. On conserve encore à Southwell, sous la date du 8 août
+1804, une note dans laquelle on annonce que le jeu est retenu _par Mrs.
+et Lord Byron_. La personne à qui appartenait la maison qu'ils
+habitaient était un rentier possesseur d'une assez belle bibliothèque;
+et le premier soin du jeune poète, comme il nous l'apprend, fut de la
+retourner complètement aussitôt après son arrivée à Southwell. L'un des
+livres qui l'occupèrent et l'intéressèrent davantage fut, et on le
+croira sans peine, la _Vie de lord Herbert de Cherbury_.
+
+ [Note 43: Pendant l'une des vacances de Harrow, il demeura
+ quelque tems dans la maison de l'abbé de Rouffigny, dans
+ Took's court, avec l'intention d'y étudier la langue
+ française; mais, au dire de l'abbé, il avait peu de goût pour
+ cette étude, et, au grand dépit du révérend maître, il
+ passait presque tout son tems à faire des armes, à boxer,
+ etc.]
+
+Il entra au mois d'octobre 1805 au collége de la Trinité à Cambridge.
+Voici comme il décrit les sentimens qu'il éprouva en quittant sa chère
+Ida:
+
+«Mon entrée au collége me fit un effet singulier et pénible. D'abord
+j'étais tellement affligé de quitter Harrow, bien que le tems en fût
+arrivé (ayant alors dix-sept ans), que pendant le dernier quartier que
+j'y passai, j'employais les heures, consacrées au sommeil à compter les
+jours que j'avais encore à y rester. J'avais toujours _détesté_ Harrow
+jusqu'aux dix-huit derniers mois, mais dès ce moment je l'aimai. En
+second lieu je souhaitais d'aller à Oxford et non à Cambridge;
+troisièmement je me trouvais tellement isolé dans ce nouveau monde que
+je faillis en perdre la tête. Mes camarades n'étaient pourtant pas
+insociables: au contraire, ils avaient de la bonté, de la bienveillance,
+un rang, de la fortune, et une gaîté bien autre que la mienne. Je me
+joignais à eux, je dînais, je soupais, etc., dans leur compagnie; mais
+je ne sais comment j'éprouvais un sentiment le plus pénible, le plus
+mortel de ma vie, en pensant que je n'étais plus un enfant.»
+
+Il fut sans doute quelque tems à Cambridge en proie à cette espèce
+d'isolement; mais il n'était pas dans sa nature de rester long-tems sans
+aimer quelque chose, et l'amitié qu'il forma bientôt avec le jeune
+Eddleston, qui avait deux ans de moins que lui, surpassa même en
+vivacité romanesque toutes ses autres liaisons de collége. Les
+dispositions musicales de cet enfant furent l'occasion de leur intimité.
+Il était alors un des choristes de Cambridge, bien que par la suite il
+ait suivi une profession mercantile. Cette disconvenance de leur
+position respective n'était pas sans charme pour Byron: elle flattait en
+même tems son orgueil et son bon naturel, et établissait entre eux des
+rapports mutuels de protection d'un côté, de reconnaissance et de
+dévouement de l'autre; seuls rapports qui, suivant Bacon, soient la base
+du peu d'amitié qui reste encore sur la terre. Ce fut sur un don que lui
+avait fait Eddleston qu'il écrivit ces vers, intitulés _la Cornaline_,
+qui étaient imprimés dans son premier volume resté inédit; en voici une
+stance:
+
+ Quelques-uns souriant des liens qui nous unissent, m'ont
+ souvent reproché ma faiblesse; ce don léger a cependant le
+ plus grand prix à mes yeux, car, j'en suis sûr, je le tiens de
+ quelqu'un qui m'aime.
+
+Une autre liaison moins vive, commencée à Harrow, et continuée pendant
+sa première année de Cambridge, est ainsi mentionnée dans l'un de ses
+_journaux_:
+
+«Que mes pensées sont étranges! La lecture du chant de Milton, _belle
+Salvina_, m'a ramené, je ne sais comment ou pourquoi, aux jours les plus
+heureux peut-être de ma vie (toujours exceptés, de tems en tems,
+certains dimanches des deux derniers étés de Harrow). Je me retrouvais à
+Cambridge avec Edward Noël et Long, qui fut plus tard dans les gardes:
+Long, après avoir servi avec honneur dans l'expédition de Copenhague
+(qui laisse encore vivre deux ou trois mille goujats gras et bien
+payés), fut noyé en 1809, pendant son passage à Lisbonne avec son
+régiment dans le _Saint-George_, qui fut heurté la nuit par un autre
+vaisseau de transport. Nous étions des nageurs rivaux, également
+passionnés pour les chevaux, la lecture et les festins. Nous avions été
+ensemble à Harrow, mais _là_ du moins il n'était pas un esprit aussi
+intraitable que le mien; j'étais toujours alors le premier à la paume,
+dans les révoltes, les batailles, les parties, et tous les genres de
+désordres; il était, lui, beaucoup plus calme et mieux civilisé. Mais à
+Cambridge, soit que mon caractère s'adoucît ou que le sien prît plus de
+roideur, il est certain que nous devînmes grands amis. La description du
+siége de Sabrina me rappelle nos mutuels exploits de plongeur. Bien que
+le Cam n'offre pas une onde vraiment _transparente_, et que l'endroit où
+nous nous jetions eût quatorze pieds de profondeur, nous avions toujours
+soin, afin de mieux prouver nos avantages, de lancer avant nous des
+œufs, des pièces de vaisselle et même des shillings. Il y avait entre
+autres, et je m'en souviens bien, dans le lit de la rivière où nous nous
+baignions le plus ordinairement, une souche d'arbre autour de laquelle
+j'aimais à me glisser et à m'étonner comment diable je me trouvais là.
+
+«Le soir nous faisions de la musique, car il était musicien et savait
+tirer un égal parti de la flûte et du violoncelle. Je faisais partie de
+l'assistance et, si je ne me trompe, notre boisson de prédilection était
+alors de l'eau de soude. Le jour nous courions à cheval, nous nous
+baignions, nous causions, ou parfois prenions un livre. Je me rappelle
+l'avidité avec laquelle nous parcourûmes le nouvel in-quarto de Moore
+(en 1806); le soir nous le lisions ensemble. Nous ne fûmes réunis qu'un
+été. Long entra dans les gardes l'année que je passai à Nottingham, au
+sortir du collége. Son amitié, et de ma part un violent et cependant pur
+amour, étaient alors le roman de l'époque la plus romanesque de ma
+vie.....................................................................
+........................................................................
+
+«Je me souviens qu'au printems de 1809 H***[44] me plaisantait de la
+tristesse que m'avait causée la mort de Long, et s'amusait à faire des
+épigrammes sur son nom, qui prêtait aux jeux de mots, tels que _long,
+court_, etc.; mais il eut bien le tems de s'en repentir à trois ans de
+là, quand notre ami mutuel, et surtout le sien, Charles Matthews, se
+noya également, et qu'il put lui-même sentir combien mon affliction
+avait été légitime. Pour moi, je ne rétorquai pas ces piquans jeux de
+mots; je sentais trop tout ce que je perdais dans Matthews, et, ne
+l'eussé-je pas senti, j'aurais encore respecté sa douleur.
+
+ [Note 44: Sans doute Hobhouse.]
+
+«Le père de Long m'écrivit pour m'engager à faire l'épitaphe de son
+fils: je le promis, mais je n'eus pas la force de la composer. Il était
+de ces êtres bons et aimables qui ne demeurent guère dans ce monde, doué
+de tous les talens et de tous les avantages qui pouvaient mieux le faire
+regretter. Cependant, quoique bon compagnon, il avait parfois d'étranges
+accès de mélancolie; je me souviens qu'un jour, allant chez son oncle,
+je l'accompagnai jusqu'à la porte, c'était dans le haut ou le bas
+Grosvenor ou Brook street, je ne sais plus lequel, mais c'était sûrement
+dans une rue qui faisait suite à quelque place: il me dit que la nuit
+d'auparavant il avait pris un pistolet sans savoir ou regarder s'il
+était ou non chargé, et qu'il l'avait dirigé contre sa tête, laissant au
+hasard le soin de décider s'il partirait ou non. La lettre qu'il
+m'écrivit en passant du collége aux gardes, était encore aussi
+mélancolique qu'on pouvait le supposer en pareil cas: mais son maintien
+naturel ne révélait rien d'une pareille disposition; il était doux et
+prévenant, il avait même un grand penchant pour la gaîté. Nous étions
+fort liés à Harrow, et mainte fois nous y sommes retournés de Londres
+pour nous mieux livrer à nos souvenirs de collége.»
+
+Ces mémoires affectueux sont extraits d'un journal qu'il tenait à
+Ravenne pendant sa résidence dans cette ville, en 1821. Les
+circonstances pendant lesquelles ils étaient consignés, doivent nous les
+rendre encore plus touchans et plus remarquables. Il habitait une terre
+étrangère; il était même en rapport avec des conspirateurs étrangers,
+dont il cachait dans sa maison les armes au moment où il écrivait.
+Cependant il lui était possible de s'éloigner ainsi des scènes qui
+l'entouraient, et de reporter ses pensées sur le tems ancien, sur les
+amitiés perdues de son enfance. Un anglais, M. Wathen, qui le vit dans
+l'une des villes d'Italie, ayant eu l'occasion de mentionner, en lui
+parlant, qu'il avait eu des rapports d'amitié avec Long, le noble poète,
+dès ce moment, lui prodigua les témoignages d'une affection marquée. Il
+lui parlait fréquemment de Long et de ses bonnes qualités, jusqu'à ce
+que des pleurs, qu'il ne pouvait arrêter, lui couvrissent le visage.
+
+Il rejoignit sa mère à Southwell, suivant son habitude, durant l'été de
+1806, et c'est alors qu'il forma dans une société rare, mais choisie,
+quelques liens d'intimité dont on chérit encore avec orgueil le
+souvenir. Si l'on excepte le court intervalle qu'il passa, comme nous
+l'avons vu, dans la société de miss Chaworth, ce ne fut qu'à Southwell
+qu'il eut jamais l'occasion de profiter de la douce influence de la
+conversation des femmes et de comprendre que la sphère véritable de
+leurs vertus c'est leur intérieur. Il fut admis dans le cercle de
+l'aimable et spirituelle famille Pigot comme s'il en eût fait partie, et
+le jeune poète ne trouva pas seulement dans le révérend John Becher[45]
+un critique fin et judicieux, mais un ami sincère. Il eut encore une ou
+deux autres familles, comme les Leacroft, les Houson, près desquelles
+ses talens et la vivacité de son esprit furent toujours bienvenus; et la
+timidité orgueilleuse qui, pendant sa minorité, l'avait éloigné de toute
+relation avec les gentilshommes du voisinage, semble avoir disparu dans
+la petite et agréable société de Southwell. L'une de ses amies les plus
+intimes à cette époque m'a fourni les détails suivans, sur la manière
+dont elle fit sa connaissance:
+
+ [Note 45: Citoyen qui depuis s'est distingué d'une manière
+ honorable par ses plans philanthropiques sur l'important
+ objet de l'amélioration du sort des pauvres.]
+
+«La première fois que je le vis, ce fut à une réunion chez sa mère; et
+telle était sa timidité, qu'il fallut l'envoyer chercher trois fois
+avant de le décider à venir dans le salon, pour jouer avec les autres
+jeunes gens. C'était un enfant gras et embarrassé, portant les cheveux
+peignés sur le front, et ressemblant parfaitement à la miniature que sa
+mère avait fait peindre par M. de Chambruland. Le lendemain matin, Mrs.
+Byron l'ayant conduit chez nous, il conserva son extérieur timide et
+réservé. La conversation tomba sur Chettenham, les amusemens et le
+théâtre de cette ville, etc. Je rappelai que j'avais vu le rôle de
+Gabriel Lackbrain parfaitement bien rempli. Quand sa mère partit, il la
+suivit en nous faisant une grande inclination; pour moi, rappelant
+encore la pièce dont nous venions de parler, je lui dis: Bonjour,
+_Gaby_. Ces mots l'animèrent aussitôt, sa belle bouche s'ouvrit par un
+éclat de rire, toute sa retenue s'évanouit pour toujours; et quand sa
+mère lui répéta: Eh bien, Byron, êtes-vous prêt? il répondit que non,
+qu'elle pouvait s'en aller, et qu'il désirait rester un peu plus
+long-tems. À compter de là, il venait nous voir à toutes les heures du
+jour, et se considérait chez nous parfaitement comme chez lui.»
+
+C'est à cette dame que fut adressée la première lettre de lui qui soit
+tombée entre mes mains; il correspondait en même tems avec plusieurs de
+ses amis d'Harrow, avec lord Clare, lord Powerscourt, M. William Peel,
+M. William Bankes, et d'autres encore. Mais on prévoyait peu alors
+l'intérêt général qui se rattacherait un jour à ces lettres d'écoliers,
+et en conséquence, comme j'ai déjà eu l'occasion de m'en affliger, il
+n'en existe plus qu'un très-petit nombre. La lettre dont j'ai parlé, à
+son amie de Southwell, ne contient rien de remarquable; mais, peut-être,
+par cette raison-là même, mérite-t-elle d'être insérée, comme servant à
+montrer, par sa comparaison avec les suivantes, combien son esprit
+acquit rapidement de la confiance en lui-même. Il y a véritablement dans
+ses premiers manuscrits un charme pour les yeux de la curiosité, qu'ils
+perdent nécessairement dans leur forme imprimée; ils attestent
+évidemment une éducation peu suivie; l'écriture en est informe et
+enfantine; on trouve même, çà et là, de grosses fautes d'orthographe
+sous la plume de celui qui, quelques années plus tard, devait s'élancer
+comme l'un des géans de la littérature anglaise.
+
+
+
+
+LETTRE PREMIÈRE.
+
+À MISS ***.
+
+Burgage-Manor, 29 août 1804.
+
+
+«J'ai reçu les armes, ma chère miss, et je vous remercie beaucoup de la
+peine que vous avez prise. Il est impossible que je puisse y trouver le
+moindre défaut. La vue des peintures me charme pour deux raisons: la
+première, parce qu'elles serviront à orner mes livres, et la seconde
+parce qu'elles me prouvent que _vous_ ne m'avez pas encore entièrement
+_oublié_. Cependant je suis fâché que vous ne reveniez pas plus tôt.
+Voilà déjà un siècle que vous êtes partie. Peut-être partirai-je pour
+Londres avant que vous en sortiez, mais je ne l'espère pas. Vous ne
+pensez plus à mon cordon de montre, à ma bourse; je désire pourtant bien
+les avoir. Votre petite lettre me fut remise par Harry, au spectacle, où
+j'accompagnais miss L*** et le docteur S***, et je reviens à l'instant
+pour vous répondre avant de me coucher. Si je suis à Southwell quand
+vous y viendrez, et je désire sincèrement que ce soit bientôt, car je
+regrette beaucoup votre absence, je me fais une fête de vous entendre
+chanter mon air favori _la vierge de Lodi_. Ma mère se joint à moi pour
+vous prier de nous rappeler à l'affection de Mrs. Pigot, et croyez-moi,
+ma chère miss, votre affectionné ami:
+
+BYRON.
+
+«_P. S._ Si vous jugiez à propos de me répondre, je m'estimerais
+extrêmement heureux. Adieu.
+
+«2e _P. S._ Comme vous êtes, dites-vous, novice dans l'art de tricoter,
+j'espère que vous ne vous en occupez guère; allez lentement, mais
+sûrement. Adieu encore une fois.»
+
+Nous aurons souvent occasion de remarquer la constance que Lord Byron,
+d'ailleurs si versatile, manifesta toujours dans les goûts et les
+habitudes de sa jeunesse. La lettre que nous venons de citer rappelle
+deux de ses habitudes, qu'il conserva toute sa vie; savoir, son
+exactitude à répondre sur-le-champ aux lettres qu'il recevait, et sa
+passion pour la musique des plus simples ballades. L'un des chants qu'il
+avait alors le bon goût d'aimer le mieux était celui de _la Duenna_; et
+quelques-uns de ses contemporains de Harrow se rappellent encore la
+gaîté avec laquelle, lorsqu'il dînait au milieu de ses amis chez la
+fameuse mère Barnard, il entonnait ordinairement: _Ce vin est le soleil
+de notre table_. Son séjour à Southwell, pendant cet été, fut
+interrompu, vers le commencement d'août, par l'un de ces emportemens
+auxquels, dès son berceau, Mrs. Byron ne l'avait que trop accoutumé, et
+que lui-même, par son esprit intraitable, contribuait souvent à faire
+éclater. Dans les portraits qu'il trace de lui-même, le pinceau qu'il
+emploie est si noir qu'il faut, dans la suivante description de son
+caractère, extraite de ses _Mémoires_, faire une large part à
+l'exagération, comme l'exige son usage de _surcharger les ombres
+elles-mêmes_.
+
+«Du reste (il vient de mentionner son amour précoce pour Marie Duff), je
+ne différais en rien des autres enfans: je n'étais ni grand, ni petit;
+ni lourd, ni sémillant: j'étais de mon âge; ordinairement fort enjoué,
+excepté dans mes humeurs noires, car alors j'étais un vrai démon. Un
+jour, dans l'une de mes _rages silencieuses_, il fallut m'ôter un
+couteau que j'avais pris sur la table, pendant le dîner de Mrs. Byron
+(je dînais toujours avant elle), et dont j'allais me frapper la tête.
+Mais c'était à trois ou quatre ans de là, et peu de jours avant la mort
+du dernier lord Byron.
+
+«Mon naturel apparent a certainement gagné dans ces derniers tems; mais
+je frémis, et je regretterai jusqu'à ma dernière heure les conséquences
+funestes de ma violence et de mes passions. Un événement... mais peu
+importe... il en est d'autres auxquels il ne vaut guère mieux s'arrêter,
+et que pourtant je ferai connaître de préférence.
+
+«Mais je n'aime pas les parenthèses: mon naturel est maintenant plus
+retenu, rarement brusque; et quand il l'est, les suites n'en sont pas
+mortelles. C'est quand je me tais, et que je sens _pâlir_ mon front et
+mes joues, que je ne me connais plus; et alors.... mais, à moins qu'il
+n'y ait sur le tapis une femme (je ne dis pas quelque, ou toutes
+femmes), je ne sors pas d'une apathie très-supportable.»
+
+On conçoit qu'avec un caractère de ce genre et les accès violens de Mrs.
+Byron, le choc devait être formidable. L'âge auquel était parvenu notre
+poète, alors que l'impatience du frein s'empare de la jeunesse, devait
+rendre ces occasions plus fréquentes. On rapporte comme une preuve de la
+conviction qu'ils avaient de leur mutuelle violence, qu'un jour, s'étant
+quittés à la suite d'une scène du même genre, on sut que tous deux
+s'étaient rendus en particulier, le soir même, chez l'apothicaire,
+demandant, avec une inquiétude alternative, si l'autre n'avait pas
+acheté du poison, et avertissant le droguiste de ne pas en donner dans
+le cas où il se présenterait.
+
+Toutefois le jeune Lord prenait rarement une part active dans ces
+orages. Aux éclats de sa mère il opposait un silence poli, et, par cela
+même, provocateur; s'inclinant avec l'apparence du plus profond respect
+à mesure que la voix maternelle augmentait d'intensité. Mais en général,
+quand il prévoyait une tempête, il cherchait son salut dans la fuite; et
+c'est à ce dernier expédient qu'il avait eu recours à l'époque où nous
+sommes arrivés. Mais auparavant une scène avait eu lieu entre lui et
+Mrs. Byron, dans laquelle la violence de cette dernière l'avait portée à
+des extrémités qui, malgré leur outrageuse inconvenance, n'étaient pas
+rares avec elle. Le poète Young, décrivant un caractère de cette espèce,
+dit:
+
+ «Les tasses et les soucoupes tourbillonnent dans l'air, pour
+ avertir que la dame est mécontente.»
+
+En pareil cas, Mrs. Byron préférait les pelles et pincettes, et plus
+d'une fois elle les lança bruyamment sur son enfant fugitif. Cette
+dernière fois, il n'eut que le tems d'éviter l'atteinte de la première
+de ces armes, et de se réfugier à la hâte chez un de ses amis dans le
+voisinage; là, ayant concerté le plus sûr moyen de déjouer les
+poursuites, il ne tarda pas à s'enfuir à Londres. Les lettres que je
+vais transcrire furent adressées, immédiatement après son arrivée, à
+quelques amis de Southwell, dont la bienveillante intervention, dans
+cette circonstance, nous permet de croire qu'il n'avait pas à se
+reprocher les torts de cet esclandre. La première est adressée à M.
+Pigot, jeune homme de son âge, qui venait d'arriver, à l'occasion des
+vacances, d'Édimbourg, où il suivait alors ses études médicales.
+
+
+
+
+LETTRE II.
+
+À M. PIGOT.
+
+Piccadilly, 9 août 1806.
+
+
+«MON CHER PIGOT,
+
+«Mille remercîmens pour votre piquant récit des derniers procédés de mon
+_aimable Alecto_, qui maintenant enfin commence à voir les suites de sa
+folie. Je viens de recevoir une épître pénitentiaire, à laquelle j'ai
+répondu modérément, avec une sorte de promesse de revenir dans une
+quinzaine: ce que toutefois, entre nous, je ne compte pas faire. Son
+_charmant ramage_ doit avoir ravi ses auditeurs; car ses hautes notes
+sont parfaitement musicales: elles doivent faire un très-bel effet
+pendant un beau clair de lune. Si j'avais été l'un des spectateurs, rien
+ne m'aurait fait plus de plaisir; mais figurer dans la pièce comme l'un
+des acteurs, saint Dominique m'en préserve! Sérieusement, j'ai de
+grandes obligations à votre mère; et vous, ainsi que toute votre
+famille, méritez tous mes remercîmens pour avoir si bien contribué à mon
+évasion des mains de Mrs. Byron _furiosa_.
+
+«Oh! que n'ai-je la plume d'Arioste pour reproduire en style d'épopée
+les _cris_ de cette _terrible soirée_, ou plutôt laissez-moi invoquer
+l'ombre du Dante, car il n'y a que l'auteur de l'enfer qui puisse
+convenablement répondre à un tel projet. Mais peut-être, à défaut de la
+plume, pouvons-nous recourir au pinceau. Quel groupe! Mrs. Byron, figure
+principale; vous, emplissant vos oreilles de coton comme le seul remède
+à une surdité totale; Mrs. *** s'efforçant vainement de calmer la rage
+de la lionne privée de son nourrisson, et enfin Élisabeth et Wousky,
+prodigieux à raconter! tous deux spoliés de leur partie de langue, et
+formant le dernier plan avec leur muette surprise. Comment S. B. a-t-il
+appris tout cela? Quelles _pointes_ il a dû faire sur un aussi bouffon
+sujet! Apprenez-moi tout cela dans votre suivante, et comment vous vous
+êtes excusé auprès de A. Sans doute vous êtes maintenant las de
+déchiffrer mes caractères hiéroglyphiques, et comme Tony Lumpkil[46],
+vous me traitez de main maudite et sautillante. Je ne doute pas que tout
+Southwell ne soit scandalisé. À propos, comment va ma nonne aux yeux
+bleus, la belle ***? Est-elle _enveloppée dans la noire tunique de la
+douleur_? Je resterai ici au moins huit à dix jours, vous recevrez mon
+adresse avant mon départ; mais je ne sais encore laquelle. Il faut que
+Mrs. Byron ignore ma retraite; vous pouvez lui offrir mes complimens et
+lui protester que toutes poursuites seraient inutiles, attendu que je me
+suis mis en mesure de gagner Portsmouth à la première nouvelle de son
+départ de Southwell. Vous pouvez ajouter que je suis maintenant à la
+campagne, chez un ami, où je resterai une quinzaine.
+
+ [Note 46: Dans la comédie de la Coquette (_She stoops to
+ Conquer_.)]
+
+«Je viens de barbouiller (je ne dis pas écrire) une feuille de papier
+double, et j'attends en réponse un _énorme budget_. Sans doute les dames
+de Southwell condamnent l'exemple dangereux que j'ai donné; elles
+tremblent que leurs bambins ne leur obéissent plus et ne quittent au
+moindre dépit leurs tendres mamans. Adieu. Quand vous commencerez vos
+lettres, rayez, s'il vous plaît, la _seigneurie_, et mettez à la place
+Byron. Croyez-moi votre, etc.»
+
+BYRON.
+
+On va voir par la lettre suivante que la _lionne_ n'était pas en arrière
+de son fils pour l'énergie et la résolution, et qu'aussitôt après la
+fuite de ce dernier elle avait envoyé après lui.
+
+
+
+
+LETTRE III.
+
+À MISS PIGOT.
+
+Londres, 10 août 1806.
+
+
+MA CHÈRE BRIGITTE,
+
+«J'ai déjà ennuyé votre frère de plus de griffonnage qu'il n'en pourra
+déchiffrer; c'est à vous maintenant que je donne la pénible charge de
+parcourir cette deuxième épître. Vous avez vu par la première, que je
+n'avais pas, en l'écrivant, la moindre fâcheuse idée de l'arrivée de
+Mrs. Byron; il n'en est plus de même: la vue d'un billet de la _cause
+illustre_ de mon _décampement soudain_ vient d'enlever _le rubis naturel
+de mes joues_, et de blanchir subitement ma déplorable figure. Le
+foudroyant avis de son arrivée (maudite soit son activité!) est
+cependant moins terrible que vous ne l'imaginez, sans doute, du
+tempérament volcanique de sa _seigneurie_. Il se termine par l'assurance
+flatteuse de l'impossibilité dans laquelle elle se trouve de faire
+présentement un pas, grâce à la fatigue du voyage, aux mauvaises routes,
+mille fois bénies, et aux quadrupèdes rétifs de la poste royale. Comme
+je ne me sens aucun entraînement à recevoir la chasse en plaine, je
+ferai de nécessité vertu; et puisque, semblable à Macbeth, _ils mont lié
+au poteau, je ne puis fuir_, j'imiterai ce courageux tyran, et, comme
+l'ours, je combattrai de pied ferme. Je puis à présent engager la lutte
+avec moins de désavantage, ayant tiré l'ennemi de ses retranchemens,
+bien qu'au hasard de me faire casser la tête, comme le modèle auquel je
+viens de me comparer. Quoi qu'il en soit, _frappe, Macduff, et maudit
+qui le premier criera: Assez!_
+
+»Je resterai dans la ville encore au moins une semaine, et j'espère
+avant ce tems recevoir de vos nouvelles. Je suppose que l'imprimeur vous
+a donné les résultats de ma _Métromanie_. Ayez soin de lire au premier
+vers: «Les vents soufflent _longuement_,» au lieu de _rondement_, comme
+l'a copié, par méprise, ce butor de Ridge, ce qui rend absurde toute la
+strophe. _Addio_. Maintenant je vais me préparer au choc de mon _Hydre_.
+
+»Tout à vous.»
+
+
+
+
+LETTRE IV.
+
+À M. PIGOT.
+
+Londres, dimanche à minuit, 10 août 1806.
+
+
+CHER PIGOT,
+
+«Cet effrayant paquet va sans doute vous épouvanter; mais ce soir ayant
+une heure de loisir, je l'ai employé à écrire les stances ci-incluses,
+que je vous prie d'envoyer à Ridge pour qu'il les imprime _à part_ de
+mes autres poèmes; car vous sentirez qu'il serait inconvenant de les
+offrir aux dames, et que par conséquent aucune femme ne doit les voir
+dans votre famille. Mille pardons de la peine que je vous donne cette
+fois-ci et tant d'autres.
+
+»Votre dévoué.»
+
+
+
+
+LETTRE V.
+
+À M. PIGOT.
+
+Piccadilly, 16 août 1806.
+
+
+«Je ne puis pas dire précisément comme César, _veni, vidi, vici_:
+pourtant je pourrais m'appliquer la part la plus importante de sa lettre
+laconique; car bien que Mrs. Byron ait prit la peine de _venir_ et de
+voir, votre humble serviteur a vaincu. Après un engagement sérieux de
+quelques heures, dans lequel la vivacité du feu de l'ennemi nous a fait
+éprouver une perte considérable, nous avons fini par l'obliger à se
+retirer en désordre, abandonnant son artillerie, son train et quelques
+prisonniers: cette victoire est décisive pour la campagne actuelle.
+Parlons maintenant plus clairement: Mrs. Byron va repartir, mais je me
+dirige moi-même, avec tous mes lauriers, vers Worthing, sur la côte de
+Sussex; et c'est là que vous m'adresserez (poste restante) votre
+première lettre. Le deuxième carillon de vers que j'enferme sous cette
+enveloppe vous donnera sans doute une haute idée des vertus prolifiques
+de ma muse; mais il y a plusieurs années que je les ai composés, et
+c'est par hasard que je les ai retrouvés mardi, au milieu de vieux
+papiers. Je les ai aussitôt recopiés, avec la date qui leur appartient,
+et je désire qu'on les imprime avec le reste de la famille. Je
+m'attendais bien à vous voir, sur les derniers venus, les mêmes
+sentimens que moi; mais comme les _faits_ étaient réels, il était
+impossible de rien changer à leur allure. Je ne resterai pas à Worthing
+plus de trois semaines, et il serait possible que vous me vissiez à
+Southwell vers le milieu de septembre..................................
+.......................................................................
+
+»Voulez-vous prier Ridge de suspendre l'impression de mes poésies
+jusqu'à nouvel avis de ma part? j'ai résolu de leur donner une forme
+entièrement nouvelle: cette suspension ne regarde pas les deux dernières
+pièces que j'ai jointes à mes lettres pour vous. Excusez le vide de
+cette lettre, ma tête est dans ce moment-ci un chaos d'idées absurdes,
+d'affaires, de plans et de préparatifs.
+
+»J'attends une réponse avec impatience; rien, dans ce moment, veuillez
+le croire, ne me ferait plus de plaisir qu'une lettre de vous.»
+
+
+
+
+LETTRE VI.
+
+À M. PIGOT.
+
+Londres, 18 août 1806.
+
+
+«Je suis précisément sur le point de partir pour Worthing, et je vous
+écris uniquement pour vous prier de faire partir sur-le-champ ce
+paresseux drôle de Charles avec mes chevaux. Dites-lui que je suis fort
+mécontent de ne l'avoir pas encore vu, ni reçu avis de la cause de son
+retard, surtout lui ayant fourni l'argent nécessaire pour son voyage.
+Qu'il ait soin de ne pas remettre d'un jour son départ, sous aucun
+prétexte; et, si pour obéir aux _caprices_ de Mrs. Byron (qui, je le
+présume, continue toujours à tourmenter sa petite monarchie), il jugeait
+à propos de ne pas suivre mes ordres positifs, il ne doit plus à
+l'avenir se considérer comme à mon service. Il m'apportera la note du
+chirurgien, et je l'acquitterai dès que je l'aurai reçue. Je ne puis non
+plus concevoir qu'il n'ait pas averti Frank du triste état de mes
+chevaux. Cher Pigot, pardonnez-moi ces brusques confidences, vous devez
+les attribuer à la mauvaise conduite de ce _précieux maraud_, qui, au
+lieu de suivre mes ordres, promène sa paresse dans les rues de ce
+pandémonium politique, Nottingham. Rappelez-moi à votre famille et aux
+Leacroft, et croyez-moi, etc.
+
+»_P. S._ Je vous charge du soin désagréable de presser son voyage, en
+dépit même des ordres de Mrs. Byron: il devra d'abord se rendre à
+Londres, et de là à Worthing, sans retard: C'est à Londres qu'il faut
+envoyer tout ce que j'ai laissé; vous y adresserez également mes
+poésies, sans même en réserver une copie pour vous et votre sœur,
+attendu que je veux leur donner une tout autre forme. Quand elles seront
+prêtes, vous en aurez les prémices. Il ne faut pas, sous aucun prétexte,
+que Mrs. Byron les _voie_ ou les touche. Adieu.»
+
+
+
+
+LETTRE VII.
+
+À M. PIGOT.
+
+Little-Hampton, 26 août 1806.
+
+
+«J'ai reçu ce matin votre lettre, qu'il m'a fallu envoyer chercher à
+Worthing, que je viens de quitter pour cet endroit, situé à huit milles
+du premier, et sur la même côte. Vous serez sans doute content de
+recevoir cette lettre, quand vous y aurez vu que je suis plus riche de
+trente mille livres qu'à notre départ: je viens de recevoir de mon
+avocat l'avis du gain d'une cause aux assises de Lancastre[47], par
+lequel je me trouve gratifié de cette somme pour le tems de ma majorité.
+Mrs. Byron est, sans doute, instruite de ce surcroît de propriété, mais
+elle n'en connaît pas la _valeur_ exacte, et il serait bon qu'elle
+continuât à l'ignorer, car sa conduite, dès qu'elle reçoit quelque
+nouvelle favorable, est, s'il est possible, plus ridicule que sa
+détestable habitude de s'affecter des plus légers contre-tems. Vous lui
+ferez mes complimens, et lui direz qu'une seule chose peut prolonger mon
+absence, c'est l'arrêt qu'elle a mis sur les effets de mon domestique: à
+moins qu'elle ne les fasse immédiatement partir pour Piccadilly, avec
+ceux qui m'appartiennent, et qu'elle a si long-tems retenus, elle ne
+verra pas de sitôt ma radieuse figure illuminer son obscure demeure;
+mais si elle les envoie, je reviendrai probablement avant deux ans, à
+partir de la date de cette épître.
+
+ [Note 47: Dans un procès entrepris pour rentrer dans la
+ propriété de Rochdale.]
+
+«Votre compliment poétique est une précieuse récompense de mes préludes;
+vous êtes du petit nombre des favoris d'Apollon qui cultivent toutes les
+sciences auxquelles préside votre divinité. Je désire que vous adressiez
+de suite mes poésies à mon hôtel, à Londres; j'y veux faire plusieurs
+changemens et quelques additions: il faut envoyer toutes les copies que
+vous en aurez; décidé, comme je suis, à perfectionner le tout, et à vous
+les représenter dans toute leur gloire. Vous les avez, je l'espère,
+retirées des mains de ce _triple Upas_, de cet antipode des arts, Mrs.
+Byron. Entre nous, vous pouvez compter me voir bientôt. Adieu. Tout à
+vous.»
+
+On peut voir par ces lettres que Lord Byron songeait déjà à préparer
+l'impression de ses poésies. L'idée de les publier s'offrit à lui, pour
+la première fois, dans une maisonnette qu'il avait adoptée pour demeure
+pendant ses visites à Southwell. Miss Pigot, qui auparavant ignorait son
+goût pour la versification, lisait un jour devant lui les poésies de
+Burns; tout-à-coup le jeune Byron lui dit que lui aussi était parfois
+poète, et qu'il allait lui écrire quelques vers de ceux qu'il pouvait se
+rappeler. Aussitôt il écrivit au crayon ceux qui commencent par
+_j'espérais vivement être uni à toi_, qui se trouvent imprimés, mais
+seulement dans le volume qui n'a pas été publié; il lui récita encore
+les vers dont j'ai déjà parlé, _dans la salle, quand la voix de mes
+pères_, etc., pièce si remarquable par la prédiction qu'elle contient de
+son illustration future.
+
+Depuis ce moment; il fut tout au désir de se voir imprimé; cependant son
+ambition se bornait encore à faire circuler parmi ses amis un petit
+volume. Celui qui eut l'honneur de recevoir son premier manuscrit fut
+Ridge, libraire à Newark; et, durant l'impression, le jeune auteur
+continuait à lui envoyer de nouvelles pièces avec tout l'empressement et
+toute la rapidité qu'il mit toujours dans ses autres compositions.
+
+Il ne fut pas long-tems sans revenir à Southwell, comme il l'avait
+annoncé dans la dernière lettre que nous avons donnée; il en repartit
+encore au bout d'une ou deux semaines, pour accompagner son jeune ami
+Pigot jusqu'à Harrowgate. Nous empruntons les extraits suivans à une
+lettre écrite dans le même tems, par ce dernier, à sa sœur. «Il y a
+encore beaucoup de monde à Harrowgate, aujourd'hui vendredi; nous avons
+un bal, je songe à y paraître pendant une heure, bien que je ne sois
+guère curieux de figures inconnues. Lord Byron, vous le savez, est
+encore plus timide que moi; cependant je ferai ce soir un effort...
+Comment vont nos rôles de théâtre? Lord Byron sait tout le sien, et moi
+la plus grande partie du mien: il est certain qu'il le joue d'une
+manière inimitable; il _poétise_ en ce moment, et depuis que nous sommes
+arrivés il a fait quelques vers vraiment jolis[48]. Il a la bonté de
+tout faire pour m'amuser autant que possible, mais il n'est pas dans mon
+naturel d'être heureux hors de la société des femmes ou de l'étude... Il
+y a dans les environs plusieurs promenades agréables; je les ai
+parcourues avec Boatswain, qui fait, ainsi que Brighton[49],
+l'admiration universelle. Vous lirez cela à Mrs. Byron, car c'est un peu
+dans le style de _Tony Lumpkin_. Lord Byron veut que je lui garde un peu
+de place; c'est pourquoi, croyez-moi avec le respect dû à tous les
+comédiens élus, etc., etc.»
+
+ [Note 48: La pièce _à une belle Quaker_, de son premier
+ volume, fut écrite à Harrowgate.]
+
+ [Note 49: Cheval de Lord Byron; il en avait encore un autre
+ alors appelé Sultan.]
+
+À cette note étaient joints les mots suivans de Lord Byron.
+
+«MA CHÈRE BRIGITTE,
+
+«Je descends un instant de mon Pégase, ce qui m'empêche d'avoir
+long-tems recours à la vile prose dans l'épître que j'adresse à votre
+_beauté_. Vous regrettez, dans une lettre précédente, que mes poésies ne
+soient pas plus étendues; je vous apprends donc, pour votre
+satisfaction, qu'elles sont maintenant presque doublées, soit par la
+découverte de quelques pièces regardées comme perdues, soit par l'effet
+de nouvelles inspirations. Nous nous reverrons mercredi prochain;
+jusqu'alors, croyez-moi votre affectionné,
+
+BYRON.
+
+»_P. S._ Votre frère Jean est possédé d'une manie poétique, il rime
+maintenant à raison de trois lignes par heure; ce que c'est que
+l'inspiration! Adieu.»
+
+Grâce à la personne qui était alors le compagnon, l'ami intime de Lord
+Byron, et qui maintenant exerce sa profession avec tout le succès que
+méritent ses talens distingués, j'ai été initié dans quelques autres
+particularités de leur commune visite à Harrowgate: on me permettra
+d'employer, pour en faire part, ses propres expressions:
+
+«Vous me demandez de rappeler quelques anecdotes du tems que nous
+passâmes ensemble à Harrowgate, pendant l'été de 1806, et à notre retour
+du collége, lui de Cambridge, moi d'Édimbourg; mais tant d'années se
+sont écoulées depuis, que je n'entrevois plus ce voyage que comme un
+songe lointain. Nous partîmes, je m'en souviens bien, dans la voiture de
+Lord Byron, traînée par des chevaux de poste: il avait fait partir son
+_groom_ avec deux chevaux de selle et un superbe et féroce boul-dogue
+appelé Nelson. Quant à Boatswain[50], il nous suivait, à côté de Frank,
+sur le coffre de la voiture. Le boul-dogue Nelson portait une muselière;
+mais cependant quelquefois il entrait dans notre appartement sans cette
+précaution, à mon grand ennui, bien que lui et son maître fussent
+enchantés de mettre tout en désordre dans la salle. Il y avait toujours
+un fonds de jalousie haineuse entre ce Nelson et Boatswain; et chaque
+fois que celui-ci rencontrait l'autre dans la chambre, ils en venaient
+aussitôt aux prises. Alors Byron, moi-même, Frank et tous ceux qui se
+trouvaient là, travaillions de toutes nos forces à les séparer: ce que
+nous n'obtenions guère qu'en leur jetant dans la gueule la pelle et les
+pincettes. Mais un jour Nelson s'échappa par malheur de la salle,
+démuselé; il s'élança dans l'écurie, se jeta au cou d'un cheval, et ce
+fut inutilement qu'on voulut lui faire lâcher prise. Les valets
+d'écurie, alarmés, coururent chercher Frank, qui prenant un pistolet de
+Wogdon, que son maître tenait toujours chargé dans sa chambre, le tira
+dans la tête du pauvre Nelson. Lord Byron en eut le plus grand regret.
+
+ [Note 50: Chien favori pour lequel Lord Byron fit dans la
+ suite la fameuse épitaphe.]
+
+«Nous habitions l'_hôtel de la Couronne_, au bas de Harrowgate. Nous
+dînions toujours dans la salle commune, mais aussitôt après nous nous
+retirions, car Byron n'aimait guère à boire plus que moi. Nous vivions
+retirés et faisions peu de connaissances, car il était _vraiment_
+timide, ce qu'on prenait pour de l'orgueil quand on ne le connaissait
+pas. Nous rencontrâmes par hasard le professeur Hailstone de Cambridge,
+ce qui parut lui faire grand plaisir. Le professeur habitait le haut
+Harrowgate; nous allâmes le prendre un soir pour aller au spectacle, et
+une autre fois Lord Byron lui envoya son équipage pour le conduire à un
+certain bal de Granby. Cet empressement à faire un accueil à l'un de ses
+professeurs prouve, en dépit de son penchant à critiquer l'éducation
+universitaire et à exagérer les défauts de la vieille discipline à
+laquelle on soumet les sous-gradués, qu'il avait cependant l'habitude de
+témoigner son respect aux personnes qui l'exerçaient. Je l'ai toujours
+entendu parler avec les plus grands éloges de Hailstone, aussi bien que
+de Bishop, Mansel du collége de la Trinité, et d'autres encore dont j'ai
+oublié le nom.
+
+»Peu de gens appréciaient Lord Byron, mais je sais que son cœur était
+naturellement bienveillant et sensible, et qu'il n'avait pas le plus
+petit mélange de méchanceté dans le caractère[51].»
+
+ [Note 51: Lord Byron et le docteur Pigot s'écrivirent encore
+ pendant quelque tems, mais ils ne se virent plus jamais à
+ compter de leur départ de Harrowgate, l'automne suivant.]
+
+On voit, par ses lettres de Harrowgate, qu'il songeait à organiser un
+théâtre; il s'en occupa aussitôt après son retour à Southwell, et ce fut
+pour lui une source infinie de plaisirs. On peut juger, par le fragment
+d'une lettre adressée à son compagnon, avec quelle impatience toutes les
+personnes chargées d'un rôle attendaient son retour:
+
+«Dites à Lord Byron, si quelque accident retardait son retour, que sa
+mère souhaite qu'il lui écrive; et combien elle serait malheureuse s'il
+ne se montrait pas au jour fixé. M. Wil. Banks a écrit à Mrs. H. pour
+lui offrir le rôle de _Henry Woodville_. M. et Mrs. *** n'approuvent pas
+que leur fils soit l'un des acteurs; mais je crois qu'il ne persistera
+pas moins. M. G. W. dit que, pour ne pas faire manquer la partie, il
+prendrait plutôt, pour nous obliger, un emploi, comme de chanter, de
+danser, ou enfin quelque autre chose. Il n'y a rien à faire jusqu'au
+retour de Lord Byron, et réellement il ne faut pas qu'il revienne plus
+tard que mercredi ou jeudi.»
+
+Nous avons déjà vu qu'à Harrow, le seul point qui le distinguât de ses
+condisciples était son talent pour la déclamation. Il revient avec une
+évidente satisfaction sur ses succès de collége et sur la part qu'il
+prenait à ces représentations de Southwell:
+
+«J'étais, dans ma jeunesse, considéré comme un bon acteur, outre les
+exercices de Harrow, dans lesquels je brillais. Je remplis, en 1806,
+pendant trois soirées consécutives, sur quelques théâtres particuliers
+de Southwell, le rôle de Penruddock, dans _la Roue de Fortune_, et celui
+de Tristram Fickle dans la farce de _la Girouette_, par Allingham. J'y
+recueillis les plus vifs applaudissemens. Le prologue, fait à l'occasion
+de notre réunion comique, était de ma composition. Quant aux autres
+acteurs, c'étaient de jeunes dames et des personnes du voisinage. Notre
+auditoire bienveillant parut complètement satisfait de nous.»
+
+Peut-être ici ne sera-t-il pas inutile de remarquer qu'en remplissant
+deux rôles opposés avec un égal succès, le jeune poète développait
+dès-lors cet amour et cette puissance de contraste qui, plus tard, le
+signalèrent dans le monde et sur un plus grand théâtre sous des aspects
+si divers. La morosité de Penruddock et la causticité de Tristram sont
+en effet deux types auxquels semblent se rapporter toutes les
+singularités de son caractère postérieur.
+
+Ces représentations forment une ère mémorable à Southwell; elles eurent
+lieu sur la fin de septembre, dans la maison de M. Leacroft, dont
+l'antichambre fut, pour cet effet, transformée en salle de spectacle, et
+dont la famille remplissait quelques-uns des plus beaux rôles. Le
+prologue, que l'on peut lire dans ses _Heures d'oisiveté_, fut composé
+par Lord Byron, en voiture et sur la route d'Harrowgate. En montant dans
+la chaise, à Chesterfield, il dit à son compagnon de voyage: «Pigot, je
+vais tramer un prologue pour notre représentation,» et avant de gagner
+Mansfield il avait achevé son travail, n'ayant qu'une seule fois
+interrompu sa versifiante rêverie pour demander la prononciation précise
+du mot français _début_; quand on la lui dit, il s'écria avec
+l'enthousiasme de Byshe: «Bien! ce sera pour rimer avec _new_.»
+
+L'épilogue fut dans cette occasion composé par M. Becher; c'était, pour
+donner à Lord Byron l'occasion de développer ses talens comiques, une
+réunion de gais portraits de toutes les personnes qui avaient pris part
+à cette représentation. Mais on avait eu, dans les coulisses, quelque
+indice de ce projet; soudain la crainte du ridicule répandit l'alarme
+chez tous les acteurs, et, pour les rassurer, l'auteur se vit obligé de
+promettre que, si après la répétition ils venaient à en condamner les
+traits, il le retirerait de bonne grâce. Cependant Lord Byron et lui
+convinrent de répéter les vers devant leurs camarades, dans un ton aussi
+innocent et aussi inoffensif que possible, réservant pour le soir de la
+représentation le jeu de pantomime qui faisait tout le sel de la
+plaisanterie. L'effet désiré fut produit; tous les acteurs satisfaits
+témoignèrent leur étonnement de ce qu'on avait pu soupçonner
+l'inconvenance d'un ouvrage aussi estimable. Mais leur surprise fut
+d'une nature tout-à-fait différente, quand ils entendirent, le
+lendemain, les bruyans éclats de rire de l'auditoire; et quand ils
+virent le tour que leur avait joué Lord Byron, ils n'eurent d'autre
+ressource que de joindre leurs rires à ceux que l'imitation de leurs
+traits excitait dans l'assemblée.
+
+Ce fut au mois de novembre que le petit volume de poésies, dont il
+s'occupait depuis quelque tems, fut lancé dans le cercle étroit auquel
+il était destiné. M. Becher en reçut le premier exemplaire[52].
+L'ascendant que son amour pour la poésie, son esprit juste et sociable,
+lui donnaient dans ce tems sur Lord Byron, lui permettait fréquemment de
+diriger le goût de son jeune ami, autant en matière de conduite que de
+littérature. Je citerai un exemple de la puissance de cet ascendant; il
+prouvera que le caractère de Byron était loin d'être intraitable, et que
+s'il avait eu plus souvent le bonheur de tomber dans des mains _habiles
+à toucher cet instrument_, elles en eussent tiré une expression douce
+aussi bien qu'énergique.
+
+ [Note 52: Il ne reste de cette édition in quarto, composée
+ d'un petit nombre de feuilles, que deux ou trois copies.]
+
+À l'instant de marquer ainsi sa place dans la littérature légère du
+jour, il était naturel que Lord Byron revînt avec plaisir sur les
+ouvrages qui semblaient le plus en harmonie avec sa jeunesse et son
+caractère. On dit que ses livres favoris étaient alors le Camoëns de
+lord Strangford et les poèmes de Little[53]; souvent son respectable ami
+lui avait justement reproché ce goût particulier; il lui représentait
+avec raison (du moins quant au dernier de ces deux auteurs), combien il
+lui était facile de trouver dans les vieilles illustrations littéraires
+de l'Angleterre de plus sûrs modèles de pensées et de style. Au lieu de
+perdre son tems sur les productions éphémères de ses contemporains, que
+n'étudiait-il les pages de Milton et de Shakspeare, et surtout que ne
+songeait-il à élever son imagination et son jugement par la
+contemplation des plus sublimes beautés de la Bible? Mais quant à ce
+dernier point, M. Becher reconnut que Lord Byron avait prévenu depuis
+long-tems ses avis, et qu'il avait une profonde connaissance des beautés
+de l'Écriture sainte. Cette circonstance fortifie encore le compte rendu
+par son premier maître, le docteur Glennie, de ses grands progrès dans
+les livres sacrés lorsqu'il n'était encore qu'un enfant.
+
+ [Note 53: On sait que Thomas Moore s'était caché sous ce nom
+ dans ses premières poésies érotiques.
+ (_Note du Tr._)]
+
+M. Becher, comme je l'ai dit, reçut le premier exemplaire de son livre;
+en le parcourant, et parmi plusieurs pièces dignes d'admiration, d'éloge
+ou de critique, il trouva un poème dans lequel le jeune auteur avait
+répandu une indécence de coloris, que ne pouvait pas même rendre
+excusable sa grande jeunesse. Aussitôt, et pour lui exprimer son opinion
+d'une manière plus courtoise, il fit et adressa à Lord Byron sur ce
+sujet une supplique rimée à laquelle le noble poète fit sur-le-champ une
+réponse également en vers; il y joignit une note en prose pour lui dire
+qu'il sentait parfaitement la justice de sa critique amicale, et qu'en
+conséquence plutôt que de laisser circuler le poème en question, il en
+retirerait toutes les copies qu'il avait pu déjà distribuer, et
+annullerait l'impression entière. Ce sacrifice fut fait le soir même; Mr
+Becher vit brûler toutes les copies de cette édition, à l'exception de
+celle qu'il avait reçue, et une autre qui, envoyée à Édimbourg, ne fut
+pas rendue.
+
+Ce trait du jeune poète parle assez haut en sa faveur; cette docilité
+ingénue, cette sensibilité, attestent un naturel capable de respecter et
+d'aimer tout ce qu'il y a de respectable au monde. Les sentimens qui lui
+dictèrent, vers ce tems, la lettre suivante, ne portent pas un caractère
+moins aimable; il est impossible de la parcourir sans reconnaître dans
+l'écrivain une noble candeur et une véritable sincérité.
+
+
+
+
+LETTRE VIII.
+
+AU COMTE DE CLARE.
+
+Southwell Nottes, 6 février 1807.
+
+
+MON TRÈS-CHER CLARE,
+
+«Si je voulais justifier ou du moins pallier ma négligence, vous
+pourriez dire qu'au lieu d'une lettre vous avez reçu un placet surchargé
+de prières à fin de pardon; j'aime mieux en un seul mot avouer mes
+crimes, et me confier à votre affection et à votre générosité plutôt
+qu'à mes protestations. Ma santé n'est pas entièrement rétablie:
+cependant je suis hors de tout danger, et j'ai repris toutes mes forces,
+si ce n'est celles de l'esprit fort susceptibles par elles-mêmes
+d'affaiblissement. Vous serez étonné d'apprendre que j'aie dernièrement
+écrit à Delaware pour lui expliquer (autant que possible sans
+compromettre quelques-uns de _mes vieux_ amis) les motifs de ma conduite
+à son égard pendant ma dernière résidence à Harrow (il y a deux ans de
+cela), laquelle, si vous vous rappelez, était extrêmement _en
+cavalier_[54]. Depuis j'ai découvert qu'il avait été injustement traité
+et par ceux qui avaient accusé ses procédés et par moi-même qui avais
+cru leur suggestion. En conséquence, je lui ai fait toutes les
+réparations possibles en expliquant ma méprise, sans toutefois grande
+espérance de le persuader: véritablement je n'attendais pas de réponse,
+tout en désirant qu'elle m'arrivât pour la forme; elle ne l'est pas
+encore, et sans doute elle ne viendra pas. Mais j'éprouve du bien-aise
+intérieurement de mon procédé, assez humiliant d'ailleurs pour les gens
+de ma nature; et je n'aurais pu dormir tranquille avec l'idée d'avoir,
+_même involontairement_, fait injure à quelqu'un. J'ai, autant qu'il
+m'était possible, réparé cette injure, et là doit se terminer l'affaire.
+Que nous revenions ou non à notre ancienne intimité, c'est une chose
+d'ailleurs fort secondaire.
+
+ [Note 54: On voit que Lord Byron, peu familiarisé avec la
+ langue française, prend ici l'expression _en cavalier_, pour
+ synonyme de celle de _cavalière_.]
+
+»Je viens de passer le tems au milieu de soins divers; j'ai fait
+condamner à _l'exportation_ un domestique[55] qui me volait, chose en
+elle-même fort désagréable; j'ai joué sur un théâtre de société; j'ai
+publié un volume de poésies (à la demande et à l'unique usage de mes
+amis); j'ai fait l'amour; j'ai pris médecine. Ces deux derniers
+amusemens n'ont pas eu _dans le monde_ un excellent effet; d'un côté mes
+attentions se partagèrent entre tant de belles _demoiselles_, et de
+l'autre les drogues qu'on me fit avaler étaient d'une vertu si
+compliquée, qu'entre Vénus et Esculape je me suis trouvé mortellement
+harassé. J'ai pourtant assez de loisir pour consacrer quelques heures
+aux souvenirs du passé, pour regretter l'amitié et en même tems profiter
+de l'occasion favorable pour vous assurer combien je suis et serai
+toujours, mon très-cher Clare, votre sincère et parfaitement dévoué,
+
+BYRON.
+
+ [Note 55: Son valet Frank.]
+
+Comme il se croyait obligé de remplacer les exemplaires de son livre
+qu'il avait redemandés, et en même tems de lever l'espèce de stigmate
+dont on aurait pu flétrir son talent avorté, il s'occupa promptement de
+préparer une seconde édition, et ce travail ne fut terminé qu'au bout de
+six semaines. Mais au commencement de janvier nous le voyons en adresser
+un exemplaire à son ami d'Édimbourg, le docteur Pigot.
+
+
+
+
+LETTRE IX.
+
+À M. PIGOT.
+
+Southwell, 13 janvier 1807.
+
+
+«Je devrais commencer par un million d'excuses; mais la variété de mes
+travaux en vers et en prose servira, je l'espère, à justifier ma
+négligence. Vous recevrez avec cette lettre un volume de tous mes
+_Juvenilia_, publiés depuis votre départ: leur nombre est beaucoup plus
+grand que dans l'exemplaire en votre possession, lequel je vous supplie
+d'anéantir, celui que je vous envoie étant beaucoup plus complet. Ces
+_maudits_ vers à ma pauvre Marie[56] ont été une source de
+mécontentemens auprès des dames d'un _certain âge_. Je ne les ai pas
+insérés dans cette édition, parce que je leur dois d'avoir été traité de
+_pécheur déhonté_, enfin d'un nouveau _Moore_, par votre cher[57]... Je
+pense qu'on a en général accueilli favorablement ce volume, et sans
+doute l'âge de son auteur préviendra la sévérité des juges.
+
+ [Note 56: Il ne faut pas confondre cette Marie avec miss
+ Chaworth ou Marie d'Aberdeen; tout ce que j'en puis dire,
+ c'est qu'elle avait dans le monde une position humble, sinon
+ équivoque; qu'elle avait de longs, de brillans cheveux
+ blonds, dont Byron aimait à montrer à ses amis une tresse
+ aussi bien que le portrait de celle qui les lui avait donnés;
+ et qu'enfin c'est à elle que furent adressés les vers des
+ _Heures d'oisiveté_, intitulés: _À Marie, en recevant son
+ portrait_.]
+
+ [Note 57: Le _respectable_ M. Becher, sans doute.
+ (_N. du Tr._)]
+
+»Les aventures de ma vie de seize à dix-neuf ans, et la dissipation au
+milieu de laquelle je me suis trouvé à Londres, ont donné à mes idées
+une teinte voluptueuse; mais d'ailleurs les inspirations que j'ai eues
+ne comportaient guère un autre coloris. Ce volume _est singulièrement_
+correct et miraculeusement chaste. À propos, en parlant d'amour....
+
+»Si vous pouvez trouver le tems de répondre à ce pot-pourri indigeste de
+sottises, vous ne doutez pas du plaisir qu'en recevra votre, etc.»
+
+L'un de ses amis de collége, M. William Bankes, ayant vu, par hasard, un
+exemplaire du livre, lui avait adressé une lettre où se trouvait exposée
+l'opinion qu'il s'en formait. Voici la réponse de lord Byron:
+
+
+
+
+LETTRE X.
+
+À M. WILLIAMS BANKES.
+
+Southwell, 6 mars 1807.
+
+
+CHER BANKES,
+
+«Votre critique m'est précieuse à plusieurs titres: d'abord c'est la
+seule où la flatterie ait fort peu de part, ensuite je suis _affadi_ par
+les complimens insipides. J'ai meilleure opinion de votre jugement et de
+votre mérite que de votre sensibilité. Recevez mes vifs remercîmens pour
+la sincérité d'un jugement qui, pour être entièrement inattendu, n'en
+sera pas moins bienvenu. Pour ce qui est d'un examen plus exact, il est
+inutile de vous rappeler combien peu de nos _meilleurs_ poèmes
+soutiendraient l'épreuve d'une minutieuse critique de mots. On ne peut
+donc guère attendre d'un enfant (et la plupart de ces vers furent
+composés il y a déjà long-tems) une grande perfection de sujet ou de
+style. Plusieurs pièces furent écrites sous l'influence d'un grand
+abattement d'esprit, d'une indisposition grave; de là, le tour sombre
+des idées. Nous sommes d'accord dans l'opinion que les poésies érotiques
+sont les moins irréprochables; elles n'en furent pas moins agréables aux
+divinités sur l'autel desquelles je les déposai; c'est tout ce que je
+voulais.
+
+»Le portrait de Pomposus fut dessiné à Harrow, après une _longue
+séance_; cela garantit la ressemblance ou plutôt la caricature. C'est
+_votre_ ami, _il ne fut jamais le mien_; il est donc à propos de m'en
+taire. Les rimes sur le collége ne contiennent pas de personnalités; on
+peut en voir dans l'une des notes, mais je ne pouvais la supprimer. Je
+ne doute pas qu'elles ne servent de prétexte au blâme, juste punition de
+mon impiété filiale envers une _alma mater_ aussi excellente. Je ne vous
+envoie pas mon livre dans la crainte de _nous_ placer, vous dans la
+situation de Gilblas, moi dans celle de l'archevêque de Grenade: au
+risque des chances de l'épreuve, je désire laisser à votre arrêt toute
+son indépendance. Si je vous avais adressé mon _libellus_ avant votre
+lettre, j'aurais semblé vouloir acheter un compliment, et je n'hésite
+pas à dire que j'avais plus d'impatience de voir votre critique malgré
+sa sévérité, que d'entendre un million de louangeurs. Le même jour je
+reçus les félicitations de Mackenzie, le célèbre auteur de l'_Homme
+sensible_; laquelle, de _votre_ approbation ou de la _sienne_, me flatta
+le plus? c'est ce que je ne puis décider. Vous recevrez mes _Juvenilia_,
+tous ceux, du moins, qui ont été publiés. J'ai en manuscrit un gros
+volume que je pourrai, par la suite, donner à part; à présent, je n'ai
+ni le tems ni la volonté de le livrer à l'impression. Le printems, je
+retournerai à la Trinité pour enlever mes effets, et vous dire un
+dernier adieu; mes _pleurs_, dans cette circonstance, n'augmenteront
+guère le courant du _Cam_. Je mettrai à profit désormais vos remarques,
+malgré leur causticité ou leur amertume pour un palais gâté par les
+_adulations sucrées_. Johnson a démontré qu'il n'y avait point de
+poésies parfaites, mais il faudrait un Hercule pour travailler à
+corriger les miennes. Franchement, je ne les avais pas revues depuis
+l'époque où je les composai; et si je les ai publiées, ce n'a été qu'à
+la prière de mes amis; mais on m'a tant parlé du _genus irritabile
+vatum_, que nous n'aurons jamais, sur ce sujet, de querelle, la
+réputation de poète n'étant nullement le _but_ de mes vœux.
+
+»Adieu. Tout à vous,»
+
+BYRON.
+
+Cette lettre fut suivie d'une autre, au même M. Bankes, sur le même
+sujet; il n'en reste malheureusement que les fragmens suivans:
+
+«Pour ma part, j'ai bien souffert de la mort de mes deux meilleurs amis,
+les seuls êtres que j'eusse jamais aimés (les femmes exceptées); me
+voici réduit à être un animal solitaire, passablement misérable, et je
+me sens assez cosmopolite pour ne plus me soucier le moins du monde du
+lieu que j'habiterai, l'Angleterre ou le Kamtschatka. Je ne puis montrer
+une déférence plus grande pour vos corrections qu'en les adoptant de
+suite; je les suivrai dans l'édition suivante. Je suis fâché que vos
+remarques ne soient pas plus fréquentes, convaincu de tout l'avantage
+que j'en pourrais également retirer. J'ai, depuis ma dernière lettre,
+reçu d'Édimbourg deux jugemens trop flatteurs tous les deux pour que je
+puisse les répéter: l'un est de lord Woodhouselee, le premier et le plus
+_volumineux_ des littérateurs écossais (son dernier ouvrage est une _Vie
+de lord Kaymes_); le second est de Mackenzie, qui m'envoyait pour la
+seconde fois son sentiment, mais plus développé. Je ne les connais
+personnellement l'un ni l'autre, et je n'ai jamais sollicité leur avis à
+ce sujet: leurs éloges sont volontaires; c'est un ami chez qui ils
+avaient lu mes vers qui me les a transmis.
+
+«Contre mes premières intentions, je m'occupe en ce moment de la
+publication d'une nouvelle édition; les sujets d'amour seront retranchés
+et remplacés par d'autres; le tout, considérablement augmenté, paraîtra
+vers la fin de mai. C'est une épreuve hasardeuse; mais le défaut
+d'occupations plus graves, les encouragemens que j'ai reçus, ma vanité
+personnelle, tout me porte à la tenter, mais non sans de _vives
+palpitations_. Le livre sera lu dans ce pays, du moins par curiosité...»
+Le reste manque.
+
+Voici la lettre modeste qu'il joignit à l'exemplaire qu'il présenta à M.
+Falkner, propriétaire de la maison qu'occupait sa mère.
+
+
+
+
+LETTRE XI.
+
+À M. FALKNER.
+
+
+MONSIEUR,
+
+«Le volume qui accompagne cette lettre vous aurait déjà été présenté, si
+l'indisposition de miss Falkner ne m'eût pas fait craindre de rendre
+inconvenante l'offre de pareilles bagatelles. Vous y verrez quelques
+fautes d'impression que je n'ai pas eu le tems de corriger: vous avez
+donc une tâche pénible, celle d'apercevoir et les fautes de l'auteur et
+celles dont il n'est pas coupable. De pareils _juvenilia_ ne peuvent
+espérer une approbation sérieuse, mais j'ose espérer, pour la même
+raison, qu'ils échapperont à la sévérité d'une critique intempestive,
+quoique peut-être non méritée.
+
+»Ces poésies furent composées dans des tems et des circonstances
+diverses; elles n'ont été publiées que pour un cercle d'amis
+bienveillans. Vous pouvez m'en croire, monsieur: si elles procurent le
+plus léger plaisir à vous et à mes autres _familiers_ lecteurs, j'aurai
+recueilli tous les lauriers que je souhaite pour la tête de votre tout
+dévoué,
+
+BYRON.
+
+»_P. S._ Miss Falkner est, je l'espère, en pleine convalescence.»
+
+Malgré cette déclaration peu ambitieuse du jeune auteur, il avait en lui
+quelque chose qui l'empêchait de s'arrêter; et la réputation qu'il
+s'était faite dans un cercle limité l'avait rendu plus avide de courir
+les chances d'une plus vaste lice. Les cent copies de cette première
+édition étaient à peine distribuées, qu'il revint avec une nouvelle
+activité chez son imprimeur, et c'est ainsi que parurent les _Heures de
+loisir_; il y joignit plusieurs pièces nouvellement composées, il en
+retrancha une vingtaine de celles que renfermait son premier volume. Il
+est difficile d'expliquer cette sévérité, la plupart des vers éliminés
+étant aussi beaux, sinon meilleurs que les autres.
+
+Il y a dans l'une des pièces réimprimées parmi les _Heures de loisir_
+quelques corrections et additions assez curieuses, en ce qu'on peut les
+attribuer aux sentimens connus du poète sur l'illustration de naissance.
+L'_Épitaphe d'un ami_ semble, d'après les vers que je vais citer, avoir
+été d'abord composée pour déplorer la mort de ce même jeune fermier
+auquel il avait auparavant adressé quelques vers affectueux reproduits
+plus haut:
+
+Quoique ton lot soit humble, puisque tu es né dans une chaumière; et que
+ton nom ne soit point orné de titres, ta simple amitié m'était bien plus
+chère que toutes les joies que peuvent donner la richesse, la réputation
+et les amis du grand monde.
+
+Dans la nouvelle forme de cette épitaphe, non-seulement il supprima ce
+passage, mais tous ceux qui rappelaient encore l'humble rang de son
+jeune ami. Le premier des vers ajoutés:
+
+ Et quoique ton père déplore l'extinction de sa race,
+
+semble destiné à rappeler l'idée d'une haute position sociale, toute
+différente de celle que présentait l'épitaphe primitive. L'autre pièce,
+évidemment adressée au même enfant, et rappelant en termes équivalens
+l'obscurité de sa condition, ne se retrouve pas davantage dans les
+_Heures de loisir_. Qu'en approchant de l'âge viril il sentît mieux
+l'élévation de son rang, on peut le supposer, et ne voir qu'une suite de
+ces sentimens dans le soin qu'il mit à cacher ses premières amitiés de
+village.
+
+Ses visites à Southwell n'ayant plus été, après ce tems, que rares et
+passagères, je saisis l'occasion de rappeler quelques traits variés de
+ses habitudes et de son genre de vie à la même époque. Dans les premiers
+instans de son séjour, sa timidité était excessive, mais elle disparut à
+mesure qu'il se lia davantage avec les jeunes gens; il finit même par se
+trouver à la plupart des assemblées et des festins, et par être mortifié
+quand il n'était pas invité à quelque _rout_. Toutefois il conservait
+encore son horreur des nouvelles figures; et s'il voyait des étrangers
+approcher de la maison de Mrs. Pigot, quand il s'y trouvait, il eût
+volontiers, pour les éviter, sauté par la fenêtre. Cette réserve
+naturelle, jointe à une dose assez forte d'orgueil, l'éloignait des
+gentilshommes du voisinage, auxquels, plus d'une fois, il lui arriva de
+ne pas rendre leur visite: à l'égard de quelques-uns, sous prétexte que
+leurs femmes n'étaient pas allées voir sa mère; de quelques autres,
+parce qu'ils avaient trop tardé à le voir lui-même: mais la vraie raison
+de ce dédain, c'est qu'il ne voulait pas faire connaissance avec des
+voisins plus opulens que lui, et qu'il aimait à les mortifier par la
+supériorité de son rang, comme il l'était lui-même par celle de leur
+fortune. Son ami M. Becher lui faisait de fréquens reproches de cet
+esprit insociable; et un jour Lord Byron lui répondit par des vers qui
+expriment parfaitement la hauteur avec laquelle son génie volcanique
+considérait déjà le monde; et comme le volume où se trouvent ces vers
+est devenu fort rare, je ne puis résister au désir d'en donner les
+passages suivans:
+
+Mon cher Becher, vous me dites de me mêler à la société des hommes: je
+ne saurais nier que votre avis ne soit bon; mais la retraite convient
+mieux à mon caractère, je ne veux pas descendre jusqu'à un monde que je
+méprise.
+
+Si le sénat ou les camps m'appelaient, l'ambition pourrait me faire
+sortir de mon heureux repos; et quand la jeunesse, ce tems d'épreuve,
+sera passé, peut-être je m'efforcerai d'illustrer mon nom.
+
+Le feu caché dans les flancs caverneux de l'Etna couve long-tems et
+fermente en secret, à la fin un volume effroyable de flammes et de fumée
+révèle son existence; alors il n'y a point de torrens qui puissent
+l'éteindre, point de barrières qui puissent l'arrêter.
+
+Oh! tel est le désir de gloire qui dévore mon cœur, qui m'ordonne de
+vivre pour être loué un jour de la postérité. Oh! si je pouvais comme le
+phénix prendre mon essor avec des ailes de feu, avec lui je serais
+content de mourir au milieu des flammes.
+
+Pour une vie comme celle de Fox, pour une mort comme celle de Chatham,
+quelles censures, quels dangers, quelles haines ne braverais-je pas?
+Leur vie ne s'est point terminée avec leur dernier souffle, leur gloire
+anime et vivifie le silence de leur tombeau.
+
+Comme sa mère, il était toujours en retard pour se lever et se mettre au
+lit; il conserva même toute sa vie cette habitude. La nuit fut toujours
+aussi son heure favorite de travail, et sa première visite, le jour
+suivant, était ordinairement pour la belle amie qui lui servait de
+copiste, et à laquelle il portait les fruits de sa précédente veille;
+puis il se rendait chez son ami, M. Becher; de là dans une ou deux
+autres maisons, puis le reste du jour était consacré à ses exercices
+favoris; le soir, il passait le tems dans la famille Pigot, soit en
+conversation, soit à entendre miss Pigot toucher le piano et chanter une
+série d'airs qu'il admirait[58]. _La Vierge de Lodi_, avec les paroles:
+_Mon cœur palpite d'amour_, et cet autre: _Quand le tems, qui ravit nos
+années_, étaient, à ce qu'il paraît, ses airs favoris. Il s'était fait
+dès-lors une douce habitude de cette existence régulière, qui le
+ramenait périodiquement aux mêmes occupations, et qu'il adopta pendant
+presque tout le tems de son séjour à l'étranger.
+
+D'un autre côté, les exercices auxquels il demandait quelques
+distractions, dans de moins heureux jours, lui offraient alors des
+plaisirs sans mélange. La plus grande partie de son tems se passait à
+nager, jouer aux barres, tirer au blanc et courir à cheval[59].
+
+ [Note 58: Il aima toujours la musique, mais il ne sut jamais
+ bien exécuter. «Il est bien singulier, disait-il un jour à la
+ même dame, que je chante beaucoup mieux avec votre
+ accompagnement qu'avec tout autre.--C'est, répondit-elle, que
+ je joue selon votre manière de chanter.» C'est là en effet
+ tout le secret d'un habile accompagnateur.]
+
+ [Note 59: Un autre de ses jeux favoris était _la balle à
+ crosser_; et l'on ne pouvait s'empêcher d'admirer la célérité
+ de sa course à ce dernier exercice, en dépit de son pied
+ boiteux. «Lord Byron, dit miss... dans une lettre à son
+ frère, datée de Southwell, vient de passer devant la fenêtre,
+ la batte sur l'épaule, pour aller _crosser_ suivant sa chère
+ habitude.»]
+
+Il n'était pas fort expert dans ce dernier art, et l'on cite comme un
+exemple de son peu d'habitude des chevaux, qu'en voyant un jour passer
+deux, sous ses fenêtres, il s'écria: «Les beaux chevaux! je voudrais les
+acheter.--Comment! ce sont les vôtres, milord,» répondit son valet. Ceux
+qui l'avaient connu au tems où nous sommes, s'étonnaient beaucoup
+d'entendre plus tard parler de son adresse à monter à cheval; et la
+vérité, je suis du moins porté à le croire, est que jamais il ne fut un
+excellent écuyer.
+
+Nous avons déjà vu, d'après ses propres paroles, qu'il excellait à nager
+et à plonger. Une dame de Southwell possède, entre autres précieux
+objets qui lui ont appartenu, un dé qu'il vint un matin lui emprunter au
+moment d'aller se baigner dans la Greet: en présence du frère de cette
+dame, il l'avait jeté et retiré trois fois du fond de la rivière. Son
+habitude de s'exercer au tir fut un jour un sujet d'alarme pour une
+jeune et fort jolie personne, miss H., qui était du grand nombre des
+beautés qui enflammaient à Southwell son imagination. On trouve
+l'introduction suivante à la tête d'une pièce de vers imprimée dans le
+volume non publié; «L'auteur déchargeant un jour ses pistolets dans un
+jardin, deux dames, qui passaient près du but, furent alarmées par le
+bruit d'une balle sifflant à leurs oreilles: c'est à l'une d'elles que
+furent adressées, le lendemain, les stances suivantes.»
+
+Telle était sa passion pour les armes de toute espèce, qu'il gardait
+ordinairement près de son lit une petite épée avec laquelle il s'amusait
+le matin à s'escrimer dans ses rideaux. Ce lit fut, à la vente des
+meubles de Mrs. Byron, acquis par une personne qui, voulant donner de
+l'intérêt aux trous des draperies, les supposait percées par l'épée dont
+le dernier lord Byron avait tué M. Chaworth, et que son héritier gardait
+toujours près de son lit en souvenir. C'est ainsi que la fiction vient
+souvent grossir les faits; l'épée en question était une arme innocente
+et vierge que lord Byron empruntait à l'un de ses voisins durant son
+séjour à Southwell.
+
+Les détails que nous avons déjà donnés sur son excursion à Harrowgate,
+peuvent faire juger de sa passion pour les chiens, autre goût qu'il
+conserva toute sa vie; il a immortalisé dans ses vers Boatswain, son
+dogue favori, auprès duquel il avait formé le projet solennel d'être
+enseveli. On raconte de cet animal quelques traits non-seulement
+d'intelligence, mais encore d'une générosité qui devait nécessairement
+exciter l'intérêt d'un maître comme Byron; j'en citerai un exemple en me
+rapprochant autant que possible du récit qui m'en fut fait. Mrs. Byron
+avait un chien terrier, appelé Gilpin, avec lequel Boatswain était
+toujours en querelle, saisissant toutes les occasions de l'attaquer et
+le mordant avec tant de rage qu'on craignait beaucoup qu'il ne finît par
+le tuer. Pour le soustraire à ce sort, Mrs. Byron envoya Gilpin à un
+fermier de Newstead, et Boatswain de son côté, quand lord Byron retourna
+à Cambridge, fut, jusqu'au retour de son maître, confié aux soins d'un
+valet, ainsi que deux autres dogues. Un matin le domestique conçut une
+vive alarme de la disparition de Boatswain; il n'en put avoir de
+nouvelles de la journée. Mais vers le soir, le chien revint accompagné
+de Gilpin qu'il s'empressa de conduire au feu de la cuisine en
+l'accablant de toutes les démonstrations de la joie la plus vive. Le
+fait est qu'il était allé à Newstead pour le découvrir, et qu'il l'avait
+ramené. Depuis ce tems ils vécurent en bonne intelligence; Boatswain
+protégeant toujours son nouvel ami contre les insultes des autres chiens
+(tâche que le naturel querelleur de Gilpin empêchait bien d'être une
+sinécure) et s'empressant d'accourir à la première voix de détresse du
+petit terrier.
+
+La tendance à la superstition est assez naturelle aux hommes doués d'un
+caractère poétique. Lord Byron n'en était pas exempt, et dès son enfance
+l'exemple de sa mère avait contribué à donner à son esprit cette
+faiblesse. Mrs. Byron croyait aveuglément aux merveilles de la seconde
+vue; et les récits étranges qu'elle faisait de cette faculté
+mystérieuse, étonnèrent mainte fois ses amis anglais doués d'une foi
+moins robuste. On verra que même bien plus tard, et à la mort de son ami
+Shelley, l'idée des apparitions dont sa mère l'avait nourri, n'avait pas
+perdu sur lui tout son empire. On peut citer comme un exemple d'une
+superstition moins lugubre, une petite anecdote qui me fut racontée par
+une de ses amies de Southwell. Cette dame avait un grain de collier en
+agate traversé d'un fil de laiton, et qu'elle gardait toujours dans sa
+boîte à ouvrage. Un jour, Lord Byron lui ayant dit ce que c'était, elle
+lui répondit qu'on le lui avait donné comme un talisman, et que le
+charme la préserverait de l'amour tant qu'il serait en sa possession.
+«Alors donnez-le-moi, s'écria-t-il vivement, c'est là précisément ce que
+je cherchais.» La jeune dame refusa; mais bientôt après son agate avait
+disparu. Elle le taxa d'avoir commis le vol; mais en l'avouant de bonne
+grâce, il protesta que jamais elle ne reverrait son amulette.
+
+Il laissa derrière lui à Southwell, comme partout où il fit jamais
+quelque résidence, les preuves les plus affectueuses de bienfaisance et
+de bonté de cœur... «Jamais, dit une personne qu'il voyait beaucoup à
+cette époque, ses yeux ne furent frappés d'un seul objet de détresse
+sans qu'il contribuât à l'adoucir.» Parmi de nombreux traits de cette
+nature, je choisis le suivant comme une preuve moins de sa générosité
+que de l'intérêt que présente l'incident en lui-même par sa liaison avec
+le nom de Byron. Étant encore écolier, il lui arriva de se trouver à
+Southwell dans une boutique de libraire, quand une pauvre femme vint
+pour y acheter une Bible; le prix qu'on la lui fit fut de 8 shellings.
+«Ah! mon cher Monsieur, s'écria-t-elle, je ne puis pas y mettre un
+pareil prix; je ne croyais pas qu'elle pût m'en coûter la moitié.» La
+femme alors s'éloigna avec un air désappointé, quand le jeune Byron, la
+rappelant, lui fit présent de la Bible.
+
+Il eut toujours un grand soin de sa personne et de sa toilette, de
+l'arrangement de ses cheveux, enfin de tout ce qui pouvait relever la
+beauté dont la nature l'avait doué. Même dans un âge fort tendre, il
+témoignait le désir de plaire à ce sexe qui ne devait pas cesser d'être
+l'étoile polaire de sa destinée. La crainte d'un embonpoint excessif,
+auquel il avait des dispositions naturelles, l'avait engagé, dès son
+arrivée à Cambridge, à adopter un système d'abstinence et de violent
+exercice, et de faire un fréquent usage des bains chauds. Mais un point
+remplissait sa vie d'amertume, le frappait comme une malédiction au
+milieu des joies de la jeunesse et de ses espérances de gloire et de
+bonheur: le croira-t-on? c'était la légère difformité de son pied. Un
+jour M. Becher, le voyant plus abattu qu'à l'ordinaire, s'efforçait de
+l'égayer et de le ranimer en lui représentant sous les plus brillantes
+couleurs, les nombreux avantages dont la Providence l'avait comblé,
+entre autres celui d'un esprit qui le plaçait au-dessus du reste des
+hommes. «Ah! mon cher ami, répondit Byron avec une expression
+douloureuse, si cela (en se frappant le front de la main) m'élève
+au-dessus des autres hommes, ceci (en indiquant son pied) me ravale bien
+au-dessous d'eux.»
+
+Quelquefois il semblait que sa susceptibilité lui persuadât qu'il était
+dans le monde la seule personne affligée d'une pareille infirmité. Quand
+M. Bailey, qui se faisait alors remarquer comme écolier, aussi bien que
+plus tard comme voyageur, entra à Cambridge après avoir été le
+condisciple de Lord Byron à Aberdeen, le jeune Lord avait pris tant
+d'embonpoint, que M. Bailey eut long-tems de la peine à le reconnaître.
+«Il est assez singulier, lui dit alors Byron, que vous ne vous souveniez
+pas de moi; je croyais que la nature m'avait gratifié d'un signe qui
+devait toujours me faire reconnaître.»
+
+Mais ce défaut était aussi bien un motif d'émulation pour lui qu'une
+source de regret et de honte. Dans tout ce qui exigeait du courage
+personnel ou de la vivacité, il semblait animé, par le stigmate que la
+nature lui avait infligé, d'un désir plus vif de surpasser tous ceux
+auxquels elle avait accordé de plus _parfaites proportions_. C'est là,
+je n'en doute pas, ce qui lui donnait aussi tant d'ardeur dans la
+poursuite des intrigues amoureuses. Plus d'une fois l'espoir d'étonner
+quelque jour le monde par les exploits d'un capitaine et d'un héros
+venait se mêler dans ses rêves à la perspective du laurier poétique.
+«Tôt ou tard, disait-il souvent quand il était enfant, je lèverai un
+corps de troupes; les soldats seront habillés de noir, et monteront des
+chevaux noirs; on les appellera, les _Byrons noirs_, et vous entendrez
+parler de leurs prodiges de valeur.»
+
+J'ai déjà parlé de l'ardeur extrême avec laquelle, pendant son séjour à
+Harrow, il se livrait à tous les genres d'études, à la seule exception
+de ceux qu'exigeait la discipline de l'école. Les jours de fête ne
+faisaient pas trêve à la soif de connaissances qui le dévorait, et, pour
+être le moins possible distrait de ses heures de travail, il avait pris
+l'habitude chez sa mère de lire tout le tems du dîner[60]. Dans un
+esprit aussi mobile que le sien, tout ce qui était nouveau, grave ou
+frivole, lourd ou divertissant, ne manquait jamais de trouver un écho,
+et je n'ai pas de peine à concevoir la joie qu'il témoignait un jour en
+montrant à l'une de ses amies qui me l'a raconté, un exemplaire des
+Contes de ma Mère l'Oie, qu'il avait acheté le matin chez un
+bouquiniste, et qu'il venait de lire à son dîner.
+
+ [Note 60: Burns avait aussi l'habitude de lire à table, comme
+ nous l'apprend M. Lockhart dans la vie de ce poète.]
+
+Maintenant nous allons extraire d'un _Memorandum_, commencé par lui
+cette année et tracé sans ordre et à la hâte, la liste de tous les
+livres qu'il avait déjà parcourus dans tous les genres, à une époque où
+la plupart de ses condisciples n'avaient encore étudié que leurs thèmes
+et leurs versions. Ce document ne peut manquer d'intéresser; et quand on
+considère que le lecteur de tant de livres possédait en même tems la
+mémoire la plus heureuse, on peut douter que parmi les jeunes gens les
+mieux élevés, parmi les plus brillans émules des honneurs scolastiques,
+on en trouvât un seul qui eût acquis au même âge une aussi grande
+variété de connaissances utiles.
+
+
+
+LISTE DES HISTORIENS
+DONT J'AI PARCOURU LES OUVRAGES EN DIFFÉRENTES LANGUES.
+
+
+
+HISTOIRE D'ANGLETERRE.--Hume, Rapin, Henry, Smollet, Tindal, Belsham,
+Bisset, Adolphus, Holinshed, les Chroniques de Froissart (ces dernières
+appartiennent proprement à la France).
+
+ÉCOSSE.--Buchanan, Hector, Boethius, tous deux en latin.
+
+IRLANDE.--Gordon.
+
+ROME.--Hooke, chute et décadence par Gibbon; Histoire ancienne de Rollin
+(renfermant celle des Carthaginois, etc.); de plus, Tite-Live, Tacite,
+Eutrope, Cornélius Nepos, Cesar, Arrien, Salluste.
+
+GRÈCE.--La Grèce de Mitford, le Philippe de Leland, Plutarque,
+Antiquités de Potter, Xenophon, Thucydide, Herodote.
+
+FRANCE.--Mezerai, Voltaire.
+
+ESPAGNE.--Je dois ce que je sais de l'ancienne histoire d'Espagne
+principalement à un livre appelé l'Atlas, maintenant oublié. J'ai pris
+quelque teinture de son histoire moderne, depuis les intrigues
+d'Alberoni jusqu'au Prince de la paix, dans les ouvrages qui traitaient
+de la politique européenne.
+
+PORTUGAL.--Ses révolutions par Vertot, comme aussi, du même historien,
+la relation du siége de Rhodes: elle est de son invention, les faits
+réels sont tout-à-fait différens. On en peut dire autant de ses
+chevaliers de Malte.
+
+TURQUIE.--J'ai lu Knolles, sir Paul Ricaut et le prince Cantemir; en
+outre une histoire anonyme plus moderne. Je sais tous les événemens de
+l'histoire des Ottomans, depuis Tangralopi et Othman Ier jusqu'à la paix
+de Passarowitz, en 1718; la bataille de Cutzka, en 1739, et le traité de
+1790 entre la Russie et la Porte.
+
+RUSSIE.--La vie de Catherine II de Tooke, le czar Pierre de Voltaire.
+
+SUÈDE.--Le Charles XII de Voltaire et celui de Norberg, selon moi le
+meilleur des deux. Une traduction de la guerre de trente ans de
+Schiller, qui renferme les exploits de Gustave-Adolphe; puis la vie du
+même prince par Harte. J'ai lu aussi quelque part un vie de Gustave
+Vasa, le libérateur de la Suède, mais j'ai oublié le nom de l'auteur.
+
+PRUSSE.--J'ai vu au moins vingt vies de Frédéric II, le seul prince
+mémorable dans les annales de la Prusse; ses propres ouvrages, ceux de
+Gillies et de Thibault sont loin d'être amusans; le dernier est peu
+estimable, mais circonstancié.
+
+DANEMARCK.--J'en sais peu de chose; j'ai quelque teinture de l'histoire
+naturelle de la Norwége, aucune de sa chronologie.
+
+ALLEMAGNE.--J'ai lu de longues histoires de la maison de Souabe, de
+Venceslas, de Rodolphe de Hapsbourg et de ses descendans autrichiens aux
+grosses lèvres.
+
+SUISSE.--Ah! Guillaume-Tell et la bataille de Morgarten, où le duc de
+Bourgogne fut tué!
+
+ITALIE.--Davila, Guicciardini, les Guelfes et les Gibelins, la bataille
+de Pavie, Mazaniello, les révolutions de Naples, etc.
+
+INDOSTAN.--Orme et Cambridge.
+
+AMÉRIQUE.--Robertson, la guerre d'Amérique par Andrews.
+
+AFRIQUE.--Rien que des voyageurs, comme Mungo-Park, Bruce.
+
+
+BIOGRAPHIE.
+
+Charles-Quint de Robertson, César, Salluste (Catilina et Jugurtha), les
+vies de Marlborough, du prince Eugène, de Tékéli, de Bonnard, de
+Bonaparte, de tous les poètes anglais, par Johnson et Anderson; les
+Confessions de Rousseau, la vie de Cromwell, le Plutarque anglais, le
+Nepos anglais, les vies des amiraux par Campbell, de Charles XII, du
+czar Pierre, de Catherine II, de Henri lord Kaimes, de Marmontel, de sir
+William Jones, par Teignmouth; la vie de Newton, de Bélisaire, et de
+mille autres qui ne méritent pas qu'on en fasse mention.
+
+
+LÉGISLATION.
+
+Blackstone, Montesquieu.
+
+
+PHILOSOPHIE.
+
+Paley, Locke, Bacon, Hume, Berkeley, Drummond, Beattie et Bolingbroke.
+Je déteste Hobbes.
+
+
+GÉOGRAPHIE.
+
+Strabon, Cellarius, Adams, Pinkerton et Guthrie.
+
+POÉSIE.
+
+Tous les classiques anglais et la plupart des poètes vivans, Scott,
+Southey, etc.; quelques poètes français dans l'original: le Cid est ma
+pièce favorite. Peu d'italiens; des grecs et des latins sans nombre: à
+l'avenir je ne m'occuperai plus de ces derniers. J'ai fait de nombreuses
+traductions de ces deux langues, vers et prose.
+
+
+ÉLOQUENCE.
+
+Démosthène, Cicéron, Quintilien, Sheridan, la Chironomie d'Austin, et
+les débats du parlement, depuis la révolution, jusqu'en 1742.
+
+
+THÉOLOGIE.
+
+Blair, Porteus, Tillotson, Hooker, tous fort ennuyeux. J'abhorre les
+livres de dévotion, quoique je révère et que j'aime Dieu, sans admettre
+les idées blasphématrices des sectaires, ni croire à leurs absurdes et
+damnables hérésies, à leurs mystères et aux trente-neuf articles.
+
+
+MÉLANGES.
+
+Le spectateur, le rôdeur; le monde, etc., etc., des romans par milliers.
+
+C'est de mémoire que j'ai fait l'énumération de tous ces livres: je me
+souviens de les avoir lus, et j'en pourrais à l'occasion citer plus d'un
+passage. J'ai, sans doute, omis quelques noms dans mon catalogue. J'en
+avais lu la majeure partie avant quinze ans. Depuis que j'ai quitté
+Harrow, je suis devenu paresseux et fat, en griffonnant des rimes et
+faisant la cour aux femmes.
+
+B., 30 novembre 1807.
+
+
+J'ai aussi lu, et je regrette aujourd'hui plus de quatre mille romans, y
+compris les œuvres de Cervantes, Fielding, Smollet, Richardson,
+Mackenzie, Sterne, Rabelais, Rousseau, etc., etc. Le livre, à mon avis,
+le plus utile pour celui qui veut avoir l'air d'être fort instruit sans
+grande peine, c'est la physiologie de la tristesse par Burton: c'est le
+recueil de citations et d'anecdotes le plus curieux et le plus amusant
+que j'aie parcouru; mais le lecteur superficiel doit le lire avec
+attention, ou bien la confusion des sujets le rebutera facilement. S'il
+a la patience d'aller jusqu'à la fin, il aura mieux profité pour ses
+conversations littéraires, que s'il avait parcouru vingt autres ouvrages
+que j'ai également lus, du moins en anglais.
+
+C'est à cette étude précoce et variée des écrivains anglais que Lord
+Byron dut la facilité avec laquelle il savait employer toutes les
+ressources de sa langue maternelle: c'est elle qui, le lançant dans les
+champs de la littérature, armé de pied en cap, lui permit de revêtir ses
+poétiques inspirations d'un style parfaitement digne d'elles. En
+général, ce n'est pas l'absence d'idées ou de coloris qui arrête les
+premiers pas des écrivains, c'est l'embarras de trouver des expressions
+pour ce qu'ils conçoivent, c'est l'inexpérience de l'instrument dont se
+rend maître l'homme de génie; en un mot, de leur langue maternelle.
+C'est un fait assez singulier, que les trois exemples les plus frappans
+de précocité littéraire, c'est-à-dire Pope, Congrève et Chatterton,
+devaient tous trois à eux-mêmes leur éducation[61]; et que c'est par
+suite de leurs goûts naturels, affranchis des pédantesques directions de
+l'école, qu'ils découvrirent dans le génie de la langue anglaise ces
+précieuses beautés dont ils surent faire un si parfait usage[62].
+
+ [Note 61: «Je lisais de moi-même, dit Pope, car la lecture
+ était une véritable passion chez moi; j'allais çà et là au
+ gré de mon imagination, et, comme un enfant qui va prendre
+ des fleurs dans les champs, dans les bois, partout où il en
+ voit sur sa route. Je regarde encore aujourd'hui ces cinq ou
+ six années comme les plus heureuses de ma vie.»
+
+ Il paraît aussi qu'il n'ignorait pas les avantages de cette
+ manière d'étudier indépendante: «M. Pope, dit Spins, croyait
+ avoir gagné sous quelques rapports à n'avoir pas eu
+ d'éducation régulière. Il avait l'habitude de chercher dans
+ ce qu'il étudiait un sens, quand nous n'y voyons encore que
+ des mots.»]
+
+ [Note 62: Chatterton écrivit, avant l'âge de douze ans, un
+ catalogue, dans le genre de celui de Byron, de tous les
+ livres qu'il avait déjà lus; ils s'élevaient à soixante-dix,
+ et la plupart roulaient sur des matières d'histoire ou de
+ théologie.]
+
+On peut, dans le fond, ajouter à ces trois exemples celui de Lord Byron,
+puisque, malgré son nom d'écolier, il n'étudia pas sur les bancs de
+l'école, dans le tems employé par ses camarades, à remuer curieusement
+la cendre de l'antiquité; il se contentait de remonter à la source
+fraîche et vive de son propre idiome[63], et d'y puiser cette richesse
+et cette variété de style qui, dès l'âge de vingt-deux ans, placèrent
+ses ouvrages parmi les monumens les plus précieux de la force et de la
+douceur de la langue anglaise.
+
+ [Note 63: La pureté que les Grecs mettaient dans leur style a
+ été attribuée peut-être avec justice à leur habitude de
+ n'étudier que leur propre langue. «S'ils devinrent savans,
+ dit Ferguson, ce ne fut qu'en étudiant ce qu'eux-mêmes
+ avaient composé.»]
+
+Dans le même livre où l'on retrouve les souvenirs de ses études, que
+nous venons de citer, Byron avait écrit également de mémoire une liste
+des divers poètes qui s'étaient distingués dans leur langue respective.
+Après avoir cité ceux de l'Europe ancienne et moderne, voici comme il
+poursuit son catalogue pour les autres contrées:
+
+ARABIE.--Mahomet, dont le Coran contient des passages d'une poésie bien
+plus sublime que celle des auteurs européens.
+
+PERSE.--Ferdousi, auteur du Shah-Nameh; l'Iliade des Persans; Sadi et
+Hafiz, l'immortel Hafiz, l'Anacréon de l'Orient. Ce dernier est respecté
+par les Persans, bien autrement que nous ne respectons aucun poète
+ancien ou moderne; ils vont en pélerinage à Shiraz pour y honorer sa
+mémoire sur son tombeau: à ce monument est attaché un magnifique
+exemplaire de ses œuvres.
+
+AMÉRIQUE.--Cet hémisphère a déjà produit un poète épique, c'est Barlow,
+auteur de la Colombiade; il ne faut pas le comparer aux ouvrages des
+nations plus polies.
+
+ISLANDE, DANEMARCK, NORWÉGE.--Ces régions étaient fameuses pour leurs
+Scaldes. Parmi ces derniers on distinguait Lodburg; son chant de mort
+respire des sentimens féroces, mais c'est un genre de poésie généreuse
+et passionnée.
+
+L'INDOSTAN n'a pas de grands poètes connus; du moins le sanscrit l'est
+si mal en Europe, que nous ignorons ce que le tems peut avoir épargné
+dans leur littérature.
+
+L'EMPIRE BIRMAN.--Les habitans aiment passionnément la poésie; mais on
+ne connaît pas leurs poètes.
+
+CHINE.--Je n'ai jamais entendu parler en fait de poète chinois que de
+l'empereur Kien-Long et de son Ode au thé. Quel malheur que le
+philosophe Confucius n'ait pas rédigé en vers ses admirables préceptes
+de morale!
+
+AFRIQUE.--Quelques chants de ce pays sont plaintifs, et leurs paroles
+simples et touchantes; mais j'ignore s'il faut compter ces informes
+essais parmi les poèmes, comme les chants des bardes ou des scaldes.
+
+J'ai écrit cette courte liste de poètes entièrement de mémoire, et sans
+le secours d'aucun livre; il a donc pu s'y glisser quelques erreurs,
+mais elles doivent être de peu d'importance. J'ai parcouru les ouvrages
+des Européens et quelques-uns de ceux de l'Asie, soit en original, soit
+à l'aide de traduction. Je n'ai cité que les meilleurs dans ma liste des
+poètes anglais; il eût été aussi inutile que fatigant d'énumérer ceux
+d'un moindre mérite. Peut-être cependant pourrait-on dans un catalogue
+cosmopolite ajouter encore Gray, Goldsmith et Collins; quant aux autres
+depuis Chaucer jusqu'à Churchill, ce sont _voces prætereaque nihil_,
+quelquefois nommés, rarement lus et jamais avec profit. Je regarde
+Chaucer, en dépit des éloges qu'on lui a prodigués, comme méprisable et
+licencieux; il ne doit son renom qu'à son antiquité, et sous ce
+rapport-là même, on devrait plutôt se rappeler Pierce Plowman ou Thomas
+d'Ercildoune. Je me suis gardé de citer des poètes vivans de
+l'Angleterre; il n'en est pas un qui ne survive à ses ouvrages. Le goût
+est perdu chez nous; encore un siècle, et nous aurons disparu, notre
+empire, notre littérature et notre nom, des annales du genre humain.
+
+30 novembre 1807, BYRON.
+
+
+Il se trouve, parmi les papiers que je possède de lui, plusieurs petits
+poèmes (en tout environ six cents vers) qu'il écrivit en ce tems-là,
+mais qu'il n'a jamais fait imprimer, parce qu'il les avait composés la
+plupart après la publication de ses _Heures de loisir_. Le plus grand
+nombre d'entre eux ne se recommande guère que par son nom, mais
+quelques-uns, grâce aux sentimens et aux circonstances qui les
+inspirent, seront lus ici avec plaisir. La première fois qu'il entra
+dans Newsteadt, il planta dans un coin de terre un jeune chêne dont il
+croyait l'existence attachée à la sienne. Après six ou sept ans, quand
+il revint au même endroit, il trouva le chêne étouffé sous les mauvaises
+herbes, et presque desséché. C'était au moment où Lord Grey de Ruthen
+quittait l'abbaye; il fit alors l'un de ces poèmes composés de cinq
+stances, et dont on pourra juger par les passages suivans:
+
+Jeune chêne, quand je te plantai profondément en terre, j'espérais que
+tes jours seraient plus longs que les miens, que tes branches
+jetteraient une ombre noire autour de toi, et que le lierre entourerait
+ton tronc comme un manteau.
+
+Telles étaient mes espérances dans les années de l'enfance, quand je te
+plantai avec orgueil sur la terre de mes aïeux. Ces jours sont passés et
+je t'arrose de mes larmes; les mauvaises herbes qui t'entourent ne
+peuvent voiler aux yeux ton triste dépérissement.
+
+Je t'ai quitté, mon pauvre chêne, et depuis cette heure fatale un
+étranger est le maître du château, etc., etc.
+
+Le sujet des vers qui suivent est assez éclairci par la note qu'il a
+placée en tête. Quoiqu'ils aient un air pénible et affecté, ils me
+paraissent dignes d'être conservés comme un témoignage des sentimens
+tendres et romanesques qu'il avait contractés pour ses amis de collége.
+
+«Il y a quelques années, étant à Harrow, un ami de l'auteur avait gravé
+leurs deux noms dans un endroit écarté; il y avait même ajouté quelques
+mots de souvenirs. Plus tard, à l'occasion de quelque injure réelle ou
+imaginaire, l'auteur, avant de laisser Harrow, avait effacé ce fragile
+souvenir. Voici les stances qu'il écrivit à leur place, quand il revit
+Harrow, en 1807:
+
+Ici naguère les souvenirs de l'amitié attiraient les yeux de l'étranger;
+ils étaient simples, ils étaient peu nombreux les mots qui les
+exprimaient, et cependant la colère les a effacés.
+
+Elle trancha profondément dans l'arbre, mais elle n'effaça pas
+entièrement les caractères; ils étaient si simples, que l'amitié
+revenant regarda long-tems, jusqu'à ce qu'aidée de la mémoire, elle
+rétablit les mots.
+
+Le repentir les traça de nouveau, le pardon y joignit son nom aimable;
+l'inscription reparut si belle que l'amitié la crut toujours la même.
+
+Le souvenir serait beau encore; mais, hélas! en dépit de l'espérance et
+des larmes de l'amitié, l'orgueil s'est jeté à la traverse, et a pour
+toujours effacé et l'inscription et le sentiment qu'elle exprimait.
+
+Les mêmes sentimens d'amitié idéale distinguent un autre de ses poèmes,
+dans lequel il a pris pour épigraphe cette ingénieuse devise française:
+_l'amitié est l'amour sans ailes_. Chacune des neuf stances est terminée
+par les mêmes mots; nous citerons les trois suivantes:
+
+Pourquoi gémirais-je tristement de ce que ma jeunesse est passée? Je
+puis encore compter des jours heureux; la faculté d'aimer n'est pas
+encore morte en moi. En revenant sur mes premières années, un souvenir
+durable, une vérité éternelle m'apporte une céleste consolation;
+souffles légers des vents, redites-la aux lieux où mon cœur s'émut pour
+la première fois!
+
+_L'amitié, c'est l'amour sans ailes_!
+
+Demeure de mes aïeux, ton clocher lointain me rappelle toutes ces scènes
+joyeuses; mon sein brûle comme autrefois; je redeviens enfant par la
+pensée. Ton bouquet d'ormeaux, ta colline verdoyante, chacun de tes
+sentiers, me ravissent encore. Chaque fleur exhale un double parfum. Il
+me semble encore, au milieu de nos doux entretiens, entendre chacun de
+mes compagnons s'écrier:
+
+L'amitié, c'est l'amour sans ailes!
+
+Mon cher Lycus, pourquoi pleures-tu? Retiens tes larmes prêtes à tomber;
+l'affection peut dormir quelque tems, mais, sois-en sûr, elle se
+réveillera! Quand nous nous retrouverons, pense, ami, pense combien elle
+sera douce cette réunion si long-tems désirée! Mon ame bondit de bonheur
+à cet espoir; quand deux jeunes cœurs sont si pleins d'affection,
+l'absence, ami, ne peut que redire:
+
+L'amitié, c'est l'amour sans ailes!
+
+Quant aux vers suivans, je ne puis dire positivement qu'ils se
+rattachent à quelque circonstance réelle. On peut même dire qu'habitué à
+revenir sur toutes les anecdotes de sa jeunesse, il n'eut pas manqué,
+dans la suite, de rappeler un fait aussi remarquable, s'il n'eût pas été
+imaginaire. Or, ni dans sa conversation, ni dans ses écrits, je ne
+trouve qu'il y ait fait une seule fois allusion[64]. D'un autre côté,
+toutes ses poésies, sauf les embellissemens dont les entourait son
+imagination, étaient l'expression si fidèle de ses sentimens et de sa
+vie, qu'on ne peut guère s'empêcher de supposer une sorte de fondement
+réel à un poème plein d'une sensibilité aussi pénétrante:
+
+ [Note 64: Voici la seule particularité qui puisse, et encore
+ de fort loin, se lier au sujet de ce poème. Un an ou deux
+ avant la date qui s'y trouve placée, il écrivit de Harrow à
+ sa mère (comme je le sais d'une personne qui tenait elle-même
+ le fait de Mrs. Byron), pour lui dire qu'il avait éprouvé
+ dernièrement beaucoup d'ennui à l'occasion d'une jeune femme,
+ maîtresse de son ami Curzon, qui venait de mourir. Cette
+ femme, se trouvant alors sur le point de devenir mère, avait
+ déclaré que Lord Byron était le père de son enfant. Byron
+ assurait positivement sa mère qu'il n'en était rien; mais,
+ persuadé comme il l'était, que l'enfant appartenait à Curzon,
+ il souhaitait qu'on en prît tout le soin possible, et priait
+ en conséquence sa mère d'avoir la bonté de se charger de lui.
+ Une telle demande pouvait fort bien exciter l'humeur d'une
+ femme plus douce que Mrs. Byron; cependant elle répondit à
+ son fils qu'elle accueillerait volontiers l'enfant dès qu'il
+ serait né, et qu'elle ferait pour lui tout ce qu'il désirait.
+ Par bonheur, l'enfant mourut en voyant le jour.]
+
+
+À MON FILS.
+
+Ces tresses blondes, ces yeux bleus, dont l'éclat rappelle ceux de ta
+mère; ces lèvres de roses, ces joues à fossettes, ce sourire, qui
+captivent le cœur, retracent d'anciennes scènes de bonheur, et touchent
+le cœur de ton père, ô mon enfant!
+
+Et tu ne peux prononcer le nom de ton père; ah, William! si son nom
+était le tien, alors sa conscience ne lui adresserait plus de reproches:
+mais écartons ces tristes idées; les soins que je prendrai de toi me
+rendront la paix intérieure; l'ombre de ta mère sourira dans sa joie, et
+pardonnera le passé, ô mon enfant!
+
+Le gazon a recouvert son humble tombe, et une étrangère t'a présenté son
+sein. Le préjugé peut rire dédaigneusement de ta naissance, et ne
+t'accorder qu'à peine un nom sur la terre; mais il ne saurait détruire
+une seule de tes espérances: le cœur de ton père est à toi, ô mon
+enfant!
+
+Eh bien! laisse un monde sans entrailles se récrier; dois-je pour lui
+plaire étouffer la voix puissante de la nature? Non, que les moralistes
+me désapprouvent s'ils le veulent, tu seras toujours pour moi le bien
+cher enfant de l'amour, beau chérubin, gage de jeunesse et de joie! un
+père veille sur ton berceau, ô mon enfant!
+
+Ô quel charme, avant que l'âge n'ait ridé mon front, avant que d'avoir
+épuisé à moitié la coupe de la vie, de contempler à la fois en toi, un
+frère et un fils, et d'employer le reste de mes jours à réparer mon
+injustice envers toi, ô mon enfant!
+
+Quoique ton père imprudent soit bien jeune encore, sa jeunesse
+n'éteindra pas en lui le feu de l'amour paternel. Et quand même tu me
+serais moins cher, tant que l'image d'Hélène revivra en toi, ce cœur,
+plein de son souvenir du bonheur passé, n'en abandonnera jamais le gage,
+ô mon enfant!
+
+B.--1807[65].
+
+ [Note 65: Dans cet usage de dater ses premiers poèmes, il
+ suivait l'exemple de Milton, qui, dit Johnson, en datant ses
+ premiers ouvrages, comme lui en avait donné l'exemple le
+ savant Politien, semblait recommander à la postérité la
+ précocité de ses inspirations. Le suivant badinage, également
+ écrit en 1807, n'a jamais été imprimé; il est intraduisible;
+ nous le donnerons en anglais:
+
+ EPITAPH
+
+ ON JOHN ADAMS, OF SOUTHWELL, A CARRIER,
+
+ WHO DIED OF DRUNKENNESS.
+
+ _John Adams lies here, of the parish of Southwell,
+ A_ carrier, _who_ carried _his can to his mouth well;
+ He_ carried _so much, and he_ carried _so fast,
+ He could_ carry _no more, so was_ carried _at last;
+ For, the liguor he drank being too much for one,
+ He could not_ carry _off, so he's now_ carri-on.
+
+ B., sept. 1807.]
+
+Mais le plus remarquable de ses poèmes est d'une date antérieure à
+toutes celles que je viens de donner, ayant été écrit en décembre 1806,
+quand il n'avait pas encore dix-neuf ans. Il contient sa profession de
+foi religieuse à cette époque, et nous montre combien son esprit lutta
+de bonne heure entre le doute et la piété:
+
+
+PRIÈRE DE LA NATURE.
+
+Père de la lumière! grand Dieu du ciel! entends-tu les accens du
+désespoir? Des fautes comme celles de l'homme peuvent-elles être jamais
+pardonnées? Le vice peut-il expier des crimes par des prières? Père de
+la lumière, j'élève vers toi mes accens! Tu le vois, mon ame est noircie
+de souillures; toi qui peux observer la chute du plus petit oiseau,
+détourne de moi la mort du péché.
+
+Je ne cherche point de sectes inconnues; oh! montre-moi le sentier de la
+vérité! Je reconnais ta toute-puissance redoutable, épargne les fautes
+de ma jeunesse en les corrigeant. Que les dévots élèvent, s'ils le
+veulent, des temples obscurs; que la superstition en salue humblement
+les portiques; que, pour étendre et affermir leur empire funeste, les
+prêtres inventent des rites mystiques et mensongers. L'homme
+bornera-t-il le domaine de son créateur à ces dômes gothiques qui
+surmontent des amas de pierres à moitié détruites? Ton temple est la
+face du jour; la terre, l'océan, le ciel te forment un trône sans
+limites.
+
+L'homme condamnera-t-il sa propre race aux tourmens de l'enfer, à moins
+qu'ils ne fléchissent le genou devant de vaines pompes? Nous dira-t-il
+que, pour un seul qui a failli, tous doivent périr confusément dans la
+tempête? Chacun prétendra-t-il gagner les cieux, et cependant condamner
+son frère à la mort éternelle, parce que son ame s'est ouverte à des
+espérances différentes, ou qu'il a suivi des doctrines moins sévères?
+Iront-ils, aux moyens de croyances qu'ils ne sauraient expliquer,
+décider d'avance tes grâces et tes châtimens? Des reptiles rampans sur
+la terre connaîtront-ils les desseins de leur grand créateur?
+
+Ces hommes qui n'ont vécu que pour eux-mêmes, qui ont passé leurs années
+dans des crimes renouvelés chaque jour, trouveront-ils dans leur foi une
+compensation à leurs forfaits, et vivront-ils au-delà des limites du
+tems?
+
+Ô mon père! je ne cherche les lois d'aucun prophète; tes lois, à toi,
+apparaissent dans les ouvrages de la nature. Je suis, je l'avoue, faible
+et corrompu, et cependant je te prierai, car tu m'entendras! Toi qui
+guides l'étoile errante à travers les royaumes infinis de l'éther, qui
+calmes la guerre des élémens, et dont j'aperçois la main d'un pôle à
+l'autre pôle; toi qui, dans ta sagesse, m'as placé ici-bas, et qui peux
+m'en retirer quand telle sera ta volonté; tant que je serai sur cette
+terre périssable, étends sur moi ta main protectrice. C'est à toi, à
+toi, mon Dieu, que j'adresse mes prières; quelque bonheur ou quelque
+malheur qui m'arrive, qu'à ta volonté je m'élève ou m'abaisse, je me
+confie en ta protection: si, quand cette poussière sera rendue à la
+poussière, mon ame parcourt les airs sur des ailes rapides, comme
+j'adorerai ton nom glorieux! mais si cet esprit passager partage avec le
+corps le repos éternel de la tombe, tant qu'il me restera un souffle de
+vie, j'élèverai vers toi ma prière, quoique condamné à ne jamais quitter
+la demeure des morts. C'est à toi que j'adresse mes dernières
+inspirations, plein de reconnaissance pour tes bienfaits passés, et
+espérant, ô mon Dieu, que cette vie errante se réunira enfin à ton
+essence.
+
+Dans un autre poème, et qu'il écrivit avec la triste conviction qu'il
+allait bientôt mourir, nous retrouvons une prière exprimant à peu près
+les mêmes opinions. Après avoir dit adieu à toutes les scènes favorites
+de sa jeunesse[66], voici comme il continue:
+
+ [Note 66: Annesley n'est pas oublié en cette occasion:
+
+ «Oublierai-je la scène toujours présente à ma pensée? Les
+ rochers s'élèvent et les rivières serpentent entre moi et les
+ lieux que notre amour embellissait, et cependant, Marie, ta
+ beauté m'apparaît fraîche encore, comme un délicieux songe
+ d'amour, etc., etc.»]
+
+Oublie ce monde, ô mon ame agitée, tourne tes pensées vers le ciel; tu y
+dirigeras bientôt ta course, si tes erreurs sont oubliées. Loin des
+bigots et des sectaires, incline-toi devant le trône du Tout-Puissant,
+adresse-lui ta tremblante prière. Il est clément et juste, il ne
+rejettera pas la prière de l'enfant de la poussière, quoiqu'il soit le
+moindre objet de ses soins. Père de la lumière, j'élève vers toi mes
+accens! Tu le vois, mon ame est pleine de souillures; toi qui peux
+observer la chute du plus petit oiseau, détourne de moi la mort du
+péché. Toi qui peux guider l'étoile errante, qui calmes la guerre des
+élémens, qui as pour manteau les cieux immenses, pardonne mes pensées,
+mes paroles, mes crimes; et puisque je dois bientôt cesser de vivre;
+apprends-moi comment je dois mourir.
+
+Nous avons vu par une lettre précédente qu'il avait eu à se féliciter de
+l'issue d'un procès jugé au tribunal de Lancastre, et relatif à la terre
+de Rochdale. Dans une note que nous allons reproduire, et qu'il écrivit
+à l'un de ses amis de Southwell à l'occasion d'un second triomphe dans
+la même cause, on verra qu'il s'en exagérait beaucoup les résultats
+probables.
+
+
+9 février 1807.
+
+MON CHER,
+
+«J'ai le plaisir de vous annoncer que j'ai gagné une seconde fois la
+cause de Rochdale, qui me fait valoir soixante mille livres de plus.
+
+Tout à vous.»
+
+BYRON.
+
+Au mois d'avril suivant il était encore à Southwell, et c'est de là
+qu'il écrivit au docteur Pigot, alors à Édimbourg[67]:
+
+ [Note 67: Il paraît, d'après un passage d'une lettre de miss
+ Pigot à son frère, que Lord Byron chargea ce dernier de
+ remettre une copie de ses poèmes à M. Mackenzie, l'auteur de
+ l'_Homme sensible_: «Je suis ravie que M. Mackenzie ait vu
+ une copie des poèmes de Lord Byron, et qu'il en ait jugé
+ aussi favorablement. Lord Byron en est enchanté.»
+
+ Dans une autre lettre, l'aimable écrivain dit encore: «Lord
+ Byron me charge de vous dire qu'il ne vous écrit pas parce
+ que son édition n'est pas aussi avancée qu'il l'avait espéré.
+ Je lui dis qu'il faut aussi peu de chose pour l'affecter qu'à
+ une femme.»]
+
+
+Southwell, avril 1807.
+
+MON CHER PIGOT,
+
+«Permettez-moi de vous féliciter du succès de votre premier examen;
+_courage_, mon ami. Le titre de docteur fera merveille auprès des dames.
+Je serai probablement à Essex ou à Londres quand vous arriverez en ce
+lieu maudit, où je suis encore retenu par l'impression de mes vers.
+
+«Adieu, croyez-moi toujours bien sincèrement votre
+
+BYRON.
+
+«_P. S._ Depuis notre séparation, grâce à de violens exercices, la
+_plupart_ physiques, et aux bains chauds, j'ai réduit mon embonpoint de
+cent soixante-quatorze livres à cent quarante-un; total vingt-sept
+livres de perte. _Bravo_! qu'en dites-vous?»
+
+Je dois à la complaisance de la dame qui correspondait alors avec Byron
+l'avantage de pouvoir initier le lecteur dans les sentimens et les
+travaux de notre poète pendant le reste de cette année. Ces lettres ont,
+sans doute, un caractère enfantin[68], et la plupart des plaisanteries
+qu'on y trouve naissent plutôt de jeux de mots que de pensées
+saillantes; mais je les estime cependant fort curieuses, et par la
+lumière qu'elles répandent sur cette époque de sa vie, et par le tableau
+animé des craintes et des espérances qu'il avait relativement à sa
+gloire future. La première de ces lettres ne porte pas de date, elle
+semble avoir été écrite avant son départ de Southwell; les autres, comme
+on le verra, sont datées de Cambridge et de Londres.
+
+ [Note 68: En effet, il n'était encore qu'un enfant sous tous
+ les rapports dans ce tems-la. «Lundi prochain (dit miss
+ Pigot) est notre grande foire. Lord Byron l'attend avec le
+ même plaisir que le petit Henri, et se promet de paraître à
+ cheval dans la foulée; mais je pense qu'il changera de
+ résolution.»]
+
+
+
+
+LETTRE XII.
+
+À MISS PIGOT.
+
+11 juin 1807.
+
+
+MA CHÈRE REINE BESS[69],
+
+«_Sauvage_ doit être immortel; ce n'est pas un généreux boul-dogue, mais
+c'est le plus joli roquet que j'aie encore vu, et il fera parfaitement
+l'affaire. Dans ses accès de tendresse, il a déjà mordu les doigts et
+dérangé la gravité du vieux Boatswain, qui en est encore fort ému. Je
+désire savoir ce qu'il coûte, les frais qu'il a occasionnés, etc., etc.,
+afin de pouvoir indemniser M. G... Je ne puis que le remercier de la
+peine qu'il a prise, lui adresser un long discours et conclure avec 1,
+2, 3, 4, 5, 6, 7[70]; mais je suis hors d'état de faire tout cela par
+moi-même, ainsi je vous _députe_ en qualité de légat, car il ne faut pas
+parler d'_ambassadeur_, relativement au _pape_, comme c'est le cas ici
+sans doute, puisque tout ce que je vous ai dit est à propos de
+_bulle_[71].
+
+«Tout à vous.
+
+BYRON.
+
+«_P. S._ Je vous écris de mon lit.»
+
+ [Note 69: Diminutif d'Élisabeth. Byron, en l'appelant reine,
+ fait allusion à la reine Élisabeth.]
+
+ [Note 70: Cette phrase s'explique par son habitude, quand il
+ lui arrivait de ne pas trouver les expressions de la pensée
+ qu'il voulait exprimer, de prononcer les chiffres 1, 2, 3, 4,
+ 5, 6, 7.]
+
+ [Note 71: Bull-dog ou boul-dogue. On comprendra facilement le
+ jeu de mois.]
+
+
+
+
+LETTRE XIII.
+
+À LA MÊME.
+
+Cambridge, 30 juin 1807.
+
+
+«Mieux vaut tard que jamais, c'est un proverbe dont vous connaissez
+l'origine, et, comme son application est ici toute naturelle, vous me
+pardonnerez de lui avoir donné dans ma lettre une place aussi honorable.
+Je me trouve ici presque suranné; mes anciens amis, excepté un fort
+petit nombre, sont tous partis, et je me dispose à les suivre, mais je
+reste jusqu'à lundi pour assister à trois oratorios, deux concerts, une
+foire et un bal. Je me trouve non-seulement _plus maigre_, mais d'un
+pouce plus _grand_ qu'à mon dernier voyage. Je me suis vu obligé de
+redire à chacun mon _nom_, personne n'ayant le moindre souvenir de ma
+figure ni de ma personne. Il n'est pas jusqu'au héros de ma _Cornaline_
+(qui, dans ce moment, se trouve placé vis-à-vis, lisant un volume de mes
+poésies), qui n'ait passé devant moi dans les promenades du collége sans
+me reconnaître, et qui n'ait été frappé du changement total qui s'était
+opéré en moi, etc., etc. Les uns me trouvent mieux, les autres plus mal;
+mais tous s'accordent à dire que je suis maigri, plus même que je ne le
+désire. J'ai perdu deux livres d'embonpoint depuis mon départ de votre
+maudit, détestable et détesté séjour de scandale[72], dont, à
+l'exception de vous-même et de John Becher, je voudrais voir toute la
+race consignée dans les gouffres de l'Achéron, lequel fleuve j'aimerais
+mieux visiter en personne que de salir mes sandales dans la vile
+poussière de Southwell. À parler sérieusement, si la légèreté de ma
+bourse ne me force pas à rejoindre Mrs. Byron, vous ne me reverrez plus.
+
+ [Note 72: Malgré les injures, d'ailleurs plutôt badines que
+ sérieuses, qu'il lance dans le cours de ses lettres contre
+ Southwell, il apprit plus tard à se convaincre que les heures
+ qu'il y avait passées étaient les plus heureuses de sa vie.
+ Dans une lettre qu'écrivit, il n'y a pas long-tems, à son
+ valet Fletcher, une dame qui l'avait intimement connu à
+ Southwell, on trouve le passage suivant: «Votre bon, votre
+ pauvre maître m'appelait toujours _l'antique piété_, quand je
+ m'avisais de lui faire des remontrances. Lors de sa dernière
+ visite, il me dit: _Eh bien! ma bonne amie, je ne serai
+ jamais aussi heureux qu'à Southwell_.» On verra plus loin,
+ dans une lettre à M. Dallas, ce qu'il pensait réellement de
+ cette ville et de ses agrémens comme lieu de résidence.]
+
+«Je pars lundi pour Londres; je quitte Cambridge sans beaucoup de peine,
+notre société étant dispersée, et le musicien que je protégeais ayant
+quitté sa place dans le chœur pour entrer dans une grande maison de
+commerce de la capitale. Je vous ai dit, sans doute, qu'il était
+exactement, et à une heure près, plus jeune que moi de deux années. Je
+l'ai trouvé fort grandi, et surtout enchanté de revoir son premier
+_patron_. Il est presque de ma taille, très-maigre, d'une belle figure,
+des yeux noirs, des cheveux clairs: vous connaissez déjà l'idée que j'ai
+de son esprit; j'espère bien n'avoir jamais sujet d'en changer. On me
+croit ici généralement indisposé: l'université est fort gaie dans ce
+moment; elle donne des fêtes de tous les genres. Hier j'ai soupé dehors,
+mais je n'ai rien mangé; satisfait d'une bouteille de Bordeaux, je me
+suis couché à deux heures pour me lever à huit. J'ai pris le parti de me
+lever de bonne heure, cette habitude me convient parfaitement. Je reçois
+beaucoup de politesses des maîtres et des élèves; mais ils me regardent
+avec un peu de défiance: ils se soucient peu des _lardons_; le moyen de
+déplaire c'est de dire la vérité.
+
+«Écrivez-moi, dites-moi comment se partent les habitans de votre
+_ménagerie_, si mon édition se place, si mes chiens grognent. À propos,
+mon boul-dogue est décédé; _la chair du chien comme celle de l'homme
+n'est que de l'herbe_. Répondez-moi à Cambridge; si j'en suis parti, on
+m'enverra votre lettre. Voici de tristes nouvelles qui arrivent: les
+Russes sont vainqueurs; triste troupe qui ne mange que de l'_huile_, et
+par conséquent devait fondre devant un _feu soutenu_. Je ne suis pas à
+mon aise dans mon costume universitaire, je n'en ai pas l'usage. Je suis
+monté sur une fenêtre à Sainte-Marie pour mieux entendre un _oratorio_;
+mais au milieu du chant du _Messie_, je me suis laissé tomber, déchirant
+ma superbe robe de soie noire, et endommageant une fort belle paire de
+culottes. Mémoire, prendre garde de ne jamais tomber d'une fenêtre
+d'église pendant le service. Adieu, ma chère Élisabeth, ne me rappelez à
+personne, oubliez les gens de Southwell; en être oublié, voilà tout ce
+que je désire.»
+
+
+
+
+LETTRE XIV.
+
+À MISS PIGOT.
+
+Cambridge, collége de la Trinité, 5 juillet 1807.
+
+
+«Depuis ma dernière lettre, je me suis décidé à rester encore une année
+à Granta (Cambridge); mes appartemens y sont meublés dans le dernier
+style. Plusieurs vieux amis me sont revenus, et leur nombre s'est
+augmenté de nouvelles connaissances; mon inclination est donc pour le
+collége, et j'y retournerai en octobre si je vis encore. Ma vie est ici
+une suite continuelle de plaisirs; je vais dans le même jour à vingt
+différens endroits; j'ai des invitations pour dîner plus que le tems de
+mon séjour ne me permet d'en accepter. Je viens de prendre la plume, une
+bouteille de Bordeaux dans la tête et des larmes dans les yeux, car je
+viens de quitter ma Cornaline[73] qui était venue passer la soirée avec
+moi; comme c'était notre dernière entrevue, j'avais manqué aux
+invitations que l'on m'avait faites pour consacrer à l'amitié les heures
+du _sabbat_. Maintenant nous voilà séparés, Edleston et moi: ma tête est
+un chaos d'ennuis et d'espérances. Demain je partirai pour Londres; vous
+m'écrirez à Albemarle-street, hôtel Gordon, où j'habiterai pendant mon
+séjour dans la capitale.
+
+«Je suis ravi d'apprendre que vous vous intéressiez à mon _protégé_; il
+a été mon _très-constant associé_ depuis le mois d'octobre 1805, époque
+de mon entrée au collége Trinité. Sa voix fut la première à me frapper,
+sa figure m'attacha à lui, ses manières me le firent aimer pour la vie.
+Il entre dans une maison de commerce en ville vers le mois d'octobre, et
+tout porte à croire que je ne le reverrai pas avant l'époque de ma
+majorité, quand je pourrai lui donner à choisir ou d'une place d'associé
+dans sa maison, ou de venir demeurer avec moi. Je pense que, dans ses
+idées actuelles, il préférerait le dernier parti; mais d'ici là il
+pourra bien changer d'avis: dans tous les cas ce sera comme il
+l'entendra. Il est certain que c'est l'être que j'aime le plus au monde,
+et que ni le tems ni l'absence ne pourront changer en rien mes sentimens
+d'ailleurs si mobiles. Bref, nous ferions honte à lady E... Butler et
+miss Ponsonby, nous étonnerions Oreste et Pilade; et vienne l'occasion
+d'une catastrophe comme celle de Nisus et Euryale, nous l'emporterons
+sur David et Jonathan. Peut-être a-t-il pour moi encore plus d'affection
+que je n'en ai pour lui. Pendant tout mon tems de Cambridge, nous nous
+sommes vus tous les jours, été et hiver, sans éprouver un moment
+d'ennui, et nous séparant toujours avec une peine incroyable. Vous nous
+verrez un jour ensemble, je l'espère; c'est le seul homme que j'estime,
+bien que ce ne soit pas le seul que j'aime[74].
+
+ [Note 73: C'est-à-dire celui auquel il avait donné la fameuse
+ cornaline.]
+
+ [Note 74: Il faut placer ici les autres détails de cette
+ amitié exaltée. Le jeune Edleston mourut en 1811 de
+ consomption. Voici la lettre que Byron adressa à la mère de
+ miss Pigot; elle prouvera quelle fut alors sa douleur, et
+ quelle fidélité il gardait à la mémoire de cet ami de
+ collége:
+
+ Cambridge, 28 octobre 1811.
+
+ MA CHÈRE DAME,
+
+ «Je vous écris pour une demande pénible, et cependant il
+ m'est impossible de faire autrement. Vous vous souvenez d'une
+ cornaline que j'avais confiée à miss Élisabeth, il y a
+ quelques années, que réellement je lui avais donnée;
+ maintenant je viens lui faire la plus égoïste et la plus
+ inconvenante prière. Celui qui me l'avait donnée, dans sa
+ première jeunesse, est _mort_; et bien que je ne l'eusse pas
+ revu depuis long-tems, c'est le seul souvenir qui me reste de
+ cette personne à laquelle je m'intéressais très-vivement.
+ Elle a donc acquis par cet événement une valeur que j'aurais
+ bien souhaité ne jamais lui supposer. Si donc miss Betty l'a
+ conservée jusqu'à présent, elle m'excusera, je l'espère, si
+ je la supplie de me la renvoyer à Londres, à
+ Saint-James-street, n° 8; je la remplacerai par quelque autre
+ souvenir qui lui sera également précieux. Elle eut toujours
+ la bonté de s'intéresser au sort de celui dont je viens de
+ parler; dites-lui que le _donneur_ de la cornaline mourut au
+ mois de mai dernier, à l'âge de vingt-un ans, et que sa mort
+ est la sixième d'amis ou de parens que j'aie eu à supporter
+ dans l'espace de quatre mois.
+
+ «Croyez-moi bien sincèrement, ma chère dame,
+
+ BYRON.
+
+ «_P. S._ Je pars demain pour Londres.»
+
+ La cornaline fut aussitôt renvoyée à Lord Byron, qui
+ rappelait encore quelque tems après qu'il l'avait laissée à
+ miss Pigot comme un dépôt et non pas comme un don.]
+
+«Le marquis de Tavistock est arrivé hier; j'ai soupé avec lui chez son
+tuteur, qui est un whig délibéré. L'opposition est ici en nombre, et
+lord Huntingdon, le duc de Leinster, etc., etc., doivent encore nous
+joindre en octobre; ainsi tout sera admirable. Le tems de la musique est
+passé; mais voici un nouvel accident: j'ai renversé une _nacelle_ à
+beurre sur la robe d'une dame; j'ai changé de couleur; les spectateurs
+de rire et moi de les maudire. À propos, aveu pénible! je me suis
+_grisé_ tous les jours, et je n'ai pas encore fini; cependant je ne
+mange rien que du poisson, du potage et des végétaux; je ne me porte
+donc pas plus mal. Les sots malins que ces Cantabres[75]! Mémoire.
+Projet de réforme pour janvier. Cette ville offre une monotonie de
+distractions continuelles; je l'aime, et déteste Southwell. Ridge a-t-il
+bien vendu? Quelles dames ont acheté?... J'ai vu à Sainte-Marie une
+jeune fille, vrai portrait d'Anne... J'ai cru que c'était elle... et
+pour mon malheur; car la dame s'arrêta, ainsi le fis-je; je rougis,
+ainsi ne fit-elle pas, ce qui était fort mal; je voudrais dans les
+femmes plus de modestie. En parlant de femmes, Fanni, mon chien terrier,
+me revient à l'esprit; comment se porte-t-il? J'ai attrapé un mal de
+tête, je vais me mettre au lit et demain haut le pied de bonne heure
+pour me mettre en route. Mon protégé déjeunera avec moi, mais je n'ai
+pas d'appétit quand je pars, si ce n'est de Southwell. Mémoire. _Je hais
+Southwell_.
+
+«Tout à vous.»
+
+ [Note 75: Les habitans de Cambridge.]
+
+
+
+
+LETTRE XV.
+
+À LA MÊME.
+
+Hôtel Gordon, 13 juillet 1807.
+
+
+«Vous m'écrivez des lettres parfaites.--Fi des autres correspondans, et
+de leurs fades excuses _de n'avoir rien à vous apprendre_! Vous m'avez
+envoyé une délicieuse _brochure_; ici je me trouve dans un continuel
+tourbillon de distractions fort agréables après tout, et, chose
+singulière, je maigris à vue d'œil, pesant maintenant bien moins de cent
+trente livres. Je séjournerai ici un mois, peut-être six semaines; je
+ferai une apparition dans le comté d'Essex, et comme une faveur je
+viendrai briller à Southwell dans toute ma gloire; mais rien jamais ne
+pourra me forcer à y résider. Je suis décidé à retourner en octobre à
+Cambridge; ou nous y serons d'une gaîté folle, ou je décampe de
+l'université. Il m'est arrivé à Cambridge quelque chose
+d'extraordinaire. J'ai trouvé une jeune fille qui ressemblait à ***, au
+point que la plus minutieuse inspection pouvait seule m'empêcher de la
+prendre pour cette dernière. Je me repens de ne pas lui avoir demandé si
+elle était jamais allée à Harrow.
+
+«Que diable prétend donc Ridge? cinquante exemplaires en quinze jours,
+et avant les annonces, n'est-ce pas assez vendre? Je sais que plusieurs
+libraires de Londres en ont, et que Crosby en a envoyé aux _eaux_ les
+plus fréquentées. En dit-on à Southwell du bien ou du mal?... J'aurais
+voulu que Boatswain eût _avalé_ Damon. Comment se porte Bran? Par les
+dieux, il faut que Bran devienne un _comte du saint empire romain_...
+
+«Les nouvelles de Londres ne peuvent guère vous intéresser; vous dont
+toute la vie a été campagnarde vous vous souciez peu des routs, des
+parties, des bals, des luttes, des cartes, des crim. con.[76],
+discussions des chambres, politique, bals masqués, industrie,
+institution d'Argyle-Street, courses nautiques, amourettes et loteries,
+Brook et Bonaparte, chanteurs d'opéras et oratorios, vins, femmes,
+figures de cire, girouettes, tout cela ne s'accorde guère avec vos idées
+rétrécies de décorum et vos autres expressions sucrées qui ne se
+trouvent plus dans notre vocabulaire.
+
+ [Note 76: Abréviation des mots _criminelles conversations_,
+ qui servent à désigner les actions en adultère, viols,
+ attentats à la pudeur, etc., etc.]
+
+«Oh! Southwell! Southwell! combien je me félicite de t'avoir abandonné,
+et combien je maudis les lourdes heures écoulées plusieurs mois durant,
+au milieu des Mohawk qui habitent tes kraals! Toutefois une chose me
+console, c'est, grâce à toi, d'avoir dépouillé assez de mon ancienne
+graisse pour me permettre de glisser dans une _peau d'anguille_, et de
+lutter avec les plus sveltes beaux des tems modernes. Mais je suis fâché
+de le dire, la mode actuelle semble exiger de l'embonpoint, et l'on
+m'assure qu'il s'en faut de quatorze livres que je sois à la mode. Il
+n'en est pas moins vrai qu'au lieu d'engraisser je diminue, ce qui est
+extraordinaire, attendu qu'à Londres on ne peut songer à des exercices
+violens. J'attribue ce phénomène à la presse que nous éprouvons dans nos
+réunions du soir. Je reçois ce matin même 14, une lettre de Ridge; la
+mienne était commencée d'avant-hier: il m'écrit que mon livre se débite
+aussi bien qu'on peut le désirer; que les soixante-quinze exemplaires
+envoyés à Londres sont épuisés, et qu'on lui en demande, le jour même
+qu'il m'écrivait, cinquante de plus: on n'a pourtant pas encore fait la
+moitié des annonces. Adieu.
+
+«_P. S._ Lord Carlisle, en recevant mes œuvres, m'a fait tenir une
+lettre assez satisfaisante avant d'avoir ouvert le livre: depuis je n'en
+ai pas entendu parler. Je ne connais pas l'opinion qu'il en a formée, et
+je m'en soucie fort peu. S'il fait la moindre insolence je l'encadrerai
+avec Butler[77] et les autres de sa force. Le pauvre homme! il est dans
+le duché d'York et fort malade; il me dit qu'il n'a pas eu le tems de me
+lire, mais qu'il a jugé convenable de m'annoncer de suite qu'il avait
+reçu mon envoi. Peut-être le comte ne veut-il _pas souffrir de frère
+auprès de son trône_[78].--_S'il en est ainsi_, je saurai bien briser
+_le sceptre dans ses mains_.--
+
+«Adieu.»
+
+BYRON.
+
+ [Note 77: Byron a inséré parmi ses poèmes imprimés, sans
+ avoir été publiés, quelques vers sur le docteur Butler, qu'il
+ n'a pas reproduits dans les _Heures d'oisiveté_; il y avait
+ ajouté une note moins amère, dans laquelle il expliquait ses
+ motifs de rancune.]
+
+ [Note 78: Citation qui présente une allusion à la coutume du
+ Grand-Seigneur, de faire étrangler ses frères en montant sur
+ le trône.]
+
+
+
+
+LETTRE XVI.
+
+À LA MÊME.
+
+2 août 1807.
+
+
+«Londres commence à dégorger ce qu'elle contenait.--La ville est
+déserte,--et mes occupations devenant moins nombreuses, je puis
+griffonner à loisir. Dans quinze jours je partirai pour répondre à une
+invitation de campagne, mais j'espère bien recevoir d'ici-là deux
+lettres de vous. Ridge _n'écoule_ pas rapidement dans Nottes.--Je le
+crois facilement; mais dans la capitale la chose se passe d'une manière
+bien plus flatteuse, et sans doute on peut se passer de l'assentiment
+des littérateurs de province, quand on a d'ailleurs obtenu l'éloge des
+revues, l'admiration des duchesses et la reconnaissance intéressée des
+libraires de la capitale. J'ai actuellement sous les yeux une revue
+intitulée: _Récréations littéraires_; mes poésies y sont vantées bien
+au-delà de leur mérite. Je ne connais pas mon juge, mais je lui trouve
+beaucoup de discernement, et à moi un talent _d'enfer_. Sa critique me
+plaît surtout en ce qu'elle est fort longue, et en ce qu'elle a
+justement la dose de sévérité nécessaire pour donner à ses éloges un
+agréable relief. Je hais, vous le savez, les complimens communs et
+insipides. Si vous voulez voir cet article, cherchez le troisième numéro
+des _Récréations littéraires_ du mois dernier.
+
+«Je n'ai pas, je vous le répète, la plus légère idée de celui qui l'a
+fait: il est imprimé dans un recueil périodique; et bien qu'on ait
+inséré dans le même ouvrage un morceau de ma composition (l'_Examen de
+Wordsworth_[79]), je ne connais aucun de ceux qui s'intéressent à cette
+publication, pas même l'éditeur, dont le nom n'est pas parvenu jusqu'à
+moi. Mon cousin, lord Alexandre Gordon, m'a dit que la _Grâce_ de
+Gordon, sa mère, l'avait engagé à présenter ma _poétique_ seigneurie à
+son _altesse_, attendu qu'elle avait acheté mon livre, qu'elle l'avait
+prodigieusement admiré, comme le reste de la haute société, et qu'elle
+voulait faire connaissance avec l'auteur. Malheureusement j'avais une
+invitation pour quelques jours dans les environs, et la duchesse était à
+la veille de partir pour l'Écosse; j'ai donc remis à l'hiver prochain ma
+présentation, et alors je pourrai donner à la dame, dont il ne
+m'appartient pas de contester l'excellent goût, une idée de ma sublime
+et très-édifiante conversation. En ce moment elle est dans les _hautes
+terres_, et Alexandre lui-même est parti depuis quelques jours pour ce
+séjour béni des vents _noirs_ et _tumultueux_.
+
+ [Note 79: On ne doit remarquer ce coup d'essai de Lord Byron
+ dans les _revues_ (plus tard, comme on le verra, il reparut
+ une ou deux fois dans la même lice, d'ailleurs si peu
+ poétique), qu'en rappelant l'aisance avec laquelle il sut se
+ plier au ton et à la phraséologie de ces tribunaux infimes de
+ la littérature; par exemple: «Les volumes que nous avons sous
+ les yeux sont de l'auteur des _Ballades lyriques_, collection
+ à laquelle on a prodigué, et non pas sans raison, de grands
+ éloges. Le caractère du talent de M. Wordsworth est la
+ simplicité unie à l'abondance: les vers pèchent quelquefois
+ du côté de l'harmonie, mais ils ont de la force; ils
+ s'adressent d'une manière irrésistible à l'imagination et à
+ tous nos sentimens naturels. Peut-être ces derniers ouvrages
+ n'égalent-ils pas les premières publications du même auteur;
+ mais on retrouve encore une véritable élégance dans une foule
+ de pièces, etc.» Si dans ce tems-là M. Wordsworth jeta les
+ yeux sur cet article, il ne prévit pas sans doute que
+ l'auteur d'une pareille prose rivaliserait, à quelque tems de
+ là, avec _lui-même_ dans la lice poétique.]
+
+«Crosby, mon éditeur de Londres, a placé sa seconde _commande_. Il en a
+redemandé, du moins si je l'en crois, une troisième à Ridge. Sur tous
+les étalages de librairie, je vois mon _propre nom_; je ne dis rien,
+mais je jouis en secret de ma célébrité. Le dernier critique qui se soit
+occupé de moi, m'a engagé avec bienveillance à renoncer à mon projet de
+ne plus rien écrire; et, en _sa qualité d'ami des lettres_, il m'a
+conjuré de _gratifier bientôt_ le public de quelque nouvel ouvrage. Qui
+diable ne voudrait être poète, c'est-à-dire, si tous les critiques
+avaient la même politesse? Au reste, je paierai peut-être cher ces
+aimables faveurs préliminaires; mais, dans ce cas-là, j'aurai mon tour;
+et, tant bien que mal, je n'en ai pas moins écrit, dans mes instans de
+loisir et après deux heures du matin, trois cent quatre-vingts vers
+blancs sur la bataille de Bosworth. J'avais heureusement pu consulter le
+livre de Hutton. Je ferai huit ou dix chants sur ce sujet, et je l'aurai
+terminé à la fin de l'année; mais les circonstances décideront si je
+ferai imprimer ou non ce poème. Voilà bien assez d'_égoïsme_: mes
+lauriers m'ont tourné la cervelle; mais sans doute la caustique
+assiduité des critiques à venir, me ramènera à des sentimens plus
+modestes.
+
+«Southwell est une place maudite; j'en ai fini avec elle, du moins
+suivant toutes les probabilités: à l'exception de vous, je ne porte pas
+la moindre estime à une seule ame de son enceinte; vous étiez la seule
+compagnie raisonnable, et franchement j'ai toujours eu pour vous plus de
+considération que pour les grues dont je partageais souvent les
+ridicules, par bonté d'ame. Vous vous êtes donné pour moi et pour mes
+manuscrits plus de peine que ne l'eussent fait tous ces mannequins
+réunis. Croyez-moi, je n'ai pas, dans le cercle de péchés où je vis en
+ce moment, oublié votre excellent naturel, et un jour j'espère bien vous
+prouver toute la reconnaissance que j'en conserve. Adieu. Tout à vous,
+etc.
+
+«_P. S._ Rappelez-moi au docteur P...»
+
+
+
+
+LETTRE XVII.
+
+À LA MÊME.
+
+Londres, 11 août 1807.
+
+
+«Je pars lundi _pour les hautes terres_[80]; un de mes amis
+m'accompagnera dans ma voiture jusqu'à Édimbourg; c'est là que nous
+quitterons notre équipage pour prendre un _tamdem_ (sorte de cabriolet),
+qui nous conduira au milieu des défilés de l'ouest jusqu'à Inverary.
+Nous achèterons alors des échasses afin de pénétrer dans les endroits
+défendus aux moyens de transport ordinaires. Quand nous serons sur les
+côtes, nous entrerons dans un vaisseau pour visiter les lieux les plus
+remarquables des îles Hebrides, et si le tems nous le permet, nous irons
+jusqu'en Islande à trois cents milles seulement de l'extrémité
+septentrionale de l'Écosse afin de saluer l'_Hécla_. Ne divulguez pas ce
+dernier projet, ma tendre _maman_ imaginerait que nous voyageons pour
+découvrir de nouvelles terres, et ferait entendre comme d'habitude un
+maternel cri d'alarme.
+
+ [Note 80: Ce plan, qu'il n'exécuta jamais, avait été résolu
+ avant son départ de Southwell; voici comme il en est parlé
+ dans une lettre de miss Pigot à son frère: «Comment
+ pouvez-vous demander si Lord Byron ira cet été dans les
+ _hautes terres_ (ou _Highlands_) d'Écosse? Ignorez-vous donc
+ qu'il n'a pas la même idée dix minutes de suite? Je lui dis
+ qu'il est aussi inconstant que les vents et aussi mobile que
+ les vagues.»]
+
+«J'ai nagé dans la Tamise la semaine dernière entre les deux ponts de
+Westminster et de Blackfriars, ce qui fait, en y comprenant les
+différent détours obligés, une distance de trois milles. Vous voyez que
+je suis préparé complètement à un naufrage sur mer.
+
+«J'ai l'intention de réunir toutes les traditions Erses, les poèmes,
+etc., etc., de les traduire ou du moins d'étendre assez le sujet pour
+faire un volume qui paraîtra au printems prochain sous le titre de _la
+Harpe montagnarde_ ou quelque autre titre aussi pittoresque. J'ai
+terminé le premier livre de la bataille de Bosworth; un second est
+commencé, ce sera l'affaire de trois ou quatre ans, et sans doute il ne
+sera jamais fini. Que penseriez-vous de quelques stances sur le mont
+Hecla? Du moins elles seraient écrites sous le _feu_. Comment va
+l'immortel Bran? et ce phénix des bêtes canines, le superbe Boatswain?
+Je viens d'acheter un boul-dogue de race, digne d'être le coadjuteur des
+précédentes divinités; son nom est Smut. _Oh! zéphirs, portez-le sur vos
+ailes embaumées_. Écrivez-moi avant mon départ, je vous en conjure par
+la cinquième côte de votre grand-père. Ridge est content de la vente, et
+cela me console du peu de succès du livre en province. La vogue a été
+complète à Londres: il y a peu de jours que Carpantier, l'éditeur de
+Moore, m'a dit qu'on avait vendu tout ce qu'on avait envoyé, et qu'on ne
+pouvait satisfaire aux dernières demandes parce qu'on n'en avait plus.
+Le duc d'York, la marquise de Headfort, la duchesse de Gordon, etc., se
+sont trouvés au nombre des acheteurs, et l'opinion de Crosby est que la
+circulation sera plus rapide encore dans l'hiver. L'été est une saison
+nulle pour le commerce, tant il y a peu de monde à Londres, et cependant
+ils sont extrêmement contens. Je passerai tout près de vous dans le
+cours de mon voyage, mais je ne pourrai aller vous voir. Ne le dites pas
+à Mrs. Byron, elle croit que je prends une autre route. Si donc vous
+avez une lettre, mettez-la à la boutique de Ridge, où je m'arrêterai, ou
+bien adressez-la, poste restante, à Newark, vers six ou huit heures du
+soir. Si votre frère veut bien se trouver là, je serai diablement ravi
+de le voir; il pourra repartir le soir même, ou bien souper avec nous,
+et retourner le lendemain matin. Je loge aux Armes de Kingston.
+
+«Adieu. Tout à vous.»
+
+BYRON.
+
+
+
+
+LETTRE XVIII.
+
+À LA MÊME.
+
+Collége de la Trinité, Cambridge, 25 octobre 1807.
+
+
+MA CHÈRE ÉLISABETH,
+
+«Fatigué d'être resté au jeu ces deux derniers jours jusqu'à quatre
+heures du matin[81], je prends la plume pour m'informer de la santé de
+votre altesse et de toutes les autres connaissances féminines que j'ai
+laissées dans votre métropole archiépiscopale. Je mérite, je le sais, de
+grands reproches pour ma négligence; mais ne faisant que courir à cheval
+de long en large dans la province depuis trois mois, comment aurais-je
+pu remplir les devoirs d'une exacte correspondance? Enfin me voilà
+retenu pour six semaines, et je vous écris aussi _maigre_ que jamais,
+n'ayant pas depuis ma diminution regagné une once, et n'en étant que de
+meilleure humeur; mais, quoi qu'il en soit, Southwell était un séjour
+détestable. J'en suis dehors, grâce à Saint-Dominique. Depuis ce tems,
+je m'en suis deux fois rapproché de huit milles, mais sans pouvoir me
+décider à venir étouffer dans sa lourde atmosphère. Cambridge est de son
+côté assez maudite; c'est un vil chaos de bruit et d'ivrognerie; le jeu,
+le bourgogne, la chasse, les mathématiques et Newmarket, les orgies et
+les courses de chevaux, voilà tout ce qu'on y fait et tout ce qu'on y
+trouve; mais comparé à l'éternelle insipidité de Southwell, c'est un
+vrai paradis. Est-il rien de plus misérable que de ne faire qu'accroître
+tous les jours le nombre de ses amours, de ses ennemis et de ses vers?
+
+ [Note 81: On trouvera ici, comme dans plusieurs autres
+ lettres de sa jeunesse, cette espèce d'ostentation
+ d'inconduite, travers assez commun à cet âge, alors
+ qu'aspirant à la virilité, nous nous imaginons qu'il peut y
+ avoir de la force à se précipiter dans le désordre.
+ Malheureusement cette ambition puérile de paraître plus
+ mauvais qu'il n'était, demeura invétérée dans l'esprit de
+ Lord Byron long-tems après qu'elle s'est évanouie chez les
+ autres; son esprit ne faisait même que s'en débarrasser
+ lorsqu'il termina ses jours.]
+
+Au mois de janvier prochain (mais cela est seulement entre nous, n'en
+dites rien, je vous prie, car mon persécuteur maternel jetterait bien
+vite sur mes projets sa tomahawk); je me mettrai en mer pour quatre ou
+cinq mois avec mon cousin le capitaine Bettesworth, qui commande _la
+Tartare_, la plus belle frégate de la marine. J'ai déjà vu bien des
+scènes, je veux étudier celles de la mer. Tout porte à croire que nous
+irons dans la Méditerranée ou aux Indes occidentales, ou bien enfin...
+au diable, et s'il y a quelque possibilité de me faire présenter à ce
+dernier, Bettesworth le fera; c'est un brave compagnon qui n'a encore
+reçu que vingt-quatre blessures en différens lieux, et qui possède une
+lettre du dernier lord Nelson, avouant que Bettesworth est le seul
+officier de marine qui ait reçu plus de blessures que lui-même.
+
+«J'ai maintenant un nouvel et le plus bel ami du monde, c'est un ours
+apprivoisé; quand je le montrai pour la première fois, on me demanda ce
+que je prétendais en faire, et moi de répondre que c'était un nouveau
+candidat au grade. Sherard vous expliquera ce mot, si vous avez de la
+peine à le comprendre. Ma réponse ne fit pas fortune. Nous avons ici une
+foule de réunions; ce soir, par exemple, je soupe avec un assortiment
+complet d'écuyers, joueurs, boxeurs, auteurs, ecclésiastiques et poètes.
+C'est, comme vous le voyez, un précieux mélange; mais ils s'accordent
+bien ensemble, et pour moi je suis un composé de chacun d'eux, à
+l'exception des écuyers. Hier, j'ai encore été démonté de cheval.
+
+«Remerciez, en mon nom, votre frère pour son traité. J'ai écrit deux
+cent quatorze pages d'un roman, un poème de trois cent quatre-vingts
+vers, que l'on publiera dans quelques semaines sans mon nom, et avec des
+notes; cinq cent soixante vers de la bataille de Bosworth et deux cent
+cinquante d'un autre poème, sans compter une demi-douzaine de pièces
+fugitives. Le poème que l'on va publier est une satire[82]. À propos,
+j'ai été porté dans les cieux par la Revue critique[83] et vivement
+insulté dans une autre publication[84]. Le tout, me dit-on, est pour le
+mieux pour la vente du livre; cela occupe l'attention, et empêche mon
+livre d'être oublié; d'ailleurs, dans tous les tems, n'a-t-on pas
+censuré les plus grands hommes? pourquoi les derniers seraient-ils plus
+heureux? Je supporte donc mon sort en philosophe: il est bizarre que
+deux critiques opposées aient paru le même jour; et que sur cinq pages
+d'injures, mon censeur, à l'appui de son opinion, ne cite que _deux
+vers_ de différens poèmes. Maintenant la vraie manière de _tuer un
+homme_, est de citer de longs passages et de les faire paraître
+absurdes, car une simple allégation n'est pas une preuve. D'un autre
+côté, il y a sept pages d'éloges, et c'est plus que ma _modestie_ ne
+peut en supporter à ce sujet.
+
+_P. S._ Écrivez, écrivez, écrivez!!!
+
+ [Note 82: Ce poème, qu'il augmenta depuis, était _les Bardes
+ anglais et les Reviseurs écossais_. Il semblerait d'après
+ cela que l'idée de cette satire lui soit venue quelque tems
+ avant la publication de l'article de la _Revue d'Édimbourg_.]
+
+ [Note 83: En septembre 1807. Cette _Revue_, en prononçant sur
+ la carrière future du jeune auteur, se montra meilleur
+ prophète que le grand oracle du nord. L'écrivain, en citant
+ l'élégie sur l'abbaye de Newsteadt, disait: «Nous ne pouvons
+ que saluer avec une sorte d'enthousiasme prophétique
+ l'espérance renfermée dans la stance suivante:
+
+ «Heureusement ton soleil peut encore échauffer ton front de
+ ses rayons les plus brûlans, etc., etc.»]
+
+ [Note 84: Dans le premier numéro d'un ouvrage mensuel, appelé
+ _le Satirique_, dans lequel furent insérées, par la suite,
+ quelques invectives contre sa personne.]
+
+Ce fut au commencement de l'année suivante que Lord Byron forma une
+liaison avec M. Dallas, allié de sa famille par les femmes. Ce M. Dallas
+est l'auteur de quelques romans qui jouirent d'une certaine réputation
+lorsqu'ils parurent, et aussi d'une sorte de _Mémoires_ du noble poète,
+publiés immédiatement après sa mort. Comme ils sont principalement
+fondés sur sa correspondance originale, ce sont aussi les plus
+authentiques et les plus dignes de foi qui aient encore été publiés.
+Dans les lettres que Lord Byron adresse à ce _gentleman_, parmi un grand
+nombre de détails curieux, sous le point de vue littéraire, nous en
+trouvons de bien plus importans sous celui qui nous occupe en ce moment;
+je veux dire quelques détails propres à faire connaître les opinions que
+Lord Byron professait alors sur la morale et la religion, opinions qui
+eurent une si grande influence sur sa réputation et sa conduite.
+
+Ce n'est que bien rarement que l'irréligion et le scepticisme trouvent
+accès dans un jeune cœur. Cette disposition naturelle à se confier en
+l'avenir, qui fait le charme de cette période de la vie, la rend
+naturellement la saison de la foi et de l'espérance. Alors sont encore
+fraîches dans l'esprit ces impressions d'une première éducation
+religieuse, qui, dans les esprits même les plus prompts à mettre en
+question la foi de leurs pères, ne cèdent que lentement aux
+envahissemens du doute, et, en même tems, étendent le bienfait de leur
+répression morale sur cette partie de la vie où l'on reconnaît qu'elle
+est le plus nécessaire. Si, comme les incrédules le reconnaissent
+eux-mêmes, l'absence du frein religieux dégage l'homme d'une
+responsabilité qui lui serait utile dans tous les tems; il en est
+surtout ainsi dans la jeunesse, l'âge des tentations, l'âge où les
+passions sont déjà assez portées par elles-mêmes à se donner toute
+latitude sans que l'irréligion vienne encore ajouter à leur licence. Il
+est donc heureux que, par suite des raisons que nous venons d'indiquer,
+le scepticisme et l'incrédulité ne pénètrent généralement dans les ames
+qu'à une époque de la vie où le caractère, déjà formé, est moins
+susceptible d'être détérioré par leur influence funeste. Quand
+l'incrédulité est le résultat erroné de la pensée et du raisonnement,
+elle aura quelque chose de la froideur des sources qui l'ont fait
+naître; elle ne sera qu'un sujet de spéculation; elle n'aura que peu de
+pouvoir à porter l'homme vers le mal, comme, à la même époque de la vie,
+la foi la plus orthodoxe n'en a trop souvent que peu pour le conduire
+vers le bien.
+
+Tandis que, de cette manière, les mœurs de l'incrédule lui-même sont
+préservées des conséquences funestes que de telles doctrines eussent pu
+entraîner à un âge plus tendre; par une raison analogue, le danger de la
+communication de ces mêmes idées à d'autres, se trouve singulièrement
+diminué. Cette même vanité, cette même audace qui ont dicté les opinions
+du jeune sceptique, le conduiront aussi probablement à les révéler, à
+les proclamer tout haut, sans s'occuper de l'effet que son exemple peut
+avoir sur ceux qui l'entourent, ou de l'odieux qu'une telle confession
+ne saurait manquer de jeter irréparablement sur lui-même; mais, dans un
+âge plus avancé, on examine ces conséquences avec plus de réflexion.
+
+L'incrédule, s'il a quelque considération pour le bonheur des autres, y
+regardera à deux fois, avant de chasser de leur cœur une espérance dont
+lui-même sent si vivement l'absence et le prix. S'il n'a d'égards que
+pour lui-même, il hésitera naturellement encore à promulguer des
+doctrines que, dans aucun siècle, les hommes n'ont impunément
+professées. Dans l'un ou l'autre cas, il y a donc grande probabilité
+qu'il gardera le silence; car, en supposant que la philanthropie ne
+l'éloignât pas du projet de convertir les autres, la prudence du moins
+pourra l'empêcher de faire de lui-même un martyr.
+
+Malheureusement Lord Byron fut encore en ceci une exception à la règle
+générale. Chez lui le ver rongeur se montra au matin de la jeunesse, au
+moment où ses ravages devaient être le plus funestes. Au malheur réel
+d'être incrédule à quelque âge que ce soit, il ajouta le malheur plus
+rare d'être incrédule avant d'avoir quitté les bancs de l'école. Et la
+précocité qui mit, de si bonne heure, en jeu ses passions et son génie,
+le fit aussi parvenir, avant l'âge, au plus affreux des résultats de la
+raison humaine. À cette époque de la vie, où un caractère comme le sien
+avait surtout besoin du frein des croyances religieuses, ce frein lui
+manquait déjà presque entièrement.
+
+Nous avons vu dans les deux prières à la Divinité que j'ai extraites de
+ses poésies non publiées, et mieux encore dans le résumé de ses études,
+à quel âge son esprit ardent avait déjà secoué le joug de tous les
+systèmes et de toutes les sectes. Toutefois, dans ces prières
+elles-mêmes, il y a une ferveur d'adoration, au milieu de l'éloignement
+des croyances reçues, qui peut montrer tout ce qu'il y avait
+naturellement de piété dans son cœur (et il y en a beaucoup dans le cœur
+des vrais poètes). S'il avait eu alors pour guides et pour appuis des
+hommes capables de nourrir et d'entretenir ces heureuses dispositions,
+il eût évité cette licence, ce dévergondage d'opinions, auxquels il se
+livra dans la suite. Son scepticisme, s'il n'eût pas été entièrement
+détruit, eût pu se changer en un doute modeste, qui, loin d'être opposé
+à l'esprit religieux, le préserve de l'orgueil et lui inspire la charité
+pour les erreurs des autres. S'il n'avait pas lui-même pris sur les
+matières religieuses des idées claires et solides, il eût du moins
+appris à ne pas obscurcir et ébranler celles de ses semblables. Mais il
+eut le malheur de n'avoir point près de lui un sage mentor. Après avoir
+quitté Southwell, il ne restait près de lui ni parent ni ami, vers qui
+il pût lever les yeux avec respect. Il fut jeté seul dans le monde, avec
+ses passions et son orgueil, pour s'abandonner à l'affreuse découverte
+qu'il croyait avoir faite de la non-existence d'une vie à venir, et aux
+droits dès-lors absolus que le présent a sur nous. Par une autre
+fatalité, celui de ses camarades de collége pour lequel il professa de
+son vivant le plus d'admiration et d'attachement, et dont il déplora la
+perte avec la tendresse d'un frère, Matthews se trouva aussi sceptique
+que lui-même, si ce n'est davantage encore. Les parens de ce jeune
+homme, dont la carrière, si elle n'eût été sitôt arrêtée par la mort,
+paraissait, d'après les promesses de sa jeunesse, devoir être si
+brillante, conçurent l'idée de publier ses Mémoires, et s'adressèrent,
+en conséquence, à Byron et à ses autres amis, pour en obtenir des
+matériaux. La lettre suivante, à laquelle cette demande donna lieu,
+outre qu'elle renferme plusieurs anecdotes amusantes sur son ami, nous
+donne des détails si intéressans sur sa vie domestique à cette époque,
+que nous n'hésitons pas à interrompre l'ordre chronologique pour
+l'insérer ici.
+
+
+
+
+LETTRE XIX.
+
+À M. MURRAY.
+
+Ravenne, 12 novembre 1820.
+
+
+«Ce que vous me dites de feu Charles Skinner Matthews, a réveillé tous
+mes anciens souvenirs; mais il m'a été impossible d'approuver
+l'intention qu'a son frère de donner une notice sur sa vie, quand bien
+même les événemens qui la remplirent auraient eu assez d'importance pour
+justifier la publication d'anecdotes d'un intérêt aussi restreint.
+Néanmoins, c'était un homme bien extraordinaire, et qui aurait acquis
+une grande illustration. Nul n'obtint jamais de plus brillans succès
+dans tout ce qu'il voulut essayer. Il était trop indolent sans doute;
+mais quand il lui arrivait de faire un effort, il dépassait aussitôt de
+bien loin tous ses rivaux. Ses victoires se trouveront enregistrées à
+Cambridge, particulièrement celle sur Downing, qui fut aisément
+remportée, quoique vivement et chaudement contestée. Hobhouse était son
+intime ami; il vous donnera plus de documens sur lui que personne.
+William Bankes aussi le connaissait intimement; mais pour moi je me
+rappelle moins ses grandes facultés académiques que ses bizarreries.
+Nous nous sommes trouvés réunis à l'une des époques les moins riantes de
+ma vie. Quand, en 1805, j'entrai au collége de la Trinité, âgé de
+dix-sept ans et demi, j'étais malheureux et jusqu'à un certain point
+insociable. Désolé de quitter Harrow, où j'avais fini par me plaire
+pendant les deux années précédentes; désolé d'aller à Cambridge et non
+pas à Oxford (parce qu'il ne se trouvait pas de place vacante à
+Christ-Church); désolé de quelques contrariétés domestiques de différens
+genres, j'étais en conséquence aussi indomptable qu'un loup dont on a
+rompu la voie. Aussi, bien que je connusse Matthews, et que je le
+rencontrasse souvent chez Bankes, mon aumônier, mon professeur et mon
+patron, chez Rhodes, chez Milness, chez Price, chez Dick, chez
+Macnamara, Farrell, Galley Knight, et autres connaissances du même tems,
+cependant je n'étais intime ni avec lui ni avec qui que ce fût, excepté
+mon ancien camarade d'école Edward Long, avec qui je passais les
+journées à monter à cheval et à nager, et Williams Bankes, qui avait
+assez de douceur dans le caractère pour tolérer mes férocités.
+
+Ce fut en 1807 seulement, quand, pour prendre mes _degrés_ je fus
+retourné à Cambridge, que j'avais auparavant quitté pendant plus d'un
+an, que je devins l'un des amis intimes de Matthews. Ce fut par
+l'entremise de M. ***, qui, après m'avoir détesté pendant deux ans,
+comme il le dit lui-même, parce que je portais un chapeau blanc, une
+redingote grise, et que je montais un cheval gris, m'avait pris en
+affection parce que je faisais des vers. J'avais déjà vécu assez
+long-tems avec eux, et je m'étais assez souvent enivré dans leur
+compagnie; mais tout-à-coup nous devînmes réellement amis un beau matin;
+Matthews cependant ne résidait pas à cette époque au collége; je le
+rencontrais principalement, et de tems en tems, à des époques
+incertaines, à Cambridge. H... pendant ce tems-là, faisait de grandes
+choses, et fondait le club des whigs de Cambridge, qu'il paraît avoir
+oublié, et la _société amicale_, qui fut dissoute en conséquence des
+querelles perpétuelles des membres qui la composaient. Il se rendait
+très-populaire parmi nous autres jeunes gens et très-formidable à tous
+les maîtres particuliers, à tous les professeurs et principaux de
+colléges. Williams B... était parti; car tant qu'il avait été là, c'est
+lui qui dirigeait toute l'université et qui était le protecteur-né de
+tous les mauvais tours.
+
+«À force de nous rencontrer à Londres et ailleurs, Matthews et moi
+devînmes grands amis; il n'était pas très-doux de caractère, ni moi non
+plus; mais avec un peu de tact, il était encore maniable. Je le
+regardais comme un homme si supérieur, que je ne demandais pas mieux que
+de sacrifier quelque chose à ses humeurs, qui souvent m'amusaient tout
+en me mettant en colère. On n'a jamais su ce que sont devenus ses
+papiers à l'époque de sa mort, et certainement il en avait beaucoup. Je
+le dis ici par forme de parenthèse, de peur de l'oublier; il écrivait
+remarquablement bien en latin et en anglais.
+
+«Nous nous rendîmes ensemble à Newsteadt, où j'avais une fameuse cave,
+et où je m'étais procuré de chez un costumier des habillemens de
+_moines_. Nous étions sept ou huit de notre compagnie, sans compter un
+ou deux voisins qui nous faisaient visite dans l'occasion. Nous restions
+fort tard dans la nuit, habillés de nos robes de frères, buvant du
+bourgogne, du bordeaux, du champagne, et que sais-je encore, dans une
+coupe faite d'un crâne humain, et quelques autres verres de toute
+espèce; faisant mille bouffonneries dans toute la maison, sans quitter
+un instant notre attirail monacal. Matthews m'avait baptisé du nom
+d'Abbé, et quand il était de bonne humeur, il ne m'en donna pas d'autre
+jusqu'au moment de sa mort. L'harmonie de nos touchantes réunions fut au
+bout de quelques jours tant soit peu interrompue, par la menace que fit
+Matthews de jeter _l'intrépide_ V... (nous l'avions appelé ainsi parce
+qu'il avait gagné deux courses, l'une à pied, d'Ipswich à Londres,
+l'autre à cheval, de Brighthelmstone à Londres), de jeter, dis-je,
+l'intrépide V... par la fenêtre, à la suite d'une soirée de
+plaisanterie, qui se termina par cette _épigramme_. V... vint à moi, et
+me dit que le respect et la considération qu'il me devait, comme maître
+de la maison, ne lui permettaient pas d'appeler en duel aucun de mes
+hôtes, mais que le lendemain matin il se retirerait. Ce fut en vain que
+je lui représentai que la fenêtre n'était pas très-élevée et que le
+gazon au-dessous était d'une douceur toute particulière: il s'en alla.
+
+«Matthews et moi, nous avions fait le voyage de Cambridge à Londres,
+parlant, pendant toute la route, sur le même sujet. Quand nous fûmes
+arrivés à Longhborough, je ne sais quel hasard nous en fit écarter un
+moment; Matthews s'en indigna; non, dit-il, ne quittons pas notre
+conversation, finissons comme nous avons commencé; continuons jusqu'au
+bout du voyage, et il se mit en effet à continuer, trouvant le moyen
+d'être toujours amusant jusqu'au bout. Il avait auparavant, durant mon
+absence de Cambridge, occupé mes appartemens dans le collége de la
+Trinité. En l'y installant, mon répétiteur Jones lui avait dit, avec son
+ton ridicule ordinaire: «M. Matthews, je vous recommande sérieusement de
+prendre garde d'endommager aucun des meubles, car Lord Byron, monsieur,
+est un jeune homme de passions tumultueuses.» Matthews fut ravi de cette
+allocution; et, qui que ce fût qui vînt le visiter, il ne manquait pas
+de leur recommander de ne toucher la porte elle-même qu'avec une grande
+précaution, et alors il leur répétait l'exhortation de Jones dans les
+mêmes termes et absolument du même ton; il y avait une grande glace dans
+une chambre, ce qui lui suggéra cette remarque, qu'il avait cru d'abord
+que ses amis devenaient singulièrement assidus à venir _le voir_; mais
+qu'il avait bientôt découvert qu'ils ne venaient que pour se voir
+eux-mêmes. La phrase de Jones de _passions tumultueuses_ et l'ensemble
+de la scène l'avaient mis de si bonne humeur, que je crois en vérité que
+c'est à cette circonstance que j'ai dû une partie de ses bonnes grâces.
+
+«Quand nous étions à Newstead, il arriva qu'un jour, avant dîner,
+quelqu'un lui salit, par mégarde, un de ses bas de soie blancs, et
+naturellement voulut lui en faire des excuses. Monsieur, répondit
+Matthews, il peut vous paraître fort agréable, à vous qui avez une
+grande quantité de bas de soie, de salir ceux d'autrui; mais pour moi
+qui n'ai que cette seule et unique paire, que j'ai mise pour faire
+honneur à l'Abbé ici présent, rien ne peut excuser le tort que me fait
+votre manque d'attention, sans parler des frais de blanchissage. Il
+avait presqu'en toute occasion le même ton de plaisanterie sardonique.
+Une espèce de sauvage Irlandais, nommé F**, commençant à dire quelque
+chose à un grand souper, à Cambridge, Matthews se mit à crier d'une voix
+de tonnerre: Silence! et alors montrant F** du doigt, il ajouta ces
+paroles d'oracle: _L'ourson est doué de raison_. On peut aisément
+supposer qu'en entendant ce compliment, le pauvre _ourson_ perdit le peu
+de raison qui pouvait lui être échu en partage. Quand H... publia son
+premier volume de poésies, intitulé _Mélanges_, tout ce qu'il put en
+tirer, c'est que la préface était absolument dans la manière de Walsh.
+H... crut d'abord que c'était un compliment, mais nous ne sûmes jamais à
+quoi nous en tenir là-dessus, car tout ce que l'on connaît de Walsh,
+c'est son ode au roi Williams, et l'épithète que lui donne Pope, le
+savant Walsh. Quand notre troupe quitta Newstead pour Londres, H... et
+Matthews qui étaient à cette époque les meilleurs amis du monde,
+convinrent de faire ensemble la route à pied. Ils se querellèrent à
+moitié route, et achevèrent ainsi leur voyage, passant et repassant l'un
+devant l'autre sans se dire un seul mot. Quand Matthews arriva à
+Highgate, il avait dépensé tout son argent, excepté trois pences et demi
+(7 sous) qu'il résolut d'employer aussi à une pinte de bière; il la
+buvait à la porte d'une taverne, quand H... passa devant lui pour la
+dernière fois, toujours sans lui parler. Ils se réconcilièrent depuis à
+Londres.
+
+«L'escrime était une des passions de Matthews, il était aussi très-fort
+au pugilat, mais il avait généralement le dessous dans les combats
+sérieux et au poing nu; quant à la natation, il nageait bien, mais avec
+efforts et travail, et se tenant le corps trop hors de l'eau; en sorte
+que Scrope, Davies et moi-même, qui étions en quelque sorte ses rivaux,
+nous lui disions souvent qu'il se noierait s'il rencontrait jamais
+quelque endroit difficile. Il se noya en effet; mais, à coup sûr, Scrope
+et moi eussions bien désiré que le doyen eût vécu, et que notre
+prédiction se fût trouvée mensongère.
+
+«Sa tête était extraordinairement belle, et ressemblait beaucoup à celle
+de Pope dans sa jeunesse.
+
+«Son frère Henry, si Henry est bien le nom de celui de _King's college_,
+rappelle fortement sa voix, ses traits et sa manière de rire. Sa passion
+pour boxer était si grande, qu'il voulait absolument que je le misse aux
+prises avec Dogherty, pour lequel j'avais parié contre Tom Belcher, et
+je les vis s'essayer ensemble dans ma chambre avec les gants. Comme il
+paraissait y tenir opiniâtrement, j'aurais parié, pour lui plaire, en
+faveur de Dogherty; mais le combat n'eut pas lieu. Bien entendu que
+c'eût été un combat particulier dans une chambre particulière.
+
+«Un certain jour que le tems ne lui permettait pas de retourner
+s'habiller chez lui, un ami, M. Basley, je crois, l'équipa d'une chemise
+et d'une cravate extrêmement à la mode, mais tant soit peu exagérée. Il
+se rendit à l'opéra, et prit place dans _Top's Alley_. Pendant
+l'entr'acte, entre l'opéra et les ballets, une de ses connaissances vint
+s'asseoir près de lui, et le salua. «Faites le tour, dit Matthews,
+faites le tour. Pourquoi ferais-je le tour? dit l'autre, vous n'avez
+qu'à tourner la tête, je suis tout près de vous. C'est précisément ce
+que je ne peux pas faire, répondit Matthews; ne voyez-vous pas l'état
+dans lequel je suis?» montrant du doigt son col de chemise savamment
+empesé, et son inflexible cravate. Et il se tint là pendant tout le
+spectacle, sa tête conservant toujours la même position perpendiculaire.
+
+«Un soir après avoir dîné ensemble, comme nous allions à l'opéra, je me
+trouvai avoir un billet disponible, comme souscripteur à une loge, et
+j'en fis présent à Matthews. «Voilà, dit-il quelque tems après à
+Hobhouse, un procédé _courtois_ de la part de l'Abbé: un autre ne se
+serait jamais avisé de penser que je pouvais faire meilleur emploi d'une
+demi-guinée que de la jeter à un portier de spectacle; mais lui,
+non-seulement il m'invite à dîner, mais il me donne encore un billet
+d'opéra.» Ce n'était qu'une de ses singularités, car nul n'était plus
+libéral, plus grand que lui dans toutes ses manières. Il nous donna, à
+Hobhouse et moi, avant notre départ pour Constantinople, un festin
+magnifique, auquel nous fîmes amplement honneur. Une de ses idées était
+d'aller dîner dans toutes sortes de lieux étranges. Quelqu'un le
+découvrit un jour dans je ne sais quelle obscure taverne du Strand; et
+que croyez-vous qui l'y attirait? c'est qu'il payait, je crois, un
+shilling pour dîner le _chapeau sur la tête_. Il appelait cela sa
+_maison à chapeau_, et de vanter les avantages qu'il avait à prendre ses
+repas la tête couverte.
+
+«Quand sir Henri Smith fut chassé de Cambridge, à la suite d'une rixe
+avec un marchand nommé _Hiron_, Matthews s'en consola en allant chaque
+soir crier sous la fenêtre de celui-ci: «Hélas! à quel péril s'expose
+l'homme qui se joue avec _hat Hiron_[85]!» Il était aussi de cette bande
+de libertins irréligieux qui se faisaient un plaisir d'aller troubler le
+sommeil de Lort Mansel (dernièrement évêque de Bristol), qui alors
+habitait le collége de la Trinité. Quand celui-ci paraissait à sa
+fenêtre, écumant de colère et s'écriant: «Je vous connais, messieurs, je
+vous connais,» ils avaient coutume de lui répondre: «Nous t'en
+conjurons, oh _Lort_! écoute-nous, bon Lort, délivre-nous[86]!» (Lort
+était son nom de baptême.) Comme il était très-libre dans ses manières
+d'envisager toutes sortes de sujets, quoiqu'il ne fût ni dissolu ni
+déréglé dans sa conduite, et que je n'avais pas moins d'indépendance
+dans les idées, notre conversation et notre correspondance alarmaient
+quelquefois vivement Hobhouse...»
+
+ [Note 85: Il est impossible de traduire en français le jeu de
+ mots qui se trouve ici dans le texte: _hat Hiron_ signifiant
+ le _bouillant Hiron_, et _hat iron_ signifiant _un fer
+ chaud_.]
+
+ [Note 86: Ces paroles sont extraites textuellement de la
+ liturgie anglicane, et présentent encore un jeu de mots:
+ _Lord, délivrez-nous; libera nos, Domine._]
+
+Comme déjà avant sa liaison avec M. Matthews, Lord Byron avait commencé
+à s'enfoncer dans l'abîme du scepticisme, il serait injuste d'attribuer
+au premier dans les opinions de son ami plus de part qu'il n'a dû en
+résulter de l'influence naturelle de l'exemple et de la sympathie;
+influence qui, éprouvée également des deux côtés, rendait en grande
+partie réciproque la contagion de leurs doctrines. Outre cette
+communauté de sentimens sur de tels sujets, ils étaient tous deux
+tourmentés par le goût dangereux de la satire. Les hommes les plus pieux
+même ne peuvent pas toujours résister à cette disposition d'esprit qui
+nous entraîne presque malgré nous à déverser du ridicule sur tout ce
+qu'il y a de plus saint et de plus grave. Il n'est donc pas étonnant que
+dans une telle société, les opinions du noble poète aient pris avec plus
+de rapidité une direction vers laquelle elles tendaient naturellement;
+et quoique l'on ne puisse pas dire qu'il ait eu alors des doctrines bien
+arrêtées, puisque ni à cette époque ni à aucune autre de sa vie il ne se
+montra incrédule décidé, il apprit sans doute à sentir moins fortement
+l'horreur du scepticisme, et à y mêler de la légèreté et de
+l'amour-propre. Dès le commencement de sa correspondance avec M. Dallas,
+nous le voyons proclamer ses sentimens sur tous les sujets de cette
+nature, avec une légèreté et un aplomb bien différens du ton avec lequel
+il présentait autrefois ses doutes. Cela même forme un contraste
+frappant avec cette tristesse fiévreuse d'un cœur désolé de perdre ses
+illusions, qui respire dans chaque vers des prières qu'il avait tracées
+moins d'un an auparavant.
+
+Il ne faut pas cependant oublier ici sa propension à exagérer tout ce
+qu'il pouvait y avoir de mauvais en lui. Dans sa première lettre à M.
+Dallas, nous voyons un exemple de cette étrange ambition, complètement
+opposée à l'hypocrisie, qui le porta à rechercher plutôt qu'à éviter la
+réputation de libertin, et à présenter sans cesse sous le jour le plus
+défavorable son caractère et sa conduite. Son nouveau correspondant lui
+faisant compliment sur les sentimens de morale et de charité qui
+respiraient dans l'un de ses poèmes, avait ajouté que cela lui avait
+rappelé les ouvrages d'un autre noble auteur, qui était non-seulement
+grand poète, grand orateur et grand historien, mais encore l'un des plus
+profonds raisonneurs qui aient établi la vérité de cette religion, dont
+le pardon des offenses est l'un des premiers principes; (le grand et le
+bon lord Littleton, dont la réputation ne périra jamais.) Son fils,
+ajoutait M. Dallas, auquel il avait transmis son génie, mais non ses
+vertus, a brillé un moment pour disparaître bientôt comme un météore
+passager, et avec lui son titre s'est éteint. C'est à cette lettre que
+Lord Byron fit la réponse suivante:
+
+
+
+
+LETTRE XX.
+
+À M. DALLAS.
+
+Hôtel Dorant, Albemarle-street, 20 janvier 1808.
+
+
+MONSIEUR,
+
+«Votre lettre ne m'est parvenue que ce matin, probablement parce qu'elle
+m'était adressée à Nottingham, où je n'ai pas résidé depuis le mois de
+juin dernier; comme elle est datée du 6 courant, je vous prie d'excuser
+le retard de ma réponse.
+
+«Si, comme vous dites, le petit volume dont vous parlez a fait quelque
+plaisir à l'auteur de _Perceval_ et d'_Aubrey_, je suis plus que
+récompensé par cet éloge. Quoique nos censeurs périodiques se soient
+montrés d'une indulgence peu commune, je confesse que l'approbation d'un
+homme d'un génie aussi reconnu est encore bien plus flatteuse pour moi;
+mais je perdrais, je le crains, tous droits au titre d'homme candide, si
+je ne refusais pas des éloges que je ne mérite point. Je suis fâché
+d'ajouter que ce serait ici le cas.
+
+«Mes ouvrages doivent parler pour eux-mêmes; ils doivent se soutenir ou
+tomber suivant leur mérite ou leur démérite; et sous le rapport
+littéraire je suis fier de l'opinion favorable que vous voulez bien m'en
+exprimer. Mais j'ai malheureusement si peu de prétentions au titre
+d'homme vertueux, que je ne puis accepter les complimens que vous me
+faites à cet égard, bien que je m'estimasse heureux de les mériter. Un
+passage de votre lettre m'a singulièrement frappé: vous y parlez des
+deux lords Littleton comme chacun d'eux le mérite respectivement; vous
+serez surpris d'apprendre que la personne qui vous écrit en ce moment, a
+été souvent comparée au second. Je n'ignore pas que par cet aveu, je me
+perds moi-même dans votre estime; mais c'est une circonstance que votre
+observation rend si remarquable, que je ne puis m'empêcher de rapporter
+ce fait. Les événemens de ma courte vie ont été d'une nature si
+singulière, que bien que cet orgueil que l'on appelle ordinairement
+honneur, m'ait toujours empêché, et doive, je l'espère, m'empêcher
+toujours de disgracier mon nom par aucune action lâche ou vile, j'ai
+déjà été considéré comme un adepte du libertinage et un disciple de
+l'incrédulité. Jusqu'à quel point la justice peut-elle avoir dicté cette
+accusation? je ne prétends pas l'examiner ici, mais je dirai que comme
+le _gentleman_[87] auquel mes religieux amis, dans la ferveur de leur
+charité, m'ont déjà dévoué, on me fait plus mauvais que je ne suis en
+effet. Quoi qu'il en soit, pour me laisser là moi-même, le plus mauvais
+sujet que je puisse traiter, et pour en revenir à mes poésies, je ne
+puis assez vous exprimer mes remercîmens, et j'espère avoir quelque jour
+l'occasion de vous en présenter personnellement l'hommage. Une seconde
+édition est maintenant sous presse avec quelques additions et des
+retranchemens considérables; vous me permettrez de vous en offrir un
+exemplaire. Le _Critical_, le _Monthly_ et l'_Anti-Jacobin Review_ ont
+été très-indulgens, mais l'_Eclectic_ a prononcé une furieuse
+philippique, non contre le livre, mais contre l'auteur, où vous
+trouverez tout ce que je viens de vous dire avancé par un ecclésiastique
+qui a écrit cet article.
+
+ [Note 87: _Le Diable_.]
+
+«Je connaissais depuis long-tems votre nom et vos rapports avec notre
+famille; j'espère faire bientôt une connaissance personnelle avec vous:
+vous trouverez en moi un excellent composé d'un _Brainless_ et d'un
+_Stanhope_[88]. Je crains que vous ne puissiez déchiffrer cette lettre,
+car ma main est presque aussi mauvaise que ma réputation; mais je vais
+signer, aussi lisiblement qu'il me sera possible, Votre obligé et
+obéissant serviteur,»
+
+BYRON.
+
+ [Note 88: Personnages du roman intitulé: _Percival_
+ (_Perceval_).
+ (_Note de Moore_.)]
+
+Il y a ici évidemment une sorte d'orgueil de la part de Byron à
+s'assimiler au débauché lord Littleton. De peur que ce qu'on connaissait
+d'irrégulier dans sa vie ne suffit pas pour justifier cette prétention,
+il fait, avec un air de mystère, suivant sa coutume, allusion à des
+événemens inconnus qui pourraient lui donner droit à ce paralèle[89]. M.
+Dallas qui, à ce qu'il paraît, ne s'attendait pas à voir recevoir ainsi
+ses complimens, se tira de ce mauvais pas en renvoyant à la _candeur_ du
+jeune Lord les éloges dont celui-ci s'était montré si peu reconnaissant
+quand ils étaient adressés à ses mœurs, et ajoutait que, d'après
+l'intention exprimée par Lord Byron dans sa préface, d'abandonner le
+culte des muses pour suivre une autre carrière, il le croyait en ce
+moment occupé aux études qui forment le sénateur et l'homme d'état;
+qu'il se l'était représenté comme membre de quelque université,
+s'exerçant à l'art de penser et de parler, et amassant un trésor de
+connaissances en histoire et en droit. C'est dans la réponse à cette
+lettre que se trouve l'exposition des opinions du noble poète à laquelle
+j'ai fait allusion plus haut.
+
+ [Note 89: Cet appel à l'imagination de son correspondant ne
+ fut pas tout-à-fait sans effet: «Je pensai, dit M. Dallas,
+ que ces lettres, _quoique évidemment fondées sur quelques
+ circonstances de sa vie antérieure_, étaient plutôt un jeu
+ d'esprit qu'un portrait ressemblant.
+ (_Note de Moore_.)]
+
+
+
+
+LETTRE XXI.
+
+À M. DALLAS.
+
+Hôtel Dorant, 21 janvier 1808.
+
+
+MONSIEUR,
+
+«Dans quelque tems que vos loisirs et votre disposition d'esprit vous
+permettent de me favoriser d'une visite, je serai sensiblement flatté de
+faire une connaissance personnelle avec quelqu'un dont l'esprit m'était
+déjà connu depuis long-tems par ses ouvrages.
+
+«Votre conjecture est fondée en ce sens que je suis membre de
+l'université de Cambridge, où je vais à la fin de ce quartier prendre le
+grade de _Master artium_[90]; mais si le raisonnement, l'éloquence, la
+vertu étaient l'objet que je poursuis, _Granta_[91] n'est point leur
+métropole; le pays où elle est située n'est point un Eldorado, bien
+moins encore une Eutopie. L'intelligence de ses enfans est aussi
+stagnante que les eaux de sa _Cam_[92]; ils ont en vue dans leurs
+travaux non l'église du Christ, mais l'église la plus prochaine qui leur
+donnerait un bénéfice.
+
+ [Note 90: _Maître-ès-arts_ (A. M.), second grade dans les
+ universités anglaises, correspondant exactement à celui de
+ licencié.
+
+ Une université anglaise se compose d'étudians non gradués
+ (_under graduates_), de bacheliers, de maîtres-ès-arts et de
+ docteurs. Ces grades ne correspondent pas absolument aux
+ nôtres, en ce sens qu'il n'y a de bachelier que _ès-lettres_
+ (_artium bachelors_, A. B.), bien que pour obtenir ce titre,
+ il faille subir des examens sur les sciences et la théologie.
+
+ La licence et le doctorat s'obtiennent par un certain nombre
+ d'années de résidence et le paiement de certains droits qui
+ varient suivant que l'impétrant est noble ou roturier. Il n'y
+ a également que des licenciés-ès-lettres (_artium masters_).
+
+ Quant au doctorat, au contraire, il n'y a point de
+ docteurs-ès-lettres, mais seulement des docteurs en théologie
+ (_doctores divinitatis_, D. D.), et des docteurs en droit
+ (_doctores legis_, D. L.). Bien que l'on appelle les médecins
+ du nom de docteur, il n'y a point de grades en médecine, non
+ plus que dans les sciences, et leurs diplômes sont plutôt des
+ permissions d'exercer que des titres universitaires.
+ (_N. du Tr._)]
+
+ [Note 91: Nom poétique de l'université de Cambridge.]
+
+ [Note 92: Rivière qui passe à Cambridge et lui donne son
+ nom.]
+
+«Quant à mes connaissances, je puis dire sans hyperbole qu'elles sont
+passablement étendues en histoire; peu de nations existent ou ont existé
+dont je ne connaisse plus ou moins les annales, depuis Hérodote jusqu'à
+Gibbon. Quant aux auteurs grecs et latins, je les connais autant que la
+plupart des écoliers qui leur ont consacré treize années d'études. Quant
+aux lois du pays, je les connais juste assez pour ne pas _enfreindre les
+statuts_, pour me servir de l'expression des braconniers. J'avais étudié
+l'_Esprit des lois_ et _le Droit des gens_; mais quand je vis celui-ci
+violé chaque mois, je cessai de m'en occuper comme d'une connaissance
+sans utilité. Quant à la géographie, j'ai vu plus de pays sur la carte,
+que je ne désirerais en traverser à pied. J'ai vu assez de mathématiques
+pour me donner mal à la tête sans éclaircir mes idées. De philosophie,
+d'astronomie et de métaphysique, j'en ai appris plus que je n'en
+comprends[93]; pour du sens commun, j'en ai acquis si peu que je me
+propose de fonder un prix _byronnien_ dans chacune de nos universités
+pour le premier qui en découvrira quelques traits en moi; quoique l'on
+craigne bien que la découverte de la quadrature du cercle ne doive
+précéder celle-là.
+
+ [Note 93: Byron paraît se rappeler ici la manière spirituelle
+ dont Voltaire nous peint l'érudition de Zadig: «Il savait de
+ la métaphysique ce que l'on en a su dans tous les âges...
+ c'est-à-dire fort peu de chose, etc.»]
+
+«Je me suis cru autrefois philosophe. Je débitais avec beaucoup de
+décorum bon nombre d'absurdités, défiant la douleur et prêchant
+l'égalité d'humeur. Pendant quelque tems cela réussit fort bien, car
+personne ne souffrait pour moi que mes amis, et ne perdait patience que
+mes auditeurs; à la fin une chute de cheval me convainquit que la
+douleur physique était un mal, et cet argument, le pire de tous, changea
+à la fois mon système et mon humeur; en sorte que je quittai Zenon pour
+Aristippe, et m'imaginai que c'est le plaisir qui constitue réellement
+le καλον[94]. En morale, je préfère Confucius aux dix
+commandemens, et Socrate à Saint-Paul, quoique les deux derniers
+s'accordent dans leur opinion du mariage. En religion, je suis pour
+l'émancipation catholique, mais je ne reconnais pas le pape, et j'ai
+refusé de recevoir le sacrement parce que je ne comprends pas comment
+manger du pain et boire du vin de la main du vicaire terrestre peut
+faire de moi l'héritier du royaume des cieux. Je regarde la vertu en
+général, et chaque vertu en particulier, comme une disposition de l'ame;
+chacune d'elles me semble une manière de sentir et non un principe[95].
+Je crois que la vérité est le premier attribut de la divinité, et que la
+mort est un sommeil éternel, au moins pour le corps. Vous avez là un
+résumé des sentimens de ce _libertin_ de George Lord Byron, et, jusqu'à
+ce que je me pourvoie d'un nouvel habit, vous voyez que je suis
+passablement mal vêtu.
+
+ [Note 94: Το καλον, le beau.]
+
+ [Note 95: C'est là la doctrine de Hume, qui résout toute
+ vertu en un sentiment. Voyez son ouvrage intitulé:
+ _Recherches sur les principes moraux_ (_Enquiry concerning
+ the principles of morals_).]
+
+«Je suis, etc.»
+
+Quoique telle fût sans doute à cette époque la tournure générale de ses
+opinions, il faut se rappeler, avant d'ajouter trop d'importance à cette
+profession de ses sentimens, d'abord qu'il ne résista jamais à la
+tentation de montrer son esprit aux dépens de sa réputation, ensuite
+qu'il écrivait ici à une personne bien intentionnée, sans doute, mais en
+même tems à l'un de ces officieux, de ces donneurs d'avis, toujours
+contens d'eux-mêmes, que Byron s'est fait dans tous les tems un plaisir
+d'étonner et de mystifier. Les tours qu'il joua étant enfant au
+charlatan du Nottinghamshire, Lavender, n'étaient que les premiers d'une
+longue série de mystifications qu'il fit toute sa vie aux nombreux
+charlatans que sa célébrité et son humeur sociable attiraient autour de
+lui.
+
+Les termes dans lesquels il parle de l'université, dans cette lettre,
+sont parfaitement d'accord avec plusieurs passages des _Heures
+d'oisiveté_ et de sa première satire. On voit que s'il se rappelait
+Harrow avec plus d'affection que de respect peut-être, Cambridge n'avait
+pu lui inspirer ni l'un ni l'autre de ces deux sentimens. Ce dégoût
+qu'il avait conservé pour sa _mère nourrice_, il le partageait en commun
+avec la plupart des noms les plus illustres de la littérature anglaise.
+«Si grande était la haine de Milton pour Cambridge, dit Warton, qu'il
+avait même conçu un dégoût pour l'aspect du pays et pour les campagnes
+d'alentour.» Voici comme le poète Gray parle de la même université:
+«Certainement c'est de cette ville, aujourd'hui Cambridge, mais
+autrefois connue sous le nom de Babylone, que le prophète parle, quand
+il dit: Les animaux sauvages du désert y habiteront, leurs demeures
+seront pleines de tristes créatures, les hiboux y bâtiront nids et les
+satyres y danseront.» Gibbon nous a transmis le souvenir amer qu'il
+conservait de l'université d'Oxford, et le froid mépris avec lequel
+Locke se vengea de l'hypocrisie qui régnait dans cet asile de la
+science, est encore plus remarquable[96].
+
+ [Note 96: Voyez sa lettre à Anthony Collins, 1703-4, où il
+ parle de ces fortes têtes qui jetaient feu et flamme contre
+ son livre, parce qu'il était de nature à nuire à l'industrie
+ locale, qu'à cette époque on appelait la _tonte de cochon_.]
+
+On peut penser que les souvenirs pénibles que quelques poètes ont
+conservés de leur vie de collége ont leur origine dans cette antipathie
+pour les entraves de la discipline, antipathie que l'on observe assez
+souvent comme un des traits caractéristiques de génie: c'est comme une
+sorte d'instinct ou de préservatif, s'il est vrai (comme quelques-uns
+l'ont dit) qu'une éducation classique nuise à la fraîcheur et à
+l'élasticité de l'imagination. Un écrivain, membre du clergé, et par
+conséquent peu suspect de vouloir déprécier les études académiques,
+non-seulement pose cette question: «Les formes ordinaires de notre
+système d'éducation ne sont-elles pas plus nuisibles qu'utiles aux vrais
+poètes?» mais encore il paraît fortement pencher pour une solution
+affirmative. Pour exemple à l'appui de son opinion, il choisit le
+classique Addisson qui, dans quelques essais originaux d'un genre sévère
+ou allégorique, paraît n'avoir pas été dépourvu des talens qui révèlent
+un esprit supérieur, talens qui furent tellement comprimés et énervés
+par son étude constante et superstitieuse des classiques anciens, que
+dans le fait il est demeuré un poète très-ordinaire.
+
+C'est sans doute sous l'impression de l'influence maligne de
+l'atmosphère scholastique sur le génie, que Milton, en parlant de
+Cambridge, s'écrie: «C'est un lieu où les disciples de Phébus ne
+sauraient vivre,» et que Lord Byron, répétant en vers une pensée déjà
+exprimée dans la lettre à M. Dallas, que nous venons de citer, dit: «Son
+Hélicon est plus pesant et plus fangeux encore que sa rivière de Cam.»
+
+Dryden, qui, comme Milton, avait reçu quelque châtiment déshonorant[97]
+à Cambridge, paraît avoir conservé peu de respect pour son _alma mater_;
+et les vers dans lesquels il loue l'université d'Oxford aux dépens de la
+sienne[98], lui ont été probablement dictés moins par une admiration
+véritable de l'une que par le désir de dénigrer l'autre.
+
+ [Note 97: Milton a reçu le fouet à l'université de Cambridge;
+ c'est, dit-on, le dernier qui ait été soumis à cette punition
+ dégoûtante, qui, bien que tombée en désuétude, n'en fait pas
+ moins partie des moyens de répression indiqués dans les
+ réglemens.
+ (_N. du. Tr._)]
+
+ [Note 98: Voyez _prologue à l'université d'Oxford_.]
+
+Ce n'est pas seulement le génie qui se rebelle contre la discipline des
+écoles; le goût, naturellement moins impérieux, et dont l'objet avoué
+est de cultiver les études classiques, se montre quelquefois rétif au
+gouvernement pédantesque qu'on veut lui imposer. Ce ne fut qu'après
+avoir été déchargé de l'obligation de lire Virgile comme une tâche, que
+Gray se sentit capable d'apprécier et de goûter les beautés de ce poète.
+Byron, jusques à la fin, s'efforça de vaincre un préjugé de la même
+nature contre Horace, dont le nom s'associait toujours dans son esprit
+au souvenir des ennuis de l'école.
+
+Quoique le tems ait accoutumé mon esprit à méditer sur ce que j'avais
+appris alors, telle est la force du préjugé né de l'impatience qu'ils
+m'ont fait éprouver dans mes premiers ans, que, perdant pour moi
+l'attrait de la nouveauté, les auteurs dont j'aurais peut-être cherché
+la lecture avec avidité, si j'avais été libre dans mes choix,
+m'inspirent toujours une sorte de dégoût, et que ce que je détestais
+alors je l'abhorre encore aujourd'hui. Adieu donc, Horace, que je
+détestais tant, c'est ma faute et non la tienne. C'est un grand malheur
+d'entendre les mots dont tu t'es servi pour exprimer tes idées
+poétiques, sans être en âge d'apprécier ces mêmes idées, et de
+comprendre tes vers, trop tôt pour pouvoir jamais les aimer. (_Childe
+Harold_, chant IV.)
+
+Aux grands poètes qui nous ont laissé un témoignage de leur
+désapprobation du système anglais d'éducation il faut ajouter les noms
+distingués de Cowley, Addisson et Cowper. Tandis que parmi les exemples
+qui, comme ceux de Milton et de Dryden, démontrent l'espèce de raison
+inverse qui peut exister entre les _honneurs_ du collége et le génie, il
+ne faut pas oublier ceux de Swift, Goldsmith et Churchill, qui ne furent
+jugés que de médiocres écoliers dans les universités dont ils honorent
+aujourd'hui les annales. À la suite de cette longue série de poètes qui
+ont quitté les universités, entachés d'une note déshonorante et pleins
+de sentimens haineux contre elles, nous ajoutons des noms tels que ceux
+de Shakspeare, de Pope, de Gay, de Thomson, de Burns, Chatterton, etc.,
+qui tous ont atteint leur degré de gloire respective sans avoir passé
+par aucun collége. Nous verrons que le plus grand nombre de nos poètes
+n'a rien dû à cette influence puissante que les universités sont censées
+exercer sur le développement du génie, dans les pays qui en sont
+pourvus.
+
+Les lettres suivantes, écrites à cette époque, contiennent quelques
+particularités qui peut-être ne seront pas sans intérêt pour le lecteur.
+
+
+
+
+LETTRE XXII.
+
+À M. HENRY DRURY.
+
+Hôtel Dorant, 13 janvier 1808.
+
+
+MON CHER MONSIEUR,
+
+«La stupidité de mes domestiques ou du portier, en ne vous disant pas de
+monter dans mon appartement, où je vous aurais rejoint à l'instant, m'a
+privé du plaisir de vous voir hier matin. J'espérais vous rencontrer le
+soir dans quelque lieu public, mon étoile ne l'a pas permis; c'est ainsi
+qu'elle me refuse les faveurs, et généralement les faveurs qui me
+seraient le plus agréables. Vous eussiez été, je crois, fort étonné en
+me revoyant; j'ai perdu 50 liv. depuis notre dernière entrevue; je
+pesais alors 181 liv., je n'en pèse plus maintenant que 130. Je me suis
+débarrassé de mon _superflu_, au moyen de l'exercice violent et de
+l'abstinence...........................................................
+.......................................................................
+
+«Si vos occupations à Harrow vous permettaient de venir en ville d'ici
+au premier février, je m'estimerais heureux de vous recevoir dans
+Albemarle-street. Si je ne puis pas avoir cet avantage, je tâcherai
+d'aller vous voir une après-midi à Harrow, tout en tremblant que votre
+cave ne contribue pas beaucoup à ma guérison. Quant à mon digne
+précepteur, le docteur Butler, notre rencontre chez vous n'empêcherait
+pas ces _petites douceurs_ que nous étions dans l'habitude de nous
+prodiguer mutuellement. Nous ne nous sommes parlé qu'une fois depuis mon
+départ de Harrow, 1805, et dans cette occasion il dit poliment à
+Tatersall que je n'étais pas un compagnon convenable pour ses élèves.
+C'était avant ma première _échauffourée_ poétique; et, en bonne prose,
+si j'avais été plus vieux de quelques années, j'aurais gardé le silence
+sur ses perfections; mais j'étais couché sur le dos quand j'écrivis ou
+plutôt quand je dictai ces folies d'écolier. Je ne m'attendais pas à en
+revenir jamais; mon médecin avait reçu les honoraires de seizième
+visite, et moi j'en étais à sa seizième ordonnance; je ne pouvais
+quitter la terre sans laisser à Butler un souvenir de constant
+attachement, en retour de tous ses bons offices. J'avais intention de
+descendre à Harrow en juillet; mais pensant que ma visite, immédiatement
+après la publication, pourrait être interprétée comme une insulte, je
+dirigeai mes pas ailleurs; j'avais, de plus, appris que plusieurs des
+élèves s'étaient procuré mon opuscule, et cela, bien certainement,
+contre mes intentions; car je n'en ai pas donné une seule copie avant le
+mois d'octobre, époque à laquelle, cédant à des instances réitérées, je
+ne pus en refuser une à un jeune homme qui depuis a quitté l'école. Vous
+me pardonnerez de vous entretenir si longuement sur ce sujet; vous
+l'aviez abordé, dès-lors une explication devient nécessaire. Je
+n'essaierai point de me justifier, _hic murus aheneus esto, nil conscire
+sibi_, etc., comme lord Baltimor lors de son jugement pour un rapt. Je
+suis demeuré assez long-tems au collége de la Trinité pour avoir oublié
+la fin du vers; mais si je ne finis pas ma citation, je finirai du moins
+ma lettre, en vous priant de me croire, avec autant d'affection que de
+reconnaissance, votre, etc.
+
+«_P. S._ Je n'abuserai pas de vos loisirs en sollicitant la faveur d'une
+réponse, de peur que vous ne disiez, comme dit Butler à Tatersall,
+auquel j'avais adressé une lettre assez imprudente, à l'occasion du
+propos dont j'ai parlé plus haut: «Je voudrais l'entraîner dans une
+correspondance avec moi.»
+
+
+
+
+LETTRE XXIII.
+
+À M. HARNESS.
+
+Hôtel Dorant, Albemarle-street, 11 février 1808.
+
+
+MON CHER HARNESS,
+
+«Comme je n'ai pas eu occasion de vous les exprimer verbalement,
+j'espère que vous voudrez bien recevoir mes remercîmens écrits, pour
+l'opinion flatteuse que vous avez bien voulu exprimer au mois de
+novembre dernier, sur quelques-unes des productions de ma pauvre muse.
+Au plaisir que j'éprouve à me voir loué par un ancien camarade d'école
+se joint le besoin de vous rendre justice, car j'avais entendu
+l'histoire avec quelques légères variantes. En vérité, quand nous nous
+rencontrâmes ce matin, Wingfield ne m'avait pas encore détrompé, mais il
+vous dira que je n'ai témoigné aucun ressentiment en citant le jugement
+qu'on vous prêtait, quoique je ne sois pas fâché d'avoir découvert la
+vérité. Peut-être vous vous rappelez à peine qu'il y a quelques années
+nous avons été liés d'une amitié trop courte, mais bien vive. Pourquoi
+cette amitié n'a-t-elle pas duré plus long-tems? je n'en sais rien. J'ai
+encore en ma possession un souvenir de vous, qui m'empêchera toujours de
+l'oublier. Je me souviens aussi d'avoir été favorisé de la lecture de
+plusieurs de vos compositions. Il est plusieurs autres circonstances que
+je pourrais vous rappeler, si je ne craignais de fatiguer votre mémoire;
+mais je vous prie de croire à la sincérité de mes regrets quant à la
+courte durée de mon amitié, et aux espérances que je nourris de la voir
+se renouveler, etc.»
+
+BYRON.
+
+J'ai déjà parlé de l'amitié qui unit de bonne heure ce _gentleman_ et
+Lord Byron, aussi bien que de la froideur qui lui succéda. L'extrait
+suivant d'une lettre dont M. Harness voulut bien m'honorer, en mettant à
+ma disposition celle de son noble correspondant, expliquera les
+circonstances qui amenèrent à cette époque leur réconciliation. Le
+tribut d'éloges qu'il paie dans les dernières phrases à la mémoire de
+Lord Byron, ne paraîtra pas moins honorable pour lui-même que pour son
+ami.
+
+«Bientôt après, notre liaison se refroidit, comme le dit Byron dans la
+première des lettres ci-jointes, et nous ne nous parlâmes plus durant la
+dernière année qu'il passa à Harrow, ni jusqu'après la publication de
+ses _Heures d'Oisiveté_; il était alors à Cambridge, et moi encore à
+l'école, mais dans une des _formes_ les plus avancées. Il arriva que
+dans une amplification anglaise je citai quelque chose de son ouvrage,
+et je le fis avec éloge. On rapporta à Byron que j'avais au contraire
+parlé en mauvaise part et de l'ouvrage et de l'auteur, pour m'attirer
+les bonnes grâces de notre maître le docteur Butler, contre lequel un de
+ses poèmes renfermait une satire. Wingfield, depuis lord Power's court,
+notre ami commun, le désabusa de son erreur, et ce fut là l'occasion de
+la première lettre de ce recueil. Notre commerce se renouvela, et
+continua de ce moment jusqu'à celui où il quitta l'Angleterre; quelques
+torts que Lord Byron puisse avoir eu envers d'autres, sa conduite envers
+moi a toujours été uniformément affectueuse. J'ai eu à me reprocher bien
+des négligences, bien des petites choses envers lui; mais je ne puis me
+rappeler, pendant tout le cours de notre liaison, aucun exemple de
+caprice, aucun manque d'amitié de sa part.»
+
+Au printems de cette année 1808, parut, dans la _Revue et Édimbourg_, la
+fameuse critique sur les _Heures d'Oisiveté_. Qu'il eût d'avance quelque
+idée de ce qui se préparait contre lui de ce côté, c'est ce que rend
+évident la lettre suivante à son ami M. Becher.
+
+
+
+
+LETTRE XXIV.
+
+À M. BECHER.
+
+Hôtel Dorant, 26 février 1808.
+
+
+MON CHER BECHER,
+
+«... Passons à Apollon: je suis charmé que vous me continuiez votre
+indulgence, et que le public veuille bien approuver mes essais. Je suis
+devenu un personnage si important, qu'une violente attaque se prépare
+contre moi dans le prochain numéro de la _Revue d'Édimbourg_. Je sais
+cela d'un ami qui a vu la copie et l'épreuve de cette critique. Vous
+n'ignorez pas que le système de ces messieurs est de tout désapprouver.
+Ils ne louent personne, et ni le public ni les auteurs ne s'attendent à
+trouver dans leur feuille rien qui ressemble à des éloges. Il y a ici
+cependant quelque chose de remarquable, attendu qu'ils font profession
+de ne donner de jugement que sur des ouvrages dignes de l'attention
+publique. Vous verrez cet article quand il paraîtra: il est, m'a-t-on
+dit, de la plus extrême sévérité; mais pour moi, j'en suis prévenu; et
+pour vous, j'espère que vous ne vous en offenserez pas.
+
+»Dites à Mrs. Byron de ne pas se chagriner pour cela, et de s'attendre
+aux plus grandes hostilités de leur part. Cela ne me peut faire aucun
+tort, ainsi j'espère qu'elle ne s'en tourmentera pas trop. Ces messieurs
+manquent leur but en injuriant indifféremment tout le monde; ils ne
+louent jamais que les partisans de Lord Holland et compagnie; ce n'est
+rien d'être critiqué et insulté, quand Southey, Moore, Lauderdale,
+Strangford et Payne Knight partagent le même sort.
+
+»J'en suis fâché, mais il faut retrancher les _Souvenirs d'Enfance_ dans
+la première édition. J'ai changé conformément à vos avis, les
+_allusions_ trop _personnelles_ dans la sixième stance de ma dernière
+ode.
+
+»Et maintenant, mon cher Becher, il me reste à vous offrir mes
+remercîmens pour tout l'intérêt que vous avez bien voulu prendre à moi
+et à mes mauvaises rimes. Croyez que je ferai toujours grand cas de vous
+et de vos amis: je suis bien sincèrement, etc., etc.»
+
+Bientôt après cette lettre, parut l'article redouté, article qui, s'il
+ne renferme pas beaucoup d'esprit en lui-même, eut du moins le mérite
+incontestable d'exciter l'esprit des autres; jamais en effet article
+dicté par la plus juste critique n'obtint la célébrité que celui-ci dut
+à son injustice elle-même. Aussi long-tems qu'on gardera le souvenir de
+la courte mais glorieuse carrière qu'a parcourue le génie de Byron, on
+ne saurait oublier l'odieuse critique qui lui donna son premier élan.
+
+Il n'est que juste cependant de remarquer, sans prétendre justifier en
+rien le ton méprisant qui règne dans cette critique, que les premiers
+vers de Lord Byron, tout gracieux et tendres qu'ils sont, étaient peu
+propres à faire attendre ces miracles brillans de poésie dont, par la
+suite, il enchanta le monde étonné. Si les vers composés dans sa
+jeunesse ont un charme particulier à nos yeux, c'est que nous les lisons
+pour ainsi dire à la lueur de la gloire immortelle qu'il acquit dans la
+suite.
+
+Il est cependant un point de vue sous lequel ces productions offrent un
+intérêt profond et instructif. Images fidèles de son caractère pendant
+cette période de sa vie, elles nous permettent de juger ce qu'il était
+par lui-même avant que des désappointemens eussent jeté de l'amertume
+dans son esprit ardent, et donné de l'activité aux défauts qui se
+rencontraient dans son naturel énergique. En le suivant dans toutes ces
+effusions de son jeune génie, nous le voyons se peindre des mêmes traits
+dont chaque anecdote de son enfance nous avait déjà fait la confidence:
+orgueilleux, entreprenant, colère, plein de ressentiment de la moindre
+injustice, plus encore dans la cause des autres que dans la sienne, et
+cependant, malgré son impétuosité, doux et facile sous la main de ceux à
+qui l'affection donnait le droit de le guider. Lui-même n'a que
+faiblement rendu justice à cette disposition aimante que l'on aperçoit à
+chaque page de ce volume; sa jeunesse tout entière, dès sa plus tendre
+enfance, n'est qu'une série d'attachemens les plus passionnés, de ces
+épanchemens de l'ame dans l'amitié et dans l'amour, que l'on éprouve
+rarement, et auxquels les autres répondent plus rarement encore, et qui,
+repoussés et refoulés vers le cœur, ne sauraient manquer de se tourner
+en amertume.
+
+L'on reconnaît aussi dans quelques-uns de ses poèmes non publiés, même à
+travers les nuages dont le doute commence à les couvrir, les sentimens
+de piété auxquels une ame comme la sienne ne pouvait demeurer étrangère,
+mais qui, détournés de leur canal légitime, trouvent bientôt dans le
+culte poétique de la nature une sorte de compensation à celui de la
+religion dont la superstition les éloigne. Quant à tous ces traits de
+caractère que nous trouvons çà et là répandus dans ses premiers poèmes,
+nous le voyons jeter dans l'avenir un coup-d'œil tantôt plein d'un noble
+orgueil, tantôt plein de tristesse, comme s'il sentait déjà en lui les
+élémens de quelque chose de grand, mais qu'il doutât que la destinée lui
+permît d'en développer jamais le germe. Il n'est pas étonnant qu'ayant
+présente à la pensée toute sa noble carrière, nous contemplions ses
+premiers essais sous l'influence d'une gloire qui ne leur est pas
+propre, mais qui est comme le reflet de celle qu'il acquit dans la
+suite; et alors, dans notre indignation contre l'aveuglement stupide du
+critique, nous oublions qu'il n'a point écrit sous le charme dont se
+revêt aujourd'hui pour nous tout ce qui se rattache de loin ou de près
+au poète.
+
+Pour bien comprendre l'effet que cette critique produisit sur lui, il
+faut d'abord se faire une juste idée de ce que la plupart des poètes
+éprouveraient en se voyant en butte à une telle attaque, et puis avouer
+que Byron avec son caractère et sa sensibilité devait en ressentir
+l'amertume dix fois plus qu'aucun autre. Nous avons vu avec quelle
+anxiété fiévreuse il attendait le jugement des revues inférieures; et la
+joie qu'il montra de se voir louer par des journalistes moins connus,
+peut nous faire juger combien son cœur a dû saigner sous les coups
+dédaigneux de ceux qui, à cette époque, tenaient le sceptre de la
+critique. Un ami qu'il trouva dans le premier moment d'émotion, après la
+lecture de l'article, s'empressa de lui demander s'il venait de recevoir
+un cartel, ne sachant comment expliquer autrement la colère et
+l'indignation qui se peignaient dans ses yeux. Il serait en effet
+difficile pour le sculpteur ou pour le peintre d'imaginer un sujet d'une
+beauté plus effrayante que la belle figure du jeune poète au moment de
+cette crise, où toute son énergie se déployait: son orgueil avait été
+piqué au vif et son ambition humiliée; mais ce sentiment terrible ne
+dura qu'un moment: la réaction de son esprit, le besoin de repousser
+l'attaque, lui révélèrent à lui-même tout son génie; et la douleur et la
+honte de l'injure se turent dans son cœur devant la noble certitude de
+la vengeance.
+
+Entre autres effets moins poétiques de l'article de la _Revue_ sur son
+esprit, il disait souvent que le jour qu'il le lut, il but pour sa part
+après dîner trois bouteilles de vin de Bordeaux, et que rien ne le
+soulagea jusqu'à ce qu'il eût donné en vers carrière à son imagination;
+mais qu'après les vingt premiers, il se trouva beaucoup mieux; en effet,
+son premier soin, après que la satire eut paru, fut, comme avant qu'elle
+ne vît le jour, d'alléger autant qu'il le pourrait l'effet qu'elle
+devait produire sur sa mère, qui, n'ayant pas le même génie, le même
+sentiment d'une prompte et juste vengeance, devait souffrir cruellement
+de cette attaque contre sa réputation, et s'en indigna, en effet,
+beaucoup plus que bientôt il ne le fit lui-même. Mais on verra mieux
+dans la lettre suivante l'état de son esprit dans ce moment critique.
+
+
+
+
+LETTRE XXV.
+
+À M. BECHER.
+
+Hôtel Dorant, 28 mars 1808.
+
+
+«J'ai reçu dernièrement de Ridge un exemplaire de la nouvelle édition,
+et il est bien tems que je vous remercie de la peine que vous avez prise
+de la surveiller: je le fais bien sincèrement, et je regrette seulement
+que Ridge ne vous ait pas secondé autant que je l'aurais désiré, au
+moins quant au papier, à la reliure, etc., etc., de mon exemplaire;
+peut-être ceux destinés au public sont-ils plus satisfaisans sous tous
+ces rapports.
+
+»Vous avez nécessairement vu _la Revue d'Édimbourg_. Je regrette que
+Mrs. Byron ait pris la chose si fort à cœur. Pour ma part, _ces petites
+boulettes de papier_ m'ont appris à voir le feu en face; et comme, somme
+toute, j'ai eu assez de bonheur, mon repos ni mon appétit n'en ont point
+été altérés. Pratt _le glaneur_, l'auteur, le poète, etc., etc., m'a
+adressé une longue épître en vers sur ce sujet, en forme de consolation;
+mais comme elle est assez mal faite, je ne vous l'enverrai pas, quoique
+son nom eût pu lui mériter cet honneur. Ces messieurs de la _Revue
+d'Édimbourg_ n'ont pas bien rempli leur tâche, c'est du moins l'avis de
+plusieurs hommes de lettres; je pense que je pourrais écrire sur
+moi-même une critique plus mordante que toutes celles qui ont été
+publiées jusqu'ici. Ainsi, au lieu de la remarque assez méchante, mais
+sans esprit, sur Macpherson, j'aurais dit si j'avais été à leur place:
+«Hélas! cette pièce ne fait que prouver la vérité de l'assertion du
+docteur Johnson, que beaucoup d'hommes, de femmes et _d'enfans_
+pourraient écrire des poésies comme celles d'Ossian.»
+
+»Je suis maigre, et prends beaucoup d'exercice. J'espère vous voir ce
+printems ou cet été. On dit que lord Ruthen quitte Newstead en avril...
+Aussitôt qu'il l'aura quitté pour toujours, je vous serais infiniment
+obligé d'y faire un tour à cheval, d'examiner la propriété et de me
+donner franchement votre opinion sur le meilleur parti à prendre quant à
+la maison. Entre nous, je suis diablement enfoncé; mes dettes, tout
+compris, s'élèveront à neuf ou dix mille livres sterling avant l'époque
+de ma majorité. Mais j'ai des raisons de penser que je me trouverai
+cependant plus riche que l'on ne le croit généralement. Je n'ai que peu
+d'espoir de conserver Newstead; mais Hanson, mon agent, me dit que ma
+propriété dans le Lancashire vaut trois fois plus. Je crois que nous la
+recouvrerons, et que la partie adverse ne refuse de la rendre, que dans
+l'espoir de prolonger l'affaire jusqu'à ma majorité; ils veulent sans
+doute alors proposer quelques arrangemens, supposant que je préférerai
+alors une somme d'argent comptant à une réversion. Pour Newstead, je
+puis le vendre, peut-être ne le ferai-je pas; nous aurons le tems d'en
+parler plus tard. Je viendrai en mai ou en juin...
+
+»Votre bien affectionné.»
+
+Le genre de vie qu'il menait à cette époque, partagé entre les
+dissipations de Londres et celles de Cambridge, sans maison à lui, sans
+un seul parent qu'il pût visiter, n'était pas propre à le rendre content
+de lui-même ou des autres. N'ayant en tout de volonté à consulter que la
+sienne[99], les plaisirs même auxquels il était le plus naturellement
+porté, perdirent de bonne heure tout leur charme pour lui, parce qu'ils
+manquaient de ce qui fait l'assaisonnement de toutes nos jouissances, la
+rareté et la difficulté. J'ai déjà extrait d'un de ses _souvenirs_, un
+passage où il décrit ce qu'il éprouva en se rendant à Cambridge pour la
+première fois, et dit: «Qu'une des sensations les plus pénibles de sa
+vie fut de voir qu'il n'était plus un enfant! Depuis ce moment,
+ajoute-t-il, je commençai à m'estimer vieux, et dans mon estime l'âge
+n'est pas estimable. Je pris mes _degrés_ dans le vice avec beaucoup de
+promptitude; mais le vice n'était pas de mon goût, car mes premières
+passions, quoique extrêmement violentes, étaient concentrées, et
+n'aimaient point à se répandre au-dehors ni à se partager. J'aurais pu
+quitter ou perdre le monde entier avec ou pour ce que j'aimais; mais
+bien que mon tempérament fût de feu, je ne pouvais prendre part au
+libertinage commun de cette ville à cette époque; et cependant ce dégoût
+lui-même, qui laissait mon cœur inoccupé, me jeta dans des excès
+peut-être plus fatals que ceux dont je m'éloignais, en fixant sur une
+seule personne (à la fois) les passions qui, répandues sur plusieurs,
+n'eussent fait de mal qu'à moi-même.
+
+ [Note 99: Notre vie entière dépend singulièrement des trois
+ ou quatre premières années pendant lesquelles nous n'avons
+ pas eu d'autres maîtres que nous-mêmes.
+ (COWPER.)]
+
+D'après les raisons que nous venons d'en donner, les écarts auxquels il
+se livrait à cette époque étaient bien moins nombreux et bien moins
+grossiers que ceux de la plupart de ses condisciples; cependant, soit à
+cause de la véhémence que leur donnait leur concentration, sur un seul
+objet, ou plutôt de cet étrange orgueil qui l'a toujours porté à
+afficher ses erreurs, il arrivait qu'une seule de ses folies faisait
+plus de bruit que mille de celles des autres; nous en avons un exemple à
+peu près à l'époque dont nous parlons, et à laquelle je serais porté à
+croire que se rapportent les allusions mystérieuses que nous venons de
+citer. Un amour, si l'on peut honorer de ce nom une intrigue passagère
+que d'autres eussent bientôt oubliée ou auraient eu la prudence de
+cacher, fut changé par lui en une liaison publique et d'une certaine
+durée. Il fit loger avec lui à Brompton la personne qui le lui avait
+inspiré, et l'emmena ensuite à Brighton déguisée en homme. Elle se
+promenait ordinairement à cheval avec lui, et il la présentait comme son
+jeune frère. Feu P.... qui se trouvait à Brighton à cette époque, et qui
+soupçonnait la vraie nature de leurs rapports, dit un jour au prétendu
+cavalier: «Quel joli cheval vous montez!--Oui, répondit celui-ci, en
+faisant une faute grossière de langue, c'est mon frère qui me l'a
+donn_a_ (_it was_ gave _me by my brother_).»
+
+Beattie nous dit de son poète idéal: «Il ne trouvait ni plaisir ni
+orgueil dans les exercices de force ou d'agilité.» Bien différens
+étaient les goûts de notre poète réel; et parmi les exercices auxquels
+il se livrait, il faut compter d'abord les moins romantiques de tous
+peut-être, celui de boxer et de prendre part au combat du coq. Ce goût
+lui fit rechercher de bonne heure la connaissance du plus célèbre
+professeur de cet art, M. Jackson, pour lequel il conserva, toute sa
+vie, la plus grande considération. Un de ses derniers ouvrages contient
+un tribut affectueux d'éloges, non-seulement pour les talens de cet
+ornement, de cette gloire du pugilat, mais encore de ses qualités
+sociales. Pendant le séjour que Byron fit cette année à Brighton,
+Jackson fut un de ses visiteurs les plus assidus, les frais de la
+voiture du professeur, pour l'_allée_ et le _retour_, étant toujours à
+la charge de son noble élève. Il honora aussi de sa familiarité
+d'Egville le maître de ballet et Gimaldi; il envoya, dit-on, à ce
+dernier, le jour de son bénéfice, un présent de cent guinées. M. Jackson
+ayant eu l'obligeance de me donner copie du petit nombre de lettres
+qu'il a conservées parmi un bien plus grand nombre que Lord Byron lui
+avait adressées, j'en insérerai ici une ou deux qui portent la date de
+cette année. Quoique les sujets dont elles traitent soient de peu
+d'importance en eux-mêmes, elles donneront peut-être des habitudes et de
+la vie actuelle du jeune poète une idée plus complète qu'on ne pourrait
+tirer de correspondances d'un genre plus relevé. Elles montreront au
+moins combien les premiers goûts et les premiers passe-tems de l'auteur
+de Childe-Harold étaient peu romanesques. Si nous les rapprochons des
+occupations et des amusemens moins romantiques encore de la jeunesse de
+Shakspeare, nous verrons combien le principe vital du génie, peut, sans
+s'affaiblir, traverser l'atmosphère, même, en apparence, la plus
+hétérogène et la plus contraire à sa nature.
+
+
+
+
+LETTRE XXVI.
+
+À M. JACKSON.
+
+Newstead-Abbey, 18 septembre 1808.
+
+
+MON CHER JACK,
+
+«Je voudrais que vous me fissiez savoir ce que Jekyll a fait à
+Snoane-Square, n° 40, concernant le _pony_ que j'ai renvoyé comme
+vicieux.
+
+«Je désire aussi que vous passiez chez Louch, à Brompton, pour lui
+demander quelle diable d'idée il a eue de m'envoyer une lettre si
+insolente à Brighton. Dites-lui bien en même tems que je ne prétends pas
+du tout accepter le compte ridicule qu'il me présente pour de prétendues
+détériorations.
+
+«Ambroise a agi de la manière la plus scandaleuse dans l'affaire du
+_pony_. Vous pouvez dire à Jekyll que s'il ne me rend pas l'argent, je
+mettrai l'affaire entre les mains de mon homme de loi. Vingt-cinq
+guinées sont un fort bon prix pour un _pony_; et parbleu! dût-il m'en
+coûter 500 liv. st., je ferai un exemple de M. Jekyll, et cela
+immédiatement, à moins qu'il ne rende l'argent.
+
+Croyez-moi, mon cher Jack, etc.
+
+
+
+
+LETTRE XXVII
+
+À M. JACKSON.
+
+Newstead-Abbey, 4 octobre 1808.
+
+
+MON CHER JACK,
+
+«Si ce M. Jekyll n'est pas un gentleman, vous ferez avec lui le marché
+le plus avantageux qu'il vous sera possible; mais si c'est un gentleman,
+informez-m'en, car alors j'en agirai d'une tout autre manière. S'il ne
+l'est pas, tirez de lui le plus d'argent que vous pourrez, car j'ai trop
+d'affaires sur les bras pour commencer un procès. En outre, cet Ambroise
+devrait rendre l'argent; mais j'en ai fini avec lui. Vous pouvez payer
+L... avec la balance, et vous disposerez des bidets, etc., pour le
+mieux.
+
+»J'aurais grand plaisir à vous voir ici; mais la maison est en
+réparation et pleine d'ouvriers. J'espère toutefois avoir cet avantage
+avant peu de mois. Si vous voyez Baldwabster, rappelez-moi, je vous
+prie, à son souvenir, et dites-lui que j'ai regretté la perte de Sydney,
+qui a péri, je le crains, dans ma garenne, car nous ne l'avons pas vu
+depuis quinze jours.
+
+»Adieu, etc.»
+
+
+
+
+LETTRE XXVIII.
+
+À M. JACKSON.
+
+Newstead-Abbey, 12 décembre 1808.
+
+
+MON CHER JACK,
+
+«Achetez le lévrier à quelque prix que ce soit, et autant d'autres de la
+même race que vous pourrez vous en procurer, mâles ou femelles.
+
+«Dites à d'Egville que je lui renverrai son costume, et que je lui suis
+fort obligé du patron. Je suis fâché de vous donner tant de peines; mais
+je n'avais pas idée qu'il fût si difficile de se procurer les animaux en
+question; mon manoir sera terminé dans quelques semaines, et si vous
+pouvez me faire une visite à Noël, je serai charmé de vous voir.
+
+«Croyez-moi votre, etc.»
+
+Le costume dont il s'agit ici était sans doute nécessaire pour un
+théâtre de société qu'il montait à cette époque à Newstead, et sur
+lequel nous trouverons d'autres détails dans la lettre suivante,
+adressée à M. Becher.
+
+
+
+
+LETTRE XXIX.
+
+À M. BECHER.
+
+Newstead-Abbey, 14 septembre 1808.
+
+
+MON CHER BECHER,
+
+«Je vous suis fort obligé des informations que vous me donnez, et j'en
+ferai mon profit. Je vais monter ici une comédie, le vestibule nous fera
+une salle admirable. J'ai déjà distribué les rôles, et puis me passer de
+dames, ayant quelques jeunes amis qui feront d'assez bons substituts, à
+défaut de femmes. Nous n'avons besoin que de trois hommes, outre M.
+Hobhouse et moi-même, pour la pièce dont nous avons fait choix. Ce sera
+la Vengeance (_the Revenge_). Dites, je vous prie, au charpentier
+Michalson de venir me parler immédiatement, et faites-moi savoir quel
+jour vous pourrez venir dîner et passer la soirée avec moi.
+
+»Croyez-moi, etc., etc.»
+
+Ce fut dans l'automne de cette année, comme l'indiquent les lettres
+précédentes, qu'il fixa pour la première fois sa résidence à l'abbaye de
+Newstead. La maison, quand il la reçut des mains de lord Grey de Ruthen,
+était dans le dernier état de dégradation; il se mit aussitôt à réparer
+et à meubler quelques appartemens pour en rendre l'habitation plus
+commode, non à lui-même, mais à sa mère. Dans une de ses lettres à Mrs.
+Byron, publiée par M. Dallas, voici comme il explique ses vues et ses
+intentions à ce sujet.
+
+
+
+
+LETTRE XXX.
+
+À L'HONORABLE[100] MISTRESS BYRON.
+
+ [Note 100: Lord Byron donne toujours le titre d'_honorable_ à
+ sa mère, quoiqu'elle n'y eût aucun droit.]
+
+Newstead-Abbey, 7 octobre 1808.
+
+
+CHÈRE MADAME,
+
+«Je n'ai point de lits à présent pour les H... ni pour aucun autre; ils
+couchent maintenant à Mansfield. Je ne sache point que je ressemble à
+J.-J. Rousseau. Je n'ai nulle ambition de ressembler à si illustre fou;
+mais ce que je sais, c'est que je vivrai à ma manière, et le plus
+solitairement qu'il me sera possible. Dès que mes appartemens seront
+prêts, je serai charmé de vous voir; jusque-là cela serait inconvenant
+et incommode pour tous deux; vous ne sauriez vous opposer
+raisonnablement à ce que je rende mon manoir habitable, malgré mon
+départ pour la Perse en mars ou au plus tard en mai. Vous serez
+propriétaire jusqu'à mon retour; et en cas d'accident, car j'ai déjà
+préparé mon testament pour le moment où j'aurai vingt-un ans, j'ai eu
+soin que la maison et le manoir vous restassent votre vie durant, outre
+une pension suffisante. Ainsi vous voyez que ce n'est pas l'égoïsme qui
+mes porte à faire des réparations et des embellissemens. Comme j'ai un
+ami ici, nous irons au bal de l'Hôpital. Le 12, nous prendrons le thé
+avec Mrs. Byron à huit heures, et nous espérons vous voir au bal. Si
+cette dame a la bonté de nous réserver deux chambres pour nous habiller,
+elle nous obligera infiniment. Que nous soyons au bal à dix ou onze
+heures, c'est tout ce qu'il faut, et nous retournerons à Newstead entre
+trois et quatre.
+
+»Adieu. Je suis bien sincèrement votre, etc.»
+
+L'idée entretenue par Mrs. Byron d'une ressemblance entre son fils et
+Rousseau était surtout fondée sur ses habitudes solitaires, dans
+lesquelles il montrait de si bonne heure du penchant à suivre ce
+philosophe, penchant qui prit de la force à mesure qu'il avança en âge.
+Dans un de ses _souvenirs_, auquel j'ai déjà beaucoup emprunté[101], il
+met en question la justesse de cette comparaison entre Rousseau et lui,
+et nous donne comme à l'ordinaire, en style très-animé, quelques idées
+de son caractère et de ses habitudes.
+
+ [Note 101: Ce journal est intitulé par lui-même: _Pensées
+ détachées_.]
+
+«Avant que je n'eusse vingt ans, ma mère voulait absolument que je
+ressemblasse à Rousseau, madame de Staël en disait autant en 1813, et il
+y a quelque chose de cela dans la _Revue d'Édimbourg_, dans l'article
+critique sur le quatrième chant de Childe-Harold. Pour ma part, je ne
+puis voir aucun point de ressemblance: il écrivait en prose et moi en
+vers; c'était un homme du peuple, et moi de l'aristocratie; il était
+philosophe, et je ne le suis point; il publia son premier ouvrage à
+quarante ans, et moi à seize: son premier essai lui attira les
+applaudissemens universels, le mien m'attira tout le contraire: il
+épousa sa gouvernante, je n'ai pas pu vivre avec ma femme[102]: il
+pensait que tout le monde conspirait contre sa personne, moi c'est mon
+petit monde qui croit que je conspire contre lui, si j'en peux juger par
+les injures que me prodiguent la presse et les coteries. Il aimait la
+botanique, j'aime les fleurs, les herbes et les arbres, mais je ne sais
+rien de leur histoire. Il a composé de la musique, je n'en connais que
+ce que l'oreille me permet de saisir. Je n'ai jamais pu rien apprendre
+par l'étude, pas même une langue: tout ce que je sais, je le dois à la
+routine, à l'oreille et à la mémoire, qu'il avait mauvaise, et que j'ai
+ou plutôt j'avais excellente, demandez plutôt au poète Hodgson, bon juge
+en cette matière, car il en a lui-même une étonnante. Il écrivait avec
+hésitation et travail, moi j'écris rapidement et presque toujours sans
+efforts. Il ne sut jamais monter à cheval, nager ni faire des armes, moi
+je suis un excellent nageur, un décent, si ce n'est un brillant
+cavalier, m'étant enfoncé une côte au manége à l'âge de dix-huit ans. Je
+maniais assez bien les armes, particulièrement l'espadon des
+montagnards; je n'étais pas non plus un mauvais boxeur, quand je pouvais
+conserver mon sang-froid, ce qui était difficile, mais ce que je me suis
+toujours efforcé de faire depuis que (avec les gants) je renversai M.
+Purling, et lui démis la rotule, en 1806, dans la salle d'Angelo et
+Jackson. J'étais aussi assez fort à la balle crossée et l'un des onze
+champions de Harrow, qui soutinrent un défi, en 1805, contre Éton. En
+outre, le genre de vie de Rousseau, son pays, ses mœurs, l'ensemble de
+son caractère, offrent avec moi de si grandes différences, que je ne
+puis comprendre comment une telle comparaison a pu être faite trois
+fois, et toujours d'une manière si remarquable. J'oubliais encore de
+dire qu'il avait la vue courte, et que jusqu'ici la mienne a été tout le
+contraire, au point qu'au plus grand théâtre de Bologne, je distinguai
+certain buste et lus certaines inscriptions sur le bord de la scène,
+bien que placé dans la loge la plus éloignée et la plus sombre.
+Quoiqu'il y eût dans cette même loge plusieurs personnes jeunes et y
+voyant bien, elles ne pouvaient reconnaître une seule lettre, et crurent
+d'abord que c'était une plaisanterie, quoique je ne fusse jamais entré
+dans ce théâtre auparavant. Somme toute, je crois avoir raison de
+trouver la comparaison mal fondée. Je ne le dis pas par humeur, car
+Rousseau était un grand homme, et la chose, si elle était vraie, serait
+assez flatteuse; mais je ne trouve point de plaisir dans une pure
+chimère.»
+
+ [Note 102: _He married his house-keeper; I could not keep
+ house with my wife_.]
+
+Dans une autre lettre à sa mère, quelques semaines après la précédente,
+il développe ses plans sur Newstead et ses voyages projetés.
+
+
+
+
+LETTRE XXXI.
+
+À MRS. BYRON.
+
+Newstead-Abbey, 2 novembre 1808.
+
+
+MA CHÈRE MÈRE,
+
+«Nous oublierons, s'il vous plaît, ce que vous me dîtes dans votre
+dernière; je ne désire point me le rappeler. Quand nos chambres seront
+prêtes, je serai charmé de vous recevoir; et surtout je serais fâché de
+vous voir douter, en ce moment, de ma sincérité. C'est plus pour vous
+que pour moi que je meuble la maison; je vous y installerai avant mon
+départ pour les Indes, qui aura lieu, je crois, dans le courant de mars,
+s'il ne survient quelque obstacle particulier. Je fais arranger en ce
+moment le salon vert, la chambre à coucher rouge, et à l'étage au-dessus
+quelques chambres d'amis. Tout cela sera bientôt prêt, ou du moins je
+l'espère ainsi.
+
+«Je vous prierais de vous informer auprès du major Watson, qui a résidé
+long-tems dans les Indes, quels sont les objets dont il est le plus
+nécessaire d'être pourvu. J'ai déjà fait écrire par l'un de mes amis au
+professeur d'Arabe, à Cambridge, pour quelques renseignemens que je
+désire vivement me procurer. Il me sera aisé d'obtenir du gouvernement
+des lettres pour les ambassadeurs, les consuls, etc., et aussi pour les
+gouverneurs de Calcutta et de Madras. Je placerai mes propriétés et mon
+testament entre les mains de plusieurs personnes de confiance dont vous
+serez certainement l'une. Je n'ai reçu aucune nouvelle de H...; quand
+j'en aurai, je m'empresserai de vous en faire part.
+
+»Après tout, vous avouerez que mon projet n'est pas mauvais; si je ne
+voyage pas maintenant, je ne voyagerai jamais, et les hommes le
+devraient toujours faire un jour ou l'autre. Je n'ai rien qui me
+retienne maintenant dans mon pays; point de femme, point de sœurs à
+pourvoir, point de frères, etc. Je prendrai soin de vos intérêts; et, à
+mon retour, il sera possible que je me décide à suivre la carrière de la
+politique. Quelques années consacrées à connaître d'autres pays, ne me
+nuiront pas si j'embrasse ce parti. Tant que nous ne voyons que notre
+propre nation; nous ne jouons pas franc jeu avec l'espèce humaine. C'est
+par l'expérience personnelle, et non par des livres, que nous devrions
+juger les peuples étrangers. Il n'y a rien de tel que de voir par
+soi-même, et de ne s'en rapporter qu'à ce qu'on a vu.
+
+»Votre, etc.»
+
+Dans le mois de novembre de cette année, il perdit son chien favori
+Boatswain. Le pauvre animal fut tout à coup saisi d'un accès de rage; au
+commencement, Lord Byron soupçonnait si peu la nature de la maladie,
+qu'il lui arriva plusieurs fois d'essuyer avec sa main nue l'écume qui
+sortait de la bouche du chien au moment de ses attaques. Dans une lettre
+à son ami, M. Hodgson[103], il annonce ainsi cet événement: «Boatswain
+est mort! il a expiré dans un état de rage complète, après avoir
+beaucoup souffert, mais conservant jusqu'à la fin toute la douceur de
+son naturel, et sans jamais essayer de faire le moindre mal à ceux qui
+l'entouraient. J'ai maintenant tout perdu, hors le vieux Murray.»
+
+ [Note 103: Le révérend Francis Hodgson, auteur d'une
+ excellente traduction de Juvenal et de plusieurs autres
+ ouvrages estimés: il fut long-tems en correspondance avec
+ Lord Byron, et je lui dois plusieurs lettres intéressantes de
+ son noble ami; je les donnerai dans le cours des pages
+ suivantes.]
+
+Le monument qu'il éleva à ce chien, le plus remarquable en son genre,
+depuis le tombeau du chien de Salamine, forme encore l'un des plus beaux
+ornemens de Newstead. Les vers pleins de misanthropie qu'il y fit graver
+se retrouvent dans son recueil de poésies, et sont précédés de
+l'inscription que voici:
+
+«Près de ce lieu sont déposés les restes d'un être qui posséda la beauté
+sans orgueil, la force sans insolence, le courage sans férocité; en un
+mot, toutes les vertus de l'homme sans ses vices. Cet éloge, qui serait
+une basse flatterie s'il était inscrit sur des cendres humaines, n'est
+qu'un juste tribut à la mémoire de Boatswain, chien qui, né à
+Terre-Neuve, au mois de mai 1803, est mort, à Newstead-Abbey, le 18
+novembre 1808.»
+
+Le poète Pope, à peu près au même âge que l'auteur de cette inscription,
+fait de même l'éloge de son chien, aux dépens de l'espèce humaine, et
+ajoute que l'histoire nous offre plus d'exemples de la fidélité des
+chiens que de celle des hommes. Lord Byron, parlant de son favori, dit,
+avec plus de tristesse et d'amertume encore: «Ces pierres ont été
+élevées pour couvrir les restes d'un ami; je n'en ai jamais eu qu'un, et
+c'est ici qu'il repose.» Il semble, en effet, qu'à cette époque sa
+mélancolie fît de rapides progrès. Dans une autre lettre à M. Hodgson,
+il dit: «Vous savez que, d'après Smollet, le rire est le signe
+caractéristique d'un animal raisonnable; je le crois aussi;
+malheureusement mes dispositions naturelles ne s'accordent pas toujours
+avec mon opinion à cet égard.»
+
+Murray, le vieux serviteur dont il parle plus haut, comme le seul
+individu fidèle qui lui reste, avait été long-tems domestique du vieux
+lord, et était traité par le jeune poète avec une affection que la
+vieillesse inspire rarement, surtout dans une condition dépendante.
+«J'ai vu souvent, dit l'un des plus constans visiteurs de Newstead, Lord
+Byron à la fin du repas, emplir un grand verre de Madère, et le passer
+par-dessus son épaule à Joe Murray, qui se tenait derrière sa chaise, en
+lui disant avec un air d'affection qui animait toute sa physionomie:
+«Tiens, bois, mon vieux camarade!»
+
+Nous retrouvons dans un passage d'une autre de ses lettres à M. Hodgson
+un exemple de ce ton d'indifférence avec lequel il parlait quelquefois
+de la difformité de son pied. Ce _gentleman_ ayant dit, en plaisantant,
+que quelques vers des _Heures d'oisiveté_ étaient calculés pour porter
+les écoliers à la révolte, Lord Byron répondit: «Si mes chants ont
+produit les glorieux effets que vous dites, je serai un Tyrtée complet,
+quoique, et je suis fâché de le dire, je ressemble plutôt à ce poète
+célèbre, dans ma personne que dans mes ouvrages.» Quelquefois aussi il
+supportait avec la meilleure humeur du monde une allusion faite par
+d'autres à cette infirmité, quand il supposait qu'on n'avait pas eu
+l'intention de l'offenser. Un jour, dans une compagnie nombreuse et
+_mélangée_, une personne sans éducation lui demanda tout haut: «Eh bien,
+Milord, comment va votre pied?--Je vous remercie, Monsieur, répondit
+Byron du ton le plus poli, comme à l'ordinaire, et absolument de même.»
+
+L'extrait suivant, relatif à un ecclésiastique des amis de sa
+Seigneurie, est encore tiré d'une de ses lettres à M. Hodgson, et de la
+même année:
+
+«J'écrivis, il y a quelques semaines, à N***, le priant de recevoir
+comme élève le fils d'un citoyen de Londres, que je connais beaucoup.
+Les attentions toutes particulières dont la famille m'avait comblé
+pendant mon séjour parmi eux m'engagèrent à cette démarche. Maintenant,
+faites attention à ce qui va suivre, comme quelqu'un l'a dit d'une
+manière si sublime. Ce même jour arrive une épître signée N***, ne
+contenant pas un seul mot relatif à la pension et à l'éducation, mais
+une pétition en faveur de Robert Gregson, le fameux boxeur, actuellement
+en prison pour quelques malheureuses livres sterling, et menacé d'avoir
+pour dernier asile le _Banc du Roy_. Si cette lettre m'était venue de
+quelques-unes de mes accointances _laïques_, ou enfin de toute autre
+personne que celle dont parle la signature, je ne m'en étonnerais pas.
+Si N*** est sérieux, je félicite le pugilat sur l'acquisition d'un tel
+patron, et me trouverais heureux d'avancer quelque somme que ce soit
+pour la délivrance du captif Gregson. Mais avant que d'écrire à N*** sur
+ce sujet, je veux certainement avoir un certificat du fait signé de vous
+ou de quelque respectable propriétaire. Quand je dis le _fait_, c'est le
+fait de la lettre en tant qu'écrite par N***; car je n'ai aucun doute de
+l'exactitude de ce qu'elle contient. La lettre est actuellement devant
+moi, et je la garde pour vous la faire lire.»
+
+Il passa cet automne à Newstead s'occupant principalement à revoir et à
+augmenter sa satire. Pour s'assurer lui-même de son mérite en la lisant
+et relisant tout imprimée[104], il avait fait tirer plusieurs épreuves
+du manuscrit, par son premier éditeur, à Newark. Il est assez
+remarquable qu'excité comme il l'était par l'attaque des journalistes,
+doué comme il l'était de la faculté d'écrire avec tant de rapidité, il
+ait laissé écouler un si grand laps de tems entre l'agression et la
+vengeance; mais il paraît qu'il avait pleinement apprécié toute
+l'importance du premier pas qu'il ferait dans la littérature après cette
+attaque. Il sentait que toutes ses chances de grandeur future
+dépendaient de l'effort qu'il allait faire; en conséquence, il
+rassemblait tranquillement toutes ses forces. Parmi ses préparatifs pour
+la tâche qu'il se proposait, on doit remarquer une étude profonde des
+écrits de Pope. Je ne doute point qu'on ne doive dater de cette époque
+l'admiration enthousiaste qu'il conserva toujours pour ce grand poète,
+admiration qui, après deux ou trois tentatives, éteignit en lui toute
+espérance de prééminence dans la même carrière, et le força à chercher
+la gloire par des chemins plus ouverts à la concurrence.
+
+ [Note 104: On dit que Wieland avait coutume de faire imprimer
+ ses ouvrages pour les corriger, et qu'il tirait de grands
+ avantages de cette méthode, qui paraît n'être pas du tout
+ extraordinaire en Allemagne.]
+
+La tournure misanthropique que des affections trompées et des espérances
+frustrées avaient, à cette époque, donnée à son esprit, lui rendait
+facile le genre de la satire; cependant il est évident que cette
+amertume existait bien plus dans son imagination que dans son cœur; et
+l'entraînement qu'il éprouvait à faire la guerre au monde venait moins
+du plaisir de porter des coups çà et là, que du sentiment de sa
+puissance qui se révélait alors à lui-même, et qui le plaçait plus haut
+qu'auparavant dans sa propre estime. La vérité est que la grande
+facilité avec laquelle, comme on le verra bientôt, il passe de l'éloge à
+la censure ou de la censure à l'éloge, prouve combien étaient passagères
+et incohérentes les impressions qui, dans beaucoup de cas, semblent
+avoir dicté ses jugemens. Quoique cette circonstance ôte à quelques
+égards, du poids à ses éloges, elle l'absout en même tems du trop
+d'aigreur qui se trouve dans ses critiques.
+
+Sa majorité (1809) fut célébrée à Newstead par autant de réjouissances
+que purent le permettre la médiocrité de sa fortune et l'exiguïté du
+nombre de ses amis; outre le _bœuf_ rôti de fondation, il y eut un bal
+donné en cette occasion. La seule particularité dont se souvienne le
+vieux domestique qui m'en a parlé, c'est que M. Hanson, l'agent du Lord,
+était au nombre des danseurs. Quant à la manière dont Byron lui-même
+célébra ce grand jour, je trouve dans une lettre écrite de Gênes, en
+1822, les détails suivans qui pourront ne pas paraître sans intérêt.
+«Vous ai-je jamais dit que le jour de ma majorité, je fis mon dîner
+d'œufs avec du lard et une bouteille d'ale? Pour une fois en passant,
+c'est ce que j'aime le mieux à manger et à boire; mais comme ni l'un ni
+l'autre ne conviennent à mon estomac, c'est une petite jouissance que je
+ne me permets que dans les grandes occasions, tous les quatre ou cinq
+ans environ.» On se procura à un intérêt énorme par l'entremise des
+usuriers, l'argent nécessaire pour son début dans le monde, et la
+nécessité de le rembourser fut long-tems un fardeau pour lui.
+
+Ce ne fut qu'au commencement de cette année qu'il apporta à Londres sa
+satire toute prête, à ce qu'il croyait lui-même, pour l'impression; mais
+malheureusement avant que l'ouvrage ne fût imprimé, sa bile trouva de
+nouveaux alimens dans la négligence avec laquelle il se crut traité par
+son tuteur lord Carlisle. Les relations qui avaient précédemment existé
+entre ce seigneur et son pupille n'avaient jamais été de nature à faire
+naître beaucoup d'amitié entre eux, et c'est au caractère et à
+l'influence de Mrs. Byron qu'appartient surtout le blâme d'avoir
+augmenté, si ce n'est d'avoir causé leur éloignement. Lord Byron sentit
+vivement, comme nous le voyons dans une de ses lettres, la froideur avec
+laquelle lord Carlisle avait reçu la dédicace de son premier volume.
+Toutefois cédant à des considérations prudentes, non-seulement il avait
+dissimulé son déplaisir, mais il avait dans sa satire (telle qu'elle
+devait d'abord paraître) introduit le compliment suivant à son tuteur:
+
+«Il n'en est qu'un seul auquel Apollon daigne encore sourire, et dans
+Carlisle il couronne un nouveau Roscommon.»
+
+Cet éloge, si généreusement accordé, ne conserva pas sa place dans le
+poème. Pendant le tems qui s'écoula entre la composition et
+l'impression, Lord Byron, espérant naturellement que son tuteur
+s'offrirait de lui-même à l'introduire dans la chambre des pairs le jour
+où il devait y paraître la première fois, lui écrivit pour lui rappeler
+qu'il serait majeur au commencement de la session. Au lieu de la
+politesse à laquelle il s'attendait, il ne reçut pour toute réponse
+qu'une note cérémonieuse, lui indiquant la manière formelle de procéder
+dans de telles occasions. Il n'est donc pas étonnant que, disposé comme
+il l'était par les circonstances précédentes à ne pas supposer à son
+tuteur des intentions bien favorables pour lui, et se voyant ainsi
+refusé au moment où l'appui d'un parent si proche lui eût été si utile,
+son ame, naturellement si _impressionnable_, se soit ouverte au plaisir
+de la vengeance. Cette indignation, une fois excitée, ne trouva qu'un
+moyen trop facile de s'exhaler. Les vers louangeurs que je viens de
+citer furent effacés, et sa satire fut publiée avec ceux que nous y
+voyons contre lord Carlisle. Si ces vers flattèrent délicieusement
+d'abord son désir de vengeance, telle était la facilité naturelle de son
+caractère, qu'il ne tarda pas à se repentir de les avoir écrits[105].
+
+ [Note 105: Voyez les vers sur la mort du major Howard, fils
+ de lord Carlisle, tué à Waterloo:
+
+ «Des lyres plus harmonieuses que la mienne ont redit leur
+ louange; mais parmi cette troupe de héros, il en est un que
+ je voudrais choisir, soit parce que je suis allié de sa
+ famille, soit parce que j'ai eu quelques torts envers son
+ père.»
+ (CHILDE HAROLD, chant III.)]
+
+Pendant l'impression de son poème, il l'augmenta de plus de cent vers,
+et y fit plusieurs changemens, dont deux ou trois peuvent être cités
+comme preuves de la promptitude avec laquelle il recevait les
+impressions et les influences qui l'ont rendu si variable dans ses
+manières de sentir et de juger. Dans sa satire, telle qu'il l'avait
+composée d'abord, se trouvaient les deux vers suivans:
+
+Quoique des imprimeurs condescendent à souiller leurs presses des odes
+de Smythe et des chants épiques de Hoyle.
+
+Il se repentit, au moment de la publication, de l'injustice de ces deux
+vers (injustes également pour les deux auteurs qui y sont cités), du
+moins quant à l'une de ces deux victimes. Il prit dans sa satire
+imprimée un ton tout-à-fait différent. Le nom du professeur Smythe y est
+cité avec honneur, comme il le méritait, et accouplé à celui de M.
+Hodgson, l'un des plus estimables amis du poète:
+
+Oh! obscur asile d'une race vandale, à la fois honneur et disgrâce des
+sciences, si plongé dans la routine de l'ennuyeuse inutilité, qu'à peine
+les noms de Smythe et d'Hodgson seront capables de réhabiliter le tien!
+
+Voici un autre exemple de son extrême mobilité. Le manuscrit original de
+la satire contenait ce vers:
+
+Je laisse la topographie à ce fat de Gell.
+
+Pendant le tems de l'impression il fit connaissance avec sir Williams
+Gell. Alors, sans effort, par le changement d'une seule épithète, il
+convertit sa satire en éloge: il écrivit pour la postérité:
+
+Je laisse la topographie au _classique_ Gell[106].
+
+ [Note 106: Dans la cinquième édition de cette satire,
+ supprimée par l'auteur en 1812, il changea de nouveau
+ d'opinion sur ce professeur, et en altéra l'expression ainsi:
+ «Je laisse la topographie au _rapide_ Gell.» Expliquons la
+ raison de ce nouveau changement par la note suivante:
+ «_Rapide_; en effet, il a _topographisé_ et _typographisé_ en
+ trois jours les états du roi Priam. Je l'avais appelé
+ classique avant que je n'eusse vu la _Troade_, et maintenant
+ je me garderai bien de lui accorder une qualification à
+ laquelle il a si peu de droits.»]
+
+Parmi les passages ajoutés au moment de l'impression, il faut remarquer
+les vers contre la licence de l'opéra, «qu'ainsi donc l'Ausonie, etc.,»
+que le jeune poète écrivit un soir au sortir du théâtre, et envoya
+aussitôt à M. Dallas pour les insérer dans sa satire. Une autre de ces
+additions fut le juste tribut d'éloge payé à MM. Crabbe et Rogers, éloge
+d'autant plus désintéressé et d'autant plus exact, qu'à cette époque il
+n'avait vu ni l'une ni l'autre de ces deux personnes distinguées, et
+qu'il conserva toute sa vie l'opinion qu'il avait exprimée sur leur
+mérite. Il devint depuis ami intime de l'auteur des _Plaisirs de la
+mémoire_; mais il n'eut jamais le bonheur de former aucune liaison avec
+celui qu'il désigna si bien sous le nom de _peintre le plus sombre et le
+plus vrai de la nature_. Mon respectable ami et voisin, M. Crabbe, m'a
+dit qu'une fois ils passèrent un jour ou deux dans le même hôtel, sans
+le savoir, et qu'ils ont dû souvent se rencontrer, soit en entrant dans
+la maison, soit en sortant.
+
+Presque de deux jours l'un, M. Dallas, qui s'était chargé de surveiller
+l'impression, recevait de nouveaux matériaux pour l'enrichir; l'esprit
+de l'auteur une fois excité sur un sujet quelconque ne savait plus
+maîtriser la surabondance de ses idées. Dans l'un de ses courts billets
+à M. Dallas, il lui dit: «Dépêchez-vous vite d'imprimer, ou je vous
+inonderai de vers.» Il en fut de même pour ses publications
+subséquentes, aussi long-tems du moins qu'il fut à portée de son
+imprimeur, alimentant jusqu'au dernier moment la presse d'idées neuves
+et fécondes qui lui étaient fournies par la lecture de ce qu'il avait
+écrit auparavant. Il semblerait, en effet, d'après l'extrême facilité et
+l'extrême rapidité dont il ajouta à presque tous ses ouvrages leurs plus
+beaux passages, tandis qu'ils étaient entre les mains de l'imprimeur,
+que l'action même de se faire imprimer aiguillonnât son imagination, et
+que le torrent de ses idées prît plus de vie, de fraîcheur, en arrivant,
+pour ainsi dire, à son embouchure.
+
+Parmi les passages pathétiques dont il orna son poème fut celui que lui
+suggéra la mort déplorable de lord Falkland. C'était un officier de
+marine, brave, mais débauché, dont il avait fait connaissance dans le
+monde, et qui fut, au commencement de mars, tué dans un duel par M.
+Powell. Les stances touchantes qu'il lui a consacrées dans sa satire
+prouvent assez combien cet événement l'avait vivement frappé. «Je
+connaissais beaucoup le feu lord Falkland. Le mardi soir je l'avais vu
+faire lui-même les honneurs de sa table hospitalière; le mercredi matin,
+je vis étendu devant moi ce corps qu'animaient naguère le courage, la
+sensibilité, et tant de nobles passions!» Il ne s'en tint pas à des
+paroles pour prouver sa sympathie dans cette occasion. Ce malheureux
+jeune homme laissait derrière lui une famille qui avait besoin pour son
+soulagement d'autre chose qu'une stérile compassion, et Lord Byron,
+malgré la gêne qu'il éprouvait lui-même à cette époque, trouva moyen de
+venir généreusement et délicatement au secours de la veuve et des enfans
+de son ami. Dans la lettre suivante à Mrs. Byron, il en parle entre
+autres sujets importans avec une sensibilité éloignée de toute
+ostentation, qui lui fait le plus grand honneur.
+
+
+
+
+LETTRE XXXII.
+
+À MRS. BYRON.
+
+Saint-James-street, n° 8, 4 mars 1809.
+
+
+MA CHÈRE MÈRE,
+
+«Ma dernière lettre fut écrite dans un grand abattement d'esprit causé
+par la mort de ce pauvre Falkland, qui a laissé sans un schelling sa
+femme et ses enfans. Je me suis efforcé de venir à leur secours. Dieu
+sait que je n'ai pas pu le faire comme je l'aurais désiré, gêné comme je
+le suis, et accablé de tant de dettes.
+
+»Vous avez parfaitement raison; il faut que Newstead et moi nous nous
+soutenions, ou tombions ensemble. J'y ai vécu, j'y ai attaché mon cœur,
+et jamais besoin d'argent présent ou à venir ne pourra me porter à
+vendre la moindre parcelle de notre héritage. J'ai un amour-propre qui
+me donnera la force de supporter bien des embarras pécuniaires: j'aurai
+peut-être à endurer bien des privations; mais quand on m'offrirait en
+échange de Newstead la première fortune de l'Angleterre, je rejetterais
+la proposition. N'ayez pas d'inquiétude à ce sujet; M. H*** en parle
+comme un homme d'affaires; mais je sens comme un homme d'honneur, et je
+ne vendrai pas Newstead.
+
+»J'entrerai à la chambre des pairs dès que l'on aura reçu certains
+certificats pour lesquels on a écrit à Carhais, dans le Cornouaille, et
+je ferai parler de moi: il faut que je brille dès le commencement, ou
+tout est perdu. Il faut me garder le secret sur ma satire pendant un
+mois, après cela vous serez libre d'en parler absolument comme vous le
+voudrez. Lord Carlisle en a usé avec moi d'une manière infâme, en
+refusant de donner au chancelier aucun détail sur ma famille. Je l'ai
+_sanglé_ comme il faut dans mes vers, et peut-être sa Seigneurie se
+repentira-t-elle de n'avoir pas montré une humeur plus conciliante. On
+dit que cela se vendra; je l'espère, car le libraire s'est bien conduit
+jusqu'ici, c'est-à-dire que l'édition a été bien soignée. Croyez-moi,
+etc.
+
+»_P. S._ Vous aurez hypothèque sur une des fermes.»
+
+Le certificat dont il est ici question comme attendu de la principauté
+de Cornouaille était les preuves du mariage entre l'amiral Byron et miss
+Trevanion, mariage célébré, à ce qu'il paraît, dans une chapelle
+particulière, à Carhais, et dont, en conséquence, il était difficile de
+se procurer une attestation légale. Le délai nécessaire pour obtenir ces
+papiers, et le refus peu gracieux de lord Carlisle de donner aucune
+explication sur sa famille, furent les obstacles qui l'empêchèrent
+long-tems de prendre sa place à la chambre. Les preuves nécessaires
+ayant été à la fin fournies, il se présenta, le 13 mars, dans un état
+d'isolement auquel aucun jeune homme d'un rang aussi élevé ne s'était
+jamais vu réduit en pareille occasion. N'ayant pas un seul individu de
+sa classe pour l'introduire comme un ami, ou l'accueillir comme une
+connaissance, ce fut au hasard seul qu'il dut d'être accompagné jusqu'à
+la barre de la chambre par un parent très-éloigné, et qui lui était
+complètement inconnu un peu plus d'un an auparavant. Ce parent fut M.
+Dallas, et les détails qu'il nous a donnés de cette scène entière sont
+trop frappans pour que nous y changions un seul mot.
+
+«La satire fut publiée vers le milieu de mars, quelques jours après
+qu'il eut pris sa place à la chambre des Pairs, ce qu'il fit le 13 du
+même mois. Je descendais ce jour-là de James's-Street, sans intention de
+lui faire visite; mais voyant son cabriolet à la porte, j'entrai. Sa
+figure plus pâle qu'à l'ordinaire montrait que son esprit était agité et
+qu'il pensait au noble seigneur sous les auspices duquel il avait
+toujours cru faire son entrée à la Chambre. Je suis bien aise, me
+dit-il, de vous voir; je vais prendre ma place à la Chambre, peut-être
+voudrez-vous bien m'accompagner. Je me hâtai de lui exprimer combien
+j'étais disposé à le faire, lui cachant en même tems le chagrin que
+j'éprouvais en voyant un jeune homme qui, par sa naissance, sa fortune
+et ses talens, appartenait à la première classe de la société, assez
+négligé, assez isolé dans le monde, pour qu'il n'y eût pas un seul
+membre du sénat dont il allait faire partie, auquel il pût s'adresser
+pour y être introduit d'une manière convenable. Je vis qu'il sentait
+vivement sa situation, et je partageais son indignation.
+
+»Après avoir parlé quelque tems de la satire dont les dernières feuilles
+étaient alors sous presse, j'accompagnai Lord Byron à la Chambre. Il fut
+reçu dans l'une des antichambres par quelques officiers de service, avec
+lesquels il s'entendit sur les frais qu'il avait à payer. L'un d'eux
+alla avertir le lord chancelier, et revint bientôt avec ordre
+d'introduire le récipiendaire. Il y avait peu de membres présens, et
+lord Eldon s'occupait d'affaires ordinaires ou peu importantes. Quand
+Lord Byron entra, il me parut encore plus pâle qu'avant; on lisait sur
+sa figure l'indignation jointe à la mortification; mais parvenu à la
+dominer, il passa devant la _balle de laine_[107] sans regarder autour
+de lui, et s'avança vers la table où l'officier chargé de cette fonction
+lui fit entendre le serment d'usage. Cette formalité remplie, le
+chancelier, quittant son siége, fit quelques pas vers lui en souriant et
+lui présentant la main pour le féliciter de la manière la plus amicale.
+Quoique je n'entendisse pas ses paroles, je vis bien qu'il lui adressait
+quelques complimens. Ce fut autant de perdu; Lord Byron fit un salut
+cérémonieux, et plaça à peine l'extrémité du bout de ses doigts dans les
+mains du chancelier. Celui-ci ne prolongea pas des félicitations aussi
+mal reçues; mais il retourna à sa place, tandis que Lord Byron alla
+négligemment s'asseoir quelques minutes sur l'un des bancs restés vides
+à la gauche du trône, et qu'occupent ordinairement les lords de
+l'opposition. Quand il vint me rejoindre, je lui fis part de mes
+observations; il me répondit: Si j'avais répondu à son serrement de
+main, il m'aurait tout de suite compté comme acquis à son parti. Je ne
+veux rien avoir à faire ni avec les uns ni avec les autres; j'ai pris
+mon rang; je veux maintenant quitter l'Angleterre. Nous retournâmes à
+Saint-James's-Street, mais il ne recouvra pas sa bonne humeur.»
+
+ [Note 107: Nom du fauteuil du chancelier, et qui est pris
+ souvent par métaphore pour la dignité de chancelier. C'est
+ ainsi que l'on dit être assis sur _la balle de laine_, comme
+ chez nous être assis sur les _fleurs de lis_.]
+
+Au récit d'une cérémonie si désagréable pour un esprit fier comme le
+sien, et si peu de nature à diminuer les idées misanthropiques qui déjà
+prenaient sur lui tant d'empire, j'ajouterai d'après l'un de ses propres
+_souvenirs_, les détails qu'il nous a lui-même laissés sur sa courte
+conversation avec le lord chancelier:
+
+«Quand j'eus atteint mes vingt-un ans, la nécessité de me procurer
+certains certificats de naissance et de mariage m'empêcha pendant
+plusieurs semaines de prendre rang dans la Chambre. Après que ces
+difficultés eurent été levées, et que j'eus prêté serment, le lord
+chancelier s'excusa auprès de moi de ce délai, observant que le maintien
+de ces formes voulues était une partie de son devoir. Je lui répondis
+qu'il ne me devait point d'excuse, et comme il n'avait pas, en effet,
+montré beaucoup d'empressement, j'ajoutai: Votre seigneurie est
+exactement comme le _Petit Poucet_ (on donnait à cette époque la pièce
+de ce nom), vous avez fait votre _devoir_, mais vous n'avez fait rien de
+plus.»
+
+Quelques jours après parut la satire, et l'un des premiers exemplaires
+fut adressé à M. Harness, son ami, avec la lettre suivante:
+
+
+
+
+LETTRE XXXIII.
+
+À M. HARNESS.
+
+Saint-James's-Street, 18 mars 1809.
+
+«Vous ne me deviez pas d'excuses; si vous avez le tems d'écrire, et si
+vous y êtes disposé, tant mieux; Le Seigneur nous rend reconnaissans
+pour les faveurs que nous recevons. Quand, au contraire, je n'entends
+pas parler de vous, je me console en pensant que vous êtes plus
+agréablement occupé.
+
+»Je vous envoie par le même courrier une certaine satire nouvellement
+publiée; et en retour de trois shillings et six pences qu'il m'en coûte,
+je vous prie, si vous venez à en deviner l'auteur, de tenir son nom
+secret, du moins quant à présent. Londres est plein de l'affaire du
+duc[108]. La Chambre des communes s'en est occupée pendant les trois
+dernières soirées, et n'a cependant encore rien décidé. Je ne sais pas
+si la chose sera portée devant notre Chambre, à moins que ce ne soit
+sous forme d'accusation. Si elle y paraît d'une manière qui permette la
+discussion, je serai peut-être tenté de dire quelque chose à ce sujet.
+Je suis bien aise d'apprendre que vous aimez Cambridge, premièrement
+parce que vous savoir heureux ne peut qu'être infiniment agréable à
+quelqu'un qui vous désire toutes les joies possibles de ce monde
+sublunaire, et secondement, parce que j'admire la moralité de ce
+sentiment. L'_alma mater_ a été pour moi une _injusta noverca_, et cette
+vieille folle ne m'a donné mon degré de _master artium_ que parce
+qu'elle n'a pu l'éviter. Vous savez quelle farce un noble candidat est
+obligé de jouer.
+
+ [Note 108: Probablement l'affaire du duc d'York, accusé
+ d'avoir vendu ou laissé vendre des commissions dans l'armée
+ d'une manière illégale.]
+
+«Je compte partir pour mes voyages, si je puis, au printems, et avant
+cette époque je fais une collection des portraits de ceux de mes
+camarades d'école avec lesquels j'étais le plus lié. J'en ai déjà
+quelques-uns, et j'ai besoin du vôtre, sans lequel la galerie ne serait
+pas complète. J'ai employé l'un des premiers peintres de miniature de
+l'époque, et ce à mes dépens bien entendu, car je n'ai jamais souffert
+que mes connaissances fussent induites à la moindre dépense pour
+satisfaire quelqu'une de mes fantaisies. Cette observation pourra
+paraître indélicate; mais quand je vous dirai qu'un de nos amis avait
+d'abord refusé de poser dans la persuasion qu'il lui faudrait délier les
+cordons de sa bourse, vous conviendrez qu'il est nécessaire de bien
+établir d'abord ces préliminaires; pour éviter le retour d'une semblable
+méprise, je viendrai vous voir quand il en sera tems, et je vous ménerai
+chez le peintre. Ce sera une espèce de taxe que je léverai pendant une
+semaine sur votre patience; mais excusez-moi, je vous prie, et songez
+que cette ressemblance sera peut-être le seul souvenir qui me restera un
+jour de notre ancienne amitié et de notre liaison actuelle. Cette idée
+paraît assez folle maintenant; mais dans quelques années, quand
+quelques-uns d'entre nous seront morts, que d'autres seront séparés par
+des circonstances inévitables, ce sera une sorte de satisfaction de
+conserver, dans les portraits de ceux qui survivront, l'image de ce que
+nous étions naguère, et de contempler dans les portraits de ceux qui
+seront morts tout ce qui nous restera du jugement, de la sensibilité et
+de l'ensemble de tant de nobles qualités. Mais tout ceci doit être assez
+ennuyeux pour vous; ainsi bon soir, et pour finir mon chapitre ou plutôt
+mon homélie, croyez-moi, mon cher Harness, votre très-affectionné, etc.,
+etc.»
+
+Dans cette idée romanesque de rassembler et de conserver les portraits
+de ses anciens amis de classe, on voit le travail naturel d'un cœur
+ardent et désappointé qui, à mesure que l'avenir commence à s'obscurcir
+autour de lui, se rattache avec empressement au souvenir du passé, et
+qui, désespérant de trouver de nouveaux et de fidèles amis, ne songe
+plus qu'à conserver tout ce qu'il pourra des anciens. Mais, en ce moment
+même, sa sensibilité eut à soutenir un de ces terribles échecs auxquels
+des ames comme la sienne, fort au-dessus de la trempe ordinaire, ne sont
+que trop fréquemment exposées. Ce fut de la part d'un des amis qu'il
+estimait le plus qu'il reçut, au moment où il quittait l'Angleterre,
+cette preuve d'indifférence dont il se plaint et s'indigne dans une note
+du second chant de _Childe-Harold_, la mettant en contraste avec la
+fidélité et l'affection que venait de lui montrer son domestique turc
+Derwish. M. Dallas décrit ainsi l'émotion où il le vit à l'occasion de
+ce même manque d'affection:
+
+«Je le trouvai étouffant d'indignation. Le croirez-vous? me dit-il; je
+viens à l'instant de rencontrer N***, je l'ai prié de venir passer une
+heure avec moi; il m'a refusé; et quelle raison pensez-vous qu'il m'ait
+donnée? Il était engagé à aller courir les boutiques avec sa mère et
+quelques autres dames, et il sait que je pars demain pour être absent
+pendant plusieurs années, et peut-être pour ne revenir jamais! Amitié!
+je ne pense pas qu'excepté vous, votre famille et peut-être ma mère, je
+laisse derrière moi un seul être qui se soucie de ce que je pourrai
+devenir.»
+
+D'après cette phrase déjà citée d'une lettre à Mrs. Byron, «il faut que
+je fasse quelque chose bientôt dans la Chambre,» et d'après une autre
+expression plus explicite encore, contenue dans une lettre à M. Harness,
+il paraîtrait qu'il songeait sérieusement, à cette époque, à entrer de
+suite dans la carrière des affaires politiques que sa qualité de pair
+héréditaire semblait ouvrir naturellement devant lui. Mais quelles
+qu'aient été d'abord les impulsions de son ambition vers ce point, il y
+renonça bientôt. S'il eût été allié de quelques familles qui eussent
+tenu un rang distingué dans le monde politique, son envie de dominer,
+secondée par de tels exemples et de telles sympathies, l'eût porté sans
+doute à chercher la gloire au milieu des guerres de parti; peut-être
+c'eût été alors son lot de donner un exemple remarquable de ce
+changement par lequel un homme cesse d'être un grand poète pour devenir
+un grand politique. Heureusement, toutefois pour le monde, car c'est une
+question si ce fut un bonheur pour lui-même, il était décidé que ce
+serait dans l'empire plus brillant de la poésie qu'il devait dominer. En
+effet, l'isolement de toute société dans lequel il se trouvait à cette
+époque, étant privé de ces affections et de ces protections dont un
+jeune homme est ordinairement entouré lors de ses débuts, cet isolement,
+dis-je, devait le décourager de suivre une carrière où les chances de
+succès dépendent surtout des avantages qui ne sont pas en nous-mêmes.
+Loin donc de prendre une part active aux travaux de ses nobles
+collègues, il paraît qu'il regardait comme ennuyeux et mortifiant d'y
+assister comme spectateur. Quelques jours après son admission, il se
+retira dans sa retraite de Newstead-Abbey, pour y savourer l'amertume
+d'une expérience prématurée, ou pour y méditer d'avance sur les scènes
+et les aventures auxquelles son esprit ardent devait trouver à
+l'étranger un champ plus libre que dans sa patrie.
+
+Peu de tems s'écoula cependant avant qu'il ne fût rappelé à Londres par
+le succès de sa satire, dont le prompt débit rendait une seconde édition
+nécessaire. Son agent zélé, M. Dallas, avait pris soin de lui
+transmettre, dans sa solitude, tout ce qu'il avait pu recueillir
+d'opinions favorables à son ouvrage. Il n'est pas sans intérêt de voir
+par quels degrés on arrive d'abord à la réputation, et de trouver dans
+l'approbation d'autorités telles que Pratt et les écrivains des Revues,
+la première récompense et les premiers encouragemens d'un Byron.
+
+«Vous êtes déjà, lui écrivait-il, assez généralement connu pour
+l'auteur. Cawthorn m'en a parlé dans ce sens, et j'en ai eu par moi-même
+une preuve chez Hatchard, libraire de la reine. J'entrai pour lui
+demander la satire; il me répondit qu'il en avait vendu un grand nombre
+d'exemplaires, qu'il ne lui en restait pas un, qu'il allait en
+redemander davantage, ce que je vis depuis qu'il avait fait. Je lui
+demandai quel était l'auteur. Il me répondit qu'on la croyait de Lord
+Byron. J'insistai pour savoir si c'était son opinion, à lui-même. Il me
+répondit que oui, et que ce qui le lui faisait croire, c'est qu'une dame
+de distinction était venue, sans hésitation, lui demander la satire de
+Lord Byron. Il m'apprit aussi qu'il avait demandé à M. Giffard, qui
+vient souvent dans sa boutique, si la satire était de vous; celui-ci nia
+absolument qu'il en connût l'auteur; mais il parla avec grand éloge de
+l'ouvrage, et dit qu'on lui en avait envoyé un exemplaire. Hatchard m'a
+assuré que tous ceux qui fréquentent son cabinet de lecture l'admirent
+beaucoup. Cawthorn m'a dit qu'on en faisait généralement un très-grand
+cas, non-seulement parmi ses propres pratiques, mais encore parmi toutes
+celles de ses confrères. Je suis allé plusieurs fois exprès chez mon
+éditeur, et je l'ai toujours entendu beaucoup vanter. Pratt l'a lue
+dernièrement à haute voix dans les salons, Phillip à un cercle d'hommes
+de lettres: tous l'ont unanimement louée. L'_Anti-Jacobin_ et le
+_Gentleman's Magazine_ ont déjà embouché pour vous la trompette de la
+renommée. Vous verrez votre satire dans les autres revues le mois
+prochain, et probablement elle sera maltraitée dans quelques-unes,
+suivant les rapports que les propriétaires ou les éditeurs peuvent avoir
+avec ceux que vous y avez flagellés.»
+
+À son arrivée à Londres, vers la fin d'avril, il trouva la première
+édition de sa satire presque épuisée; il se mit aussitôt en devoir d'en
+préparer une seconde, à laquelle il résolut de mettre son nom. Les
+additions qu'il fit alors à son ouvrage sont considérables, il ajouta
+entre autres près de cent vers qui devinrent les premiers[109], et ce ne
+fut guère qu'au milieu du mois suivant que la nouvelle édition fut prête
+à imprimer. Pendant son dernier séjour à la campagne, il était convenu
+avec son ami Hobhouse qu'ils quitteraient l'Angleterre au commencement
+de juin, et il désirait voir les épreuves de son volume avant que de
+partir.
+
+ [Note 109: La première édition commençait au vers:
+
+ «Il fut un tems, avant que de nos jours dégénérés.»]
+
+Cette seconde édition est suivie d'un post-scriptum en prose que M.
+Dallas, et c'est une preuve de jugement et de goût, supplia en vain le
+poète de retrancher. Il est fort à regretter que Byron ne se soit point
+rendu à ses sages avis; car il règne, dans cette malheureuse page, un
+ton de bravache, que l'on est toujours peiné de voir adopté par un homme
+vraiment brave. En voici un échantillon: «On dira peut-être que je
+quitte l'Angleterre, parce que j'y ai insulté des personnes d'esprit et
+d'honneur; mais je reviendrai, et elles pourront entretenir jusque-là
+leurs ressentimens. Ceux qui me connaissent peuvent affirmer que les
+motifs qui me font voyager, sont loin d'être des craintes littéraires ou
+personnelles, et ceux qui ne me connaissent pas pourront en être
+convaincus un jour. Depuis la publication de cet opuscule, mon nom n'a
+pas été au secret, j'ai presque constamment habité Londres, prêt à
+rendre raison de ce que j'ai écrit, et m'attendant chaque jour à
+recevoir quelque petit cartel; mais, hélas! les tems de la chevalerie
+sont passés, ou, pour parler comme le vulgaire, il n'y a plus de courage
+aujourd'hui.»
+
+Quelques torts que l'auteur ait pu avoir dans cette satire, peu de
+personnes la jugeraient plus sévèrement aujourd'hui, qu'il ne la jugea
+lui-même neuf ans après l'avoir composée, au moment où il venait de
+quitter l'Angleterre pour n'y jamais revenir. M. Murray possède
+l'exemplaire que Byron lut alors; et les notes qu'il griffonna en marge,
+et au bas des pages, méritent d'être traduites ici; sur la première on
+lit:
+
+«La reliure de ce volume est beaucoup trop belle pour ce qu'il contient.
+
+»C'est la propriété d'un autre, voilà la seule raison qui me retient de
+jeter au feu ce misérable monument de colère déplacée et de critique
+aveugle.»
+
+En marge de ce passage: «De se laisser égarer par le cœur de Jeffrey, ou
+la tête béotienne de Lamb,» est écrit: «Cela n'est pas juste; la tête et
+le cœur de ces messieurs, ne sont pas du tout tels qu'ils ont été ici
+représentés.» En travers de tout le sévère passage contre MM. Wordsworth
+et Coleridge, il a griffonné _injuste_. Pour l'attaque terrible contre
+M. Bowles, le commentaire est: «Tout ce morceau sur Bowles est trop
+sauvage.» À la marge des vers qui commencent par «salut à l'immortel
+Jeffrey,» est écrit, «trop féroce... C'est de la folie toute pure;» et
+plus bas, à propos des vers: «Quelqu'un se rappelle-t-il ce jour
+désastreux, etc.,» il ajoute, «tout cela est mauvais, parce que c'est
+trop personnel.»
+
+Quelquefois cependant, loin de casser ses premiers jugemens, il semble
+disposé à les confirmer et rendre plus sévères. Ainsi, en marge du
+passage relatif à certain auteur de certaines épopées obscures (Cottle),
+il dit: «C'est bien,» ajoutant au bas de la page: «J'ai vu quelques
+lettres de ce drôle à une pauvre dame poète,» dont il attaque les
+productions (productions dont cette brave femme n'était nullement
+enflée), d'un ton si grossier et si tranchant, que je ne regretterais
+pas les coups de fouet que je lui ai donnés, quand même ils eussent été
+injustes, ce qui n'est pas, car en vérité _c'est un grand âne_. En marge
+des vers si forts contre Clarke, collaborateur du _Magazine_ appelé le
+_satiriste_, se trouve cette remarque: «Assez bien; il la méritait, et
+cela n'est pas trop mal exprimé.»
+
+Tout le paragraphe commençant par _Illustre Lord Holland_, a pour note
+«mauvais, et, en outre, manquant de vérité.» Les vers contre Lord
+Carlisle lui paraissent mauvais aussi, la provocation n'était pas
+suffisante pour justifier tant d'acrimonie. Dans une autre note
+concernant le même seigneur, il dit: «Beaucoup trop sauvage, quel qu'en
+ait pu être le fondement.» Il dit de Rosa Maltida (la fille du célèbre
+juif K...), «elle a depuis épousé le Morning-Post, mariage extrêmement
+bien assorti.» Aux vers commençant par «Quand quelque jeune homme
+d'espérance, habitant une échoppe, etc.,» il a joint un note qui n'est
+pas sans intérêt: «Tout ceci était dirigé contre le pauvre Blackett, il
+était alors _patronisé_ par A. I. B.[110]. Je l'ignorais, sans quoi je
+n'eusse pas écrit tout ceci, ou du moins, je ne le crois pas.»
+
+ [Note 110: Lady Byron, alors miss Milbank.]
+
+En regard de l'éloge de M. Crabbe, il a écrit: «Je considère Crabbe et
+Coleridge comme les deux plus remarquables poètes de notre tems, sous le
+rapport de l'invention et du pathétique.» Sur l'un de ses propres vers:
+
+ Et la gloire comme le Phénix au milieu des flammes, etc.
+
+il s'écrie: «Le diable emporte le Phénix! comment a-t-il fait pour venir
+se fourrer là?» Et il conclut ses remarques de détails par l'observation
+suivante, sur l'ensemble de la pièce:
+
+«Je désirerais bien sincèrement que la majeure partie de cette satire
+n'eût jamais été écrite, non seulement à cause de l'injustice des
+jugemens qui y sont portés sur quelques ouvrages et quelques personnes,
+mais parce que je ne saurais approuver le ton qui y règne en général, et
+l'esprit qui l'a dictée.
+
+«BYRON.--Diodati-Genève, 14 juillet 1816.»
+
+En même tems qu'il préparait sa nouvelle édition, il faisait gaîment les
+honneurs de Newstead à une troupe de jeunes amis de collége, qu'à la
+veille de quitter l'Angleterre pour si long-tems il avait réunis autour
+de lui, comme pour une fête d'adieux. La lettre suivante, de l'un des
+convives, Charles Skinner Matthews; quoiqu'elle ne parle pas autant de
+son hôte illustre que nous eussions pu le désirer, plaira sans doute au
+lecteur comme une peinture prise au moment même, et qui réfléchit bien
+le caractère de Byron à cette époque.
+
+
+
+LETTRE DE C.S. MATTHEWS, ÉCUYER,
+
+À MISS ***.
+
+Londres, 22 mai 1809.
+
+
+MA CHÈRE MISS ***,
+
+«Il faut d'abord que je vous donne quelques détails sur le lieu
+singulier que je viens de quitter.
+
+»Newstead-Abbey est située à 136 milles de Londres, et à 4 de Mansfield.
+C'est un si beau morceau d'architecture que je ne serais pas étonné
+qu'on en trouvât la description, et peut-être la gravure, dans les
+_monumens_ gothiques de Grose. Elle est en la possession des ancêtres du
+propriétaire actuel depuis l'époque de la dissolution des monastères,
+mais le bâtiment lui-même est d'une date bien plus reculée. Quoique
+tombant en ruines, c'est encore une abbaye complète, et la plus grande
+partie de l'édifice est encore debout et dans le même état que le jour
+où il fut construit. Il y a deux rangées de cloîtres, avec un grand
+nombre de chambres et de cellules, qui, bien qu'inhabitées et
+inhabitables, pourraient facilement être remises en état; beaucoup des
+anciennes chambres servent encore, entre autres une grande salle dallée.
+Il ne reste plus qu'un côté de l'église de l'abbaye; l'ancienne cuisine
+et une longue file de bâtimens attenans n'offrent plus qu'un amas de
+décombres. Une salle magnifique de 70 pieds de long sur 23 de large,
+unit les anciennes constructions aux bâtimens modernes; mais toutes les
+parties de la maison sont dans un grand état de délabrement et
+d'abandon, excepté celles que le seigneur actuel vient de faire
+arranger.
+
+»La maison et les jardins sont entièrement entourés d'une muraille
+crénelée. Devant l'entrée principale se trouve un grand lac, flanqué çà
+et là de bâtimens fortifiés, dominés par une tour placée à l'autre
+extrémité. Imaginez-vous, tout autour, des collines nues et arides, la
+vue ne découvrant qu'à peine deux ou trois méchans arbres rabougris, à
+plusieurs milles de distance, et vous aurez une idée de Newstead. Le
+dernier lord étant brouillé avec son fils, auquel le domaine était
+assuré par substitution, voulut au moins, par esprit de vengeance, qu'il
+ne lui arrivât que dans le plus mauvais état possible. En conséquence il
+négligea les constructions, et fit un tel abattage de tous les arbres,
+qu'il réduisit bientôt une propriété naguère _boisée_ à l'état de
+désolation et de nudité que je viens de décrire. Toutefois, son fils
+mourut avant lui, et, tout cet étalage de colère manqua ainsi son effet.
+
+»En voilà assez sur le domaine; j'ai multiplié les détails sans ordre et
+sans liaison, pour qu'ils ressemblassent mieux au sujet. Mais si ce lieu
+vous paraît étrange, la manière dont on y vit ne l'est pas moins, je
+vous assure. Montez avec moi les degrés qui mènent au vestibule, que je
+vous présente à Milord et à ses hôtes. Prenez garde, souvenez-vous de
+n'y venir qu'en plein jour, et de bien ouvrir vos yeux, car si vous
+alliez vous tromper, si vous tourniez trop à droite en montant les
+degrés, vous vous feriez empoigner par un ours, et si vous alliez trop à
+gauche, ce serait encore pire, vous vous trouveriez nez à nez avec un
+loup. Parvenu à la porte, vous n'êtes pas hors de danger, car le
+vestibule étant en mauvais état, et ayant grand besoin de réparation, il
+y a probablement à l'autre extrémité une foule de visiteurs qui
+s'exercent à tirer au blanc, de manière que si vous entrez sans donner,
+de loin et à haute voix, avis de votre approche, vous n'aurez échappé à
+l'ours et au loup que pour tomber sous les balles des joyeux moines de
+Newstead.
+
+«Nous étions quatre, sans compter Lord Byron, et notre compagnie
+s'augmentait de tems en tems d'un curé du voisinage. Quant à notre
+manière de vivre, voici quel était généralement l'ordre du jour: pour le
+déjeuner, point d'heure fixe, chacun le prenait à sa convenance, et la
+table demeurait servie jusqu'à ce que chacun de nous eût fini; il est
+vrai de dire que si quelqu'un de nous eût désiré déjeuner d'aussi _bonne
+heure_ que dix heures, il lui eût fallu une grande chance pour trouver
+aucun des domestiques debout. Nous nous levions, terme moyen, à une
+heure. Moi, qui me levais généralement entre onze heures et midi,
+j'étais toujours, même malade, le premier levé, et je passais pour un
+miracle de diligence et d'activité. Souvent deux heures sonnaient avant
+que nous n'eussions fini de déjeuner. Alors, pour amuser notre journée,
+nous avions la lecture, l'escrime, le bâton de volée, ou le jeu de
+volant dans le grand salon, le tir au pistolet dans le vestibule; la
+promenade à pied, à cheval, en bateau sur le lac, la partie de paume, ou
+quelque partie avec l'ours et le loup que nous nous plaisions à
+tourmenter. Entre sept et huit heures, nous nous mettions à table pour
+dîner, et nous y restions jusqu'à une, deux et trois heures du matin. Je
+laisse à deviner quel était notre plaisir pendant cette longue séance.
+
+»Je ne dois pas passer sous silence l'usage de faire passer à la ronde,
+au moment du dessert, un crâne humain, rempli de vin de Bourgogne. Après
+nous être rassasiés de viandes choisies et des meilleurs vins de France,
+nous nous rendions dans le salon pour prendre le thé; là, suivant son
+goût, chacun se livrait à la lecture ou à quelque conversation
+instructive; et, après les _Sandwiches_, etc., chacun se retirait dans
+sa chambre à coucher. Une collection de robes de moines, avec tout ce
+qui s'en suit, crosses, rosaires, tonsures, etc., donnait plus de
+variété à nos physionomies et à nos plaisirs.
+
+»Vous pouvez juger combien je fus contrarié de me trouver malade presque
+pendant la première moitié du tems que je passai à Newstead. Mais je fus
+conduit à des réflexions bien différentes de celles du docteur Swift,
+qui quitta sans cérémonie aucune la maison de Pope, et lui écrivit
+ensuite qu'il était impossible à deux amis malades de vivre ensemble;
+mon pauvre corps tremblant et affaibli se trouvait si mal de la robuste
+et bruyante santé de mes compagnons, que je désirais de tout mon cœur
+voir chacun dans la maison, aussi malade que moi.
+
+»Je revins à pied avec un autre des convives; nous faisions à peu près
+vingt-cinq milles par jour, mais nous restâmes environ une semaine en
+route, parce que nous fûmes retenus par les pluies.
+
+»Je terminerai ici le récit d'une excursion qui m'a fait mieux connaître
+le pays. Où croyez-vous que j'aille maintenant? À Constantinople! Du
+moins on m'a proposé ce petit voyage. Lord Byron et un autre de mes amis
+partent le mois prochain, et m'ont demandé de les accompagner; mais
+c'est un projet un peu important, et qui vaut bien la peine d'y
+réfléchir à deux fois... Adieu, etc.»
+
+C.S. MATTHEWS.
+
+Après avoir ainsi mis la dernière main à sa nouvelle édition, sans
+attendre les nouveaux honneurs qui se préparaient pour lui, Lord Byron
+quitta Londres le 11 juin, et, quinze jours après, mit à la voile pour
+Lisbonne.
+
+Quelque grands que fussent les progrès que son talent eût faits sous
+l'influence de la colère qu'il avait prise pour muse, il est, dans la
+satire dont nous venons de parler, bien loin de la hauteur qu'il
+atteignit dans la suite. Il est remarquable en effet que, lié comme son
+génie paraît l'avoir été avec son caractère, le développement de ce
+dernier ait précédé de si long-tems toute la maturité des ressources de
+l'autre. La nature, en développant de bonne heure en lui une faculté de
+sentir si forte et si multiple, semblait lui avoir désigné ce qu'elle
+attendait de lui, avant qu'il pût la comprendre. Ce ne fut que lentement
+et après de longues méditations, qu'il découvrit en lui-même tous ces
+matériaux de poésie, que son caractère de feu enfantait, pour ainsi
+dire, à son insu. Toute vigoureuse que soit sa satire, on y voit peu de
+choses qui puissent donner un avant-goût des merveilles qui l'ont
+suivie. Son esprit avait reçu l'éveil, mais il n'en avait pas encore
+sondé la profondeur; et le fiel qu'il y répand, ne part pas encore du
+fond de son cœur comme celui qu'il jeta dans la suite à la face du genre
+humain. Ses innombrables facultés, ses passions que son ame avait
+nourries si long-tems, n'avaient pas encore trouvé d'organe digne
+d'elles. Le sombre, le grandiose, le tendre de sa nature, n'avaient pas
+encore de voix, jusqu'à ce qu'enfin son puissant génie se réveilla avec
+le sentiment de toute sa force.
+
+En s'arrêtant, dans sa satire aussi bien que dans ses premières poésies,
+à écrire d'après des modèles reçus, il montra combien peu il avait
+encore exploré ses propres ressources, et découvert les marques
+distinctives qui devaient à jamais illustrer son nom. Quelque hardi et
+quelque énergique que fût en général son caractère, il avait bien peu de
+confiance dans ses forces intellectuelles. Ce ne fut que par degrés
+insensibles qu'il acquit la conscience de ce qu'il pouvait faire; et il
+ne fut pas moins étonné que le public de découvrir dans son ame une
+aussi riche mine de génie. C'est par suite de la même lenteur à
+s'apprécier, que, dans la suite, arrivé à l'apogée de sa gloire, il
+douta long-tems qu'il pût réussir dans aucun ouvrage qui ne demandât que
+de l'esprit et de la gaîté, jusqu'à ce que l'heureux essai qu'il en fit
+dans Beppo, dissipa sa méfiance, et ouvrit une nouvelle carrière de
+triomphes à son génie immense et versatile.
+
+À quelque distance que ses premières productions soient de celles qui
+les ont suivies, il y a dans sa satire une vivacité de pensées, une
+vigueur et un courage qui, joints à la justice de sa cause, ne pouvaient
+manquer de lui valoir la sympathie publique, et d'attacher immédiatement
+beaucoup de célébrité à son nom. Malgré le ton général de hardiesse et
+d'indifférence qui règne dans sa satire, on y voit de tems en tems
+quelques allusions à son sort et à son caractère, dont le pathétique
+semble assurer la vérité, et qui étaient de nature à piquer vivement la
+curiosité et l'intérêt. Je vais citer deux ou trois de ces passages,
+comme montrant bien l'état de son ame à cette époque. Voici comme il
+peint sa jeunesse exposée sans protection aux tentations d'un monde
+corrompu et corrupteur: «Moi-même, le plus insouciant d'une troupe
+insouciante, qui ai juste assez de bon sens pour connaître ce qui est
+juste, et faire ce qui ne l'est pas, abandonné à moi-même à l'âge où le
+bouclier de la raison est encore mal assuré, pour chercher mon chemin au
+travers de la foule innombrable des passions; moi que tous les genres de
+plaisir ont attiré et repoussé tour à tour, moi-même je me sens forcé
+d'élever la voix; je suis forcé de sentir que de telles scènes, que de
+tels hommes sont contraires au bien public. Quand même quelqu'ami me
+dirait d'un ton de censeur: En quoi vaux-tu mieux que les autres, fou
+que tu es? Quand même chacun de mes anciens camarades de débauche
+sourirait et crierait au miracle, de me voir devenu moraliste...»
+
+Mais le passage suivant, quoique écrit à la hâte, montre bien plus
+encore ce cœur ulcéré que l'on retrouve dans toutes ses compositions
+subséquentes:
+
+«Il fut un tems qu'un mot désagréable ne serait jamais tombé de mes
+lèvres qui semblent aujourd'hui pleines de fiel; ni fous ni folies
+n'auraient pu me forcer à mépriser le plus vil des insectes que je
+voyais ramper devant mes yeux. Mais aujourd'hui je suis bien endurci, je
+suis bien changé de ce que j'étais dans ma jeunesse. J'ai appris à
+penser et à dire sévèrement la vérité; j'ai appris à me moquer des
+décrets emphatiques de nos critiques et à les briser eux-mêmes sur la
+roue qu'ils m'avaient préparée. J'ai appris à repousser du pied la verge
+que l'on voulait me faire baiser...»
+
+Nous avons indiqué dans les pages précédentes quelques-unes des causes
+qui amenèrent ce changement de son caractère. Outre son propre
+témoignage, il en est plusieurs autres qui prouvent qu'il n'avait
+naturellement pas de fiel. Dans son enfance, bien qu'il se montrât
+quelquefois colère et entêté, chacun reconnaissait sa douceur et sa
+bonté envers ceux qui se montraient eux-mêmes bons et doux à son égard;
+et ceux qui l'ont connu alors s'accordent à le d'un caractère affectueux
+et gai.
+
+De toutes ces qualités naturelles la plus saillante, en effet, semble
+avoir été un profond besoin d'aimer. Une disposition à former des
+attachemens durables et un désir ardent d'être payé de retour, ont été
+le songe et le tourment de sa vie. Nous avons vu avec quel enthousiasme
+passionné il se livra à ses amitiés de collége. L'amour délirant et
+malheureux qui suivit fut, si je puis m'exprimer ainsi, l'agonie, sans
+être la mort, de ce désir insatiable qui dura toute sa vie, remplit sa
+poésie de tout ce que l'ame a de plus tendre, prêta l'éclat de ses
+couleurs, même à ces nœuds indignes que la vanité et la passion lui
+firent former dans la suite, et lui dicta encore ces stances qu'il
+écrivait quelques mois avant sa mort:
+
+Il est tems que ce cœur cesse d'être ému, puisqu'il a cessé d'émouvoir
+les autres, et cependant, quoique je ne puisse plus être aimé, j'ai
+besoin d'aimer encore!
+
+En supposant même les circonstances les plus favorables, ce serait
+encore une question de savoir si, avec des dispositions telles que
+celles que nous venons de décrire, il eût pu éviter d'être à la fin
+désappointé, ou s'il eût jamais pu trouver où reposer son imagination et
+ses désirs; mais Lord Byron rencontra les désappointemens dès les
+premiers pas qu'il fit dans le sentier de la vie. Sa mère, vers laquelle
+il tourna naturellement et avec ardeur ses premières affections, ou le
+repoussa rudement, ou s'en joua par caprice. Parlant de ses premières
+années avec un de ses amis, à Gênes, peu de tems avant son départ pour
+la Grèce, il datait la première sensation de peine ou d'humiliation
+qu'il eût jamais connue, de la froideur avec laquelle sa mère recevait
+ses caresses dans son enfance et de ses fréquentes et malicieuses
+allusions à son infirmité.
+
+Sa jeunesse fut aussi privée de l'affection sympathique d'une sœur; il
+n'eut d'abord avec la sienne que des rapports extrêmement rares. Si son
+besoin d'aimer avait trouvé où s'épancher dans sa famille, peut-être le
+torrent de ses sensations se serait-il trouvé plus au niveau de ce monde
+qu'il avait à traverser. Ainsi il eût évité ces chutes rapides et
+tumultueuses auxquelles il fut bientôt exposé pour s'être trop tôt élevé
+à toute sa crue. Le manque d'objets sur lesquels son attachement pût se
+porter dans la maison paternelle ne laissa à son cœur d'autres
+ressources que ces affections enfantines qu'il forma à l'école; quand
+celles-ci furent interrompues par son passage à Cambridge, il se
+retrouva de nouveau isolé et abandonné au vague de ses désirs. Bientôt
+survint son malheureux attachement pour miss Chaworth, auquel, plus qu'à
+toute autre cause, il attribuait lui-même le funeste changement qui
+s'opéra dans son caractère.
+
+«Je doute quelquefois, dit-il dans ses _Pensées détachées_, si, après
+tout, un genre de vie tranquille et sans agitation eût pu me convenir,
+et pourtant je regrette quelquefois de n'en avoir pas un tel. Mes
+premiers rêves, comme presque tous ceux des enfans, furent des rêves
+guerriers; peu après ils furent tous d'amour et de solitude, jusqu'à ce
+que mon malheureux attachement pour Maria Chaworth commença lorsque
+j'avais à peine quinze ans, et continua long-tems quoique soigneusement
+caché. Ce fut ce qui me rejeta de nouveau seul sur une vaste... vaste
+mer. Je me rappelle qu'en 1804, je rencontrai ma sœur chez le général
+Harcourt dans Portland-Place. J'étais moi-même alors, tel qu'elle
+m'avait toujours vu jusque-là. Quand nous nous rencontrâmes ensuite en
+1805 (elle me l'a dit depuis), mon caractère et mes manières étaient
+tellement changés que l'on me reconnaissait à peine. Je ne m'apercevais
+pas alors de cette altération; mais j'y crois, et je pourrais en rendre
+raison.» J'ai déjà raconté la manière dont il prit congé de miss
+Chaworth avant son mariage. Une fois après cet événement, il la revit,
+et ce fut pour la dernière, lorsqu'il fut invité par M. Chaworth à dîner
+à Annesley, peu de tems avant son départ d'Angleterre. Le peu d'années
+qui s'étaient écoulées depuis leur dernière entrevue avaient apporté un
+changement considérable dans les manières et l'extérieur du jeune poète.
+L'informe et gros écolier était devenu un jeune homme gracieux et bien
+pris dans sa taille. Ces émotions et ces passions qui rehaussent d'abord
+et détruisent ensuite la beauté, n'avaient encore produit sur ses traits
+que leur effet favorable; et quoiqu'il eût eu peu d'occasions de
+fréquenter la bonne société, ses manières avaient acquis cette douceur
+et cet aplomb qui caractérisent l'homme bien élevé. Son empire sur
+lui-même fut bientôt mis à l'épreuve quand on apporta dans l'appartement
+la petite fille de sa belle hôtesse. La vue de cet enfant lui fit
+éprouver un saisissement dont il ne fut pas maître, ce ne fut qu'avec
+effort qu'il parvint à dissimuler sa profonde émotion, et c'est à ce
+qu'il éprouva dans ce moment que nous devons ces stances touchantes: «Eh
+bien! tu es heureuse, etc.[111],» qui ont paru dans un recueil de
+_Mélanges_, publié par l'un de ses amis, et que l'on retrouve maintenant
+dans la collection générale de ses œuvres. Sous l'influence du même
+sentiment il composa deux autres pièces à cette même époque; mais comme
+elles ne se trouvent que dans les _Mélanges_ que je viens de citer, et
+que ce recueil n'est plus dans le commerce, je crois qu'on ne me saura
+pas mauvais gré d'en citer ici quelques stances:
+
+ [Note 111: Datées sur le manuscrit original, 2 novembre
+ 1808.]
+
+
+ADIEUX A UNE DAME[112].
+
+ [Note 112: Intitulés dans le manuscrit original: À Mrs. ***,
+ qui me demandait mes raisons pour quitter l'Angleterre au
+ printems, et datés du 2 décembre 1808.]
+
+Quand, chassé des bosquets d'Éden, l'homme s'arrêta quelques instans sur
+le seuil, chaque scène lui rappelait les heures écoulées, et lui faisait
+maudire son avenir.
+
+Mais errant à travers de lointains climats, il apprit à porter le poids
+de son chagrin; il ne fit plus que donner un soupir au souvenir du tems
+passé, et trouva du soulagement au milieu de scènes plus agitées.
+
+Ainsi, Marie, doit-il en être de moi; je ne dois plus revoir tes
+charmes, car quand je m'arrête près de toi, mon cœur soupire pour tout
+ce bonheur qu'il a connu autrefois, etc.
+
+L'autre poème respire tout entier la tendresse; mais je n'en donnerai
+que les stances qui me paraissent les plus saillantes:
+
+
+STANCES À ***, EN QUITTANT L'ANGLETERRE.
+
+C'en est fait! la barque abandonne au souffle du vent ses voiles
+blanches, qui soufflent autour du mât et s'entr'ouvrent aux efforts de
+la brise bruyante! Et il faut que je quitte ce pays, parce que je n'en
+puis aimer qu'une...
+
+Comme un oiseau privé de sa compagne, mon cœur déchiré se livre à la
+douleur: en vain je cherche autour de moi, je ne puis rencontrer un
+sourire ami, une figure qui me plaise, et même au milieu des troupes les
+plus nombreuses, je suis toujours seul, parce que je n'en puis aimer
+qu'une.
+
+Je franchirai les flots blanchissans, j'irai chercher une patrie à
+l'étranger; je ne saurais trouver de repos nulle part, jusqu'à ce que
+j'aie oublié les traits de cette belle infidèle; je ne puis me
+soustraire à mes sombres pensées, mais je puis aimer toujours, et
+toujours je n'en puis aimer qu'une...
+
+Je pars... mais en quelque lieu que j'aille, aucun œil ne se mouillera
+pour moi de larmes, aucun cœur ne sympathisera à mes peines; toi-même,
+qui as détruit toutes mes espérances, tu ne m'accorderas pas un soupir,
+quoique je n'en aime qu'une.
+
+Le souvenir de chacune de ces scènes passées, la pensée de ce que nous
+sommes, de ce que nous avons été, abîmerait de douleurs des cœurs plus
+faibles! Mais, hélas! le mien a supporté le choc, il bat encore comme il
+avait commencé, et n'en aime jamais réellement qu'une.
+
+Qu'elle peut être cette belle, si tendrement aimée? c'est ce que le
+vulgaire ne doit pas savoir; pourquoi ce jeune amour fut-il malheureux?
+tu le sais, et moi j'en gémis; et bien peu de ceux qui vivent sur cette
+terre n'ont aimé si long-tems, et n'en ont aimé qu'une.
+
+J'ai essayé les fers d'une autre, tout aussi belle peut-être; j'aurais
+donné beaucoup pour l'aimer autant que toi, mais un charme insurmontable
+empêchait mon cœur déchiré de rien sentir que pour une.
+
+Il me serait doux de te revoir au moment du départ, de te bénir en te
+disant adieu; cependant je ne voudrais pas demander à tes beaux yeux des
+larmes pour celui qui va errer sur les vastes mers. Il a perdu sa
+patrie, ses espérances, sa jeunesse, et toutefois il aime encore, et
+n'en aime qu'une.
+
+Tandis que son cœur aimant était ainsi trompé dans ses espérances de
+retour, il était au moins autant mortifié et désappointé dans un autre
+instinct de sa nature, le désir d'acquérir des distinctions et de
+dominer. Le peu de rapports entre sa fortune et son rang fut de bonne
+heure pour lui une source d'embarras et d'humiliations; et la haute
+opinion qu'il avait des avantages d'une naissance illustre ne faisait
+qu'ajouter à l'amertume de cette inégalité. Cependant l'ambition lui
+suggéra bientôt qu'il y avait d'autres et de plus nobles voies pour
+arriver aux distinctions. Il sentit avec orgueil qu'il pourrait un jour
+obtenir celles que le talent ne doit qu'à lui-même. Il n'était pas
+extraordinaire non plus que, comptant sur l'indulgence que l'on accorde
+ordinairement à la jeunesse, il espérât faire impunément le premier pas
+dans le sentier de la gloire. Mais là, comme dans tous les autres objets
+que son cœur s'était proposés, il ne rencontra que le désappointement et
+la mortification. Au lieu d'éprouver ces égards, si ce n'est cette
+indulgence avec laquelle les critiques accueillent ordinairement de
+jeunes débutans, il se trouva tout à coup victime d'une sévérité sans
+borne, sévérité que l'on ne déploie que rarement contre les plus vieux
+pécheurs dans le monde littéraire. Ainsi, son cœur, qui venait
+d'éprouver toute la douleur d'un amour malheureux, se vit encore frustré
+de ces ressources et de ces consolations qu'il avait cherchées dans
+l'exercice de ses facultés intellectuelles.
+
+Tandis qu'il éprouvait ainsi de bonne heure des peines de plus d'un
+genre, son imagination reçut encore l'influence funeste de plaisirs trop
+prématurés. Bientôt se dissipa ce charme dont la jeunesse aime à
+embellir un monde qu'elle ne connaît pas. Ses passions avaient dès le
+commencement anticipé l'avenir, et le vide qu'elles laissèrent bientôt
+dans son ame fut, de son propre aveu, l'une des principales causes de
+cette mélancolie qui forma depuis l'une des marques distinctives de son
+caractère.
+
+«Mes passions, dit-il dans ses _Pensés détachées_, se développèrent de
+très-bonne heure, de si bonne heure que bien peu voudraient me croire,
+si j'en citais la date et les circonstances: peut-être l'une des causes
+de cette mélancolie anticipée de mes pensées fut que j'avais anticipé la
+vie. Mes premiers poèmes sont pleins de pensées qui semblent appartenir
+à un âge dix ans plus vieux que celui auquel ils furent écrits; je ne
+veux point parler de leur mérite, mais de l'expérience qu'on y remarque.
+Les deux premiers chants de _Childe Harold_ furent terminés, quand je
+n'avais que vingt-deux ans, et on les croirait écrits par un homme plus
+âgé que je ne le serai probablement jamais.»
+
+Quoique la première phrase de cet extrait se rapporte à une époque de
+beaucoup antérieure, elle nous donnera occasion de remarquer que,
+quelque irrégulière qu'ait été sa vie durant les deux ou trois années
+qui précédèrent le moment de ses voyages, l'idée que plusieurs ont eue
+qu'il faisait dans _Childe Harold_ allusion aux débauches et aux orgies
+de Newstead, est, comme beaucoup d'autres accusations contre lui, fondée
+sur son propre témoignage, étrangement exagéré. Il représente, il est
+vrai, la maison de son représentant poétique comme un _dôme monastique
+condamné à de vils usages_, et ajoute: «Où la superstition tenait jadis
+son antre les filles de Paphos venaient chanter et sourire.» M. Dallas
+se livrant au même esprit d'exagération, dit, en parlant des préparatifs
+du jeune poète: «Déjà rassasié de plaisirs et dégoûté de la compagnie de
+ceux qui n'avaient point d'autres ressources, il avait résolu de
+maîtriser ses passions, et avait congédié ses harems.» La vérité est que
+l'exiguïté des moyens pécuniaires de Lord Byron eût suffi seule pour le
+détourner de ce luxe oriental. Son genre de vie à Newstead était simple
+et peu coûteux. Ses compagnons, quoique amis du plaisir, avaient des
+goûts et des caractères trop réfléchis pour s'accommoder d'une débauche
+vulgaire. Quant à ses prétendus _harems_, il paraît qu'une ou deux
+_subintroductæ_, comme les moines les auraient appelées, et encore
+prises parmi les domestiques de la maison, sont tout ce que la médisance
+a jamais pu citer à l'appui de cette calomnie.
+
+Il nous dit lui-même, dans le journal que je viens de citer, que le jeu
+était au nombre de ses folies à cette époque.
+
+«J'ai, dit-il, idée que les joueurs sont aussi heureux que bien d'autres
+gens, parce qu'ils sont toujours _excités_. Les femmes, le vin, la
+gloire, la table rassasient quelquefois; mais chaque coup de carte ou de
+dé tient le joueur éveillé, outre que l'on peut jouer dix fois plus
+long-tems qu'on ne peut faire toute autre chose. Étant jeune, j'étais
+passionné pour le jeu, c'est-à-dire pour le hasard; car je déteste tous
+les jeux de cartes, même le pharaon. Quand le maccao fut inventé, je ne
+voulus pas l'adopter; car je regrettais le bruit du cornet et des dés et
+cette glorieuse incertitude, non-seulement d'une chance bonne ou
+mauvaise, mais même d'une chance quelconque; car il faut souvent jeter
+les dés plusieurs fois avant d'obtenir un résultat. J'ai gagné jusqu'à
+quatorze coups de suite, et enlevé tout l'argent qui se trouvait sur la
+table; mais je n'avais ni sang-froid, ni jugement, ni calcul: c'était
+l'émotion qui faisait tout mon plaisir. Après tout, j'ai cessé à tems,
+sans avoir ni beaucoup gagné ni beaucoup perdu. Depuis l'âge de vingt-un
+ans j'ai très peu joué, et jamais au-delà de cent, deux cents ou trois
+cents guinées.»
+
+Il fait allusion à cette folie et à quelques autres dans le billet
+suivant.
+
+
+À M. WILLIAMS BANKES.
+
+Vendredi, minuit.
+
+
+MON CHER BANKES,
+
+«Je reçois à l'instant votre petit mot; croyez que je suis désespéré de
+n'en avoir pas eu plus tôt connaissance; une demi-heure de conversation
+avec vous m'eût été plus agréable que le vin, le jeu et toutes les
+autres manières à la mode de passer une soirée chez soi ou en ville. Je
+suis réellement très-fâché d'être sorti avant l'arrivée de votre
+missive; à l'avenir écrivez-moi avant six heures, et soyez sûr que,
+quels que soient mes engagemens, je les mettrai de côté. Croyez-moi avec
+cette déférence que j'ai eue dès mon enfance pour vos talens, et une
+meilleure opinion de votre cœur,
+
+»Votre, etc.»
+
+BYRON.
+
+Parmi les causes, si ce n'est plutôt parmi les résultats de cette
+disposition à la mélancolie qui tenait à son caractère, il ne faut pas
+oublier ce scepticisme en fait de matières religieuses, qui, comme nous
+l'avons vu, jetait déjà quelque chose de sombre sur les pensées de son
+enfance, et qui se rembrunit de plus en plus à l'époque dont je parle en
+ce moment. En général, nous voyons les jeunes gens trop ardemment
+occupés des plaisirs que ce monde donne ou promet, pour s'occuper bien
+sérieusement des mystères du monde à venir. Mais avec lui le cas était
+malheureusement tout contraire: comme philosophe et comme ami du
+plaisir, il avait acquis trop tôt la plus déplorable expérience. Être,
+comme il le supposait, parvenu à la dernière limite des plaisirs de ce
+monde, et ne voir au-delà que nuages et obscurité, tel était le sort
+funeste auquel un caractère et des passions prématurées semblaient
+condamner Lord Byron.
+
+Quand, à l'âge de vingt-cinq ans, Pope se plaignait d'être fatigué du
+monde, Swift lui répondit qu'il n'avait point encore assez agi, assez
+souffert dans le monde pour en être fatigué. Mais quelle différence
+entre la jeunesse de Pope et celle de Byron! Ce que le premier n'avait
+qu'anticipé par la pensée, le second le connut dans la plus triste
+réalité. À l'âge où l'un commençait à peine à jeter un coup d'œil sur
+l'océan de la vie, l'autre y avait plongé, et en avait sondé toutes les
+profondeurs. Swift lui-même dut aux désappointemens et aux injustices
+qu'il éprouva de bonne heure cette amertume qui ne le quitta jamais, et
+présente bien plus d'analogie avec le sort de notre poète, non-seulement
+pour les attaques cruelles auxquelles il se trouva jeune en butte, que
+pour l'effet qu'elles produisirent sur son caractère[113].
+
+ [Note 113: Il y a du moins un grand point de rapprochement
+ dans la disposition d'esprit que Johnson attribue à Swift:
+ «Le soupçon d'irréligion, dit-il, qui plana sur la tête de
+ Swift, vint en grande partie de son horreur pour
+ l'hypocrisie: _au lieu de chercher à paraître meilleur, il
+ prenait plaisir à paraître pire qu'il n'était en effet_.»
+ (_Note de Moore_.)]
+
+La jeunesse est naturellement portée à se donner des airs d'une
+mélancolie romantique, à imiter un air triste et sombre que les années
+n'ont pas encore pu amener. Je ne veux pas nier que quelque chose de ce
+genre ne soit venu augmenter et nourrir les dispositions peu riantes de
+notre jeune poète. Il avait dans son cabinet d'étude un certain nombre
+de crânes humains bien polis et rangés avec une symétrie qui semblerait
+indiquer plutôt l'envie de s'entourer d'idées sombres que de les éviter.
+Peut-être est-ce aussi une imitation de l'usage que Young fit, dit-on,
+d'un crâne, circonstance qui nous ferait douter de la sincérité de sa
+mélancolie à cette époque, si nous n'en retrouvions les traces évidentes
+dans le reste de ses écrits et dans sa vie tout entière.
+
+Telle est, d'après son propre témoignage et celui des autres, la
+disposition d'esprit et de cœur dans laquelle Byron partit pour son
+voyage indéfini, à la suite du changement le plus grand qu'un homme ait
+jamais peut-être éprouvé dans sa manière de voir et de sentir. Le refus
+de lord Carlisle d'agir comme son patron, et la position humiliante dans
+laquelle ce refus le plaça, complétèrent les mortifications que déjà
+bien d'autres causes lui avaient fait éprouver. Trompé dans ses
+espérances en amour et en amitié, il trouva une sorte de vengeance et de
+consolation à douter qu'il existât en effet de tels sentimens. Les
+échecs qu'il avait essuyés étaient assez capables d'irriter et de
+blesser qui que ce soit; il ajouta encore à ce qu'ils avaient de pénible
+par le caractère irritable et impatient dont il les reçut. Ce que
+d'autres auraient reçu avec résignation comme autant de malheurs le
+révolta comme autant d'affronts et d'injustices, et la véhémence de
+cette réaction produisit un changement complet dans tout son caractère.
+Alors, comme dans les révolutions, tout ce qu'il y avait de mauvais et
+d'irrégulier dans son naturel surgit à la surface, et domina en même
+tems que tout ce qu'il y avait de plus énergique et de plus grand. Ses
+vertus et ses qualités naturelles ajoutèrent elles-mêmes à la violence
+de ce changement. Cette même ardeur qu'il avait mise dans ses amitiés et
+dans ses amours fournit de nouveaux alimens à son indignation et à son
+mépris. La vivacité et la tournure originale de son esprit ouvrirent un
+autre canal au fiel dont il était rempli; et cette haine de
+l'hypocrisie, qu'il avait déjà montrée en exagérant les erreurs de sa
+jeunesse, le porta, par horreur de toute fausse prétention à la vertu, à
+une autre prétention encore plus dangereuse, celle d'afficher des vices
+et de s'en faire gloire.
+
+La lettre suivante, qu'il écrivit à sa mère peu de jours avant que de
+mettre à la voile, donne quelques détails sur les personnes qui
+composaient sa suite. Robert Rushton, dont il y parle avec tant
+d'intérêt, est le jeune enfant qu'il introduisit dans le premier chant
+de _Childe Harold_, en qualité de son page.
+
+
+
+
+LETTRE XXXIV.
+
+À MRS. BYRON.
+
+Falmouth, 22 juin 1809.
+
+
+MA CHÈRE MÈRE,
+
+«Nous aurons mis à la voile, probablement avant que cette lettre ne vous
+soit parvenue. Fletcher m'a tant tourmenté, que je l'ai gardé à mon
+service; mais s'il ne se conduit pas bien à l'étranger, je le renverrai
+par un transport. J'ai un domestique allemand, qui a déjà été en Perse
+avec M. Wilbraham, et qui m'a été fortement recommandé par le docteur
+Butler de Harrow; si vous l'ajoutez à Robert et William, vous aurez tout
+le personnel dont se compose ma suite. J'ai des lettres de
+recommandation en abondance; je vous écrirai de tous les ports où nous
+toucherons; mais si mes lettres viennent à s'égarer, il ne faut pas vous
+en alarmer. Le continent marche bien; une insurrection a éclaté dans
+Paris; les Autrichiens sont en train de battre Bonaparte, et les
+Tyroliens se sont soulevés.
+
+«Voici mon portrait à l'huile pour être renvoyé le plus tôt possible à
+Newstead. Je voudrais bien que les demoiselles P... eussent quelque
+chose de mieux à faire que d'emporter mes miniatures à Nottingham pour
+les copier. Puisque c'est fait maintenant, vous pourriez leur offrir de
+copier aussi les autres portraits, auxquels je tiens beaucoup plus qu'au
+mien. Quant aux finances, je suis ruiné, du moins jusqu'à ce que
+Rochdale soit vendu; si cela ne tourne pas bien, j'entrerai au service
+de l'Autriche ou de la Russie, peut-être même à celui de la Turquie, si
+leurs manières me conviennent. Le monde est devant moi; je quitte
+l'Angleterre sans regret et sans aucun désir de rien revoir de ce
+qu'elle contient, excepté _vous-même_ et votre résidence actuelle.
+
+»_P. S._ Dites, je vous prie, à M. Rushton que son fils se porte bien et
+va bien; il en est de même de Murray; en vérité, je ne l'ai jamais vu
+mieux: il sera de retour dans un mois. Au nombre de mes regrets je
+devrais compter celui de me séparer de ce fidèle serviteur; son grand
+âge me privera peut-être du plaisir de le revoir jamais. Pour Robert, je
+l'emmène; je l'aime, parce que, comme moi, il paraît être un animal sans
+amis en ce monde.»
+
+Ceux qui se rappellent la description poétique qu'il fait de l'état de
+son ame au moment de quitter l'Angleterre, pourront trouver étranges et
+choquantes la gaîté et la légèreté qui règnent dans les lettres que je
+vais transcrire ici. Mais dans un caractère comme celui de Lord Byron,
+ces éclats de vivacité extérieure ne sont pas du tout incompatibles avec
+un cœur intimement et profondément ulcéré[114], et le ton de gaîté et de
+bonne humeur qu'il y affecte ne rend que plus frappant le sentiment
+d'abandon et d'isolement qu'il y laisse quelquefois percer.
+
+ [Note 114: On sait que le poète Cowper composa son
+ chef-d'œuvre de gaîté, _John Gilpin_, pendant une de ses
+ crises d'abattement mortel, et il dit lui-même: «Tout étrange
+ que cela puisse paraître, les ouvrages les plus bouffons que
+ j'aie écrits, le furent dans un moment de tristesse affreuse,
+ et peut-être ne les eussé-je jamais écrits sans cette même
+ tristesse.»
+ (_Note de Moore_.)]
+
+
+
+
+LETTRE XXXV.
+
+À M. HENRY DRURY.
+
+Falmouth, 25 juin 1809.
+
+
+MON CHER DRURY,
+
+«Nous partons demain par le paquebot de Lisbonne; nous avons été retenus
+jusqu'ici par le manque de vent et d'autres circonstances. Tout étant
+maintenant pour le mieux, demain soir à cette heure-ci nous serons
+embarqués sur ce vaste monde des eaux. Le paquebot de Malte ne devant
+pas partir pendant quelques semaines, nous avons résolu d'aller par
+Lisbonne, afin de voir le Portugal; de là par Cadix et Gibraltar, et
+puis nous reprenons notre première route, Malte et Constantinople, si
+tant est que le capitaine Kidd, notre brave commandant, entende bien la
+navigation, et nous conduise suivant la carte.
+
+»Voulez-vous avoir la bonté de dire au docteur Butler[115], qu'à sa
+recommandation j'ai pris à mon service un Prussien, Friese, la perle des
+domestiques? Il s'est trouvé parmi les adorateurs du feu en Perse, a vu
+Persépolis et tout ce qui s'en suit.
+
+ [Note 115: En se réconciliant avec le docteur Butler, au
+ moment de son départ, Byron donna une nouvelle preuve de la
+ bonté de son caractère, irritable sans doute, mais étranger à
+ toute idée de haine ou de rancune. Il avait préparé des
+ corrections pour une nouvelle édition de ses _Heures
+ d'oisiveté_, où il remplaçait les épigrammes contre ce
+ professeur, par son éloge et l'aveu des torts qu'il se
+ reprochait envers lui.
+ (_Note de Moore_.)]
+
+»Hobhouse a fait de formidables préparatifs pour publier ses voyages au
+retour; un cent de plumes, deux gallons d'encre[116], plusieurs livres
+blancs, etc., tout cela pour le plus grand avantage d'un public éclairé.
+J'ai renoncé à rien écrire pour mon propre compte, mais j'ai promis de
+lui fournir un ou deux chapitres de mœurs, etc., etc.
+
+ Le coq chante, il faut partir; je ne saurais vous en dire davantage.
+ (_Ghost of Gaffer Thumb_.)
+
+
+«Adieu, croyez-moi, etc., etc.»
+
+ [Note 116: Un peu moins de dix pintes de Paris.
+ (_N. du Tr._)]
+
+
+
+
+LETTRE XXXVI.
+
+À M. HODGSON.
+
+Falmouth, 25 juin 1809.
+
+
+MON CHER HODGSON,
+
+«Avant que la présente ne vous parvienne, Hobhouse, deux femmes
+d'officiers, trois enfans, deux filles de chambre, deux subalternes pour
+la troupe, trois seigneurs portugais et leurs domestiques, enfin
+moi-même, en tout dix-neuf ames, nous aurons mis à la voile pour
+Lisbonne, sous la conduite du noble capitaine Kidd, aussi brave marin
+qu'aucun qui ait jamais passé en contrebande un quartaut de spiritueux.
+
+»Nous allons à Lisbonne d'abord, parce que le paquebot de Malte est déjà
+parti, voyez-vous? De Lisbonne à Gibraltar, Malte, Constantinople _et
+cœtera_, comme dit éloquemment l'orateur Henley, quand il mit en danger
+l'église _et cœtera_.
+
+»Cette ville de Falmouth, comme vous le devinez presque déjà, n'est pas
+située fort loin de la mer. Elle est défendue de ce côté par deux
+châteaux, Saint-Maws et Pendennis, extrêmement bien calculés pour
+tourmenter tout le monde, excepté l'ennemi. Saint-Maws a pour garnison
+un individu très-valide, âgé seulement de quatre-vingts ans; c'est du
+reste un homme veuf. C'est à lui qu'est dévolu le commandement absolu et
+la direction de six pièces de siége, les moins dirigeables possible,
+admirablement adaptées pour la destruction de Pendennis qui est une
+autre tour de même force sur l'autre côté du canal. Nous avons visité
+Saint-Maws; pour Pendennis, on ne nous l'a laissé voir qu'à distance,
+parce qu'on nous soupçonnait, Hobhouse et moi, d'avoir déjà pris
+Saint-Maws par un coup de main.
+
+»La ville contient beaucoup de quakers et de poisson salé; les huîtres y
+ont un goût de cuivre, parce que le pays est plein de mines; les femmes
+(bénie soit pour cela la corporation!) sont fouettées derrière une
+charrette quand elles se permettent de voler en petit ou en grand; et
+c'est ce qui est arrivé hier vers midi à une personne du beau sexe. Elle
+était entêtée et a envoyé le maire à tous les diables...
+
+»Hodgson! rappelez-moi au souvenir de Drury, et rappelez-moi à votre
+propre souvenir... quand vous serez ivre; je ne suis pas digne d'occuper
+les pensers d'un homme à jeun. Ayez l'œil à ma satire chez Cawthorn,
+dans Cockspur-Street...
+
+»J'ignore quand je pourrai vous écrire de nouveau, car cela dépend de
+notre expérimenté capitaine, le brave Kidd, et «des vents orageux qui
+_ne_ soufflent _pas_ dans cette saison.» Je quitte l'Angleterre sans
+regret; j'y retournerai sans plaisir. Je suis comme Adam, le premier
+pécheur condamné à la déportation; mais je n'ai pas d'Ève, et je n'ai
+pas mangé de pomme, si ce n'est des pommes sures et sauvages. Ainsi
+finit mon premier chapitre.
+
+»Adieu. Tout à vous, etc.»
+
+Dans cette lettre étaient renfermées les strophes suivantes, dont nous
+regrettons de ne pouvoir rendre toute la gaîté et le naturel:
+
+En rade de Falmouth, 30 juin 1809.
+
+1. Hourra! Hodgson, nous voilà partis; l'embargo est à la fin levé: une
+brise favorable agite les voiles, et les frappe contre le mât, au-dessus
+duquel le pavillon de partance déploie ses orbes onduleux. Attention! le
+coup de canon est tiré. Les cris des femmes effrayées et les juremens
+des matelots nous avertissent que le moment est venu. Voici monter à
+bord un coquin de douanier; il faut tout ouvrir, tout montrer, malles,
+caisses, etc. Malgré tant de bruit et de fracas, il faut que le plus
+petit trou à rats soit visité, avant qu'on ne nous permette de partir à
+bord du paquebot de Lisbonne.
+
+2. Nos matelots détachent les amarres; tout le monde aux rames. Le
+bagage descend de dessus le quai; nous sommes impatiens. En avant,
+poussez loin du rivage. «Prenez garde! cette caisse renferme des
+liquides. Arrêtez le bateau, je me sens malade: oh! mon Dieu!»--«Malade!
+madame; le diable m'emporte, vous le serez bien davantage quand vous
+aurez été seulement une heure à bord.» Hommes, femmes, maîtres et
+valets, maîtresses et servantes, pressés les uns contre les autres comme
+des bâtons de cire, crient, se démènent et s'agitent. Que de bruit, que
+de fracas avant que nous n'atteignions le paquebot de Lisbonne!
+
+3. Enfin nous l'avons atteint! Voilà le capitaine, le brave Kidd, qui
+commande son équipage. Les passagers sont parqués dans leur logement,
+les uns pour y grogner, les autres pour y vomir tout à leur aise. «Holà
+hé! appelez-vous cela une chambre? Cela n'a pas trois pieds carrés; il
+n'y aurait pas de quoi contenir la reine Mab[117]. Qui diable peut loger
+là-dedans?»--«Qui, monsieur? beaucoup de monde. Vingt seigneurs à la
+fois ont rempli mon navire.»--«Vraiment! Jésus mon Dieu, comme vous nous
+pressez! Plût à Dieu que vos vingt seigneurs y fussent encore! j'aurais
+échappé à la chaleur et au bruit qui règnent à bord de ce beau navire,
+le paquebot de Lisbonne.
+
+ [Note 117: _Queen mab_; voyez, dans Shakspeare, la charmante
+ description de cette petite reine des fées et de son petit
+ équipage.]
+
+4. «Fletcher! Murray! Rob[118]! où êtes-vous? étendus sur le pont comme
+des bûches! Un coup de main, vous, joli matelot; voilà un bout de corde
+pour fouetter ces chiens-là.» Hobhouse murmure des juremens affreux en
+roulant le long de l'écoutille; il vomit alternativement des vers et son
+déjeuner, et nous envoie tous à tous les diables. «Voilà une stance sur
+la maison de Bragance... Au secours!»--«Un couplet?»--«Non, une tasse
+d'eau chaude.»--«Qu'est-ce qu'il y a?»--«Diable! mon foie me vient sur
+le bord des lèvres! Je ne survivrai jamais au bruit et au fracas de ce
+navire brutal, le paquebot de Lisbonne.»
+
+ [Note 118: Abréviation pour Robert.]
+
+5. Enfin, nous voilà en route pour la Turquie; Dieu sait quand nous en
+reviendrons! Les vents violens et les sombres tempêtes peuvent en un
+moment briser notre vaisseau. Mais puisque, de l'avis des philosophes,
+la vie n'est qu'une plaisanterie, le mieux est encore de rire. Rions
+donc, comme je fais maintenant; rions de tout, des grandes et des
+petites choses. Bien portans ou malades, à la mer ou sur terre, tant que
+nous avons de quoi boire abondamment, rions. Que diable! peut-on se
+soucier d'autre chose? Holà hé! de bon vin! qui voudrait s'en laisser
+manquer, même à bord du paquebot de Lisbonne?
+
+BYRON.
+
+Le 2 juillet, le navire mit à la voile de Falmouth; et après une
+heureuse traversée de quatre jours et demi, nos voyageurs arrivèrent à
+Lisbonne, et se logèrent dans cette ville.
+
+Lord Byron citait souvent une étrange anecdote que le capitaine Kidd,
+commandant du paquebot, lui avait racontée pendant la traversée. Cet
+officier lui dit qu'une nuit, étant endormi, il fut réveillé par le
+poids de quelque chose de lourd sur son estomac, et qu'à l'aide d'une
+petite clarté qui régnait dans sa chambre, il reconnut distinctement le
+corps de son frère qui, à cette époque, servait aux grandes Indes dans
+la marine royale, revêtu de son uniforme et couché en travers sur son
+lit. Pensant que c'était une illusion de ses sens, il ferma les yeux, et
+essaya de dormir. Mais la même pression se fit encore sentir, et chaque
+fois qu'il se hasarda à ouvrir les yeux, il vit la même figure couchée
+en travers sur lui dans la même position. Pour ajouter encore à ce que
+cet événement avait de merveilleux, en étendant la main pour toucher ce
+fantôme, il sentît que l'uniforme dont il paraissait couvert était tout
+dégouttant d'eau. À l'arrivée d'un de ses camarades qu'il appela au
+secours, l'apparition s'évanouit; mais quelques mois après, il reçut
+l'accablante nouvelle que son frère était mort cette nuit-là même, noyé
+dans les mers des Indes. Le capitaine Kidd n'avait pas le plus léger
+doute sur la réalité de cette apparition surnaturelle.
+
+Les lettres suivantes de Lord Byron à son ami Hodgson, quoique écrites
+avec une gaîté et une légèreté d'écolier, donneront quelque idée de
+l'impression que lui fit son séjour à Lisbonne. De telles lettres, qui
+contrastent si fortement avec les nobles stances sur le Portugal, qui se
+trouvent dans le _Childe Harold_, montreront combien son imagination
+était versatile, et sous combien d'aspects différens il pouvait
+envisager les mêmes choses suivant les différentes dispositions d'esprit
+où il était.
+
+
+
+
+LETTRE XXXVII.
+
+À M. HODGSON.
+
+Lisbonne, 16 juillet 1809.
+
+MON CHER HODGSON,
+
+«Jusqu'ici nous avons poursuivi notre route; nous avons vu des choses
+magnifiques, des palais, des couvens; mais comme tout cela se trouvera
+écrit au large dans le premier volume de voyages de mon ami Hobhouse, je
+ne veux point anticiper, ni le voler, en fraudant le plus petit détail,
+et vous le communiquant ainsi d'une manière clandestine dans une lettre.
+Tout ce que je puis me permettre de vous dire, c'est que le village de
+Cintra, dans l'Estramadoure, est peut-être le plus beau village du
+monde..................................................................
+
+»Je suis très-heureux ici, parce que j'aime les oranges, et que je parle
+mauvais latin aux moines, qui le comprennent d'autant mieux, qu'il est
+plus semblable au leur. Et puis je vais en société (avec mes pistolets
+de poche). Et puis je nage dans le Tage, que j'ai traversé d'un seul
+coup. Et puis je monte à cheval sur un âne ou sur une mule. Et puis j'ai
+attrapé la diarrhée, et j'ai été piqué par les mosquites: mais qu'est-ce
+que cela fait? on ne doit point chercher ses aises quand on fait une
+partie de plaisir.
+
+«Quand les Portugais font les méchans, je dis _caracho_! le grand juron
+des fashionables de ce pays-ci, et qui remplace parfaitement notre
+_damnation_. Quand je suis mécontent de mon voisin, je l'appelle _combro
+de merda_; avec ces deux phrases et une troisième, _cobra burro_, qui
+signifie: procurez-moi un âne, je suis universellement reconnu pour un
+homme de distinction, et qui parle fort bien toutes les langues. Quelle
+joyeuse vie nous menons, nous autres voyageurs!... si nous avions la
+nourriture et le vêtement. Mais sérieusement, et par malheur trop
+sérieusement parlant, tout au monde est préférable à l'Angleterre; et
+jusqu'ici je m'amuse beaucoup de mon voyage.
+
+»Demain, nous partons pour faire à cheval plus de quatre cents milles en
+poste, jusqu'à Gibraltar, où nous nous embarquerons pour Mélite et
+Byzance. Une lettre me parviendrait à Malte, ou me serait envoyée si
+j'étais absent. Embrassez, je vous prie, les Drury, les Dwyer, et tous
+les Éphésiens que vous rencontrerez. J'écris en ce moment avec le crayon
+qui m'a été donné par Butler, ce qui rend ma mauvaise main pire encore.
+Excusez mon _illisibilité_...
+
+»Hodgson! envoyez-moi les nouvelles, les morts et les défaites, les
+crimes capitaux et les malheurs de mes amis. Donnez-moi quelques détails
+sur les sujets littéraires, les controverses et les critiques; tout cela
+me sera agréable: _Suave mari magno_, etc. En parlant de cela, j'ai été
+malade à la mer et de la mer. Adieu...
+
+»Votre affectionné, etc.»
+
+
+
+
+LETTRE XXXVIII.
+
+À M. HODGSON.
+
+Gibraltar, 6 août 1809.
+
+
+«Je viens d'arriver dans cette ville après un voyage de près de cinq
+cents milles, à travers le Portugal et une partie de l'Espagne. Nous
+allâmes à cheval de Lisbonne à Séville et à Cadix, et de là nous
+montâmes à bord de la frégate _l'Hypérion_ pour nous rendre ici. Les
+chevaux sont excellens, nous faisions soixante-dix milles par jour. Des
+œufs, du vin, des lits bien durs, sont toutes les commodités qu'offre la
+route; mais sous un climat aussi brûlant, c'est bien assez. Ma santé est
+meilleure qu'en Angleterre.
+
+»Séville est une belle ville, et la Sierra Moréna est une montagne bien
+digne de ce nom; mais le diable emporte les descriptions! elles sont
+toujours ennuyeuses. Cadix! délicieuse Cadix! c'est le plus beau point
+de la terre..., et la beauté de ses rues et de ses bâtimens ne le cède
+qu'à l'amabilité de ses habitans. Car, préjugé national à part, je dois
+avouer que les femmes de Cadix sont aussi supérieures en beauté aux
+femmes anglaises, que les Espagnols sont inférieurs aux Anglais pour
+toutes les qualités qui donnent de la dignité au nom d'homme... Au
+moment où je commençais à faire quelques connaissances dans la ville, je
+fus obligé d'en partir.
+
+»Vous n'attendez pas de moi une longue lettre après une telle course à
+cheval, «sur ces rosses d'Asie à l'embonpoint hypocrite.» En parlant
+d'Asie, cela me fait penser à l'Afrique, qui n'est qu'à cinq milles de
+ma demeure actuelle; j'y veux aller me promener avant de partir pour
+Constantinople...
+
+«Cadix est une vraie Cythère; beaucoup de grands d'Espagne s'y sont
+réfugiés, après avoir quitté Madrid à la suite des troubles: c'est, je
+crois, la plus jolie ville et la plus propre de l'Europe. Londres est
+sale en comparaison... Les Espagnoles se ressemblent toutes; leur
+éducation est la même. La femme d'un duc est comme la femme d'un paysan
+sous le rapport de l'instruction; et pour les manières, la femme d'un
+paysan a les mêmes que la duchesse. Certainement elles sont séduisantes;
+mais elles n'ont qu'une idée dans la tête, et l'unique affaire de toute
+leur vie est l'intrigue...
+
+«J'ai vu sir John Carr à Séville et à Cadix; et comme le barbier de
+Swift, je l'ai supplié de ne me point faire figurer dans son journal.
+Rappelez-moi, je vous prie, au souvenir des Drury et des Davies et de
+tous ceux de ce genre-là qui sont encore en vie[119].
+
+ [Note 119: Des recommandations de ce genre, dit M. Hodgson,
+ dans une note au bas de la copie de cette lettre, se trouvent
+ à chaque pas dans sa correspondance. Il ne se contentait pas
+ de s'informer de la santé de ses amis et de leur donner cette
+ marque de souvenir. Si l'on pouvait savoir tout ce qu'il a
+ fait pour ses nombreux amis, certes il paraîtrait bien digne
+ d'en avoir eu. Pour moi, je me fais un plaisir de reconnaître
+ avec les sentimens de la plus vive gratitude, qu'il est venu
+ généreusement et bien à propos à mon secours; et si mon
+ pauvre ami Bland vivait encore, il rendrait aussi de grand
+ cœur le même hommage à la mémoire de Byron, quoique, après
+ tout, je sois de tous les hommes celui qui lui doit le plus
+ de reconnaissance.
+ (_Note de Moore_.)]
+
+Envoyez-moi une lettre et des nouvelles à Malte. Ma première sera datée
+du Caucase ou de la montagne de Sion. Je repasserai en Espagne avant de
+me rendre en Angleterre, car je suis amoureux de ce pays. Adieu, etc.»
+
+Dans une lettre à Mrs. Byron, datée de Gibraltar, quelques jours après,
+il répète les mêmes détails sur son voyage, mais un peu plus étendus.
+«Pour faire compensation, dit-il, à la saleté de Lisbonne et de ses
+habitans, le village de Cintra, situé à quinze milles environ de cette
+capitale, est peut-être, sous tous les rapports, le plus délicieux de
+l'Europe; il renferme des beautés de toute espèce, naturelles et
+artificielles. Des palais et des jardins s'élevant au milieu des
+rochers, des cataractes et des précipices; des couvens sur des hauteurs
+prodigieuses. Dans le lointain la vue de la mer et du Tage, et, en
+outre, quoique ce ne soit qu'une circonstance bien secondaire, ce
+village est remarquable comme étant le lieu où fut signée la fameuse
+_convention_ de sir H*** D**[120]. Il réunit l'apparence sauvage et
+pittoresque des montagnes de l'Écosse avec la verdure et la fécondité du
+midi de la France. Près de là est le palais de Mafra, l'orgueil des
+Portugais, et qui serait admiré dans tous les pays du monde sous le
+rapport de la magnificence, mais non sous celui de l'élégance. Un
+couvent y est annexé; les moines sont assez polis, et entendent le
+latin, de sorte que nous eûmes ensemble une longue conversation. Ils ont
+une belle bibliothèque, et me demandèrent si _les Anglais_ avaient _des
+livres_ dans leur pays.»
+
+ [Note 120: Le colonel Napier, dans une note à son excellente
+ _Histoire de la guerre de la Péninsule_, relève l'erreur dans
+ laquelle Byron est tombé avec plusieurs autres; la convention
+ dont il s'agit ayant été signée à trente milles de
+ Cintra.--Voy. _Childe Harold_, chant Ier.
+ (_Note de Moore_.)]
+
+Il raconte ensuite dans la même lettre une aventure qui lui arriva à
+Séville, et qui peut donner une juste idée de lui-même et du pays où il
+se trouvait:
+
+«Nous logeâmes dans la maison de deux dames espagnoles non mariées, qui
+possèdent six maisons à Séville, et me donnèrent un curieux modèle des
+manières espagnoles. Ce sont des dames de qualité: l'aînée est une fort
+belle femme; la seconde est agréable, mais elle n'est pas d'un port
+aussi avantageux que dona Josepha. La liberté de manières qui est
+générale ici m'étonna d'abord beaucoup; dans la suite de mes
+observations, j'eus lieu de remarquer que la réserve n'est pas le
+caractère dominant des Espagnoles, qui, en général, sont très-bien, avec
+de grands yeux noirs et de fort belles formes. L'aînée honora votre fils
+indigne d'une attention toute particulière, elle m'embrassa au moment de
+mon départ (je n'y avais demeuré que trois jours). Elle coupa une boucle
+de mes cheveux, et me fit cadeau d'une tresse des siens de trois pieds
+de long, que je vous envoie, et que je vous prie de vouloir bien me
+garder jusqu'à mon retour. Ses mots d'adieu furent: _Adios, tu hermoso!
+me gustas mucho_. «Adieu! beau cavalier, tu me plais beaucoup.» Elle
+m'offrit une partie de son propre appartement, que ma vertu ne me permit
+pas d'accepter; elle rit beaucoup, me dit que j'avais quelque amante en
+Angleterre, et ajouta qu'elle allait se marier à un officier de l'armée
+espagnole.»
+
+Parmi les beautés espagnoles, qui avaient excité en masse son
+imagination, il paraît qu'une dame était au moment de fixer plus
+particulièrement son attention:
+
+«Cadix, la délicieuse Cadix, est la plus agréable ville que j'aie encore
+vue; elle est bien différente de nos villes anglaises, excepté sous le
+rapport de la propreté; elle est aussi propre que Londres, mais pleine
+des plus belles femmes de l'Espagne; les belles de Cadix sont pour
+l'Espagne ce que sont les belles du Lancashire pour l'Angleterre.
+Précisément au moment où je venais d'être présenté à la grandesse, et
+que je commençais à l'aimer, je me suis vu obligé de quitter Cadix pour
+cet affreux Gibraltar; mais avant de rentrer en Angleterre, j'y veux
+faire une autre visite.
+
+»La veille de mon départ, j'étais à l'opéra dans la loge de l'amiral ***
+avec sa femme et sa fille. Elle est très-jolie dans le genre espagnol,
+qui, à mon avis, n'est pas inférieur au genre anglais pour la beauté
+proprement dite, et qui est bien plus séduisant. De longs cheveux noirs,
+des yeux noirs et languissans, un teint olive-claire et des formes plus
+gracieuses, quand elles sont animées par le mouvement, que n'en peut
+concevoir un Anglais, habitué à l'air nonchalant et apathique de ses
+belles compatriotes; ajoutez à cela la mise à la fois la plus décente et
+du meilleur goût, qui rend une beauté espagnole tout-à-fait
+irrésistible.
+
+»Mademoiselle *** et son jeune frère comprenaient un peu le français,
+et, après avoir témoigné ses regrets que je ne susse pas l'espagnol,
+elle me proposa de m'enseigner cette langue. Je ne pus répondre que par
+un profond salut, regrettant de quitter Cadix trop promptement pour
+faire tous les progrès qui eussent naturellement suivi mes études sous
+une si charmante directrice. Je me tenais debout, sur le derrière de la
+loge, qui ressemble assez à nos loges d'opéra (le théâtre est vaste,
+bien décoré, et la musique admirable), comme le font généralement les
+Anglais pour ne pas incommoder les dames qui sont devant, quand la belle
+espagnole déplaça une vieille femme, tante ou duègne, et m'ordonna de
+venir m'asseoir à côté d'elle, à une distance honnête de la maman. Le
+spectacle terminé, je m'étais éclipsé, et je traversais le passage avec
+plusieurs hommes, quand la dame, tournant la tête par hasard, m'appela,
+et j'eus l'honneur de la conduire jusqu'à la maison de l'amiral. J'ai
+reçu une invitation pour l'époque de mon retour à Cadix, et j'en
+profiterai certainement si je repasse par l'Espagne, en revenant
+d'Asie.»
+
+C'est à ces aventures, ou plutôt à ces commencemens d'aventures, qu'il
+fait allusion dans la première partie de ses _Souvenirs_; et c'est de la
+plus jeune de ses belles hôtesses de Séville qu'il dit qu'il devint
+amoureux, à l'aide d'un dictionnaire.
+
+«Pendant quelque tems, dit-il, je réussis très-bien dans mes études de
+langue et dans mon amour[121], jusqu'à ce que la dame prit une fantaisie
+pour une bague que je portais, et s'opiniâtra à ce que je la lui
+donnasse comme un gage de ma sincérité. Cela était impossible, et je lui
+déclarai que tout ce que je possédais était à son service, excepté cette
+bague dont j'avais fait vœu de ne pas me séparer. La jeune Espagnole se
+fâcha, son amant ne tarda pas à se fâcher aussi, et l'affaire se termina
+par une froide séparation. Bientôt après je mis à la voile pour Malte,
+où je perdis à la fois et mon cœur et ma bague.»
+
+ [Note 121: Nous trouvons une allusion à cet incident dans
+ _Don Juan_:
+
+ «Il est agréable d'apprendre une langue étrangère des yeux et
+ des lèvres d'une femme... c'est-à-dire quand la maîtresse et
+ l'écolier sont jeunes tous les deux, comme il m'arriva à moi,
+ etc.»]
+
+Dans une lettre sur Gibraltar que nous venons de citer, il ajoute: «Je
+vais demain en Afrique, qui n'est qu'à six milles de cette forteresse.
+Mon premier séjour après sera Cagliari, en Sardaigne, où je serai
+présenté à sa majesté. J'ai un superbe uniforme pour habit de cour,
+indispensable à un voyageur.» Toutefois il ne mit pas à exécution son
+projet de visiter l'Afrique. Après un court séjour à Gibraltar, où il
+dîna une fois avec lady Westmoreland, et une autre avec le général
+Castaños, il partit de Malte, par le paquebot, le 19 août. Il avait
+renvoyé en Angleterre Joe Murray et le jeune Rushton, la santé de ce
+dernier ne lui permettant pas de l'accompagner plus long-tems.
+
+«Je vous prie, dit-il à sa mère, ayez toutes sortes de bontés pour cet
+enfant; car c'est mon grand favori[122].»
+
+ [Note 122: Voici le _post-scriptum_ de cette lettre:
+
+ «Ainsi lord G... est marié à une paysanne! c'est fort bien!
+ Si je me marie, je vous amènerai une sultane, avec une
+ demi-douzaine de villes pour dot; et pour vous réconcilier
+ avec une belle-fille ottomane, elle vous donnera un boisseau
+ de perles, pas plus grosses que des œufs d'autruche et pas
+ plus petites que des noix.»]
+
+Il écrivit aussi une lettre au père de cet enfant, qui donne une si
+bonne idée de la bonté et de la sensibilité de son ame, que j'ai grand
+plaisir à l'insérer ici.
+
+
+
+
+LETTRE XXXIX.
+
+À M. RUSHTON.
+
+Gibraltar, 15 août 1809.
+
+
+M. RUSHTON,
+
+«J'ai envoyé Robert en Angleterre avec M. Murray, parce que le pays que
+je vais traverser est dans une condition peu sûre, particulièrement pour
+un enfant aussi jeune. Je vous permets de garder vingt-cinq livres
+sterling par an pour son éducation, si je ne reviens pas avant cette
+époque, et je désire qu'il soit toujours considéré comme étant à mon
+service. Prenez-en le plus grand soin; qu'il soit envoyé à l'école. Dans
+le cas où je viendrais à mourir, j'ai eu soin dans mon testament de lui
+assurer une existence indépendante. Il s'est conduit extrêmement bien,
+et a beaucoup voyagé, en égard au peu de tems qu'a duré son absence.
+Vous déduirez les frais de son éducation de votre fermage.»
+
+BYRON.
+
+Ce fut le sort de Byron, pendant toute sa vie, de trouver partout où il
+alla des personnes qui, par leur caractère extraordinaire, ou les
+circonstances dans lesquelles elles s'étaient trouvées, étaient toutes
+disposées à sympathiser avec lui. C'est à cette attraction qui se
+trouvait en lui pour tout ce qui était étrange et _excentrique_, qu'il
+dut, à la fois, les plus agréables, comme aussi les plus pénibles
+liaisons qu'il ait formées dans sa vie. C'est dans la première classe
+que nous devrons ranger le commerce qu'il entretint avec une dame,
+pendant le court séjour qu'il fit à Malte. C'est cette même dame qu'il a
+désignée, dans le _Childe Harold_, sous le nom de Florence, et dont il
+parle ainsi à sa mère dans une lettre datée de Malte:
+
+«Cette lettre est confiée aux soins d'une femme bien extraordinaire dont
+vous avez déjà sans doute entendu parler, Mrs. Spenser Smith, sur la
+délivrance de laquelle le marquis de Salvo a publié une brochure, il y a
+quelques années. Elle a depuis éprouvé un naufrage, et sa vie a été, dès
+le commencement, fertile en incidens si extraordinaires, que, dans un
+roman, ils paraîtraient improbables. Elle est née à Constantinople, où
+son père, le baron H***, était consul d'Autriche. Elle fut mariée
+malheureusement, et cependant jamais sa réputation n'a souffert la plus
+légère atteinte. Elle a excité la vengeance de Bonaparte en prenant part
+à quelque conspiration, a vu plusieurs fois sa vie en danger; et n'a pas
+encore vingt-cinq ans. Elle est ici, se disposant à rejoindre son mari
+en Angleterre. L'approche des Français l'a forcée à s'embarquer sur un
+vaisseau de guerre, et à quitter précipitamment Trieste, où elle était
+allée faire une visite à sa mère. Depuis son arrivée je n'ai presque pas
+eu d'autre compagnie. Je l'ai trouvée très-agréable, très-bien élevée et
+extrêmement originale. Bonaparte est encore en ce moment si fort irrité
+contre elle, que sa vie serait peut-être en danger si on la faisait
+prisonnière une seconde fois.»
+
+Le ton dont notre poète lui parle dans _Childe Harold_, parfaitement
+d'accord avec ce qu'il vient d'en dire plus haut, respire l'admiration
+et l'intérêt, mais sans indiquer un sentiment plus vif.
+
+Aimable Florence! si ce cœur insouciant et flétri pouvait jamais être à
+une autre, il serait à toi; mais entraîné par toutes les vagues qui se
+succèdent, je n'ose pas brûler sur ton autel un indigne parfum, ou
+demander à ton âme chérie une seule pensée pour moi.
+
+C'est ainsi que raisonna Harold quand il jeta les yeux sur ceux de
+Florence; il y puisa une admiration profonde, mais nul autre sentiment,
+etc., etc.
+
+Dans un homme comme Byron, qui, en même tems qu'il a fait passer dans
+ses poésies bien des événemens de sa vie, a mis aussi tant de poésie
+dans son existence, il n'est pas toujours facile, en cherchant à
+analyser ses sentimens, de distinguer ceux qui furent réels d'avec ceux
+qui n'étaient qu'imaginaires. Par exemple la description qu'il nous
+donne ici de la froideur et de l'insensibilité avec lesquelles il
+contemplait même les charmes de cette séduisante personne est bien peu
+d'accord avec l'anecdote que je viens de citer d'après ses Mémoires,
+avec beaucoup de passages de ses lettres postérieures, mais surtout avec
+l'un de ses petits poèmes les plus gracieux, qu'il désigne comme adressé
+à cette même dame, pendant un orage, lorsque notre poète se rendait à
+Zitza.
+
+Malgré ces témoignages qui semblent se contredire, je serais assez porté
+à croire que la peinture qu'il nous fait de l'état de son cœur au
+commencement de _Childe Harold_ est la seule vraie. L'idée qu'il était
+amoureux ne lui sera venue qu'après, quand l'image de la belle Florence
+se sera, pour ainsi dire, idéalisée dans son imagination, et qu'elle
+aura embelli d'un reflet d'amour le souvenir des heures agréables qu'ils
+avaient passées ensemble dans les îles de Calypso. On se rappellera
+qu'il attribue lui-même aux cœurs qui se sont livrés de bonne heure aux
+passions, et qui de bonne heure aussi en ont été désabusés, la froideur
+et le calme avec lesquels il contempla des appas même aussi séduisans
+que ceux de l'aimable Florence. Il y a toute raison de croire que telle
+était alors l'espèce de dégoût avec lequel il voyait tous les objets
+réels d'amour et de passion; et quoique son imagination pût toujours se
+créer des idoles, il continua, à son retour en Angleterre, de professer
+la même indifférence pour les plaisirs qu'il avait autrefois recherchés
+avec tant d'ardeur. Nul anachorète ne saurait en effet se vanter de plus
+d'apathie qu'il n'en montra à cette époque pour toutes les séductions de
+ce genre. Mais à vingt-trois ans, il est triste de ne devoir qu'à la
+satiété et au dégoût ce calme contre toutes les tentations: ce sont là
+de tristes auxiliaires de la vertu, et c'est une tranquillité achetée
+bien cher.
+
+Pendant son séjour à Malte, il fut, à la suite de quelque malentendu de
+peu d'importance, au moment de se battre en duel avec un officier de
+l'état-major du général Oakes. Il fait de fréquentes allusions à cet
+incident dans les lettres que nous lirons bientôt, et j'ai souvent
+entendu la personne qui lui servait de second, parler avec grand éloge
+du courage et du mâle sang-froid qu'il déploya dans toute cette affaire.
+Elle devait se vider de très-bonne heure; son ami fut obligé de
+l'arracher à un sommeil profond. Arrivés au lieu du rendez-vous, sur le
+bord de la mer, ils ne virent pas venir leurs adversaires, par suite de
+quelque erreur involontaire. Quoique ses bagages fussent déjà à bord du
+brick qui devait le transporter en Albanie, Lord Byron résolut
+d'attendre au moins encore une heure; et pendant à peu près tout ce
+tems, son ami et lui se promenèrent le long du rivage. À la fin ils
+virent venir à eux un officier envoyé par son adversaire, qui
+non-seulement l'excusa de ce retard, mais encore leur donna toutes les
+explications qu'ils pouvaient désirer sur ce qui avait fait le sujet
+même de la querelle.
+
+Le brick de guerre à bord duquel ils s'étaient embarqués, ayant ordre
+d'escorter une flotte de petits vaisseaux marchands à Patras et à
+Prévésa, ils restèrent deux ou trois jours à l'ancre en rade de cette
+première ville. Enfin ils arrivèrent à leur destination, et, après avoir
+vu en passant un coucher du soleil à Missolonghi, ils débarquèrent, le
+27 septembre, à Prévésa.
+
+Ceux qui pourraient désirer des détails sur le voyage de Lord Byron en
+Albanie, et ceux qu'il fit ensuite dans différentes parties de l'empire
+ottoman, en compagnie avec M. Hobhouse, les trouveront dans la relation
+qu'en a publiée ce dernier. Cet ouvrage, très-intéressant par lui-même,
+sous tous les rapports, le devient bien davantage par cette
+considération que nous y voyons Lord Byron comme présent à chaque page,
+et que nous y accompagnons, pour ainsi dire, ses premiers pas dans un
+pays au nom duquel il a pour jamais rattaché le sien. Comme j'ai entre
+les mains des lettres du noble poète à sa mère et quelques-unes plus
+curieuses encore qui, publiées pour la première fois, me mettent en état
+de donner ses propres descriptions et ses propres esquisses, je me
+contenterai, après avoir ainsi indiqué d'une manière générale le voyage
+de M. Hobhouse, d'en extraire quelques notes pour jeter plus de clarté
+sur la correspondance de son ami.
+
+
+
+
+LETTRE XL.
+
+À MRS. BYRON.
+
+Prévésa, 12 novembre 1809.
+
+
+MA CHÈRE MÈRE,
+
+«Voici quelque tems que je suis en Turquie; la ville que j'habite est
+sur la côte; mais j'ai déjà traversé l'intérieur de la province
+d'Albanie, en allant faire visite au pacha. J'ai quitté Malte, le 21
+septembre, à bord du brick de mer _le Spider_ (l'Araignée), et je suis
+arrivé en huit jours à Prévésa. Déjà je suis allé environ cent cinquante
+milles plus loin, à Tebelen, maison de campagne de Sa Hautesse, où je
+suis resté trois jours. Le pacha se nomme Ali; on le regarde comme un
+homme de grands talens; il gouverne toute l'Albanie (l'ancienne
+Illyrie), l'Épire et une partie de la Macédoine. Son fils Vely-Pacha,
+pour lequel il m'a donné des lettres, gouverne la Morée, et a beaucoup
+d'influence en Égypte; en un mot, c'est un des plus puissans personnages
+de l'empire Ottoman. Quand, après un voyage de trois jours dans un pays
+montagneux et plein des beautés les plus pittoresques, j'arrivai à
+Janina, on me dit qu'Ali-Pacha avait quitté cette capitale, et qu'il
+était en Illyrie avec son armée, assiégeant Ibrahim-Pacha dans la
+forteresse de Bérat. Il avait appris qu'un Anglais de distinction était
+arrivé dans ses états, et avait laissé au commandant de Janina l'ordre
+de me fournir une maison, et de me procurer _gratis_ tout ce qui me
+serait nécessaire. En conséquence, encore que l'on m'ait permis de faire
+quelques présens aux esclaves, etc., on n'a pas voulu me laisser payer
+la moindre chose de ce qui était entré dans la maison pour notre usage.
+
+»Je fis un tour dans la campagne sur les chevaux du vizir, et visitai
+ses palais, ainsi que ceux de ses petits-fils; ils sont magnifiques,
+mais trop chargés d'ornemens d'or et de soie. J'allai ensuite à travers
+les montagnes jusqu'à Zitza, village qui renferme un monastère grec où
+je couchai au retour. C'est la plus belle situation que j'aie jamais
+vue, en exceptant toujours Cintra en Portugal. Notre voyage fut beaucoup
+allongé par les torrens tombés des montagnes, et qui interceptaient les
+routes. Je n'oublierai jamais la scène singulière qui s'offrit à mes
+regards, quand j'entrai à Tebelen vers les cinq heures du soir, au
+moment du coucher du soleil. Elle me rappela, avec quelque changement de
+costume, bien entendu, la description que donne Scott, dans son _Lay_,
+du château de Branksome et du système féodal. Les Albanais avec leur
+habillement, le plus magnifique du monde, leur long jupon blanc, leur
+manteau broché d'or, leur veste et leur gilet de velours cramoisi lacé
+en or, leurs pistolets et leurs poignards montés en argent; les Tartares
+avec leurs hauts bonnets, les Turcs dans leurs turbans et leurs vastes
+pelisses, les soldats et les esclaves noirs avec leurs chevaux; les
+premiers groupés dans une grande galerie ouverte qui fait partie de la
+façade, les autres placés dans une sorte de cloître au-dessous; deux
+cents chevaux harnachés et prêts à être montés au moindre signal, des
+courriers allant et venant avec des dépêches, le bruit des timbales, des
+enfans qui crient l'heure, du haut du minaret, joint à la singularité du
+bâtiment lui-même, forment un coup-d'œil nouveau et délicieux pour
+l'étranger. Je fus conduit dans un fort bel appartement et le secrétaire
+du vizir vint s'informer de l'état de ma santé à la mode turque.
+
+«Le lendemain je fus présenté à Ali-Pacha. J'étais vêtu d'un uniforme
+d'officier d'état-major en grande tenue, avec un sabre magnifique, etc.
+Le vizir me reçut dans une grande pièce, pavée en marbre; une fontaine
+lançait de l'eau au milieu, et tout autour de la chambre étaient rangées
+des ottomanes couvertes d'une étoffe écarlate. Il me reçut debout,
+politesse extraordinaire pour un musulman, et me fit asseoir à sa
+droite. J'ai un Grec pour interprète; mais dans cette occasion ce fut un
+médecin d'Ali qui entend le latin, qui m'en servit. Sa première question
+fut, pourquoi j'avais quitté mon pays si jeune? Les Turcs n'ont pas
+l'idée qu'on puisse voyager pour son amusement. Il me dit ensuite que le
+ministre anglais, le capitaine Leake, l'avait prévenu que j'étais d'une
+grande famille, et me chargea de présenter ses respects à sa mère,
+commission dont je m'acquitte en ce moment. Il dit encore qu'il était
+sûr que j'étais noble, parce que j'avais les oreilles petites, les
+cheveux bouclés, les mains petites et blanches[123], et témoigna qu'il
+était content de ma figure et de mon costume. Il me dit de le regarder
+comme un père tant que je serais en Turquie, et qu'il veillerait sur moi
+comme sur son fils. Il me pria de le venir voir souvent, et surtout le
+soir quand il serait de loisir; on servit du café et des pipes; après
+quoi je terminai ma première visite, que je renouvelai trois fois. Il
+est singulier que les Turcs, qui n'ont pas de dignités héréditaires et
+peu de grandes familles, excepté les sultans, aient tant d'égards pour
+la naissance, car j'observai que ma généalogie m'en valait plus que mon
+titre de pair d'Angleterre[124]...
+
+ [Note 123: Lord Byron avait autant que le pacha l'opinion que
+ la forme de la main peut indiquer la naissance; voyez dans
+ _Don Juan_, sa note sur le vers:
+
+ _Though on more_ thorough-bred _or fairer fingers_.]
+
+ [Note 124: Lors du voyage du docteur Holland en Albanie,
+ Ali-Pacha se rappelait parfaitement Lord Byron; il en parla
+ avec intérêt, et apprit avec plaisir qu'il avait donné, dans
+ un de ses ouvrages (_Childe Harold_), une description
+ poétique de l'Albanie, qui avait été fort goûtée en
+ Angleterre, et que son ami Hobhouse se disposait à publier
+ son voyage dans le même pays.]
+
+»J'ai vu aujourd'hui les restes de la ville d'Actium, près de laquelle
+Antoine perdit le monde dans une petite baie, où deux frégates
+manœuvreraient à peine aujourd'hui; un mur demi-renversé est l'unique
+vestige qui marque ce lieu célèbre. De l'autre côté du golfe se voient
+les ruines de Nicopolis, bâtie par Auguste en l'honneur de sa victoire.
+Hier soir, j'ai assisté à une noce grecque, mais je n'ai ni assez de
+tems, ni assez de place pour en donner la description, non plus que de
+mille autres choses.
+
+»Je vais demain, avec une escorte de cinquante hommes, à Patras dans la
+Morée, et de là à Athènes où je passerai l'hiver. Il y a deux jours,
+j'ai failli périr avec un vaisseau de guerre turc, par l'ignorance du
+capitaine et de l'équipage, quoique la tempête ne fût pas violente.
+Fletcher appelait sa femme, les Grecs appelaient leurs saints, les
+Musulmans appelaient Alla; le capitaine descendit dans la chambre, et
+nous dit tout en pleurs de nous recommander à Dieu. Les voiles étaient
+déchirées, la grande vergue rompue, le vent _fraîchissait_, la nuit
+arrivait; nous n'avions plus que deux chances devant nous, d'arriver à
+Corfou, qui est au pouvoir des Français, ou de descendre dans le liquide
+tombeau, comme Fletcher le disait pathétiquement. Je fis ce que je pus
+pour consoler celui-ci; mais le trouvant incorrigible, je m'enveloppai
+dans ma capote albanaise (immense manteau), et je me couchai tout de mon
+long sur le pont pour y attendre tout ce qui pourrait arriver de
+pire[125]. J'ai appris dans mes voyages à avoir de la philosophie; et
+quand je n'en aurais pas eu, de quoi m'eût-il servi ici de me lamenter
+et de me plaindre? Heureusement le vent mollit, et ne nous porta qu'à
+Souli sur le continent, où nous débarquâmes, et avec l'aide des naturels
+nous retournâmes à Prévésa. Je ne me confierai plus dorénavant à des
+matelots turcs, quoique le pacha ait mis à mes ordres une de ses propres
+galiotes pour me porter à Patras. En conséquence, je vais jusqu'à
+Missolonghi par terre, et de là je n'aurai qu'un petit golfe à traverser
+pour arriver à Patras. La première lettre de Fletcher sera pleine de
+merveilles; nous avons, une nuit, été perdus pendant neuf heures dans
+les montagnes, et depuis nous avons manqué de nous noyer. Dans les deux
+cas, Fletcher avait entièrement perdu la tête; la première fois par la
+peur, la famine et les bandits; la seconde par la peur seule. Ses yeux
+ont été un peu malades, je ne sais si c'est un effet des éclairs ou des
+pleurs qu'il a versés. Quand vous m'écrirez, adressez-moi vos lettres
+chez M. Strane, consul d'Angleterre, à Patras en Morée.
+
+ [Note 125: J'ai entendu les compagnons de voyage de Byron
+ parler du sang-froid et du courage qu'il montra dans cette
+ occasion, d'une manière plus remarquable encore. Voyant qu'à
+ cause de son infirmité il ne pouvait être d'aucune utilité
+ pour l'exécution des manœuvres que leur position demandait,
+ non-seulement il est vrai qu'il s'enveloppa dans son manteau
+ et se coucha tranquillement, comme il le dit, mais ce qu'il
+ n'ajoute pas, c'est que, quand le danger fut passé, on
+ s'aperçut qu'il était profondément endormi.
+ (_Note de Moore_.)]
+
+»J'aurais beaucoup d'incidens à vous raconter, qui, je crois, vous
+amuseraient; mais ils font confusion dans ma tête, comme ils en
+feraient, je crois, sur le papier, et je ne saurais du tout les mettre
+en ordre. J'aime beaucoup les Albanais; ils ne sont pas tous turcs,
+quelques-uns sont chrétiens; mais la différence de leur religion n'en
+met aucune dans leurs mœurs et dans leur conduite; on les regarde comme
+les meilleures troupes au service de la Turquie. Pendant ma route, j'ai
+passé deux jours en allant, et trois en revenant, dans une caserne à
+Salone; et jamais je n'ai trouvé de soldats plus supportables, quoique
+j'aie été dans les garnisons de Gibraltar et de Malte, et que j'aie vu
+bon nombre de troupes espagnoles, françaises, siciliennes et anglaises.
+On ne m'a rien volé, et j'ai toujours été le bienvenu à partager leurs
+vivres et leur lait. Il n'y a pas une semaine, qu'un chef albanais
+(chaque village a son chef qui est appelé primat), après nous avoir aidé
+à sortir de la galère turque, lors de notre malheur, nous nourrit et
+nous logea, moi et ma suite, composée de Fletcher, un Grec, deux
+Athéniens, un prêtre grec, et mon compagnon, M. Hobhouse, et refusa de
+recevoir autre chose qu'un certificat de la bonne réception qu'il nous
+avait faite. Comme je le pressais de prendre au moins quelques sequins,
+«non, répondit-il, je veux que vous m'aimiez, et non pas que vous me
+payiez.» Ce sont là ses propres paroles.
+
+»Vous ne sauriez croire quelle est la valeur de l'argent dans ce
+pays-ci. Je n'avais rien à payer d'après les ordres du visir, mais
+depuis j'ai toujours eu seize chevaux, et généralement six ou sept
+hommes à mon service; et je n'ai pas dépensé la moitié de ce qu'il m'en
+a coûté pour passer trois semaines à Malte, quoique le gouverneur, sir
+A. Ball, m'ait donné une maison gratis, et que je n'eusse qu'un seul
+domestique. Je serais bien aise que H... fît des remises régulières, car
+je n'ai pas intention de rester à perpétuité dans cette province; qu'il
+m'écrive chez M. Strane, consul d'Angleterre à Patras. Le fait est que
+la fertilité des plaines est extraordinaire, les espèces fort rares, ce
+qui explique que tout y soit à bon marché. Je vais à Athènes pour y
+apprendre le grec moderne, qui diffère beaucoup du grec ancien, quoique
+les racines en soient les mêmes. Je n'ai pas envie de retourner en
+Angleterre; et je ne le ferai que si j'y suis forcé, comme, par exemple,
+si H... me négligeait. Je n'entrerai pas cependant en Asie avant un an
+ou deux, car j'ai bien des choses à voir en Grèce, et peut-être
+passerai-je en Afrique, ou du moins dans la partie Égyptienne.
+
+»Fletcher, comme tous les Anglais, est fort mécontent, cependant il est
+un peu réconcilié avec la Turquie, depuis que le pacha lui a fait
+présent de quatre-vingts piastres, qui, eu égard à la valeur de l'argent
+ici, équivalent presque à dix guinées anglaises. Il n'a rien eu à
+souffrir, si ce n'est du chaud, du froid et de la vermine, fléaux de
+tous ceux qui couchent dans les chaumières, dans des gorges de
+montagnes, dans les pays froids, et dont j'ai eu ma part comme lui; mais
+il n'est pas brave et a peur des voleurs et des tempêtes. Il n'y a
+personne en Angleterre au souvenir de qui je désire me recommander, et
+dont je veuille avoir des nouvelles. Je voudrais seulement recevoir une
+lettre de vous, et une ou deux de H... sur l'état de mes affaires;
+dites-lui de m'écrire. Pour moi, je vous écrirai quand je pourrai, et
+vous prie de me croire votre affectionné fils,»
+
+BYRON.
+
+Vers le milieu de novembre, notre jeune voyageur quitta Prévésa et se
+dirigea vers la Morée, à travers l'Acarnanie et l'Étolie, accompagné de
+son escorte de cinquante Albanais.
+
+En conséquence il prit une bande d'hommes sûrs pour traverser les vastes
+forêts de l'Acarnanie, hommes nés pour la guerre, et dont les rudes
+travaux ont rembruni le teint, jusqu'à ce qu'il aperçut les flots
+blanchissans de l'Achéloüs, et qu'il vit de l'autre côté les plaines
+fertiles de l'Étolie.
+
+(_Childe Harold_, ch. II.)
+
+Sa description d'une scène de nuit à Utraikey, petite place située dans
+l'une des baies du golfe d'Arta, est sans doute restée gravée dans la
+mémoire de nos lecteurs. Le plaisir que leur a causé la sauvage beauté
+de cette peinture ne sera point diminué quand nous leur aurons fait
+connaître, d'après le récit de M. Hobhouse, les circonstances réelles
+sur lesquelles elle est fondée:
+
+«Le soir, les portes étaient fermées, et l'on faisait les préparatifs
+nécessaires pour nourrir nos Albanais. On tuait un bouc, on le faisait
+rôtir tout entier; quatre feux étaient allumés dans la cour, autour
+desquels les soldats s'asseyaient en quatre troupes différentes. Après
+avoir bu et mangé, la plupart d'entre eux, tandis que nous et les chefs
+étions assis sur le gazon, s'assemblèrent autour du plus grand feu, et
+là se mirent à danser en rond sans autre musique que leurs propres
+chansons, mais en déployant une énergie étonnante. Toutes ces chansons
+se rapportaient à quelques exploits de voleurs fameux. L'une d'elles,
+qui les occupa plus d'une heure, commençait ainsi: «Quand nous partîmes
+de Parga, nous étions soixante: puis venait le refrain:
+
+ Tous voleurs à Parga,
+ Tous voleurs à Parga.
+
+ Κλεφτεις ποτε Παργα,
+ Κλεφτεις ποτε Παργα.
+
+»Quand ils mugissaient cette strophe, ils tournaient en rond autour du
+feu, tombaient sur leurs genoux, rebondissaient, et puis tournaient de
+nouveau en répétant le même refrain. Le bruissement des vagues sur la
+rive caillouteuse où nous étions assis remplissait les intervalles du
+chant d'une musique peut-être moins monotone et certainement plus douce.
+La nuit était très-sombre; mais au reflet des feux nous apercevions un
+peu les bois, les rochers et le lac, qui, avec l'apparence sauvage des
+danseurs, offraient une scène qui n'eût pas été perdue entre les mains
+d'un artiste organisé comme l'auteur des _Mystères d'Udolphe_.»
+
+Après avoir traversé l'Acarnanie, nos voyageurs passèrent l'Acheloüs, et
+arrivèrent, le 21 novembre, à Missolonghi. Ici il est impossible de ne
+pas nous arrêter, et de ne pas songer d'avance à cette triste visite
+qu'il y fit quinze ans après, quand, au milieu de sa carrière, et dans
+toute la plénitude de sa réputation, il vint donner sa vie pour la cause
+de ce pays qu'il traversait alors comme un simple et jeune étranger. Si
+quelque esprit lui eût alors révélé ce qui devait arriver dans cet
+intervalle; s'il lui avait montré, d'un côté, les triomphes qui
+l'attendaient, le pouvoir que son génie varié obtiendrait sur les cœurs
+pour les élever ou les abaisser, pour les éclairer ou les rendre plus
+sombres; et s'il eût placé d'un autre côté les inconvéniens attachés à
+ce don funeste: la fatigue et le dégoût que l'imagination donne à l'ame;
+les ravages de ce feu intérieur qui dévore celui qui le possède, tandis
+qu'il éblouit les autres; l'envie que tant de grandeur excite parmi les
+autres hommes; la vengeance qu'ils tirent de celui qui les force à
+regarder si haut pour l'admirer; on peut se le demander, eût-il accepté
+la gloire à de telles conditions? N'aurait-il pas senti, au contraire,
+que c'était l'acheter à trop haut prix, et que cet état de guerre
+continuel contre le monde entier pendant sa vie ne serait que faiblement
+récompensé par une immortalité que ce même monde serait obligé de lui
+accorder après son trépas?
+
+À Missolonghi, il renvoya tous ses Albanais, à l'exception d'un seul,
+nommé Dervish, qu'il prit à son service, et qui demeura avec lui pendant
+tout le tems qu'il fut en Orient, avec Basile, le domestique que lui
+avait donné Ali-Pacha. Après avoir habité près de quinze jours à Patras,
+il se dirigea sur Vostitza. En approchant de cette ville, le sommet
+neigeux du Parnasse, s'élevant comme une tour de l'autre côté du golfe,
+s'offrit pour la première fois à ses yeux. Deux jours après, dans les
+bosquets sacrés de Delphes, il écrivit les stances que cette vue lui
+avait inspirées, et qui commencent ainsi:
+
+Ô toi, Parnasse! que je vois maintenant, non comme l'imagination te
+présente souvent dans les songes du poète endormi, etc.
+
+C'est vers cette époque que, se promenant à cheval, au pied du Parnasse,
+il vit dans les airs voler une troupe considérable d'aigles, phénomène
+qui semble avoir frappé son imagination d'une sorte de superstition
+poétique; car il y fait plus d'une fois allusion dans son journal. «Me
+rendant à la fontaine de Delphes (Castri), en 1809, je vis une troupe de
+douze aigles, et j'acceptai le présage, bien que Hobhouse soutînt,
+probablement par plaisanterie, que c'étaient des vautours. J'avais la
+veille composé les vers sur le Parnasse, dans _Childe Harold_; en voyant
+ces oiseaux, j'espérai qu'Apollon avait agréé mon hommage. Du moins,
+j'ai eu le nom et la réputation de poète dans l'âge réellement poétique
+de la vie, de vingt à trente. Si cela continuera, c'est une autre
+question.»
+
+Dans son journal, en racontant son départ de Patras, il cite une
+anecdote qui fera honneur à son humanité aux yeux de tous ceux qui ne
+seront point chasseurs. «Le dernier oiseau sur lequel j'ai tiré fut un
+aiglon, sur le bord du golfe de Lépante, près Vostitza. Il n'était que
+blessé, et je voulus le sauver; son œil était si brillant! Mais il
+languit et mourut en peu de jours. Je n'ai jamais essayé depuis et
+jamais je n'essaierai de tuer un autre oiseau.»
+
+Peu de choses étonnent autant les voyageurs en Grèce que l'extrême
+petitesse de ces pays qui ont occupé si long-tems les cent bouches de la
+renommée. «On pourrait, dit M. Hobhouse, sans trop presser son cheval,
+aller de Livadie à Thèbes et revenir entre le déjeuner et le dîner, et,
+sans bagage, faire facilement, en deux jours, le tour de la Béotie.»
+Après avoir visité en très-peu de tems les fontaines de Mémoire et
+d'Oubli, à Livadie, et les retraites d'Apollon Isménien, à Thèbes, nos
+voyageurs tournèrent enfin leurs pas vers Athènes, l'objet de leurs
+rêves poétiques, traversèrent le mont Cythéron, et arrivèrent en vue des
+ruines de Philé, la veille de Noël 1809.
+
+Quoique le poète nous ait laissé dans ses vers le témoignage immortel de
+l'enthousiasme avec lequel il contempla les scènes qui s'offrirent alors
+à ses regards, il n'est pas difficile de concevoir que, pour des
+observateurs superficiels, il put paraître spectateur insensible de
+mille choses qui jettent le voyageur ordinaire en extase, du moins en
+paroles. Il professa toute sa vie le plus souverain mépris pour tout ce
+qui est affecté, soit en matière de goût, soit en matière de morale;
+souvent il déguisa le sentiment vrai de son admiration sous un dehors
+d'indifférence et de moquerie par haine pour le charlatanisme de ceux
+qu'il voyait s'extasier à froid et sans rien ressentir réellement. Il
+faut avouer aussi qu'il étendait à des sentimens vrais, mais pour
+lesquels il n'éprouvait pas de sympathie, le dégoût que lui inspiraient
+ceux qui n'étaient qu'affectés; ainsi il ne comprit jamais le mérite et
+les jouissances d'un antiquaire ou d'un amateur d'objets d'art. «Je ne
+fais point de collections, dit-il dans une note de _Childe Harold_, et
+je ne les admire pas du tout.» Il ne faisait aucun cas des antiquités, à
+moins qu'elles ne se rattachassent à quelques grands noms ou à quelques
+grands événemens. Pour les objets d'art, il se contentait d'admirer leur
+effet général, sans se piquer d'aucune connaissance des détails. C'était
+à la nature, dans ses scènes solitaires de grandeur et de beauté, ou,
+comme à Athènes, brillante d'un éclat toujours le même au milieu des
+ruines de la gloire et des arts, qu'il payait sans restriction l'hommage
+de son ame ardente. Dans le petit nombre de notes sur les voyages qu'il
+a jointes à _Childe Harold_, l'on voit qu'il aime beaucoup mieux
+s'occuper des sites et du pittoresque qu'offrent les lieux qu'il a
+visités que des souvenirs classiques ou historiques qui peuvent s'y
+rattacher. En prose ou en vers, il revient à la vallée de Zitza avec
+plus de plaisir qu'à Delphes ou aux rives de la Troade; et ce qui le
+frappe le plus vivement dans la plaine d'Athènes, c'est que «la vue y
+est plus belle encore qu'à Cintra ou à Istamboul.» Où la nature
+pouvait-elle en effet avoir plus de droit à son adoration que dans ces
+contrées où il la voyait briller d'une beauté toujours jeune, toujours
+la même au milieu des ruines de ce que l'homme avait jugé le plus digne
+de durée? «Les institutions humaines périssent, dit Harris; mais la
+nature ne change pas.» Lord Byron a paraphrasé cette pensée[126], en
+l'embellissant:
+
+ [Note 126: Le passage renferme la substance de toute la
+ strophe:
+
+ «Malgré les diverses fortunes d'Athènes, considérée comme
+ cité, l'Attique est encore fameuse pour ses oliviers, et
+ l'Hymète pour son miel. Les institutions humaines périssent,
+ mais la nature ne change pas.»
+ (_Recherches philologiques_.)
+
+ Je me rappelle que je fis un jour remarquer à Lord Byron
+ cette coïncidence, mais il m'assura qu'il n'avait jamais lu
+ cet ouvrage d'Harris.]
+
+Cependant ton ciel est aussi bleu, tes rochers aussi sauvages, tes
+bosquets aussi agréables, tes prairies aussi verdoyantes, ton olive
+aussi mûre, que quand tu florissais sous la protection de Minerve!
+L'Hymète offre encore aux hommes les trésors de son miel divin; libre
+voyageuse errante dans les plaines de l'air, l'abeille construit
+toujours gaîment sur tes montagnes sa forteresse parfumée. Apollon dore
+toujours de ses feux tes longs étés, et sous ses rayons brillent
+toujours les marbres de Mendeli! Les arts, la gloire, la liberté, tout
+passe, tout périt, excepté la nature, elle est toujours belle.
+
+(_Childe Harold_, ch. II.)
+
+Cette première visite à Athènes dura deux ou trois mois, pendant
+lesquels il ne laissa pas passer un seul jour sans consacrer quelques
+heures à parcourir les grands monumens du génie ancien, et sans évoquer,
+pour ainsi dire, du milieu de leurs ruines l'esprit des siècles écoulés.
+Il faisait aussi des excursions fréquentes dans différentes parties de
+l'Attique. Un jour qu'il visitait le cap Colonne, il fut au moment
+d'être enlevé par un parti de Maniotes cachés sous le rocher de Minerve
+Sunias. Ces pirates, à ce que lui raconta depuis un Grec qui alors était
+leur prisonnier, n'osèrent l'attaquer, persuadés que les deux Albanais
+qu'ils voyaient à ses côtés, n'étaient qu'une partie d'une escorte plus
+respectable laissée à portée de venir promptement à son secours.
+
+Outre le pouvoir magique de ses souvenirs et de son paysage, la ville de
+Minerve possédait un attrait d'une autre sorte pour notre poète, auquel,
+en quelque lieu qu'il portât ses pas, son cœur ou plutôt son imagination
+n'était que trop sensible. On dit que sa jolie romance: «Jeune vierge
+d'Athènes, avant que nous nous séparions,» fut adressée à la fille aînée
+de la dame grecque chez laquelle il était logé, et il est assez probable
+que la belle Athénienne ait été maîtresse de son imagination au moment
+où il composa ces vers. Théodora Macri, son hôtesse, était la veuve d'un
+vice-consul d'Angleterre; son principal revenu provenait de la location
+aux étrangers, et surtout aux voyageurs anglais, des appartemens
+qu'occupèrent alors Lord Byron et son ami; ce dernier nous en donne la
+description suivante: «Notre logement consistait en un salon et deux
+chambres à coucher, donnant sur une cour où se trouvaient cinq ou six
+citronniers, d'où l'on tira le fruit qui assaisonna notre pilau et les
+autres mets nationaux servis sur notre table frugale.»
+
+La renommée d'un poète illustre ne s'attache pas seulement à sa personne
+et à ses écrits, une partie se reflète sur tout ce qui a eu avec lui un
+rapport même éloigné. Non-seulement elle ennoblit les objets de ses
+amitiés, de ses amours et de ses goûts; mais les lieux même où il a
+vécu, où il a séjourné, acquièrent une célébrité qui ne s'efface pas
+aisément. La jeune fille d'Athènes, quand elle prêtait innocemment
+l'oreille aux complimens du jeune Anglais, ne se doutait guère qu'il dût
+rendre son nom et sa maison si célèbres, qu'à leur retour de Grèce, les
+voyageurs ne trouveraient rien de plus intéressant à donner à leurs
+lecteurs que les détails suivans sur elle et sa famille:
+
+«Nous rencontrâmes, dit M. Hobhouse, à la porte notre valet qui était
+allé devant pour nous chercher des logemens, et nous conduisit chez
+Théodora Macri, la veuve du vice-consul, où nous sommes actuellement.
+Cette dame a trois filles fort jolies; l'aînée est vraiment une beauté;
+c'est elle, dit-on, qui inspira à Lord Byron cette fameuse romance:
+
+Jeune vierge d'Athènes, avant que nous nous séparions, rends-moi,
+rends-moi mon cœur, etc., etc.
+
+»À Orchomènes, où était le temple des Grâces, je fus près de m'écrier:
+Où les grâces se sont-elles enfuies? Je ne m'attendais pas à les
+retrouver ici. Et cependant voici venir l'une avec des coupes dorées et
+du café, et l'autre avec un livre. Ce livre est un registre de noms, et
+il en est quelques-uns que la renommée est habituée à prononcer. Parmi
+eux se trouve celui de Lord Byron, lié aux vers que je vais transcrire:
+
+La noble Albion voit en souriant partir son fils pour aller visiter le
+berceau des arts; son but est noble; belle est l'entreprise; il vient à
+Athènes, et... écrit son nom.
+
+»En forme de contrepoids, Lord Byron écrivit au-dessous:
+
+Ce poète modeste, comme beaucoup de poètes inconnus, rimaille sur nos
+noms et cache le sien; mais quel qu'il soit, pour ne rien dire de pis,
+son nom lui ferait plus d'honneur que ses vers.
+
+»En écrivant ces mots, _les trois Grâces athéniennes_, j'ai, je n'en
+doute pas, fait naître votre curiosité et enflammé votre imagination, et
+je ne dois pas compter sur votre attention que je ne vous en aie donné
+quelque portrait. Leur appartement est justement en face du nôtre; et si
+vous pouviez les voir comme nous les voyons en ce moment à travers les
+plantes aromatiques qui se balancent doucement sur notre fenêtre, vous
+laisseriez votre cœur à Athènes.
+
+»Thérésa, la vierge d'Athènes, Katinka et Mariana sont de taille
+moyenne. Chacune d'elles porte sur le sommet de la tête une petite
+calotte albanaise de couleur rouge, surmontée d'une tassette bleue, qui
+s'étend et se rattache par le bas comme une étoile. Au bord de cette
+calotte est un mouchoir de couleurs variées roulé autour des tempes. La
+plus jeune porte ses cheveux détachés tombant sur les épaules presque
+jusqu'à la ceinture, et mêlés suivant l'usage avec des tresses de soie.
+Les cheveux des deux aînées sont le plus souvent attachés et retenus
+sous le mouchoir. Leur vêtement de dessus est une pelisse bordée de
+fourrures, tombant lâche jusqu'à la cheville; dessous est un mouchoir de
+mousseline qui couvre le sein et se termine à la taille qui est courte.
+En dessous est une robe de soie ou de mousseline rayée, s'élargissant un
+peu au-dessus de la ceinture, et retombant sur le devant d'une manière
+gracieuse et négligée; des bas blancs et des pantoufles jaunes
+complètent le costume. Les deux aînées ont les yeux et les cheveux
+noirs, le visage ovale, le teint un peu pâle et les dents d'une
+blancheur éblouissante. Leurs joues sont arrondies, leur nez droit avec
+quelque chose d'aquilin. La plus jeune, Mariana, est très-blonde; sa
+figure n'est pas aussi joliment arrondie, mais a une expression plus
+gaie que celle de ses sœurs, qui ont l'air assez pensif, excepté quand
+la conversation prend une tournure animée. Leur taille est élégante,
+leurs manières distinguées et susceptibles de plaire dans tous les pays
+possibles. Leur conversation est fort agréable, et leur esprit paraît
+plus cultivé que ne l'est généralement celui des dames grecques. Avec de
+tels avantages, il serait bien étonnant qu'elles n'attirassent pas
+l'attention des voyageurs qui visitent occasionnellement Athènes. Elles
+s'asseoient à la manière orientale, le corps légèrement incliné, les
+jambes ramassées sous elles sur le divan et sans souliers. Elles
+s'occupent à coudre, à jouer du tambour de basque et à lire.
+
+»J'ai dit que j'avais vu ces beautés grecques à travers les balancemens
+des plantes aromatiques qui décorent leurs fenêtres; peut-être cela
+pourrait-il vous donner une trop haute idée de leur position. Votre
+imagination vous représente peut-être déjà leurs maisons pleines de tous
+les attributs du luxe oriental. Les coupes d'or ont pu aussi opérer
+quelque enchantement sur vos idées. Avouez-le; ne vous représentez-vous
+pas--
+
+Les portes demi-ouvertes donnant sur de longues galeries où l'on ne
+saurait décrire tout ce que l'œil rencontre d'élégance et de grandeur;
+l'orgueil de la Turquie et de la Perse: des coussins jetés sur des
+coussins, des tapis sur des tapis, d'immenses ottomanes, des oreillers
+innombrables pour relever la tête, de manière que chaque appartement
+paraît un lit grand et moëlleux?
+
+»Vous verrez bientôt pourquoi j'ai différé jusqu'à ce moment; apprenez
+que les plantes aromatiques dont je viens de vous parler ne sont ni plus
+ni moins que quelques pauvres géraniums et quelques baumes grecs, et que
+la chambre dans laquelle se tiennent ces dames est presque dégarnie de
+meubles, que les murs n'en ont été ni peints ni décorés par une main
+habile. Que serait-il advenu de mes grâces, si je vous avais dit plus
+tôt qu'une seule chambre est tout le logement qu'elles possèdent, à
+l'exception d'un petit cabinet et d'une petite cuisine? Vous voyez
+combien j'ai pris soin que la première impression leur fût avantageuse;
+non qu'elles ne méritent toute espèce d'éloges, mais parce qu'il est
+dans la nature auguste et fière de l'homme de faire peu de cas du mérite
+et même de la beauté, si ces avantages ne sont pas relevés d'un peu de
+pompe mondaine. Maintenant je vais vous communiquer un secret, mais
+confidentiellement et à voix basse.
+
+»Ces dames, depuis la mort du vice-consul leur père, n'ont pas d'autres
+ressources pour exister que de louer à des étrangers la chambre et le
+cabinet que nous occupons dans ce moment; mais quoiqu'elles soient si
+pauvres, leur vertu n'est pas moins remarquable que leur beauté.
+
+»Et toutes les richesses de l'Orient ou tous les vers flatteurs du
+premier poète de l'Angleterre ne pourraient les rendre aussi réellement
+dignes d'amour et d'admiration[127].»
+
+ [Note 127: _Voyages en Italie, en Grèce_, etc., par H. W.
+ Williams.]
+
+Dix semaines s'étaient rapidement passées, quand l'offre inattendue d'un
+passage à bord d'une corvette anglaise détermina nos voyageurs à se
+préparer immédiatement au départ; et le 5 mars, ils quittèrent Athènes,
+quoique avec beaucoup de regret. «Après avoir passé, dit encore M.
+Hobhouse, par la porte qui conduit au Pyrée, nous lançâmes nos chevaux
+au galop dans le bois d'oliviers sur la route de Salamine, espérant par
+notre précipitation étourdir un peu la douleur du départ. Nous ne
+pouvions nous empêcher de regarder derrière nous en nous rendant au
+rivage, et nous continuâmes de fixer les yeux sur le point où à travers
+la clairière du bois, nous avions entrevu pour la dernière fois le
+temple de Thésée et les ruines du Parthénon; nous continuâmes ainsi
+plusieurs minutes après que la ville et l'Acropolis eurent entièrement
+disparu à notre vue.»
+
+À Smyrne, Lord Byron se logea dans la maison du consul général, et y
+demeura jusqu'au 11 avril, excepté deux ou trois jours qu'il employa à
+visiter les ruines d'Éphèse. Ce fut à cette époque qu'il termina les
+deux premiers chants de _Childe Harold_, comme on le voit par une note
+écrite de sa main sur le manuscrit original de ce poème: «Commencé le 31
+octobre 1809, à Janina en Albanie; fini le second chant, à Smyrne, le 28
+mars 1810.--BYRON.»
+
+La seule lettre un peu intéressante, datée de Smyrne, que je puisse
+offrir au lecteur, est la suivante:
+
+
+
+
+LETTRE XLI.
+
+À MRS. BYRON.
+
+Smyrne, 19 mars 1810.
+
+
+MA CHÈRE MÈRE,
+
+«Je ne puis pas vous écrire une longue lettre; mais comme je crois que
+vous ne serez pas fâchée de savoir où j'en suis de mes voyages, je vous
+prie d'accepter le peu de détails que je puis vous donner. J'ai traversé
+la plus grande partie de la Grèce, outre l'Épire, etc.; j'ai résidé dix
+semaines à Athènes, et je me rends maintenant à Constantinople par la
+route d'Asie. Je viens de visiter les ruines d'Éphèse, à une journée de
+Smyrne. J'espère que vous avez reçu une longue lettre que je vous ai
+écrite d'Albanie, où je vous donnais quelques détails sur la réception
+que m'a faite le pacha de cette province.
+
+»C'est en arrivant à Constantinople que je déciderai si je dois aller
+jusqu'en Perse, ou revenir sur mes pas. Je ne prendrai ce dernier parti
+que si je ne puis l'éviter. Mais je n'entends pas parler de M. H..., et
+je n'ai reçu de vous qu'une seule lettre. J'aurai besoin de fonds, soit
+que j'avance ou que je revienne. Je lui ai écrit plusieurs fois, pour
+qu'il ne prétende pas, pour s'excuser, qu'il ne connaissait pas ma
+situation. Je ne puis encore vous rien dire sur quoi que ce soit; le
+tems et l'occasion me manquent, car la frégate repart immédiatement. Il
+est vrai que plus je vais, plus ma paresse augmente; et mon aversion
+pour tout commerce épistolaire s'accroît de jour en jour. Je n'ai écrit
+à personne qu'à vous et à M. H..., et c'est moins par inclination que
+par devoir et par nécessité.
+
+»F*** est fort dégoûté par les fatigues, quoiqu'il n'en ait point enduré
+que je n'aie partagées. C'est une pauvre créature. Les domestiques
+anglais sont en vérité de détestables voyageurs. J'ai avec lui deux
+soldats albanais et un interprète grec, tous parfaits dans leur genre.
+La Grèce est délicieuse, surtout dans les environs d'Athènes. Partout
+des cieux sans nuages et des paysages charmans. Mais je dois remettre à
+notre première entrevue tout récit de mes aventures. Je ne tiens pas de
+journal, mais mon ami H... ne cesse d'écrire. Prenez soin, je vous prie,
+de Murray et de Robert, et dites à ce dernier qu'il est fort heureux
+pour lui qu'il ne m'ait pas accompagné en Turquie. N'attribuez cette
+lettre qu'au désir de vous assurer que je suis sain et sauf, et
+croyez-moi, etc.»
+
+BYRON.
+
+Le 11 avril, il partit de Smyrne sur la frégate _la Salsette_, qui avait
+reçu l'ordre de se rendre à Constantinople, pour ramener l'ambassadeur,
+M. Adair, en Angleterre; et après avoir exploré les ruines de la Troade,
+il arriva aux Dardanelles au commencement du mois suivant. Il écrivit
+les lettres qu'on va lire, à ses amis, MM. Drury et Hodgson, pendant que
+la frégate était à l'ancre dans ce détroit.
+
+
+
+
+LETTRE XLII.
+
+À M. DRURY.
+
+A bord de la _Salsette_, 3 mai 1810.
+
+
+MON CHER DRURY,
+
+«Lorsque je quittai l'Angleterre, il y a bientôt un an, vous me priâtes
+de vous écrire. C'est ce que je me propose de faire. J'ai traversé le
+Portugal et le midi de l'Espagne, visité la Sardaigne, la Sicile, Malte,
+et de là j'ai poussé jusqu'en Turquie, où je suis encore à rôder.
+Débarqué d'abord en Albanie, l'Épire d'autrefois, j'ai pénétré jusqu'au
+mont Tomarit, parfaitement accueilli par le gouverneur, Ali-Pacha; et,
+après avoir parcouru l'Illyrie, la Chaonie, etc., j'ai traversé le golfe
+d'Actium avec une garde de cinquante Albanais, et passé l'Achéloüs pour
+me rendre en Étolie par l'Acarnanie.
+
+»Après un court séjour en Morée, nous avons traversé le golfe de
+Lépante, pris terre au pied du Parnasse, vu tout ce qui reste de
+Delphes, et continué ainsi jusqu'à Thèbes et Athènes, dans la dernière
+desquelles nous avons passé deux mois et demi.
+
+»Le vaisseau de S. M. _le Pylade_ nous a transportés à Smyrne; mais nous
+avions auparavant étudié la topographie de l'Attique, sans oublier
+Marathon et le promontoire de Sunium. Après Smyrne, notre second relai
+fut la Troade, que nous visitâmes tandis que le navire était à l'ancre,
+où il resta pendant quinze jours, vis-à-vis la tombe d'Antiloque.
+Maintenant nous voilà dans les Dardanelles, en attendant le vent pour
+nous rendre à Constantinople.
+
+»Ce matin, j'ai parcouru à la nage le trajet de Sestos à Abydos. La
+distance directe n'est pas de plus d'un mille; mais, en raison du
+courant, la traversée n'est pas sans danger; il y en a même assez pour
+que je doute que l'affection conjugale de Léandre n'ait pas été un peu
+refroidie par le passage.
+
+»Je l'essayai il y a huit jours, mais je n'y pus réussir, à cause du
+vent du Nord et de l'étonnante rapidité du courant, quoique j'aie
+toujours été, depuis mon enfance, un rude nageur. Mais ce matin, par un
+tems plus calme, j'y suis parvenu, et j'ai traversé le _large
+Hellespont_ en une heure dix minutes.
+
+»Eh bien, mon cher monsieur, j'ai quitté mon foyer, et visité quelques
+parties de l'Afrique et de l'Asie, outre une raisonnable portion de
+l'Europe. J'ai vécu avec des généraux et des amiraux, des princes et des
+pachas, des gouverneurs et des _ingouvernables_; mais je n'ai ni tems ni
+papier pour m'étendre. Je suis bien aise de vous dire que je conserve
+pour vous des souvenirs d'amitié, et que je vis dans l'espérance de vous
+revoir un jour; et si je vous écris aussi brièvement que possible,
+attribuez-le à tout autre cause qu'à l'oubli.
+
+»Vous connaissez trop bien la Grèce ancienne et moderne pour qu'il soit
+besoin de vous la décrire. J'ai, il est vrai, mieux vu l'Albanie
+qu'aucun autre Anglais, que je sache, excepté un M. Leake; car c'est un
+pays que l'on visite rarement, à cause du caractère farouche des
+_natifs_; il offre cependant plus de beautés pittoresques que les
+contrées classiques de la Grèce, malgré toutes les merveilleuses beautés
+de ces dernières, surtout vers Delphes et le cap Colonne en Attique.
+Elles sont loin néanmoins d'égaler certaines parties de l'Illyrie et de
+l'Épire, où des lieux sans nom et des rivières oubliées sur la carte et
+un jour peut-être mieux appréciées, obtiendront des peintres et des
+poètes la préférence sur les rigoles desséchées de l'Ilyssus, et les
+fondrières de la Béotie.
+
+»La Troade offre un champ vaste aux faiseurs de conjectures et aux
+tireurs de bécassines; un bon chasseur et un savant ingénieux peuvent
+sur ce terrain exercer avec grand avantage leurs jambes et leur
+entendement; ou, s'ils préfèrent aller à cheval, ils peuvent s'y tromper
+de route, comme cela m'est arrivé, et s'embourber dans un maudit
+marécage formé par le Scamandre, qui serpente deçà et delà comme si les
+vierges troyennes allaient encore lui apporter leur tribut accoutumé. Il
+n'existe aujourd'hui d'autres vestiges de Troie, ou de ses destructeurs,
+que les tertres qui renferment, à ce que l'on suppose, les squelettes
+d'Achille, d'Antiloque, d'Ajax, etc. Mais le mont Ida lève encore son
+front superbe; quoique les bergers de nos jours ne ressemblent guère à
+Ganymède. Mais à quoi bon vous parler plus long-tems de choses qui sont
+décrites tout au long dans le _book of Gell_? Et H*** n'a-t-il pas écrit
+un journal? Quant à moi, je n'en tiens pas; car j'ai renoncé à tout
+griffonnage. Je ne vois pas grande différence entre les Turcs et nous,
+si ce n'est qu'ils n'ont pas de _culottes_, et que nous en avons; qu'ils
+portent des habits longs, et nous des habits courts; qu'ils parlent peu,
+et nous beaucoup. Ce sont des gens fort raisonnables. Ali-Pacha m'a dit
+qu'il était sûr que j'étais né dans un rang élevé, par ce que j'ai les
+oreilles et les mains petites et des cheveux bouclés. Je vous dirai, en
+passant, que je parle passablement le romaïque ou grec moderne: il ne
+diffère pas des anciens dialectes autant que vous pourriez le penser;
+mais la prononciation en est diamétralement opposée. Quant à la poésie,
+si elle n'est rimée, ils n'en ont pas la moindre idée.
+
+»J'aime les Grecs. Ce sont des fripons adroits qui ont tous les vices
+des Turcs, sans avoir leur courage. Quelques-uns cependant sont braves:
+tous sont beaux, et ressemblent beaucoup au buste d'Alcibiade. Les
+femmes sont un peu moins belles. Je sais jurer en turc; mais, excepté un
+effroyable jurement et les mots qui signifient entremetteur, pain et
+eau, je connais peu le vocabulaire de cette langue. Ils sont extrêmement
+polis envers les étrangers de tout rang, pourvu qu'ils soient
+convenablement protégés; et comme j'ai deux domestiques et deux soldats,
+nous faisons grand fracas. Nous avons parfois couru risque d'être
+dévalisés, et une fois de faire naufrage; mais nous nous en sommes tirés
+le mieux du monde.
+
+»À Malte, j'ai été fort épris d'une femme mariée, et j'ai provoqué un
+aide-de-camp du général ***, grossier personnage, qui s'était offensé de
+quelque chose, je n'ai jamais bien su de quoi; mais il donna des
+explications, fit des excuses, la dame s'embarqua pour Cadix, et
+j'échappai ainsi à l'accusation de meurtre et d'adultère. J'ai envoyé
+quelques détails sur l'Espagne à notre ami Hodgson; mais depuis ce
+tems-là je n'ai écrit à personne, excepté quelques billets à des parens
+et à des gens de loi, pour m'en débarrasser. Je me propose de rompre
+tout commerce, à mon retour, avec plusieurs de mes meilleurs amis, que
+je regarde au moins comme tels, et de gronder toute ma vie. Mais
+j'espère, avant de me faire tout-à-fait cynique, rire encore de bon cœur
+avec vous, embrasser Dwyer, et trinquer avec Hodgson.
+
+»Dites au docteur Butler que je me sers en ce moment de la plume d'or
+qu'il me donna avant mon départ: c'est pour cela que ma pancarte est
+moins lisible qu'à l'ordinaire. J'ai été à Athènes, et j'ai vu des
+gerbes de ces roseaux à écrire dont il refusa de me donner quelques-uns,
+parce que le topographe Gell les avait apportés de l'Attique. Mais vous
+n'aurez pas de descriptions, non; vous voudrez bien vous contenter de
+quelques détails jusqu'à mon retour. Mais alors nous ouvrirons toutes
+les écluses de la conversation. Je suis sur une frégate de trente-six,
+qui va chercher Rob Adair à Constantinople: c'est lui qui aura l'honneur
+de vous porter cette lettre.
+
+»Ainsi donc le livre de H***[128] a pris son essor avec quelques
+sentimentales chansonnettes de ma façon, pour remplir le volume. Quel
+succès a-t-il, eh? et où diable en est la seconde édition de ma satire
+avec les additions, et mon nom au bas du titre, et les vers nouveaux
+cloués à la fin, et un nouvel exorde, et je ne sais quoi encore, le tout
+sorti tout chaud de mon atelier avant que j'eusse franchi la Manche? La
+Méditerranée et l'Atlantique étendent leurs flots entre la critique et
+moi; et les mugissemens de l'Hellespont couvrent le bruit des foudres de
+la _Revue hyperboréenne_.
+
+ [Note 128: Les mélanges auxquels j'ai renvoyé plusieurs
+ fois.]
+
+«Rappelez-moi au souvenir de Claridge, s'il n'est pas rentré au collége,
+et présentez à Hodgson les assurances de ma haute considération. Vous
+allez me demander ce que je me propose de faire; et je vais vous
+répondre que je n'en sais rien. Il est possible que je m'en retourne
+dans quelques mois; mais j'ai des desseins et des projets pour le tems
+qui suivra mon séjour à Constantinople. Cependant Hobhouse sera
+probablement de retour en septembre.
+
+«Le 2 juillet, il y aura un an que nous sommes partis d'Albion,
+_oblitusque meoruni obliviscendus et illis_. J'étais las de mon pays, et
+fort peu prévenu en faveur de tout autre; mais _je traîne ma chaîne sans
+l'alonger, en changeant de lieu_. Je suis comme le joyeux meunier qui ne
+se souciait de personne, et dont personne ne se souciait. À mes yeux
+tout pays en vaut à peu près un autre. Je fume, j'ouvre de grands yeux
+pour mieux voir les montagnes, et je relève ma moustache avec une fière
+indépendance. Nulle privation ne m'afflige, et les moustiques qui
+martyrisent le corps maladif de H*** ne font, par bonheur, aucun effet
+sur le mien, parce que je vis avec plus de tempérance.
+
+»Dans mon catalogue j'ai oublié Éphèse, que j'ai visitée pendant mon
+séjour à Smyrne; mais le temple est presque entièrement détruit, et il
+serait bien superflu que saint Paul se donnât la peine d'adresser de
+nouvelles épîtres à la race actuelle des Éphésiens, qui ont converti en
+mosquée une vaste église construite entièrement en marbre; et je ne me
+suis pas aperçu que l'édifice en fît plus mauvaise figure.
+
+»Mon papier est rempli, mon encre est épuisée; bon soir! Si vous
+m'adressez une lettre à Malte, on me la fera parvenir quelque part que
+je sois. H*** vous fait ses complimens. Il soupire pour sa poésie, au
+moins pour en avoir quelques nouvelles. J'oubliais presque de vous dire
+que je meurs d'amour pour trois jeunes Athéniennes qui sont sœurs. Je
+logeais dans la même maison qu'elles. Ces divinités se nomment Thérésa,
+Mariana et Katinka[129]: aucune des trois n'a encore quinze ans.
+
+»Votre τατεινοτατος δουλος[130].»
+
+BYRON.
+
+ [Note 129: Il a adopté ce nom dans la description du sérail,
+ ch. VI, de _Don Juan_. Ce fut, si j'ai bonne mémoire, en
+ faisant la cour à une de ces jeunes filles qu'il lui donna
+ une marque d'amour fort en usage dans le levant, en se
+ faisant, avec son poignard, une blessure à la poitrine. La
+ jeune Athénienne, à ce qu'il m'a raconté, conserva tout son
+ sang-froid durant cette opération, qu'elle regardait comme un
+ juste tribut offert à sa beauté; mais elle n'en fut pas plus
+ disposée à lui être favorable.]
+
+ [Note 130: Très-humble serviteur.]
+
+
+
+
+LETTRE XLIII.
+
+À M. HOGDSON.
+
+À bord de la _Salsette_, détroit des Dardanelles, à la hauteur d'Abydos,
+le 5 mai 1810.
+
+
+«Je suis en route pour Constantinople, après avoir parcouru la Grèce,
+l'Épire, etc., et une partie de l'Asie Mineure, voyage dont je viens de
+communiquer quelques particularités à H. Drury, notre ami et notre hôte.
+Je m'abstiendrai donc de vous les répéter; mais comme vous serez
+peut-être bien aise d'apprendre que je me porte bien, etc., je saisis
+l'occasion du retour de notre ambassadeur pour vous adresser le peu de
+lignes que j'ai le tems d'écrire à la hâte. Nous avons éprouvé quelques
+inconvéniens et couru quelques périls, mais il ne nous est rien arrivé
+d'assez intéressant pour vous en entretenir, à moins que vous ne jugiez
+digne de votre attention le trajet de Sestos à Abydos, que j'ai fait à
+la nage, il y a deux jours. Si vous y joignez quelques alertes données
+par les voleurs, la crainte d'un naufrage sur une galère turque, il y a
+six mois, ma visite à un pacha, ma passion pour une femme mariée, à
+Malte, un défi à un officier, mes amours avec trois jeunes Athéniennes,
+avec une profusion de bouffonneries, et de beaux points de vue, vous
+connaîtrez tous les événemens qui, depuis mon départ d'Espagne, ont
+marqué ce voyage.
+
+»H*** fait des vers et écrit son journal; moi, je regarde et ne fais
+rien; à moins qu'on ne considère la distraction de fumer comme un
+amusement actif. Les Turcs surveillent trop leurs femmes pour qu'il soit
+possible de les observer beaucoup. Mais j'ai vécu avec bon nombre de
+Grecs, dont je connais le dialecte tout autant qu'il m'est nécessaire
+pour converser un peu. J'ai fait aussi parmi les Turcs quelques
+connaissances, en hommes. Quant à la société des femmes, il n'y faut pas
+penser. J'ai été fort bien reçu par les gouverneurs et les pachas, et je
+n'ai pas la moindre raison de me plaindre. Hobhouse quelque jour vous
+racontera toutes nos aventures. Si j'en essayais le récit, ni mon papier
+ni votre patience ne pourraient y suffire.
+
+»Personne, si ce n'est vous, ne m'a écrit depuis que j'ai quitté
+l'Angleterre; il est vrai que je ne l'avais pas demandé. J'excepte mes
+parens, qui m'écrivent tout aussi souvent que je le désire. Je ne sais
+rien de l'ouvrage d'Hobhouse, sinon qu'il a paru. C'est plus que je n'en
+sais de ma seconde édition; et certainement, à une pareille distance, je
+ne m'en inquiète que médiocrement........................... J'espère
+que vos publications et celles de Bland s'écoulent avec rapidité.
+
+»Je ne puis vous parler d'une manière certaine de l'époque de mon
+retour; mais je regarde comme probable que Hobhouse me précédera. Nous
+sommes absens depuis près d'un an. Je désirerais en employer au moins un
+autre à mes observations dans ces climats toujours verts; cependant je
+crains que des affaires, et des affaires litigieuses, qui sont bien ce
+qu'il y a de pire au monde, ne me rappellent avant ce tems, si ce n'est
+même beaucoup plus tôt. S'il en est ainsi, je vous en préviendrai.
+
+»J'espère que vous remarquerez en moi quelques changemens, je ne veux
+pas dire au physique, mais au moral; car je commence à m'apercevoir que
+sans la vertu ce monde maudit n'est pas tenable. Je suis passablement
+dégoûté du vice, que j'ai étudié dans ses plus agréables variétés, et je
+me propose, à mon retour, de rompre avec tous mes débauchés d'amis, de
+renoncer au vin, aux inclinations charnelles, et de me livrer à la
+politique et au décorum. Je suis sérieux, cynique et assez bien disposé
+à faire de la morale; mais heureusement pour vous, l'homélie dont vous
+étiez menacé est coupée court par le mauvais état de ma plume et le
+manque de papier.
+
+»Bonjour. Si vous m'écrivez, adressez vos lettres à Malte, d'où l'on me
+les fera parvenir. Ne me rappelez au souvenir de personne; mais
+croyez-moi bien sincèrement votre, etc.»
+
+BYRON.
+
+Arrivé à Constantinople le 14 mai, il adressa à Mrs. Byron quatre ou
+cinq lettres, et dans presque toutes il parle du succès avec lequel il a
+traversé l'Hellespont à la nage. L'excessive vanité qu'il tirait de
+cette prouesse classique (dont il a fort au long lui-même détaillé les
+particularités) peut être mise au nombre des preuves de cet enfantillage
+de caractère qui l'accompagna jusque dans un âge plus mûr, et qui, tout
+en embarrassant ceux qui jugeaient de loin sa conduite, n'était pas,
+pour ceux qui vivaient dans son intimité, une de ses singularités les
+moins intéressantes. Onze ans encore après cette époque, si quelque
+sceptique voyageur se hasardait à mettre en doute la possibilité de
+l'exploit de Léandre, Lord Byron, avec cette susceptibilité sur son
+courage personnel, qu'il conservait depuis son enfance, se lançait dans
+la discussion avec une nouvelle chaleur, et citait deux ou trois autres
+exemples de ce qu'il avait fait comme nageur, pour confirmer ses
+premières assertions[131].
+
+ [Note 131: Il citait entre autres son passage du Tage en
+ 1809, que M. Hobhouse a décrit de la manière suivante:
+
+ «Mon compagnon de voyage avait déjà précédemment exécuté une
+ traversée plus périlleuse, quoique moins célèbre; car je me
+ rappelle qu'à l'époque où nous étions en Portugal, il nagea
+ depuis le vieux Lisbonne jusqu'au château de Belem; et comme
+ il avait à lutter contre la marée et le courant opposé du
+ fleuve, le vent étant fort vif, il lui fallut près de deux
+ heures pour aller d'un bord à l'autre. Il ne resta dans l'eau
+ qu'une heure et dix minutes, en nageant de Sestos à Abydos.
+ En 1808, il faillit se noyer à Brighton, en se baignant avec
+ M. L. Stanhope, son ami. M. Hobhouse et d'autres spectateurs
+ envoyèrent à eux des bateliers, qui s'attachèrent des cordes
+ autour du corps, et qui réussirent enfin à retirer Lord Byron
+ et M. Stanhope de la lame, et leur sauvèrent ainsi la vie.»]
+
+Dans une de ses lettres à sa mère, datée de Constantinople, le 24 mai,
+il revient sur ce notable exploit, et se représente comme l'humble
+imitateur de Léandre; et pourtant, ajoute-t-il, je n'avais pas de Héro
+pour m'accueillir sur l'autre rive. Puis il continue ainsi:
+
+«Lorsque notre ambassadeur obtiendra son audience de congé, je
+l'accompagnerai pour voir le sultan, après quoi je retournerai
+probablement en Grèce. Je n'ai rien reçu de M. Hanson, si ce n'est une
+traite, mais sans aucune lettre de ce juridique gentleman. Si vous avez
+besoin de fonds, servez-vous, je vous prie, des miens, tant qu'il y en
+aura, sans aucune réserve; et dans la crainte que cela ne suffise pas,
+j'inviterai M. Hanson, dans ma prochaine lettre, à vous avancer toutes
+les sommes qui pourraient vous être nécessaires. Je m'en remets à votre
+discrétion pour juger de ce que vous pouvez convenablement demander
+d'après l'état actuel de mes affaires. J'ai déjà visité les lieux les
+plus intéressans de la Turquie d'Europe et de l'Asie Mineure; mais je
+n'irai pas plus loin avant d'avoir reçu des nouvelles d'Angleterre. En
+attendant je compte sur des rentrées toutes les fois que les occasions
+de m'en faire parvenir se présenteront; et je passerai l'été au milieu
+de mes amis, les Grecs de la Morée.»
+
+Alors il ajoute avec cette bienveillante sollicitude dont il ne
+s'écartait jamais envers les domestiques qu'il préférait: «Prenez soin,
+je vous prie, de mon jeune Robert et du vieux Murray. Il est heureux
+qu'ils s'en soient retournés; ni la jeunesse de l'un ni les années de
+l'autre n'auraient pu s'accommoder aux changemens de climat et à la
+fatigue du voyage.»
+
+
+
+
+LETTRE XLIV.
+
+À M. HENRY DRURY.
+
+Constantinople, 17 juin 1810.
+
+
+«Quoique ma dernière lettre soit d'une date bien récente, je reviens à
+la charge pour vous féliciter de la naissance de votre enfant; une
+lettre d'Hodgson m'a informé de cet événement dont je me réjouis avec
+vous.
+
+»Je suis à peine de retour d'une expédition, par le Bosphore, à la mer
+Noire et aux Symplegades Cyanéennes. J'ai gravi jusqu'à la cime de ces
+dernières en m'exposant à autant de dangers qu'en aient jamais bravé les
+Argonautes dans leur lougre. Vous rappelez-vous le commencement des
+lamentations de la nourrice dans Médée? je vous en adresse la traduction
+que j'ai faite au somme de ces montagnes:
+
+Oh! plût au ciel qu'un bon embargo eût retenu le navire _Argo_ dans le
+port, et qu'en restant toujours dans les chantiers de Grèce il n'eût
+jamais dépassé les roches d'Azur! mais, hélas! je crains que son voyage
+ne soit la cause de quelque méchef pour ma chère miss Médée[132].
+
+ [Note 132:
+
+ Oh! how I wish that an embargo
+ Had kept in port the good ship _Argo_
+ Who, still unlaunch'd from Grecian docks
+ Had never pass'd the Azure rocks!
+ But now I fear her trip will be a
+ Damn'd business for my miss Medea, etc.]
+
+»Peu s'en est fallu qu'il n'en fût ainsi pour moi.
+
+Car si je n'avais pas eu ce sublime passage dans la tête, je n'aurais
+jamais songé à grimper sur les susdites roches, où j'ai failli me rompre
+les os pour le plus grand honneur de l'antiquité.
+
+»Ainsi donc je me suis assis sur les Cyanées, j'ai nagé de Sestos à
+Abydos (comme je vous l'ai pompeusement annoncé dans ma dernière), et
+après avoir de nouveau traversé la Morée, je m'embarquerai pour
+Sainte-Maure, et j'irai faire le saut de Leucade. Si je survis à cette
+épreuve, je vous rejoindrai probablement en Angleterre. H..., qui vous
+remettra cette lettre, s'y rend en droite ligne; et comme ses voyages
+lui sortent par tous les pores, je n'anticiperai pas sur ses récits:
+seulement je vous prie de ne pas croire un mot de tout ce qu'il vous
+dira, mais de me réserver votre attention si vous avez quelque désir
+d'apprendre la vérité.
+
+«Je vais retourner à Athènes, et de là passer en Morée; mais la durée de
+mon séjour dépend tellement de mon caprice que je n'ai rien de probable
+à vous en dire. Mon absence date déjà d'un an; elle peut se prolonger
+d'un autre, mais je suis comme du vif-argent, et je ne peux rien
+affirmer. Nous sommes tous en ce moment fort occupés à ne rien faire.
+Nous avons tout vu, excepté les mosquées que nous devons visiter mardi
+prochain au moyen d'un firman. H... pourra vous les décrire ainsi que
+divers autres objets curieux, à condition que c'est à _moi_ qu'on
+s'adressera pour constater sa véracité, et je me réserve de contredire
+tous les détails auxquels il attache le plus d'importance. Mais s'il se
+lance parfois dans le bel esprit, je vous permets de l'applaudir, parce
+qu'il en aura nécessairement dérobé les traits les plus brillans à son
+compagnon de pélerinage. Dites à Davies que ses meilleures plaisanteries
+ont été fort heureusement reproduites par H... sur plus d'un vaisseau de
+Sa Majesté; mais ajoutez aussi que j'ai toujours soin de les rétablir au
+nom du légitime possesseur; d'où il suit que lui, Davies, n'est pas
+moins célèbre sur mer que sur terre, et règne sans rivaux aussi bien
+dans la cabine qu'à la taverne du _cocotier_.
+
+»Ainsi donc Hodgson a publié de nouvelles poésies. Je désirerais qu'il
+pût m'envoyer son _Sir Edgar_ et l'_Anthologie de Bland_, à Malte, d'où
+on me les ferait parvenir. Dans ma dernière; que vous avez reçue,
+j'espère, je traçais l'esquisse du terrain que nous avons parcouru. Si
+cette dépêche ne vous est pas parvenue, la langue d'H... est bien à
+votre service. Rappelez-moi au souvenir de Dwyer, qui me doit onze
+guinées. Dites-lui de les faire remettre à mon banquier à Gibraltar ou à
+Constantinople. Il me les a, je crois, déjà payées une fois; mais cela
+ne fait rien à l'affaire, attendu que c'était une rente annuelle.
+
+»Tâchez, je vous prie, de m'écrire. J'ai fréquemment reçu des nouvelles
+d'Hodgson. Malte est mon bureau de poste. Je compte vous revoir vers la
+prochaine réunion de Montem[133]; vous vous souvenez sûrement de celle
+de l'an dernier; j'espère qu'il en sera de même cette année; mais après
+avoir traversé _le vaste Hellespont_, je fais _fi_ de Datchett[134]. Bon
+soir. Je suis bien sincèrement, etc.»
+
+BYRON.
+
+ [Note 133: Réunion annuelle des élèves du collége
+ d'Eton-Montem, suivie d'une collecte dont le produit est
+ destiné à placer à l'université de Cambridge ou d'Oxford le
+ sujet le plus distingué d'entre eux.]
+
+ [Note 134: Allusion à une circonstance où il traversa la
+ Tamise à la nage, avec M. Drury, après le Montem, afin de
+ savoir combien de fois ils pourraient la traverser et la
+ retraverser sans toucher terre. Dans cette lutte, qui eut
+ lieu le soir, après souper, et lorsque tous deux étaient
+ échauffés par le vin, Lord Byron eut l'avantage.]
+
+Environ dix jours après la date de cette lettre, nous en trouvons une
+autre adressée à Mrs. Byron, laquelle, au milieu de plusieurs
+répétitions de faits déjà détaillés dans sa correspondance précédente,
+contient aussi un bon nombre de passages qui méritent d'en être
+extraits.
+
+
+
+
+LETTRE XLV.
+
+À MRS. BYRON.
+
+
+CHÈRE MÈRE,
+
+«M. Hobhouse, qui vous fera parvenir ou vous remettra cette lettre, et
+qui part pour retourner en Angleterre, pourra vous mettre au courant de
+nos divers changement de résidence; quant à moi, je suis fort incertain
+sur l'époque de mon retour. Il ira probablement dans le Nottingham un
+jour ou l'autre; mais Fletcher, que je renvoie parce qu'il m'embarrasse
+(les domestiques anglais sont de tristes voyageurs), Fletcher le
+remplacera par _interim_, et vous racontera nos voyages qui ont embrassé
+passablement d'espace...........................................
+
+»Je me rappelle que Mahmoud-Pacha, petit-fils d'Ali, pacha de Yanina
+(petit gaillard de dix ans, qui avait de grands yeux noirs, que nos
+dames paieraient bien cher, et ces traits réguliers qui distinguent la
+race turque), me demanda comment il se faisait que je me fusse mis à
+voyager si jeune, et sans avoir personne pour prendre soin de moi. Le
+petit bonhomme m'adressa cette question avec toute la gravité d'un homme
+de soixante ans.
+
+»Je ne peux pas aujourd'hui vous écrire bien longuement; je n'ai que le
+tems de vous dire que j'ai éprouvé bien des fatigues, mais jamais un
+moment d'ennui. La seule chose que je redoute, c'est de contracter le
+goût d'une vie errante, à la bohémienne, qui me rendra mon foyer
+insupportable. C'est, me dit-on, ce qui arrive fort souvent aux gens qui
+ont pris l'habitude des voyages; et, dans le fait, je commence à m'en
+apercevoir. Le 3 mai, j'ai passé à la nage de Sestos à Abydos. Vous
+connaissez l'histoire de Léandre; mais moi, je n'avais pas de Héro pour
+me recevoir sur la rive..........................
+
+«J'ai visité, en vertu d'un firman, toutes les principales mosquées. Il
+est rare qu'on accorde cette faveur à des infidèles; mais le départ de
+l'ambassadeur nous l'a fait obtenir. J'ai remonté par le Bosphore jusque
+dans la mer Noire, en faisant le tour des murs de la ville; et en
+vérité, j'en connais mieux l'aspect que celui de Londres. J'espère que,
+par quelque soirée d'hiver, je vous amuserai en vous en faisant la
+description; pour le moment, je vous prie de m'excuser si je m'en
+dispense. Je ne puis écrire de longues lettres en juin. Je retourne
+passer l'été en Grèce............................................
+
+»C'est une pauvre créature que Fletcher; il lui faudrait mille
+commodités dont je sais fort bien me passer. Il est furieusement las de
+ses voyages, et vous ferez bien de ne pas trop croire ce qu'il vous
+racontera de ce pays-ci. Il soupire après la bière, et l'oisiveté, et sa
+femme, et le diable sait quoi en outre. Pour mon compte, je n'ai éprouvé
+ni _désappointement_ ni dégoût. J'ai vécu avec des hommes du plus haut
+comme du plus bas rang; j'ai passé des journées dans le palais d'un
+pacha, et plus d'une nuit dans une étable; partout j'ai trouvé un peuple
+inoffensif et bienveillant. J'ai passé aussi quelque tems avec les Grecs
+les plus distingués de la Morée et de la Livadie; et quoiqu'ils ne
+vaillent pas les Turcs, j'en fais plus de cas que des Espagnols, qui, à
+leur tour, l'emportent sur les Portugais.
+
+»Vous trouverez dans les voyageurs mainte description de Constantinople;
+mais lady Wortley-Montague est tombée dans une étrange erreur, quand
+elle a dit que Saint-Paul ferait une singulière figure à coté de
+Sainte-Sophie. J'ai vu ces deux édifices, et j'en ai examiné avec
+beaucoup d'attention l'intérieur et l'extérieur. Sainte-Sophie, sans
+aucun doute, est le plus intéressant des deux, et par son immense
+antiquité, et parce que tous les empereurs grecs depuis Justinien y ont
+été couronnés, que plusieurs y ont été assassinés sur les marches mêmes
+de l'autel, et aussi parce que les sultans turcs s'y rendent
+régulièrement. Mais elle n'est ni aussi belle ni aussi grande que
+quelques autres mosquées, telles que celle de Soleyman, etc., et on ne
+peut la mettre en parallèle avec Saint Paul (j'en parle peut-être comme
+un cockney[135]). Néanmoins je préfère la cathédrale gothique de
+Séville, à Saint-Paul, à Sainte-Sophie et à tous les édifices religieux
+que j'aie jamais vus.
+
+ [Note 135: Sorte de sobriquet par lequel on désigne, en
+ Angleterre, les natifs de Londres.]
+
+»Les murs du sérail ressemblent à ceux des jardins de Newstead, un peu
+plus élevés cependant, et à peu près dans le même état de conservation.
+Mais la promenade en longeant les murs de la ville du côté de la terre,
+est d'une beauté remarquable. Figurez-vous quatre milles d'un triple
+rang d'immenses créneaux tapissés de lierre, surmontés de deux cent
+dix-huit tours, et de l'autre côté de la route, les sépultures turques
+(qui sont les lieux les plus charmans de la terre) ombragées par
+d'énormes cyprès.
+
+J'ai contemplé les ruines d'Athènes, d'Éphèse et de Delphes; j'ai
+traversé une grande partie de la Turquie, plusieurs autres contrées de
+l'Europe et quelques-unes de l'Asie; mais nul ouvrage de la nature ou de
+l'art ne produisit jamais sur moi autant d'impression que le point de
+vue qui se développe de chaque côté des Sept Tours jusqu'à l'extrémité
+de la Corne d'Or.
+
+»Parlons maintenant de l'Angleterre. J'apprends avec plaisir le succès
+des _Bardes anglais_, etc. Vous n'avez pu manquer d'observer les
+nombreuses additions que j'ai faites à l'édition nouvelle.
+
+»Avez-vous reçu mon portrait par Sanders, peintre à Londres, Vigo-Lane?
+Il était terminé et payé long-tems avant mon départ. Il me semble que
+vous aimez prodigieusement la lecture des _Magazines_; où déterrez-vous
+tant de nouvelles, de citations, etc.? Quoique je me trouve heureux
+d'avoir pu prendre mon rang à la Chambre sans le secours de lord
+Carlisle, je n'avais pas de ménagemens à garder envers un homme qui a
+refusé, dans cette circonstance, d'intervenir comme mon parent; et j'ai
+rompu sans retour avec lui, quoique je regrette d'affliger Mrs. Leigh.
+Pauvre femme! j'espère qu'elle est heureuse.
+
+»Mon avis est que M. B... doit épouser miss R... Notre premier devoir
+est de ne pas faire le mal; mais, hélas! cela n'est pas possible: le
+second est de le réparer, si nous en avons le pouvoir. Cette jeune fille
+est son égale; si elle ne l'était pas, une somme d'argent et l'entretien
+assuré à l'enfant feraient une sorte de compensation, quoique bien
+insuffisante; mais dans l'état des choses, son devoir est de l'épouser.
+Je ne veux pas de galans séducteurs sur mes domaines, et je n'accorderai
+pas à mes fermiers un privilége dont je m'abstiens moi-même, celui de
+débaucher les filles des uns et des autres. J'ai, Dieu le sait, bien des
+excès à me reprocher; mais comme j'ai pris la résolution de me réformer,
+et que je ne m'en suis pas écarté depuis quelque tems, je compte que ce
+Lothario suivra mon exemple, et commencera par rendre la jeune personne
+à la société; sinon, par la barbe de mon père! je jure qu'il s'en
+repentira.
+
+»Je vous prie de vous intéresser à Robert, à qui mon absence sera bien
+pénible. Le pauvre garçon! c'est bien malgré lui qu'il s'en est
+retourné.
+
+»J'espère que vous êtes bien portante et heureuse. J'aurai grand plaisir
+à recevoir de vos nouvelles.
+
+»Croyez-moi bien sincèrement, etc.
+
+BYRON.
+
+»_P. S._ Comment se porte Joe Murray? Je rouvre ma lettre pour vous dire
+que Fletcher m'ayant demandé de m'accompagner en Morée, je l'emmène avec
+moi, quoique je vous aie annoncé le contraire.»
+
+Le lecteur n'aura pas manqué, je l'espère, de remarquer la fin de cette
+lettre. L'énergie des sentimens moraux qui y sont exprimés si
+naturellement, semble le sûr garant d'un cœur dont le fond était pur,
+quoique les passions en eussent terni la surface. Quelques années plus
+tard, quand il eut contracté l'habitude de cette raillerie amère, dont,
+par malheur, il se plaisait à diriger les traits contre sa sensibilité
+et contre celle des autres, je ne sais, quoiqu'il fût encore animé des
+mêmes sentimens louables, si la fausse honte de passer pour vouloir se
+faire une réputation de vertu, n'en aurait pas arrêté la franche et
+honnête manifestation.
+
+L'extrait suivant, tiré d'une communication adressée à un recueil
+mensuel très-estimé, par un voyageur qui, à cette époque, rencontra Lord
+Byron à Constantinople, me paraît être assez authentique pour que je le
+présente, sans hésiter, à mes lecteurs.
+
+«Nous fûmes interrompus dans notre discussion par l'entrée d'un
+étranger, qu'au premier coup-d'œil je crus reconnaître pour un Anglais,
+mais qui devait n'être arrivé que depuis peu à Constantinople. Il était
+vêtu d'un habit écarlate, richement brodé en or, dans le genre de
+l'uniforme des aides-de-camp en Angleterre, avec deux grosses
+épaulettes. Sa figure annonçait environ vingt-deux ans. Ses traits,
+d'une délicatesse remarquable, lui auraient donné une apparence
+féminine, sans l'expression toute virile de ses beaux yeux bleus. En
+entrant dans la boutique intérieure, il ôta son chapeau militaire orné
+d'un panache, et découvrit une forêt de cheveux bruns bouclés qui
+relevaient encore la beauté peu commune de son visage. L'ensemble de son
+extérieur me fit une telle impression, qu'elle est toujours depuis
+restée profondément gravée dans ma mémoire; et quoique ce soit un
+souvenir de quinze ans, ce laps de tems n'en a pas altéré la vivacité.
+Il était accompagné d'un janissaire attaché à l'ambassade anglaise et
+d'un homme qui, par état, servait de _Cicerone_ aux étrangers. Ces
+circonstances, jointes à ce qu'il boitait très-visiblement, me
+convainquirent à l'instant que c'était Lord Byron. J'avais déjà entendu
+parler de Sa Seigneurie et de son arrivée récente sur la frégate _la
+Salsette_, qui s'était détachée de la station de Smyrne pour venir
+prendre et emmener M. Adair, notre ambassadeur près de la Porte. Lord
+Byron avait auparavant voyagé en Épire et dans l'Asie Mineure avec son
+ami M. Hobhouse, et était devenu grand fumeur de tabac. Il s'était fait
+conduire à cette boutique dans le dessein d'y acheter quelques pipes.
+L'italien assez mauvais dont il se servait en parlant à son cicerone, et
+le turc encore plus imparfait de celui-ci, ne permettaient guère au
+marchand de comprendre facilement ce qu'ils désiraient; et comme
+l'étranger en paraissait contrarié, je lui adressai la parole en
+anglais, et m'offris à lui servir d'interprète. Quand il m'eut ainsi
+reconnu pour un Anglais, Lord Byron me serra cordialement la main, et
+m'assura, avec quelque chaleur, du grand plaisir qu'il éprouvait
+toujours lorsqu'il rencontrait un compatriote en pays étranger. Ses
+emplettes et les miennes étant terminées, nous sortîmes ensemble, et
+parcourûmes les rues, dans plusieurs desquelles j'eus le plaisir de
+diriger son attention vers quelques-unes des curiosités les plus
+remarquables de Constantinople. Les circonstances particulières qui nous
+avaient amenés à faire connaissance, firent naître entre nous, dès le
+premier jour, un certain degré d'intimité que très-probablement deux ou
+trois années de fréquentation n'auraient pas produit en Angleterre. Je
+prononçai souvent son nom en lui parlant, mais il ne lui vint pas à
+l'esprit de me demander comment j'avais pu l'apprendre, ni de s'informer
+du mien. Il n'avait pas encore jeté les fondemens de cette célébrité
+littéraire qu'il a acquise dans la suite; on ne le connaissait, au
+contraire, que comme auteur des _Heures d'oisiveté_; et la sévérité avec
+laquelle les rédacteurs de _la Revue d'Édimbourg_ avaient critiqué cette
+production, était encore présente au souvenir de tout lecteur anglais.
+On ne pouvait donc pas supposer qu'en recherchant sa connaissance je
+fusse poussé par aucun de ces motifs de vanité auxquels tant d'autres
+ont cédé depuis. Mais il était tout naturel qu'après notre rencontre
+fortuite et tout ce qui s'était passé entre nous à cette occasion, je
+priasse l'un des secrétaires de l'ambassade de me présenter à lui dans
+les formes, un jour de la même semaine, que nous dînions ensemble chez
+l'ambassadeur. Sa Seigneurie assura qu'elle se souvenait parfaitement de
+moi; mais ce fut avec une extrême froideur, et immédiatement après elle
+me tourna le dos. Ce procédé sans cérémonie qui contrastait d'une
+manière si prononcée avec les circonstances précédentes, me parut si
+étrange qu'il me fut impossible de me l'expliquer, et que je me sentis
+en même tems fort disposé à beaucoup rabattre de l'opinion favorable que
+son apparente franchise m'avait fait concevoir à notre première
+entrevue. Ce ne fut donc pas sans surprise que, quelques jours après, je
+le vis dans la rue s'avancer vers moi avec un sourire plein de
+bienveillance. Il m'aborda familièrement, et me dit en me tendant la
+main: «Je suis ennemi déclaré de l'étiquette anglaise, surtout hors
+d'Angleterre; et quand je fais une nouvelle connaissance, c'est sans
+attendre les formalités d'une présentation. Si vous n'avez rien à faire,
+et que vous soyez disposé à une autre promenade, votre société me fera
+beaucoup de plaisir.» Il mit dans sa manière d'agir cette irrésistible
+attraction dont ceux qui ont eu le bonheur d'être admis dans son
+intimité ont pu seuls éprouver la puissance dans ses momens de bonne
+humeur, et j'acceptai avec empressement sa proposition. Nous visitâmes
+de nouveau les curiosités les plus remarquables de la capitale, que je
+ne décrirai point ici pour ne pas répéter les détails pleins
+d'exactitude et de précision que des centaines de voyageurs en ont déjà
+donnés; mais Sa Seigneurie se trouva fort _désappointée_ par le peu
+d'intérêt qu'elles présentaient. Il loua les beautés pittoresques de la
+ville et des paysages qui l'environnent, et me parut d'avis que, cela
+excepté, rien n'était digne d'attirer l'attention d'un observateur. Il
+parla des Turcs de manière à faire supposer qu'il avait fait un long
+séjour parmi eux, et termina ses réflexions par ces mots: «Les Grecs,
+tôt ou tard, s'insurgeront contre eux; mais s'ils ne se hâtent pas,
+j'espère que Bonaparte viendra chasser cette inutile canaille[136].»
+
+ [Note 136: _New Monthly Magazine_.]
+
+Pendant sa résidence à Constantinople, le ministre d'Angleterre, M.
+Adair, se trouvant presque toujours indisposé, ne le vit que
+très-rarement. Il le pressa cependant avec instance de venir loger au
+palais de l'ambassade; mais Lord Byron, qui préférait la liberté dont il
+jouissait dans une simple hôtellerie, refusa ses offres hospitalières.
+
+Lors de l'audience de congé accordée à l'ambassadeur par le sultan, le
+noble poète, pour y assister, se mêla au cortége de M. Adair, non sans
+avoir témoigné, relativement à la place qu'il occuperait dans la marche,
+une anxiété bien caractéristique de sa jalouse susceptibilité toutes les
+fois qu'il s'agissait de son rang. En vain l'ambassadeur l'assura-t-il
+qu'on ne pouvait pas lui assigner une place particulière; que les Turcs,
+dans leurs dispositions relatives au cérémonial, ne tenaient compte que
+des personnes attachées à l'ambassade, et qu'ils négligeaient ou
+ignoraient les distinctions de préséance accordées chez nous à la
+noblesse. Enfin voyant que le jeune pair ne se laissait pas convaincre
+par ces raisons, M. Adair fut obligé d'en appeler à une autorité qui
+passait pour infaillible en matière d'étiquette; c'était le vieux
+internonce d'Autriche. Lord Byron l'ayant consulté sur ce point, et le
+trouvant entièrement d'accord avec le ministre d'Angleterre, déclara
+qu'il était parfaitement satisfait.
+
+Le 14 juillet, son compagnon de voyage et lui partirent de
+Constantinople, à bord de la frégate _la Salsette_; M. Hobhouse dans le
+dessein d'accompagner l'ambassadeur en Angleterre, et Lord Byron pour
+visiter de nouveau sa chère Grèce. M. Adair crut remarquer à cette
+époque qu'il était plongé dans un profond abattement d'esprit, et je
+trouve que M. Bruce, qui le rencontra plus tard à Athènes, en porta le
+même jugement. On m'a raconté, comme ayant eu lieu pendant cette
+traversée, une circonstance fort remarquable. En se promenant sur le
+pont, il aperçut un petit yataghan ou poignard turc, qu'on avait laissé
+sur un banc. Il le prit, le tira du fourreau, et après en avoir quelques
+instans examiné la lame, on l'entendit qui disait à demi-voix:
+«J'aimerais à savoir ce que ressent un homme après avoir commis un
+meurtre!» On peut, je crois, dans ce surprenant propos, découvrir le
+germe de ses poèmes futurs du _Giaour_ et de _Lara_. C'est cet ardent
+désir de soumettre à l'examen les opérations mystérieuses des passions,
+qui, secondé par son imagination, lui en donna enfin le pouvoir; et
+peut-être trouverait-on que les émotions qui produisirent ces paroles
+n'étaient que la première manifestation de cette faculté qui lui valut
+plus tard, à juste titre, le surnom de _Scrutateur des abymes du
+cœur_[137].
+
+ [Note 137: _Searcher of dark bosoms_.]
+
+En approchant de l'île de Zéa, il demanda à être mis à terre. En
+conséquence, après qu'il eut fait ses adieux à son ami, on le débarqua
+sur cette petite île avec ses deux Albanais, un Tartare et un domestique
+anglais. Il a décrit lui-même dans un de ses manuscrits, les sentimens
+de fierté solitaire avec lesquels, debout sur le rivage, il regarda le
+vaisseau s'éloigner à pleines voiles, le laissant seul sur une terre
+étrangère.
+
+Quelques jours après, il adressa d'Athènes la lettre suivante à Mrs.
+Byron:
+
+
+
+
+LETTRE XLVI.
+
+À MRS. BYRON.
+
+Athènes, 15 juillet 1810.
+
+
+CHÈRE MÈRE,
+
+«Je suis arrivé de Constantinople ici en quatre jours, ce que l'on
+considère comme une traversée extrêmement rapide, surtout dans cette
+saison de l'année. Vous autres habitans du nord, vous ne pouvez pas vous
+faire une idée de ce que c'est que l'été en Grèce; et pourtant un vrai
+tems de gelée en comparaison des étés de Malte et de Gibraltar, sous les
+ombrages desquels je me suis reposé l'année dernière, après un petit
+mouvement de galop de quatre cents milles, sans interruption, à travers
+l'Espagne et le Portugal. La date de ma lettre vous apprend que je suis
+de nouveau à Athènes, ville que je préfère, tout bien considéré, à
+toutes celles que je connais....
+
+«Pour première excursion, je pars demain pour la Morée, où je compte
+passer un mois ou deux, puis revenir prendre ici mes quartiers d'hiver,
+à moins que je ne change mes plans, à la vérité, fort variables, comme
+vous pouvez bien le supposer, mais dont aucun ne me dirige vers
+l'Angleterre.
+
+«Le marquis de Sligo, mon ancien camarade de collége, est ici, et désire
+m'accompagner en Morée. Ainsi nous partirons ensemble. Lord Sligo
+continuera ensuite sa route vers la capitale, et Lord Byron, après avoir
+examiné toutes les curiosités de ce canton, vous instruira de ce qu'il
+se propose de faire, car c'est un point sur lequel ses idées ne sont
+pas, pour le moment, parfaitement arrêtées. Malte est mon bureau de
+poste perpétuel; c'est de là que mes lettres sont dirigées vers tous les
+points de la terre habitable: remarquez en passant que j'ai déjà vu
+l'Asie, l'Afrique, le levant de l'Europe, et tiré le meilleur parti de
+mon tems, sans avoir pour cela examiné trop à la hâte les lieux les plus
+intéressans de l'ancien monde. F..., après avoir été grillé, rôti, cuit
+dans son jus; après avoir servi de pâture à toutes sortes d'insectes
+rampans, commence à philosopher; il se réforme et se résigne, et promet
+d'être à son retour un des ornemens de sa paroisse et un personnage fort
+saillant dans la généalogie des Fl.... qui tiennent, à mon avis, des
+Goths par leurs talens, des Grecs par leur pénétration, et des anciens
+Saxons par leur énorme appétit. Il me demande la permission d'envoyer
+une demi-douzaine de soupirs à Sally, son épousée, et s'émerveille, mais
+non pas moi, de ce que ses lettres, d'une écriture et d'une orthographe
+détestables, ne sont jamais parvenues en Angleterre. Au demeurant, ce
+n'est pas une grande perte que celle de ses lettres ou des miennes qui
+n'ont guère d'autre mérite que de vous apprendre, comme celle-ci, que
+nous nous portons bien, et chaudement, Dieu sait! Ne comptez pas, en
+cette saison, sur de longues lettres; car elles sont, je vous assure,
+écrites à la sueur de mon front. Il est passablement singulier que M.
+H.... ne m'ait pas adressé une syllabe depuis mon départ. Comme toutes
+vos lettres me sont parvenues ainsi que beaucoup d'autres, je conjecture
+que l'homme de loi est fâché ou qu'il a trop d'affaires.
+
+«J'espère que vous vous plaisez à Newstead, et que vous vivez en bonne
+intelligence avec vos voisins, quoique vous soyez un vrai dragon, comme
+vous savez; ne voilà-t-il pas une épithète bien respectueuse? Je vous
+prie d'avoir grand soin de mes livres, ainsi que de plusieurs boîtes
+remplies de papiers qui sont entre les mains de Joseph; et, s'il vous
+plaît, laissez-moi quelques bouteilles de champagne à boire, car je suis
+terriblement altéré. Je n'insiste pourtant sur ce dernier point
+qu'autant qu'il vous arrangera. Je suppose que vous avez une pleine
+maison de commères bien bavardes et bien médisantes. Avez-vous reçu mon
+portrait à l'huile par Sanders, de Londres? Il est payé depuis seize
+mois, pourquoi ne vous le faites-vous pas remettre? Ma suite, composée
+de deux Turcs, deux Grecs, un Luthérien et de l'équivoque Fletcher, fait
+un tel vacarme que je suis bien aise de finir en vous assurant que je
+suis, etc.»
+
+BYRON.
+
+Un jour ou deux après la date de cette lettre, il partit d'Athènes avec
+le marquis de Sligo. Après avoir voyagé de compagnie jusqu'à Corinthe,
+ils prirent chacun une direction différente; lord Sligo pour visiter la
+capitale de la Morée, et Lord Byron pour se rendre à Patras, où il
+avait, comme on le verra dans la lettre suivante, quelques affaires à
+régler avec le consul anglais, M. Strané.
+
+
+
+
+LETTRE XLVII.
+
+A MRS. BYRON.
+
+Patras, 30 juillet 1810.
+
+
+CHÈRE MADAME,
+
+«En quatre jours, avec un vent favorable, la frégate m'a transporté de
+Constantinople à l'île de Céos, où j'ai pris un bateau pour me rendre à
+Athènes. J'ai rencontré dans cette ville mon ami le marquis de Sligo qui
+m'a témoigné le désir de voyager avec moi jusqu'à Corinthe. Là, nous
+nous sommes séparés, lui pour aller à Tripolitza, et moi pour me rendre
+à Patras, où j'avais quelques affaires à régler avec le consul M.
+Strané, de la maison duquel je vous écris. Il m'a rendu tous les
+services possibles depuis que j'ai quitté Malte pour me rendre à
+Constantinople, d'où je vous ai écrit deux ou trois fois. J'irai dans
+quelques jours faire une visite au pacha de Tripolitza, puis je ferai le
+tour de la Morée, et je retournerai à Athènes, où j'ai fixé mon
+quartier-général. Nous éprouvons ici de violentes chaleurs. En
+Angleterre, quand le thermomètre s'élève à 98 degrés[138], vous êtes
+tout en feu; l'autre jour, tandis que j'allais d'Athènes à Mégare, il
+marquait 125 degrés: cependant je n'en suis pas incommodé. J'ai, comme
+cela doit être, le teint fort bruni; mais je vis avec une grande
+tempérance, et je ne me suis jamais mieux porté.
+
+ [Note 138: De Fahrenheit.]
+
+»Avant de quitter Constantinople, j'ai vu le sultan (avec M. Adair) et
+l'intérieur des mosquées, ce qui n'arrive que bien rarement aux
+voyageurs. M. Hobhouse est parti pour l'Angleterre; quant à moi, je ne
+me sens pas pressé d'en faire autant. Je n'ai rien de particulier à
+faire savoir dans votre pays, si ce n'est l'extrême surprise que me
+cause le silence de M. H... Je désire aussi qu'il m'adresse
+régulièrement des fonds. Je suppose qu'on a pris des arrangemens en ce
+qui regarde Wymondham et Rochdale. Adressez vos lettres à Malte ou à M.
+Strané, consul-général, à Patras, Morée. Vous vous plaignez de mon
+silence; mais je vous ai écrit vingt ou trente fois dans le courant de
+l'année dernière: jamais moins de deux fois par mois, et souvent
+davantage. Si mes lettres ne vous parviennent pas, il ne faut pas
+conclure qu'on nous a dévorés, ou que ce pays-ci est désolé par la
+guerre, la peste ou la famine: ne croyez pas non plus tous les bruits
+absurdes qui ne manquent sûrement pas de circuler dans le
+Nottinghamshire comme c'est l'usage. Je suis fort bien ici, ni plus ni
+moins heureux qu'à mon ordinaire; si ce n'est que je suis fort aise de
+me retrouver seul, car je commençais à me lasser de mon compagnon de
+voyage; non pas que j'eusse à m'en plaindre, mais parce que je suis
+naturellement porté vers la solitude, et que cette disposition prend de
+jour en jour plus de force. Si je le désirais, je ne manquerais pas de
+compagnons de voyage, il s'en présente tous les jours. L'un veut
+m'emmener en Égypte, l'autre en Asie, dont j'ai vu tout ce que j'en veux
+voir. Je connais déjà la plus grande partie de la Grèce, de sorte que je
+me contenterai de retourner aux lieux que j'ai déjà parcourus, de
+contempler mes mers et mes montagnes, seules connaissances dont j'aie
+jamais tiré quelque utilité.
+
+»J'ai une suite fort présentable; elle se compose d'un Tartare, de deux
+Albanais, d'un interprète et de Fletcher; mais dans ce pays-ci on en est
+quitte à peu de frais. Adair m'a fait un accueil merveilleux, et dans le
+fait je n'ai à me plaindre de personne. L'hospitalité ici est
+nécessaire, car on n'y voit point d'hôtelleries. J'ai logé chez des
+Grecs, des Turcs, des Italiens, des Anglais; aujourd'hui dans un palais,
+demain dans une étable; un jour avec le pacha, le suivant avec le
+berger. Je continuerai à vous écrire brièvement, mais fréquemment, et je
+suis toujours heureux d'apprendre de vos nouvelles; mais vous remplissez
+votre papier d'extraits de journaux, comme si ceux d'Angleterre ne se
+trouvaient pas dans tous les lieux du monde. J'en ai une douzaine, en ce
+moment, devant moi. Je vous prie de veiller à ce qu'on ait soin de mes
+livres, et de me croire, chère mère, etc.»
+
+Il paraît qu'il passa la plus grande partie des deux mois suivans à
+parcourir la Morée[139]; et dans plusieurs lettres il parle avec
+beaucoup de satisfaction de la réception très-distinguée que lui fit
+Véli-Pacha, fils d'Ali.
+
+ [Note 139: Dans une note de l'avertissement qui précède son
+ _Siége de Corinthe_, il dit: «Je visitai ces trois villes
+ (Tripolitza, Napoli et Argos) en 1810-11; et durant mes
+ diverses excursions dans le pays, depuis mon arrivée en 1809,
+ je traversai l'Isthme huit fois en passant de l'Attique en
+ Morée, par les montagnes, ou dans l'autre direction, lorsque
+ j'allais du golfe d'Athènes à celui de Lépante.»]
+
+À son retour à Patras, il fut saisi d'une maladie, dont il raconte les
+particularités dans la lettre suivante adressée à M. Hodgson; elles
+sont, à beaucoup d'égards, si conformes à celles de la maladie fatale
+qui l'enleva, quatorze ans plus tard, presque aux mêmes lieux, que,
+malgré la gaîté du récit, il est difficile de le lire sans être
+douloureusement affecté.
+
+
+
+
+LETTRE XLVIII.
+
+À M. HODGSON.
+
+Patras (Morée), 3 octobre 1810.
+
+
+«Comme je suis à peine délivré du médecin et de la fièvre, qui m'ont
+retenu cinq jours au lit, je vous prie de ne pas compter sur beaucoup
+d'_allegrezza_ dans cette lettre. Il règne ici une maladie endémique
+qui, lorsque le vent vient du golfe de Corinthe (comme il arrive cinq
+mois sur six), attaque grands et petits, et fait de terribles ravages
+parmi les voyageurs étrangers. Il y a, de plus, deux médecins, dont l'un
+est plein de confiance dans son génie naturel, car il n'a jamais étudié,
+et dont l'autre a pour tous titres une campagne de dix-huit mois contre
+les malades d'Otrante, qu'il a faite dans sa jeunesse avec de grands
+résultats.
+
+»Lorsque je tombai malade, je protestai contre les tentatives de _ces_
+deux assassins; mais que peut faire pour sa défense un pauvre diable
+affaibli, dévoré par la fièvre, et inondé de potions. Malgré moi et mes
+dents, je vis le consul anglais, mon Tartare, mes Albanais, mon
+interprète se réunir pour me livrer au médecin, à l'aide duquel ils
+m'ont, trois jours durant, émétisé et clystérisé jusqu'à ne me laisser
+que le souffle. C'est dans cet état que j'ai fait mon épitaphe. Tenez,
+la voici:
+
+«La jeunesse, la nature et la pitié des dieux combattirent long-tems
+pour tenir ma lampe allumée; mais le redoutable Romanelli triompha de
+leurs efforts, et son souffle en éteignit la flamme tremblante[140].»
+
+ [Note 140:
+
+ Youth, nature, and relenting jove,
+ To keep my lamp _in_ strongly strove;
+ But Romanelli was so stout,
+ He beat all three, and blew it _out_.]
+
+»Cependant la nature et les dieux, piqués de mon peu de foi dans leur
+pouvoir, ont à la fin triomphé tout de bon de Romanelli, et je vis
+encore, bien à votre service, quoique ma faiblesse soit extrême.
+
+»Depuis que j'ai quitté Constantinople, j'ai parcouru la Morée et visité
+Véli-Pacha, qui m'a rendu de grands honneurs, et donné un fort joli
+étalon. H*** est sûrement en Angleterre à l'heure où je vous écris; je
+l'ai chargé d'une dépêche pour votre poétique individu. Il m'écrit de
+Malte, et me demande mon journal, en cas que j'en tienne un. Si j'en
+faisais un, il l'aurait. Je lui ai adressé en réponse une épître de
+consolations et d'exhortations, où je le prie de réduire de trois schl.
+et six pences le prix de sa prochaine publication, vu qu'une demi-guinée
+est un trop haut prix pour toute autre chose qu'un billet d'Opéra.
+
+»Quant à l'Angleterre, je n'en ai pas eu de nouvelles depuis bien
+long-tems. Toutes les personnes qui prennent quelque intérêt à ce qui me
+regarde sont, je crois, endormies, et vous êtes mon seul correspondant,
+à l'exception des gens d'affaires. Je n'ai réellement pas d'amis au
+monde, quoique ce monde soit peuplé de mes anciens condisciples, qui s'y
+promènent revêtus de curieux déguisemens, en officiers des gardes, en
+hommes de loi, en ecclésiastiques, en hommes à la mode, et autres habits
+de caractères; aussi fais-je mes adieux à tous ces messieurs si
+affairés, dont pas un ne daigne m'écrire. Au fait, je ne les en ai pas
+priés; et me voilà ici, pauvre voyageur et philosophe un peu païen, qui,
+après avoir parcouru la plus grande partie du Levant et vu force terres
+et mers, dont on pourrait tirer fort bon parti, ne vaux, après tout,
+guère mieux qu'avant de me mettre en route. Que Dieu me soit en aide!
+
+»Il y a aujourd'hui même quinze mois que je suis parti, et je pense que
+mes intérêts me rappelleront bientôt en Angleterre; mais je vous en
+donnerai régulièrement avis de Malte. Hobhouse vous donnera tous les
+renseignemens possibles, si vous êtes curieux de connaître nos
+aventures. J'ai lu quelques vieilles gazettes anglaises qui vont
+jusqu'au 15 mai. J'y vois l'annonce de la _Dame du Lac_. Il va sans dire
+que l'auteur ne s'est pas départi de sa manière, qui rappelle l'ancienne
+ballade, et que le poème est bon. Tout balancé, Scott n'a pas de rivaux;
+le but de tout griffonnage est d'amuser, et certainement il y réussit.
+Je brûle de lire son nouvel ouvrage.
+
+»Et que deviennent _sir Edgard_ et votre ami Bland? Je suppose que vous
+êtes engagé dans quelque chicane littéraire. Le seul parti à prendre,
+c'est de regarder du haut en bas tous les confrères de l'écritoire. Je
+suppose bien que vous ne m'accorderez pas le titre d'auteur; mais je
+vous dédaigne tous, coquins que vous êtes! comptez là-dessus.
+
+»Vous ne connaissez pas D...s, n'est-ce pas? Il avait une farce prête à
+être jouée quand je partis d'Angleterre, et me pria d'en faire le
+prologue: ce que je lui promis; mais mon départ fut si précipité que je
+n'en écrivis pas le premier couplet. Je n'ose m'informer de sa pièce, de
+peur d'apprendre qu'elle est tombée. Que Dieu me pardonne d'employer un
+tel mot! mais le parterre, mon cher monsieur, le parterre, vous le
+savez, se permet de ces tours-là, en dépit du mérite. C'est une
+circonstance fort curieuse qui me rappelle cette farce. Quand Drury-Lane
+fut brûlé de fond en comble, accident qui fit perdre à Shéridan et à son
+fils le peu de schellings qui leur restassent, que fait mon ami D...s?
+Avant que l'incendie soit éteint, il écrit à Tom Shéridan, directeur du
+combustible établissement, pour lui demander si cette farce n'a pas
+servi d'aliment aux flammes, avec environ deux mille autres manuscrits
+non jouables qui naturellement furent en grand péril, sinon entièrement
+consumés. Eh bien! n'est-ce pas là un trait caractéristique? Les
+passions de Pope ne sont rien en comparaison. Tandis que le pauvre
+directeur, tout bouleversé, déplorait la perte d'un édifice qui ne
+valait pas moins de trois cent mille livres sterling, avec quelque vingt
+mille autres que pouvaient avoir coûté les chiffons et le clinquant des
+costumes, les éléphans de _Barbe bleue_ et le reste, voici venir un
+billet d'un endiablé d'auteur qui le rend responsable de deux actes et
+quelques scènes de sa farce!
+
+»Mon cher H..., rappelez à Drury que je lui souhaite mille prospérités,
+et priez Scrope Davies de me conserver son amitié. J'appelle de mes vœux
+le jour où je vous reverrai à Newstead, et où le champagne égaiera
+encore nos soirées: cet espoir me réjouit l'ame. Je n'ai laissé passer
+aucune occasion sans vous écrire; j'attends donc des réponses aussi
+régulières que celles de la Liturgie, et quelque peu plus longues. Comme
+il est impossible à un homme dans son bon sens de compter sur d'heureux
+jours, espérons au moins que nous en verrons de joyeux, ce qui y
+ressemble le plus en apparence, quoiqu'il n'en soit rien en réalité.
+
+»C'est dans cette attente que je suis, etc.»
+
+Faible et fort amaigri par suite de sa maladie à Patras, un jour, après
+son retour à Athènes, debout devant une glace, il dit à lord Sligo:
+«Comme je suis pâle! j'aimerais, je crois, à mourir de
+consomption.--Pourquoi de consomption? demanda son ami.--Parce qu'alors,
+répondit-il, toutes les femmes diraient: Voyez ce pauvre Byron, comme il
+a l'air intéressant en mourant!»
+
+Dans cette anecdote que, toute frivole qu'elle est, le narrateur citait
+comme une preuve du sentiment que le poète avait de sa propre beauté, on
+peut aussi trouver la trace de son habitude de tout rapporter à ce sexe
+qu'il affectait de mépriser, et qui cependant exerçait une puissante
+influence sur le cours et la teinte de toutes ses pensées.
+
+Il parlait souvent de sa mère à lord Sligo avec des sentimens qui
+s'éloignaient bien peu de l'aversion. «Quelque jour, lui dit-il, je vous
+expliquerai la cause de cette disposition de mon cœur.» Peu de tems
+après, un jour qu'ils se baignaient ensemble dans le golfe de Lépante,
+il rappela cette promesse, et montrant sa jambe et son pied nus. «Voyez,
+s'écria-t-il, c'est à ses absurdes faiblesses à l'époque de ma naissance
+que je dois cette difformité, et pourtant, d'aussi loin que je puisse me
+souvenir, elle n'a jamais cessé de me la reprocher. Même encore peu de
+jours avant notre dernière séparation, au moment où j'allais quitter
+l'Angleterre, elle prononça contre moi une imprécation dans un de ses
+accès de colère, et souhaita que je pusse devenir aussi difforme
+d'esprit que de corps!»
+
+L'expression de sa physionomie et de ses gestes ne peuvent être bien
+conçus que par ceux qui l'ont vu quelquefois dans un pareil état
+d'excitation.
+
+Habitué à manifester sans réserve ses sentimens et ses pensées, il ne
+déguisait pas davantage le peu de prix qu'il attachait à ces débris des
+arts antiques, qu'il voyait si ardemment recherchés par tous ses
+classiques compagnons de voyage. Lord Sligo se proposait d'employer
+quelque argent à faire faire des fouilles pour chercher des antiquités.
+Lord Byron, en lui offrant de surveiller ces travaux, et de tenir la
+main à ce que cet argent reçût une destination légitime, lui dit: «Vous
+pouvez être bien tranquille en vous en rapportant à moi, je ne suis pas
+_dilettante_. Tous vos connaisseurs sont des voleurs; mais je fais trop
+peu de cas de ces sortes de choses pour en dérober jamais.»
+
+Il observa plus sévèrement encore, pendant ses voyages, le régime qu'il
+avait adopté pour se faire maigrir, et qu'il avait commencé à suivre
+avant de quitter l'Angleterre. À Athènes, il prenait, dans ce dessein,
+des bains chauds trois fois la semaine; sa boisson habituelle était un
+mélange d'eau et de vinaigre, et il mangeait rarement autre chose qu'un
+peu de riz.
+
+Au nombre des personnes qu'il vit le plus à cette époque, outre lord
+Sligo, se trouvaient lady Hester Stanhope et M. Bruce; et même l'un des
+premiers objets qui s'offrirent aux yeux de ces voyageurs distingués, au
+moment où ils approchaient des côtes de l'Attique, fut Lord Byron se
+jouant dans son élément favori au pied des rochers du cap Colonne. Ils
+furent ensuite présentés les uns aux autres par lord Sligo; et ce fut,
+je crois, à sa table que, dans le cours de leur première entrevue, lady
+Hester, avec cette vive éloquence qui la rend si remarquable, fit
+chaudement la guerre au poète à propos de l'opinion peu favorable à
+l'intelligence des femmes, qu'elle lui supposait. Peu disposé, quand
+même il en eût été capable, à défendre une pareille hérésie contre une
+personne qui, par elle-même, en était la plus irrésistible réfutation,
+Lord Byron n'eut d'autre ressource contre les argumens de sa belle
+antagoniste, que le silence de l'assentiment. Lady Hester sut
+naturellement gré d'une pareille retenue de la part d'un homme de sa
+condition, et ils se lièrent, dès ce moment, de l'amitié la plus
+sincère. En rappelant dans ses _Memoranda_ quelques souvenirs de cette
+époque, après avoir raconté qu'il fut, à Sunium, surpris au bain par une
+société anglaise, il ajoute: «Ce fut le commencement de la plus agréable
+connaissance que j'aie faite en Grèce...» Puis il continue en protestant
+à M. Bruce, si jamais ces pages tombent sous ses yeux, qu'il se
+souvenait encore avec plaisir des jours qu'ils avaient passés ensemble à
+Athènes.
+
+Pendant son séjour en Grèce à cette époque, nous le voyons former une de
+ces amitiés singulières (si l'on peut prononcer ce beau nom en pareille
+circonstance), dont j'ai cité déjà deux ou trois exemples en traçant
+l'histoire de sa jeunesse, et dont le charme principal à ses yeux semble
+avoir consisté dans le plaisir d'être protecteur, et celui de faire
+naître des sentimens de reconnaissance. Un jeune Grec, nommé Nicolo
+Giraud, fils d'une dame veuve, chez laquelle logeait l'artiste Lusieri,
+fut celui qu'il adopta de cette manière, sans doute par suite d'idées
+semblables à celles qui avaient inspiré ses premiers attachemens pour le
+jeune paysan de Newstead, et pour le jeune chantre de Cambridge. Il
+paraît avoir porté à ce jeune homme un intérêt très-vif, et l'on peut
+dire fraternel; c'est au point que, non-seulement il lui fit accepter,
+en le quittant à Malte, une somme considérable, mais encore il lui donna
+dans la suite, comme le lecteur le verra, une preuve plus durable de sa
+générosité.
+
+Quoiqu'il fît de tems à autre des excursions en Attique et en Morée, il
+avait fixé son quartier-général à Athènes, où il logeait dans un couvent
+de franciscains; et dans les intervalles d'une tournée à l'autre, il
+s'occupait à recueillir des matériaux pour ces notes sur la situation de
+la Grèce moderne, dont il a fait suivre le second chant de _Childe
+Harold_. Ce fut aussi dans cette retraite qu'il composa, comme pour
+braver le _Genius loci_, ses imitations d'Horace. Cette satire, qui
+retrace d'un bout à l'autre des scènes de la vie de Londres, porte pour
+date: «Athènes, couvent des Capucines, 12 mars 1811.»
+
+Dans le petit nombre de lettres qu'il écrivit encore à sa mère, je ne
+choisirai que les deux suivantes.
+
+
+
+
+LETTRE XLIX.
+
+À MRS. BYRON.
+
+Athènes, 14 janvier 1811.
+
+
+CHÈRE MADAME,
+
+«Je saisis, suivant mon usage, une occasion d'écrire brièvement, mais
+fréquemment; l'arrivée des lettres, à défaut de communications
+régulières, étant fort incertaine... J'ai dernièrement fait plusieurs
+tournées de quelque cent ou deux cents milles en Morée et dans
+l'Attique, etc. J'ai terminé aussi ma grande excursion par la Troade et
+Constantinople, etc., et suis maintenant revenu encore une fois à
+Athènes. Je crois vous avoir écrit plusieurs fois qu'à l'imitation de
+Léandre (quoique sans sa dame), j'avais traversé l'Hellespont de Sestos
+à Abydos. Fletcher, que j'ai renvoyé en Angleterre avec des papiers,
+vous instruira de cette circonstance et de quelques autres. Je n'aurai
+pas, je crois, à me plaindre beaucoup de son absence, connaissant
+passablement l'italien et le grec moderne; j'étudie cette dernière
+langue avec un maître, et j'en sais tout ce qu'un homme raisonnable peut
+désirer pour converser et donner des ordres. En outre, les lamentations
+perpétuelles de Fletcher sur la privation de bœuf et de bière, son
+mépris stupide pour tout ce qui est étranger, son incapacité
+insurmontable pour apprendre le moindre mot d'aucune langue, le
+rendaient une charge, suivant l'usage de tous les autres domestiques
+anglais. Je vous assure que l'ennui de parler pour lui, les consolations
+dont il avait besoin (beaucoup plus que moi-même), les pilaus (mets turc
+composé de riz et de viande) qu'il ne pouvait manger, les vins qu'il ne
+pouvait boire, les lits dans lesquels il ne pouvait dormir, et la longue
+liste des calamités, telles que les faux pas des chevaux, le manque de
+thé!!! qui l'assaillaient sans cesse, l'auraient rendu un objet
+continuel de plaisanteries pour les spectateurs et d'embarras pour son
+maître. Après tout, l'homme est assez honnête et assez capable dans un
+pays chrétien; mais en Turquie, Dieu me pardonne! mes soldats albanais,
+mes Tartares et mes janissaires travaillaient pour lui et pour nous
+aussi, ainsi que mon ami Hobhouse peut le certifier.
+
+»Il est probable que je reviendrai en Angleterre au printems; mais pour
+l'exécution de ce projet, il me faut des remises. Mes propres fonds
+m'auraient très-bien suffi; mais j'ai été obligé d'aider un ami qui me
+paiera, j'en suis certain; et en attendant je n'ai pas le sou.
+Maintenant je ne me soucie pas d'entreprendre un voyage d'hiver, même
+quand je serais fatigué de voyager; et je suis tellement convaincu des
+avantages que l'on recueille à observer l'espèce humaine au lieu de lire
+ce que l'on en écrit, et des fâcheux effets de rester chez soi, en proie
+aux préjugés étroits d'un insulaire, que je pense qu'il devrait exister
+parmi nous une loi qui envoyât pour un tems les jeunes gens à
+l'étranger, chez le petit nombre d'alliés que nos guerres nous ont
+laissés.
+
+»Ici je vis et je converse avec des Français, des Italiens, des
+Allemands, des Danois, des Grecs, des Turcs, des Américains, etc., etc.,
+etc.; et sans perdre de vue mon pays, je puis juger des manières des
+autres. Quand je reconnais la supériorité de l'Angleterre (sur le compte
+de laquelle, soit dit en passant, nous nous abusons en bien des choses),
+j'en suis satisfait; et lorsque je la trouve inférieure, je m'éclaire au
+moins sous ce rapport. J'aurais pu continuer un siècle à être enfumé
+dans vos villes, ou à humer le brouillard dans vos campagnes, sans
+apprendre cette vérité, et sans rien acquérir chez moi de plus utile ou
+de plus agréable. Je ne tiens point de journal, et n'ai point
+l'intention de griffonner mes voyages. J'ai fini avec le métier
+d'auteur; et si, dans ma dernière production, j'ai prouvé aux critiques
+ou au monde que j'étais quelque chose de plus que ce qu'ils supposaient,
+je suis satisfait, et ne hasarderai point _cette réputation_ par un
+futur effort. Il est vrai que j'ai quelques autres productions en
+portefeuille; mais je les laisse pour ceux qui me survivront. Si on les
+juge dignes de la publication, elles serviront à éterniser ma mémoire,
+lorsque moi-même j'aurai cessé d'avoir un souvenir. J'ai pris ici un
+artiste bavarois qui prend pour moi quelques vues d'Athènes, etc. Cela
+vaudra mieux que du griffonnage, maladie dont j'espère être guéri. À mon
+retour, j'espère mener une vie tranquille et retirée; mais Dieu sait
+mieux que nous ce qu'il nous faut, et agit en conséquence, au moins à ce
+que l'on dit. Je n'ai point d'objection à faire à cela, après tout,
+n'ayant pas raison de me plaindre de mon lot. Je suis cependant
+convaincu que les hommes se font eux-mêmes plus de mal que le diable ne
+pourrait jamais leur en faire. J'espère que cette lettre vous trouvera
+en bonne santé, et autant heureuse que nous pouvons l'être. Vous
+apprendrez au moins avec plaisir qu'il en est ainsi pour moi, et que je
+suis à jamais votre...»
+
+
+
+
+LETTRE L.
+
+À MRS. BYRON.
+
+Athènes, 28 février 1811.
+
+
+CHÈRE MADAME,
+
+«Comme j'ai reçu un firman pour l'Égypte, etc., je partirai pour ce pays
+dans le courant du printems, et je vous prie de mander à M. H... qu'il
+est nécessaire de me faire parvenir des fonds. Au sujet de Newstead, je
+réponds, comme auparavant, non. S'il faut vendre, vendez Rochdale.
+Fletcher sera arrivé à cette époque avec mes lettres relatives à cet
+objet. Je vous dirai d'abord franchement que je n'aime pas les placemens
+de fonds. Si, par quelque circonstance particulière, j'étais amené à
+adopter une telle résolution, j'irais, à tout événement, passer ma vie à
+l'étranger: le seul lien qui m'attache à l'Angleterre est Newstead; et
+ce lien une fois rompu, ni mon intérêt ni mes inclinations ne
+m'appelleraient dans le Nord. La médiocrité dans votre pays est
+l'opulence en Orient, tant est grande la différence qui existe dans la
+valeur monétaire et l'abondance des objets nécessaires à la vie. Je me
+sens tellement un citoyen du monde, que le pays où je pourrai jouir d'un
+climat délicieux et de toutes les recherches du luxe, à un prix moindre
+que celui de la vie ordinaire de collége en Angleterre, sera toujours
+une patrie pour moi. Telles sont en effet les côtes de l'Archipel. Voici
+donc l'alternative:--Si je garde Newstead, je reviens; si je le vends,
+je reste à l'étranger. Je n'ai reçu d'autres lettres de vous que celles
+de juin, mais j'ai écrit plusieurs fois; et, comme à l'ordinaire, je
+continuerai d'après le même plan.
+
+»Croyez-moi à jamais votre, etc.
+
+BYRON.
+
+»_P. S._ Je vous verrai probablement dans le cours de l'automne; mais je
+ne puis réellement, à une telle distance, vous désigner aucun mois en
+particulier.»
+
+
+
+
+LETTRE LI.
+
+À M. HODGSON.
+
+À bord de la frégate _la Volage_[141], 29 juin 1811.
+
+ [Note 141: Le voyage d'Égypte, que, par la lettre précédente,
+ il semble avoir projeté, fut abandonné, probablement à défaut
+ des fonds qu'il attendait; et, le 3 de juin, il mit à la
+ voile de Malte pour l'Angleterre, sur la frégate _la Volage_,
+ ayant, pendant son court séjour à Malte, éprouvé une violente
+ attaque de fièvre tierce. D'après les lettres mélancoliques
+ qui suivent, on peut se faire une idée des sentimens avec
+ lesquels il revenait dans sa patrie.]
+
+
+«Dans huit jours, avec un bon vent, nous serons à Portsmouth; et, le 2
+de juillet, se termineront (jour pour jour) deux années d'un voyage
+duquel je reviens avec aussi peu d'émotion qu'à mon départ. Je pense
+pourtant que j'ai eu plus de peine à quitter la Grèce que l'Angleterre,
+pays que je suis impatient de revoir par la seule raison que je suis las
+d'un si long voyage.
+
+»En vérité, mon avenir n'offre rien de très-agréable. Embarrassé dans
+mes affaires particulières, indifférent au public, solitaire semis avoir
+le désir de la société, le corps affaibli par des fièvres successives,
+mais l'esprit, je l'espère, non encore abattu, je retourne _au logis_
+sans une espérance, et presque sans un désir. La première chose qu'il me
+faudra braver, sera un homme de loi; la seconde un créancier, puis des
+charbonniers, des fermiers, des arpenteurs, et toutes les agréables
+conséquences d'un domaine en désordre et de mines de charbon contestées.
+En un mot, je suis malade et chagrin; et, lorsque j'aurai un peu réparé
+mes irréparables affaires, je décamperai ou vers l'Espagne pour y
+guerroyer, ou encore une fois vers l'Orient, où je puis au moins avoir
+des cieux sans nuages et un refuge contre les impertinens.
+
+»Je compte vous rencontrer ou vous voir à la ville ou à Newstead, toutes
+les fois que vous pourrez y venir sans vous déranger. Je suppose que,
+comme d'habitude, vous faites de l'amour et de la poésie. Ce mari de
+H... Drury ne m'a jamais écrit, quoique je lui aie adressé plus d'une
+lettre; mais je jurerais que le pauvre homme a de la famille, et que par
+conséquent tous ses soins sont concentrés dans son cercle.
+
+Car des enfans causent de nouvelles dépenses, et Dicky est maintenant en
+âge d'aller à l'école.
+
+(WARTON.)
+
+»Si vous le voyez, dites-lui que je lui apporte une lettre de Tucker, un
+de ses amis, chirurgien de l'armée, qui m'a soigné et est un très-digne
+homme, quoiqu'il aime trop les mots de son métier. J'arriverais trop
+tard pour le jour des exercices oratoires, ou je serais probablement
+descendu à Harrow......................................................
+.......................................................................
+
+»J'ai beaucoup regretté en Grèce d'avoir omis d'emporter
+l'_Anthologie_.--Je veux dire celle de Bland et de Mirivale............
+.......................................................................
+
+»Qu'est devenu sir Edgar? Et les imitations et les traductions, où en
+sont-elles? Je suppose que vous n'avez pas l'intention d'abandonner si
+aisément le public, mais que vous l'attaquerez avec un in-quarto. Quant
+à moi, je suis excédé des fats de la poésie et des bavardages, «et je
+laisserai tout le domaine Castalien» à Bufo ou à tout autre. Mais vous
+êtes un homme sentimental et sensible, et vous rimerez jusqu'à la fin du
+chapitre. Quoi qu'il en soit, j'ai écrit quelque quatre mille vers d'un
+genre ou d'un autre, sur mes voyages.
+
+»Je n'ai pas besoin de vous répéter que je serais heureux de vous voir.
+J'arriverai à Londres vers le 8, à l'hôtel de Dorant, rue d'Albemarle,
+et mes affaires m'appelleront quelques jours après dans le Nottingham
+supérieur, et de là à Rochdale.
+
+»Je suis, ici et là, votre, etc.»
+
+
+
+
+LETTRE LII.
+
+À MRS. BYRON.
+
+À bord de la frégate _la Volage_, 25 juin 1811.
+
+
+CHÈRE MÈRE,
+
+«Cette lettre, qui vous sera envoyée à notre arrivée à Portsmouth,
+probablement vers le 4 de juillet, a été commencée à peu près
+vingt-trois jours après notre départ de Malte. Le 2 de juillet, jour
+pour jour, j'aurai été deux ans absent de l'Angleterre, et j'y reviens
+en grande partie avec les mêmes sentimens qui me dominaient à mon
+départ; savoir, l'indifférence. Mais cette apathie ne s'étend
+certainement pas jusqu'à vous, ainsi que je vous le prouverai par tous
+les moyens en mon pouvoir. Vous serez assez bonne pour faire préparer
+mon appartement à Newstead; mais que rien ne vous dérange, et surtout
+que ce ne soit pas moi. Ne me considérez que comme une visite ordinaire.
+Je dois seulement vous informer que, depuis long-tems, je me suis
+astreint à une diète végétale complète, et que le poisson ni la viande
+n'entrent dans mon régime. Je compte donc sur une provision considérable
+de pommes de terre, d'herbes et de biscuit. Je ne bois point de vin.
+J'ai avec moi deux domestiques, hommes de moyen âge, et tous deux Grecs.
+Mon intention est de me rendre d'abord à Londres pour voir M. H..., et
+de passer de là à Newstead, en allant à Rochdale. Je n'ai d'autre prière
+à vous faire que celle de ne point oublier mon régime, qu'il m'est
+très-nécessaire d'observer. Je suis en bonne santé, comme je l'ai
+généralement été, à l'exception de deux accès de fièvre dont je fus
+promptement débarrassé.
+
+»Mes projets dépendront tellement des circonstances, que je ne me
+hasarderai point à énoncer une opinion à ce sujet. Mon avenir n'est pas
+flatteur; mais je suppose que nous lutterons toute notre vie, comme nos
+voisins. En vérité, d'après les dernières informations de H..., j'ai
+quelque crainte de trouver Newstead démantelé par MM. Brothers, etc.:
+H... semble déterminé à me forcer à le vendre; mais il sera trompé dans
+son espoir. Je pense que je ne serai pas obsédé de visiteurs; mais s'il
+en était autrement, vous devrez les recevoir, car je suis résolu à ne
+laisser violer ma retraite par personne. Vous savez que je n'ai jamais
+beaucoup aimé la société; je l'aime encore moins qu'auparavant. Je vous
+apporte un schall et une quantité d'essence de roses. Il faudra que
+j'entre tout cela par contrebande, s'il est possible. J'espère trouver
+ma bibliothèque en assez bon ordre.
+
+»Fletcher est sans doute arrivé. Je distrairai le moulin, de la ferme de
+M. B***; son fils est un trop brillant séducteur pour hériter des deux
+objets, et j'y placerai Fletcher, qui m'a servi fidèlement, et dont
+l'épouse est une bonne femme. Il est, en outre, nécessaire de tempérer
+l'ardeur du jeune M. B***, ou il peuplera la paroisse de bâtards. En un
+mot, s'il avait séduit une laitière, il aurait pu trouver quelque
+excuse; mais la fille est son égale, et, dans la haute comme dans la
+basse classe, en circonstance semblable, la réparation est de droit;
+mais je n'interviendrai qu'en démembrant (comme Bonaparte) le royaume de
+M. B***, afin d'en ériger une partie en principauté pour le
+feld-maréchal Fletcher. J'espère que vous gouvernez d'une main prudente
+mon petit empire et sa triste charge de dette nationale. Pour rompre la
+métaphore, permettez-moi de me dire votre, etc.
+
+»_P. S._ Cette lettre était écrite pour être envoyée de Portsmouth;
+mais, à notre arrivée, l'escadre a reçu l'ordre de se rendre à Nore.
+C'est de là que partira ma lettre. Je n'ai point fait cet envoi plus
+tôt, parce que j'ai supposé que vous pourriez éprouver des inquiétudes,
+l'intervalle mentionné dans la lettre étant plus long que celui qui
+devait exister entre notre arrivée au port et ma venue à Newstead.»
+
+
+
+
+LETTRE LIII.
+
+À M. HENRY DRURY.
+
+À bord de la frégate _la Volage_, à la hauteur d'Ouessant, 17 juillet
+1811.
+
+
+MON CHER DRURY,
+
+«Après deux ans et quelques jours d'absence (le 2), j'approche de votre
+patrie. L'extérieur de ma lettre vous indiquera le jour de mon arrivée.
+Maintenant nous sommes agréablement retenus, par un calme plat, près du
+port de Brest. Je n'en ai jamais été si près depuis que j'ai quitté
+Duck-Puddle. .................................................
+
+»Nous sommes partis de Malte depuis trente-quatre jours, et nous avons
+eu une traversée fort ennuyeuse. Vous me verrez ou entendrez parler de
+moi bientôt après la réception de cette lettre, puisque je dois passer
+par Londres, afin de réparer mes irréparables affaires. De là il me faut
+aller dans le Nottinghamshire, y lever des rentes; ensuite dans le
+Lancashire, y vendre des mines de charbon; et revenir à Londres payer
+des dettes; car il semble que je n'aurai jamais ni charbon ni repos que
+je n'aille à Rochdale en personne.
+
+»Je rapporte quelques marbres pour Hobhouse, pour moi quatre anciens
+crânes athéniens[142], tirés de sarcophages, une fiole de ciguë
+attique[143], quatre tortues vivantes, un lièvre (mort dans la
+traversée), deux domestiques grecs, vivans, l'un Athénien, l'autre
+Yaniote, lesquels ne peuvent parler que le romaïque ou l'italien, et
+_moi-même_, comme le dit finement Moses dans le _Vicaire de Wakefield_,
+et je puis le dire à son exemple, car j'ai aussi peu de raison de me
+vanter de mon expédition que lui de la sienne à la foire.
+
+ [Note 142: Donnés par la suite à sir Walter Scott.]
+
+ [Note 143: Possédée aujourd'hui par M. Murray.]
+
+»Je vous écrivis des rochers Cyanéens, pour vous dire que j'avais
+traversé la mer à la nage de Sestos à Abydos. Avez-vous reçu ma
+lettre?... Je suppose qu'Hodgson est, à l'heure qu'il est, enfoncé dans
+l'étude. Que n'aurait-il pas donné pour avoir vu, comme moi, le
+véritable Parnasse, où je fis tort à l'évêque de Chrissa d'un livre de
+géographie? Mais je n'appelle cela qu'un plagiat, en ce que cette action
+fut commise à une heure de chemin de Delphes.»
+
+Maintenant que nous avons ramené le jeune voyageur en Angleterre, il
+peut être intéressant, avant de le suivre dans les scènes qui
+l'attendaient chez lui, de considérer à quel point le caractère général
+de son esprit et de son humeur avait été modifié par la série de voyages
+et d'aventures dans lesquels il avait été engagé pendant les deux années
+qui venaient de s'écouler. Il serait difficile d'imaginer une vie moins
+poétique et moins romanesque que celle qu'il avait menée avant son
+départ pour ses voyages. Dans sa jeunesse, il est vrai, il avait vécu et
+erré parmi des scènes bien capables, selon les idées ordinaires, de
+former les premiers germes du sentiment poétique. Mais bien que le poète
+ait pu se nourrir plus tard de ces brillans souvenirs, il est plus que
+douteux, comme on l'a déjà fait observer, qu'il ait été formé par eux.
+S'il était vrai qu'une jeunesse passée au milieu des scènes de montagnes
+fût si favorable au développement des talens d'imagination, les Gallois
+parmi nous, et les Suisses à l'étranger, devraient briller plus qu'ils
+ne le font de nos jours par leurs conceptions poétiques. Mais, en
+accordant même que la mémoire des premières excursions de Byron ait eu
+quelque part dans la direction de ses idées, l'effet réel de cette
+influence, quelle qu'elle fût, cessa avec son enfance, et la vie qu'il
+mena ensuite, durant son séjour au collége d'Harrow, fut ce que
+naturellement la vie d'un écolier si rêveur et si entreprenant devait
+être, tout autre chose que poétique. Pour un soldat ou un aventurier,
+l'éducation qu'il reçut alors eût été parfaite. Ses exercices
+athlétiques, ses combats, son amour pour les entreprises hasardeuses,
+donnèrent les indices d'un esprit fait pour la carrière la plus
+orageuse; mais ces dispositions paraissaient, de toutes, les moins
+favorables aux études méditatives de la poésie; et bien qu'elles
+promissent de le rendre plus tard un sujet d'inspiration pour les
+poètes, elles ne donnaient assurément que très-peu d'espérance de le
+voir jamais lui-même briller au premier rang parmi eux.
+
+Ses habitudes à l'université étaient encore moins intellectuelles et
+moins littéraires. Dès son enfance, il avait lu beaucoup et avec ardeur,
+quoique sans méthode; mais cette application même de son esprit,
+irrégulière et sans direction comme elle était, il l'avait en grande
+partie abandonnée après son départ d'Harrow; et au nombre des
+occupations qui se partageaient son tems à l'académie, les jeux de
+hasard, l'escrime, les soins à donner à son ours et à ses boul-dogues
+furent au moins les plus innocentes, si elles ne furent pas les plus
+favorites. Pendant son séjour à Londres, on ne le voit pas davantage
+cultiver son intelligence, ou rechercher des amusemens plus délicats.
+N'ayant aucune ressource de société privée par le manque absolu d'amis
+et de parens, il était réduit dans cette ville à fréquenter les oisifs
+de café; et pour ceux qui se rappellent ce qu'étaient à cette époque les
+cafés de Limmer et Stevens, les deux maisons qu'il visitait de
+préférence, il est inutile de dire que, quel que fût d'ailleurs le
+mérite de ces établissemens, ils n'étaient rien moins que des écoles
+convenables au développement d'un caractère poétique.
+
+Mais quelque incompatible qu'une telle vie pût être avec les habitudes
+de contemplation qui seules pouvaient éveiller et fortifier les hautes
+facultés qu'il avait déjà montrées, cependant, sous un autre point de
+vue, le tems qu'il perdit alors en apparence fut, dans la suite, mis à
+profit d'une manière incontestable. En l'initiant ainsi peu à peu à la
+connaissance des variétés de l'esprit humain, en lui donnant l'aperçu
+exact des détails de la société dans leurs formes les moins
+artificielles; enfin, en le mêlant si jeune avec le monde, ses affaires
+et ses plaisirs, la vie qu'il menait à Londres contribua certainement à
+former cette combinaison extraordinaire, qu'on admira plus tard en lui,
+de l'imagination et de la connaissance du monde, de l'héroïque et du
+plaisant, des aperçus les plus fins et les plus minutieux de la vie
+réelle avec les conceptions les plus élevées et les plus sublimes de la
+grandeur idéale.
+
+Une autre disposition dominante de son esprit plus mûr et de ses écrits
+dut peut-être sa naissance aux mêmes causes. Dans cette expérience
+anticipée du monde que lui donnait son contact précoce avec la foule, il
+n'est guère probable qu'un grand nombre des caractères les plus dignes
+de l'espèce humaine aient frappé ses regards. Il n'est que trop
+probable, au contraire, que les individus les plus légers et les moins
+estimables des deux sexes durent être au nombre de ses modèles, et que
+c'est d'après eux, à un âge où les impressions se gravent le plus
+fortement, que ses premiers jugemens sur la nature humaine furent
+formés. De là probablement ces aperçus méprisans et dégradans pour
+l'humanité, qu'il était dans l'usage d'allier au tribut plus noble qu'il
+payait à la beauté et à la majesté de la nature en général. De là le
+contraste qui apparaît entre les productions de son imagination et
+celles de son expérience; entre ces rêves pleins de beauté et de douceur
+que l'une créait à sa volonté, et l'amertume, sombre et désolante qui
+débordait de tous côtés lorsqu'il ne consultait plus que l'autre.
+
+Malgré le peu d'espérance que donnait sa jeunesse de la haute destinée
+qui l'attendait, elle présentait déjà un caractère singulier de la
+puissance de son imagination; je veux parler de cet amour de la solitude
+qui, de bonne heure, indique ces goûts d'étude et d'observation de
+soi-même par lesquelles seules «les carrières de diamans» du génie sont
+exploitées et mises au grand jour. Dans son enfance à Harrow, il avait
+fortement montré cette disposition; on le connaissait au collége comme
+je l'ai déjà dit, pour aimer à s'éloigner de ses camarades, et à
+s'asseoir seul sur une tombe dans le cimetière, s'abandonnant ainsi à la
+rêverie pendant des heures entières. À mesure que son esprit révéla ses
+ressources, ce sentiment domina en lui; et quand ses voyages à
+l'étranger n'auraient servi qu'à le détacher des distractions de la
+société pour le mettre en état, solitaire célèbre, de communiquer avec
+son propre esprit, cela eût été un grand pas de fait vers l'expansion
+complète de ses facultés. Ce fut réellement alors qu'il commença à se
+sentir capable de se livrer au détachement que l'étude de soi-même
+exige, et qu'il put jouir de cette liberté, indépendante du mélange des
+pensées d'autrui, et qui seule laisse l'esprit contemplatif maître de
+ses propres idées. Dans la solitude de ses nuits sur mer, dans ses
+excursions isolées à travers la Grèce, il jouit d'assez de loisir et de
+solitude pour s'observer lui-même, et là s'apercevoir des premiers
+«éclairs de son glorieux génie.» Un de ses principaux plaisirs, ainsi
+qu'il en fait mention dans ses _Memoranda_, était, lorsqu'il se baignait
+dans quelque lieu retiré, de s'asseoir, au-dessus de la mer, sur des
+rochers élevés, et là de rester des heures entières à contempler les
+cieux et les eaux[144], et à se perdre dans cette sorte de vague rêverie
+qui, quoique sans forme arrêtée, et sans but pour le moment, se
+répandait ensuite, dans ses écrits, en peintures énergiques et
+brillantes qui vivront à jamais.
+
+ [Note 144: Il fait allusion à cette passion dans ces belles
+ stances:
+
+ «S'asseoir sur les rochers, contempler la mer, etc.»
+
+ Alfieri, avant que son génie ne se fût complètement
+ développé, ainsi qu'il nous le dit, avait l'habitude de
+ passer des heures dans une sorte d'état de rêverie, à
+ contempler l'Océan: «Après le spectacle, un de mes amusemens
+ à Marseille était de me baigner presque tous les soirs dans
+ la mer. J'avais trouvé un petit endroit fort agréable, sur
+ une langue de terre placée à droite hors du port; où, en
+ m'asseyant sur le sable, le dos appuyé contre un petit rocher
+ qui empêchait qu'on ne pût me voir du côté de la terre, je
+ n'avais plus devant moi que le ciel et la mer. Entre ces deux
+ immensités, qu'embellissaient les rayons d'un soleil
+ couchant, je passai, en rêvant, des heures délicieuses; et
+ là, je serais devenu poète, si j'avais su écrire dans une
+ langue quelconque.»]
+
+S'il n'eût pas été livré à ces doutes et à cette défiance qui entourent
+les premiers pas du génie, les sentimens qu'il devait éprouver et ses
+découvertes dans un nouveau domaine d'intelligence, auraient dû
+convertir les heures solitaires du jeune voyageur en un rêve de bonheur.
+Mais on verra que dans ces momens même, il se défiait de sa propre
+force, et qu'il ne se doutait nullement de la hauteur à laquelle
+s'élèverait l'esprit qu'il évoquait alors. Il devint tellement épris de
+ces rêveries solitaires, que la société même de son compagnon de voyage,
+malgré la sympathie de ses goûts avec les siens, devint pour lui une
+chaîne et un fardeau; et ce ne fut que lorsqu'il se trouva seul, sur le
+rivage d'une petite île de la mer Égée, que son génie respira librement.
+Si l'on voulait une preuve plus forte de sa passion profonde pour
+l'isolement, nous la trouverions, quelques années après, dans ses
+propres écrits, lorsqu'il avoue que, dans la compagnie de la femme qu'il
+aima le plus, il se surprit souvent soupirant après la solitude.
+
+Ce ne fut pas seulement en lui procurant la retraite dont il avait
+besoin pour faire éclore dans le silence ses facultés admirables, que
+les voyages contribuèrent puissamment à la formation de son caractère
+poétique; dès son enfance même, il avait contemplé l'Orient avec des
+yeux romanesques. La lecture qu'il fit, avant l'âge de dix ans, de
+l'histoire des Turcs, par Rycaut, avait pris un fort ascendant sur son
+esprit, et il avait lu avec avidité tous les livres sur l'Orient qu'il
+avait pu rencontrer[145].
+
+ [Note 145: Quelques mois avant sa mort, dans une conversation
+ avec Mavrocordato, à Missolonghi, Lord Byron dit: «L'histoire
+ turque fut un des premiers livres qui procura du plaisir à ma
+ jeunesse; et je pense que cette lecture eut beaucoup
+ d'influence sur les désirs que j'eus ensuite de visiter le
+ Levant, et donna peut-être à ma poésie cette teinte orientale
+ que l'on y remarque.»
+
+ (_Récit du comte Gamba_.)
+
+ Dans la dernière édition de l'ouvrage du docteur Israeli, sur
+ le _caractère littéraire_, on trouve quelques notes
+ marginales assez curieuses, écrites par Lord Byron dans un
+ exemplaire de cet ouvrage qui lui appartenait. Parmi ces
+ notes est l'énumération suivante des écrivains qui, outre
+ Rycaut, avaient attiré son attention sur l'Orient de si bonne
+ heure.
+
+ «Knolles, Cantemir, de Tott, lady M.W. Montague, la
+ traduction d'Hawkin de l'_Histoire des Turcs_ par Mignot, les
+ _Mille et Une Nuits_, tous les voyages, toutes les histoires,
+ tous les livres sur l'Orient que je pouvais trouver, je les
+ avais lus, ainsi que Rycaut, avant l'âge de dix ans. Je pense
+ que je lus les _Mille et Une Nuits_ en premier lieu; après
+ cela je préférai le récit des combats de mer, le roman de
+ _Don Quichotte_ et ceux de Smollett, particulièrement
+ _Roderic Random_, et j'étais passionné pour l'histoire
+ romaine. Lorsque j'étais enfant, je ne pus jamais lire sans
+ dégoût un livre de poésie.»]
+
+Il s'ensuit qu'en visitant ces contrées il ne fit que réaliser les rêves
+de sa jeunesse, et ce retour de ses pensées vers ce tems d'innocence
+donna à leur cours une fraîcheur et une pureté dont elles avaient manqué
+depuis long-tems. Sans le charme de ces souvenirs, l'attrait de la
+nouveauté était la moindre chose que lui présentaient les scènes
+nouvelles à travers lesquelles il passait. De doux souvenirs du passé,
+et peu d'hommes les ont retenus aussi vivement, se mêlaient aux
+impressions des objets présens à ses yeux; et comme, dans les montagnes
+d'Écosse, il avait souvent traversé, en imagination, les pays musulmans,
+ainsi la même faculté le transportait des montagnes sauvages de
+l'Albanie à celles de Monroy.
+
+Tandis qu'il trouvait à chaque pas des inspirations poétiques, il y
+avait aussi dans ce prompt changement de place et de scène, dans cette
+diversité d'hommes et d'usages qui l'entouraient, dans l'espérance
+continuelle d'aventures nouvelles, et d'entreprises extraordinaires, une
+succession et une variété d'_excitation_ toujours renouvelée, qui
+mettaient non-seulement en action, mais rendaient plus vigoureuse toute
+l'énergie de son caractère. Ainsi qu'il décrit lui-même sa manière de
+vivre, c'était aujourd'hui dans un palais, demain dans une étable; un
+jour avec le pacha, l'autre avec le berger. C'est ainsi qu'il trouva
+toujours à exercer son esprit observateur, et que les impressions se
+multiplièrent sur son imagination. Déjà initié à quelques-unes des
+privations et des peines de la vie, pouvant juger par-là des rigueurs de
+l'adversité, il apprit à agrandir le cercle de ses sympathies, plus
+qu'il n'est ordinaire dans le rang élevé auquel il appartenait, et il
+s'habitua à cette trempe vigoureuse et mâle de pensée qui est si
+profondément gravée dans tous ses écrits. Nous ne devons pas oublier, au
+nombre de ces salutaires effets de ses voyages, les nobles inspirations
+du danger qu'il éprouva plus d'une fois, ayant été placé, tant sur terre
+que sur mer, dans des situations bien calculées pour éveiller ces
+sentimens d'énergie que des périls envisagés de sang-froid ne manquent
+jamais de faire naître.
+
+Le vif intérêt, qu'en dépit de sa philosophie apparente à cet égard,
+dans _Childe Harold_, il prenait à tout ce qui se rattache à la vie
+militaire, trouva des occasions fréquentes de satisfaction,
+non-seulement à bord des vaisseaux de guerre anglais sur lesquels il
+s'embarqua, mais aussi dans ses divers rapports avec les soldats du
+pays. À Salora, place isolée sur le golfe d'Arta, il passa une fois deux
+ou trois jours logé dans une misérable baraque. Pendant tout ce tems il
+vécut familièrement avec les soldats. Ces guerriers farouches, que l'on
+pourrait presque appeler des brigands, assis autour du jeune poète, et
+examinant avec une sauvage admiration son fusil de Manton[146] et son
+épée anglaise, présentaient chaque soir une scène curieuse dont le
+tableau pourrait offrir un contraste, malheureusement trop affligeant,
+avec ce qui se passa quand le poète, devenu l'un de leurs capitaines,
+mourut sur cette même terre avec des Souliotes pour gardes et la Grèce
+entière pour cortége de deuil.
+
+ [Note 146: «Il plut beaucoup le jour suivant, et nous
+ passâmes encore cette soirée avec nos soldats. Leur
+ capitaine, Elmas, essaya un beau fusil de Manton[146a],
+ appartenant à mon ami; et comme il touchait le but à chaque
+ coup, il y prit grand plaisir: _Hobhouse's Journey_, etc.»]
+
+ [Note 146a: Nom d'un arquebusier.]
+
+Il est vrai qu'au milieu des émotions réveillées par cette variété
+d'objets, son esprit était toujours plongé dans cette mélancolie qu'il
+avait apportée de son pays natal. Il fit sur M. Adair et sur M. Bruce,
+comme je l'ai déjà dit, l'effet d'un homme en proie à un profond
+abattement; et ce fut aussi l'opinion du colonel Leake, qui, à cette
+époque, était notre résident à Joannina[147]. Mais cette mélancolie
+même, malgré son opiniâtreté, dut certainement parvenir, sous
+l'influence énergique et salutaire de sa vie errante, à un degré
+d'élévation qu'elle n'aurait jamais pu atteindre au milieu des
+contrariétés qui l'obligeaient à se replier sur elle-même. S'il n'eût
+pas voyagé, peut-être serait-il devenu un satirique grondeur; mais à
+mesure que ses yeux embrassaient un plus vaste horizon, tous les
+sentimens de son cœur se développèrent dans la même proportion; et cette
+tristesse innée, en se combinant avec les effusions de son génie, devint
+une des principales causes de leur énergie et de leur grandeur. Quelle
+pensée sublime, en effet, s'éleva jamais dans l'ame, sans que la
+mélancolie, quoique ignorée peut-être, y ait eu quelque part?
+
+ [Note 147: Il faut se rappeler que ces deux personnes le
+ virent le plus souvent dans des circonstances où l'étiquette
+ des présentations devait, par suite de sa froide réserve,
+ porter au plus haut degré la tristesse de ses pensées. Son
+ compagnon de voyage parle de lui bien différemment. Dans le
+ récit d'une courte excursion à Négrepont, M. Hobhouse, qui ne
+ put l'y accompagner, exprime avec force le vide que lui fait
+ éprouver l'absence d'un ami qui joignait à la vivacité
+ d'observation et à des remarques piquantes, cette bonne
+ humeur communicative, qui réveille l'attention au milieu des
+ fatigues et rend les dangers moins terribles. Lord Byron,
+ dans quelques vers des imitations d'Horace, adressés
+ évidemment à M. Hobhouse, se rend la même justice, en ce qui
+ regarde sa sociabilité, mais il donne une idée plus nette de
+ la tournure d'esprit qui en était la source:
+
+ «Cher Moschus, avec toi j'espère encore passer de longues
+ heures, riant de la folie des hommes, si nous ne pouvons
+ sourire à leurs traits d'esprit. Oui, je veux, ami, quitter
+ pour toi ma cellule de cynique, et adopter la devise de
+ Swift: Vivent les badinages! etc.»]
+
+Les lettres qu'il écrivit pendant la traversée, à son retour en
+Angleterre, nous ont appris combien alors les dispositions de son ame
+étaient loin d'être gaies et ses espérances d'être flatteuses; sans
+contredit, eût-il été doué de la plus grande confiance, les contrariétés
+qui l'attendaient dans sa patrie étaient bien suffisantes pour attrister
+ses prévisions et comprimer son élasticité d'esprit. «Être heureux chez
+soi, dit Johnson, c'est là en définitive, le but de toute ambition, la
+fin où tendent nos travaux et nos entreprises.» Mais Lord Byron n'avait
+pas de _chez soi_, rien du moins qui méritât ce nom si séduisant. Ce
+bonheur de faire partie d'une famille bien unie dont les prières
+l'auraient suivi dans ses voyages, dont l'attention aurait avidement
+écouté ses récits à son retour, il ne le connut jamais, quoique la
+nature lui eût donné un cœur digne de l'apprécier. Privé de tout ce qui
+soutient et encourage, il eut à lutter contre tout ce qui désole et
+humilie. À l'horreur d'un intérieur sans affections vint se joindre le
+fardeau d'une position sociale sans ressources suffisantes, et il
+éprouva ainsi tous les embarras de la vie domestique, sans jouir des
+charmes qui les compensent. Pendant son absence, on avait laissé tomber
+ses affaires dans une confusion plus grande encore, que leur tendance
+naturelle ne donnait lieu de le craindre. On avait, l'année précédente,
+exécuté une saisie à Newstead, pour une somme de quinze cents liv. st.,
+due à MM. Brothers, tapissiers, et nous croyons devoir rapporter un
+trait du vieux Joë Murray dans cette circonstance. C'était un terrible
+crève-cœur pour ce vieux et fidèle serviteur, jaloux de l'antique
+honneur des Byron, de voir l'annonce de la vente placardée sur la porte
+de l'abbaye. Mais redoutant assez la loi pour ne pas arracher l'affiche,
+il se décida, pour s'en dédommager, à la couvrir d'une large feuille de
+papier brun qu'il colla par dessus.
+
+Malgré la résolution, si récemment exprimée par Lord Byron, d'abandonner
+pour jamais le métier d'auteur, et de laisser à d'autres _tout l'empire
+Castalien_, nous le trouvons, à peine débarqué en Angleterre,
+très-activement occupé de préparer la publication de quelques-uns des
+poèmes qu'il avait composés dans ses voyages. Il y mettait même tant
+d'empressement qu'il avait déjà, dans une lettre écrite en mer, annoncé
+à M. Dallas, qu'on pourrait de suite les mettre sous presse. Je vais
+placer ici sous les yeux du lecteur les parties les plus essentielles de
+cette lettre qui, d'après sa date, aurait dû précéder quelques-unes de
+celles que nous avons déjà données.
+
+
+
+
+LETTRE LIV.
+
+À M. DALLAS.
+
+À bord de la frégate _la Volage_, 28 juin 1811.
+
+
+«Après une absence de deux ans (jour pour jour, le 2 de juillet, avant
+lequel nous n'arriverons pas à Portsmouth), me voilà revenant en
+Angleterre...
+
+»J'y reviens avec peu d'espoir de bonheur domestique, et une
+constitution un peu ébranlée par une ou deux atteintes fort vives de
+fièvre; mais avec une ame qui n'est point abattue. Mes affaires, à ce
+qu'il paraît, sont terriblement embrouillées, et je vais avoir
+d'interminables difficultés à régler avec les gens de loi, les
+charbonniers, les fermiers et les créanciers. Or, pour un homme qui
+redoute les embarras, autant qu'il redoute un évêque, c'est un sérieux
+sujet d'inquiétude.
+
+»Ma satire, à ce que je crois, est à sa quatrième édition; ce n'est pas
+un succès tout-à-fait médiocre; il n'a cependant rien d'exagéré pour une
+production qui, en raison du sujet qu'elle traite, ne peut intéresser
+long-tems, et doit, par conséquent, avoir un succès immédiat, où n'en
+avoir aucun. Aujourd'hui que je pense et agis avec plus de modération,
+je regrette de l'avoir écrite, quoiqu'il soit probable que je la
+trouverai oubliée par tout le monde, moins ceux qu'elle a offensés.
+
+»Votre protégé et celui de Pratt, le cordonnier Blackett est donc mort,
+malgré ses vers! Cette mort est probablement une de celles qui sauvent
+un homme de la damnation. C'est parmi vous que le pauvre diable s'est
+perdu. Sans ses patrons, il serait peut-être aujourd'hui en fort bonne
+posture, faisant des souliers, non des vers; mais vous avez voulu en
+faire un immortel, coûte que coûte. Je dis cela dans la supposition que
+ce sont la poésie, le patronage et les liqueurs fortes qui l'ont tué. Si
+vous êtes à Londres au commencement ou vers le commencement de juillet,
+vous me trouverez à l'hôtel Dorant, Albemarle-Street, où je serai charmé
+de vous voir. J'ai une imitation de l'art poétique d'Horace, que
+Cawthorn pourra imprimer de suite; mais que cela ne vous effraie pas, je
+n'ai pas l'intention de vous en fatiguer. Vous savez bien que je ne lis
+jamais mes vers aux personnes qui me viennent voir. Je partirai de
+Londres après un séjour fort court, pour me rendre dans le
+Nottinghamshire et de là à Rochdale.
+
+»Votre, etc.»
+
+Dès que Lord Byron fut arrivé à Londres, M. Dallas se rendit près de
+lui. «Le 15 juillet, dit ce gentleman, j'eus le plaisir de lui serrer la
+main, à l'hôtel Reddish, Saint-James's-Street: je trouvai que son aspect
+démentait ce qu'il m'avait dit de sa santé, et son air n'annonçait ni
+mélancolie, ni mécontentement d'être de retour. Il m'entretint, avec
+beaucoup de feu, de ses voyages; mais il m'assura qu'il n'avait jamais
+eu l'idée de les écrire. Il me dit qu'à son avis la satire était son
+fort; qu'il s'en tenait à ce genre, et qu'il avait composé pendant ses
+divers séjours une paraphrase de l'art poétique d'Horace, qui serait un
+excellent supplément aux _Bardes anglais et critiques écossais_. Il
+semblait espérer que sa réputation s'en accroîtrait, et j'entrepris d'en
+surveiller la publication, comme je l'avais fait pour la satire. J'avais
+mal choisi l'instant de ma visite, et nous eûmes à peine le tems de nous
+entretenir sans être interrompus. Il m'engagea donc à venir le lendemain
+déjeûner avec lui.»
+
+Dans l'intervalle, M. Dallas parcourut cette paraphrase que Lord Byron
+lui avait permis d'emporter dans ce dessein, et son _désappointement_,
+comme il le dit lui-même, fut cruel, en découvrant qu'un voyage de deux
+ans dans les contrées inspiratrices de l'Orient, n'avait pas produit
+plus de richesses poétiques. À leur rendez-vous du lendemain, quoiqu'il
+s'abstînt de déprécier cet ouvrage, il ne put s'empêcher, comme il nous
+l'apprend lui-même, d'exprimer à son noble ami quelque surprise de ce
+qu'il n'avait composé rien de plus pendant son absence. «Alors,
+continue-t-il, Lord Byron me dit qu'il avait en diverses occasions écrit
+de courts poèmes, outre une grande quantité de stances, du rhythme de
+Spencer, relatives aux pays qu'il avait parcourus. «Mais, dit-il, elles
+ne sont pas dignes de votre attention; vous pouvez cependant les
+emporter toutes, si cela vous fait plaisir.» C'est ainsi que j'obtins le
+pélerinage de _Childe Harold_: il le tira d'un coffret avec beaucoup
+d'autres poésies. Il me dit qu'elles n'avaient été lues que par une
+seule personne qui y avait trouvé peu de choses à louer et beaucoup à
+critiquer; que c'était son avis, et qu'il était sûr que ce serait aussi
+le mien; que néanmoins, quoi qu'il en fût, elles étaient bien à mon
+service; mais qu'il était urgent de presser la publication des
+_Imitations d'Horace_, ce dont je l'assurai que je m'occupais.»
+
+M. Dallas ne tarda pas à découvrir tout le prix du trésor qui lui était
+ainsi confié. Dès le même soir, il écrivit à son noble ami: «Vous avez
+composé l'un des plus délicieux poèmes que j'aie jamais lus. Si je vous
+disais cela pour vous flatter, je mériterais moins votre amitié que
+votre mépris. _Childe Harold_ m'a tellement captivé, que je n'ai pu en
+quitter la lecture. Je répondrais sur ma tête qu'il ajoutera beaucoup à
+votre réputation comme poète, et qu'il vous fera un honneur infini, si
+vous daignez accorder quelque attention à mes avis, etc.»
+
+Malgré ces justes éloges, et l'écho secret qu'ils durent trouver dans un
+cœur si sensible au moindre murmure de la renommée, il se passa quelque
+tems avant que la répugnance opiniâtre de Lord Byron à la publication de
+_Childe Harold_ pût être surmontée.
+
+«Quoique jusqu'alors, dit M. Dallas, il eût écouté mes avis et mes
+conseils, et qu'il fût naturel de croire qu'il céderait à des éloges si
+prononcés, je fus surpris de voir qu'il se défiait encore de mon
+jugement sur le mérite de _Childe Harold_. «C'était, disait-il, tout ce
+qu'on voudrait, excepté de la poésie; un critique fort capable l'avait
+blâmé; n'avais-je pas vu moi-même les annotations en marge du
+manuscrit?» Enfin il revenait toujours de préférence aux paraphrases de
+l'art poétique, et le manuscrit en fut remis à Cawthorn, éditeur de la
+satire, pour qu'il le publiât sans aucun retard. Je ne quittai pourtant
+pas encore la partie. Avant de sortir de chez lui, je revins à la
+charge, et je lui dis que j'étais si convaincu du mérite de _Childe
+Harold_, que s'il me l'avait donné, je l'aurais certainement publié,
+pourvu qu'il voulût consentir à un petit nombre de changemens et de
+correction.»
+
+Parmi les nombreux exemples cités en littérature du jugement erroné que
+quelques auteurs ont porté sur leurs propres ouvrages, on peut regarder
+comme l'un des plus inexplicables cette préférence que Lord Byron
+accordait à une production si peu digne de son génie, sur un poème qui
+offre autant de beautés originales que les premiers chants de _Childe
+Harold_[148]. «Il en est, dit Swift, des hommes comme des terrains, qui
+recèlent quelquefois une mine d'or, dont le propriétaire ignore
+l'existence.» Mais cette mine, Lord Byron l'avait découverte, sans se
+douter, à ce qu'on pourrait croire, de toute sa valeur. J'ai déjà eu
+occasion de remarquer que, dans le tems même où il composait _Childe
+Harold_, il est douteux qu'il connût pleinement la puissance nouvelle et
+de sentimens et de pensées qui venait de s'élever dans son âme, et cette
+observation est confirmée par l'étrange appréciation de son ouvrage que
+nous lui voyons adopter.
+
+ [Note 148: On doit moins s'étonner de ce que quelques auteurs
+ se méprennent sur le mérite de leurs ouvrages, quand on voit
+ que des générations entières sont quelquefois tombées dans la
+ même erreur. Les sonnets de Pétrarque furent considérés par
+ les savans de son tems comme dignes tout au plus des
+ chanteurs de ballades qui les faisaient entendre dans les
+ rues; tandis que son poème épique de l'Afrique, dont
+ l'existence est à peine connue de nos jours, était recherché
+ de toutes parts, et que le moindre fragment en était vivement
+ sollicité près de l'auteur, pour être placé dans les
+ bibliothèques des savans.]
+
+On pourrait croire en effet que malgré l'impulsion qui avait fait faire
+des pas si rapides à son imagination, son jugement, plus lent à se
+développer, était bien loin de la maturité, et que le jugement de
+soi-même, le plus difficile de tous, lui était encore refusé.
+
+D'un autre côté, si l'on considère la déférence que, surtout à cette
+époque, il était porté à accorder aux opinions de ceux avec lesquels il
+vivait, il serait peut-être plus juste d'attribuer cette fausse
+appréciation à sa défiance de son propre jugement, qu'à aucune
+insuffisance. On ne peut expliquer que par l'ignorance de son énergie
+intellectuelle ses égards et sa complaisante admiration pour ses anciens
+condisciples, qui presque tous l'avaient dépassé durant ses études, et
+dont quelques-uns, dans ce tems-là même, étaient ses rivaux en poésie.
+L'exemple qu'il recevait de ces jeunes écrivains étant, comme leur goût,
+principalement fondé sur l'imitation des modèles consacrés, leur
+autorité, aussi long-tems qu'il s'y soumit, dut jusqu'à un certain point
+le détourner de s'engager franchement dans une route nouvelle et
+originale. Il est assez probable que quelques souvenirs de cette
+première direction, joints à un léger penchant pour les réminiscences
+classiques[149], contribuèrent à déterminer sa préférence pour la
+paraphrase d'Horace. On peut croire au moins qu'ils furent suffisans
+pour le décider à se contenter, pour le présent, de la gloire qu'il
+avait acquise en suivant les routes tracées, au lieu de se lancer dans
+une carrière qu'il n'avait pas encore explorée. Nous avons vu que le
+noble auteur avant de confier à M. Dallas les deux premiers chants de
+_Childe Harold_, en avait soumis le manuscrit à l'examen d'un ami, le
+premier et le seul, à ce qu'il paraît, qui en eût pris connaissance à
+cette époque. M. Dallas n'a pas nommé ce critique si scrupuleux; mais le
+ton tranchant de censure, dont sont empreintes ses remarques, aurait été
+capable, à quelque époque que ce fût, de dénaturer le jugement d'un
+auteur qui, plusieurs années après, dans tout l'éclat de sa gloire,
+avouait que le blâme du dernier des hommes lui causait plus de chagrin
+qu'il n'éprouvait de plaisir à recevoir les applaudissemens des plus
+hauts personnages.
+
+ [Note 149: Gray, dominé par une semblable prédilection,
+ préféra long-tems ses poèmes latins à ceux qui lui ont
+ assigné un rang si élevé dans la littérature anglaise.
+ «Devons-nous, dit Mason, attribuer cette méprise à ce qu'il
+ avait été élevé à Eton, ou à quelque autre cause? Il est
+ certain que lorsque je fis sa connaissance, il semblait
+ attacher à ses poésies latines beaucoup plus de prix qu'à
+ celles qu'il avait composées dans sa langue natale.»]
+
+Quoiqu'il soit facile de reconnaître dans toutes les productions de son
+âge mûr, des traces de sa supériorité, nous croyons cependant qu'on
+ajouterait peu à sa célébrité en publiant dans son entier cette
+paraphrase d'Horace, qui se compose de près de huit cents vers. Mais
+j'en choisirai quelques passages capables de donner une idée de ses
+beautés, comme de ses défauts, afin de mettre le lecteur à même de se
+former une opinion sur une composition que l'auteur, par une erreur ou
+un caprice de jugement, sans exemple peut-être dans les annales de la
+littérature, préféra long-tems aux sublimes méditations de _Childe
+Harold_.
+
+Le début du poème, si on le compare à l'original, est assez ingénieux:
+
+Qui ne rirait si Lawrence, s'engageant à couvrir sa précieuse toile du
+portrait flatté du premier venu, abusait assez de son art pour que la
+nature effarouchée vît nos bons bourgeois prendre sous son pinceau la
+forme des centaures? Ou si quelque barbouilleur, par amour de
+l'extraordinaire, ou pour hâter la vente, s'avisait de joindre à une
+fille d'honneur la queue d'une sirène? Ou si le trivial Dubost (comme on
+l'a vu naguère), possédé de la fureur de peindre, dégradait les
+créatures, images de la divinité? Toute la politesse qui défend de se
+moquer des sots en leur présence, ne pourrait réprimer les éclats de
+rire de leurs amis. Crois-moi, Moschus, rien ne ressemble plus à ces
+tableaux que le livre qui, plus décousu que les rêves d'un malade,
+présente à nos regards une foule de figures incomplètes, poétiques
+cauchemars, qui n'ont ni pieds ni tête.
+
+Ce qui suit est un des meilleurs morceaux écrits dans un genre plus
+grave:
+
+De nos jours, les mots nouveaux sont en honneur, si on les ente
+adroitement sur quelque gallicisme: pourrions-nous refuser à la muse
+plus habile de Dryden et de Pope, ce que Chaucer et Spencer tentèrent
+avec succès? Si vous pouvez créer que ne le faites-vous, à l'exemple de
+William Pitt et de Walter-Scott, qui par le secours, l'un de ses vers,
+l'autre de ses poumons, ont enrichi les dialectes mal joints de notre
+île? Il est et il sera toujours légitime de proposer des réformes en
+littérature, comme au parlement.
+
+De même que les forêts couvrent par degrés la terre de leurs feuilles,
+ainsi se fanent des expressions qui ont plu dans leur nouveauté. Le même
+destin est réservé à l'homme, et à tout ce qui se rattache à lui. Ses
+ouvrages, ses mots s'effacent et ne servent plus qu'à fixer une date.
+Quoique, à un signe des monarques, et à la voix du commerce, des fleuves
+impétueux deviennent de tranquilles canaux; quoique des marais desséchés
+et assainis soient sillonnés par la charrue et portent de jaunes
+moissons; quoique des ports creusés sur nos rivages protégent les
+vaisseaux contre les tempêtes de l'antique Océan, tout, tout doit périr.
+Mais, survivant au naufrage général, l'amour des lettres préserve à demi
+les souvenirs du passé.
+
+Je ne cite ce qui suit qu'à cause de la note qui y est jointe:
+
+Les premiers vers satiriques naquirent du spleen de quelque égoïste. En
+doutez-vous? Voyez Dryden, Pope, et le doyen de Saint-Patrick[150].
+
+ [Note 150: _Mac-Flecknoe_, la _Dunciade_ et toutes les
+ ballades satiriques de Swift. Quels que soient leurs autres
+ ouvrages, ceux-ci furent le résultat de sentimens personnels
+ et de récriminations violentes contre d'indignes rivaux; et
+ quoique le mérite littéraire de ces satires fasse honneur aux
+ talens poétiques des auteurs, leur virulence déshonore
+ certainement leur caractère.]
+
+Les vers blancs, aujourd'hui, par un commun accord, sont presque
+inséparables de la tragédie. Quoique les fureurs d'Almanzor
+s'exprimassent en vers rimés, au tems de Dryden, nous ne voyons pas les
+héros des pièces nouvelles en affubler leurs emportemens; et la modeste
+comédie, abandonnant tout-à-fait les vers, nous offre en humble prose
+ses gentillesses et ses quolibets. Ce n'est pas que nos Beaumont et nos
+_ben_ aient plus mauvaise grâce, ou perdent rien de leur mérite, pour
+avoir composé en vers; mais c'est ainsi que Thalie aime à se montrer.
+Pauvre fille! que l'on siffle quelques vingt fois par an.
+
+On trouve dans les vers suivans, sur Milton, plus de poésie que dans
+aucun autre passage de la paraphrase:
+
+Ô muse! s'écrie-t-il, réveille de plus sublimes accords! Et, s'il vous
+plaît, que pensez-vous voir éclore de son cerveau enflammé? En un clin
+d'œil, il tombe aussi bas que Southey dont les montagnes épiques ne
+manquent jamais d'accoucher d'une souris! Ce n'était pas ainsi que jadis
+votre puissant devancier tirait de doux accens de sa lyre inimitable:
+d'une voix mélodieuse comme les soupirs de la harpe éolienne, il nous
+parle de la première désobéissance de l'homme et du fruit défendu; mais
+à mesure que son sujet s'élève, son chant fait retentir les échos de la
+terre et des cieux.
+
+On pourra remarquer quelques traits piquans dans les esquisses
+suivantes:
+
+Enfin il touche à l'adolescence! On ne le forcera plus à gémir sur les
+vers diaboliques[151] de Virgile, et sur ceux qu'on lui donne à faire.
+Les prières l'ennuient, la lecture est trop sérieuse; il vole de T...ll
+à Fordham (malheureux T...ll, condamné à d'éternels soucis par les
+apprentis boxeurs et les ours). Que peuvent des tuteurs, des devoirs,
+des convenances, en présence d'une meute, de chevaux de chasse et de la
+plaine de Newmarket? Rude avec ses aînés, hautain avec ses égaux, poli
+envers des escrocs, prodigue de richesses........... persiflé, pillé,
+dupé, il passe le tems de ses cours sans rien faire; évite peut-être
+l'expulsion, et se retire M. A. (Maître-ès-arts)! Et l'on proclame sa
+nouvelle dignité dans les clubs et les tripots, dont nul habitué
+n'arriva jamais plus haut.
+
+ [Note 151: Harvey, qui fit connaître la circulation du sang,
+ avait coutume, dans ses transports d'admiration, de jeter
+ loin de lui son _Virgile_, en disant que le livre avait un
+ diable familier. Un personnage tel que celui que je décris,
+ jetterait probablement aussi le livre; mais il désirerait
+ plutôt que le diable s'en emparât, non pas en haine du poète,
+ mais par une horreur bien fondée des hexamètres. Car,
+ vraiment, la fastidieuse étude des _longues_ et des _brèves_
+ suffit pour qu'un homme prenne la poésie en aversion pendant
+ sa vie entière; et peut-être en cela n'est-ce pas un
+ désavantage.]
+
+Lancé dans le monde, et devenu moins ardent, il singe l'égoïste prudence
+de son père; prend une femme, pour sa dot; choisit ses amis pour leur
+rang; achète des terres, et se vante d'être trop prudent pour se fier à
+la banque. Il prend place au sénat; procrée un héritier, et l'envoie à
+Harrow, car il y fut lui-même. Muet, quoi qu'il vote, à moins qu'il ne
+joigne sa voix aux acclamations favorables au ministère; s'il parle de
+son fils: C'est un compère adroit, qu'il espère bien voir un jour
+arriver à la pairie!
+
+La vieillesse s'avance; l'âge paralyse ses membres; il quitte la scène,
+ou la scène le quitte; il entasse des richesses; s'afflige à chaque
+penny qu'il faut dépenser, et l'avarice s'empare de toutes les pensées
+qui ne sont pas à l'ambition. Il compte les cent pour cent, et sourit;
+ou vainement s'irrite, en considérant ses trésors entamés pour payer les
+dettes du jeune Hopeful; il pèse bien et sagement ce qu'il faut acheter
+ou vendre; habile à tout faire, excepté à mourir! grondeur, morose,
+radoteur difficile à contenter, louant tous les tems, excepté le
+présent; infirme, querelleur, délaissé et presque oublié, il meurt sans
+qu'on le pleure; on l'enterre; qu'il pourrisse!
+
+Plus loin, parlant de l'opéra, voilà comment il s'exprime:
+
+Là se rend l'alerte boutiquier, dont l'oreille est mise à la torture par
+l'orchestre qu'il veut entendre pour son argent. Une fausse honte, et
+non la sympathie, l'empêche seule de ronfler; ses angoisses redoublent
+quand il croit du bon ton de crier: Encore! Écrasé par la foule dans
+Fop's alley, coudoyé par les élégans, gêné par son chapeau, tremblant
+pour ses orteils, sa soirée est un combat, et il ne goûte quelque repos
+que quand enfin le rideau tombe, et lui donne un peu de relâche qui
+l'enchante. Devinez-vous pourquoi il se résigne à souffrir tout cela et
+plus encore? C'est qu'il lui en coûte cher, et qu'il est forcé de se
+parer!
+
+Les derniers vers du passage suivant retracent plaisamment ce mélange de
+gaîté et d'amertume qui, parfois, animait la conversation de l'auteur. À
+tel point même, que ceux qui l'ont connu pourraient presque s'imaginer
+qu'ils l'entendent parler:
+
+Mais rien n'est sans défaut, et chacun sait que les violons et les
+harpes perdent souvent le ton, et que les meilleurs chanteurs, au moment
+où ils voudraient réunir tous leurs moyens, ne font entendre que des
+accens criards; les chiens perdent la trace du gibier, la pierre refuse
+l'étincelle, et les fusils à deux coups (que le diable les emporte!)
+manquent le but[152]!
+
+ [Note 152: Comme M. Pope a pris la liberté d'envoyer Homère à
+ tous les diables, malgré tout ce qu'il lui devait, quand il a
+ dit: «Et Homère (que le diable l'emporte, etc.)» Il est
+ présumable que, par licence poétique, on peut en faire
+ autant, en vers, de tout homme et de toute chose; et en cas
+ d'accident, je désire qu'on me permette de me prévaloir de
+ cet illustre précédent.]
+
+Un dernier passage, avec la note plaisante qui y est jointe, complétera
+le nombre des morceaux que je veux citer comme les meilleurs.
+
+Est-ce assez? Non: écrivez donc et imprimez bien vite. Si le dernier
+arrivé est dévolu à Satan, qui voudrait arriver le dernier? Ils
+assiégent les presses, ils publient en toute hâte, ils escaladent le
+comptoir et quittent leurs échoppes: de belles demoiselles de province,
+des hommes de haut renom, quoi donc! des baronnets même, ont noirci
+d'encre leur main guerrière. La pauvreté ne les arrête pas; c'est
+Pollion qui nous joua ce tour; de son tems Phébus commença à trouver
+crédit chez les banquiers. Ce ne sont pas seulement les vivans; les
+morts même nous débitent leurs sottises aussi couramment que jadis
+chantait la tête d'Orphée! Sifflés de leur vivant, ils obtiennent un
+succès posthume; tirés de la poussière où ils étaient ensevelis quand
+ils vivaient. Les revues réveillent le souvenir de leurs épidémiques
+délits, de ces livres témoins muets du martyre auquel les condamne la
+rage de rimer: Hélas! Que de chagrins va nous causer tel barbouilleur
+que citèrent souvent le _Morning Post_ et le _Monthly Magazine_! dans
+ces recueils sont ensevelis ses premiers chefs-d'œuvre; mais bientôt la
+presse gémit, et il en sort un épais in-quarto! Laissez donc, vous qui
+êtes sages, laissez les succès mendiés de la lyre aux baronnets ou aux
+lords possédés du démon des vers, ou à ces crépins de village,
+ménestrels jumeaux ivres de poétique bière! Prêtez l'oreille à ces
+accords d'une mélodie narcotique: ce sont les savetiers lauréats qui
+chantent les louanges de Capel Lofft[153].
+
+ [Note 153: Ce gentleman bien intentionné a gâté quelques
+ excellens cordonniers, et contribué à la ruine poétique de
+ plus d'un pauvre industrieux. Nathaniel Bloomfield et son
+ frère Bobby ont mis tout le Sommersetshire en train de
+ chanter; et cette maladie ne s'est pas bornée à envahir un
+ seul comté. Pratt aussi, qui fut jadis plus sage, a été
+ atteint de la contagion du patronage, et a attiré dans le
+ piége de la poésie un pauvre diable nommé Blackett; mais il
+ mourut pendant l'opération, laissant au dépourvu un enfant et
+ deux volumes de fragmens. La petite fille, si elle n'a pas
+ d'inclinations poétiques et ne se transforme pas en Sapho
+ cordonnière, s'en tirera peut-être; mais les tragédies sont
+ aussi rachitiques que si elles étaient la progéniture d'un
+ comte ou de quelque coureur de prix académiques. Les patrons
+ du pauvre homme sont certainement responsables de sa fin
+ tragique, et ce devrait être un délit punissable par les
+ lois. Mais c'est là ce qu'ils ont fait de moins coupable;
+ car, par un raffinement de barbarie, ils ont couvert le
+ défunt d'un ridicule posthume, en imprimant ce qu'il aurait
+ eu le bon sens de ne jamais faire imprimer lui-même. Certes,
+ ces remueurs de débris sont punissables par le statut contre
+ _les hommes de la résurrection_. Quelle différence y a-t-il,
+ en effet, entre exposer un pauvre idiot, après sa mort, dans
+ un amphithéâtre de chirurgie, et l'étaler dans une boutique
+ de libraire? Est-il plus mal d'exhumer ses os que ses bévues?
+ Ne vaut-il pas mieux attacher son corps au gibet, sur une
+ bruyère, que d'emprisonner son ame dans un in-octavo? «Nous
+ savons ce que nous sommes, mais nous ignorons ce que nous
+ pouvons devenir;» et il faut espérer que nous ne saurons
+ jamais si un homme qui a traversé la vie avec une sorte
+ d'éclat, est destiné à n'être qu'un charlatan de l'autre côté
+ du Styx, et à devenir, comme le pauvre Joe Blackett, le
+ plastron des railleries du purgatoire. Le prétexte de cette
+ publication est d'assurer un sort à l'enfant. Mais aucun des
+ amis et des tentateurs de ce _sutor ultrà crepidam_ ne
+ pouvait-il donc faire une bonne action sans enferrer Pratt
+ dans une biographie, et lui faire encore diviser sa dédicace
+ en tant de minces portions? À la duchesse une telle; la
+ très-honorable celle-ci, et mistress et miss celle-là; ces
+ volumes sont, etc., etc. Eh mais, c'est distribuer «le doux
+ lait de la dédicace» par petits verres. Il n'y en a qu'une
+ chopine, et il le partage entre douze personnes. Ah! Pratt,
+ n'avais-tu donc pas quelques éloges en réserve? As-tu pu
+ croire que six familles de distinction se contenteraient de
+ si peu? Il y a un enfant, un livre et une dédicace: que
+ n'envoies-tu la petite fille à la duchesse, les volumes à
+ l'épicier, et la dédicace à tous les diables?]
+
+Ces extraits choisis, qui comprennent un peu plus du huitième du poème
+entier, suffiront pour donner au lecteur une idée du reste, dont la plus
+grande partie est fort inférieure, et descend parfois au niveau de la
+versification la plus triviale.
+
+Quand on examine la destinée des hommes, il est assez curieux d'observer
+combien de fois un premier pas a décidé du sort de toute la vie. Si Lord
+Byron, à cette époque, eût persisté dans son premier projet de publier
+ce poème au lieu de _Childe Harold_, il est plus que probable que le
+monde aurait compté un grand poète de moins[154]. La paraphrase, qui est
+à tous égards si inférieure à sa première satire, et qui tombe même, en
+quelques endroits, au-dessous de ce qu'ont écrit les versificateurs du
+dernier rang, n'aurait pu manquer d'éprouver une chute complète. Ses
+premiers adversaires auraient repris tous leurs avantages; et dans
+l'amertume de sa mortification, il aurait peut-être jeté _Childe Harold_
+au feu; ou s'il eût retrouvé assez de courage pour publier ce poème, son
+succès même, quoique suffisant pour le réhabiliter aux yeux du public et
+aux siens, n'aurait jamais excité cette explosion d'enthousiasme, cette
+subite manifestation de l'admiration générale, qui l'accueillirent
+lorsqu'il apparut au monde avec toute l'illusion de son retour récent de
+la terre natale de la poésie, et au milieu desquelles il marcha d'un pas
+ferme et sûr à de nouveaux triomphes, dont le dernier était toujours le
+plus éclatant.
+
+ [Note 154: Le passage suivant de son journal montrera qu'il
+ attribuait lui-même tout à la fortune: «Comme Sylla, j'ai
+ toujours cru que tout dépendait de la fortune, et rien de
+ nous-mêmes. Je ne me rappelle ni une pensée ni une action
+ dignes de mon approbation ou de celle d'autrui, que je ne
+ doive attribuer à la bonne déesse fortune.»]
+
+Le jugement plus sûr de ses amis détourna heureusement ce danger, et il
+consentit enfin à la publication immédiate de _Childe Harold_; mais il
+ne cessa pas d'exprimer des doutes sur son mérite, et son inquiétude sur
+l'accueil qu'on lui ferait dans le monde.
+
+«Je fis tout mon possible, dit son conseiller, pour relever cet ouvrage
+dans son opinion, et j'y réussis; mais il variait beaucoup dans ses
+idées à cet égard, et il ne fut satisfait que lorsque le monde eut enfin
+prononcé sur son mérite. Il me répétait sans cesse que j'allais le jeter
+dans de grands embarras avec ses anciens ennemis; que la _Revue
+d'Édimbourg_ saisirait avec joie l'occasion de l'humilier; qu'il ne
+voulait pas que son nom parût. Je le priai d'abandonner tout à ma
+direction, et que je répondais que ce poème imposerait silence à tous
+ses ennemis.»
+
+La question de la publication étant alors décidée, il s'éleva quelques
+doutes et quelques difficultés relativement à l'éditeur. Quoique Lord
+Byron eût confié à Cawthorn ses _Imitations d'Horace_, qu'il regardait
+comme son plus beau titre, il paraît qu'il ne le trouva pas assez haut
+placé dans sa profession pour assurer le succès ou la vogue à l'ouvrage
+dont les chances lui semblaient plus incertaines. Il n'avait pas oublié
+que MM. Longman avaient autrefois refusé de publier ses _Bardes
+anglais_, et il exigea positivement de M. Dallas qu'il n'offrît pas le
+manuscrit à cette maison. On s'adressa d'abord à M. Miller,
+d'Albemarle-Street; mais, effrayé de la sévérité avec laquelle lord
+Elgin était traité dans ce poème, M. Miller, qui était l'éditeur et le
+libraire de ce seigneur, refusa de s'en charger. Le poète était si
+soigneux de sa réputation, que cette circonstance, quelque insignifiante
+qu'elle fût, commença à réveiller ses premières terreurs; et s'il se fût
+présenté de nouvelles difficultés, il ne faut pas douter qu'il ne fût
+revenu à son ancien projet. Mais on ne tarda pas à trouver une personne
+qui tint à honneur d'entreprendre cette publication. M. Murray, qui
+demeurait alors dans Fleet-Street, ayant, quelque tems auparavant,
+exprimé le désir d'être autorisé à faire paraître quelque production de
+Lord Byron, ce fut à lui que M. Dallas confia le manuscrit de _Childe
+Harold_. Ainsi commencèrent entre ce gentleman et le poète des relations
+qui durèrent, à quelques interruptions près, aussi long-tems que la vie
+de l'un, et devinrent pour l'autre une source abondante d'honneur et de
+richesse.
+
+Au milieu des occupations que lui donnaient ses projets littéraires et
+quelques affaires litigieuses à terminer avec ses agens, Lord Byron fut
+soudain rappelé à Newstead par la nouvelle d'un événement qui semble
+l'avoir affligé beaucoup plus qu'on ne pouvait s'y attendre d'après
+l'état des choses. Mrs. Byron, dont l'embonpoint excessif menaçait
+toujours de rendre les maladies dangereuses, s'était trouvée indisposée
+depuis quelques jours, mais sans que sa position fût alarmante, et il ne
+paraît pas que son état fût capable d'inspirer des craintes quand il lui
+avait écrit le billet suivant:
+
+
+Hôtel Reddish, Londres, 23 juillet 1811.
+
+
+CHÈRE MADAME,
+
+«M. H... me retient seul encore pour signer quelques baux, et j'aurai
+soin de vous prévenir de mon départ. C'est bien malgré moi que je reste
+ici. Je vous ferai une courte visite en me dirigeant vers le Lancashire
+pour l'affaire de Rochdale. Vous me donnerez votre avis..., etc.
+
+»_P. S._ Je vous prie de considérer Newstead comme votre maison, et non
+la mienne, et de ne regarder mon passage que comme une simple visite.»
+
+Quand il était parti pour ses voyages, elle avait conçu une sorte d'idée
+superstitieuse qu'elle ne le reverrait plus; et lorsqu'il revint sain et
+sauf, et qu'il lui écrivit pour la prévenir qu'il se rendrait bientôt
+près d'elle, à Newstead, elle dit à sa femme de chambre: «Si j'allais
+mourir avant l'arrivée de Byron, comme ce serait étrange!» Et ce fut
+réellement ce qui arriva. À la fin de juillet sa maladie devint plus
+menaçante; et sa vie, dit-on, se termina d'une manière tristement
+caractéristique, s'il est vrai que ce fut un accès de colère excité par
+la lecture d'un mémoire du tapissier, qui causa sa mort. Lord Byron,
+comme cela devait être, fut promptement informé de l'attaque. Mais,
+malgré son départ précipité, il arriva trop tard; elle avait rendu le
+dernier soupir.
+
+Il écrivit la lettre suivante sur la route:
+
+
+
+
+LETTRE LV.
+
+AU DOCTEUR PIGOT.
+
+Newport-Pagnell, 2 août 1811.
+
+
+MON CHER DOCTEUR,
+
+«Ma pauvre mère est morte hier! et je suis parti de Londres pour aller
+accompagner ce qui reste d'elle, à la sépulture de famille. J'ai appris
+sa maladie un jour, et sa mort le lendemain. Grâce à Dieu, ses derniers
+momens ont été fort tranquilles. On m'assure qu'elle a peu souffert, et
+qu'elle ne connaissait pas le danger de sa position. Je reconnais
+aujourd'hui toute la vérité de l'observation de M. Gray: «Que nous ne
+pouvons avoir qu'une mère.» Qu'elle repose en paix! J'ai à vous
+remercier de vos témoignages d'intérêt; et comme dans six semaines je
+dois aller dans le Lancashire pour affaires, je pousserai jusqu'à
+Liverpool et Chester; du moins je tâcherai.
+
+»Si cela peut vous être agréable, je vous dirai qu'au mois de novembre
+prochain l'éditeur du _Fouet_ (_the Scourge_) sera jugé pour deux
+libelles différens sur feu Mrs. Byron et moi-même, la mort de ma mère ne
+changeant rien à la chose. Comme il est coupable d'une violation de
+privilége, dans une insertion aussi sotte que mal fondée, il sera
+poursuivi avec la dernière rigueur.
+
+»Je vous donne ce détail, parce que je sais que vous vous intéressez à
+l'affaire, laquelle est maintenant entre les mains du procureur-général.
+
+»Je resterai la plus grande partie de ce mois à Newstead, où je serais
+charmé de recevoir de vos nouvelles, d'autant plus que j'en ai été privé
+pendant les deux années qu'a duré mon voyage d'Orient.
+
+»Je suis, mon cher Pigot, etc.»
+
+BYRON.
+
+Le lecteur aura sans doute remarqué que le ton général de la
+correspondance du noble poète avec sa mère est celui d'un fils qui
+accomplit strictement et consciencieusement ce qu'il regarde comme son
+devoir, mais sans aucun mélange de cordialité ou d'affection. Le titre
+même de _madame_ qu'il lui donne presque toujours, auquel il ne
+substitue que rarement le nom plus doux de _mère_, est en lui-même une
+preuve suffisante de la nature des sentimens qu'il avait pour elle.
+Qu'ils aient été tels, l'on ne peut ni s'en étonner, ni l'en blâmer;
+mais que, malgré le malheureux caractère de sa mère, qui lui aliénait
+son cœur, il ait continué à consulter ses désirs, à s'occuper de son
+bien-être, comme on le voit non-seulement dans ses lettres, mais encore
+dans le soin qu'il avait pris de disposer le domaine de Newstead pour
+son usage presque exclusif, c'est ce qui lui fait singulièrement
+honneur, et ce qui devient même plus méritoire, car l'affection nous
+fait un plaisir personnel des soins que nous prodiguons à ceux qui en
+sont l'objet.
+
+Mais, quoique sa mère fut ainsi devenue, de son vivant, presque
+étrangère à son cœur, la mort lui rendit la place qu'elle devait
+naturellement y occuper. Soit par un retour de sa première tendresse;
+soit par la puissance du tombeau, qui fait oublier tant de choses! soit
+par la perspective du vide qu'elle allait laisser dans sa vie, il est
+certain qu'il sentit amèrement sa mort, si ce n'est profondément. La
+nuit qui suivit son arrivée à Newstead, la garde de Mrs. Byron, passant
+devant la porte de la chambre où reposait le cadavre de cette dame,
+entendit un bruit comme de quelqu'un qui soupirait péniblement, et, en
+entrant, fut fort étonnée de trouver Lord Byron près du lit, assis dans
+une obscurité profonde. Comme elle lui représentait la faiblesse qu'il y
+avait à s'abandonner ainsi à la douleur, il fondit en larmes, et
+s'écria: «Ho! Mrs. By, je n'avais qu'une amie dans le monde, et elle est
+morte!»
+
+Tandis qu'il renfermait ainsi dans le silence et dans l'obscurité ses
+pensées réelles, il y avait dans d'autres parties de sa conduite plus
+exposées aux regards un degré de singularité et d'indécorum qui, aux
+yeux d'observateurs superficiels, devait faire révoquer en doute la
+sensibilité de son naturel. Le matin des funérailles, après avoir refusé
+d'accompagner lui-même le corps, il se tint debout à la porte de
+l'Abbaye jusqu'à ce que tout le cortége fut passé; alors, se tournant
+vers le jeune Rushton, il lui ordonna d'aller chercher des gants à
+boxer, et se mit à s'exercer avec cet enfant, comme à son ordinaire. Il
+fut silencieux et distrait pendant tout le tems; et comme par un effort
+pour se soustraire aux pensées qui l'agitaient, Rushton crut
+s'apercevoir qu'il mettait une violence inaccoutumée dans les coups
+qu'il lui portait. Mais à la fin, l'effort devenant trop grand pour lui,
+il jeta précipitamment les gants, et se retira dans sa chambre.
+
+Nous avons assez parlé de Mrs. Byron dans cet ouvrage pour mettre
+pleinement le lecteur en état de se former une opinion tant sur le
+caractère de cette dame que sur le degré d'influence qu'il dut avoir sur
+celui de son fils. L'homme le plus extraordinaire de notre tems[155],
+qui se croyait principalement redevable à l'éducation qu'il reçut de sa
+mère, de l'élévation sans exemple à laquelle il arriva dans la suite, a
+dit plusieurs fois que «la bonne ou mauvaise conduite d'un enfant dépend
+entièrement de sa mère.» Quant à l'influence que peuvent avoir eue les
+caprices et la violence de sa mère sur les défauts qui se mêlèrent aux
+belles qualités de Lord Byron, sur ses impulsions incertaines et
+opiniâtres, sur son aversion pour toute espèce de frein, sur l'amertume
+qu'il mit quelquefois dans sa haine, et sur la précipitation de ses
+ressentimens, c'est une question pour la solution de laquelle les
+matériaux ne manquent pas dans ces pages, et que chacun décidera suivant
+qu'il accordera plus ou moins de force et de pouvoir à ces causes dans
+la formation d'un caractère.
+
+ [Note 155: Napoléon.]
+
+Malgré le traitement peu judicieux et presque grossier qu'elle lui fit
+subir, il n'est pas douteux qu'elle n'aimât son fils, mais par boutades,
+et comme il convenait seulement à un naturel tel que le sien; il est
+moins douteux encore qu'elle n'en fût fière, et ne plaçât en lui de
+grandes espérances pour l'avenir. On peut juger de son anxiété pour le
+succès de ses premiers essais littéraires, par les peines que prit Byron
+pour la tranquilliser lors de l'apparition de l'article de la _Revue
+d'Édimbourg_, où il était si mal traité. À mesure que sa renommée
+s'augmenta et devint plus brillante, elle se confirma de plus en plus
+dans les idées que, par une sorte de superstition, elle avait formées
+dès son enfance, de sa grandeur et de sa gloire à venir. Elle épiait
+avec inquiétude toutes les publications où son nom était même simplement
+mentionné; elle avait réuni en un volume qu'a vu l'un de mes amis tout
+ce qui avait paru sur sa satire et ses premiers poèmes. Le volume était
+couvert à la marge d'observations qui lui étaient propres, pleines de
+plus de sens et d'habileté que nous ne lui en aurions supposé, d'après
+ce que nous connaissions en général de son caractère et de sa manière
+d'être.
+
+Parmi les autres traits de sa conduite, où l'on pourrait remarquer le
+désir d'environner sa mère de respect, on peut remarquer qu'étant enfant
+il insistait pour être appelé «Georges Byron Gordon,» donnant ainsi la
+préférence au nom maternel, et qu'il continua toujours à lui écrire: «À
+l'honorable Mrs. Byron,» quoiqu'il sût bien qu'elle n'avait aucune
+espèce de droit à ce titre honorifique. Il ne paraît pas non plus que
+dans sa conduite générale envers elle il ait jamais manqué d'affection
+et de déférence, on y remarquait seulement quelquefois plus de
+familiarité que n'en comportent nos idées de respect filial. Ainsi quand
+ils étaient bien ensemble, il ne l'appelait jamais autrement que «Kitty
+Gordon;» et je me rappelle avoir vu un témoin de la scène me décrire
+l'air dramatique et malin dont un jour, à Southwell, quand ils étaient
+dans le fort de leur rage théâtrale, il ouvrit brusquement les portes du
+salon pour la faire entrer, en disant: «Entrez, honorable Kitty Gordon.»
+
+L'orgueil de la naissance était un sentiment commun à la mère et au
+fils, souvent même c'était un sujet de rivalité entre eux; il leur était
+difficile d'accorder leurs prétentions anglaises et écossaises au plus
+haut lignage respectif. Dans une lettre écrite d'Italie; il dit à propos
+de quelque anecdote qu'il tenait de sa mère: «Ma mère, qui était fière
+comme un diable de descendre des Stuart, en ligne droite des _vieux
+Gordon_, et non des _Sexton Gordon_, comme elle appelait dédaigneusement
+la branche ducale, ne manquait pas de me faire remarquer, chaque fois
+qu'elle me racontait cette histoire, combien _ses_ Gordon l'emportaient
+sur les Byron anglais, malgré notre origine normande, et notre nom
+toujours porté par un héritier mâle, tandis que celui des Gordon était
+tombé à une femme, dans la personne de ma mère.»
+
+Si, pour peindre fortement les émotions pénibles, il faut les avoir
+éprouvées, ou, en d'autres termes, si, pour que le poète soit grand,
+l'homme doit avoir souffert, Lord Byron, il faut l'avouer, paya son beau
+talent de bonne heure et bien cher. Quelque peu nombreuses que fussent
+les affections de Byron, soit en dedans, soit en dehors du cercle de sa
+parenté, il les vit dans un court espace de tems presque toutes brisées
+par la mort[156]. Outre la perte de sa mère, il eut à déplorer, dans
+l'espace de quelques semaines, la mort prématurée de deux ou trois de
+ses meilleurs amis. «Dans le court espace d'un mois,» dit-il dans une
+note de _Childe Harold_, «j'ai perdu celle qui m'avait donné
+l'existence, et la plupart de ceux qui me rendaient cette existence
+tolérable.» Parmi eux nous devons compter le jeune Wingfield, que nous
+avons vu en tête de la liste de ses favoris, à Harrow, et qui mourut de
+la fièvre à Coimbre; et Matthews, l'objet de son admiration et de son
+idolâtrie à l'université, qui se noya en se baignant dans la Cam.
+
+ [Note 156: Dans une lettre écrite deux ou trois mois après la
+ mort de sa mère, il ne compte pas moins de six personnes de
+ ses parens ou de ses amis que la mort lui avait enlevées
+ depuis le mois de mai jusqu'à la fin d'août.
+ (_Note de Moore_.)]
+
+La lettre suivante, écrite immédiatement après ce dernier événement, est
+tellement pleine d'une douloureuse sensibilité, que la lecture en est
+presque pénible.
+
+
+
+
+LETTRE LVI.
+
+À M. SCROPE DAVIES.
+
+Newstead-Abbey, 7 août 1811.
+
+
+MON CHER DAVIES,
+
+«Il y a quelque malédiction sur moi et les miens. Le cadavre de ma mère
+est encore dans la maison, et voilà qu'un de mes meilleurs amis se noie
+dans un fossé! Je ne sais que dire, que penser ou que faire. J'avais
+reçu une lettre de lui avant-hier. Mon cher Scrope, si vous avez un
+moment de libre, je vous en conjure, venez me voir, j'ai besoin d'un
+ami. La dernière lettre de Matthews était datée de vendredi, et samedi
+il n'était plus! Qui pouvait-on comparer à Matthews pour les talens?
+Comme nous étions tous petits auprès de lui! Vous ne me rendez que
+justice en disant que j'aurais volontiers risqué ma chétive existence
+pour sauver la sienne. J'avais intention de lui écrire ce soir même,
+pour l'inviter, comme je vous invite, mon bien, bon ami, à me venir
+voir. Que Dieu pardonne à... son apathie! Quelle sera la douleur de
+notre pauvre Hobhouse! Ses lettres ne parlent que de Matthews. Venez,
+Scrope, je suis presque dans le désespoir; me voilà presque seul dans le
+monde! Je n'avais que vous, Hobhouse et Matthews; laissez-moi jouir de
+la société des survivans aussi long-tems que je le puis. Pauvre
+Matthews! Dans sa lettre de vendredi, il me parlait de son intention de
+se présenter pour l'élection de Cambridge et d'un voyage qu'il devait
+faire bientôt à Londres. Écrivez-moi ou venez, mais venez plutôt si vous
+le pouvez; l'un ou l'autre, ou tous les deux.
+
+»Pour toujours, votre, etc.»
+
+J'ai déjà eu occasion de parler de ce jeune homme remarquable[157]; mais
+le rang qu'il occupa dans les affections de Byron, justifiera sans doute
+un hommage à sa mémoire un peu plus détaillé.
+
+ [Note 157: Charles Skinner Matthews était le troisième fils
+ de feu John Matthews, esq. de Belmont, dans le Herefordshire,
+ représentant de ce comté au parlement de 1802 à 1806. Il
+ avait pour frères l'auteur du _Journal d'un Invalide_ (_Diary
+ of an Invalid_), qui mourut aussi fort jeune, et le
+ prébendier actuel d'Hereford, le révérend Arthur Matthews,
+ qui, par ses talens naturels et ses connaissances acquises,
+ soutient dignement la réputation de son nom.
+
+ Le père de cette famille accomplie était lui-même un homme de
+ fort grands talens, et auteur de plusieurs poèmes anonymes;
+ l'un d'eux, la _Parodie de l'Héloïse de Pope_, a été
+ faussement attribué à feu M. le professeur Porson; qui le
+ récitait souvent, et qui en a même donné une édition.]
+
+Rarement, peut-être on a vu réunis à la fois autant de jeunes gens de
+mérite et d'espérance qu'il s'en trouva à Cambridge dans la société dont
+Byron faisait partie. Le nom de quelques-uns d'entre eux, MM. Hobhouse
+et William Bankes, par exemple, est devenu célèbre dans le monde
+littéraire et savant. Il en est un autre, M. Scrope Davies, dont les
+talens n'ont encore, au grand regret de ses amis, brillé que dans sa
+conversation, d'ailleurs fort remarquable. Parmi tous ces jeunes gens
+pleins de talens et de connaissances, en y comprenant Byron lui-même,
+dont le génie était à cette époque _un monde non encore découvert_, la
+supériorité dans presque tous les genres paraît, du consentement de
+tous, avoir incontestablement appartenu à Matthews. Cet hommage unanime,
+si nous considérons le mérite des personnes qui le lui rendaient, doit
+donner une très-haute idée des dispositions et même des talens qu'il
+montrait à cette époque. On ne peut songer sans intérêt et sans douleur
+à ce qu'il serait probablement devenu un jour si la mort ne l'eût pas
+frappé sitôt. La supériorité intellectuelle, non accompagnée des
+qualités aimables du cœur, n'eût pas suffi pour obtenir cet éloge
+unanime; mais le jeune Matthews, en dépit de quelques légères aspérités
+de caractère, de quelques originalités qu'il commençait à faire
+disparaître, paraît avoir été l'un de ces individus rares, qui
+commandent notre affection en même tems que nos respects, et qui nous
+soulagent de l'admiration que nous ne saurions leur refuser, par l'amour
+qu'ils savent nous inspirer.
+
+J'ai déjà parlé de ses opinions religieuses, et, de leur malheureuse
+conformité avec celles de Lord Byron; ardent, comme son noble ami, à la
+recherche de la vérité, comme lui il s'égara dans sa poursuite, et tous
+deux prirent pour elle cette fausse lumière qui lui ressemble. Qu'il
+soit jamais allé plus loin que Lord Byron dans son scepticisme, que son
+esprit ingénieux ait jamais admis _la croyance incroyable de
+l'athéisme_, c'est, malgré le témoignage écrit de notre poète, c'est ce
+que je vois nier par tous ceux de ses amis qui avouent ses autres
+erreurs en les déplorant. Je ne me serais même pas permis d'examiner
+quelles ont été les opinions d'un homme qui, ne les ayant jamais
+affichées, ne les a pas rendues du domaine public, si l'idée fausse
+qu'on avait adoptée à ce sujet, d'après l'autorité de Lord Byron, ne
+m'eût pas fait considérer comme un acte de justice, envers tous deux, de
+repousser cette imputation.
+
+On se rappellera que, dans ses lettres écrites à sa mère, avant son
+départ pour ses voyages, Lord Byron parle quelquefois d'un testament
+qu'il avait intention de laisser entre les mains de ses exécuteurs. Quel
+qu'ait été le contenu de cette pièce, il paraît que, quinze jours après
+la mort de sa mère, il crut devoir faire de nouvelles dispositions, et
+adressa la lettre suivante, avec ses instructions à cet effet, à feu M.
+Bolton, procureur à Nottingham. J'ai refusé long-tems de croire qu'il
+eût jamais donné sérieusement et en forme les ordres que l'on va voir,
+pour son propre enterrement; mais les documens ci-joints mettent hors de
+doute cette preuve remarquable de la singularité de son caractère.
+
+
+À M. BOLTON.
+
+Newstead-Abbey, 12 août 1811.
+
+
+MONSIEUR,
+
+«Je vous envoie ci-joint une copie des clauses principales du testament
+que j'ai dessein de faire, que je vous prie de vouloir bien faire
+grossoyer le plus tôt possible, de la manière la plus claire et la plus
+formelle. Les changemens que vous y remarquerez sont principalement par
+suite de la mort de Mrs. Byron. Je vous serais obligé de le tenir prêt
+dans peu de tems, et j'ai l'honneur d'être, monsieur,
+
+»Votre très-humble et très-obéissant serviteur,»
+
+BYRON.
+
+NOTES POUR UN TESTAMENT À GROSSOYER IMMÉDIATEMENT.
+
+Newstead-Abbey, 12 août 1811.
+
+«Le domaine de Newstead à substituer, après certaines déductions, à
+George Anson Byron, héritier légitime du titre, ou à la personne
+quelconque qui s'en trouvera héritière légitime au décès de Lord Byron.
+La propriété de Rochdale à vendre en tout ou en partie, suivant le
+chiffre des dettes et legs du présent Lord Byron.
+
+»À Nicolo Giraud, d'Athènes, sujet français, mais né en Grèce, la somme
+de 7,000 livres sterl. pour être payée, à l'époque de sa majorité, audit
+Nicolo Giraud, habitant Athènes et Malte en 1810, et ce sur la vente de
+telles parties de Rochdale, Newstead et autres propriétés, suivant que
+besoin sera.
+
+»À William Fletcher, Joseph Murray et Démétrius Zograffo[158], natif de
+Grèce, domestiques, la somme de 50 livres sterl. pendant leur vie. De
+plus, audit William Fletcher, le moulin de Newstead, à condition qu'il
+en paiera la rente, mais sans être soumis au caprice du propriétaire. À
+Robert Rushton, la somme de 50 livres sterling de rente viagère; plus,
+une autre somme de 1,000 liv. sterl. le jour qu'il atteindra l'âge de
+vingt-cinq ans.
+
+ [Note 158: Si les gazettes ne mentent pas, ce qu'elles font
+ généralement, Démétrius Zograffo, d'Athènes, est à la tête de
+ l'insurrection de ce pays. Il a été mon domestique pendant
+ les années 1809, 1810, 1811 et 1812, avec quelques
+ interruptions, car je le laissai en Grèce quand je passai à
+ Constantinople; il m'accompagna en Angleterre, en 1811, et
+ retourna dans son pays au printems de l'année suivante. C'est
+ un homme habile, quoiqu'il n'eût pas l'air entreprenant; mais
+ ce sont les circonstances qui nous font ce que nous sommes.
+ Ses deux fils, alors au berceau, s'appelaient Miltiade et
+ Alcibiade; puisse le présage être favorable!
+ (_Journal autographe de Byron_.)]
+
+»À John Hanson, esq., la somme de 2,000 liv. sterling.
+
+»Ce qui pourra être dû à S.B. Davies, esq., devra lui être payé dès
+qu'il en aura fourni la note.
+
+»Le corps de Lord Byron sera enseveli dans le caveau du château de
+Newstead, sans aucune cérémonie ou service funèbre, et sans aucune
+inscription, si ce n'est celle de son nom et de son âge. Les restes de
+son chien ne seront pas pour cela enlevés du dit caveau.
+
+»Ma bibliothèque et mes meubles de toute espèce sont légués à mes amis
+et exécuteurs John Carn Hobbouse et S.B. Davies. En cas de décès des
+susdits, je nomme pour mes exécuteurs le révérend J. Becher, de
+Southwell, Nottinghamshire, et R. C. Dallas, Esq. de Montake Surrey.
+
+»Le produit de la vente de Wymondham dans le Norfolkshire, et des
+propriétés de la feue Mrs. Byron en Écosse, sera employé au paiement de
+mes dettes et de mes legs.»
+
+En envoyant une copie du testament rédigé d'après les instructions de
+Lord Byron, le procureur avait accompagné quelques-unes des clauses de
+questions marginales, appelant l'attention de son noble client sur
+certaines choses qui lui semblaient impropres ou douteuses. Comme les
+courtes, mais énergiques réponses de Byron, sont parfaitement empreintes
+de l'originalité de son caractère, nous allons donner ici quelques-unes
+de ces clauses avec les questions et les réponses qui s'y rapportent.
+
+«Ceci est la dernière volonté et le testament de moi, le très-honorable
+Georges-Gordon Lord Byron, Baron Byron de Rochdale, dans le comté de
+Lancaster. Je veux que mon corps soit enterré dans le caveau du jardin
+de Newstead, sans aucune cérémonie, ni aucun service funèbre quelconque.
+Qu'on ne place aucune inscription sur mon tombeau, sauf une tablette
+portant mon nom et mon âge. Je veux de plus qu'on ne retire pas du dit
+caveau les restes de mon chien fidèle. Je me confie à l'affection de mes
+exécuteurs pour l'accomplissement de cette volonté, à laquelle je tiens
+d'une manière toute particulière.»
+
+»--On demande à Lord Byron s'il ne vaudrait pas mieux supprimer
+entièrement cette clause relative aux funérailles. La substance pourrait
+en être renfermée dans une lettre de Sa Seigneurie à ses exécuteurs, et
+jointe au testament, lequel porterait alors que les funérailles auraient
+lieu en la manière que Sa Seigneurie l'aurait ordonné par une lettre _ad
+hoc_, ou, à défaut d'une telle lettre, à la discrétion de ses
+exécuteurs.»
+
+»--Il faut que cela reste.»
+
+BYRON.
+
+»Je veux, et j'ordonne formellement que toutes les sommes que ledit S.
+B. Davies pourrait avoir à répéter sur moi, soient payées intégralement,
+aussitôt que possible, après mon décès, dès qu'il aura prouvé la nature
+et le montant de la dette (par témoins ou autrement, à la satisfaction
+de mes exécuteurs ci-dessus nommés)[159].»
+
+ [Note 159: Les mots placés ici entre deux traits avaient été
+ biffés à la plume par Lord Byron.]
+
+»--Si M. Davies a quelques comptes non réglés avec Lord Byron, cette
+circonstance est une raison de ne le point nommer exécuteur; chaque
+exécuteur étant en état de se payer par ses propres mains sans consulter
+ses co-exécuteurs.»
+
+»--Tant mieux... Si la chose est possible, qu'il soit l'un des
+exécuteurs.»
+
+BYRON.
+
+Les deux lettres suivantes contiennent de nouvelles instructions sur le
+même sujet.
+
+
+
+
+LETTRE LVIII. [Même numéro que lettre suivante]
+
+À M. BOLTON.
+
+Newstead-Abbey, 16 août 1811.
+
+
+MONSIEUR,
+
+«J'ai répondu en marge à vos questions[160]. Mon intention est que l'on
+accorde à M. Davies tout ce qu'il croira devoir répéter, et de plus
+qu'il soit l'un de mes exécuteurs. Je désire que le testament soit, s'il
+est possible, écrit de manière à prévenir toute espèce de discussion
+après ma mort, et c'est ce sur quoi je m'en repose sur vous comme homme
+de loi et homme d'honneur.
+
+ [Note 160: En énumérant dans cette clause le nom et la
+ demeure des exécuteurs, le procureur avait laissé des blancs
+ pour les noms de baptême des exécuteurs; Lord Byron les ayant
+ tous remplis, excepté celui ou ceux de M. Dallas, écrivit en
+ marge: «J'ai oublié le nom de baptême de Dallas... il n'y a
+ qu'à le retrancher.»]
+
+»Quant à la manière simple dont je veux qu'on dispose de ma _carcasse_,
+je veux que l'on s'y conforme absolument; cela aura, du moins,
+l'avantage de sauver bien du trouble et de la dépense. En outre, ce qui
+est de peu de conséquence pour moi, mais qui pourra calmer la conscience
+des survivans, le jardin est _terre consacrée_. Cet article est copié
+mot à mot de mon premier testament, et les changemens opérés dans
+d'autres sont la suite de la mort de Mrs. Byron.
+
+»J'ai l'honneur d'être votre très-humble et très-obéissant serviteur,»
+
+BYRON.
+
+
+
+
+LETTRE LVIII.[Même numéro que la lettre précédente.]
+
+À M. BOLTON.
+
+Newstead-Abbey, 20 août 1811.
+
+
+MONSIEUR,
+
+«Les témoins seront pris parmi mes fermiers, et je serai charmé de vous
+recevoir le premier jour qui vous sera convenable. J'ai oublié de
+mentionner qu'il faut spécifier par codicille, ou autrement, que mon
+corps ne devra, sous aucun prétexte, être enlevé de la place où je yeux
+qu'il soit déposé. Que si quelqu'un de mes successeurs au titre, soit
+par bigoterie, soit autrement, voulait déranger ma carcasse, un tel
+procédé devra être suivi de la perte du domaine, qui, dans ce cas,
+serait dévolu à ma sœur l'honorable Augusta Leigh ou à ses ayant-cause,
+aux mêmes conditions.
+
+«»J'ai l'honneur d'être, Monsieur, etc.»
+
+BYRON.
+
+En conséquence de cette dernière lettre, une condition provisionnelle
+fut insérée dans le testament. Il y fut aussi, le 28 du même mois,
+ajouté un codicille par lequel il révoque la donation précédemment faite
+de «ses meubles meublans, bibliothèque, tableaux, sabres, montres,
+argenterie, linge, bijoux, etc., et autres effets mobiliers, excepté
+l'argent et les valeurs en portefeuille, qui se trouveraient dans la
+maison et propriété de Newstead au jour de son décès, et lègue le tout
+(excepté le vin et les autres spiritueux) à ses amis lesdits J. C.
+Hobhouse, J. B. Davies et Francis Hodgson, ses exécuteurs, etc. Il lègue
+le vin et les liqueurs spiritueuses qui se trouveront dans les caves et
+autres parties de Newstead, à son ami ledit J. Becher, pour son usage
+particulier. Priant collectivement et individuellement les susnommés de
+vouloir bien accepter leur dit legs respectif, comme un gage de son
+amitié.»
+
+On ne saurait se défendre d'un intérêt douloureux à la lecture des
+lettres suivantes, écrites lorsque ses dernières pertes étaient encore
+toutes récentes.
+
+LETTRE LIX.
+
+À M. DALLAS.
+
+Newstead-Abbey, 12 août 1811.
+
+«Que la paix soit avec les morts! Le regret ne saurait les réveiller.
+Après avoir donné un soupir à ceux qui ont quitté cette vie,
+reprenons-en les ennuyeuses occupations, dans la certitude où nous
+sommes que nous aussi nous aurons un jour notre repos. Outre celle qui
+m'avait donné l'existence, j'ai perdu la plus grande partie de ceux qui
+me la rendaient supportable. Le meilleur ami de mon ami Hobhouse,
+Matthews, homme d'un rare mérite, l'ornement de notre petit cercle, a
+péri misérablement dans les eaux fangeuses de la Cam, toujours fatales
+au génie. Mon pauvre camarade d'école, Wingfield, est mort à Coimbre. En
+voilà trois dans l'espace d'un mois; j'avais reçu des nouvelles de tous
+trois, mais je n'en ai pas vu un seul. Matthews m'avait écrit le jour
+même de sa mort: quoique je regrette vivement sa perte, je suis bien
+plus tourmenté pour Hobhouse, je crains bien qu'il n'en perde la raison;
+depuis cet événement, les lettres qu'il m'a écrites sont pleines
+d'incohérences. Mais allons..., nous passerons un jour ou un autre comme
+tout le reste... Le monde est trop plein de ces sortes de choses, et
+notre chagrin même est égoïste.
+
+»J'ai reçu une lettre de vous, à laquelle mes dernières occupations
+m'ont empêché de répondre, ainsi qu'il aurait convenu. J'espère que vos
+parens et vos amis ne seront pas de sitôt séparés. Je serai charmé de
+recevoir une lettre de vous: parlez-moi d'affaires, de sujets communs,
+de quelque chose ou de rien, de tout ce que vous voudrez, excepté de la
+mort; j'en ai plus que je n'en puis supporter. C'est une chose
+étonnante: je regarde sans émotion les quatre crânes que j'ai toujours
+sous les yeux dans mon cabinet d'étude, et je ne puis, même par la
+pensée, dépouiller de leur enveloppe charnue les traits de ceux que j'ai
+connus, sans éprouver une horrible sensation; mais les vers n'y font pas
+tant de cérémonie! Sûrement les Romains avaient raison de brûler leurs
+morts.
+
+»Je serai charmé de recevoir de vos nouvelles, et suis votre, etc.»
+
+BYRON.
+
+
+
+
+LETTRE LX.
+
+À M. HODGSON.
+
+Newstead-Abbey, 22 août 1811.
+
+
+«Vous avez sans doute appris la mort soudaine de ma mère, celle de
+Matthews, celle de Wingfield que je n'ai sue d'une manière bien positive
+qu'au moment où je quittais Londres, encore refusais-je d'y croire; tout
+cela fait un horrible vide dans mes affections. Ces coups se sont
+succédé si rapidement, que je suis comme stupéfait du choc. Quoique je
+mange, que je boive, que je parle, que je rie même quelquefois, j'ai
+peine à me persuader que je sois éveillé; chaque matin j'acquiers la
+triste conviction que tout cela n'est que trop réel. Mais, brisons là,
+les morts sont en repos, et seuls ils y sont.
+
+»Vous partagerez la douleur de ce pauvre Hobhouse: Matthews était le
+dieu de son idolâtrie; et si l'intelligence peut élever un homme
+au-dessus de ses semblables, nul ne pouvait lui refuser cette
+prééminence. Je le connaissais très-intimement, et l'estimais en
+proportion; mais je retombe encore... Allons, parlons de la vie et des
+vivans.
+
+«Si vous vous sentiez disposé à venir ici, vous y trouveriez «du bœuf,
+du feu de charbon de terre» et du vin qui n'est pas sans quelque mérite.
+Si vous y trouverez les deux autres nécessités d'un Anglais, suivant
+Otway, je ne saurais en répondre, mais probablement une des deux.
+Faites-moi savoir quand je pourrai vous attendre, afin que je vous
+tienne au courant de mes allées et de mes venues.....
+
+«Davies est venu ici; il m'a invité à passer une semaine à Cambridge
+dans le mois d'octobre, de sorte que nous pourrions d'aventure nous
+rencontrer le verre à la main. Sa gaîté contre laquelle la mort ne peut
+rien, m'a rendu bien service; mais après tout, nos éclats de rire
+n'étaient pas francs.
+
+«Vous m'écrirez? Je suis seul, voilà la première fois que la solitude
+m'est pénible. Votre anxiété, à propos de la critique sur le livre de
+***, est amusante; comme elle est anonyme, elle est de peu de
+conséquence. Je voudrais qu'elle eût amené un peu plus de confusion, car
+j'aime les malices littéraires. Ne faites-vous rien? N'écrivez-vous
+rien? N'imprimez-vous rien? Pourquoi ne continuez-vous pas votre satire
+sur le méthodisme? Ce sujet, en supposant même que le public fût aveugle
+sur le mérite littéraire, ferait merveille. Outre que pour un homme qui
+se destine au diaconat, il n'y aurait pas de mal de prouver son
+orthodoxie, sérieusement parlé, je désirerais vivement vous voir mieux
+apprécié. Je dis _sérieusement_, parce qu'étant auteur moi-même, on
+pourrait soupçonner mon humanité. Croyez-moi, pour toujours, mon cher
+Hodgson, votre, etc.»
+
+
+
+
+LETTRE LXI.
+
+A M. DALLAS.
+
+Newstead, 21 août 1811.
+
+
+«Votre lettre me fait honneur de plus de sensibilité que je n'en
+possède; quoique je me trouve suffisamment malheureux, je suis cependant
+sujet à une sorte de joie hystérique, ou plutôt de rire sans gaîté, dont
+je ne puis me rendre compte, et que je ne saurais surmonter; et
+cependant je ne m'en sens pas soulagé: une personne indifférente me
+croirait dans les meilleures dispositions du monde. «Il faut oublier
+toutes ces choses,» et avoir recours à toutes nos jouissances
+d'égoïstes, ou plutôt à notre égoïsme, source de nos jouissances. Je ne
+crois pas retourner à Londres immédiatement; j'accepterai donc sans
+cérémonie ce que vous m'avez obligeamment offert, votre médiation entre
+Murray et moi. Je ne crois pas qu'il soit convenable d'y mettre mon nom.
+Observez que ma maudite satire sera cause que les critiques anglais et
+écossais vont se déchaîner sur le _Pélerinage_. Mais n'importe; si
+Murray insiste, et que vous soyez d'accord avec lui, j'en aurai le
+courage. Que le titre porte donc: «Par l'auteur des _Poètes anglais et
+des Journalistes écossais_.» Mes remarques sur la langue romaïque, qui
+devaient accompagner mes _Imitations d'Horace_, se joindront tout
+naturellement à cet ouvrage, avec lequel elles ont plus de rapport,
+ainsi que les petits poèmes que j'ai maintenant en portefeuille, et
+quelques autres déjà publiés dans les _Mélanges_. J'ai trouvé dans les
+papiers de ma pauvre mère toutes mes lettres de l'Orient, et en
+particulier une assez longue sur l'Albanie; j'en pourrai, au besoin,
+tirer le sujet d'une note ou deux. Comme je n'avais point de journal,
+ces lettres écrites sur les lieux sont tout ce que je puis désirer de
+mieux. Nous en reparlerons quand tout le reste sera définitivement
+arrangé.
+
+«Murray a-t-il montré l'ouvrage à quelqu'un? Il en est bien le maître;
+mais je ne veux pas de suffrages mendiés ou surpris. Il y a
+naturellement certaines petites choses que je voudrais changer.
+Peut-être ferait-on aussi bien de retrancher deux stances bouffonnes sur
+le dimanche à Londres. Je dois singulièrement éviter d'identifier mon
+caractère avec celui de _Childe Harold_, et c'est en vérité une seconde
+objection pour l'impression de mon nom sur le titre. Quand vous serez
+convenu du tems, du format, du caractère, etc., faites-moi l'honneur
+d'une réponse. Je vous donne une peine infinie, et que tous mes
+remercîmens ne sauraient jamais reconnaître. J'avais mis en tête du
+manuscrit une sorte d'apologie en prose de mon scepticisme; mais comme,
+toute réflexion faite, je trouve qu'elle a plutôt l'air d'une attaque
+que d'une défense, je crois qu'il serait peut-être mieux de la
+retrancher.... Voyez, et jugez. Je crains que Murray ne se fasse quelque
+mauvaise affaire avec les dévots; je ne puis qu'y faire; je souhaite
+cependant qu'il s'en tire pour le mieux. Quant à moi, «j'ai été abreuvé
+de critiques, et j'en ai eu tout mon soûl,» et je ne pense pas que «le
+plus épouvantable traité» puisse mouvoir et faire hérisser sur ma tête
+«ma toison de cheveux», jusqu'à ce que «la forêt de Birnam vienne au
+château de Dunsinane[161]». Je continuerai à vous écrire de tems en
+tems, et j'espère que vous me rendrez lettre pour lettre. Comment Pratt
+se tire-t-il des œuvres posthumes de Joe Blackett? Vous avez tué ce
+pauvre homme-là entre vous, en dépit de votre ami l'Ionien et de moi qui
+voulions le sauver des griffes de Pratt. Poésie, pauvreté pendant la
+vie, oubli après la mort! Cruel patronage! de ruiner un homme, en
+l'arrachant à son état. Mais enfin c'est un merveilleux sujet de
+souscription et de biographie; et Pratt, qui tire le meilleur parti de
+ses dédicaces, a déjà dédié son livre à cinq grandes familles au moins.
+
+ [Note 161: Imitation burlesque du _Macbeth_ de Shakspeare.
+ (_N. du Tr._)]
+
+«Je suis fâché que vous n'aimiez pas Harry White; avec beaucoup de
+jargon religieux qui, par parenthèse, l'a tué, quoique sincère, comme
+vous avez tué Joe Blackett, certes il y avait en lui de la poésie et du
+génie. Je ne dis pas cela pour ma comparaison et mes rimes; mais il
+était incontestablement au-dessus de tous les Bloomfields, les
+Blacketts, et tous ces autres savetiers que Lofft et Pratt ont enlevés
+ou enlèveront à leur état pour les faire entrer au service de la presse.
+Vous excuserez tout le décousu de cette lettre; j'écris je ne sais quoi
+pour me dérober à moi-même. Hobhouse est parti pour l'Irlande. M. Davies
+est passé par ici en se rendant à Harrowgate.
+
+»Vous ne connaissiez pas Matthews; c'était un homme d'un talent
+extraordinaire; il en a fait preuve à Cambridge, en gagnant, sur les
+plus habiles candidats, plus de prix et de _fellowships_ qu'aucun gradué
+ne l'ait encore fait, de mémoire d'homme. Mais c'était un athée bien
+décidé et bien connu pour tel; car il proclamait ses principes dans
+toutes les sociétés. Je le connaissais beaucoup; sa mort laisse dans mon
+cœur un vide qui ne sera pas aisément rempli: pour Hobhouse, il ne s'en
+consolera jamais. Écrivez-moi, et croyez-moi, etc.»
+
+
+
+
+LETTRE LXII.
+
+À M. MURRAY.
+
+Newstead-Abbey, 23 août 1811.
+
+
+MONSIEUR,
+
+«Un chagrin domestique, la mort d'un parent très-proche, m'a jusqu'ici
+empêché d'entrer en correspondance avec vous sur ce qui fait le sujet de
+cette lettre. Mon ami, M. Dallas, a mis entre vos mains le manuscrit
+d'un poème écrit par moi en Grèce, et me dit que vous n'avez point
+d'objections contre sa publication; mais il m'apprend aussi que vous
+désireriez soumettre l'ouvrage à M. Gifford. Certes, nul ne désirerait
+plus que moi profiter des observations dont il pourrait peut-être
+m'honorer; mais il y a dans une démarche de ce genre une sorte de quête
+d'éloges qui répugne à mon orgueil, ou de quelque autre nom qu'il vous
+plaise d'appeler le sentiment qui me force à m'y refuser. Non-seulement
+M. Gifford est le premier de nos poètes satiriques, mais il est encore
+l'éditeur de nos principales _Revues_, et comme tel, l'homme du monde
+dont je voudrais le moins avoir l'air de prévenir la critique par de
+petits moyens, quoique en effet je la redoute beaucoup. Vous voudrez
+donc bien garder le manuscrit entre vos mains, ou s'il faut absolument
+qu'il soit montré à quelqu'un, envoyez-le à un autre. Quoique je ne sois
+pas très-patient de la censure, je serais, comme un autre, charmé de
+recevoir le peu d'éloges que mes vers peuvent mériter; mais à coup sûr
+je ne veux pas les extorquer par d'humbles sollicitations, et en faisant
+passer mon manuscrit à la ronde. Je suis persuadé qu'avec un peu de
+réflexion vous verrez que je n'ai pas tort.
+
+«Si vous vous déterminez à publier, j'ai aussi quelques petits poèmes
+inédits, quelques notes, et une courte dissertation sur la littérature
+grecque moderne, écrite à Athènes, qui pourront être places à la fin du
+volume. Si la pièce dont il s'agit ici venait à réussir, j'ai intention
+de publier plus tard un choix de mon premier recueil, ma satire, une
+autre de la même longueur, et quelques autres petites choses; le tout
+joint au manuscrit que vous avez maintenant entre les mains pourrait
+former deux volumes. Nous aurons le tems d'en reparler. Je vous serais
+obligé de me faire connaître la détermination que vous aurez prise.
+
+«Je suis, monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur,»
+
+BYRON.
+
+
+
+
+LETTRE LXIII.
+
+A M. DALLAS.
+
+Newstead-Abbey, 25 août 1811.
+
+
+«Comme heureusement j'ai mon franc-couvert[162], je ne me fais point
+scrupule de vous accabler de griffonnage; depuis dix jours je vous ai
+envoyé de véritables paquets. Je suis ici comme un ermite; je ne crois
+pas que mon agent puisse m'accompagner à Rochdale avant la seconde
+semaine de septembre, délai qui me contrarie fort; car je voudrais que
+cette affaire fût finie, et serais bien aise de me livrer à quelque
+occupation. Je vous envoie des exordes, des annotations, etc., pour
+notre futur in-quarto, si tant est qu'in-quarto il doive y avoir. J'ai
+aussi écrit à M. Murray, lui exposant les raisons qui me font ne pas
+consentir à ce qu'il envoie mon manuscrit à Juvénal[163], mais lui
+permettant de le montrer à quelque autre personne du métier qu'il pourra
+lui être agréable. Hobhouse est sous presse, de manière que, lui en
+prose, et moi en vers, nous tirons passablement à vue sur la patience et
+le papier-monnaie du public. Ce n'est pas tout; mes _Imitations
+d'Horace_ attendent leur tour pour s'imprimer chez Cawthorn, mais je
+suis encore incertain sur le _quand_ et le _comment_, le simple ou le
+double, le présent et le futur. Il faut que vous excusiez tout ce
+bavardage; car dans ce manoir isolé je n'ai rien à dire, si ce n'est de
+moi-même, et je serais charmé de pouvoir parler de....., ou penser à
+quelque autre chose que ce soit.
+
+ [Note 162: Pendant la durée des sessions, les membres des
+ deux chambres ont leur couvert libre, tant pour les lettres
+ qu'ils écrivent que pour celles qu'ils reçoivent.
+ (_N. du Tr._)]
+
+ [Note 163: M. Gifford.]
+
+«Qu'est-ce que vous allez faire? Pensez-vous à percher dans le
+Cumberland, comme vous en aviez l'idée, quand j'étais dans la métropole!
+Si vous avez le goût de la retraite, que ne prenez-vous «la chaumière de
+l'amitié» de miss ***, dernière résidence du savetier Joe Blackett, de
+la mort duquel vous et les autres répondrez un jour? «Sa fille
+orpheline» (pathétique Pratt!) ne saurait manquer de devenir une Sapho
+cordonnière. N'avez-vous pas de remords? Je crois que l'élégante épître
+à miss Dallas devrait être gravée sur le cénotaphe que miss *** veut
+consacrer à sa mémoire.
+
+«Les journaux semblent désappointés de ce que Sa Majesté ne meurt pas et
+s'occupe à quelque chose de mieux. Je présume que tout est fini
+maintenant. Si le parlement reprend ses séances en octobre, je me
+rendrai à Londres pour y assister. Je suis aussi invité à Cambridge pour
+le commencement de ce mois, mais il faut d'abord que j'aille faire une
+course à Rochdale. Maintenant que Matthews est mort et que Hobhouse est
+en Irlande, à l'exception de celui qui m'y appelle, à peine me
+reste-t-il un ami à Cambridge pour me venir prendre la main à mon
+arrivée. A vingt-trois ans, me voilà resté presque seul, que sera-ce
+donc à soixante-dix! Il est vrai que je suis jeune et que je puis
+commencer de nouvelles liaisons; mais avec qui me rappellerai-je ces
+scènes joyeuses de la première partie de la vie? C'est une chose
+étrange, combien peu de mes amis sont morts d'une mort tranquille! je
+veux dire dans leur lit. Une vie tranquille est de bien plus grande
+conséquence. Mais on aime mieux se quereller et se heurter que
+_bailler_. Ce mot m'avertit qu'il est tems de vous débarrasser de votre
+bien affectionné, etc.
+
+
+
+
+LETTRE LXIV.
+
+A M. DALLAS.
+
+Newstead-Abbey, 27 août 1811.
+
+«J'étais si sincère dans ma note sur feu Charles Matthews, et je me sens
+si totalement incapable de rendre justice à ses talens, que le passage
+doit subsister par la raison même que vous alléguez pour me le faire
+supprimer. Tous les hommes que j'ai connus ne sont que des pygmées
+auprès de lui. C'était un géant intellectuel. Il est vrai que j'aimais
+Wingfield plus encore: c'était mon plus ancien camarade et le plus cher,
+un de ces hommes peu nombreux qu'on ne saurait jamais se repentir
+d'avoir aimés; mais sous le rapport de la capacité... Ah! vous ne
+connaissiez pas Matthews!
+
+«_Childe Harold_ peut attendre, et ce sera tant mieux; les livres n'en
+sont jamais plus mauvais pour avoir été retardés dans leur publication.
+Ainsi, vous avez chez vous notre héritier, Georges Anson Byron, et sa
+sœur...................................................................
+
+«Dites tout ce que vous voudrez, mais vous êtes l'un des _meurtriers_ de
+Blackett, et cependant vous ne voulez pas avouer le génie d'Harry White.
+Mettant à part sa bigoterie, il mérite certainement d'être placé près de
+Chatterton. Il est étonnant combien peu il était connu! et, à Cambridge,
+personne ne pensait à lui, ne parlait de lui, jusqu'à ce que la mort
+l'ait rendu indifférent à sa gloire posthume. Pour ma part, j'eusse été
+fier d'être lié avec lui; ses préjugés mêmes étaient respectables. Il y
+a à Granta un poète épique en herbe, un M. Townsend, protégé du feu duc
+de Cumberland. Avez-vous jamais entendu parler de son _Armageddon_? Je
+crois que son plan (pour l'homme, je ne le connais pas) a quelque chose
+de sublime; bien que dans vos idées, à vous autres Nazaréens, il y ait
+trop de hardiesse à vouloir créer à l'avance _Le Dernier Jour_. Cela a
+l'air de vouloir dire au Seigneur ce qu'il doit faire, et pourrait
+rappeler à quelque lecteur malévole ce vers:
+
+ Des sots se précipitent où les anges ne marchent qu'en
+ tremblant.
+
+»Je ne veux point lui faire de chicanes, d'autres lui en feront, et il
+pourrait bien voir après ses talons tous les agneaux de Jacob Behmen.
+Quoi qu'il en soit, j'espère qu'il s'en tirera à son honneur, encore
+qu'il doive rencontrer Milton en son chemin.
+
+ȃcrivez-moi, je suis fou de bavardages; saluez pour moi Ju..., et
+donnez pour moi une poignée de main à Georges; mais prenez garde, il a
+une vilaine patte marine.
+
+»_P. S._ J'inviterais volontiers Georges à venir ici, mais je ne sais
+comment l'amuser; j'ai vendu tous mes chevaux à mon départ d'Angleterre,
+et je n'ai pas encore eu le tems de les remplacer. Cependant, s'il veut
+venir chasser en septembre, il sera le bienvenu, mais il faudra qu'il
+apporte un fusil; j'ai donné tous les miens à Ali Pacha, et à d'autres
+Turcs. J'ai des chiens, un garde, beaucoup de gibier, un grand domaine,
+un lac, un bateau, un logement et du bon vin à son service.»
+
+
+
+
+LETTRE LXV.
+
+À M. MURRAY.
+
+Newstead-Abbey, 5 septembre 1811.
+
+
+MONSIEUR,
+
+«Il paraît que le tems est passé où, comme le disait le docteur Johnson,
+un homme était sûr d'apprendre la vérité de son libraire; vous m'avez
+fait tant de complimens qu'à moins d'être le dernier écrivassier du
+monde, je devrais m'en tenir pour offensé. Mais puisque je les accepte
+ces complimens tels qu'ils sont, il est bien juste que j'aie aussi
+beaucoup d'égards pour vos objections, d'autant plus que je les crois
+fondées. Quant aux parties politique et métaphysique, je crains de n'y
+pouvoir rien changer; j'ai de grandes autorités pour justifier mes
+erreurs sur ce point, car l'_Énéide_ elle-même était un poème
+_politique_ et écrit dans un but _politique_. Quant à mes malheureuses
+opinions sur des sujets plus importans, j'ai été trop sincère en les
+émettant pour songer à chanter la palinodie. J'ai dit ce que j'avais vu
+pour ce qui touche les affaires d'Espagne, et je crois que l'honnête
+John Bull commence à revenir de l'ivresse où l'avait plongé la retraite
+de Masséna, conséquence ordinaire de _succès extraordinaires_. Vous
+voyez donc que je ne puis altérer les pensées; mais si dans l'expression
+et la forme des vers, il y a quelque chose que vous désiriez changer, je
+puis rajuster des rimes, et retourner des stances autant qu'il vous
+plaira. Quant aux _Orthodoxes_, espérons qu'ils achèteront l'ouvrage
+pour en dire du mal, alors vous leur pardonnerez l'intention en faveur
+du résultat immédiat. Vous savez que rien de ce qui sort de ma plume ne
+saurait être épargné, pour plusieurs bonnes raisons; ainsi donc, encore
+que cet ouvrage soit d'une nature tout-à-fait différente du premier,
+nous ne devons pas nous livrer à de trop belles espérances.
+
+»Vous ne m'avez point fait de réponse à ma question; dites-moi
+franchement, avez-vous montré le manuscrit à quelqu'un de votre corps?
+J'ai envoyé une stance d'introduction à M. Dallas pour vous être remise,
+et sans laquelle le poème commençait d'une manière trop brusque. Il vaut
+mieux numéroter les stances en chiffres romains. J'ai des _Recherches
+sur la littérature grecque moderne_ et quelques autres petits poèmes qui
+se placeront à la fin. Je les ai ici, et je vous les enverrai en tems
+opportun. Si M. Dallas a perdu la stance et la note qui y était annexée,
+écrivez-le-moi, et je vous les enverrai directement. Vous me dites
+d'ajouter deux chants, mais je dois visiter mes _charbonniers_ du
+Lancashire, le 15 courant, et c'est une occupation si anti-poétique que
+je n'ai pas besoin de vous en dire davantage.
+
+»Je suis, Monsieur, votre très-obéissant, etc.»
+
+Les manuscrits de ces deux poèmes ayant été, bien contre sa volonté,
+montrés à M. Gifford, voici l'opinion de ce gentleman, rapportée par M.
+Dallas: «Il a parlé très-avantageusement de votre satire; mais quant à
+votre poème (_Childe Harold_), non-seulement il a dit que c'était ce que
+vous aviez écrit de mieux, mais il le prétend au moins égal à quoi que
+ce soit qu'on ait publié depuis le commencement de ce siècle.»
+
+
+
+
+LETTRE LXVI.
+
+À M. DALLAS.
+
+Newstead-Abbey, 7 septembre 1811.
+
+
+MONSIEUR,
+
+«Comme Gifford a toujours été pour moi mon _magnus Apollo_, des éloges
+tels que ceux que vous mentionnez me sont naturellement plus précieux
+que _tout l'or vanté de Bolcara_, que _toutes les pierres précieuses de
+Samarkand_. Mais je suis fâché que le manuscrit lui ait été montré, et
+je l'avais écrit à Murray, croyant qu'il en était tems encore.
+
+»Pour répondre à votre objection sur l'expression de _ligne centrale_,
+je vous dirai seulement qu'avant que Childe Harold quittât l'Angleterre,
+son intention arrêtée était de traverser la Perse et de revenir par les
+Indes, ce qu'il n'aurait pu faire sans passer la ligne équinoxiale.
+
+»Quant aux autres erreurs dont vous parlez, il faudra que je les corrige
+au fur et à mesure pendant l'impression. Je me sens très-honoré du désir
+qu'ont bien voulu exprimer des personnes aussi distinguées de me voir
+continuer mon poème; mais pour cela, il faut que je retourne en Grèce et
+en Asie; il me faut un soleil plus chaud et un ciel sans nuages; on ne
+saurait décrire de telles scènes au coin d'un feu de charbon de terre.
+J'avais projeté un chant additionnel quand j'étais dans la Troade et à
+Constantinople, et, si je revoyais ces lieux-là, je pourrais continuer:
+mais au milieu des circonstances et des sensations actuelles je n'ai ni
+harpe, ni cœur, ni voix pour aller en avant. Je sens que vous avez tous
+raison quant à la partie métaphysique; mais je sens aussi que je suis
+sincère, et que si je ne devais écrire que _ad captandum vulgus_, autant
+vaudrait publier tout de suite un _Magazine_ ou filer langoureusement
+des chansonnettes pour le Wauxhall...................................
+
+»Mon ouvrage réussira comme il pourra. Je sais que j'ai tout contre moi,
+des poètes irrités et des préjugés; mais si le poème est _un poème_, il
+surmontera ces obstacles, _sinon_ il mérite son sort. J'ai lu l'ode de
+votre ami; ce ne serait pas lui faire grand compliment de lui dire
+qu'elle est bien supérieure à celle de S***, sur le même sujet. C'est
+évidemment l'ouvrage d'un homme de goût et d'un poète, et cependant je
+ne pourrais dire qu'elle soit tout-à-fait égale à ce qu'on avait droit
+d'attendre de l'auteur des _Horæ Ionicæ_. Je vous en remercie, et c'est
+plus que je n'en voudrais dire d'aucune autre des odes qu'on nous donne
+aujourd'hui. Je suis bien sensible aux vœux que vous formez pour moi, et
+j'en ai grand besoin. Ma vie entière a été en opposition aux convenances
+sociales pour ne pas dire à la décence. Mes affaires sont embarrassées,
+mes amis sont morts ou loin de moi, et mon existence n'est plus qu'un
+désert aride. Dans Matthews j'ai perdu un guide, un philosophe, un ami;
+dans Wingfield un ami seulement, mais un ami que j'aurais désiré
+accompagner dans son long voyage.
+
+»Matthews était, en effet, un homme extraordinaire; jamais un étranger
+n'aurait pu concevoir un tel génie; le cachet de l'immortalité était
+empreint sur tout ce qu'il disait, sur tout ce qu'il faisait: et
+maintenant que reste-t-il de lui? Quand nous voyons de ces hommes
+disparaître, de ces hommes qui semblaient avoir été créés pour montrer
+tout ce que le créateur pourrait faire de ses créatures; quand nous les
+voyons réduits en poussière avant que le tems n'ait mûri leur génie qui
+eût pu être l'orgueil de la postérité, que devons-nous en conclure? Pour
+ma part, ma raison s'y perd. Il était beaucoup pour moi, il était tout
+pour Hobhouse. Mon pauvre Hobhouse idolâtrait Matthews. Moi je l'aimais
+moitié moins que je ne le respectais; j'étais tellement convaincu de sa
+supériorité infinie, que quoique je ne lui portasse pas envie, je
+restais devant lui dans une sorte d'admiration stupéfaite. Lui,
+Hobhouse, Davis et moi nous formions un petit cercle à Cambridge et
+ailleurs. Davis est un homme d'esprit et un homme du monde; il ressent
+la perte que nous avons faite, autant qu'un homme de ce caractère peut
+la ressentir; mais il n'en est pas aussi affecté qu'Hobhouse. Davis, qui
+n'est point écrivain, nous a toujours battus dans une guerre de mots;
+son talent de conversation nous amusait en même tems qu'il nous
+imposait. Hobhouse et moi, avions toujours le dessous contre les deux
+autres, et Matthews lui-même était obligé de céder devant la vivacité
+toute puissante de Davis. Mais je vous parle là d'hommes et de jeunes
+gens, comme si tout cela était de nature à vous intéresser.
+
+»J'attends le retour de mon agent vers le 14, pour me rendre avec lui
+dans le Lancashire, où tout le monde me dit que j'ai une propriété qui
+n'est pas à dédaigner, consistant en mines de charbon de terre, etc. Mon
+intention est d'accepter ensuite une invitation, à Cambridge, en
+octobre, et peut-être irai-je jusqu'à Londres. J'ai quatre invitations
+pour quatre villes différentes; mais il faut que je me dévoue tout
+entier aux affaires. Je suis complètement seul, comme le prouvent assez
+ces lettres longues et ennuyeuses. En relisant votre lettre, je vois que
+l'ode est de l'auteur; faites-lui, je vous prie, accepter mes
+complimens. Sa muse méritait un sujet plus noble. Vous m'écrirez, je
+l'espère, comme à l'ordinaire.
+
+»Je vous souhaite le bon soir, et suis, etc.»
+
+
+
+LETTRE LXVII.
+
+À M. MURRAY.
+
+Newstead-Abbey, 14 septembre 1811.
+
+
+MONSIEUR,
+
+«Depuis votre dernière lettre j'ai appris de M. Dallas que, contre mon
+intention, ainsi qu'il le savait bien, et que vous le savez vous-même,
+d'après une lettre que je vous avais écrite tout entière à ce sujet, mon
+manuscrit avait été soumis à la lecture de M. Gifford. Quelques
+événemens domestiques récens, dont vous avez sans doute connaissance,
+m'empêchèrent de vous envoyer ma lettre plus tôt. Je ne pouvais
+m'imaginer, en effet, que vous seriez si pressé de jeter mes productions
+entre les mains d'un étranger, qui pouvait n'être pas plus satisfait de
+les recevoir, que l'auteur de les voir offrir d'une telle manière et à
+un tel homme.
+
+»Mon adresse, quand j'aurai quitté Newstead, sera à Rochdale,
+Lancashire; mais je n'ai pas encore fixé le jour de mon départ, j'aurai
+soin de vous en tenir averti.
+
+»Vous m'avez mis dans une situation bien ridicule; mais enfin cela est
+passé, nous n'en parlerons pas davantage. Vous paraissez désirer
+quelques changemens; s'ils n'ont rien à voir avec la politique ou la
+religion, je m'y prêterai avec le plus grand plaisir du monde.
+
+»Je suis, Monsieur, etc.»
+
+
+
+LETTRE LXVIII.
+
+À M. DALLAS.
+
+Newstead-Abbey, 17 septembre 1811.
+
+
+«Je vous excuse facilement de ne m'avoir point écrit, car j'espère que
+vous avez quelque chose de mieux à faire. De votre côté, vous devez me
+pardonner de vous importuner si souvent, car, pour le moment, je n'ai
+rien à faire qui puisse vous sauver l'ennui de ma correspondance.
+
+»Je ne puis me fixer à rien, et, à l'exception d'un grand exercice
+physique, mes jours se passent dans une indolence uniforme et une
+oisiveté insipide. J'ai long-tems attendu, et j'attends encore mon
+agent; quand il viendra, j'aurai assez de quoi m'occuper d'affaires peu
+agréables, je vous assure. Avant de partir pour Rochdale, je vous dirai
+comment vous devez m'écrire, ce sera probablement poste restante. J'ai
+reçu de Murray une seconde épreuve que je l'ai prié de vous montrer,
+afin que vous voyiez si quelque chose ne me serait pas échappé avant que
+l'imprimeur ne jette les fondemens d'une colonne d'_errata_.
+
+»Je suis maintenant presque seul, n'ayant avec moi qu'une vieille
+connaissance, un vieux camarade d'école, si _vieux_, en effet, que nous
+n'avons presque plus rien de _nouveau_ à nous dire sur aucun sujet, et
+que nous bâillons l'un devant l'autre dans une sorte de _quiétude
+inquiète_. Je n'entends pas parler de Cawthorn ou du capitaine Hobhouse
+et de leur _in-quarto_. Dieu prenne pitié du genre humain! Nous fondons
+sur lui, comme Cerbère, avec notre triple publication. Pour moi-même,
+pris isolément, je me contente de me faire comparer à Janus.
+
+»Je ne suis pas du tout satisfait que Murray ait montré le manuscrit; et
+je suis certain que Gifford doit penser là-dessus, comme moi-même. Ses
+éloges ne signifient absolument rien; que pouvait-il dire? Il ne pouvait
+pas cracher à la figure de quelqu'un qui l'avait loué de toutes les
+manières possibles. Je dois l'avouer, je donnerais tout au monde pour
+qu'il fût bien convaincu que je ne suis pour rien dans cette misérable
+affaire. Plus j'y pense, plus cela me tourmente; ainsi le meilleur est
+de n'en plus parler. C'est déjà assez d'être un écrivassier, sans avoir
+recours à de si petits moyens pour extorquer des éloges ou prévenir la
+censure. C'est aller au-devant d'un jugement, c'est mendier, se mettre à
+genoux devant un homme, c'est l'aduler... Diable, diable, diable! et
+tout cela sans mon consentement, et en opposition à ma volonté formelle!
+Je voudrais que Murray eût été attaché au _cou de Payne_, quand il sauta
+dans le canal de Padington; dites-lui donc que c'est un réceptacle
+convenable pour des éditeurs. Puisque vous pensez à vous fixer à la
+campagne, pourquoi ne pas essayer de Nottingham? Je crois qu'il y a là
+plusieurs maisons qui vous conviendraient parfaitement, et puis vous
+seriez plus près de la métropole; mais nous en reparlerons.
+
+»Je suis, etc.»
+
+
+
+
+LETTRE LXIX.
+
+À M. DALLAS.
+
+Newstead-Abbey, 21 septembre 1811.
+
+
+«J'ai montré le cas que je fais de vos observations en me conformant à
+presque toutes; j'ai aussi fait, par moi-même, plusieurs corrections sur
+la première épreuve. Écrivez-moi, je vous prie; quand j'irai à Lanes, je
+vous le ferai savoir. Vous voilà sur mon dos maintenant, ainsi que mon
+ami Juvenal Hodgson sur le chapitre de la révélation. Vous ne manquez
+pas de ferveur, mais lui c'est un brasier ardent; s'il prend, pour
+sauver son ame, la moitié de la peine qu'il se donne pour la mienne,
+grande sera sa récompense un jour à venir. Je vous honore et vous
+remercie tous deux; mais ni l'un ni l'autre vous ne m'avez convaincu.
+
+»Maintenant occupons-nous des notes. Outre celles que j'ai déjà
+envoyées, j'enverrai encore les observations sur les remarques de ces
+messieurs de la _Revue d'Édimbourg_ sur le grec moderne, une chanson
+albanaise en langue albanaise _et non pas grecque_, quelques
+échantillons de grec moderne, tirés du Nouveau-Testament, une scène de
+l'une des comédies de Goldoni, traduite, le prospectus du livre d'un
+ami, tout cela en romaïque, outre leur _Pater Noster_; vous voyez qu'il
+y en aura assez pour ne pas dire trop. Avez-vous reçu les _Noctes
+atticæ_? J'envoie de plus une note sur le Portugal. Hobhouse va bientôt
+paraître aussi.»
+
+
+
+
+LETTRE LXX.
+
+À M. DALLAS.
+
+Newstead-Abbey, 23 septembre 1811.
+
+
+«_Lisboa_ est le mot portugais, et conséquemment le meilleur.
+_Ulyssipont_ est pédantesque, et comme j'ai un peu plus haut _Hellas_ et
+_Eros_, cela aurait l'air d'une affectation de termes grecs, que je
+désire éviter. J'en ai déjà une quantité effrayante dans mes notes,
+comme échantillons de la langue; ainsi donc il faut conserver _Lisboa_.
+Vous avez raison quant aux _Imitations d'Horace_, il ne faut pas
+qu'elles viennent avant le _Romaunt_; je sais bien que Cawthorn sera
+furieux; mais n'importe, arrêtez toujours les _Imitations_, et puis vous
+essaierez si vous pouvez le remettre de bonne humeur, si vous pouvez.
+
+»J'ai adopté, je crois, la plupart de vos suggestions; _Lisboa_ sera une
+exception pour prouver la règle. J'ai envoyé quantité de notes, et j'en
+enverrai encore; mais faites-les recopier, je vous prie, car le diable
+ne lirait pas mon écriture. À propos, je n'ai point envie de changer le
+neuvième vers de la pièce intitulée _Good Night_ (_Bonne Nuit_ ou _Bon
+Soir_). Je n'ai aucune raison de supposer que mon chien vaille mieux que
+ses confrères de l'espèce humaine, et nous savons qu'_Argus_ est une
+fable. Le _Cosmopolite_ est une acquisition faite sur le continent. Je
+ne crois pas qu'on le trouve en Angleterre. C'est un petit volume
+amusant, plein de la gaîté et de la vivacité françaises. Je lis leur
+langue, quoique je ne la parle pas.
+
+»Je veux être en colère contre Murray. Son procédé est un procédé de
+libraire, cela sent l'arrière-boutique; et si le résultat de
+l'expérience avait été tel qu'il le méritait, il y avait de quoi
+soulever tout Fleet-Street, et emprunter le bâton du géant de l'église
+de Saint-Dunstan pour immoler un homme qui abuse ainsi du dépôt qu'on
+lui avait confié. Je lui ai écrit, je vous jure, comme jamais auteur ne
+l'avait encore fait; j'espère que vous exagérerez encore mon
+ressentiment, jusqu'à ce qu'il s'y montre sensible. Vous me dites
+toujours que vous avez beaucoup de choses à m'écrire, écrivez-les; mais
+laissez de côté la métaphysique. Nous ne nous entendrons jamais sur ce
+point-là. Je suis ennuyé et endormi à mon ordinaire. Je ne fais rien, et
+ce rien même me fatigue. Adieu.»
+
+
+
+
+LETTRE LXXI.
+
+À M. DALLAS.
+
+Newstead-Abbey, 11 octobre 1811.
+
+
+«Je reviens de Lancs, et je me suis convaincu que ma propriété pourrait
+acquérir beaucoup de valeur; mais diverses circonstances m'empêchent d'y
+donner tous les soins convenables. Je serai à Londres pour affaires au
+commencement de novembre, et peut-être à Cambridge avant la fin de ce
+mois; dans tous les cas, je vous tiendrai au courant de tous mes
+mouvemens.
+
+»Voici encore une mort qui vient m'affliger; j'ai perdu quelqu'un qui
+m'était bien cher dans de meilleurs tems; mais j'ai presque oublié le
+goût amer du chagrin, et j'ai été abreuvé d'horreur jusqu'à ce que je
+sois devenu complètement endurci. Je n'ai plus une larme aujourd'hui
+pour un événement qui, il y a cinq ans, m'aurait abîmé de douleur. Il
+semblerait que je sois destiné à éprouver dès ma jeunesse le plus grand
+malheur des vieillards. Mes amis tombent autour de moi, et je resterai
+comme un arbre seul et isolé quoique le tems ne l'ait pas encore
+desséché: d'autres peuvent toujours trouver un refuge dans leur famille;
+mais je n'ai de ressources que dans mes propres réflexions, et elles ne
+m'offrent aucune consolation dans ce monde ou dans l'autre, si ce n'est
+le plaisir égoïste de survivre à ceux qui valaient mieux que moi. En
+vérité je suis bien malheureux; vous me pardonnerez de m'excuser ainsi;
+car vous savez que je ne suis point porté à la sensibilité.
+
+»Au lieu de vous fatiguer de mes affaires, je serais bien aise que vous
+me parlassiez de vos projets de retraite; vous ne voulez pas, je
+suppose, vous isoler entièrement de la société? Maintenant je connais un
+grand village, ou une petite ville, à douze milles environ d'ici, où
+votre famille aurait l'avantage d'une société fort agréable, et n'aurait
+pas à craindre de se voir ennuyer par une affluence mercantile; où vous
+trouveriez des hommes de talent et d'opinions indépendantes, où j'ai
+quelques amis dont je serais fier de vous procurer la connaissance. Il y
+a en outre un café et d'autres lieux publics où l'on peut se réunir. Ma
+mère y a demeuré pendant plusieurs années, et je connais très-bien tout
+Southwell; c'est le nom de cette petite république. Enfin, vous ne serez
+pas fort loin de moi; et quoique je sois en général le plus mauvais
+compagnon possible pour des jeunes gens, cette objection ne saurait
+s'appliquer à vous, que je pourrais voir fréquemment. Vos dépenses aussi
+seront exactement celles qu'il vous conviendra de faire plus ou moins;
+mais il vous en coûterait fort peu, pour vous procurer tous les plaisirs
+d'une vie de province. Vous pourriez être aussi retiré ou aussi répandu
+que vous le voudriez, et dans un pays certainement aussi beau que les
+lacs du Cumberland, à moins que vous n'ayez un désir particulier
+d'entrer dans l'_école pittoresque_[164].
+
+ [Note 164: Voyez, dans les _Poètes anglais_, tome II des
+ _Œuvres de Byron_, page 378, une note sur les poètes des
+ lacs.
+ (_N. du Tr._)]
+
+»Cet Ionien de vos amis est-il à Londres? Vous m'aviez promis de me
+procurer sa connaissance.
+
+Vous me dites que vous avez montré le manuscrit à plusieurs personnes;
+cela n'est-il pas contraire à nos conventions? Avertissez donc M. Murray
+de défendre à son garçon de boutique d'appeler mon ouvrage _le
+Pélerinage de l'enfant d'Harrow_ (_Child of Harrow's Pilgrimage_!!!)
+comme il l'a fait en parlant à plusieurs de mes amis étonnés, qui, à
+cette occasion, ont écrit pour s'informer de l'état de mes facultés
+intellectuelles, et certes il y avait de quoi. Je n'ai pas reçu de
+nouvelles de Murray, à qui j'avais adressé une vigoureuse semonce.
+Faut-il que j'écrive encore des notes? N'y en a-t-il pas assez? Il faut
+arrêter Cawthorn dans l'impression des _Imitations d'Horace_; j'espère
+qu'il avance dans celle de l'_in-quarto_ de Hobhouse.
+
+»Bon soir. Tout à vous, etc., etc.»
+
+Les vers suivans sont de la même date que la lettre précédente, et n'ont
+pas encore été imprimés, c'est une réponse à d'autres vers dans lesquels
+un ami l'exhortait à bannir les soucis et à se livrer à la joie. On y
+verra avec quelle triste persévérance, même sous le poids de malheurs
+récens, il revient sans cesse au désappointement qu'il a éprouvé dans
+ses premières affections comme à la source principale de tous ses
+chagrins et de toutes ses erreurs passées et à venir.
+
+Oh! bannissons les soucis! que telle soit toujours ta devise à l'heure
+du plaisir! Peut-être aussi la mienne, lorsque, dans de nocturnes
+orgies, je cherche ces délices enivrantes, par lesquelles les fils du
+désespoir tentent d'assoupir le cœur et de bannir les chagrins.
+
+Mais à l'heure matinale des méditations, quand le présent, le passé,
+l'avenir nous effraient de leurs sombres images, quand je reconnais que
+tout ce que j'aimais est changé ou n'est plus, ne viens pas irriter par
+ces maximes importunes les douleurs d'un homme dont chaque pensée...
+Mais pourquoi en parler? tu sais que je ne suis plus ce que j'étais
+naguère; et surtout si tu tiens à conserver une place dans un cœur qui
+ne fut jamais froid, je t'en conjure par toutes les puissances que les
+hommes révèrent, par tous les objets qui te sont chers, par ton bonheur
+ici-bas et tes espérances d'une autre vie, garde-toi, oh! garde-toi de
+jamais me parler d'amour.
+
+Il serait trop long de raconter, et sans utilité d'entendre la triste
+histoire d'un homme qui dédaigne les larmes; ce récit ne réveillerait
+que peu de sympathie dans les cœurs vertueux; mais le mien a souffert
+plus qu'il ne convient à un philosophe de l'avouer. J'ai vu ma fiancée
+devenir l'épouse d'un autre, je l'ai vue assise à ses côtés; j'ai vu
+l'enfant que son sein a porté sourire doucement comme faisait sa mère,
+lorsque jeunes tous deux nous nous regardions en souriant, innocens et
+purs comme cet enfant; j'ai vu ses yeux, chargés d'un froid dédain,
+chercher à découvrir si j'éprouvais quelque douleur secrète; et moi,
+j'ai bien joué mon rôle: j'ai commandé à mon visage de ne pas trahir les
+angoisses de mon cœur, je lui ai renvoyé des regards aussi glacés que
+les siens; et pourtant, cette femme! je me sentais encore son esclave!
+J'ai baisé d'un air d'indifférence l'enfant qui aurait dû être le mien,
+et chacune de mes caresses n'a que trop prouvé que le tems n'avait pas
+affaibli mon amour. Mais laissons ces tristes souvenirs: je ne veux plus
+gémir; je n'irai plus chercher quelque repos sur la rive orientale: le
+inonde convient bien au tumulte de mes pensées; je reviendrai me jeter
+dans son tourbillon. Mais si dans un tems à venir, quand les beaux jours
+d'Albion seront sur le déclin, tu entends parler d'un homme dont les
+crimes profonds sont dignes des époques les plus noires, d'un homme que
+ni l'amour ni la pitié ne touchent, aussi insensible à l'espoir de la
+célébrité qu'aux louanges des hommes vertueux; d'un homme qui, dans
+l'orgueil d'une inflexible ambition, ne reculera pas même devant la
+crainte de verser le sang; d'un homme que l'histoire mettra au rang des
+anarchistes les plus violens du siècle; cet homme, tu le connaîtras,
+mais alors suspends ton jugement, et que l'horreur de ces _effets_ ne te
+fasse pas oublier quelle fut leur _cause_.
+
+Les pronostics qu'il tire dans ces dernières lignes sur sa carrière à
+venir sont de nature, il faut l'avouer, à exciter plus d'horreur que
+d'intérêt, si bien d'autres exagérations du même genre ne nous avaient
+appris à ne nous point étonner à quelque excès que nous le voyions
+pousser la rage de se calomnier lui-même. On dirait qu'avec le génie
+nécessaire pour peindre des personnages sauvages et sombres, il eût
+aussi l'ambition d'être lui-même l'objet noir et sublime qu'il
+retraçait, et qu'à force de se plaire à dessiner des crimes héroïques,
+il s'efforçait d'imaginer ce qu'il ne pouvait trouver dans son propre
+caractère, des sujets propres à exercer ses pinceaux.............
+
+C'est vers ce tems, quand son ame était douloureusement occupée de la
+mort d'un objet réel de ses affections, qu'il écrivit ses différens
+poèmes sur la mort d'un être _imaginaire_, Thyrza. Quand nous
+réfléchissons aux circonstances particulières sous l'influence
+desquelles son imagination produisit ces beaux vers, il n'est pas
+étonnant que de toutes ses pièces pathétiques celles-ci soient à la fois
+les plus touchantes et les plus pures; elles sont, pour ainsi dire,
+l'essence, l'esprit concentré de plusieurs douleurs, c'est le point où
+sont venues aboutir mille tristes pensées venues de sources différentes,
+raffinées, réchauffées dans leur passage à travers son imagination, et
+formant comme un réservoir profond d'idées et de sentimens lugubres et
+solennels. En retraçant les heures heureuses qu'il avait passées avec
+les amis qu'il venait de perdre, toute la tendresse ardente de sa
+jeunesse venait réchauffer son imagination et son cœur. Les jeux de
+l'école avec les favoris de son enfance Wingfield et Tattersatt, les
+jours d'été passés avec Long et ces soirées romanesques qui s'étaient
+écoulées dans la société de son frère adoptif Eddlestone; tous les
+souvenirs de ces hommes, jeunes naguère, et morts maintenant, venaient
+se mêler dans son esprit à l'image de celle qui, quoique vivante, était
+pour lui aussi bien perdue qu'eux, et répandaient dans son ame ce
+sentiment général de tendresse et d'affection qu'il revêtit d'un si
+brillant coloris dans ses poèmes. Jamais l'amitié, quelque passionnée
+qu'elle fût, n'aurait inspiré des chagrins aussi profonds; jamais non
+plus l'amour, quelque pur qu'on le suppose, n'eût pu retenir la passion
+dans des termes aussi chastes. C'est le mélange de deux affections dans
+sa mémoire et dans son imagination, qui donna ainsi naissance à un objet
+idéal, où les plus beaux traits de toutes deux se trouvaient combinés,
+et lui inspira ces poésies, les plus tristes et les plus tendres que
+puisse offrir le genre érotique, dans lesquelles nous trouvons toute la
+profondeur et toute l'intensité d'un sentiment réel peintes avec des
+couleurs que n'eut jamais la réalité.
+
+La lettre suivante fera connaître encore mieux l'état de ses pensées et
+ses occupations à cette époque.
+
+
+
+
+LETTRE LXXII.
+
+À M. HOGDSON.
+
+Newstead-Abbey, 13 octobre 1811.
+
+
+«Vous devez commencer à me trouver un correspondant terriblement
+libéral; mais comme mes lettres sont franches de port, vous excuserez
+leur fréquence. J'ai répondu en vers et en prose à vos dernières
+lettres; et quoique je vous écrive de nouveau, je ne sais pourquoi je le
+fais, ni ce que je pourrais vous mander que vous ne sachiez déjà. Je
+deviens _nerveux_, combien vous allez rire! mais cela est vrai, je
+deviens réellement, malheureusement, ridiculement _nerveux_ comme une
+petite-maîtresse. Votre climat me tue; je ne puis ni lire, ni écrire, ni
+m'amuser ou amuser qui que ce soit. Mes nuits et mes jours se passent
+sans repos; je n'ai presque jamais de société, et quand j'en ai je
+m'empresse de la fuir. Dans le moment où je vous parle, j'ai ici trois
+dames, et je me suis sauvé pour vous envoyer ce gribouillage. Je ne sais
+pas si je ne finirai point par être fou, car je sens le manque de
+méthode dans l'arrangement de mes idées. Cela me tourmente étrangement;
+mais cela a plutôt l'air de la sottise que de la folie, comme le dirait
+facétieusement Scrope Davies, qui a une singulière manière de consoler
+les gens. Il faut que j'essaie de votre compagnie, comme l'on essaie de
+la corne de cerf; une session de parlement m'irait assez bien: en un
+mot, je ne vois rien qui puisse m'empêcher de conjuguer le malheureux
+verbe, _je m'ennuie_, etc.
+
+»Quand serez-vous à Cambridge? Vous m'avez, je crois, donné à entendre
+que votre ami Bland est revenu de la Hollande. J'ai toujours eu le plus
+grand respect pour ses talens et pour tout ce que j'entends dire de son
+caractère personnel; je crois bien qu'il ne me connaît pas, si ce n'est
+qu'il se rappelle nos répétitions dans la sixième _forme_, à raison de
+deux vers chaque matin, et encore bien imparfaits. Je me le suis rappelé
+en passant sur les caps Matapan, Saint-Angelo et son île de Clériga, et
+j'ai toujours regretté l'absence de l'Anthologie. Je suppose qu'il va
+traduire maintenant Vondel, le Shakspeare hollandais, et dans l'état
+actuel _Gysbert van Amstel_ pourra facilement être arrangée pour notre
+théâtre. Je présume qu'il a vu le poème hollandais où l'amour de Pirame
+et Thisbé est comparé à... _la Pas__sion de Jésus-Christ_, ainsi que
+_l'amour de Lucifer pour Ève_, et autres variétés de la littérature des
+Pays-Bas. Sans doute vous me croirez fou de vous entretenir de pareilles
+bagatelles, mais elles sont en grande réputation sur les bords de tous
+les canaux, depuis Amsterdam jusqu'à Alkmazar.
+
+»Tout à vous, etc.
+
+BYRON.
+
+»Toutes mes poésies sont entre les mains de leurs divers éditeurs,
+excepté mes _Imitations d'Horace_, auxquelles j'ai joint quelques vers
+sauvages sur le Méthodisme et quelques notes féroces sur les trois
+éditeurs de l'Édin; mes _Imitations_, dis-je, sont en retard, et
+pourquoi? Je n'ai pas d'amis dans le monde qui puisse traduire
+suffisamment bien le latin d'_Horace_ et mon Anglais pour les ajuster
+ensemble au sortir de la presse, et corriger les épreuves d'une manière
+un peu grammaticale. En sorte que si vous n'avez pas d'entrailles quand
+vous retournerez à Londres, pour moi je suis trop loin pour le faire
+moi-même; le monde se trouvera privé de cet ouvrage ineffable pendant je
+ne sais combien de semaines.
+
+»_Le Pélerinage de Childe Harold_ attendra jusqu'à ce que celui de
+Murray soit fini. Il fait maintenant une tournée dans Middlesex, et à
+son retour nous devons nous attendre à des merveilles. Il veut en faire
+un _in-quarto_, c'est un abominable format peu propre à la vente; mais
+l'ouvrage est effroyablement long, et il faut bien qu'on obéisse à son
+libraire...
+
+»Ainsi vous allez prendre les ordres. Il faut que vous fassiez votre
+prix avec les _réviseurs ecclésiastiques_; ils vous accusent d'impiété,
+et je crains que ce ne soit à tort. Démétrius _Poliorcète_ est ici avec
+_Gilpin Horner_. Nous n'avons pas besoin du peintre[165], car les
+portraits qu'il a faits d'inspiration se trouvent absolument semblables
+aux animaux. Écrivez-moi, et envoyez-moi votre _Chanson d'amour_; mais
+j'attends de vous _paulo majora_. Faites un effort pour briller avant
+d'être diacre; essayez un peu d'un sec éditeur.
+
+»Tout à vous, etc.»
+
+BYRON.
+
+ [Note 165: Qu'il avait mandé pour faire le portrait de son
+ ours et de son loup.]
+
+
+FIN DU TOME NEUVIÈME.
+
+
+IMPRIMERIE DE DONDEY-DUPRÉ,
+Rue St.-Louis, n°46, au Marais.
+
+
+
+
+
+
+
+
+End of the Project Gutenberg EBook of Oeuvres complètes de lord Byron
+ Volume 9, by George Gordon Byron
+
+*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 30067 ***
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+ <title>The Project Gutenberg eBook of Oeuvres complètes de Lord
+ Byron, Vol. 9, par Paulin Paris</title>
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+
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+</head>
+<body>
+<div>*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 30067 ***</div>
+
+<br><br>
+
+<h2>ŒUVRES COMPLÈTES</h2>
+
+<h4>DE</h4>
+
+<h1>LORD BYRON,</h1>
+
+<h4>AVEC NOTES ET COMMENTAIRES,</h4>
+
+<h5>COMPRENANT</h5>
+
+<h3>SES MÉMOIRES PUBLIÉS PAR THOMAS MOORE,</h3>
+
+<h5>ET ORNÉES D'UN BEAU PORTRAIT DE L'AUTEUR.</h5>
+
+<p class="mid"><i>Traduction Nouvelle</i></p>
+
+<h3>PAR M. PAULIN PARIS,</h3>
+
+<h5>DE LA BIBLIOTHÈQUE DU ROI.</h5>
+
+<hr class="short">
+<h3>TOME NEUVIÈME.</h3>
+<hr class="short">
+
+<p class="mid"><i>Paris.</i><br>
+DONDEY-DUPRÉ PÈRE ET FILS, IMPR.-LIBR., ÉDITEURS,<br>
+RUE SAINT-LOUIS, N° 46, <br>
+ET RUE RICHELIEU, N° 47 <i>bis.</i></p>
+
+<hr class="short">
+
+<h4>1830.</h4>
+
+<br><br><br>
+
+
+
+<h3>LETTRES</h3>
+
+<h1>DE LORD BYRON,</h1>
+
+<h5>ET</h5>
+
+<h2>MÉMOIRES SUR SA VIE,</h2>
+
+<h4><span class="sc">Par Thomas MOORE</span>.</h4>
+<br><br><br>
+
+
+
+<br><hr><br>
+<h2><i>Préface du Traducteur</i>.</h2>
+<br>
+<hr class="short">
+<br><br>
+
+<p>Depuis la publication des deux premiers volumes de ces <i>Mémoires</i>, les
+journaux de la Grande-Bretagne ont ouvert leurs colonnes aux
+interminables réclamations des amis de lady Noël Byron, à lès en croire,
+injustement traitée dans le cours de cet ouvrage. La veuve de l'illustre
+poète a fait elle-même retentir ces organes insoucians du mensonge et de
+la vérité, des plaintes que <i>semblaient</i> lui arracher l'indiscrétion de
+l'éditeur, la perfidie de ses demi-confidences, et surtout le rôle
+affreux qu'il prêtait aux personnes dont elle était entourée à l'époque
+de la déplorable affaire de son divorce. Certes le public a dû voir avec
+étonnement les récriminations de lady Byron. Jusqu'alors, il accusait M.
+Moore d'une partialité peu généreuse en faveur des adversaires de
+l'illustre poète qui lui avait remis l'honorable soin de le défendre; et
+le dépositaire, peut-être infidèle, semblait avoir assez fait, sinon
+pour sa considération personnelle, du moins pour celle d'une famille à
+laquelle Lord Byron avait toujours attribué ses chagrins les plus
+cuisans. Voici la première lettre de lady Byron, publiée dans la
+<i>Litterary Gazette</i>, et reproduite quelques jours après dans le <i>Times</i>:</p>
+
+<p>«Déjà, une multitude d'écrits remplis de faits notoirement faux ont été
+livrés au public; j'ai dédaigné d'y répondre. Mais aujourd'hui il s'agit
+d'un ouvrage publié par un homme regardé comme l'ami, le confident de
+Lord Byron, et par conséquent comme un personnage dont les révélations
+sont fondées sur la meilleure autorité. Cependant les faits contenus
+dans cet ouvrage n'en sont pas moins erronés. On ne devrait jamais
+attirer l'attention du public sur les détails de la vie privée; mais
+quand cela arrive, les personnes victimes d'une telle indiscrétion ont
+le droit de repousser d'injurieuses attaques. M. Moore a donné au public
+ses propres impressions sur des événemens particuliers qui me touchent
+de fort près; et il en a parlé comme s'il eût eu la connaissance la plus
+parfaite de ce dont il parlait. La mort de Lord Byron me rend plus
+pénible encore l'obligation de revenir sur des circonstances qui me
+reportent à l'époque de mon mariage. Mon intention est donc de ne les
+faire connaître qu'autant qu'il le faudra pour parvenir au but que je me
+propose dans cette déclaration. Nul motif de justification personnelle
+ne m'anime, et je n'accuserai personne: mais la conduite de mes parens
+étant représentée sous un jour odieux dans certains passages extraits
+des lettres de Lord Byron et dans les remarques de son biographe, je me
+crois obligée de les défendre d'imputations que je <i>sais</i> être fausses.</p>
+
+
+
+<p>Voici les divers passages des lettres de Lord Byron dont je veux parler:</p>
+
+<p>Dans le second volume on a outragé la réputation de ma mère en disant:</p>
+
+<p>«Mon enfant est dans un état de santé florissant et prospère à ce qu'on
+me dit; mais je veux y voir par moi-même; je ne me sens nullement
+disposé à l'abandonner à la contagion de la société de sa grand'mère.»</p>
+
+<p>C'est à tort qu'on l'a accusée de s'être abaissée à employer des
+espions: «Une dame C. (espèce de factotum et <i>espion de lady Noël</i>) est
+regardée par des gens bien instruits comme la cause occulte de toutes
+nos dissensions domestiques.»</p>
+
+
+
+<p>Je cite aussi le passage où, après avoir voulu m'excuser moi-même, on
+ajoute immédiatement après: «Ses plus proches parens sont.......» Ici le
+mot laissé en blanc indique que l'expression était trop offensante pour
+être publiée.</p>
+
+<p>Ces passages tendent évidemment à jeter quelque défaveur sur mes parens,
+et peuvent faire croire que ce sont eux qui ont personnellement causé
+notre séparation, ou qu'ils l'ont provoquée par les espions officieux
+qu'ils ont employés.</p>
+
+<p>On peut induire aussi des passages suivans de la biographie, que mes
+parens ont du moins exercé une influence qui ne leur appartenait pas,
+afin de parvenir à leur but. «Ce fut peu de semaines après notre
+dernière entrevue (Lord Byron et M. Moore) que lady Byron prit la
+résolution de se séparer de son époux. Elle avait quitté Londres dans
+les derniers jours de janvier pour aller voir son père dans le comté de
+Leicester, et Lord Byron devait l'y rejoindre peu de tems après. Ils
+s'étaient quittés dans une union parfaite: en route, elle lui écrivit
+encore une lettre pleine de tendresse et de gaîté; mais à peine arrivée
+à Kirkby-Mallory, le père écrivit à Lord Byron pour lui apprendre que
+jamais il ne la reverrait.»</p>
+
+<p>En répondant à ce passage, j'éviterai autant qu'il me sera possible de
+parler de choses personnelles soit à Lord Byron, soit à moi-même. Je me
+borne à rétablir les faits. Je quittai Londres le 15 janvier 1816 pour
+me rendre à Kirkby-Mallory, résidence de mon père et de ma mère. Lord
+Byron m'avait signifié formellement dans sa lettre du 6 du même mois,
+qu'il désirait que je quittasse Londres aussitôt qu'il me paraîtrait
+convenable de le faire. Mais je ne pouvais me risquer à entreprendre ce
+voyage fatigant plus tôt que le 15. Avant mon départ, j'avais été
+vivement frappée de cette idée que Lord Byron était atteint de folie. Ce
+qui surtout m'avait donné cette opinion, c'étaient les confidences de
+ses plus proches amis, et de ses domestiques qui avaient eu plus que moi
+le loisir de l'observer pendant la dernière partie de notre séjour en
+ville. On avait même été jusqu'à me dire qu'il était à redouter qu'il ne
+se détruisit lui-même. D'accord avec sa famille, j'avais consulté le 8
+janvier le docteur Baillie, notre ami, sur cette maladie qu'on
+soupçonnait. Je lui racontai toutes les particularités venues à ma
+connaissance, et j'ajoutai que Lord Byron m'avait témoigné le désir de
+me voir quitter Londres. Le docteur saisît aussitôt cette idée, et pensa
+qu'en cas de quelque dérangement d'esprit, mon éloignement pouvait être
+fort utilement mis à profit. Le docteur Baillie ne pouvait avoir, à cet
+égard, d'opinion arrêtée, puisqu'il n'avait point approché
+personnellement Lord Byron. Il me recommanda d'éviter avec soin dans ma
+correspondance tout sujet de déplaisir ou de tristesse.</p>
+
+
+
+<p>Telles étaient donc mes pensées quand je quittai Londres, bien résolue
+de suivre les avis du médecin. Quelle qu'eût été la conduite de Lord
+Byron à mon égard depuis mon mariage, c'eût été une véritable inhumanité
+de montrer dans cette circonstance le moindre ressentiment. Le jour de
+mon départ, et encore à mon arrivée à Kirkby, le 16 janvier, j'écrivis à
+Lord Byron une lettre fort affectueuse, ainsi que j'en étais convenue
+avec M. Baillie. On a plus tard répandu ma dernière lettre, et on a
+voulu trouver là des preuves que j'avais cédé à des influences
+étrangères, quand ensuite j'abandonnai mon mari. On en a tiré la
+conséquence que j'avais quitté Lord Byron dans le plus parfait accord;
+que des sentimens incompatibles avec la moindre idée d'outrage m'avaient
+dicté ma dernière lettre, et que ma résolution n'avait subitement changé
+que quand je m'étais trouvée sous l'influence de mes parens. Ces
+assertions sont absolument dénuées de fondement: il n'y a point eu la
+moindre intervention étrangère.</p>
+
+<p>A mon arrivée à Kirkby-Mallery, mes parens ne se doutaient en rien des
+circonstances qui détruisaient toutes mes espérances de félicité; et
+quand je leur fis part de l'état d'esprit dans lequel se trouvait Lord
+Byron, ils firent tous leurs efforts pour me dissuader et le défendre.
+Ils assurèrent en outre à ceux de nos parens qui étaient avec lui à
+Londres qu'ils feraient tout ce qui dépendrait d'eux pour guérir sa
+maladie par les soins les plus attentifs, et qu'ils espéraient, si on
+pouvait le décider à venir les voir, obtenir les meilleurs résultats de
+leurs efforts. C'est dans ces intentions que ma mère écrivit le 17 à
+Lord Byron, en l'engageant à se rendre à Kirkby-Mallory. Elle l'avait
+toujours traité avec la plus affectueuse considération: son indulgence
+pour lui s'étendait jusqu'à ses moindres sentimens. Jamais, tant qu'elle
+vécut avec lui, il ne lui échappa une parole qui pût le blesser<a id="footnotetag1" name="footnotetag1"></a>
+<a href="#footnote1"><sup class="sml">1</sup></a>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote1"
+name="footnote1"><b>Note 1: </b></a><a href="#footnotetag1">
+(retour) </a> On peut, afin d'apprécier la véracité de lady Byron,
+ consulter, sur la <i>bienveillance</i> de sa mère pour notre
+ poète, le premier chant de <i>Don Juan</i> et les <i>Mémoires du
+ capitaine Medwin</i>.</blockquote>
+
+<p>Après notre séparation, les détails que me donnèrent des personnes qui
+vivaient dans son intimité ne firent que fortifier les doutes qui déjà
+s'étaient élevés dans mon esprit sur la réalité de son mal; les rapports
+des médecins étaient d'ailleurs loin d'établir le fait de l'aliénation
+mentale. Dans ces circonstances, je crus devoir déclarer à mes parens
+que, si je devais considérer la conduite passée de Lord Byron comme
+celle d'un homme dans son bon sens, rien ne pourrait m'engager à
+retourner auprès de lui. Mes parens et moi jugeâmes convenable de
+consulter les gens les plus capables de nous éclairer à cet égard. Ma
+mère se détermina donc à se rendre à Londres, pour cet objet, et afin
+d'y recueillir de plus amples informations sur ce qui avait pu faire
+supposer un dérangement d'esprit. Je lui avais donné procuration pour
+recueillir les opinions d'hommes de lois sur un mémoire que j'avais fait
+moi-même, bien que j'eusse alors des motifs de cacher une partie de
+l'affaire, même à mon père et à ma mère.</p>
+
+<p>Convaincue par ces recherches et par toute la conduite de Lord Byron,
+que les soupçons de folie conçus contre lui étaient tout-à-fait faux, je
+n'hésitai point à autoriser les mesures qui devaient lui ôter tout
+pouvoir sur moi. C'est d'après ma résolution, que mon père lui écrivit
+le 2 février pour lui proposer de nous séparer à l'amiable. Lord Byron
+repoussa d'abord cette proposition; mais quand on lui eut assuré que,
+s'il persistait dans son refus, il faudrait en venir aux lois, il
+consentit à signer l'acte de séparation. Je m'adressai au docteur
+Lushington, qui avait parfaitement connu tous les détails de cette
+affaire, pour qu'il voulût bien écrire tous ses souvenirs, et voici la
+lettre qu'il me répondit à ce sujet. Elle prouvera que ma mère ne put
+jamais avoir contre Lord Byron le moindre sentiment d'inimitié:</p>
+<br>
+<p><span class="sc">Ma chère lady Byron</span>,</p>
+
+<p>«Voici tout ce que ma mémoire peut me fournir sur le sujet dont vous
+m'entretenez dans votre lettre.</p>
+
+<p>«Lady Noël me consulta d'abord pour votre affaire pendant que vous étiez
+encore à la campagne. Ce qu'elle me dit alors suffisait pour justifier
+une séparation; mais cependant les choses ne me parurent pas tellement
+graves, qu'il fût indispensable d'en venir à ce point. Je crus même
+qu'une réconciliation avec Lord Byron n'était pas impossible, et je m'y
+serais très-volontiers employé. Je ne vis dans le récit de lady Noël, ni
+la moindre exagération, ni le plus léger désir d'empêcher un
+rapprochement: elle ne fit aucune objection quand j'en parlai. Lorsque
+vous revîntes en ville, quinze jours ou peut-être plus après ma première
+entrevue avec lady Noël, vous fûtes la première à m'informer de faits
+qui, je n'en doute pas, n'étaient à la connaissance ni de sir Ralph ni
+de lady Noël. Ces nouveaux renseignemens changèrent tout-à-fait mon
+opinion; la réconciliation me parut dès-lors impossible; je déclarai ce
+que je pensais, et j'ajoutai que, si jamais on revenait à cette idée de
+rapprochement, je ne m'en mêlerais absolument en rien, soit en restant
+dans les devoirs de ma profession, soit autrement.</p>
+
+<p>«Croyez-moi toujours votre très-affectionné,»<span class="rig"><br>
+<span class="sc">Étienne LUSHINGTON</span></span>.</p><br><br>
+
+<p>Je dois seulement ajouter ici que, si les informations sur lesquelles
+mes conseils légaux (feu sir Samuel Romilly et le docteur Lushington)
+ont formé leur opinion étaient fausses, c'est sur <i>moi seule</i> que
+devraient retomber tout l'odieux et toute la responsabilité.</p>
+
+<p>J'espère que les faits que je viens d'exposer ici suffiront pour
+disculper mon père et ma mère de toute participation à mon divorce. Ils
+ne l'ont ni causé, ni provoqué, ni conseillé; l'on ne peut les condamner
+pour avoir donné à leur fille l'abri et l'assistance qu'elle réclamait
+d'eux. Comme il n'y a point d'autres personnes de ma famille qui
+puissent défendre leur mémoire de l'insulte, je me vois forcée de rompre
+un silence que j'espérais garder toujours, et je demande à ceux qui
+liront la vie de Byron qu'ils pèsent avec impartialité le témoignage
+qu'on vient de m'arracher.</p>
+
+<p>Hanger-Hill, 19 février.<span class="rig"><br>
+<span class="sc">A.J. Noël BYRON</span>.</span></p><br><br>
+
+
+
+<p>Le lecteur, avide de détails sur les circonstances et les causes de
+cette fameuse séparation, n'en trouve que de bien insignifians dans la
+lettre que nous venons de citer. Que lady Byron ait demandé de sa propre
+inspiration, ou d'après les conseils de sa mère, l'acte du fatal
+divorce, c'est une circonstance assez peu intéressante en elle-même. La
+seule chose que l'on doit ici remarquer, c'est que lady Byron avait le
+malheur de méconnaître non-seulement le génie sublime, mais le bon sens
+et la raison de son mari. Elle l'avoue naïvement: il lui fallu le
+témoignage de tous ceux qui approchaient Lord Byron; il fallut la
+sentence formelle des médecins pour lui persuader que l'auteur de
+<i>Childe Harold</i> n'était pas un fou. Avouons-le: ce premier motif de
+divorce ne doit pas nous prévenir en faveur du second.</p>
+
+<p>La longue lettre de M. Campbell, insérée dans le <i>New Monthly Magazine</i>
+(avril 1830), offre moins d'intérêt encore que la précédente. Son
+étendue ne nous permet pas de la traduire en entier; ce ne serait pas,
+d'ailleurs, chose facile: jamais on n'a tant abusé de la facilité
+malheureuse qu'offre la langue anglaise de multiplier les mots et les
+phrases sonores sans exprimer d'idées et sans en suggérer au lecteur.</p>
+
+<p>L'illustre auteur des <i>Plaisirs de la Mémoire</i><a id="footnotetag2" name="footnotetag2"></a>
+<a href="#footnote2"><sup class="sml">2</sup></a>, au mérite duquel
+Byron a rendu si amplement justice, M. Campbell, commence par nous
+apprendre qu'il avait consenti, le mois précédent, à l'insertion, dans
+la <i>Revue</i> qu'il dirige, d'un article louangeur, sur les <i>mémoires</i>; que
+même, il en avait fait disparaître certains passages, où le critique
+reprochait à M. Moore une partialité coupable envers lady Byron. «Mais,
+ajoute-t-il, j'avais agi ainsi par suite de ma répugnance à blâmer <i>mon
+ami</i> M. Moore, et parce que je n'avais pas assez approfondi les passages
+du livre incriminés. En outre, je ne croyais pas <i>alors</i>, comme je le
+sais aujourd'hui, que lady Byron fût entièrement irréprochable dans
+l'affaire de la séparation.»</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote2"
+name="footnote2"><b>Note 2: </b></a><a href="#footnotetag2">
+(retour) </a> Voyez dans les <i>Poètes anglais et les Journalistes
+ écossais</i>, page 373 du deuxième vol. des œuvres complètes.</blockquote>
+
+<p>Comment! cette fameuse séparation date de quatorze ans, et voilà enfin
+la conviction de M. Campbell tout-à-coup formée, arrêtée, ou plutôt
+changée du tout au tout! que s'est-il donc passé pendant ce mois de
+mars? Le voici: M. Campbell a écrit à lady Byron, lui demandant pour
+<i>son instruction particulière</i> une appréciation de l'exactitude ou de
+l'inexactitude des faits avancés par M. Moore, et il en reçut la réponse
+qu'il publie <i>à ses périls</i>, parce qu'elle lui a paru importante, <i>et
+sans avoir eu le tems d'en demander la permission</i> à cette dame:</p>
+
+<br>
+<p><span class="sc">Mon cher M. Campbell</span>,</p>
+
+<p>«En prenant la plume dans l'intention de vous indiquer, pour votre
+<i>instruction particulière</i>, les passages du livre de M. Moore qui me
+concernent et que je crois susceptibles de contradiction, je les trouve
+encore bien plus nombreux que je n'avais d'abord supposé. Nier une
+assertion <i>çà et là</i>, ce serait implicitement reconnaître la vérité du
+reste. Si, au contraire, j'entreprenais de prouver toute la fausseté du
+point de vue sous lequel M. Moore présente les choses, je me verrais
+obligée à de certains détails, que dans les circonstances actuelles je
+ne puis dévoiler, d'après mes principes et mes sentimens. Peut-être, par
+un exemple, vous convaincrai-je mieux de la difficulté du cas: il n'est
+pas vrai que des embarras pécuniaires furent les causes qui troublèrent
+l'esprit<a id="footnotetag3" name="footnotetag3"></a>
+<a href="#footnote3"><sup class="sml">3</sup></a> de Lord Byron, et la principale raison des arrangemens qu'il
+prit à cette époque. Mais puis-je raisonnablement m'attendre que vous ou
+d'autres le croirez, à moins que je ne vous montre quelles ont été les
+causes en question?... et c'est ce que je ne puis faire.</p>
+
+<p>Je suis, etc.»<br>
+
+<span class="rig">E. <span class="sc">Noël</span> BYRON.</span></p><br><br>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote3"
+name="footnote3"><b>Note 3: </b></a><a href="#footnotetag3">
+(retour) </a> Encore <i>l'esprit de Lord Byron troublé</i>! mais vous
+ avez avoué que c'était une de vos chimères.</blockquote>
+
+<p>Là-dessus M. Campbell de s'écrier: «Excellente femme! honorée de tous
+ceux qui la connaissent, attaquée seulement par ceux qui ne la
+connaissent pas, je l'en croirai certainement sur son seul témoignage!»</p>
+
+<p>Certes, si une pareille lettre a suffi pour déterminer la conviction de
+M. Campbell, il est au moins douteux qu'elle produise le même effet sur
+l'esprit des lecteurs. Il ajoute, il est vrai, qu'il a recueilli un
+petit nombre de faits à d'autres sources authentiques, qui lui prouvent
+jusqu'à l'évidence l'innocence de cette dame, mais qu'il ne nous
+répétera pas pour ne pas offenser notre délicatesse. Or, n'est-ce pas se
+jouer un peu trop du public que de lui dire chaque jour: voilà la
+vérité, je la tiens enfin, la voilà... mais vous ne la saurez pas!</p>
+
+<p>M. Campbell nous représente ensuite lady Byron comme la femme forte, qui
+trouve dans sa propre conscience la sanction de sa conduite, et s'occupe
+peu de l'opinion du monde; à la bonne heure, mais alors pourquoi donc
+importuner de nouveau le public? pourquoi lui écrire par la voie des
+journaux, uniquement pour lui dire qu'on ne lui dira rien?</p>
+
+<p>L'esprit de Byron était essentiellement versatile; il n'est donc pas
+étonnant qu'il ait quelquefois cherché à excuser sa femme et à
+s'attribuer tous les torts d'une rupture qui fit le malheur de sa vie.
+M. Campbell reproche à M. Moore d'avoir affaibli l'effet de ces
+prétendus aveux, en y ajoutant ses propres réflexions, et en y opposant
+les passages de sa correspondance où son noble ami parle dans un sens
+tout-à-fait contraire. Il cite à cet égard la lettre CCXXXV du recueil:
+elle passera sous les yeux de nos lecteurs, et, nous sommes fâchés de le
+dire, ils pourront voir que M. Campbell en a singulièrement altéré et
+amplifié les termes.</p>
+
+<p>C'est un singulier argument en faveur de lady Byron que de dire: si elle
+n'avait pas eu de justes sujets de désirer une séparation, le docteur
+Lushington ne se serait pas chargé de sa cause. Dans une affaire, il y a
+toujours au moins un avocat de chaque côté: souvent tous les deux sont
+des hommes de talent; et nous devons en outre les supposer tous deux des
+hommes d'honneur et de bonne foi. Alors, que devient l'argument? Un peu
+plus loin se trouve un passage que je traduirai textuellement, parce
+qu'il est d'une naïveté qui ne serait pas déplacée dans une comédie:
+«C'est encore une erreur de M. Moore, et je pourrais le prouver au
+besoin, que de représenter miss Millbank comme engagée avec son futur
+époux dans un commerce épistolaire, au moment où il venait de solliciter
+inutilement sa main. Jamais elle ne proposa de correspondance; au
+contraire, ce fut lui qui, après avoir éprouvé un premier échec, lui
+écrivit qu'il allait quitter l'Angleterre et voyager pendant quelques
+années en Orient; qu'il partait le cœur plein de douleur, mais sans
+entretenir aucun ressentiment, et qu'il s'estimerait heureux qu'elle
+daignât lui faire dire verbalement qu'elle s'intéressait encore à son
+bonheur. Une personne aussi bien élevée que miss Millbank pouvait-elle
+faire autrement que de répondre poliment à un pareil message? Elle lui
+envoya donc une réponse pleine de confiance et d'affection, ce qui ne
+signifiait nullement qu'elle voulût l'encourager à renouveler ses offres
+de mariage. Il lui écrivit, depuis, une lettre extrêmement intéressante
+sur lui-même, sur ses vues personnelles, morales et religieuses, à
+laquelle c'eût été manquer de charité que de ne point répondre. Il s'en
+suivit une correspondance insensiblement plus fréquente, et bientôt elle
+s'attacha passionnément à lui.
+.............................................»</p>
+
+<p>Puisqu'après quatorze ans, passés dans l'attente, il paraît que nous
+sommes condamnés à ne rien savoir de certain sur cette fameuse affaire
+de la séparation, il faut bien en prendre notre parti et nous contenter
+de simples conjectures. Les adversaires les plus acharnés du noble poète
+sont obligés de convenir qu'il se montra toujours généreux, aimant et
+aimable; les partisans les plus ardens de sa veuve ne contestent ni sa
+fierté, ni sa froideur glaciale, ni ses prétentions ridicules à l'esprit
+et aux connaissances scientifiques. Lord Byron, qu'elle accuse, après sa
+mort, de torts qu'elle refuse de spécifier, et dont personne ne peut, en
+conséquence, justifier sa glorieuse mémoire, Lord Byron n'a jamais perdu
+un ami pendant la durée trop courte de son existence, il est au
+contraire parvenu à s'attacher sincèrement des hommes qui d'abord
+s'étaient déclarés ses ennemis; il fut un fils, sinon tendre, du moins
+attentif et respectueux envers une assez mauvaise mère; nous pouvons
+donc en conclure qu'il se fût montré bon mari, si l'épouse n'eût été
+encore plus insupportable que la mère.</p>
+
+<p>Les <i>Mémoires</i> que nous donnons aujourd'hui au public ne sont pas, au
+moins quant à cette première partie, ce que le monde littéraire avait
+droit d'attendre, et attendait en effet de M. Moore, écrivant la vie et
+publiant la correspondance de Lord Byron. Cependant ils ne laissent pas
+d'offrir le plus vif intérêt. Il en est du chantre de Childe Harold,
+comme de tous les hommes véritablement grands: sa mort nous a fait mieux
+apprécier son mérite, et le temps, loin de diminuer sa gloire, n'a fait
+qu'ajouter à la popularité de ses ouvrages immortels. On voudra
+connaître la vie d'un homme si étonnant, on voudra assister au
+développement graduel de ce puissant génie; et des détails qui, partout
+ailleurs, pourraient sembler puérils, prendront de l'intérêt à cause de
+celui auquel ils se rapportent. Il eût été à désirer sans doute que la
+position sociale de M. Moore, en lui imposant moins de ménagemens envers
+les vivans, lui eût permis de rendre plus de justice à l'illustre mort.
+Lié avec tous ceux qui tiennent le premier rang dans l'aristocratie et
+dans la littérature de la Grande-Bretagne, non seulement M. Moore n'a
+pas osé tout dire, mais encore il a souvent gauchi devant la vérité. Sa
+prose, toujours maniérée, devient presque inintelligible précisément
+dans les passages où nous aurions le plus désiré qu'il nous donnât une
+idée précise des hommes et des choses. Ceux qui ont lu, je ne dis pas
+ses œuvres poétiques, mais ses ouvrages en prose, seront fort étonnés du
+mince talent qu'il a déployé dans celui-ci; et personne ne reconnaîtra
+dans le pâle compilateur des <i>Mémoires de Lord Byron</i>, l'auteur si
+ingénieux, si léger et si profond à la fois des <i>Mémoires du célèbre
+chef irlandais, le capitaine Rock</i>.</p>
+
+
+
+<p>Au moment où nous songions à donner cette traduction, d'autres libraires
+en faisaient paraître une autre que recommandait le nom de son auteur.
+Madame Belloc l'avait, en effet, commencée avec le talent que tout le
+monde lui reconnaît; mais bientôt, pressée sans doute par son éditeur,
+elle a plutôt résumé que traduit le texte anglais, et son style s'est
+beaucoup ressenti de la précipitation de son travail. Ajoutons qu'elle
+n'a pas eu plus d'égards pour les lettres de Lord Byron que pour les
+commentaires un peu longs de son biographe; en sorte que l'on peut dire
+avec vérité qu'elle n'a réellement donné au public, ni la vie, ni la
+correspondance de Lord Byron.</p>
+
+<p>Pour nous, nous avons religieusement tout traduit, et nous nous sommes
+appliqué à rendre notre auteur dans les termes dont il se serait servi,
+s'il eût écrit en français. A peine nous sommes-nous permis de
+retrancher dans ce premier volume une ou deux notes absolument
+étrangères au sujet. Dans le second, nous serons forcé de supprimer près
+d'une demi-feuille d'impression, c'est-à-dire quelques lettres où le
+noble poète consulte un de ses amis sur la coupe de certains vers, sur
+le choix de certaines expressions anglaises; le lecteur sentira
+facilement que ces lettres eussent été presque impossibles à traduire,
+et que la lecture ne lui eût offert aucune espèce d'intérêt.</p>
+
+<br><hr class="full"><br>
+
+<h2>PRÉFACE</h2>
+
+<h4>DE L'ÉDITEUR ANGLAIS.</h4>
+
+<br><hr class="short"><br>
+
+<p>En publiant cet ouvrage, je n'aurais pu, je l'avoue, me défendre d'une
+grande défiance, en songeant à tout ce qui me manquait pour accomplir
+une pareille tâche, si je n'étais persuadé que le sujet lui-même et la
+variété des matériaux qu'il comporte doivent conserver une grande partie
+de leur intérêt, même dans les mains les plus inhabiles. Les motifs qui
+portèrent Lord Byron à fuir son pays sont bien déplorables sans doute,
+mais c'est à son éloignement de l'Angleterre, alors que son génie
+brillait du plus vif éclat, que nous devons toutes les lettres qui
+formeront la plus grande partie du troisième et du quatrième volume de
+cet ouvrage, et qui, nous n'en doutons pas, seront jugées pour
+l'intérêt, l'énergie et la variété, comparables à ce qui honore le plus
+notre littérature dans le même genre.</p>
+
+<p>On a dit de Pétrarque que sa correspondance et ses vers offraient
+«l'intérêt progressif d'un récit dans lequel le poète s'identifie
+toujours avec l'homme.» On peut appliquer, et plus justement encore, les
+mêmes expressions à Lord Byron, tant sa physionomie littéraire et son
+caractère personnel sont intimement liés. C'est même au point que
+priver ses ouvrages du commentaire instructif qu'en offrent sa
+correspondance et l'histoire de sa vie, ce serait commettre une égale
+injustice envers lui-même et envers le monde.</p>
+<br><br><br>
+
+<hr class="full">
+<h3><b>MÉMOIRES</b></h3>
+
+<h4>SUR LA VIE</h4>
+
+<h2>DE LORD BYRON.</h2>
+
+<br><hr class="short"><br>
+
+<p>On a dit de Lord Byron qu'il était plus fier de descendre de ces Byron
+qui accompagnèrent Guillaume-le-Conquérant en Angleterre, que d'avoir
+composé <i>Childe-Harold</i> et <i>Manfred</i>. Cette remarque n'est pas dénuée de
+tout fondement, l'orgueil de la naissance était certainement l'un des
+traits caractéristiques du noble poète; et d'ailleurs toute
+l'illustration que les années donnent à une famille, il pouvait
+justement la réclamer pour la sienne. Le nom de Ralph de Burun occupe,
+dès le tems de Guillaume-le-Conquérant, un rang distingué dans le
+<i>Doomsday-Book</i>, parmi les tenanciers du Nottinghamshire; et pendant les
+règnes suivans, nous voyons les descendans de ce Ralph, sous le titre de
+lords de Horestan-Castle<a id="footnotetag4" name="footnotetag4"></a>
+<a href="#footnote4"><sup class="sml">4</sup></a>, posséder, dans le Derbyshire, des
+propriétés considérables, auxquelles la terre de Rochdale, dans le duché
+de Lancastre, fut ajoutée au tems d'Édouard Ier. Telle était, dans ces
+premiers tems, la richesse territoriale de la famille, que le partage de
+ses biens, dans le seul Nottinghamshire, avait suffi pour fonder
+quelques-unes des premières maisons de la province.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote4"
+name="footnote4"><b>Note 4: </b></a><a href="#footnotetag4">
+(retour) </a> Il y avait, dit Thoroton, dans le parc de Horseley,
+ un château dont on peut voir encore quelques ruines; il
+ s'appelait Horestan-Castle, et était le principal manoir des
+ successeurs de Ralphe de Burun.<span class="rig">
+ (<i>Note de Moore</i>.)</span><br>
+</blockquote>
+
+<p>Mais son antiquité n'était pas la seule distinction qui recommandât à
+ses héritiers le nom de Byron; le mérite personnel et les hauts faits
+qui doivent former le premier ornement d'une généalogie, semblent avoir
+été le partage fréquent de ses ancêtres. Dans l'un de ses premiers
+poèmes, il fait allusion à la gloire de ses aïeux, et rappelle avec une
+vive satisfaction «ces fiers barons bardés de fer, qui brillaient parmi
+ceux qui conduisirent leurs vassaux européens dans les plaines de
+Palestine;» puis il ajoute: «Sous les remparts d'Ascalon périt John de
+Horiston; la mort a glacé la main de son ménestrel.» Cependant comme,
+autant que je l'ai pu découvrir, il n'est fait mention nulle part de
+quelqu'un de ses ancêtres qui se fût croisé, il est possible que sa
+seule autorité, en composant ces vers, fut la tradition qui se
+rapportait à certains groupes des vieilles boiseries de Newsteadt. Dans
+l'un de ces groupes profondément sculptés et se détachant du panneau, on
+peut reconnaître facilement un Sarrasin, ou un Maure avec une femme
+européenne, d'un côté, et de l'autre un soldat chrétien. Un deuxième
+groupe, placé dans l'une des chambres à coucher, représente une femme au
+centre, et de chaque côté la tête d'un Sarrasin, dont les yeux sont
+fixés avec intérêt sur elle. On ne sait rien de bien exact sur ces
+sculptures; mais la tradition est, m'a-t-on dit, qu'elles se rapportent
+à quelque aventure d'amour dans laquelle se trouvait engagé l'un des
+chevaliers croisés dont parle le jeune poète. Quant aux exploits les
+mieux prouvés, ou du moins les plus connus des Byron, il suffira de dire
+que sous Édouard III, au siége de Calais et dans les plaines mémorables,
+à diverses époques, de Créci, de Bosworth et de Marston Moor, leur nom
+se montre revêtu de la double illustration de rang et de mérite, dont se
+glorifiait leur plus jeune descendant, dans les vers que nous venons de
+citer.</p>
+
+<p>Ce fut sous le règne de Henri VIII, à l'époque de la suppression des
+monastères, que l'église et le prieuré de Newsteadt furent, avec les
+terres contiguës, ajoutés, par un don royal, aux autres domaines de la
+famille Byron<a id="footnotetag5" name="footnotetag5"></a>
+<a href="#footnote5"><sup class="sml">5</sup></a>. Le favori à qui furent données les dépouilles du
+monastère, était le petit neveu du vaillant guerrier qui combattit à
+Bosworth, aux côtés de Richemond, et que l'on distingue des chevaliers
+du même nom par le titre de sir John Byron <i>le Court, à la grande
+barbe</i>: son portrait était du petit nombre de ceux qui décoraient les
+murs de l'abbaye, quand elle appartenait au noble poète.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote5"
+name="footnote5"><b>Note 5: </b></a><a href="#footnotetag5">
+(retour) </a> Le prieuré de Newsteadt avait été fondé et dédie à
+ Dieu et à la Vierge, par Henri II; ses moines, chanoines
+ réguliers de l'ordre de St.-Augustin, étaient, à ce qu'il
+ paraît, les objets particuliers de la faveur royale, dans
+ leurs doubles intérêts spirituels et temporels. Pendant la
+ vie du cinquième Lord Byron, on trouva dans le lac de
+ Newsteadt, où l'on supposait que les moines avaient tenté de
+ le cacher, un grand aigle de cuivre; on le fit ouvrir, et
+ l'on découvrit dans l'intérieur une case secrète qui recelait
+ plusieurs vieilles chartes relatives aux droits et aux
+ privilèges de la fondation. A la vente des effets du vieux
+ Lord Byron, en 1776-1777, cet aigle avec trois candélabres,
+ trouvés à la même époque, furent achetés par un horloger de
+ Nottingham (celui-même qui avait trouvé les pièces dont nous
+ venons de parler), et ayant de ses mains passé dans celles de
+ sir Richard Kaye, prébendier de Southwell, ils forment à
+ présent un des ornemens les plus remarquables de la
+ cathédrale de cette ville. Un document curieux, trouvé,
+ dit-on, dans l'aigle, appartient aujourd'hui au colonel
+ Wildman; c'est un plein pardon, accordé par Henri II, de tous
+ les crimes possibles (et l'on en trouve désigné un assez long
+ catalogue) que les moines peuvent avoir commis avant le huit
+ décembre précédent. «<i>Murdris</i> per ipsos <i>post decimum nonum
+ diem</i> novembris ultimo præteritum perpetratis, si quæ
+ fuerint, <i>exceptis</i>.»</blockquote>
+
+<p>Au couronnement de Jacques Ier, nous trouvons un autre représentant de
+cette famille, le petit-fils de sir John Byron <i>le Court</i>, devenu
+l'objet de nouvelles faveurs royales et créé chevalier du Bain (<i>Knight
+of the Bath</i>). Une lettre de ce personnage, conservée dans <i>les
+Illustrations de Lodge</i>, nous apprend, que, malgré l'ostentation d'une
+apparente prospérité, cette ancienne famille avait déjà l'expérience des
+embarras pécuniaires. Dans cette pièce, après avoir parlé à son héritier
+du meilleur moyen de payer ses dettes, «je vous conseille donc,
+continue-t-il<a id="footnotetag6" name="footnotetag6"></a>
+<a href="#footnote6"><sup class="sml">6</sup></a>, aussitôt que vous aurez terminé, comme vous le devez,
+les funérailles de votre père, de régler et de réduire ce grand train de
+maison, et de ne garder de tous vos domestiques que quarante ou
+cinquante au plus. Dans mon opinion, vous feriez beaucoup mieux de vivre
+quelque tems dans le comté de Lancastre que dans celui de Nottingham; et
+cela, pour plusieurs raisons excellentes, qu'au lieu de vous écrire, je
+vous dirai à notre première entrevue.»</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote6"
+name="footnote6"><b>Note 6: </b></a><a href="#footnotetag6">
+(retour) </a>
+ Le comte de Shrewsbury.<span class="rig">
+ (<i>Note de Moore</i>.)</span><br></blockquote>
+
+<p>C'est du règne suivant, celui de Charles Ier, que date l'origine de la
+noblesse de la famille. En 1643, sir John Byron, arrière-petit-fils de
+celui qui avait obtenu le riche domaine de Newsteadt, fut créé baron
+Byron de Rochdale, dans le comté de Lancastre; et rarement de pareils
+titres furent concédés pour des services aussi réels et aussi honorables
+que ceux auxquels ce gentilhomme dut le sien. Presque à chaque page de
+l'histoire de nos guerres civiles, son nom se trouve lié aux diverses
+fortunes de son roi; toujours fidèle, persévérant et désintéressé dans
+sa conduite. «Sir John Byron, dit l'auteur des <i>Mémoires du colonel
+Hutchinson</i>, plus tard Lord Byron, et tous ses frères, hommes d'armes,
+actifs et vaillans de leurs personnes, étaient tous acquis passionnément
+au roi.» Dans une réponse que le colonel Hutchinson eut l'occasion de
+faire, étant gouverneur de Nottingham, à son cousin germain, sir Richard
+Byron, il accorde un glorieux tribut à la valeur et à la fidélité de la
+famille. Sir Richard ayant envoyé quelqu'un vers son parent pour
+l'engager à rendre le château, reçut pour réponse «que, sauf le cas où
+il trouverait dans son cœur quelque disposition à une trahison
+semblable, il devait se rappeler qu'il coulait dans ses veines assez du
+sang des Byron, pour qu'il eût horreur de trahir ou d'abandonner ce
+qu'il avait entrepris de défendre.»</p>
+
+<p>Tels sont quelques-uns des personnages distingués qui ont transmis à
+Byron leur nom illustré.</p>
+
+<p>Du côté maternel notre poète pouvait vanter ses ancêtres, à la noblesse
+desquels l'Écosse ne pouvait rien préférer, sa mère étant de la famille
+des Gordon de Gight, descendans de sir William Gordon, troisième fils du
+comte de Huntley, par la fille de Jacques Ier.</p>
+
+<p>Après les tems agités des guerres civiles, où se distinguèrent aussi
+plusieurs Byron, puisqu'à la fameuse bataille d'Edgehill on vit jusqu'à
+sept frères de ce nom, leur renommée semble assoupie pendant près d'un
+siècle. Mais vers l'année 1750, le naufrage et les souffrances du
+grand-père de notre poète, M. Byron, plus tard amiral, réveillèrent à un
+haut degré l'attention et l'intérêt du public. Quelque tems après, une
+autre sorte de célébrité, moins glorieuse il est vrai, devint le partage
+de deux autres membres de la famille: l'un grand-oncle, l'autre père de
+Lord Byron. Le premier, en 1765, subit un jugement devant la Chambre des
+Pairs, pour avoir tué en duel, ou plutôt au milieu d'une querelle, son
+parent et son voisin, M. Chaworth; le second ayant enlevé et conduit sur
+le continent la femme de lord Carmarthen, l'épousa dès que le marquis
+eut réussi à obtenir un divorce. Une fille fut le seul fruit de cette
+courte union: ce fut l'honorable Augusta Byron, aujourd'hui femme du
+colonel Leigh.</p>
+
+<p>En parcourant ainsi rapidement les premiers et les derniers ancêtres de
+Lord Byron, on ne peut s'empêcher de remarquer à quel point ce dernier
+réunissait en lui une partie des grandes et peut-être des mauvaises
+qualités remarquables dans plusieurs de ses aïeux! La générosité, la
+hardiesse, la grandeur d'ame des plus illustres; mais aussi les passions
+déréglées, la bizarrerie, le mépris de l'opinion publique, qui
+caractérisaient les autres.</p>
+
+<p>M. Byron, le père du poète, ayant perdu sa première femme en 1784, se
+remaria l'année suivante à miss Catherine Gordon, fille et unique
+héritière de George Gordon de Gight. Outre le domaine de Gight, qui
+pourtant était dans l'origine bien plus important qu'aujourd'hui, cette
+dame possédait en valeur pécuniaire, actions, etc., une fortune
+considérable; et l'opinion commune était que M. Byron ne lui avait fait
+la cour que pour s'affranchir de ses dettes.</p>
+
+<p>Un trait bien singulier que l'on raconte de miss Gordon, surtout si
+jusqu'alors elle n'avait jamais vu le capitaine Byron, prouve en même
+tems l'extrême vivacité et la véhémence des sentimens qu'elle avait déjà
+pour lui. Elle était au théâtre d'Edimbourg, un soir que le rôle
+d'<i>Isabella</i> était rempli par Mrs. Siddons; l'illusion que faisait cette
+grand actrice l'affecta au point de la faire tomber, avant la fin de la
+pièce, dans de violentes attaques de nerf. On l'emporta hors du théâtre,
+tandis qu'elle s'écriait à haute voix: «Oh! mon Byron, mon Byron!»</p>
+
+<p>A l'occasion de son mariage, un rimeur écossais fit paraître une ballade
+que l'on a dernièrement réimprimée dans une collection d'<i>anciennes
+chansons et ballades du nord de l'Écosse</i>.</p>
+
+<p>Comme elle porte la preuve de la réputation de fortune qu'avait la
+nouvelle épouse et de l'inconduite extravagante de son époux, on en
+pourra lire volontiers l'extrait suivant:</p>
+<br>
+<p class="mid">MISS GORDON DE GIGHT.</p>
+
+<p>Oh! où êtes-vous allée, jolie miss Gordon? où êtes-vous allée si
+gentille et si parée? Vous avez épousé, vous avez épousé John Byron,
+pour dissiper les terres de Gight.</p>
+
+<p>Ce jouvenceau est un mauvais sujet venu d'Angleterre; les Écossais ne
+connaissent pas sa famille; il entretient des maîtresses; son hôte
+l'importune et ne peut s'en faire payer. Oh! ce sera bientôt fait des
+terres de Gight.</p>
+
+<p>Oh! où êtes-vous allée, etc.</p>
+
+<p>Entendez-vous les coups de fusil, le bruit du tambourin, celui du cor
+dans les bois, de la cornemuse sous le vestibule, les aboiemens des
+chiens courans et des chiens d'arrêt. Avec tout ce bruit-là, ce sera
+bientôt fait des terres de Gight.</p>
+
+<p>Oh! où êtes-vous allée, etc.</p>
+<br>
+<p>Bientôt après le mariage, qui eut lieu, je crois, à Bath, M. Byron et sa
+femme se retirèrent dans leur terre d'Écosse, et il se passa peu de tems
+avant que les pronostics du faiseur de ballades ne se réalisassent. La
+malheureuse héritière mesura alors des yeux l'abîme de dettes qui devait
+engloutir sa fortune. Les créanciers de M. Byron se présentèrent sans
+perdre de tems. Argent comptant, actions de la Banque, droits de pêche,
+tout fut sacrifié pour les satisfaire; tout cela ne suffisant pas, il
+fallut grever la propriété d'une hypothèque assez considérable.</p>
+
+<p>Dans l'été de 1786, elle et son mari quittèrent l'Écosse pour la France;
+et l'année suivante il fallut vendre le domaine de Gight, toujours pour
+payer des dettes. La totalité du prix de la vente y passa, à l'exception
+d'une petite somme remise en main tierce, pour l'usage particulier de
+mistress Byron, qui se vit ainsi, dans le court espace de deux ans,
+réduite d'un état d'opulence à un revenu modique de 150 livres
+sterling<a id="footnotetag7" name="footnotetag7"></a>
+<a href="#footnote7"><sup class="sml">7</sup></a>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote7"
+name="footnote7"><b>Note 7: </b></a><a href="#footnotetag7">
+(retour) </a>
+ Les détails que je joins ici sur la fortune de
+ mistress Byron (la mère), avant son mariage, et la rapidité
+ avec laquelle cette même fortune fut dissipée bientôt après,
+ sont de la plus grande exactitude; j'ai tout lieu de le
+ croire, d'après l'authenticité de la source où je les ai
+ puisés.
+
+<p> «A l'époque de son mariage, miss Gordon possédait à peu près
+ 3,000 liv. st. en espèces, deux actions de la banque
+ d'Aberdeen, les domaines de Gight et de Monkshill, et le
+ privilège de deux pêcheries de saumons sur la Dee. Peu après
+ l'arrivée de M. et de mistress Byron en Écosse, il fut
+ évident que le premier avait contracté des dettes
+ considérables, et ses créanciers commencèrent des poursuites
+ légales pour arriver au recouvrement de leurs créances.
+ L'argent comptant fut immédiatement sacrifié pour les
+ satisfaire, les actions de la banque furent vendues à raison
+ de 600 liv. st. (elles en valent actuellement 5,000); on
+ abattit sur la terre de Gight et l'on vendit du bois, au
+ montant de 1,500 liv. st. On disposa de la ferme de Monkshill
+ et des pêcheries, formant un franc-fief, pour 480 liv. st. Ce
+ n'est pas tout, dans l'année même du mariage, on emprunta une
+ somme de 8,000 liv. st., pour laquelle mistress Byron donna
+ hypothèque sur son domaine de Gight.</p>
+
+<p> «En mars 1786, un contrat de mariage fut dressé selon la
+ <i>coutume</i> d'Écosse et signé par les parties. Dans le cours de
+ l'été de la même année, M. et mistress Byron quittèrent Gight
+ pour n'y plus revenir; le domaine fut vendu l'année suivante
+ à Lord Haddo moyennant 17,850 liv. st. La totalité de cette
+ somme fut employée à payer les dettes de M. Byron, excepté
+ une rente de 55 liv. sterl. 17 schellings 1 penny, douaire de
+ la grand'mère de mistress Byron, représentant un capital de
+ 1,128 liv. st., qui devait revenir à cette dernière à la mort
+ de son aïeule, et 3,000 qui devaient être déposées en mains
+ tierces pour l'usage particulier de mistress Byron, et qui
+ furent depuis placées chez M. Carsewell de Ratharllet, dans
+ le comté de Fife.»</p>
+
+<p> Une autre personne, bien informée, m'a raconté une
+ particularité singulière qui eut lieu avant la vente de la
+ terre, c'est que tous les ramiers de la maison de Gight
+ s'envolèrent de concert et se rendirent au colombier de Lord
+ Haddo; leur exemple fut suivi par une troupe de hérons qui
+ avaient fait leur nid depuis maintes années dans un bois
+ voisin d'un grand lac, appelé le <i>Hagberry-Pot</i>. On vint en
+ avertir Lord Haddo. «Laissez venir les oiseaux, répondit-il,
+ ne les effarouchez pas, la terre ne manquera pas de les
+ suivre.» Ce qui arriva effectivement.<span class="rig">
+ (<i>Note de Moore</i>.)</span></p>
+</blockquote>
+
+<p>Mistress Byron revint en Angleterre à la fin de 1787, et le 22 janvier
+suivant elle mit au monde à Londres, dans <i>Holle-street</i>, son premier et
+unique enfant, George Gordon Byron. Le nom de Gordon lui fut donné par
+suite d'une condition testamentaire imposée à quiconque épouserait
+l'héritière de Gight; l'enfant, à son baptême, eut pour parrains le duc
+de Gordon et le colonel Duff de Fetteresso.</p>
+
+<p>A propos de sa qualité de fils unique, Lord Byron, dans une des feuilles
+de son journal, rapporte quelques coïncidences curieuses du même fait
+dans sa famille, qui, pour un esprit disposé comme le sien à trouver
+partout du merveilleux dans tout ce qui avait rapport à lui-même,
+devaient paraître plus singulières et plus frappantes qu'elles ne le
+sont en effet: «J'ai pensé, dit-il, à une chose bizarre; ma fille, ma
+femme, ma sœur de père, ma mère, ma tante maternelle, la mère de ma
+sœur, ma fille naturelle et moi-même sommes ou étions tous fils ou
+filles uniques; la mère de ma sœur, lady Conyers, n'eut que ma sœur de
+son second mariage; elle-même était fille unique; mon père n'eut que moi
+de son second mariage avec ma mère, également fille unique. Une telle
+complication dans une seule famille est bien singulière, elle semble
+vraiment l'effet de la fatalité.» Ensuite il ajoute ces paroles
+caractéristiques: «Mais les plus fiers animaux ont le moins de petits,
+tels que les lions, les tigres et jusqu'aux éléphans, qui sont doux en
+comparaison des premiers.»</p>
+
+<p>De Londres mistress Byron se rendit avec son enfant en Écosse; et, en
+1790, elle fixa son séjour à Aberdeen, où le capitaine Byron vint
+bientôt la rejoindre. C'est là qu'ils vécurent ensemble quelque tems,
+logés en garni chez un nommé Anderson, dans <i>Queen-street</i>; mais leur
+union étant loin d'être parfaite, une séparation fut bientôt jugée
+nécessaire, et mistress Byron prit le parti d'aller loger, toujours en
+garni, à l'extrémité de la même rue<a id="footnotetag8" name="footnotetag8"></a>
+<a href="#footnote8"><sup class="sml">8</sup></a>. Malgré cette désunion, ils n'en
+continuèrent pas moins à se visiter de tems en tems, et même à prendre
+le thé l'un chez l'autre; mais les élémens de discorde se multiplièrent
+et finirent par amener leur séparation complète et définitive. Il
+arrivait toutefois fréquemment au mari, d'accoster la bonne et son fils
+dans leur promenade et d'exprimer un vif désir d'avoir l'enfant chez lui
+pour un ou deux jours. Mistress Byron était d'abord peu disposée à céder
+à ce vœu; mais la bonne lui représenta que <i>si le père avait l'enfant
+une seule nuit, il n'en voudrait pas davantage</i>, et cette réflexion la
+décida enfin à y consentir. L'événement justifia la prédiction de la
+bonne; quand elle vint le lendemain s'informer de son enfant, le
+capitaine Byron lui déclara qu'il avait assez de son jeune hôte, et
+qu'elle pouvait le reprendre tout de suite.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote8"
+name="footnote8"><b>Note 8: </b></a><a href="#footnotetag8">
+(retour) </a> Il semble que plusieurs fois elle changea de
+ domicile à Aberdeen; on désigne encore deux maisons où elle
+ aurait quelque tems logé, l'une dans <i>Virginia-street</i>, et
+ l'autre chez un M. Leslie, je crois, dans <i>Broad-street</i>.
+ <span class="rig"> (<i>Note de Moore</i>.)</span><br>
+</blockquote>
+
+<p>Il faut observer qu'à cette époque la fortune de mistress Byron ne lui
+permettait pas d'avoir plus d'une domestique; il n'est donc pas étonnant
+que l'enfant envoyé affronter l'épreuve d'une visite, sans la
+surveillance ordinaire de sa bonne, se soit montré un hôte difficile à
+gouverner.</p>
+
+<p>Du reste, que dès l'enfance son caractère fût violent, sournois et
+colère, il est impossible d'en douter; jusque dans ses petites jupes, il
+manifestait avec sa bonne ce même esprit d'impatience dont il donna dans
+la suite tant de preuves à ses critiques. Un jour elle le réprimanda
+vivement d'avoir sali ou déchiré un fourreau qu'on venait de lui mettre:
+ces reproches le firent entrer dans une de ces <i>rages silencieuses</i>,
+comme il les nomme lui-même; il prit le fourreau de ses deux mains, le
+mit en pièces, puis revint à une soudaine immobilité, défiant et son
+censeur et son ressentiment.</p>
+
+<p>Mais malgré cette petite scène et d'autres emportemens semblables,
+auxquels ne l'encourageait que trop l'exemple de sa mère (qui en
+agissait, dit-on, fréquemment de même avec ses bonnets et ses robes), il
+y avait dans ses inclinations, et le témoignage de ses bonnes, de ses
+maîtres et de tous ceux qui eurent alors des rapports avec lui est ici
+conforme, un mélange de douceur affectueuse et d'enjouement qui lui
+gagnait nécessairement les cœurs, et qui plus tard, comme dans ses plus
+tendres années, rendait son commerce facile pour ceux qui l'aimaient et
+le connaissaient assez pour user toujours à son égard de douceur et de
+fermeté. La gouvernante, dont nous avons déjà parlé, et la sœur de cette
+femme, May-Gray, qui la remplaça, prirent sur son esprit une influence à
+laquelle il ne résistait que bien rarement; tandis que sa mère, dont les
+caprices et les accès de tendresse et d'emportement diminuaient
+également le respect et l'affection de son enfant, ne dut jamais qu'à
+l'autorité de son titre de mère le faible pouvoir qu'elle eut sur lui.</p>
+
+<p>Par l'effet d'un accident qui, dit-on, arriva au moment de sa naissance,
+l'un de ses pieds fut détourné de sa position naturelle. Ce défaut,
+grâce surtout aux efforts que l'on fit pour y remédier, fut pour lui,
+pendant sa jeunesse, la source d'une foule de douleurs et d'ennuis. On
+voulut redresser ce membre d'après les expédiens alors en vogue, et sous
+la direction du célèbre John Hunter, qui même entretint à ce sujet une
+correspondance avec le docteur Livingstone d'Aberdeen. C'était à sa
+gouvernante qu'était confié le soin de lui mettre le soir ses
+machines-bandages; souvent alors, comme elle l'a raconté depuis, elle
+lui chantait ou lui racontait, pour mieux l'endormir, des histoires et
+des légendes auxquelles, comme la plupart des enfans, il prenait un
+grand plaisir. Elle lui apprit encore, dans cet âge si tendre, à répéter
+un grand nombre de psaumes, et le premier et le vingt-troisième furent
+ceux qu'il confia d'abord à sa mémoire. C'est un fait vraiment
+remarquable que, par les soins de cette respectable et pieuse personne,
+il acquit une connaissance plus parfaite des saintes Écritures, que ne
+l'ont en général les jeunes gens. Dans une lettre qu'il écrivit d'Italie
+à M. Murray, en 1821, après lui avoir demandé, par la première occasion,
+l'envoi d'une bible, il ajoute: «N'oubliez pas cela, car je suis un
+grand lecteur et admirateur de ces livres; je les avais parcourus tous
+avant l'âge de huit ans,--c'est-à-dire les livres de l'Ancien-Testament;
+quant au Nouveau, sa lecture me semblait une tâche, et celle de l'autre
+un plaisir. J'en parle d'après mes idées d'enfant, telles que je me les
+rappelle, et comme se présente encore à ma mémoire ce tems que je passai
+à Aberdeen en 1796.»</p>
+
+<p>La difformité de son pied était dès-lors un sujet qui l'affligeait
+beaucoup et sur lequel il se montrait très-irascible. Une personne de
+Glascow m'a rapporté que la gouvernante de sa femme et celle de Byron se
+voyaient souvent quand elles sortaient pour promener les enfans qui leur
+étaient confiés, et qu'un jour elle lui avait dit: «Quel bel enfant que
+ce Byron! et quel malheur qu'il ait un pareil pied!» L'enfant
+l'entendit, et soudain, outré de colère, il la frappa d'un petit fouet
+qu'il avait à la main, en s'écriant avec impatience: <i>Ne parlez pas de
+cela</i>. Quelquefois cependant, comme plus tard, il parlait avec
+indifférence et même plaisantait de son infirmité. Dans le voisinage se
+trouvait un autre enfant qui avait dans l'un de ses pieds un défaut
+semblable; Byron disait alors à cette occasion en riant: <i>Venez voir les
+deux petits garçons qui s'en vont dans Brood-street avec leurs deux
+pieds bots</i>.</p>
+
+<p>Parmi une foule d'exemples de vivacité et d'énergie, sa gouvernante
+citait le suivant. Un soir, elle l'avait conduit au théâtre, à la
+représentation de la <i>Femme colère corrigée</i> (<i>the taming of the
+Shrew</i>); il avait suivi la pièce pendant quelque tems avec un intérêt
+silencieux, mais à la scène entre Catherine et Pétruchio, quand les
+acteurs en furent à ces deux vers:</p>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p class="i8"> <span class="sc">Catherine</span>. Je sais que c'est la lune.</p>
+
+<p class="i8"> <span class="sc">Pétruchio</span>. Non, vous mentez, c'est le soleil bienfaisant.</p>
+</div></div>
+
+<p>Le petit Geordie (ainsi l'appelait-on), se levant de son siége, se mit à
+crier vivement: <i>Mais je vous dis, moi, que c'est la lune, monsieur</i>.</p>
+
+<p>Nous avons déjà parlé du séjour du capitaine Byron à Aberdeen; il revint
+encore y passer deux ou trois mois avant son départ définitif pour la
+France. Chaque fois, le principal objet de sa visite était de tirer
+encore, s'il le pouvait, quelque argent de la malheureuse femme qu'il
+avait réduite à la misère; et il y réussit si bien, que la dernière fois
+cette dame, gênée comme elle l'était, parvint à lui procurer les moyens
+de se rendre à Valenciennes<a id="footnotetag9" name="footnotetag9"></a>
+<a href="#footnote9"><sup class="sml">9</sup></a>, où il mourut l'année suivante (1791).
+Bien que sur la fin Mrs. Byron refusât de le voir, elle lui conserva
+toujours, dit-on, une vive affection; et à cette époque, quand la
+gouvernante venait à le rencontrer, elle ne manquait pas de s'informer
+auprès d'elle, avec la plus tendre sollicitude, de sa santé et de l'air
+de son visage. Quand elle apprit sa mort, sa douleur, suivant le récit
+de la même personne, tenait du désespoir, et ses cris perçans furent
+entendus jusque dans la rue. C'était vraiment une femme extrême dans
+toutes ses passions; sa douleur et sa tendresse partaient de son
+tempérament autant que d'une sensibilité réelle. Quoi qu'il en soit,
+déplorer la mort d'un pareil mari était, il faut l'avouer, faire preuve
+d'une générosité bien gratuite; d'autant plus que ne l'ayant épousée,
+comme il le disait tout haut, que pour sa fortune, et ayant bientôt
+dissipé le seul charme qu'elle eût à ses yeux, il avait la cruauté de
+lui reprocher fréquemment les inconvéniens de la pénurie, fruit de son
+extravagante prodigalité.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote9"
+name="footnote9"><b>Note 9: </b></a><a href="#footnotetag9">
+(retour) </a>
+ Mrs. Byron, dit quelqu'un que j'ai déjà cité,
+ s'était endettée de trois cents liv. st., par suite des
+ avances d'argent faites à M. Byron lors de ses deux visites à
+ Aberdeen, et par les frais d'ameublement de la chambre
+ qu'elle occupa après la mort de son mari, dans Brood-street.
+ Les intérêts de cette somme réduisirent son revenu à 139
+ liv.; toutefois elle sut vivre sans augmenter ses dettes, et
+ à la mort de sa grand'mère, ayant hérité des 1,122 liv.
+ réservées pour le douaire de cette dame, elle les acquitta
+ entièrement.</blockquote>
+
+<p>Le jeune Byron n'avait pas cinq ans accomplis quand on l'envoya à une
+école primaire, tenue à Aberdeen par M. Bowers<a id="footnotetag10" name="footnotetag10"></a>
+<a href="#footnote10"><sup class="sml">10</sup></a>. Il y resta, sauf
+quelques interruptions, durant l'espace de douze mois, comme l'atteste
+l'extrait suivant du registre journalier de l'école:</p>
+
+<p class="mid"><span class="sc">georges gordon byron</span>,<br>
+
+19 novembre 1792.<br>
+
+19 novembre 1793, reçu une guinée.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote10"
+name="footnote10"><b>Note 10: </b></a><a href="#footnotetag10">
+(retour) </a>
+ Dans <i>Long-acre</i>, l'instituteur actuel de cette
+ école est M. Davie Gronta, l'ingénieux éditeur d'une
+ <i>collection de batailles et monumens militaires</i>, et d'un
+ ouvrage fort utile intitulé: <i>Livre classique des poèmes
+ modernes</i>.</blockquote>
+
+<p>Le prix de cette école, pour la lecture seulement, n'était que de 5
+<i>shillings</i> par quartier; et ce fut certainement moins dans le but de
+hâter ses progrès que pour mieux échapper à sa turbulence que sa mère
+l'y envoya. Quant au résultat de ces premières études à Aberdeen, tant
+sous M. Bowers que sous différens autres instituteurs, il nous en offre
+lui-même le curieux document dans une sorte de journal commencé sous le
+titre de <i>mon Dictionnaire</i>, et qu'on retrouve dans l'un de ses
+manuscrits:</p>
+
+<p>«J'ai vécu dans cette ville plusieurs années de ma première jeunesse;
+mais depuis l'âge de dix ans je n'y suis pas retourné. A cinq ans, ou
+plus tôt même, on m'envoyait à l'école tenue par un M. Bowers, que l'on
+surnommait <i>Bodsy</i>, à cause de son air vif et éveillé. C'était une école
+à l'usage des deux sexes; j'y appris peu de chose, si ce n'est à répéter
+par cœur, à force de l'entendre, mais sans en retenir une lettre, la
+première leçon monosyllabique: <i>Dieu fit l'homme, il faut l'aimer</i>. La
+seule preuve que je donnais de mes progrès à la maison, c'était de
+répéter ces mots avec la plus grande volubilité; mais un jour, ayant
+tourné le feuillet, j'eus le malheur de redire encore la même chose, et
+cela fit découvrir les bornes étroites de mes jeunes talens: on me tira
+les oreilles (criante injustice, attendu que c'était par elles que
+j'avais appris ce que je savais), et l'on confia mes dispositions aux
+soins d'un nouveau précepteur; c'était un pieux et habile petit prêtre,
+nommé Ross, devenu plus tard, ministre de l'une des églises d'Écosse
+(celle d'<i>East</i>, je pense). Je fis sous lui d'étonnans progrès, et je me
+rappelle encore aujourd'hui ses manières douces et sa généreuse
+sollicitude. Dès que je pus lire, ma grande passion fut l'histoire, et
+surtout je me passionnai, pourquoi? je l'ignore, pour la bataille donnée
+près du lac Régille, dans l'histoire romaine, que l'on m'avait d'abord
+mise entre les mains. Il y a quatre ans, me trouvant sur les hauteurs de
+Tusculum, mes regards s'arrêtèrent sur le petit lac circulaire, jadis de
+Régille, et qui n'est plus qu'un point dans la perspective; alors je me
+souvins de mon jeune enthousiasme et de mon vieux instituteur. Plus tard
+j'eus pour maître un nommé Paterson, honnête jeune homme, mais
+très-sérieux et taciturne: c'était le fils de mon cordonnier; du reste
+fort instruit, comme le sont généralement les Écossais; c'était de plus
+un presbytérien rigide. Je commençai avec lui le latin, dans la
+grammaire de Ruddeman, et je continuai jusqu'au moment où l'on me mit à
+l'<i>école de grammaire</i>. Là je fis toutes mes classes jusqu'à la
+quatrième forme<a id="footnotetag11" name="footnotetag11"></a>
+<a href="#footnote11"><sup class="sml">11</sup></a>, époque de mon rappel en Angleterre, ma patrie, par
+la mort de mon oncle.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote11"
+name="footnote11"><b>Note 11: </b></a><a href="#footnotetag11">
+(retour) </a> Un collége régulier anglais se divise généralement
+ en six <i>formes</i>, quoiqu'un même professeur puisse être chargé
+ de deux à la fois. L'ordre des <i>formes</i> est inverse du nôtre;
+ ainsi (la rhétorique et la philosophie faisant partie de
+ l'enseignement spécial des universités), la sixièmes <i>forme</i>
+ correspondra à notre classe de seconde, et la première forme
+ à notre septième ou aux classes plus élémentaires encore.
+ <span class="rig"> (<i>Note du Traducteur</i>.)</span><br>
+</blockquote>
+
+<p>C'est à Aberdeen, et sur les belles exemples de M. Duncan, que j'acquis
+le beau point d'écriture que je ne lis pas moi-même sans difficulté. Je
+ne pense pas qu'il se mît beaucoup en peine de mes progrès. J'écrivais
+mieux alors que je n'ai jamais fait depuis; la hâte et l'agitation d'une
+et d'autre espèce ont fait de moi le plus parfait griffonneur qui jamais
+ait tenu une plume. Il pouvait y avoir à cette école de grammaire cent
+cinquante enfans de tout âge; elle était divisée en cinq classes, tenues
+par quatre maîtres, le principal se chargeant de la quatrième et de la
+cinquième forme, comme en Angleterre la cinquième et la sixième forme et
+les moniteurs ont toujours pour professeur le chef de l'école.»</p>
+
+<p>Parmi ses compagnons de classe, il en est de vivans qui se souviendront
+encore de lui<a id="footnotetag12" name="footnotetag12"></a>
+<a href="#footnote12"><sup class="sml">12</sup></a>, et l'impression qu'ils en ont conservée est que
+c'était un enfant vif et passionné, emporté, rancunier, mais affectueux
+et sociable à l'égard de ses camarades; hardi, singulièrement aventureux
+et toujours, comme l'un d'eux le répétait heureusement, toujours <i>plus
+prêt à donner qu'à recevoir des coups</i>. Entr'autres anecdotes à l'appui
+de ce caractère, on cite qu'une fois, revenant de l'école, il se trouva
+de compagnie avec un enfant qui l'avait auparavant insulté, sans en
+avoir été puni. Le petit Byron avait juré qu'il le lui paierait à la
+première occasion; en conséquence cette fois-ci, bien que plusieurs
+autres enfans prissent le parti de son adversaire, il parvint à lui
+donner une <i>volée complète</i>; et quand il arriva chez sa mère, tout
+essoufflé, la servante lui demanda ce qu'il avait fait. Il répondit,
+avec un mélange de rage et d'enjouement, qu'il venait d'acquitter une
+dette en rossant un enfant auquel il l'avait promis; qu'il était un
+Byron, et que jamais il ne fausserait sa devise: <i>Croys Byron</i>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote12"
+name="footnote12"><b>Note 12: </b></a><a href="#footnotetag12">
+(retour) </a> Le vieux portier du collége aussi se rappelle bien
+ le petit garçon à la jaquette rouge et au pantalon de nankin,
+ qu'il a si souvent chassé de la cour du collége.</blockquote>
+
+<p>Il est certain qu'il cherchait bien plus à se distinguer parmi ses
+camarades par sa supériorité dans tous les jeux et exercices violens,
+que par ses progrès à l'étude<a id="footnotetag13" name="footnotetag13"></a>
+<a href="#footnote13"><sup class="sml">13</sup></a>. Cependant il était plein d'ardeur dès
+qu'on parvenait à fixer son attention, ou qu'un genre d'étude venait à
+lui plaire. Il était en général parmi les derniers de sa classe, et ne
+semblait guère ambitieux de places plus honorables. Il est d'usage, je
+crois, dans cette pension, d'intervertir de tems en tems l'ordre des
+places et de mettre les plus faibles écoliers sur les bancs
+ordinairement réservés aux plus forts, sans doute dans la vue de mieux
+stimuler l'ardeur des uns et des autres. Dans ces occasions, et
+seulement alors, Byron était parfois à la tête de ses condisciples, et
+son professeur disait en le raillant; <i>Allons, George, vous ne tarderez
+pas à retourner à la queue</i><a id="footnotetag14" name="footnotetag14"></a>
+<a href="#footnote14"><sup class="sml">14</sup></a>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote13"
+name="footnote13"><b>Note 13: </b></a><a href="#footnotetag13">
+(retour) </a> C'était, dit l'un de ceux que j'ai consultés, un
+ bon joueur de billes, il les lançait plus loin que la plupart
+ des enfans; il excellait aussi aux <i>barres</i>, jeu qui exige
+ une grande agilité de jambes.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote14"
+name="footnote14"><b>Note 14: </b></a><a href="#footnotetag14">
+(retour) </a> Il paraît, d'après la liste trimestrielle tenue a
+ l'école de grammaire d'Aberdeen, dans laquelle le nom des
+ enfans se trouve placé suivant le rang qu'ils tenaient dans
+ leur classe; il paraît, dis-je, qu'en avril 1794, le nom de
+ Byron se trouvait le vingt-troisième sur une liste de
+ trente-huit enfans, dans la seconde forme. En avril 1798, il
+ lui arriva d'être le cinquième dans la quatrième classe,
+ composée de vingt-sept enfans, et de dépasser plusieurs de
+ ses condisciples qui l'avaient toujours devancé jusque-là.</blockquote>
+
+<p>Durant cette période, sa mère et lui eurent l'occasion de faire visite à
+plusieurs de leurs amis: ils passèrent quelque tems à Fetteresso,
+demeure de son parrain le colonel Duff (on s'y rappelle encore le
+plaisir que prenait l'enfant à jouer avec un vieux sommelier, bon
+vivant, nommé Ernest Fiddler). Ils s'arrêtèrent aussi à Banff, où
+résidaient quelques proches parens de mistress Byron.</p>
+
+<p>Il eut en 1796 une attaque de fièvre scarlatine, après laquelle sa mère
+l'envoya, pour changer d'air, dans les montagnes de l'Écosse
+(<i>highlands</i>); et ce fut alors, ou l'année suivante, qu'ils choisirent
+pour résidence une ferme dans le voisinage de Ballater. C'est un séjour
+recherché pendant l'été par ceux qui veulent reprendre leur santé ou
+leur enjouement; il est situé sur la rivière, à quarante milles environ
+d'Aberdeen. Bien que cette maison, où l'on montre encore avec orgueil le
+lit du jeune Byron, soit naturellement devenue un but de pélerinage pour
+les admirateurs du génie, elle est, ainsi que la vallée étroite et aride
+dans laquelle elle est bâtie, bien indigne de s'associer au souvenir
+d'un poète. A peu de distance de là, on peut vanter avec raison un
+paysage où se retrouvent tous les genres de beautés sauvages qui suivent
+le cours de la Dée à travers les montagnes. C'est là que les noirs
+sommets de <i>Lachin-y-Gair</i> s'élançaient en forme de tourelles aux yeux
+du poète futur; les vers qu'il consacra, plusieurs années après, au
+tableau de ces objets sublimes, montrent que déjà, malgré sa tendre
+jeunesse, il connaissait tous les genres de <i>gloire sourcilleuse</i> qui
+s'y rattachaient<a id="footnotetag15" name="footnotetag15"></a>
+<a href="#footnote15"><sup class="sml">15</sup></a>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote15"
+name="footnote15"><b>Note 15: </b></a><a href="#footnotetag15">
+(retour) </a> Les souvenirs exprimés dans cette pièce sont
+ charmans, mais il n'en est pas moins certain, d'après le
+ témoignage de sa gouvernante, qu'il alla tout au plus deux
+ fois sur cette montagne, située à quelques milles de leur
+ résidence ordinaire.</blockquote>
+
+<p>Ah! c'est là que mes pas s'égarèrent souvent dans mon enfance; mon
+chapeau était le bonnet à carreaux, mon manteau le <i>plaid</i> des
+montagnards; les souvenirs des chefs de <i>clans</i>, morts depuis long-tems,
+venaient s'offrir à mon esprit, quand, chaque jour, j'errais dans les
+clairières couvertes de pins. Je ne songeais pas à retourner au château,
+avant que la gloire du jour mourant n'eût fait place aux rayons brillans
+de l'étoile polaire, car mon imagination charmée aimait à se nourrir des
+traditions glorieuses que je recueillais de la bouche des habitans de la
+sombre Loch-na-Gar.</p>
+
+<p>On a plusieurs fois attribué la première étincelle de son génie poétique
+à la sévérité grandiose des scènes au milieu desquelles s'écoula son
+enfance; mais on pourrait se demander si jamais pareilles facultés
+furent l'effet d'un pareil accident. Que les charmes d'une nature
+pittoresque, nés principalement de notre imagination et de nos
+souvenirs, soient profondément sentis à un âge où l'imagination est à
+peine née, où les souvenirs sont rares, c'est ce qu'on concevra
+difficilement, tout en faisant la part d'un génie prématuré. L'éclat que
+le poète voit dans les aspects de la nature n'est pas autant dans les
+objets eux-mêmes que dans l'œil qui les contemple; et l'imagination doit
+entourer ses tableaux d'une sorte d'auréole avant de pouvoir leur
+emprunter quelque inspiration.</p>
+
+<p>A la vérité, comme matériaux susceptibles d'être mis en œuvre par la
+faculté poétique quand elle sera développée, ces merveilleuses
+impressions, recueillies dès l'enfance avec toute la vivacité,
+conservées avec toute la puissance de souvenir qui appartient au génie,
+peuvent bien former l'un des plus purs et des plus précieux alimens dont
+il se nourrira par la suite; mais cependant la source de ce charme est
+dans le sentiment poétique qui existait en lui et qui s'éveille alors.
+C'est l'imagination seule qui, agissant sur ses souvenirs, imprégnera
+pour lui, dans la suite, tout le passé de poésie.</p>
+
+<p>Il faut donc classer les impressions que Lord Byron reçut dans son
+enfance des scènes de la nature, avec les divers autres souvenirs qu'il
+conserva de la même période, comme de son innocence, de ses jeux, de ses
+espérances et de ses affections premières, tous souvenirs que le poète
+sait convertir à son usage, mais dont aucun ne fait le poète; pas plus
+que le miel (pour employer une comparaison de Byron lui-même) ne fait
+l'abeille qui le butine.</p>
+
+<p>Quand il arrive, comme ce fut le cas en Grèce pour Lord Byron, que les
+mêmes accidens de nature, sur lesquels la mémoire a réfléchi son charme,
+se reproduisent devant les yeux, entourés de circonstances nouvelles et
+inspiratrices, et de tous les accessoires qu'une imagination riche et
+vigoureuse peut leur prêter; alors, et le passé, et le présent, tout
+contribue à rendre l'enchantement complet. Or, jamais cœur ne fut mieux
+né pour réunir ces divers sentimens que celui de Lord Byron. Dans un
+poème écrit un ou deux ans avant sa mort<a id="footnotetag16" name="footnotetag16"></a>
+<a href="#footnote16"><sup class="sml">16</sup></a>, il fait honneur de sa
+passion pour les montagnes aux impressions de son séjour dans les
+<i>highlands</i>; et il attribue même le plaisir que lui fit éprouver
+l'aspect de l'Ida et du Parnasse, bien moins aux traditions classiques
+qu'aux souvenirs profonds que lui fournissaient son enfance et
+<i>Lachin-y-gair</i>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote16"
+name="footnote16"><b>Note 16: </b></a><a href="#footnotetag16">
+(retour) </a> L'Ile.</blockquote>
+
+
+
+<p>Celui dont les premiers regards se sont arrêtés sur les montagnes de
+l'Écosse, couronnées d'un bleu céleste, aimera à contempler toutes les
+cimes qui lui offriront une couleur analogue; il saluera, dans chaque
+mamelon, le visage connu d'un ami; à la vue d'une montagne, son ame
+s'épanouira, comme pour l'embrasser. Long-tems j'ai parcouru des pays
+qui n'étaient pas mon pays; j'ai adoré les Alpes, aimé les Apennins,
+révéré le Parnasse, admiré l'Ida cher à Jupiter, et l'Olympe qui s'élève
+majestueusement au-dessus de la mer. Mais ce n'était point le souvenir
+de leur gloire antique, ce n'était point la vue de leur beauté présente
+qui m'imposaient ces impressions profondes de respect et d'amour. Les
+ravissemens que l'enfant avait éprouvés survivaient à l'âge de
+l'enfance. Loch-na-Gar dominait avec l'Ida sur les champs de la Troade.
+Les souvenirs celtiques entouraient le mont Phrygien, et les eaux des
+cascades des <i>highlands</i> se mêlaient à la claire fontaine de Castalie.</p>
+
+
+
+<p>Dans une note jointe à ce morceau, nous le voyons faire le même
+anachronisme dans l'histoire de ses propres sentimens, et rapporter à
+son enfance elle-même cet amour des montagnes, qui n'était autre chose
+que le résultat du travail de son imagination se reportant au passé.
+«C'est, dit-il, de cette époque (celle de son séjour dans les
+<i>highlands</i>) que date mon amour des pays montagneux. Je n'oublierai
+jamais l'effet que produisit sur moi, quelques années plus tard, en
+Angleterre, la seule chose que j'eusse vue depuis long-tems qui
+ressemblât à des montagnes, quoiqu'en miniature; je veux parler des
+<i>Malvern-hills</i>. Lorsque je retournai à Cheltenham, je les regardais
+chaque soir, au coucher du soleil, avec une émotion que je ne pourrais
+décrire.» Son amour pour les courses solitaires et pour les excursions
+de toutes espèces<a id="footnotetag17" name="footnotetag17"></a>
+<a href="#footnote17"><sup class="sml">17</sup></a>, le conduisait souvent assez loin pour donner sur
+lui des inquiétudes sérieuses. Il lui arrivait à Aberdeen, toutes les
+fois qu'il en trouvait l'occasion, de s'esquiver, inaperçu, de la
+maison. Quelquefois il se dirigeait du côté de la mer; et un jour, après
+de longues et pénibles recherches, on trouva le petit aventurier se
+débattant au milieu d'une fondrière ou mare, d'où il n'aurait pu se
+tirer de lui-même.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote17"
+name="footnote17"><b>Note 17: </b></a><a href="#footnotetag17">
+(retour) </a> Cette phrase rend fort douteuse l'assurance donnée
+ par sa gouvernante (au rapport de Thomas Moore), que Byron
+ n'avait jamais vu que deux fois la montagne de
+ <i>Lachin-y-gair</i>, si voisine de l'habitation de sa mère.
+ <span class="rig"> (<i>N. du Tr.</i>)</span><br>
+</blockquote>
+
+<p>Dans le cours de l'une de ces excursions d'été le long de la Dée, il eut
+l'occasion de voir les sauvages beautés des <i>highlands</i>, mieux encore
+que dans les environs de leur résidence à Ballatrech. Sa mère l'avait
+conduit sur la route romantique d'<i>Invercauld</i>, jusqu'à la petite chute
+d'eau appelée <i>la vigne de la Dée</i>; sa passion pour les aventures fut
+alors sur le point de lui coûter la vie: comme il grimpait le long d'une
+pente inclinée sur cette cascade, une bruyère arrêta son pied bot et il
+tomba. Déjà même il roulait vers le précipice, quand la gouvernante eut
+la force et la présence d'esprit de le retenir, et de le ravir ainsi à
+une mort certaine.</p>
+
+<p>Il n'avait encore que huit ans: ce fut alors qu'un sentiment plus près
+de l'amour qu'on ne le supposerait possible dans un âge si tendre, prit,
+de son propre aveu, sur ses pensées, une puissance absolue, et prouva
+ainsi, de bonne heure, combien il était facile d'éveiller sa sensibilité
+sur ce point comme sur tous les autres<a id="footnotetag18" name="footnotetag18"></a>
+<a href="#footnote18"><sup class="sml">18</sup></a>. L'objet de son attachement
+était Marie Duff; et les passages d'un journal, tenu par lui en 1813,
+montrent avec quelle fraîcheur, après un intervalle de dix-sept ans, il
+se rappelait toutes les circonstances de cette première passion:</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote18"
+name="footnote18"><b>Note 18: </b></a><a href="#footnotetag18">
+(retour) </a> On sait que Dante n'avait que neuf ans quand, à la
+ <i>fête du Mai</i>, il vit pour la première fois Béatrix et en
+ devint amoureux. Alfieri lui-même, amant précoce, considère
+ une telle sensibilité prématurée comme le signe incontestable
+ d'une ame née pour les beaux-arts. «<i>Effetti</i>, dit-il en
+ décrivant ce qu'il éprouva lui-même lors de son premier
+ amour, <i>che poche persone intendono, e pochissime provano: ma
+ a quei soli pochissimi è concesso l' uscir della folla
+ volgare in tutte le umane arti</i>.» Canova disait ordinairement
+ qu'il se rappelait fort bien avoir été amoureux dès l'âge de
+ cinq ans.</blockquote>
+
+<p>«J'ai dernièrement, dit-il, beaucoup pensé à Marie Duff; il est bien
+étrange que j'aie pu me passionner aussi profondément pour cette jeune
+fille, à un âge où je ne pouvais connaître l'amour, ni ce que ce mot
+signifiait: et pourtant c'était bien de l'amour. Ma mère me raillait
+d'habitude sur cet attachement puéril; et plusieurs années après
+(j'avais alors seize ans), elle me dit un jour: <i>Byron, je reçois une
+lettre d'Edimbourg; miss Abercromby me mande que votre ancienne passion,
+Marie Duff, est mariée à un M. Co</i>..... Et quelle fut ma réponse? En
+vérité, je ne sais comment expliquer ce que je ressentis en ce moment;
+mais je faillis entrer en convulsion. Ma mère en fut tellement alarmée,
+que plus tard elle évita toujours de revenir sur ce sujet <i>avec
+moi</i>,--se contentant de le redire volontiers à chacune de ses
+connaissances. Maintenant que signifiait tout cela? Je ne l'avais pas
+vue depuis que, par suite d'un <i>faux pas</i> de sa mère, à Aberdeen, elle
+fut ramenée à Banff, auprès de son aïeule: nous étions tous deux de
+véritables enfans; j'avais dès-lors, et j'ai depuis éprouvé cinquante
+fois, d'autres sentimens tendres; cependant je me rappelle encore tout
+ce que nous nous disions l'un à l'autre, toutes nos caresses, ses
+traits, mon inquiétude, mes insomnies, mes instances auprès de la
+servante de ma mère pour qu'elle lui écrivît de ma part; ce qu'elle fit
+à la fin pour me tranquilliser. La pauvre Nancy pensait que j'étais fou;
+et comme je ne pouvais écrire une lettre moi-même, elle devint mon
+secrétaire. Je me rappelle aussi nos promenades, mon bonheur quand
+j'étais assis près de Marie dans l'appartement des enfans, à leur maison
+proche des <i>Plainstones</i> à Aberdeen. Alors, tandis que sa petite sœur
+jouait à la poupée, nous faisions l'amour à notre manière.</p>
+
+<p>«Comment diable tout cela arriva-t-il à un pareil âge? d'où cela
+provenait-il? Certainement, plusieurs années après, je n'avais pas
+encore l'idée de la distinction des sexes; et cependant mes tourmens et
+mon amour furent si violens, que je doute quelquefois si j'ai jamais été
+depuis réellement amoureux.</p>
+
+<p>«Qu'il en soit ce qu'on voudra, l'annonce de son mariage, plusieurs
+années après, fut pour moi un coup de foudre et fut sur le point de
+m'étouffer, au grand effroi de ma mère et à l'étonnement de tous les
+spectateurs qui refusaient d'y croire. C'est dans ma vie un phénomène
+(puisque je n'avais alors que huit ans), qui m'a souvent tourmenté et
+qui me tourmentera jusqu'à ma dernière heure; et récemment encore, je ne
+sais pas pourquoi, son souvenir (non pas l'amour lui-même) s'est
+représenté avec plus de force que jamais. Je serais bien étonné qu'elle
+eût gardé de moi la moindre souvenance, et qu'elle se rappelât comme
+elle plaignait sa petite sœur Hélène de ne pas avoir aussi un amoureux!
+Il est incroyable comme j'ai gardé d'elle une parfaite et charmante
+idée; de son front, de ses cheveux noirs, de ses yeux d'un brun clair,
+de ses vêtemens même: je serais vraiment fâché de la voir aujourd'hui;
+la réalité, toute belle qu'elle serait, détruirait ou du moins
+obscurcirait les traits de la charmante Péri que je contemplais alors en
+elle, et qui vit encore dans mon imagination après plus de seize années.
+J'ai maintenant vingt-cinq ans et quelques mois.....</p>
+
+<p>«Ma mère, je le suppose, raconta cette circonstance (l'effet qu'avait
+produit son mariage sur moi) aux Parkynses et certainement à la famille
+Pigot; elle le mentionna sans doute également à miss Abercromby, qui
+connaissait mon ancien penchant, et qui sans doute n'avait donné cette
+nouvelle qu'à mon intention..... Je l'en remercie! Comme ses
+commencemens, le terme de cette passion m'a souvent fait réfléchir;
+quant à l'exactitude des faits, d'autres les connaissent aussi bien que
+moi, et le souvenir que j'en conserve est encore plein de vie. Mais plus
+j'y songe, et plus je suis embarrassé d'assigner quelques causes à cette
+précocité d'affection.»</p>
+
+<p>Les chances qu'il avait de succéder au titre de ses ancêtres furent
+quelque tems tout-à-fait incertaines; car; en 1794, le cinquième lord
+Byron vivant avait encore un petit-fils. Sa mère cependant, dès sa
+naissance, avait caressé l'espoir qu'il serait non-seulement un lord,
+mais encore un grand homme. Une circonstance bizarre sur laquelle elle
+fondait cette espérance, c'est qu'il était boiteux; pourquoi? il serait
+difficile de le dire, si ce n'est peut-être qu'ayant un esprit des plus
+superstitieux, elle avait consulté quelque diseur de bonne aventure,
+qui, pour anoblir aux yeux d'une mère cette infirmité, l'avait rattachée
+à la destinée future de l'enfant.</p>
+
+<p>La mort du petit-fils du vieux lord, arrivée en Corse en 1794, brisa le
+seul obstacle qui se trouvait jusqu'alors placé entre le petit George et
+l'héritage immédiat de la pairie: l'importance sensible que cet
+événement leur donna fut sentie non-seulement par Mrs. Byron, mais aussi
+par le jeune baron futur de Newsteadt. Pendant l'hiver de 1797, sa mère
+lisait un jour par hasard un discours prononcé à la Chambre des
+Communes; un ami se trouvait présent, qui dit à l'enfant: «Nous aurons
+un jour ou l'autre le plaisir de lire aussi vos discours à la Chambre
+des Communes.» <i>J'espère que non</i>, répondit-il; <i>si vous en lisez
+quelqu'un de moi, ce sera à la Chambre des Lords</i>.</p>
+
+<p>Le titre dont il se félicitait ainsi ne lui fut que trop tôt dévolu.
+S'il avait pu demeurer encore pendant dix ans tout simplement George
+Byron, on ne peut douter que son caractère n'y eût gagné sous beaucoup
+de rapports. L'année suivante, son grand oncle, le cinquième lord Byron,
+mourut à l'abbaye de Newsteadt, ayant consommé les dernières années de
+sa vie dans un état d'isolement austère et presque sauvage.</p>
+
+<p>Le lendemain de l'accession du petit Byron à la pairie, on dit qu'il
+courut à sa mère et lui demanda <i>si elle apercevait quelque changement
+en lui depuis qu'il était lord, car il n'en trouvait lui-même aucun</i>.
+Réflexion ingénieuse et naturelle; l'enfant ne songeait pas encore que
+la simple addition d'une syllabe au-devant de son nom avait suffi pour
+opérer un changement complet et magique dans toutes ses relations
+futures avec la société.</p>
+
+<p>On peut se faire une idée de l'effet que produisit dès-lors sur lui cet
+événement, d'après l'agitation que, dit-on, il manifesta en s'entendant,
+pour la première fois, appeler dans l'école avec l'addition du titre de
+<i>dominus</i>. Incapable de faire la réponse habituelle, <i>adsum</i>, il resta
+silencieux au milieu de la surprise générale de ses camarades, et finit
+enfin par fondre en larmes.</p>
+
+<p>Le nuage qu'avait jeté, et sans cause, à plusieurs égards, sur le
+caractère du dernier lord Byron, sa malheureuse affaire avec M.
+Chaworth, avait encore été, dans la suite, obscurci par les effets
+naturels d'une vie insociable et bizarre. On fait encore dans le
+voisinage les récits les plus exagérés de sa cruauté envers lady Byron,
+avant leur séparation mutuelle, et l'on croit même que, dans l'un de ses
+accès de fureur, il avait été jusqu'à la précipiter dans l'étang de
+Newsteadt. Une autre fois, dit-on, ayant tué son cocher pour quelque
+désobéissance, il avait jeté le cadavre dans la voiture où se trouvait
+lady Byron, et montant aussitôt sur le siége, il avait lui-même conduit
+les chevaux. Ces histoires sont, à n'en pas douter, des fables
+grossières, comme la plupart de celles dont son illustre héritier fut
+plus tard la victime. Une femme au service du vieux lord, encore
+vivante, contredit ces deux récits comme autant d'inventions de la
+calomnie; elle suppose pourtant que la première est fondée sur les
+circonstances suivantes. Une jeune dame du nom de Booth se trouvait à
+Newsteadt en visite; un soir, on fit une partie de plaisir devant la
+façade de l'abbaye, et lord Byron, par accident, l'avait poussée dans le
+bassin qui reçoit la cascade: de là, sans doute, le conte dont nous
+avons parlé.</p>
+
+<p>Une fois séparé de lady Byron, l'isolement complet dans lequel il vécut
+réveilla toute la puissance d'imagination des habitans de l'endroit; nul
+fait atroce ou désespéré que les commères du village ne fussent
+disposées à lui imputer. Il y avait dans son triste jardin deux images
+grimaçantes de satyres, que bientôt l'effroi de ceux qui les entrevirent
+décora du nom de <i>diables du vieux lord</i>. On sait qu'il marchait
+toujours armé, et l'on rapporte que le dernier sir John Warren, son
+voisin, ayant été admis à dîner un jour avec lui, trouva sur la table
+une boîte à pistolets placée là comme partie ordinaire du service.</p>
+
+<p>Dans ses dernières années, les seuls compagnons de sa solitude, outre
+cette colonie de grillons qu'il s'amusait, dit-on, lui-même, à nourrir
+et à dresser<a id="footnotetag19" name="footnotetag19"></a>
+<a href="#footnote19"><sup class="sml">19</sup></a>, étaient le vieux Murray, plus tard valet favori de son
+successeur, et la domestique dont je viens de citer l'autorité. Cette
+dernière, d'après les fonctions auxquelles on suppose qu'elle avait été
+promue auprès de son noble maître, avait reçu généralement dans le pays
+le nom de <i>Lady Betty</i>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote19"
+name="footnote19"><b>Note 19: </b></a><a href="#footnotetag19">
+(retour) </a> Lord Byron avait l'habitude d'ajouter à ceci, sur
+ l'autorité de vieux domestiques, que le jour de la mort de
+ leur patron, ces grillons laissèrent tous de concert la
+ maison, et en si grand nombre, qu'il était impossible de
+ faire un pas dans le vestibule sans en écraser quelques-uns.</blockquote>
+
+<p>Quoiqu'il vécût dans sa solitude d'une manière sordide, il paraît qu'il
+éprouvait souvent le besoin d'argent; et l'un des torts les plus sérieux
+qu'il fit à sa propriété, fut la vente du domaine de Rochdale, dans le
+duché de Lancastre, dont le produit minéralogique passait pour
+très-important. Il savait bien, dit-on, à l'époque de la vente, qu'il
+n'avait pas le droit de donner un titre légal de possession, et il n'est
+pas croyable que ceux qui rachetèrent ignorassent l'irrégularité de la
+transaction; mais ils prévirent sans doute, comme en effet cela arriva,
+qu'avant d'être dépossédés de la propriété ils seraient à peu près
+indemnisés par le produit qu'ils en tireraient.</p>
+
+<p>On tenta, pendant la minorité du jeune lord, de rentrer dans le domaine
+de Rochdale, et, comme on le lira bientôt, ce fut avec un plein succès.
+Pour Newsteadt, les bâtimens et les dépendances menaçaient une ruine
+prochaine, et parmi les rares témoignages de la sollicitude ou de la
+dépense de son propriétaire, se trouvaient quelques masses de pierres
+réunies à grands frais, et quelques bâtimens, crénelés, élevés sur le
+bord du lac et dans l'épaisseur du bois. Les forts bâtis sur le lac
+étaient destinés à donner un aspect naval à ses ondes: souvent, quand il
+était en bonne humeur, il se plaisait à des combats simulés; ses
+bâtimens attaquaient la forteresse, qui à son tour les canonnait. Le
+plus grand de ses vaisseaux avait été construit pour lui dans l'un des
+ports de mer de l'est: on l'avait dirigé sur des roues vers la forêt de
+Newsteadt, comme pour accomplir l'une des prophéties de la mère Shipton,
+<i>que quand un vaisseau chargé de</i> ling <i>traverserait la forêt de
+Shervood, le domaine de Newsteadt sortirait de la famille Byron</i>. Dans
+le duché de Nottingham, <i>ling</i> répond au mot bruyère; et afin de
+justifier la mère Shipton et de dépiter le vieux lord, on dit que les
+paysans escortaient le vaisseau en y jetant sans cesse des touffes de
+bruyère.</p>
+
+<p>Cet homme singulier prenait évidemment fort peu de soin du sort de ses
+descendans; il n'avait entretenu aucun rapport avec son jeune héritier
+d'Écosse, et s'il lui arrivait d'en parler, ce qui était fort rare, ce
+n'était jamais que sous le nom <i>du petit enfant qui est à Aberdeen</i>.</p>
+
+<p>La mort de son grand oncle faisait de Lord Byron <i>le pupille de la
+chancellerie</i>, et le comte de Carlisle fut désigné pour être son tuteur.
+Il avait avec la famille quelques rapports de parenté, comme fils de la
+sœur du défunt lord. En 1798, pendant l'automne, Mrs. Byron et son fils,
+escortés de leur fidèle May Gray, quittèrent Aberdeen pour Newsteadt.
+Avant leur départ, ils avaient vendu le mobilier de l'humble appartement
+qu'ils occupaient, et le produit, à l'exception du linge et de la
+vaisselle que Mrs. Byron emporta, fut de 74 livres sterling 17 shillings
+7 pence.</p>
+
+<p>Le tems que Byron passa en Écosse, où sa mère avait d'ailleurs pris
+naissance, lui permettait de se considérer lui-même, comme il s'en est
+glorifié dans Don Juan, <i>à moitié Écossais par sa naissance, et
+entièrement par son éducation</i>.</p>
+
+<p>Nous avons déjà vu avec quelle vivacité il gardait le souvenir des
+montagnes qui, dans l'origine, avaient frappé ses yeux; les allusions
+qu'il y fait, dans le passage de Don Juan que je viens de citer, au pont
+romantique du Don et aux autres localités d'Aberdeen, montrent la même
+fidélité et le même entraînement de souvenir.</p>
+
+<br>
+
+<p>De dire comment <i>Auld-Lang-Syne</i> évoque devant moi l'Écosse en masse et
+dans tous ses détails, les Plaids écossais, les <i>Snoods</i> écossais, les
+montagnes bleues, les ondes claires, la Dee, le Don, le mur noir du pont
+de Balgounie, mes souvenirs d'enfant, en un mot le plus doux songe de ce
+qui me faisait alors rêver, enveloppé, comme les fils de Banco, de leurs
+manteaux funéraires;--d'expliquer ces allusions enfantines qui ramènent
+sous mes yeux ma douce enfance,--je ne m'en soucie pas, c'est un effet
+de <i>Auld-Lang-Syne</i>.</p>
+
+<br>
+
+<p>Puis il ajoute en note:</p>
+
+<br>
+
+<p>Le pont du Don, près de <i>la vieille ville</i> d'Aberdeen, avec son arche
+unique et ses eaux noirâtres et poissonneuses, me sont encore présens,
+comme si je les avais vus hier. Je me rappelle également, bien que je le
+cite mal peut-être, le terrible proverbe qui, dans ma jeunesse, me
+faisait craindre et pourtant désirer de le passer, parce que j'étais
+fils unique, au moins du côté de ma mère. Le voici tel que je m'en
+souviens, quoique je ne l'aie entendu ni lu depuis l'âge de neuf ans:</p>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p class="i14"> Brig of Balgounie, black's your wa'</p>
+<p class="i14"> Wi a wife's ae son, and a mear's ae foal</p>
+<p class="i14"> Down ye shall fa'.....</p>
+</div></div>
+
+<p>Pont de Balgounie, ton mur est noir, tu tomberas avec le fils unique
+d'une femme et le poulain unique d'une cavale.</p>
+
+<br>
+
+<p>Il eut toujours un véritable plaisir à rencontrer une personne
+d'Aberdeen: quand feu M. Scott, qui était né dans cette ville, lui
+rendit une visite à Venise, en 1819, il lui désigna surtout, en
+rappelant leurs habitudes d'enfance, une place nommée la niche de
+Wallace, où se trouve encore aujourd'hui une grossière statue de ce
+guerrier écossais. Cette sorte de souvenir ne le trouvait jamais
+insensible. A son premier voyage en Grèce, non-seulement l'aspect des
+montagnes, mais le jupon court des Albanais, tout, dit-il, le <i>reportait
+à Morven</i>. Dans sa dernière et fatale expédition, l'habit qu'il portait
+de préférence, à Céphalonie, était une veste de <i>tartane</i>.</p>
+
+<p>Mais quelque sincères et profondément senties que fussent les
+impressions qu'il gardait de l'Écosse, il lui arrivait quelquefois,
+comme pour toutes ses affections les plus aimables, de donner un démenti
+à son bon naturel; et lorsque la colère ou l'ironie l'excitait, de
+persuader et les autres et lui-même que toutes ses affections se
+portaient vers des objets directement opposés.</p>
+
+<p>Le fiel qu'il répandit à l'occasion de sa querelle avec la <i>Revue
+d'Édimbourg</i>, sur tout ce qu'il y avait d'Écossais, offre l'exemple de
+ce triomphe temporaire de ses passions. Dans tous les tems, le moindre
+soupçon de ridicule jeté sur l'Écosse ou ses habitans suffisait pour
+faire taire ses affectueux sentimens. Un de ses amis me raconta
+l'amusante colère dans laquelle le mit un jour une innocente jeune
+fille, pour avoir remarqué qu'il avait quelque chose de l'accent
+écossais: «Bon dieu! s'écria-t-il, j'espère bien que non; j'aimerais
+mieux voir tomber la maudite Écosse dans la mer que d'avoir l'accent
+écossais.»</p>
+
+<p>Mais on ajoutera peu de foi aux saillies de ce genre répandues dans ses
+écrits ou sa conversation, quand on les comparera aux preuves décisives
+qu'il a laissées de son attachement pour le pays où il passa son
+enfance. Et si, pour lui, ces impressions étaient ineffaçables, de
+l'autre il y a chez les citoyens d'Aberdeen, qui le regardent comme leur
+compatriote, une correspondance chaleureuse d'affection pour sa mémoire
+et pour son nom. Ils montrent encore aux voyageurs les diverses maisons
+où il résidait dans sa jeunesse; l'avoir vu seulement une fois, réveille
+en eux un souvenir d'orgueil, et le pont du Don, déjà beau en lui-même,
+est désormais revêtu, grâce à la mention qu'il en a faite dans son <i>Don
+Juan</i>, d'un nouveau charme. Il y a deux ou trois ans qu'on offrit une
+somme de cinq liv. st. à une personne d'Aberdeen en échange d'une lettre
+écrite par le capitaine Byron quelques jours avant sa mort; et au nombre
+des souvenirs du jeune poète, devenus autant de trésors pour ceux qui
+les possèdent, il en est un dont il n'aurait pu sans rire entendre
+parler, c'est tout simplement une vieille soucoupe de porcelaine dont il
+avait une fois mordu un large morceau dans un accès de colère.</p>
+
+<p>Ce fut dans l'été de 1798 que Lord Byron, alors dans sa onzième année,
+quitta l'Écosse avec sa mère et sa <i>bonne</i>, pour prendre possession de
+l'ancien domaine de ses ancêtres. Voici comme il parle de ce voyage dans
+une de ses dernières lettres:</p>
+
+<p>«Je me souviens de Loch-Leven comme si c'était d'hier; ce fut pourtant à
+l'époque de mon voyage d'Angleterre, en 1798, que je le vis.»</p>
+
+<p>Déjà ils touchaient à la barrière de Newsteadt, ils voyaient les bois de
+l'abbaye s'élancer comme pour les recevoir, quand Mrs. Byron, affectant
+de méconnaître l'endroit, demanda à la femme de la barrière à qui
+appartenait cette propriété. On lui répondit que le possesseur, Lord
+Byron, était mort depuis quelques mois. «Et quel est l'héritier? demanda
+la mère avec un orgueil satisfait.--On dit, répondit la femme, que c'est
+un petit enfant qui vit à Aberdeen.--Et le voici, dieu le bénisse!»
+s'écria la gouvernante, incapable de se contenir, et couvrant de baisers
+le jeune lord assis sur ses genoux.</p>
+
+<p>Une élévation si soudaine aurait eu sans doute, même dans des
+circonstances plus favorables pour lui, une influence dangereuse sur son
+caractère; le guide qui désormais allait conduire les pas du jeune Byron
+dans le monde ne pouvait être plus inhabile à lui en montrer les
+écueils. Sa mère, dépourvue de jugement et d'empire sur elle-même,
+employait à son égard, avec la même maladresse, et l'indulgence, et ce
+qui était pire encore, une violence dont l'enfant s'amusait. Ce
+sentiment exquis du ridicule qui, plus tard, le rendit si remarquable,
+et que dès-lors il possédait, l'emportait toujours sur la crainte que
+pouvait lui inspirer sa mère. Quand Mrs. Byron, femme petite et dont
+l'embonpoint embarrassait la marche, essayait, dans ses accès de colère,
+de l'atteindre afin de le punir, le petit diable, glorieux de sa
+légèreté, se plaisait à lui échapper sans cesse, courant autour de la
+chambre en dépit de sa jambe boiteuse, et riant à gorge déployée d'avoir
+pu rendre inutiles toutes ses menaces. Dans ses <i>Memoranda</i>, il a
+consigné quelques anecdotes de ces premiers tems, et bien qu'il n'y
+nomme jamais sa mère qu'avec respect, il est facile de voir que l'idée
+qu'il en avait conservée, du moins la plus caractéristique, était d'une
+nature pénible. L'un des passages les plus frappans de ces <i>Mémoires</i> se
+rapporte au chagrin profond qu'il ressentait de son infirmité; il décrit
+l'impression d'horreur et d'humiliation qui s'empara de lui quand sa
+mère, dans un accès de colère, l'appela, <i>vilain boiteux</i>. Comme il
+reproduit dans sa poésie, sous une forme ou l'autre, tous les sentimens
+profonds de sa vie, il ne faut pas être surpris d'y retrouver une
+expression de ce genre; nous voyons donc à l'ouverture de son drame, <i>le
+Difforme transformé</i>:</p>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p class="i14"><span class="sc">Berta</span>. Va-t'en, vilain bossu.</p>
+<p class="i14"><span class="sc">Arnold</span>. Ma mère, je suis né ainsi.</p>
+</div></div>
+
+<p>On peut se demander si l'origine du drame entier ne serait pas due à cet
+unique souvenir.</p>
+
+<p>Avec un pareil caractère dans la personne qui devait seule diriger ses
+premières années, on conçoit qu'il dut perdre tout le fruit des soins et
+de la sollicitude qu'un tuteur éclairé eût pu avoir pour lui. D'ailleurs
+Lord Carlisle, peu lié avec la famille, et n'ayant jamais eu l'occasion
+de connaître l'enfant, n'avait accepté qu'avec répugnance cette charge
+pénible; et comme ce titre le mettait surtout en rapport avec Mrs.
+Byron, il ne faut pas s'étonner qu'il ne désirât jamais pénétrer dans
+les détails de l'éducation de son pupille, plus qu'il n'y était
+rigoureusement obligé: ce qui l'en éloignait était la crainte de se
+trouver en opposition avec les habitudes violentes et capricieuses de la
+mère.</p>
+
+<p>D'un autre côté, si la réputation du dernier Lord eût été assez
+populaire pour piquer d'émulation son jeune successeur, peut-être
+l'envie salutaire de rivaliser avec les morts eût suppléé aux bons
+exemples des survivans, et nul esprit ne se serait plus facilement
+ouvert à cette louable émulation que celui de Byron. Mais
+malheureusement, comme nous venons de le dire, les circonstances étaient
+autres, et à la place d'un aussi désirable stimulant fut substituée une
+rivalité d'une espèce contraire. Les étranges anecdotes qui circulaient
+sur le feu Lord dans le pays où ses rudes et solitaires habitudes
+avaient laissé une trace d'effroi; ces anecdotes, dis-je, avaient frappé
+son imagination poétique, et réveillé dans son jeune esprit une espèce
+d'admiration pour des bizarreries qui lui semblaient un motif
+d'étonnement et de souvenir. On a même quelquefois supposé que ce fut le
+récit des bizarreries de son oncle, qui nourrit son imagination de ces
+sombres peintures et de ces figures idéales, qu'il sut par la suite
+revêtir de formes diverses et anoblies par son génie<a id="footnotetag20" name="footnotetag20"></a>
+<a href="#footnote20"><sup class="sml">20</sup></a>. Mais, quoi
+qu'il en soit, on peut conjecturer que, dans sa pénurie de meilleurs
+modèles, les singularités de son prédécesseur immédiat eurent une grande
+influence sur ses goûts et son imagination. Une habitude, entre autres,
+qu'il semblait devoir à cet esprit d'imitation, et qu'il conserva toute
+sa vie, fut celle d'avoir ordinairement auprès de lui une arme d'une
+espèce quelconque; même encore enfant, il portait toujours de petits
+pistolets chargés dans la poche de sa veste.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote20"
+name="footnote20"><b>Note 20: </b></a><a href="#footnotetag20">
+(retour) </a> Pourquoi donc accuser ces impressions, si les
+ effets en furent si admirables?
+ <span class="rig">(<i>N. du Tr.</i>)</span><br><br>
+</blockquote>
+
+<p>La querelle du dernier Lord avec M. Chaworth avait pu d'ailleurs, dès
+l'origine, lier d'une sorte de connexité, dans son esprit, le nom de sa
+famille et l'habitude des duels; peut-être aussi les mortifications que
+lui faisait dévorer, ou du moins craindre, à l'école, son infirmité
+physique, trouvèrent une sorte de consolation dans l'espoir qu'un jour
+les lois du combat singulier lui permettraient de lutter avec le plus
+fort, à armes égales.</p>
+
+<p>Aussitôt après leur départ d'Écosse, Mrs. Byron, dans l'espoir d'obtenir
+sa guérison, avait confié son fils aux soins d'un individu de Nottingham
+qui se chargeait de ces sortes de cures: cet homme, charlatan de son
+métier, se nommait Lavender; son procédé était de frotter d'abord
+d'huile pendant long-tems le pied malade, puis de le tordre violemment
+et de le tenir comprimé dans une machine de bois. Pour que l'enfant ne
+fût pas, durant cet intervalle, retardé dans ses études, un respectable
+professeur venait lui donner des leçons de latin. M. Rogers, c'était son
+nom, lisait avec lui des morceaux de Virgile et de Cicéron, et ses
+progrès lui parurent alors, malgré sa jeunesse, extrêmement sensibles:
+toutefois, dans le cours de ses leçons, il éprouvait fréquemment de
+violentes douleurs, à cause de la position de son pied; un jour, M.
+Rogers lui dit: «Milord, je ne puis vous voir en proie à une douleur
+comme celle que vous souffrez.--N'y songez pas, M. Rogers, répondit
+l'enfant, vous ne vous en apercevrez plus.»</p>
+
+<p>Cet homme distingué, qui ne parle jamais de son élève que dans les
+termes les plus affectueux, se souvient de plusieurs exemples de la
+plaisante malice avec laquelle il aimait à se venger de son bourreau, en
+mettant à découvert sa fastueuse ignorance. Un jour il avait placé au
+hasard, sur une feuille de papier, toutes les lettres de l'alphabet,
+mais toutefois en les disposant de manière à simuler des mots et des
+phrases; il mit le papier sous les yeux du docte personnage en lui
+demandant quelle langue c'était: «De l'italien,» répondit notre homme,
+incapable d'avouer de bonne foi son ignorance. On conçoit que cette
+réponse fut accueillie par la joie immodérée et les insultans éclats de
+rire de notre jeune satirique, charmé du succès de ce premier piége
+tendu au charlatanisme.</p>
+
+<p>C'est par une suite de la profonde impression qu'il conservait de tout
+ce qui l'entourait dans sa jeunesse, et qui semblait un des traits
+distinctifs de son caractère, que plusieurs années après, se trouvant
+dans les environs de Nottingham, il envoya une lettre à son vieux
+précepteur, remplie de sentimens affectueux. Il avait même chargé celui
+qui la portait de dire à M. Rogers, qu'à compter d'un certain endroit de
+Virgile, qu'il désignait, il pouvait encore réciter une vingtaine de
+vers qu'il se souvenait fort bien d'avoir expliqués avec lui tandis
+qu'il souffrait le plus.</p>
+
+<p>C'est dans ce tems, au rapport de sa gouvernante May Gray, que se
+manifestèrent en lui les premiers indices de dispositions poétiques.
+Voici à quel propos: une dame âgée, qui faisait de fréquentes visites à
+sa mère, s'était servie à son égard d'expressions fort insultantes; et
+ces affronts, il en conservait ordinairement un ressentiment implacable.
+Cette dame s'était formé des idées singulières relativement à notre ame:
+elle s'imaginait qu'elle s'arrêtait dans la lune comme pour y subir une
+épreuve préliminaire avant d'aller plus loin. Un jour, Byron ayant reçu,
+comme il paraît, une seconde injure du même genre, se présente en fureur
+devant sa gouvernante: «Eh bien, mon petit héros, lui dit-elle,
+qu'avez-vous donc?» L'enfant répondit que cette vieille l'avait mis dans
+une affreuse colère, qu'il ne pouvait plus la supporter, etc., etc.;
+puis soudain il répéta plusieurs fois les mauvais vers suivans, charmé
+d'avoir trouvé un moyen d'exhaler sa bile:</p>
+
+<p>Dans le comté de Nott, demeure à Swan-Green une vieille maudite, si
+jamais il en fut, et quand elle mourra (promptement je l'espère) elle
+croit sur-le-champ qu'elle ira dans la lune.</p>
+
+<p>Ces vers ont peut-être été rajustés après coup; et lui-même, comme on va
+le voir, date d'une année plus tard son premier essai poétique, mais
+l'anecdote n'en fait pas moins connaître son caractère; c'est ce qui m'a
+décidé à la conserver.</p>
+
+<p>Dans le même tems les faibles revenus de Mrs. Byron reçurent une
+augmentation fort opportune sans doute, mais dont j'ignore le motif. Ce
+fut une pension sur la liste civile de 300 liv. st. de rente; la lettre
+suivante est une copie de l'ordonnance royale rendue à ce sujet:</p>
+
+<p class="mid">GEORGES ROI.</p>
+
+<p>Il nous a plu accorder à Catherine Gordon, veuve Byron, une rente
+annuelle de 300 livres, à commencer au 5 juillet 1799, pour continuer
+durant notre plaisir. Nous voulons et il nous plaît, qu'en vertu de
+notre lettre générale du sceau privé, sous la date du 5 novembre 1760,
+des fonds de notre trésor ou de l'échiquier applicables au service de
+notre liste civile, vous payiez à ladite Catherine Gordon, veuve Byron,
+ou à son ordre, ladite rente, à commencer du 5 juillet 1799, pour lui
+être servie par quartier ou autrement, dès que l'échéance sera arrivée;
+la présente sera votre garantie.</p>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p> Le 2 octobre 1799; de notre règne la 39me.</p>
+
+<p> <i>Par ordre de sa majesté</i>,</p>
+
+<p class="rig"> Signé W. <span class="sc">Pitt</span>,</p><br>
+
+<p class="rig"> S. <span class="sc">Douglas</span>.</p><br>
+</div></div>
+
+<p>Peu satisfaite de l'opérateur de Nottingham, Mrs. Byron, pendant l'été
+de 1799, jugea convenable de conduire son enfant à Londres, où, d'après
+l'avis de Lord Carlisle, on le confia aux soins du docteur Baillie. Il
+était important de le placer dans une école paisible où l'on pût
+facilement lui faire suivre le régime que l'on adopterait pour sa
+guérison: on choisit à cet effet la maison de feu le docteur Glennie à
+Dulwich; et comme en outre on jugea à propos de lui donner une chambre à
+coucher séparée, le docteur Glennie avait fait placer un lit dans son
+propre cabinet pour son nouvel élève. Mrs. Byron, à son arrivée dans la
+ville après être restée peu de tems après lui à Newsteadt, prit un
+appartement à Sloane-terrace, et, sous la direction du docteur Baillie,
+on chargea l'un de messieurs Sheldrake de la construction d'une machine
+propre à redresser peu à peu la jambe de l'enfant<a id="footnotetag21" name="footnotetag21"></a>
+<a href="#footnote21"><sup class="sml">21</sup></a>. On lui prescrivit
+de la modération dans tous les exercices du corps, mais le docteur
+Glennie trouvait le précepte plus facile à donner qu'à faire exécuter,
+et bien que l'enfant fût assez tranquille dans les heures d'étude, dès
+que celle des jeux sonnait, il ne montrait pas moins d'<i>émulation</i> dans
+tous les exercices athlétiques que les enfans les plus robustes de
+l'école: «émulation,» ajoute le docteur Glennie, avec lequel j'ai eu
+quelques entretiens peu de tems avant sa mort, «que j'ai en général
+remarquée dans les jeunes enfans affectés de semblables défauts
+naturels<a id="footnotetag22" name="footnotetag22"></a>
+<a href="#footnote22"><sup class="sml">22</sup></a>.»</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote21"
+name="footnote21"><b>Note 21: </b></a><a href="#footnotetag21">
+(retour) </a> Dans une lettre adressée dernièrement par M.
+ Sheldrake à l'éditeur d'un journal médical, on établit que la
+ personne du même nom qui fut appelée à Dulwich auprès de Lord
+ Byron doit à une méprise cet honneur, et ne fit rien pour sa
+ guérison. L'auteur de la lettre ajoute qu'il fut lui-même
+ consulté par Lord Byron, quatre ou cinq années plus tard, et
+ bien qu'il n'ait pu alors entreprendre la guérison du pied à
+ cause du peu de docilité de son noble patient, il parvint
+ cependant à lui construire une sorte de soulier qui allégea
+ l'inconvénient de son infirmité.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote22"
+name="footnote22"><b>Note 22: </b></a><a href="#footnotetag22">
+(retour) </a> «Quoique, dit Alfieri en parlant de son tems
+ d'étude, je fusse le plus petit de tous les <i>grands</i> qui se
+ trouvaient au second appartement où j'étais descendu, c'était
+ précisément mon infériorité de taille, d'âge et de force, qui
+ m'engageait à me distinguer.</blockquote>
+
+<p>Comme le jeune écolier avait reçu les élémens de la langue latine
+suivant le système d'enseignement adopté à Aberdeen, il eut de la peine
+à revenir sur ses pas, et se trouva, comme cela arrive souvent, retardé
+dans ses études et embarrassé dans ses souvenirs, par la nécessité de se
+soumettre au mode d'enseignement suivi dans les écoles anglaises. «Je
+m'aperçus, dit le docteur Glennie, qu'il montra d'abord de l'ardeur et
+obtint des succès: il était gai, toujours de bonne humeur et chéri de
+ses camarades; il connaissait nos poètes et nos historiens bien mieux
+que les enfans de son âge, et dans mon cabinet il trouvait à sa
+disposition une foule de livres capables de flatter son goût et de
+satisfaire sa curiosité, entre autres une collection de poètes, depuis
+Chaucer jusqu'à Churchill, que je serais tenté de croire qu'il parcourut
+depuis le commencement jusqu'à la fin. Il avait encore à cet âge une
+connaissance étendue de la partie historique des saintes écritures; il
+aimait à m'en entretenir, surtout après nos exercices pieux du dimanche
+soir, et quand il lui arrivait de raisonner sur les faits racontés dans
+nos livres sacrés, il le faisait avec l'air d'être persuadé des vérités
+divines qu'ils renferment. Que les impressions de son enfance, dit
+encore la même personne, se soient conservées plus tard dans sa mémoire,
+malgré ses habitudes d'une vie irrégulière, c'est ce qu'on ne peut guère
+révoquer en doute après avoir lu ses ouvrages sans prévention, et je
+n'ai jamais pu m'ôter de la tête que, dans les étranges désordres qui
+malheureusement marquèrent sa carrière, il n'ait dû souvent trouver bien
+difficile de violer les excellens principes qu'il avait d'abord
+adoptés.»</p>
+
+<p>J'aurais dû mentionner, parmi les traits caractéristiques de sa
+jeunesse, et d'après le récit du mari de sa première gouvernante, qu'il
+montrait dès-lors, et dans toutes les occasions, un esprit investigateur
+en matières religieuses.</p>
+
+<p>Le docteur Glennie ne fut pas long-tems sans s'apercevoir que la mère
+était beaucoup plus difficile à conduire que l'enfant. Tout en
+professant la plus entière déférence pour les représentations de
+l'habile instituteur, quant à la nécessité de ne pas interrompre les
+études de son fils, Mrs. Byron n'avait ni assez de raison, ni assez
+d'empire sur elle-même, pour confirmer ses paroles par ses actions; en
+dépit des remontrances du docteur et des injonctions de Lord Carlisle,
+elle ne laissa pas d'intervenir dans les détails de l'instruction de son
+fils, et comme on pouvait l'attendre d'une mère tendre, impérieuse et
+passionnée. En vain lui représentait-on que dans toutes les
+connaissances élémentaires exigées d'un jeune homme que l'on destinait à
+l'une des grandes écoles publiques, Lord Byron était fort en arrière, et
+que pour suppléer à ce défaut il n'avait pas trop de tous ses instans;
+Mrs. Byron paraissait bien comprendre la justice de ces observations,
+mais elle s'embarrassait peu d'en profiter, et n'en continuait pas moins
+à déranger sans cesse le professeur et l'enfant. Peu satisfaite
+d'emmener son fils du samedi au lundi à <i>Sloane-terrace</i>, contre la
+volonté du docteur Glennie, elle le retenait fréquemment chez elle une
+semaine de plus; et pour ajouter encore à la distraction née de ces
+interruptions, elle réunissait autour de lui un cercle nombreux de
+jeunes amis, sans mettre dans ses choix beaucoup de sagacité. En
+pouvait-il être autrement? se demande le docteur Glennie. «Mrs. Byron
+était totalement étrangère à la société et aux manières anglaises; avec
+un extérieur peu prévenant, une intelligence assez bornée et un esprit
+singulièrement peu cultivé, elle avait conservé tous les préjugés nés
+des opinions et des habitudes du nord. Je ne pense donc pas faire la
+moindre injure à sa mémoire en déclarant que Mrs. Byron n'était pas
+précisément une Mrs. Lambert, ornée des facultés capables de redresser
+les torts de la fortune, et de former l'esprit et le caractère d'un
+jeune homme de bonne famille.»</p>
+
+<p>Plus d'une fois l'intervention de Lord Carlisle, dont il fallut alors
+invoquer l'autorité, avait mis quelque obstacle à cette indulgence
+inopportune. Grâce à un tel soutien, le docteur Glennie osa bien
+s'opposer à la sortie du samedi, dont on avait tant abusé; mais les
+scènes violentes auxquelles il était en butte à chaque nouveau refus
+auraient pu lasser la patience de tout autre professeur moins
+consciencieux et moins zélé. Mrs. Byron, dont les accès d'emportement
+n'étaient pas comme ceux de son fils, <i>des silencieuses rages</i>, se
+laissait souvent entraîner à des cris dont les écoliers et les valets
+recevaient la confidence. C'est au point que le docteur Glennie eut un
+jour le chagrin d'entendre un camarade de son noble élève lui dire:
+«Byron, ta mère est une sotte;» à quoi l'autre répondit gravement: «Je
+le sais bien.» Par suite de toutes ces violences et de ces
+incompatibilités de mœurs, Lord Carlisle finit par ne plus se mêler de
+son pupille, et l'instituteur ayant sollicité une autre fois le bénéfice
+de son intervention, il répondit: «Je ne veux plus rien avoir à démêler
+avec Mrs. Byron, tirez-vous-en comme vous pourrez avec elle.»</p>
+
+<p>Parmi les livres que l'enfant pouvait consulter dans le cabinet du
+docteur Glennie, était une brochure écrite par le frère d'un de ses
+meilleurs amis, et intitulée: <i>Relation du naufrage de la Junon sur la
+côte d'Arracan, en l'année 1795</i>; l'auteur avait été officier en second
+du vaisseau, et le récit qu'il avait envoyé à ses amis des souffrances
+de leur équipage leur avait paru assez touchant et assez extraordinaire
+pour être publié. La brochure ne flatta que faiblement, à ce qu'il
+paraît, l'opinion publique; mais elle était à Dulwich la lecture
+favorite des jeunes élèves, et l'impression qu'elle laissa sur l'esprit
+observateur de Byron contribua peut-être à lui suggérer le désir
+d'étudier toutes les relations de naufrages, afin de mieux retracer la
+grande et magnifique scène du même genre que l'on trouve dans <i>Don
+Juan</i>. Les passages suivans de la brochure ont été adoptés, comme on va
+le voir, avec de faibles changemens, par notre poète, sauf quelques
+incidens:</p>
+
+<p>«De ceux qui n'étaient pas immédiatement auprès de moi, je ne sais rien,
+si ce n'est par leurs cris. Quelques-uns résistaient long-tems et
+mouraient dans une agonie complète, mais ce n'était pas toujours ceux
+dont la faiblesse était plus sensible qui succombaient avec moins de
+peine, quoiqu'il en arrivât quelquefois ainsi. Je me rappelle
+particulièrement les exemples suivans: le valet de M. Wade, garçon fort
+et robuste, mourut instantanément et presque sans murmurer, tandis qu'un
+autre jeune homme du même âge, mais d'un extérieur moins robuste,
+résista beaucoup plus long-tems. La destinée de ces malheureux jeunes
+gens fut encore différente sous un autre rapport mémorable. Leurs pères
+à tous deux étaient dans les hunes à l'instant où leurs enfans
+commencèrent à être malades; le père du valet de M. Wade apprit avec
+indifférence l'état de son fils, <i>il ne pouvait rien faire pour lui, il
+l'abandonnait à son sort</i>. L'autre, quand il reçut la même nouvelle,
+descendit à la hâte, et, saisissant le moment favorable, se traîna le
+long du plat-bord jusqu'à son fils qui était dans les agrès de mizaine;
+cependant il ne restait plus que trois ou quatre planches du gaillard
+d'arrière, justement sur la galerie contiguë à l'autre; c'est là que le
+père infortuné transporta son fils et l'attacha à la rampe pour
+l'empêcher d'être emporté par les flots: quand le jeune homme était
+saisi d'un accès de vomissement, le père le soulevait et essuyait
+l'écume qui couvrait ses lèvres; s'il survenait une pluie d'orage, il
+lui ouvrait la bouche pour qu'il pût en recevoir les gouttes, ou bien
+les exprimait d'un linge où il les avait recueillies. C'est dans cette
+situation douloureuse qu'ils restèrent tous deux quatre ou cinq jours,
+après lesquels l'enfant expira. Le malheureux père, comme s'il n'eût pu
+croire à ce qu'il voyait, se mit à soulever le corps, à le regarder
+attentivement; et quand enfin il ne conserva plus aucun doute, il le
+regarda en silence jusqu'au moment où la mer l'emporta; alors,
+s'enveloppant dans une pièce de toile, il tomba à terre et ne se releva
+plus. Il doit cependant avoir vécu deux ou trois jours au-delà, comme
+nous le jugeâmes d'après les tremblemens convulsifs de ses jambes, quand
+une vague venait à le couvrir<a id="footnotetag23" name="footnotetag23"></a>
+<a href="#footnote23"><sup class="sml">23</sup></a>.»</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote23"
+name="footnote23"><b>Note 23: </b></a><a href="#footnotetag23">
+(retour) </a> Le passage suivant est la traduction qu'a tentée Lord Byron de
+ce touchant récit, et tous les lecteurs jugeront que c'est un des
+exemples dans lesquels la poésie est forcée de céder la palme à la
+prose. Il y a dans la dernière phrase de la relation originale un
+sublime que les artifices de la mesure et de la rime affaiblissent
+nécessairement, et que nuls vers, quelles que soient leurs beautés, ne
+sauraient exprimer avec moitié autant de force et de naturel.
+
+<p> 87. Dans cette déplorable troupe, il y avait deux pères et
+ avec eux les deux fils. L'un de ceux-ci paraissait le plus
+ robuste et le mieux portant; il mourut des premiers. À
+ l'instant de sa mort, son plus proche voisin en avertit le
+ père, qui dit, en jetant les yeux sur lui: «Je n'y puis rien,
+ la volonté de Dieu soit faite!» Et sans une larme ou soupir,
+ il vit jeter son corps à la mer.</p>
+
+<p> 88. Le second père avait un fils plus faible, aux joues
+ décolorées, au maintien délicat. Ce jeune homme résista
+ long-tems, et se roidit contre sa destinée avec une patiente
+ tranquillité d'esprit. Il parlait peu, et de tems en tems il
+ souriait pour alléger le poids des mortelles pensées qui
+ oppressaient d'autant plus le cœur de son père, qu'il voyait
+ son fils les supporter comme lui.</p>
+
+<p> 89. Penché sur son corps, le père ne levait pas les yeux de
+ dessus son visage; il essuyait l'écume qui couvrait ses
+ lèvres, et n'avait d'attention que pour lui. Quand la pluie
+ tant désirée vint enfin à tomber, et que les yeux de
+ l'enfant, déjà demi-voilés d'une membrane épaisse, vinrent à
+ briller et à remuer pour un instant, il exprima quelques
+ gouttes de pluie dans sa bouche expirante:--ce fut en vain.</p>
+
+<p> 90. L'enfant mourut.--Le père demeura long-tems attaché sur
+ son corps; mais enfin, quand la mort se montra à découvert,
+ et que le poids insensible pressé contre son cœur ne lui
+ donna plus de mouvement ni d'espérance, il ne le perdit pas
+ des yeux, jusqu'au moment où une vague impitoyable éloigna le
+ corps du lieu d'où il avait été jeté. Alors il tomba lui-même
+ roide et glacé, ne donnant d'autre signe de vie que
+ l'agitation convulsive de ses jambes.</p>
+
+<p> Le lecteur trouvera le récit de la perte de <i>la Junon</i> dans
+ la <i>Collection des naufrages et désastres maritimes</i>, à
+ laquelle Lord Byron eut habilement recours, pour y puiser les
+ connaissances techniques et les circonstances de sa belle
+ description.</p>
+</blockquote>
+
+<p>Ce fut sans doute pendant les vacances de cette année que sa jeune
+cousine, miss Parker, en faisant naître en lui une passion enfantine,
+eut la gloire de lui inspirer ses premiers essais poétiques; c'est à
+elle du moins qu'il attribué cet heureux effet. «Mes premiers essais
+poétiques, dit-il, remontent à 1800, c'était l'ébullition d'une belle
+passion pour ma cousine germaine, Marguerite Parker, fille et
+petite-fille des deux amiraux Parker, l'une des plus belles de ces
+jeunes filles qui, comme des fleurs, périssent dans leur printems. J'ai
+oublié depuis long-tems les vers; mais elle, il me serait difficile de
+l'oublier; ses yeux noirs, ses longs cils, son profil d'un style
+tout-à-fait grec! J'avais alors douze ans, elle était un peu plus âgée,
+peut-être d'un an. Elle mourut, un ou deux ans après, des suites d'une
+chute; elle s'était brisé l'épine du dos, et cet accident amena la
+consomption. Sa soeur <i>Augusta</i>, que quelques-uns regardaient comme plus
+belle encore, périt de la même maladie, et c'est même en lui prodiguant
+ses soins que Marguerite éprouva l'accident qui occasionna sa propre
+mort. Ma sœur m'a dit que quand elle alla la voir peu de tems avant sa
+fin, mon nom ayant été cité par hasard, le rouge monta à la figure de
+Marguerite, quoique la mort fut déjà dans ses yeux, au grand étonnement
+de ma sœur, qui, vivant avec sa grand'mère lady Holderness, et ne me
+voyant que rarement, pour raisons de famille, ne savait rien de notre
+attachement, et ne pouvait concevoir comment mon nom faisait un tel
+effet sur elle dans un tel moment. Je ne sus rien de sa maladie qu'après
+sa mort; j'étais à cette époque à Harrow ou dans la campagne. Quelques
+années après, j'essayai une élégie; elle était bien plate<a id="footnotetag24" name="footnotetag24"></a>
+<a href="#footnote24"><sup class="sml">24</sup></a>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote24"
+name="footnote24"><b>Note 24: </b></a><a href="#footnotetag24">
+(retour) </a> Cette élégie est la première de son volume non
+ publié.</blockquote>
+
+<p>«Je ne me rappelle rien d'égal à la beauté transparente de ma cousine,
+ou à la douceur de son caractère, pendant la courte période de notre
+intimité. <i>On l'eût dite faite d'un arc-en-ciel</i>: tout en elle était
+paix et beauté.</p>
+
+<p>«Ma passion eut sur moi ses effets habituels: je ne pouvais ni dormir,
+ni manger, ni reposer, bien que j'eusse toutes les raisons de croire
+qu'elle m'aimât. Mon tourment de chaque jour était de penser au tems qui
+devait s'écouler avant que je la revisse: c'était ordinairement douze
+heures. J'étais alors bien fou, et maintenant je ne suis guère plus
+sage.»</p>
+
+<p>Il y avait deux ans qu'il était sous la garde du docteur Glennie, quand
+sa mère, mécontente de la lenteur de ses progrès, lenteur dont elle
+pouvait, comme nous l'avons vu, s'accuser avant tous les autres, pressa
+tellement lord Carlisle de le faire passer dans une école publique, que
+celui-ci finit par accéder à ses vœux. «En conséquence, dit le docteur
+Glennie, il entra à Harrow aussi mal préparé qu'il est naturel de le
+supposer, après deux années d'instruction élémentaire, et
+continuellement dérangé par tout ce qui pouvait distraire son jeune
+esprit de l'école et de toute étude sérieuse.»</p>
+
+<p>Ce sage instituteur ne vit plus que rarement Lord Byron à compter de ce
+moment; mais à en juger par ce qu'en disent Mrs. Glennie et lui, il est
+clair qu'ils le suivirent toujours avec intérêt dans le reste de sa
+carrière; ils virent ses déviations, mais à travers le prisme flatteur
+d'une affection réelle; et dans ses aberrations les plus étranges, ils
+conservèrent la trace des belles qualités qu'ils avaient chéries et
+admirées dans son enfance. Au reste les affectueux sentimens du docteur
+Glennie furent mis à une rude épreuve, quand en 1817 il visita Genève,
+peu de tems après le départ de Lord Byron de cette ville, et au moment
+où sa réputation personnelle était frappée de la plus grande
+impopularité; ceux qui voyaient dans le docteur Glennie son ancien
+maître, ne manquaient pas d'accuser ce dernier de l'avoir mal élevé, ou,
+pour employer leurs propres expressions, de n'en avoir pas fait un
+meilleur sujet.</p>
+
+<p>Tandis que Lord Byron venait continuer à Londres son éducation, sa
+gouvernante May Gray quittait le service de sa mère et retournait dans
+son pays natal, où elle mourut il y a trois ans environ. Elle s'était
+mariée convenablement; et dans l'une de ses dernières maladies elle
+recevait les soins du docteur Ewing d'Aberdeen, qui, ayant toujours été
+admirateur enthousiaste de Lord Byron, éprouva autant de joie que de
+surprise de trouver une ancienne servante de son poète favori, dans une
+femme qu'il avait soignée plusieurs années. Comme on peut le supposer,
+il recueillait avec avidité de la bouche de sa malade toutes les
+particularités qu'elle pouvait se rappeler des premiers jours de sa
+seigneurie. Toutes ces communications, M. Ewing nous en a fait la
+confidence; c'est à lui que nous devons une partie des anecdotes que
+nous avons citées.</p>
+
+<p>Byron, au départ de May Gray, voulut lui donner un témoignage de sa
+reconnaissance pour les soins qu'elle avait eus de lui; il lui donna sa
+montre, la première qu'il eût eue en sa possession. La fidèle
+gouvernante conserva ce précieux souvenir jusqu'à sa mort, comme une
+sorte de trésor; et aussitôt après, son mari la donna au docteur Ewing,
+qui l'apprécia également comme une relique du génie. L'affectueux enfant
+lui avait aussi donné son portrait, grande miniature en pied peinte par
+Kay d'Édimbourg, en 1795. Il s'y trouve représenté tenant à la main un
+arc et des flèches, avec les plus beaux cheveux du monde tombant sur ses
+épaules. Ce morceau curieux est également passé dans la possession du
+docteur Ewing.</p>
+
+<p>Byron étendit les effets de sa reconnaissance à la sœur de cette femme,
+qui avait été sa première gouvernante. Il lui écrivit quelques années
+après son départ d'Écosse, et dans les termes les plus aimables; il
+s'informait de sa santé, et lui apprenait avec joie que son pied s'était
+assez bien redressé pour lui permettre de se servir de bottes
+ordinaires; «événement qu'il avait si long-tems désiré, et qui lui
+ferait sans doute à elle-même le plus vif plaisir.» Il accompagna sa
+mère à Cheltenham durant l'été de 1801, et le récit qu'il fait de ses
+propres sensations à cette époque nous montre à quel âge prématuré il
+était familier avec les impressions poétiques. Un enfant qui contemple
+avec émotion le soleil couchant sur les hauteurs, parce qu'il lui
+rappelle les montagnes où il a passé sa jeunesse, a déjà sans doute le
+cœur et l'imagination d'un poète. Ce fut pendant ce voyage à Cheltenham
+qu'une diseuse de bonne aventure, consultée par sa mère, fit sur lui une
+prédiction à laquelle il pensa quelque tems avec inquiétude. Mrs. Byron,
+dans sa première visite à cette femme (c'était, si je ne me trompe, la
+fameuse Mrs. Williams), s'était donnée pour une demoiselle; la sibylle
+toutefois ne s'y trompa point: elle déclara que celle qui la consultait
+était non-seulement mariée, mais la mère d'un fils boiteux; que ce fils
+était prédestiné, entre autres événemens qu'elle lisait dans les astres,
+à courir les dangers d'un empoisonnement avant sa majorité; qu'il serait
+deux fois marié, et la seconde fois à une étrangère.</p>
+
+<p>Après deux ans, le jeune Byron raconta ces particularités à la personne
+dont je tiens cette histoire, et il disait que l'idée de la première
+partie de la prédiction s'était souvent présentée à lui. Cependant la
+dernière partie semble avoir été plus près de se réaliser.</p>
+
+<p>Si on fait attention au caractère réservé de Byron dans sa jeunesse, et
+même jusqu'à un certain point dans toute sa vie, la transition d'un
+établissement paisible comme celui de Dulwich au fracas d'une grande
+école publique était assez difficile. Aussi trouvons-nous, d'après son
+propre témoignage, que, pendant les premiers dix-huit mois, <i>il haïssait
+Harrow</i>. Cependant son esprit actif et social finit par vaincre sa
+répugnance, et après avoir été, comme il le dit lui-même, <i>enfant fort
+impopulaire</i>, il parvint à se montrer le boute-en-train de tous les
+plaisirs et de toutes les espiégleries de l'école. Pour bien connaître
+ses dispositions et ses habitudes de ce tems-là, nous ne pouvons mieux
+faire que de nous en rapporter à la digne et respectable autorité du
+docteur Drury, qui était alors à la tête de l'école, et auquel Lord
+Byron a payé un tribut d'affection qui, semblable aux respectueux
+sentimens de Dryden pour le docteur Belly, uniront à jamais les deux
+noms du poète et de l'instituteur. Ce savant vénérable m'a fait passer
+le morceau suivant qui, malgré sa brièveté, présente d'importans détails
+sur l'impression que le jeune Lord fit alors sur lui.</p>
+
+<p>«Lord Byron avait treize ans et demi quand M. Hanson, son guide, vint le
+confier à mes soins. Il me fit remarquer que son éducation avait été
+négligée, et ajouta qu'il était mal préparé pour les études d'une école
+publique; mais qu'après tout il croyait à l'enfant de véritables
+dispositions. Aussitôt son départ, je pris dans mon cabinet le nouvel
+élève, et j'essayai de le faire parler, en m'informant de ses plaisirs,
+de ses habitudes, de ses amis dans son autre pension; mais je perdis
+presque entièrement mon tems, et je compris bientôt qu'on m'avait confié
+un jeune faon sauvage. Cependant il y avait de l'esprit dans ses yeux,
+et il fallait d'abord le lier d'amitié avec un enfant plus âgé, qui pût
+le familiariser avec les nouveaux objets qui l'entouraient et avec le
+système de la maison dont il allait faire partie. Mais ce qu'il apprit
+dans la conversation de son conducteur lui causa de la peine quand il
+sut que des élèves beaucoup plus jeunes que lui étaient bien plus
+avancés, et il se crut humilié de ne pouvoir rivaliser avec eux. Je m'en
+aperçus et m'empressai de le confier aux soins spéciaux de l'un des
+maîtres, comme répétiteur, en assurant l'enfant qu'il ne prendrait rang
+dans la classe qu'au moment où son travail lui permettrait de marcher
+avec ceux de son âge. Cette promesse lui plut, et dès-lors il fut plus à
+son aise avec ses camarades, car pendant un certain tems il gardait une
+sorte de timidité. Ses manières et son caractère me firent bientôt juger
+qu'il était plus facile de le conduire avec un fil de soie qu'avec un
+câble; et je me réglai sur ce principe. Après quelque séjour à Harrow,
+et comme son esprit commençait à se développer, lord Carlisle, son
+parent, exprima le désir de me voir; j'allai trouver sa seigneurie. Son
+but était de m'apprendre quels étaient les biens à venir de Byron; il me
+représenta ses espérances de fortune comme bornées, et voulut savoir
+quelle était sa capacité. Je ne fis pas d'observation sur ses premières
+confidences, et je répondis à sa question: <i>Il a des talens, milord, qui
+ajouteront de l'éclat à son rang</i>. En vérité!!! répondit sa seigneurie,
+avec un air de surprise qui n'indiquait pas, à mon avis, toute la
+satisfaction que j'en attendais. Quant à son talent pour l'art oratoire,
+voici la circonstance à laquelle vous faisiez allusion. Les hautes
+classes de l'école avaient composé de ces sortes de déclamations qui,
+après avoir été corrigées par les répétiteurs, étaient portées au
+professeur; alors ceux qui les avaient faites les répétaient, afin qu'on
+pût réformer leurs gestes et leur accent, avant qu'ils les prononçassent
+en public. Je fus, en cette occasion, enchanté de l'attitude, de la
+prononciation et des gestes de Lord Byron, non moins que de son travail
+en lui-même. Tous les jeunes orateurs ne manquaient pas de suivre à la
+lettre leur composition écrite: Lord Byron fit de même dans la première
+partie de son travail; mais à ma surprise, il s'écarta tout d'un coup de
+son manuscrit, et avec assez de hardiesse et de rapidité pour me faire
+craindre de le voir manquer de mémoire pour la conclusion. Mes alarmes
+n'étaient pas fondées, il fournit sa carrière sans hésitation et sans le
+moindre embarras. Je lui demandai, pourquoi il avait ainsi altéré sa
+composition; il me répondit qu'il n'y avait rien changé, et qu'il ne
+s'était pas aperçu qu'il s'en fût écarté le moins du monde. Je le crus,
+et d'après l'expérience que j'avais de sa manière d'être, je compris
+qu'étant plein de son sujet, il avait involontairement substitué des
+expressions et des couleurs plus vives à celles que sa plume avait
+tracées.»</p>
+
+<p>Le docteur Drury, en me communiquant ces détails, ajoute un fait qui
+atteste tout le cas que Lord Byron fit toujours des opinions de son
+vieux maître, même quand il fut au faîte de sa gloire.</p>
+
+<p>«Après ma retraite d'Harrow, je reçus de lui deux lettres pleines
+d'affection, et dans mes visites à Londres, à l'époque où ses ouvrages
+fascinaient les yeux du public, je lui demandai pourquoi il n'avait pas
+pensé à m'en faire tenir un seul, comme c'était son devoir. <i>C'est</i>, me
+dit-il, <i>parce que vous êtes le seul homme auquel je crains de les voir
+lire</i>. Puis, après un court intervalle, il ajouta: <i>Que pensez-vous du
+Corsaire</i>?»</p>
+
+<p>Maintenant je vais mettre sous les yeux du lecteur les diverses notes
+sur sa vie au collége, qu'il a consignées lui-même dans plusieurs livres
+de souvenirs. Il n'est pas besoin de dire qu'étant son ouvrage, elles
+présenteront sur ce tems les particularités les plus fidèles et les plus
+curieuses.</p>
+
+<p>«J'avais dix-huit ans, tout singulier que cela puisse paraître, avant
+d'avoir jamais lu une <i>revue</i>; mais étant à Harrow, mes connaissances,
+sur toute sorte de sujets nouveaux, étaient assez grandes pour faire
+supposer que je devais aux revues toute ma science, attendu qu'on ne me
+voyait jamais lisant, mais toujours badinant, jouant, ou occupé à
+quelque méchanceté. La vérité est que je lisais en mangeant, au lit et
+partout où nul ne lisait; et avant d'avoir cinq ans j'avais lu toutes
+sortes de livres, à l'exception d'une revue: cette exception est ce qui
+me l'a fait remarquer. Je me souviens qu'en 1804, Hunter et Curzon
+m'ayant confié l'idée qu'on avait de moi au collége à ce sujet, je les
+fis bien rire en leur demandant d'un air surpris: et qu'est-ce donc
+qu'une revue? Au reste, elles étaient alors moins répandues. Trois
+années plus tard je les connus beaucoup mieux: mais enfin j'en lus une
+pour la première fois en 1806.</p>
+
+<p>«J'ai déjà dit qu'on remarquait à l'école l'étendue et la variété de mes
+connaissances générales; mais n'ayant aucune activité sous les autres
+rapports, je pouvais bien faire d'une haleine trente ou quarante
+hexamètres grecs fidèles à la prosodie, Dieu sait comme! mais d'un
+travail soutenu j'en étais incapable. Mes dispositions étaient plutôt
+celles de l'orateur ou du guerrier que celles du poète; et c'était
+l'opinion du docteur Drury, mon grand patron et le principal du collége,
+d'après ma faconde, ma turbulence, mon organe, mon talent de gestes et
+de déclamation, que je deviendrais un jour grand orateur<a id="footnotetag25" name="footnotetag25"></a>
+<a href="#footnote25"><sup class="sml">25</sup></a>. Je me
+souviens que ma première déclamation le surprit, et qu'il m'en fit
+devant mes rivaux les plus vifs complimens à la première répétition, ce
+qui était étonnant, car il en était fort économe. Mes premiers vers de
+Harrow (j'entends vers anglais) furent la traduction d'un chœur du
+Prométhée d'Eschyles. M. Drury les reçut froidement; et personne ne
+prévoyait en moi, d'après eux, la moindre disposition poétique.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote25"
+name="footnote25"><b>Note 25: </b></a><a href="#footnotetag25">
+(retour) </a> Pour mieux développer son talent dans ce genre,
+ Byron ne manquait pas de choisir pour les jours de discours
+ les passages les plus véhémens, comme le discours de Zanga
+ sur le corps d'Alonzo et le monologue de Léar. Dans l'une de
+ ces occasions publiques, il était convenu qu'il prendrait le
+ rôle de Drancès, et le jeune Peel celui de Turnus; mais Lord
+ Byron changea tout d'un coup d'idée et préféra le rôle de
+ Latinus, craignant, comme on le supposa, d'inspirer quelque
+ allusion ridicule avec cette raillerie de Turnus: <i>Ventosa in
+ lingua, pedibusque fugacibus istis</i>.</blockquote>
+
+<p>«Peel, cet orateur et cet homme d'état (car il l'était, l'est et le
+sera), était de la même <i>forme</i> que moi; nous en tenions <i>la tête</i> tous
+deux, suivant l'expression reçue. Nous étions bien ensemble; mais son
+frère était mon ami intime. Maîtres et écoliers nous avions conçu de
+Peel les plus grandes espérances, et il ne les trompa pas.</p>
+
+<p>«Pour les connaissances classiques, il était de beaucoup au-dessus de
+moi; comme orateur et acteur; on m'estimait au moins son égal. Hors de
+l'école j'étais toujours en partie et lui jamais, tandis qu'en classe il
+savait toujours ses leçons et moi rarement; mais quand une fois je les
+savais, je les savais presque aussi bien. Du reste, en instruction
+générale, en histoire, etc., etc., je pense que je lui étais supérieur,
+aussi bien qu'à la plupart des enfans de mon âge.</p>
+
+<p>«La merveille du collége, de notre tems, était George Sinclair, fils de
+sir John; il faisait, à la lettre, les exercices de la moitié des
+écoliers, des vers à volonté et des amplifications presque malgré
+lui..... Il était de mes amis; comme nous nous trouvions dans la même
+division, il me demandait souvent de le laisser faire mes devoirs,
+faveur que je lui accordais toujours avec empressement quand ils étaient
+difficiles, ou quand j'avais à faire quelqu'autre chose, ce qui
+m'arrivait au moins une fois par heure. Du reste, son humeur était douce
+et la mienne querelleuse. Il m'arrivait souvent de me battre pour lui,
+ou de battre les autres à son intention, ou bien encore de le battre
+lui-même pour le forcer à battre les autres quand je jugeais qu'il le
+devait pour l'honneur de sa taille. D'autres fois nous parlions
+politique, sujet sur lequel il était très-fort. Nous nous aimions
+beaucoup, et je conserve encore des lettres qu'il m'a écrites de
+l'école<a id="footnotetag26" name="footnotetag26"></a>
+<a href="#footnote26"><sup class="sml">26</sup></a>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote26"
+name="footnote26"><b>Note 26: </b></a><a href="#footnotetag26">
+(retour) </a> Malheureusement ses réponses à M. Sinclair sont
+ perdues. Je tiens de ce dernier qu'il y en avait une, entre
+ autres, où Lord Byron développait toute l'ombrageuse
+ sensibilité de son caractère. Elle exprimait le ressentiment
+ d'une insulte imaginaire, et commençait par l'apostrophe
+ boudeuse de <i>monsieur</i>!</blockquote>
+
+<p>«Un autre prodige effrayant de savoir, de talent et d'espérance était
+Clayton; j'ignore ce qu'il est devenu, mais c'était réellement un génie.
+Les amitiés de collége, étaient pour moi de véritables <i>passions</i><a id="footnotetag27" name="footnotetag27"></a>
+<a href="#footnote27"><sup class="sml">27</sup></a>
+(car je n'ai jamais senti à demi), et je ne pense pas que j'en aie
+conservé une seule; mais il faut dire que plusieurs de ceux qui me les
+inspirèrent n'existent plus. Ma liaison avec lord Clare fut l'une des
+premières et des plus durables dont je me souvienne, l'éloignement ayant
+pu seul la refroidir. Jamais je n'entendis prononcer le nom de <i>Clare</i>
+sans un vif battement de cœur, et remarquez-le, j'écris encore
+aujourd'hui sous le charme de mes impressions de 1803, 1804 et 1805,
+etc., etc.»</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote27"
+name="footnote27"><b>Note 27: </b></a><a href="#footnotetag27">
+(retour) </a> Dans l'un de ses journaux, et sous la date de 1808,
+ je trouve le passage suivant de Marmontel, qui sans doute
+ l'avait frappé comme s'appliquant à l'enthousiasme de ses
+ premières liaisons. «L'amitié, qui dans le monde est à peine
+ un sentiment, est une passion dans les cloîtres.»
+ <span class="rig">(<i>Contes moraux</i>.)</span><br><br>
+</blockquote>
+
+<p>J'emprunte l'extrait suivant à un autre de ses <i>Souvenirs</i>.</p>
+
+<p>«À Harrow, je tenais bien ma place au coup de poing<a id="footnotetag28" name="footnotetag28"></a>
+<a href="#footnote28"><sup class="sml">28</sup></a>. Je crois me
+rappeler que je ne fus battu qu'une fois sur sept, et c'était avec
+H..... encore le drôle ne me battit que par l'intervention déloyale des
+gens de la maison où il mangeait, et où la scène se passait; je n'avais
+pas même de second. Je ne lui pardonnerai jamais, et je serais fâché de
+le rencontrer aujourd'hui, car certainement nous nous querellerions. Mes
+combats les plus mémorables furent avec Morgan, Rice, Raiesford et lord
+Jocelyn, mais nous restâmes toujours bons amis par la suite. J'étais un
+des enfans les moins aimés, cependant je finis par me faire respecter.
+J'ai gardé toutes mes amitiés de collége et toutes mes haines, si ce
+n'est relativement au docteur Butler, contre lequel je me révoltais, ce
+dont plus tard j'ai été fâché. Le docteur Drury, que je tourmentais
+aussi passablement, fut de tous mes amis le meilleur, le plus tendre, et
+j'ajouterai le plus sévère; je le regarde encore aujourd'hui comme un
+père.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote28"
+name="footnote28"><b>Note 28: </b></a><a href="#footnotetag28">
+(retour) </a> M. d'Israeli, dans son livre ingénieux <i>sur le
+ caractère des gens de lettres</i>, a émis l'opinion que l'un des
+ indices du génie dans les jeunes gens est le dégoût des jeux
+ et des exercices du corps. Il cite en preuve Beattie, qui
+ peint ainsi son ménestrel idéal:
+
+<p> «Il avait toujours fui le bruit, les réunions, les fatigues,
+ et ne se souciait pas de paraître dans la tumultueuse mêlée
+ des écoliers; mais les forêts avaient pour lui le plus grand
+ charme.»</p>
+
+<p> Son autorité la plus imposante est Milton, qui dit aussi de
+ lui-même:</p>
+
+<p> «Étant enfant, nul jeu d'enfant ne m'était agréable.»</p>
+
+<p> On ne peut appliquer ces règles générales, ni aux
+ dispositions ni au mérite des hommes de génie, si dans les
+ personnages cités par M. d'Israeli on reconnaît quelque
+ infirmité corporelle, et si dans plusieurs autres on peut
+ remarquer des goûts directement opposés. Une foule d'autres
+ poètes, comme Eschyles, Dante, Camoëns, se sont distingués à
+ la guerre, le plus turbulent des exercices; et si l'on est
+ obligé d'avouer qu'Horace fut mauvais cavalier, et que
+ Virgile ne savait pas jouer à la paume, on trouve d'un autre
+ côté que Dante fut aussi habile à la chasse qu'à l'escrime,
+ que Tasse sut également bien danser et manier le fleuret,
+ qu'Alfieri était bon cavalier, Klopstock bon patineur, Cowper
+ renommé dans sa jeunesse à la crosse et au ballon, et
+ qu'enfin Lord Byron excellait dans tous les exercices du
+ corps.</p></blockquote>
+
+<p>«P. Hunter, Curzon, Long et Tatersant furent les principaux objets de
+mon affection; je m'attachai encore à Clare, Dorset, C. Gordon, Debath,
+Claridge et J. Wingfield; ils étaient plus jeunes que moi, et je les
+gâtais par mon indulgence. Peut-être n'ai-je jamais aimé quelqu'un
+autant que le pauvre Wingfield, qui mourut à Coimbre en 1811, avant mon
+retour en Angleterre.»</p>
+
+<p>Un des plus frappans résultats de l'éducation en Angleterre c'est qu'on
+ne retrouve dans aucun pays autant d'exemples d'amitié vigoureuse formée
+dès l'enfance et conservée dans l'âge mûr, et que dans nulle autre
+contrée peut-être les sentimens d'affection pour la maison paternelle ne
+sont aussi rares ou du moins aussi faibles. Éloignés, comme ils le sont,
+des cercles de famille, dans un tems où leur cœur est le plus accessible
+aux sentimens affectueux, les enfans substituent naturellement aux liens
+de parenté ces amitiés de collége, qui, s'unissant ensuite aux scènes et
+aux événemens qui charmèrent leur jeunesse, conservent toujours sur eux
+la plus grande force. On peut observer des résultats tout-à-fait
+différens en Irlande, et je crois aussi en France, où le système
+d'éducation se lie mieux aux souvenirs domestiques. Là, la maison
+paternelle obtient une sorte de partage naturel et légitime dans le cœur
+des enfans; mais aussi les amitiés hors de ce cercle domestique sont en
+proportion moins vives et moins durables<a id="footnotetag29" name="footnotetag29"></a>
+<a href="#footnote29"><sup class="sml">29</sup></a>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote29"
+name="footnote29"><b>Note 29: </b></a><a href="#footnotetag29">
+(retour) </a>
+ À huit ou neuf ans, on met l'enfant à l'école, et
+ dès-lors il dévient étranger dans la maison où il est né;
+ l'affection de son père est interrompue pour lui, et les
+ sourires de sa mère, ses tendres avis, la sollicitude de ses
+ parens, ne sont plus devant ses yeux. D'année en année, il se
+ sent vers eux moins d'entraînement, et il finit par perdre
+ ses premiers sentimens au point de se trouver plus heureux
+ partout ailleurs que dans sa famille.
+ <span class="rig">(<i>Lettres de Cowper</i>.)</span><br>
+</blockquote>
+
+<p>Pour un jeune homme comme Byron, rempli des sentimens les plus
+passionnés, et ne trouvant dans la maison maternelle de sympathie
+qu'avec la portion la moins noble de sa nature, le petit univers de
+l'école devait nécessairement mettre en jeu ses affections, et leur
+donner une extension extrême. Voilà pourquoi les amitiés qu'il contracta
+au collége se ressentirent beaucoup de ce qu'il désigne lui-même comme
+des <i>passions</i>. C'est le vide de pareilles affections dans ses foyers,
+et leur vivacité parmi <i>la sociale réunion d'Ida</i>, qu'il décrit ainsi
+dans l'un de ses premiers poèmes<a id="footnotetag30" name="footnotetag30"></a>
+<a href="#footnote30"><sup class="sml">30</sup></a>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote30"
+name="footnote30"><b>Note 30: </b></a><a href="#footnotetag30">
+(retour) </a> Même avant ses liaisons de collége, il avait montré
+ la même sorte d'attachement romanesque pour un enfant de son
+ âge, fils d'un de ses fermiers de Newsteadt. Dans deux ou
+ trois de ses premiers poèmes il ne s'arrête pas moins sur
+ l'inégalité que sur la chaleur de cette amitié.
+
+<p> «Que la folie sourie, en voyant ton nom et le mien unis par
+ l'amitié; la vertu roturière a plus de droit à ce sentiment
+ que le vice anobli.</p>
+
+<p> «Bien que ton sort ne soit pas égal au mien, puisque ma
+ naissance m'appelle aux honneurs de la pairie, ne m'envie pas
+ cet éclat pompeux, un mérite modeste fait ton orgueil.</p>
+
+<p> «Nos ames du moins se rencontrent égales, ton humble
+ condition n'est point une disgrâce pour ma position élevée;
+ notre commerce n'en sera pas moins doux, puisque le mérite
+ remplace en toi la naissance.»</p>
+</blockquote>
+
+
+<p>N'y a-t-il point quelqu'autre cause qui rende ce mot d'enfance si cher à
+tout le monde? Ah! sûrement il y a une voix secrète qui nous dit tout
+bas que l'amitié sera doublement douce à celui qui est obligé de
+chercher des cœurs aimans, de les chercher hors du sein de sa famille,
+quand il ne peut les y trouver. Ces cœurs, chère <i>Ida</i><a id="footnotetag31" name="footnotetag31"></a>
+<a href="#footnote31"><sup class="sml">31</sup></a>, je les ai
+trouvés dans ton sein, tu as été pour moi une famille, un monde, un
+paradis.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote31"
+name="footnote31"><b>Note 31: </b></a><a href="#footnotetag31">
+(retour) </a> <i>Ida</i>, nom poétique de l'école d'Harrow.
+ (<i>N. du Tr.</i>)</blockquote>
+
+<p>Cette première publication est remplie des témoignages les plus touchans
+de ses amitiés de collége; il n'est pas jusqu'aux reproches qu'il
+adresse à l'un d'eux, à propos de quelques griefs, qui ne portent un
+caractère de tendresse.</p>
+
+<p>Vous saviez que mon ame, que mon cœur, que ma vie étaient à vous en cas
+de danger; vous saviez que les années et la distance ne m'avaient pas
+changé, que je n'existais que pour l'amour et l'amitié.</p>
+
+<p>Vous saviez... mais pourquoi revenir en vain sur le passé? les liens qui
+nous unissaient sont rompus. Peut-être ce souvenir vous arrachera-t-il
+un jour des larmes tardives; vous soupirerez alors en songeant à celui
+qui fut votre ami!</p>
+
+<p>La description suivante de ce qu'il éprouvait après avoir quitté Harrow,
+quand il retrouvait dans le monde quelqu'un de ses anciens camarades, se
+rapproche beaucoup de la scène qui eut lieu en Italie, quelques années
+seulement avant sa mort, quand à la vue de son cher lord Clare, après
+une longue séparation, il se sentit touché jusqu'aux larmes par les
+souvenirs qu'il réveillait en lui.</p>
+
+<p>..... Si par hasard quelque figure que je me rappelle bien, quelque
+ancien camarade de mon enfance vient, une honnête joie peinte sur la
+figure, réclamer en moi son ami; mes yeux, mon cœur, tout montre que je
+suis encore un enfant: la scène éblouissante, les groupes bruyans qui
+m'entourent disparaissent devant l'ami que je viens de retrouver.</p>
+
+<p>On a vu par les extraits de son <i>journal</i> que M. Peel était l'un de ses
+condisciples d'Harrow. La curieuse anecdote suivante, qui les concerne
+tous deux, m'a été rapportée par un ami de ce dernier, et je tâcherai de
+me rapprocher autant que possible des propres expressions du narrateur.</p>
+
+<p>Tandis que Lord Byron et M. Peel étaient à Harrow, un tyran<a id="footnotetag32" name="footnotetag32"></a>
+<a href="#footnote32"><sup class="sml">32</sup></a>, plus
+vieux de quelques années, réclama le droit de <i>basculer</i> le petit Peel,
+droit que Peel, à tort ou à raison, ne voulut pas reconnaître. Mais sa
+résistance fut vaine: le tyran non-seulement le fit fléchir, mais il
+résolut d'infliger une punition à l'esclave réfractaire. Il se mit donc
+en devoir de lui administrer une espèce de bastonnade sur la partie
+interne du bras, que durant l'opération il avait comprimé de deux
+cordes, avec un talent cruel, pour rendre la douleur plus vive. Tandis
+que les coups se succédaient rapidement et que le pauvre Peel n'en
+pouvait déjà plus, Byron aperçut et comprit de suite les tourmens de son
+ami; il savait bien qu'il n'était pas assez fort pour chercher querelle
+au tyran et que d'ailleurs il était dangereux de l'approcher; toutefois
+il s'avance vers la scène de l'action, et le visage rouge de colère, les
+yeux pleins de larmes et une voix que l'indignation et la terreur
+rendaient incertaine, il lui demanda humblement qu'il voulût bien lui
+dire combien de coups il entendait infliger. «Et que t'importe? petit
+drôle! répondit l'exécuteur.--C'est que si vous y consentiez, repartit
+Byron, en présentant son bras, j'en prendrais la moitié.» Il y a dans ce
+petit trait un mélange de simplicité et de grandeur vraiment héroïque;
+nous pouvons sourire à notre aise des amitiés d'enfance, mais il est
+rare que celles de l'âge mûr soient capables d'une générosité comparable
+à celle-ci.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote32"
+name="footnote32"><b>Note 32: </b></a><a href="#footnotetag32">
+(retour) </a> On appelle ainsi, dans les grands colléges
+ d'Angleterre, les élèves les plus anciens; ceux des dernières
+ classes sont désignés sous le nom d'esclaves. Il en était de
+ même à l'école polytechnique, il y a quelques années, et la
+ <i>bascule</i> était également une servitude qu'imposaient les
+ élèves de deuxième année à ceux de la première.
+ <span class="rib">(<i>N. du Tr.</i>)</span><br>
+</blockquote>
+
+<p>Parmi ses favoris d'école, on peut remarquer qu'un grand nombre étaient
+nobles, ou de familles nobles, tels que les lords Clare et Delaware, le
+duc de Dorset, et le jeune Wingfield. Une circonstance peut laisser
+croire que leur rang avait eu quelque part dans les motifs qui
+attirèrent Byron vers eux: un jour, celui de ses condisciples qui me
+raconta le fait, avait, en sa qualité de moniteur, mis lord Delaware sur
+sa liste de punition; Byron s'en étant aperçu, s'approcha de lui, en
+disant: «Wildman, je vois que vous avez mis Delaware sur votre liste; ne
+le faites pas frapper, je vous prie.--Pourquoi donc?--Je ne sais pas,
+mais enfin c'est mon collègue à la pairie.» Il est inutile d'ajouter que
+son intervention en pareil cas n'était rien moins qu'heureuse; car l'un
+des rares bienfaits de l'éducation publique est de faire tomber en
+quelque sorte ces distinctions artificielles, et de placer les jeunes
+plébéiens dans une égalité parfaite avec les pairs, bien que ces
+derniers puissent avoir leur revanche dans le monde.</p>
+
+<p>Il est vrai que, dans Lord Byron, le sentiment de sa supériorité
+nobiliaire était alors assez peu déguisé pour lui attirer fréquemment
+les moqueries de ses camarades; c'est, je crois, à Dulwich que son
+habitude de tirer orgueil de la prééminence qu'il trouvait dans un vieux
+baron anglais, sur tous les nouveaux pairs, lui fit donner le surnom de
+<i>vieux baron anglais</i>. Mais ce serait une erreur de croire que, soit à
+l'école, soit plus tard, il ait jamais été guidé par d'aristocratiques
+sympathies dans le choix de ses amis. Tout au contraire, suivant l'usage
+des hommes d'une extrême fierté, il préférait généralement pour <i>ses
+intimes</i>, ceux d'un rang inférieur au sien, et tels étaient presque tous
+ceux qu'il comptait à l'école parmi ses amis. D'un autre côté, ce qui le
+charmait le plus dans ses autres plus jeunes amis, c'était leur
+infériorité sous le rapport de l'âge et de la force. Elle lui permettait
+de se complaire encore dans son généreux orgueil, en prenant quand il le
+fallait, à leur égard, le rôle de protecteur.</p>
+
+<p>William Harness, qui était entré à Harrow à dix ans, tandis que Byron en
+avait quatorze, fut l'un de ceux qu'il aima le plus, par ce dernier
+motif, bien qu'il ait oublié d'en parler. Le jeune Harness, encore
+boiteux des suites d'un accident d'enfance, et à peine remis d'une
+maladie grave, était peu capable de surmonter les difficultés d'une
+école publique; Byron le vit un jour maltraité par un enfant beaucoup
+plus âgé et plus fort; il se hâta de prendre sa défense. Le lendemain,
+le petit enfant demeurait seul à l'écart; Byron vint encore à lui, et
+lui dit: «Harness, si quelqu'un te bat, dis-le-moi, et, si je puis, je
+le rosserai.» Il tint sa parole, et, dès ce moment, le protecteur et le
+protégé devinrent, malgré leur différence d'âge, des amis inséparables.
+Cependant leur amitié subit un refroidissement auquel Lord Byron, dans
+une lettre écrite après six ans, fait allusion avec tant de sensibilité,
+de franchise et de délicatesse, que je ne puis m'empêcher d'anticiper la
+date, et d'en donner ici un extrait.</p>
+
+<p>«Nous paraissons tous deux nous rappeler parfaitement, avec un mélange
+de plaisir et de regret, les jours que nous passions ensemble; et je
+vous jure bien sincèrement que je les compte au nombre des plus heureux
+de mes courts instans de bonheur. Maintenant je touche à ma majorité,
+c'est-à-dire que j'ai vingt ans et un mois; encore un an, et je
+parcourrai dans le monde ma carrière de folie. Alors j'avais quatorze
+ans: vous étiez presque le premier de mes amis d'Harrow, le premier
+certainement en estime, sinon en date; mais une assez longue absence
+d'Harrow, et de votre part de nouvelles liaisons, le contraste de votre
+conduite (décidément tout à votre avantage) et de ces habitudes
+turbulentes et querelleuses qui m'entraînèrent dans tous les genres de
+désordres, toutes ces circonstances se réunirent pour détruire une
+intimité que l'affection me pressait de continuer, et que la mémoire
+m'obligeait de regretter amèrement. Mais il n'est pas une particularité
+de cette époque, pas même une seule de nos conversations, qui ne reste
+encore aujourd'hui gravée dans mon esprit. Je n'en dirai pas davantage:
+cette assurance seule vous prouvera que si je n'y avais pas attaché de
+prix, je ne me souviendrais pas aussi bien de tout cela. Comme je me
+rappelle la lecture de vos <i>premiers essais</i>! Une autre circonstance que
+vous ignorez, c'est que les <i>premiers vers</i> que j'essayai de faire à
+Harrow vous étaient adressés, vous deviez les voir; mais Sinclair en
+avait gardé la copie quand nous allâmes en vacance, et à notre retour
+nous avions cessé d'être liés; ils furent détruits, et certes ce ne fut
+pas une grande perte. Par ce fait, vous pouvez juger de mes sentimens à
+un âge où l'on ne saurait être hypocrite.</p>
+
+<p>«Je me suis arrêté plus que je ne pensais sur ce sujet, et je finirai
+par où j'aurais dû commencer. Nous étions autrefois amis, nous l'avons
+même toujours été, car notre séparation fut l'effet du hasard et non du
+refroidissement. J'ignore où notre destinée doit nous conduire l'un et
+l'autre; mais si l'occasion et quelque penchant vous décident à jeter
+une pensée sur un écervelé de mon espèce, vous me trouverez toujours
+sincère, et jamais assez aveugle sur mes défauts pour envelopper les
+autres dans leurs conséquences. Voulez-vous m'écrire quelquefois? Je ne
+dis pas souvent; mais enfin, si nous nous retrouvons, j'espère que nous
+serons l'un pour l'autre ce que nous <i>devions</i> être et ce que nous
+<i>étions</i>.»</p>
+
+<p>Une autre preuve aussi forte de la vivacité de ses impressions de
+jeunesse, c'est, quand ses amis ont gardé un si petit nombre de ses
+anciennes lettres, le soin avec lequel il conserva toutes celles que lui
+adressèrent les principaux d'entr'eux, même les plus jeunes. Et si
+quelquefois ses correspondans oubliaient de dater leurs missives, sa
+fidèle mémoire, après plusieurs années d'intervalle, suppléait à leur
+oubli. Parmi ces souvenirs qu'il conservait si précieusement, il en est
+un qu'il serait injuste de ne pas citer, soit comme monument de
+l'énergie qui brillait au milieu de son langage enfantin, soit en
+mémoire des tendres et affectueux sentimens que leur lecture réveillait,
+comme on le verra plus tard, dans l'ame de Byron.</p>
+
+<p class="mid">À LORD BYRON, etc., etc.<br><span class="rig">
+
+Harrow-la-Montagne, 28 juillet 1805.</span><br></p>
+
+<p>«Puisque vous avez paru assez peu mon ami pour me <i>dire des noms</i> toutes
+les fois que vous me rencontriez ces jours derniers, je vous demande une
+explication, et je désire savoir si vous voulez que nous soyons aussi
+bons amis qu'auparavant. J'ai bien vu que ce mois-ci vous m'aviez
+absolument laissé là, sans doute pour vos nouvelles connaissances; mais
+il ne faut pas croire, parce que vous aurez dans la tête un caprice
+quelconque, que je reviendrai toujours à vous, comme certains autres le
+font, pour regagner votre amitié. Ne pensez pas que je sois votre ami
+par intérêt, et parce que vous êtes plus grand ou plus âgé que moi: non,
+cela n'est pas, et ne sera jamais. J'étais votre ami, et je ne le suis
+encore qu'à une condition: c'est qu'en me voyant vous ne me <i>direz plus
+des noms</i>. Vous avez bien vu, j'en suis sûr, que je n'aimais pas cela;
+pourquoi donc le faisiez-vous, si ce n'est parce que vous ne voulez plus
+être mon ami? et pourquoi le resterais-je, si vous me traitez mal? Je ne
+tiens à rien de pareil; vous pouvez bien laisser les autres m'attaquer,
+mais si vous vous moquez de moi, je serai bien plus malheureux.</p>
+
+<p>«Je ne suis pas un hypocrite, Byron, et je ne le serai jamais assez pour
+rester votre ami quand vous me <i>direz des noms</i>. Personne ne dira, j'en
+suis sûr, que je me sois abaissé pour regagner une amitié dont vous ne
+voulez plus. Pourquoi le ferais-je? ne suis-je pas votre égal? Quel
+intérêt y aurais-je? Quand vous me retrouverez dans le monde
+(c'est-à-dire si vous le voulez), vous ne pourrez m'avancer ou me
+protéger, ni moi vous. Je vous engage donc et vous demande, si vous
+tenez à mon amitié (ce qui n'est pas, à en juger par votre conduite), à
+ne pas me donner les noms que vous faites, ni à vous moquer de moi.
+Jusqu'alors il me sera impossible de vous nommer mon ami. Je vous serai
+obligé de me répondre de suite.</p>
+
+<p>«En attendant, je demeure votre...</p>
+
+<p class="mid">»Je ne puis dire votre ami.»</p>
+
+<p>Sur le dos de cette lettre était la note suivante, de la main de Byron:</p>
+
+<p>«Cette lettre et une seconde furent écrites à Harrow par mon <i>alors</i> et
+toujours cher ami Lord de ***, quand nous étions camarades d'études. Il
+me les adressa à la suite de je ne sais plus quel malentendu, le seul
+qui s'éleva jamais entre nous; il fut d'ailleurs de courte durée, et je
+ne conserve cette lettre que pour la lui rappeler quand je le verrai,
+afin que nous puissions rire au souvenir de l'insignifiance de notre
+première et dernière querelle.»<br>
+
+<span class="rig">BYRON.</span><br></p>
+
+<p>On retrouve dans une lettre du même enfant, écrite deux années plus
+tard<a id="footnotetag33" name="footnotetag33"></a>
+<a href="#footnote33"><sup class="sml">33</sup></a>, ces passages remarquables:</p>
+
+<p>«Votre dernière lettre m'a fait penser que vous étiez extrêmement piqué
+contre la plupart de vos amis, et même un peu contre moi, si je ne me
+trompe. Vous dites d'un côté: <i>Il n'est presque pas douteux que peu
+d'années ou de mois nous rendront aussi indifférens l'un à l'autre, que
+si nous n'avions pas passé ensemble une partie de notre vie</i>. En vérité,
+Byron, vous me faites injure, et je n'ai pas de doute, au moins je
+l'espère, que vous ne vous calomniiez vous-même.»</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote33"
+name="footnote33"><b>Note 33: </b></a><a href="#footnotetag33">
+(retour) </a> D'autres lettres encore offrent de curieuses
+ preuves de la sensibilité jalouse et passionnée de Byron.
+ Dans l'une d'elles, par exemple, nous voyons qu'il s'était
+ offensé que son jeune ami lui eût écrit <i>mon cher Byron</i> au
+ lieu de <i>mon très-cher</i>; et dans une autre, qu'il avait eu de
+ la jalousie de quelques expressions échappées à son ami, à
+ l'occasion du départ de Lord John Russell pour l'Espagne.
+ «Vous me dites, lui répond-on, que jamais vous ne me vîtes
+ agité comme quand j'écrivis ma dernière lettre; pensez-vous
+ que j'eusse tort? J'avais reçu une lettre de vous le samedi,
+ où vous me disiez que vous quittiez l'Angleterre au mois de
+ mars pour six ans; et le lundi John Russell partait pour
+ l'Espagne. Mais pouvez-vous imaginer que je fusse plus triste
+ au sujet de Lord Russell, qui s'en va pour quelques mois, et
+ de qui j'aurai constamment des nouvelles, que relativement à
+ vos six années de voyage au bout du monde, pendant lesquelles
+ j'entendrai à peine parler de vous, et qui peut-être
+ m'empêcheront de vous revoir jamais? J'éprouve une véritable
+ peine de ce que vous me dites, que je dois vous excuser si
+ vous êtes jaloux de me voir plus affecté du départ d'un ami
+ qui était près de vous que de celui qui était éloigné. Il est
+ impossible que vous ayez pu croire un moment que l'absence de
+ John m'affectât plus que la vôtre. Je finis donc sur ce
+ sujet.»</blockquote>
+
+<p>Malgré ces habitudes de jeux et de paresse qui semblaient l'indice d'une
+certaine absence d'idées et de réflexions, il y avait des momens où le
+jeune poète rentrait profondément en lui-même et se livrait à des
+méditations incompatibles avec l'enjouement et l'insouciance de son âge.
+On montre encore dans le cimetière d'Harrow une tombe élevée, d'où la
+vue plane sur Windsor; c'était l'endroit favori où l'on savait si bien
+qu'il aimait à s'arrêter, que les enfans l'appelaient <i>la tombe de
+Byron</i><a id="footnotetag34" name="footnotetag34"></a>
+<a href="#footnote34"><sup class="sml">34</sup></a>, et c'est là, dit-on, qu'il demeurait des heures entières
+abîmé dans ses pensées, ruminant dans la solitude ses premières
+inspirations sublimes et passionnées, et parfois, peut-être, entrevoyant
+déjà cet avenir de gloire qui lui inspirait, à peine âgé de quinze ans,
+ces vers remarquables:</p>
+
+<p><i>Mon nom seul sera mon épitaphe</i>. S'il ne suffit pour honorer ma cendre,
+qu'aucune autre gloire ne me soit accordée en récompense. On ne doit
+voir que ce nom, ce nom seul sur mon tombeau; illustré par lui, ou comme
+lui à jamais oublié.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote34"
+name="footnote34"><b>Note 34: </b></a><a href="#footnotetag34">
+(retour) </a> C'est à cette tombe que se rapporte ce passage des
+ <i>souvenirs d'enfance</i>, qui font partie de ses œuvres
+ inédites:
+
+<p> «Souvent, quand, oppressé de tristes pressentimens, je
+ m'asseyais incliné sur notre tombe favorite.»</p>
+</blockquote>
+
+<p>Il passa quelque tems à Bath avec sa mère, pendant l'automne de 1802,
+et, quoique bien jeune, il prit assez de part aux plaisirs de ces lieux.
+Il parut dans un bal masqué, donné par lady Riddel, sous le costume d'un
+jeune Turc; modèle anticipé, quant à la beauté et au costume, de son
+jeune Sélim de la <i>Fiancée d'Abydos</i>. Au moment d'entrer dans la maison,
+quelqu'un de la foule essaya d'arracher le diamant qui attachait le
+croissant de son turban, mais l'un de ceux qui l'accompagnaient
+s'aperçut à tems de cette tentative de vol. La dame qui m'apprit cette
+anecdote, et qui voyait beaucoup alors Mrs. Byron, a bien voulu ajouter
+à son récit les remarqués suivantes: «J'ai vu beaucoup Lord Byron à
+Bath; sa mère m'a invité souvent à prendre le thé avec elle; il était
+toujours fort plaisant et original; quand la conversation tombait sur
+ses amis absens, il montrait un léger penchant à la satire, auquel plus
+tard il s'abandonna, comme chacun sait, avec une liberté entière.»</p>
+
+<p>Nous touchons maintenant à un événement qui, d'après sa profonde
+conviction, exerça sur sa vie et son caractère une influence vive et
+durable.</p>
+
+<p>Ce fut en 1803, que son cœur, déjà deux fois éprouvé, comme nous l'avons
+vu, par d'enfantines impressions d'amour, conçut un attachement qui,
+jeune comme il était encore, domina ses facultés au point de colorer
+d'une teinte particulière le reste de ses jours. Que les passions
+malheureuses soient en général les plus durables, c'est une triste
+vérité qui, pour être confirmée, n'avait pas besoin de ce nouvel
+exemple; mais peut-être faut-il attribuer à la même circonstance
+l'innocence parfaite de cet attachement pour miss Chaworth, qui le
+distingua, sans jamais l'effacer de son cœur, de tous ceux qui le
+suivirent. Comme c'est le seul sentiment du même genre dont les détails
+puissent être suivis sans dangers, ou dont les résultats, bien que
+douloureux, puissent être racontés, nous pensons qu'on s'y arrêtera avec
+plaisir.</p>
+
+<p>Mrs. Byron, en partant de Bath, vint séjourner à Nottingham, Newsteadt
+étant en ce tems-là loué à lord Grey de Ruthen; et pendant les vacances
+de Harrow, son jeune fils vint l'y rejoindre. Tel était son attachement
+pour Newsteadt, que c'était même un plaisir pour lui d'être dans son
+voisinage; aussi, avant d'avoir fait la connaissance de lord Grey, il
+lui arrivait souvent de passer la nuit dans une petite maison contiguë à
+la grande porte et qu'on appelle encore à présent la hutte<a id="footnotetag35" name="footnotetag35"></a>
+<a href="#footnote35"><sup class="sml">35</sup></a>; mais
+bientôt des rapports d'amitié s'établirent entre son noble locataire et
+lui, et dès-lors il eut toujours à son service un appartement dans
+l'abbaye. Comme il avait, peu de tems auparavant, été présenté à Londres
+à la famille de miss Chaworth, qui, actuellement, résidait à Annesley,
+dans le voisinage immédiat de Newsteadt, il renouvela bientôt
+connaissance avec elle. La jeune héritière elle-même joignait à tous les
+avantages sociaux qui l'environnaient une grande beauté et les
+dispositions les plus aimables et les plus séduisantes.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote35"
+name="footnote35"><b>Note 35: </b></a><a href="#footnotetag35">
+(retour) </a> Je tiens ce fait de l'un des vieux domestiques de
+ Newsteadt, mais je ne dissimulerai pas que d'autres n'aient
+ révoqué en doute ces haltes nocturnes à <i>la hutte</i>.</blockquote>
+
+<p>Le jeune poète avait déjà remarqué ses charmes; mais ce fut seulement à
+l'époque où nous sommes arrivés, comme il était dans sa seizième année
+et miss Chaworth dans sa dix-huitième, qu'il semble en avoir été
+complètement ébloui. Six courtes semaines d'été, écoulées près d'elle,
+suffirent pour éveiller une passion qui dura toute sa vie.</p>
+
+<p>D'abord, bien qu'on lui offrît un lit à Annesley, il avait l'habitude de
+revenir chaque nuit à Newsteadt, et le motif qu'il alléguait était sa
+frayeur des tableaux de famille des Chaworth, qui, s'imaginait-il,
+l'avaient pris en grippe en souvenir du duel de son oncle, et se
+seraient détachés la nuit de leurs cadres pour le tourmenter. À la fin
+il dit gravement un soir à miss Chaworth et à sa cousine: «La dernière
+nuit, en m'en retournant, j'ai vu un <i>bogle</i>.» Comme ce dernier mot
+écossais était complètement inintelligible pour les jeunes dames, il
+leur fit entendre que c'était un revenant, et qu'il ne voulait pas ce
+soir-là retourner à Newsteadt. À compter de là, il coucha toujours à
+Annesley jusqu'à ce que ses visites furent interrompues par une courte
+excursion à Matlock et à Castleton, dans laquelle il eut le bonheur
+d'accompagner miss Chaworth et ses parens. Voici la curieuse notice que
+l'on trouve de ce voyage dans l'un de ses livres-journaux:</p>
+
+<p>«J'avais quinze ans quand il m'arriva, dans une caverne du duché de
+Derby, de traverser dans une barque, où deux personnes seulement
+pouvaient rester couchées, un ruisseau qui coulait sous une roche; cette
+dernière était tellement proche de l'eau, que nous fûmes obligés de
+faire pousser la barque par un conducteur enfumé, espèce de Caron, qui
+se tenait derrière, entièrement courbé dans l'eau. J'avais alors pour
+second M. A. C., dont j'avais été passionnément amoureux sans le lui
+dire, mais non pas sans qu'elle le découvrît. Je me rappelle mes
+sensations, mais je ne puis les décrire. Notre société se composait de
+Mrs. W., des deux miss W...s, de M. et Mrs. Cl...ke, de miss R. et de ma
+M. A. C. Hélas! pourquoi dire <i>ma</i>? Notre mariage aurait apaisé des
+haines qui avaient fait couler le sang de nos pères; il aurait réuni des
+propriétés vastes et riches; au moins aurait-il réuni un seul cœur et
+deux êtres assez bien assortis pour l'âge (elle avait deux ans de plus
+que moi), et... et... et... qu'en est-il résulté?»</p>
+
+<p>Miss Chaworth prenait ordinairement part aux danses du soir, à Matlock,
+tandis que son amant restait à la contempler, solitaire et mécontent. Il
+est possible que le dégoût qu'il exprima toujours pour ce genre de
+plaisir soit venu de quelque sentiment amer éprouvé dans sa jeunesse en
+voyant la <i>dame de son cœur</i> conduite par d'autres à la danse joyeuse
+dont lui-même était exclu. Un jour que la jeune héritière d'Annesley
+avait eu pour cavalier une personne qu'elle n'avait jamais vue, Byron
+lui dit, d'un air de dépit, quand elle vint reprendre sa place:
+«J'espère que vous aimez votre nouvel ami.» Ces paroles étaient à peine
+prononcées, qu'il se vit accosté par une dame écossaise, d'une tournure
+déplaisante, qui vint se recommander à lui comme cousine, et qui,
+mettant son orgueil à la torture à force de manières et d'expressions
+vulgaires, décida la belle miss Chaworth à lui dire à son tour à
+l'oreille: «J'espère que vous aimez votre nouvelle amie.» À Annesley, il
+passait la plus grande partie de son tems à faire des courses à cheval
+avec miss Chaworth et sa cousine, ou plongé dans une morne rêverie, les
+mains occupées de son mouchoir; ou bien tirant contre une porte qui
+donne sur la terrasse, et qui conserve encore les vestiges de ses
+balles. Mais son plus grand plaisir était de s'asseoir auprès de miss
+Chaworth lorsqu'elle faisait de la musique; son air favori était la
+jolie chanson galloise <i>Maryanne</i>, sans doute principalement à cause de
+son nom. Pendant tout ce tems, il avait la douleur de voir celle qu'il
+aimait, entièrement occupée d'un autre amour; et comme il le dit
+lui-même:</p>
+
+<p>«Ses soupirs n'étaient pas pour lui: pour elle il était un frère, mais
+rien de plus.»</p>
+
+<p>Il n'est pas même probable, si le cœur de miss Chaworth eût été libre,
+que Lord Byron eût été choisi par elle comme un objet d'attachement.
+Deux ans de plus donnent à une jeune fille une avance dans la vie,
+contre laquelle un homme ne peut pas lutter. Miss Chaworth ne voyait
+dans Byron qu'un collégien: ses manières étaient d'ailleurs alors dures
+et peu sociables; elles n'avaient, comme je l'ai entendu répéter vingt
+fois, rien de flatteur pour les jeunes filles de son âge. Si dans un
+moment d'illusion il s'était flatté d'inspirer quelque amour à la jeune
+miss, il dut être bientôt désabusé par une circonstance notée dans ses
+<i>Mémoires</i> comme l'une des plus douloureuses humiliations auxquelles son
+infirmité l'eût exposé. Il entendit un jour miss Chaworth dire à sa
+femme de chambre: «Pouvez-vous croire que je me soucie jamais de ce
+petit boiteux?» Ces mots, comme il l'a rappelé lui-même, furent un coup
+de foudre pour lui. Il était nuit fermée quand il les entendit; mais il
+sortit à l'instant de la maison, et, sans rien voir devant lui, il
+courut sans s'arrêter jusqu'à Newsteadt.</p>
+
+<p>La peinture qu'il a faite de cet amour, dans l'un de ses plus touchans
+poèmes, <i>le Songe</i>, montre comment le génie et la sensibilité peuvent
+élever les réalités de cette vie, et donner un lustre immortel aux
+objets et aux événemens les plus communs. Sous le nom de l'<i>antique
+oratoire</i>, la vieille salle d'Annesley rappellera long-tems à
+l'imagination la vierge et l'adolescent qui s'y trouvèrent une fois
+réunis; tandis que l'image du coursier de l'amant, bien que le type en
+ait été la race laborieuse et peu poétique des chevaux de Nottingham,
+ajoute encore aux charmes généraux de la scène, et jette sur le tableau
+une portion de la lumière que le génie seul peut à son gré répandre.</p>
+
+<p>Au reste, dès cet âge encore tendre, il paraît avoir eu assez
+d'expérience de la vie galante pour savoir comment les premiers trophées
+peuvent conduire en amour à de nouvelles conquêtes; il se glorifiait
+souvent, auprès de miss Chaworth, d'un nœud de cheveux que lui avait
+donné quelque beauté sensible (sans doute cette jolie cousine dont il
+parle avec tant de chaleur dans l'une des notes que nous avons citées).
+Déjà, et il ne l'ignorait pas, il avait la beauté qui, malgré quelque
+tendance à l'excessif embonpoint de sa mère, lui promettait cette
+expression particulière qui donnait à ses traits tant de finesse et tant
+de charme. Mais avec les fêtes de l'été finit le rêve de sa jeunesse: il
+ne vit plus qu'une fois miss Chaworth l'année suivante, et il lui dit un
+dernier adieu, comme il le racontait souvent, sur cette montagne près
+d'Annesley, qu'il a si bien décrite dans son poème du <i>Songe</i>, comme
+étant <i>couronnée d'un particulier diadême</i><a id="footnotetag36" name="footnotetag36"></a>
+<a href="#footnote36"><sup class="sml">36</sup></a>. Personne, à l'entendre,
+n'aurait pu deviner tout ce qu'il éprouvait, car sa contenance était
+calme et ses sentimens comprimés. «La première fois que je vous
+reverrai, lui dit-il en la quittant, vous serez sans doute Mrs.
+Chaworth<a id="footnotetag37" name="footnotetag37"></a>
+<a href="#footnote37"><sup class="sml">37</sup></a>?--Je l'espère;» telle fut sa réponse. C'était avant cette
+entrevue qu'il avait écrit au crayon, dans un volume des lettres de Mme
+de Maintenon, qui appartenait à la jeune miss, les vers suivans:</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote36"
+name="footnote36"><b>Note 36: </b></a><a href="#footnotetag36">
+(retour) </a> Parmi les vers inédits en ma possession, je trouve
+ les fragmens suivans, écrits quelque tems après cette époque:
+
+<p> «Collines d'Annesley, arides et nues, dans lesquelles s'égara
+ mon enfance imprudente, comme les tempêtes du nord grondent
+ et mugissent au-dessus de vos ombrages touffus! Aujourd'hui
+ les heures ne s'écoulent plus délicieusement dans ces
+ promenades chéries; le sourire de Marie ne fait plus de vous
+ un paradis pour moi.»</p></blockquote>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote37"
+name="footnote37"><b>Note 37: </b></a><a href="#footnotetag37">
+(retour) </a> Son mari prit en effet, pendant quelque tems, le
+ surnom de Chaworth.</blockquote>
+
+<p>Cesse, ô mémoire! de me tourmenter. Le présent est aujourd'hui décoloré
+pour moi: l'avenir ne m'offre plus d'espérances; et quant au passé, par
+pitié, cache-le-moi. Pourquoi ramener devant mes yeux ces images de ce
+que je ne reverrai pas? pourquoi me représenter ces délicieux instans à
+jamais évanouis? Le plaisir passé augmente la peine présente; le regret
+de ce qui n'est plus se joint à la douleur de ce qui est. Espérances,
+regrets, vous n'êtes plus que de vains mots: je ne demande plus qu'à
+vous oublier.</p>
+
+<p>L'année suivante, miss Chaworth épousa l'heureux rival de Byron. M. John
+Muster, l'un de ceux qui se trouvaient présens quand il en reçut la
+première nouvelle, raconte ainsi ce qui se passa alors en lui: «J'étais
+présent quand il apprit ce mariage, sa mère lui dit: <i>Byron, j'ai à vous
+apprendre une nouvelle.--Eh bien, qu'est-ce?--D'abord, tirez votre
+mouchoir, car vous en aurez besoin.--Quelle absurdité!--Prenez, dis-je,
+votre mouchoir</i> (il le fit pour lui plaire), <i>miss Chaworth est mariée</i>.
+À ces mots une expression singulière et impossible à décrire se peignit
+sur sa pâle figure; il remit violemment son mouchoir dans sa poche,
+puis, avec une affectation de froideur et de nonchalance: <i>Est-ce là
+tout?</i> dit-il.--<i>Comment, je m'attendais à vous voir accablé de
+douleur.</i> Il ne répondit rien, et bientôt après il ouvrit la
+conversation sur un autre sujet.»</p>
+
+<p>Sa vie d'Harrow présente les mêmes particularités. Pendant toute sa
+durée, comme il le dit lui-même, il était toujours jouant, se
+révoltant<a id="footnotetag38" name="footnotetag38"></a>
+<a href="#footnote38"><sup class="sml">38</sup></a>, <i>ramant</i> et se livrant à toute sorte d'espiègleries.
+L'esprit de révolte dont il parle ici (bien qu'il n'ait jamais été
+jusqu'à lui inspirer des actes de violence) se manifesta à l'occasion de
+la retraite du docteur Drury, quand, à la place vacante, se présentèrent
+les trois candidats, Mark Drury, Evans et Butler. Dans le premier
+mouvement auquel cette rivalité donna lieu parmi les écoliers, le jeune
+Wildman se montra à la tête du parti de Mark Drury, tandis que Byron
+avait commencé par rester neutre. Mais dans l'espérance de l'avoir pour
+allié, l'un des membres de la faction Drury dit à Wildman: «Byron, je le
+sais, ne se joindra pas à nous, parce qu'il ne veut jamais de la seconde
+place; mais vous pourriez, en lui donnant la première, vous l'assurer.»
+Wildman suivit cet avis, et Byron prit en effet le commandement de la
+faction.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote38"
+name="footnote38"><b>Note 38: </b></a><a href="#footnotetag38">
+(retour) </a> Gibbon, parlant des écoles publiques, dit: «La
+ scène comique d'une révolte de collége fait connaître, sous
+ leur véritable point de vue, les ministériels et les
+ indépendans de la génération nouvelle.» Mais de pareils
+ pronostics ne sont pas toujours sûrs; ainsi le doux et
+ paisible Addisson fut, étant au collége, chef d'un
+ soulèvement.</blockquote>
+
+<p>La violence qu'il mit dans son opposition au choix que l'on fit de
+Butler, et surtout la vive affection qui l'unissait au dernier maître,
+contribuèrent à aigrir les relations qu'il eut avec le nouveau directeur
+pendant le reste de son séjour à Harrow. Par malheur, Byron résidant
+dans les appartemens de Butler, les occasions de mésintelligence étaient
+on ne peut plus fréquentes. Un jour le jeune rebelle, dans un accès de
+défiance, arracha tous les grillages des fenêtres de la salle; et quand
+le docteur lui demanda le motif de cette violence, il répondit, avec un
+grand sang-froid: «Parce qu'ils obscurcissent la salle.» Une autre fois
+il lui avoua hardiment la haine qu'il avait contre lui. Ce fut long-tems
+la coutume que le maître, à la fin de chaque terme, invitât à dîner les
+élèves les plus âgés; et cette faveur, semblable aux invitations
+royales, était en général regardée comme un ordre. Lord Byron cependant
+y répondit par un refus; cela surprit beaucoup le docteur Butler, et, à
+la première occasion, il lui en demanda le motif devant les autres
+élèves: «Aviez-vous quelque autre engagement?--Non, monsieur.--Mais vous
+aviez donc une raison, Lord Byron?--J'en avais.--Et laquelle?--Parce que
+(répliqua le jeune pair avec une fierté composée) s'il vous arrivait de
+passer dans mon voisinage tandis que je serais à Newsteadt, je ne
+songerais certainement pas à vous inviter à dîner; en conséquence, je ne
+dois pas accepter une pareille invitation de votre part.» En général
+l'idée qu'avaient de lui ses professeurs à Harrow était celle d'un
+enfant paresseux, qui ne voulait jamais rien apprendre; et si l'on fait
+attention à ses habitudes ordinaires, on avouera que cette réputation
+n'était pas dépourvue de fondement. Il est impossible de jeter les yeux
+sur les livres dont il se servait, et qui sont couverts de translations
+interlignées, sans être frappé de l'absence de son attention. Les mots
+grecs les plus ordinaires ont leur traduction anglaise barbouillée à
+leur côté, et cette circonstance prouve bien qu'il ne les connaissait
+pas assez pour les traduire de mémoire. Ainsi, dans son Xénophon, nous
+trouvons νεοι, <i>jeunes</i>, σωμασιν, <i>corps</i>, ανθρωποις τοις αγαθοις, <i>bons hommes</i>, etc., etc.; et même, dans les
+volumes de pièces grecques qu'il vendit en partant à la bibliothèque du
+collége, nous remarquons, entre autres exemples, le mot usuel χρυσος flanqué de son synonyme anglais (or).</p>
+
+<p>Mais quelque faibles que fussent ses progrès dans les matières purement
+scolastiques auxquelles nous consacrons en pure perte une si précieuse
+portion de la vie<a id="footnotetag39" name="footnotetag39"></a>
+<a href="#footnote39"><sup class="sml">39</sup></a>, il n'en montrait pas moins des dispositions
+merveilleuses pour tous les genres variés d'instruction qui ne sont
+utiles que dans le monde. Né avec un esprit trop scrutateur et trop
+vagabond pour être facilement emprisonné dans des limites déterminées,
+il s'attachait à des sujets qui déjà intéressaient ses goûts virils, et
+que ne pouvait comprendre l'esprit purement pédantesque d'une école;
+mais ses accès irréguliers et violens de travail, dans cette direction,
+donnaient à son intelligence une impulsion bien plus haute que celle de
+ses condisciples les plus laborieux. La liste qu'il a faite de tous les
+ouvrages divers dont il avait à la hâte, et de son propre choix, dévoré
+les pages, avant d'atteindre sa quinzième année, est tellement
+considérable, qu'on a de la peine à y ajouter foi; et elle présente une
+telle masse de recherches, qu'elle pourrait défier les plus vieux
+<i>helluones librorum</i>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote39"
+name="footnote39"><b>Note 39: </b></a><a href="#footnotetag39">
+(retour) </a> Il est déplorable de songer à la perte de tems que
+ l'on fait subir aux enfans dans la plupart des colléges, en
+ les occupant pendant six ou sept ans à apprendre seulement
+ des mots, et encore d'une manière fort imparfaite.
+ <span class="rig">(<span class="sc">Cowley</span>, <i>Essai</i>.)</span><br>
+
+<p> Si un Chinois entendait parler de notre système d'éducation,
+ ne supposerait-il pas que nous destinons tous nos jeunes gens
+ à professer des langues mortes dans les pays étrangers, et
+ non pas à faire jamais usage de la nôtre?
+ <span class="rig">(<span class="sc">Locke</span>, <i>sur l'Éducation</i>.)</span></p><br>
+</blockquote>
+
+<p>Il ne faut pourtant pas croire, d'après l'étendue et l'activité de son
+esprit, que Byron pût de lui-même choisir une direction privilégiée;
+quel que soit, en effet, le plan d'instruction d'un jeune homme de
+talent dans les grandes écoles et dans les universités d'Angleterre, il
+ne suppléera pas complètement à ce qui lui manque sous le rapport
+intellectuel, et pourra même l'exposer à des écarts embarrassans et
+dangereux<a id="footnotetag40" name="footnotetag40"></a>
+<a href="#footnote40"><sup class="sml">40</sup></a>. Dans la difficulté ou même l'impossibilité absolue qu'il
+trouvera à combiner l'acquisition des connaissances pratiques avec les
+études de l'antiquité qui lui sont nécessaires pour obtenir les honneurs
+scolastiques, il devra choisir ou de porter toute son attention et ses
+vœux vers ce dernier objet, et alors il n'aura aucune idée de tout ce
+qui doit lui servir le plus dans le monde; ou d'adopter comme Lord Byron
+et d'autres personnages distingués le système contraire, et consentir à
+passer à l'école pour un élève incapable et paresseux, afin de se
+préparer des moyens de supériorité dans le monde.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote40"
+name="footnote40"><b>Note 40: </b></a><a href="#footnotetag40">
+(retour) </a> Un excellent écolier peut quitter les bancs de
+ Westminster ou d'Eton dans une ignorance complète du train de
+ vie et de la conversation du monde anglais, vers la fin du
+ dix-huitième siècle.
+ <span class="rig">(<span class="sc">Gibbon</span>.)</span><br>
+</blockquote>
+
+<p>Les <i>souvenirs</i> inscrits par le jeune poète dans ses livres d'école
+peuvent nous permettre de croire que dans un âge si tendre il prévoyait
+déjà vaguement que tout ce qui se rapportait à lui deviendrait par la
+suite un objet d'intérêt et de curiosité. La date de son entrée à
+Harrow<a id="footnotetag41" name="footnotetag41"></a>
+<a href="#footnote41"><sup class="sml">41</sup></a>, le nom des enfans qui furent ses moniteurs, la liste des
+chefs de classe parmi ses condisciples sous le docteur Drury<a id="footnotetag42" name="footnotetag42"></a>
+<a href="#footnote42"><sup class="sml">42</sup></a>, tout y
+est noté avec la dernière minutie, et comme pour former des points de
+retour pour l'histoire de sa vie. Un exemple touchant suffira pour
+montrer qu'il lui arriva plus d'une fois de s'arrêter à ces idées. Nous
+trouvons sur la première page de ses <i>Scriptores græci</i> la suivante note
+écrite à la main: «George Gordon Byron, vendredi 26 juin, a. d. 1805,
+trois heures trois quarts de l'après-midi, classe de troisième, Calvert
+moniteur, Tem, Wildman à ma gauche et Long à ma droite.
+Harrow-la-Montagne.» Et sur la même feuille se trouve le commentaire
+suivant, écrit cinq ans plus tard:</p>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p class="i14"> <i>Eheu fugaces, Posthume! Posthume!</i></p>
+<p class="i14"> <i>Labuntur anni</i>.</p>
+</div></div>
+
+<p>B., 9 janvier 1809.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote41"
+name="footnote41"><b>Note 41: </b></a><a href="#footnotetag41">
+(retour) </a>
+ Byron, Harrow-la-Montagne, dans le Middlesex,
+ <i>alumnus scholæ lyonensis privus, in anno domini</i> 1801,
+ <i>Ellison duce</i>.
+
+<p> Moniteur en 1801: Ellison, Royston, Hunxman, Rashleigh,
+ Rokeby, Leigh.</p>
+</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote42"
+name="footnote42"><b>Note 42: </b></a><a href="#footnotetag42">
+(retour) </a>
+ Chefs de classe de Drury, 1804: Byron, Drury,
+ Sinclair, Clare, Bolder, Annesley, Calvert, Strong, Acland,
+ Gordon, Drummond.</blockquote>
+
+<p>«Des quatre personnes dont les noms sont ici mentionnés, l'une est
+morte, une autre est dans un climat lointain: tous sont séparés: il n'y
+a pas cinq ans qu'ils étaient ensemble réunis dans la même classe; et
+nul encore n'aurait atteint sa vingt et unième année.»</p>
+
+<p>Il passa les vacances de 1804<a id="footnotetag43" name="footnotetag43"></a>
+<a href="#footnote43"><sup class="sml">43</sup></a> avec sa mère à Southwell: Mrs. Byron
+était venue s'y fixer pendant l'été de cette année, en quittant
+Nottingham, et elle avait choisi pour demeure la maison appelée
+Burgage-Manor. On conserve encore à Southwell, sous la date du 8 août
+1804, une note dans laquelle on annonce que le jeu est retenu <i>par Mrs.
+et Lord Byron</i>. La personne à qui appartenait la maison qu'ils
+habitaient était un rentier possesseur d'une assez belle bibliothèque;
+et le premier soin du jeune poète, comme il nous l'apprend, fut de la
+retourner complètement aussitôt après son arrivée à Southwell. L'un des
+livres qui l'occupèrent et l'intéressèrent davantage fut, et on le
+croira sans peine, la <i>Vie de lord Herbert de Cherbury</i>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote43"
+name="footnote43"><b>Note 43: </b></a><a href="#footnotetag43">
+(retour) </a> Pendant l'une des vacances de Harrow, il demeura
+ quelque tems dans la maison de l'abbé de Rouffigny, dans
+ Took's court, avec l'intention d'y étudier la langue
+ française; mais, au dire de l'abbé, il avait peu de goût pour
+ cette étude, et, au grand dépit du révérend maître, il
+ passait presque tout son tems à faire des armes, à boxer,
+ etc.</blockquote>
+
+<p>Il entra au mois d'octobre 1805 au collége de la Trinité à Cambridge.
+Voici comme il décrit les sentimens qu'il éprouva en quittant sa chère
+Ida:</p>
+
+<p>«Mon entrée au collége me fit un effet singulier et pénible. D'abord
+j'étais tellement affligé de quitter Harrow, bien que le tems en fût
+arrivé (ayant alors dix-sept ans), que pendant le dernier quartier que
+j'y passai, j'employais les heures, consacrées au sommeil à compter les
+jours que j'avais encore à y rester. J'avais toujours <i>détesté</i> Harrow
+jusqu'aux dix-huit derniers mois, mais dès ce moment je l'aimai. En
+second lieu je souhaitais d'aller à Oxford et non à Cambridge;
+troisièmement je me trouvais tellement isolé dans ce nouveau monde que
+je faillis en perdre la tête. Mes camarades n'étaient pourtant pas
+insociables: au contraire, ils avaient de la bonté, de la bienveillance,
+un rang, de la fortune, et une gaîté bien autre que la mienne. Je me
+joignais à eux, je dînais, je soupais, etc., dans leur compagnie; mais
+je ne sais comment j'éprouvais un sentiment le plus pénible, le plus
+mortel de ma vie, en pensant que je n'étais plus un enfant.»</p>
+
+<p>Il fut sans doute quelque tems à Cambridge en proie à cette espèce
+d'isolement; mais il n'était pas dans sa nature de rester long-tems sans
+aimer quelque chose, et l'amitié qu'il forma bientôt avec le jeune
+Eddleston, qui avait deux ans de moins que lui, surpassa même en
+vivacité romanesque toutes ses autres liaisons de collége. Les
+dispositions musicales de cet enfant furent l'occasion de leur intimité.
+Il était alors un des choristes de Cambridge, bien que par la suite il
+ait suivi une profession mercantile. Cette disconvenance de leur
+position respective n'était pas sans charme pour Byron: elle flattait en
+même tems son orgueil et son bon naturel, et établissait entre eux des
+rapports mutuels de protection d'un côté, de reconnaissance et de
+dévouement de l'autre; seuls rapports qui, suivant Bacon, soient la base
+du peu d'amitié qui reste encore sur la terre. Ce fut sur un don que lui
+avait fait Eddleston qu'il écrivit ces vers, intitulés <i>la Cornaline</i>,
+qui étaient imprimés dans son premier volume resté inédit; en voici une
+stance:</p>
+
+
+<p> Quelques-uns souriant des liens qui nous unissent, m'ont
+ souvent reproché ma faiblesse; ce don léger a cependant le
+ plus grand prix à mes yeux, car, j'en suis sûr, je le tiens de
+ quelqu'un qui m'aime.</p>
+<br>
+
+<p>Une autre liaison moins vive, commencée à Harrow, et continuée pendant
+sa première année de Cambridge, est ainsi mentionnée dans l'un de ses
+<i>journaux</i>:</p>
+
+<p>«Que mes pensées sont étranges! La lecture du chant de Milton, <i>belle
+Salvina</i>, m'a ramené, je ne sais comment ou pourquoi, aux jours les plus
+heureux peut-être de ma vie (toujours exceptés, de tems en tems,
+certains dimanches des deux derniers étés de Harrow). Je me retrouvais à
+Cambridge avec Edward Noël et Long, qui fut plus tard dans les gardes:
+Long, après avoir servi avec honneur dans l'expédition de Copenhague
+(qui laisse encore vivre deux ou trois mille goujats gras et bien
+payés), fut noyé en 1809, pendant son passage à Lisbonne avec son
+régiment dans le <i>Saint-George</i>, qui fut heurté la nuit par un autre
+vaisseau de transport. Nous étions des nageurs rivaux, également
+passionnés pour les chevaux, la lecture et les festins. Nous avions été
+ensemble à Harrow, mais <i>là</i> du moins il n'était pas un esprit aussi
+intraitable que le mien; j'étais toujours alors le premier à la paume,
+dans les révoltes, les batailles, les parties, et tous les genres de
+désordres; il était, lui, beaucoup plus calme et mieux civilisé. Mais à
+Cambridge, soit que mon caractère s'adoucît ou que le sien prît plus de
+roideur, il est certain que nous devînmes grands amis. La description du
+siége de Sabrina me rappelle nos mutuels exploits de plongeur. Bien que
+le Cam n'offre pas une onde vraiment <i>transparente</i>, et que l'endroit où
+nous nous jetions eût quatorze pieds de profondeur, nous avions toujours
+soin, afin de mieux prouver nos avantages, de lancer avant nous des
+œufs, des pièces de vaisselle et même des shillings. Il y avait entre
+autres, et je m'en souviens bien, dans le lit de la rivière où nous nous
+baignions le plus ordinairement, une souche d'arbre autour de laquelle
+j'aimais à me glisser et à m'étonner comment diable je me trouvais là.</p>
+
+<p>«Le soir nous faisions de la musique, car il était musicien et savait
+tirer un égal parti de la flûte et du violoncelle. Je faisais partie de
+l'assistance et, si je ne me trompe, notre boisson de prédilection était
+alors de l'eau de soude. Le jour nous courions à cheval, nous nous
+baignions, nous causions, ou parfois prenions un livre. Je me rappelle
+l'avidité avec laquelle nous parcourûmes le nouvel in-quarto de Moore
+(en 1806); le soir nous le lisions ensemble. Nous ne fûmes réunis qu'un
+été. Long entra dans les gardes l'année que je passai à Nottingham, au
+sortir du collége. Son amitié, et de ma part un violent et cependant pur
+amour, étaient alors le roman de l'époque la plus romanesque de ma
+vie ....................................................................<br>
+........................................................................
+.....................................................................</p>
+
+<p>«Je me souviens qu'au printems de 1809 H***<a id="footnotetag44" name="footnotetag44"></a>
+<a href="#footnote44"><sup class="sml">44</sup></a> me plaisantait de la
+tristesse que m'avait causée la mort de Long, et s'amusait à faire des
+épigrammes sur son nom, qui prêtait aux jeux de mots, tels que <i>long,
+court</i>, etc.; mais il eut bien le tems de s'en repentir à trois ans de
+là, quand notre ami mutuel, et surtout le sien, Charles Matthews, se
+noya également, et qu'il put lui-même sentir combien mon affliction
+avait été légitime. Pour moi, je ne rétorquai pas ces piquans jeux de
+mots; je sentais trop tout ce que je perdais dans Matthews, et, ne
+l'eussé-je pas senti, j'aurais encore respecté sa douleur.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote44"
+name="footnote44"><b>Note 44: </b></a><a href="#footnotetag44">
+(retour) </a> Sans doute Hobhouse.</blockquote>
+
+<p>«Le père de Long m'écrivit pour m'engager à faire l'épitaphe de son
+fils: je le promis, mais je n'eus pas la force de la composer. Il était
+de ces êtres bons et aimables qui ne demeurent guère dans ce monde, doué
+de tous les talens et de tous les avantages qui pouvaient mieux le faire
+regretter. Cependant, quoique bon compagnon, il avait parfois d'étranges
+accès de mélancolie; je me souviens qu'un jour, allant chez son oncle,
+je l'accompagnai jusqu'à la porte, c'était dans le haut ou le bas
+Grosvenor ou Brook street, je ne sais plus lequel, mais c'était sûrement
+dans une rue qui faisait suite à quelque place: il me dit que la nuit
+d'auparavant il avait pris un pistolet sans savoir ou regarder s'il
+était ou non chargé, et qu'il l'avait dirigé contre sa tête, laissant au
+hasard le soin de décider s'il partirait ou non. La lettre qu'il
+m'écrivit en passant du collége aux gardes, était encore aussi
+mélancolique qu'on pouvait le supposer en pareil cas: mais son maintien
+naturel ne révélait rien d'une pareille disposition; il était doux et
+prévenant, il avait même un grand penchant pour la gaîté. Nous étions
+fort liés à Harrow, et mainte fois nous y sommes retournés de Londres
+pour nous mieux livrer à nos souvenirs de collége.»</p>
+
+<p>Ces mémoires affectueux sont extraits d'un journal qu'il tenait à
+Ravenne pendant sa résidence dans cette ville, en 1821. Les
+circonstances pendant lesquelles ils étaient consignés, doivent nous les
+rendre encore plus touchans et plus remarquables. Il habitait une terre
+étrangère; il était même en rapport avec des conspirateurs étrangers,
+dont il cachait dans sa maison les armes au moment où il écrivait.
+Cependant il lui était possible de s'éloigner ainsi des scènes qui
+l'entouraient, et de reporter ses pensées sur le tems ancien, sur les
+amitiés perdues de son enfance. Un anglais, M. Wathen, qui le vit dans
+l'une des villes d'Italie, ayant eu l'occasion de mentionner, en lui
+parlant, qu'il avait eu des rapports d'amitié avec Long, le noble poète,
+dès ce moment, lui prodigua les témoignages d'une affection marquée. Il
+lui parlait fréquemment de Long et de ses bonnes qualités, jusqu'à ce
+que des pleurs, qu'il ne pouvait arrêter, lui couvrissent le visage.</p>
+
+<p>Il rejoignit sa mère à Southwell, suivant son habitude, durant l'été de
+1806, et c'est alors qu'il forma dans une société rare, mais choisie,
+quelques liens d'intimité dont on chérit encore avec orgueil le
+souvenir. Si l'on excepte le court intervalle qu'il passa, comme nous
+l'avons vu, dans la société de miss Chaworth, ce ne fut qu'à Southwell
+qu'il eut jamais l'occasion de profiter de la douce influence de la
+conversation des femmes et de comprendre que la sphère véritable de
+leurs vertus c'est leur intérieur. Il fut admis dans le cercle de
+l'aimable et spirituelle famille Pigot comme s'il en eût fait partie, et
+le jeune poète ne trouva pas seulement dans le révérend John Becher<a id="footnotetag45" name="footnotetag45"></a>
+<a href="#footnote45"><sup class="sml">45</sup></a>
+un critique fin et judicieux, mais un ami sincère. Il eut encore une ou
+deux autres familles, comme les Leacroft, les Houson, près desquelles
+ses talens et la vivacité de son esprit furent toujours bienvenus; et la
+timidité orgueilleuse qui, pendant sa minorité, l'avait éloigné de toute
+relation avec les gentilshommes du voisinage, semble avoir disparu dans
+la petite et agréable société de Southwell. L'une de ses amies les plus
+intimes à cette époque m'a fourni les détails suivans, sur la manière
+dont elle fit sa connaissance:</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote45"
+name="footnote45"><b>Note 45: </b></a><a href="#footnotetag45">
+(retour) </a> Citoyen qui depuis s'est distingué d'une manière
+ honorable par ses plans philanthropiques sur l'important
+ objet de l'amélioration du sort des pauvres.</blockquote>
+
+<p>«La première fois que je le vis, ce fut à une réunion chez sa mère; et
+telle était sa timidité, qu'il fallut l'envoyer chercher trois fois
+avant de le décider à venir dans le salon, pour jouer avec les autres
+jeunes gens. C'était un enfant gras et embarrassé, portant les cheveux
+peignés sur le front, et ressemblant parfaitement à la miniature que sa
+mère avait fait peindre par M. de Chambruland. Le lendemain matin, Mrs.
+Byron l'ayant conduit chez nous, il conserva son extérieur timide et
+réservé. La conversation tomba sur Chettenham, les amusemens et le
+théâtre de cette ville, etc. Je rappelai que j'avais vu le rôle de
+Gabriel Lackbrain parfaitement bien rempli. Quand sa mère partit, il la
+suivit en nous faisant une grande inclination; pour moi, rappelant
+encore la pièce dont nous venions de parler, je lui dis: Bonjour,
+<i>Gaby</i>. Ces mots l'animèrent aussitôt, sa belle bouche s'ouvrit par un
+éclat de rire, toute sa retenue s'évanouit pour toujours; et quand sa
+mère lui répéta: Eh bien, Byron, êtes-vous prêt? il répondit que non,
+qu'elle pouvait s'en aller, et qu'il désirait rester un peu plus
+long-tems. À compter de là, il venait nous voir à toutes les heures du
+jour, et se considérait chez nous parfaitement comme chez lui.»</p>
+
+<p>C'est à cette dame que fut adressée la première lettre de lui qui soit
+tombée entre mes mains; il correspondait en même tems avec plusieurs de
+ses amis d'Harrow, avec lord Clare, lord Powerscourt, M. William Peel,
+M. William Bankes, et d'autres encore. Mais on prévoyait peu alors
+l'intérêt général qui se rattacherait un jour à ces lettres d'écoliers,
+et en conséquence, comme j'ai déjà eu l'occasion de m'en affliger, il
+n'en existe plus qu'un très-petit nombre. La lettre dont j'ai parlé, à
+son amie de Southwell, ne contient rien de remarquable; mais, peut-être,
+par cette raison-là même, mérite-t-elle d'être insérée, comme servant à
+montrer, par sa comparaison avec les suivantes, combien son esprit
+acquit rapidement de la confiance en lui-même. Il y a véritablement dans
+ses premiers manuscrits un charme pour les yeux de la curiosité, qu'ils
+perdent nécessairement dans leur forme imprimée; ils attestent
+évidemment une éducation peu suivie; l'écriture en est informe et
+enfantine; on trouve même, çà et là, de grosses fautes d'orthographe
+sous la plume de celui qui, quelques années plus tard, devait s'élancer
+comme l'un des géans de la littérature anglaise.</p>
+
+<br><br>
+<h3>LETTRE PREMIÈRE.</h3>
+
+<h4>À MISS ***.</h4>
+
+<p class="rig">Burgage-Manor, 29 août 1804.</p><br><br>
+
+<p>«J'ai reçu les armes, ma chère miss, et je vous remercie beaucoup de la
+peine que vous avez prise. Il est impossible que je puisse y trouver le
+moindre défaut. La vue des peintures me charme pour deux raisons: la
+première, parce qu'elles serviront à orner mes livres, et la seconde
+parce qu'elles me prouvent que <i>vous</i> ne m'avez pas encore entièrement
+<i>oublié</i>. Cependant je suis fâché que vous ne reveniez pas plus tôt.
+Voilà déjà un siècle que vous êtes partie. Peut-être partirai-je pour
+Londres avant que vous en sortiez, mais je ne l'espère pas. Vous ne
+pensez plus à mon cordon de montre, à ma bourse; je désire pourtant bien
+les avoir. Votre petite lettre me fut remise par Harry, au spectacle, où
+j'accompagnais miss L*** et le docteur S***, et je reviens à l'instant
+pour vous répondre avant de me coucher. Si je suis à Southwell quand
+vous y viendrez, et je désire sincèrement que ce soit bientôt, car je
+regrette beaucoup votre absence, je me fais une fête de vous entendre
+chanter mon air favori <i>la vierge de Lodi</i>. Ma mère se joint à moi pour
+vous prier de nous rappeler à l'affection de Mrs. Pigot, et croyez-moi,
+ma chère miss, votre affectionné ami:<span class="rig">
+BYRON.</span><br></p>
+
+<p>«<i>P. S.</i> Si vous jugiez à propos de me répondre, je m'estimerais
+extrêmement heureux. Adieu.</p>
+
+<p>«2e <i>P. S.</i> Comme vous êtes, dites-vous, novice dans l'art de tricoter,
+j'espère que vous ne vous en occupez guère; allez lentement, mais
+sûrement. Adieu encore une fois.»</p>
+
+<p>Nous aurons souvent occasion de remarquer la constance que Lord Byron,
+d'ailleurs si versatile, manifesta toujours dans les goûts et les
+habitudes de sa jeunesse. La lettre que nous venons de citer rappelle
+deux de ses habitudes, qu'il conserva toute sa vie; savoir, son
+exactitude à répondre sur-le-champ aux lettres qu'il recevait, et sa
+passion pour la musique des plus simples ballades. L'un des chants qu'il
+avait alors le bon goût d'aimer le mieux était celui de <i>la Duenna</i>; et
+quelques-uns de ses contemporains de Harrow se rappellent encore la
+gaîté avec laquelle, lorsqu'il dînait au milieu de ses amis chez la
+fameuse mère Barnard, il entonnait ordinairement: <i>Ce vin est le soleil
+de notre table</i>. Son séjour à Southwell, pendant cet été, fut
+interrompu, vers le commencement d'août, par l'un de ces emportemens
+auxquels, dès son berceau, Mrs. Byron ne l'avait que trop accoutumé, et
+que lui-même, par son esprit intraitable, contribuait souvent à faire
+éclater. Dans les portraits qu'il trace de lui-même, le pinceau qu'il
+emploie est si noir qu'il faut, dans la suivante description de son
+caractère, extraite de ses <i>Mémoires</i>, faire une large part à
+l'exagération, comme l'exige son usage de <i>surcharger les ombres
+elles-mêmes</i>.</p>
+
+<p>«Du reste (il vient de mentionner son amour précoce pour Marie Duff), je
+ne différais en rien des autres enfans: je n'étais ni grand, ni petit;
+ni lourd, ni sémillant: j'étais de mon âge; ordinairement fort enjoué,
+excepté dans mes humeurs noires, car alors j'étais un vrai démon. Un
+jour, dans l'une de mes <i>rages silencieuses</i>, il fallut m'ôter un
+couteau que j'avais pris sur la table, pendant le dîner de Mrs. Byron
+(je dînais toujours avant elle), et dont j'allais me frapper la tête.
+Mais c'était à trois ou quatre ans de là, et peu de jours avant la mort
+du dernier lord Byron.</p>
+
+<p>«Mon naturel apparent a certainement gagné dans ces derniers tems; mais
+je frémis, et je regretterai jusqu'à ma dernière heure les conséquences
+funestes de ma violence et de mes passions. Un événement... mais peu
+importe... il en est d'autres auxquels il ne vaut guère mieux s'arrêter,
+et que pourtant je ferai connaître de préférence.</p>
+
+<p>«Mais je n'aime pas les parenthèses: mon naturel est maintenant plus
+retenu, rarement brusque; et quand il l'est, les suites n'en sont pas
+mortelles. C'est quand je me tais, et que je sens <i>pâlir</i> mon front et
+mes joues, que je ne me connais plus; et alors.... mais, à moins qu'il
+n'y ait sur le tapis une femme (je ne dis pas quelque, ou toutes
+femmes), je ne sors pas d'une apathie très-supportable.»</p>
+
+<p>On conçoit qu'avec un caractère de ce genre et les accès violens de Mrs.
+Byron, le choc devait être formidable. L'âge auquel était parvenu notre
+poète, alors que l'impatience du frein s'empare de la jeunesse, devait
+rendre ces occasions plus fréquentes. On rapporte comme une preuve de la
+conviction qu'ils avaient de leur mutuelle violence, qu'un jour, s'étant
+quittés à la suite d'une scène du même genre, on sut que tous deux
+s'étaient rendus en particulier, le soir même, chez l'apothicaire,
+demandant, avec une inquiétude alternative, si l'autre n'avait pas
+acheté du poison, et avertissant le droguiste de ne pas en donner dans
+le cas où il se présenterait.</p>
+
+<p>Toutefois le jeune Lord prenait rarement une part active dans ces
+orages. Aux éclats de sa mère il opposait un silence poli, et, par cela
+même, provocateur; s'inclinant avec l'apparence du plus profond respect
+à mesure que la voix maternelle augmentait d'intensité. Mais en général,
+quand il prévoyait une tempête, il cherchait son salut dans la fuite; et
+c'est à ce dernier expédient qu'il avait eu recours à l'époque où nous
+sommes arrivés. Mais auparavant une scène avait eu lieu entre lui et
+Mrs. Byron, dans laquelle la violence de cette dernière l'avait portée à
+des extrémités qui, malgré leur outrageuse inconvenance, n'étaient pas
+rares avec elle. Le poète Young, décrivant un caractère de cette espèce,
+dit:</p>
+
+
+<p>«Les tasses et les soucoupes tourbillonnent dans l'air, pour
+ avertir que la dame est mécontente.»</p>
+
+
+<p>En pareil cas, Mrs. Byron préférait les pelles et pincettes, et plus
+d'une fois elle les lança bruyamment sur son enfant fugitif. Cette
+dernière fois, il n'eut que le tems d'éviter l'atteinte de la première
+de ces armes, et de se réfugier à la hâte chez un de ses amis dans le
+voisinage; là, ayant concerté le plus sûr moyen de déjouer les
+poursuites, il ne tarda pas à s'enfuir à Londres. Les lettres que je
+vais transcrire furent adressées, immédiatement après son arrivée, à
+quelques amis de Southwell, dont la bienveillante intervention, dans
+cette circonstance, nous permet de croire qu'il n'avait pas à se
+reprocher les torts de cet esclandre. La première est adressée à M.
+Pigot, jeune homme de son âge, qui venait d'arriver, à l'occasion des
+vacances, d'Édimbourg, où il suivait alors ses études médicales.</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE II.</h3>
+
+<h4>À M. PIGOT.</h4>
+
+<p class="rig">Piccadilly, 9 août 1806.</p><br><br>
+
+<p><span class="sc">«Mon cher Pigot</span>,</p>
+
+
+<p>«Mille remercîmens pour votre piquant récit des derniers procédés de mon
+<i>aimable Alecto</i>, qui maintenant enfin commence à voir les suites de sa
+folie. Je viens de recevoir une épître pénitentiaire, à laquelle j'ai
+répondu modérément, avec une sorte de promesse de revenir dans une
+quinzaine: ce que toutefois, entre nous, je ne compte pas faire. Son
+<i>charmant ramage</i> doit avoir ravi ses auditeurs; car ses hautes notes
+sont parfaitement musicales: elles doivent faire un très-bel effet
+pendant un beau clair de lune. Si j'avais été l'un des spectateurs, rien
+ne m'aurait fait plus de plaisir; mais figurer dans la pièce comme l'un
+des acteurs, saint Dominique m'en préserve! Sérieusement, j'ai de
+grandes obligations à votre mère; et vous, ainsi que toute votre
+famille, méritez tous mes remercîmens pour avoir si bien contribué à mon
+évasion des mains de Mrs. Byron <i>furiosa</i>.</p>
+
+<p>«Oh! que n'ai-je la plume d'Arioste pour reproduire en style d'épopée
+les <i>cris</i> de cette <i>terrible soirée</i>, ou plutôt laissez-moi invoquer
+l'ombre du Dante, car il n'y a que l'auteur de l'enfer qui puisse
+convenablement répondre à un tel projet. Mais peut-être, à défaut de la
+plume, pouvons-nous recourir au pinceau. Quel groupe! Mrs. Byron, figure
+principale; vous, emplissant vos oreilles de coton comme le seul remède
+à une surdité totale; Mrs. *** s'efforçant vainement de calmer la rage
+de la lionne privée de son nourrisson, et enfin Élisabeth et Wousky,
+prodigieux à raconter! tous deux spoliés de leur partie de langue, et
+formant le dernier plan avec leur muette surprise. Comment S. B. a-t-il
+appris tout cela? Quelles <i>pointes</i> il a dû faire sur un aussi bouffon
+sujet! Apprenez-moi tout cela dans votre suivante, et comment vous vous
+êtes excusé auprès de A. Sans doute vous êtes maintenant las de
+déchiffrer mes caractères hiéroglyphiques, et comme Tony Lumpkil<a id="footnotetag46" name="footnotetag46"></a>
+<a href="#footnote46"><sup class="sml">46</sup></a>,
+vous me traitez de main maudite et sautillante. Je ne doute pas que tout
+Southwell ne soit scandalisé. À propos, comment va ma nonne aux yeux
+bleus, la belle ***? Est-elle <i>enveloppée dans la noire tunique de la
+douleur</i>? Je resterai ici au moins huit à dix jours, vous recevrez mon
+adresse avant mon départ; mais je ne sais encore laquelle. Il faut que
+Mrs. Byron ignore ma retraite; vous pouvez lui offrir mes complimens et
+lui protester que toutes poursuites seraient inutiles, attendu que je me
+suis mis en mesure de gagner Portsmouth à la première nouvelle de son
+départ de Southwell. Vous pouvez ajouter que je suis maintenant à la
+campagne, chez un ami, où je resterai une quinzaine.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote46"
+name="footnote46"><b>Note 46: </b></a><a href="#footnotetag46">
+(retour) </a> Dans la comédie de la Coquette (<i>She stoops to
+ Conquer</i>.)</blockquote>
+
+<p>«Je viens de barbouiller (je ne dis pas écrire) une feuille de papier
+double, et j'attends en réponse un <i>énorme budget</i>. Sans doute les dames
+de Southwell condamnent l'exemple dangereux que j'ai donné; elles
+tremblent que leurs bambins ne leur obéissent plus et ne quittent au
+moindre dépit leurs tendres mamans. Adieu. Quand vous commencerez vos
+lettres, rayez, s'il vous plaît, la <i>seigneurie</i>, et mettez à la place
+Byron. Croyez-moi votre, etc.»<span class="rig">
+BYRON.</span><br></p>
+
+<p>On va voir par la lettre suivante que la <i>lionne</i> n'était pas en arrière
+de son fils pour l'énergie et la résolution, et qu'aussitôt après la
+fuite de ce dernier elle avait envoyé après lui.</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE III.</h3>
+
+<h4>À MISS PIGOT.</h4>
+
+<p class="rig">Londres, 10 août 1806.</p><br><br>
+
+<p><span class="sc">Ma chère Brigitte</span>,</p>
+
+<p>«J'ai déjà ennuyé votre frère de plus de griffonnage qu'il n'en pourra
+déchiffrer; c'est à vous maintenant que je donne la pénible charge de
+parcourir cette deuxième épître. Vous avez vu par la première, que je
+n'avais pas, en l'écrivant, la moindre fâcheuse idée de l'arrivée de
+Mrs. Byron; il n'en est plus de même: la vue d'un billet de la <i>cause
+illustre</i> de mon <i>décampement soudain</i> vient d'enlever <i>le rubis naturel
+de mes joues</i>, et de blanchir subitement ma déplorable figure. Le
+foudroyant avis de son arrivée (maudite soit son activité!) est
+cependant moins terrible que vous ne l'imaginez, sans doute, du
+tempérament volcanique de sa <i>seigneurie</i>. Il se termine par l'assurance
+flatteuse de l'impossibilité dans laquelle elle se trouve de faire
+présentement un pas, grâce à la fatigue du voyage, aux mauvaises routes,
+mille fois bénies, et aux quadrupèdes rétifs de la poste royale. Comme
+je ne me sens aucun entraînement à recevoir la chasse en plaine, je
+ferai de nécessité vertu; et puisque, semblable à Macbeth, <i>ils mont lié
+au poteau, je ne puis fuir</i>, j'imiterai ce courageux tyran, et, comme
+l'ours, je combattrai de pied ferme. Je puis à présent engager la lutte
+avec moins de désavantage, ayant tiré l'ennemi de ses retranchemens,
+bien qu'au hasard de me faire casser la tête, comme le modèle auquel je
+viens de me comparer. Quoi qu'il en soit, <i>frappe, Macduff, et maudit
+qui le premier criera: Assez!</i></p>
+
+<p>»Je resterai dans la ville encore au moins une semaine, et j'espère
+avant ce tems recevoir de vos nouvelles. Je suppose que l'imprimeur vous
+a donné les résultats de ma <i>Métromanie</i>. Ayez soin de lire au premier
+vers: «Les vents soufflent <i>longuement</i>,» au lieu de <i>rondement</i>, comme
+l'a copié, par méprise, ce butor de Ridge, ce qui rend absurde toute la
+strophe. <i>Addio</i>. Maintenant je vais me préparer au choc de mon <i>Hydre</i>.</p>
+
+<p>»Tout à vous.»</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE IV.</h3>
+
+<h4>À M. PIGOT.</h4>
+
+<p class="rig">Londres, dimanche à minuit, 10 août 1806.</p><br><br>
+
+<p><span class="sc">Cher Pigot</span>,</p>
+
+<p>«Cet effrayant paquet va sans doute vous épouvanter; mais ce soir ayant
+une heure de loisir, je l'ai employé à écrire les stances ci-incluses,
+que je vous prie d'envoyer à Ridge pour qu'il les imprime <i>à part</i> de
+mes autres poèmes; car vous sentirez qu'il serait inconvenant de les
+offrir aux dames, et que par conséquent aucune femme ne doit les voir
+dans votre famille. Mille pardons de la peine que je vous donne cette
+fois-ci et tant d'autres.</p>
+
+<p>»Votre dévoué.»</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE V.</h3>
+
+<h4>À M. PIGOT.</h4>
+
+<p class="rig">Piccadilly, 16 août 1806.</p><br><br>
+
+<p>«Je ne puis pas dire précisément comme César, <i>veni, vidi, vici</i>:
+pourtant je pourrais m'appliquer la part la plus importante de sa lettre
+laconique; car bien que Mrs. Byron ait prit la peine de <i>venir</i> et de
+voir, votre humble serviteur a vaincu. Après un engagement sérieux de
+quelques heures, dans lequel la vivacité du feu de l'ennemi nous a fait
+éprouver une perte considérable, nous avons fini par l'obliger à se
+retirer en désordre, abandonnant son artillerie, son train et quelques
+prisonniers: cette victoire est décisive pour la campagne actuelle.
+Parlons maintenant plus clairement: Mrs. Byron va repartir, mais je me
+dirige moi-même, avec tous mes lauriers, vers Worthing, sur la côte de
+Sussex; et c'est là que vous m'adresserez (poste restante) votre
+première lettre. Le deuxième carillon de vers que j'enferme sous cette
+enveloppe vous donnera sans doute une haute idée des vertus prolifiques
+de ma muse; mais il y a plusieurs années que je les ai composés, et
+c'est par hasard que je les ai retrouvés mardi, au milieu de vieux
+papiers. Je les ai aussitôt recopiés, avec la date qui leur appartient,
+et je désire qu'on les imprime avec le reste de la famille. Je
+m'attendais bien à vous voir, sur les derniers venus, les mêmes
+sentimens que moi; mais comme les <i>faits</i> étaient réels, il était
+impossible de rien changer à leur allure. Je ne resterai pas à Worthing
+plus de trois semaines, et il serait possible que vous me vissiez à
+Southwell vers le milieu de septembre..............................
+....................................................<br>
+.............................................................................................................................................................</p>
+
+<p>»Voulez-vous prier Ridge de suspendre l'impression de mes poésies
+jusqu'à nouvel avis de ma part? j'ai résolu de leur donner une forme
+entièrement nouvelle: cette suspension ne regarde pas les deux dernières
+pièces que j'ai jointes à mes lettres pour vous. Excusez le vide de
+cette lettre, ma tête est dans ce moment-ci un chaos d'idées absurdes,
+d'affaires, de plans et de préparatifs.</p>
+
+<p>»J'attends une réponse avec impatience; rien, dans ce moment, veuillez
+le croire, ne me ferait plus de plaisir qu'une lettre de vous.»</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE VI.</h3>
+
+<h4>À M. PIGOT.</h4>
+
+<p class="rig">Londres, 18 août 1806.</p><br><br>
+
+<p>«Je suis précisément sur le point de partir pour Worthing, et je vous
+écris uniquement pour vous prier de faire partir sur-le-champ ce
+paresseux drôle de Charles avec mes chevaux. Dites-lui que je suis fort
+mécontent de ne l'avoir pas encore vu, ni reçu avis de la cause de son
+retard, surtout lui ayant fourni l'argent nécessaire pour son voyage.
+Qu'il ait soin de ne pas remettre d'un jour son départ, sous aucun
+prétexte; et, si pour obéir aux <i>caprices</i> de Mrs. Byron (qui, je le
+présume, continue toujours à tourmenter sa petite monarchie), il jugeait
+à propos de ne pas suivre mes ordres positifs, il ne doit plus à
+l'avenir se considérer comme à mon service. Il m'apportera la note du
+chirurgien, et je l'acquitterai dès que je l'aurai reçue. Je ne puis non
+plus concevoir qu'il n'ait pas averti Frank du triste état de mes
+chevaux. Cher Pigot, pardonnez-moi ces brusques confidences, vous devez
+les attribuer à la mauvaise conduite de ce <i>précieux maraud</i>, qui, au
+lieu de suivre mes ordres, promène sa paresse dans les rues de ce
+pandémonium politique, Nottingham. Rappelez-moi à votre famille et aux
+Leacroft, et croyez-moi, etc.</p>
+
+<p>»<i>P. S.</i> Je vous charge du soin désagréable de presser son voyage, en
+dépit même des ordres de Mrs. Byron: il devra d'abord se rendre à
+Londres, et de là à Worthing, sans retard: C'est à Londres qu'il faut
+envoyer tout ce que j'ai laissé; vous y adresserez également mes
+poésies, sans même en réserver une copie pour vous et votre sœur,
+attendu que je veux leur donner une tout autre forme. Quand elles seront
+prêtes, vous en aurez les prémices. Il ne faut pas, sous aucun prétexte,
+que Mrs. Byron les <i>voie</i> ou les touche. Adieu.»</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE VII.</h3>
+
+<h4>À M. PIGOT.</h4>
+
+<p class="rig">Little-Hampton, 26 août 1806.</p><br><br>
+
+<p>«J'ai reçu ce matin votre lettre, qu'il m'a fallu envoyer chercher à
+Worthing, que je viens de quitter pour cet endroit, situé à huit milles
+du premier, et sur la même côte. Vous serez sans doute content de
+recevoir cette lettre, quand vous y aurez vu que je suis plus riche de
+trente mille livres qu'à notre départ: je viens de recevoir de mon
+avocat l'avis du gain d'une cause aux assises de Lancastre<a id="footnotetag47" name="footnotetag47"></a>
+<a href="#footnote47"><sup class="sml">47</sup></a>, par
+lequel je me trouve gratifié de cette somme pour le tems de ma majorité.
+Mrs. Byron est, sans doute, instruite de ce surcroît de propriété, mais
+elle n'en connaît pas la <i>valeur</i> exacte, et il serait bon qu'elle
+continuât à l'ignorer, car sa conduite, dès qu'elle reçoit quelque
+nouvelle favorable, est, s'il est possible, plus ridicule que sa
+détestable habitude de s'affecter des plus légers contre-tems. Vous lui
+ferez mes complimens, et lui direz qu'une seule chose peut prolonger mon
+absence, c'est l'arrêt qu'elle a mis sur les effets de mon domestique: à
+moins qu'elle ne les fasse immédiatement partir pour Piccadilly, avec
+ceux qui m'appartiennent, et qu'elle a si long-tems retenus, elle ne
+verra pas de sitôt ma radieuse figure illuminer son obscure demeure;
+mais si elle les envoie, je reviendrai probablement avant deux ans, à
+partir de la date de cette épître.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote47"
+name="footnote47"><b>Note 47: </b></a><a href="#footnotetag47">
+(retour) </a> Dans un procès entrepris pour rentrer dans la
+ propriété de Rochdale.</blockquote>
+
+<p>«Votre compliment poétique est une précieuse récompense de mes préludes;
+vous êtes du petit nombre des favoris d'Apollon qui cultivent toutes les
+sciences auxquelles préside votre divinité. Je désire que vous adressiez
+de suite mes poésies à mon hôtel, à Londres; j'y veux faire plusieurs
+changemens et quelques additions: il faut envoyer toutes les copies que
+vous en aurez; décidé, comme je suis, à perfectionner le tout, et à vous
+les représenter dans toute leur gloire. Vous les avez, je l'espère,
+retirées des mains de ce <i>triple Upas</i>, de cet antipode des arts, Mrs.
+Byron. Entre nous, vous pouvez compter me voir bientôt. Adieu. Tout à
+vous.»</p>
+
+<p>On peut voir par ces lettres que Lord Byron songeait déjà à préparer
+l'impression de ses poésies. L'idée de les publier s'offrit à lui, pour
+la première fois, dans une maisonnette qu'il avait adoptée pour demeure
+pendant ses visites à Southwell. Miss Pigot, qui auparavant ignorait son
+goût pour la versification, lisait un jour devant lui les poésies de
+Burns; tout-à-coup le jeune Byron lui dit que lui aussi était parfois
+poète, et qu'il allait lui écrire quelques vers de ceux qu'il pouvait se
+rappeler. Aussitôt il écrivit au crayon ceux qui commencent par
+<i>j'espérais vivement être uni à toi</i>, qui se trouvent imprimés, mais
+seulement dans le volume qui n'a pas été publié; il lui récita encore
+les vers dont j'ai déjà parlé, <i>dans la salle, quand la voix de mes
+pères</i>, etc., pièce si remarquable par la prédiction qu'elle contient de
+son illustration future.</p>
+
+<p>Depuis ce moment; il fut tout au désir de se voir imprimé; cependant son
+ambition se bornait encore à faire circuler parmi ses amis un petit
+volume. Celui qui eut l'honneur de recevoir son premier manuscrit fut
+Ridge, libraire à Newark; et, durant l'impression, le jeune auteur
+continuait à lui envoyer de nouvelles pièces avec tout l'empressement et
+toute la rapidité qu'il mit toujours dans ses autres compositions.</p>
+
+<p>Il ne fut pas long-tems sans revenir à Southwell, comme il l'avait
+annoncé dans la dernière lettre que nous avons donnée; il en repartit
+encore au bout d'une ou deux semaines, pour accompagner son jeune ami
+Pigot jusqu'à Harrowgate. Nous empruntons les extraits suivans à une
+lettre écrite dans le même tems, par ce dernier, à sa sœur. «Il y a
+encore beaucoup de monde à Harrowgate, aujourd'hui vendredi; nous avons
+un bal, je songe à y paraître pendant une heure, bien que je ne sois
+guère curieux de figures inconnues. Lord Byron, vous le savez, est
+encore plus timide que moi; cependant je ferai ce soir un effort...
+Comment vont nos rôles de théâtre? Lord Byron sait tout le sien, et moi
+la plus grande partie du mien: il est certain qu'il le joue d'une
+manière inimitable; il <i>poétise</i> en ce moment, et depuis que nous sommes
+arrivés il a fait quelques vers vraiment jolis<a id="footnotetag48" name="footnotetag48"></a>
+<a href="#footnote48"><sup class="sml">48</sup></a>. Il a la bonté de
+tout faire pour m'amuser autant que possible, mais il n'est pas dans mon
+naturel d'être heureux hors de la société des femmes ou de l'étude... Il
+y a dans les environs plusieurs promenades agréables; je les ai
+parcourues avec Boatswain, qui fait, ainsi que Brighton<a id="footnotetag49" name="footnotetag49"></a>
+<a href="#footnote49"><sup class="sml">49</sup></a>,
+l'admiration universelle. Vous lirez cela à Mrs. Byron, car c'est un peu
+dans le style de <i>Tony Lumpkin</i>. Lord Byron veut que je lui garde un peu
+de place; c'est pourquoi, croyez-moi avec le respect dû à tous les
+comédiens élus, etc., etc.»</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote48"
+name="footnote48"><b>Note 48: </b></a><a href="#footnotetag48">
+(retour) </a> La pièce <i>à une belle Quaker</i>, de son premier
+ volume, fut écrite à Harrowgate.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote49"
+name="footnote49"><b>Note 49: </b></a><a href="#footnotetag49">
+(retour) </a> Cheval de Lord Byron; il en avait encore un autre
+ alors appelé Sultan.</blockquote>
+
+<p>À cette note étaient joints les mots suivans de Lord Byron.</p>
+
+<p>«<span class="sc">Ma chère Brigitte</span>,</p>
+
+<p>«Je descends un instant de mon Pégase, ce qui m'empêche d'avoir
+long-tems recours à la vile prose dans l'épître que j'adresse à votre
+<i>beauté</i>. Vous regrettez, dans une lettre précédente, que mes poésies ne
+soient pas plus étendues; je vous apprends donc, pour votre
+satisfaction, qu'elles sont maintenant presque doublées, soit par la
+découverte de quelques pièces regardées comme perdues, soit par l'effet
+de nouvelles inspirations. Nous nous reverrons mercredi prochain;
+jusqu'alors, croyez-moi votre affectionné,<br><span class="rig">
+BYRON.</span></p><br>
+
+<p>»<i>P. S.</i> Votre frère Jean est possédé d'une manie poétique, il rime
+maintenant à raison de trois lignes par heure; ce que c'est que
+l'inspiration! Adieu.»</p>
+
+<p>Grâce à la personne qui était alors le compagnon, l'ami intime de Lord
+Byron, et qui maintenant exerce sa profession avec tout le succès que
+méritent ses talens distingués, j'ai été initié dans quelques autres
+particularités de leur commune visite à Harrowgate: on me permettra
+d'employer, pour en faire part, ses propres expressions:</p>
+
+<p>«Vous me demandez de rappeler quelques anecdotes du tems que nous
+passâmes ensemble à Harrowgate, pendant l'été de 1806, et à notre retour
+du collége, lui de Cambridge, moi d'Édimbourg; mais tant d'années se
+sont écoulées depuis, que je n'entrevois plus ce voyage que comme un
+songe lointain. Nous partîmes, je m'en souviens bien, dans la voiture de
+Lord Byron, traînée par des chevaux de poste: il avait fait partir son
+<i>groom</i> avec deux chevaux de selle et un superbe et féroce boul-dogue
+appelé Nelson. Quant à Boatswain<a id="footnotetag50" name="footnotetag50"></a>
+<a href="#footnote50"><sup class="sml">50</sup></a>, il nous suivait, à côté de Frank,
+sur le coffre de la voiture. Le boul-dogue Nelson portait une muselière;
+mais cependant quelquefois il entrait dans notre appartement sans cette
+précaution, à mon grand ennui, bien que lui et son maître fussent
+enchantés de mettre tout en désordre dans la salle. Il y avait toujours
+un fonds de jalousie haineuse entre ce Nelson et Boatswain; et chaque
+fois que celui-ci rencontrait l'autre dans la chambre, ils en venaient
+aussitôt aux prises. Alors Byron, moi-même, Frank et tous ceux qui se
+trouvaient là, travaillions de toutes nos forces à les séparer: ce que
+nous n'obtenions guère qu'en leur jetant dans la gueule la pelle et les
+pincettes. Mais un jour Nelson s'échappa par malheur de la salle,
+démuselé; il s'élança dans l'écurie, se jeta au cou d'un cheval, et ce
+fut inutilement qu'on voulut lui faire lâcher prise. Les valets
+d'écurie, alarmés, coururent chercher Frank, qui prenant un pistolet de
+Wogdon, que son maître tenait toujours chargé dans sa chambre, le tira
+dans la tête du pauvre Nelson. Lord Byron en eut le plus grand regret.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote50"
+name="footnote50"><b>Note 50: </b></a><a href="#footnotetag50">
+(retour) </a> Chien favori pour lequel Lord Byron fit dans la
+ suite la fameuse épitaphe.</blockquote>
+
+<p>«Nous habitions l'<i>hôtel de la Couronne</i>, au bas de Harrowgate. Nous
+dînions toujours dans la salle commune, mais aussitôt après nous nous
+retirions, car Byron n'aimait guère à boire plus que moi. Nous vivions
+retirés et faisions peu de connaissances, car il était <i>vraiment</i>
+timide, ce qu'on prenait pour de l'orgueil quand on ne le connaissait
+pas. Nous rencontrâmes par hasard le professeur Hailstone de Cambridge,
+ce qui parut lui faire grand plaisir. Le professeur habitait le haut
+Harrowgate; nous allâmes le prendre un soir pour aller au spectacle, et
+une autre fois Lord Byron lui envoya son équipage pour le conduire à un
+certain bal de Granby. Cet empressement à faire un accueil à l'un de ses
+professeurs prouve, en dépit de son penchant à critiquer l'éducation
+universitaire et à exagérer les défauts de la vieille discipline à
+laquelle on soumet les sous-gradués, qu'il avait cependant l'habitude de
+témoigner son respect aux personnes qui l'exerçaient. Je l'ai toujours
+entendu parler avec les plus grands éloges de Hailstone, aussi bien que
+de Bishop, Mansel du collége de la Trinité, et d'autres encore dont j'ai
+oublié le nom.</p>
+
+<p>»Peu de gens appréciaient Lord Byron, mais je sais que son cœur était
+naturellement bienveillant et sensible, et qu'il n'avait pas le plus
+petit mélange de méchanceté dans le caractère<a id="footnotetag51" name="footnotetag51"></a>
+<a href="#footnote51"><sup class="sml">51</sup></a>.»</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote51"
+name="footnote51"><b>Note 51: </b></a><a href="#footnotetag51">
+(retour) </a> Lord Byron et le docteur Pigot s'écrivirent encore
+ pendant quelque tems, mais ils ne se virent plus jamais à
+ compter de leur départ de Harrowgate, l'automne suivant.</blockquote>
+
+<p>On voit, par ses lettres de Harrowgate, qu'il songeait à organiser un
+théâtre; il s'en occupa aussitôt après son retour à Southwell, et ce fut
+pour lui une source infinie de plaisirs. On peut juger, par le fragment
+d'une lettre adressée à son compagnon, avec quelle impatience toutes les
+personnes chargées d'un rôle attendaient son retour:</p>
+
+<p>«Dites à Lord Byron, si quelque accident retardait son retour, que sa
+mère souhaite qu'il lui écrive; et combien elle serait malheureuse s'il
+ne se montrait pas au jour fixé. M. Wil. Banks a écrit à Mrs. H. pour
+lui offrir le rôle de <i>Henry Woodville</i>. M. et Mrs. *** n'approuvent pas
+que leur fils soit l'un des acteurs; mais je crois qu'il ne persistera
+pas moins. M. G. W. dit que, pour ne pas faire manquer la partie, il
+prendrait plutôt, pour nous obliger, un emploi, comme de chanter, de
+danser, ou enfin quelque autre chose. Il n'y a rien à faire jusqu'au
+retour de Lord Byron, et réellement il ne faut pas qu'il revienne plus
+tard que mercredi ou jeudi.»</p>
+
+<p>Nous avons déjà vu qu'à Harrow, le seul point qui le distinguât de ses
+condisciples était son talent pour la déclamation. Il revient avec une
+évidente satisfaction sur ses succès de collége et sur la part qu'il
+prenait à ces représentations de Southwell:</p>
+
+<p>«J'étais, dans ma jeunesse, considéré comme un bon acteur, outre les
+exercices de Harrow, dans lesquels je brillais. Je remplis, en 1806,
+pendant trois soirées consécutives, sur quelques théâtres particuliers
+de Southwell, le rôle de Penruddock, dans <i>la Roue de Fortune</i>, et celui
+de Tristram Fickle dans la farce de <i>la Girouette</i>, par Allingham. J'y
+recueillis les plus vifs applaudissemens. Le prologue, fait à l'occasion
+de notre réunion comique, était de ma composition. Quant aux autres
+acteurs, c'étaient de jeunes dames et des personnes du voisinage. Notre
+auditoire bienveillant parut complètement satisfait de nous.»</p>
+
+<p>Peut-être ici ne sera-t-il pas inutile de remarquer qu'en remplissant
+deux rôles opposés avec un égal succès, le jeune poète développait
+dès-lors cet amour et cette puissance de contraste qui, plus tard, le
+signalèrent dans le monde et sur un plus grand théâtre sous des aspects
+si divers. La morosité de Penruddock et la causticité de Tristram sont
+en effet deux types auxquels semblent se rapporter toutes les
+singularités de son caractère postérieur.</p>
+
+<p>Ces représentations forment une ère mémorable à Southwell; elles eurent
+lieu sur la fin de septembre, dans la maison de M. Leacroft, dont
+l'antichambre fut, pour cet effet, transformée en salle de spectacle, et
+dont la famille remplissait quelques-uns des plus beaux rôles. Le
+prologue, que l'on peut lire dans ses <i>Heures d'oisiveté</i>, fut composé
+par Lord Byron, en voiture et sur la route d'Harrowgate. En montant dans
+la chaise, à Chesterfield, il dit à son compagnon de voyage: «Pigot, je
+vais tramer un prologue pour notre représentation,» et avant de gagner
+Mansfield il avait achevé son travail, n'ayant qu'une seule fois
+interrompu sa versifiante rêverie pour demander la prononciation précise
+du mot français <i>début</i>; quand on la lui dit, il s'écria avec
+l'enthousiasme de Byshe: «Bien! ce sera pour rimer avec <i>new</i>.»</p>
+
+<p>L'épilogue fut dans cette occasion composé par M. Becher; c'était, pour
+donner à Lord Byron l'occasion de développer ses talens comiques, une
+réunion de gais portraits de toutes les personnes qui avaient pris part
+à cette représentation. Mais on avait eu, dans les coulisses, quelque
+indice de ce projet; soudain la crainte du ridicule répandit l'alarme
+chez tous les acteurs, et, pour les rassurer, l'auteur se vit obligé de
+promettre que, si après la répétition ils venaient à en condamner les
+traits, il le retirerait de bonne grâce. Cependant Lord Byron et lui
+convinrent de répéter les vers devant leurs camarades, dans un ton aussi
+innocent et aussi inoffensif que possible, réservant pour le soir de la
+représentation le jeu de pantomime qui faisait tout le sel de la
+plaisanterie. L'effet désiré fut produit; tous les acteurs satisfaits
+témoignèrent leur étonnement de ce qu'on avait pu soupçonner
+l'inconvenance d'un ouvrage aussi estimable. Mais leur surprise fut
+d'une nature tout-à-fait différente, quand ils entendirent, le
+lendemain, les bruyans éclats de rire de l'auditoire; et quand ils
+virent le tour que leur avait joué Lord Byron, ils n'eurent d'autre
+ressource que de joindre leurs rires à ceux que l'imitation de leurs
+traits excitait dans l'assemblée.</p>
+
+<p>Ce fut au mois de novembre que le petit volume de poésies, dont il
+s'occupait depuis quelque tems, fut lancé dans le cercle étroit auquel
+il était destiné. M. Becher en reçut le premier exemplaire<a id="footnotetag52" name="footnotetag52"></a>
+<a href="#footnote52"><sup class="sml">52</sup></a>.
+L'ascendant que son amour pour la poésie, son esprit juste et sociable,
+lui donnaient dans ce tems sur Lord Byron, lui permettait fréquemment de
+diriger le goût de son jeune ami, autant en matière de conduite que de
+littérature. Je citerai un exemple de la puissance de cet ascendant; il
+prouvera que le caractère de Byron était loin d'être intraitable, et que
+s'il avait eu plus souvent le bonheur de tomber dans des mains <i>habiles
+à toucher cet instrument</i>, elles en eussent tiré une expression douce
+aussi bien qu'énergique.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote52"
+name="footnote52"><b>Note 52: </b></a><a href="#footnotetag52">
+(retour) </a> Il ne reste de cette édition in quarto, composée
+ d'un petit nombre de feuilles, que deux ou trois copies.</blockquote>
+
+<p>À l'instant de marquer ainsi sa place dans la littérature légère du
+jour, il était naturel que Lord Byron revînt avec plaisir sur les
+ouvrages qui semblaient le plus en harmonie avec sa jeunesse et son
+caractère. On dit que ses livres favoris étaient alors le Camoëns de
+lord Strangford et les poèmes de Little<a id="footnotetag53" name="footnotetag53"></a>
+<a href="#footnote53"><sup class="sml">53</sup></a>; souvent son respectable ami
+lui avait justement reproché ce goût particulier; il lui représentait
+avec raison (du moins quant au dernier de ces deux auteurs), combien il
+lui était facile de trouver dans les vieilles illustrations littéraires
+de l'Angleterre de plus sûrs modèles de pensées et de style. Au lieu de
+perdre son tems sur les productions éphémères de ses contemporains, que
+n'étudiait-il les pages de Milton et de Shakspeare, et surtout que ne
+songeait-il à élever son imagination et son jugement par la
+contemplation des plus sublimes beautés de la Bible? Mais quant à ce
+dernier point, M. Becher reconnut que Lord Byron avait prévenu depuis
+long-tems ses avis, et qu'il avait une profonde connaissance des beautés
+de l'Écriture sainte. Cette circonstance fortifie encore le compte rendu
+par son premier maître, le docteur Glennie, de ses grands progrès dans
+les livres sacrés lorsqu'il n'était encore qu'un enfant.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote53"
+name="footnote53"><b>Note 53: </b></a><a href="#footnotetag53">
+(retour) </a> On sait que Thomas Moore s'était caché sous ce nom
+ dans ses premières poésies érotiques.
+ <span class="rig">(<i>Note du Tr.</i>)</span><br>
+</blockquote>
+
+<p>M. Becher, comme je l'ai dit, reçut le premier exemplaire de son livre;
+en le parcourant, et parmi plusieurs pièces dignes d'admiration, d'éloge
+ou de critique, il trouva un poème dans lequel le jeune auteur avait
+répandu une indécence de coloris, que ne pouvait pas même rendre
+excusable sa grande jeunesse. Aussitôt, et pour lui exprimer son opinion
+d'une manière plus courtoise, il fit et adressa à Lord Byron sur ce
+sujet une supplique rimée à laquelle le noble poète fit sur-le-champ une
+réponse également en vers; il y joignit une note en prose pour lui dire
+qu'il sentait parfaitement la justice de sa critique amicale, et qu'en
+conséquence plutôt que de laisser circuler le poème en question, il en
+retirerait toutes les copies qu'il avait pu déjà distribuer, et
+annullerait l'impression entière. Ce sacrifice fut fait le soir même; Mr
+Becher vit brûler toutes les copies de cette édition, à l'exception de
+celle qu'il avait reçue, et une autre qui, envoyée à Édimbourg, ne fut
+pas rendue.</p>
+
+<p>Ce trait du jeune poète parle assez haut en sa faveur; cette docilité
+ingénue, cette sensibilité, attestent un naturel capable de respecter et
+d'aimer tout ce qu'il y a de respectable au monde. Les sentimens qui lui
+dictèrent, vers ce tems, la lettre suivante, ne portent pas un caractère
+moins aimable; il est impossible de la parcourir sans reconnaître dans
+l'écrivain une noble candeur et une véritable sincérité.</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE VIII.</h3>
+
+<h4>AU COMTE DE CLARE.</h4>
+
+<p class="rig">Southwell Nottes, 6 février 1807.</p><br><br>
+
+<p><span class="sc">Mon très-cher Clare</span>,</p>
+
+<p>«Si je voulais justifier ou du moins pallier ma négligence, vous
+pourriez dire qu'au lieu d'une lettre vous avez reçu un placet surchargé
+de prières à fin de pardon; j'aime mieux en un seul mot avouer mes
+crimes, et me confier à votre affection et à votre générosité plutôt
+qu'à mes protestations. Ma santé n'est pas entièrement rétablie:
+cependant je suis hors de tout danger, et j'ai repris toutes mes forces,
+si ce n'est celles de l'esprit fort susceptibles par elles-mêmes
+d'affaiblissement. Vous serez étonné d'apprendre que j'aie dernièrement
+écrit à Delaware pour lui expliquer (autant que possible sans
+compromettre quelques-uns de <i>mes vieux</i> amis) les motifs de ma conduite
+à son égard pendant ma dernière résidence à Harrow (il y a deux ans de
+cela), laquelle, si vous vous rappelez, était extrêmement <i>en
+cavalier</i><a id="footnotetag54" name="footnotetag54"></a>
+<a href="#footnote54"><sup class="sml">54</sup></a>. Depuis j'ai découvert qu'il avait été injustement traité
+et par ceux qui avaient accusé ses procédés et par moi-même qui avais
+cru leur suggestion. En conséquence, je lui ai fait toutes les
+réparations possibles en expliquant ma méprise, sans toutefois grande
+espérance de le persuader: véritablement je n'attendais pas de réponse,
+tout en désirant qu'elle m'arrivât pour la forme; elle ne l'est pas
+encore, et sans doute elle ne viendra pas. Mais j'éprouve du bien-aise
+intérieurement de mon procédé, assez humiliant d'ailleurs pour les gens
+de ma nature; et je n'aurais pu dormir tranquille avec l'idée d'avoir,
+<i>même involontairement</i>, fait injure à quelqu'un. J'ai, autant qu'il
+m'était possible, réparé cette injure, et là doit se terminer l'affaire.
+Que nous revenions ou non à notre ancienne intimité, c'est une chose
+d'ailleurs fort secondaire.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote54"
+name="footnote54"><b>Note 54: </b></a><a href="#footnotetag54">
+(retour) </a> On voit que Lord Byron, peu familiarisé avec la
+ langue française, prend ici l'expression <i>en cavalier</i>, pour
+ synonyme de celle de <i>cavalière</i>.</blockquote>
+
+<p>»Je viens de passer le tems au milieu de soins divers; j'ai fait
+condamner à <i>l'exportation</i> un domestique<a id="footnotetag55" name="footnotetag55"></a>
+<a href="#footnote55"><sup class="sml">55</sup></a> qui me volait, chose en
+elle-même fort désagréable; j'ai joué sur un théâtre de société; j'ai
+publié un volume de poésies (à la demande et à l'unique usage de mes
+amis); j'ai fait l'amour; j'ai pris médecine. Ces deux derniers
+amusemens n'ont pas eu <i>dans le monde</i> un excellent effet; d'un côté mes
+attentions se partagèrent entre tant de belles <i>demoiselles</i>, et de
+l'autre les drogues qu'on me fit avaler étaient d'une vertu si
+compliquée, qu'entre Vénus et Esculape je me suis trouvé mortellement
+harassé. J'ai pourtant assez de loisir pour consacrer quelques heures
+aux souvenirs du passé, pour regretter l'amitié et en même tems profiter
+de l'occasion favorable pour vous assurer combien je suis et serai
+toujours, mon très-cher Clare, votre sincère et parfaitement dévoué,<span class="rig">
+BYRON.</span></p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote55"
+name="footnote55"><b>Note 55: </b></a><a href="#footnotetag55">
+(retour) </a> Son valet Frank.</blockquote>
+
+<p>Comme il se croyait obligé de remplacer les exemplaires de son livre
+qu'il avait redemandés, et en même tems de lever l'espèce de stigmate
+dont on aurait pu flétrir son talent avorté, il s'occupa promptement de
+préparer une seconde édition, et ce travail ne fut terminé qu'au bout de
+six semaines. Mais au commencement de janvier nous le voyons en adresser
+un exemplaire à son ami d'Édimbourg, le docteur Pigot.</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE IX.</h3>
+
+<h4>À M. PIGOT.</h4>
+
+<p class="rig">Southwell, 13 janvier 1807.</p><br><br>
+
+<p>«Je devrais commencer par un million d'excuses; mais la variété de mes
+travaux en vers et en prose servira, je l'espère, à justifier ma
+négligence. Vous recevrez avec cette lettre un volume de tous mes
+<i>Juvenilia</i>, publiés depuis votre départ: leur nombre est beaucoup plus
+grand que dans l'exemplaire en votre possession, lequel je vous supplie
+d'anéantir, celui que je vous envoie étant beaucoup plus complet. Ces
+<i>maudits</i> vers à ma pauvre Marie<a id="footnotetag56" name="footnotetag56"></a>
+<a href="#footnote56"><sup class="sml">56</sup></a> ont été une source de
+mécontentemens auprès des dames d'un <i>certain âge</i>. Je ne les ai pas
+insérés dans cette édition, parce que je leur dois d'avoir été traité de
+<i>pécheur déhonté</i>, enfin d'un nouveau <i>Moore</i>, par votre cher
+<a id="footnotetag57" name="footnotetag57"></a>
+<a href="#footnote57"><sup class="sml">57</sup></a>... Je
+pense qu'on a en général accueilli favorablement ce volume, et sans
+doute l'âge de son auteur préviendra la sévérité des juges.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote56"
+name="footnote56"><b>Note 56: </b></a><a href="#footnotetag56">
+(retour) </a> Il ne faut pas confondre cette Marie avec miss
+ Chaworth ou Marie d'Aberdeen; tout ce que j'en puis dire,
+ c'est qu'elle avait dans le monde une position humble, sinon
+ équivoque; qu'elle avait de longs, de brillans cheveux
+ blonds, dont Byron aimait à montrer à ses amis une tresse
+ aussi bien que le portrait de celle qui les lui avait donnés;
+ et qu'enfin c'est à elle que furent adressés les vers des
+ <i>Heures d'oisiveté</i>, intitulés: <i>À Marie, en recevant son
+ portrait</i>.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote57"
+name="footnote57"><b>Note 57: </b></a><a href="#footnotetag57">
+(retour) </a> Le <i>respectable</i> M. Becher, sans doute.
+<span class="rig">(<i>N. du Tr.</i>)</span><br>
+</blockquote>
+
+<p>»Les aventures de ma vie de seize à dix-neuf ans, et la dissipation au
+milieu de laquelle je me suis trouvé à Londres, ont donné à mes idées
+une teinte voluptueuse; mais d'ailleurs les inspirations que j'ai eues
+ne comportaient guère un autre coloris. Ce volume <i>est singulièrement</i>
+correct et miraculeusement chaste. À propos, en parlant d'amour....</p>
+
+<p>»Si vous pouvez trouver le tems de répondre à ce pot-pourri indigeste de
+sottises, vous ne doutez pas du plaisir qu'en recevra votre, etc.»</p>
+
+<p>L'un de ses amis de collége, M. William Bankes, ayant vu, par hasard, un
+exemplaire du livre, lui avait adressé une lettre où se trouvait exposée
+l'opinion qu'il s'en formait. Voici la réponse de lord Byron:</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE X.</h3>
+
+<h4>À M. WILLIAMS BANKES.</h4>
+
+<p class="rig">Southwell, 6 mars 1807.</p><br><br>
+
+<p><span class="sc">Cher Bankes</span>,</p>
+
+<p>«Votre critique m'est précieuse à plusieurs titres: d'abord c'est la
+seule où la flatterie ait fort peu de part, ensuite je suis <i>affadi</i> par
+les complimens insipides. J'ai meilleure opinion de votre jugement et de
+votre mérite que de votre sensibilité. Recevez mes vifs remercîmens pour
+la sincérité d'un jugement qui, pour être entièrement inattendu, n'en
+sera pas moins bienvenu. Pour ce qui est d'un examen plus exact, il est
+inutile de vous rappeler combien peu de nos <i>meilleurs</i> poèmes
+soutiendraient l'épreuve d'une minutieuse critique de mots. On ne peut
+donc guère attendre d'un enfant (et la plupart de ces vers furent
+composés il y a déjà long-tems) une grande perfection de sujet ou de
+style. Plusieurs pièces furent écrites sous l'influence d'un grand
+abattement d'esprit, d'une indisposition grave; de là, le tour sombre
+des idées. Nous sommes d'accord dans l'opinion que les poésies érotiques
+sont les moins irréprochables; elles n'en furent pas moins agréables aux
+divinités sur l'autel desquelles je les déposai; c'est tout ce que je
+voulais.</p>
+
+<p>»Le portrait de Pomposus fut dessiné à Harrow, après une <i>longue
+séance</i>; cela garantit la ressemblance ou plutôt la caricature. C'est
+<i>votre</i> ami, <i>il ne fut jamais le mien</i>; il est donc à propos de m'en
+taire. Les rimes sur le collége ne contiennent pas de personnalités; on
+peut en voir dans l'une des notes, mais je ne pouvais la supprimer. Je
+ne doute pas qu'elles ne servent de prétexte au blâme, juste punition de
+mon impiété filiale envers une <i>alma mater</i> aussi excellente. Je ne vous
+envoie pas mon livre dans la crainte de <i>nous</i> placer, vous dans la
+situation de Gilblas, moi dans celle de l'archevêque de Grenade: au
+risque des chances de l'épreuve, je désire laisser à votre arrêt toute
+son indépendance. Si je vous avais adressé mon <i>libellus</i> avant votre
+lettre, j'aurais semblé vouloir acheter un compliment, et je n'hésite
+pas à dire que j'avais plus d'impatience de voir votre critique malgré
+sa sévérité, que d'entendre un million de louangeurs. Le même jour je
+reçus les félicitations de Mackenzie, le célèbre auteur de l'<i>Homme
+sensible</i>; laquelle, de <i>votre</i> approbation ou de la <i>sienne</i>, me flatta
+le plus? c'est ce que je ne puis décider. Vous recevrez mes <i>Juvenilia</i>,
+tous ceux, du moins, qui ont été publiés. J'ai en manuscrit un gros
+volume que je pourrai, par la suite, donner à part; à présent, je n'ai
+ni le tems ni la volonté de le livrer à l'impression. Le printems, je
+retournerai à la Trinité pour enlever mes effets, et vous dire un
+dernier adieu; mes <i>pleurs</i>, dans cette circonstance, n'augmenteront
+guère le courant du <i>Cam</i>. Je mettrai à profit désormais vos remarques,
+malgré leur causticité ou leur amertume pour un palais gâté par les
+<i>adulations sucrées</i>. Johnson a démontré qu'il n'y avait point de
+poésies parfaites, mais il faudrait un Hercule pour travailler à
+corriger les miennes. Franchement, je ne les avais pas revues depuis
+l'époque où je les composai; et si je les ai publiées, ce n'a été qu'à
+la prière de mes amis; mais on m'a tant parlé du <i>genus irritabile
+vatum</i>, que nous n'aurons jamais, sur ce sujet, de querelle, la
+réputation de poète n'étant nullement le <i>but</i> de mes vœux.</p>
+
+<p>»Adieu. Tout à vous,»<br><span class="rig">
+
+BYRON.</span><br></p>
+
+<p>Cette lettre fut suivie d'une autre, au même M. Bankes, sur le même
+sujet; il n'en reste malheureusement que les fragmens suivans:</p>
+
+<p>«Pour ma part, j'ai bien souffert de la mort de mes deux meilleurs amis,
+les seuls êtres que j'eusse jamais aimés (les femmes exceptées); me
+voici réduit à être un animal solitaire, passablement misérable, et je
+me sens assez cosmopolite pour ne plus me soucier le moins du monde du
+lieu que j'habiterai, l'Angleterre ou le Kamtschatka. Je ne puis montrer
+une déférence plus grande pour vos corrections qu'en les adoptant de
+suite; je les suivrai dans l'édition suivante. Je suis fâché que vos
+remarques ne soient pas plus fréquentes, convaincu de tout l'avantage
+que j'en pourrais également retirer. J'ai, depuis ma dernière lettre,
+reçu d'Édimbourg deux jugemens trop flatteurs tous les deux pour que je
+puisse les répéter: l'un est de lord Woodhouselee, le premier et le plus
+<i>volumineux</i> des littérateurs écossais (son dernier ouvrage est une <i>Vie
+de lord Kaymes</i>); le second est de Mackenzie, qui m'envoyait pour la
+seconde fois son sentiment, mais plus développé. Je ne les connais
+personnellement l'un ni l'autre, et je n'ai jamais sollicité leur avis à
+ce sujet: leurs éloges sont volontaires; c'est un ami chez qui ils
+avaient lu mes vers qui me les a transmis.</p>
+
+<p>«Contre mes premières intentions, je m'occupe en ce moment de la
+publication d'une nouvelle édition; les sujets d'amour seront retranchés
+et remplacés par d'autres; le tout, considérablement augmenté, paraîtra
+vers la fin de mai. C'est une épreuve hasardeuse; mais le défaut
+d'occupations plus graves, les encouragemens que j'ai reçus, ma vanité
+personnelle, tout me porte à la tenter, mais non sans de <i>vives
+palpitations</i>. Le livre sera lu dans ce pays, du moins par curiosité...»
+Le reste manque.</p>
+
+<p>Voici la lettre modeste qu'il joignit à l'exemplaire qu'il présenta à M.
+Falkner, propriétaire de la maison qu'occupait sa mère.</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE XI.</h3>
+
+<h4>À M. FALKNER.</h4>
+
+<p><span class="sc">Monsieur</span>,</p>
+
+<p>«Le volume qui accompagne cette lettre vous aurait déjà été présenté, si
+l'indisposition de miss Falkner ne m'eût pas fait craindre de rendre
+inconvenante l'offre de pareilles bagatelles. Vous y verrez quelques
+fautes d'impression que je n'ai pas eu le tems de corriger: vous avez
+donc une tâche pénible, celle d'apercevoir et les fautes de l'auteur et
+celles dont il n'est pas coupable. De pareils <i>juvenilia</i> ne peuvent
+espérer une approbation sérieuse, mais j'ose espérer, pour la même
+raison, qu'ils échapperont à la sévérité d'une critique intempestive,
+quoique peut-être non méritée.</p>
+
+<p>»Ces poésies furent composées dans des tems et des circonstances
+diverses; elles n'ont été publiées que pour un cercle d'amis
+bienveillans. Vous pouvez m'en croire, monsieur: si elles procurent le
+plus léger plaisir à vous et à mes autres <i>familiers</i> lecteurs, j'aurai
+recueilli tous les lauriers que je souhaite pour la tête de votre tout
+dévoué,<span class="rig"><br>
+BYRON.</span><br><br></p>
+
+<p>»<i>P. S.</i> Miss Falkner est, je l'espère, en pleine convalescence.»</p>
+
+<p>Malgré cette déclaration peu ambitieuse du jeune auteur, il avait en lui
+quelque chose qui l'empêchait de s'arrêter; et la réputation qu'il
+s'était faite dans un cercle limité l'avait rendu plus avide de courir
+les chances d'une plus vaste lice. Les cent copies de cette première
+édition étaient à peine distribuées, qu'il revint avec une nouvelle
+activité chez son imprimeur, et c'est ainsi que parurent les <i>Heures de
+loisir</i>; il y joignit plusieurs pièces nouvellement composées, il en
+retrancha une vingtaine de celles que renfermait son premier volume. Il
+est difficile d'expliquer cette sévérité, la plupart des vers éliminés
+étant aussi beaux, sinon meilleurs que les autres.</p>
+
+<p>Il y a dans l'une des pièces réimprimées parmi les <i>Heures de loisir</i>
+quelques corrections et additions assez curieuses, en ce qu'on peut les
+attribuer aux sentimens connus du poète sur l'illustration de naissance.
+L'<i>Épitaphe d'un ami</i> semble, d'après les vers que je vais citer, avoir
+été d'abord composée pour déplorer la mort de ce même jeune fermier
+auquel il avait auparavant adressé quelques vers affectueux reproduits
+plus haut:</p>
+
+<p>Quoique ton lot soit humble, puisque tu es né dans une chaumière; et que
+ton nom ne soit point orné de titres, ta simple amitié m'était bien plus
+chère que toutes les joies que peuvent donner la richesse, la réputation
+et les amis du grand monde.</p>
+
+<p>Dans la nouvelle forme de cette épitaphe, non-seulement il supprima ce
+passage, mais tous ceux qui rappelaient encore l'humble rang de son
+jeune ami. Le premier des vers ajoutés:</p>
+
+<p class="mid">Et quoique ton père déplore l'extinction de sa race,</p>
+
+<p>semble destiné à rappeler l'idée d'une haute position sociale, toute
+différente de celle que présentait l'épitaphe primitive. L'autre pièce,
+évidemment adressée au même enfant, et rappelant en termes équivalens
+l'obscurité de sa condition, ne se retrouve pas davantage dans les
+<i>Heures de loisir</i>. Qu'en approchant de l'âge viril il sentît mieux
+l'élévation de son rang, on peut le supposer, et ne voir qu'une suite de
+ces sentimens dans le soin qu'il mit à cacher ses premières amitiés de
+village.</p>
+
+<p>Ses visites à Southwell n'ayant plus été, après ce tems, que rares et
+passagères, je saisis l'occasion de rappeler quelques traits variés de
+ses habitudes et de son genre de vie à la même époque. Dans les premiers
+instans de son séjour, sa timidité était excessive, mais elle disparut à
+mesure qu'il se lia davantage avec les jeunes gens; il finit même par se
+trouver à la plupart des assemblées et des festins, et par être mortifié
+quand il n'était pas invité à quelque <i>rout</i>. Toutefois il conservait
+encore son horreur des nouvelles figures; et s'il voyait des étrangers
+approcher de la maison de Mrs. Pigot, quand il s'y trouvait, il eût
+volontiers, pour les éviter, sauté par la fenêtre. Cette réserve
+naturelle, jointe à une dose assez forte d'orgueil, l'éloignait des
+gentilshommes du voisinage, auxquels, plus d'une fois, il lui arriva de
+ne pas rendre leur visite: à l'égard de quelques-uns, sous prétexte que
+leurs femmes n'étaient pas allées voir sa mère; de quelques autres,
+parce qu'ils avaient trop tardé à le voir lui-même: mais la vraie raison
+de ce dédain, c'est qu'il ne voulait pas faire connaissance avec des
+voisins plus opulens que lui, et qu'il aimait à les mortifier par la
+supériorité de son rang, comme il l'était lui-même par celle de leur
+fortune. Son ami M. Becher lui faisait de fréquens reproches de cet
+esprit insociable; et un jour Lord Byron lui répondit par des vers qui
+expriment parfaitement la hauteur avec laquelle son génie volcanique
+considérait déjà le monde; et comme le volume où se trouvent ces vers
+est devenu fort rare, je ne puis résister au désir d'en donner les
+passages suivans:</p>
+
+<p>Mon cher Becher, vous me dites de me mêler à la société des hommes: je
+ne saurais nier que votre avis ne soit bon; mais la retraite convient
+mieux à mon caractère, je ne veux pas descendre jusqu'à un monde que je
+méprise.</p>
+
+<p>Si le sénat ou les camps m'appelaient, l'ambition pourrait me faire
+sortir de mon heureux repos; et quand la jeunesse, ce tems d'épreuve,
+sera passé, peut-être je m'efforcerai d'illustrer mon nom.</p>
+
+<p>Le feu caché dans les flancs caverneux de l'Etna couve long-tems et
+fermente en secret, à la fin un volume effroyable de flammes et de fumée
+révèle son existence; alors il n'y a point de torrens qui puissent
+l'éteindre, point de barrières qui puissent l'arrêter.</p>
+
+<p>Oh! tel est le désir de gloire qui dévore mon cœur, qui m'ordonne de
+vivre pour être loué un jour de la postérité. Oh! si je pouvais comme le
+phénix prendre mon essor avec des ailes de feu, avec lui je serais
+content de mourir au milieu des flammes.</p>
+
+<p>Pour une vie comme celle de Fox, pour une mort comme celle de Chatham,
+quelles censures, quels dangers, quelles haines ne braverais-je pas?
+Leur vie ne s'est point terminée avec leur dernier souffle, leur gloire
+anime et vivifie le silence de leur tombeau.</p>
+
+<p>Comme sa mère, il était toujours en retard pour se lever et se mettre au
+lit; il conserva même toute sa vie cette habitude. La nuit fut toujours
+aussi son heure favorite de travail, et sa première visite, le jour
+suivant, était ordinairement pour la belle amie qui lui servait de
+copiste, et à laquelle il portait les fruits de sa précédente veille;
+puis il se rendait chez son ami, M. Becher; de là dans une ou deux
+autres maisons, puis le reste du jour était consacré à ses exercices
+favoris; le soir, il passait le tems dans la famille Pigot, soit en
+conversation, soit à entendre miss Pigot toucher le piano et chanter une
+série d'airs qu'il admirait<a id="footnotetag58" name="footnotetag58"></a>
+<a href="#footnote58"><sup class="sml">58</sup></a>. <i>La Vierge de Lodi</i>, avec les paroles:
+<i>Mon cœur palpite d'amour</i>, et cet autre: <i>Quand le tems, qui ravit nos
+années</i>, étaient, à ce qu'il paraît, ses airs favoris. Il s'était fait
+dès-lors une douce habitude de cette existence régulière, qui le
+ramenait périodiquement aux mêmes occupations, et qu'il adopta pendant
+presque tout le tems de son séjour à l'étranger.</p>
+
+<p>D'un autre côté, les exercices auxquels il demandait quelques
+distractions, dans de moins heureux jours, lui offraient alors des
+plaisirs sans mélange. La plus grande partie de son tems se passait à
+nager, jouer aux barres, tirer au blanc et courir à cheval<a id="footnotetag59" name="footnotetag59"></a>
+<a href="#footnote59"><sup class="sml">59</sup></a>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote58"
+name="footnote58"><b>Note 58: </b></a><a href="#footnotetag58">
+(retour) </a> Il aima toujours la musique, mais il ne sut jamais
+ bien exécuter. «Il est bien singulier, disait-il un jour à la
+ même dame, que je chante beaucoup mieux avec votre
+ accompagnement qu'avec tout autre.--C'est, répondit-elle, que
+ je joue selon votre manière de chanter.» C'est là en effet
+ tout le secret d'un habile accompagnateur.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote59"
+name="footnote59"><b>Note 59: </b></a><a href="#footnotetag59">
+(retour) </a> Un autre de ses jeux favoris était <i>la balle à
+ crosser</i>; et l'on ne pouvait s'empêcher d'admirer la célérité
+ de sa course à ce dernier exercice, en dépit de son pied
+ boiteux. «Lord Byron, dit miss... dans une lettre à son
+ frère, datée de Southwell, vient de passer devant la fenêtre,
+ la batte sur l'épaule, pour aller <i>crosser</i> suivant sa chère
+ habitude.»</blockquote>
+
+<p>Il n'était pas fort expert dans ce dernier art, et l'on cite comme un
+exemple de son peu d'habitude des chevaux, qu'en voyant un jour passer
+deux, sous ses fenêtres, il s'écria: «Les beaux chevaux! je voudrais les
+acheter.--Comment! ce sont les vôtres, milord,» répondit son valet. Ceux
+qui l'avaient connu au tems où nous sommes, s'étonnaient beaucoup
+d'entendre plus tard parler de son adresse à monter à cheval; et la
+vérité, je suis du moins porté à le croire, est que jamais il ne fut un
+excellent écuyer.</p>
+
+<p>Nous avons déjà vu, d'après ses propres paroles, qu'il excellait à nager
+et à plonger. Une dame de Southwell possède, entre autres précieux
+objets qui lui ont appartenu, un dé qu'il vint un matin lui emprunter au
+moment d'aller se baigner dans la Greet: en présence du frère de cette
+dame, il l'avait jeté et retiré trois fois du fond de la rivière. Son
+habitude de s'exercer au tir fut un jour un sujet d'alarme pour une
+jeune et fort jolie personne, miss H., qui était du grand nombre des
+beautés qui enflammaient à Southwell son imagination. On trouve
+l'introduction suivante à la tête d'une pièce de vers imprimée dans le
+volume non publié; «L'auteur déchargeant un jour ses pistolets dans un
+jardin, deux dames, qui passaient près du but, furent alarmées par le
+bruit d'une balle sifflant à leurs oreilles: c'est à l'une d'elles que
+furent adressées, le lendemain, les stances suivantes.»</p>
+
+<p>Telle était sa passion pour les armes de toute espèce, qu'il gardait
+ordinairement près de son lit une petite épée avec laquelle il s'amusait
+le matin à s'escrimer dans ses rideaux. Ce lit fut, à la vente des
+meubles de Mrs. Byron, acquis par une personne qui, voulant donner de
+l'intérêt aux trous des draperies, les supposait percées par l'épée dont
+le dernier lord Byron avait tué M. Chaworth, et que son héritier gardait
+toujours près de son lit en souvenir. C'est ainsi que la fiction vient
+souvent grossir les faits; l'épée en question était une arme innocente
+et vierge que lord Byron empruntait à l'un de ses voisins durant son
+séjour à Southwell.</p>
+
+<p>Les détails que nous avons déjà donnés sur son excursion à Harrowgate,
+peuvent faire juger de sa passion pour les chiens, autre goût qu'il
+conserva toute sa vie; il a immortalisé dans ses vers Boatswain, son
+dogue favori, auprès duquel il avait formé le projet solennel d'être
+enseveli. On raconte de cet animal quelques traits non-seulement
+d'intelligence, mais encore d'une générosité qui devait nécessairement
+exciter l'intérêt d'un maître comme Byron; j'en citerai un exemple en me
+rapprochant autant que possible du récit qui m'en fut fait. Mrs. Byron
+avait un chien terrier, appelé Gilpin, avec lequel Boatswain était
+toujours en querelle, saisissant toutes les occasions de l'attaquer et
+le mordant avec tant de rage qu'on craignait beaucoup qu'il ne finît par
+le tuer. Pour le soustraire à ce sort, Mrs. Byron envoya Gilpin à un
+fermier de Newstead, et Boatswain de son côté, quand lord Byron retourna
+à Cambridge, fut, jusqu'au retour de son maître, confié aux soins d'un
+valet, ainsi que deux autres dogues. Un matin le domestique conçut une
+vive alarme de la disparition de Boatswain; il n'en put avoir de
+nouvelles de la journée. Mais vers le soir, le chien revint accompagné
+de Gilpin qu'il s'empressa de conduire au feu de la cuisine en
+l'accablant de toutes les démonstrations de la joie la plus vive. Le
+fait est qu'il était allé à Newstead pour le découvrir, et qu'il l'avait
+ramené. Depuis ce tems ils vécurent en bonne intelligence; Boatswain
+protégeant toujours son nouvel ami contre les insultes des autres chiens
+(tâche que le naturel querelleur de Gilpin empêchait bien d'être une
+sinécure) et s'empressant d'accourir à la première voix de détresse du
+petit terrier.</p>
+
+<p>La tendance à la superstition est assez naturelle aux hommes doués d'un
+caractère poétique. Lord Byron n'en était pas exempt, et dès son enfance
+l'exemple de sa mère avait contribué à donner à son esprit cette
+faiblesse. Mrs. Byron croyait aveuglément aux merveilles de la seconde
+vue; et les récits étranges qu'elle faisait de cette faculté
+mystérieuse, étonnèrent mainte fois ses amis anglais doués d'une foi
+moins robuste. On verra que même bien plus tard, et à la mort de son ami
+Shelley, l'idée des apparitions dont sa mère l'avait nourri, n'avait pas
+perdu sur lui tout son empire. On peut citer comme un exemple d'une
+superstition moins lugubre, une petite anecdote qui me fut racontée par
+une de ses amies de Southwell. Cette dame avait un grain de collier en
+agate traversé d'un fil de laiton, et qu'elle gardait toujours dans sa
+boîte à ouvrage. Un jour, Lord Byron lui ayant dit ce que c'était, elle
+lui répondit qu'on le lui avait donné comme un talisman, et que le
+charme la préserverait de l'amour tant qu'il serait en sa possession.
+«Alors donnez-le-moi, s'écria-t-il vivement, c'est là précisément ce que
+je cherchais.» La jeune dame refusa; mais bientôt après son agate avait
+disparu. Elle le taxa d'avoir commis le vol; mais en l'avouant de bonne
+grâce, il protesta que jamais elle ne reverrait son amulette.</p>
+
+<p>Il laissa derrière lui à Southwell, comme partout où il fit jamais
+quelque résidence, les preuves les plus affectueuses de bienfaisance et
+de bonté de cœur... «Jamais, dit une personne qu'il voyait beaucoup à
+cette époque, ses yeux ne furent frappés d'un seul objet de détresse
+sans qu'il contribuât à l'adoucir.» Parmi de nombreux traits de cette
+nature, je choisis le suivant comme une preuve moins de sa générosité
+que de l'intérêt que présente l'incident en lui-même par sa liaison avec
+le nom de Byron. Étant encore écolier, il lui arriva de se trouver à
+Southwell dans une boutique de libraire, quand une pauvre femme vint
+pour y acheter une Bible; le prix qu'on la lui fit fut de 8 shellings.
+«Ah! mon cher Monsieur, s'écria-t-elle, je ne puis pas y mettre un
+pareil prix; je ne croyais pas qu'elle pût m'en coûter la moitié.» La
+femme alors s'éloigna avec un air désappointé, quand le jeune Byron, la
+rappelant, lui fit présent de la Bible.</p>
+
+<p>Il eut toujours un grand soin de sa personne et de sa toilette, de
+l'arrangement de ses cheveux, enfin de tout ce qui pouvait relever la
+beauté dont la nature l'avait doué. Même dans un âge fort tendre, il
+témoignait le désir de plaire à ce sexe qui ne devait pas cesser d'être
+l'étoile polaire de sa destinée. La crainte d'un embonpoint excessif,
+auquel il avait des dispositions naturelles, l'avait engagé, dès son
+arrivée à Cambridge, à adopter un système d'abstinence et de violent
+exercice, et de faire un fréquent usage des bains chauds. Mais un point
+remplissait sa vie d'amertume, le frappait comme une malédiction au
+milieu des joies de la jeunesse et de ses espérances de gloire et de
+bonheur: le croira-t-on? c'était la légère difformité de son pied. Un
+jour M. Becher, le voyant plus abattu qu'à l'ordinaire, s'efforçait de
+l'égayer et de le ranimer en lui représentant sous les plus brillantes
+couleurs, les nombreux avantages dont la Providence l'avait comblé,
+entre autres celui d'un esprit qui le plaçait au-dessus du reste des
+hommes. «Ah! mon cher ami, répondit Byron avec une expression
+douloureuse, si cela (en se frappant le front de la main) m'élève
+au-dessus des autres hommes, ceci (en indiquant son pied) me ravale bien
+au-dessous d'eux.»</p>
+
+<p>Quelquefois il semblait que sa susceptibilité lui persuadât qu'il était
+dans le monde la seule personne affligée d'une pareille infirmité. Quand
+M. Bailey, qui se faisait alors remarquer comme écolier, aussi bien que
+plus tard comme voyageur, entra à Cambridge après avoir été le
+condisciple de Lord Byron à Aberdeen, le jeune Lord avait pris tant
+d'embonpoint, que M. Bailey eut long-tems de la peine à le reconnaître.
+«Il est assez singulier, lui dit alors Byron, que vous ne vous souveniez
+pas de moi; je croyais que la nature m'avait gratifié d'un signe qui
+devait toujours me faire reconnaître.»</p>
+
+<p>Mais ce défaut était aussi bien un motif d'émulation pour lui qu'une
+source de regret et de honte. Dans tout ce qui exigeait du courage
+personnel ou de la vivacité, il semblait animé, par le stigmate que la
+nature lui avait infligé, d'un désir plus vif de surpasser tous ceux
+auxquels elle avait accordé de plus <i>parfaites proportions</i>. C'est là,
+je n'en doute pas, ce qui lui donnait aussi tant d'ardeur dans la
+poursuite des intrigues amoureuses. Plus d'une fois l'espoir d'étonner
+quelque jour le monde par les exploits d'un capitaine et d'un héros
+venait se mêler dans ses rêves à la perspective du laurier poétique.
+«Tôt ou tard, disait-il souvent quand il était enfant, je lèverai un
+corps de troupes; les soldats seront habillés de noir, et monteront des
+chevaux noirs; on les appellera, les <i>Byrons noirs</i>, et vous entendrez
+parler de leurs prodiges de valeur.»</p>
+
+<p>J'ai déjà parlé de l'ardeur extrême avec laquelle, pendant son séjour à
+Harrow, il se livrait à tous les genres d'études, à la seule exception
+de ceux qu'exigeait la discipline de l'école. Les jours de fête ne
+faisaient pas trêve à la soif de connaissances qui le dévorait, et, pour
+être le moins possible distrait de ses heures de travail, il avait pris
+l'habitude chez sa mère de lire tout le tems du dîner<a id="footnotetag60" name="footnotetag60"></a>
+<a href="#footnote60"><sup class="sml">60</sup></a>. Dans un
+esprit aussi mobile que le sien, tout ce qui était nouveau, grave ou
+frivole, lourd ou divertissant, ne manquait jamais de trouver un écho,
+et je n'ai pas de peine à concevoir la joie qu'il témoignait un jour en
+montrant à l'une de ses amies qui me l'a raconté, un exemplaire des
+Contes de ma Mère l'Oie, qu'il avait acheté le matin chez un
+bouquiniste, et qu'il venait de lire à son dîner.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote60"
+name="footnote60"><b>Note 60: </b></a><a href="#footnotetag60">
+(retour) </a> Burns avait aussi l'habitude de lire à table, comme
+ nous l'apprend M. Lockhart dans la vie de ce poète.</blockquote>
+
+<p>Maintenant nous allons extraire d'un <i>Memorandum</i>, commencé par lui
+cette année et tracé sans ordre et à la hâte, la liste de tous les
+livres qu'il avait déjà parcourus dans tous les genres, à une époque où
+la plupart de ses condisciples n'avaient encore étudié que leurs thèmes
+et leurs versions. Ce document ne peut manquer d'intéresser; et quand on
+considère que le lecteur de tant de livres possédait en même tems la
+mémoire la plus heureuse, on peut douter que parmi les jeunes gens les
+mieux élevés, parmi les plus brillans émules des honneurs scolastiques,
+on en trouvât un seul qui eût acquis au même âge une aussi grande
+variété de connaissances utiles.</p>
+<br>
+<h3>LISTE DES HISTORIENS</h3>
+
+ <h5>DONT J'AI PARCOURU LES OUVRAGES EN DIFFÉRENTES LANGUES.</h5>
+
+ <hr class="short">
+
+<p><span class="sc">Histoire d'Angleterre</span>.--Hume, Rapin, Henry, Smollet, Tindal, Belsham,
+Bisset, Adolphus, Holinshed, les Chroniques de Froissart (ces dernières
+appartiennent proprement à la France).</p>
+
+<p><span class="sc">Écosse</span>.--Buchanan, Hector, Boethius, tous deux en latin.</p>
+
+<p><span class="sc">Irlande</span>.--Gordon.</p>
+
+<p><span class="sc">Rome</span>.--Hooke, chute et décadence par Gibbon; Histoire ancienne de Rollin
+(renfermant celle des Carthaginois, etc.); de plus, Tite-Live, Tacite,
+Eutrope, Cornélius Nepos, Cesar, Arrien, Salluste.</p>
+
+<p><span class="sc">Grèce</span>.--La Grèce de Mitford, le Philippe de Leland, Plutarque,
+Antiquités de Potter, Xenophon, Thucydide, Herodote.</p>
+
+<p><span class="sc">France</span>.--Mezerai, Voltaire.</p>
+
+<p><span class="sc">Espagne</span>.--Je dois ce que je sais de l'ancienne histoire d'Espagne
+principalement à un livre appelé l'Atlas, maintenant oublié. J'ai pris
+quelque teinture de son histoire moderne, depuis les intrigues
+d'Alberoni jusqu'au Prince de la paix, dans les ouvrages qui traitaient
+de la politique européenne.</p>
+
+<p><span class="sc">Portugal</span>.--Ses révolutions par Vertot, comme aussi, du même historien,
+la relation du siége de Rhodes: elle est de son invention, les faits
+réels sont tout-à-fait différens. On en peut dire autant de ses
+chevaliers de Malte.</p>
+
+<p><span class="sc">Turquie</span>.--J'ai lu Knolles, sir Paul Ricaut et le prince Cantemir; en
+outre une histoire anonyme plus moderne. Je sais tous les événemens de
+l'histoire des Ottomans, depuis Tangralopi et Othman Ier jusqu'à la paix
+de Passarowitz, en 1718; la bataille de Cutzka, en 1739, et le traité de
+1790 entre la Russie et la Porte.</p>
+
+<p><span class="sc">Russie</span>.--La vie de Catherine II de Tooke, le czar Pierre de Voltaire.</p>
+
+<p><span class="sc">Suède</span>.--Le Charles XII de Voltaire et celui de Norberg, selon moi le
+meilleur des deux. Une traduction de la guerre de trente ans de
+Schiller, qui renferme les exploits de Gustave-Adolphe; puis la vie du
+même prince par Harte. J'ai lu aussi quelque part un vie de Gustave
+Vasa, le libérateur de la Suède, mais j'ai oublié le nom de l'auteur.</p>
+
+<p><span class="sc">Prusse</span>.--J'ai vu au moins vingt vies de Frédéric II, le seul prince
+mémorable dans les annales de la Prusse; ses propres ouvrages, ceux de
+Gillies et de Thibault sont loin d'être amusans; le dernier est peu
+estimable, mais circonstancié.</p>
+
+<p><span class="sc">Danemarck</span>.--J'en sais peu de chose; j'ai quelque teinture de l'histoire
+naturelle de la Norwége, aucune de sa chronologie.</p>
+
+<p><span class="sc">Allemagne</span>.--J'ai lu de longues histoires de la maison de Souabe, de
+Venceslas, de Rodolphe de Hapsbourg et de ses descendans autrichiens aux
+grosses lèvres.</p>
+
+<p><span class="sc">Suisse</span>.--Ah! Guillaume-Tell et la bataille de Morgarten, où le duc de
+Bourgogne fut tué!</p>
+
+<p><span class="sc">Italie</span>.--Davila, Guicciardini, les Guelfes et les Gibelins, la bataille
+de Pavie, Mazaniello, les révolutions de Naples, etc.</p>
+
+<p><span class="sc">Indostan</span>.--Orme et Cambridge.</p>
+
+<p><span class="sc">Amérique</span>.--Robertson, la guerre d'Amérique par Andrews.</p>
+
+<p><span class="sc">Afrique</span>.--Rien que des voyageurs, comme Mungo-Park, Bruce.</p>
+
+<h3>BIOGRAPHIE.</h3>
+
+<p>Charles-Quint de Robertson, César, Salluste (Catilina et Jugurtha), les
+vies de Marlborough, du prince Eugène, de Tékéli, de Bonnard, de
+Bonaparte, de tous les poètes anglais, par Johnson et Anderson; les
+Confessions de Rousseau, la vie de Cromwell, le Plutarque anglais, le
+Nepos anglais, les vies des amiraux par Campbell, de Charles XII, du
+czar Pierre, de Catherine II, de Henri lord Kaimes, de Marmontel, de sir
+William Jones, par Teignmouth; la vie de Newton, de Bélisaire, et de
+mille autres qui ne méritent pas qu'on en fasse mention.</p>
+
+<h3>LÉGISLATION.</h3>
+
+<p>Blackstone, Montesquieu.</p>
+
+<h3>PHILOSOPHIE.</h3>
+
+<p>Paley, Locke, Bacon, Hume, Berkeley, Drummond, Beattie et Bolingbroke.
+Je déteste Hobbes.</p>
+
+<h3>GÉOGRAPHIE.</h3>
+
+<p>Strabon, Cellarius, Adams, Pinkerton et Guthrie.</p>
+
+<h3>POÉSIE.</h3>
+
+<p>Tous les classiques anglais et la plupart des poètes vivans, Scott,
+Southey, etc.; quelques poètes français dans l'original: le Cid est ma
+pièce favorite. Peu d'italiens; des grecs et des latins sans nombre: à
+l'avenir je ne m'occuperai plus de ces derniers. J'ai fait de nombreuses
+traductions de ces deux langues, vers et prose.</p>
+
+<h3>ÉLOQUENCE.</h3>
+
+<p>Démosthène, Cicéron, Quintilien, Sheridan, la Chironomie d'Austin, et
+les débats du parlement, depuis la révolution, jusqu'en 1742.</p>
+
+<h3>THÉOLOGIE.</h3>
+
+<p>Blair, Porteus, Tillotson, Hooker, tous fort ennuyeux. J'abhorre les
+livres de dévotion, quoique je révère et que j'aime Dieu, sans admettre
+les idées blasphématrices des sectaires, ni croire à leurs absurdes et
+damnables hérésies, à leurs mystères et aux trente-neuf articles.</p>
+
+<h3>MÉLANGES.</h3>
+
+<p>Le spectateur, le rôdeur; le monde, etc., etc., des romans par milliers.</p>
+
+<p>C'est de mémoire que j'ai fait l'énumération de tous ces livres: je me
+souviens de les avoir lus, et j'en pourrais à l'occasion citer plus d'un
+passage. J'ai, sans doute, omis quelques noms dans mon catalogue. J'en
+avais lu la majeure partie avant quinze ans. Depuis que j'ai quitté
+Harrow, je suis devenu paresseux et fat, en griffonnant des rimes et
+faisant la cour aux femmes.<br><span class="rig">
+
+B., 30 novembre 1807.</span><br></p>
+
+<p>J'ai aussi lu, et je regrette aujourd'hui plus de quatre mille romans, y
+compris les œuvres de Cervantes, Fielding, Smollet, Richardson,
+Mackenzie, Sterne, Rabelais, Rousseau, etc., etc. Le livre, à mon avis,
+le plus utile pour celui qui veut avoir l'air d'être fort instruit sans
+grande peine, c'est la physiologie de la tristesse par Burton: c'est le
+recueil de citations et d'anecdotes le plus curieux et le plus amusant
+que j'aie parcouru; mais le lecteur superficiel doit le lire avec
+attention, ou bien la confusion des sujets le rebutera facilement. S'il
+a la patience d'aller jusqu'à la fin, il aura mieux profité pour ses
+conversations littéraires, que s'il avait parcouru vingt autres ouvrages
+que j'ai également lus, du moins en anglais.</p>
+
+<p>C'est à cette étude précoce et variée des écrivains anglais que Lord
+Byron dut la facilité avec laquelle il savait employer toutes les
+ressources de sa langue maternelle: c'est elle qui, le lançant dans les
+champs de la littérature, armé de pied en cap, lui permit de revêtir ses
+poétiques inspirations d'un style parfaitement digne d'elles. En
+général, ce n'est pas l'absence d'idées ou de coloris qui arrête les
+premiers pas des écrivains, c'est l'embarras de trouver des expressions
+pour ce qu'ils conçoivent, c'est l'inexpérience de l'instrument dont se
+rend maître l'homme de génie; en un mot, de leur langue maternelle.
+C'est un fait assez singulier, que les trois exemples les plus frappans
+de précocité littéraire, c'est-à-dire Pope, Congrève et Chatterton,
+devaient tous trois à eux-mêmes leur éducation<a id="footnotetag61" name="footnotetag61"></a>
+<a href="#footnote61"><sup class="sml">61</sup></a>; et que c'est par
+suite de leurs goûts naturels, affranchis des pédantesques directions de
+l'école, qu'ils découvrirent dans le génie de la langue anglaise ces
+précieuses beautés dont ils surent faire un si parfait usage<a id="footnotetag62" name="footnotetag62"></a>
+<a href="#footnote62"><sup class="sml">62</sup></a>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote61"
+name="footnote61"><b>Note 61: </b></a><a href="#footnotetag61">
+(retour) </a> «Je lisais de moi-même, dit Pope, car la lecture
+ était une véritable passion chez moi; j'allais çà et là au
+ gré de mon imagination, et, comme un enfant qui va prendre
+ des fleurs dans les champs, dans les bois, partout où il en
+ voit sur sa route. Je regarde encore aujourd'hui ces cinq ou
+ six années comme les plus heureuses de ma vie.»
+
+<p> Il paraît aussi qu'il n'ignorait pas les avantages de cette
+ manière d'étudier indépendante: «M. Pope, dit Spins, croyait
+ avoir gagné sous quelques rapports à n'avoir pas eu
+ d'éducation régulière. Il avait l'habitude de chercher dans
+ ce qu'il étudiait un sens, quand nous n'y voyons encore que
+ des mots.»</p></blockquote>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote62"
+name="footnote62"><b>Note 62: </b></a><a href="#footnotetag62">
+(retour) </a> Chatterton écrivit, avant l'âge de douze ans, un
+ catalogue, dans le genre de celui de Byron, de tous les
+ livres qu'il avait déjà lus; ils s'élevaient à soixante-dix,
+ et la plupart roulaient sur des matières d'histoire ou de
+ théologie.</blockquote>
+
+<p>On peut, dans le fond, ajouter à ces trois exemples celui de Lord Byron,
+puisque, malgré son nom d'écolier, il n'étudia pas sur les bancs de
+l'école, dans le tems employé par ses camarades, à remuer curieusement
+la cendre de l'antiquité; il se contentait de remonter à la source
+fraîche et vive de son propre idiome<a id="footnotetag63" name="footnotetag63"></a>
+<a href="#footnote63"><sup class="sml">63</sup></a>, et d'y puiser cette richesse
+et cette variété de style qui, dès l'âge de vingt-deux ans, placèrent
+ses ouvrages parmi les monumens les plus précieux de la force et de la
+douceur de la langue anglaise.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote63"
+name="footnote63"><b>Note 63: </b></a><a href="#footnotetag63">
+(retour) </a> La pureté que les Grecs mettaient dans leur style a
+ été attribuée peut-être avec justice à leur habitude de
+ n'étudier que leur propre langue. «S'ils devinrent savans,
+ dit Ferguson, ce ne fut qu'en étudiant ce qu'eux-mêmes
+ avaient composé.»</blockquote>
+
+<p>Dans le même livre où l'on retrouve les souvenirs de ses études, que
+nous venons de citer, Byron avait écrit également de mémoire une liste
+des divers poètes qui s'étaient distingués dans leur langue respective.
+Après avoir cité ceux de l'Europe ancienne et moderne, voici comme il
+poursuit son catalogue pour les autres contrées:</p>
+
+<p><span class="sc">Arabie</span>.--Mahomet, dont le Coran contient des passages d'une poésie bien
+plus sublime que celle des auteurs européens.</p>
+
+<p><span class="sc">Perse</span>.--Ferdousi, auteur du Shah-Nameh; l'Iliade des Persans; Sadi et
+Hafiz, l'immortel Hafiz, l'Anacréon de l'Orient. Ce dernier est respecté
+par les Persans, bien autrement que nous ne respectons aucun poète
+ancien ou moderne; ils vont en pélerinage à Shiraz pour y honorer sa
+mémoire sur son tombeau: à ce monument est attaché un magnifique
+exemplaire de ses œuvres.</p>
+
+<p><span class="sc">Amérique</span>.--Cet hémisphère a déjà produit un poète épique, c'est Barlow,
+auteur de la Colombiade; il ne faut pas le comparer aux ouvrages des
+nations plus polies.</p>
+
+<p><span class="sc">Islande, Danemarck, Norwége</span>.--Ces régions étaient fameuses pour leurs
+Scaldes. Parmi ces derniers on distinguait Lodburg; son chant de mort
+respire des sentimens féroces, mais c'est un genre de poésie généreuse
+et passionnée.</p>
+
+<p><span class="sc">L'Indostan</span> n'a pas de grands poètes connus; du moins le sanscrit l'est
+si mal en Europe, que nous ignorons ce que le tems peut avoir épargné
+dans leur littérature.</p>
+
+<p><span class="sc">L'empire Birman</span>.--Les habitans aiment passionnément la poésie; mais on
+ne connaît pas leurs poètes.</p>
+
+<p><span class="sc">Chine</span>.--Je n'ai jamais entendu parler en fait de poète chinois que de
+l'empereur Kien-Long et de son Ode au thé. Quel malheur que le
+philosophe Confucius n'ait pas rédigé en vers ses admirables préceptes
+de morale!</p>
+
+<p><span class="sc">Afrique</span>.--Quelques chants de ce pays sont plaintifs, et leurs paroles
+simples et touchantes; mais j'ignore s'il faut compter ces informes
+essais parmi les poèmes, comme les chants des bardes ou des scaldes.</p>
+
+<p>J'ai écrit cette courte liste de poètes entièrement de mémoire, et sans
+le secours d'aucun livre; il a donc pu s'y glisser quelques erreurs,
+mais elles doivent être de peu d'importance. J'ai parcouru les ouvrages
+des Européens et quelques-uns de ceux de l'Asie, soit en original, soit
+à l'aide de traduction. Je n'ai cité que les meilleurs dans ma liste des
+poètes anglais; il eût été aussi inutile que fatigant d'énumérer ceux
+d'un moindre mérite. Peut-être cependant pourrait-on dans un catalogue
+cosmopolite ajouter encore Gray, Goldsmith et Collins; quant aux autres
+depuis Chaucer jusqu'à Churchill, ce sont <i>voces prætereaque nihil</i>,
+quelquefois nommés, rarement lus et jamais avec profit. Je regarde
+Chaucer, en dépit des éloges qu'on lui a prodigués, comme méprisable et
+licencieux; il ne doit son renom qu'à son antiquité, et sous ce
+rapport-là même, on devrait plutôt se rappeler Pierce Plowman ou Thomas
+d'Ercildoune. Je me suis gardé de citer des poètes vivans de
+l'Angleterre; il n'en est pas un qui ne survive à ses ouvrages. Le goût
+est perdu chez nous; encore un siècle, et nous aurons disparu, notre
+empire, notre littérature et notre nom, des annales du genre humain.<br><br><span class="rig">
+30 novembre 1807, BYRON.</span><br></p>
+
+<p>Il se trouve, parmi les papiers que je possède de lui, plusieurs petits
+poèmes (en tout environ six cents vers) qu'il écrivit en ce tems-là,
+mais qu'il n'a jamais fait imprimer, parce qu'il les avait composés la
+plupart après la publication de ses <i>Heures de loisir</i>. Le plus grand
+nombre d'entre eux ne se recommande guère que par son nom, mais
+quelques-uns, grâce aux sentimens et aux circonstances qui les
+inspirent, seront lus ici avec plaisir. La première fois qu'il entra
+dans Newsteadt, il planta dans un coin de terre un jeune chêne dont il
+croyait l'existence attachée à la sienne. Après six ou sept ans, quand
+il revint au même endroit, il trouva le chêne étouffé sous les mauvaises
+herbes, et presque desséché. C'était au moment où Lord Grey de Ruthen
+quittait l'abbaye; il fit alors l'un de ces poèmes composés de cinq
+stances, et dont on pourra juger par les passages suivans:</p>
+
+<p>Jeune chêne, quand je te plantai profondément en terre, j'espérais que
+tes jours seraient plus longs que les miens, que tes branches
+jetteraient une ombre noire autour de toi, et que le lierre entourerait
+ton tronc comme un manteau.</p>
+
+<p>Telles étaient mes espérances dans les années de l'enfance, quand je te
+plantai avec orgueil sur la terre de mes aïeux. Ces jours sont passés et
+je t'arrose de mes larmes; les mauvaises herbes qui t'entourent ne
+peuvent voiler aux yeux ton triste dépérissement.</p>
+
+<p>Je t'ai quitté, mon pauvre chêne, et depuis cette heure fatale un
+étranger est le maître du château, etc., etc.</p>
+
+<p>Le sujet des vers qui suivent est assez éclairci par la note qu'il a
+placée en tête. Quoiqu'ils aient un air pénible et affecté, ils me
+paraissent dignes d'être conservés comme un témoignage des sentimens
+tendres et romanesques qu'il avait contractés pour ses amis de collége.</p>
+
+<p>«Il y a quelques années, étant à Harrow, un ami de l'auteur avait gravé
+leurs deux noms dans un endroit écarté; il y avait même ajouté quelques
+mots de souvenirs. Plus tard, à l'occasion de quelque injure réelle ou
+imaginaire, l'auteur, avant de laisser Harrow, avait effacé ce fragile
+souvenir. Voici les stances qu'il écrivit à leur place, quand il revit
+Harrow, en 1807:</p>
+
+<p>Ici naguère les souvenirs de l'amitié attiraient les yeux de l'étranger;
+ils étaient simples, ils étaient peu nombreux les mots qui les
+exprimaient, et cependant la colère les a effacés.</p>
+
+<p>Elle trancha profondément dans l'arbre, mais elle n'effaça pas
+entièrement les caractères; ils étaient si simples, que l'amitié
+revenant regarda long-tems, jusqu'à ce qu'aidée de la mémoire, elle
+rétablit les mots.</p>
+
+<p>Le repentir les traça de nouveau, le pardon y joignit son nom aimable;
+l'inscription reparut si belle que l'amitié la crut toujours la même.</p>
+
+<p>Le souvenir serait beau encore; mais, hélas! en dépit de l'espérance et
+des larmes de l'amitié, l'orgueil s'est jeté à la traverse, et a pour
+toujours effacé et l'inscription et le sentiment qu'elle exprimait.</p>
+
+<p>Les mêmes sentimens d'amitié idéale distinguent un autre de ses poèmes,
+dans lequel il a pris pour épigraphe cette ingénieuse devise française:
+<i>l'amitié est l'amour sans ailes</i>. Chacune des neuf stances est terminée
+par les mêmes mots; nous citerons les trois suivantes:</p>
+
+<p>Pourquoi gémirais-je tristement de ce que ma jeunesse est passée? Je
+puis encore compter des jours heureux; la faculté d'aimer n'est pas
+encore morte en moi. En revenant sur mes premières années, un souvenir
+durable, une vérité éternelle m'apporte une céleste consolation;
+souffles légers des vents, redites-la aux lieux où mon cœur s'émut pour
+la première fois!</p>
+
+<p><i>L'amitié, c'est l'amour sans ailes</i>!</p>
+
+<p>Demeure de mes aïeux, ton clocher lointain me rappelle toutes ces scènes
+joyeuses; mon sein brûle comme autrefois; je redeviens enfant par la
+pensée. Ton bouquet d'ormeaux, ta colline verdoyante, chacun de tes
+sentiers, me ravissent encore. Chaque fleur exhale un double parfum. Il
+me semble encore, au milieu de nos doux entretiens, entendre chacun de
+mes compagnons s'écrier:</p>
+
+<p>L'amitié, c'est l'amour sans ailes!</p>
+
+<p>Mon cher Lycus, pourquoi pleures-tu? Retiens tes larmes prêtes à tomber;
+l'affection peut dormir quelque tems, mais, sois-en sûr, elle se
+réveillera! Quand nous nous retrouverons, pense, ami, pense combien elle
+sera douce cette réunion si long-tems désirée! Mon ame bondit de bonheur
+à cet espoir; quand deux jeunes cœurs sont si pleins d'affection,
+l'absence, ami, ne peut que redire:</p>
+
+<p> L'amitié, c'est l'amour sans ailes!</p>
+
+<p>Quant aux vers suivans, je ne puis dire positivement qu'ils se
+rattachent à quelque circonstance réelle. On peut même dire qu'habitué à
+revenir sur toutes les anecdotes de sa jeunesse, il n'eut pas manqué,
+dans la suite, de rappeler un fait aussi remarquable, s'il n'eût pas été
+imaginaire. Or, ni dans sa conversation, ni dans ses écrits, je ne
+trouve qu'il y ait fait une seule fois allusion<a id="footnotetag64" name="footnotetag64"></a>
+<a href="#footnote64"><sup class="sml">64</sup></a>. D'un autre côté,
+toutes ses poésies, sauf les embellissemens dont les entourait son
+imagination, étaient l'expression si fidèle de ses sentimens et de sa
+vie, qu'on ne peut guère s'empêcher de supposer une sorte de fondement
+réel à un poème plein d'une sensibilité aussi pénétrante:</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote64"
+name="footnote64"><b>Note 64: </b></a><a href="#footnotetag64">
+(retour) </a> Voici la seule particularité qui puisse, et encore
+ de fort loin, se lier au sujet de ce poème. Un an ou deux
+ avant la date qui s'y trouve placée, il écrivit de Harrow à
+ sa mère (comme je le sais d'une personne qui tenait elle-même
+ le fait de Mrs. Byron), pour lui dire qu'il avait éprouvé
+ dernièrement beaucoup d'ennui à l'occasion d'une jeune femme,
+ maîtresse de son ami Curzon, qui venait de mourir. Cette
+ femme, se trouvant alors sur le point de devenir mère, avait
+ déclaré que Lord Byron était le père de son enfant. Byron
+ assurait positivement sa mère qu'il n'en était rien; mais,
+ persuadé comme il l'était, que l'enfant appartenait à Curzon,
+ il souhaitait qu'on en prît tout le soin possible, et priait
+ en conséquence sa mère d'avoir la bonté de se charger de lui.
+ Une telle demande pouvait fort bien exciter l'humeur d'une
+ femme plus douce que Mrs. Byron; cependant elle répondit à
+ son fils qu'elle accueillerait volontiers l'enfant dès qu'il
+ serait né, et qu'elle ferait pour lui tout ce qu'il désirait.
+ Par bonheur, l'enfant mourut en voyant le jour.</blockquote>
+<br>
+<p class="mid">À MON FILS.</p>
+
+
+<p>Ces tresses blondes, ces yeux bleus, dont l'éclat rappelle ceux de ta
+mère; ces lèvres de roses, ces joues à fossettes, ce sourire, qui
+captivent le cœur, retracent d'anciennes scènes de bonheur, et touchent
+le cœur de ton père, ô mon enfant!</p>
+
+<p>Et tu ne peux prononcer le nom de ton père; ah, William! si son nom
+était le tien, alors sa conscience ne lui adresserait plus de reproches:
+mais écartons ces tristes idées; les soins que je prendrai de toi me
+rendront la paix intérieure; l'ombre de ta mère sourira dans sa joie, et
+pardonnera le passé, ô mon enfant!</p>
+
+<p>Le gazon a recouvert son humble tombe, et une étrangère t'a présenté son
+sein. Le préjugé peut rire dédaigneusement de ta naissance, et ne
+t'accorder qu'à peine un nom sur la terre; mais il ne saurait détruire
+une seule de tes espérances: le cœur de ton père est à toi, ô mon
+enfant!</p>
+
+<p>Eh bien! laisse un monde sans entrailles se récrier; dois-je pour lui
+plaire étouffer la voix puissante de la nature? Non, que les moralistes
+me désapprouvent s'ils le veulent, tu seras toujours pour moi le bien
+cher enfant de l'amour, beau chérubin, gage de jeunesse et de joie! un
+père veille sur ton berceau, ô mon enfant!</p>
+
+<p>Ô quel charme, avant que l'âge n'ait ridé mon front, avant que d'avoir
+épuisé à moitié la coupe de la vie, de contempler à la fois en toi, un
+frère et un fils, et d'employer le reste de mes jours à réparer mon
+injustice envers toi, ô mon enfant!</p>
+
+<p>Quoique ton père imprudent soit bien jeune encore, sa jeunesse
+n'éteindra pas en lui le feu de l'amour paternel. Et quand même tu me
+serais moins cher, tant que l'image d'Hélène revivra en toi, ce cœur,
+plein de son souvenir du bonheur passé, n'en abandonnera jamais le gage,
+ô mon enfant!<span class="rig"><br>
+B.--1807<a id="footnotetag65" name="footnotetag65"></a>
+<a href="#footnote65"><sup class="sml">65</sup></a>.</span><br><br></p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote65"
+name="footnote65"><b>Note 65: </b></a><a href="#footnotetag65">
+(retour) </a> Dans cet usage de dater ses premiers poèmes, il
+ suivait l'exemple de Milton, qui, dit Johnson, en datant ses
+ premiers ouvrages, comme lui en avait donné l'exemple le
+ savant Politien, semblait recommander à la postérité la
+ précocité de ses inspirations. Le suivant badinage, également
+ écrit en 1807, n'a jamais été imprimé; il est intraduisible;
+ nous le donnerons en anglais:
+
+<p class="mid"> EPITAPH</p>
+
+<p class="mid"> ON JOHN ADAMS, OF SOUTHWELL, A CARRIER,</p>
+
+<p class="mid"> WHO DIED OF DRUNKENNESS.</p>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p class="i14"> John Adams lies here, of the parish of Southwell,</p>
+<p class="i14"> A carrier, who carried his can to his mouth well;</p>
+<p class="i14"> He carried so much, and he carried so fast,</p>
+<p class="i14"> For, the liquor he drank being too much for one,</p>
+<p class="i14"> He could not carry off, so he's now carri-on.</p>
+
+<p class="rig"> B., sept. 1807.<br></p>
+</div></div><br>
+</blockquote>
+
+<p>Mais le plus remarquable de ses poèmes est d'une date antérieure à
+toutes celles que je viens de donner, ayant été écrit en décembre 1806,
+quand il n'avait pas encore dix-neuf ans. Il contient sa profession de
+foi religieuse à cette époque, et nous montre combien son esprit lutta
+de bonne heure entre le doute et la piété:</p>
+
+<p class="mid">PRIÈRE DE LA NATURE.</p>
+
+<p>Père de la lumière! grand Dieu du ciel! entends-tu les accens du
+désespoir? Des fautes comme celles de l'homme peuvent-elles être jamais
+pardonnées? Le vice peut-il expier des crimes par des prières? Père de
+la lumière, j'élève vers toi mes accens! Tu le vois, mon ame est noircie
+de souillures; toi qui peux observer la chute du plus petit oiseau,
+détourne de moi la mort du péché.</p>
+
+<p>Je ne cherche point de sectes inconnues; oh! montre-moi le sentier de la
+vérité! Je reconnais ta toute-puissance redoutable, épargne les fautes
+de ma jeunesse en les corrigeant. Que les dévots élèvent, s'ils le
+veulent, des temples obscurs; que la superstition en salue humblement
+les portiques; que, pour étendre et affermir leur empire funeste, les
+prêtres inventent des rites mystiques et mensongers. L'homme
+bornera-t-il le domaine de son créateur à ces dômes gothiques qui
+surmontent des amas de pierres à moitié détruites? Ton temple est la
+face du jour; la terre, l'océan, le ciel te forment un trône sans
+limites.</p>
+
+<p>L'homme condamnera-t-il sa propre race aux tourmens de l'enfer, à moins
+qu'ils ne fléchissent le genou devant de vaines pompes? Nous dira-t-il
+que, pour un seul qui a failli, tous doivent périr confusément dans la
+tempête? Chacun prétendra-t-il gagner les cieux, et cependant condamner
+son frère à la mort éternelle, parce que son ame s'est ouverte à des
+espérances différentes, ou qu'il a suivi des doctrines moins sévères?
+Iront-ils, aux moyens de croyances qu'ils ne sauraient expliquer,
+décider d'avance tes grâces et tes châtimens? Des reptiles rampans sur
+la terre connaîtront-ils les desseins de leur grand créateur?</p>
+
+<p>Ces hommes qui n'ont vécu que pour eux-mêmes, qui ont passé leurs années
+dans des crimes renouvelés chaque jour, trouveront-ils dans leur foi une
+compensation à leurs forfaits, et vivront-ils au-delà des limites du
+tems?</p>
+
+<p>Ô mon père! je ne cherche les lois d'aucun prophète; tes lois, à toi,
+apparaissent dans les ouvrages de la nature. Je suis, je l'avoue, faible
+et corrompu, et cependant je te prierai, car tu m'entendras! Toi qui
+guides l'étoile errante à travers les royaumes infinis de l'éther, qui
+calmes la guerre des élémens, et dont j'aperçois la main d'un pôle à
+l'autre pôle; toi qui, dans ta sagesse, m'as placé ici-bas, et qui peux
+m'en retirer quand telle sera ta volonté; tant que je serai sur cette
+terre périssable, étends sur moi ta main protectrice. C'est à toi, à
+toi, mon Dieu, que j'adresse mes prières; quelque bonheur ou quelque
+malheur qui m'arrive, qu'à ta volonté je m'élève ou m'abaisse, je me
+confie en ta protection: si, quand cette poussière sera rendue à la
+poussière, mon ame parcourt les airs sur des ailes rapides, comme
+j'adorerai ton nom glorieux! mais si cet esprit passager partage avec le
+corps le repos éternel de la tombe, tant qu'il me restera un souffle de
+vie, j'élèverai vers toi ma prière, quoique condamné à ne jamais quitter
+la demeure des morts. C'est à toi que j'adresse mes dernières
+inspirations, plein de reconnaissance pour tes bienfaits passés, et
+espérant, ô mon Dieu, que cette vie errante se réunira enfin à ton
+essence.</p>
+
+<p>Dans un autre poème, et qu'il écrivit avec la triste conviction qu'il
+allait bientôt mourir, nous retrouvons une prière exprimant à peu près
+les mêmes opinions. Après avoir dit adieu à toutes les scènes favorites
+de sa jeunesse<a id="footnotetag66" name="footnotetag66"></a>
+<a href="#footnote66"><sup class="sml">66</sup></a>, voici comme il continue:</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote66"
+name="footnote66"><b>Note 66: </b></a><a href="#footnotetag66">
+(retour) </a> Annesley n'est pas oublié en cette occasion:
+
+<p> «Oublierai-je la scène toujours présente à ma pensée? Les
+ rochers s'élèvent et les rivières serpentent entre moi et les
+ lieux que notre amour embellissait, et cependant, Marie, ta
+ beauté m'apparaît fraîche encore, comme un délicieux songe
+ d'amour, etc., etc.»</p></blockquote>
+
+<p>Oublie ce monde, ô mon ame agitée, tourne tes pensées vers le ciel; tu y
+dirigeras bientôt ta course, si tes erreurs sont oubliées. Loin des
+bigots et des sectaires, incline-toi devant le trône du Tout-Puissant,
+adresse-lui ta tremblante prière. Il est clément et juste, il ne
+rejettera pas la prière de l'enfant de la poussière, quoiqu'il soit le
+moindre objet de ses soins. Père de la lumière, j'élève vers toi mes
+accens! Tu le vois, mon ame est pleine de souillures; toi qui peux
+observer la chute du plus petit oiseau, détourne de moi la mort du
+péché. Toi qui peux guider l'étoile errante, qui calmes la guerre des
+élémens, qui as pour manteau les cieux immenses, pardonne mes pensées,
+mes paroles, mes crimes; et puisque je dois bientôt cesser de vivre;
+apprends-moi comment je dois mourir.</p>
+
+<p>Nous avons vu par une lettre précédente qu'il avait eu à se féliciter de
+l'issue d'un procès jugé au tribunal de Lancastre, et relatif à la terre
+de Rochdale. Dans une note que nous allons reproduire, et qu'il écrivit
+à l'un de ses amis de Southwell à l'occasion d'un second triomphe dans
+la même cause, on verra qu'il s'en exagérait beaucoup les résultats
+probables.</p>
+
+<p class="rig">9 février 1807.</p><br>
+
+<p><span class="sc">Mon cher</span>,</p>
+
+<p>«J'ai le plaisir de vous annoncer que j'ai gagné une seconde fois la
+cause de Rochdale, qui me fait valoir soixante mille livres de plus.</p>
+
+<p>Tout à vous.»<br><span class="rig">
+BYRON.</span><br><br>
+
+<p>Au mois d'avril suivant il était encore à Southwell, et c'est de là
+qu'il écrivit au docteur Pigot, alors à Édimbourg<a id="footnotetag67" name="footnotetag67"></a>
+<a href="#footnote67"><sup class="sml">67</sup></a>:</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote67"
+name="footnote67"><b>Note 67: </b></a><a href="#footnotetag67">
+(retour) </a> Il paraît, d'après un passage d'une lettre de miss
+ Pigot à son frère, que Lord Byron chargea ce dernier de
+ remettre une copie de ses poèmes à M. Mackenzie, l'auteur de
+ l'<i>Homme sensible</i>: «Je suis ravie que M. Mackenzie ait vu
+ une copie des poèmes de Lord Byron, et qu'il en ait jugé
+ aussi favorablement. Lord Byron en est enchanté.»
+
+<p> Dans une autre lettre, l'aimable écrivain dit encore: «Lord
+ Byron me charge de vous dire qu'il ne vous écrit pas parce
+ que son édition n'est pas aussi avancée qu'il l'avait espéré.
+ Je lui dis qu'il faut aussi peu de chose pour l'affecter qu'à
+ une femme.»</p></blockquote>
+
+<p class="rig">Southwell, avril 1807.</p><br>
+
+<p><span class="sc">Mon cher Pigot</span>,</p>
+
+<p>«Permettez-moi de vous féliciter du succès de votre premier examen;
+<i>courage</i>, mon ami. Le titre de docteur fera merveille auprès des dames.
+Je serai probablement à Essex ou à Londres quand vous arriverez en ce
+lieu maudit, où je suis encore retenu par l'impression de mes vers.</p>
+
+<p>«Adieu, croyez-moi toujours bien sincèrement votre<br><span class="rig">
+BYRON.</span></p><br>
+
+<p>«<i>P. S.</i> Depuis notre séparation, grâce à de violens exercices, la
+<i>plupart</i> physiques, et aux bains chauds, j'ai réduit mon embonpoint de
+cent soixante-quatorze livres à cent quarante-un; total vingt-sept
+livres de perte. <i>Bravo</i>! qu'en dites-vous?»</p>
+
+<p>Je dois à la complaisance de la dame qui correspondait alors avec Byron
+l'avantage de pouvoir initier le lecteur dans les sentimens et les
+travaux de notre poète pendant le reste de cette année. Ces lettres ont,
+sans doute, un caractère enfantin<a id="footnotetag68" name="footnotetag68"></a>
+<a href="#footnote68"><sup class="sml">68</sup></a>, et la plupart des plaisanteries
+qu'on y trouve naissent plutôt de jeux de mots que de pensées
+saillantes; mais je les estime cependant fort curieuses, et par la
+lumière qu'elles répandent sur cette époque de sa vie, et par le tableau
+animé des craintes et des espérances qu'il avait relativement à sa
+gloire future. La première de ces lettres ne porte pas de date, elle
+semble avoir été écrite avant son départ de Southwell; les autres, comme
+on le verra, sont datées de Cambridge et de Londres.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote68"
+name="footnote68"><b>Note 68: </b></a><a href="#footnotetag68">
+(retour) </a> En effet, il n'était encore qu'un enfant sous tous
+ les rapports dans ce tems-la. «Lundi prochain (dit miss
+ Pigot) est notre grande foire. Lord Byron l'attend avec le
+ même plaisir que le petit Henri, et se promet de paraître à
+ cheval dans la foulée; mais je pense qu'il changera de
+ résolution.»</blockquote>
+<br><br>
+<h3>LETTRE XII.</h3>
+
+<h4>À MISS PIGOT.</h4>
+
+<p class="rig">11 juin 1807.</p><br><br>
+
+<p><span class="sc">Ma chère reine Bess</span><a id="footnotetag69" name="footnotetag69"></a>
+<a href="#footnote69"><sup class="sml">69</sup></a>,</p>
+
+<p>«<i>Sauvage</i> doit être immortel; ce n'est pas un généreux boul-dogue, mais
+c'est le plus joli roquet que j'aie encore vu, et il fera parfaitement
+l'affaire. Dans ses accès de tendresse, il a déjà mordu les doigts et
+dérangé la gravité du vieux Boatswain, qui en est encore fort ému. Je
+désire savoir ce qu'il coûte, les frais qu'il a occasionnés, etc., etc.,
+afin de pouvoir indemniser M. G... Je ne puis que le remercier de la
+peine qu'il a prise, lui adresser un long discours et conclure avec 1,
+2, 3, 4, 5, 6, 7<a id="footnotetag70" name="footnotetag70"></a>
+<a href="#footnote70"><sup class="sml">70</sup></a>; mais je suis hors d'état de faire tout cela par
+moi-même, ainsi je vous <i>députe</i> en qualité de légat, car il ne faut pas
+parler d'<i>ambassadeur</i>, relativement au <i>pape</i>, comme c'est le cas ici
+sans doute, puisque tout ce que je vous ai dit est à propos de
+<i>bulle</i><a id="footnotetag71" name="footnotetag71"></a>
+<a href="#footnote71"><sup class="sml">71</sup></a>.</p>
+
+<p>«Tout à vous.<br><span class="rig">
+
+BYRON.<br></span></p>
+
+<p>«<i>P. S.</i> Je vous écris de mon lit.»</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote69"
+name="footnote69"><b>Note 69: </b></a><a href="#footnotetag69">
+(retour) </a> Diminutif d'Élisabeth. Byron, en l'appelant reine,
+ fait allusion à la reine Élisabeth.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote70"
+name="footnote70"><b>Note 70: </b></a><a href="#footnotetag70">
+(retour) </a> Cette phrase s'explique par son habitude, quand il
+ lui arrivait de ne pas trouver les expressions de la pensée
+ qu'il voulait exprimer, de prononcer les chiffres 1, 2, 3, 4,
+ 5, 6, 7.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote71"
+name="footnote71"><b>Note 71: </b></a><a href="#footnotetag71">
+(retour) </a> Bull-dog ou boul-dogue. On comprendra facilement le
+ jeu de mois.</blockquote>
+<br><br>
+<h3>LETTRE XIII.</h3>
+
+<h4>À LA MÊME.</h4>
+
+<p class="rig">Cambridge, 30 juin 1807.</p><br><br>
+
+<p>«Mieux vaut tard que jamais, c'est un proverbe dont vous connaissez
+l'origine, et, comme son application est ici toute naturelle, vous me
+pardonnerez de lui avoir donné dans ma lettre une place aussi honorable.
+Je me trouve ici presque suranné; mes anciens amis, excepté un fort
+petit nombre, sont tous partis, et je me dispose à les suivre, mais je
+reste jusqu'à lundi pour assister à trois oratorios, deux concerts, une
+foire et un bal. Je me trouve non-seulement <i>plus maigre</i>, mais d'un
+pouce plus <i>grand</i> qu'à mon dernier voyage. Je me suis vu obligé de
+redire à chacun mon <i>nom</i>, personne n'ayant le moindre souvenir de ma
+figure ni de ma personne. Il n'est pas jusqu'au héros de ma <i>Cornaline</i>
+(qui, dans ce moment, se trouve placé vis-à-vis, lisant un volume de mes
+poésies), qui n'ait passé devant moi dans les promenades du collége sans
+me reconnaître, et qui n'ait été frappé du changement total qui s'était
+opéré en moi, etc., etc. Les uns me trouvent mieux, les autres plus mal;
+mais tous s'accordent à dire que je suis maigri, plus même que je ne le
+désire. J'ai perdu deux livres d'embonpoint depuis mon départ de votre
+maudit, détestable et détesté séjour de scandale<a id="footnotetag72" name="footnotetag72"></a>
+<a href="#footnote72"><sup class="sml">72</sup></a>, dont, à
+l'exception de vous-même et de John Becher, je voudrais voir toute la
+race consignée dans les gouffres de l'Achéron, lequel fleuve j'aimerais
+mieux visiter en personne que de salir mes sandales dans la vile
+poussière de Southwell. À parler sérieusement, si la légèreté de ma
+bourse ne me force pas à rejoindre Mrs. Byron, vous ne me reverrez plus.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote72"
+name="footnote72"><b>Note 72: </b></a><a href="#footnotetag72">
+(retour) </a> Malgré les injures, d'ailleurs plutôt badines que
+ sérieuses, qu'il lance dans le cours de ses lettres contre
+ Southwell, il apprit plus tard à se convaincre que les heures
+ qu'il y avait passées étaient les plus heureuses de sa vie.
+ Dans une lettre qu'écrivit, il n'y a pas long-tems, à son
+ valet Fletcher, une dame qui l'avait intimement connu à
+ Southwell, on trouve le passage suivant: «Votre bon, votre
+ pauvre maître m'appelait toujours <i>l'antique piété</i>, quand je
+ m'avisais de lui faire des remontrances. Lors de sa dernière
+ visite, il me dit: <i>Eh bien! ma bonne amie, je ne serai
+ jamais aussi heureux qu'à Southwell</i>.» On verra plus loin,
+ dans une lettre à M. Dallas, ce qu'il pensait réellement de
+ cette ville et de ses agrémens comme lieu de résidence.</blockquote>
+
+<p>«Je pars lundi pour Londres; je quitte Cambridge sans beaucoup de peine,
+notre société étant dispersée, et le musicien que je protégeais ayant
+quitté sa place dans le chœur pour entrer dans une grande maison de
+commerce de la capitale. Je vous ai dit, sans doute, qu'il était
+exactement, et à une heure près, plus jeune que moi de deux années. Je
+l'ai trouvé fort grandi, et surtout enchanté de revoir son premier
+<i>patron</i>. Il est presque de ma taille, très-maigre, d'une belle figure,
+des yeux noirs, des cheveux clairs: vous connaissez déjà l'idée que j'ai
+de son esprit; j'espère bien n'avoir jamais sujet d'en changer. On me
+croit ici généralement indisposé: l'université est fort gaie dans ce
+moment; elle donne des fêtes de tous les genres. Hier j'ai soupé dehors,
+mais je n'ai rien mangé; satisfait d'une bouteille de Bordeaux, je me
+suis couché à deux heures pour me lever à huit. J'ai pris le parti de me
+lever de bonne heure, cette habitude me convient parfaitement. Je reçois
+beaucoup de politesses des maîtres et des élèves; mais ils me regardent
+avec un peu de défiance: ils se soucient peu des <i>lardons</i>; le moyen de
+déplaire c'est de dire la vérité.</p>
+
+<p>«Écrivez-moi, dites-moi comment se partent les habitans de votre
+<i>ménagerie</i>, si mon édition se place, si mes chiens grognent. À propos,
+mon boul-dogue est décédé; <i>la chair du chien comme celle de l'homme
+n'est que de l'herbe</i>. Répondez-moi à Cambridge; si j'en suis parti, on
+m'enverra votre lettre. Voici de tristes nouvelles qui arrivent: les
+Russes sont vainqueurs; triste troupe qui ne mange que de l'<i>huile</i>, et
+par conséquent devait fondre devant un <i>feu soutenu</i>. Je ne suis pas à
+mon aise dans mon costume universitaire, je n'en ai pas l'usage. Je suis
+monté sur une fenêtre à Sainte-Marie pour mieux entendre un <i>oratorio</i>;
+mais au milieu du chant du <i>Messie</i>, je me suis laissé tomber, déchirant
+ma superbe robe de soie noire, et endommageant une fort belle paire de
+culottes. Mémoire, prendre garde de ne jamais tomber d'une fenêtre
+d'église pendant le service. Adieu, ma chère Élisabeth, ne me rappelez à
+personne, oubliez les gens de Southwell; en être oublié, voilà tout ce
+que je désire.»</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE XIV.</h3>
+
+<h4>À MISS PIGOT.</h4>
+
+<p class="rig">Cambridge, collége de la Trinité, 5 juillet 1807.</p><br><br>
+
+<p>«Depuis ma dernière lettre, je me suis décidé à rester encore une année
+à Granta (Cambridge); mes appartemens y sont meublés dans le dernier
+style. Plusieurs vieux amis me sont revenus, et leur nombre s'est
+augmenté de nouvelles connaissances; mon inclination est donc pour le
+collége, et j'y retournerai en octobre si je vis encore. Ma vie est ici
+une suite continuelle de plaisirs; je vais dans le même jour à vingt
+différens endroits; j'ai des invitations pour dîner plus que le tems de
+mon séjour ne me permet d'en accepter. Je viens de prendre la plume, une
+bouteille de Bordeaux dans la tête et des larmes dans les yeux, car je
+viens de quitter ma Cornaline<a id="footnotetag73" name="footnotetag73"></a>
+<a href="#footnote73"><sup class="sml">73</sup></a> qui était venue passer la soirée avec
+moi; comme c'était notre dernière entrevue, j'avais manqué aux
+invitations que l'on m'avait faites pour consacrer à l'amitié les heures
+du <i>sabbat</i>. Maintenant nous voilà séparés, Edleston et moi: ma tête est
+un chaos d'ennuis et d'espérances. Demain je partirai pour Londres; vous
+m'écrirez à Albemarle-street, hôtel Gordon, où j'habiterai pendant mon
+séjour dans la capitale.</p>
+
+<p>«Je suis ravi d'apprendre que vous vous intéressiez à mon <i>protégé</i>; il
+a été mon <i>très-constant associé</i> depuis le mois d'octobre 1805, époque
+de mon entrée au collége Trinité. Sa voix fut la première à me frapper,
+sa figure m'attacha à lui, ses manières me le firent aimer pour la vie.
+Il entre dans une maison de commerce en ville vers le mois d'octobre, et
+tout porte à croire que je ne le reverrai pas avant l'époque de ma
+majorité, quand je pourrai lui donner à choisir ou d'une place d'associé
+dans sa maison, ou de venir demeurer avec moi. Je pense que, dans ses
+idées actuelles, il préférerait le dernier parti; mais d'ici là il
+pourra bien changer d'avis: dans tous les cas ce sera comme il
+l'entendra. Il est certain que c'est l'être que j'aime le plus au monde,
+et que ni le tems ni l'absence ne pourront changer en rien mes sentimens
+d'ailleurs si mobiles. Bref, nous ferions honte à lady E... Butler et
+miss Ponsonby, nous étonnerions Oreste et Pilade; et vienne l'occasion
+d'une catastrophe comme celle de Nisus et Euryale, nous l'emporterons
+sur David et Jonathan. Peut-être a-t-il pour moi encore plus d'affection
+que je n'en ai pour lui. Pendant tout mon tems de Cambridge, nous nous
+sommes vus tous les jours, été et hiver, sans éprouver un moment
+d'ennui, et nous séparant toujours avec une peine incroyable. Vous nous
+verrez un jour ensemble, je l'espère; c'est le seul homme que j'estime,
+bien que ce ne soit pas le seul que j'aime<a id="footnotetag74" name="footnotetag74"></a>
+<a href="#footnote74"><sup class="sml">74</sup></a>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote73"
+name="footnote73"><b>Note 73: </b></a><a href="#footnotetag73">
+(retour) </a> C'est-à-dire celui auquel il avait donné la fameuse
+ cornaline.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote74"
+name="footnote74"><b>Note 74: </b></a><a href="#footnotetag74">
+(retour) </a> Il faut placer ici les autres détails de cette
+ amitié exaltée. Le jeune Edleston mourut en 1811 de
+ consomption. Voici la lettre que Byron adressa à la mère de
+ miss Pigot; elle prouvera quelle fut alors sa douleur, et
+ quelle fidélité il gardait à la mémoire de cet ami de
+ collége:<br>
+
+<span class="rig"> Cambridge, 28 octobre 1811.</span><br><br><br>
+
+<p> <span class="sc">Ma chère dame</span>,</p>
+
+<p> «Je vous écris pour une demande pénible, et cependant il
+ m'est impossible de faire autrement. Vous vous souvenez d'une
+ cornaline que j'avais confiée à miss Élisabeth, il y a
+ quelques années, que réellement je lui avais donnée;
+ maintenant je viens lui faire la plus égoïste et la plus
+ inconvenante prière. Celui qui me l'avait donnée, dans sa
+ première jeunesse, est <i>mort</i>; et bien que je ne l'eusse pas
+ revu depuis long-tems, c'est le seul souvenir qui me reste de
+ cette personne à laquelle je m'intéressais très-vivement.
+ Elle a donc acquis par cet événement une valeur que j'aurais
+ bien souhaité ne jamais lui supposer. Si donc miss Betty l'a
+ conservée jusqu'à présent, elle m'excusera, je l'espère, si
+ je la supplie de me la renvoyer à Londres, à
+ Saint-James-street, n° 8; je la remplacerai par quelque autre
+ souvenir qui lui sera également précieux. Elle eut toujours
+ la bonté de s'intéresser au sort de celui dont je viens de
+ parler; dites-lui que le <i>donneur</i> de la cornaline mourut au
+ mois de mai dernier, à l'âge de vingt-un ans, et que sa mort
+ est la sixième d'amis ou de parens que j'aie eu à supporter
+ dans l'espace de quatre mois.</p>
+
+<p> «Croyez-moi bien sincèrement, ma chère dame,<br><span class="rig">
+BYRON.</span><br></p>
+
+<p> «<i>P. S.</i> Je pars demain pour Londres.»</p>
+
+<p> La cornaline fut aussitôt renvoyée à Lord Byron, qui
+ rappelait encore quelque tems après qu'il l'avait laissée à
+ miss Pigot comme un dépôt et non pas comme un don.</p></blockquote>
+
+<p>«Le marquis de Tavistock est arrivé hier; j'ai soupé avec lui chez son
+tuteur, qui est un whig délibéré. L'opposition est ici en nombre, et
+lord Huntingdon, le duc de Leinster, etc., etc., doivent encore nous
+joindre en octobre; ainsi tout sera admirable. Le tems de la musique est
+passé; mais voici un nouvel accident: j'ai renversé une <i>nacelle</i> à
+beurre sur la robe d'une dame; j'ai changé de couleur; les spectateurs
+de rire et moi de les maudire. À propos, aveu pénible! je me suis
+<i>grisé</i> tous les jours, et je n'ai pas encore fini; cependant je ne
+mange rien que du poisson, du potage et des végétaux; je ne me porte
+donc pas plus mal. Les sots malins que ces Cantabres<a id="footnotetag75" name="footnotetag75"></a>
+<a href="#footnote75"><sup class="sml">75</sup></a>! Mémoire.
+Projet de réforme pour janvier. Cette ville offre une monotonie de
+distractions continuelles; je l'aime, et déteste Southwell. Ridge a-t-il
+bien vendu? Quelles dames ont acheté?... J'ai vu à Sainte-Marie une
+jeune fille, vrai portrait d'Anne... J'ai cru que c'était elle... et
+pour mon malheur; car la dame s'arrêta, ainsi le fis-je; je rougis,
+ainsi ne fit-elle pas, ce qui était fort mal; je voudrais dans les
+femmes plus de modestie. En parlant de femmes, Fanni, mon chien terrier,
+me revient à l'esprit; comment se porte-t-il? J'ai attrapé un mal de
+tête, je vais me mettre au lit et demain haut le pied de bonne heure
+pour me mettre en route. Mon protégé déjeunera avec moi, mais je n'ai
+pas d'appétit quand je pars, si ce n'est de Southwell. Mémoire. <i>Je hais
+Southwell</i>.</p>
+
+<p>«Tout à vous.»</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote75"
+name="footnote75"><b>Note 75: </b></a><a href="#footnotetag75">
+(retour) </a> Les habitans de Cambridge.</blockquote>
+<br><br>
+<h3>LETTRE XV.</h3>
+
+<h4>À LA MÊME.</h4>
+
+<p class="rig">Hôtel Gordon, 13 juillet 1807.</p><br><br>
+
+<p>«Vous m'écrivez des lettres parfaites.--Fi des autres correspondans, et
+de leurs fades excuses <i>de n'avoir rien à vous apprendre</i>! Vous m'avez
+envoyé une délicieuse <i>brochure</i>; ici je me trouve dans un continuel
+tourbillon de distractions fort agréables après tout, et, chose
+singulière, je maigris à vue d'œil, pesant maintenant bien moins de cent
+trente livres. Je séjournerai ici un mois, peut-être six semaines; je
+ferai une apparition dans le comté d'Essex, et comme une faveur je
+viendrai briller à Southwell dans toute ma gloire; mais rien jamais ne
+pourra me forcer à y résider. Je suis décidé à retourner en octobre à
+Cambridge; ou nous y serons d'une gaîté folle, ou je décampe de
+l'université. Il m'est arrivé à Cambridge quelque chose
+d'extraordinaire. J'ai trouvé une jeune fille qui ressemblait à ***, au
+point que la plus minutieuse inspection pouvait seule m'empêcher de la
+prendre pour cette dernière. Je me repens de ne pas lui avoir demandé si
+elle était jamais allée à Harrow.</p>
+
+<p>«Que diable prétend donc Ridge? cinquante exemplaires en quinze jours,
+et avant les annonces, n'est-ce pas assez vendre? Je sais que plusieurs
+libraires de Londres en ont, et que Crosby en a envoyé aux <i>eaux</i> les
+plus fréquentées. En dit-on à Southwell du bien ou du mal?... J'aurais
+voulu que Boatswain eût <i>avalé</i> Damon. Comment se porte Bran? Par les
+dieux, il faut que Bran devienne un <i>comte du saint empire romain</i>...</p>
+
+<p>«Les nouvelles de Londres ne peuvent guère vous intéresser; vous dont
+toute la vie a été campagnarde vous vous souciez peu des routs, des
+parties, des bals, des luttes, des cartes, des crim. con.<a id="footnotetag76" name="footnotetag76"></a>
+<a href="#footnote76"><sup class="sml">76</sup></a>,
+discussions des chambres, politique, bals masqués, industrie,
+institution d'Argyle-Street, courses nautiques, amourettes et loteries,
+Brook et Bonaparte, chanteurs d'opéras et oratorios, vins, femmes,
+figures de cire, girouettes, tout cela ne s'accorde guère avec vos idées
+rétrécies de décorum et vos autres expressions sucrées qui ne se
+trouvent plus dans notre vocabulaire.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote76"
+name="footnote76"><b>Note 76: </b></a><a href="#footnotetag76">
+(retour) </a> Abréviation des mots <i>criminelles conversations</i>,
+ qui servent à désigner les actions en adultère, viols,
+ attentats à la pudeur, etc., etc.</blockquote>
+
+<p>«Oh! Southwell! Southwell! combien je me félicite de t'avoir abandonné,
+et combien je maudis les lourdes heures écoulées plusieurs mois durant,
+au milieu des Mohawk qui habitent tes kraals! Toutefois une chose me
+console, c'est, grâce à toi, d'avoir dépouillé assez de mon ancienne
+graisse pour me permettre de glisser dans une <i>peau d'anguille</i>, et de
+lutter avec les plus sveltes beaux des tems modernes. Mais je suis fâché
+de le dire, la mode actuelle semble exiger de l'embonpoint, et l'on
+m'assure qu'il s'en faut de quatorze livres que je sois à la mode. Il
+n'en est pas moins vrai qu'au lieu d'engraisser je diminue, ce qui est
+extraordinaire, attendu qu'à Londres on ne peut songer à des exercices
+violens. J'attribue ce phénomène à la presse que nous éprouvons dans nos
+réunions du soir. Je reçois ce matin même 14, une lettre de Ridge; la
+mienne était commencée d'avant-hier: il m'écrit que mon livre se débite
+aussi bien qu'on peut le désirer; que les soixante-quinze exemplaires
+envoyés à Londres sont épuisés, et qu'on lui en demande, le jour même
+qu'il m'écrivait, cinquante de plus: on n'a pourtant pas encore fait la
+moitié des annonces. Adieu.</p>
+
+<p>«<i>P. S.</i> Lord Carlisle, en recevant mes œuvres, m'a fait tenir une
+lettre assez satisfaisante avant d'avoir ouvert le livre: depuis je n'en
+ai pas entendu parler. Je ne connais pas l'opinion qu'il en a formée, et
+je m'en soucie fort peu. S'il fait la moindre insolence je l'encadrerai
+avec Butler<a id="footnotetag77" name="footnotetag77"></a>
+<a href="#footnote77"><sup class="sml">77</sup></a> et les autres de sa force. Le pauvre homme! il est dans
+le duché d'York et fort malade; il me dit qu'il n'a pas eu le tems de me
+lire, mais qu'il a jugé convenable de m'annoncer de suite qu'il avait
+reçu mon envoi. Peut-être le comte ne veut-il <i>pas souffrir de frère
+auprès de son trône</i><a id="footnotetag78" name="footnotetag78"></a>
+<a href="#footnote78"><sup class="sml">78</sup></a>.--<i>S'il en est ainsi</i>, je saurai bien briser
+<i>le sceptre dans ses mains</i>.--</p>
+
+<p>«Adieu.»<br><span class="rig">
+BYRON.</span><br></p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote77"
+name="footnote77"><b>Note 77: </b></a><a href="#footnotetag77">
+(retour) </a> Byron a inséré parmi ses poèmes imprimés, sans
+ avoir été publiés, quelques vers sur le docteur Butler, qu'il
+ n'a pas reproduits dans les <i>Heures d'oisiveté</i>; il y avait
+ ajouté une note moins amère, dans laquelle il expliquait ses
+ motifs de rancune.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote78"
+name="footnote78"><b>Note 78: </b></a><a href="#footnotetag78">
+(retour) </a> Citation qui présente une allusion à la coutume du
+ Grand-Seigneur, de faire étrangler ses frères en montant sur
+ le trône.</blockquote>
+<br><br>
+<h3>LETTRE XVI.</h3>
+
+<h4>À LA MÊME.</h4>
+
+<p class="rig">2 août 1807.</p><br><br>
+
+<p>«Londres commence à dégorger ce qu'elle contenait.--La ville est
+déserte,--et mes occupations devenant moins nombreuses, je puis
+griffonner à loisir. Dans quinze jours je partirai pour répondre à une
+invitation de campagne, mais j'espère bien recevoir d'ici-là deux
+lettres de vous. Ridge <i>n'écoule</i> pas rapidement dans Nottes.--Je le
+crois facilement; mais dans la capitale la chose se passe d'une manière
+bien plus flatteuse, et sans doute on peut se passer de l'assentiment
+des littérateurs de province, quand on a d'ailleurs obtenu l'éloge des
+revues, l'admiration des duchesses et la reconnaissance intéressée des
+libraires de la capitale. J'ai actuellement sous les yeux une revue
+intitulée: <i>Récréations littéraires</i>; mes poésies y sont vantées bien
+au-delà de leur mérite. Je ne connais pas mon juge, mais je lui trouve
+beaucoup de discernement, et à moi un talent <i>d'enfer</i>. Sa critique me
+plaît surtout en ce qu'elle est fort longue, et en ce qu'elle a
+justement la dose de sévérité nécessaire pour donner à ses éloges un
+agréable relief. Je hais, vous le savez, les complimens communs et
+insipides. Si vous voulez voir cet article, cherchez le troisième numéro
+des <i>Récréations littéraires</i> du mois dernier.</p>
+
+<p>«Je n'ai pas, je vous le répète, la plus légère idée de celui qui l'a
+fait: il est imprimé dans un recueil périodique; et bien qu'on ait
+inséré dans le même ouvrage un morceau de ma composition (l'<i>Examen de
+Wordsworth</i><a id="footnotetag79" name="footnotetag79"></a>
+<a href="#footnote79"><sup class="sml">79</sup></a>), je ne connais aucun de ceux qui s'intéressent à cette
+publication, pas même l'éditeur, dont le nom n'est pas parvenu jusqu'à
+moi. Mon cousin, lord Alexandre Gordon, m'a dit que la <i>Grâce</i> de
+Gordon, sa mère, l'avait engagé à présenter ma <i>poétique</i> seigneurie à
+son <i>altesse</i>, attendu qu'elle avait acheté mon livre, qu'elle l'avait
+prodigieusement admiré, comme le reste de la haute société, et qu'elle
+voulait faire connaissance avec l'auteur. Malheureusement j'avais une
+invitation pour quelques jours dans les environs, et la duchesse était à
+la veille de partir pour l'Écosse; j'ai donc remis à l'hiver prochain ma
+présentation, et alors je pourrai donner à la dame, dont il ne
+m'appartient pas de contester l'excellent goût, une idée de ma sublime
+et très-édifiante conversation. En ce moment elle est dans les <i>hautes
+terres</i>, et Alexandre lui-même est parti depuis quelques jours pour ce
+séjour béni des vents <i>noirs</i> et <i>tumultueux</i>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote79"
+name="footnote79"><b>Note 79: </b></a><a href="#footnotetag79">
+(retour) </a> On ne doit remarquer ce coup d'essai de Lord Byron
+ dans les <i>revues</i> (plus tard, comme on le verra, il reparut
+ une ou deux fois dans la même lice, d'ailleurs si peu
+ poétique), qu'en rappelant l'aisance avec laquelle il sut se
+ plier au ton et à la phraséologie de ces tribunaux infimes de
+ la littérature; par exemple: «Les volumes que nous avons sous
+ les yeux sont de l'auteur des <i>Ballades lyriques</i>, collection
+ à laquelle on a prodigué, et non pas sans raison, de grands
+ éloges. Le caractère du talent de M. Wordsworth est la
+ simplicité unie à l'abondance: les vers pèchent quelquefois
+ du côté de l'harmonie, mais ils ont de la force; ils
+ s'adressent d'une manière irrésistible à l'imagination et à
+ tous nos sentimens naturels. Peut-être ces derniers ouvrages
+ n'égalent-ils pas les premières publications du même auteur;
+ mais on retrouve encore une véritable élégance dans une foule
+ de pièces, etc.» Si dans ce tems-là M. Wordsworth jeta les
+ yeux sur cet article, il ne prévit pas sans doute que
+ l'auteur d'une pareille prose rivaliserait, à quelque tems de
+ là, avec <i>lui-même</i> dans la lice poétique.</blockquote>
+
+<p>«Crosby, mon éditeur de Londres, a placé sa seconde <i>commande</i>. Il en a
+redemandé, du moins si je l'en crois, une troisième à Ridge. Sur tous
+les étalages de librairie, je vois mon <i>propre nom</i>; je ne dis rien,
+mais je jouis en secret de ma célébrité. Le dernier critique qui se soit
+occupé de moi, m'a engagé avec bienveillance à renoncer à mon projet de
+ne plus rien écrire; et, en <i>sa qualité d'ami des lettres</i>, il m'a
+conjuré de <i>gratifier bientôt</i> le public de quelque nouvel ouvrage. Qui
+diable ne voudrait être poète, c'est-à-dire, si tous les critiques
+avaient la même politesse? Au reste, je paierai peut-être cher ces
+aimables faveurs préliminaires; mais, dans ce cas-là, j'aurai mon tour;
+et, tant bien que mal, je n'en ai pas moins écrit, dans mes instans de
+loisir et après deux heures du matin, trois cent quatre-vingts vers
+blancs sur la bataille de Bosworth. J'avais heureusement pu consulter le
+livre de Hutton. Je ferai huit ou dix chants sur ce sujet, et je l'aurai
+terminé à la fin de l'année; mais les circonstances décideront si je
+ferai imprimer ou non ce poème. Voilà bien assez d'<i>égoïsme</i>: mes
+lauriers m'ont tourné la cervelle; mais sans doute la caustique
+assiduité des critiques à venir, me ramènera à des sentimens plus
+modestes.</p>
+
+<p>«Southwell est une place maudite; j'en ai fini avec elle, du moins
+suivant toutes les probabilités: à l'exception de vous, je ne porte pas
+la moindre estime à une seule ame de son enceinte; vous étiez la seule
+compagnie raisonnable, et franchement j'ai toujours eu pour vous plus de
+considération que pour les grues dont je partageais souvent les
+ridicules, par bonté d'ame. Vous vous êtes donné pour moi et pour mes
+manuscrits plus de peine que ne l'eussent fait tous ces mannequins
+réunis. Croyez-moi, je n'ai pas, dans le cercle de péchés où je vis en
+ce moment, oublié votre excellent naturel, et un jour j'espère bien vous
+prouver toute la reconnaissance que j'en conserve. Adieu. Tout à vous,
+etc.</p>
+
+<p>«<i>P. S.</i> Rappelez-moi au docteur P...»</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE XVII.</h3>
+
+<h4>À LA MÊME.</h4>
+
+<p class="rig">Londres, 11 août 1807.</p><br><br>
+
+<p>«Je pars lundi <i>pour les hautes terres</i><a id="footnotetag80" name="footnotetag80"></a>
+<a href="#footnote80"><sup class="sml">80</sup></a>; un de mes amis
+m'accompagnera dans ma voiture jusqu'à Édimbourg; c'est là que nous
+quitterons notre équipage pour prendre un <i>tamdem</i> (sorte de cabriolet),
+qui nous conduira au milieu des défilés de l'ouest jusqu'à Inverary.
+Nous achèterons alors des échasses afin de pénétrer dans les endroits
+défendus aux moyens de transport ordinaires. Quand nous serons sur les
+côtes, nous entrerons dans un vaisseau pour visiter les lieux les plus
+remarquables des îles Hebrides, et si le tems nous le permet, nous irons
+jusqu'en Islande à trois cents milles seulement de l'extrémité
+septentrionale de l'Écosse afin de saluer l'<i>Hécla</i>. Ne divulguez pas ce
+dernier projet, ma tendre <i>maman</i> imaginerait que nous voyageons pour
+découvrir de nouvelles terres, et ferait entendre comme d'habitude un
+maternel cri d'alarme.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote80"
+name="footnote80"><b>Note 80: </b></a><a href="#footnotetag80">
+(retour) </a> Ce plan, qu'il n'exécuta jamais, avait été résolu
+ avant son départ de Southwell; voici comme il en est parlé
+ dans une lettre de miss Pigot à son frère: «Comment
+ pouvez-vous demander si Lord Byron ira cet été dans les
+ <i>hautes terres</i> (ou <i>Highlands</i>) d'Écosse? Ignorez-vous donc
+ qu'il n'a pas la même idée dix minutes de suite? Je lui dis
+ qu'il est aussi inconstant que les vents et aussi mobile que
+ les vagues.»</blockquote>
+
+<p>«J'ai nagé dans la Tamise la semaine dernière entre les deux ponts de
+Westminster et de Blackfriars, ce qui fait, en y comprenant les
+différent détours obligés, une distance de trois milles. Vous voyez que
+je suis préparé complètement à un naufrage sur mer.</p>
+
+<p>«J'ai l'intention de réunir toutes les traditions Erses, les poèmes,
+etc., etc., de les traduire ou du moins d'étendre assez le sujet pour
+faire un volume qui paraîtra au printems prochain sous le titre de <i>la
+Harpe montagnarde</i> ou quelque autre titre aussi pittoresque. J'ai
+terminé le premier livre de la bataille de Bosworth; un second est
+commencé, ce sera l'affaire de trois ou quatre ans, et sans doute il ne
+sera jamais fini. Que penseriez-vous de quelques stances sur le mont
+Hecla? Du moins elles seraient écrites sous le <i>feu</i>. Comment va
+l'immortel Bran? et ce phénix des bêtes canines, le superbe Boatswain?
+Je viens d'acheter un boul-dogue de race, digne d'être le coadjuteur des
+précédentes divinités; son nom est Smut. <i>Oh! zéphirs, portez-le sur vos
+ailes embaumées</i>. Écrivez-moi avant mon départ, je vous en conjure par
+la cinquième côte de votre grand-père. Ridge est content de la vente, et
+cela me console du peu de succès du livre en province. La vogue a été
+complète à Londres: il y a peu de jours que Carpantier, l'éditeur de
+Moore, m'a dit qu'on avait vendu tout ce qu'on avait envoyé, et qu'on ne
+pouvait satisfaire aux dernières demandes parce qu'on n'en avait plus.
+Le duc d'York, la marquise de Headfort, la duchesse de Gordon, etc., se
+sont trouvés au nombre des acheteurs, et l'opinion de Crosby est que la
+circulation sera plus rapide encore dans l'hiver. L'été est une saison
+nulle pour le commerce, tant il y a peu de monde à Londres, et cependant
+ils sont extrêmement contens. Je passerai tout près de vous dans le
+cours de mon voyage, mais je ne pourrai aller vous voir. Ne le dites pas
+à Mrs. Byron, elle croit que je prends une autre route. Si donc vous
+avez une lettre, mettez-la à la boutique de Ridge, où je m'arrêterai, ou
+bien adressez-la, poste restante, à Newark, vers six ou huit heures du
+soir. Si votre frère veut bien se trouver là, je serai diablement ravi
+de le voir; il pourra repartir le soir même, ou bien souper avec nous,
+et retourner le lendemain matin. Je loge aux Armes de Kingston.</p>
+
+<p>«Adieu. Tout à vous.»<br><span class="rig">
+BYRON.</span></p><br><br>
+
+<h3>LETTRE XVIII.</h3>
+
+<h4>À LA MÊME.</h4>
+
+<p class="rig">Collége de la Trinité, Cambridge, 25 octobre 1807.</p><br><br>
+
+<p><span class="sc">Ma chère Élisabeth</span>,</p>
+
+<p>«Fatigué d'être resté au jeu ces deux derniers jours jusqu'à quatre
+heures du matin<a id="footnotetag81" name="footnotetag81"></a>
+<a href="#footnote81"><sup class="sml">81</sup></a>, je prends la plume pour m'informer de la santé de
+votre altesse et de toutes les autres connaissances féminines que j'ai
+laissées dans votre métropole archiépiscopale. Je mérite, je le sais, de
+grands reproches pour ma négligence; mais ne faisant que courir à cheval
+de long en large dans la province depuis trois mois, comment aurais-je
+pu remplir les devoirs d'une exacte correspondance? Enfin me voilà
+retenu pour six semaines, et je vous écris aussi <i>maigre</i> que jamais,
+n'ayant pas depuis ma diminution regagné une once, et n'en étant que de
+meilleure humeur; mais, quoi qu'il en soit, Southwell était un séjour
+détestable. J'en suis dehors, grâce à Saint-Dominique. Depuis ce tems,
+je m'en suis deux fois rapproché de huit milles, mais sans pouvoir me
+décider à venir étouffer dans sa lourde atmosphère. Cambridge est de son
+côté assez maudite; c'est un vil chaos de bruit et d'ivrognerie; le jeu,
+le bourgogne, la chasse, les mathématiques et Newmarket, les orgies et
+les courses de chevaux, voilà tout ce qu'on y fait et tout ce qu'on y
+trouve; mais comparé à l'éternelle insipidité de Southwell, c'est un
+vrai paradis. Est-il rien de plus misérable que de ne faire qu'accroître
+tous les jours le nombre de ses amours, de ses ennemis et de ses vers?</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote81"
+name="footnote81"><b>Note 81: </b></a><a href="#footnotetag81">
+(retour) </a> On trouvera ici, comme dans plusieurs autres
+ lettres de sa jeunesse, cette espèce d'ostentation
+ d'inconduite, travers assez commun à cet âge, alors
+ qu'aspirant à la virilité, nous nous imaginons qu'il peut y
+ avoir de la force à se précipiter dans le désordre.
+ Malheureusement cette ambition puérile de paraître plus
+ mauvais qu'il n'était, demeura invétérée dans l'esprit de
+ Lord Byron long-tems après qu'elle s'est évanouie chez les
+ autres; son esprit ne faisait même que s'en débarrasser
+ lorsqu'il termina ses jours.</blockquote>
+
+<p>Au mois de janvier prochain (mais cela est seulement entre nous, n'en
+dites rien, je vous prie, car mon persécuteur maternel jetterait bien
+vite sur mes projets sa tomahawk); je me mettrai en mer pour quatre ou
+cinq mois avec mon cousin le capitaine Bettesworth, qui commande <i>la
+Tartare</i>, la plus belle frégate de la marine. J'ai déjà vu bien des
+scènes, je veux étudier celles de la mer. Tout porte à croire que nous
+irons dans la Méditerranée ou aux Indes occidentales, ou bien enfin...
+au diable, et s'il y a quelque possibilité de me faire présenter à ce
+dernier, Bettesworth le fera; c'est un brave compagnon qui n'a encore
+reçu que vingt-quatre blessures en différens lieux, et qui possède une
+lettre du dernier lord Nelson, avouant que Bettesworth est le seul
+officier de marine qui ait reçu plus de blessures que lui-même.</p>
+
+<p>«J'ai maintenant un nouvel et le plus bel ami du monde, c'est un ours
+apprivoisé; quand je le montrai pour la première fois, on me demanda ce
+que je prétendais en faire, et moi de répondre que c'était un nouveau
+candidat au grade. Sherard vous expliquera ce mot, si vous avez de la
+peine à le comprendre. Ma réponse ne fit pas fortune. Nous avons ici une
+foule de réunions; ce soir, par exemple, je soupe avec un assortiment
+complet d'écuyers, joueurs, boxeurs, auteurs, ecclésiastiques et poètes.
+C'est, comme vous le voyez, un précieux mélange; mais ils s'accordent
+bien ensemble, et pour moi je suis un composé de chacun d'eux, à
+l'exception des écuyers. Hier, j'ai encore été démonté de cheval.</p>
+
+<p>«Remerciez, en mon nom, votre frère pour son traité. J'ai écrit deux
+cent quatorze pages d'un roman, un poème de trois cent quatre-vingts
+vers, que l'on publiera dans quelques semaines sans mon nom, et avec des
+notes; cinq cent soixante vers de la bataille de Bosworth et deux cent
+cinquante d'un autre poème, sans compter une demi-douzaine de pièces
+fugitives. Le poème que l'on va publier est une satire<a id="footnotetag82" name="footnotetag82"></a>
+<a href="#footnote82"><sup class="sml">82</sup></a>. À propos,
+j'ai été porté dans les cieux par la Revue critique<a id="footnotetag83" name="footnotetag83"></a>
+<a href="#footnote83"><sup class="sml">83</sup></a> et vivement
+insulté dans une autre publication<a id="footnotetag84" name="footnotetag84"></a>
+<a href="#footnote84"><sup class="sml">84</sup></a>. Le tout, me dit-on, est pour le
+mieux pour la vente du livre; cela occupe l'attention, et empêche mon
+livre d'être oublié; d'ailleurs, dans tous les tems, n'a-t-on pas
+censuré les plus grands hommes? pourquoi les derniers seraient-ils plus
+heureux? Je supporte donc mon sort en philosophe: il est bizarre que
+deux critiques opposées aient paru le même jour; et que sur cinq pages
+d'injures, mon censeur, à l'appui de son opinion, ne cite que <i>deux
+vers</i> de différens poèmes. Maintenant la vraie manière de <i>tuer un
+homme</i>, est de citer de longs passages et de les faire paraître
+absurdes, car une simple allégation n'est pas une preuve. D'un autre
+côté, il y a sept pages d'éloges, et c'est plus que ma <i>modestie</i> ne
+peut en supporter à ce sujet.</p>
+
+<p><i>P. S.</i> Écrivez, écrivez, écrivez!!!</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote82"
+name="footnote82"><b>Note 82: </b></a><a href="#footnotetag82">
+(retour) </a> Ce poème, qu'il augmenta depuis, était <i>les Bardes
+ anglais et les Reviseurs écossais</i>. Il semblerait d'après
+ cela que l'idée de cette satire lui soit venue quelque tems
+ avant la publication de l'article de la <i>Revue d'Édimbourg</i>.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote83"
+name="footnote83"><b>Note 83: </b></a><a href="#footnotetag83">
+(retour) </a> En septembre 1807. Cette <i>Revue</i>, en prononçant sur
+ la carrière future du jeune auteur, se montra meilleur
+ prophète que le grand oracle du nord. L'écrivain, en citant
+ l'élégie sur l'abbaye de Newsteadt, disait: «Nous ne pouvons
+ que saluer avec une sorte d'enthousiasme prophétique
+ l'espérance renfermée dans la stance suivante:
+
+<p> «Heureusement ton soleil peut encore échauffer ton front de
+ ses rayons les plus brûlans, etc., etc.»</p></blockquote>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote84"
+name="footnote84"><b>Note 84: </b></a><a href="#footnotetag84">
+(retour) </a> Dans le premier numéro d'un ouvrage mensuel, appelé
+ <i>le Satirique</i>, dans lequel furent insérées, par la suite,
+ quelques invectives contre sa personne.</blockquote>
+
+<p>Ce fut au commencement de l'année suivante que Lord Byron forma une
+liaison avec M. Dallas, allié de sa famille par les femmes. Ce M. Dallas
+est l'auteur de quelques romans qui jouirent d'une certaine réputation
+lorsqu'ils parurent, et aussi d'une sorte de <i>Mémoires</i> du noble poète,
+publiés immédiatement après sa mort. Comme ils sont principalement
+fondés sur sa correspondance originale, ce sont aussi les plus
+authentiques et les plus dignes de foi qui aient encore été publiés.
+Dans les lettres que Lord Byron adresse à ce <i>gentleman</i>, parmi un grand
+nombre de détails curieux, sous le point de vue littéraire, nous en
+trouvons de bien plus importans sous celui qui nous occupe en ce moment;
+je veux dire quelques détails propres à faire connaître les opinions que
+Lord Byron professait alors sur la morale et la religion, opinions qui
+eurent une si grande influence sur sa réputation et sa conduite.</p>
+
+<p>Ce n'est que bien rarement que l'irréligion et le scepticisme trouvent
+accès dans un jeune cœur. Cette disposition naturelle à se confier en
+l'avenir, qui fait le charme de cette période de la vie, la rend
+naturellement la saison de la foi et de l'espérance. Alors sont encore
+fraîches dans l'esprit ces impressions d'une première éducation
+religieuse, qui, dans les esprits même les plus prompts à mettre en
+question la foi de leurs pères, ne cèdent que lentement aux
+envahissemens du doute, et, en même tems, étendent le bienfait de leur
+répression morale sur cette partie de la vie où l'on reconnaît qu'elle
+est le plus nécessaire. Si, comme les incrédules le reconnaissent
+eux-mêmes, l'absence du frein religieux dégage l'homme d'une
+responsabilité qui lui serait utile dans tous les tems; il en est
+surtout ainsi dans la jeunesse, l'âge des tentations, l'âge où les
+passions sont déjà assez portées par elles-mêmes à se donner toute
+latitude sans que l'irréligion vienne encore ajouter à leur licence. Il
+est donc heureux que, par suite des raisons que nous venons d'indiquer,
+le scepticisme et l'incrédulité ne pénètrent généralement dans les ames
+qu'à une époque de la vie où le caractère, déjà formé, est moins
+susceptible d'être détérioré par leur influence funeste. Quand
+l'incrédulité est le résultat erroné de la pensée et du raisonnement,
+elle aura quelque chose de la froideur des sources qui l'ont fait
+naître; elle ne sera qu'un sujet de spéculation; elle n'aura que peu de
+pouvoir à porter l'homme vers le mal, comme, à la même époque de la vie,
+la foi la plus orthodoxe n'en a trop souvent que peu pour le conduire
+vers le bien.</p>
+
+<p>Tandis que, de cette manière, les mœurs de l'incrédule lui-même sont
+préservées des conséquences funestes que de telles doctrines eussent pu
+entraîner à un âge plus tendre; par une raison analogue, le danger de la
+communication de ces mêmes idées à d'autres, se trouve singulièrement
+diminué. Cette même vanité, cette même audace qui ont dicté les opinions
+du jeune sceptique, le conduiront aussi probablement à les révéler, à
+les proclamer tout haut, sans s'occuper de l'effet que son exemple peut
+avoir sur ceux qui l'entourent, ou de l'odieux qu'une telle confession
+ne saurait manquer de jeter irréparablement sur lui-même; mais, dans un
+âge plus avancé, on examine ces conséquences avec plus de réflexion.</p>
+
+<p>L'incrédule, s'il a quelque considération pour le bonheur des autres, y
+regardera à deux fois, avant de chasser de leur cœur une espérance dont
+lui-même sent si vivement l'absence et le prix. S'il n'a d'égards que
+pour lui-même, il hésitera naturellement encore à promulguer des
+doctrines que, dans aucun siècle, les hommes n'ont impunément
+professées. Dans l'un ou l'autre cas, il y a donc grande probabilité
+qu'il gardera le silence; car, en supposant que la philanthropie ne
+l'éloignât pas du projet de convertir les autres, la prudence du moins
+pourra l'empêcher de faire de lui-même un martyr.</p>
+
+<p>Malheureusement Lord Byron fut encore en ceci une exception à la règle
+générale. Chez lui le ver rongeur se montra au matin de la jeunesse, au
+moment où ses ravages devaient être le plus funestes. Au malheur réel
+d'être incrédule à quelque âge que ce soit, il ajouta le malheur plus
+rare d'être incrédule avant d'avoir quitté les bancs de l'école. Et la
+précocité qui mit, de si bonne heure, en jeu ses passions et son génie,
+le fit aussi parvenir, avant l'âge, au plus affreux des résultats de la
+raison humaine. À cette époque de la vie, où un caractère comme le sien
+avait surtout besoin du frein des croyances religieuses, ce frein lui
+manquait déjà presque entièrement.</p>
+
+<p>Nous avons vu dans les deux prières à la Divinité que j'ai extraites de
+ses poésies non publiées, et mieux encore dans le résumé de ses études,
+à quel âge son esprit ardent avait déjà secoué le joug de tous les
+systèmes et de toutes les sectes. Toutefois, dans ces prières
+elles-mêmes, il y a une ferveur d'adoration, au milieu de l'éloignement
+des croyances reçues, qui peut montrer tout ce qu'il y avait
+naturellement de piété dans son cœur (et il y en a beaucoup dans le cœur
+des vrais poètes). S'il avait eu alors pour guides et pour appuis des
+hommes capables de nourrir et d'entretenir ces heureuses dispositions,
+il eût évité cette licence, ce dévergondage d'opinions, auxquels il se
+livra dans la suite. Son scepticisme, s'il n'eût pas été entièrement
+détruit, eût pu se changer en un doute modeste, qui, loin d'être opposé
+à l'esprit religieux, le préserve de l'orgueil et lui inspire la charité
+pour les erreurs des autres. S'il n'avait pas lui-même pris sur les
+matières religieuses des idées claires et solides, il eût du moins
+appris à ne pas obscurcir et ébranler celles de ses semblables. Mais il
+eut le malheur de n'avoir point près de lui un sage mentor. Après avoir
+quitté Southwell, il ne restait près de lui ni parent ni ami, vers qui
+il pût lever les yeux avec respect. Il fut jeté seul dans le monde, avec
+ses passions et son orgueil, pour s'abandonner à l'affreuse découverte
+qu'il croyait avoir faite de la non-existence d'une vie à venir, et aux
+droits dès-lors absolus que le présent a sur nous. Par une autre
+fatalité, celui de ses camarades de collége pour lequel il professa de
+son vivant le plus d'admiration et d'attachement, et dont il déplora la
+perte avec la tendresse d'un frère, Matthews se trouva aussi sceptique
+que lui-même, si ce n'est davantage encore. Les parens de ce jeune
+homme, dont la carrière, si elle n'eût été sitôt arrêtée par la mort,
+paraissait, d'après les promesses de sa jeunesse, devoir être si
+brillante, conçurent l'idée de publier ses Mémoires, et s'adressèrent,
+en conséquence, à Byron et à ses autres amis, pour en obtenir des
+matériaux. La lettre suivante, à laquelle cette demande donna lieu,
+outre qu'elle renferme plusieurs anecdotes amusantes sur son ami, nous
+donne des détails si intéressans sur sa vie domestique à cette époque,
+que nous n'hésitons pas à interrompre l'ordre chronologique pour
+l'insérer ici.</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE XIX.</h3>
+
+<h4>À M. MURRAY.</h4>
+
+<p class="rig">Ravenne, 12 novembre 1820.</p><br><br>
+
+<p>«Ce que vous me dites de feu Charles Skinner Matthews, a réveillé tous
+mes anciens souvenirs; mais il m'a été impossible d'approuver
+l'intention qu'a son frère de donner une notice sur sa vie, quand bien
+même les événemens qui la remplirent auraient eu assez d'importance pour
+justifier la publication d'anecdotes d'un intérêt aussi restreint.
+Néanmoins, c'était un homme bien extraordinaire, et qui aurait acquis
+une grande illustration. Nul n'obtint jamais de plus brillans succès
+dans tout ce qu'il voulut essayer. Il était trop indolent sans doute;
+mais quand il lui arrivait de faire un effort, il dépassait aussitôt de
+bien loin tous ses rivaux. Ses victoires se trouveront enregistrées à
+Cambridge, particulièrement celle sur Downing, qui fut aisément
+remportée, quoique vivement et chaudement contestée. Hobhouse était son
+intime ami; il vous donnera plus de documens sur lui que personne.
+William Bankes aussi le connaissait intimement; mais pour moi je me
+rappelle moins ses grandes facultés académiques que ses bizarreries.
+Nous nous sommes trouvés réunis à l'une des époques les moins riantes de
+ma vie. Quand, en 1805, j'entrai au collége de la Trinité, âgé de
+dix-sept ans et demi, j'étais malheureux et jusqu'à un certain point
+insociable. Désolé de quitter Harrow, où j'avais fini par me plaire
+pendant les deux années précédentes; désolé d'aller à Cambridge et non
+pas à Oxford (parce qu'il ne se trouvait pas de place vacante à
+Christ-Church); désolé de quelques contrariétés domestiques de différens
+genres, j'étais en conséquence aussi indomptable qu'un loup dont on a
+rompu la voie. Aussi, bien que je connusse Matthews, et que je le
+rencontrasse souvent chez Bankes, mon aumônier, mon professeur et mon
+patron, chez Rhodes, chez Milness, chez Price, chez Dick, chez
+Macnamara, Farrell, Galley Knight, et autres connaissances du même tems,
+cependant je n'étais intime ni avec lui ni avec qui que ce fût, excepté
+mon ancien camarade d'école Edward Long, avec qui je passais les
+journées à monter à cheval et à nager, et Williams Bankes, qui avait
+assez de douceur dans le caractère pour tolérer mes férocités.</p>
+
+<p>Ce fut en 1807 seulement, quand, pour prendre mes <i>degrés</i> je fus
+retourné à Cambridge, que j'avais auparavant quitté pendant plus d'un
+an, que je devins l'un des amis intimes de Matthews. Ce fut par
+l'entremise de M. ***, qui, après m'avoir détesté pendant deux ans,
+comme il le dit lui-même, parce que je portais un chapeau blanc, une
+redingote grise, et que je montais un cheval gris, m'avait pris en
+affection parce que je faisais des vers. J'avais déjà vécu assez
+long-tems avec eux, et je m'étais assez souvent enivré dans leur
+compagnie; mais tout-à-coup nous devînmes réellement amis un beau matin;
+Matthews cependant ne résidait pas à cette époque au collége; je le
+rencontrais principalement, et de tems en tems, à des époques
+incertaines, à Cambridge. H... pendant ce tems-là, faisait de grandes
+choses, et fondait le club des whigs de Cambridge, qu'il paraît avoir
+oublié, et la <i>société amicale</i>, qui fut dissoute en conséquence des
+querelles perpétuelles des membres qui la composaient. Il se rendait
+très-populaire parmi nous autres jeunes gens et très-formidable à tous
+les maîtres particuliers, à tous les professeurs et principaux de
+colléges. Williams B... était parti; car tant qu'il avait été là, c'est
+lui qui dirigeait toute l'université et qui était le protecteur-né de
+tous les mauvais tours.</p>
+
+<p>«À force de nous rencontrer à Londres et ailleurs, Matthews et moi
+devînmes grands amis; il n'était pas très-doux de caractère, ni moi non
+plus; mais avec un peu de tact, il était encore maniable. Je le
+regardais comme un homme si supérieur, que je ne demandais pas mieux que
+de sacrifier quelque chose à ses humeurs, qui souvent m'amusaient tout
+en me mettant en colère. On n'a jamais su ce que sont devenus ses
+papiers à l'époque de sa mort, et certainement il en avait beaucoup. Je
+le dis ici par forme de parenthèse, de peur de l'oublier; il écrivait
+remarquablement bien en latin et en anglais.</p>
+
+<p>«Nous nous rendîmes ensemble à Newsteadt, où j'avais une fameuse cave,
+et où je m'étais procuré de chez un costumier des habillemens de
+<i>moines</i>. Nous étions sept ou huit de notre compagnie, sans compter un
+ou deux voisins qui nous faisaient visite dans l'occasion. Nous restions
+fort tard dans la nuit, habillés de nos robes de frères, buvant du
+bourgogne, du bordeaux, du champagne, et que sais-je encore, dans une
+coupe faite d'un crâne humain, et quelques autres verres de toute
+espèce; faisant mille bouffonneries dans toute la maison, sans quitter
+un instant notre attirail monacal. Matthews m'avait baptisé du nom
+d'Abbé, et quand il était de bonne humeur, il ne m'en donna pas d'autre
+jusqu'au moment de sa mort. L'harmonie de nos touchantes réunions fut au
+bout de quelques jours tant soit peu interrompue, par la menace que fit
+Matthews de jeter <i>l'intrépide</i> V... (nous l'avions appelé ainsi parce
+qu'il avait gagné deux courses, l'une à pied, d'Ipswich à Londres,
+l'autre à cheval, de Brighthelmstone à Londres), de jeter, dis-je,
+l'intrépide V... par la fenêtre, à la suite d'une soirée de
+plaisanterie, qui se termina par cette <i>épigramme</i>. V... vint à moi, et
+me dit que le respect et la considération qu'il me devait, comme maître
+de la maison, ne lui permettaient pas d'appeler en duel aucun de mes
+hôtes, mais que le lendemain matin il se retirerait. Ce fut en vain que
+je lui représentai que la fenêtre n'était pas très-élevée et que le
+gazon au-dessous était d'une douceur toute particulière: il s'en alla.</p>
+
+<p>«Matthews et moi, nous avions fait le voyage de Cambridge à Londres,
+parlant, pendant toute la route, sur le même sujet. Quand nous fûmes
+arrivés à Longhborough, je ne sais quel hasard nous en fit écarter un
+moment; Matthews s'en indigna; non, dit-il, ne quittons pas notre
+conversation, finissons comme nous avons commencé; continuons jusqu'au
+bout du voyage, et il se mit en effet à continuer, trouvant le moyen
+d'être toujours amusant jusqu'au bout. Il avait auparavant, durant mon
+absence de Cambridge, occupé mes appartemens dans le collége de la
+Trinité. En l'y installant, mon répétiteur Jones lui avait dit, avec son
+ton ridicule ordinaire: «M. Matthews, je vous recommande sérieusement de
+prendre garde d'endommager aucun des meubles, car Lord Byron, monsieur,
+est un jeune homme de passions tumultueuses.» Matthews fut ravi de cette
+allocution; et, qui que ce fût qui vînt le visiter, il ne manquait pas
+de leur recommander de ne toucher la porte elle-même qu'avec une grande
+précaution, et alors il leur répétait l'exhortation de Jones dans les
+mêmes termes et absolument du même ton; il y avait une grande glace dans
+une chambre, ce qui lui suggéra cette remarque, qu'il avait cru d'abord
+que ses amis devenaient singulièrement assidus à venir <i>le voir</i>; mais
+qu'il avait bientôt découvert qu'ils ne venaient que pour se voir
+eux-mêmes. La phrase de Jones de <i>passions tumultueuses</i> et l'ensemble
+de la scène l'avaient mis de si bonne humeur, que je crois en vérité que
+c'est à cette circonstance que j'ai dû une partie de ses bonnes grâces.</p>
+
+<p>«Quand nous étions à Newstead, il arriva qu'un jour, avant dîner,
+quelqu'un lui salit, par mégarde, un de ses bas de soie blancs, et
+naturellement voulut lui en faire des excuses. Monsieur, répondit
+Matthews, il peut vous paraître fort agréable, à vous qui avez une
+grande quantité de bas de soie, de salir ceux d'autrui; mais pour moi
+qui n'ai que cette seule et unique paire, que j'ai mise pour faire
+honneur à l'Abbé ici présent, rien ne peut excuser le tort que me fait
+votre manque d'attention, sans parler des frais de blanchissage. Il
+avait presqu'en toute occasion le même ton de plaisanterie sardonique.
+Une espèce de sauvage Irlandais, nommé F**, commençant à dire quelque
+chose à un grand souper, à Cambridge, Matthews se mit à crier d'une voix
+de tonnerre: Silence! et alors montrant F** du doigt, il ajouta ces
+paroles d'oracle: <i>L'ourson est doué de raison</i>. On peut aisément
+supposer qu'en entendant ce compliment, le pauvre <i>ourson</i> perdit le peu
+de raison qui pouvait lui être échu en partage. Quand H... publia son
+premier volume de poésies, intitulé <i>Mélanges</i>, tout ce qu'il put en
+tirer, c'est que la préface était absolument dans la manière de Walsh.
+H... crut d'abord que c'était un compliment, mais nous ne sûmes jamais à
+quoi nous en tenir là-dessus, car tout ce que l'on connaît de Walsh,
+c'est son ode au roi Williams, et l'épithète que lui donne Pope, le
+savant Walsh. Quand notre troupe quitta Newstead pour Londres, H... et
+Matthews qui étaient à cette époque les meilleurs amis du monde,
+convinrent de faire ensemble la route à pied. Ils se querellèrent à
+moitié route, et achevèrent ainsi leur voyage, passant et repassant l'un
+devant l'autre sans se dire un seul mot. Quand Matthews arriva à
+Highgate, il avait dépensé tout son argent, excepté trois pences et demi
+(7 sous) qu'il résolut d'employer aussi à une pinte de bière; il la
+buvait à la porte d'une taverne, quand H... passa devant lui pour la
+dernière fois, toujours sans lui parler. Ils se réconcilièrent depuis à
+Londres.</p>
+
+<p>«L'escrime était une des passions de Matthews, il était aussi très-fort
+au pugilat, mais il avait généralement le dessous dans les combats
+sérieux et au poing nu; quant à la natation, il nageait bien, mais avec
+efforts et travail, et se tenant le corps trop hors de l'eau; en sorte
+que Scrope, Davies et moi-même, qui étions en quelque sorte ses rivaux,
+nous lui disions souvent qu'il se noierait s'il rencontrait jamais
+quelque endroit difficile. Il se noya en effet; mais, à coup sûr, Scrope
+et moi eussions bien désiré que le doyen eût vécu, et que notre
+prédiction se fût trouvée mensongère.</p>
+
+<p>«Sa tête était extraordinairement belle, et ressemblait beaucoup à celle
+de Pope dans sa jeunesse.</p>
+
+<p>«Son frère Henry, si Henry est bien le nom de celui de <i>King's college</i>,
+rappelle fortement sa voix, ses traits et sa manière de rire. Sa passion
+pour boxer était si grande, qu'il voulait absolument que je le misse aux
+prises avec Dogherty, pour lequel j'avais parié contre Tom Belcher, et
+je les vis s'essayer ensemble dans ma chambre avec les gants. Comme il
+paraissait y tenir opiniâtrement, j'aurais parié, pour lui plaire, en
+faveur de Dogherty; mais le combat n'eut pas lieu. Bien entendu que
+c'eût été un combat particulier dans une chambre particulière.</p>
+
+<p>«Un certain jour que le tems ne lui permettait pas de retourner
+s'habiller chez lui, un ami, M. Basley, je crois, l'équipa d'une chemise
+et d'une cravate extrêmement à la mode, mais tant soit peu exagérée. Il
+se rendit à l'opéra, et prit place dans <i>Top's Alley</i>. Pendant
+l'entr'acte, entre l'opéra et les ballets, une de ses connaissances vint
+s'asseoir près de lui, et le salua. «Faites le tour, dit Matthews,
+faites le tour. Pourquoi ferais-je le tour? dit l'autre, vous n'avez
+qu'à tourner la tête, je suis tout près de vous. C'est précisément ce
+que je ne peux pas faire, répondit Matthews; ne voyez-vous pas l'état
+dans lequel je suis?» montrant du doigt son col de chemise savamment
+empesé, et son inflexible cravate. Et il se tint là pendant tout le
+spectacle, sa tête conservant toujours la même position perpendiculaire.</p>
+
+<p>«Un soir après avoir dîné ensemble, comme nous allions à l'opéra, je me
+trouvai avoir un billet disponible, comme souscripteur à une loge, et
+j'en fis présent à Matthews. «Voilà, dit-il quelque tems après à
+Hobhouse, un procédé <i>courtois</i> de la part de l'Abbé: un autre ne se
+serait jamais avisé de penser que je pouvais faire meilleur emploi d'une
+demi-guinée que de la jeter à un portier de spectacle; mais lui,
+non-seulement il m'invite à dîner, mais il me donne encore un billet
+d'opéra.» Ce n'était qu'une de ses singularités, car nul n'était plus
+libéral, plus grand que lui dans toutes ses manières. Il nous donna, à
+Hobhouse et moi, avant notre départ pour Constantinople, un festin
+magnifique, auquel nous fîmes amplement honneur. Une de ses idées était
+d'aller dîner dans toutes sortes de lieux étranges. Quelqu'un le
+découvrit un jour dans je ne sais quelle obscure taverne du Strand; et
+que croyez-vous qui l'y attirait? c'est qu'il payait, je crois, un
+shilling pour dîner le <i>chapeau sur la tête</i>. Il appelait cela sa
+<i>maison à chapeau</i>, et de vanter les avantages qu'il avait à prendre ses
+repas la tête couverte.</p>
+
+<p>«Quand sir Henri Smith fut chassé de Cambridge, à la suite d'une rixe
+avec un marchand nommé <i>Hiron</i>, Matthews s'en consola en allant chaque
+soir crier sous la fenêtre de celui-ci: «Hélas! à quel péril s'expose
+l'homme qui se joue avec <i>hat Hiron</i><a id="footnotetag85" name="footnotetag85"></a>
+<a href="#footnote85"><sup class="sml">85</sup></a>!» Il était aussi de cette bande
+de libertins irréligieux qui se faisaient un plaisir d'aller troubler le
+sommeil de Lort Mansel (dernièrement évêque de Bristol), qui alors
+habitait le collége de la Trinité. Quand celui-ci paraissait à sa
+fenêtre, écumant de colère et s'écriant: «Je vous connais, messieurs, je
+vous connais,» ils avaient coutume de lui répondre: «Nous t'en
+conjurons, oh <i>Lort</i>! écoute-nous, bon Lort, délivre-nous<a id="footnotetag86" name="footnotetag86"></a>
+<a href="#footnote86"><sup class="sml">86</sup></a>!» (Lort
+était son nom de baptême.) Comme il était très-libre dans ses manières
+d'envisager toutes sortes de sujets, quoiqu'il ne fût ni dissolu ni
+déréglé dans sa conduite, et que je n'avais pas moins d'indépendance
+dans les idées, notre conversation et notre correspondance alarmaient
+quelquefois vivement Hobhouse...»</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote85"
+name="footnote85"><b>Note 85: </b></a><a href="#footnotetag85">
+(retour) </a> Il est impossible de traduire en français le jeu de
+ mots qui se trouve ici dans le texte: <i>hat Hiron</i> signifiant
+ le <i>bouillant Hiron</i>, et <i>hat iron</i> signifiant <i>un fer
+ chaud</i>.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote86"
+name="footnote86"><b>Note 86: </b></a><a href="#footnotetag86">
+(retour) </a> Ces paroles sont extraites textuellement de la
+ liturgie anglicane, et présentent encore un jeu de mots:
+ <i>Lord, délivrez-nous; libera nos, Domine.</i></blockquote>
+
+<p>Comme déjà avant sa liaison avec M. Matthews, Lord Byron avait commencé
+à s'enfoncer dans l'abîme du scepticisme, il serait injuste d'attribuer
+au premier dans les opinions de son ami plus de part qu'il n'a dû en
+résulter de l'influence naturelle de l'exemple et de la sympathie;
+influence qui, éprouvée également des deux côtés, rendait en grande
+partie réciproque la contagion de leurs doctrines. Outre cette
+communauté de sentimens sur de tels sujets, ils étaient tous deux
+tourmentés par le goût dangereux de la satire. Les hommes les plus pieux
+même ne peuvent pas toujours résister à cette disposition d'esprit qui
+nous entraîne presque malgré nous à déverser du ridicule sur tout ce
+qu'il y a de plus saint et de plus grave. Il n'est donc pas étonnant que
+dans une telle société, les opinions du noble poète aient pris avec plus
+de rapidité une direction vers laquelle elles tendaient naturellement;
+et quoique l'on ne puisse pas dire qu'il ait eu alors des doctrines bien
+arrêtées, puisque ni à cette époque ni à aucune autre de sa vie il ne se
+montra incrédule décidé, il apprit sans doute à sentir moins fortement
+l'horreur du scepticisme, et à y mêler de la légèreté et de
+l'amour-propre. Dès le commencement de sa correspondance avec M. Dallas,
+nous le voyons proclamer ses sentimens sur tous les sujets de cette
+nature, avec une légèreté et un aplomb bien différens du ton avec lequel
+il présentait autrefois ses doutes. Cela même forme un contraste
+frappant avec cette tristesse fiévreuse d'un cœur désolé de perdre ses
+illusions, qui respire dans chaque vers des prières qu'il avait tracées
+moins d'un an auparavant.</p>
+
+<p>Il ne faut pas cependant oublier ici sa propension à exagérer tout ce
+qu'il pouvait y avoir de mauvais en lui. Dans sa première lettre à M.
+Dallas, nous voyons un exemple de cette étrange ambition, complètement
+opposée à l'hypocrisie, qui le porta à rechercher plutôt qu'à éviter la
+réputation de libertin, et à présenter sans cesse sous le jour le plus
+défavorable son caractère et sa conduite. Son nouveau correspondant lui
+faisant compliment sur les sentimens de morale et de charité qui
+respiraient dans l'un de ses poèmes, avait ajouté que cela lui avait
+rappelé les ouvrages d'un autre noble auteur, qui était non-seulement
+grand poète, grand orateur et grand historien, mais encore l'un des plus
+profonds raisonneurs qui aient établi la vérité de cette religion, dont
+le pardon des offenses est l'un des premiers principes; (le grand et le
+bon lord Littleton, dont la réputation ne périra jamais.) Son fils,
+ajoutait M. Dallas, auquel il avait transmis son génie, mais non ses
+vertus, a brillé un moment pour disparaître bientôt comme un météore
+passager, et avec lui son titre s'est éteint. C'est à cette lettre que
+Lord Byron fit la réponse suivante:</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE XX.</h3>
+
+<h4>À M. DALLAS.</h4>
+
+<p class="rig">Hôtel Dorant, Albemarle-street, 20 janvier 1808.</p><br><br>
+
+<p><span class="sc">Monsieur</span>,</p>
+
+<p>«Votre lettre ne m'est parvenue que ce matin, probablement parce qu'elle
+m'était adressée à Nottingham, où je n'ai pas résidé depuis le mois de
+juin dernier; comme elle est datée du 6 courant, je vous prie d'excuser
+le retard de ma réponse.</p>
+
+<p>«Si, comme vous dites, le petit volume dont vous parlez a fait quelque
+plaisir à l'auteur de <i>Perceval</i> et d'<i>Aubrey</i>, je suis plus que
+récompensé par cet éloge. Quoique nos censeurs périodiques se soient
+montrés d'une indulgence peu commune, je confesse que l'approbation d'un
+homme d'un génie aussi reconnu est encore bien plus flatteuse pour moi;
+mais je perdrais, je le crains, tous droits au titre d'homme candide, si
+je ne refusais pas des éloges que je ne mérite point. Je suis fâché
+d'ajouter que ce serait ici le cas.</p>
+
+<p>«Mes ouvrages doivent parler pour eux-mêmes; ils doivent se soutenir ou
+tomber suivant leur mérite ou leur démérite; et sous le rapport
+littéraire je suis fier de l'opinion favorable que vous voulez bien m'en
+exprimer. Mais j'ai malheureusement si peu de prétentions au titre
+d'homme vertueux, que je ne puis accepter les complimens que vous me
+faites à cet égard, bien que je m'estimasse heureux de les mériter. Un
+passage de votre lettre m'a singulièrement frappé: vous y parlez des
+deux lords Littleton comme chacun d'eux le mérite respectivement; vous
+serez surpris d'apprendre que la personne qui vous écrit en ce moment, a
+été souvent comparée au second. Je n'ignore pas que par cet aveu, je me
+perds moi-même dans votre estime; mais c'est une circonstance que votre
+observation rend si remarquable, que je ne puis m'empêcher de rapporter
+ce fait. Les événemens de ma courte vie ont été d'une nature si
+singulière, que bien que cet orgueil que l'on appelle ordinairement
+honneur, m'ait toujours empêché, et doive, je l'espère, m'empêcher
+toujours de disgracier mon nom par aucune action lâche ou vile, j'ai
+déjà été considéré comme un adepte du libertinage et un disciple de
+l'incrédulité. Jusqu'à quel point la justice peut-elle avoir dicté cette
+accusation? je ne prétends pas l'examiner ici, mais je dirai que comme
+le <i>gentleman</i><a id="footnotetag87" name="footnotetag87"></a>
+<a href="#footnote87"><sup class="sml">87</sup></a>
+ auquel mes religieux amis, dans la ferveur de leur
+charité, m'ont déjà dévoué, on me fait plus mauvais que je ne suis en
+effet. Quoi qu'il en soit, pour me laisser là moi-même, le plus mauvais
+sujet que je puisse traiter, et pour en revenir à mes poésies, je ne
+puis assez vous exprimer mes remercîmens, et j'espère avoir quelque jour
+l'occasion de vous en présenter personnellement l'hommage. Une seconde
+édition est maintenant sous presse avec quelques additions et des
+retranchemens considérables; vous me permettrez de vous en offrir un
+exemplaire. Le <i>Critical</i>, le <i>Monthly</i> et l'<i>Anti-Jacobin Review</i> ont
+été très-indulgens, mais l'<i>Eclectic</i> a prononcé une furieuse
+philippique, non contre le livre, mais contre l'auteur, où vous
+trouverez tout ce que je viens de vous dire avancé par un ecclésiastique
+qui a écrit cet article.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote87"
+name="footnote87"><b>Note 87: </b></a><a href="#footnotetag87">
+(retour) </a> <i>Le Diable</i>.</blockquote>
+
+<p>«Je connaissais depuis long-tems votre nom et vos rapports avec notre
+famille; j'espère faire bientôt une connaissance personnelle avec vous:
+vous trouverez en moi un excellent composé d'un <i>Brainless</i> et d'un
+<i>Stanhope</i><a id="footnotetag88" name="footnotetag88"></a>
+<a href="#footnote88"><sup class="sml">88</sup></a>
+. Je crains que vous ne puissiez déchiffrer cette lettre,
+car ma main est presque aussi mauvaise que ma réputation; mais je vais
+signer, aussi lisiblement qu'il me sera possible, Votre obligé et
+obéissant serviteur,»<br><span class="rig">
+BYRON.</span></p><br>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote88"
+name="footnote88"><b>Note 88: </b></a><a href="#footnotetag88">
+(retour) </a> Personnages du roman intitulé: <i>Percival</i>
+ (<i>Perceval</i>).<span class="rig">
+ (<i>Note de Moore</i>.)</span><br>
+</blockquote>
+
+<p>Il y a ici évidemment une sorte d'orgueil de la part de Byron à
+s'assimiler au débauché lord Littleton. De peur que ce qu'on connaissait
+d'irrégulier dans sa vie ne suffit pas pour justifier cette prétention,
+il fait, avec un air de mystère, suivant sa coutume, allusion à des
+événemens inconnus qui pourraient lui donner droit à ce paralèle<a id="footnotetag89" name="footnotetag89"></a>
+<a href="#footnote89"><sup class="sml">89</sup></a>. M.
+Dallas qui, à ce qu'il paraît, ne s'attendait pas à voir recevoir ainsi
+ses complimens, se tira de ce mauvais pas en renvoyant à la <i>candeur</i> du
+jeune Lord les éloges dont celui-ci s'était montré si peu reconnaissant
+quand ils étaient adressés à ses mœurs, et ajoutait que, d'après
+l'intention exprimée par Lord Byron dans sa préface, d'abandonner le
+culte des muses pour suivre une autre carrière, il le croyait en ce
+moment occupé aux études qui forment le sénateur et l'homme d'état;
+qu'il se l'était représenté comme membre de quelque université,
+s'exerçant à l'art de penser et de parler, et amassant un trésor de
+connaissances en histoire et en droit. C'est dans la réponse à cette
+lettre que se trouve l'exposition des opinions du noble poète à laquelle
+j'ai fait allusion plus haut.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote89"
+name="footnote89"><b>Note 89: </b></a><a href="#footnotetag89">
+(retour) </a> Cet appel à l'imagination de son correspondant ne
+ fut pas tout-à-fait sans effet: «Je pensai, dit M. Dallas,
+ que ces lettres, <i>quoique évidemment fondées sur quelques
+ circonstances de sa vie antérieure</i>, étaient plutôt un jeu
+ d'esprit qu'un portrait ressemblant.<span class="rig">
+ (<i>Note de Moore</i>.)</span><br></blockquote>
+<br><br>
+<h3>LETTRE XXI.</h3>
+
+<h4>À M. DALLAS.</h4>
+
+<p class="rig">Hôtel Dorant, 21 janvier 1808.</p><br><br>
+
+<p><span class="sc">Monsieur</span>,</p>
+
+<p>«Dans quelque tems que vos loisirs et votre disposition d'esprit vous
+permettent de me favoriser d'une visite, je serai sensiblement flatté de
+faire une connaissance personnelle avec quelqu'un dont l'esprit m'était
+déjà connu depuis long-tems par ses ouvrages.</p>
+
+<p>«Votre conjecture est fondée en ce sens que je suis membre de
+l'université de Cambridge, où je vais à la fin de ce quartier prendre le
+grade de <i>Master artium</i><a id="footnotetag90" name="footnotetag90"></a>
+<a href="#footnote90"><sup class="sml">90</sup></a>; mais si le raisonnement, l'éloquence, la
+vertu étaient l'objet que je poursuis, <i>Granta</i><a id="footnotetag91" name="footnotetag91"></a>
+<a href="#footnote91"><sup class="sml">91</sup></a> n'est point leur
+métropole; le pays où elle est située n'est point un Eldorado, bien
+moins encore une Eutopie. L'intelligence de ses enfans est aussi
+stagnante que les eaux de sa <i>Cam</i><a id="footnotetag92" name="footnotetag92"></a>
+<a href="#footnote92"><sup class="sml">92</sup></a>; ils ont en vue dans leurs
+travaux non l'église du Christ, mais l'église la plus prochaine qui leur
+donnerait un bénéfice.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote90"
+name="footnote90"><b>Note 90: </b></a><a href="#footnotetag90">
+(retour) </a> <i>Maître-ès-arts</i> (A. M.), second grade dans les
+ universités anglaises, correspondant exactement à celui de
+ licencié.
+
+<p> Une université anglaise se compose d'étudians non gradués
+ (<i>under graduates</i>), de bacheliers, de maîtres-ès-arts et de
+ docteurs. Ces grades ne correspondent pas absolument aux
+ nôtres, en ce sens qu'il n'y a de bachelier que <i>ès-lettres</i>
+ (<i>artium bachelors</i>, A. B.), bien que pour obtenir ce titre,
+ il faille subir des examens sur les sciences et la théologie.</p>
+
+<p> La licence et le doctorat s'obtiennent par un certain nombre
+ d'années de résidence et le paiement de certains droits qui
+ varient suivant que l'impétrant est noble ou roturier. Il n'y
+ a également que des licenciés-ès-lettres (<i>artium masters</i>).</p>
+
+<p> Quant au doctorat, au contraire, il n'y a point de
+ docteurs-ès-lettres, mais seulement des docteurs en théologie
+ (<i>doctores divinitatis</i>, D. D.), et des docteurs en droit
+ (<i>doctores legis</i>, D. L.). Bien que l'on appelle les médecins
+ du nom de docteur, il n'y a point de grades en médecine, non
+ plus que dans les sciences, et leurs diplômes sont plutôt des
+ permissions d'exercer que des titres universitaires.<span class="rig">
+ (<i>N. du Tr.</i>)</span></p></blockquote>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote91"
+name="footnote91"><b>Note 91: </b></a><a href="#footnotetag91">
+(retour) </a> Nom poétique de l'université de Cambridge.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote92"
+name="footnote92"><b>Note 92: </b></a><a href="#footnotetag92">
+(retour) </a> Rivière qui passe à Cambridge et lui donne son
+ nom.</blockquote>
+
+<p>«Quant à mes connaissances, je puis dire sans hyperbole qu'elles sont
+passablement étendues en histoire; peu de nations existent ou ont existé
+dont je ne connaisse plus ou moins les annales, depuis Hérodote jusqu'à
+Gibbon. Quant aux auteurs grecs et latins, je les connais autant que la
+plupart des écoliers qui leur ont consacré treize années d'études. Quant
+aux lois du pays, je les connais juste assez pour ne pas <i>enfreindre les
+statuts</i>, pour me servir de l'expression des braconniers. J'avais étudié
+l'<i>Esprit des lois</i> et <i>le Droit des gens</i>; mais quand je vis celui-ci
+violé chaque mois, je cessai de m'en occuper comme d'une connaissance
+sans utilité. Quant à la géographie, j'ai vu plus de pays sur la carte,
+que je ne désirerais en traverser à pied. J'ai vu assez de mathématiques
+pour me donner mal à la tête sans éclaircir mes idées. De philosophie,
+d'astronomie et de métaphysique, j'en ai appris plus que je n'en
+comprends<a id="footnotetag93" name="footnotetag93"></a>
+<a href="#footnote93"><sup class="sml">93</sup></a>; pour du sens commun, j'en ai acquis si peu que je me
+propose de fonder un prix <i>byronnien</i> dans chacune de nos universités
+pour le premier qui en découvrira quelques traits en moi; quoique l'on
+craigne bien que la découverte de la quadrature du cercle ne doive
+précéder celle-là.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote93"
+name="footnote93"><b>Note 93: </b></a><a href="#footnotetag93">(retour) </a> Byron paraît se rappeler ici la manière spirituelle
+ dont Voltaire nous peint l'érudition de Zadig: «Il savait de
+ la métaphysique ce que l'on en a su dans tous les âges...
+ c'est-à-dire fort peu de chose, etc.»</blockquote>
+
+<p>«Je me suis cru autrefois philosophe. Je débitais avec beaucoup de
+décorum bon nombre d'absurdités, défiant la douleur et prêchant
+l'égalité d'humeur. Pendant quelque tems cela réussit fort bien, car
+personne ne souffrait pour moi que mes amis, et ne perdait patience que
+mes auditeurs; à la fin une chute de cheval me convainquit que la
+douleur physique était un mal, et cet argument, le pire de tous, changea
+à la fois mon système et mon humeur; en sorte que je quittai Zenon pour
+Aristippe, et m'imaginai que c'est le plaisir qui constitue réellement
+le καλον<a id="footnotetag94" name="footnotetag94"></a>
+<a href="#footnote94"><sup class="sml">94</sup></a>. En morale, je préfère Confucius aux dix
+commandemens, et Socrate à Saint-Paul, quoique les deux derniers
+s'accordent dans leur opinion du mariage. En religion, je suis pour
+l'émancipation catholique, mais je ne reconnais pas le pape, et j'ai
+refusé de recevoir le sacrement parce que je ne comprends pas comment
+manger du pain et boire du vin de la main du vicaire terrestre peut
+faire de moi l'héritier du royaume des cieux. Je regarde la vertu en
+général, et chaque vertu en particulier, comme une disposition de l'ame;
+chacune d'elles me semble une manière de sentir et non un principe<a id="footnotetag95" name="footnotetag95"></a>
+<a href="#footnote95"><sup class="sml">95</sup></a>.
+Je crois que la vérité est le premier attribut de la divinité, et que la
+mort est un sommeil éternel, au moins pour le corps. Vous avez là un
+résumé des sentimens de ce <i>libertin</i> de George Lord Byron, et, jusqu'à
+ce que je me pourvoie d'un nouvel habit, vous voyez que je suis
+passablement mal vêtu.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote94"
+name="footnote94"><b>Note 94: </b></a><a href="#footnotetag94">
+(retour) </a> Το καλον, le beau.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote95"
+name="footnote95"><b>Note 95: </b></a><a href="#footnotetag95">
+(retour) </a> C'est là la doctrine de Hume, qui résout toute
+ vertu en un sentiment. Voyez son ouvrage intitulé:
+ <i>Recherches sur les principes moraux</i> (<i>Enquiry concerning
+ the principles of morals</i>).</blockquote>
+
+<p>«Je suis, etc.»</p>
+
+<p>Quoique telle fût sans doute à cette époque la tournure générale de ses
+opinions, il faut se rappeler, avant d'ajouter trop d'importance à cette
+profession de ses sentimens, d'abord qu'il ne résista jamais à la
+tentation de montrer son esprit aux dépens de sa réputation, ensuite
+qu'il écrivait ici à une personne bien intentionnée, sans doute, mais en
+même tems à l'un de ces officieux, de ces donneurs d'avis, toujours
+contens d'eux-mêmes, que Byron s'est fait dans tous les tems un plaisir
+d'étonner et de mystifier. Les tours qu'il joua étant enfant au
+charlatan du Nottinghamshire, Lavender, n'étaient que les premiers d'une
+longue série de mystifications qu'il fit toute sa vie aux nombreux
+charlatans que sa célébrité et son humeur sociable attiraient autour de
+lui.</p>
+
+<p>Les termes dans lesquels il parle de l'université, dans cette lettre,
+sont parfaitement d'accord avec plusieurs passages des <i>Heures
+d'oisiveté</i> et de sa première satire. On voit que s'il se rappelait
+Harrow avec plus d'affection que de respect peut-être, Cambridge n'avait
+pu lui inspirer ni l'un ni l'autre de ces deux sentimens. Ce dégoût
+qu'il avait conservé pour sa <i>mère nourrice</i>, il le partageait en commun
+avec la plupart des noms les plus illustres de la littérature anglaise.
+«Si grande était la haine de Milton pour Cambridge, dit Warton, qu'il
+avait même conçu un dégoût pour l'aspect du pays et pour les campagnes
+d'alentour.» Voici comme le poète Gray parle de la même université:
+«Certainement c'est de cette ville, aujourd'hui Cambridge, mais
+autrefois connue sous le nom de Babylone, que le prophète parle, quand
+il dit: Les animaux sauvages du désert y habiteront, leurs demeures
+seront pleines de tristes créatures, les hiboux y bâtiront nids et les
+satyres y danseront.» Gibbon nous a transmis le souvenir amer qu'il
+conservait de l'université d'Oxford, et le froid mépris avec lequel
+Locke se vengea de l'hypocrisie qui régnait dans cet asile de la
+science, est encore plus remarquable<a id="footnotetag96" name="footnotetag96"></a>
+<a href="#footnote96"><sup class="sml">96</sup></a>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote96"
+name="footnote96"><b>Note 96: </b></a><a href="#footnotetag96">
+(retour) </a> Voyez sa lettre à Anthony Collins, 1703-4, où il
+ parle de ces fortes têtes qui jetaient feu et flamme contre
+ son livre, parce qu'il était de nature à nuire à l'industrie
+ locale, qu'à cette époque on appelait la <i>tonte de cochon</i>.</blockquote>
+
+<p>On peut penser que les souvenirs pénibles que quelques poètes ont
+conservés de leur vie de collége ont leur origine dans cette antipathie
+pour les entraves de la discipline, antipathie que l'on observe assez
+souvent comme un des traits caractéristiques de génie: c'est comme une
+sorte d'instinct ou de préservatif, s'il est vrai (comme quelques-uns
+l'ont dit) qu'une éducation classique nuise à la fraîcheur et à
+l'élasticité de l'imagination. Un écrivain, membre du clergé, et par
+conséquent peu suspect de vouloir déprécier les études académiques,
+non-seulement pose cette question: «Les formes ordinaires de notre
+système d'éducation ne sont-elles pas plus nuisibles qu'utiles aux vrais
+poètes?» mais encore il paraît fortement pencher pour une solution
+affirmative. Pour exemple à l'appui de son opinion, il choisit le
+classique Addisson qui, dans quelques essais originaux d'un genre sévère
+ou allégorique, paraît n'avoir pas été dépourvu des talens qui révèlent
+un esprit supérieur, talens qui furent tellement comprimés et énervés
+par son étude constante et superstitieuse des classiques anciens, que
+dans le fait il est demeuré un poète très-ordinaire.</p>
+
+<p>C'est sans doute sous l'impression de l'influence maligne de
+l'atmosphère scholastique sur le génie, que Milton, en parlant de
+Cambridge, s'écrie: «C'est un lieu où les disciples de Phébus ne
+sauraient vivre,» et que Lord Byron, répétant en vers une pensée déjà
+exprimée dans la lettre à M. Dallas, que nous venons de citer, dit: «Son
+Hélicon est plus pesant et plus fangeux encore que sa rivière de Cam.»</p>
+
+<p>Dryden, qui, comme Milton, avait reçu quelque châtiment déshonorant<a id="footnotetag97" name="footnotetag97"></a>
+<a href="#footnote97"><sup class="sml">97</sup></a>
+à Cambridge, paraît avoir conservé peu de respect pour son <i>alma mater</i>;
+et les vers dans lesquels il loue l'université d'Oxford aux dépens de la
+sienne<a id="footnotetag98" name="footnotetag98"></a>
+<a href="#footnote98"><sup class="sml">98</sup></a>, lui ont été probablement dictés moins par une admiration
+véritable de l'une que par le désir de dénigrer l'autre.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote97"
+name="footnote97"><b>Note 97: </b></a><a href="#footnotetag97">
+(retour) </a> Milton a reçu le fouet à l'université de Cambridge;
+ c'est, dit-on, le dernier qui ait été soumis à cette punition
+ dégoûtante, qui, bien que tombée en désuétude, n'en fait pas
+ moins partie des moyens de répression indiqués dans les
+ réglemens.<span class="rig">
+ (<i>N. du. Tr.</i>)</span></blockquote>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote98"
+name="footnote98"><b>Note 98: </b></a><a href="#footnotetag98">
+(retour) </a> Voyez <i>prologue à l'université d'Oxford</i>.</blockquote>
+
+<p>Ce n'est pas seulement le génie qui se rebelle contre la discipline des
+écoles; le goût, naturellement moins impérieux, et dont l'objet avoué
+est de cultiver les études classiques, se montre quelquefois rétif au
+gouvernement pédantesque qu'on veut lui imposer. Ce ne fut qu'après
+avoir été déchargé de l'obligation de lire Virgile comme une tâche, que
+Gray se sentit capable d'apprécier et de goûter les beautés de ce poète.
+Byron, jusques à la fin, s'efforça de vaincre un préjugé de la même
+nature contre Horace, dont le nom s'associait toujours dans son esprit
+au souvenir des ennuis de l'école.</p>
+
+<p>Quoique le tems ait accoutumé mon esprit à méditer sur ce que j'avais
+appris alors, telle est la force du préjugé né de l'impatience qu'ils
+m'ont fait éprouver dans mes premiers ans, que, perdant pour moi
+l'attrait de la nouveauté, les auteurs dont j'aurais peut-être cherché
+la lecture avec avidité, si j'avais été libre dans mes choix,
+m'inspirent toujours une sorte de dégoût, et que ce que je détestais
+alors je l'abhorre encore aujourd'hui. Adieu donc, Horace, que je
+détestais tant, c'est ma faute et non la tienne. C'est un grand malheur
+d'entendre les mots dont tu t'es servi pour exprimer tes idées
+poétiques, sans être en âge d'apprécier ces mêmes idées, et de
+comprendre tes vers, trop tôt pour pouvoir jamais les aimer. (<i>Childe
+Harold</i>, chant <span class="sc">iv</span>.)</p>
+
+<p>Aux grands poètes qui nous ont laissé un témoignage de leur
+désapprobation du système anglais d'éducation il faut ajouter les noms
+distingués de Cowley, Addisson et Cowper. Tandis que parmi les exemples
+qui, comme ceux de Milton et de Dryden, démontrent l'espèce de raison
+inverse qui peut exister entre les <i>honneurs</i> du collége et le génie, il
+ne faut pas oublier ceux de Swift, Goldsmith et Churchill, qui ne furent
+jugés que de médiocres écoliers dans les universités dont ils honorent
+aujourd'hui les annales. À la suite de cette longue série de poètes qui
+ont quitté les universités, entachés d'une note déshonorante et pleins
+de sentimens haineux contre elles, nous ajoutons des noms tels que ceux
+de Shakspeare, de Pope, de Gay, de Thomson, de Burns, Chatterton, etc.,
+qui tous ont atteint leur degré de gloire respective sans avoir passé
+par aucun collége. Nous verrons que le plus grand nombre de nos poètes
+n'a rien dû à cette influence puissante que les universités sont censées
+exercer sur le développement du génie, dans les pays qui en sont
+pourvus.</p>
+
+<p>Les lettres suivantes, écrites à cette époque, contiennent quelques
+particularités qui peut-être ne seront pas sans intérêt pour le lecteur.</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE XXII.</h3>
+
+<h4>À M. HENRY DRURY.</h4>
+
+<p class="rig">Hôtel Dorant, 13 janvier 1808.</p><br><br>
+
+<p><span class="sc">Mon cher Monsieur</span>,</p>
+
+<p>«La stupidité de mes domestiques ou du portier, en ne vous disant pas de
+monter dans mon appartement, où je vous aurais rejoint à l'instant, m'a
+privé du plaisir de vous voir hier matin. J'espérais vous rencontrer le
+soir dans quelque lieu public, mon étoile ne l'a pas permis; c'est ainsi
+qu'elle me refuse les faveurs, et généralement les faveurs qui me
+seraient le plus agréables. Vous eussiez été, je crois, fort étonné en
+me revoyant; j'ai perdu 50 liv. depuis notre dernière entrevue; je
+pesais alors 181 liv., je n'en pèse plus maintenant que 130. Je me suis
+débarrassé de mon <i>superflu</i>, au moyen de l'exercice violent et de
+l'abstinence.
+.............................................................................................................................................
+.......................................................................................................................................................</p>
+
+<p>«Si vos occupations à Harrow vous permettaient de venir en ville d'ici
+au premier février, je m'estimerais heureux de vous recevoir dans
+Albemarle-street. Si je ne puis pas avoir cet avantage, je tâcherai
+d'aller vous voir une après-midi à Harrow, tout en tremblant que votre
+cave ne contribue pas beaucoup à ma guérison. Quant à mon digne
+précepteur, le docteur Butler, notre rencontre chez vous n'empêcherait
+pas ces <i>petites douceurs</i> que nous étions dans l'habitude de nous
+prodiguer mutuellement. Nous ne nous sommes parlé qu'une fois depuis mon
+départ de Harrow, 1805, et dans cette occasion il dit poliment à
+Tatersall que je n'étais pas un compagnon convenable pour ses élèves.
+C'était avant ma première <i>échauffourée</i> poétique; et, en bonne prose,
+si j'avais été plus vieux de quelques années, j'aurais gardé le silence
+sur ses perfections; mais j'étais couché sur le dos quand j'écrivis ou
+plutôt quand je dictai ces folies d'écolier. Je ne m'attendais pas à en
+revenir jamais; mon médecin avait reçu les honoraires de seizième
+visite, et moi j'en étais à sa seizième ordonnance; je ne pouvais
+quitter la terre sans laisser à Butler un souvenir de constant
+attachement, en retour de tous ses bons offices. J'avais intention de
+descendre à Harrow en juillet; mais pensant que ma visite, immédiatement
+après la publication, pourrait être interprétée comme une insulte, je
+dirigeai mes pas ailleurs; j'avais, de plus, appris que plusieurs des
+élèves s'étaient procuré mon opuscule, et cela, bien certainement,
+contre mes intentions; car je n'en ai pas donné une seule copie avant le
+mois d'octobre, époque à laquelle, cédant à des instances réitérées, je
+ne pus en refuser une à un jeune homme qui depuis a quitté l'école. Vous
+me pardonnerez de vous entretenir si longuement sur ce sujet; vous
+l'aviez abordé, dès-lors une explication devient nécessaire. Je
+n'essaierai point de me justifier, <i>hic murus aheneus esto, nil conscire
+sibi</i>, etc., comme lord Baltimor lors de son jugement pour un rapt. Je
+suis demeuré assez long-tems au collége de la Trinité pour avoir oublié
+la fin du vers; mais si je ne finis pas ma citation, je finirai du moins
+ma lettre, en vous priant de me croire, avec autant d'affection que de
+reconnaissance, votre, etc.</p>
+
+<p>«<i>P. S.</i> Je n'abuserai pas de vos loisirs en sollicitant la faveur d'une
+réponse, de peur que vous ne disiez, comme dit Butler à Tatersall,
+auquel j'avais adressé une lettre assez imprudente, à l'occasion du
+propos dont j'ai parlé plus haut: «Je voudrais l'entraîner dans une
+correspondance avec moi.»</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE XXIII.</h3>
+
+<h4>À M. HARNESS.</h4>
+
+<p class="rig">Hôtel Dorant, Albemarle-street, 11 février 1808.</p><br><br>
+
+<p><span class="sc">Mon cher Harness</span>,</p>
+
+<p>«Comme je n'ai pas eu occasion de vous les exprimer verbalement,
+j'espère que vous voudrez bien recevoir mes remercîmens écrits, pour
+l'opinion flatteuse que vous avez bien voulu exprimer au mois de
+novembre dernier, sur quelques-unes des productions de ma pauvre muse.
+Au plaisir que j'éprouve à me voir loué par un ancien camarade d'école
+se joint le besoin de vous rendre justice, car j'avais entendu
+l'histoire avec quelques légères variantes. En vérité, quand nous nous
+rencontrâmes ce matin, Wingfield ne m'avait pas encore détrompé, mais il
+vous dira que je n'ai témoigné aucun ressentiment en citant le jugement
+qu'on vous prêtait, quoique je ne sois pas fâché d'avoir découvert la
+vérité. Peut-être vous vous rappelez à peine qu'il y a quelques années
+nous avons été liés d'une amitié trop courte, mais bien vive. Pourquoi
+cette amitié n'a-t-elle pas duré plus long-tems? je n'en sais rien. J'ai
+encore en ma possession un souvenir de vous, qui m'empêchera toujours de
+l'oublier. Je me souviens aussi d'avoir été favorisé de la lecture de
+plusieurs de vos compositions. Il est plusieurs autres circonstances que
+je pourrais vous rappeler, si je ne craignais de fatiguer votre mémoire;
+mais je vous prie de croire à la sincérité de mes regrets quant à la
+courte durée de mon amitié, et aux espérances que je nourris de la voir
+se renouveler, etc.»<br><span class="rig">
+BYRON.</span><br></p>
+
+<p>J'ai déjà parlé de l'amitié qui unit de bonne heure ce <i>gentleman</i> et
+Lord Byron, aussi bien que de la froideur qui lui succéda. L'extrait
+suivant d'une lettre dont M. Harness voulut bien m'honorer, en mettant à
+ma disposition celle de son noble correspondant, expliquera les
+circonstances qui amenèrent à cette époque leur réconciliation. Le
+tribut d'éloges qu'il paie dans les dernières phrases à la mémoire de
+Lord Byron, ne paraîtra pas moins honorable pour lui-même que pour son
+ami.</p>
+
+<p>«Bientôt après, notre liaison se refroidit, comme le dit Byron dans la
+première des lettres ci-jointes, et nous ne nous parlâmes plus durant la
+dernière année qu'il passa à Harrow, ni jusqu'après la publication de
+ses <i>Heures d'Oisiveté</i>; il était alors à Cambridge, et moi encore à
+l'école, mais dans une des <i>formes</i> les plus avancées. Il arriva que
+dans une amplification anglaise je citai quelque chose de son ouvrage,
+et je le fis avec éloge. On rapporta à Byron que j'avais au contraire
+parlé en mauvaise part et de l'ouvrage et de l'auteur, pour m'attirer
+les bonnes grâces de notre maître le docteur Butler, contre lequel un de
+ses poèmes renfermait une satire. Wingfield, depuis lord Power's court,
+notre ami commun, le désabusa de son erreur, et ce fut là l'occasion de
+la première lettre de ce recueil. Notre commerce se renouvela, et
+continua de ce moment jusqu'à celui où il quitta l'Angleterre; quelques
+torts que Lord Byron puisse avoir eu envers d'autres, sa conduite envers
+moi a toujours été uniformément affectueuse. J'ai eu à me reprocher bien
+des négligences, bien des petites choses envers lui; mais je ne puis me
+rappeler, pendant tout le cours de notre liaison, aucun exemple de
+caprice, aucun manque d'amitié de sa part.»</p>
+
+<p>Au printems de cette année 1808, parut, dans la <i>Revue et Édimbourg</i>, la
+fameuse critique sur les <i>Heures d'Oisiveté</i>. Qu'il eût d'avance quelque
+idée de ce qui se préparait contre lui de ce côté, c'est ce que rend
+évident la lettre suivante à son ami M. Becher.</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE XXIV.</h3>
+
+<h4>À M. BECHER.</h4>
+
+<p class="rig">Hôtel Dorant, 26 février 1808.</p><br><br>
+
+<p><span class="sc">Mon cher Becher</span>,</p>
+
+<p>«... Passons à Apollon: je suis charmé que vous me continuiez votre
+indulgence, et que le public veuille bien approuver mes essais. Je suis
+devenu un personnage si important, qu'une violente attaque se prépare
+contre moi dans le prochain numéro de la <i>Revue d'Édimbourg</i>. Je sais
+cela d'un ami qui a vu la copie et l'épreuve de cette critique. Vous
+n'ignorez pas que le système de ces messieurs est de tout désapprouver.
+Ils ne louent personne, et ni le public ni les auteurs ne s'attendent à
+trouver dans leur feuille rien qui ressemble à des éloges. Il y a ici
+cependant quelque chose de remarquable, attendu qu'ils font profession
+de ne donner de jugement que sur des ouvrages dignes de l'attention
+publique. Vous verrez cet article quand il paraîtra: il est, m'a-t-on
+dit, de la plus extrême sévérité; mais pour moi, j'en suis prévenu; et
+pour vous, j'espère que vous ne vous en offenserez pas.</p>
+
+<p>»Dites à Mrs. Byron de ne pas se chagriner pour cela, et de s'attendre
+aux plus grandes hostilités de leur part. Cela ne me peut faire aucun
+tort, ainsi j'espère qu'elle ne s'en tourmentera pas trop. Ces messieurs
+manquent leur but en injuriant indifféremment tout le monde; ils ne
+louent jamais que les partisans de Lord Holland et compagnie; ce n'est
+rien d'être critiqué et insulté, quand Southey, Moore, Lauderdale,
+Strangford et Payne Knight partagent le même sort.</p>
+
+<p>»J'en suis fâché, mais il faut retrancher les <i>Souvenirs d'Enfance</i> dans
+la première édition. J'ai changé conformément à vos avis, les
+<i>allusions</i> trop <i>personnelles</i> dans la sixième stance de ma dernière
+ode.</p>
+
+<p>»Et maintenant, mon cher Becher, il me reste à vous offrir mes
+remercîmens pour tout l'intérêt que vous avez bien voulu prendre à moi
+et à mes mauvaises rimes. Croyez que je ferai toujours grand cas de vous
+et de vos amis: je suis bien sincèrement, etc., etc.»</p>
+
+<p>Bientôt après cette lettre, parut l'article redouté, article qui, s'il
+ne renferme pas beaucoup d'esprit en lui-même, eut du moins le mérite
+incontestable d'exciter l'esprit des autres; jamais en effet article
+dicté par la plus juste critique n'obtint la célébrité que celui-ci dut
+à son injustice elle-même. Aussi long-tems qu'on gardera le souvenir de
+la courte mais glorieuse carrière qu'a parcourue le génie de Byron, on
+ne saurait oublier l'odieuse critique qui lui donna son premier élan.</p>
+
+<p>Il n'est que juste cependant de remarquer, sans prétendre justifier en
+rien le ton méprisant qui règne dans cette critique, que les premiers
+vers de Lord Byron, tout gracieux et tendres qu'ils sont, étaient peu
+propres à faire attendre ces miracles brillans de poésie dont, par la
+suite, il enchanta le monde étonné. Si les vers composés dans sa
+jeunesse ont un charme particulier à nos yeux, c'est que nous les lisons
+pour ainsi dire à la lueur de la gloire immortelle qu'il acquit dans la
+suite.</p>
+
+<p>Il est cependant un point de vue sous lequel ces productions offrent un
+intérêt profond et instructif. Images fidèles de son caractère pendant
+cette période de sa vie, elles nous permettent de juger ce qu'il était
+par lui-même avant que des désappointemens eussent jeté de l'amertume
+dans son esprit ardent, et donné de l'activité aux défauts qui se
+rencontraient dans son naturel énergique. En le suivant dans toutes ces
+effusions de son jeune génie, nous le voyons se peindre des mêmes traits
+dont chaque anecdote de son enfance nous avait déjà fait la confidence:
+orgueilleux, entreprenant, colère, plein de ressentiment de la moindre
+injustice, plus encore dans la cause des autres que dans la sienne, et
+cependant, malgré son impétuosité, doux et facile sous la main de ceux à
+qui l'affection donnait le droit de le guider. Lui-même n'a que
+faiblement rendu justice à cette disposition aimante que l'on aperçoit à
+chaque page de ce volume; sa jeunesse tout entière, dès sa plus tendre
+enfance, n'est qu'une série d'attachemens les plus passionnés, de ces
+épanchemens de l'ame dans l'amitié et dans l'amour, que l'on éprouve
+rarement, et auxquels les autres répondent plus rarement encore, et qui,
+repoussés et refoulés vers le cœur, ne sauraient manquer de se tourner
+en amertume.</p>
+
+<p>L'on reconnaît aussi dans quelques-uns de ses poèmes non publiés, même à
+travers les nuages dont le doute commence à les couvrir, les sentimens
+de piété auxquels une ame comme la sienne ne pouvait demeurer étrangère,
+mais qui, détournés de leur canal légitime, trouvent bientôt dans le
+culte poétique de la nature une sorte de compensation à celui de la
+religion dont la superstition les éloigne. Quant à tous ces traits de
+caractère que nous trouvons çà et là répandus dans ses premiers poèmes,
+nous le voyons jeter dans l'avenir un coup-d'œil tantôt plein d'un noble
+orgueil, tantôt plein de tristesse, comme s'il sentait déjà en lui les
+élémens de quelque chose de grand, mais qu'il doutât que la destinée lui
+permît d'en développer jamais le germe. Il n'est pas étonnant qu'ayant
+présente à la pensée toute sa noble carrière, nous contemplions ses
+premiers essais sous l'influence d'une gloire qui ne leur est pas
+propre, mais qui est comme le reflet de celle qu'il acquit dans la
+suite; et alors, dans notre indignation contre l'aveuglement stupide du
+critique, nous oublions qu'il n'a point écrit sous le charme dont se
+revêt aujourd'hui pour nous tout ce qui se rattache de loin ou de près
+au poète.</p>
+
+<p>Pour bien comprendre l'effet que cette critique produisit sur lui, il
+faut d'abord se faire une juste idée de ce que la plupart des poètes
+éprouveraient en se voyant en butte à une telle attaque, et puis avouer
+que Byron avec son caractère et sa sensibilité devait en ressentir
+l'amertume dix fois plus qu'aucun autre. Nous avons vu avec quelle
+anxiété fiévreuse il attendait le jugement des revues inférieures; et la
+joie qu'il montra de se voir louer par des journalistes moins connus,
+peut nous faire juger combien son cœur a dû saigner sous les coups
+dédaigneux de ceux qui, à cette époque, tenaient le sceptre de la
+critique. Un ami qu'il trouva dans le premier moment d'émotion, après la
+lecture de l'article, s'empressa de lui demander s'il venait de recevoir
+un cartel, ne sachant comment expliquer autrement la colère et
+l'indignation qui se peignaient dans ses yeux. Il serait en effet
+difficile pour le sculpteur ou pour le peintre d'imaginer un sujet d'une
+beauté plus effrayante que la belle figure du jeune poète au moment de
+cette crise, où toute son énergie se déployait: son orgueil avait été
+piqué au vif et son ambition humiliée; mais ce sentiment terrible ne
+dura qu'un moment: la réaction de son esprit, le besoin de repousser
+l'attaque, lui révélèrent à lui-même tout son génie; et la douleur et la
+honte de l'injure se turent dans son cœur devant la noble certitude de
+la vengeance.</p>
+
+<p>Entre autres effets moins poétiques de l'article de la <i>Revue</i> sur son
+esprit, il disait souvent que le jour qu'il le lut, il but pour sa part
+après dîner trois bouteilles de vin de Bordeaux, et que rien ne le
+soulagea jusqu'à ce qu'il eût donné en vers carrière à son imagination;
+mais qu'après les vingt premiers, il se trouva beaucoup mieux; en effet,
+son premier soin, après que la satire eut paru, fut, comme avant qu'elle
+ne vît le jour, d'alléger autant qu'il le pourrait l'effet qu'elle
+devait produire sur sa mère, qui, n'ayant pas le même génie, le même
+sentiment d'une prompte et juste vengeance, devait souffrir cruellement
+de cette attaque contre sa réputation, et s'en indigna, en effet,
+beaucoup plus que bientôt il ne le fit lui-même. Mais on verra mieux
+dans la lettre suivante l'état de son esprit dans ce moment critique.</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE XXV.</h3>
+
+<h4>À M. BECHER.</h4>
+
+<p class="rig">Hôtel Dorant, 28 mars 1808.</p><br><br>
+
+<p>«J'ai reçu dernièrement de Ridge un exemplaire de la nouvelle édition,
+et il est bien tems que je vous remercie de la peine que vous avez prise
+de la surveiller: je le fais bien sincèrement, et je regrette seulement
+que Ridge ne vous ait pas secondé autant que je l'aurais désiré, au
+moins quant au papier, à la reliure, etc., etc., de mon exemplaire;
+peut-être ceux destinés au public sont-ils plus satisfaisans sous tous
+ces rapports.</p>
+
+<p>»Vous avez nécessairement vu <i>la Revue d'Édimbourg</i>. Je regrette que
+Mrs. Byron ait pris la chose si fort à cœur. Pour ma part, <i>ces petites
+boulettes de papier</i> m'ont appris à voir le feu en face; et comme, somme
+toute, j'ai eu assez de bonheur, mon repos ni mon appétit n'en ont point
+été altérés. Pratt <i>le glaneur</i>, l'auteur, le poète, etc., etc., m'a
+adressé une longue épître en vers sur ce sujet, en forme de consolation;
+mais comme elle est assez mal faite, je ne vous l'enverrai pas, quoique
+son nom eût pu lui mériter cet honneur. Ces messieurs de la <i>Revue
+d'Édimbourg</i> n'ont pas bien rempli leur tâche, c'est du moins l'avis de
+plusieurs hommes de lettres; je pense que je pourrais écrire sur
+moi-même une critique plus mordante que toutes celles qui ont été
+publiées jusqu'ici. Ainsi, au lieu de la remarque assez méchante, mais
+sans esprit, sur Macpherson, j'aurais dit si j'avais été à leur place:
+«Hélas! cette pièce ne fait que prouver la vérité de l'assertion du
+docteur Johnson, que beaucoup d'hommes, de femmes et <i>d'enfans</i>
+pourraient écrire des poésies comme celles d'Ossian.»</p>
+
+<p>»Je suis maigre, et prends beaucoup d'exercice. J'espère vous voir ce
+printems ou cet été. On dit que lord Ruthen quitte Newstead en avril...
+Aussitôt qu'il l'aura quitté pour toujours, je vous serais infiniment
+obligé d'y faire un tour à cheval, d'examiner la propriété et de me
+donner franchement votre opinion sur le meilleur parti à prendre quant à
+la maison. Entre nous, je suis diablement enfoncé; mes dettes, tout
+compris, s'élèveront à neuf ou dix mille livres sterling avant l'époque
+de ma majorité. Mais j'ai des raisons de penser que je me trouverai
+cependant plus riche que l'on ne le croit généralement. Je n'ai que peu
+d'espoir de conserver Newstead; mais Hanson, mon agent, me dit que ma
+propriété dans le Lancashire vaut trois fois plus. Je crois que nous la
+recouvrerons, et que la partie adverse ne refuse de la rendre, que dans
+l'espoir de prolonger l'affaire jusqu'à ma majorité; ils veulent sans
+doute alors proposer quelques arrangemens, supposant que je préférerai
+alors une somme d'argent comptant à une réversion. Pour Newstead, je
+puis le vendre, peut-être ne le ferai-je pas; nous aurons le tems d'en
+parler plus tard. Je viendrai en mai ou en juin...</p>
+
+<p>»Votre bien affectionné.»</p>
+
+<p>Le genre de vie qu'il menait à cette époque, partagé entre les
+dissipations de Londres et celles de Cambridge, sans maison à lui, sans
+un seul parent qu'il pût visiter, n'était pas propre à le rendre content
+de lui-même ou des autres. N'ayant en tout de volonté à consulter que la
+sienne<a id="footnotetag99" name="footnotetag99"></a>
+<a href="#footnote99"><sup class="sml">99</sup></a>, les plaisirs même auxquels il était le plus naturellement
+porté, perdirent de bonne heure tout leur charme pour lui, parce qu'ils
+manquaient de ce qui fait l'assaisonnement de toutes nos jouissances, la
+rareté et la difficulté. J'ai déjà extrait d'un de ses <i>souvenirs</i>, un
+passage où il décrit ce qu'il éprouva en se rendant à Cambridge pour la
+première fois, et dit: «Qu'une des sensations les plus pénibles de sa
+vie fut de voir qu'il n'était plus un enfant! Depuis ce moment,
+ajoute-t-il, je commençai à m'estimer vieux, et dans mon estime l'âge
+n'est pas estimable. Je pris mes <i>degrés</i> dans le vice avec beaucoup de
+promptitude; mais le vice n'était pas de mon goût, car mes premières
+passions, quoique extrêmement violentes, étaient concentrées, et
+n'aimaient point à se répandre au-dehors ni à se partager. J'aurais pu
+quitter ou perdre le monde entier avec ou pour ce que j'aimais; mais
+bien que mon tempérament fût de feu, je ne pouvais prendre part au
+libertinage commun de cette ville à cette époque; et cependant ce dégoût
+lui-même, qui laissait mon cœur inoccupé, me jeta dans des excès
+peut-être plus fatals que ceux dont je m'éloignais, en fixant sur une
+seule personne (à la fois) les passions qui, répandues sur plusieurs,
+n'eussent fait de mal qu'à moi-même.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote99"
+name="footnote99"><b>Note 99: </b></a><a href="#footnotetag99">
+(retour) </a> Notre vie entière dépend singulièrement des trois
+ ou quatre premières années pendant lesquelles nous n'avons
+ pas eu d'autres maîtres que nous-mêmes.
+ <span class="rig">(<span class="sc">Cowper</span>.)</span><br>
+</blockquote>
+
+<p>D'après les raisons que nous venons d'en donner, les écarts auxquels il
+se livrait à cette époque étaient bien moins nombreux et bien moins
+grossiers que ceux de la plupart de ses condisciples; cependant, soit à
+cause de la véhémence que leur donnait leur concentration, sur un seul
+objet, ou plutôt de cet étrange orgueil qui l'a toujours porté à
+afficher ses erreurs, il arrivait qu'une seule de ses folies faisait
+plus de bruit que mille de celles des autres; nous en avons un exemple à
+peu près à l'époque dont nous parlons, et à laquelle je serais porté à
+croire que se rapportent les allusions mystérieuses que nous venons de
+citer. Un amour, si l'on peut honorer de ce nom une intrigue passagère
+que d'autres eussent bientôt oubliée ou auraient eu la prudence de
+cacher, fut changé par lui en une liaison publique et d'une certaine
+durée. Il fit loger avec lui à Brompton la personne qui le lui avait
+inspiré, et l'emmena ensuite à Brighton déguisée en homme. Elle se
+promenait ordinairement à cheval avec lui, et il la présentait comme son
+jeune frère. Feu P.... qui se trouvait à Brighton à cette époque, et qui
+soupçonnait la vraie nature de leurs rapports, dit un jour au prétendu
+cavalier: «Quel joli cheval vous montez!--Oui, répondit celui-ci, en
+faisant une faute grossière de langue, c'est mon frère qui me l'a
+donn<i>a</i> (<i>it was</i> gave <i>me by my brother</i>).»</p>
+
+<p>Beattie nous dit de son poète idéal: «Il ne trouvait ni plaisir ni
+orgueil dans les exercices de force ou d'agilité.» Bien différens
+étaient les goûts de notre poète réel; et parmi les exercices auxquels
+il se livrait, il faut compter d'abord les moins romantiques de tous
+peut-être, celui de boxer et de prendre part au combat du coq. Ce goût
+lui fit rechercher de bonne heure la connaissance du plus célèbre
+professeur de cet art, M. Jackson, pour lequel il conserva, toute sa
+vie, la plus grande considération. Un de ses derniers ouvrages contient
+un tribut affectueux d'éloges, non-seulement pour les talens de cet
+ornement, de cette gloire du pugilat, mais encore de ses qualités
+sociales. Pendant le séjour que Byron fit cette année à Brighton,
+Jackson fut un de ses visiteurs les plus assidus, les frais de la
+voiture du professeur, pour l'<i>allée</i> et le <i>retour</i>, étant toujours à
+la charge de son noble élève. Il honora aussi de sa familiarité
+d'Egville le maître de ballet et Gimaldi; il envoya, dit-on, à ce
+dernier, le jour de son bénéfice, un présent de cent guinées. M. Jackson
+ayant eu l'obligeance de me donner copie du petit nombre de lettres
+qu'il a conservées parmi un bien plus grand nombre que Lord Byron lui
+avait adressées, j'en insérerai ici une ou deux qui portent la date de
+cette année. Quoique les sujets dont elles traitent soient de peu
+d'importance en eux-mêmes, elles donneront peut-être des habitudes et de
+la vie actuelle du jeune poète une idée plus complète qu'on ne pourrait
+tirer de correspondances d'un genre plus relevé. Elles montreront au
+moins combien les premiers goûts et les premiers passe-tems de l'auteur
+de Childe-Harold étaient peu romanesques. Si nous les rapprochons des
+occupations et des amusemens moins romantiques encore de la jeunesse de
+Shakspeare, nous verrons combien le principe vital du génie, peut, sans
+s'affaiblir, traverser l'atmosphère, même, en apparence, la plus
+hétérogène et la plus contraire à sa nature.</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE XXVI.</h3>
+
+<h4>À M. JACKSON.</h4>
+
+<p class="rig">Newstead-Abbey, 18 septembre 1808.</p><br><br>
+
+<p><span class="sc">Mon cher Jack</span>,</p>
+
+<p>«Je voudrais que vous me fissiez savoir ce que Jekyll a fait à
+Snoane-Square, n° 40, concernant le <i>pony</i> que j'ai renvoyé comme
+vicieux.</p>
+
+<p>«Je désire aussi que vous passiez chez Louch, à Brompton, pour lui
+demander quelle diable d'idée il a eue de m'envoyer une lettre si
+insolente à Brighton. Dites-lui bien en même tems que je ne prétends pas
+du tout accepter le compte ridicule qu'il me présente pour de prétendues
+détériorations.</p>
+
+<p>«Ambroise a agi de la manière la plus scandaleuse dans l'affaire du
+<i>pony</i>. Vous pouvez dire à Jekyll que s'il ne me rend pas l'argent, je
+mettrai l'affaire entre les mains de mon homme de loi. Vingt-cinq
+guinées sont un fort bon prix pour un <i>pony</i>; et parbleu! dût-il m'en
+coûter 500 liv. st., je ferai un exemple de M. Jekyll, et cela
+immédiatement, à moins qu'il ne rende l'argent.</p>
+
+<p>Croyez-moi, mon cher Jack, etc.</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE XXVII</h3>
+
+<h4>À M. JACKSON.</h4>
+
+<p class="rig">Newstead-Abbey, 4 octobre 1808.</p><br><br>
+
+<p><span class="sc">Mon cher Jack</span>,</p>
+
+<p>«Si ce M. Jekyll n'est pas un gentleman, vous ferez avec lui le marché
+le plus avantageux qu'il vous sera possible; mais si c'est un gentleman,
+informez-m'en, car alors j'en agirai d'une tout autre manière. S'il ne
+l'est pas, tirez de lui le plus d'argent que vous pourrez, car j'ai trop
+d'affaires sur les bras pour commencer un procès. En outre, cet Ambroise
+devrait rendre l'argent; mais j'en ai fini avec lui. Vous pouvez payer
+L... avec la balance, et vous disposerez des bidets, etc., pour le
+mieux.</p>
+
+<p>»J'aurais grand plaisir à vous voir ici; mais la maison est en
+réparation et pleine d'ouvriers. J'espère toutefois avoir cet avantage
+avant peu de mois. Si vous voyez Baldwabster, rappelez-moi, je vous
+prie, à son souvenir, et dites-lui que j'ai regretté la perte de Sydney,
+qui a péri, je le crains, dans ma garenne, car nous ne l'avons pas vu
+depuis quinze jours.</p>
+
+<p>»Adieu, etc.»</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE XXVIII.</h3>
+
+<h4>À M. JACKSON.</h4>
+
+<p class="rig">Newstead-Abbey, 12 décembre 1808.</p><br><br>
+
+<p><span class="sc">Mon cher Jack</span>,</p>
+
+<p>«Achetez le lévrier à quelque prix que ce soit, et autant d'autres de la
+même race que vous pourrez vous en procurer, mâles ou femelles.</p>
+
+<p>«Dites à d'Egville que je lui renverrai son costume, et que je lui suis
+fort obligé du patron. Je suis fâché de vous donner tant de peines; mais
+je n'avais pas idée qu'il fût si difficile de se procurer les animaux en
+question; mon manoir sera terminé dans quelques semaines, et si vous
+pouvez me faire une visite à Noël, je serai charmé de vous voir.</p>
+
+<p>«Croyez-moi votre, etc.»</p>
+
+<p>Le costume dont il s'agit ici était sans doute nécessaire pour un
+théâtre de société qu'il montait à cette époque à Newstead, et sur
+lequel nous trouverons d'autres détails dans la lettre suivante,
+adressée à M. Becher.</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE XXIX.</h3>
+
+<h4>À M. BECHER.</h4>
+
+<p class="rig">Newstead-Abbey, 14 septembre 1808.</p><br><br>
+
+<p><span class="sc">Mon cher Becher</span>,</p>
+
+<p>«Je vous suis fort obligé des informations que vous me donnez, et j'en
+ferai mon profit. Je vais monter ici une comédie, le vestibule nous fera
+une salle admirable. J'ai déjà distribué les rôles, et puis me passer de
+dames, ayant quelques jeunes amis qui feront d'assez bons substituts, à
+défaut de femmes. Nous n'avons besoin que de trois hommes, outre M.
+Hobhouse et moi-même, pour la pièce dont nous avons fait choix. Ce sera
+la Vengeance (<i>the Revenge</i>). Dites, je vous prie, au charpentier
+Michalson de venir me parler immédiatement, et faites-moi savoir quel
+jour vous pourrez venir dîner et passer la soirée avec moi.</p>
+
+<p>»Croyez-moi, etc., etc.»</p>
+
+<p>Ce fut dans l'automne de cette année, comme l'indiquent les lettres
+précédentes, qu'il fixa pour la première fois sa résidence à l'abbaye de
+Newstead. La maison, quand il la reçut des mains de lord Grey de Ruthen,
+était dans le dernier état de dégradation; il se mit aussitôt à réparer
+et à meubler quelques appartemens pour en rendre l'habitation plus
+commode, non à lui-même, mais à sa mère. Dans une de ses lettres à Mrs.
+Byron, publiée par M. Dallas, voici comme il explique ses vues et ses
+intentions à ce sujet.</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE XXX.</h3>
+
+<h4>À L'HONORABLE<a id="footnotetag100" name="footnotetag100"></a>
+<a href="#footnote100"><sup class="sml">100</sup></a> MISTRESS BYRON.</h4>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote100"
+name="footnote100"><b>Note 100: </b></a><a href="#footnotetag100">
+(retour) </a> Lord Byron donne toujours le titre d'<i>honorable</i> à
+ sa mère, quoiqu'elle n'y eût aucun droit.</blockquote>
+
+<p class="rig">Newstead-Abbey, 7 octobre 1808.</p><br><br>
+
+<p><span class="sc">Chère Madame</span>,</p>
+
+<p>«Je n'ai point de lits à présent pour les H... ni pour aucun autre; ils
+couchent maintenant à Mansfield. Je ne sache point que je ressemble à
+J.-J. Rousseau. Je n'ai nulle ambition de ressembler à si illustre fou;
+mais ce que je sais, c'est que je vivrai à ma manière, et le plus
+solitairement qu'il me sera possible. Dès que mes appartemens seront
+prêts, je serai charmé de vous voir; jusque-là cela serait inconvenant
+et incommode pour tous deux; vous ne sauriez vous opposer
+raisonnablement à ce que je rende mon manoir habitable, malgré mon
+départ pour la Perse en mars ou au plus tard en mai. Vous serez
+propriétaire jusqu'à mon retour; et en cas d'accident, car j'ai déjà
+préparé mon testament pour le moment où j'aurai vingt-un ans, j'ai eu
+soin que la maison et le manoir vous restassent votre vie durant, outre
+une pension suffisante. Ainsi vous voyez que ce n'est pas l'égoïsme qui
+mes porte à faire des réparations et des embellissemens. Comme j'ai un
+ami ici, nous irons au bal de l'Hôpital. Le 12, nous prendrons le thé
+avec Mrs. Byron à huit heures, et nous espérons vous voir au bal. Si
+cette dame a la bonté de nous réserver deux chambres pour nous habiller,
+elle nous obligera infiniment. Que nous soyons au bal à dix ou onze
+heures, c'est tout ce qu'il faut, et nous retournerons à Newstead entre
+trois et quatre.</p>
+
+<p>»Adieu. Je suis bien sincèrement votre, etc.»</p>
+
+<p>L'idée entretenue par Mrs. Byron d'une ressemblance entre son fils et
+Rousseau était surtout fondée sur ses habitudes solitaires, dans
+lesquelles il montrait de si bonne heure du penchant à suivre ce
+philosophe, penchant qui prit de la force à mesure qu'il avança en âge.
+Dans un de ses <i>souvenirs</i>, auquel j'ai déjà beaucoup emprunté<a id="footnotetag101" name="footnotetag101"></a>
+<a href="#footnote101"><sup class="sml">101</sup></a>, il
+met en question la justesse de cette comparaison entre Rousseau et lui,
+et nous donne comme à l'ordinaire, en style très-animé, quelques idées
+de son caractère et de ses habitudes.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote101"
+name="footnote101"><b>Note 101: </b></a><a href="#footnotetag101">
+(retour) </a> Ce journal est intitulé par lui-même: <i>Pensées
+ détachées</i>.</blockquote>
+
+<p>«Avant que je n'eusse vingt ans, ma mère voulait absolument que je
+ressemblasse à Rousseau, madame de Staël en disait autant en 1813, et il
+y a quelque chose de cela dans la <i>Revue d'Édimbourg</i>, dans l'article
+critique sur le quatrième chant de Childe-Harold. Pour ma part, je ne
+puis voir aucun point de ressemblance: il écrivait en prose et moi en
+vers; c'était un homme du peuple, et moi de l'aristocratie; il était
+philosophe, et je ne le suis point; il publia son premier ouvrage à
+quarante ans, et moi à seize: son premier essai lui attira les
+applaudissemens universels, le mien m'attira tout le contraire: il
+épousa sa gouvernante, je n'ai pas pu vivre avec ma femme<a id="footnotetag102" name="footnotetag102"></a>
+<a href="#footnote102"><sup class="sml">102</sup></a>: il
+pensait que tout le monde conspirait contre sa personne, moi c'est mon
+petit monde qui croit que je conspire contre lui, si j'en peux juger par
+les injures que me prodiguent la presse et les coteries. Il aimait la
+botanique, j'aime les fleurs, les herbes et les arbres, mais je ne sais
+rien de leur histoire. Il a composé de la musique, je n'en connais que
+ce que l'oreille me permet de saisir. Je n'ai jamais pu rien apprendre
+par l'étude, pas même une langue: tout ce que je sais, je le dois à la
+routine, à l'oreille et à la mémoire, qu'il avait mauvaise, et que j'ai
+ou plutôt j'avais excellente, demandez plutôt au poète Hodgson, bon juge
+en cette matière, car il en a lui-même une étonnante. Il écrivait avec
+hésitation et travail, moi j'écris rapidement et presque toujours sans
+efforts. Il ne sut jamais monter à cheval, nager ni faire des armes, moi
+je suis un excellent nageur, un décent, si ce n'est un brillant
+cavalier, m'étant enfoncé une côte au manége à l'âge de dix-huit ans. Je
+maniais assez bien les armes, particulièrement l'espadon des
+montagnards; je n'étais pas non plus un mauvais boxeur, quand je pouvais
+conserver mon sang-froid, ce qui était difficile, mais ce que je me suis
+toujours efforcé de faire depuis que (avec les gants) je renversai M.
+Purling, et lui démis la rotule, en 1806, dans la salle d'Angelo et
+Jackson. J'étais aussi assez fort à la balle crossée et l'un des onze
+champions de Harrow, qui soutinrent un défi, en 1805, contre Éton. En
+outre, le genre de vie de Rousseau, son pays, ses mœurs, l'ensemble de
+son caractère, offrent avec moi de si grandes différences, que je ne
+puis comprendre comment une telle comparaison a pu être faite trois
+fois, et toujours d'une manière si remarquable. J'oubliais encore de
+dire qu'il avait la vue courte, et que jusqu'ici la mienne a été tout le
+contraire, au point qu'au plus grand théâtre de Bologne, je distinguai
+certain buste et lus certaines inscriptions sur le bord de la scène,
+bien que placé dans la loge la plus éloignée et la plus sombre.
+Quoiqu'il y eût dans cette même loge plusieurs personnes jeunes et y
+voyant bien, elles ne pouvaient reconnaître une seule lettre, et crurent
+d'abord que c'était une plaisanterie, quoique je ne fusse jamais entré
+dans ce théâtre auparavant. Somme toute, je crois avoir raison de
+trouver la comparaison mal fondée. Je ne le dis pas par humeur, car
+Rousseau était un grand homme, et la chose, si elle était vraie, serait
+assez flatteuse; mais je ne trouve point de plaisir dans une pure
+chimère.»</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote102"
+name="footnote102"><b>Note 102: </b></a><a href="#footnotetag102">
+(retour) </a> <i>He married his house-keeper; I could not keep
+ house with my wife</i>.</blockquote>
+
+<p>Dans une autre lettre à sa mère, quelques semaines après la précédente,
+il développe ses plans sur Newstead et ses voyages projetés.</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE XXXI.</h3>
+
+<h4>À MRS. BYRON.</h4>
+
+<p class="rig">Newstead-Abbey, 2 novembre 1808.</p><br><br>
+
+<p><span class="sc">Ma chère mère</span>,</p>
+
+<p>«Nous oublierons, s'il vous plaît, ce que vous me dîtes dans votre
+dernière; je ne désire point me le rappeler. Quand nos chambres seront
+prêtes, je serai charmé de vous recevoir; et surtout je serais fâché de
+vous voir douter, en ce moment, de ma sincérité. C'est plus pour vous
+que pour moi que je meuble la maison; je vous y installerai avant mon
+départ pour les Indes, qui aura lieu, je crois, dans le courant de mars,
+s'il ne survient quelque obstacle particulier. Je fais arranger en ce
+moment le salon vert, la chambre à coucher rouge, et à l'étage au-dessus
+quelques chambres d'amis. Tout cela sera bientôt prêt, ou du moins je
+l'espère ainsi.</p>
+
+<p>«Je vous prierais de vous informer auprès du major Watson, qui a résidé
+long-tems dans les Indes, quels sont les objets dont il est le plus
+nécessaire d'être pourvu. J'ai déjà fait écrire par l'un de mes amis au
+professeur d'Arabe, à Cambridge, pour quelques renseignemens que je
+désire vivement me procurer. Il me sera aisé d'obtenir du gouvernement
+des lettres pour les ambassadeurs, les consuls, etc., et aussi pour les
+gouverneurs de Calcutta et de Madras. Je placerai mes propriétés et mon
+testament entre les mains de plusieurs personnes de confiance dont vous
+serez certainement l'une. Je n'ai reçu aucune nouvelle de H...; quand
+j'en aurai, je m'empresserai de vous en faire part.</p>
+
+<p>»Après tout, vous avouerez que mon projet n'est pas mauvais; si je ne
+voyage pas maintenant, je ne voyagerai jamais, et les hommes le
+devraient toujours faire un jour ou l'autre. Je n'ai rien qui me
+retienne maintenant dans mon pays; point de femme, point de sœurs à
+pourvoir, point de frères, etc. Je prendrai soin de vos intérêts; et, à
+mon retour, il sera possible que je me décide à suivre la carrière de la
+politique. Quelques années consacrées à connaître d'autres pays, ne me
+nuiront pas si j'embrasse ce parti. Tant que nous ne voyons que notre
+propre nation; nous ne jouons pas franc jeu avec l'espèce humaine. C'est
+par l'expérience personnelle, et non par des livres, que nous devrions
+juger les peuples étrangers. Il n'y a rien de tel que de voir par
+soi-même, et de ne s'en rapporter qu'à ce qu'on a vu.</p>
+
+<p>»Votre, etc.»</p>
+
+<p>Dans le mois de novembre de cette année, il perdit son chien favori
+Boatswain. Le pauvre animal fut tout à coup saisi d'un accès de rage; au
+commencement, Lord Byron soupçonnait si peu la nature de la maladie,
+qu'il lui arriva plusieurs fois d'essuyer avec sa main nue l'écume qui
+sortait de la bouche du chien au moment de ses attaques. Dans une lettre
+à son ami, M. Hodgson<a id="footnotetag103" name="footnotetag103"></a>
+<a href="#footnote103"><sup class="sml">103</sup></a>, il annonce ainsi cet événement: «Boatswain
+est mort! il a expiré dans un état de rage complète, après avoir
+beaucoup souffert, mais conservant jusqu'à la fin toute la douceur de
+son naturel, et sans jamais essayer de faire le moindre mal à ceux qui
+l'entouraient. J'ai maintenant tout perdu, hors le vieux Murray.»</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote103"
+name="footnote103"><b>Note 103: </b></a><a href="#footnotetag103">
+(retour) </a> Le révérend Francis Hodgson, auteur d'une
+ excellente traduction de Juvenal et de plusieurs autres
+ ouvrages estimés: il fut long-tems en correspondance avec
+ Lord Byron, et je lui dois plusieurs lettres intéressantes de
+ son noble ami; je les donnerai dans le cours des pages
+ suivantes.</blockquote>
+
+<p>Le monument qu'il éleva à ce chien, le plus remarquable en son genre,
+depuis le tombeau du chien de Salamine, forme encore l'un des plus beaux
+ornemens de Newstead. Les vers pleins de misanthropie qu'il y fit graver
+se retrouvent dans son recueil de poésies, et sont précédés de
+l'inscription que voici:</p>
+
+<p>«Près de ce lieu sont déposés les restes d'un être qui posséda la beauté
+sans orgueil, la force sans insolence, le courage sans férocité; en un
+mot, toutes les vertus de l'homme sans ses vices. Cet éloge, qui serait
+une basse flatterie s'il était inscrit sur des cendres humaines, n'est
+qu'un juste tribut à la mémoire de Boatswain, chien qui, né à
+Terre-Neuve, au mois de mai 1803, est mort, à Newstead-Abbey, le 18
+novembre 1808.»</p>
+
+<p>Le poète Pope, à peu près au même âge que l'auteur de cette inscription,
+fait de même l'éloge de son chien, aux dépens de l'espèce humaine, et
+ajoute que l'histoire nous offre plus d'exemples de la fidélité des
+chiens que de celle des hommes. Lord Byron, parlant de son favori, dit,
+avec plus de tristesse et d'amertume encore: «Ces pierres ont été
+élevées pour couvrir les restes d'un ami; je n'en ai jamais eu qu'un, et
+c'est ici qu'il repose.» Il semble, en effet, qu'à cette époque sa
+mélancolie fît de rapides progrès. Dans une autre lettre à M. Hodgson,
+il dit: «Vous savez que, d'après Smollet, le rire est le signe
+caractéristique d'un animal raisonnable; je le crois aussi;
+malheureusement mes dispositions naturelles ne s'accordent pas toujours
+avec mon opinion à cet égard.»</p>
+
+<p>Murray, le vieux serviteur dont il parle plus haut, comme le seul
+individu fidèle qui lui reste, avait été long-tems domestique du vieux
+lord, et était traité par le jeune poète avec une affection que la
+vieillesse inspire rarement, surtout dans une condition dépendante.
+«J'ai vu souvent, dit l'un des plus constans visiteurs de Newstead, Lord
+Byron à la fin du repas, emplir un grand verre de Madère, et le passer
+par-dessus son épaule à Joe Murray, qui se tenait derrière sa chaise, en
+lui disant avec un air d'affection qui animait toute sa physionomie:
+«Tiens, bois, mon vieux camarade!»</p>
+
+<p>Nous retrouvons dans un passage d'une autre de ses lettres à M. Hodgson
+un exemple de ce ton d'indifférence avec lequel il parlait quelquefois
+de la difformité de son pied. Ce <i>gentleman</i> ayant dit, en plaisantant,
+que quelques vers des <i>Heures d'oisiveté</i> étaient calculés pour porter
+les écoliers à la révolte, Lord Byron répondit: «Si mes chants ont
+produit les glorieux effets que vous dites, je serai un Tyrtée complet,
+quoique, et je suis fâché de le dire, je ressemble plutôt à ce poète
+célèbre, dans ma personne que dans mes ouvrages.» Quelquefois aussi il
+supportait avec la meilleure humeur du monde une allusion faite par
+d'autres à cette infirmité, quand il supposait qu'on n'avait pas eu
+l'intention de l'offenser. Un jour, dans une compagnie nombreuse et
+<i>mélangée</i>, une personne sans éducation lui demanda tout haut: «Eh bien,
+Milord, comment va votre pied?--Je vous remercie, Monsieur, répondit
+Byron du ton le plus poli, comme à l'ordinaire, et absolument de même.»</p>
+
+<p>L'extrait suivant, relatif à un ecclésiastique des amis de sa
+Seigneurie, est encore tiré d'une de ses lettres à M. Hodgson, et de la
+même année:</p>
+
+<p>«J'écrivis, il y a quelques semaines, à N***, le priant de recevoir
+comme élève le fils d'un citoyen de Londres, que je connais beaucoup.
+Les attentions toutes particulières dont la famille m'avait comblé
+pendant mon séjour parmi eux m'engagèrent à cette démarche. Maintenant,
+faites attention à ce qui va suivre, comme quelqu'un l'a dit d'une
+manière si sublime. Ce même jour arrive une épître signée N***, ne
+contenant pas un seul mot relatif à la pension et à l'éducation, mais
+une pétition en faveur de Robert Gregson, le fameux boxeur, actuellement
+en prison pour quelques malheureuses livres sterling, et menacé d'avoir
+pour dernier asile le <i>Banc du Roy</i>. Si cette lettre m'était venue de
+quelques-unes de mes accointances <i>laïques</i>, ou enfin de toute autre
+personne que celle dont parle la signature, je ne m'en étonnerais pas.
+Si N*** est sérieux, je félicite le pugilat sur l'acquisition d'un tel
+patron, et me trouverais heureux d'avancer quelque somme que ce soit
+pour la délivrance du captif Gregson. Mais avant que d'écrire à N*** sur
+ce sujet, je veux certainement avoir un certificat du fait signé de vous
+ou de quelque respectable propriétaire. Quand je dis le <i>fait</i>, c'est le
+fait de la lettre en tant qu'écrite par N***; car je n'ai aucun doute de
+l'exactitude de ce qu'elle contient. La lettre est actuellement devant
+moi, et je la garde pour vous la faire lire.»</p>
+
+<p>Il passa cet automne à Newstead s'occupant principalement à revoir et à
+augmenter sa satire. Pour s'assurer lui-même de son mérite en la lisant
+et relisant tout imprimée<a id="footnotetag104" name="footnotetag104"></a>
+<a href="#footnote104"><sup class="sml">104</sup></a>, il avait fait tirer plusieurs épreuves
+du manuscrit, par son premier éditeur, à Newark. Il est assez
+remarquable qu'excité comme il l'était par l'attaque des journalistes,
+doué comme il l'était de la faculté d'écrire avec tant de rapidité, il
+ait laissé écouler un si grand laps de tems entre l'agression et la
+vengeance; mais il paraît qu'il avait pleinement apprécié toute
+l'importance du premier pas qu'il ferait dans la littérature après cette
+attaque. Il sentait que toutes ses chances de grandeur future
+dépendaient de l'effort qu'il allait faire; en conséquence, il
+rassemblait tranquillement toutes ses forces. Parmi ses préparatifs pour
+la tâche qu'il se proposait, on doit remarquer une étude profonde des
+écrits de Pope. Je ne doute point qu'on ne doive dater de cette époque
+l'admiration enthousiaste qu'il conserva toujours pour ce grand poète,
+admiration qui, après deux ou trois tentatives, éteignit en lui toute
+espérance de prééminence dans la même carrière, et le força à chercher
+la gloire par des chemins plus ouverts à la concurrence.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote104"
+name="footnote104"><b>Note 104: </b></a><a href="#footnotetag104">
+(retour) </a> On dit que Wieland avait coutume de faire imprimer
+ ses ouvrages pour les corriger, et qu'il tirait de grands
+ avantages de cette méthode, qui paraît n'être pas du tout
+ extraordinaire en Allemagne.</blockquote>
+
+<p>La tournure misanthropique que des affections trompées et des espérances
+frustrées avaient, à cette époque, donnée à son esprit, lui rendait
+facile le genre de la satire; cependant il est évident que cette
+amertume existait bien plus dans son imagination que dans son cœur; et
+l'entraînement qu'il éprouvait à faire la guerre au monde venait moins
+du plaisir de porter des coups çà et là, que du sentiment de sa
+puissance qui se révélait alors à lui-même, et qui le plaçait plus haut
+qu'auparavant dans sa propre estime. La vérité est que la grande
+facilité avec laquelle, comme on le verra bientôt, il passe de l'éloge à
+la censure ou de la censure à l'éloge, prouve combien étaient passagères
+et incohérentes les impressions qui, dans beaucoup de cas, semblent
+avoir dicté ses jugemens. Quoique cette circonstance ôte à quelques
+égards, du poids à ses éloges, elle l'absout en même tems du trop
+d'aigreur qui se trouve dans ses critiques.</p>
+
+<p>Sa majorité (1809) fut célébrée à Newstead par autant de réjouissances
+que purent le permettre la médiocrité de sa fortune et l'exiguïté du
+nombre de ses amis; outre le <i>bœuf</i> rôti de fondation, il y eut un bal
+donné en cette occasion. La seule particularité dont se souvienne le
+vieux domestique qui m'en a parlé, c'est que M. Hanson, l'agent du Lord,
+était au nombre des danseurs. Quant à la manière dont Byron lui-même
+célébra ce grand jour, je trouve dans une lettre écrite de Gênes, en
+1822, les détails suivans qui pourront ne pas paraître sans intérêt.
+«Vous ai-je jamais dit que le jour de ma majorité, je fis mon dîner
+d'œufs avec du lard et une bouteille d'ale? Pour une fois en passant,
+c'est ce que j'aime le mieux à manger et à boire; mais comme ni l'un ni
+l'autre ne conviennent à mon estomac, c'est une petite jouissance que je
+ne me permets que dans les grandes occasions, tous les quatre ou cinq
+ans environ.» On se procura à un intérêt énorme par l'entremise des
+usuriers, l'argent nécessaire pour son début dans le monde, et la
+nécessité de le rembourser fut long-tems un fardeau pour lui.</p>
+
+<p>Ce ne fut qu'au commencement de cette année qu'il apporta à Londres sa
+satire toute prête, à ce qu'il croyait lui-même, pour l'impression; mais
+malheureusement avant que l'ouvrage ne fût imprimé, sa bile trouva de
+nouveaux alimens dans la négligence avec laquelle il se crut traité par
+son tuteur lord Carlisle. Les relations qui avaient précédemment existé
+entre ce seigneur et son pupille n'avaient jamais été de nature à faire
+naître beaucoup d'amitié entre eux, et c'est au caractère et à
+l'influence de Mrs. Byron qu'appartient surtout le blâme d'avoir
+augmenté, si ce n'est d'avoir causé leur éloignement. Lord Byron sentit
+vivement, comme nous le voyons dans une de ses lettres, la froideur avec
+laquelle lord Carlisle avait reçu la dédicace de son premier volume.
+Toutefois cédant à des considérations prudentes, non-seulement il avait
+dissimulé son déplaisir, mais il avait dans sa satire (telle qu'elle
+devait d'abord paraître) introduit le compliment suivant à son tuteur:</p>
+
+<p>«Il n'en est qu'un seul auquel Apollon daigne encore sourire, et dans
+Carlisle il couronne un nouveau Roscommon.»</p>
+
+<p>Cet éloge, si généreusement accordé, ne conserva pas sa place dans le
+poème. Pendant le tems qui s'écoula entre la composition et
+l'impression, Lord Byron, espérant naturellement que son tuteur
+s'offrirait de lui-même à l'introduire dans la chambre des pairs le jour
+où il devait y paraître la première fois, lui écrivit pour lui rappeler
+qu'il serait majeur au commencement de la session. Au lieu de la
+politesse à laquelle il s'attendait, il ne reçut pour toute réponse
+qu'une note cérémonieuse, lui indiquant la manière formelle de procéder
+dans de telles occasions. Il n'est donc pas étonnant que, disposé comme
+il l'était par les circonstances précédentes à ne pas supposer à son
+tuteur des intentions bien favorables pour lui, et se voyant ainsi
+refusé au moment où l'appui d'un parent si proche lui eût été si utile,
+son ame, naturellement si <i>impressionnable</i>, se soit ouverte au plaisir
+de la vengeance. Cette indignation, une fois excitée, ne trouva qu'un
+moyen trop facile de s'exhaler. Les vers louangeurs que je viens de
+citer furent effacés, et sa satire fut publiée avec ceux que nous y
+voyons contre lord Carlisle. Si ces vers flattèrent délicieusement
+d'abord son désir de vengeance, telle était la facilité naturelle de son
+caractère, qu'il ne tarda pas à se repentir de les avoir écrits<a id="footnotetag105" name="footnotetag105"></a>
+<a href="#footnote105"><sup class="sml">105</sup></a>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote105"
+name="footnote105"><b>Note 105: </b></a><a href="#footnotetag105">
+(retour) </a> Voyez les vers sur la mort du major Howard, fils
+ de lord Carlisle, tué à Waterloo:
+
+<p> «Des lyres plus harmonieuses que la mienne ont redit leur
+ louange; mais parmi cette troupe de héros, il en est un que
+ je voudrais choisir, soit parce que je suis allié de sa
+ famille, soit parce que j'ai eu quelques torts envers son
+ père.»
+ <span class="rig">(<span class="sc">Childe Harold</span>, chant III.)</span><br></p>
+</blockquote>
+
+<p>Pendant l'impression de son poème, il l'augmenta de plus de cent vers,
+et y fit plusieurs changemens, dont deux ou trois peuvent être cités
+comme preuves de la promptitude avec laquelle il recevait les
+impressions et les influences qui l'ont rendu si variable dans ses
+manières de sentir et de juger. Dans sa satire, telle qu'il l'avait
+composée d'abord, se trouvaient les deux vers suivans:</p>
+
+<p>Quoique des imprimeurs condescendent à souiller leurs presses des odes
+de Smythe et des chants épiques de Hoyle.</p>
+
+<p>Il se repentit, au moment de la publication, de l'injustice de ces deux
+vers (injustes également pour les deux auteurs qui y sont cités), du
+moins quant à l'une de ces deux victimes. Il prit dans sa satire
+imprimée un ton tout-à-fait différent. Le nom du professeur Smythe y est
+cité avec honneur, comme il le méritait, et accouplé à celui de M.
+Hodgson, l'un des plus estimables amis du poète:</p>
+
+<p>Oh! obscur asile d'une race vandale, à la fois honneur et disgrâce des
+sciences, si plongé dans la routine de l'ennuyeuse inutilité, qu'à peine
+les noms de Smythe et d'Hodgson seront capables de réhabiliter le tien!</p>
+
+<p>Voici un autre exemple de son extrême mobilité. Le manuscrit original de
+la satire contenait ce vers:</p>
+
+<p>Je laisse la topographie à ce fat de Gell.</p>
+
+<p>Pendant le tems de l'impression il fit connaissance avec sir Williams
+Gell. Alors, sans effort, par le changement d'une seule épithète, il
+convertit sa satire en éloge: il écrivit pour la postérité:</p>
+
+<p>Je laisse la topographie au <i>classique</i> Gell<a id="footnotetag106" name="footnotetag106"></a>
+<a href="#footnote106"><sup class="sml">106</sup></a>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote106"
+name="footnote106"><b>Note 106: </b></a><a href="#footnotetag106">
+(retour) </a> Dans la cinquième édition de cette satire,
+ supprimée par l'auteur en 1812, il changea de nouveau
+ d'opinion sur ce professeur, et en altéra l'expression ainsi:
+ «Je laisse la topographie au <i>rapide</i> Gell.» Expliquons la
+ raison de ce nouveau changement par la note suivante:
+ «<i>Rapide</i>; en effet, il a <i>topographisé</i> et <i>typographisé</i> en
+ trois jours les états du roi Priam. Je l'avais appelé
+ classique avant que je n'eusse vu la <i>Troade</i>, et maintenant
+ je me garderai bien de lui accorder une qualification à
+ laquelle il a si peu de droits.»</blockquote>
+
+<p>Parmi les passages ajoutés au moment de l'impression, il faut remarquer
+les vers contre la licence de l'opéra, «qu'ainsi donc l'Ausonie, etc.,»
+que le jeune poète écrivit un soir au sortir du théâtre, et envoya
+aussitôt à M. Dallas pour les insérer dans sa satire. Une autre de ces
+additions fut le juste tribut d'éloge payé à MM. Crabbe et Rogers, éloge
+d'autant plus désintéressé et d'autant plus exact, qu'à cette époque il
+n'avait vu ni l'une ni l'autre de ces deux personnes distinguées, et
+qu'il conserva toute sa vie l'opinion qu'il avait exprimée sur leur
+mérite. Il devint depuis ami intime de l'auteur des <i>Plaisirs de la
+mémoire</i>; mais il n'eut jamais le bonheur de former aucune liaison avec
+celui qu'il désigna si bien sous le nom de <i>peintre le plus sombre et le
+plus vrai de la nature</i>. Mon respectable ami et voisin, M. Crabbe, m'a
+dit qu'une fois ils passèrent un jour ou deux dans le même hôtel, sans
+le savoir, et qu'ils ont dû souvent se rencontrer, soit en entrant dans
+la maison, soit en sortant.</p>
+
+<p>Presque de deux jours l'un, M. Dallas, qui s'était chargé de surveiller
+l'impression, recevait de nouveaux matériaux pour l'enrichir; l'esprit
+de l'auteur une fois excité sur un sujet quelconque ne savait plus
+maîtriser la surabondance de ses idées. Dans l'un de ses courts billets
+à M. Dallas, il lui dit: «Dépêchez-vous vite d'imprimer, ou je vous
+inonderai de vers.» Il en fut de même pour ses publications
+subséquentes, aussi long-tems du moins qu'il fut à portée de son
+imprimeur, alimentant jusqu'au dernier moment la presse d'idées neuves
+et fécondes qui lui étaient fournies par la lecture de ce qu'il avait
+écrit auparavant. Il semblerait, en effet, d'après l'extrême facilité et
+l'extrême rapidité dont il ajouta à presque tous ses ouvrages leurs plus
+beaux passages, tandis qu'ils étaient entre les mains de l'imprimeur,
+que l'action même de se faire imprimer aiguillonnât son imagination, et
+que le torrent de ses idées prît plus de vie, de fraîcheur, en arrivant,
+pour ainsi dire, à son embouchure.</p>
+
+<p>Parmi les passages pathétiques dont il orna son poème fut celui que lui
+suggéra la mort déplorable de lord Falkland. C'était un officier de
+marine, brave, mais débauché, dont il avait fait connaissance dans le
+monde, et qui fut, au commencement de mars, tué dans un duel par M.
+Powell. Les stances touchantes qu'il lui a consacrées dans sa satire
+prouvent assez combien cet événement l'avait vivement frappé. «Je
+connaissais beaucoup le feu lord Falkland. Le mardi soir je l'avais vu
+faire lui-même les honneurs de sa table hospitalière; le mercredi matin,
+je vis étendu devant moi ce corps qu'animaient naguère le courage, la
+sensibilité, et tant de nobles passions!» Il ne s'en tint pas à des
+paroles pour prouver sa sympathie dans cette occasion. Ce malheureux
+jeune homme laissait derrière lui une famille qui avait besoin pour son
+soulagement d'autre chose qu'une stérile compassion, et Lord Byron,
+malgré la gêne qu'il éprouvait lui-même à cette époque, trouva moyen de
+venir généreusement et délicatement au secours de la veuve et des enfans
+de son ami. Dans la lettre suivante à Mrs. Byron, il en parle entre
+autres sujets importans avec une sensibilité éloignée de toute
+ostentation, qui lui fait le plus grand honneur.</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE XXXII.</h3>
+
+<h4>À MRS. BYRON.</h4>
+
+<p class="rig">Saint-James-street, n° 8, 4 mars 1809.</p><br><br>
+
+<p><span class="sc">Ma chère Mère</span>,</p>
+
+<p>«Ma dernière lettre fut écrite dans un grand abattement d'esprit causé
+par la mort de ce pauvre Falkland, qui a laissé sans un schelling sa
+femme et ses enfans. Je me suis efforcé de venir à leur secours. Dieu
+sait que je n'ai pas pu le faire comme je l'aurais désiré, gêné comme je
+le suis, et accablé de tant de dettes.</p>
+
+<p>»Vous avez parfaitement raison; il faut que Newstead et moi nous nous
+soutenions, ou tombions ensemble. J'y ai vécu, j'y ai attaché mon cœur,
+et jamais besoin d'argent présent ou à venir ne pourra me porter à
+vendre la moindre parcelle de notre héritage. J'ai un amour-propre qui
+me donnera la force de supporter bien des embarras pécuniaires: j'aurai
+peut-être à endurer bien des privations; mais quand on m'offrirait en
+échange de Newstead la première fortune de l'Angleterre, je rejetterais
+la proposition. N'ayez pas d'inquiétude à ce sujet; M. H*** en parle
+comme un homme d'affaires; mais je sens comme un homme d'honneur, et je
+ne vendrai pas Newstead.</p>
+
+<p>»J'entrerai à la chambre des pairs dès que l'on aura reçu certains
+certificats pour lesquels on a écrit à Carhais, dans le Cornouaille, et
+je ferai parler de moi: il faut que je brille dès le commencement, ou
+tout est perdu. Il faut me garder le secret sur ma satire pendant un
+mois, après cela vous serez libre d'en parler absolument comme vous le
+voudrez. Lord Carlisle en a usé avec moi d'une manière infâme, en
+refusant de donner au chancelier aucun détail sur ma famille. Je l'ai
+<i>sanglé</i> comme il faut dans mes vers, et peut-être sa Seigneurie se
+repentira-t-elle de n'avoir pas montré une humeur plus conciliante. On
+dit que cela se vendra; je l'espère, car le libraire s'est bien conduit
+jusqu'ici, c'est-à-dire que l'édition a été bien soignée. Croyez-moi,
+etc.</p>
+
+<p>»<i>P. S.</i> Vous aurez hypothèque sur une des fermes.»</p>
+
+<p>Le certificat dont il est ici question comme attendu de la principauté
+de Cornouaille était les preuves du mariage entre l'amiral Byron et miss
+Trevanion, mariage célébré, à ce qu'il paraît, dans une chapelle
+particulière, à Carhais, et dont, en conséquence, il était difficile de
+se procurer une attestation légale. Le délai nécessaire pour obtenir ces
+papiers, et le refus peu gracieux de lord Carlisle de donner aucune
+explication sur sa famille, furent les obstacles qui l'empêchèrent
+long-tems de prendre sa place à la chambre. Les preuves nécessaires
+ayant été à la fin fournies, il se présenta, le 13 mars, dans un état
+d'isolement auquel aucun jeune homme d'un rang aussi élevé ne s'était
+jamais vu réduit en pareille occasion. N'ayant pas un seul individu de
+sa classe pour l'introduire comme un ami, ou l'accueillir comme une
+connaissance, ce fut au hasard seul qu'il dut d'être accompagné jusqu'à
+la barre de la chambre par un parent très-éloigné, et qui lui était
+complètement inconnu un peu plus d'un an auparavant. Ce parent fut M.
+Dallas, et les détails qu'il nous a donnés de cette scène entière sont
+trop frappans pour que nous y changions un seul mot.</p>
+
+<p>«La satire fut publiée vers le milieu de mars, quelques jours après
+qu'il eut pris sa place à la chambre des Pairs, ce qu'il fit le 13 du
+même mois. Je descendais ce jour-là de James's-Street, sans intention de
+lui faire visite; mais voyant son cabriolet à la porte, j'entrai. Sa
+figure plus pâle qu'à l'ordinaire montrait que son esprit était agité et
+qu'il pensait au noble seigneur sous les auspices duquel il avait
+toujours cru faire son entrée à la Chambre. Je suis bien aise, me
+dit-il, de vous voir; je vais prendre ma place à la Chambre, peut-être
+voudrez-vous bien m'accompagner. Je me hâtai de lui exprimer combien
+j'étais disposé à le faire, lui cachant en même tems le chagrin que
+j'éprouvais en voyant un jeune homme qui, par sa naissance, sa fortune
+et ses talens, appartenait à la première classe de la société, assez
+négligé, assez isolé dans le monde, pour qu'il n'y eût pas un seul
+membre du sénat dont il allait faire partie, auquel il pût s'adresser
+pour y être introduit d'une manière convenable. Je vis qu'il sentait
+vivement sa situation, et je partageais son indignation.</p>
+
+<p>»Après avoir parlé quelque tems de la satire dont les dernières feuilles
+étaient alors sous presse, j'accompagnai Lord Byron à la Chambre. Il fut
+reçu dans l'une des antichambres par quelques officiers de service, avec
+lesquels il s'entendit sur les frais qu'il avait à payer. L'un d'eux
+alla avertir le lord chancelier, et revint bientôt avec ordre
+d'introduire le récipiendaire. Il y avait peu de membres présens, et
+lord Eldon s'occupait d'affaires ordinaires ou peu importantes. Quand
+Lord Byron entra, il me parut encore plus pâle qu'avant; on lisait sur
+sa figure l'indignation jointe à la mortification; mais parvenu à la
+dominer, il passa devant la <i>balle de laine</i><a id="footnotetag107" name="footnotetag107"></a>
+<a href="#footnote107"><sup class="sml">107</sup></a> sans regarder autour
+de lui, et s'avança vers la table où l'officier chargé de cette fonction
+lui fit entendre le serment d'usage. Cette formalité remplie, le
+chancelier, quittant son siége, fit quelques pas vers lui en souriant et
+lui présentant la main pour le féliciter de la manière la plus amicale.
+Quoique je n'entendisse pas ses paroles, je vis bien qu'il lui adressait
+quelques complimens. Ce fut autant de perdu; Lord Byron fit un salut
+cérémonieux, et plaça à peine l'extrémité du bout de ses doigts dans les
+mains du chancelier. Celui-ci ne prolongea pas des félicitations aussi
+mal reçues; mais il retourna à sa place, tandis que Lord Byron alla
+négligemment s'asseoir quelques minutes sur l'un des bancs restés vides
+à la gauche du trône, et qu'occupent ordinairement les lords de
+l'opposition. Quand il vint me rejoindre, je lui fis part de mes
+observations; il me répondit: Si j'avais répondu à son serrement de
+main, il m'aurait tout de suite compté comme acquis à son parti. Je ne
+veux rien avoir à faire ni avec les uns ni avec les autres; j'ai pris
+mon rang; je veux maintenant quitter l'Angleterre. Nous retournâmes à
+Saint-James's-Street, mais il ne recouvra pas sa bonne humeur.»</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote107"
+name="footnote107"><b>Note 107: </b></a><a href="#footnotetag107">
+(retour) </a> Nom du fauteuil du chancelier, et qui est pris
+ souvent par métaphore pour la dignité de chancelier. C'est
+ ainsi que l'on dit être assis sur <i>la balle de laine</i>, comme
+ chez nous être assis sur les <i>fleurs de lis</i>.</blockquote>
+
+<p>Au récit d'une cérémonie si désagréable pour un esprit fier comme le
+sien, et si peu de nature à diminuer les idées misanthropiques qui déjà
+prenaient sur lui tant d'empire, j'ajouterai d'après l'un de ses propres
+<i>souvenirs</i>, les détails qu'il nous a lui-même laissés sur sa courte
+conversation avec le lord chancelier:</p>
+
+<p>«Quand j'eus atteint mes vingt-un ans, la nécessité de me procurer
+certains certificats de naissance et de mariage m'empêcha pendant
+plusieurs semaines de prendre rang dans la Chambre. Après que ces
+difficultés eurent été levées, et que j'eus prêté serment, le lord
+chancelier s'excusa auprès de moi de ce délai, observant que le maintien
+de ces formes voulues était une partie de son devoir. Je lui répondis
+qu'il ne me devait point d'excuse, et comme il n'avait pas, en effet,
+montré beaucoup d'empressement, j'ajoutai: Votre seigneurie est
+exactement comme le <i>Petit Poucet</i> (on donnait à cette époque la pièce
+de ce nom), vous avez fait votre <i>devoir</i>, mais vous n'avez fait rien de
+plus.»</p>
+
+<p>Quelques jours après parut la satire, et l'un des premiers exemplaires
+fut adressé à M. Harness, son ami, avec la lettre suivante:</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE XXXIII.</h3>
+
+<h4>À M. HARNESS.</h4>
+
+<p class="rig">Saint-James's-Street, 18 mars 1809.</p><br><br>
+
+<p>«Vous ne me deviez pas d'excuses; si vous avez le tems d'écrire, et si
+vous y êtes disposé, tant mieux; Le Seigneur nous rend reconnaissans
+pour les faveurs que nous recevons. Quand, au contraire, je n'entends
+pas parler de vous, je me console en pensant que vous êtes plus
+agréablement occupé.</p>
+
+<p>»Je vous envoie par le même courrier une certaine satire nouvellement
+publiée; et en retour de trois shillings et six pences qu'il m'en coûte,
+je vous prie, si vous venez à en deviner l'auteur, de tenir son nom
+secret, du moins quant à présent. Londres est plein de l'affaire du
+duc<a id="footnotetag108" name="footnotetag108"></a>
+<a href="#footnote108"><sup class="sml">108</sup></a>. La Chambre des communes s'en est occupée pendant les trois
+dernières soirées, et n'a cependant encore rien décidé. Je ne sais pas
+si la chose sera portée devant notre Chambre, à moins que ce ne soit
+sous forme d'accusation. Si elle y paraît d'une manière qui permette la
+discussion, je serai peut-être tenté de dire quelque chose à ce sujet.
+Je suis bien aise d'apprendre que vous aimez Cambridge, premièrement
+parce que vous savoir heureux ne peut qu'être infiniment agréable à
+quelqu'un qui vous désire toutes les joies possibles de ce monde
+sublunaire, et secondement, parce que j'admire la moralité de ce
+sentiment. L'<i>alma mater</i> a été pour moi une <i>injusta noverca</i>, et cette
+vieille folle ne m'a donné mon degré de <i>master artium</i> que parce
+qu'elle n'a pu l'éviter. Vous savez quelle farce un noble candidat est
+obligé de jouer.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote108"
+name="footnote108"><b>Note 108: </b></a><a href="#footnotetag108">
+(retour) </a> Probablement l'affaire du duc d'York, accusé
+ d'avoir vendu ou laissé vendre des commissions dans l'armée
+ d'une manière illégale.</blockquote>
+
+<p>«Je compte partir pour mes voyages, si je puis, au printems, et avant
+cette époque je fais une collection des portraits de ceux de mes
+camarades d'école avec lesquels j'étais le plus lié. J'en ai déjà
+quelques-uns, et j'ai besoin du vôtre, sans lequel la galerie ne serait
+pas complète. J'ai employé l'un des premiers peintres de miniature de
+l'époque, et ce à mes dépens bien entendu, car je n'ai jamais souffert
+que mes connaissances fussent induites à la moindre dépense pour
+satisfaire quelqu'une de mes fantaisies. Cette observation pourra
+paraître indélicate; mais quand je vous dirai qu'un de nos amis avait
+d'abord refusé de poser dans la persuasion qu'il lui faudrait délier les
+cordons de sa bourse, vous conviendrez qu'il est nécessaire de bien
+établir d'abord ces préliminaires; pour éviter le retour d'une semblable
+méprise, je viendrai vous voir quand il en sera tems, et je vous ménerai
+chez le peintre. Ce sera une espèce de taxe que je léverai pendant une
+semaine sur votre patience; mais excusez-moi, je vous prie, et songez
+que cette ressemblance sera peut-être le seul souvenir qui me restera un
+jour de notre ancienne amitié et de notre liaison actuelle. Cette idée
+paraît assez folle maintenant; mais dans quelques années, quand
+quelques-uns d'entre nous seront morts, que d'autres seront séparés par
+des circonstances inévitables, ce sera une sorte de satisfaction de
+conserver, dans les portraits de ceux qui survivront, l'image de ce que
+nous étions naguère, et de contempler dans les portraits de ceux qui
+seront morts tout ce qui nous restera du jugement, de la sensibilité et
+de l'ensemble de tant de nobles qualités. Mais tout ceci doit être assez
+ennuyeux pour vous; ainsi bon soir, et pour finir mon chapitre ou plutôt
+mon homélie, croyez-moi, mon cher Harness, votre très-affectionné, etc.,
+etc.»</p>
+
+<p>Dans cette idée romanesque de rassembler et de conserver les portraits
+de ses anciens amis de classe, on voit le travail naturel d'un cœur
+ardent et désappointé qui, à mesure que l'avenir commence à s'obscurcir
+autour de lui, se rattache avec empressement au souvenir du passé, et
+qui, désespérant de trouver de nouveaux et de fidèles amis, ne songe
+plus qu'à conserver tout ce qu'il pourra des anciens. Mais, en ce moment
+même, sa sensibilité eut à soutenir un de ces terribles échecs auxquels
+des ames comme la sienne, fort au-dessus de la trempe ordinaire, ne sont
+que trop fréquemment exposées. Ce fut de la part d'un des amis qu'il
+estimait le plus qu'il reçut, au moment où il quittait l'Angleterre,
+cette preuve d'indifférence dont il se plaint et s'indigne dans une note
+du second chant de <i>Childe-Harold</i>, la mettant en contraste avec la
+fidélité et l'affection que venait de lui montrer son domestique turc
+Derwish. M. Dallas décrit ainsi l'émotion où il le vit à l'occasion de
+ce même manque d'affection:</p>
+
+<p>«Je le trouvai étouffant d'indignation. Le croirez-vous? me dit-il; je
+viens à l'instant de rencontrer N***, je l'ai prié de venir passer une
+heure avec moi; il m'a refusé; et quelle raison pensez-vous qu'il m'ait
+donnée? Il était engagé à aller courir les boutiques avec sa mère et
+quelques autres dames, et il sait que je pars demain pour être absent
+pendant plusieurs années, et peut-être pour ne revenir jamais! Amitié!
+je ne pense pas qu'excepté vous, votre famille et peut-être ma mère, je
+laisse derrière moi un seul être qui se soucie de ce que je pourrai
+devenir.»</p>
+
+<p>D'après cette phrase déjà citée d'une lettre à Mrs. Byron, «il faut que
+je fasse quelque chose bientôt dans la Chambre,» et d'après une autre
+expression plus explicite encore, contenue dans une lettre à M. Harness,
+il paraîtrait qu'il songeait sérieusement, à cette époque, à entrer de
+suite dans la carrière des affaires politiques que sa qualité de pair
+héréditaire semblait ouvrir naturellement devant lui. Mais quelles
+qu'aient été d'abord les impulsions de son ambition vers ce point, il y
+renonça bientôt. S'il eût été allié de quelques familles qui eussent
+tenu un rang distingué dans le monde politique, son envie de dominer,
+secondée par de tels exemples et de telles sympathies, l'eût porté sans
+doute à chercher la gloire au milieu des guerres de parti; peut-être
+c'eût été alors son lot de donner un exemple remarquable de ce
+changement par lequel un homme cesse d'être un grand poète pour devenir
+un grand politique. Heureusement, toutefois pour le monde, car c'est une
+question si ce fut un bonheur pour lui-même, il était décidé que ce
+serait dans l'empire plus brillant de la poésie qu'il devait dominer. En
+effet, l'isolement de toute société dans lequel il se trouvait à cette
+époque, étant privé de ces affections et de ces protections dont un
+jeune homme est ordinairement entouré lors de ses débuts, cet isolement,
+dis-je, devait le décourager de suivre une carrière où les chances de
+succès dépendent surtout des avantages qui ne sont pas en nous-mêmes.
+Loin donc de prendre une part active aux travaux de ses nobles
+collègues, il paraît qu'il regardait comme ennuyeux et mortifiant d'y
+assister comme spectateur. Quelques jours après son admission, il se
+retira dans sa retraite de Newstead-Abbey, pour y savourer l'amertume
+d'une expérience prématurée, ou pour y méditer d'avance sur les scènes
+et les aventures auxquelles son esprit ardent devait trouver à
+l'étranger un champ plus libre que dans sa patrie.</p>
+
+<p>Peu de tems s'écoula cependant avant qu'il ne fût rappelé à Londres par
+le succès de sa satire, dont le prompt débit rendait une seconde édition
+nécessaire. Son agent zélé, M. Dallas, avait pris soin de lui
+transmettre, dans sa solitude, tout ce qu'il avait pu recueillir
+d'opinions favorables à son ouvrage. Il n'est pas sans intérêt de voir
+par quels degrés on arrive d'abord à la réputation, et de trouver dans
+l'approbation d'autorités telles que Pratt et les écrivains des Revues,
+la première récompense et les premiers encouragemens d'un Byron.</p>
+
+<p>«Vous êtes déjà, lui écrivait-il, assez généralement connu pour
+l'auteur. Cawthorn m'en a parlé dans ce sens, et j'en ai eu par moi-même
+une preuve chez Hatchard, libraire de la reine. J'entrai pour lui
+demander la satire; il me répondit qu'il en avait vendu un grand nombre
+d'exemplaires, qu'il ne lui en restait pas un, qu'il allait en
+redemander davantage, ce que je vis depuis qu'il avait fait. Je lui
+demandai quel était l'auteur. Il me répondit qu'on la croyait de Lord
+Byron. J'insistai pour savoir si c'était son opinion, à lui-même. Il me
+répondit que oui, et que ce qui le lui faisait croire, c'est qu'une dame
+de distinction était venue, sans hésitation, lui demander la satire de
+Lord Byron. Il m'apprit aussi qu'il avait demandé à M. Giffard, qui
+vient souvent dans sa boutique, si la satire était de vous; celui-ci nia
+absolument qu'il en connût l'auteur; mais il parla avec grand éloge de
+l'ouvrage, et dit qu'on lui en avait envoyé un exemplaire. Hatchard m'a
+assuré que tous ceux qui fréquentent son cabinet de lecture l'admirent
+beaucoup. Cawthorn m'a dit qu'on en faisait généralement un très-grand
+cas, non-seulement parmi ses propres pratiques, mais encore parmi toutes
+celles de ses confrères. Je suis allé plusieurs fois exprès chez mon
+éditeur, et je l'ai toujours entendu beaucoup vanter. Pratt l'a lue
+dernièrement à haute voix dans les salons, Phillip à un cercle d'hommes
+de lettres: tous l'ont unanimement louée. L'<i>Anti-Jacobin</i> et le
+<i>Gentleman's Magazine</i> ont déjà embouché pour vous la trompette de la
+renommée. Vous verrez votre satire dans les autres revues le mois
+prochain, et probablement elle sera maltraitée dans quelques-unes,
+suivant les rapports que les propriétaires ou les éditeurs peuvent avoir
+avec ceux que vous y avez flagellés.»</p>
+
+<p>À son arrivée à Londres, vers la fin d'avril, il trouva la première
+édition de sa satire presque épuisée; il se mit aussitôt en devoir d'en
+préparer une seconde, à laquelle il résolut de mettre son nom. Les
+additions qu'il fit alors à son ouvrage sont considérables, il ajouta
+entre autres près de cent vers qui devinrent les premiers<a id="footnotetag109" name="footnotetag109"></a>
+<a href="#footnote109"><sup class="sml">109</sup></a>, et ce ne
+fut guère qu'au milieu du mois suivant que la nouvelle édition fut prête
+à imprimer. Pendant son dernier séjour à la campagne, il était convenu
+avec son ami Hobhouse qu'ils quitteraient l'Angleterre au commencement
+de juin, et il désirait voir les épreuves de son volume avant que de
+partir.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote109"
+name="footnote109"><b>Note 109: </b></a><a href="#footnotetag109">
+(retour) </a> La première édition commençait au vers:
+
+<p class="mid"> «Il fut un tems, avant que de nos jours dégénérés.»
+</p>
+</blockquote>
+
+<p>Cette seconde édition est suivie d'un post-scriptum en prose que M.
+Dallas, et c'est une preuve de jugement et de goût, supplia en vain le
+poète de retrancher. Il est fort à regretter que Byron ne se soit point
+rendu à ses sages avis; car il règne, dans cette malheureuse page, un
+ton de bravache, que l'on est toujours peiné de voir adopté par un homme
+vraiment brave. En voici un échantillon: «On dira peut-être que je
+quitte l'Angleterre, parce que j'y ai insulté des personnes d'esprit et
+d'honneur; mais je reviendrai, et elles pourront entretenir jusque-là
+leurs ressentimens. Ceux qui me connaissent peuvent affirmer que les
+motifs qui me font voyager, sont loin d'être des craintes littéraires ou
+personnelles, et ceux qui ne me connaissent pas pourront en être
+convaincus un jour. Depuis la publication de cet opuscule, mon nom n'a
+pas été au secret, j'ai presque constamment habité Londres, prêt à
+rendre raison de ce que j'ai écrit, et m'attendant chaque jour à
+recevoir quelque petit cartel; mais, hélas! les tems de la chevalerie
+sont passés, ou, pour parler comme le vulgaire, il n'y a plus de courage
+aujourd'hui.»</p>
+
+<p>Quelques torts que l'auteur ait pu avoir dans cette satire, peu de
+personnes la jugeraient plus sévèrement aujourd'hui, qu'il ne la jugea
+lui-même neuf ans après l'avoir composée, au moment où il venait de
+quitter l'Angleterre pour n'y jamais revenir. M. Murray possède
+l'exemplaire que Byron lut alors; et les notes qu'il griffonna en marge,
+et au bas des pages, méritent d'être traduites ici; sur la première on
+lit:</p>
+
+<p>«La reliure de ce volume est beaucoup trop belle pour ce qu'il contient.</p>
+
+<p>»C'est la propriété d'un autre, voilà la seule raison qui me retient de
+jeter au feu ce misérable monument de colère déplacée et de critique
+aveugle.»</p>
+
+<p>En marge de ce passage: «De se laisser égarer par le cœur de Jeffrey, ou
+la tête béotienne de Lamb,» est écrit: «Cela n'est pas juste; la tête et
+le cœur de ces messieurs, ne sont pas du tout tels qu'ils ont été ici
+représentés.» En travers de tout le sévère passage contre MM. Wordsworth
+et Coleridge, il a griffonné <i>injuste</i>. Pour l'attaque terrible contre
+M. Bowles, le commentaire est: «Tout ce morceau sur Bowles est trop
+sauvage.» À la marge des vers qui commencent par «salut à l'immortel
+Jeffrey,» est écrit, «trop féroce... C'est de la folie toute pure;» et
+plus bas, à propos des vers: «Quelqu'un se rappelle-t-il ce jour
+désastreux, etc.,» il ajoute, «tout cela est mauvais, parce que c'est
+trop personnel.»</p>
+
+<p>Quelquefois cependant, loin de casser ses premiers jugemens, il semble
+disposé à les confirmer et rendre plus sévères. Ainsi, en marge du
+passage relatif à certain auteur de certaines épopées obscures (Cottle),
+il dit: «C'est bien,» ajoutant au bas de la page: «J'ai vu quelques
+lettres de ce drôle à une pauvre dame poète,» dont il attaque les
+productions (productions dont cette brave femme n'était nullement
+enflée), d'un ton si grossier et si tranchant, que je ne regretterais
+pas les coups de fouet que je lui ai donnés, quand même ils eussent été
+injustes, ce qui n'est pas, car en vérité <i>c'est un grand âne</i>. En marge
+des vers si forts contre Clarke, collaborateur du <i>Magazine</i> appelé le
+<i>satiriste</i>, se trouve cette remarque: «Assez bien; il la méritait, et
+cela n'est pas trop mal exprimé.»</p>
+
+<p>Tout le paragraphe commençant par <i>Illustre Lord Holland</i>, a pour note
+«mauvais, et, en outre, manquant de vérité.» Les vers contre Lord
+Carlisle lui paraissent mauvais aussi, la provocation n'était pas
+suffisante pour justifier tant d'acrimonie. Dans une autre note
+concernant le même seigneur, il dit: «Beaucoup trop sauvage, quel qu'en
+ait pu être le fondement.» Il dit de Rosa Maltida (la fille du célèbre
+juif K...), «elle a depuis épousé le Morning-Post, mariage extrêmement
+bien assorti.» Aux vers commençant par «Quand quelque jeune homme
+d'espérance, habitant une échoppe, etc.,» il a joint un note qui n'est
+pas sans intérêt: «Tout ceci était dirigé contre le pauvre Blackett, il
+était alors <i>patronisé</i> par A. I. B.<a id="footnotetag110" name="footnotetag110"></a>
+<a href="#footnote110"><sup class="sml">110</sup></a>. Je l'ignorais, sans quoi je
+n'eusse pas écrit tout ceci, ou du moins, je ne le crois pas.»</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote110"
+name="footnote110"><b>Note 110: </b></a><a href="#footnotetag110">
+(retour) </a> Lady Byron, alors miss Milbank.</blockquote>
+
+<p>En regard de l'éloge de M. Crabbe, il a écrit: «Je considère Crabbe et
+Coleridge comme les deux plus remarquables poètes de notre tems, sous le
+rapport de l'invention et du pathétique.» Sur l'un de ses propres vers:</p>
+
+<p class="mid">Et la gloire comme le Phénix au milieu des flammes, etc.
+</p>
+
+<p>il s'écrie: «Le diable emporte le Phénix! comment a-t-il fait pour venir
+se fourrer là?» Et il conclut ses remarques de détails par l'observation
+suivante, sur l'ensemble de la pièce:</p>
+
+<p>«Je désirerais bien sincèrement que la majeure partie de cette satire
+n'eût jamais été écrite, non seulement à cause de l'injustice des
+jugemens qui y sont portés sur quelques ouvrages et quelques personnes,
+mais parce que je ne saurais approuver le ton qui y règne en général, et
+l'esprit qui l'a dictée.<br>
+<span class="rig">«BYRON.--Diodati-Genève, 14 juillet 1816.»</span><br></p>
+
+<p>En même tems qu'il préparait sa nouvelle édition, il faisait gaîment les
+honneurs de Newstead à une troupe de jeunes amis de collége, qu'à la
+veille de quitter l'Angleterre pour si long-tems il avait réunis autour
+de lui, comme pour une fête d'adieux. La lettre suivante, de l'un des
+convives, Charles Skinner Matthews; quoiqu'elle ne parle pas autant de
+son hôte illustre que nous eussions pu le désirer, plaira sans doute au
+lecteur comme une peinture prise au moment même, et qui réfléchit bien
+le caractère de Byron à cette époque.</p>
+
+<p class="mid">LETTRE DE C.S. MATTHEWS, ÉCUYER,</p>
+
+<p class="mid">À MISS ***.</p>
+
+<p class="rig">Londres, 22 mai 1809.</p><br>
+
+<p><span class="sc">Ma chère miss</span> ***,</p>
+
+<p>«Il faut d'abord que je vous donne quelques détails sur le lieu
+singulier que je viens de quitter.</p>
+
+<p>»Newstead-Abbey est située à 136 milles de Londres, et à 4 de Mansfield.
+C'est un si beau morceau d'architecture que je ne serais pas étonné
+qu'on en trouvât la description, et peut-être la gravure, dans les
+<i>monumens</i> gothiques de Grose. Elle est en la possession des ancêtres du
+propriétaire actuel depuis l'époque de la dissolution des monastères,
+mais le bâtiment lui-même est d'une date bien plus reculée. Quoique
+tombant en ruines, c'est encore une abbaye complète, et la plus grande
+partie de l'édifice est encore debout et dans le même état que le jour
+où il fut construit. Il y a deux rangées de cloîtres, avec un grand
+nombre de chambres et de cellules, qui, bien qu'inhabitées et
+inhabitables, pourraient facilement être remises en état; beaucoup des
+anciennes chambres servent encore, entre autres une grande salle dallée.
+Il ne reste plus qu'un côté de l'église de l'abbaye; l'ancienne cuisine
+et une longue file de bâtimens attenans n'offrent plus qu'un amas de
+décombres. Une salle magnifique de 70 pieds de long sur 23 de large,
+unit les anciennes constructions aux bâtimens modernes; mais toutes les
+parties de la maison sont dans un grand état de délabrement et
+d'abandon, excepté celles que le seigneur actuel vient de faire
+arranger.</p>
+
+<p>»La maison et les jardins sont entièrement entourés d'une muraille
+crénelée. Devant l'entrée principale se trouve un grand lac, flanqué çà
+et là de bâtimens fortifiés, dominés par une tour placée à l'autre
+extrémité. Imaginez-vous, tout autour, des collines nues et arides, la
+vue ne découvrant qu'à peine deux ou trois méchans arbres rabougris, à
+plusieurs milles de distance, et vous aurez une idée de Newstead. Le
+dernier lord étant brouillé avec son fils, auquel le domaine était
+assuré par substitution, voulut au moins, par esprit de vengeance, qu'il
+ne lui arrivât que dans le plus mauvais état possible. En conséquence il
+négligea les constructions, et fit un tel abattage de tous les arbres,
+qu'il réduisit bientôt une propriété naguère <i>boisée</i> à l'état de
+désolation et de nudité que je viens de décrire. Toutefois, son fils
+mourut avant lui, et, tout cet étalage de colère manqua ainsi son effet.</p>
+
+<p>»En voilà assez sur le domaine; j'ai multiplié les détails sans ordre et
+sans liaison, pour qu'ils ressemblassent mieux au sujet. Mais si ce lieu
+vous paraît étrange, la manière dont on y vit ne l'est pas moins, je
+vous assure. Montez avec moi les degrés qui mènent au vestibule, que je
+vous présente à Milord et à ses hôtes. Prenez garde, souvenez-vous de
+n'y venir qu'en plein jour, et de bien ouvrir vos yeux, car si vous
+alliez vous tromper, si vous tourniez trop à droite en montant les
+degrés, vous vous feriez empoigner par un ours, et si vous alliez trop à
+gauche, ce serait encore pire, vous vous trouveriez nez à nez avec un
+loup. Parvenu à la porte, vous n'êtes pas hors de danger, car le
+vestibule étant en mauvais état, et ayant grand besoin de réparation, il
+y a probablement à l'autre extrémité une foule de visiteurs qui
+s'exercent à tirer au blanc, de manière que si vous entrez sans donner,
+de loin et à haute voix, avis de votre approche, vous n'aurez échappé à
+l'ours et au loup que pour tomber sous les balles des joyeux moines de
+Newstead.</p>
+
+<p>«Nous étions quatre, sans compter Lord Byron, et notre compagnie
+s'augmentait de tems en tems d'un curé du voisinage. Quant à notre
+manière de vivre, voici quel était généralement l'ordre du jour: pour le
+déjeuner, point d'heure fixe, chacun le prenait à sa convenance, et la
+table demeurait servie jusqu'à ce que chacun de nous eût fini; il est
+vrai de dire que si quelqu'un de nous eût désiré déjeuner d'aussi <i>bonne
+heure</i> que dix heures, il lui eût fallu une grande chance pour trouver
+aucun des domestiques debout. Nous nous levions, terme moyen, à une
+heure. Moi, qui me levais généralement entre onze heures et midi,
+j'étais toujours, même malade, le premier levé, et je passais pour un
+miracle de diligence et d'activité. Souvent deux heures sonnaient avant
+que nous n'eussions fini de déjeuner. Alors, pour amuser notre journée,
+nous avions la lecture, l'escrime, le bâton de volée, ou le jeu de
+volant dans le grand salon, le tir au pistolet dans le vestibule; la
+promenade à pied, à cheval, en bateau sur le lac, la partie de paume, ou
+quelque partie avec l'ours et le loup que nous nous plaisions à
+tourmenter. Entre sept et huit heures, nous nous mettions à table pour
+dîner, et nous y restions jusqu'à une, deux et trois heures du matin. Je
+laisse à deviner quel était notre plaisir pendant cette longue séance.</p>
+
+<p>»Je ne dois pas passer sous silence l'usage de faire passer à la ronde,
+au moment du dessert, un crâne humain, rempli de vin de Bourgogne. Après
+nous être rassasiés de viandes choisies et des meilleurs vins de France,
+nous nous rendions dans le salon pour prendre le thé; là, suivant son
+goût, chacun se livrait à la lecture ou à quelque conversation
+instructive; et, après les <i>Sandwiches</i>, etc., chacun se retirait dans
+sa chambre à coucher. Une collection de robes de moines, avec tout ce
+qui s'en suit, crosses, rosaires, tonsures, etc., donnait plus de
+variété à nos physionomies et à nos plaisirs.</p>
+
+<p>»Vous pouvez juger combien je fus contrarié de me trouver malade presque
+pendant la première moitié du tems que je passai à Newstead. Mais je fus
+conduit à des réflexions bien différentes de celles du docteur Swift,
+qui quitta sans cérémonie aucune la maison de Pope, et lui écrivit
+ensuite qu'il était impossible à deux amis malades de vivre ensemble;
+mon pauvre corps tremblant et affaibli se trouvait si mal de la robuste
+et bruyante santé de mes compagnons, que je désirais de tout mon cœur
+voir chacun dans la maison, aussi malade que moi.</p>
+
+<p>»Je revins à pied avec un autre des convives; nous faisions à peu près
+vingt-cinq milles par jour, mais nous restâmes environ une semaine en
+route, parce que nous fûmes retenus par les pluies.</p>
+
+<p>»Je terminerai ici le récit d'une excursion qui m'a fait mieux connaître
+le pays. Où croyez-vous que j'aille maintenant? À Constantinople! Du
+moins on m'a proposé ce petit voyage. Lord Byron et un autre de mes amis
+partent le mois prochain, et m'ont demandé de les accompagner; mais
+c'est un projet un peu important, et qui vaut bien la peine d'y
+réfléchir à deux fois... Adieu, etc.»<br>
+
+<span class="rig">C.S. MATTHEWS.</span><br></p>
+
+<p>Après avoir ainsi mis la dernière main à sa nouvelle édition, sans
+attendre les nouveaux honneurs qui se préparaient pour lui, Lord Byron
+quitta Londres le 11 juin, et, quinze jours après, mit à la voile pour
+Lisbonne.</p>
+
+<p>Quelque grands que fussent les progrès que son talent eût faits sous
+l'influence de la colère qu'il avait prise pour muse, il est, dans la
+satire dont nous venons de parler, bien loin de la hauteur qu'il
+atteignit dans la suite. Il est remarquable en effet que, lié comme son
+génie paraît l'avoir été avec son caractère, le développement de ce
+dernier ait précédé de si long-tems toute la maturité des ressources de
+l'autre. La nature, en développant de bonne heure en lui une faculté de
+sentir si forte et si multiple, semblait lui avoir désigné ce qu'elle
+attendait de lui, avant qu'il pût la comprendre. Ce ne fut que lentement
+et après de longues méditations, qu'il découvrit en lui-même tous ces
+matériaux de poésie, que son caractère de feu enfantait, pour ainsi
+dire, à son insu. Toute vigoureuse que soit sa satire, on y voit peu de
+choses qui puissent donner un avant-goût des merveilles qui l'ont
+suivie. Son esprit avait reçu l'éveil, mais il n'en avait pas encore
+sondé la profondeur; et le fiel qu'il y répand, ne part pas encore du
+fond de son cœur comme celui qu'il jeta dans la suite à la face du genre
+humain. Ses innombrables facultés, ses passions que son ame avait
+nourries si long-tems, n'avaient pas encore trouvé d'organe digne
+d'elles. Le sombre, le grandiose, le tendre de sa nature, n'avaient pas
+encore de voix, jusqu'à ce qu'enfin son puissant génie se réveilla avec
+le sentiment de toute sa force.</p>
+
+<p>En s'arrêtant, dans sa satire aussi bien que dans ses premières poésies,
+à écrire d'après des modèles reçus, il montra combien peu il avait
+encore exploré ses propres ressources, et découvert les marques
+distinctives qui devaient à jamais illustrer son nom. Quelque hardi et
+quelque énergique que fût en général son caractère, il avait bien peu de
+confiance dans ses forces intellectuelles. Ce ne fut que par degrés
+insensibles qu'il acquit la conscience de ce qu'il pouvait faire; et il
+ne fut pas moins étonné que le public de découvrir dans son ame une
+aussi riche mine de génie. C'est par suite de la même lenteur à
+s'apprécier, que, dans la suite, arrivé à l'apogée de sa gloire, il
+douta long-tems qu'il pût réussir dans aucun ouvrage qui ne demandât que
+de l'esprit et de la gaîté, jusqu'à ce que l'heureux essai qu'il en fit
+dans Beppo, dissipa sa méfiance, et ouvrit une nouvelle carrière de
+triomphes à son génie immense et versatile.</p>
+
+<p>À quelque distance que ses premières productions soient de celles qui
+les ont suivies, il y a dans sa satire une vivacité de pensées, une
+vigueur et un courage qui, joints à la justice de sa cause, ne pouvaient
+manquer de lui valoir la sympathie publique, et d'attacher immédiatement
+beaucoup de célébrité à son nom. Malgré le ton général de hardiesse et
+d'indifférence qui règne dans sa satire, on y voit de tems en tems
+quelques allusions à son sort et à son caractère, dont le pathétique
+semble assurer la vérité, et qui étaient de nature à piquer vivement la
+curiosité et l'intérêt. Je vais citer deux ou trois de ces passages,
+comme montrant bien l'état de son ame à cette époque. Voici comme il
+peint sa jeunesse exposée sans protection aux tentations d'un monde
+corrompu et corrupteur: «Moi-même, le plus insouciant d'une troupe
+insouciante, qui ai juste assez de bon sens pour connaître ce qui est
+juste, et faire ce qui ne l'est pas, abandonné à moi-même à l'âge où le
+bouclier de la raison est encore mal assuré, pour chercher mon chemin au
+travers de la foule innombrable des passions; moi que tous les genres de
+plaisir ont attiré et repoussé tour à tour, moi-même je me sens forcé
+d'élever la voix; je suis forcé de sentir que de telles scènes, que de
+tels hommes sont contraires au bien public. Quand même quelqu'ami me
+dirait d'un ton de censeur: En quoi vaux-tu mieux que les autres, fou
+que tu es? Quand même chacun de mes anciens camarades de débauche
+sourirait et crierait au miracle, de me voir devenu moraliste...»</p>
+
+<p>Mais le passage suivant, quoique écrit à la hâte, montre bien plus
+encore ce cœur ulcéré que l'on retrouve dans toutes ses compositions
+subséquentes:</p>
+
+<p>«Il fut un tems qu'un mot désagréable ne serait jamais tombé de mes
+lèvres qui semblent aujourd'hui pleines de fiel; ni fous ni folies
+n'auraient pu me forcer à mépriser le plus vil des insectes que je
+voyais ramper devant mes yeux. Mais aujourd'hui je suis bien endurci, je
+suis bien changé de ce que j'étais dans ma jeunesse. J'ai appris à
+penser et à dire sévèrement la vérité; j'ai appris à me moquer des
+décrets emphatiques de nos critiques et à les briser eux-mêmes sur la
+roue qu'ils m'avaient préparée. J'ai appris à repousser du pied la verge
+que l'on voulait me faire baiser...»</p>
+
+<p>Nous avons indiqué dans les pages précédentes quelques-unes des causes
+qui amenèrent ce changement de son caractère. Outre son propre
+témoignage, il en est plusieurs autres qui prouvent qu'il n'avait
+naturellement pas de fiel. Dans son enfance, bien qu'il se montrât
+quelquefois colère et entêté, chacun reconnaissait sa douceur et sa
+bonté envers ceux qui se montraient eux-mêmes bons et doux à son égard;
+et ceux qui l'ont connu alors s'accordent à le d'un caractère affectueux
+et gai.</p>
+
+<p>De toutes ces qualités naturelles la plus saillante, en effet, semble
+avoir été un profond besoin d'aimer. Une disposition à former des
+attachemens durables et un désir ardent d'être payé de retour, ont été
+le songe et le tourment de sa vie. Nous avons vu avec quel enthousiasme
+passionné il se livra à ses amitiés de collége. L'amour délirant et
+malheureux qui suivit fut, si je puis m'exprimer ainsi, l'agonie, sans
+être la mort, de ce désir insatiable qui dura toute sa vie, remplit sa
+poésie de tout ce que l'ame a de plus tendre, prêta l'éclat de ses
+couleurs, même à ces nœuds indignes que la vanité et la passion lui
+firent former dans la suite, et lui dicta encore ces stances qu'il
+écrivait quelques mois avant sa mort:</p>
+
+<p>Il est tems que ce cœur cesse d'être ému, puisqu'il a cessé d'émouvoir
+les autres, et cependant, quoique je ne puisse plus être aimé, j'ai
+besoin d'aimer encore!</p>
+
+<p>En supposant même les circonstances les plus favorables, ce serait
+encore une question de savoir si, avec des dispositions telles que
+celles que nous venons de décrire, il eût pu éviter d'être à la fin
+désappointé, ou s'il eût jamais pu trouver où reposer son imagination et
+ses désirs; mais Lord Byron rencontra les désappointemens dès les
+premiers pas qu'il fit dans le sentier de la vie. Sa mère, vers laquelle
+il tourna naturellement et avec ardeur ses premières affections, ou le
+repoussa rudement, ou s'en joua par caprice. Parlant de ses premières
+années avec un de ses amis, à Gênes, peu de tems avant son départ pour
+la Grèce, il datait la première sensation de peine ou d'humiliation
+qu'il eût jamais connue, de la froideur avec laquelle sa mère recevait
+ses caresses dans son enfance et de ses fréquentes et malicieuses
+allusions à son infirmité.</p>
+
+<p>Sa jeunesse fut aussi privée de l'affection sympathique d'une sœur; il
+n'eut d'abord avec la sienne que des rapports extrêmement rares. Si son
+besoin d'aimer avait trouvé où s'épancher dans sa famille, peut-être le
+torrent de ses sensations se serait-il trouvé plus au niveau de ce monde
+qu'il avait à traverser. Ainsi il eût évité ces chutes rapides et
+tumultueuses auxquelles il fut bientôt exposé pour s'être trop tôt élevé
+à toute sa crue. Le manque d'objets sur lesquels son attachement pût se
+porter dans la maison paternelle ne laissa à son cœur d'autres
+ressources que ces affections enfantines qu'il forma à l'école; quand
+celles-ci furent interrompues par son passage à Cambridge, il se
+retrouva de nouveau isolé et abandonné au vague de ses désirs. Bientôt
+survint son malheureux attachement pour miss Chaworth, auquel, plus qu'à
+toute autre cause, il attribuait lui-même le funeste changement qui
+s'opéra dans son caractère.</p>
+
+<p>«Je doute quelquefois, dit-il dans ses <i>Pensées détachées</i>, si, après
+tout, un genre de vie tranquille et sans agitation eût pu me convenir,
+et pourtant je regrette quelquefois de n'en avoir pas un tel. Mes
+premiers rêves, comme presque tous ceux des enfans, furent des rêves
+guerriers; peu après ils furent tous d'amour et de solitude, jusqu'à ce
+que mon malheureux attachement pour Maria Chaworth commença lorsque
+j'avais à peine quinze ans, et continua long-tems quoique soigneusement
+caché. Ce fut ce qui me rejeta de nouveau seul sur une vaste... vaste
+mer. Je me rappelle qu'en 1804, je rencontrai ma sœur chez le général
+Harcourt dans Portland-Place. J'étais moi-même alors, tel qu'elle
+m'avait toujours vu jusque-là. Quand nous nous rencontrâmes ensuite en
+1805 (elle me l'a dit depuis), mon caractère et mes manières étaient
+tellement changés que l'on me reconnaissait à peine. Je ne m'apercevais
+pas alors de cette altération; mais j'y crois, et je pourrais en rendre
+raison.» J'ai déjà raconté la manière dont il prit congé de miss
+Chaworth avant son mariage. Une fois après cet événement, il la revit,
+et ce fut pour la dernière, lorsqu'il fut invité par M. Chaworth à dîner
+à Annesley, peu de tems avant son départ d'Angleterre. Le peu d'années
+qui s'étaient écoulées depuis leur dernière entrevue avaient apporté un
+changement considérable dans les manières et l'extérieur du jeune poète.
+L'informe et gros écolier était devenu un jeune homme gracieux et bien
+pris dans sa taille. Ces émotions et ces passions qui rehaussent d'abord
+et détruisent ensuite la beauté, n'avaient encore produit sur ses traits
+que leur effet favorable; et quoiqu'il eût eu peu d'occasions de
+fréquenter la bonne société, ses manières avaient acquis cette douceur
+et cet aplomb qui caractérisent l'homme bien élevé. Son empire sur
+lui-même fut bientôt mis à l'épreuve quand on apporta dans l'appartement
+la petite fille de sa belle hôtesse. La vue de cet enfant lui fit
+éprouver un saisissement dont il ne fut pas maître, ce ne fut qu'avec
+effort qu'il parvint à dissimuler sa profonde émotion, et c'est à ce
+qu'il éprouva dans ce moment que nous devons ces stances touchantes: «Eh
+bien! tu es heureuse, etc.<a id="footnotetag111" name="footnotetag111"></a>
+<a href="#footnote111"><sup class="sml">111</sup></a>,» qui ont paru dans un recueil de
+<i>Mélanges</i>, publié par l'un de ses amis, et que l'on retrouve maintenant
+dans la collection générale de ses œuvres. Sous l'influence du même
+sentiment il composa deux autres pièces à cette même époque; mais comme
+elles ne se trouvent que dans les <i>Mélanges</i> que je viens de citer, et
+que ce recueil n'est plus dans le commerce, je crois qu'on ne me saura
+pas mauvais gré d'en citer ici quelques stances:</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote111"
+name="footnote111"><b>Note 111: </b></a><a href="#footnotetag111">
+(retour) </a> Datées sur le manuscrit original, 2 novembre
+ 1808.</blockquote>
+
+<p class="mid">ADIEUX A UNE DAME<a id="footnotetag112" name="footnotetag112"></a>
+<a href="#footnote112"><sup class="sml">112</sup></a>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote112"
+name="footnote112"><b>Note 112: </b></a><a href="#footnotetag112">
+(retour) </a> Intitulés dans le manuscrit original: À Mrs. ***,
+ qui me demandait mes raisons pour quitter l'Angleterre au
+ printems, et datés du 2 décembre 1808.</blockquote>
+
+<p>Quand, chassé des bosquets d'Éden, l'homme s'arrêta quelques instans sur
+le seuil, chaque scène lui rappelait les heures écoulées, et lui faisait
+maudire son avenir.</p>
+
+<p>Mais errant à travers de lointains climats, il apprit à porter le poids
+de son chagrin; il ne fit plus que donner un soupir au souvenir du tems
+passé, et trouva du soulagement au milieu de scènes plus agitées.</p>
+
+<p>Ainsi, Marie, doit-il en être de moi; je ne dois plus revoir tes
+charmes, car quand je m'arrête près de toi, mon cœur soupire pour tout
+ce bonheur qu'il a connu autrefois, etc.</p>
+
+<p>L'autre poème respire tout entier la tendresse; mais je n'en donnerai
+que les stances qui me paraissent les plus saillantes:</p>
+
+<p class="mid">STANCES À ***, <span class="sc">en quittant l'Angleterre</span>.</p>
+
+<p>C'en est fait! la barque abandonne au souffle du vent ses voiles
+blanches, qui soufflent autour du mât et s'entr'ouvrent aux efforts de
+la brise bruyante! Et il faut que je quitte ce pays, parce que je n'en
+puis aimer qu'une...</p>
+
+<p>Comme un oiseau privé de sa compagne, mon cœur déchiré se livre à la
+douleur: en vain je cherche autour de moi, je ne puis rencontrer un
+sourire ami, une figure qui me plaise, et même au milieu des troupes les
+plus nombreuses, je suis toujours seul, parce que je n'en puis aimer
+qu'une.</p>
+
+<p>Je franchirai les flots blanchissans, j'irai chercher une patrie à
+l'étranger; je ne saurais trouver de repos nulle part, jusqu'à ce que
+j'aie oublié les traits de cette belle infidèle; je ne puis me
+soustraire à mes sombres pensées, mais je puis aimer toujours, et
+toujours je n'en puis aimer qu'une...</p>
+
+<p>Je pars... mais en quelque lieu que j'aille, aucun œil ne se mouillera
+pour moi de larmes, aucun cœur ne sympathisera à mes peines; toi-même,
+qui as détruit toutes mes espérances, tu ne m'accorderas pas un soupir,
+quoique je n'en aime qu'une.</p>
+
+<p>Le souvenir de chacune de ces scènes passées, la pensée de ce que nous
+sommes, de ce que nous avons été, abîmerait de douleurs des cœurs plus
+faibles! Mais, hélas! le mien a supporté le choc, il bat encore comme il
+avait commencé, et n'en aime jamais réellement qu'une.</p>
+
+<p>Qu'elle peut être cette belle, si tendrement aimée? c'est ce que le
+vulgaire ne doit pas savoir; pourquoi ce jeune amour fut-il malheureux?
+tu le sais, et moi j'en gémis; et bien peu de ceux qui vivent sur cette
+terre n'ont aimé si long-tems, et n'en ont aimé qu'une.</p>
+
+<p>J'ai essayé les fers d'une autre, tout aussi belle peut-être; j'aurais
+donné beaucoup pour l'aimer autant que toi, mais un charme insurmontable
+empêchait mon cœur déchiré de rien sentir que pour une.</p>
+
+<p>Il me serait doux de te revoir au moment du départ, de te bénir en te
+disant adieu; cependant je ne voudrais pas demander à tes beaux yeux des
+larmes pour celui qui va errer sur les vastes mers. Il a perdu sa
+patrie, ses espérances, sa jeunesse, et toutefois il aime encore, et
+n'en aime qu'une.</p>
+
+<p>Tandis que son cœur aimant était ainsi trompé dans ses espérances de
+retour, il était au moins autant mortifié et désappointé dans un autre
+instinct de sa nature, le désir d'acquérir des distinctions et de
+dominer. Le peu de rapports entre sa fortune et son rang fut de bonne
+heure pour lui une source d'embarras et d'humiliations; et la haute
+opinion qu'il avait des avantages d'une naissance illustre ne faisait
+qu'ajouter à l'amertume de cette inégalité. Cependant l'ambition lui
+suggéra bientôt qu'il y avait d'autres et de plus nobles voies pour
+arriver aux distinctions. Il sentit avec orgueil qu'il pourrait un jour
+obtenir celles que le talent ne doit qu'à lui-même. Il n'était pas
+extraordinaire non plus que, comptant sur l'indulgence que l'on accorde
+ordinairement à la jeunesse, il espérât faire impunément le premier pas
+dans le sentier de la gloire. Mais là, comme dans tous les autres objets
+que son cœur s'était proposés, il ne rencontra que le désappointement et
+la mortification. Au lieu d'éprouver ces égards, si ce n'est cette
+indulgence avec laquelle les critiques accueillent ordinairement de
+jeunes débutans, il se trouva tout à coup victime d'une sévérité sans
+borne, sévérité que l'on ne déploie que rarement contre les plus vieux
+pécheurs dans le monde littéraire. Ainsi, son cœur, qui venait
+d'éprouver toute la douleur d'un amour malheureux, se vit encore frustré
+de ces ressources et de ces consolations qu'il avait cherchées dans
+l'exercice de ses facultés intellectuelles.</p>
+
+<p>Tandis qu'il éprouvait ainsi de bonne heure des peines de plus d'un
+genre, son imagination reçut encore l'influence funeste de plaisirs trop
+prématurés. Bientôt se dissipa ce charme dont la jeunesse aime à
+embellir un monde qu'elle ne connaît pas. Ses passions avaient dès le
+commencement anticipé l'avenir, et le vide qu'elles laissèrent bientôt
+dans son ame fut, de son propre aveu, l'une des principales causes de
+cette mélancolie qui forma depuis l'une des marques distinctives de son
+caractère.</p>
+
+<p>«Mes passions, dit-il dans ses <i>Pensés détachées</i>, se développèrent de
+très-bonne heure, de si bonne heure que bien peu voudraient me croire,
+si j'en citais la date et les circonstances: peut-être l'une des causes
+de cette mélancolie anticipée de mes pensées fut que j'avais anticipé la
+vie. Mes premiers poèmes sont pleins de pensées qui semblent appartenir
+à un âge dix ans plus vieux que celui auquel ils furent écrits; je ne
+veux point parler de leur mérite, mais de l'expérience qu'on y remarque.
+Les deux premiers chants de <i>Childe Harold</i> furent terminés, quand je
+n'avais que vingt-deux ans, et on les croirait écrits par un homme plus
+âgé que je ne le serai probablement jamais.»</p>
+
+<p>Quoique la première phrase de cet extrait se rapporte à une époque de
+beaucoup antérieure, elle nous donnera occasion de remarquer que,
+quelque irrégulière qu'ait été sa vie durant les deux ou trois années
+qui précédèrent le moment de ses voyages, l'idée que plusieurs ont eue
+qu'il faisait dans <i>Childe Harold</i> allusion aux débauches et aux orgies
+de Newstead, est, comme beaucoup d'autres accusations contre lui, fondée
+sur son propre témoignage, étrangement exagéré. Il représente, il est
+vrai, la maison de son représentant poétique comme un <i>dôme monastique
+condamné à de vils usages</i>, et ajoute: «Où la superstition tenait jadis
+son antre les filles de Paphos venaient chanter et sourire.» M. Dallas
+se livrant au même esprit d'exagération, dit, en parlant des préparatifs
+du jeune poète: «Déjà rassasié de plaisirs et dégoûté de la compagnie de
+ceux qui n'avaient point d'autres ressources, il avait résolu de
+maîtriser ses passions, et avait congédié ses harems.» La vérité est que
+l'exiguïté des moyens pécuniaires de Lord Byron eût suffi seule pour le
+détourner de ce luxe oriental. Son genre de vie à Newstead était simple
+et peu coûteux. Ses compagnons, quoique amis du plaisir, avaient des
+goûts et des caractères trop réfléchis pour s'accommoder d'une débauche
+vulgaire. Quant à ses prétendus <i>harems</i>, il paraît qu'une ou deux
+<i>subintroductæ</i>, comme les moines les auraient appelées, et encore
+prises parmi les domestiques de la maison, sont tout ce que la médisance
+a jamais pu citer à l'appui de cette calomnie.</p>
+
+<p>Il nous dit lui-même, dans le journal que je viens de citer, que le jeu
+était au nombre de ses folies à cette époque.</p>
+
+<p>«J'ai, dit-il, idée que les joueurs sont aussi heureux que bien d'autres
+gens, parce qu'ils sont toujours <i>excités</i>. Les femmes, le vin, la
+gloire, la table rassasient quelquefois; mais chaque coup de carte ou de
+dé tient le joueur éveillé, outre que l'on peut jouer dix fois plus
+long-tems qu'on ne peut faire toute autre chose. Étant jeune, j'étais
+passionné pour le jeu, c'est-à-dire pour le hasard; car je déteste tous
+les jeux de cartes, même le pharaon. Quand le maccao fut inventé, je ne
+voulus pas l'adopter; car je regrettais le bruit du cornet et des dés et
+cette glorieuse incertitude, non-seulement d'une chance bonne ou
+mauvaise, mais même d'une chance quelconque; car il faut souvent jeter
+les dés plusieurs fois avant d'obtenir un résultat. J'ai gagné jusqu'à
+quatorze coups de suite, et enlevé tout l'argent qui se trouvait sur la
+table; mais je n'avais ni sang-froid, ni jugement, ni calcul: c'était
+l'émotion qui faisait tout mon plaisir. Après tout, j'ai cessé à tems,
+sans avoir ni beaucoup gagné ni beaucoup perdu. Depuis l'âge de vingt-un
+ans j'ai très peu joué, et jamais au-delà de cent, deux cents ou trois
+cents guinées.»</p>
+
+<p>Il fait allusion à cette folie et à quelques autres dans le billet
+suivant.</p>
+
+<p class="mid">À M. WILLIAMS BANKES.<br>
+
+<span class="rig">Vendredi, minuit.</span></p><br>
+
+<p><span class="sc">Mon cher Bankes</span>,</p>
+
+<p>«Je reçois à l'instant votre petit mot; croyez que je suis désespéré de
+n'en avoir pas eu plus tôt connaissance; une demi-heure de conversation
+avec vous m'eût été plus agréable que le vin, le jeu et toutes les
+autres manières à la mode de passer une soirée chez soi ou en ville. Je
+suis réellement très-fâché d'être sorti avant l'arrivée de votre
+missive; à l'avenir écrivez-moi avant six heures, et soyez sûr que,
+quels que soient mes engagemens, je les mettrai de côté. Croyez-moi avec
+cette déférence que j'ai eue dès mon enfance pour vos talens, et une
+meilleure opinion de votre cœur,</p>
+
+<p>»Votre, etc.»<br><span class="rig">
+BYRON.</span><br></p>
+
+<p>Parmi les causes, si ce n'est plutôt parmi les résultats de cette
+disposition à la mélancolie qui tenait à son caractère, il ne faut pas
+oublier ce scepticisme en fait de matières religieuses, qui, comme nous
+l'avons vu, jetait déjà quelque chose de sombre sur les pensées de son
+enfance, et qui se rembrunit de plus en plus à l'époque dont je parle en
+ce moment. En général, nous voyons les jeunes gens trop ardemment
+occupés des plaisirs que ce monde donne ou promet, pour s'occuper bien
+sérieusement des mystères du monde à venir. Mais avec lui le cas était
+malheureusement tout contraire: comme philosophe et comme ami du
+plaisir, il avait acquis trop tôt la plus déplorable expérience. Être,
+comme il le supposait, parvenu à la dernière limite des plaisirs de ce
+monde, et ne voir au-delà que nuages et obscurité, tel était le sort
+funeste auquel un caractère et des passions prématurées semblaient
+condamner Lord Byron.</p>
+
+<p>Quand, à l'âge de vingt-cinq ans, Pope se plaignait d'être fatigué du
+monde, Swift lui répondit qu'il n'avait point encore assez agi, assez
+souffert dans le monde pour en être fatigué. Mais quelle différence
+entre la jeunesse de Pope et celle de Byron! Ce que le premier n'avait
+qu'anticipé par la pensée, le second le connut dans la plus triste
+réalité. À l'âge où l'un commençait à peine à jeter un coup d'œil sur
+l'océan de la vie, l'autre y avait plongé, et en avait sondé toutes les
+profondeurs. Swift lui-même dut aux désappointemens et aux injustices
+qu'il éprouva de bonne heure cette amertume qui ne le quitta jamais, et
+présente bien plus d'analogie avec le sort de notre poète, non-seulement
+pour les attaques cruelles auxquelles il se trouva jeune en butte, que
+pour l'effet qu'elles produisirent sur son caractère<a id="footnotetag113" name="footnotetag113"></a>
+<a href="#footnote113"><sup class="sml">113</sup></a>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote113"
+name="footnote113"><b>Note 113: </b></a><a href="#footnotetag113">
+(retour) </a> Il y a du moins un grand point de rapprochement
+ dans la disposition d'esprit que Johnson attribue à Swift:
+ «Le soupçon d'irréligion, dit-il, qui plana sur la tête de
+ Swift, vint en grande partie de son horreur pour
+ l'hypocrisie: <i>au lieu de chercher à paraître meilleur, il
+ prenait plaisir à paraître pire qu'il n'était en effet</i>.»
+ <span class="rig"> (<i>Note de Moore</i>.)</span><br>
+</blockquote>
+
+<p>La jeunesse est naturellement portée à se donner des airs d'une
+mélancolie romantique, à imiter un air triste et sombre que les années
+n'ont pas encore pu amener. Je ne veux pas nier que quelque chose de ce
+genre ne soit venu augmenter et nourrir les dispositions peu riantes de
+notre jeune poète. Il avait dans son cabinet d'étude un certain nombre
+de crânes humains bien polis et rangés avec une symétrie qui semblerait
+indiquer plutôt l'envie de s'entourer d'idées sombres que de les éviter.
+Peut-être est-ce aussi une imitation de l'usage que Young fit, dit-on,
+d'un crâne, circonstance qui nous ferait douter de la sincérité de sa
+mélancolie à cette époque, si nous n'en retrouvions les traces évidentes
+dans le reste de ses écrits et dans sa vie tout entière.</p>
+
+<p>Telle est, d'après son propre témoignage et celui des autres, la
+disposition d'esprit et de cœur dans laquelle Byron partit pour son
+voyage indéfini, à la suite du changement le plus grand qu'un homme ait
+jamais peut-être éprouvé dans sa manière de voir et de sentir. Le refus
+de lord Carlisle d'agir comme son patron, et la position humiliante dans
+laquelle ce refus le plaça, complétèrent les mortifications que déjà
+bien d'autres causes lui avaient fait éprouver. Trompé dans ses
+espérances en amour et en amitié, il trouva une sorte de vengeance et de
+consolation à douter qu'il existât en effet de tels sentimens. Les
+échecs qu'il avait essuyés étaient assez capables d'irriter et de
+blesser qui que ce soit; il ajouta encore à ce qu'ils avaient de pénible
+par le caractère irritable et impatient dont il les reçut. Ce que
+d'autres auraient reçu avec résignation comme autant de malheurs le
+révolta comme autant d'affronts et d'injustices, et la véhémence de
+cette réaction produisit un changement complet dans tout son caractère.
+Alors, comme dans les révolutions, tout ce qu'il y avait de mauvais et
+d'irrégulier dans son naturel surgit à la surface, et domina en même
+tems que tout ce qu'il y avait de plus énergique et de plus grand. Ses
+vertus et ses qualités naturelles ajoutèrent elles-mêmes à la violence
+de ce changement. Cette même ardeur qu'il avait mise dans ses amitiés et
+dans ses amours fournit de nouveaux alimens à son indignation et à son
+mépris. La vivacité et la tournure originale de son esprit ouvrirent un
+autre canal au fiel dont il était rempli; et cette haine de
+l'hypocrisie, qu'il avait déjà montrée en exagérant les erreurs de sa
+jeunesse, le porta, par horreur de toute fausse prétention à la vertu, à
+une autre prétention encore plus dangereuse, celle d'afficher des vices
+et de s'en faire gloire.</p>
+
+<p>La lettre suivante, qu'il écrivit à sa mère peu de jours avant que de
+mettre à la voile, donne quelques détails sur les personnes qui
+composaient sa suite. Robert Rushton, dont il y parle avec tant
+d'intérêt, est le jeune enfant qu'il introduisit dans le premier chant
+de <i>Childe Harold</i>, en qualité de son page.</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE XXXIV.</h3>
+
+<h4>À MRS. BYRON.</h4>
+
+<p class="rig">Falmouth, 22 juin 1809.</p><br><br>
+
+<p><span class="sc">Ma chère mère</span>,</p>
+
+<p>«Nous aurons mis à la voile, probablement avant que cette lettre ne vous
+soit parvenue. Fletcher m'a tant tourmenté, que je l'ai gardé à mon
+service; mais s'il ne se conduit pas bien à l'étranger, je le renverrai
+par un transport. J'ai un domestique allemand, qui a déjà été en Perse
+avec M. Wilbraham, et qui m'a été fortement recommandé par le docteur
+Butler de Harrow; si vous l'ajoutez à Robert et William, vous aurez tout
+le personnel dont se compose ma suite. J'ai des lettres de
+recommandation en abondance; je vous écrirai de tous les ports où nous
+toucherons; mais si mes lettres viennent à s'égarer, il ne faut pas vous
+en alarmer. Le continent marche bien; une insurrection a éclaté dans
+Paris; les Autrichiens sont en train de battre Bonaparte, et les
+Tyroliens se sont soulevés.</p>
+
+<p>«Voici mon portrait à l'huile pour être renvoyé le plus tôt possible à
+Newstead. Je voudrais bien que les demoiselles P... eussent quelque
+chose de mieux à faire que d'emporter mes miniatures à Nottingham pour
+les copier. Puisque c'est fait maintenant, vous pourriez leur offrir de
+copier aussi les autres portraits, auxquels je tiens beaucoup plus qu'au
+mien. Quant aux finances, je suis ruiné, du moins jusqu'à ce que
+Rochdale soit vendu; si cela ne tourne pas bien, j'entrerai au service
+de l'Autriche ou de la Russie, peut-être même à celui de la Turquie, si
+leurs manières me conviennent. Le monde est devant moi; je quitte
+l'Angleterre sans regret et sans aucun désir de rien revoir de ce
+qu'elle contient, excepté <i>vous-même</i> et votre résidence actuelle.</p>
+
+<p>»<i>P. S.</i> Dites, je vous prie, à M. Rushton que son fils se porte bien et
+va bien; il en est de même de Murray; en vérité, je ne l'ai jamais vu
+mieux: il sera de retour dans un mois. Au nombre de mes regrets je
+devrais compter celui de me séparer de ce fidèle serviteur; son grand
+âge me privera peut-être du plaisir de le revoir jamais. Pour Robert, je
+l'emmène; je l'aime, parce que, comme moi, il paraît être un animal sans
+amis en ce monde.»</p>
+
+<p>Ceux qui se rappellent la description poétique qu'il fait de l'état de
+son ame au moment de quitter l'Angleterre, pourront trouver étranges et
+choquantes la gaîté et la légèreté qui règnent dans les lettres que je
+vais transcrire ici. Mais dans un caractère comme celui de Lord Byron,
+ces éclats de vivacité extérieure ne sont pas du tout incompatibles avec
+un cœur intimement et profondément ulcéré<a id="footnotetag114" name="footnotetag114"></a>
+<a href="#footnote114"><sup class="sml">114</sup></a>, et le ton de gaîté et de
+bonne humeur qu'il y affecte ne rend que plus frappant le sentiment
+d'abandon et d'isolement qu'il y laisse quelquefois percer.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote114"
+name="footnote114"><b>Note 114: </b></a><a href="#footnotetag114">
+(retour) </a> On sait que le poète Cowper composa son
+ chef-d'œuvre de gaîté, <i>John Gilpin</i>, pendant une de ses
+ crises d'abattement mortel, et il dit lui-même: «Tout étrange
+ que cela puisse paraître, les ouvrages les plus bouffons que
+ j'aie écrits, le furent dans un moment de tristesse affreuse,
+ et peut-être ne les eussé-je jamais écrits sans cette même
+ tristesse.»<br>
+ <span class="rig">(<i>Note de Moore</i>.)</span><br>
+</blockquote>
+<br><br>
+<h3>LETTRE XXXV.</h3>
+
+<h4>À M. HENRY DRURY.</h4>
+
+<p class="rig">Falmouth, 25 juin 1809.</p><br><br>
+
+<p><span class="sc">Mon cher Drury</span>,</p>
+
+<p>«Nous partons demain par le paquebot de Lisbonne; nous avons été retenus
+jusqu'ici par le manque de vent et d'autres circonstances. Tout étant
+maintenant pour le mieux, demain soir à cette heure-ci nous serons
+embarqués sur ce vaste monde des eaux. Le paquebot de Malte ne devant
+pas partir pendant quelques semaines, nous avons résolu d'aller par
+Lisbonne, afin de voir le Portugal; de là par Cadix et Gibraltar, et
+puis nous reprenons notre première route, Malte et Constantinople, si
+tant est que le capitaine Kidd, notre brave commandant, entende bien la
+navigation, et nous conduise suivant la carte.</p>
+
+<p>»Voulez-vous avoir la bonté de dire au docteur Butler<a id="footnotetag115" name="footnotetag115"></a>
+<a href="#footnote115"><sup class="sml">115</sup></a>, qu'à sa
+recommandation j'ai pris à mon service un Prussien, Friese, la perle des
+domestiques? Il s'est trouvé parmi les adorateurs du feu en Perse, a vu
+Persépolis et tout ce qui s'en suit.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote115"
+name="footnote115"><b>Note 115: </b></a><a href="#footnotetag115">
+(retour) </a> En se réconciliant avec le docteur Butler, au
+ moment de son départ, Byron donna une nouvelle preuve de la
+ bonté de son caractère, irritable sans doute, mais étranger à
+ toute idée de haine ou de rancune. Il avait préparé des
+ corrections pour une nouvelle édition de ses <i>Heures
+ d'oisiveté</i>, où il remplaçait les épigrammes contre ce
+ professeur, par son éloge et l'aveu des torts qu'il se
+ reprochait envers lui.<br>
+ <span class="rig"> (<i>Note de Moore</i>.)</span><br>
+</blockquote>
+
+<p>»Hobhouse a fait de formidables préparatifs pour publier ses voyages au
+retour; un cent de plumes, deux gallons d'encre<a id="footnotetag116" name="footnotetag116"></a>
+<a href="#footnote116"><sup class="sml">116</sup></a>, plusieurs livres
+blancs, etc., tout cela pour le plus grand avantage d'un public éclairé.
+J'ai renoncé à rien écrire pour mon propre compte, mais j'ai promis de
+lui fournir un ou deux chapitres de mœurs, etc., etc.</p>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p> Le coq chante, il faut partir; je ne saurais vous en dire davantage.</p>
+
+<p class="rig"> (<i>Ghost of Gaffer Thumb</i>.)<br></p><br>
+</div></div>
+
+<p>«Adieu, croyez-moi, etc., etc.»</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote116"
+name="footnote116"><b>Note 116: </b></a><a href="#footnotetag116">
+(retour) </a> Un peu moins de dix pintes de Paris.
+<span class="rig"> (<i>N. du Tr.</i>)</span><br>
+</blockquote>
+
+<br><br>
+<h3>LETTRE XXXVI.</h3>
+
+<h4>À M. HODGSON.</h4>
+
+<p class="rig">Falmouth, 25 juin 1809.</p><br><br>
+
+<p><span class="sc">Mon cher Hodgson</span>,</p>
+
+<p>«Avant que la présente ne vous parvienne, Hobhouse, deux femmes
+d'officiers, trois enfans, deux filles de chambre, deux subalternes pour
+la troupe, trois seigneurs portugais et leurs domestiques, enfin
+moi-même, en tout dix-neuf ames, nous aurons mis à la voile pour
+Lisbonne, sous la conduite du noble capitaine Kidd, aussi brave marin
+qu'aucun qui ait jamais passé en contrebande un quartaut de spiritueux.</p>
+
+<p>»Nous allons à Lisbonne d'abord, parce que le paquebot de Malte est déjà
+parti, voyez-vous? De Lisbonne à Gibraltar, Malte, Constantinople <i>et
+cœtera</i>, comme dit éloquemment l'orateur Henley, quand il mit en danger
+l'église <i>et cœtera</i>.</p>
+
+<p>»Cette ville de Falmouth, comme vous le devinez presque déjà, n'est pas
+située fort loin de la mer. Elle est défendue de ce côté par deux
+châteaux, Saint-Maws et Pendennis, extrêmement bien calculés pour
+tourmenter tout le monde, excepté l'ennemi. Saint-Maws a pour garnison
+un individu très-valide, âgé seulement de quatre-vingts ans; c'est du
+reste un homme veuf. C'est à lui qu'est dévolu le commandement absolu et
+la direction de six pièces de siége, les moins dirigeables possible,
+admirablement adaptées pour la destruction de Pendennis qui est une
+autre tour de même force sur l'autre côté du canal. Nous avons visité
+Saint-Maws; pour Pendennis, on ne nous l'a laissé voir qu'à distance,
+parce qu'on nous soupçonnait, Hobhouse et moi, d'avoir déjà pris
+Saint-Maws par un coup de main.</p>
+
+<p>»La ville contient beaucoup de quakers et de poisson salé; les huîtres y
+ont un goût de cuivre, parce que le pays est plein de mines; les femmes
+(bénie soit pour cela la corporation!) sont fouettées derrière une
+charrette quand elles se permettent de voler en petit ou en grand; et
+c'est ce qui est arrivé hier vers midi à une personne du beau sexe. Elle
+était entêtée et a envoyé le maire à tous les diables...</p>
+
+<p>»Hodgson! rappelez-moi au souvenir de Drury, et rappelez-moi à votre
+propre souvenir... quand vous serez ivre; je ne suis pas digne d'occuper
+les pensers d'un homme à jeun. Ayez l'œil à ma satire chez Cawthorn,
+dans Cockspur-Street...</p>
+
+<p>»J'ignore quand je pourrai vous écrire de nouveau, car cela dépend de
+notre expérimenté capitaine, le brave Kidd, et «des vents orageux qui
+<i>ne</i> soufflent <i>pas</i> dans cette saison.» Je quitte l'Angleterre sans
+regret; j'y retournerai sans plaisir. Je suis comme Adam, le premier
+pécheur condamné à la déportation; mais je n'ai pas d'Ève, et je n'ai
+pas mangé de pomme, si ce n'est des pommes sures et sauvages. Ainsi
+finit mon premier chapitre.</p>
+
+<p>»Adieu. Tout à vous, etc.»</p>
+
+<p>Dans cette lettre étaient renfermées les strophes suivantes, dont nous
+regrettons de ne pouvoir rendre toute la gaîté et le naturel:</p>
+
+<p>En rade de Falmouth, 30 juin 1809.</p>
+
+<p>1. Hourra! Hodgson, nous voilà partis; l'embargo est à la fin levé: une
+brise favorable agite les voiles, et les frappe contre le mât, au-dessus
+duquel le pavillon de partance déploie ses orbes onduleux. Attention! le
+coup de canon est tiré. Les cris des femmes effrayées et les juremens
+des matelots nous avertissent que le moment est venu. Voici monter à
+bord un coquin de douanier; il faut tout ouvrir, tout montrer, malles,
+caisses, etc. Malgré tant de bruit et de fracas, il faut que le plus
+petit trou à rats soit visité, avant qu'on ne nous permette de partir à
+bord du paquebot de Lisbonne.</p>
+
+<p>2. Nos matelots détachent les amarres; tout le monde aux rames. Le
+bagage descend de dessus le quai; nous sommes impatiens. En avant,
+poussez loin du rivage. «Prenez garde! cette caisse renferme des
+liquides. Arrêtez le bateau, je me sens malade: oh! mon Dieu!»--«Malade!
+madame; le diable m'emporte, vous le serez bien davantage quand vous
+aurez été seulement une heure à bord.» Hommes, femmes, maîtres et
+valets, maîtresses et servantes, pressés les uns contre les autres comme
+des bâtons de cire, crient, se démènent et s'agitent. Que de bruit, que
+de fracas avant que nous n'atteignions le paquebot de Lisbonne!</p>
+
+<p>3. Enfin nous l'avons atteint! Voilà le capitaine, le brave Kidd, qui
+commande son équipage. Les passagers sont parqués dans leur logement,
+les uns pour y grogner, les autres pour y vomir tout à leur aise. «Holà
+hé! appelez-vous cela une chambre? Cela n'a pas trois pieds carrés; il
+n'y aurait pas de quoi contenir la reine Mab<a id="footnotetag117" name="footnotetag117"></a>
+<a href="#footnote117"><sup class="sml">117</sup></a>. Qui diable peut loger
+là-dedans?»--«Qui, monsieur? beaucoup de monde. Vingt seigneurs à la
+fois ont rempli mon navire.»--«Vraiment! Jésus mon Dieu, comme vous nous
+pressez! Plût à Dieu que vos vingt seigneurs y fussent encore! j'aurais
+échappé à la chaleur et au bruit qui règnent à bord de ce beau navire,
+le paquebot de Lisbonne.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote117"
+name="footnote117"><b>Note 117: </b></a><a href="#footnotetag117">
+(retour) </a> <i>Queen mab</i>; voyez, dans Shakspeare, la charmante
+ description de cette petite reine des fées et de son petit
+ équipage.</blockquote>
+
+<p>4. «Fletcher! Murray! Rob<a id="footnotetag118" name="footnotetag118"></a>
+<a href="#footnote118"><sup class="sml">118</sup></a>! où êtes-vous? étendus sur le pont comme
+des bûches! Un coup de main, vous, joli matelot; voilà un bout de corde
+pour fouetter ces chiens-là.» Hobhouse murmure des juremens affreux en
+roulant le long de l'écoutille; il vomit alternativement des vers et son
+déjeuner, et nous envoie tous à tous les diables. «Voilà une stance sur
+la maison de Bragance... Au secours!»--«Un couplet?»--«Non, une tasse
+d'eau chaude.»--«Qu'est-ce qu'il y a?»--«Diable! mon foie me vient sur
+le bord des lèvres! Je ne survivrai jamais au bruit et au fracas de ce
+navire brutal, le paquebot de Lisbonne.»</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote118"
+name="footnote118"><b>Note 118: </b></a><a href="#footnotetag118">
+(retour) </a> Abréviation pour Robert.</blockquote>
+
+<p>5. Enfin, nous voilà en route pour la Turquie; Dieu sait quand nous en
+reviendrons! Les vents violens et les sombres tempêtes peuvent en un
+moment briser notre vaisseau. Mais puisque, de l'avis des philosophes,
+la vie n'est qu'une plaisanterie, le mieux est encore de rire. Rions
+donc, comme je fais maintenant; rions de tout, des grandes et des
+petites choses. Bien portans ou malades, à la mer ou sur terre, tant que
+nous avons de quoi boire abondamment, rions. Que diable! peut-on se
+soucier d'autre chose? Holà hé! de bon vin! qui voudrait s'en laisser
+manquer, même à bord du paquebot de Lisbonne?<br>
+<span class="rig">BYRON.</span><br></p>
+
+<p>Le 2 juillet, le navire mit à la voile de Falmouth; et après une
+heureuse traversée de quatre jours et demi, nos voyageurs arrivèrent à
+Lisbonne, et se logèrent dans cette ville.</p>
+
+<p>Lord Byron citait souvent une étrange anecdote que le capitaine Kidd,
+commandant du paquebot, lui avait racontée pendant la traversée. Cet
+officier lui dit qu'une nuit, étant endormi, il fut réveillé par le
+poids de quelque chose de lourd sur son estomac, et qu'à l'aide d'une
+petite clarté qui régnait dans sa chambre, il reconnut distinctement le
+corps de son frère qui, à cette époque, servait aux grandes Indes dans
+la marine royale, revêtu de son uniforme et couché en travers sur son
+lit. Pensant que c'était une illusion de ses sens, il ferma les yeux, et
+essaya de dormir. Mais la même pression se fit encore sentir, et chaque
+fois qu'il se hasarda à ouvrir les yeux, il vit la même figure couchée
+en travers sur lui dans la même position. Pour ajouter encore à ce que
+cet événement avait de merveilleux, en étendant la main pour toucher ce
+fantôme, il sentît que l'uniforme dont il paraissait couvert était tout
+dégouttant d'eau. À l'arrivée d'un de ses camarades qu'il appela au
+secours, l'apparition s'évanouit; mais quelques mois après, il reçut
+l'accablante nouvelle que son frère était mort cette nuit-là même, noyé
+dans les mers des Indes. Le capitaine Kidd n'avait pas le plus léger
+doute sur la réalité de cette apparition surnaturelle.</p>
+
+<p>Les lettres suivantes de Lord Byron à son ami Hodgson, quoique écrites
+avec une gaîté et une légèreté d'écolier, donneront quelque idée de
+l'impression que lui fit son séjour à Lisbonne. De telles lettres, qui
+contrastent si fortement avec les nobles stances sur le Portugal, qui se
+trouvent dans le <i>Childe Harold</i>, montreront combien son imagination
+était versatile, et sous combien d'aspects différens il pouvait
+envisager les mêmes choses suivant les différentes dispositions d'esprit
+où il était.</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE XXXVII.</h3>
+
+<h4>À M. HODGSON.</h4>
+
+<p class="rig">Lisbonne, 16 juillet 1809.</p><br><br>
+
+<p><span class="sc">Mon cher Hodgson</span>,</p>
+
+<p>«Jusqu'ici nous avons poursuivi notre route; nous avons vu des choses
+magnifiques, des palais, des couvens; mais comme tout cela se trouvera
+écrit au large dans le premier volume de voyages de mon ami Hobhouse, je
+ne veux point anticiper, ni le voler, en fraudant le plus petit détail,
+et vous le communiquant ainsi d'une manière clandestine dans une lettre.
+Tout ce que je puis me permettre de vous dire, c'est que le village de
+Cintra, dans l'Estramadoure, est peut-être le plus beau village du
+monde...............................................</p>
+
+<p>»Je suis très-heureux ici, parce que j'aime les oranges, et que je parle
+mauvais latin aux moines, qui le comprennent d'autant mieux, qu'il est
+plus semblable au leur. Et puis je vais en société (avec mes pistolets
+de poche). Et puis je nage dans le Tage, que j'ai traversé d'un seul
+coup. Et puis je monte à cheval sur un âne ou sur une mule. Et puis j'ai
+attrapé la diarrhée, et j'ai été piqué par les mosquites: mais qu'est-ce
+que cela fait? on ne doit point chercher ses aises quand on fait une
+partie de plaisir.</p>
+
+<p>«Quand les Portugais font les méchans, je dis <i>caracho</i>! le grand juron
+des fashionables de ce pays-ci, et qui remplace parfaitement notre
+<i>damnation</i>. Quand je suis mécontent de mon voisin, je l'appelle <i>combro
+de merda</i>; avec ces deux phrases et une troisième, <i>cobra burro</i>, qui
+signifie: procurez-moi un âne, je suis universellement reconnu pour un
+homme de distinction, et qui parle fort bien toutes les langues. Quelle
+joyeuse vie nous menons, nous autres voyageurs!... si nous avions la
+nourriture et le vêtement. Mais sérieusement, et par malheur trop
+sérieusement parlant, tout au monde est préférable à l'Angleterre; et
+jusqu'ici je m'amuse beaucoup de mon voyage.</p>
+
+<p>»Demain, nous partons pour faire à cheval plus de quatre cents milles en
+poste, jusqu'à Gibraltar, où nous nous embarquerons pour Mélite et
+Byzance. Une lettre me parviendrait à Malte, ou me serait envoyée si
+j'étais absent. Embrassez, je vous prie, les Drury, les Dwyer, et tous
+les Éphésiens que vous rencontrerez. J'écris en ce moment avec le crayon
+qui m'a été donné par Butler, ce qui rend ma mauvaise main pire encore.
+Excusez mon <i>illisibilité</i>...</p>
+
+<p>»Hodgson! envoyez-moi les nouvelles, les morts et les défaites, les
+crimes capitaux et les malheurs de mes amis. Donnez-moi quelques détails
+sur les sujets littéraires, les controverses et les critiques; tout cela
+me sera agréable: <i>Suave mari magno</i>, etc. En parlant de cela, j'ai été
+malade à la mer et de la mer. Adieu...</p>
+
+<p>»Votre affectionné, etc.»</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE XXXVIII.</h3>
+
+<h4>À M. HODGSON.</h4>
+
+<p class="rig">Gibraltar, 6 août 1809.</p><br><br>
+
+<p>«Je viens d'arriver dans cette ville après un voyage de près de cinq
+cents milles, à travers le Portugal et une partie de l'Espagne. Nous
+allâmes à cheval de Lisbonne à Séville et à Cadix, et de là nous
+montâmes à bord de la frégate <i>l'Hypérion</i> pour nous rendre ici. Les
+chevaux sont excellens, nous faisions soixante-dix milles par jour. Des
+œufs, du vin, des lits bien durs, sont toutes les commodités qu'offre la
+route; mais sous un climat aussi brûlant, c'est bien assez. Ma santé est
+meilleure qu'en Angleterre.</p>
+
+<p>»Séville est une belle ville, et la Sierra Moréna est une montagne bien
+digne de ce nom; mais le diable emporte les descriptions! elles sont
+toujours ennuyeuses. Cadix! délicieuse Cadix! c'est le plus beau point
+de la terre..., et la beauté de ses rues et de ses bâtimens ne le cède
+qu'à l'amabilité de ses habitans. Car, préjugé national à part, je dois
+avouer que les femmes de Cadix sont aussi supérieures en beauté aux
+femmes anglaises, que les Espagnols sont inférieurs aux Anglais pour
+toutes les qualités qui donnent de la dignité au nom d'homme... Au
+moment où je commençais à faire quelques connaissances dans la ville, je
+fus obligé d'en partir.</p>
+
+<p>»Vous n'attendez pas de moi une longue lettre après une telle course à
+cheval, «sur ces rosses d'Asie à l'embonpoint hypocrite.» En parlant
+d'Asie, cela me fait penser à l'Afrique, qui n'est qu'à cinq milles de
+ma demeure actuelle; j'y veux aller me promener avant de partir pour
+Constantinople...</p>
+
+<p>«Cadix est une vraie Cythère; beaucoup de grands d'Espagne s'y sont
+réfugiés, après avoir quitté Madrid à la suite des troubles: c'est, je
+crois, la plus jolie ville et la plus propre de l'Europe. Londres est
+sale en comparaison... Les Espagnoles se ressemblent toutes; leur
+éducation est la même. La femme d'un duc est comme la femme d'un paysan
+sous le rapport de l'instruction; et pour les manières, la femme d'un
+paysan a les mêmes que la duchesse. Certainement elles sont séduisantes;
+mais elles n'ont qu'une idée dans la tête, et l'unique affaire de toute
+leur vie est l'intrigue...</p>
+
+<p>«J'ai vu sir John Carr à Séville et à Cadix; et comme le barbier de
+Swift, je l'ai supplié de ne me point faire figurer dans son journal.
+Rappelez-moi, je vous prie, au souvenir des Drury et des Davies et de
+tous ceux de ce genre-là qui sont encore en vie<a id="footnotetag119" name="footnotetag119"></a>
+<a href="#footnote119"><sup class="sml">119</sup></a>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote119"
+name="footnote119"><b>Note 119: </b></a><a href="#footnotetag119">
+(retour) </a> Des recommandations de ce genre, dit M. Hodgson,
+ dans une note au bas de la copie de cette lettre, se trouvent
+ à chaque pas dans sa correspondance. Il ne se contentait pas
+ de s'informer de la santé de ses amis et de leur donner cette
+ marque de souvenir. Si l'on pouvait savoir tout ce qu'il a
+ fait pour ses nombreux amis, certes il paraîtrait bien digne
+ d'en avoir eu. Pour moi, je me fais un plaisir de reconnaître
+ avec les sentimens de la plus vive gratitude, qu'il est venu
+ généreusement et bien à propos à mon secours; et si mon
+ pauvre ami Bland vivait encore, il rendrait aussi de grand
+ cœur le même hommage à la mémoire de Byron, quoique, après
+ tout, je sois de tous les hommes celui qui lui doit le plus
+ de reconnaissance.<br>
+ <span class="rig">(<i>Note de Moore</i>.)</span><br>
+</blockquote>
+
+<p>Envoyez-moi une lettre et des nouvelles à Malte. Ma première sera datée
+du Caucase ou de la montagne de Sion. Je repasserai en Espagne avant de
+me rendre en Angleterre, car je suis amoureux de ce pays. Adieu, etc.»</p>
+
+<p>Dans une lettre à Mrs. Byron, datée de Gibraltar, quelques jours après,
+il répète les mêmes détails sur son voyage, mais un peu plus étendus.
+«Pour faire compensation, dit-il, à la saleté de Lisbonne et de ses
+habitans, le village de Cintra, situé à quinze milles environ de cette
+capitale, est peut-être, sous tous les rapports, le plus délicieux de
+l'Europe; il renferme des beautés de toute espèce, naturelles et
+artificielles. Des palais et des jardins s'élevant au milieu des
+rochers, des cataractes et des précipices; des couvens sur des hauteurs
+prodigieuses. Dans le lointain la vue de la mer et du Tage, et, en
+outre, quoique ce ne soit qu'une circonstance bien secondaire, ce
+village est remarquable comme étant le lieu où fut signée la fameuse
+<i>convention</i> de sir H*** D**<a id="footnotetag120" name="footnotetag120"></a>
+<a href="#footnote120"><sup class="sml">120</sup></a>. Il réunit l'apparence sauvage et
+pittoresque des montagnes de l'Écosse avec la verdure et la fécondité du
+midi de la France. Près de là est le palais de Mafra, l'orgueil des
+Portugais, et qui serait admiré dans tous les pays du monde sous le
+rapport de la magnificence, mais non sous celui de l'élégance. Un
+couvent y est annexé; les moines sont assez polis, et entendent le
+latin, de sorte que nous eûmes ensemble une longue conversation. Ils ont
+une belle bibliothèque, et me demandèrent si <i>les Anglais</i> avaient <i>des
+livres</i> dans leur pays.»</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote120"
+name="footnote120"><b>Note 120: </b></a><a href="#footnotetag120">
+(retour) </a> Le colonel Napier, dans une note à son excellente
+ <i>Histoire de la guerre de la Péninsule</i>, relève l'erreur dans
+ laquelle Byron est tombé avec plusieurs autres; la convention
+ dont il s'agit ayant été signée à trente milles de
+ Cintra.--Voy. <i>Childe Harold</i>, chant Ier.<br>
+ <span class="rig">(<i>Note de Moore</i>.)</span><br>
+</blockquote>
+
+<p>Il raconte ensuite dans la même lettre une aventure qui lui arriva à
+Séville, et qui peut donner une juste idée de lui-même et du pays où il
+se trouvait:</p>
+
+<p>«Nous logeâmes dans la maison de deux dames espagnoles non mariées, qui
+possèdent six maisons à Séville, et me donnèrent un curieux modèle des
+manières espagnoles. Ce sont des dames de qualité: l'aînée est une fort
+belle femme; la seconde est agréable, mais elle n'est pas d'un port
+aussi avantageux que dona Josepha. La liberté de manières qui est
+générale ici m'étonna d'abord beaucoup; dans la suite de mes
+observations, j'eus lieu de remarquer que la réserve n'est pas le
+caractère dominant des Espagnoles, qui, en général, sont très-bien, avec
+de grands yeux noirs et de fort belles formes. L'aînée honora votre fils
+indigne d'une attention toute particulière, elle m'embrassa au moment de
+mon départ (je n'y avais demeuré que trois jours). Elle coupa une boucle
+de mes cheveux, et me fit cadeau d'une tresse des siens de trois pieds
+de long, que je vous envoie, et que je vous prie de vouloir bien me
+garder jusqu'à mon retour. Ses mots d'adieu furent: <i>Adios, tu hermoso!
+me gustas mucho</i>. «Adieu! beau cavalier, tu me plais beaucoup.» Elle
+m'offrit une partie de son propre appartement, que ma vertu ne me permit
+pas d'accepter; elle rit beaucoup, me dit que j'avais quelque amante en
+Angleterre, et ajouta qu'elle allait se marier à un officier de l'armée
+espagnole.»</p>
+
+<p>Parmi les beautés espagnoles, qui avaient excité en masse son
+imagination, il paraît qu'une dame était au moment de fixer plus
+particulièrement son attention:</p>
+
+<p>«Cadix, la délicieuse Cadix, est la plus agréable ville que j'aie encore
+vue; elle est bien différente de nos villes anglaises, excepté sous le
+rapport de la propreté; elle est aussi propre que Londres, mais pleine
+des plus belles femmes de l'Espagne; les belles de Cadix sont pour
+l'Espagne ce que sont les belles du Lancashire pour l'Angleterre.
+Précisément au moment où je venais d'être présenté à la grandesse, et
+que je commençais à l'aimer, je me suis vu obligé de quitter Cadix pour
+cet affreux Gibraltar; mais avant de rentrer en Angleterre, j'y veux
+faire une autre visite.</p>
+
+<p>»La veille de mon départ, j'étais à l'opéra dans la loge de l'amiral ***
+avec sa femme et sa fille. Elle est très-jolie dans le genre espagnol,
+qui, à mon avis, n'est pas inférieur au genre anglais pour la beauté
+proprement dite, et qui est bien plus séduisant. De longs cheveux noirs,
+des yeux noirs et languissans, un teint olive-claire et des formes plus
+gracieuses, quand elles sont animées par le mouvement, que n'en peut
+concevoir un Anglais, habitué à l'air nonchalant et apathique de ses
+belles compatriotes; ajoutez à cela la mise à la fois la plus décente et
+du meilleur goût, qui rend une beauté espagnole tout-à-fait
+irrésistible.</p>
+
+<p>»Mademoiselle *** et son jeune frère comprenaient un peu le français,
+et, après avoir témoigné ses regrets que je ne susse pas l'espagnol,
+elle me proposa de m'enseigner cette langue. Je ne pus répondre que par
+un profond salut, regrettant de quitter Cadix trop promptement pour
+faire tous les progrès qui eussent naturellement suivi mes études sous
+une si charmante directrice. Je me tenais debout, sur le derrière de la
+loge, qui ressemble assez à nos loges d'opéra (le théâtre est vaste,
+bien décoré, et la musique admirable), comme le font généralement les
+Anglais pour ne pas incommoder les dames qui sont devant, quand la belle
+espagnole déplaça une vieille femme, tante ou duègne, et m'ordonna de
+venir m'asseoir à côté d'elle, à une distance honnête de la maman. Le
+spectacle terminé, je m'étais éclipsé, et je traversais le passage avec
+plusieurs hommes, quand la dame, tournant la tête par hasard, m'appela,
+et j'eus l'honneur de la conduire jusqu'à la maison de l'amiral. J'ai
+reçu une invitation pour l'époque de mon retour à Cadix, et j'en
+profiterai certainement si je repasse par l'Espagne, en revenant
+d'Asie.»</p>
+
+<p>C'est à ces aventures, ou plutôt à ces commencemens d'aventures, qu'il
+fait allusion dans la première partie de ses <i>Souvenirs</i>; et c'est de la
+plus jeune de ses belles hôtesses de Séville qu'il dit qu'il devint
+amoureux, à l'aide d'un dictionnaire.</p>
+
+<p>«Pendant quelque tems, dit-il, je réussis très-bien dans mes études de
+langue et dans mon amour<a id="footnotetag121" name="footnotetag121"></a>
+<a href="#footnote121"><sup class="sml">121</sup></a>, jusqu'à ce que la dame prit une fantaisie
+pour une bague que je portais, et s'opiniâtra à ce que je la lui
+donnasse comme un gage de ma sincérité. Cela était impossible, et je lui
+déclarai que tout ce que je possédais était à son service, excepté cette
+bague dont j'avais fait vœu de ne pas me séparer. La jeune Espagnole se
+fâcha, son amant ne tarda pas à se fâcher aussi, et l'affaire se termina
+par une froide séparation. Bientôt après je mis à la voile pour Malte,
+où je perdis à la fois et mon cœur et ma bague.»</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote121"
+name="footnote121"><b>Note 121: </b></a><a href="#footnotetag121">
+(retour) </a> Nous trouvons une allusion à cet incident dans
+ <i>Don Juan</i>:
+
+<p> «Il est agréable d'apprendre une langue étrangère des yeux et
+ des lèvres d'une femme... c'est-à-dire quand la maîtresse et
+ l'écolier sont jeunes tous les deux, comme il m'arriva à moi,
+ etc.»</p></blockquote>
+
+<p>Dans une lettre sur Gibraltar que nous venons de citer, il ajoute: «Je
+vais demain en Afrique, qui n'est qu'à six milles de cette forteresse.
+Mon premier séjour après sera Cagliari, en Sardaigne, où je serai
+présenté à sa majesté. J'ai un superbe uniforme pour habit de cour,
+indispensable à un voyageur.» Toutefois il ne mit pas à exécution son
+projet de visiter l'Afrique. Après un court séjour à Gibraltar, où il
+dîna une fois avec lady Westmoreland, et une autre avec le général
+Castaños, il partit de Malte, par le paquebot, le 19 août. Il avait
+renvoyé en Angleterre Joe Murray et le jeune Rushton, la santé de ce
+dernier ne lui permettant pas de l'accompagner plus long-tems.</p>
+
+<p>«Je vous prie, dit-il à sa mère, ayez toutes sortes de bontés pour cet
+enfant; car c'est mon grand favori<a id="footnotetag122" name="footnotetag122"></a>
+<a href="#footnote122"><sup class="sml">122</sup></a>.»</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote122"
+name="footnote122"><b>Note 122: </b></a><a href="#footnotetag122">
+(retour) </a>
+ Voici le <i>post-scriptum</i> de cette lettre:
+
+<p> «Ainsi lord G... est marié à une paysanne! c'est fort bien!
+ Si je me marie, je vous amènerai une sultane, avec une
+ demi-douzaine de villes pour dot; et pour vous réconcilier
+ avec une belle-fille ottomane, elle vous donnera un boisseau
+ de perles, pas plus grosses que des œufs d'autruche et pas
+ plus petites que des noix.»</p></blockquote>
+
+<p>Il écrivit aussi une lettre au père de cet enfant, qui donne une si
+bonne idée de la bonté et de la sensibilité de son ame, que j'ai grand
+plaisir à l'insérer ici.</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE XXXIX.</h3>
+
+<h4>À M. RUSHTON.</h4>
+
+<p class="rig">Gibraltar, 15 août 1809.</p><br><br>
+
+<p><span class="sc">M. Rushton</span>,</p>
+
+<p>«J'ai envoyé Robert en Angleterre avec M. Murray, parce que le pays que
+je vais traverser est dans une condition peu sûre, particulièrement pour
+un enfant aussi jeune. Je vous permets de garder vingt-cinq livres
+sterling par an pour son éducation, si je ne reviens pas avant cette
+époque, et je désire qu'il soit toujours considéré comme étant à mon
+service. Prenez-en le plus grand soin; qu'il soit envoyé à l'école. Dans
+le cas où je viendrais à mourir, j'ai eu soin dans mon testament de lui
+assurer une existence indépendante. Il s'est conduit extrêmement bien,
+et a beaucoup voyagé, en égard au peu de tems qu'a duré son absence.
+Vous déduirez les frais de son éducation de votre fermage.»<br>
+<span class="rig">BYRON.</span><br></p>
+
+<p>Ce fut le sort de Byron, pendant toute sa vie, de trouver partout où il
+alla des personnes qui, par leur caractère extraordinaire, ou les
+circonstances dans lesquelles elles s'étaient trouvées, étaient toutes
+disposées à sympathiser avec lui. C'est à cette attraction qui se
+trouvait en lui pour tout ce qui était étrange et <i>excentrique</i>, qu'il
+dut, à la fois, les plus agréables, comme aussi les plus pénibles
+liaisons qu'il ait formées dans sa vie. C'est dans la première classe
+que nous devrons ranger le commerce qu'il entretint avec une dame,
+pendant le court séjour qu'il fit à Malte. C'est cette même dame qu'il a
+désignée, dans le <i>Childe Harold</i>, sous le nom de Florence, et dont il
+parle ainsi à sa mère dans une lettre datée de Malte:</p>
+
+<p>«Cette lettre est confiée aux soins d'une femme bien extraordinaire dont
+vous avez déjà sans doute entendu parler, Mrs. Spenser Smith, sur la
+délivrance de laquelle le marquis de Salvo a publié une brochure, il y a
+quelques années. Elle a depuis éprouvé un naufrage, et sa vie a été, dès
+le commencement, fertile en incidens si extraordinaires, que, dans un
+roman, ils paraîtraient improbables. Elle est née à Constantinople, où
+son père, le baron H***, était consul d'Autriche. Elle fut mariée
+malheureusement, et cependant jamais sa réputation n'a souffert la plus
+légère atteinte. Elle a excité la vengeance de Bonaparte en prenant part
+à quelque conspiration, a vu plusieurs fois sa vie en danger; et n'a pas
+encore vingt-cinq ans. Elle est ici, se disposant à rejoindre son mari
+en Angleterre. L'approche des Français l'a forcée à s'embarquer sur un
+vaisseau de guerre, et à quitter précipitamment Trieste, où elle était
+allée faire une visite à sa mère. Depuis son arrivée je n'ai presque pas
+eu d'autre compagnie. Je l'ai trouvée très-agréable, très-bien élevée et
+extrêmement originale. Bonaparte est encore en ce moment si fort irrité
+contre elle, que sa vie serait peut-être en danger si on la faisait
+prisonnière une seconde fois.»</p>
+
+<p>Le ton dont notre poète lui parle dans <i>Childe Harold</i>, parfaitement
+d'accord avec ce qu'il vient d'en dire plus haut, respire l'admiration
+et l'intérêt, mais sans indiquer un sentiment plus vif.</p>
+
+<p>Aimable Florence! si ce cœur insouciant et flétri pouvait jamais être à
+une autre, il serait à toi; mais entraîné par toutes les vagues qui se
+succèdent, je n'ose pas brûler sur ton autel un indigne parfum, ou
+demander à ton âme chérie une seule pensée pour moi.</p>
+
+<p>C'est ainsi que raisonna Harold quand il jeta les yeux sur ceux de
+Florence; il y puisa une admiration profonde, mais nul autre sentiment,
+etc., etc.</p>
+
+<p>Dans un homme comme Byron, qui, en même tems qu'il a fait passer dans
+ses poésies bien des événemens de sa vie, a mis aussi tant de poésie
+dans son existence, il n'est pas toujours facile, en cherchant à
+analyser ses sentimens, de distinguer ceux qui furent réels d'avec ceux
+qui n'étaient qu'imaginaires. Par exemple la description qu'il nous
+donne ici de la froideur et de l'insensibilité avec lesquelles il
+contemplait même les charmes de cette séduisante personne est bien peu
+d'accord avec l'anecdote que je viens de citer d'après ses Mémoires,
+avec beaucoup de passages de ses lettres postérieures, mais surtout avec
+l'un de ses petits poèmes les plus gracieux, qu'il désigne comme adressé
+à cette même dame, pendant un orage, lorsque notre poète se rendait à
+Zitza.</p>
+
+<p>Malgré ces témoignages qui semblent se contredire, je serais assez porté
+à croire que la peinture qu'il nous fait de l'état de son cœur au
+commencement de <i>Childe Harold</i> est la seule vraie. L'idée qu'il était
+amoureux ne lui sera venue qu'après, quand l'image de la belle Florence
+se sera, pour ainsi dire, idéalisée dans son imagination, et qu'elle
+aura embelli d'un reflet d'amour le souvenir des heures agréables qu'ils
+avaient passées ensemble dans les îles de Calypso. On se rappellera
+qu'il attribue lui-même aux cœurs qui se sont livrés de bonne heure aux
+passions, et qui de bonne heure aussi en ont été désabusés, la froideur
+et le calme avec lesquels il contempla des appas même aussi séduisans
+que ceux de l'aimable Florence. Il y a toute raison de croire que telle
+était alors l'espèce de dégoût avec lequel il voyait tous les objets
+réels d'amour et de passion; et quoique son imagination pût toujours se
+créer des idoles, il continua, à son retour en Angleterre, de professer
+la même indifférence pour les plaisirs qu'il avait autrefois recherchés
+avec tant d'ardeur. Nul anachorète ne saurait en effet se vanter de plus
+d'apathie qu'il n'en montra à cette époque pour toutes les séductions de
+ce genre. Mais à vingt-trois ans, il est triste de ne devoir qu'à la
+satiété et au dégoût ce calme contre toutes les tentations: ce sont là
+de tristes auxiliaires de la vertu, et c'est une tranquillité achetée
+bien cher.</p>
+
+<p>Pendant son séjour à Malte, il fut, à la suite de quelque malentendu de
+peu d'importance, au moment de se battre en duel avec un officier de
+l'état-major du général Oakes. Il fait de fréquentes allusions à cet
+incident dans les lettres que nous lirons bientôt, et j'ai souvent
+entendu la personne qui lui servait de second, parler avec grand éloge
+du courage et du mâle sang-froid qu'il déploya dans toute cette affaire.
+Elle devait se vider de très-bonne heure; son ami fut obligé de
+l'arracher à un sommeil profond. Arrivés au lieu du rendez-vous, sur le
+bord de la mer, ils ne virent pas venir leurs adversaires, par suite de
+quelque erreur involontaire. Quoique ses bagages fussent déjà à bord du
+brick qui devait le transporter en Albanie, Lord Byron résolut
+d'attendre au moins encore une heure; et pendant à peu près tout ce
+tems, son ami et lui se promenèrent le long du rivage. À la fin ils
+virent venir à eux un officier envoyé par son adversaire, qui
+non-seulement l'excusa de ce retard, mais encore leur donna toutes les
+explications qu'ils pouvaient désirer sur ce qui avait fait le sujet
+même de la querelle.</p>
+
+<p>Le brick de guerre à bord duquel ils s'étaient embarqués, ayant ordre
+d'escorter une flotte de petits vaisseaux marchands à Patras et à
+Prévésa, ils restèrent deux ou trois jours à l'ancre en rade de cette
+première ville. Enfin ils arrivèrent à leur destination, et, après avoir
+vu en passant un coucher du soleil à Missolonghi, ils débarquèrent, le
+27 septembre, à Prévésa.</p>
+
+<p>Ceux qui pourraient désirer des détails sur le voyage de Lord Byron en
+Albanie, et ceux qu'il fit ensuite dans différentes parties de l'empire
+ottoman, en compagnie avec M. Hobhouse, les trouveront dans la relation
+qu'en a publiée ce dernier. Cet ouvrage, très-intéressant par lui-même,
+sous tous les rapports, le devient bien davantage par cette
+considération que nous y voyons Lord Byron comme présent à chaque page,
+et que nous y accompagnons, pour ainsi dire, ses premiers pas dans un
+pays au nom duquel il a pour jamais rattaché le sien. Comme j'ai entre
+les mains des lettres du noble poète à sa mère et quelques-unes plus
+curieuses encore qui, publiées pour la première fois, me mettent en état
+de donner ses propres descriptions et ses propres esquisses, je me
+contenterai, après avoir ainsi indiqué d'une manière générale le voyage
+de M. Hobhouse, d'en extraire quelques notes pour jeter plus de clarté
+sur la correspondance de son ami.</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE XL.</h3>
+
+<h4>À MRS. BYRON.</h4>
+
+<p class="rig">Prévésa, 12 novembre 1809.</p><br><br>
+
+<p><span class="sc">Ma chère mère</span>,</p>
+
+<p>«Voici quelque tems que je suis en Turquie; la ville que j'habite est
+sur la côte; mais j'ai déjà traversé l'intérieur de la province
+d'Albanie, en allant faire visite au pacha. J'ai quitté Malte, le 21
+septembre, à bord du brick de mer <i>le Spider</i> (l'Araignée), et je suis
+arrivé en huit jours à Prévésa. Déjà je suis allé environ cent cinquante
+milles plus loin, à Tebelen, maison de campagne de Sa Hautesse, où je
+suis resté trois jours. Le pacha se nomme Ali; on le regarde comme un
+homme de grands talens; il gouverne toute l'Albanie (l'ancienne
+Illyrie), l'Épire et une partie de la Macédoine. Son fils Vely-Pacha,
+pour lequel il m'a donné des lettres, gouverne la Morée, et a beaucoup
+d'influence en Égypte; en un mot, c'est un des plus puissans personnages
+de l'empire Ottoman. Quand, après un voyage de trois jours dans un pays
+montagneux et plein des beautés les plus pittoresques, j'arrivai à
+Janina, on me dit qu'Ali-Pacha avait quitté cette capitale, et qu'il
+était en Illyrie avec son armée, assiégeant Ibrahim-Pacha dans la
+forteresse de Bérat. Il avait appris qu'un Anglais de distinction était
+arrivé dans ses états, et avait laissé au commandant de Janina l'ordre
+de me fournir une maison, et de me procurer <i>gratis</i> tout ce qui me
+serait nécessaire. En conséquence, encore que l'on m'ait permis de faire
+quelques présens aux esclaves, etc., on n'a pas voulu me laisser payer
+la moindre chose de ce qui était entré dans la maison pour notre usage.</p>
+
+<p>»Je fis un tour dans la campagne sur les chevaux du vizir, et visitai
+ses palais, ainsi que ceux de ses petits-fils; ils sont magnifiques,
+mais trop chargés d'ornemens d'or et de soie. J'allai ensuite à travers
+les montagnes jusqu'à Zitza, village qui renferme un monastère grec où
+je couchai au retour. C'est la plus belle situation que j'aie jamais
+vue, en exceptant toujours Cintra en Portugal. Notre voyage fut beaucoup
+allongé par les torrens tombés des montagnes, et qui interceptaient les
+routes. Je n'oublierai jamais la scène singulière qui s'offrit à mes
+regards, quand j'entrai à Tebelen vers les cinq heures du soir, au
+moment du coucher du soleil. Elle me rappela, avec quelque changement de
+costume, bien entendu, la description que donne Scott, dans son <i>Lay</i>,
+du château de Branksome et du système féodal. Les Albanais avec leur
+habillement, le plus magnifique du monde, leur long jupon blanc, leur
+manteau broché d'or, leur veste et leur gilet de velours cramoisi lacé
+en or, leurs pistolets et leurs poignards montés en argent; les Tartares
+avec leurs hauts bonnets, les Turcs dans leurs turbans et leurs vastes
+pelisses, les soldats et les esclaves noirs avec leurs chevaux; les
+premiers groupés dans une grande galerie ouverte qui fait partie de la
+façade, les autres placés dans une sorte de cloître au-dessous; deux
+cents chevaux harnachés et prêts à être montés au moindre signal, des
+courriers allant et venant avec des dépêches, le bruit des timbales, des
+enfans qui crient l'heure, du haut du minaret, joint à la singularité du
+bâtiment lui-même, forment un coup-d'œil nouveau et délicieux pour
+l'étranger. Je fus conduit dans un fort bel appartement et le secrétaire
+du vizir vint s'informer de l'état de ma santé à la mode turque.</p>
+
+<p>«Le lendemain je fus présenté à Ali-Pacha. J'étais vêtu d'un uniforme
+d'officier d'état-major en grande tenue, avec un sabre magnifique, etc.
+Le vizir me reçut dans une grande pièce, pavée en marbre; une fontaine
+lançait de l'eau au milieu, et tout autour de la chambre étaient rangées
+des ottomanes couvertes d'une étoffe écarlate. Il me reçut debout,
+politesse extraordinaire pour un musulman, et me fit asseoir à sa
+droite. J'ai un Grec pour interprète; mais dans cette occasion ce fut un
+médecin d'Ali qui entend le latin, qui m'en servit. Sa première question
+fut, pourquoi j'avais quitté mon pays si jeune? Les Turcs n'ont pas
+l'idée qu'on puisse voyager pour son amusement. Il me dit ensuite que le
+ministre anglais, le capitaine Leake, l'avait prévenu que j'étais d'une
+grande famille, et me chargea de présenter ses respects à sa mère,
+commission dont je m'acquitte en ce moment. Il dit encore qu'il était
+sûr que j'étais noble, parce que j'avais les oreilles petites, les
+cheveux bouclés, les mains petites et blanches<a id="footnotetag123" name="footnotetag123"></a>
+<a href="#footnote123"><sup class="sml">123</sup></a>, et témoigna qu'il
+était content de ma figure et de mon costume. Il me dit de le regarder
+comme un père tant que je serais en Turquie, et qu'il veillerait sur moi
+comme sur son fils. Il me pria de le venir voir souvent, et surtout le
+soir quand il serait de loisir; on servit du café et des pipes; après
+quoi je terminai ma première visite, que je renouvelai trois fois. Il
+est singulier que les Turcs, qui n'ont pas de dignités héréditaires et
+peu de grandes familles, excepté les sultans, aient tant d'égards pour
+la naissance, car j'observai que ma généalogie m'en valait plus que mon
+titre de pair d'Angleterre<a id="footnotetag124" name="footnotetag124"></a>
+<a href="#footnote124"><sup class="sml">124</sup></a>...</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote123"
+name="footnote123"><b>Note 123: </b></a><a href="#footnotetag123">
+(retour) </a> Lord Byron avait autant que le pacha l'opinion que
+ la forme de la main peut indiquer la naissance; voyez dans
+ <i>Don Juan</i>, sa note sur le vers:
+
+<p class="mid">
+ <i>Though on more</i> thorough-bred <i>or fairer fingers</i>.</p>
+</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote124"
+name="footnote124"><b>Note 124: </b></a><a href="#footnotetag124">
+(retour) </a> Lors du voyage du docteur Holland en Albanie,
+ Ali-Pacha se rappelait parfaitement Lord Byron; il en parla
+ avec intérêt, et apprit avec plaisir qu'il avait donné, dans
+ un de ses ouvrages (<i>Childe Harold</i>), une description
+ poétique de l'Albanie, qui avait été fort goûtée en
+ Angleterre, et que son ami Hobhouse se disposait à publier
+ son voyage dans le même pays.</blockquote>
+
+<p>»J'ai vu aujourd'hui les restes de la ville d'Actium, près de laquelle
+Antoine perdit le monde dans une petite baie, où deux frégates
+manœuvreraient à peine aujourd'hui; un mur demi-renversé est l'unique
+vestige qui marque ce lieu célèbre. De l'autre côté du golfe se voient
+les ruines de Nicopolis, bâtie par Auguste en l'honneur de sa victoire.
+Hier soir, j'ai assisté à une noce grecque, mais je n'ai ni assez de
+tems, ni assez de place pour en donner la description, non plus que de
+mille autres choses.</p>
+
+<p>»Je vais demain, avec une escorte de cinquante hommes, à Patras dans la
+Morée, et de là à Athènes où je passerai l'hiver. Il y a deux jours,
+j'ai failli périr avec un vaisseau de guerre turc, par l'ignorance du
+capitaine et de l'équipage, quoique la tempête ne fût pas violente.
+Fletcher appelait sa femme, les Grecs appelaient leurs saints, les
+Musulmans appelaient Alla; le capitaine descendit dans la chambre, et
+nous dit tout en pleurs de nous recommander à Dieu. Les voiles étaient
+déchirées, la grande vergue rompue, le vent <i>fraîchissait</i>, la nuit
+arrivait; nous n'avions plus que deux chances devant nous, d'arriver à
+Corfou, qui est au pouvoir des Français, ou de descendre dans le liquide
+tombeau, comme Fletcher le disait pathétiquement. Je fis ce que je pus
+pour consoler celui-ci; mais le trouvant incorrigible, je m'enveloppai
+dans ma capote albanaise (immense manteau), et je me couchai tout de mon
+long sur le pont pour y attendre tout ce qui pourrait arriver de
+pire<a id="footnotetag125" name="footnotetag125"></a>
+<a href="#footnote125"><sup class="sml">125</sup></a>. J'ai appris dans mes voyages à avoir de la philosophie; et
+quand je n'en aurais pas eu, de quoi m'eût-il servi ici de me lamenter
+et de me plaindre? Heureusement le vent mollit, et ne nous porta qu'à
+Souli sur le continent, où nous débarquâmes, et avec l'aide des naturels
+nous retournâmes à Prévésa. Je ne me confierai plus dorénavant à des
+matelots turcs, quoique le pacha ait mis à mes ordres une de ses propres
+galiotes pour me porter à Patras. En conséquence, je vais jusqu'à
+Missolonghi par terre, et de là je n'aurai qu'un petit golfe à traverser
+pour arriver à Patras. La première lettre de Fletcher sera pleine de
+merveilles; nous avons, une nuit, été perdus pendant neuf heures dans
+les montagnes, et depuis nous avons manqué de nous noyer. Dans les deux
+cas, Fletcher avait entièrement perdu la tête; la première fois par la
+peur, la famine et les bandits; la seconde par la peur seule. Ses yeux
+ont été un peu malades, je ne sais si c'est un effet des éclairs ou des
+pleurs qu'il a versés. Quand vous m'écrirez, adressez-moi vos lettres
+chez M. Strane, consul d'Angleterre, à Patras en Morée.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote125"
+name="footnote125"><b>Note 125: </b></a><a href="#footnotetag125">
+(retour) </a> J'ai entendu les compagnons de voyage de Byron
+ parler du sang-froid et du courage qu'il montra dans cette
+ occasion, d'une manière plus remarquable encore. Voyant qu'à
+ cause de son infirmité il ne pouvait être d'aucune utilité
+ pour l'exécution des manœuvres que leur position demandait,
+ non-seulement il est vrai qu'il s'enveloppa dans son manteau
+ et se coucha tranquillement, comme il le dit, mais ce qu'il
+ n'ajoute pas, c'est que, quand le danger fut passé, on
+ s'aperçut qu'il était profondément endormi.<br>
+ <span class="rig">(<i>Note de Moore</i>.)</span><br>
+</blockquote>
+
+<p>»J'aurais beaucoup d'incidens à vous raconter, qui, je crois, vous
+amuseraient; mais ils font confusion dans ma tête, comme ils en
+feraient, je crois, sur le papier, et je ne saurais du tout les mettre
+en ordre. J'aime beaucoup les Albanais; ils ne sont pas tous turcs,
+quelques-uns sont chrétiens; mais la différence de leur religion n'en
+met aucune dans leurs mœurs et dans leur conduite; on les regarde comme
+les meilleures troupes au service de la Turquie. Pendant ma route, j'ai
+passé deux jours en allant, et trois en revenant, dans une caserne à
+Salone; et jamais je n'ai trouvé de soldats plus supportables, quoique
+j'aie été dans les garnisons de Gibraltar et de Malte, et que j'aie vu
+bon nombre de troupes espagnoles, françaises, siciliennes et anglaises.
+On ne m'a rien volé, et j'ai toujours été le bienvenu à partager leurs
+vivres et leur lait. Il n'y a pas une semaine, qu'un chef albanais
+(chaque village a son chef qui est appelé primat), après nous avoir aidé
+à sortir de la galère turque, lors de notre malheur, nous nourrit et
+nous logea, moi et ma suite, composée de Fletcher, un Grec, deux
+Athéniens, un prêtre grec, et mon compagnon, M. Hobhouse, et refusa de
+recevoir autre chose qu'un certificat de la bonne réception qu'il nous
+avait faite. Comme je le pressais de prendre au moins quelques sequins,
+«non, répondit-il, je veux que vous m'aimiez, et non pas que vous me
+payiez.» Ce sont là ses propres paroles.</p>
+
+<p>»Vous ne sauriez croire quelle est la valeur de l'argent dans ce
+pays-ci. Je n'avais rien à payer d'après les ordres du visir, mais
+depuis j'ai toujours eu seize chevaux, et généralement six ou sept
+hommes à mon service; et je n'ai pas dépensé la moitié de ce qu'il m'en
+a coûté pour passer trois semaines à Malte, quoique le gouverneur, sir
+A. Ball, m'ait donné une maison gratis, et que je n'eusse qu'un seul
+domestique. Je serais bien aise que H... fît des remises régulières, car
+je n'ai pas intention de rester à perpétuité dans cette province; qu'il
+m'écrive chez M. Strane, consul d'Angleterre à Patras. Le fait est que
+la fertilité des plaines est extraordinaire, les espèces fort rares, ce
+qui explique que tout y soit à bon marché. Je vais à Athènes pour y
+apprendre le grec moderne, qui diffère beaucoup du grec ancien, quoique
+les racines en soient les mêmes. Je n'ai pas envie de retourner en
+Angleterre; et je ne le ferai que si j'y suis forcé, comme, par exemple,
+si H... me négligeait. Je n'entrerai pas cependant en Asie avant un an
+ou deux, car j'ai bien des choses à voir en Grèce, et peut-être
+passerai-je en Afrique, ou du moins dans la partie Égyptienne.</p>
+
+<p>»Fletcher, comme tous les Anglais, est fort mécontent, cependant il est
+un peu réconcilié avec la Turquie, depuis que le pacha lui a fait
+présent de quatre-vingts piastres, qui, eu égard à la valeur de l'argent
+ici, équivalent presque à dix guinées anglaises. Il n'a rien eu à
+souffrir, si ce n'est du chaud, du froid et de la vermine, fléaux de
+tous ceux qui couchent dans les chaumières, dans des gorges de
+montagnes, dans les pays froids, et dont j'ai eu ma part comme lui; mais
+il n'est pas brave et a peur des voleurs et des tempêtes. Il n'y a
+personne en Angleterre au souvenir de qui je désire me recommander, et
+dont je veuille avoir des nouvelles. Je voudrais seulement recevoir une
+lettre de vous, et une ou deux de H... sur l'état de mes affaires;
+dites-lui de m'écrire. Pour moi, je vous écrirai quand je pourrai, et
+vous prie de me croire votre affectionné fils,»<br>
+
+<span class="rig">BYRON.</span><br></p>
+
+<p>Vers le milieu de novembre, notre jeune voyageur quitta Prévésa et se
+dirigea vers la Morée, à travers l'Acarnanie et l'Étolie, accompagné de
+son escorte de cinquante Albanais.</p>
+
+<p>En conséquence il prit une bande d'hommes sûrs pour traverser les vastes
+forêts de l'Acarnanie, hommes nés pour la guerre, et dont les rudes
+travaux ont rembruni le teint, jusqu'à ce qu'il aperçut les flots
+blanchissans de l'Achéloüs, et qu'il vit de l'autre côté les plaines
+fertiles de l'Étolie.<br>
+<span class="rig">(<i>Childe Harold</i>, ch. II.)</span><br></p>
+
+<p>Sa description d'une scène de nuit à Utraikey, petite place située dans
+l'une des baies du golfe d'Arta, est sans doute restée gravée dans la
+mémoire de nos lecteurs. Le plaisir que leur a causé la sauvage beauté
+de cette peinture ne sera point diminué quand nous leur aurons fait
+connaître, d'après le récit de M. Hobhouse, les circonstances réelles
+sur lesquelles elle est fondée:</p>
+
+<p>«Le soir, les portes étaient fermées, et l'on faisait les préparatifs
+nécessaires pour nourrir nos Albanais. On tuait un bouc, on le faisait
+rôtir tout entier; quatre feux étaient allumés dans la cour, autour
+desquels les soldats s'asseyaient en quatre troupes différentes. Après
+avoir bu et mangé, la plupart d'entre eux, tandis que nous et les chefs
+étions assis sur le gazon, s'assemblèrent autour du plus grand feu, et
+là se mirent à danser en rond sans autre musique que leurs propres
+chansons, mais en déployant une énergie étonnante. Toutes ces chansons
+se rapportaient à quelques exploits de voleurs fameux. L'une d'elles,
+qui les occupa plus d'une heure, commençait ainsi: «Quand nous partîmes
+de Parga, nous étions soixante: puis venait le refrain:</p>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p class="i20"> Tous voleurs à Parga,</p>
+<p class="i20"> Tous voleurs à Parga.</p>
+<br>
+<p class="i20"> Κλεφτεις ποτε Παργα,</p>
+<p class="i20"> Κλεφτεις ποτε Παργα.</p>
+</div></div>
+
+<p>»Quand ils mugissaient cette strophe, ils tournaient en rond autour du
+feu, tombaient sur leurs genoux, rebondissaient, et puis tournaient de
+nouveau en répétant le même refrain. Le bruissement des vagues sur la
+rive caillouteuse où nous étions assis remplissait les intervalles du
+chant d'une musique peut-être moins monotone et certainement plus douce.
+La nuit était très-sombre; mais au reflet des feux nous apercevions un
+peu les bois, les rochers et le lac, qui, avec l'apparence sauvage des
+danseurs, offraient une scène qui n'eût pas été perdue entre les mains
+d'un artiste organisé comme l'auteur des <i>Mystères d'Udolphe</i>.»</p>
+
+<p>Après avoir traversé l'Acarnanie, nos voyageurs passèrent l'Acheloüs, et
+arrivèrent, le 21 novembre, à Missolonghi. Ici il est impossible de ne
+pas nous arrêter, et de ne pas songer d'avance à cette triste visite
+qu'il y fit quinze ans après, quand, au milieu de sa carrière, et dans
+toute la plénitude de sa réputation, il vint donner sa vie pour la cause
+de ce pays qu'il traversait alors comme un simple et jeune étranger. Si
+quelque esprit lui eût alors révélé ce qui devait arriver dans cet
+intervalle; s'il lui avait montré, d'un côté, les triomphes qui
+l'attendaient, le pouvoir que son génie varié obtiendrait sur les cœurs
+pour les élever ou les abaisser, pour les éclairer ou les rendre plus
+sombres; et s'il eût placé d'un autre côté les inconvéniens attachés à
+ce don funeste: la fatigue et le dégoût que l'imagination donne à l'ame;
+les ravages de ce feu intérieur qui dévore celui qui le possède, tandis
+qu'il éblouit les autres; l'envie que tant de grandeur excite parmi les
+autres hommes; la vengeance qu'ils tirent de celui qui les force à
+regarder si haut pour l'admirer; on peut se le demander, eût-il accepté
+la gloire à de telles conditions? N'aurait-il pas senti, au contraire,
+que c'était l'acheter à trop haut prix, et que cet état de guerre
+continuel contre le monde entier pendant sa vie ne serait que faiblement
+récompensé par une immortalité que ce même monde serait obligé de lui
+accorder après son trépas?</p>
+
+<p>À Missolonghi, il renvoya tous ses Albanais, à l'exception d'un seul,
+nommé Dervish, qu'il prit à son service, et qui demeura avec lui pendant
+tout le tems qu'il fut en Orient, avec Basile, le domestique que lui
+avait donné Ali-Pacha. Après avoir habité près de quinze jours à Patras,
+il se dirigea sur Vostitza. En approchant de cette ville, le sommet
+neigeux du Parnasse, s'élevant comme une tour de l'autre côté du golfe,
+s'offrit pour la première fois à ses yeux. Deux jours après, dans les
+bosquets sacrés de Delphes, il écrivit les stances que cette vue lui
+avait inspirées, et qui commencent ainsi:</p>
+
+<p>Ô toi, Parnasse! que je vois maintenant, non comme l'imagination te
+présente souvent dans les songes du poète endormi, etc.</p>
+
+<p>C'est vers cette époque que, se promenant à cheval, au pied du Parnasse,
+il vit dans les airs voler une troupe considérable d'aigles, phénomène
+qui semble avoir frappé son imagination d'une sorte de superstition
+poétique; car il y fait plus d'une fois allusion dans son journal. «Me
+rendant à la fontaine de Delphes (Castri), en 1809, je vis une troupe de
+douze aigles, et j'acceptai le présage, bien que Hobhouse soutînt,
+probablement par plaisanterie, que c'étaient des vautours. J'avais la
+veille composé les vers sur le Parnasse, dans <i>Childe Harold</i>; en voyant
+ces oiseaux, j'espérai qu'Apollon avait agréé mon hommage. Du moins,
+j'ai eu le nom et la réputation de poète dans l'âge réellement poétique
+de la vie, de vingt à trente. Si cela continuera, c'est une autre
+question.»</p>
+
+<p>Dans son journal, en racontant son départ de Patras, il cite une
+anecdote qui fera honneur à son humanité aux yeux de tous ceux qui ne
+seront point chasseurs. «Le dernier oiseau sur lequel j'ai tiré fut un
+aiglon, sur le bord du golfe de Lépante, près Vostitza. Il n'était que
+blessé, et je voulus le sauver; son œil était si brillant! Mais il
+languit et mourut en peu de jours. Je n'ai jamais essayé depuis et
+jamais je n'essaierai de tuer un autre oiseau.»</p>
+
+<p>Peu de choses étonnent autant les voyageurs en Grèce que l'extrême
+petitesse de ces pays qui ont occupé si long-tems les cent bouches de la
+renommée. «On pourrait, dit M. Hobhouse, sans trop presser son cheval,
+aller de Livadie à Thèbes et revenir entre le déjeuner et le dîner, et,
+sans bagage, faire facilement, en deux jours, le tour de la Béotie.»
+Après avoir visité en très-peu de tems les fontaines de Mémoire et
+d'Oubli, à Livadie, et les retraites d'Apollon Isménien, à Thèbes, nos
+voyageurs tournèrent enfin leurs pas vers Athènes, l'objet de leurs
+rêves poétiques, traversèrent le mont Cythéron, et arrivèrent en vue des
+ruines de Philé, la veille de Noël 1809.</p>
+
+<p>Quoique le poète nous ait laissé dans ses vers le témoignage immortel de
+l'enthousiasme avec lequel il contempla les scènes qui s'offrirent alors
+à ses regards, il n'est pas difficile de concevoir que, pour des
+observateurs superficiels, il put paraître spectateur insensible de
+mille choses qui jettent le voyageur ordinaire en extase, du moins en
+paroles. Il professa toute sa vie le plus souverain mépris pour tout ce
+qui est affecté, soit en matière de goût, soit en matière de morale;
+souvent il déguisa le sentiment vrai de son admiration sous un dehors
+d'indifférence et de moquerie par haine pour le charlatanisme de ceux
+qu'il voyait s'extasier à froid et sans rien ressentir réellement. Il
+faut avouer aussi qu'il étendait à des sentimens vrais, mais pour
+lesquels il n'éprouvait pas de sympathie, le dégoût que lui inspiraient
+ceux qui n'étaient qu'affectés; ainsi il ne comprit jamais le mérite et
+les jouissances d'un antiquaire ou d'un amateur d'objets d'art. «Je ne
+fais point de collections, dit-il dans une note de <i>Childe Harold</i>, et
+je ne les admire pas du tout.» Il ne faisait aucun cas des antiquités, à
+moins qu'elles ne se rattachassent à quelques grands noms ou à quelques
+grands événemens. Pour les objets d'art, il se contentait d'admirer leur
+effet général, sans se piquer d'aucune connaissance des détails. C'était
+à la nature, dans ses scènes solitaires de grandeur et de beauté, ou,
+comme à Athènes, brillante d'un éclat toujours le même au milieu des
+ruines de la gloire et des arts, qu'il payait sans restriction l'hommage
+de son ame ardente. Dans le petit nombre de notes sur les voyages qu'il
+a jointes à <i>Childe Harold</i>, l'on voit qu'il aime beaucoup mieux
+s'occuper des sites et du pittoresque qu'offrent les lieux qu'il a
+visités que des souvenirs classiques ou historiques qui peuvent s'y
+rattacher. En prose ou en vers, il revient à la vallée de Zitza avec
+plus de plaisir qu'à Delphes ou aux rives de la Troade; et ce qui le
+frappe le plus vivement dans la plaine d'Athènes, c'est que «la vue y
+est plus belle encore qu'à Cintra ou à Istamboul.» Où la nature
+pouvait-elle en effet avoir plus de droit à son adoration que dans ces
+contrées où il la voyait briller d'une beauté toujours jeune, toujours
+la même au milieu des ruines de ce que l'homme avait jugé le plus digne
+de durée? «Les institutions humaines périssent, dit Harris; mais la
+nature ne change pas.» Lord Byron a paraphrasé cette pensée<a id="footnotetag126" name="footnotetag126"></a>
+<a href="#footnote126"><sup class="sml">126</sup></a>, en
+l'embellissant:</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote126"
+name="footnote126"><b>Note 126: </b></a><a href="#footnotetag126">
+(retour) </a> Le passage renferme la substance de toute la
+ strophe:
+
+<p> «Malgré les diverses fortunes d'Athènes, considérée comme
+ cité, l'Attique est encore fameuse pour ses oliviers, et
+ l'Hymète pour son miel. Les institutions humaines périssent,
+ mais la nature ne change pas.»<br>
+ <span class="rig">(<i>Recherches philologiques</i>.)</span><br></p>
+
+<p> Je me rappelle que je fis un jour remarquer à Lord Byron
+ cette coïncidence, mais il m'assura qu'il n'avait jamais lu
+ cet ouvrage d'Harris.</p></blockquote>
+
+<p>Cependant ton ciel est aussi bleu, tes rochers aussi sauvages, tes
+bosquets aussi agréables, tes prairies aussi verdoyantes, ton olive
+aussi mûre, que quand tu florissais sous la protection de Minerve!
+L'Hymète offre encore aux hommes les trésors de son miel divin; libre
+voyageuse errante dans les plaines de l'air, l'abeille construit
+toujours gaîment sur tes montagnes sa forteresse parfumée. Apollon dore
+toujours de ses feux tes longs étés, et sous ses rayons brillent
+toujours les marbres de Mendeli! Les arts, la gloire, la liberté, tout
+passe, tout périt, excepté la nature, elle est toujours belle.<br>
+
+<span class="rig">(<i>Childe Harold</i>, ch. II.)</span><br></p>
+
+<p>Cette première visite à Athènes dura deux ou trois mois, pendant
+lesquels il ne laissa pas passer un seul jour sans consacrer quelques
+heures à parcourir les grands monumens du génie ancien, et sans évoquer,
+pour ainsi dire, du milieu de leurs ruines l'esprit des siècles écoulés.
+Il faisait aussi des excursions fréquentes dans différentes parties de
+l'Attique. Un jour qu'il visitait le cap Colonne, il fut au moment
+d'être enlevé par un parti de Maniotes cachés sous le rocher de Minerve
+Sunias. Ces pirates, à ce que lui raconta depuis un Grec qui alors était
+leur prisonnier, n'osèrent l'attaquer, persuadés que les deux Albanais
+qu'ils voyaient à ses côtés, n'étaient qu'une partie d'une escorte plus
+respectable laissée à portée de venir promptement à son secours.</p>
+
+<p>Outre le pouvoir magique de ses souvenirs et de son paysage, la ville de
+Minerve possédait un attrait d'une autre sorte pour notre poète, auquel,
+en quelque lieu qu'il portât ses pas, son cœur ou plutôt son imagination
+n'était que trop sensible. On dit que sa jolie romance: «Jeune vierge
+d'Athènes, avant que nous nous séparions,» fut adressée à la fille aînée
+de la dame grecque chez laquelle il était logé, et il est assez probable
+que la belle Athénienne ait été maîtresse de son imagination au moment
+où il composa ces vers. Théodora Macri, son hôtesse, était la veuve d'un
+vice-consul d'Angleterre; son principal revenu provenait de la location
+aux étrangers, et surtout aux voyageurs anglais, des appartemens
+qu'occupèrent alors Lord Byron et son ami; ce dernier nous en donne la
+description suivante: «Notre logement consistait en un salon et deux
+chambres à coucher, donnant sur une cour où se trouvaient cinq ou six
+citronniers, d'où l'on tira le fruit qui assaisonna notre pilau et les
+autres mets nationaux servis sur notre table frugale.»</p>
+
+<p>La renommée d'un poète illustre ne s'attache pas seulement à sa personne
+et à ses écrits, une partie se reflète sur tout ce qui a eu avec lui un
+rapport même éloigné. Non-seulement elle ennoblit les objets de ses
+amitiés, de ses amours et de ses goûts; mais les lieux même où il a
+vécu, où il a séjourné, acquièrent une célébrité qui ne s'efface pas
+aisément. La jeune fille d'Athènes, quand elle prêtait innocemment
+l'oreille aux complimens du jeune Anglais, ne se doutait guère qu'il dût
+rendre son nom et sa maison si célèbres, qu'à leur retour de Grèce, les
+voyageurs ne trouveraient rien de plus intéressant à donner à leurs
+lecteurs que les détails suivans sur elle et sa famille:</p>
+
+<p>«Nous rencontrâmes, dit M. Hobhouse, à la porte notre valet qui était
+allé devant pour nous chercher des logemens, et nous conduisit chez
+Théodora Macri, la veuve du vice-consul, où nous sommes actuellement.
+Cette dame a trois filles fort jolies; l'aînée est vraiment une beauté;
+c'est elle, dit-on, qui inspira à Lord Byron cette fameuse romance:</p>
+
+<p>Jeune vierge d'Athènes, avant que nous nous séparions, rends-moi,
+rends-moi mon cœur, etc., etc.</p>
+
+<p>»À Orchomènes, où était le temple des Grâces, je fus près de m'écrier:
+Où les grâces se sont-elles enfuies? Je ne m'attendais pas à les
+retrouver ici. Et cependant voici venir l'une avec des coupes dorées et
+du café, et l'autre avec un livre. Ce livre est un registre de noms, et
+il en est quelques-uns que la renommée est habituée à prononcer. Parmi
+eux se trouve celui de Lord Byron, lié aux vers que je vais transcrire:</p>
+
+<p>La noble Albion voit en souriant partir son fils pour aller visiter le
+berceau des arts; son but est noble; belle est l'entreprise; il vient à
+Athènes, et... écrit son nom.</p>
+
+<p>»En forme de contrepoids, Lord Byron écrivit au-dessous:</p>
+
+<p>Ce poète modeste, comme beaucoup de poètes inconnus, rimaille sur nos
+noms et cache le sien; mais quel qu'il soit, pour ne rien dire de pis,
+son nom lui ferait plus d'honneur que ses vers.</p>
+
+<p>»En écrivant ces mots, <i>les trois Grâces athéniennes</i>, j'ai, je n'en
+doute pas, fait naître votre curiosité et enflammé votre imagination, et
+je ne dois pas compter sur votre attention que je ne vous en aie donné
+quelque portrait. Leur appartement est justement en face du nôtre; et si
+vous pouviez les voir comme nous les voyons en ce moment à travers les
+plantes aromatiques qui se balancent doucement sur notre fenêtre, vous
+laisseriez votre cœur à Athènes.</p>
+
+<p>»Thérésa, la vierge d'Athènes, Katinka et Mariana sont de taille
+moyenne. Chacune d'elles porte sur le sommet de la tête une petite
+calotte albanaise de couleur rouge, surmontée d'une tassette bleue, qui
+s'étend et se rattache par le bas comme une étoile. Au bord de cette
+calotte est un mouchoir de couleurs variées roulé autour des tempes. La
+plus jeune porte ses cheveux détachés tombant sur les épaules presque
+jusqu'à la ceinture, et mêlés suivant l'usage avec des tresses de soie.
+Les cheveux des deux aînées sont le plus souvent attachés et retenus
+sous le mouchoir. Leur vêtement de dessus est une pelisse bordée de
+fourrures, tombant lâche jusqu'à la cheville; dessous est un mouchoir de
+mousseline qui couvre le sein et se termine à la taille qui est courte.
+En dessous est une robe de soie ou de mousseline rayée, s'élargissant un
+peu au-dessus de la ceinture, et retombant sur le devant d'une manière
+gracieuse et négligée; des bas blancs et des pantoufles jaunes
+complètent le costume. Les deux aînées ont les yeux et les cheveux
+noirs, le visage ovale, le teint un peu pâle et les dents d'une
+blancheur éblouissante. Leurs joues sont arrondies, leur nez droit avec
+quelque chose d'aquilin. La plus jeune, Mariana, est très-blonde; sa
+figure n'est pas aussi joliment arrondie, mais a une expression plus
+gaie que celle de ses sœurs, qui ont l'air assez pensif, excepté quand
+la conversation prend une tournure animée. Leur taille est élégante,
+leurs manières distinguées et susceptibles de plaire dans tous les pays
+possibles. Leur conversation est fort agréable, et leur esprit paraît
+plus cultivé que ne l'est généralement celui des dames grecques. Avec de
+tels avantages, il serait bien étonnant qu'elles n'attirassent pas
+l'attention des voyageurs qui visitent occasionnellement Athènes. Elles
+s'asseoient à la manière orientale, le corps légèrement incliné, les
+jambes ramassées sous elles sur le divan et sans souliers. Elles
+s'occupent à coudre, à jouer du tambour de basque et à lire.</p>
+
+<p>»J'ai dit que j'avais vu ces beautés grecques à travers les balancemens
+des plantes aromatiques qui décorent leurs fenêtres; peut-être cela
+pourrait-il vous donner une trop haute idée de leur position. Votre
+imagination vous représente peut-être déjà leurs maisons pleines de tous
+les attributs du luxe oriental. Les coupes d'or ont pu aussi opérer
+quelque enchantement sur vos idées. Avouez-le; ne vous représentez-vous
+pas--</p>
+
+<p>Les portes demi-ouvertes donnant sur de longues galeries où l'on ne
+saurait décrire tout ce que l'œil rencontre d'élégance et de grandeur;
+l'orgueil de la Turquie et de la Perse: des coussins jetés sur des
+coussins, des tapis sur des tapis, d'immenses ottomanes, des oreillers
+innombrables pour relever la tête, de manière que chaque appartement
+paraît un lit grand et moëlleux?</p>
+
+<p>»Vous verrez bientôt pourquoi j'ai différé jusqu'à ce moment; apprenez
+que les plantes aromatiques dont je viens de vous parler ne sont ni plus
+ni moins que quelques pauvres géraniums et quelques baumes grecs, et que
+la chambre dans laquelle se tiennent ces dames est presque dégarnie de
+meubles, que les murs n'en ont été ni peints ni décorés par une main
+habile. Que serait-il advenu de mes grâces, si je vous avais dit plus
+tôt qu'une seule chambre est tout le logement qu'elles possèdent, à
+l'exception d'un petit cabinet et d'une petite cuisine? Vous voyez
+combien j'ai pris soin que la première impression leur fût avantageuse;
+non qu'elles ne méritent toute espèce d'éloges, mais parce qu'il est
+dans la nature auguste et fière de l'homme de faire peu de cas du mérite
+et même de la beauté, si ces avantages ne sont pas relevés d'un peu de
+pompe mondaine. Maintenant je vais vous communiquer un secret, mais
+confidentiellement et à voix basse.</p>
+
+<p>»Ces dames, depuis la mort du vice-consul leur père, n'ont pas d'autres
+ressources pour exister que de louer à des étrangers la chambre et le
+cabinet que nous occupons dans ce moment; mais quoiqu'elles soient si
+pauvres, leur vertu n'est pas moins remarquable que leur beauté.</p>
+
+<p>»Et toutes les richesses de l'Orient ou tous les vers flatteurs du
+premier poète de l'Angleterre ne pourraient les rendre aussi réellement
+dignes d'amour et d'admiration<a id="footnotetag127" name="footnotetag127"></a>
+<a href="#footnote127"><sup class="sml">127</sup></a>
+.»</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote127"
+name="footnote127"><b>Note 127: </b></a><a href="#footnotetag127">
+(retour) </a> <i>Voyages en Italie, en Grèce</i>, etc., par H. W.
+ Williams.</blockquote>
+
+<p>Dix semaines s'étaient rapidement passées, quand l'offre inattendue d'un
+passage à bord d'une corvette anglaise détermina nos voyageurs à se
+préparer immédiatement au départ; et le 5 mars, ils quittèrent Athènes,
+quoique avec beaucoup de regret. «Après avoir passé, dit encore M.
+Hobhouse, par la porte qui conduit au Pyrée, nous lançâmes nos chevaux
+au galop dans le bois d'oliviers sur la route de Salamine, espérant par
+notre précipitation étourdir un peu la douleur du départ. Nous ne
+pouvions nous empêcher de regarder derrière nous en nous rendant au
+rivage, et nous continuâmes de fixer les yeux sur le point où à travers
+la clairière du bois, nous avions entrevu pour la dernière fois le
+temple de Thésée et les ruines du Parthénon; nous continuâmes ainsi
+plusieurs minutes après que la ville et l'Acropolis eurent entièrement
+disparu à notre vue.»</p>
+
+<p>À Smyrne, Lord Byron se logea dans la maison du consul général, et y
+demeura jusqu'au 11 avril, excepté deux ou trois jours qu'il employa à
+visiter les ruines d'Éphèse. Ce fut à cette époque qu'il termina les
+deux premiers chants de <i>Childe Harold</i>, comme on le voit par une note
+écrite de sa main sur le manuscrit original de ce poème: «Commencé le 31
+octobre 1809, à Janina en Albanie; fini le second chant, à Smyrne, le 28
+mars 1810.--<span class="sc">Byron</span>.»</p>
+
+<p>La seule lettre un peu intéressante, datée de Smyrne, que je puisse
+offrir au lecteur, est la suivante:</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE XLI.</h3>
+
+<h4>À MRS. BYRON.</h4>
+
+<p class="rig">Smyrne, 19 mars 1810.</p><br><br>
+
+<p><span class="sc">Ma chère Mère</span>,</p>
+
+<p>«Je ne puis pas vous écrire une longue lettre; mais comme je crois que
+vous ne serez pas fâchée de savoir où j'en suis de mes voyages, je vous
+prie d'accepter le peu de détails que je puis vous donner. J'ai traversé
+la plus grande partie de la Grèce, outre l'Épire, etc.; j'ai résidé dix
+semaines à Athènes, et je me rends maintenant à Constantinople par la
+route d'Asie. Je viens de visiter les ruines d'Éphèse, à une journée de
+Smyrne. J'espère que vous avez reçu une longue lettre que je vous ai
+écrite d'Albanie, où je vous donnais quelques détails sur la réception
+que m'a faite le pacha de cette province.</p>
+
+<p>»C'est en arrivant à Constantinople que je déciderai si je dois aller
+jusqu'en Perse, ou revenir sur mes pas. Je ne prendrai ce dernier parti
+que si je ne puis l'éviter. Mais je n'entends pas parler de M. H..., et
+je n'ai reçu de vous qu'une seule lettre. J'aurai besoin de fonds, soit
+que j'avance ou que je revienne. Je lui ai écrit plusieurs fois, pour
+qu'il ne prétende pas, pour s'excuser, qu'il ne connaissait pas ma
+situation. Je ne puis encore vous rien dire sur quoi que ce soit; le
+tems et l'occasion me manquent, car la frégate repart immédiatement. Il
+est vrai que plus je vais, plus ma paresse augmente; et mon aversion
+pour tout commerce épistolaire s'accroît de jour en jour. Je n'ai écrit
+à personne qu'à vous et à M. H..., et c'est moins par inclination que
+par devoir et par nécessité.</p>
+
+<p>»F*** est fort dégoûté par les fatigues, quoiqu'il n'en ait point enduré
+que je n'aie partagées. C'est une pauvre créature. Les domestiques
+anglais sont en vérité de détestables voyageurs. J'ai avec lui deux
+soldats albanais et un interprète grec, tous parfaits dans leur genre.
+La Grèce est délicieuse, surtout dans les environs d'Athènes. Partout
+des cieux sans nuages et des paysages charmans. Mais je dois remettre à
+notre première entrevue tout récit de mes aventures. Je ne tiens pas de
+journal, mais mon ami H... ne cesse d'écrire. Prenez soin, je vous prie,
+de Murray et de Robert, et dites à ce dernier qu'il est fort heureux
+pour lui qu'il ne m'ait pas accompagné en Turquie. N'attribuez cette
+lettre qu'au désir de vous assurer que je suis sain et sauf, et
+croyez-moi, etc.»<br>
+
+<span class="rig">BYRON.</span><br></p>
+
+<p>Le 11 avril, il partit de Smyrne sur la frégate <i>la Salsette</i>, qui avait
+reçu l'ordre de se rendre à Constantinople, pour ramener l'ambassadeur,
+M. Adair, en Angleterre; et après avoir exploré les ruines de la Troade,
+il arriva aux Dardanelles au commencement du mois suivant. Il écrivit
+les lettres qu'on va lire, à ses amis, MM. Drury et Hodgson, pendant que
+la frégate était à l'ancre dans ce détroit.</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE XLII.</h3>
+
+<h4>À M. DRURY.</h4>
+
+<p class="rig">A bord de la <i>Salsette</i>, 3 mai 1810.</p><br><br>
+
+<p><span class="sc">Mon cher Drury</span>,</p>
+
+<p>«Lorsque je quittai l'Angleterre, il y a bientôt un an, vous me priâtes
+de vous écrire. C'est ce que je me propose de faire. J'ai traversé le
+Portugal et le midi de l'Espagne, visité la Sardaigne, la Sicile, Malte,
+et de là j'ai poussé jusqu'en Turquie, où je suis encore à rôder.
+Débarqué d'abord en Albanie, l'Épire d'autrefois, j'ai pénétré jusqu'au
+mont Tomarit, parfaitement accueilli par le gouverneur, Ali-Pacha; et,
+après avoir parcouru l'Illyrie, la Chaonie, etc., j'ai traversé le golfe
+d'Actium avec une garde de cinquante Albanais, et passé l'Achéloüs pour
+me rendre en Étolie par l'Acarnanie.</p>
+
+<p>»Après un court séjour en Morée, nous avons traversé le golfe de
+Lépante, pris terre au pied du Parnasse, vu tout ce qui reste de
+Delphes, et continué ainsi jusqu'à Thèbes et Athènes, dans la dernière
+desquelles nous avons passé deux mois et demi.</p>
+
+<p>»Le vaisseau de S. M. <i>le Pylade</i> nous a transportés à Smyrne; mais nous
+avions auparavant étudié la topographie de l'Attique, sans oublier
+Marathon et le promontoire de Sunium. Après Smyrne, notre second relai
+fut la Troade, que nous visitâmes tandis que le navire était à l'ancre,
+où il resta pendant quinze jours, vis-à-vis la tombe d'Antiloque.
+Maintenant nous voilà dans les Dardanelles, en attendant le vent pour
+nous rendre à Constantinople.</p>
+
+<p>»Ce matin, j'ai parcouru à la nage le trajet de Sestos à Abydos. La
+distance directe n'est pas de plus d'un mille; mais, en raison du
+courant, la traversée n'est pas sans danger; il y en a même assez pour
+que je doute que l'affection conjugale de Léandre n'ait pas été un peu
+refroidie par le passage.</p>
+
+<p>»Je l'essayai il y a huit jours, mais je n'y pus réussir, à cause du
+vent du Nord et de l'étonnante rapidité du courant, quoique j'aie
+toujours été, depuis mon enfance, un rude nageur. Mais ce matin, par un
+tems plus calme, j'y suis parvenu, et j'ai traversé le <i>large
+Hellespont</i> en une heure dix minutes.</p>
+
+<p>»Eh bien, mon cher monsieur, j'ai quitté mon foyer, et visité quelques
+parties de l'Afrique et de l'Asie, outre une raisonnable portion de
+l'Europe. J'ai vécu avec des généraux et des amiraux, des princes et des
+pachas, des gouverneurs et des <i>ingouvernables</i>; mais je n'ai ni tems ni
+papier pour m'étendre. Je suis bien aise de vous dire que je conserve
+pour vous des souvenirs d'amitié, et que je vis dans l'espérance de vous
+revoir un jour; et si je vous écris aussi brièvement que possible,
+attribuez-le à tout autre cause qu'à l'oubli.</p>
+
+<p>»Vous connaissez trop bien la Grèce ancienne et moderne pour qu'il soit
+besoin de vous la décrire. J'ai, il est vrai, mieux vu l'Albanie
+qu'aucun autre Anglais, que je sache, excepté un M. Leake; car c'est un
+pays que l'on visite rarement, à cause du caractère farouche des
+<i>natifs</i>; il offre cependant plus de beautés pittoresques que les
+contrées classiques de la Grèce, malgré toutes les merveilleuses beautés
+de ces dernières, surtout vers Delphes et le cap Colonne en Attique.
+Elles sont loin néanmoins d'égaler certaines parties de l'Illyrie et de
+l'Épire, où des lieux sans nom et des rivières oubliées sur la carte et
+un jour peut-être mieux appréciées, obtiendront des peintres et des
+poètes la préférence sur les rigoles desséchées de l'Ilyssus, et les
+fondrières de la Béotie.</p>
+
+<p>»La Troade offre un champ vaste aux faiseurs de conjectures et aux
+tireurs de bécassines; un bon chasseur et un savant ingénieux peuvent
+sur ce terrain exercer avec grand avantage leurs jambes et leur
+entendement; ou, s'ils préfèrent aller à cheval, ils peuvent s'y tromper
+de route, comme cela m'est arrivé, et s'embourber dans un maudit
+marécage formé par le Scamandre, qui serpente deçà et delà comme si les
+vierges troyennes allaient encore lui apporter leur tribut accoutumé. Il
+n'existe aujourd'hui d'autres vestiges de Troie, ou de ses destructeurs,
+que les tertres qui renferment, à ce que l'on suppose, les squelettes
+d'Achille, d'Antiloque, d'Ajax, etc. Mais le mont Ida lève encore son
+front superbe; quoique les bergers de nos jours ne ressemblent guère à
+Ganymède. Mais à quoi bon vous parler plus long-tems de choses qui sont
+décrites tout au long dans le <i>book of Gell</i>? Et H*** n'a-t-il pas écrit
+un journal? Quant à moi, je n'en tiens pas; car j'ai renoncé à tout
+griffonnage. Je ne vois pas grande différence entre les Turcs et nous,
+si ce n'est qu'ils n'ont pas de <i>culottes</i>, et que nous en avons; qu'ils
+portent des habits longs, et nous des habits courts; qu'ils parlent peu,
+et nous beaucoup. Ce sont des gens fort raisonnables. Ali-Pacha m'a dit
+qu'il était sûr que j'étais né dans un rang élevé, par ce que j'ai les
+oreilles et les mains petites et des cheveux bouclés. Je vous dirai, en
+passant, que je parle passablement le romaïque ou grec moderne: il ne
+diffère pas des anciens dialectes autant que vous pourriez le penser;
+mais la prononciation en est diamétralement opposée. Quant à la poésie,
+si elle n'est rimée, ils n'en ont pas la moindre idée.</p>
+
+<p>»J'aime les Grecs. Ce sont des fripons adroits qui ont tous les vices
+des Turcs, sans avoir leur courage. Quelques-uns cependant sont braves:
+tous sont beaux, et ressemblent beaucoup au buste d'Alcibiade. Les
+femmes sont un peu moins belles. Je sais jurer en turc; mais, excepté un
+effroyable jurement et les mots qui signifient entremetteur, pain et
+eau, je connais peu le vocabulaire de cette langue. Ils sont extrêmement
+polis envers les étrangers de tout rang, pourvu qu'ils soient
+convenablement protégés; et comme j'ai deux domestiques et deux soldats,
+nous faisons grand fracas. Nous avons parfois couru risque d'être
+dévalisés, et une fois de faire naufrage; mais nous nous en sommes tirés
+le mieux du monde.</p>
+
+<p>»À Malte, j'ai été fort épris d'une femme mariée, et j'ai provoqué un
+aide-de-camp du général ***, grossier personnage, qui s'était offensé de
+quelque chose, je n'ai jamais bien su de quoi; mais il donna des
+explications, fit des excuses, la dame s'embarqua pour Cadix, et
+j'échappai ainsi à l'accusation de meurtre et d'adultère. J'ai envoyé
+quelques détails sur l'Espagne à notre ami Hodgson; mais depuis ce
+tems-là je n'ai écrit à personne, excepté quelques billets à des parens
+et à des gens de loi, pour m'en débarrasser. Je me propose de rompre
+tout commerce, à mon retour, avec plusieurs de mes meilleurs amis, que
+je regarde au moins comme tels, et de gronder toute ma vie. Mais
+j'espère, avant de me faire tout-à-fait cynique, rire encore de bon cœur
+avec vous, embrasser Dwyer, et trinquer avec Hodgson.</p>
+
+<p>»Dites au docteur Butler que je me sers en ce moment de la plume d'or
+qu'il me donna avant mon départ: c'est pour cela que ma pancarte est
+moins lisible qu'à l'ordinaire. J'ai été à Athènes, et j'ai vu des
+gerbes de ces roseaux à écrire dont il refusa de me donner quelques-uns,
+parce que le topographe Gell les avait apportés de l'Attique. Mais vous
+n'aurez pas de descriptions, non; vous voudrez bien vous contenter de
+quelques détails jusqu'à mon retour. Mais alors nous ouvrirons toutes
+les écluses de la conversation. Je suis sur une frégate de trente-six,
+qui va chercher Rob Adair à Constantinople: c'est lui qui aura l'honneur
+de vous porter cette lettre.</p>
+
+<p>»Ainsi donc le livre de H***<a id="footnotetag128" name="footnotetag128"></a>
+<a href="#footnote128"><sup class="sml">128</sup></a> a pris son essor avec quelques
+sentimentales chansonnettes de ma façon, pour remplir le volume. Quel
+succès a-t-il, eh? et où diable en est la seconde édition de ma satire
+avec les additions, et mon nom au bas du titre, et les vers nouveaux
+cloués à la fin, et un nouvel exorde, et je ne sais quoi encore, le tout
+sorti tout chaud de mon atelier avant que j'eusse franchi la Manche? La
+Méditerranée et l'Atlantique étendent leurs flots entre la critique et
+moi; et les mugissemens de l'Hellespont couvrent le bruit des foudres de
+la <i>Revue hyperboréenne</i>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote128"
+name="footnote128"><b>Note 128: </b></a><a href="#footnotetag128">
+(retour) </a> Les mélanges auxquels j'ai renvoyé plusieurs
+ fois.</blockquote>
+
+<p>«Rappelez-moi au souvenir de Claridge, s'il n'est pas rentré au collége,
+et présentez à Hodgson les assurances de ma haute considération. Vous
+allez me demander ce que je me propose de faire; et je vais vous
+répondre que je n'en sais rien. Il est possible que je m'en retourne
+dans quelques mois; mais j'ai des desseins et des projets pour le tems
+qui suivra mon séjour à Constantinople. Cependant Hobhouse sera
+probablement de retour en septembre.</p>
+
+<p>«Le 2 juillet, il y aura un an que nous sommes partis d'Albion,
+<i>oblitusque meoruni obliviscendus et illis</i>. J'étais las de mon pays, et
+fort peu prévenu en faveur de tout autre; mais <i>je traîne ma chaîne sans
+l'alonger, en changeant de lieu</i>. Je suis comme le joyeux meunier qui ne
+se souciait de personne, et dont personne ne se souciait. À mes yeux
+tout pays en vaut à peu près un autre. Je fume, j'ouvre de grands yeux
+pour mieux voir les montagnes, et je relève ma moustache avec une fière
+indépendance. Nulle privation ne m'afflige, et les moustiques qui
+martyrisent le corps maladif de H*** ne font, par bonheur, aucun effet
+sur le mien, parce que je vis avec plus de tempérance.</p>
+
+<p>»Dans mon catalogue j'ai oublié Éphèse, que j'ai visitée pendant mon
+séjour à Smyrne; mais le temple est presque entièrement détruit, et il
+serait bien superflu que saint Paul se donnât la peine d'adresser de
+nouvelles épîtres à la race actuelle des Éphésiens, qui ont converti en
+mosquée une vaste église construite entièrement en marbre; et je ne me
+suis pas aperçu que l'édifice en fît plus mauvaise figure.</p>
+
+<p>»Mon papier est rempli, mon encre est épuisée; bon soir! Si vous
+m'adressez une lettre à Malte, on me la fera parvenir quelque part que
+je sois. H*** vous fait ses complimens. Il soupire pour sa poésie, au
+moins pour en avoir quelques nouvelles. J'oubliais presque de vous dire
+que je meurs d'amour pour trois jeunes Athéniennes qui sont sœurs. Je
+logeais dans la même maison qu'elles. Ces divinités se nomment Thérésa,
+Mariana et Katinka<a id="footnotetag129" name="footnotetag129"></a>
+<a href="#footnote129"><sup class="sml">129</sup></a>: aucune des trois n'a encore quinze ans.</p>
+
+<p>»Votre τατεινοτατος δουλος<a id="footnotetag130" name="footnotetag130"></a>
+<a href="#footnote130"><sup class="sml">130</sup></a>.»<br>
+
+<span class="rig">BYRON.</span><br></p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote129"
+name="footnote129"><b>Note 129: </b></a><a href="#footnotetag129">
+(retour) </a> Il a adopté ce nom dans la description du sérail,
+ ch. VI, de <i>Don Juan</i>. Ce fut, si j'ai bonne mémoire, en
+ faisant la cour à une de ces jeunes filles qu'il lui donna
+ une marque d'amour fort en usage dans le levant, en se
+ faisant, avec son poignard, une blessure à la poitrine. La
+ jeune Athénienne, à ce qu'il m'a raconté, conserva tout son
+ sang-froid durant cette opération, qu'elle regardait comme un
+ juste tribut offert à sa beauté; mais elle n'en fut pas plus
+ disposée à lui être favorable.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote130"
+name="footnote130"><b>Note 130: </b></a><a href="#footnotetag130">
+(retour) </a> Très-humble serviteur.</blockquote>
+<br><br>
+<h3>LETTRE XLIII.</h3>
+
+<h4>À M. HOGDSON.</h4>
+
+<p class="mid">À bord de la <i>Salsette</i>, détroit des Dardanelles, à la hauteur d'Abydos,
+le 5 mai 1810.</p>
+
+<p>«Je suis en route pour Constantinople, après avoir parcouru la Grèce,
+l'Épire, etc., et une partie de l'Asie Mineure, voyage dont je viens de
+communiquer quelques particularités à H. Drury, notre ami et notre hôte.
+Je m'abstiendrai donc de vous les répéter; mais comme vous serez
+peut-être bien aise d'apprendre que je me porte bien, etc., je saisis
+l'occasion du retour de notre ambassadeur pour vous adresser le peu de
+lignes que j'ai le tems d'écrire à la hâte. Nous avons éprouvé quelques
+inconvéniens et couru quelques périls, mais il ne nous est rien arrivé
+d'assez intéressant pour vous en entretenir, à moins que vous ne jugiez
+digne de votre attention le trajet de Sestos à Abydos, que j'ai fait à
+la nage, il y a deux jours. Si vous y joignez quelques alertes données
+par les voleurs, la crainte d'un naufrage sur une galère turque, il y a
+six mois, ma visite à un pacha, ma passion pour une femme mariée, à
+Malte, un défi à un officier, mes amours avec trois jeunes Athéniennes,
+avec une profusion de bouffonneries, et de beaux points de vue, vous
+connaîtrez tous les événemens qui, depuis mon départ d'Espagne, ont
+marqué ce voyage.</p>
+
+<p>»H*** fait des vers et écrit son journal; moi, je regarde et ne fais
+rien; à moins qu'on ne considère la distraction de fumer comme un
+amusement actif. Les Turcs surveillent trop leurs femmes pour qu'il soit
+possible de les observer beaucoup. Mais j'ai vécu avec bon nombre de
+Grecs, dont je connais le dialecte tout autant qu'il m'est nécessaire
+pour converser un peu. J'ai fait aussi parmi les Turcs quelques
+connaissances, en hommes. Quant à la société des femmes, il n'y faut pas
+penser. J'ai été fort bien reçu par les gouverneurs et les pachas, et je
+n'ai pas la moindre raison de me plaindre. Hobhouse quelque jour vous
+racontera toutes nos aventures. Si j'en essayais le récit, ni mon papier
+ni votre patience ne pourraient y suffire.</p>
+
+<p>»Personne, si ce n'est vous, ne m'a écrit depuis que j'ai quitté
+l'Angleterre; il est vrai que je ne l'avais pas demandé. J'excepte mes
+parens, qui m'écrivent tout aussi souvent que je le désire. Je ne sais
+rien de l'ouvrage d'Hobhouse, sinon qu'il a paru. C'est plus que je n'en
+sais de ma seconde édition; et certainement, à une pareille distance, je
+ne m'en inquiète que médiocrement........................... J'espère
+que vos publications et celles de Bland s'écoulent avec rapidité.</p>
+
+<p>»Je ne puis vous parler d'une manière certaine de l'époque de mon
+retour; mais je regarde comme probable que Hobhouse me précédera. Nous
+sommes absens depuis près d'un an. Je désirerais en employer au moins un
+autre à mes observations dans ces climats toujours verts; cependant je
+crains que des affaires, et des affaires litigieuses, qui sont bien ce
+qu'il y a de pire au monde, ne me rappellent avant ce tems, si ce n'est
+même beaucoup plus tôt. S'il en est ainsi, je vous en préviendrai.</p>
+
+<p>»J'espère que vous remarquerez en moi quelques changemens, je ne veux
+pas dire au physique, mais au moral; car je commence à m'apercevoir que
+sans la vertu ce monde maudit n'est pas tenable. Je suis passablement
+dégoûté du vice, que j'ai étudié dans ses plus agréables variétés, et je
+me propose, à mon retour, de rompre avec tous mes débauchés d'amis, de
+renoncer au vin, aux inclinations charnelles, et de me livrer à la
+politique et au décorum. Je suis sérieux, cynique et assez bien disposé
+à faire de la morale; mais heureusement pour vous, l'homélie dont vous
+étiez menacé est coupée court par le mauvais état de ma plume et le
+manque de papier.</p>
+
+<p>»Bonjour. Si vous m'écrivez, adressez vos lettres à Malte, d'où l'on me
+les fera parvenir. Ne me rappelez au souvenir de personne; mais
+croyez-moi bien sincèrement votre, etc.»<br>
+<span class="rig">BYRON.</span><br></p>
+
+<p>Arrivé à Constantinople le 14 mai, il adressa à Mrs. Byron quatre ou
+cinq lettres, et dans presque toutes il parle du succès avec lequel il a
+traversé l'Hellespont à la nage. L'excessive vanité qu'il tirait de
+cette prouesse classique (dont il a fort au long lui-même détaillé les
+particularités) peut être mise au nombre des preuves de cet enfantillage
+de caractère qui l'accompagna jusque dans un âge plus mûr, et qui, tout
+en embarrassant ceux qui jugeaient de loin sa conduite, n'était pas,
+pour ceux qui vivaient dans son intimité, une de ses singularités les
+moins intéressantes. Onze ans encore après cette époque, si quelque
+sceptique voyageur se hasardait à mettre en doute la possibilité de
+l'exploit de Léandre, Lord Byron, avec cette susceptibilité sur son
+courage personnel, qu'il conservait depuis son enfance, se lançait dans
+la discussion avec une nouvelle chaleur, et citait deux ou trois autres
+exemples de ce qu'il avait fait comme nageur, pour confirmer ses
+premières assertions<a id="footnotetag131" name="footnotetag131"></a>
+<a href="#footnote131"><sup class="sml">131</sup></a>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote131"
+name="footnote131"><b>Note 131: </b></a><a href="#footnotetag131">
+(retour) </a> Il citait entre autres son passage du Tage en
+ 1809, que M. Hobhouse a décrit de la manière suivante:
+
+<p> «Mon compagnon de voyage avait déjà précédemment exécuté une
+ traversée plus périlleuse, quoique moins célèbre; car je me
+ rappelle qu'à l'époque où nous étions en Portugal, il nagea
+ depuis le vieux Lisbonne jusqu'au château de Belem; et comme
+ il avait à lutter contre la marée et le courant opposé du
+ fleuve, le vent étant fort vif, il lui fallut près de deux
+ heures pour aller d'un bord à l'autre. Il ne resta dans l'eau
+ qu'une heure et dix minutes, en nageant de Sestos à Abydos.
+ En 1808, il faillit se noyer à Brighton, en se baignant avec
+ M. L. Stanhope, son ami. M. Hobhouse et d'autres spectateurs
+ envoyèrent à eux des bateliers, qui s'attachèrent des cordes
+ autour du corps, et qui réussirent enfin à retirer Lord Byron
+ et M. Stanhope de la lame, et leur sauvèrent ainsi la vie.»</p></blockquote>
+
+<p>Dans une de ses lettres à sa mère, datée de Constantinople, le 24 mai,
+il revient sur ce notable exploit, et se représente comme l'humble
+imitateur de Léandre; et pourtant, ajoute-t-il, je n'avais pas de Héro
+pour m'accueillir sur l'autre rive. Puis il continue ainsi:</p>
+
+<p>«Lorsque notre ambassadeur obtiendra son audience de congé, je
+l'accompagnerai pour voir le sultan, après quoi je retournerai
+probablement en Grèce. Je n'ai rien reçu de M. Hanson, si ce n'est une
+traite, mais sans aucune lettre de ce juridique gentleman. Si vous avez
+besoin de fonds, servez-vous, je vous prie, des miens, tant qu'il y en
+aura, sans aucune réserve; et dans la crainte que cela ne suffise pas,
+j'inviterai M. Hanson, dans ma prochaine lettre, à vous avancer toutes
+les sommes qui pourraient vous être nécessaires. Je m'en remets à votre
+discrétion pour juger de ce que vous pouvez convenablement demander
+d'après l'état actuel de mes affaires. J'ai déjà visité les lieux les
+plus intéressans de la Turquie d'Europe et de l'Asie Mineure; mais je
+n'irai pas plus loin avant d'avoir reçu des nouvelles d'Angleterre. En
+attendant je compte sur des rentrées toutes les fois que les occasions
+de m'en faire parvenir se présenteront; et je passerai l'été au milieu
+de mes amis, les Grecs de la Morée.»</p>
+
+<p>Alors il ajoute avec cette bienveillante sollicitude dont il ne
+s'écartait jamais envers les domestiques qu'il préférait: «Prenez soin,
+je vous prie, de mon jeune Robert et du vieux Murray. Il est heureux
+qu'ils s'en soient retournés; ni la jeunesse de l'un ni les années de
+l'autre n'auraient pu s'accommoder aux changemens de climat et à la
+fatigue du voyage.»</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE XLIV.</h3>
+
+<h4>À M. HENRY DRURY.</h4>
+
+<p class="rig">Constantinople, 17 juin 1810.</p><br><br>
+
+<p>«Quoique ma dernière lettre soit d'une date bien récente, je reviens à
+la charge pour vous féliciter de la naissance de votre enfant; une
+lettre d'Hodgson m'a informé de cet événement dont je me réjouis avec
+vous.</p>
+
+<p>»Je suis à peine de retour d'une expédition, par le Bosphore, à la mer
+Noire et aux Symplegades Cyanéennes. J'ai gravi jusqu'à la cime de ces
+dernières en m'exposant à autant de dangers qu'en aient jamais bravé les
+Argonautes dans leur lougre. Vous rappelez-vous le commencement des
+lamentations de la nourrice dans Médée? je vous en adresse la traduction
+que j'ai faite au somme de ces montagnes:</p>
+
+<p>Oh! plût au ciel qu'un bon embargo eût retenu le navire <i>Argo</i> dans le
+port, et qu'en restant toujours dans les chantiers de Grèce il n'eût
+jamais dépassé les roches d'Azur! mais, hélas! je crains que son voyage
+ne soit la cause de quelque méchef pour ma chère miss Médée<a id="footnotetag132" name="footnotetag132"></a>
+<a href="#footnote132"><sup class="sml">132</sup></a>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote132"
+name="footnote132"><b>Note 132: </b></a><a href="#footnotetag132">
+(retour) </a>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p class="i16"> Oh! how I wish that an embargo</p>
+<p class="i16"> Had kept in port the good ship <i>Argo</i></p>
+<p class="i16"> Who, still unlaunch'd from Grecian docks</p>
+<p class="i16"> Had never pass'd the Azure rocks!</p>
+<p class="i16"> But now I fear her trip will be a</p>
+<p class="i16"> Damn'd business for my miss Medea, etc.</p>
+</div></div>
+</blockquote>
+
+<p>»Peu s'en est fallu qu'il n'en fût ainsi pour moi.</p>
+
+<p>Car si je n'avais pas eu ce sublime passage dans la tête, je n'aurais
+jamais songé à grimper sur les susdites roches, où j'ai failli me rompre
+les os pour le plus grand honneur de l'antiquité.</p>
+
+<p>»Ainsi donc je me suis assis sur les Cyanées, j'ai nagé de Sestos à
+Abydos (comme je vous l'ai pompeusement annoncé dans ma dernière), et
+après avoir de nouveau traversé la Morée, je m'embarquerai pour
+Sainte-Maure, et j'irai faire le saut de Leucade. Si je survis à cette
+épreuve, je vous rejoindrai probablement en Angleterre. H..., qui vous
+remettra cette lettre, s'y rend en droite ligne; et comme ses voyages
+lui sortent par tous les pores, je n'anticiperai pas sur ses récits:
+seulement je vous prie de ne pas croire un mot de tout ce qu'il vous
+dira, mais de me réserver votre attention si vous avez quelque désir
+d'apprendre la vérité.</p>
+
+<p>«Je vais retourner à Athènes, et de là passer en Morée; mais la durée de
+mon séjour dépend tellement de mon caprice que je n'ai rien de probable
+à vous en dire. Mon absence date déjà d'un an; elle peut se prolonger
+d'un autre, mais je suis comme du vif-argent, et je ne peux rien
+affirmer. Nous sommes tous en ce moment fort occupés à ne rien faire.
+Nous avons tout vu, excepté les mosquées que nous devons visiter mardi
+prochain au moyen d'un firman. H... pourra vous les décrire ainsi que
+divers autres objets curieux, à condition que c'est à <i>moi</i> qu'on
+s'adressera pour constater sa véracité, et je me réserve de contredire
+tous les détails auxquels il attache le plus d'importance. Mais s'il se
+lance parfois dans le bel esprit, je vous permets de l'applaudir, parce
+qu'il en aura nécessairement dérobé les traits les plus brillans à son
+compagnon de pélerinage. Dites à Davies que ses meilleures plaisanteries
+ont été fort heureusement reproduites par H... sur plus d'un vaisseau de
+Sa Majesté; mais ajoutez aussi que j'ai toujours soin de les rétablir au
+nom du légitime possesseur; d'où il suit que lui, Davies, n'est pas
+moins célèbre sur mer que sur terre, et règne sans rivaux aussi bien
+dans la cabine qu'à la taverne du <i>cocotier</i>.</p>
+
+<p>»Ainsi donc Hodgson a publié de nouvelles poésies. Je désirerais qu'il
+pût m'envoyer son <i>Sir Edgar</i> et l'<i>Anthologie de Bland</i>, à Malte, d'où
+on me les ferait parvenir. Dans ma dernière; que vous avez reçue,
+j'espère, je traçais l'esquisse du terrain que nous avons parcouru. Si
+cette dépêche ne vous est pas parvenue, la langue d'H... est bien à
+votre service. Rappelez-moi au souvenir de Dwyer, qui me doit onze
+guinées. Dites-lui de les faire remettre à mon banquier à Gibraltar ou à
+Constantinople. Il me les a, je crois, déjà payées une fois; mais cela
+ne fait rien à l'affaire, attendu que c'était une rente annuelle.</p>
+
+<p>»Tâchez, je vous prie, de m'écrire. J'ai fréquemment reçu des nouvelles
+d'Hodgson. Malte est mon bureau de poste. Je compte vous revoir vers la
+prochaine réunion de Montem<a id="footnotetag133" name="footnotetag133"></a>
+<a href="#footnote133"><sup class="sml">133</sup></a>; vous vous souvenez sûrement de celle
+de l'an dernier; j'espère qu'il en sera de même cette année; mais après
+avoir traversé <i>le vaste Hellespont</i>, je fais <i>fi</i> de Datchett<a id="footnotetag134" name="footnotetag134"></a>
+<a href="#footnote134"><sup class="sml">134</sup></a>. Bon
+soir. Je suis bien sincèrement, etc.»<br>
+
+<span class="rig">BYRON.</span><br></p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote133"
+name="footnote133"><b>Note 133: </b></a><a href="#footnotetag133">
+(retour) </a> Réunion annuelle des élèves du collége
+ d'Eton-Montem, suivie d'une collecte dont le produit est
+ destiné à placer à l'université de Cambridge ou d'Oxford le
+ sujet le plus distingué d'entre eux.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote134"
+name="footnote134"><b>Note 134: </b></a><a href="#footnotetag134">
+(retour) </a> Allusion à une circonstance où il traversa la
+ Tamise à la nage, avec M. Drury, après le Montem, afin de
+ savoir combien de fois ils pourraient la traverser et la
+ retraverser sans toucher terre. Dans cette lutte, qui eut
+ lieu le soir, après souper, et lorsque tous deux étaient
+ échauffés par le vin, Lord Byron eut l'avantage.</blockquote>
+
+<p>Environ dix jours après la date de cette lettre, nous en trouvons une
+autre adressée à Mrs. Byron, laquelle, au milieu de plusieurs
+répétitions de faits déjà détaillés dans sa correspondance précédente,
+contient aussi un bon nombre de passages qui méritent d'en être
+extraits.</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE XLV.</h3>
+
+<h4>À MRS. BYRON.</h4>
+
+<p><span class="sc">Chère mère</span>,</p>
+
+<p>«M. Hobhouse, qui vous fera parvenir ou vous remettra cette lettre, et
+qui part pour retourner en Angleterre, pourra vous mettre au courant de
+nos divers changement de résidence; quant à moi, je suis fort incertain
+sur l'époque de mon retour. Il ira probablement dans le Nottingham un
+jour ou l'autre; mais Fletcher, que je renvoie parce qu'il m'embarrasse
+(les domestiques anglais sont de tristes voyageurs), Fletcher le
+remplacera par <i>interim</i>, et vous racontera nos voyages qui ont embrassé
+passablement d'espace.<br>............................................................................................................................................</p>
+
+<p>»Je me rappelle que Mahmoud-Pacha, petit-fils d'Ali, pacha de Yanina
+(petit gaillard de dix ans, qui avait de grands yeux noirs, que nos
+dames paieraient bien cher, et ces traits réguliers qui distinguent la
+race turque), me demanda comment il se faisait que je me fusse mis à
+voyager si jeune, et sans avoir personne pour prendre soin de moi. Le
+petit bonhomme m'adressa cette question avec toute la gravité d'un homme
+de soixante ans.</p>
+
+<p>»Je ne peux pas aujourd'hui vous écrire bien longuement; je n'ai que le
+tems de vous dire que j'ai éprouvé bien des fatigues, mais jamais un
+moment d'ennui. La seule chose que je redoute, c'est de contracter le
+goût d'une vie errante, à la bohémienne, qui me rendra mon foyer
+insupportable. C'est, me dit-on, ce qui arrive fort souvent aux gens qui
+ont pris l'habitude des voyages; et, dans le fait, je commence à m'en
+apercevoir. Le 3 mai, j'ai passé à la nage de Sestos à Abydos. Vous
+connaissez l'histoire de Léandre; mais moi, je n'avais pas de Héro pour
+me recevoir sur la rive.<br>.................................................................................................................................................................</p>
+
+<p>«J'ai visité, en vertu d'un firman, toutes les principales mosquées. Il
+est rare qu'on accorde cette faveur à des infidèles; mais le départ de
+l'ambassadeur nous l'a fait obtenir. J'ai remonté par le Bosphore jusque
+dans la mer Noire, en faisant le tour des murs de la ville; et en
+vérité, j'en connais mieux l'aspect que celui de Londres. J'espère que,
+par quelque soirée d'hiver, je vous amuserai en vous en faisant la
+description; pour le moment, je vous prie de m'excuser si je m'en
+dispense. Je ne puis écrire de longues lettres en juin. Je retourne
+passer l'été en Grèce.<br>.....................................................................................................................................................................</p>
+
+<p>»C'est une pauvre créature que Fletcher; il lui faudrait mille
+commodités dont je sais fort bien me passer. Il est furieusement las de
+ses voyages, et vous ferez bien de ne pas trop croire ce qu'il vous
+racontera de ce pays-ci. Il soupire après la bière, et l'oisiveté, et sa
+femme, et le diable sait quoi en outre. Pour mon compte, je n'ai éprouvé
+ni <i>désappointement</i> ni dégoût. J'ai vécu avec des hommes du plus haut
+comme du plus bas rang; j'ai passé des journées dans le palais d'un
+pacha, et plus d'une nuit dans une étable; partout j'ai trouvé un peuple
+inoffensif et bienveillant. J'ai passé aussi quelque tems avec les Grecs
+les plus distingués de la Morée et de la Livadie; et quoiqu'ils ne
+vaillent pas les Turcs, j'en fais plus de cas que des Espagnols, qui, à
+leur tour, l'emportent sur les Portugais.</p>
+
+<p>»Vous trouverez dans les voyageurs mainte description de Constantinople;
+mais lady Wortley-Montague est tombée dans une étrange erreur, quand
+elle a dit que Saint-Paul ferait une singulière figure à coté de
+Sainte-Sophie. J'ai vu ces deux édifices, et j'en ai examiné avec
+beaucoup d'attention l'intérieur et l'extérieur. Sainte-Sophie, sans
+aucun doute, est le plus intéressant des deux, et par son immense
+antiquité, et parce que tous les empereurs grecs depuis Justinien y ont
+été couronnés, que plusieurs y ont été assassinés sur les marches mêmes
+de l'autel, et aussi parce que les sultans turcs s'y rendent
+régulièrement. Mais elle n'est ni aussi belle ni aussi grande que
+quelques autres mosquées, telles que celle de Soleyman, etc., et on ne
+peut la mettre en parallèle avec Saint Paul (j'en parle peut-être comme
+un cockney<a id="footnotetag135" name="footnotetag135"></a>
+<a href="#footnote135"><sup class="sml">135</sup></a>). Néanmoins je préfère la cathédrale gothique de
+Séville, à Saint-Paul, à Sainte-Sophie et à tous les édifices religieux
+que j'aie jamais vus.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote135"
+name="footnote135"><b>Note 135: </b></a><a href="#footnotetag135">
+(retour) </a> Sorte de sobriquet par lequel on désigne, en
+ Angleterre, les natifs de Londres.</blockquote>
+
+<p>»Les murs du sérail ressemblent à ceux des jardins de Newstead, un peu
+plus élevés cependant, et à peu près dans le même état de conservation.
+Mais la promenade en longeant les murs de la ville du côté de la terre,
+est d'une beauté remarquable. Figurez-vous quatre milles d'un triple
+rang d'immenses créneaux tapissés de lierre, surmontés de deux cent
+dix-huit tours, et de l'autre côté de la route, les sépultures turques
+(qui sont les lieux les plus charmans de la terre) ombragées par
+d'énormes cyprès.</p>
+
+<p>J'ai contemplé les ruines d'Athènes, d'Éphèse et de Delphes; j'ai
+traversé une grande partie de la Turquie, plusieurs autres contrées de
+l'Europe et quelques-unes de l'Asie; mais nul ouvrage de la nature ou de
+l'art ne produisit jamais sur moi autant d'impression que le point de
+vue qui se développe de chaque côté des Sept Tours jusqu'à l'extrémité
+de la Corne d'Or.</p>
+
+<p>»Parlons maintenant de l'Angleterre. J'apprends avec plaisir le succès
+des <i>Bardes anglais</i>, etc. Vous n'avez pu manquer d'observer les
+nombreuses additions que j'ai faites à l'édition nouvelle.</p>
+
+<p>»Avez-vous reçu mon portrait par Sanders, peintre à Londres, Vigo-Lane?
+Il était terminé et payé long-tems avant mon départ. Il me semble que
+vous aimez prodigieusement la lecture des <i>Magazines</i>; où déterrez-vous
+tant de nouvelles, de citations, etc.? Quoique je me trouve heureux
+d'avoir pu prendre mon rang à la Chambre sans le secours de lord
+Carlisle, je n'avais pas de ménagemens à garder envers un homme qui a
+refusé, dans cette circonstance, d'intervenir comme mon parent; et j'ai
+rompu sans retour avec lui, quoique je regrette d'affliger Mrs. Leigh.
+Pauvre femme! j'espère qu'elle est heureuse.</p>
+
+<p>»Mon avis est que M. B... doit épouser miss R... Notre premier devoir
+est de ne pas faire le mal; mais, hélas! cela n'est pas possible: le
+second est de le réparer, si nous en avons le pouvoir. Cette jeune fille
+est son égale; si elle ne l'était pas, une somme d'argent et l'entretien
+assuré à l'enfant feraient une sorte de compensation, quoique bien
+insuffisante; mais dans l'état des choses, son devoir est de l'épouser.
+Je ne veux pas de galans séducteurs sur mes domaines, et je n'accorderai
+pas à mes fermiers un privilége dont je m'abstiens moi-même, celui de
+débaucher les filles des uns et des autres. J'ai, Dieu le sait, bien des
+excès à me reprocher; mais comme j'ai pris la résolution de me réformer,
+et que je ne m'en suis pas écarté depuis quelque tems, je compte que ce
+Lothario suivra mon exemple, et commencera par rendre la jeune personne
+à la société; sinon, par la barbe de mon père! je jure qu'il s'en
+repentira.</p>
+
+<p>»Je vous prie de vous intéresser à Robert, à qui mon absence sera bien
+pénible. Le pauvre garçon! c'est bien malgré lui qu'il s'en est
+retourné.</p>
+
+<p>»J'espère que vous êtes bien portante et heureuse. J'aurai grand plaisir
+à recevoir de vos nouvelles.</p>
+
+<p>»Croyez-moi bien sincèrement, etc.<br>
+
+<span class="rig">BYRON.</span><br></p>
+
+<p>»<i>P. S.</i> Comment se porte Joe Murray? Je rouvre ma lettre pour vous dire
+que Fletcher m'ayant demandé de m'accompagner en Morée, je l'emmène avec
+moi, quoique je vous aie annoncé le contraire.»</p>
+
+<p>Le lecteur n'aura pas manqué, je l'espère, de remarquer la fin de cette
+lettre. L'énergie des sentimens moraux qui y sont exprimés si
+naturellement, semble le sûr garant d'un cœur dont le fond était pur,
+quoique les passions en eussent terni la surface. Quelques années plus
+tard, quand il eut contracté l'habitude de cette raillerie amère, dont,
+par malheur, il se plaisait à diriger les traits contre sa sensibilité
+et contre celle des autres, je ne sais, quoiqu'il fût encore animé des
+mêmes sentimens louables, si la fausse honte de passer pour vouloir se
+faire une réputation de vertu, n'en aurait pas arrêté la franche et
+honnête manifestation.</p>
+
+<p>L'extrait suivant, tiré d'une communication adressée à un recueil
+mensuel très-estimé, par un voyageur qui, à cette époque, rencontra Lord
+Byron à Constantinople, me paraît être assez authentique pour que je le
+présente, sans hésiter, à mes lecteurs.</p>
+
+<p>«Nous fûmes interrompus dans notre discussion par l'entrée d'un
+étranger, qu'au premier coup-d'œil je crus reconnaître pour un Anglais,
+mais qui devait n'être arrivé que depuis peu à Constantinople. Il était
+vêtu d'un habit écarlate, richement brodé en or, dans le genre de
+l'uniforme des aides-de-camp en Angleterre, avec deux grosses
+épaulettes. Sa figure annonçait environ vingt-deux ans. Ses traits,
+d'une délicatesse remarquable, lui auraient donné une apparence
+féminine, sans l'expression toute virile de ses beaux yeux bleus. En
+entrant dans la boutique intérieure, il ôta son chapeau militaire orné
+d'un panache, et découvrit une forêt de cheveux bruns bouclés qui
+relevaient encore la beauté peu commune de son visage. L'ensemble de son
+extérieur me fit une telle impression, qu'elle est toujours depuis
+restée profondément gravée dans ma mémoire; et quoique ce soit un
+souvenir de quinze ans, ce laps de tems n'en a pas altéré la vivacité.
+Il était accompagné d'un janissaire attaché à l'ambassade anglaise et
+d'un homme qui, par état, servait de <i>Cicerone</i> aux étrangers. Ces
+circonstances, jointes à ce qu'il boitait très-visiblement, me
+convainquirent à l'instant que c'était Lord Byron. J'avais déjà entendu
+parler de Sa Seigneurie et de son arrivée récente sur la frégate <i>la
+Salsette</i>, qui s'était détachée de la station de Smyrne pour venir
+prendre et emmener M. Adair, notre ambassadeur près de la Porte. Lord
+Byron avait auparavant voyagé en Épire et dans l'Asie Mineure avec son
+ami M. Hobhouse, et était devenu grand fumeur de tabac. Il s'était fait
+conduire à cette boutique dans le dessein d'y acheter quelques pipes.
+L'italien assez mauvais dont il se servait en parlant à son cicerone, et
+le turc encore plus imparfait de celui-ci, ne permettaient guère au
+marchand de comprendre facilement ce qu'ils désiraient; et comme
+l'étranger en paraissait contrarié, je lui adressai la parole en
+anglais, et m'offris à lui servir d'interprète. Quand il m'eut ainsi
+reconnu pour un Anglais, Lord Byron me serra cordialement la main, et
+m'assura, avec quelque chaleur, du grand plaisir qu'il éprouvait
+toujours lorsqu'il rencontrait un compatriote en pays étranger. Ses
+emplettes et les miennes étant terminées, nous sortîmes ensemble, et
+parcourûmes les rues, dans plusieurs desquelles j'eus le plaisir de
+diriger son attention vers quelques-unes des curiosités les plus
+remarquables de Constantinople. Les circonstances particulières qui nous
+avaient amenés à faire connaissance, firent naître entre nous, dès le
+premier jour, un certain degré d'intimité que très-probablement deux ou
+trois années de fréquentation n'auraient pas produit en Angleterre. Je
+prononçai souvent son nom en lui parlant, mais il ne lui vint pas à
+l'esprit de me demander comment j'avais pu l'apprendre, ni de s'informer
+du mien. Il n'avait pas encore jeté les fondemens de cette célébrité
+littéraire qu'il a acquise dans la suite; on ne le connaissait, au
+contraire, que comme auteur des <i>Heures d'oisiveté</i>; et la sévérité avec
+laquelle les rédacteurs de <i>la Revue d'Édimbourg</i> avaient critiqué cette
+production, était encore présente au souvenir de tout lecteur anglais.
+On ne pouvait donc pas supposer qu'en recherchant sa connaissance je
+fusse poussé par aucun de ces motifs de vanité auxquels tant d'autres
+ont cédé depuis. Mais il était tout naturel qu'après notre rencontre
+fortuite et tout ce qui s'était passé entre nous à cette occasion, je
+priasse l'un des secrétaires de l'ambassade de me présenter à lui dans
+les formes, un jour de la même semaine, que nous dînions ensemble chez
+l'ambassadeur. Sa Seigneurie assura qu'elle se souvenait parfaitement de
+moi; mais ce fut avec une extrême froideur, et immédiatement après elle
+me tourna le dos. Ce procédé sans cérémonie qui contrastait d'une
+manière si prononcée avec les circonstances précédentes, me parut si
+étrange qu'il me fut impossible de me l'expliquer, et que je me sentis
+en même tems fort disposé à beaucoup rabattre de l'opinion favorable que
+son apparente franchise m'avait fait concevoir à notre première
+entrevue. Ce ne fut donc pas sans surprise que, quelques jours après, je
+le vis dans la rue s'avancer vers moi avec un sourire plein de
+bienveillance. Il m'aborda familièrement, et me dit en me tendant la
+main: «Je suis ennemi déclaré de l'étiquette anglaise, surtout hors
+d'Angleterre; et quand je fais une nouvelle connaissance, c'est sans
+attendre les formalités d'une présentation. Si vous n'avez rien à faire,
+et que vous soyez disposé à une autre promenade, votre société me fera
+beaucoup de plaisir.» Il mit dans sa manière d'agir cette irrésistible
+attraction dont ceux qui ont eu le bonheur d'être admis dans son
+intimité ont pu seuls éprouver la puissance dans ses momens de bonne
+humeur, et j'acceptai avec empressement sa proposition. Nous visitâmes
+de nouveau les curiosités les plus remarquables de la capitale, que je
+ne décrirai point ici pour ne pas répéter les détails pleins
+d'exactitude et de précision que des centaines de voyageurs en ont déjà
+donnés; mais Sa Seigneurie se trouva fort <i>désappointée</i> par le peu
+d'intérêt qu'elles présentaient. Il loua les beautés pittoresques de la
+ville et des paysages qui l'environnent, et me parut d'avis que, cela
+excepté, rien n'était digne d'attirer l'attention d'un observateur. Il
+parla des Turcs de manière à faire supposer qu'il avait fait un long
+séjour parmi eux, et termina ses réflexions par ces mots: «Les Grecs,
+tôt ou tard, s'insurgeront contre eux; mais s'ils ne se hâtent pas,
+j'espère que Bonaparte viendra chasser cette inutile canaille<a id="footnotetag136" name="footnotetag136"></a>
+<a href="#footnote136"><sup class="sml">136</sup></a>.»</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote136"
+name="footnote136"><b>Note 136: </b></a><a href="#footnotetag136">
+(retour) </a> <i>New Monthly Magazine</i>.</blockquote>
+
+<p>Pendant sa résidence à Constantinople, le ministre d'Angleterre, M.
+Adair, se trouvant presque toujours indisposé, ne le vit que
+très-rarement. Il le pressa cependant avec instance de venir loger au
+palais de l'ambassade; mais Lord Byron, qui préférait la liberté dont il
+jouissait dans une simple hôtellerie, refusa ses offres hospitalières.</p>
+
+<p>Lors de l'audience de congé accordée à l'ambassadeur par le sultan, le
+noble poète, pour y assister, se mêla au cortége de M. Adair, non sans
+avoir témoigné, relativement à la place qu'il occuperait dans la marche,
+une anxiété bien caractéristique de sa jalouse susceptibilité toutes les
+fois qu'il s'agissait de son rang. En vain l'ambassadeur l'assura-t-il
+qu'on ne pouvait pas lui assigner une place particulière; que les Turcs,
+dans leurs dispositions relatives au cérémonial, ne tenaient compte que
+des personnes attachées à l'ambassade, et qu'ils négligeaient ou
+ignoraient les distinctions de préséance accordées chez nous à la
+noblesse. Enfin voyant que le jeune pair ne se laissait pas convaincre
+par ces raisons, M. Adair fut obligé d'en appeler à une autorité qui
+passait pour infaillible en matière d'étiquette; c'était le vieux
+internonce d'Autriche. Lord Byron l'ayant consulté sur ce point, et le
+trouvant entièrement d'accord avec le ministre d'Angleterre, déclara
+qu'il était parfaitement satisfait.</p>
+
+<p>Le 14 juillet, son compagnon de voyage et lui partirent de
+Constantinople, à bord de la frégate <i>la Salsette</i>; M. Hobhouse dans le
+dessein d'accompagner l'ambassadeur en Angleterre, et Lord Byron pour
+visiter de nouveau sa chère Grèce. M. Adair crut remarquer à cette
+époque qu'il était plongé dans un profond abattement d'esprit, et je
+trouve que M. Bruce, qui le rencontra plus tard à Athènes, en porta le
+même jugement. On m'a raconté, comme ayant eu lieu pendant cette
+traversée, une circonstance fort remarquable. En se promenant sur le
+pont, il aperçut un petit yataghan ou poignard turc, qu'on avait laissé
+sur un banc. Il le prit, le tira du fourreau, et après en avoir quelques
+instans examiné la lame, on l'entendit qui disait à demi-voix:
+«J'aimerais à savoir ce que ressent un homme après avoir commis un
+meurtre!» On peut, je crois, dans ce surprenant propos, découvrir le
+germe de ses poèmes futurs du <i>Giaour</i> et de <i>Lara</i>. C'est cet ardent
+désir de soumettre à l'examen les opérations mystérieuses des passions,
+qui, secondé par son imagination, lui en donna enfin le pouvoir; et
+peut-être trouverait-on que les émotions qui produisirent ces paroles
+n'étaient que la première manifestation de cette faculté qui lui valut
+plus tard, à juste titre, le surnom de <i>Scrutateur des abymes du
+cœur</i><a id="footnotetag137" name="footnotetag137"></a>
+<a href="#footnote137"><sup class="sml">137</sup></a>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote137"
+name="footnote137"><b>Note 137: </b></a><a href="#footnotetag137">
+(retour) </a> <i>Searcher of dark bosoms</i>.</blockquote>
+
+<p>En approchant de l'île de Zéa, il demanda à être mis à terre. En
+conséquence, après qu'il eut fait ses adieux à son ami, on le débarqua
+sur cette petite île avec ses deux Albanais, un Tartare et un domestique
+anglais. Il a décrit lui-même dans un de ses manuscrits, les sentimens
+de fierté solitaire avec lesquels, debout sur le rivage, il regarda le
+vaisseau s'éloigner à pleines voiles, le laissant seul sur une terre
+étrangère.</p>
+
+<p>Quelques jours après, il adressa d'Athènes la lettre suivante à Mrs.
+Byron:</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE XLVI.</h3>
+
+<h4>À MRS. BYRON.</h4>
+
+<p class="rig">Athènes, 15 juillet 1810.</p><br><br>
+
+<p><span class="sc">Chère Mère</span>,</p>
+
+<p>«Je suis arrivé de Constantinople ici en quatre jours, ce que l'on
+considère comme une traversée extrêmement rapide, surtout dans cette
+saison de l'année. Vous autres habitans du nord, vous ne pouvez pas vous
+faire une idée de ce que c'est que l'été en Grèce; et pourtant un vrai
+tems de gelée en comparaison des étés de Malte et de Gibraltar, sous les
+ombrages desquels je me suis reposé l'année dernière, après un petit
+mouvement de galop de quatre cents milles, sans interruption, à travers
+l'Espagne et le Portugal. La date de ma lettre vous apprend que je suis
+de nouveau à Athènes, ville que je préfère, tout bien considéré, à
+toutes celles que je connais....</p>
+
+<p>«Pour première excursion, je pars demain pour la Morée, où je compte
+passer un mois ou deux, puis revenir prendre ici mes quartiers d'hiver,
+à moins que je ne change mes plans, à la vérité, fort variables, comme
+vous pouvez bien le supposer, mais dont aucun ne me dirige vers
+l'Angleterre.</p>
+
+<p>«Le marquis de Sligo, mon ancien camarade de collége, est ici, et désire
+m'accompagner en Morée. Ainsi nous partirons ensemble. Lord Sligo
+continuera ensuite sa route vers la capitale, et Lord Byron, après avoir
+examiné toutes les curiosités de ce canton, vous instruira de ce qu'il
+se propose de faire, car c'est un point sur lequel ses idées ne sont
+pas, pour le moment, parfaitement arrêtées. Malte est mon bureau de
+poste perpétuel; c'est de là que mes lettres sont dirigées vers tous les
+points de la terre habitable: remarquez en passant que j'ai déjà vu
+l'Asie, l'Afrique, le levant de l'Europe, et tiré le meilleur parti de
+mon tems, sans avoir pour cela examiné trop à la hâte les lieux les plus
+intéressans de l'ancien monde. F..., après avoir été grillé, rôti, cuit
+dans son jus; après avoir servi de pâture à toutes sortes d'insectes
+rampans, commence à philosopher; il se réforme et se résigne, et promet
+d'être à son retour un des ornemens de sa paroisse et un personnage fort
+saillant dans la généalogie des Fl.... qui tiennent, à mon avis, des
+Goths par leurs talens, des Grecs par leur pénétration, et des anciens
+Saxons par leur énorme appétit. Il me demande la permission d'envoyer
+une demi-douzaine de soupirs à Sally, son épousée, et s'émerveille, mais
+non pas moi, de ce que ses lettres, d'une écriture et d'une orthographe
+détestables, ne sont jamais parvenues en Angleterre. Au demeurant, ce
+n'est pas une grande perte que celle de ses lettres ou des miennes qui
+n'ont guère d'autre mérite que de vous apprendre, comme celle-ci, que
+nous nous portons bien, et chaudement, Dieu sait! Ne comptez pas, en
+cette saison, sur de longues lettres; car elles sont, je vous assure,
+écrites à la sueur de mon front. Il est passablement singulier que M.
+H.... ne m'ait pas adressé une syllabe depuis mon départ. Comme toutes
+vos lettres me sont parvenues ainsi que beaucoup d'autres, je conjecture
+que l'homme de loi est fâché ou qu'il a trop d'affaires.</p>
+
+<p>«J'espère que vous vous plaisez à Newstead, et que vous vivez en bonne
+intelligence avec vos voisins, quoique vous soyez un vrai dragon, comme
+vous savez; ne voilà-t-il pas une épithète bien respectueuse? Je vous
+prie d'avoir grand soin de mes livres, ainsi que de plusieurs boîtes
+remplies de papiers qui sont entre les mains de Joseph; et, s'il vous
+plaît, laissez-moi quelques bouteilles de champagne à boire, car je suis
+terriblement altéré. Je n'insiste pourtant sur ce dernier point
+qu'autant qu'il vous arrangera. Je suppose que vous avez une pleine
+maison de commères bien bavardes et bien médisantes. Avez-vous reçu mon
+portrait à l'huile par Sanders, de Londres? Il est payé depuis seize
+mois, pourquoi ne vous le faites-vous pas remettre? Ma suite, composée
+de deux Turcs, deux Grecs, un Luthérien et de l'équivoque Fletcher, fait
+un tel vacarme que je suis bien aise de finir en vous assurant que je
+suis, etc.»<br>
+<span class="rig">BYRON.</span><br></p>
+
+<p>Un jour ou deux après la date de cette lettre, il partit d'Athènes avec
+le marquis de Sligo. Après avoir voyagé de compagnie jusqu'à Corinthe,
+ils prirent chacun une direction différente; lord Sligo pour visiter la
+capitale de la Morée, et Lord Byron pour se rendre à Patras, où il
+avait, comme on le verra dans la lettre suivante, quelques affaires à
+régler avec le consul anglais, M. Strané.</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE XLVII.</h3>
+
+<h4>A MRS. BYRON.</h4>
+
+<p class="rig">Patras, 30 juillet 1810.</p><br><br>
+
+<p><span class="sc">Chère Madame</span>,</p>
+
+<p>«En quatre jours, avec un vent favorable, la frégate m'a transporté de
+Constantinople à l'île de Céos, où j'ai pris un bateau pour me rendre à
+Athènes. J'ai rencontré dans cette ville mon ami le marquis de Sligo qui
+m'a témoigné le désir de voyager avec moi jusqu'à Corinthe. Là, nous
+nous sommes séparés, lui pour aller à Tripolitza, et moi pour me rendre
+à Patras, où j'avais quelques affaires à régler avec le consul M.
+Strané, de la maison duquel je vous écris. Il m'a rendu tous les
+services possibles depuis que j'ai quitté Malte pour me rendre à
+Constantinople, d'où je vous ai écrit deux ou trois fois. J'irai dans
+quelques jours faire une visite au pacha de Tripolitza, puis je ferai le
+tour de la Morée, et je retournerai à Athènes, où j'ai fixé mon
+quartier-général. Nous éprouvons ici de violentes chaleurs. En
+Angleterre, quand le thermomètre s'élève à 98 degrés<a id="footnotetag138" name="footnotetag138"></a>
+<a href="#footnote138"><sup class="sml">138</sup></a>, vous êtes
+tout en feu; l'autre jour, tandis que j'allais d'Athènes à Mégare, il
+marquait 125 degrés: cependant je n'en suis pas incommodé. J'ai, comme
+cela doit être, le teint fort bruni; mais je vis avec une grande
+tempérance, et je ne me suis jamais mieux porté.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote138"
+name="footnote138"><b>Note 138: </b></a><a href="#footnotetag138">
+(retour) </a> De Fahrenheit.</blockquote>
+
+<p>»Avant de quitter Constantinople, j'ai vu le sultan (avec M. Adair) et
+l'intérieur des mosquées, ce qui n'arrive que bien rarement aux
+voyageurs. M. Hobhouse est parti pour l'Angleterre; quant à moi, je ne
+me sens pas pressé d'en faire autant. Je n'ai rien de particulier à
+faire savoir dans votre pays, si ce n'est l'extrême surprise que me
+cause le silence de M. H... Je désire aussi qu'il m'adresse
+régulièrement des fonds. Je suppose qu'on a pris des arrangemens en ce
+qui regarde Wymondham et Rochdale. Adressez vos lettres à Malte ou à M.
+Strané, consul-général, à Patras, Morée. Vous vous plaignez de mon
+silence; mais je vous ai écrit vingt ou trente fois dans le courant de
+l'année dernière: jamais moins de deux fois par mois, et souvent
+davantage. Si mes lettres ne vous parviennent pas, il ne faut pas
+conclure qu'on nous a dévorés, ou que ce pays-ci est désolé par la
+guerre, la peste ou la famine: ne croyez pas non plus tous les bruits
+absurdes qui ne manquent sûrement pas de circuler dans le
+Nottinghamshire comme c'est l'usage. Je suis fort bien ici, ni plus ni
+moins heureux qu'à mon ordinaire; si ce n'est que je suis fort aise de
+me retrouver seul, car je commençais à me lasser de mon compagnon de
+voyage; non pas que j'eusse à m'en plaindre, mais parce que je suis
+naturellement porté vers la solitude, et que cette disposition prend de
+jour en jour plus de force. Si je le désirais, je ne manquerais pas de
+compagnons de voyage, il s'en présente tous les jours. L'un veut
+m'emmener en Égypte, l'autre en Asie, dont j'ai vu tout ce que j'en veux
+voir. Je connais déjà la plus grande partie de la Grèce, de sorte que je
+me contenterai de retourner aux lieux que j'ai déjà parcourus, de
+contempler mes mers et mes montagnes, seules connaissances dont j'aie
+jamais tiré quelque utilité.</p>
+
+<p>»J'ai une suite fort présentable; elle se compose d'un Tartare, de deux
+Albanais, d'un interprète et de Fletcher; mais dans ce pays-ci on en est
+quitte à peu de frais. Adair m'a fait un accueil merveilleux, et dans le
+fait je n'ai à me plaindre de personne. L'hospitalité ici est
+nécessaire, car on n'y voit point d'hôtelleries. J'ai logé chez des
+Grecs, des Turcs, des Italiens, des Anglais; aujourd'hui dans un palais,
+demain dans une étable; un jour avec le pacha, le suivant avec le
+berger. Je continuerai à vous écrire brièvement, mais fréquemment, et je
+suis toujours heureux d'apprendre de vos nouvelles; mais vous remplissez
+votre papier d'extraits de journaux, comme si ceux d'Angleterre ne se
+trouvaient pas dans tous les lieux du monde. J'en ai une douzaine, en ce
+moment, devant moi. Je vous prie de veiller à ce qu'on ait soin de mes
+livres, et de me croire, chère mère, etc.»</p>
+
+<p>Il paraît qu'il passa la plus grande partie des deux mois suivans à
+parcourir la Morée<a id="footnotetag139" name="footnotetag139"></a>
+<a href="#footnote139"><sup class="sml">139</sup></a>; et dans plusieurs lettres il parle avec
+beaucoup de satisfaction de la réception très-distinguée que lui fit
+Véli-Pacha, fils d'Ali.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote139"
+name="footnote139"><b>Note 139: </b></a><a href="#footnotetag139">
+(retour) </a> Dans une note de l'avertissement qui précède son
+ <i>Siége de Corinthe</i>, il dit: «Je visitai ces trois villes
+ (Tripolitza, Napoli et Argos) en 1810-11; et durant mes
+ diverses excursions dans le pays, depuis mon arrivée en 1809,
+ je traversai l'Isthme huit fois en passant de l'Attique en
+ Morée, par les montagnes, ou dans l'autre direction, lorsque
+ j'allais du golfe d'Athènes à celui de Lépante.»</blockquote>
+
+<p>À son retour à Patras, il fut saisi d'une maladie, dont il raconte les
+particularités dans la lettre suivante adressée à M. Hodgson; elles
+sont, à beaucoup d'égards, si conformes à celles de la maladie fatale
+qui l'enleva, quatorze ans plus tard, presque aux mêmes lieux, que,
+malgré la gaîté du récit, il est difficile de le lire sans être
+douloureusement affecté.</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE XLVIII.</h3>
+
+<h4>À M. HODGSON.</h4>
+
+<p class="rig">Patras (Morée), 3 octobre 1810.</p><br><br>
+
+<p>«Comme je suis à peine délivré du médecin et de la fièvre, qui m'ont
+retenu cinq jours au lit, je vous prie de ne pas compter sur beaucoup
+d'<i>allegrezza</i> dans cette lettre. Il règne ici une maladie endémique
+qui, lorsque le vent vient du golfe de Corinthe (comme il arrive cinq
+mois sur six), attaque grands et petits, et fait de terribles ravages
+parmi les voyageurs étrangers. Il y a, de plus, deux médecins, dont l'un
+est plein de confiance dans son génie naturel, car il n'a jamais étudié,
+et dont l'autre a pour tous titres une campagne de dix-huit mois contre
+les malades d'Otrante, qu'il a faite dans sa jeunesse avec de grands
+résultats.</p>
+
+<p>»Lorsque je tombai malade, je protestai contre les tentatives de <i>ces</i>
+deux assassins; mais que peut faire pour sa défense un pauvre diable
+affaibli, dévoré par la fièvre, et inondé de potions. Malgré moi et mes
+dents, je vis le consul anglais, mon Tartare, mes Albanais, mon
+interprète se réunir pour me livrer au médecin, à l'aide duquel ils
+m'ont, trois jours durant, émétisé et clystérisé jusqu'à ne me laisser
+que le souffle. C'est dans cet état que j'ai fait mon épitaphe. Tenez,
+la voici:</p>
+
+<p>«La jeunesse, la nature et la pitié des dieux combattirent long-tems
+pour tenir ma lampe allumée; mais le redoutable Romanelli triompha de
+leurs efforts, et son souffle en éteignit la flamme tremblante<a id="footnotetag140" name="footnotetag140"></a>
+<a href="#footnote140"><sup class="sml">140</sup></a>.»</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote140"
+name="footnote140"><b>Note 140: </b></a><a href="#footnotetag140">
+(retour) </a>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p class="i14"> Youth, nature, and relenting jove,</p>
+<p class="i14"> To keep my lamp in strongly strove;</p>
+<p class="i14"> But Romanelli was so stout,</p>
+<p class="i14"> He beat all three, and blew it out.</p>
+</div></div>
+</blockquote>
+
+<p>»Cependant la nature et les dieux, piqués de mon peu de foi dans leur
+pouvoir, ont à la fin triomphé tout de bon de Romanelli, et je vis
+encore, bien à votre service, quoique ma faiblesse soit extrême.</p>
+
+<p>»Depuis que j'ai quitté Constantinople, j'ai parcouru la Morée et visité
+Véli-Pacha, qui m'a rendu de grands honneurs, et donné un fort joli
+étalon. H*** est sûrement en Angleterre à l'heure où je vous écris; je
+l'ai chargé d'une dépêche pour votre poétique individu. Il m'écrit de
+Malte, et me demande mon journal, en cas que j'en tienne un. Si j'en
+faisais un, il l'aurait. Je lui ai adressé en réponse une épître de
+consolations et d'exhortations, où je le prie de réduire de trois schl.
+et six pences le prix de sa prochaine publication, vu qu'une demi-guinée
+est un trop haut prix pour toute autre chose qu'un billet d'Opéra.</p>
+
+<p>»Quant à l'Angleterre, je n'en ai pas eu de nouvelles depuis bien
+long-tems. Toutes les personnes qui prennent quelque intérêt à ce qui me
+regarde sont, je crois, endormies, et vous êtes mon seul correspondant,
+à l'exception des gens d'affaires. Je n'ai réellement pas d'amis au
+monde, quoique ce monde soit peuplé de mes anciens condisciples, qui s'y
+promènent revêtus de curieux déguisemens, en officiers des gardes, en
+hommes de loi, en ecclésiastiques, en hommes à la mode, et autres habits
+de caractères; aussi fais-je mes adieux à tous ces messieurs si
+affairés, dont pas un ne daigne m'écrire. Au fait, je ne les en ai pas
+priés; et me voilà ici, pauvre voyageur et philosophe un peu païen, qui,
+après avoir parcouru la plus grande partie du Levant et vu force terres
+et mers, dont on pourrait tirer fort bon parti, ne vaux, après tout,
+guère mieux qu'avant de me mettre en route. Que Dieu me soit en aide!</p>
+
+<p>»Il y a aujourd'hui même quinze mois que je suis parti, et je pense que
+mes intérêts me rappelleront bientôt en Angleterre; mais je vous en
+donnerai régulièrement avis de Malte. Hobhouse vous donnera tous les
+renseignemens possibles, si vous êtes curieux de connaître nos
+aventures. J'ai lu quelques vieilles gazettes anglaises qui vont
+jusqu'au 15 mai. J'y vois l'annonce de la <i>Dame du Lac</i>. Il va sans dire
+que l'auteur ne s'est pas départi de sa manière, qui rappelle l'ancienne
+ballade, et que le poème est bon. Tout balancé, Scott n'a pas de rivaux;
+le but de tout griffonnage est d'amuser, et certainement il y réussit.
+Je brûle de lire son nouvel ouvrage.</p>
+
+<p>»Et que deviennent <i>sir Edgard</i> et votre ami Bland? Je suppose que vous
+êtes engagé dans quelque chicane littéraire. Le seul parti à prendre,
+c'est de regarder du haut en bas tous les confrères de l'écritoire. Je
+suppose bien que vous ne m'accorderez pas le titre d'auteur; mais je
+vous dédaigne tous, coquins que vous êtes! comptez là-dessus.</p>
+
+<p>»Vous ne connaissez pas D...s, n'est-ce pas? Il avait une farce prête à
+être jouée quand je partis d'Angleterre, et me pria d'en faire le
+prologue: ce que je lui promis; mais mon départ fut si précipité que je
+n'en écrivis pas le premier couplet. Je n'ose m'informer de sa pièce, de
+peur d'apprendre qu'elle est tombée. Que Dieu me pardonne d'employer un
+tel mot! mais le parterre, mon cher monsieur, le parterre, vous le
+savez, se permet de ces tours-là, en dépit du mérite. C'est une
+circonstance fort curieuse qui me rappelle cette farce. Quand Drury-Lane
+fut brûlé de fond en comble, accident qui fit perdre à Shéridan et à son
+fils le peu de schellings qui leur restassent, que fait mon ami D...s?
+Avant que l'incendie soit éteint, il écrit à Tom Shéridan, directeur du
+combustible établissement, pour lui demander si cette farce n'a pas
+servi d'aliment aux flammes, avec environ deux mille autres manuscrits
+non jouables qui naturellement furent en grand péril, sinon entièrement
+consumés. Eh bien! n'est-ce pas là un trait caractéristique? Les
+passions de Pope ne sont rien en comparaison. Tandis que le pauvre
+directeur, tout bouleversé, déplorait la perte d'un édifice qui ne
+valait pas moins de trois cent mille livres sterling, avec quelque vingt
+mille autres que pouvaient avoir coûté les chiffons et le clinquant des
+costumes, les éléphans de <i>Barbe bleue</i> et le reste, voici venir un
+billet d'un endiablé d'auteur qui le rend responsable de deux actes et
+quelques scènes de sa farce!</p>
+
+<p>»Mon cher H..., rappelez à Drury que je lui souhaite mille prospérités,
+et priez Scrope Davies de me conserver son amitié. J'appelle de mes vœux
+le jour où je vous reverrai à Newstead, et où le champagne égaiera
+encore nos soirées: cet espoir me réjouit l'ame. Je n'ai laissé passer
+aucune occasion sans vous écrire; j'attends donc des réponses aussi
+régulières que celles de la Liturgie, et quelque peu plus longues. Comme
+il est impossible à un homme dans son bon sens de compter sur d'heureux
+jours, espérons au moins que nous en verrons de joyeux, ce qui y
+ressemble le plus en apparence, quoiqu'il n'en soit rien en réalité.</p>
+
+<p>»C'est dans cette attente que je suis, etc.»</p>
+
+<p>Faible et fort amaigri par suite de sa maladie à Patras, un jour, après
+son retour à Athènes, debout devant une glace, il dit à lord Sligo:
+«Comme je suis pâle! j'aimerais, je crois, à mourir de
+consomption.--Pourquoi de consomption? demanda son ami.--Parce qu'alors,
+répondit-il, toutes les femmes diraient: Voyez ce pauvre Byron, comme il
+a l'air intéressant en mourant!»</p>
+
+<p>Dans cette anecdote que, toute frivole qu'elle est, le narrateur citait
+comme une preuve du sentiment que le poète avait de sa propre beauté, on
+peut aussi trouver la trace de son habitude de tout rapporter à ce sexe
+qu'il affectait de mépriser, et qui cependant exerçait une puissante
+influence sur le cours et la teinte de toutes ses pensées.</p>
+
+<p>Il parlait souvent de sa mère à lord Sligo avec des sentimens qui
+s'éloignaient bien peu de l'aversion. «Quelque jour, lui dit-il, je vous
+expliquerai la cause de cette disposition de mon cœur.» Peu de tems
+après, un jour qu'ils se baignaient ensemble dans le golfe de Lépante,
+il rappela cette promesse, et montrant sa jambe et son pied nus. «Voyez,
+s'écria-t-il, c'est à ses absurdes faiblesses à l'époque de ma naissance
+que je dois cette difformité, et pourtant, d'aussi loin que je puisse me
+souvenir, elle n'a jamais cessé de me la reprocher. Même encore peu de
+jours avant notre dernière séparation, au moment où j'allais quitter
+l'Angleterre, elle prononça contre moi une imprécation dans un de ses
+accès de colère, et souhaita que je pusse devenir aussi difforme
+d'esprit que de corps!»</p>
+
+<p>L'expression de sa physionomie et de ses gestes ne peuvent être bien
+conçus que par ceux qui l'ont vu quelquefois dans un pareil état
+d'excitation.</p>
+
+<p>Habitué à manifester sans réserve ses sentimens et ses pensées, il ne
+déguisait pas davantage le peu de prix qu'il attachait à ces débris des
+arts antiques, qu'il voyait si ardemment recherchés par tous ses
+classiques compagnons de voyage. Lord Sligo se proposait d'employer
+quelque argent à faire faire des fouilles pour chercher des antiquités.
+Lord Byron, en lui offrant de surveiller ces travaux, et de tenir la
+main à ce que cet argent reçût une destination légitime, lui dit: «Vous
+pouvez être bien tranquille en vous en rapportant à moi, je ne suis pas
+<i>dilettante</i>. Tous vos connaisseurs sont des voleurs; mais je fais trop
+peu de cas de ces sortes de choses pour en dérober jamais.»</p>
+
+<p>Il observa plus sévèrement encore, pendant ses voyages, le régime qu'il
+avait adopté pour se faire maigrir, et qu'il avait commencé à suivre
+avant de quitter l'Angleterre. À Athènes, il prenait, dans ce dessein,
+des bains chauds trois fois la semaine; sa boisson habituelle était un
+mélange d'eau et de vinaigre, et il mangeait rarement autre chose qu'un
+peu de riz.</p>
+
+<p>Au nombre des personnes qu'il vit le plus à cette époque, outre lord
+Sligo, se trouvaient lady Hester Stanhope et M. Bruce; et même l'un des
+premiers objets qui s'offrirent aux yeux de ces voyageurs distingués, au
+moment où ils approchaient des côtes de l'Attique, fut Lord Byron se
+jouant dans son élément favori au pied des rochers du cap Colonne. Ils
+furent ensuite présentés les uns aux autres par lord Sligo; et ce fut,
+je crois, à sa table que, dans le cours de leur première entrevue, lady
+Hester, avec cette vive éloquence qui la rend si remarquable, fit
+chaudement la guerre au poète à propos de l'opinion peu favorable à
+l'intelligence des femmes, qu'elle lui supposait. Peu disposé, quand
+même il en eût été capable, à défendre une pareille hérésie contre une
+personne qui, par elle-même, en était la plus irrésistible réfutation,
+Lord Byron n'eut d'autre ressource contre les argumens de sa belle
+antagoniste, que le silence de l'assentiment. Lady Hester sut
+naturellement gré d'une pareille retenue de la part d'un homme de sa
+condition, et ils se lièrent, dès ce moment, de l'amitié la plus
+sincère. En rappelant dans ses <i>Memoranda</i> quelques souvenirs de cette
+époque, après avoir raconté qu'il fut, à Sunium, surpris au bain par une
+société anglaise, il ajoute: «Ce fut le commencement de la plus agréable
+connaissance que j'aie faite en Grèce...» Puis il continue en protestant
+à M. Bruce, si jamais ces pages tombent sous ses yeux, qu'il se
+souvenait encore avec plaisir des jours qu'ils avaient passés ensemble à
+Athènes.</p>
+
+<p>Pendant son séjour en Grèce à cette époque, nous le voyons former une de
+ces amitiés singulières (si l'on peut prononcer ce beau nom en pareille
+circonstance), dont j'ai cité déjà deux ou trois exemples en traçant
+l'histoire de sa jeunesse, et dont le charme principal à ses yeux semble
+avoir consisté dans le plaisir d'être protecteur, et celui de faire
+naître des sentimens de reconnaissance. Un jeune Grec, nommé Nicolo
+Giraud, fils d'une dame veuve, chez laquelle logeait l'artiste Lusieri,
+fut celui qu'il adopta de cette manière, sans doute par suite d'idées
+semblables à celles qui avaient inspiré ses premiers attachemens pour le
+jeune paysan de Newstead, et pour le jeune chantre de Cambridge. Il
+paraît avoir porté à ce jeune homme un intérêt très-vif, et l'on peut
+dire fraternel; c'est au point que, non-seulement il lui fit accepter,
+en le quittant à Malte, une somme considérable, mais encore il lui donna
+dans la suite, comme le lecteur le verra, une preuve plus durable de sa
+générosité.</p>
+
+<p>Quoiqu'il fît de tems à autre des excursions en Attique et en Morée, il
+avait fixé son quartier-général à Athènes, où il logeait dans un couvent
+de franciscains; et dans les intervalles d'une tournée à l'autre, il
+s'occupait à recueillir des matériaux pour ces notes sur la situation de
+la Grèce moderne, dont il a fait suivre le second chant de <i>Childe
+Harold</i>. Ce fut aussi dans cette retraite qu'il composa, comme pour
+braver le <i>Genius loci</i>, ses imitations d'Horace. Cette satire, qui
+retrace d'un bout à l'autre des scènes de la vie de Londres, porte pour
+date: «Athènes, couvent des Capucines, 12 mars 1811.»</p>
+
+<p>Dans le petit nombre de lettres qu'il écrivit encore à sa mère, je ne
+choisirai que les deux suivantes.</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE XLIX.</h3>
+
+<h4>À MRS. BYRON.</h4>
+
+<p class="rig">Athènes, 14 janvier 1811.</p><br><br>
+
+<p><span class="sc">Chère Madame</span>,</p>
+
+<p>«Je saisis, suivant mon usage, une occasion d'écrire brièvement, mais
+fréquemment; l'arrivée des lettres, à défaut de communications
+régulières, étant fort incertaine... J'ai dernièrement fait plusieurs
+tournées de quelque cent ou deux cents milles en Morée et dans
+l'Attique, etc. J'ai terminé aussi ma grande excursion par la Troade et
+Constantinople, etc., et suis maintenant revenu encore une fois à
+Athènes. Je crois vous avoir écrit plusieurs fois qu'à l'imitation de
+Léandre (quoique sans sa dame), j'avais traversé l'Hellespont de Sestos
+à Abydos. Fletcher, que j'ai renvoyé en Angleterre avec des papiers,
+vous instruira de cette circonstance et de quelques autres. Je n'aurai
+pas, je crois, à me plaindre beaucoup de son absence, connaissant
+passablement l'italien et le grec moderne; j'étudie cette dernière
+langue avec un maître, et j'en sais tout ce qu'un homme raisonnable peut
+désirer pour converser et donner des ordres. En outre, les lamentations
+perpétuelles de Fletcher sur la privation de bœuf et de bière, son
+mépris stupide pour tout ce qui est étranger, son incapacité
+insurmontable pour apprendre le moindre mot d'aucune langue, le
+rendaient une charge, suivant l'usage de tous les autres domestiques
+anglais. Je vous assure que l'ennui de parler pour lui, les consolations
+dont il avait besoin (beaucoup plus que moi-même), les pilaus (mets turc
+composé de riz et de viande) qu'il ne pouvait manger, les vins qu'il ne
+pouvait boire, les lits dans lesquels il ne pouvait dormir, et la longue
+liste des calamités, telles que les faux pas des chevaux, le manque de
+thé!!! qui l'assaillaient sans cesse, l'auraient rendu un objet
+continuel de plaisanteries pour les spectateurs et d'embarras pour son
+maître. Après tout, l'homme est assez honnête et assez capable dans un
+pays chrétien; mais en Turquie, Dieu me pardonne! mes soldats albanais,
+mes Tartares et mes janissaires travaillaient pour lui et pour nous
+aussi, ainsi que mon ami Hobhouse peut le certifier.</p>
+
+<p>»Il est probable que je reviendrai en Angleterre au printems; mais pour
+l'exécution de ce projet, il me faut des remises. Mes propres fonds
+m'auraient très-bien suffi; mais j'ai été obligé d'aider un ami qui me
+paiera, j'en suis certain; et en attendant je n'ai pas le sou.
+Maintenant je ne me soucie pas d'entreprendre un voyage d'hiver, même
+quand je serais fatigué de voyager; et je suis tellement convaincu des
+avantages que l'on recueille à observer l'espèce humaine au lieu de lire
+ce que l'on en écrit, et des fâcheux effets de rester chez soi, en proie
+aux préjugés étroits d'un insulaire, que je pense qu'il devrait exister
+parmi nous une loi qui envoyât pour un tems les jeunes gens à
+l'étranger, chez le petit nombre d'alliés que nos guerres nous ont
+laissés.</p>
+
+<p>»Ici je vis et je converse avec des Français, des Italiens, des
+Allemands, des Danois, des Grecs, des Turcs, des Américains, etc., etc.,
+etc.; et sans perdre de vue mon pays, je puis juger des manières des
+autres. Quand je reconnais la supériorité de l'Angleterre (sur le compte
+de laquelle, soit dit en passant, nous nous abusons en bien des choses),
+j'en suis satisfait; et lorsque je la trouve inférieure, je m'éclaire au
+moins sous ce rapport. J'aurais pu continuer un siècle à être enfumé
+dans vos villes, ou à humer le brouillard dans vos campagnes, sans
+apprendre cette vérité, et sans rien acquérir chez moi de plus utile ou
+de plus agréable. Je ne tiens point de journal, et n'ai point
+l'intention de griffonner mes voyages. J'ai fini avec le métier
+d'auteur; et si, dans ma dernière production, j'ai prouvé aux critiques
+ou au monde que j'étais quelque chose de plus que ce qu'ils supposaient,
+je suis satisfait, et ne hasarderai point <i>cette réputation</i> par un
+futur effort. Il est vrai que j'ai quelques autres productions en
+portefeuille; mais je les laisse pour ceux qui me survivront. Si on les
+juge dignes de la publication, elles serviront à éterniser ma mémoire,
+lorsque moi-même j'aurai cessé d'avoir un souvenir. J'ai pris ici un
+artiste bavarois qui prend pour moi quelques vues d'Athènes, etc. Cela
+vaudra mieux que du griffonnage, maladie dont j'espère être guéri. À mon
+retour, j'espère mener une vie tranquille et retirée; mais Dieu sait
+mieux que nous ce qu'il nous faut, et agit en conséquence, au moins à ce
+que l'on dit. Je n'ai point d'objection à faire à cela, après tout,
+n'ayant pas raison de me plaindre de mon lot. Je suis cependant
+convaincu que les hommes se font eux-mêmes plus de mal que le diable ne
+pourrait jamais leur en faire. J'espère que cette lettre vous trouvera
+en bonne santé, et autant heureuse que nous pouvons l'être. Vous
+apprendrez au moins avec plaisir qu'il en est ainsi pour moi, et que je
+suis à jamais votre...»</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE L.</h3>
+
+<h4>À MRS. BYRON.</h4>
+
+<p class="rig">Athènes, 28 février 1811.</p><br><br>
+
+<p><span class="sc">Chère Madame</span>,</p>
+
+<p>«Comme j'ai reçu un firman pour l'Égypte, etc., je partirai pour ce pays
+dans le courant du printems, et je vous prie de mander à M. H... qu'il
+est nécessaire de me faire parvenir des fonds. Au sujet de Newstead, je
+réponds, comme auparavant, non. S'il faut vendre, vendez Rochdale.
+Fletcher sera arrivé à cette époque avec mes lettres relatives à cet
+objet. Je vous dirai d'abord franchement que je n'aime pas les placemens
+de fonds. Si, par quelque circonstance particulière, j'étais amené à
+adopter une telle résolution, j'irais, à tout événement, passer ma vie à
+l'étranger: le seul lien qui m'attache à l'Angleterre est Newstead; et
+ce lien une fois rompu, ni mon intérêt ni mes inclinations ne
+m'appelleraient dans le Nord. La médiocrité dans votre pays est
+l'opulence en Orient, tant est grande la différence qui existe dans la
+valeur monétaire et l'abondance des objets nécessaires à la vie. Je me
+sens tellement un citoyen du monde, que le pays où je pourrai jouir d'un
+climat délicieux et de toutes les recherches du luxe, à un prix moindre
+que celui de la vie ordinaire de collége en Angleterre, sera toujours
+une patrie pour moi. Telles sont en effet les côtes de l'Archipel. Voici
+donc l'alternative:--Si je garde Newstead, je reviens; si je le vends,
+je reste à l'étranger. Je n'ai reçu d'autres lettres de vous que celles
+de juin, mais j'ai écrit plusieurs fois; et, comme à l'ordinaire, je
+continuerai d'après le même plan.</p>
+
+<p>»Croyez-moi à jamais votre, etc.<br>
+
+<span class="rig">BYRON.</span><br></p>
+
+<p>»<i>P. S.</i> Je vous verrai probablement dans le cours de l'automne; mais je
+ne puis réellement, à une telle distance, vous désigner aucun mois en
+particulier.»</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE LI.</h3>
+
+<h4>À M. HODGSON.</h4>
+
+<p class="mid">À bord de la frégate <i>la Volage</i><a id="footnotetag141" name="footnotetag141"></a>
+<a href="#footnote141"><sup class="sml">141</sup></a>, 29 juin 1811.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote141"
+name="footnote141"><b>Note 141: </b></a><a href="#footnotetag141">
+(retour) </a> Le voyage d'Égypte, que, par la lettre précédente,
+ il semble avoir projeté, fut abandonné, probablement à défaut
+ des fonds qu'il attendait; et, le 3 de juin, il mit à la
+ voile de Malte pour l'Angleterre, sur la frégate <i>la Volage</i>,
+ ayant, pendant son court séjour à Malte, éprouvé une violente
+ attaque de fièvre tierce. D'après les lettres mélancoliques
+ qui suivent, on peut se faire une idée des sentimens avec
+ lesquels il revenait dans sa patrie.</blockquote>
+
+<p>«Dans huit jours, avec un bon vent, nous serons à Portsmouth; et, le 2
+de juillet, se termineront (jour pour jour) deux années d'un voyage
+duquel je reviens avec aussi peu d'émotion qu'à mon départ. Je pense
+pourtant que j'ai eu plus de peine à quitter la Grèce que l'Angleterre,
+pays que je suis impatient de revoir par la seule raison que je suis las
+d'un si long voyage.</p>
+
+<p>»En vérité, mon avenir n'offre rien de très-agréable. Embarrassé dans
+mes affaires particulières, indifférent au public, solitaire semis avoir
+le désir de la société, le corps affaibli par des fièvres successives,
+mais l'esprit, je l'espère, non encore abattu, je retourne <i>au logis</i>
+sans une espérance, et presque sans un désir. La première chose qu'il me
+faudra braver, sera un homme de loi; la seconde un créancier, puis des
+charbonniers, des fermiers, des arpenteurs, et toutes les agréables
+conséquences d'un domaine en désordre et de mines de charbon contestées.
+En un mot, je suis malade et chagrin; et, lorsque j'aurai un peu réparé
+mes irréparables affaires, je décamperai ou vers l'Espagne pour y
+guerroyer, ou encore une fois vers l'Orient, où je puis au moins avoir
+des cieux sans nuages et un refuge contre les impertinens.</p>
+
+<p>»Je compte vous rencontrer ou vous voir à la ville ou à Newstead, toutes
+les fois que vous pourrez y venir sans vous déranger. Je suppose que,
+comme d'habitude, vous faites de l'amour et de la poésie. Ce mari de
+H... Drury ne m'a jamais écrit, quoique je lui aie adressé plus d'une
+lettre; mais je jurerais que le pauvre homme a de la famille, et que par
+conséquent tous ses soins sont concentrés dans son cercle.</p>
+
+<p>Car des enfans causent de nouvelles dépenses, et Dicky est maintenant en
+âge d'aller à l'école.<br>
+
+<span class="rig">(<span class="sc">Warton</span>.)</span><br></p>
+
+<p>»Si vous le voyez, dites-lui que je lui apporte une lettre de Tucker, un
+de ses amis, chirurgien de l'armée, qui m'a soigné et est un très-digne
+homme, quoiqu'il aime trop les mots de son métier. J'arriverais trop
+tard pour le jour des exercices oratoires, ou je serais probablement
+descendu à Harrow.<br>........................................................................................
+........................................................</p>
+
+<p>»J'ai beaucoup regretté en Grèce d'avoir omis d'emporter
+l'<i>Anthologie</i>.--Je veux dire celle de Bland et de
+Mirivale. ....................................................................................................................................................</p>
+
+<p>»Qu'est devenu sir Edgar? Et les imitations et les traductions, où en
+sont-elles? Je suppose que vous n'avez pas l'intention d'abandonner si
+aisément le public, mais que vous l'attaquerez avec un in-quarto. Quant
+à moi, je suis excédé des fats de la poésie et des bavardages, «et je
+laisserai tout le domaine Castalien» à Bufo ou à tout autre. Mais vous
+êtes un homme sentimental et sensible, et vous rimerez jusqu'à la fin du
+chapitre. Quoi qu'il en soit, j'ai écrit quelque quatre mille vers d'un
+genre ou d'un autre, sur mes voyages.</p>
+
+<p>»Je n'ai pas besoin de vous répéter que je serais heureux de vous voir.
+J'arriverai à Londres vers le 8, à l'hôtel de Dorant, rue d'Albemarle,
+et mes affaires m'appelleront quelques jours après dans le Nottingham
+supérieur, et de là à Rochdale.</p>
+
+<p>»Je suis, ici et là, votre, etc.»</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE LII.</h3>
+
+<h4>À MRS. BYRON.</h4>
+
+<p class="mid">À bord de la frégate <i>la Volage</i>, 25 juin 1811.</p>
+
+<p><span class="sc">Chère Mère</span>,</p>
+
+<p>«Cette lettre, qui vous sera envoyée à notre arrivée à Portsmouth,
+probablement vers le 4 de juillet, a été commencée à peu près
+vingt-trois jours après notre départ de Malte. Le 2 de juillet, jour
+pour jour, j'aurai été deux ans absent de l'Angleterre, et j'y reviens
+en grande partie avec les mêmes sentimens qui me dominaient à mon
+départ; savoir, l'indifférence. Mais cette apathie ne s'étend
+certainement pas jusqu'à vous, ainsi que je vous le prouverai par tous
+les moyens en mon pouvoir. Vous serez assez bonne pour faire préparer
+mon appartement à Newstead; mais que rien ne vous dérange, et surtout
+que ce ne soit pas moi. Ne me considérez que comme une visite ordinaire.
+Je dois seulement vous informer que, depuis long-tems, je me suis
+astreint à une diète végétale complète, et que le poisson ni la viande
+n'entrent dans mon régime. Je compte donc sur une provision considérable
+de pommes de terre, d'herbes et de biscuit. Je ne bois point de vin.
+J'ai avec moi deux domestiques, hommes de moyen âge, et tous deux Grecs.
+Mon intention est de me rendre d'abord à Londres pour voir M. H..., et
+de passer de là à Newstead, en allant à Rochdale. Je n'ai d'autre prière
+à vous faire que celle de ne point oublier mon régime, qu'il m'est
+très-nécessaire d'observer. Je suis en bonne santé, comme je l'ai
+généralement été, à l'exception de deux accès de fièvre dont je fus
+promptement débarrassé.</p>
+
+<p>»Mes projets dépendront tellement des circonstances, que je ne me
+hasarderai point à énoncer une opinion à ce sujet. Mon avenir n'est pas
+flatteur; mais je suppose que nous lutterons toute notre vie, comme nos
+voisins. En vérité, d'après les dernières informations de H..., j'ai
+quelque crainte de trouver Newstead démantelé par MM. Brothers, etc.:
+H... semble déterminé à me forcer à le vendre; mais il sera trompé dans
+son espoir. Je pense que je ne serai pas obsédé de visiteurs; mais s'il
+en était autrement, vous devrez les recevoir, car je suis résolu à ne
+laisser violer ma retraite par personne. Vous savez que je n'ai jamais
+beaucoup aimé la société; je l'aime encore moins qu'auparavant. Je vous
+apporte un schall et une quantité d'essence de roses. Il faudra que
+j'entre tout cela par contrebande, s'il est possible. J'espère trouver
+ma bibliothèque en assez bon ordre.</p>
+
+<p>»Fletcher est sans doute arrivé. Je distrairai le moulin, de la ferme de
+M. B***; son fils est un trop brillant séducteur pour hériter des deux
+objets, et j'y placerai Fletcher, qui m'a servi fidèlement, et dont
+l'épouse est une bonne femme. Il est, en outre, nécessaire de tempérer
+l'ardeur du jeune M. B***, ou il peuplera la paroisse de bâtards. En un
+mot, s'il avait séduit une laitière, il aurait pu trouver quelque
+excuse; mais la fille est son égale, et, dans la haute comme dans la
+basse classe, en circonstance semblable, la réparation est de droit;
+mais je n'interviendrai qu'en démembrant (comme Bonaparte) le royaume de
+M. B***, afin d'en ériger une partie en principauté pour le
+feld-maréchal Fletcher. J'espère que vous gouvernez d'une main prudente
+mon petit empire et sa triste charge de dette nationale. Pour rompre la
+métaphore, permettez-moi de me dire votre, etc.</p>
+
+<p>»<i>P. S.</i> Cette lettre était écrite pour être envoyée de Portsmouth;
+mais, à notre arrivée, l'escadre a reçu l'ordre de se rendre à Nore.
+C'est de là que partira ma lettre. Je n'ai point fait cet envoi plus
+tôt, parce que j'ai supposé que vous pourriez éprouver des inquiétudes,
+l'intervalle mentionné dans la lettre étant plus long que celui qui
+devait exister entre notre arrivée au port et ma venue à Newstead.»</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE LIII.</h3>
+
+<h4>À M. HENRY DRURY.</h4>
+
+<p class="mid">À bord de la frégate <i>la Volage</i>, à la hauteur d'Ouessant, 17 juillet
+1811.</p>
+
+<p><span class="sc">Mon cher Drury</span>,</p>
+
+<p>«Après deux ans et quelques jours d'absence (le 2), j'approche de votre
+patrie. L'extérieur de ma lettre vous indiquera le jour de mon arrivée.
+Maintenant nous sommes agréablement retenus, par un calme plat, près du
+port de Brest. Je n'en ai jamais été si près depuis que j'ai quitté
+Duck-Puddle.<br> ........................................................................................................................................</p>
+
+<p>»Nous sommes partis de Malte depuis trente-quatre jours, et nous avons
+eu une traversée fort ennuyeuse. Vous me verrez ou entendrez parler de
+moi bientôt après la réception de cette lettre, puisque je dois passer
+par Londres, afin de réparer mes irréparables affaires. De là il me faut
+aller dans le Nottinghamshire, y lever des rentes; ensuite dans le
+Lancashire, y vendre des mines de charbon; et revenir à Londres payer
+des dettes; car il semble que je n'aurai jamais ni charbon ni repos que
+je n'aille à Rochdale en personne.</p>
+
+<p>»Je rapporte quelques marbres pour Hobhouse, pour moi quatre anciens
+crânes athéniens<a id="footnotetag142" name="footnotetag142"></a>
+<a href="#footnote142"><sup class="sml">142</sup></a>, tirés de sarcophages, une fiole de ciguë
+attique<a id="footnotetag143" name="footnotetag143"></a>
+<a href="#footnote143"><sup class="sml">143</sup></a>, quatre tortues vivantes, un lièvre (mort dans la
+traversée), deux domestiques grecs, vivans, l'un Athénien, l'autre
+Yaniote, lesquels ne peuvent parler que le romaïque ou l'italien, et
+<i>moi-même</i>, comme le dit finement Moses dans le <i>Vicaire de Wakefield</i>,
+et je puis le dire à son exemple, car j'ai aussi peu de raison de me
+vanter de mon expédition que lui de la sienne à la foire.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote142"
+name="footnote142"><b>Note 142: </b></a><a href="#footnotetag142">
+(retour) </a> Donnés par la suite à sir Walter Scott.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote143"
+name="footnote143"><b>Note 143: </b></a><a href="#footnotetag143">
+(retour) </a> Possédée aujourd'hui par M. Murray.</blockquote>
+
+<p>»Je vous écrivis des rochers Cyanéens, pour vous dire que j'avais
+traversé la mer à la nage de Sestos à Abydos. Avez-vous reçu ma
+lettre?... Je suppose qu'Hodgson est, à l'heure qu'il est, enfoncé dans
+l'étude. Que n'aurait-il pas donné pour avoir vu, comme moi, le
+véritable Parnasse, où je fis tort à l'évêque de Chrissa d'un livre de
+géographie? Mais je n'appelle cela qu'un plagiat, en ce que cette action
+fut commise à une heure de chemin de Delphes.»</p>
+
+<p>Maintenant que nous avons ramené le jeune voyageur en Angleterre, il
+peut être intéressant, avant de le suivre dans les scènes qui
+l'attendaient chez lui, de considérer à quel point le caractère général
+de son esprit et de son humeur avait été modifié par la série de voyages
+et d'aventures dans lesquels il avait été engagé pendant les deux années
+qui venaient de s'écouler. Il serait difficile d'imaginer une vie moins
+poétique et moins romanesque que celle qu'il avait menée avant son
+départ pour ses voyages. Dans sa jeunesse, il est vrai, il avait vécu et
+erré parmi des scènes bien capables, selon les idées ordinaires, de
+former les premiers germes du sentiment poétique. Mais bien que le poète
+ait pu se nourrir plus tard de ces brillans souvenirs, il est plus que
+douteux, comme on l'a déjà fait observer, qu'il ait été formé par eux.
+S'il était vrai qu'une jeunesse passée au milieu des scènes de montagnes
+fût si favorable au développement des talens d'imagination, les Gallois
+parmi nous, et les Suisses à l'étranger, devraient briller plus qu'ils
+ne le font de nos jours par leurs conceptions poétiques. Mais, en
+accordant même que la mémoire des premières excursions de Byron ait eu
+quelque part dans la direction de ses idées, l'effet réel de cette
+influence, quelle qu'elle fût, cessa avec son enfance, et la vie qu'il
+mena ensuite, durant son séjour au collége d'Harrow, fut ce que
+naturellement la vie d'un écolier si rêveur et si entreprenant devait
+être, tout autre chose que poétique. Pour un soldat ou un aventurier,
+l'éducation qu'il reçut alors eût été parfaite. Ses exercices
+athlétiques, ses combats, son amour pour les entreprises hasardeuses,
+donnèrent les indices d'un esprit fait pour la carrière la plus
+orageuse; mais ces dispositions paraissaient, de toutes, les moins
+favorables aux études méditatives de la poésie; et bien qu'elles
+promissent de le rendre plus tard un sujet d'inspiration pour les
+poètes, elles ne donnaient assurément que très-peu d'espérance de le
+voir jamais lui-même briller au premier rang parmi eux.</p>
+
+<p>Ses habitudes à l'université étaient encore moins intellectuelles et
+moins littéraires. Dès son enfance, il avait lu beaucoup et avec ardeur,
+quoique sans méthode; mais cette application même de son esprit,
+irrégulière et sans direction comme elle était, il l'avait en grande
+partie abandonnée après son départ d'Harrow; et au nombre des
+occupations qui se partageaient son tems à l'académie, les jeux de
+hasard, l'escrime, les soins à donner à son ours et à ses boul-dogues
+furent au moins les plus innocentes, si elles ne furent pas les plus
+favorites. Pendant son séjour à Londres, on ne le voit pas davantage
+cultiver son intelligence, ou rechercher des amusemens plus délicats.
+N'ayant aucune ressource de société privée par le manque absolu d'amis
+et de parens, il était réduit dans cette ville à fréquenter les oisifs
+de café; et pour ceux qui se rappellent ce qu'étaient à cette époque les
+cafés de Limmer et Stevens, les deux maisons qu'il visitait de
+préférence, il est inutile de dire que, quel que fût d'ailleurs le
+mérite de ces établissemens, ils n'étaient rien moins que des écoles
+convenables au développement d'un caractère poétique.</p>
+
+<p>Mais quelque incompatible qu'une telle vie pût être avec les habitudes
+de contemplation qui seules pouvaient éveiller et fortifier les hautes
+facultés qu'il avait déjà montrées, cependant, sous un autre point de
+vue, le tems qu'il perdit alors en apparence fut, dans la suite, mis à
+profit d'une manière incontestable. En l'initiant ainsi peu à peu à la
+connaissance des variétés de l'esprit humain, en lui donnant l'aperçu
+exact des détails de la société dans leurs formes les moins
+artificielles; enfin, en le mêlant si jeune avec le monde, ses affaires
+et ses plaisirs, la vie qu'il menait à Londres contribua certainement à
+former cette combinaison extraordinaire, qu'on admira plus tard en lui,
+de l'imagination et de la connaissance du monde, de l'héroïque et du
+plaisant, des aperçus les plus fins et les plus minutieux de la vie
+réelle avec les conceptions les plus élevées et les plus sublimes de la
+grandeur idéale.</p>
+
+<p>Une autre disposition dominante de son esprit plus mûr et de ses écrits
+dut peut-être sa naissance aux mêmes causes. Dans cette expérience
+anticipée du monde que lui donnait son contact précoce avec la foule, il
+n'est guère probable qu'un grand nombre des caractères les plus dignes
+de l'espèce humaine aient frappé ses regards. Il n'est que trop
+probable, au contraire, que les individus les plus légers et les moins
+estimables des deux sexes durent être au nombre de ses modèles, et que
+c'est d'après eux, à un âge où les impressions se gravent le plus
+fortement, que ses premiers jugemens sur la nature humaine furent
+formés. De là probablement ces aperçus méprisans et dégradans pour
+l'humanité, qu'il était dans l'usage d'allier au tribut plus noble qu'il
+payait à la beauté et à la majesté de la nature en général. De là le
+contraste qui apparaît entre les productions de son imagination et
+celles de son expérience; entre ces rêves pleins de beauté et de douceur
+que l'une créait à sa volonté, et l'amertume, sombre et désolante qui
+débordait de tous côtés lorsqu'il ne consultait plus que l'autre.</p>
+
+<p>Malgré le peu d'espérance que donnait sa jeunesse de la haute destinée
+qui l'attendait, elle présentait déjà un caractère singulier de la
+puissance de son imagination; je veux parler de cet amour de la solitude
+qui, de bonne heure, indique ces goûts d'étude et d'observation de
+soi-même par lesquelles seules «les carrières de diamans» du génie sont
+exploitées et mises au grand jour. Dans son enfance à Harrow, il avait
+fortement montré cette disposition; on le connaissait au collége comme
+je l'ai déjà dit, pour aimer à s'éloigner de ses camarades, et à
+s'asseoir seul sur une tombe dans le cimetière, s'abandonnant ainsi à la
+rêverie pendant des heures entières. À mesure que son esprit révéla ses
+ressources, ce sentiment domina en lui; et quand ses voyages à
+l'étranger n'auraient servi qu'à le détacher des distractions de la
+société pour le mettre en état, solitaire célèbre, de communiquer avec
+son propre esprit, cela eût été un grand pas de fait vers l'expansion
+complète de ses facultés. Ce fut réellement alors qu'il commença à se
+sentir capable de se livrer au détachement que l'étude de soi-même
+exige, et qu'il put jouir de cette liberté, indépendante du mélange des
+pensées d'autrui, et qui seule laisse l'esprit contemplatif maître de
+ses propres idées. Dans la solitude de ses nuits sur mer, dans ses
+excursions isolées à travers la Grèce, il jouit d'assez de loisir et de
+solitude pour s'observer lui-même, et là s'apercevoir des premiers
+«éclairs de son glorieux génie.» Un de ses principaux plaisirs, ainsi
+qu'il en fait mention dans ses <i>Memoranda</i>, était, lorsqu'il se baignait
+dans quelque lieu retiré, de s'asseoir, au-dessus de la mer, sur des
+rochers élevés, et là de rester des heures entières à contempler les
+cieux et les eaux<a id="footnotetag144" name="footnotetag144"></a>
+<a href="#footnote144"><sup class="sml">144</sup></a>, et à se perdre dans cette sorte de vague rêverie
+qui, quoique sans forme arrêtée, et sans but pour le moment, se
+répandait ensuite, dans ses écrits, en peintures énergiques et
+brillantes qui vivront à jamais.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote144"
+name="footnote144"><b>Note 144: </b></a><a href="#footnotetag144">
+(retour) </a> Il fait allusion à cette passion dans ces belles
+ stances:
+
+<p> «S'asseoir sur les rochers, contempler la mer, etc.»</p>
+
+<p> Alfieri, avant que son génie ne se fût complètement
+ développé, ainsi qu'il nous le dit, avait l'habitude de
+ passer des heures dans une sorte d'état de rêverie, à
+ contempler l'Océan: «Après le spectacle, un de mes amusemens
+ à Marseille était de me baigner presque tous les soirs dans
+ la mer. J'avais trouvé un petit endroit fort agréable, sur
+ une langue de terre placée à droite hors du port; où, en
+ m'asseyant sur le sable, le dos appuyé contre un petit rocher
+ qui empêchait qu'on ne pût me voir du côté de la terre, je
+ n'avais plus devant moi que le ciel et la mer. Entre ces deux
+ immensités, qu'embellissaient les rayons d'un soleil
+ couchant, je passai, en rêvant, des heures délicieuses; et
+ là, je serais devenu poète, si j'avais su écrire dans une
+ langue quelconque.»</p></blockquote>
+
+<p>S'il n'eût pas été livré à ces doutes et à cette défiance qui entourent
+les premiers pas du génie, les sentimens qu'il devait éprouver et ses
+découvertes dans un nouveau domaine d'intelligence, auraient dû
+convertir les heures solitaires du jeune voyageur en un rêve de bonheur.
+Mais on verra que dans ces momens même, il se défiait de sa propre
+force, et qu'il ne se doutait nullement de la hauteur à laquelle
+s'élèverait l'esprit qu'il évoquait alors. Il devint tellement épris de
+ces rêveries solitaires, que la société même de son compagnon de voyage,
+malgré la sympathie de ses goûts avec les siens, devint pour lui une
+chaîne et un fardeau; et ce ne fut que lorsqu'il se trouva seul, sur le
+rivage d'une petite île de la mer Égée, que son génie respira librement.
+Si l'on voulait une preuve plus forte de sa passion profonde pour
+l'isolement, nous la trouverions, quelques années après, dans ses
+propres écrits, lorsqu'il avoue que, dans la compagnie de la femme qu'il
+aima le plus, il se surprit souvent soupirant après la solitude.</p>
+
+<p>Ce ne fut pas seulement en lui procurant la retraite dont il avait
+besoin pour faire éclore dans le silence ses facultés admirables, que
+les voyages contribuèrent puissamment à la formation de son caractère
+poétique; dès son enfance même, il avait contemplé l'Orient avec des
+yeux romanesques. La lecture qu'il fit, avant l'âge de dix ans, de
+l'histoire des Turcs, par Rycaut, avait pris un fort ascendant sur son
+esprit, et il avait lu avec avidité tous les livres sur l'Orient qu'il
+avait pu rencontrer<a id="footnotetag145" name="footnotetag145"></a>
+<a href="#footnote145"><sup class="sml">145</sup></a>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote145"
+name="footnote145"><b>Note 145: </b></a><a href="#footnotetag145">
+(retour) </a> Quelques mois avant sa mort, dans une conversation
+ avec Mavrocordato, à Missolonghi, Lord Byron dit: «L'histoire
+ turque fut un des premiers livres qui procura du plaisir à ma
+ jeunesse; et je pense que cette lecture eut beaucoup
+ d'influence sur les désirs que j'eus ensuite de visiter le
+ Levant, et donna peut-être à ma poésie cette teinte orientale
+ que l'on y remarque.»<br>
+
+<span class="rig"> (<i>Récit du comte Gamba</i>.)</span><br>
+
+<p> Dans la dernière édition de l'ouvrage du docteur Israeli, sur
+ le <i>caractère littéraire</i>, on trouve quelques notes
+ marginales assez curieuses, écrites par Lord Byron dans un
+ exemplaire de cet ouvrage qui lui appartenait. Parmi ces
+ notes est l'énumération suivante des écrivains qui, outre
+ Rycaut, avaient attiré son attention sur l'Orient de si bonne
+ heure.</p>
+
+<p> «Knolles, Cantemir, de Tott, lady M.W. Montague, la
+ traduction d'Hawkin de l'<i>Histoire des Turcs</i> par Mignot, les
+ <i>Mille et Une Nuits</i>, tous les voyages, toutes les histoires,
+ tous les livres sur l'Orient que je pouvais trouver, je les
+ avais lus, ainsi que Rycaut, avant l'âge de dix ans. Je pense
+ que je lus les <i>Mille et Une Nuits</i> en premier lieu; après
+ cela je préférai le récit des combats de mer, le roman de
+ <i>Don Quichotte</i> et ceux de Smollett, particulièrement
+ <i>Roderic Random</i>, et j'étais passionné pour l'histoire
+ romaine. Lorsque j'étais enfant, je ne pus jamais lire sans
+ dégoût un livre de poésie.»</p></blockquote>
+
+<p>Il s'ensuit qu'en visitant ces contrées il ne fit que réaliser les rêves
+de sa jeunesse, et ce retour de ses pensées vers ce tems d'innocence
+donna à leur cours une fraîcheur et une pureté dont elles avaient manqué
+depuis long-tems. Sans le charme de ces souvenirs, l'attrait de la
+nouveauté était la moindre chose que lui présentaient les scènes
+nouvelles à travers lesquelles il passait. De doux souvenirs du passé,
+et peu d'hommes les ont retenus aussi vivement, se mêlaient aux
+impressions des objets présens à ses yeux; et comme, dans les montagnes
+d'Écosse, il avait souvent traversé, en imagination, les pays musulmans,
+ainsi la même faculté le transportait des montagnes sauvages de
+l'Albanie à celles de Monroy.</p>
+
+<p>Tandis qu'il trouvait à chaque pas des inspirations poétiques, il y
+avait aussi dans ce prompt changement de place et de scène, dans cette
+diversité d'hommes et d'usages qui l'entouraient, dans l'espérance
+continuelle d'aventures nouvelles, et d'entreprises extraordinaires, une
+succession et une variété d'<i>excitation</i> toujours renouvelée, qui
+mettaient non-seulement en action, mais rendaient plus vigoureuse toute
+l'énergie de son caractère. Ainsi qu'il décrit lui-même sa manière de
+vivre, c'était aujourd'hui dans un palais, demain dans une étable; un
+jour avec le pacha, l'autre avec le berger. C'est ainsi qu'il trouva
+toujours à exercer son esprit observateur, et que les impressions se
+multiplièrent sur son imagination. Déjà initié à quelques-unes des
+privations et des peines de la vie, pouvant juger par-là des rigueurs de
+l'adversité, il apprit à agrandir le cercle de ses sympathies, plus
+qu'il n'est ordinaire dans le rang élevé auquel il appartenait, et il
+s'habitua à cette trempe vigoureuse et mâle de pensée qui est si
+profondément gravée dans tous ses écrits. Nous ne devons pas oublier, au
+nombre de ces salutaires effets de ses voyages, les nobles inspirations
+du danger qu'il éprouva plus d'une fois, ayant été placé, tant sur terre
+que sur mer, dans des situations bien calculées pour éveiller ces
+sentimens d'énergie que des périls envisagés de sang-froid ne manquent
+jamais de faire naître.</p>
+
+<p>Le vif intérêt, qu'en dépit de sa philosophie apparente à cet égard,
+dans <i>Childe Harold</i>, il prenait à tout ce qui se rattache à la vie
+militaire, trouva des occasions fréquentes de satisfaction,
+non-seulement à bord des vaisseaux de guerre anglais sur lesquels il
+s'embarqua, mais aussi dans ses divers rapports avec les soldats du
+pays. À Salora, place isolée sur le golfe d'Arta, il passa une fois deux
+ou trois jours logé dans une misérable baraque. Pendant tout ce tems il
+vécut familièrement avec les soldats. Ces guerriers farouches, que l'on
+pourrait presque appeler des brigands, assis autour du jeune poète, et
+examinant avec une sauvage admiration son fusil de Manton<a id="footnotetag146" name="footnotetag146"></a>
+<a href="#footnote146"><sup class="sml">146</sup></a> et son
+épée anglaise, présentaient chaque soir une scène curieuse dont le
+tableau pourrait offrir un contraste, malheureusement trop affligeant,
+avec ce qui se passa quand le poète, devenu l'un de leurs capitaines,
+mourut sur cette même terre avec des Souliotes pour gardes et la Grèce
+entière pour cortége de deuil.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote146"
+name="footnote146"><b>Note 146: </b></a><a href="#footnotetag146">
+(retour) </a> «Il plut beaucoup le jour suivant, et nous
+ passâmes encore cette soirée avec nos soldats. Leur
+ capitaine, Elmas, essaya un beau fusil de Manton<a id="footnotetag146a" name="footnotetag146a"></a>
+<a href="#footnote146a"><sup class="sml">146a</sup></a>,
+ appartenant à mon ami; et comme il touchait le but à chaque
+ coup, il y prit grand plaisir: <i>Hobhouse's Journey</i>, etc.»</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote146a"
+name="footnote146a"><b>Note 146a: </b></a><a href="#footnotetag146a">
+(retour) </a> Nom d'un arquebusier.</blockquote>
+
+<p>Il est vrai qu'au milieu des émotions réveillées par cette variété
+d'objets, son esprit était toujours plongé dans cette mélancolie qu'il
+avait apportée de son pays natal. Il fit sur M. Adair et sur M. Bruce,
+comme je l'ai déjà dit, l'effet d'un homme en proie à un profond
+abattement; et ce fut aussi l'opinion du colonel Leake, qui, à cette
+époque, était notre résident à Joannina<a id="footnotetag147" name="footnotetag147"></a>
+<a href="#footnote147"><sup class="sml">147</sup></a>. Mais cette mélancolie
+même, malgré son opiniâtreté, dut certainement parvenir, sous
+l'influence énergique et salutaire de sa vie errante, à un degré
+d'élévation qu'elle n'aurait jamais pu atteindre au milieu des
+contrariétés qui l'obligeaient à se replier sur elle-même. S'il n'eût
+pas voyagé, peut-être serait-il devenu un satirique grondeur; mais à
+mesure que ses yeux embrassaient un plus vaste horizon, tous les
+sentimens de son cœur se développèrent dans la même proportion; et cette
+tristesse innée, en se combinant avec les effusions de son génie, devint
+une des principales causes de leur énergie et de leur grandeur. Quelle
+pensée sublime, en effet, s'éleva jamais dans l'ame, sans que la
+mélancolie, quoique ignorée peut-être, y ait eu quelque part?</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote147"
+name="footnote147"><b>Note 147: </b></a><a href="#footnotetag147">
+(retour) </a> Il faut se rappeler que ces deux personnes le
+ virent le plus souvent dans des circonstances où l'étiquette
+ des présentations devait, par suite de sa froide réserve,
+ porter au plus haut degré la tristesse de ses pensées. Son
+ compagnon de voyage parle de lui bien différemment. Dans le
+ récit d'une courte excursion à Négrepont, M. Hobhouse, qui ne
+ put l'y accompagner, exprime avec force le vide que lui fait
+ éprouver l'absence d'un ami qui joignait à la vivacité
+ d'observation et à des remarques piquantes, cette bonne
+ humeur communicative, qui réveille l'attention au milieu des
+ fatigues et rend les dangers moins terribles. Lord Byron,
+ dans quelques vers des imitations d'Horace, adressés
+ évidemment à M. Hobhouse, se rend la même justice, en ce qui
+ regarde sa sociabilité, mais il donne une idée plus nette de
+ la tournure d'esprit qui en était la source:
+
+<p> «Cher Moschus, avec toi j'espère encore passer de longues
+ heures, riant de la folie des hommes, si nous ne pouvons
+ sourire à leurs traits d'esprit. Oui, je veux, ami, quitter
+ pour toi ma cellule de cynique, et adopter la devise de
+ Swift: Vivent les badinages! etc.»</p></blockquote>
+
+<p>Les lettres qu'il écrivit pendant la traversée, à son retour en
+Angleterre, nous ont appris combien alors les dispositions de son ame
+étaient loin d'être gaies et ses espérances d'être flatteuses; sans
+contredit, eût-il été doué de la plus grande confiance, les contrariétés
+qui l'attendaient dans sa patrie étaient bien suffisantes pour attrister
+ses prévisions et comprimer son élasticité d'esprit. «Être heureux chez
+soi, dit Johnson, c'est là en définitive, le but de toute ambition, la
+fin où tendent nos travaux et nos entreprises.» Mais Lord Byron n'avait
+pas de <i>chez soi</i>, rien du moins qui méritât ce nom si séduisant. Ce
+bonheur de faire partie d'une famille bien unie dont les prières
+l'auraient suivi dans ses voyages, dont l'attention aurait avidement
+écouté ses récits à son retour, il ne le connut jamais, quoique la
+nature lui eût donné un cœur digne de l'apprécier. Privé de tout ce qui
+soutient et encourage, il eut à lutter contre tout ce qui désole et
+humilie. À l'horreur d'un intérieur sans affections vint se joindre le
+fardeau d'une position sociale sans ressources suffisantes, et il
+éprouva ainsi tous les embarras de la vie domestique, sans jouir des
+charmes qui les compensent. Pendant son absence, on avait laissé tomber
+ses affaires dans une confusion plus grande encore, que leur tendance
+naturelle ne donnait lieu de le craindre. On avait, l'année précédente,
+exécuté une saisie à Newstead, pour une somme de quinze cents liv. st.,
+due à MM. Brothers, tapissiers, et nous croyons devoir rapporter un
+trait du vieux Joë Murray dans cette circonstance. C'était un terrible
+crève-cœur pour ce vieux et fidèle serviteur, jaloux de l'antique
+honneur des Byron, de voir l'annonce de la vente placardée sur la porte
+de l'abbaye. Mais redoutant assez la loi pour ne pas arracher l'affiche,
+il se décida, pour s'en dédommager, à la couvrir d'une large feuille de
+papier brun qu'il colla par dessus.</p>
+
+<p>Malgré la résolution, si récemment exprimée par Lord Byron, d'abandonner
+pour jamais le métier d'auteur, et de laisser à d'autres <i>tout l'empire
+Castalien</i>, nous le trouvons, à peine débarqué en Angleterre,
+très-activement occupé de préparer la publication de quelques-uns des
+poèmes qu'il avait composés dans ses voyages. Il y mettait même tant
+d'empressement qu'il avait déjà, dans une lettre écrite en mer, annoncé
+à M. Dallas, qu'on pourrait de suite les mettre sous presse. Je vais
+placer ici sous les yeux du lecteur les parties les plus essentielles de
+cette lettre qui, d'après sa date, aurait dû précéder quelques-unes de
+celles que nous avons déjà données.</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE LIV.</h3>
+
+<h4>À M. DALLAS.</h4>
+
+<p class="mid">À bord de la frégate <i>la Volage</i>, 28 juin 1811.</p>
+
+<p>«Après une absence de deux ans (jour pour jour, le 2 de juillet, avant
+lequel nous n'arriverons pas à Portsmouth), me voilà revenant en
+Angleterre...</p>
+
+<p>»J'y reviens avec peu d'espoir de bonheur domestique, et une
+constitution un peu ébranlée par une ou deux atteintes fort vives de
+fièvre; mais avec une ame qui n'est point abattue. Mes affaires, à ce
+qu'il paraît, sont terriblement embrouillées, et je vais avoir
+d'interminables difficultés à régler avec les gens de loi, les
+charbonniers, les fermiers et les créanciers. Or, pour un homme qui
+redoute les embarras, autant qu'il redoute un évêque, c'est un sérieux
+sujet d'inquiétude.</p>
+
+<p>»Ma satire, à ce que je crois, est à sa quatrième édition; ce n'est pas
+un succès tout-à-fait médiocre; il n'a cependant rien d'exagéré pour une
+production qui, en raison du sujet qu'elle traite, ne peut intéresser
+long-tems, et doit, par conséquent, avoir un succès immédiat, où n'en
+avoir aucun. Aujourd'hui que je pense et agis avec plus de modération,
+je regrette de l'avoir écrite, quoiqu'il soit probable que je la
+trouverai oubliée par tout le monde, moins ceux qu'elle a offensés.</p>
+
+<p>»Votre protégé et celui de Pratt, le cordonnier Blackett est donc mort,
+malgré ses vers! Cette mort est probablement une de celles qui sauvent
+un homme de la damnation. C'est parmi vous que le pauvre diable s'est
+perdu. Sans ses patrons, il serait peut-être aujourd'hui en fort bonne
+posture, faisant des souliers, non des vers; mais vous avez voulu en
+faire un immortel, coûte que coûte. Je dis cela dans la supposition que
+ce sont la poésie, le patronage et les liqueurs fortes qui l'ont tué. Si
+vous êtes à Londres au commencement ou vers le commencement de juillet,
+vous me trouverez à l'hôtel Dorant, Albemarle-Street, où je serai charmé
+de vous voir. J'ai une imitation de l'art poétique d'Horace, que
+Cawthorn pourra imprimer de suite; mais que cela ne vous effraie pas, je
+n'ai pas l'intention de vous en fatiguer. Vous savez bien que je ne lis
+jamais mes vers aux personnes qui me viennent voir. Je partirai de
+Londres après un séjour fort court, pour me rendre dans le
+Nottinghamshire et de là à Rochdale.</p>
+
+<p>»Votre, etc.»</p>
+
+<p>Dès que Lord Byron fut arrivé à Londres, M. Dallas se rendit près de
+lui. «Le 15 juillet, dit ce gentleman, j'eus le plaisir de lui serrer la
+main, à l'hôtel Reddish, Saint-James's-Street: je trouvai que son aspect
+démentait ce qu'il m'avait dit de sa santé, et son air n'annonçait ni
+mélancolie, ni mécontentement d'être de retour. Il m'entretint, avec
+beaucoup de feu, de ses voyages; mais il m'assura qu'il n'avait jamais
+eu l'idée de les écrire. Il me dit qu'à son avis la satire était son
+fort; qu'il s'en tenait à ce genre, et qu'il avait composé pendant ses
+divers séjours une paraphrase de l'art poétique d'Horace, qui serait un
+excellent supplément aux <i>Bardes anglais et critiques écossais</i>. Il
+semblait espérer que sa réputation s'en accroîtrait, et j'entrepris d'en
+surveiller la publication, comme je l'avais fait pour la satire. J'avais
+mal choisi l'instant de ma visite, et nous eûmes à peine le tems de nous
+entretenir sans être interrompus. Il m'engagea donc à venir le lendemain
+déjeûner avec lui.»</p>
+
+<p>Dans l'intervalle, M. Dallas parcourut cette paraphrase que Lord Byron
+lui avait permis d'emporter dans ce dessein, et son <i>désappointement</i>,
+comme il le dit lui-même, fut cruel, en découvrant qu'un voyage de deux
+ans dans les contrées inspiratrices de l'Orient, n'avait pas produit
+plus de richesses poétiques. À leur rendez-vous du lendemain, quoiqu'il
+s'abstînt de déprécier cet ouvrage, il ne put s'empêcher, comme il nous
+l'apprend lui-même, d'exprimer à son noble ami quelque surprise de ce
+qu'il n'avait composé rien de plus pendant son absence. «Alors,
+continue-t-il, Lord Byron me dit qu'il avait en diverses occasions écrit
+de courts poèmes, outre une grande quantité de stances, du rhythme de
+Spencer, relatives aux pays qu'il avait parcourus. «Mais, dit-il, elles
+ne sont pas dignes de votre attention; vous pouvez cependant les
+emporter toutes, si cela vous fait plaisir.» C'est ainsi que j'obtins le
+pélerinage de <i>Childe Harold</i>: il le tira d'un coffret avec beaucoup
+d'autres poésies. Il me dit qu'elles n'avaient été lues que par une
+seule personne qui y avait trouvé peu de choses à louer et beaucoup à
+critiquer; que c'était son avis, et qu'il était sûr que ce serait aussi
+le mien; que néanmoins, quoi qu'il en fût, elles étaient bien à mon
+service; mais qu'il était urgent de presser la publication des
+<i>Imitations d'Horace</i>, ce dont je l'assurai que je m'occupais.»</p>
+
+<p>M. Dallas ne tarda pas à découvrir tout le prix du trésor qui lui était
+ainsi confié. Dès le même soir, il écrivit à son noble ami: «Vous avez
+composé l'un des plus délicieux poèmes que j'aie jamais lus. Si je vous
+disais cela pour vous flatter, je mériterais moins votre amitié que
+votre mépris. <i>Childe Harold</i> m'a tellement captivé, que je n'ai pu en
+quitter la lecture. Je répondrais sur ma tête qu'il ajoutera beaucoup à
+votre réputation comme poète, et qu'il vous fera un honneur infini, si
+vous daignez accorder quelque attention à mes avis, etc.»</p>
+
+<p>Malgré ces justes éloges, et l'écho secret qu'ils durent trouver dans un
+cœur si sensible au moindre murmure de la renommée, il se passa quelque
+tems avant que la répugnance opiniâtre de Lord Byron à la publication de
+<i>Childe Harold</i> pût être surmontée.</p>
+
+<p>«Quoique jusqu'alors, dit M. Dallas, il eût écouté mes avis et mes
+conseils, et qu'il fût naturel de croire qu'il céderait à des éloges si
+prononcés, je fus surpris de voir qu'il se défiait encore de mon
+jugement sur le mérite de <i>Childe Harold</i>. «C'était, disait-il, tout ce
+qu'on voudrait, excepté de la poésie; un critique fort capable l'avait
+blâmé; n'avais-je pas vu moi-même les annotations en marge du
+manuscrit?» Enfin il revenait toujours de préférence aux paraphrases de
+l'art poétique, et le manuscrit en fut remis à Cawthorn, éditeur de la
+satire, pour qu'il le publiât sans aucun retard. Je ne quittai pourtant
+pas encore la partie. Avant de sortir de chez lui, je revins à la
+charge, et je lui dis que j'étais si convaincu du mérite de <i>Childe
+Harold</i>, que s'il me l'avait donné, je l'aurais certainement publié,
+pourvu qu'il voulût consentir à un petit nombre de changemens et de
+correction.»</p>
+
+<p>Parmi les nombreux exemples cités en littérature du jugement erroné que
+quelques auteurs ont porté sur leurs propres ouvrages, on peut regarder
+comme l'un des plus inexplicables cette préférence que Lord Byron
+accordait à une production si peu digne de son génie, sur un poème qui
+offre autant de beautés originales que les premiers chants de <i>Childe
+Harold</i><a id="footnotetag148" name="footnotetag148"></a>
+<a href="#footnote148"><sup class="sml">148</sup></a>. «Il en est, dit Swift, des hommes comme des terrains, qui
+recèlent quelquefois une mine d'or, dont le propriétaire ignore
+l'existence.» Mais cette mine, Lord Byron l'avait découverte, sans se
+douter, à ce qu'on pourrait croire, de toute sa valeur. J'ai déjà eu
+occasion de remarquer que, dans le tems même où il composait <i>Childe
+Harold</i>, il est douteux qu'il connût pleinement la puissance nouvelle et
+de sentimens et de pensées qui venait de s'élever dans son âme, et cette
+observation est confirmée par l'étrange appréciation de son ouvrage que
+nous lui voyons adopter.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote148"
+name="footnote148"><b>Note 148: </b></a><a href="#footnotetag148">
+(retour) </a> On doit moins s'étonner de ce que quelques auteurs
+ se méprennent sur le mérite de leurs ouvrages, quand on voit
+ que des générations entières sont quelquefois tombées dans la
+ même erreur. Les sonnets de Pétrarque furent considérés par
+ les savans de son tems comme dignes tout au plus des
+ chanteurs de ballades qui les faisaient entendre dans les
+ rues; tandis que son poème épique de l'Afrique, dont
+ l'existence est à peine connue de nos jours, était recherché
+ de toutes parts, et que le moindre fragment en était vivement
+ sollicité près de l'auteur, pour être placé dans les
+ bibliothèques des savans.</blockquote>
+
+<p>On pourrait croire en effet que malgré l'impulsion qui avait fait faire
+des pas si rapides à son imagination, son jugement, plus lent à se
+développer, était bien loin de la maturité, et que le jugement de
+soi-même, le plus difficile de tous, lui était encore refusé.</p>
+
+<p>D'un autre côté, si l'on considère la déférence que, surtout à cette
+époque, il était porté à accorder aux opinions de ceux avec lesquels il
+vivait, il serait peut-être plus juste d'attribuer cette fausse
+appréciation à sa défiance de son propre jugement, qu'à aucune
+insuffisance. On ne peut expliquer que par l'ignorance de son énergie
+intellectuelle ses égards et sa complaisante admiration pour ses anciens
+condisciples, qui presque tous l'avaient dépassé durant ses études, et
+dont quelques-uns, dans ce tems-là même, étaient ses rivaux en poésie.
+L'exemple qu'il recevait de ces jeunes écrivains étant, comme leur goût,
+principalement fondé sur l'imitation des modèles consacrés, leur
+autorité, aussi long-tems qu'il s'y soumit, dut jusqu'à un certain point
+le détourner de s'engager franchement dans une route nouvelle et
+originale. Il est assez probable que quelques souvenirs de cette
+première direction, joints à un léger penchant pour les réminiscences
+classiques<a id="footnotetag149" name="footnotetag149"></a>
+<a href="#footnote149"><sup class="sml">149</sup></a>, contribuèrent à déterminer sa préférence pour la
+paraphrase d'Horace. On peut croire au moins qu'ils furent suffisans
+pour le décider à se contenter, pour le présent, de la gloire qu'il
+avait acquise en suivant les routes tracées, au lieu de se lancer dans
+une carrière qu'il n'avait pas encore explorée. Nous avons vu que le
+noble auteur avant de confier à M. Dallas les deux premiers chants de
+<i>Childe Harold</i>, en avait soumis le manuscrit à l'examen d'un ami, le
+premier et le seul, à ce qu'il paraît, qui en eût pris connaissance à
+cette époque. M. Dallas n'a pas nommé ce critique si scrupuleux; mais le
+ton tranchant de censure, dont sont empreintes ses remarques, aurait été
+capable, à quelque époque que ce fût, de dénaturer le jugement d'un
+auteur qui, plusieurs années après, dans tout l'éclat de sa gloire,
+avouait que le blâme du dernier des hommes lui causait plus de chagrin
+qu'il n'éprouvait de plaisir à recevoir les applaudissemens des plus
+hauts personnages.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote149"
+name="footnote149"><b>Note 149: </b></a><a href="#footnotetag149">
+(retour) </a> Gray, dominé par une semblable prédilection,
+ préféra long-tems ses poèmes latins à ceux qui lui ont
+ assigné un rang si élevé dans la littérature anglaise.
+ «Devons-nous, dit Mason, attribuer cette méprise à ce qu'il
+ avait été élevé à Eton, ou à quelque autre cause? Il est
+ certain que lorsque je fis sa connaissance, il semblait
+ attacher à ses poésies latines beaucoup plus de prix qu'à
+ celles qu'il avait composées dans sa langue natale.»</blockquote>
+
+<p>Quoiqu'il soit facile de reconnaître dans toutes les productions de son
+âge mûr, des traces de sa supériorité, nous croyons cependant qu'on
+ajouterait peu à sa célébrité en publiant dans son entier cette
+paraphrase d'Horace, qui se compose de près de huit cents vers. Mais
+j'en choisirai quelques passages capables de donner une idée de ses
+beautés, comme de ses défauts, afin de mettre le lecteur à même de se
+former une opinion sur une composition que l'auteur, par une erreur ou
+un caprice de jugement, sans exemple peut-être dans les annales de la
+littérature, préféra long-tems aux sublimes méditations de <i>Childe
+Harold</i>.</p>
+
+<p>Le début du poème, si on le compare à l'original, est assez ingénieux:</p>
+
+<p>Qui ne rirait si Lawrence, s'engageant à couvrir sa précieuse toile du
+portrait flatté du premier venu, abusait assez de son art pour que la
+nature effarouchée vît nos bons bourgeois prendre sous son pinceau la
+forme des centaures? Ou si quelque barbouilleur, par amour de
+l'extraordinaire, ou pour hâter la vente, s'avisait de joindre à une
+fille d'honneur la queue d'une sirène? Ou si le trivial Dubost (comme on
+l'a vu naguère), possédé de la fureur de peindre, dégradait les
+créatures, images de la divinité? Toute la politesse qui défend de se
+moquer des sots en leur présence, ne pourrait réprimer les éclats de
+rire de leurs amis. Crois-moi, Moschus, rien ne ressemble plus à ces
+tableaux que le livre qui, plus décousu que les rêves d'un malade,
+présente à nos regards une foule de figures incomplètes, poétiques
+cauchemars, qui n'ont ni pieds ni tête.</p>
+
+<p>Ce qui suit est un des meilleurs morceaux écrits dans un genre plus
+grave:</p>
+
+<p>De nos jours, les mots nouveaux sont en honneur, si on les ente
+adroitement sur quelque gallicisme: pourrions-nous refuser à la muse
+plus habile de Dryden et de Pope, ce que Chaucer et Spencer tentèrent
+avec succès? Si vous pouvez créer que ne le faites-vous, à l'exemple de
+William Pitt et de Walter-Scott, qui par le secours, l'un de ses vers,
+l'autre de ses poumons, ont enrichi les dialectes mal joints de notre
+île? Il est et il sera toujours légitime de proposer des réformes en
+littérature, comme au parlement.</p>
+
+<p>De même que les forêts couvrent par degrés la terre de leurs feuilles,
+ainsi se fanent des expressions qui ont plu dans leur nouveauté. Le même
+destin est réservé à l'homme, et à tout ce qui se rattache à lui. Ses
+ouvrages, ses mots s'effacent et ne servent plus qu'à fixer une date.
+Quoique, à un signe des monarques, et à la voix du commerce, des fleuves
+impétueux deviennent de tranquilles canaux; quoique des marais desséchés
+et assainis soient sillonnés par la charrue et portent de jaunes
+moissons; quoique des ports creusés sur nos rivages protégent les
+vaisseaux contre les tempêtes de l'antique Océan, tout, tout doit périr.
+Mais, survivant au naufrage général, l'amour des lettres préserve à demi
+les souvenirs du passé.</p>
+
+<p>Je ne cite ce qui suit qu'à cause de la note qui y est jointe:</p>
+
+<p>Les premiers vers satiriques naquirent du spleen de quelque égoïste. En
+doutez-vous? Voyez Dryden, Pope, et le doyen de Saint-Patrick<a id="footnotetag150" name="footnotetag150"></a>
+<a href="#footnote150"><sup class="sml">150</sup></a>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote150"
+name="footnote150"><b>Note 150: </b></a><a href="#footnotetag150">
+(retour) </a> <i>Mac-Flecknoe</i>, la <i>Dunciade</i> et toutes les
+ ballades satiriques de Swift. Quels que soient leurs autres
+ ouvrages, ceux-ci furent le résultat de sentimens personnels
+ et de récriminations violentes contre d'indignes rivaux; et
+ quoique le mérite littéraire de ces satires fasse honneur aux
+ talens poétiques des auteurs, leur virulence déshonore
+ certainement leur caractère.</blockquote>
+
+<p>Les vers blancs, aujourd'hui, par un commun accord, sont presque
+inséparables de la tragédie. Quoique les fureurs d'Almanzor
+s'exprimassent en vers rimés, au tems de Dryden, nous ne voyons pas les
+héros des pièces nouvelles en affubler leurs emportemens; et la modeste
+comédie, abandonnant tout-à-fait les vers, nous offre en humble prose
+ses gentillesses et ses quolibets. Ce n'est pas que nos Beaumont et nos
+<i>ben</i> aient plus mauvaise grâce, ou perdent rien de leur mérite, pour
+avoir composé en vers; mais c'est ainsi que Thalie aime à se montrer.
+Pauvre fille! que l'on siffle quelques vingt fois par an.</p>
+
+<p>On trouve dans les vers suivans, sur Milton, plus de poésie que dans
+aucun autre passage de la paraphrase:</p>
+
+<p>Ô muse! s'écrie-t-il, réveille de plus sublimes accords! Et, s'il vous
+plaît, que pensez-vous voir éclore de son cerveau enflammé? En un clin
+d'œil, il tombe aussi bas que Southey dont les montagnes épiques ne
+manquent jamais d'accoucher d'une souris! Ce n'était pas ainsi que jadis
+votre puissant devancier tirait de doux accens de sa lyre inimitable:
+d'une voix mélodieuse comme les soupirs de la harpe éolienne, il nous
+parle de la première désobéissance de l'homme et du fruit défendu; mais
+à mesure que son sujet s'élève, son chant fait retentir les échos de la
+terre et des cieux.</p>
+
+<p>On pourra remarquer quelques traits piquans dans les esquisses
+suivantes:</p>
+
+<p>Enfin il touche à l'adolescence! On ne le forcera plus à gémir sur les
+vers diaboliques<a id="footnotetag151" name="footnotetag151"></a>
+<a href="#footnote151"><sup class="sml">151</sup></a> de Virgile, et sur ceux qu'on lui donne à faire.
+Les prières l'ennuient, la lecture est trop sérieuse; il vole de T...ll
+à Fordham (malheureux T...ll, condamné à d'éternels soucis par les
+apprentis boxeurs et les ours). Que peuvent des tuteurs, des devoirs,
+des convenances, en présence d'une meute, de chevaux de chasse et de la
+plaine de Newmarket? Rude avec ses aînés, hautain avec ses égaux, poli
+envers des escrocs, prodigue de richesses........... persiflé, pillé,
+dupé, il passe le tems de ses cours sans rien faire; évite peut-être
+l'expulsion, et se retire M. A. (Maître-ès-arts)! Et l'on proclame sa
+nouvelle dignité dans les clubs et les tripots, dont nul habitué
+n'arriva jamais plus haut.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote151"
+name="footnote151"><b>Note 151: </b></a><a href="#footnotetag151">
+(retour) </a> Harvey, qui fit connaître la circulation du sang,
+ avait coutume, dans ses transports d'admiration, de jeter
+ loin de lui son <i>Virgile</i>, en disant que le livre avait un
+ diable familier. Un personnage tel que celui que je décris,
+ jetterait probablement aussi le livre; mais il désirerait
+ plutôt que le diable s'en emparât, non pas en haine du poète,
+ mais par une horreur bien fondée des hexamètres. Car,
+ vraiment, la fastidieuse étude des <i>longues</i> et des <i>brèves</i>
+ suffit pour qu'un homme prenne la poésie en aversion pendant
+ sa vie entière; et peut-être en cela n'est-ce pas un
+ désavantage.</blockquote>
+
+<p>Lancé dans le monde, et devenu moins ardent, il singe l'égoïste prudence
+de son père; prend une femme, pour sa dot; choisit ses amis pour leur
+rang; achète des terres, et se vante d'être trop prudent pour se fier à
+la banque. Il prend place au sénat; procrée un héritier, et l'envoie à
+Harrow, car il y fut lui-même. Muet, quoi qu'il vote, à moins qu'il ne
+joigne sa voix aux acclamations favorables au ministère; s'il parle de
+son fils: C'est un compère adroit, qu'il espère bien voir un jour
+arriver à la pairie!</p>
+
+<p>La vieillesse s'avance; l'âge paralyse ses membres; il quitte la scène,
+ou la scène le quitte; il entasse des richesses; s'afflige à chaque
+penny qu'il faut dépenser, et l'avarice s'empare de toutes les pensées
+qui ne sont pas à l'ambition. Il compte les cent pour cent, et sourit;
+ou vainement s'irrite, en considérant ses trésors entamés pour payer les
+dettes du jeune Hopeful; il pèse bien et sagement ce qu'il faut acheter
+ou vendre; habile à tout faire, excepté à mourir! grondeur, morose,
+radoteur difficile à contenter, louant tous les tems, excepté le
+présent; infirme, querelleur, délaissé et presque oublié, il meurt sans
+qu'on le pleure; on l'enterre; qu'il pourrisse!</p>
+
+<p>Plus loin, parlant de l'opéra, voilà comment il s'exprime:</p>
+
+<p>Là se rend l'alerte boutiquier, dont l'oreille est mise à la torture par
+l'orchestre qu'il veut entendre pour son argent. Une fausse honte, et
+non la sympathie, l'empêche seule de ronfler; ses angoisses redoublent
+quand il croit du bon ton de crier: Encore! Écrasé par la foule dans
+Fop's alley, coudoyé par les élégans, gêné par son chapeau, tremblant
+pour ses orteils, sa soirée est un combat, et il ne goûte quelque repos
+que quand enfin le rideau tombe, et lui donne un peu de relâche qui
+l'enchante. Devinez-vous pourquoi il se résigne à souffrir tout cela et
+plus encore? C'est qu'il lui en coûte cher, et qu'il est forcé de se
+parer!</p>
+
+<p>Les derniers vers du passage suivant retracent plaisamment ce mélange de
+gaîté et d'amertume qui, parfois, animait la conversation de l'auteur. À
+tel point même, que ceux qui l'ont connu pourraient presque s'imaginer
+qu'ils l'entendent parler:</p>
+
+<p>Mais rien n'est sans défaut, et chacun sait que les violons et les
+harpes perdent souvent le ton, et que les meilleurs chanteurs, au moment
+où ils voudraient réunir tous leurs moyens, ne font entendre que des
+accens criards; les chiens perdent la trace du gibier, la pierre refuse
+l'étincelle, et les fusils à deux coups (que le diable les emporte!)
+manquent le but<a id="footnotetag152" name="footnotetag152"></a>
+<a href="#footnote152"><sup class="sml">152</sup></a>!</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote152"
+name="footnote152"><b>Note 152: </b></a><a href="#footnotetag152">
+(retour) </a> Comme M. Pope a pris la liberté d'envoyer Homère à
+ tous les diables, malgré tout ce qu'il lui devait, quand il a
+ dit: «Et Homère (que le diable l'emporte, etc.)» Il est
+ présumable que, par licence poétique, on peut en faire
+ autant, en vers, de tout homme et de toute chose; et en cas
+ d'accident, je désire qu'on me permette de me prévaloir de
+ cet illustre précédent.</blockquote>
+
+<p>Un dernier passage, avec la note plaisante qui y est jointe, complétera
+le nombre des morceaux que je veux citer comme les meilleurs.</p>
+
+<p>Est-ce assez? Non: écrivez donc et imprimez bien vite. Si le dernier
+arrivé est dévolu à Satan, qui voudrait arriver le dernier? Ils
+assiégent les presses, ils publient en toute hâte, ils escaladent le
+comptoir et quittent leurs échoppes: de belles demoiselles de province,
+des hommes de haut renom, quoi donc! des baronnets même, ont noirci
+d'encre leur main guerrière. La pauvreté ne les arrête pas; c'est
+Pollion qui nous joua ce tour; de son tems Phébus commença à trouver
+crédit chez les banquiers. Ce ne sont pas seulement les vivans; les
+morts même nous débitent leurs sottises aussi couramment que jadis
+chantait la tête d'Orphée! Sifflés de leur vivant, ils obtiennent un
+succès posthume; tirés de la poussière où ils étaient ensevelis quand
+ils vivaient. Les revues réveillent le souvenir de leurs épidémiques
+délits, de ces livres témoins muets du martyre auquel les condamne la
+rage de rimer: Hélas! Que de chagrins va nous causer tel barbouilleur
+que citèrent souvent le <i>Morning Post</i> et le <i>Monthly Magazine</i>! dans
+ces recueils sont ensevelis ses premiers chefs-d'œuvre; mais bientôt la
+presse gémit, et il en sort un épais in-quarto! Laissez donc, vous qui
+êtes sages, laissez les succès mendiés de la lyre aux baronnets ou aux
+lords possédés du démon des vers, ou à ces crépins de village,
+ménestrels jumeaux ivres de poétique bière! Prêtez l'oreille à ces
+accords d'une mélodie narcotique: ce sont les savetiers lauréats qui
+chantent les louanges de Capel Lofft<a id="footnotetag153" name="footnotetag153"></a>
+<a href="#footnote153"><sup class="sml">153</sup></a>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote153"
+name="footnote153"><b>Note 153: </b></a><a href="#footnotetag153">
+(retour) </a> Ce gentleman bien intentionné a gâté quelques
+ excellens cordonniers, et contribué à la ruine poétique de
+ plus d'un pauvre industrieux. Nathaniel Bloomfield et son
+ frère Bobby ont mis tout le Sommersetshire en train de
+ chanter; et cette maladie ne s'est pas bornée à envahir un
+ seul comté. Pratt aussi, qui fut jadis plus sage, a été
+ atteint de la contagion du patronage, et a attiré dans le
+ piége de la poésie un pauvre diable nommé Blackett; mais il
+ mourut pendant l'opération, laissant au dépourvu un enfant et
+ deux volumes de fragmens. La petite fille, si elle n'a pas
+ d'inclinations poétiques et ne se transforme pas en Sapho
+ cordonnière, s'en tirera peut-être; mais les tragédies sont
+ aussi rachitiques que si elles étaient la progéniture d'un
+ comte ou de quelque coureur de prix académiques. Les patrons
+ du pauvre homme sont certainement responsables de sa fin
+ tragique, et ce devrait être un délit punissable par les
+ lois. Mais c'est là ce qu'ils ont fait de moins coupable;
+ car, par un raffinement de barbarie, ils ont couvert le
+ défunt d'un ridicule posthume, en imprimant ce qu'il aurait
+ eu le bon sens de ne jamais faire imprimer lui-même. Certes,
+ ces remueurs de débris sont punissables par le statut contre
+ <i>les hommes de la résurrection</i>. Quelle différence y a-t-il,
+ en effet, entre exposer un pauvre idiot, après sa mort, dans
+ un amphithéâtre de chirurgie, et l'étaler dans une boutique
+ de libraire? Est-il plus mal d'exhumer ses os que ses bévues?
+ Ne vaut-il pas mieux attacher son corps au gibet, sur une
+ bruyère, que d'emprisonner son ame dans un in-octavo? «Nous
+ savons ce que nous sommes, mais nous ignorons ce que nous
+ pouvons devenir;» et il faut espérer que nous ne saurons
+ jamais si un homme qui a traversé la vie avec une sorte
+ d'éclat, est destiné à n'être qu'un charlatan de l'autre côté
+ du Styx, et à devenir, comme le pauvre Joe Blackett, le
+ plastron des railleries du purgatoire. Le prétexte de cette
+ publication est d'assurer un sort à l'enfant. Mais aucun des
+ amis et des tentateurs de ce <i>sutor ultrà crepidam</i> ne
+ pouvait-il donc faire une bonne action sans enferrer Pratt
+ dans une biographie, et lui faire encore diviser sa dédicace
+ en tant de minces portions? À la duchesse une telle; la
+ très-honorable celle-ci, et mistress et miss celle-là; ces
+ volumes sont, etc., etc. Eh mais, c'est distribuer «le doux
+ lait de la dédicace» par petits verres. Il n'y en a qu'une
+ chopine, et il le partage entre douze personnes. Ah! Pratt,
+ n'avais-tu donc pas quelques éloges en réserve? As-tu pu
+ croire que six familles de distinction se contenteraient de
+ si peu? Il y a un enfant, un livre et une dédicace: que
+ n'envoies-tu la petite fille à la duchesse, les volumes à
+ l'épicier, et la dédicace à tous les diables?</blockquote>
+
+<p>Ces extraits choisis, qui comprennent un peu plus du huitième du poème
+entier, suffiront pour donner au lecteur une idée du reste, dont la plus
+grande partie est fort inférieure, et descend parfois au niveau de la
+versification la plus triviale.</p>
+
+<p>Quand on examine la destinée des hommes, il est assez curieux d'observer
+combien de fois un premier pas a décidé du sort de toute la vie. Si Lord
+Byron, à cette époque, eût persisté dans son premier projet de publier
+ce poème au lieu de <i>Childe Harold</i>, il est plus que probable que le
+monde aurait compté un grand poète de moins<a id="footnotetag154" name="footnotetag154"></a>
+<a href="#footnote154"><sup class="sml">154</sup></a>
+. La paraphrase, qui est
+à tous égards si inférieure à sa première satire, et qui tombe même, en
+quelques endroits, au-dessous de ce qu'ont écrit les versificateurs du
+dernier rang, n'aurait pu manquer d'éprouver une chute complète. Ses
+premiers adversaires auraient repris tous leurs avantages; et dans
+l'amertume de sa mortification, il aurait peut-être jeté <i>Childe Harold</i>
+au feu; ou s'il eût retrouvé assez de courage pour publier ce poème, son
+succès même, quoique suffisant pour le réhabiliter aux yeux du public et
+aux siens, n'aurait jamais excité cette explosion d'enthousiasme, cette
+subite manifestation de l'admiration générale, qui l'accueillirent
+lorsqu'il apparut au monde avec toute l'illusion de son retour récent de
+la terre natale de la poésie, et au milieu desquelles il marcha d'un pas
+ferme et sûr à de nouveaux triomphes, dont le dernier était toujours le
+plus éclatant.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote154"
+name="footnote154"><b>Note 154: </b></a><a href="#footnotetag154">
+(retour) </a> Le passage suivant de son journal montrera qu'il
+ attribuait lui-même tout à la fortune: «Comme Sylla, j'ai
+ toujours cru que tout dépendait de la fortune, et rien de
+ nous-mêmes. Je ne me rappelle ni une pensée ni une action
+ dignes de mon approbation ou de celle d'autrui, que je ne
+ doive attribuer à la bonne déesse fortune.»</blockquote>
+
+<p>Le jugement plus sûr de ses amis détourna heureusement ce danger, et il
+consentit enfin à la publication immédiate de <i>Childe Harold</i>; mais il
+ne cessa pas d'exprimer des doutes sur son mérite, et son inquiétude sur
+l'accueil qu'on lui ferait dans le monde.</p>
+
+<p>«Je fis tout mon possible, dit son conseiller, pour relever cet ouvrage
+dans son opinion, et j'y réussis; mais il variait beaucoup dans ses
+idées à cet égard, et il ne fut satisfait que lorsque le monde eut enfin
+prononcé sur son mérite. Il me répétait sans cesse que j'allais le jeter
+dans de grands embarras avec ses anciens ennemis; que la <i>Revue
+d'Édimbourg</i> saisirait avec joie l'occasion de l'humilier; qu'il ne
+voulait pas que son nom parût. Je le priai d'abandonner tout à ma
+direction, et que je répondais que ce poème imposerait silence à tous
+ses ennemis.»</p>
+
+<p>La question de la publication étant alors décidée, il s'éleva quelques
+doutes et quelques difficultés relativement à l'éditeur. Quoique Lord
+Byron eût confié à Cawthorn ses <i>Imitations d'Horace</i>, qu'il regardait
+comme son plus beau titre, il paraît qu'il ne le trouva pas assez haut
+placé dans sa profession pour assurer le succès ou la vogue à l'ouvrage
+dont les chances lui semblaient plus incertaines. Il n'avait pas oublié
+que MM. Longman avaient autrefois refusé de publier ses <i>Bardes
+anglais</i>, et il exigea positivement de M. Dallas qu'il n'offrît pas le
+manuscrit à cette maison. On s'adressa d'abord à M. Miller,
+d'Albemarle-Street; mais, effrayé de la sévérité avec laquelle lord
+Elgin était traité dans ce poème, M. Miller, qui était l'éditeur et le
+libraire de ce seigneur, refusa de s'en charger. Le poète était si
+soigneux de sa réputation, que cette circonstance, quelque insignifiante
+qu'elle fût, commença à réveiller ses premières terreurs; et s'il se fût
+présenté de nouvelles difficultés, il ne faut pas douter qu'il ne fût
+revenu à son ancien projet. Mais on ne tarda pas à trouver une personne
+qui tint à honneur d'entreprendre cette publication. M. Murray, qui
+demeurait alors dans Fleet-Street, ayant, quelque tems auparavant,
+exprimé le désir d'être autorisé à faire paraître quelque production de
+Lord Byron, ce fut à lui que M. Dallas confia le manuscrit de <i>Childe
+Harold</i>. Ainsi commencèrent entre ce gentleman et le poète des relations
+qui durèrent, à quelques interruptions près, aussi long-tems que la vie
+de l'un, et devinrent pour l'autre une source abondante d'honneur et de
+richesse.</p>
+
+<p>Au milieu des occupations que lui donnaient ses projets littéraires et
+quelques affaires litigieuses à terminer avec ses agens, Lord Byron fut
+soudain rappelé à Newstead par la nouvelle d'un événement qui semble
+l'avoir affligé beaucoup plus qu'on ne pouvait s'y attendre d'après
+l'état des choses. Mrs. Byron, dont l'embonpoint excessif menaçait
+toujours de rendre les maladies dangereuses, s'était trouvée indisposée
+depuis quelques jours, mais sans que sa position fût alarmante, et il ne
+paraît pas que son état fût capable d'inspirer des craintes quand il lui
+avait écrit le billet suivant:</p>
+
+<p class="rig">Hôtel Reddish, Londres, 23 juillet 1811.<br></p><br>
+
+<p><span class="sc">Chère Madame</span>,</p>
+
+<p>«M. H... me retient seul encore pour signer quelques baux, et j'aurai
+soin de vous prévenir de mon départ. C'est bien malgré moi que je reste
+ici. Je vous ferai une courte visite en me dirigeant vers le Lancashire
+pour l'affaire de Rochdale. Vous me donnerez votre avis..., etc.</p>
+
+<p>»<i>P. S.</i> Je vous prie de considérer Newstead comme votre maison, et non
+la mienne, et de ne regarder mon passage que comme une simple visite.»</p>
+
+<p>Quand il était parti pour ses voyages, elle avait conçu une sorte d'idée
+superstitieuse qu'elle ne le reverrait plus; et lorsqu'il revint sain et
+sauf, et qu'il lui écrivit pour la prévenir qu'il se rendrait bientôt
+près d'elle, à Newstead, elle dit à sa femme de chambre: «Si j'allais
+mourir avant l'arrivée de Byron, comme ce serait étrange!» Et ce fut
+réellement ce qui arriva. À la fin de juillet sa maladie devint plus
+menaçante; et sa vie, dit-on, se termina d'une manière tristement
+caractéristique, s'il est vrai que ce fut un accès de colère excité par
+la lecture d'un mémoire du tapissier, qui causa sa mort. Lord Byron,
+comme cela devait être, fut promptement informé de l'attaque. Mais,
+malgré son départ précipité, il arriva trop tard; elle avait rendu le
+dernier soupir.</p>
+
+<p>Il écrivit la lettre suivante sur la route:</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE LV.</h3>
+
+<h4>AU DOCTEUR PIGOT.</h4>
+
+<p class="rig">Newport-Pagnell, 2 août 1811.</p><br><br>
+
+<p><span class="sc">Mon cher docteur</span>,</p>
+
+<p>«Ma pauvre mère est morte hier! et je suis parti de Londres pour aller
+accompagner ce qui reste d'elle, à la sépulture de famille. J'ai appris
+sa maladie un jour, et sa mort le lendemain. Grâce à Dieu, ses derniers
+momens ont été fort tranquilles. On m'assure qu'elle a peu souffert, et
+qu'elle ne connaissait pas le danger de sa position. Je reconnais
+aujourd'hui toute la vérité de l'observation de M. Gray: «Que nous ne
+pouvons avoir qu'une mère.» Qu'elle repose en paix! J'ai à vous
+remercier de vos témoignages d'intérêt; et comme dans six semaines je
+dois aller dans le Lancashire pour affaires, je pousserai jusqu'à
+Liverpool et Chester; du moins je tâcherai.</p>
+
+<p>»Si cela peut vous être agréable, je vous dirai qu'au mois de novembre
+prochain l'éditeur du <i>Fouet</i> (<i>the Scourge</i>) sera jugé pour deux
+libelles différens sur feu Mrs. Byron et moi-même, la mort de ma mère ne
+changeant rien à la chose. Comme il est coupable d'une violation de
+privilége, dans une insertion aussi sotte que mal fondée, il sera
+poursuivi avec la dernière rigueur.</p>
+
+<p>»Je vous donne ce détail, parce que je sais que vous vous intéressez à
+l'affaire, laquelle est maintenant entre les mains du procureur-général.</p>
+
+<p>»Je resterai la plus grande partie de ce mois à Newstead, où je serais
+charmé de recevoir de vos nouvelles, d'autant plus que j'en ai été privé
+pendant les deux années qu'a duré mon voyage d'Orient.</p>
+
+<p>»Je suis, mon cher Pigot, etc.»<br>
+
+<span class="rig">BYRON.</span><br></p>
+
+<p>Le lecteur aura sans doute remarqué que le ton général de la
+correspondance du noble poète avec sa mère est celui d'un fils qui
+accomplit strictement et consciencieusement ce qu'il regarde comme son
+devoir, mais sans aucun mélange de cordialité ou d'affection. Le titre
+même de <i>madame</i> qu'il lui donne presque toujours, auquel il ne
+substitue que rarement le nom plus doux de <i>mère</i>, est en lui-même une
+preuve suffisante de la nature des sentimens qu'il avait pour elle.
+Qu'ils aient été tels, l'on ne peut ni s'en étonner, ni l'en blâmer;
+mais que, malgré le malheureux caractère de sa mère, qui lui aliénait
+son cœur, il ait continué à consulter ses désirs, à s'occuper de son
+bien-être, comme on le voit non-seulement dans ses lettres, mais encore
+dans le soin qu'il avait pris de disposer le domaine de Newstead pour
+son usage presque exclusif, c'est ce qui lui fait singulièrement
+honneur, et ce qui devient même plus méritoire, car l'affection nous
+fait un plaisir personnel des soins que nous prodiguons à ceux qui en
+sont l'objet.</p>
+
+<p>Mais, quoique sa mère fut ainsi devenue, de son vivant, presque
+étrangère à son cœur, la mort lui rendit la place qu'elle devait
+naturellement y occuper. Soit par un retour de sa première tendresse;
+soit par la puissance du tombeau, qui fait oublier tant de choses! soit
+par la perspective du vide qu'elle allait laisser dans sa vie, il est
+certain qu'il sentit amèrement sa mort, si ce n'est profondément. La
+nuit qui suivit son arrivée à Newstead, la garde de Mrs. Byron, passant
+devant la porte de la chambre où reposait le cadavre de cette dame,
+entendit un bruit comme de quelqu'un qui soupirait péniblement, et, en
+entrant, fut fort étonnée de trouver Lord Byron près du lit, assis dans
+une obscurité profonde. Comme elle lui représentait la faiblesse qu'il y
+avait à s'abandonner ainsi à la douleur, il fondit en larmes, et
+s'écria: «Ho! Mrs. By, je n'avais qu'une amie dans le monde, et elle est
+morte!»</p>
+
+<p>Tandis qu'il renfermait ainsi dans le silence et dans l'obscurité ses
+pensées réelles, il y avait dans d'autres parties de sa conduite plus
+exposées aux regards un degré de singularité et d'indécorum qui, aux
+yeux d'observateurs superficiels, devait faire révoquer en doute la
+sensibilité de son naturel. Le matin des funérailles, après avoir refusé
+d'accompagner lui-même le corps, il se tint debout à la porte de
+l'Abbaye jusqu'à ce que tout le cortége fut passé; alors, se tournant
+vers le jeune Rushton, il lui ordonna d'aller chercher des gants à
+boxer, et se mit à s'exercer avec cet enfant, comme à son ordinaire. Il
+fut silencieux et distrait pendant tout le tems; et comme par un effort
+pour se soustraire aux pensées qui l'agitaient, Rushton crut
+s'apercevoir qu'il mettait une violence inaccoutumée dans les coups
+qu'il lui portait. Mais à la fin, l'effort devenant trop grand pour lui,
+il jeta précipitamment les gants, et se retira dans sa chambre.</p>
+
+<p>Nous avons assez parlé de Mrs. Byron dans cet ouvrage pour mettre
+pleinement le lecteur en état de se former une opinion tant sur le
+caractère de cette dame que sur le degré d'influence qu'il dut avoir sur
+celui de son fils. L'homme le plus extraordinaire de notre tems<a id="footnotetag155" name="footnotetag155"></a>
+<a href="#footnote155"><sup class="sml">155</sup></a>,
+qui se croyait principalement redevable à l'éducation qu'il reçut de sa
+mère, de l'élévation sans exemple à laquelle il arriva dans la suite, a
+dit plusieurs fois que «la bonne ou mauvaise conduite d'un enfant dépend
+entièrement de sa mère.» Quant à l'influence que peuvent avoir eue les
+caprices et la violence de sa mère sur les défauts qui se mêlèrent aux
+belles qualités de Lord Byron, sur ses impulsions incertaines et
+opiniâtres, sur son aversion pour toute espèce de frein, sur l'amertume
+qu'il mit quelquefois dans sa haine, et sur la précipitation de ses
+ressentimens, c'est une question pour la solution de laquelle les
+matériaux ne manquent pas dans ces pages, et que chacun décidera suivant
+qu'il accordera plus ou moins de force et de pouvoir à ces causes dans
+la formation d'un caractère.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote155"
+name="footnote155"><b>Note 155: </b></a><a href="#footnotetag155">
+(retour) </a> Napoléon.</blockquote>
+
+<p>Malgré le traitement peu judicieux et presque grossier qu'elle lui fit
+subir, il n'est pas douteux qu'elle n'aimât son fils, mais par boutades,
+et comme il convenait seulement à un naturel tel que le sien; il est
+moins douteux encore qu'elle n'en fût fière, et ne plaçât en lui de
+grandes espérances pour l'avenir. On peut juger de son anxiété pour le
+succès de ses premiers essais littéraires, par les peines que prit Byron
+pour la tranquilliser lors de l'apparition de l'article de la <i>Revue
+d'Édimbourg</i>, où il était si mal traité. À mesure que sa renommée
+s'augmenta et devint plus brillante, elle se confirma de plus en plus
+dans les idées que, par une sorte de superstition, elle avait formées
+dès son enfance, de sa grandeur et de sa gloire à venir. Elle épiait
+avec inquiétude toutes les publications où son nom était même simplement
+mentionné; elle avait réuni en un volume qu'a vu l'un de mes amis tout
+ce qui avait paru sur sa satire et ses premiers poèmes. Le volume était
+couvert à la marge d'observations qui lui étaient propres, pleines de
+plus de sens et d'habileté que nous ne lui en aurions supposé, d'après
+ce que nous connaissions en général de son caractère et de sa manière
+d'être.</p>
+
+<p>Parmi les autres traits de sa conduite, où l'on pourrait remarquer le
+désir d'environner sa mère de respect, on peut remarquer qu'étant enfant
+il insistait pour être appelé «Georges Byron Gordon,» donnant ainsi la
+préférence au nom maternel, et qu'il continua toujours à lui écrire: «À
+l'honorable Mrs. Byron,» quoiqu'il sût bien qu'elle n'avait aucune
+espèce de droit à ce titre honorifique. Il ne paraît pas non plus que
+dans sa conduite générale envers elle il ait jamais manqué d'affection
+et de déférence, on y remarquait seulement quelquefois plus de
+familiarité que n'en comportent nos idées de respect filial. Ainsi quand
+ils étaient bien ensemble, il ne l'appelait jamais autrement que «Kitty
+Gordon;» et je me rappelle avoir vu un témoin de la scène me décrire
+l'air dramatique et malin dont un jour, à Southwell, quand ils étaient
+dans le fort de leur rage théâtrale, il ouvrit brusquement les portes du
+salon pour la faire entrer, en disant: «Entrez, honorable Kitty Gordon.»</p>
+
+<p>L'orgueil de la naissance était un sentiment commun à la mère et au
+fils, souvent même c'était un sujet de rivalité entre eux; il leur était
+difficile d'accorder leurs prétentions anglaises et écossaises au plus
+haut lignage respectif. Dans une lettre écrite d'Italie; il dit à propos
+de quelque anecdote qu'il tenait de sa mère: «Ma mère, qui était fière
+comme un diable de descendre des Stuart, en ligne droite des <i>vieux
+Gordon</i>, et non des <i>Sexton Gordon</i>, comme elle appelait dédaigneusement
+la branche ducale, ne manquait pas de me faire remarquer, chaque fois
+qu'elle me racontait cette histoire, combien <i>ses</i> Gordon l'emportaient
+sur les Byron anglais, malgré notre origine normande, et notre nom
+toujours porté par un héritier mâle, tandis que celui des Gordon était
+tombé à une femme, dans la personne de ma mère.»</p>
+
+<p>Si, pour peindre fortement les émotions pénibles, il faut les avoir
+éprouvées, ou, en d'autres termes, si, pour que le poète soit grand,
+l'homme doit avoir souffert, Lord Byron, il faut l'avouer, paya son beau
+talent de bonne heure et bien cher. Quelque peu nombreuses que fussent
+les affections de Byron, soit en dedans, soit en dehors du cercle de sa
+parenté, il les vit dans un court espace de tems presque toutes brisées
+par la mort<a id="footnotetag156" name="footnotetag156"></a>
+<a href="#footnote156"><sup class="sml">156</sup></a>. Outre la perte de sa mère, il eut à déplorer, dans
+l'espace de quelques semaines, la mort prématurée de deux ou trois de
+ses meilleurs amis. «Dans le court espace d'un mois,» dit-il dans une
+note de <i>Childe Harold</i>, «j'ai perdu celle qui m'avait donné
+l'existence, et la plupart de ceux qui me rendaient cette existence
+tolérable.» Parmi eux nous devons compter le jeune Wingfield, que nous
+avons vu en tête de la liste de ses favoris, à Harrow, et qui mourut de
+la fièvre à Coimbre; et Matthews, l'objet de son admiration et de son
+idolâtrie à l'université, qui se noya en se baignant dans la Cam.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote156"
+name="footnote156"><b>Note 156: </b></a><a href="#footnotetag156">
+(retour) </a> Dans une lettre écrite deux ou trois mois après la
+ mort de sa mère, il ne compte pas moins de six personnes de
+ ses parens ou de ses amis que la mort lui avait enlevées
+ depuis le mois de mai jusqu'à la fin d'août.<br>
+ <span class="rig"> (<i>Note de Moore</i>.)</span><br>
+</blockquote>
+
+<p>La lettre suivante, écrite immédiatement après ce dernier événement, est
+tellement pleine d'une douloureuse sensibilité, que la lecture en est
+presque pénible.</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE LVI.</h3>
+
+<h4>À M. SCROPE DAVIES.</h4>
+
+<p class="rig">Newstead-Abbey, 7 août 1811.</p><br><br>
+
+<p><span class="sc">Mon cher Davies</span>,</p>
+
+<p>«Il y a quelque malédiction sur moi et les miens. Le cadavre de ma mère
+est encore dans la maison, et voilà qu'un de mes meilleurs amis se noie
+dans un fossé! Je ne sais que dire, que penser ou que faire. J'avais
+reçu une lettre de lui avant-hier. Mon cher Scrope, si vous avez un
+moment de libre, je vous en conjure, venez me voir, j'ai besoin d'un
+ami. La dernière lettre de Matthews était datée de vendredi, et samedi
+il n'était plus! Qui pouvait-on comparer à Matthews pour les talens?
+Comme nous étions tous petits auprès de lui! Vous ne me rendez que
+justice en disant que j'aurais volontiers risqué ma chétive existence
+pour sauver la sienne. J'avais intention de lui écrire ce soir même,
+pour l'inviter, comme je vous invite, mon bien, bon ami, à me venir
+voir. Que Dieu pardonne à... son apathie! Quelle sera la douleur de
+notre pauvre Hobhouse! Ses lettres ne parlent que de Matthews. Venez,
+Scrope, je suis presque dans le désespoir; me voilà presque seul dans le
+monde! Je n'avais que vous, Hobhouse et Matthews; laissez-moi jouir de
+la société des survivans aussi long-tems que je le puis. Pauvre
+Matthews! Dans sa lettre de vendredi, il me parlait de son intention de
+se présenter pour l'élection de Cambridge et d'un voyage qu'il devait
+faire bientôt à Londres. Écrivez-moi ou venez, mais venez plutôt si vous
+le pouvez; l'un ou l'autre, ou tous les deux.</p>
+
+<p>»Pour toujours, votre, etc.»</p>
+
+<p>J'ai déjà eu occasion de parler de ce jeune homme remarquable<a id="footnotetag157" name="footnotetag157"></a>
+<a href="#footnote157"><sup class="sml">157</sup></a>; mais
+le rang qu'il occupa dans les affections de Byron, justifiera sans doute
+un hommage à sa mémoire un peu plus détaillé.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote157"
+name="footnote157"><b>Note 157: </b></a><a href="#footnotetag157">
+(retour) </a> Charles Skinner Matthews était le troisième fils
+ de feu John Matthews, esq. de Belmont, dans le Herefordshire,
+ représentant de ce comté au parlement de 1802 à 1806. Il
+ avait pour frères l'auteur du <i>Journal d'un Invalide</i> (<i>Diary
+ of an Invalid</i>), qui mourut aussi fort jeune, et le
+ prébendier actuel d'Hereford, le révérend Arthur Matthews,
+ qui, par ses talens naturels et ses connaissances acquises,
+ soutient dignement la réputation de son nom.
+
+<p> Le père de cette famille accomplie était lui-même un homme de
+ fort grands talens, et auteur de plusieurs poèmes anonymes;
+ l'un d'eux, la <i>Parodie de l'Héloïse de Pope</i>, a été
+ faussement attribué à feu M. le professeur Porson; qui le
+ récitait souvent, et qui en a même donné une édition.</p></blockquote>
+
+<p>Rarement, peut-être on a vu réunis à la fois autant de jeunes gens de
+mérite et d'espérance qu'il s'en trouva à Cambridge dans la société dont
+Byron faisait partie. Le nom de quelques-uns d'entre eux, MM. Hobhouse
+et William Bankes, par exemple, est devenu célèbre dans le monde
+littéraire et savant. Il en est un autre, M. Scrope Davies, dont les
+talens n'ont encore, au grand regret de ses amis, brillé que dans sa
+conversation, d'ailleurs fort remarquable. Parmi tous ces jeunes gens
+pleins de talens et de connaissances, en y comprenant Byron lui-même,
+dont le génie était à cette époque <i>un monde non encore découvert</i>, la
+supériorité dans presque tous les genres paraît, du consentement de
+tous, avoir incontestablement appartenu à Matthews. Cet hommage unanime,
+si nous considérons le mérite des personnes qui le lui rendaient, doit
+donner une très-haute idée des dispositions et même des talens qu'il
+montrait à cette époque. On ne peut songer sans intérêt et sans douleur
+à ce qu'il serait probablement devenu un jour si la mort ne l'eût pas
+frappé sitôt. La supériorité intellectuelle, non accompagnée des
+qualités aimables du cœur, n'eût pas suffi pour obtenir cet éloge
+unanime; mais le jeune Matthews, en dépit de quelques légères aspérités
+de caractère, de quelques originalités qu'il commençait à faire
+disparaître, paraît avoir été l'un de ces individus rares, qui
+commandent notre affection en même tems que nos respects, et qui nous
+soulagent de l'admiration que nous ne saurions leur refuser, par l'amour
+qu'ils savent nous inspirer.</p>
+
+<p>J'ai déjà parlé de ses opinions religieuses, et, de leur malheureuse
+conformité avec celles de Lord Byron; ardent, comme son noble ami, à la
+recherche de la vérité, comme lui il s'égara dans sa poursuite, et tous
+deux prirent pour elle cette fausse lumière qui lui ressemble. Qu'il
+soit jamais allé plus loin que Lord Byron dans son scepticisme, que son
+esprit ingénieux ait jamais admis <i>la croyance incroyable de
+l'athéisme</i>, c'est, malgré le témoignage écrit de notre poète, c'est ce
+que je vois nier par tous ceux de ses amis qui avouent ses autres
+erreurs en les déplorant. Je ne me serais même pas permis d'examiner
+quelles ont été les opinions d'un homme qui, ne les ayant jamais
+affichées, ne les a pas rendues du domaine public, si l'idée fausse
+qu'on avait adoptée à ce sujet, d'après l'autorité de Lord Byron, ne
+m'eût pas fait considérer comme un acte de justice, envers tous deux, de
+repousser cette imputation.</p>
+
+<p>On se rappellera que, dans ses lettres écrites à sa mère, avant son
+départ pour ses voyages, Lord Byron parle quelquefois d'un testament
+qu'il avait intention de laisser entre les mains de ses exécuteurs. Quel
+qu'ait été le contenu de cette pièce, il paraît que, quinze jours après
+la mort de sa mère, il crut devoir faire de nouvelles dispositions, et
+adressa la lettre suivante, avec ses instructions à cet effet, à feu M.
+Bolton, procureur à Nottingham. J'ai refusé long-tems de croire qu'il
+eût jamais donné sérieusement et en forme les ordres que l'on va voir,
+pour son propre enterrement; mais les documens ci-joints mettent hors de
+doute cette preuve remarquable de la singularité de son caractère.</p>
+
+<p class="mid">À M. BOLTON.</p>
+
+<p class="rig">Newstead-Abbey, 12 août 1811.</p><br><br>
+
+<p><span class="sc">Monsieur</span>,</p>
+
+<p>«Je vous envoie ci-joint une copie des clauses principales du testament
+que j'ai dessein de faire, que je vous prie de vouloir bien faire
+grossoyer le plus tôt possible, de la manière la plus claire et la plus
+formelle. Les changemens que vous y remarquerez sont principalement par
+suite de la mort de Mrs. Byron. Je vous serais obligé de le tenir prêt
+dans peu de tems, et j'ai l'honneur d'être, monsieur,</p>
+
+<p>»Votre très-humble et très-obéissant serviteur,»<br>
+
+<span class="rig">BYRON.</span><br></p><br>
+
+<p class="mid">NOTES POUR UN TESTAMENT À GROSSOYER IMMÉDIATEMENT.</p>
+
+<p class="rig">Newstead-Abbey, 12 août 1811.</p><br><br>
+
+<p>«Le domaine de Newstead à substituer, après certaines déductions, à
+George Anson Byron, héritier légitime du titre, ou à la personne
+quelconque qui s'en trouvera héritière légitime au décès de Lord Byron.
+La propriété de Rochdale à vendre en tout ou en partie, suivant le
+chiffre des dettes et legs du présent Lord Byron.</p>
+
+<p>»À Nicolo Giraud, d'Athènes, sujet français, mais né en Grèce, la somme
+de 7,000 livres sterl. pour être payée, à l'époque de sa majorité, audit
+Nicolo Giraud, habitant Athènes et Malte en 1810, et ce sur la vente de
+telles parties de Rochdale, Newstead et autres propriétés, suivant que
+besoin sera.</p>
+
+<p>»À William Fletcher, Joseph Murray et Démétrius Zograffo<a id="footnotetag158" name="footnotetag158"></a>
+<a href="#footnote158"><sup class="sml">158</sup></a>, natif de
+Grèce, domestiques, la somme de 50 livres sterl. pendant leur vie. De
+plus, audit William Fletcher, le moulin de Newstead, à condition qu'il
+en paiera la rente, mais sans être soumis au caprice du propriétaire. À
+Robert Rushton, la somme de 50 livres sterling de rente viagère; plus,
+une autre somme de 1,000 liv. sterl. le jour qu'il atteindra l'âge de
+vingt-cinq ans.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote158"
+name="footnote158"><b>Note 158: </b></a><a href="#footnotetag158">
+(retour) </a> Si les gazettes ne mentent pas, ce qu'elles font
+ généralement, Démétrius Zograffo, d'Athènes, est à la tête de
+ l'insurrection de ce pays. Il a été mon domestique pendant
+ les années 1809, 1810, 1811 et 1812, avec quelques
+ interruptions, car je le laissai en Grèce quand je passai à
+ Constantinople; il m'accompagna en Angleterre, en 1811, et
+ retourna dans son pays au printems de l'année suivante. C'est
+ un homme habile, quoiqu'il n'eût pas l'air entreprenant; mais
+ ce sont les circonstances qui nous font ce que nous sommes.
+ Ses deux fils, alors au berceau, s'appelaient Miltiade et
+ Alcibiade; puisse le présage être favorable!<br>
+ <span class="rig">(<i>Journal autographe de Byron</i>.)</span><br>
+</blockquote>
+
+<p>»À John Hanson, esq., la somme de 2,000 liv. sterling.</p>
+
+<p>»Ce qui pourra être dû à S.B. Davies, esq., devra lui être payé dès
+qu'il en aura fourni la note.</p>
+
+<p>»Le corps de Lord Byron sera enseveli dans le caveau du château de
+Newstead, sans aucune cérémonie ou service funèbre, et sans aucune
+inscription, si ce n'est celle de son nom et de son âge. Les restes de
+son chien ne seront pas pour cela enlevés du dit caveau.</p>
+
+<p>»Ma bibliothèque et mes meubles de toute espèce sont légués à mes amis
+et exécuteurs John Carn Hobbouse et S.B. Davies. En cas de décès des
+susdits, je nomme pour mes exécuteurs le révérend J. Becher, de
+Southwell, Nottinghamshire, et R. C. Dallas, Esq. de Montake Surrey.</p>
+
+<p>»Le produit de la vente de Wymondham dans le Norfolkshire, et des
+propriétés de la feue Mrs. Byron en Écosse, sera employé au paiement de
+mes dettes et de mes legs.»</p>
+
+<p>En envoyant une copie du testament rédigé d'après les instructions de
+Lord Byron, le procureur avait accompagné quelques-unes des clauses de
+questions marginales, appelant l'attention de son noble client sur
+certaines choses qui lui semblaient impropres ou douteuses. Comme les
+courtes, mais énergiques réponses de Byron, sont parfaitement empreintes
+de l'originalité de son caractère, nous allons donner ici quelques-unes
+de ces clauses avec les questions et les réponses qui s'y rapportent.</p>
+
+<p>«Ceci est la dernière volonté et le testament de moi, le très-honorable
+Georges-Gordon Lord Byron, Baron Byron de Rochdale, dans le comté de
+Lancaster. Je veux que mon corps soit enterré dans le caveau du jardin
+de Newstead, sans aucune cérémonie, ni aucun service funèbre quelconque.
+Qu'on ne place aucune inscription sur mon tombeau, sauf une tablette
+portant mon nom et mon âge. Je veux de plus qu'on ne retire pas du dit
+caveau les restes de mon chien fidèle. Je me confie à l'affection de mes
+exécuteurs pour l'accomplissement de cette volonté, à laquelle je tiens
+d'une manière toute particulière.»</p>
+
+<p>»--On demande à Lord Byron s'il ne vaudrait pas mieux supprimer
+entièrement cette clause relative aux funérailles. La substance pourrait
+en être renfermée dans une lettre de Sa Seigneurie à ses exécuteurs, et
+jointe au testament, lequel porterait alors que les funérailles auraient
+lieu en la manière que Sa Seigneurie l'aurait ordonné par une lettre <i>ad
+hoc</i>, ou, à défaut d'une telle lettre, à la discrétion de ses
+exécuteurs.»</p>
+
+<p>»--Il faut que cela reste.»<br>
+
+<span class="rig">BYRON.</span><br></p>
+
+<p>»Je veux, et j'ordonne formellement que toutes les sommes que ledit S.
+B. Davies pourrait avoir à répéter sur moi, soient payées intégralement,
+aussitôt que possible, après mon décès, dès qu'il aura prouvé la nature
+et le montant de la dette (par témoins ou autrement, à la satisfaction
+de mes exécuteurs ci-dessus nommés)<a id="footnotetag159" name="footnotetag159"></a>
+<a href="#footnote159"><sup class="sml">159</sup></a>.»</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote159"
+name="footnote159"><b>Note 159: </b></a><a href="#footnotetag159">
+(retour) </a> Les mots placés ici entre deux traits avaient été
+ biffés à la plume par Lord Byron.</blockquote>
+
+<p>»--Si M. Davies a quelques comptes non réglés avec Lord Byron, cette
+circonstance est une raison de ne le point nommer exécuteur; chaque
+exécuteur étant en état de se payer par ses propres mains sans consulter
+ses co-exécuteurs.»</p>
+
+<p>»--Tant mieux... Si la chose est possible, qu'il soit l'un des
+exécuteurs.»<br>
+
+<span class="rig">BYRON.</span><br></p>
+
+<p>Les deux lettres suivantes contiennent de nouvelles instructions sur le
+même sujet.</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE LVIII.</h3>
+
+<h4>À M. BOLTON.</h4>
+
+<p class="rig">Newstead-Abbey, 16 août 1811.</p><br><br>
+
+<p><span class="sc">Monsieur</span>,</p>
+
+<p>«J'ai répondu en marge à vos questions<a id="footnotetag160" name="footnotetag160"></a>
+<a href="#footnote160"><sup class="sml">160</sup></a>. Mon intention est que l'on
+accorde à M. Davies tout ce qu'il croira devoir répéter, et de plus
+qu'il soit l'un de mes exécuteurs. Je désire que le testament soit, s'il
+est possible, écrit de manière à prévenir toute espèce de discussion
+après ma mort, et c'est ce sur quoi je m'en repose sur vous comme homme
+de loi et homme d'honneur.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote160"
+name="footnote160"><b>Note 160: </b></a><a href="#footnotetag160">
+(retour) </a> En énumérant dans cette clause le nom et la
+ demeure des exécuteurs, le procureur avait laissé des blancs
+ pour les noms de baptême des exécuteurs; Lord Byron les ayant
+ tous remplis, excepté celui ou ceux de M. Dallas, écrivit en
+ marge: «J'ai oublié le nom de baptême de Dallas... il n'y a
+ qu'à le retrancher.»</blockquote>
+
+<p>»Quant à la manière simple dont je veux qu'on dispose de ma <i>carcasse</i>,
+je veux que l'on s'y conforme absolument; cela aura, du moins,
+l'avantage de sauver bien du trouble et de la dépense. En outre, ce qui
+est de peu de conséquence pour moi, mais qui pourra calmer la conscience
+des survivans, le jardin est <i>terre consacrée</i>. Cet article est copié
+mot à mot de mon premier testament, et les changemens opérés dans
+d'autres sont la suite de la mort de Mrs. Byron.</p>
+
+<p>»J'ai l'honneur d'être votre très-humble et très-obéissant serviteur,»<br>
+
+<span class="rig">BYRON.</span><br></p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE LVIII.</h3>
+
+<h4>À M. BOLTON.</h4>
+
+<p class="rig">Newstead-Abbey, 20 août 1811.</p><br><br>
+
+<p><span class="sc">Monsieur</span>,</p>
+
+<p>«Les témoins seront pris parmi mes fermiers, et je serai charmé de vous
+recevoir le premier jour qui vous sera convenable. J'ai oublié de
+mentionner qu'il faut spécifier par codicille, ou autrement, que mon
+corps ne devra, sous aucun prétexte, être enlevé de la place où je yeux
+qu'il soit déposé. Que si quelqu'un de mes successeurs au titre, soit
+par bigoterie, soit autrement, voulait déranger ma carcasse, un tel
+procédé devra être suivi de la perte du domaine, qui, dans ce cas,
+serait dévolu à ma sœur l'honorable Augusta Leigh ou à ses ayant-cause,
+aux mêmes conditions.</p>
+
+<p>«»J'ai l'honneur d'être, Monsieur, etc.»<br>
+
+<span class="rig">BYRON.</span><br></p>
+
+<p>En conséquence de cette dernière lettre, une condition provisionnelle
+fut insérée dans le testament. Il y fut aussi, le 28 du même mois,
+ajouté un codicille par lequel il révoque la donation précédemment faite
+de «ses meubles meublans, bibliothèque, tableaux, sabres, montres,
+argenterie, linge, bijoux, etc., et autres effets mobiliers, excepté
+l'argent et les valeurs en portefeuille, qui se trouveraient dans la
+maison et propriété de Newstead au jour de son décès, et lègue le tout
+(excepté le vin et les autres spiritueux) à ses amis lesdits J. C.
+Hobhouse, J. B. Davies et Francis Hodgson, ses exécuteurs, etc. Il lègue
+le vin et les liqueurs spiritueuses qui se trouveront dans les caves et
+autres parties de Newstead, à son ami ledit J. Becher, pour son usage
+particulier. Priant collectivement et individuellement les susnommés de
+vouloir bien accepter leur dit legs respectif, comme un gage de son
+amitié.»</p>
+
+<p>On ne saurait se défendre d'un intérêt douloureux à la lecture des
+lettres suivantes, écrites lorsque ses dernières pertes étaient encore
+toutes récentes.</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE LIX.</h3>
+
+<h4>À M. DALLAS.</h4>
+
+<p class="rig">Newstead-Abbey, 12 août 1811.</p><br><br>
+
+<p>«Que la paix soit avec les morts! Le regret ne saurait les réveiller.
+Après avoir donné un soupir à ceux qui ont quitté cette vie,
+reprenons-en les ennuyeuses occupations, dans la certitude où nous
+sommes que nous aussi nous aurons un jour notre repos. Outre celle qui
+m'avait donné l'existence, j'ai perdu la plus grande partie de ceux qui
+me la rendaient supportable. Le meilleur ami de mon ami Hobhouse,
+Matthews, homme d'un rare mérite, l'ornement de notre petit cercle, a
+péri misérablement dans les eaux fangeuses de la Cam, toujours fatales
+au génie. Mon pauvre camarade d'école, Wingfield, est mort à Coimbre. En
+voilà trois dans l'espace d'un mois; j'avais reçu des nouvelles de tous
+trois, mais je n'en ai pas vu un seul. Matthews m'avait écrit le jour
+même de sa mort: quoique je regrette vivement sa perte, je suis bien
+plus tourmenté pour Hobhouse, je crains bien qu'il n'en perde la raison;
+depuis cet événement, les lettres qu'il m'a écrites sont pleines
+d'incohérences. Mais allons..., nous passerons un jour ou un autre comme
+tout le reste... Le monde est trop plein de ces sortes de choses, et
+notre chagrin même est égoïste.</p>
+
+<p>»J'ai reçu une lettre de vous, à laquelle mes dernières occupations
+m'ont empêché de répondre, ainsi qu'il aurait convenu. J'espère que vos
+parens et vos amis ne seront pas de sitôt séparés. Je serai charmé de
+recevoir une lettre de vous: parlez-moi d'affaires, de sujets communs,
+de quelque chose ou de rien, de tout ce que vous voudrez, excepté de la
+mort; j'en ai plus que je n'en puis supporter. C'est une chose
+étonnante: je regarde sans émotion les quatre crânes que j'ai toujours
+sous les yeux dans mon cabinet d'étude, et je ne puis, même par la
+pensée, dépouiller de leur enveloppe charnue les traits de ceux que j'ai
+connus, sans éprouver une horrible sensation; mais les vers n'y font pas
+tant de cérémonie! Sûrement les Romains avaient raison de brûler leurs
+morts.</p>
+
+<p>»Je serai charmé de recevoir de vos nouvelles, et suis votre, etc.»<br>
+
+<span class="rig">BYRON.</span><br></p>
+
+<br><br>
+<h3>LETTRE LX.</h3>
+
+<h4>À M. HODGSON.</h4>
+
+<p class="rig">Newstead-Abbey, 22 août 1811.</p><br><br>
+
+<p>«Vous avez sans doute appris la mort soudaine de ma mère, celle de
+Matthews, celle de Wingfield que je n'ai sue d'une manière bien positive
+qu'au moment où je quittais Londres, encore refusais-je d'y croire; tout
+cela fait un horrible vide dans mes affections. Ces coups se sont
+succédé si rapidement, que je suis comme stupéfait du choc. Quoique je
+mange, que je boive, que je parle, que je rie même quelquefois, j'ai
+peine à me persuader que je sois éveillé; chaque matin j'acquiers la
+triste conviction que tout cela n'est que trop réel. Mais, brisons là,
+les morts sont en repos, et seuls ils y sont.</p>
+
+<p>»Vous partagerez la douleur de ce pauvre Hobhouse: Matthews était le
+dieu de son idolâtrie; et si l'intelligence peut élever un homme
+au-dessus de ses semblables, nul ne pouvait lui refuser cette
+prééminence. Je le connaissais très-intimement, et l'estimais en
+proportion; mais je retombe encore... Allons, parlons de la vie et des
+vivans.</p>
+
+<p>«Si vous vous sentiez disposé à venir ici, vous y trouveriez «du bœuf,
+du feu de charbon de terre» et du vin qui n'est pas sans quelque mérite.
+Si vous y trouverez les deux autres nécessités d'un Anglais, suivant
+Otway, je ne saurais en répondre, mais probablement une des deux.
+Faites-moi savoir quand je pourrai vous attendre, afin que je vous
+tienne au courant de mes allées et de mes venues.....</p>
+
+<p>«Davies est venu ici; il m'a invité à passer une semaine à Cambridge
+dans le mois d'octobre, de sorte que nous pourrions d'aventure nous
+rencontrer le verre à la main. Sa gaîté contre laquelle la mort ne peut
+rien, m'a rendu bien service; mais après tout, nos éclats de rire
+n'étaient pas francs.</p>
+
+<p>«Vous m'écrirez? Je suis seul, voilà la première fois que la solitude
+m'est pénible. Votre anxiété, à propos de la critique sur le livre de
+***, est amusante; comme elle est anonyme, elle est de peu de
+conséquence. Je voudrais qu'elle eût amené un peu plus de confusion, car
+j'aime les malices littéraires. Ne faites-vous rien? N'écrivez-vous
+rien? N'imprimez-vous rien? Pourquoi ne continuez-vous pas votre satire
+sur le méthodisme? Ce sujet, en supposant même que le public fût aveugle
+sur le mérite littéraire, ferait merveille. Outre que pour un homme qui
+se destine au diaconat, il n'y aurait pas de mal de prouver son
+orthodoxie, sérieusement parlé, je désirerais vivement vous voir mieux
+apprécié. Je dis <i>sérieusement</i>, parce qu'étant auteur moi-même, on
+pourrait soupçonner mon humanité. Croyez-moi, pour toujours, mon cher
+Hodgson, votre, etc.»</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE LXI.</h3>
+
+<h4>A M. DALLAS.</h4>
+
+<p class="rig">Newstead, 21 août 1811.</p><br><br>
+
+<p>«Votre lettre me fait honneur de plus de sensibilité que je n'en
+possède; quoique je me trouve suffisamment malheureux, je suis cependant
+sujet à une sorte de joie hystérique, ou plutôt de rire sans gaîté, dont
+je ne puis me rendre compte, et que je ne saurais surmonter; et
+cependant je ne m'en sens pas soulagé: une personne indifférente me
+croirait dans les meilleures dispositions du monde. «Il faut oublier
+toutes ces choses,» et avoir recours à toutes nos jouissances
+d'égoïstes, ou plutôt à notre égoïsme, source de nos jouissances. Je ne
+crois pas retourner à Londres immédiatement; j'accepterai donc sans
+cérémonie ce que vous m'avez obligeamment offert, votre médiation entre
+Murray et moi. Je ne crois pas qu'il soit convenable d'y mettre mon nom.
+Observez que ma maudite satire sera cause que les critiques anglais et
+écossais vont se déchaîner sur le <i>Pélerinage</i>. Mais n'importe; si
+Murray insiste, et que vous soyez d'accord avec lui, j'en aurai le
+courage. Que le titre porte donc: «Par l'auteur des <i>Poètes anglais et
+des Journalistes écossais</i>.» Mes remarques sur la langue romaïque, qui
+devaient accompagner mes <i>Imitations d'Horace</i>, se joindront tout
+naturellement à cet ouvrage, avec lequel elles ont plus de rapport,
+ainsi que les petits poèmes que j'ai maintenant en portefeuille, et
+quelques autres déjà publiés dans les <i>Mélanges</i>. J'ai trouvé dans les
+papiers de ma pauvre mère toutes mes lettres de l'Orient, et en
+particulier une assez longue sur l'Albanie; j'en pourrai, au besoin,
+tirer le sujet d'une note ou deux. Comme je n'avais point de journal,
+ces lettres écrites sur les lieux sont tout ce que je puis désirer de
+mieux. Nous en reparlerons quand tout le reste sera définitivement
+arrangé.</p>
+
+<p>«Murray a-t-il montré l'ouvrage à quelqu'un? Il en est bien le maître;
+mais je ne veux pas de suffrages mendiés ou surpris. Il y a
+naturellement certaines petites choses que je voudrais changer.
+Peut-être ferait-on aussi bien de retrancher deux stances bouffonnes sur
+le dimanche à Londres. Je dois singulièrement éviter d'identifier mon
+caractère avec celui de <i>Childe Harold</i>, et c'est en vérité une seconde
+objection pour l'impression de mon nom sur le titre. Quand vous serez
+convenu du tems, du format, du caractère, etc., faites-moi l'honneur
+d'une réponse. Je vous donne une peine infinie, et que tous mes
+remercîmens ne sauraient jamais reconnaître. J'avais mis en tête du
+manuscrit une sorte d'apologie en prose de mon scepticisme; mais comme,
+toute réflexion faite, je trouve qu'elle a plutôt l'air d'une attaque
+que d'une défense, je crois qu'il serait peut-être mieux de la
+retrancher.... Voyez, et jugez. Je crains que Murray ne se fasse quelque
+mauvaise affaire avec les dévots; je ne puis qu'y faire; je souhaite
+cependant qu'il s'en tire pour le mieux. Quant à moi, «j'ai été abreuvé
+de critiques, et j'en ai eu tout mon soûl,» et je ne pense pas que «le
+plus épouvantable traité» puisse mouvoir et faire hérisser sur ma tête
+«ma toison de cheveux», jusqu'à ce que «la forêt de Birnam vienne au
+château de Dunsinane<a id="footnotetag161" name="footnotetag161"></a>
+<a href="#footnote161"><sup class="sml">161</sup></a>». Je continuerai à vous écrire de tems en
+tems, et j'espère que vous me rendrez lettre pour lettre. Comment Pratt
+se tire-t-il des œuvres posthumes de Joe Blackett? Vous avez tué ce
+pauvre homme-là entre vous, en dépit de votre ami l'Ionien et de moi qui
+voulions le sauver des griffes de Pratt. Poésie, pauvreté pendant la
+vie, oubli après la mort! Cruel patronage! de ruiner un homme, en
+l'arrachant à son état. Mais enfin c'est un merveilleux sujet de
+souscription et de biographie; et Pratt, qui tire le meilleur parti de
+ses dédicaces, a déjà dédié son livre à cinq grandes familles au moins.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote161"
+name="footnote161"><b>Note 161: </b></a><a href="#footnotetag161">
+(retour) </a> Imitation burlesque du <i>Macbeth</i> de Shakspeare.
+<span class="rig">(<i>N. du Tr.</i>)</span><br>
+</blockquote>
+
+<p>«Je suis fâché que vous n'aimiez pas Harry White; avec beaucoup de
+jargon religieux qui, par parenthèse, l'a tué, quoique sincère, comme
+vous avez tué Joe Blackett, certes il y avait en lui de la poésie et du
+génie. Je ne dis pas cela pour ma comparaison et mes rimes; mais il
+était incontestablement au-dessus de tous les Bloomfields, les
+Blacketts, et tous ces autres savetiers que Lofft et Pratt ont enlevés
+ou enlèveront à leur état pour les faire entrer au service de la presse.
+Vous excuserez tout le décousu de cette lettre; j'écris je ne sais quoi
+pour me dérober à moi-même. Hobhouse est parti pour l'Irlande. M. Davies
+est passé par ici en se rendant à Harrowgate.</p>
+
+<p>»Vous ne connaissiez pas Matthews; c'était un homme d'un talent
+extraordinaire; il en a fait preuve à Cambridge, en gagnant, sur les
+plus habiles candidats, plus de prix et de <i>fellowships</i> qu'aucun gradué
+ne l'ait encore fait, de mémoire d'homme. Mais c'était un athée bien
+décidé et bien connu pour tel; car il proclamait ses principes dans
+toutes les sociétés. Je le connaissais beaucoup; sa mort laisse dans mon
+cœur un vide qui ne sera pas aisément rempli: pour Hobhouse, il ne s'en
+consolera jamais. Écrivez-moi, et croyez-moi, etc.»</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE LXII.</h3>
+
+<h4>À M. MURRAY.</h4>
+
+<p class="rig">Newstead-Abbey, 23 août 1811.</p><br><br>
+
+<p><span class="sc">Monsieur</span>,</p>
+
+<p>«Un chagrin domestique, la mort d'un parent très-proche, m'a jusqu'ici
+empêché d'entrer en correspondance avec vous sur ce qui fait le sujet de
+cette lettre. Mon ami, M. Dallas, a mis entre vos mains le manuscrit
+d'un poème écrit par moi en Grèce, et me dit que vous n'avez point
+d'objections contre sa publication; mais il m'apprend aussi que vous
+désireriez soumettre l'ouvrage à M. Gifford. Certes, nul ne désirerait
+plus que moi profiter des observations dont il pourrait peut-être
+m'honorer; mais il y a dans une démarche de ce genre une sorte de quête
+d'éloges qui répugne à mon orgueil, ou de quelque autre nom qu'il vous
+plaise d'appeler le sentiment qui me force à m'y refuser. Non-seulement
+M. Gifford est le premier de nos poètes satiriques, mais il est encore
+l'éditeur de nos principales <i>Revues</i>, et comme tel, l'homme du monde
+dont je voudrais le moins avoir l'air de prévenir la critique par de
+petits moyens, quoique en effet je la redoute beaucoup. Vous voudrez
+donc bien garder le manuscrit entre vos mains, ou s'il faut absolument
+qu'il soit montré à quelqu'un, envoyez-le à un autre. Quoique je ne sois
+pas très-patient de la censure, je serais, comme un autre, charmé de
+recevoir le peu d'éloges que mes vers peuvent mériter; mais à coup sûr
+je ne veux pas les extorquer par d'humbles sollicitations, et en faisant
+passer mon manuscrit à la ronde. Je suis persuadé qu'avec un peu de
+réflexion vous verrez que je n'ai pas tort.</p>
+
+<p>«Si vous vous déterminez à publier, j'ai aussi quelques petits poèmes
+inédits, quelques notes, et une courte dissertation sur la littérature
+grecque moderne, écrite à Athènes, qui pourront être places à la fin du
+volume. Si la pièce dont il s'agit ici venait à réussir, j'ai intention
+de publier plus tard un choix de mon premier recueil, ma satire, une
+autre de la même longueur, et quelques autres petites choses; le tout
+joint au manuscrit que vous avez maintenant entre les mains pourrait
+former deux volumes. Nous aurons le tems d'en reparler. Je vous serais
+obligé de me faire connaître la détermination que vous aurez prise.</p>
+
+<p>«Je suis, monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur,»<br>
+
+<span class="rig">BYRON.</span><br></p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE LXIII.</h3>
+
+<h4>A M. DALLAS.</h4>
+
+<p class="rig">Newstead-Abbey, 25 août 1811.</p><br><br>
+
+<p>«Comme heureusement j'ai mon franc-couvert<a id="footnotetag162" name="footnotetag162"></a>
+<a href="#footnote162"><sup class="sml">162</sup></a>, je ne me fais point
+scrupule de vous accabler de griffonnage; depuis dix jours je vous ai
+envoyé de véritables paquets. Je suis ici comme un ermite; je ne crois
+pas que mon agent puisse m'accompagner à Rochdale avant la seconde
+semaine de septembre, délai qui me contrarie fort; car je voudrais que
+cette affaire fût finie, et serais bien aise de me livrer à quelque
+occupation. Je vous envoie des exordes, des annotations, etc., pour
+notre futur in-quarto, si tant est qu'in-quarto il doive y avoir. J'ai
+aussi écrit à M. Murray, lui exposant les raisons qui me font ne pas
+consentir à ce qu'il envoie mon manuscrit à Juvénal<a id="footnotetag163" name="footnotetag163"></a>
+<a href="#footnote163"><sup class="sml">163</sup></a>, mais lui
+permettant de le montrer à quelque autre personne du métier qu'il pourra
+lui être agréable. Hobhouse est sous presse, de manière que, lui en
+prose, et moi en vers, nous tirons passablement à vue sur la patience et
+le papier-monnaie du public. Ce n'est pas tout; mes <i>Imitations
+d'Horace</i> attendent leur tour pour s'imprimer chez Cawthorn, mais je
+suis encore incertain sur le <i>quand</i> et le <i>comment</i>, le simple ou le
+double, le présent et le futur. Il faut que vous excusiez tout ce
+bavardage; car dans ce manoir isolé je n'ai rien à dire, si ce n'est de
+moi-même, et je serais charmé de pouvoir parler de....., ou penser à
+quelque autre chose que ce soit.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote162"
+name="footnote162"><b>Note 162: </b></a><a href="#footnotetag162">
+(retour) </a> Pendant la durée des sessions, les membres des
+ deux chambres ont leur couvert libre, tant pour les lettres
+ qu'ils écrivent que pour celles qu'ils reçoivent.<br>
+ <span class="rog">(<i>N. du Tr.</i>)</span><br>
+</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote163"
+name="footnote163"><b>Note 163: </b></a><a href="#footnotetag163">
+(retour) </a> M. Gifford.</blockquote>
+
+<p>«Qu'est-ce que vous allez faire? Pensez-vous à percher dans le
+Cumberland, comme vous en aviez l'idée, quand j'étais dans la métropole!
+Si vous avez le goût de la retraite, que ne prenez-vous «la chaumière de
+l'amitié» de miss ***, dernière résidence du savetier Joe Blackett, de
+la mort duquel vous et les autres répondrez un jour? «Sa fille
+orpheline» (pathétique Pratt!) ne saurait manquer de devenir une Sapho
+cordonnière. N'avez-vous pas de remords? Je crois que l'élégante épître
+à miss Dallas devrait être gravée sur le cénotaphe que miss *** veut
+consacrer à sa mémoire.</p>
+
+<p>«Les journaux semblent désappointés de ce que Sa Majesté ne meurt pas et
+s'occupe à quelque chose de mieux. Je présume que tout est fini
+maintenant. Si le parlement reprend ses séances en octobre, je me
+rendrai à Londres pour y assister. Je suis aussi invité à Cambridge pour
+le commencement de ce mois, mais il faut d'abord que j'aille faire une
+course à Rochdale. Maintenant que Matthews est mort et que Hobhouse est
+en Irlande, à l'exception de celui qui m'y appelle, à peine me
+reste-t-il un ami à Cambridge pour me venir prendre la main à mon
+arrivée. A vingt-trois ans, me voilà resté presque seul, que sera-ce
+donc à soixante-dix! Il est vrai que je suis jeune et que je puis
+commencer de nouvelles liaisons; mais avec qui me rappellerai-je ces
+scènes joyeuses de la première partie de la vie? C'est une chose
+étrange, combien peu de mes amis sont morts d'une mort tranquille! je
+veux dire dans leur lit. Une vie tranquille est de bien plus grande
+conséquence. Mais on aime mieux se quereller et se heurter que
+<i>bailler</i>. Ce mot m'avertit qu'il est tems de vous débarrasser de votre
+bien affectionné, etc.</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE LXIV.</h3>
+
+<h4>A M. DALLAS.</h4>
+
+<p class="rig">Newstead-Abbey, 27 août 1811.</p><br><br>
+
+<p>«J'étais si sincère dans ma note sur feu Charles Matthews, et je me sens
+si totalement incapable de rendre justice à ses talens, que le passage
+doit subsister par la raison même que vous alléguez pour me le faire
+supprimer. Tous les hommes que j'ai connus ne sont que des pygmées
+auprès de lui. C'était un géant intellectuel. Il est vrai que j'aimais
+Wingfield plus encore: c'était mon plus ancien camarade et le plus cher,
+un de ces hommes peu nombreux qu'on ne saurait jamais se repentir
+d'avoir aimés; mais sous le rapport de la capacité... Ah! vous ne
+connaissiez pas Matthews!</p>
+
+<p>«<i>Childe Harold</i> peut attendre, et ce sera tant mieux; les livres n'en
+sont jamais plus mauvais pour avoir été retardés dans leur publication.
+Ainsi, vous avez chez vous notre héritier, Georges Anson Byron, et sa
+sœur. .........................................................................................................................................</p>
+
+<p>«Dites tout ce que vous voudrez, mais vous êtes l'un des <i>meurtriers</i> de
+Blackett, et cependant vous ne voulez pas avouer le génie d'Harry White.
+Mettant à part sa bigoterie, il mérite certainement d'être placé près de
+Chatterton. Il est étonnant combien peu il était connu! et, à Cambridge,
+personne ne pensait à lui, ne parlait de lui, jusqu'à ce que la mort
+l'ait rendu indifférent à sa gloire posthume. Pour ma part, j'eusse été
+fier d'être lié avec lui; ses préjugés mêmes étaient respectables. Il y
+a à Granta un poète épique en herbe, un M. Townsend, protégé du feu duc
+de Cumberland. Avez-vous jamais entendu parler de son <i>Armageddon</i>? Je
+crois que son plan (pour l'homme, je ne le connais pas) a quelque chose
+de sublime; bien que dans vos idées, à vous autres Nazaréens, il y ait
+trop de hardiesse à vouloir créer à l'avance <i>Le Dernier Jour</i>. Cela a
+l'air de vouloir dire au Seigneur ce qu'il doit faire, et pourrait
+rappeler à quelque lecteur malévole ce vers:</p>
+
+<p class="mid">Des sots se précipitent où les anges ne marchent qu'en
+ tremblant.</p>
+
+<p>»Je ne veux point lui faire de chicanes, d'autres lui en feront, et il
+pourrait bien voir après ses talons tous les agneaux de Jacob Behmen.
+Quoi qu'il en soit, j'espère qu'il s'en tirera à son honneur, encore
+qu'il doive rencontrer Milton en son chemin.</p>
+
+<p>ȃcrivez-moi, je suis fou de bavardages; saluez pour moi Ju..., et
+donnez pour moi une poignée de main à Georges; mais prenez garde, il a
+une vilaine patte marine.</p>
+
+<p>»<i>P. S.</i> J'inviterais volontiers Georges à venir ici, mais je ne sais
+comment l'amuser; j'ai vendu tous mes chevaux à mon départ d'Angleterre,
+et je n'ai pas encore eu le tems de les remplacer. Cependant, s'il veut
+venir chasser en septembre, il sera le bienvenu, mais il faudra qu'il
+apporte un fusil; j'ai donné tous les miens à Ali Pacha, et à d'autres
+Turcs. J'ai des chiens, un garde, beaucoup de gibier, un grand domaine,
+un lac, un bateau, un logement et du bon vin à son service.»</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE LXV.</h3>
+
+<h4>À M. MURRAY.</h4>
+
+<p class="rig">Newstead-Abbey, 5 septembre 1811.</p><br><br>
+
+<p><span class="sc">Monsieur</span>,</p>
+
+<p>«Il paraît que le tems est passé où, comme le disait le docteur Johnson,
+un homme était sûr d'apprendre la vérité de son libraire; vous m'avez
+fait tant de complimens qu'à moins d'être le dernier écrivassier du
+monde, je devrais m'en tenir pour offensé. Mais puisque je les accepte
+ces complimens tels qu'ils sont, il est bien juste que j'aie aussi
+beaucoup d'égards pour vos objections, d'autant plus que je les crois
+fondées. Quant aux parties politique et métaphysique, je crains de n'y
+pouvoir rien changer; j'ai de grandes autorités pour justifier mes
+erreurs sur ce point, car l'<i>Énéide</i> elle-même était un poème
+<i>politique</i> et écrit dans un but <i>politique</i>. Quant à mes malheureuses
+opinions sur des sujets plus importans, j'ai été trop sincère en les
+émettant pour songer à chanter la palinodie. J'ai dit ce que j'avais vu
+pour ce qui touche les affaires d'Espagne, et je crois que l'honnête
+John Bull commence à revenir de l'ivresse où l'avait plongé la retraite
+de Masséna, conséquence ordinaire de <i>succès extraordinaires</i>. Vous
+voyez donc que je ne puis altérer les pensées; mais si dans l'expression
+et la forme des vers, il y a quelque chose que vous désiriez changer, je
+puis rajuster des rimes, et retourner des stances autant qu'il vous
+plaira. Quant aux <i>Orthodoxes</i>, espérons qu'ils achèteront l'ouvrage
+pour en dire du mal, alors vous leur pardonnerez l'intention en faveur
+du résultat immédiat. Vous savez que rien de ce qui sort de ma plume ne
+saurait être épargné, pour plusieurs bonnes raisons; ainsi donc, encore
+que cet ouvrage soit d'une nature tout-à-fait différente du premier,
+nous ne devons pas nous livrer à de trop belles espérances.</p>
+
+<p>»Vous ne m'avez point fait de réponse à ma question; dites-moi
+franchement, avez-vous montré le manuscrit à quelqu'un de votre corps?
+J'ai envoyé une stance d'introduction à M. Dallas pour vous être remise,
+et sans laquelle le poème commençait d'une manière trop brusque. Il vaut
+mieux numéroter les stances en chiffres romains. J'ai des <i>Recherches
+sur la littérature grecque moderne</i> et quelques autres petits poèmes qui
+se placeront à la fin. Je les ai ici, et je vous les enverrai en tems
+opportun. Si M. Dallas a perdu la stance et la note qui y était annexée,
+écrivez-le-moi, et je vous les enverrai directement. Vous me dites
+d'ajouter deux chants, mais je dois visiter mes <i>charbonniers</i> du
+Lancashire, le 15 courant, et c'est une occupation si anti-poétique que
+je n'ai pas besoin de vous en dire davantage.</p>
+
+<p>»Je suis, Monsieur, votre très-obéissant, etc.»</p>
+
+<p>Les manuscrits de ces deux poèmes ayant été, bien contre sa volonté,
+montrés à M. Gifford, voici l'opinion de ce gentleman, rapportée par M.
+Dallas: «Il a parlé très-avantageusement de votre satire; mais quant à
+votre poème (<i>Childe Harold</i>), non-seulement il a dit que c'était ce que
+vous aviez écrit de mieux, mais il le prétend au moins égal à quoi que
+ce soit qu'on ait publié depuis le commencement de ce siècle.»</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE LXVI.</h3>
+
+<h4>À M. DALLAS.</h4>
+
+<p class="rig">Newstead-Abbey, 7 septembre 1811.</p><br><br>
+
+<p><span class="sc">Monsieur</span>,</p>
+
+<p>«Comme Gifford a toujours été pour moi mon <i>magnus Apollo</i>, des éloges
+tels que ceux que vous mentionnez me sont naturellement plus précieux
+que <i>tout l'or vanté de Bolcara</i>, que <i>toutes les pierres précieuses de
+Samarkand</i>. Mais je suis fâché que le manuscrit lui ait été montré, et
+je l'avais écrit à Murray, croyant qu'il en était tems encore.</p>
+
+<p>»Pour répondre à votre objection sur l'expression de <i>ligne centrale</i>,
+je vous dirai seulement qu'avant que Childe Harold quittât l'Angleterre,
+son intention arrêtée était de traverser la Perse et de revenir par les
+Indes, ce qu'il n'aurait pu faire sans passer la ligne équinoxiale.</p>
+
+<p>»Quant aux autres erreurs dont vous parlez, il faudra que je les corrige
+au fur et à mesure pendant l'impression. Je me sens très-honoré du désir
+qu'ont bien voulu exprimer des personnes aussi distinguées de me voir
+continuer mon poème; mais pour cela, il faut que je retourne en Grèce et
+en Asie; il me faut un soleil plus chaud et un ciel sans nuages; on ne
+saurait décrire de telles scènes au coin d'un feu de charbon de terre.
+J'avais projeté un chant additionnel quand j'étais dans la Troade et à
+Constantinople, et, si je revoyais ces lieux-là, je pourrais continuer:
+mais au milieu des circonstances et des sensations actuelles je n'ai ni
+harpe, ni cœur, ni voix pour aller en avant. Je sens que vous avez tous
+raison quant à la partie métaphysique; mais je sens aussi que je suis
+sincère, et que si je ne devais écrire que <i>ad captandum vulgus</i>, autant
+vaudrait publier tout de suite un <i>Magazine</i> ou filer langoureusement
+des chansonnettes pour le
+Wauxhall.<br>......................................................................................................................................................</p>
+
+<p>»Mon ouvrage réussira comme il pourra. Je sais que j'ai tout contre moi,
+des poètes irrités et des préjugés; mais si le poème est <i>un poème</i>, il
+surmontera ces obstacles, <i>sinon</i> il mérite son sort. J'ai lu l'ode de
+votre ami; ce ne serait pas lui faire grand compliment de lui dire
+qu'elle est bien supérieure à celle de S***, sur le même sujet. C'est
+évidemment l'ouvrage d'un homme de goût et d'un poète, et cependant je
+ne pourrais dire qu'elle soit tout-à-fait égale à ce qu'on avait droit
+d'attendre de l'auteur des <i>Horæ Ionicæ</i>. Je vous en remercie, et c'est
+plus que je n'en voudrais dire d'aucune autre des odes qu'on nous donne
+aujourd'hui. Je suis bien sensible aux vœux que vous formez pour moi, et
+j'en ai grand besoin. Ma vie entière a été en opposition aux convenances
+sociales pour ne pas dire à la décence. Mes affaires sont embarrassées,
+mes amis sont morts ou loin de moi, et mon existence n'est plus qu'un
+désert aride. Dans Matthews j'ai perdu un guide, un philosophe, un ami;
+dans Wingfield un ami seulement, mais un ami que j'aurais désiré
+accompagner dans son long voyage.</p>
+
+<p>»Matthews était, en effet, un homme extraordinaire; jamais un étranger
+n'aurait pu concevoir un tel génie; le cachet de l'immortalité était
+empreint sur tout ce qu'il disait, sur tout ce qu'il faisait: et
+maintenant que reste-t-il de lui? Quand nous voyons de ces hommes
+disparaître, de ces hommes qui semblaient avoir été créés pour montrer
+tout ce que le créateur pourrait faire de ses créatures; quand nous les
+voyons réduits en poussière avant que le tems n'ait mûri leur génie qui
+eût pu être l'orgueil de la postérité, que devons-nous en conclure? Pour
+ma part, ma raison s'y perd. Il était beaucoup pour moi, il était tout
+pour Hobhouse. Mon pauvre Hobhouse idolâtrait Matthews. Moi je l'aimais
+moitié moins que je ne le respectais; j'étais tellement convaincu de sa
+supériorité infinie, que quoique je ne lui portasse pas envie, je
+restais devant lui dans une sorte d'admiration stupéfaite. Lui,
+Hobhouse, Davis et moi nous formions un petit cercle à Cambridge et
+ailleurs. Davis est un homme d'esprit et un homme du monde; il ressent
+la perte que nous avons faite, autant qu'un homme de ce caractère peut
+la ressentir; mais il n'en est pas aussi affecté qu'Hobhouse. Davis, qui
+n'est point écrivain, nous a toujours battus dans une guerre de mots;
+son talent de conversation nous amusait en même tems qu'il nous
+imposait. Hobhouse et moi, avions toujours le dessous contre les deux
+autres, et Matthews lui-même était obligé de céder devant la vivacité
+toute puissante de Davis. Mais je vous parle là d'hommes et de jeunes
+gens, comme si tout cela était de nature à vous intéresser.</p>
+
+<p>»J'attends le retour de mon agent vers le 14, pour me rendre avec lui
+dans le Lancashire, où tout le monde me dit que j'ai une propriété qui
+n'est pas à dédaigner, consistant en mines de charbon de terre, etc. Mon
+intention est d'accepter ensuite une invitation, à Cambridge, en
+octobre, et peut-être irai-je jusqu'à Londres. J'ai quatre invitations
+pour quatre villes différentes; mais il faut que je me dévoue tout
+entier aux affaires. Je suis complètement seul, comme le prouvent assez
+ces lettres longues et ennuyeuses. En relisant votre lettre, je vois que
+l'ode est de l'auteur; faites-lui, je vous prie, accepter mes
+complimens. Sa muse méritait un sujet plus noble. Vous m'écrirez, je
+l'espère, comme à l'ordinaire.</p>
+
+<p>»Je vous souhaite le bon soir, et suis, etc.»</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE LXVII.</h3>
+
+<h4>À M. MURRAY.</h4>
+
+<p class="rig">Newstead-Abbey, 14 septembre 1811.</p><br><br>
+
+<p><span class="sc">Monsieur</span>,</p>
+
+<p>«Depuis votre dernière lettre j'ai appris de M. Dallas que, contre mon
+intention, ainsi qu'il le savait bien, et que vous le savez vous-même,
+d'après une lettre que je vous avais écrite tout entière à ce sujet, mon
+manuscrit avait été soumis à la lecture de M. Gifford. Quelques
+événemens domestiques récens, dont vous avez sans doute connaissance,
+m'empêchèrent de vous envoyer ma lettre plus tôt. Je ne pouvais
+m'imaginer, en effet, que vous seriez si pressé de jeter mes productions
+entre les mains d'un étranger, qui pouvait n'être pas plus satisfait de
+les recevoir, que l'auteur de les voir offrir d'une telle manière et à
+un tel homme.</p>
+
+<p>»Mon adresse, quand j'aurai quitté Newstead, sera à Rochdale,
+Lancashire; mais je n'ai pas encore fixé le jour de mon départ, j'aurai
+soin de vous en tenir averti.</p>
+
+<p>»Vous m'avez mis dans une situation bien ridicule; mais enfin cela est
+passé, nous n'en parlerons pas davantage. Vous paraissez désirer
+quelques changemens; s'ils n'ont rien à voir avec la politique ou la
+religion, je m'y prêterai avec le plus grand plaisir du monde.</p>
+
+<p>»Je suis, Monsieur, etc.»</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE LXVIII.</h3>
+
+<h4>À M. DALLAS.</h4>
+
+<p class="rig">Newstead-Abbey, 17 septembre 1811.</p><br><br>
+
+<p>«Je vous excuse facilement de ne m'avoir point écrit, car j'espère que
+vous avez quelque chose de mieux à faire. De votre côté, vous devez me
+pardonner de vous importuner si souvent, car, pour le moment, je n'ai
+rien à faire qui puisse vous sauver l'ennui de ma correspondance.</p>
+
+<p>»Je ne puis me fixer à rien, et, à l'exception d'un grand exercice
+physique, mes jours se passent dans une indolence uniforme et une
+oisiveté insipide. J'ai long-tems attendu, et j'attends encore mon
+agent; quand il viendra, j'aurai assez de quoi m'occuper d'affaires peu
+agréables, je vous assure. Avant de partir pour Rochdale, je vous dirai
+comment vous devez m'écrire, ce sera probablement poste restante. J'ai
+reçu de Murray une seconde épreuve que je l'ai prié de vous montrer,
+afin que vous voyiez si quelque chose ne me serait pas échappé avant que
+l'imprimeur ne jette les fondemens d'une colonne d'<i>errata</i>.</p>
+
+<p>»Je suis maintenant presque seul, n'ayant avec moi qu'une vieille
+connaissance, un vieux camarade d'école, si <i>vieux</i>, en effet, que nous
+n'avons presque plus rien de <i>nouveau</i> à nous dire sur aucun sujet, et
+que nous bâillons l'un devant l'autre dans une sorte de <i>quiétude
+inquiète</i>. Je n'entends pas parler de Cawthorn ou du capitaine Hobhouse
+et de leur <i>in-quarto</i>. Dieu prenne pitié du genre humain! Nous fondons
+sur lui, comme Cerbère, avec notre triple publication. Pour moi-même,
+pris isolément, je me contente de me faire comparer à Janus.</p>
+
+<p>»Je ne suis pas du tout satisfait que Murray ait montré le manuscrit; et
+je suis certain que Gifford doit penser là-dessus, comme moi-même. Ses
+éloges ne signifient absolument rien; que pouvait-il dire? Il ne pouvait
+pas cracher à la figure de quelqu'un qui l'avait loué de toutes les
+manières possibles. Je dois l'avouer, je donnerais tout au monde pour
+qu'il fût bien convaincu que je ne suis pour rien dans cette misérable
+affaire. Plus j'y pense, plus cela me tourmente; ainsi le meilleur est
+de n'en plus parler. C'est déjà assez d'être un écrivassier, sans avoir
+recours à de si petits moyens pour extorquer des éloges ou prévenir la
+censure. C'est aller au-devant d'un jugement, c'est mendier, se mettre à
+genoux devant un homme, c'est l'aduler... Diable, diable, diable! et
+tout cela sans mon consentement, et en opposition à ma volonté formelle!
+Je voudrais que Murray eût été attaché au <i>cou de Payne</i>, quand il sauta
+dans le canal de Padington; dites-lui donc que c'est un réceptacle
+convenable pour des éditeurs. Puisque vous pensez à vous fixer à la
+campagne, pourquoi ne pas essayer de Nottingham? Je crois qu'il y a là
+plusieurs maisons qui vous conviendraient parfaitement, et puis vous
+seriez plus près de la métropole; mais nous en reparlerons.</p>
+
+<p>»Je suis, etc.»</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE LXIX.</h3>
+
+<h4>À M. DALLAS.</h4>
+
+<p class="rig">Newstead-Abbey, 21 septembre 1811.</p><br><br>
+
+<p>«J'ai montré le cas que je fais de vos observations en me conformant à
+presque toutes; j'ai aussi fait, par moi-même, plusieurs corrections sur
+la première épreuve. Écrivez-moi, je vous prie; quand j'irai à Lanes, je
+vous le ferai savoir. Vous voilà sur mon dos maintenant, ainsi que mon
+ami Juvenal Hodgson sur le chapitre de la révélation. Vous ne manquez
+pas de ferveur, mais lui c'est un brasier ardent; s'il prend, pour
+sauver son ame, la moitié de la peine qu'il se donne pour la mienne,
+grande sera sa récompense un jour à venir. Je vous honore et vous
+remercie tous deux; mais ni l'un ni l'autre vous ne m'avez convaincu.</p>
+
+<p>»Maintenant occupons-nous des notes. Outre celles que j'ai déjà
+envoyées, j'enverrai encore les observations sur les remarques de ces
+messieurs de la <i>Revue d'Édimbourg</i> sur le grec moderne, une chanson
+albanaise en langue albanaise <i>et non pas grecque</i>, quelques
+échantillons de grec moderne, tirés du Nouveau-Testament, une scène de
+l'une des comédies de Goldoni, traduite, le prospectus du livre d'un
+ami, tout cela en romaïque, outre leur <i>Pater Noster</i>; vous voyez qu'il
+y en aura assez pour ne pas dire trop. Avez-vous reçu les <i>Noctes
+atticæ</i>? J'envoie de plus une note sur le Portugal. Hobhouse va bientôt
+paraître aussi.»</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE LXX.</h3>
+
+<h4>À M. DALLAS.</h4>
+
+<p class="rig">Newstead-Abbey, 23 septembre 1811.</p><br><br>
+
+<p>«<i>Lisboa</i> est le mot portugais, et conséquemment le meilleur.
+<i>Ulyssipont</i> est pédantesque, et comme j'ai un peu plus haut <i>Hellas</i> et
+<i>Eros</i>, cela aurait l'air d'une affectation de termes grecs, que je
+désire éviter. J'en ai déjà une quantité effrayante dans mes notes,
+comme échantillons de la langue; ainsi donc il faut conserver <i>Lisboa</i>.
+Vous avez raison quant aux <i>Imitations d'Horace</i>, il ne faut pas
+qu'elles viennent avant le <i>Romaunt</i>; je sais bien que Cawthorn sera
+furieux; mais n'importe, arrêtez toujours les <i>Imitations</i>, et puis vous
+essaierez si vous pouvez le remettre de bonne humeur, si vous pouvez.</p>
+
+<p>»J'ai adopté, je crois, la plupart de vos suggestions; <i>Lisboa</i> sera une
+exception pour prouver la règle. J'ai envoyé quantité de notes, et j'en
+enverrai encore; mais faites-les recopier, je vous prie, car le diable
+ne lirait pas mon écriture. À propos, je n'ai point envie de changer le
+neuvième vers de la pièce intitulée <i>Good Night</i> (<i>Bonne Nuit</i> ou <i>Bon
+Soir</i>). Je n'ai aucune raison de supposer que mon chien vaille mieux que
+ses confrères de l'espèce humaine, et nous savons qu'<i>Argus</i> est une
+fable. Le <i>Cosmopolite</i> est une acquisition faite sur le continent. Je
+ne crois pas qu'on le trouve en Angleterre. C'est un petit volume
+amusant, plein de la gaîté et de la vivacité françaises. Je lis leur
+langue, quoique je ne la parle pas.</p>
+
+<p>»Je veux être en colère contre Murray. Son procédé est un procédé de
+libraire, cela sent l'arrière-boutique; et si le résultat de
+l'expérience avait été tel qu'il le méritait, il y avait de quoi
+soulever tout Fleet-Street, et emprunter le bâton du géant de l'église
+de Saint-Dunstan pour immoler un homme qui abuse ainsi du dépôt qu'on
+lui avait confié. Je lui ai écrit, je vous jure, comme jamais auteur ne
+l'avait encore fait; j'espère que vous exagérerez encore mon
+ressentiment, jusqu'à ce qu'il s'y montre sensible. Vous me dites
+toujours que vous avez beaucoup de choses à m'écrire, écrivez-les; mais
+laissez de côté la métaphysique. Nous ne nous entendrons jamais sur ce
+point-là. Je suis ennuyé et endormi à mon ordinaire. Je ne fais rien, et
+ce rien même me fatigue. Adieu.»</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE LXXI.</h3>
+
+<h4>À M. DALLAS.</h4>
+
+<p class="rig">Newstead-Abbey, 11 octobre 1811.</p><br><br>
+
+<p>«Je reviens de Lancs, et je me suis convaincu que ma propriété pourrait
+acquérir beaucoup de valeur; mais diverses circonstances m'empêchent d'y
+donner tous les soins convenables. Je serai à Londres pour affaires au
+commencement de novembre, et peut-être à Cambridge avant la fin de ce
+mois; dans tous les cas, je vous tiendrai au courant de tous mes
+mouvemens.</p>
+
+<p>»Voici encore une mort qui vient m'affliger; j'ai perdu quelqu'un qui
+m'était bien cher dans de meilleurs tems; mais j'ai presque oublié le
+goût amer du chagrin, et j'ai été abreuvé d'horreur jusqu'à ce que je
+sois devenu complètement endurci. Je n'ai plus une larme aujourd'hui
+pour un événement qui, il y a cinq ans, m'aurait abîmé de douleur. Il
+semblerait que je sois destiné à éprouver dès ma jeunesse le plus grand
+malheur des vieillards. Mes amis tombent autour de moi, et je resterai
+comme un arbre seul et isolé quoique le tems ne l'ait pas encore
+desséché: d'autres peuvent toujours trouver un refuge dans leur famille;
+mais je n'ai de ressources que dans mes propres réflexions, et elles ne
+m'offrent aucune consolation dans ce monde ou dans l'autre, si ce n'est
+le plaisir égoïste de survivre à ceux qui valaient mieux que moi. En
+vérité je suis bien malheureux; vous me pardonnerez de m'excuser ainsi;
+car vous savez que je ne suis point porté à la sensibilité.</p>
+
+<p>»Au lieu de vous fatiguer de mes affaires, je serais bien aise que vous
+me parlassiez de vos projets de retraite; vous ne voulez pas, je
+suppose, vous isoler entièrement de la société? Maintenant je connais un
+grand village, ou une petite ville, à douze milles environ d'ici, où
+votre famille aurait l'avantage d'une société fort agréable, et n'aurait
+pas à craindre de se voir ennuyer par une affluence mercantile; où vous
+trouveriez des hommes de talent et d'opinions indépendantes, où j'ai
+quelques amis dont je serais fier de vous procurer la connaissance. Il y
+a en outre un café et d'autres lieux publics où l'on peut se réunir. Ma
+mère y a demeuré pendant plusieurs années, et je connais très-bien tout
+Southwell; c'est le nom de cette petite république. Enfin, vous ne serez
+pas fort loin de moi; et quoique je sois en général le plus mauvais
+compagnon possible pour des jeunes gens, cette objection ne saurait
+s'appliquer à vous, que je pourrais voir fréquemment. Vos dépenses aussi
+seront exactement celles qu'il vous conviendra de faire plus ou moins;
+mais il vous en coûterait fort peu, pour vous procurer tous les plaisirs
+d'une vie de province. Vous pourriez être aussi retiré ou aussi répandu
+que vous le voudriez, et dans un pays certainement aussi beau que les
+lacs du Cumberland, à moins que vous n'ayez un désir particulier
+d'entrer dans l'<i>école pittoresque</i><a id="footnotetag164" name="footnotetag164"></a>
+<a href="#footnote164"><sup class="sml">164</sup></a>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote164"
+name="footnote164"><b>Note 164: </b></a><a href="#footnotetag164">
+(retour) </a> Voyez, dans les <i>Poètes anglais</i>, tome II des
+ <i>Œuvres de Byron</i>, page 378, une note sur les poètes des
+ lacs.<br>
+ <span class="rig"> (<i>N. du Tr.</i>)</span><br>
+</blockquote>
+
+<p>»Cet Ionien de vos amis est-il à Londres? Vous m'aviez promis de me
+procurer sa connaissance.</p>
+
+<p>Vous me dites que vous avez montré le manuscrit à plusieurs personnes;
+cela n'est-il pas contraire à nos conventions? Avertissez donc M. Murray
+de défendre à son garçon de boutique d'appeler mon ouvrage <i>le
+Pélerinage de l'enfant d'Harrow</i> (<i>Child of Harrow's Pilgrimage</i>!!!)
+comme il l'a fait en parlant à plusieurs de mes amis étonnés, qui, à
+cette occasion, ont écrit pour s'informer de l'état de mes facultés
+intellectuelles, et certes il y avait de quoi. Je n'ai pas reçu de
+nouvelles de Murray, à qui j'avais adressé une vigoureuse semonce.
+Faut-il que j'écrive encore des notes? N'y en a-t-il pas assez? Il faut
+arrêter Cawthorn dans l'impression des <i>Imitations d'Horace</i>; j'espère
+qu'il avance dans celle de l'<i>in-quarto</i> de Hobhouse.</p>
+
+<p>»Bon soir. Tout à vous, etc., etc.»</p>
+
+<p>Les vers suivans sont de la même date que la lettre précédente, et n'ont
+pas encore été imprimés, c'est une réponse à d'autres vers dans lesquels
+un ami l'exhortait à bannir les soucis et à se livrer à la joie. On y
+verra avec quelle triste persévérance, même sous le poids de malheurs
+récens, il revient sans cesse au désappointement qu'il a éprouvé dans
+ses premières affections comme à la source principale de tous ses
+chagrins et de toutes ses erreurs passées et à venir.</p>
+
+<p>Oh! bannissons les soucis! que telle soit toujours ta devise à l'heure
+du plaisir! Peut-être aussi la mienne, lorsque, dans de nocturnes
+orgies, je cherche ces délices enivrantes, par lesquelles les fils du
+désespoir tentent d'assoupir le cœur et de bannir les chagrins.</p>
+
+<p>Mais à l'heure matinale des méditations, quand le présent, le passé,
+l'avenir nous effraient de leurs sombres images, quand je reconnais que
+tout ce que j'aimais est changé ou n'est plus, ne viens pas irriter par
+ces maximes importunes les douleurs d'un homme dont chaque pensée...
+Mais pourquoi en parler? tu sais que je ne suis plus ce que j'étais
+naguère; et surtout si tu tiens à conserver une place dans un cœur qui
+ne fut jamais froid, je t'en conjure par toutes les puissances que les
+hommes révèrent, par tous les objets qui te sont chers, par ton bonheur
+ici-bas et tes espérances d'une autre vie, garde-toi, oh! garde-toi de
+jamais me parler d'amour.</p>
+
+<p>Il serait trop long de raconter, et sans utilité d'entendre la triste
+histoire d'un homme qui dédaigne les larmes; ce récit ne réveillerait
+que peu de sympathie dans les cœurs vertueux; mais le mien a souffert
+plus qu'il ne convient à un philosophe de l'avouer. J'ai vu ma fiancée
+devenir l'épouse d'un autre, je l'ai vue assise à ses côtés; j'ai vu
+l'enfant que son sein a porté sourire doucement comme faisait sa mère,
+lorsque jeunes tous deux nous nous regardions en souriant, innocens et
+purs comme cet enfant; j'ai vu ses yeux, chargés d'un froid dédain,
+chercher à découvrir si j'éprouvais quelque douleur secrète; et moi,
+j'ai bien joué mon rôle: j'ai commandé à mon visage de ne pas trahir les
+angoisses de mon cœur, je lui ai renvoyé des regards aussi glacés que
+les siens; et pourtant, cette femme! je me sentais encore son esclave!
+J'ai baisé d'un air d'indifférence l'enfant qui aurait dû être le mien,
+et chacune de mes caresses n'a que trop prouvé que le tems n'avait pas
+affaibli mon amour. Mais laissons ces tristes souvenirs: je ne veux plus
+gémir; je n'irai plus chercher quelque repos sur la rive orientale: le
+inonde convient bien au tumulte de mes pensées; je reviendrai me jeter
+dans son tourbillon. Mais si dans un tems à venir, quand les beaux jours
+d'Albion seront sur le déclin, tu entends parler d'un homme dont les
+crimes profonds sont dignes des époques les plus noires, d'un homme que
+ni l'amour ni la pitié ne touchent, aussi insensible à l'espoir de la
+célébrité qu'aux louanges des hommes vertueux; d'un homme qui, dans
+l'orgueil d'une inflexible ambition, ne reculera pas même devant la
+crainte de verser le sang; d'un homme que l'histoire mettra au rang des
+anarchistes les plus violens du siècle; cet homme, tu le connaîtras,
+mais alors suspends ton jugement, et que l'horreur de ces <i>effets</i> ne te
+fasse pas oublier quelle fut leur <i>cause</i>.</p>
+
+<p>Les pronostics qu'il tire dans ces dernières lignes sur sa carrière à
+venir sont de nature, il faut l'avouer, à exciter plus d'horreur que
+d'intérêt, si bien d'autres exagérations du même genre ne nous avaient
+appris à ne nous point étonner à quelque excès que nous le voyions
+pousser la rage de se calomnier lui-même. On dirait qu'avec le génie
+nécessaire pour peindre des personnages sauvages et sombres, il eût
+aussi l'ambition d'être lui-même l'objet noir et sublime qu'il
+retraçait, et qu'à force de se plaire à dessiner des crimes héroïques,
+il s'efforçait d'imaginer ce qu'il ne pouvait trouver dans son propre
+caractère, des sujets propres à exercer ses pinceaux.............</p>
+
+<p>C'est vers ce tems, quand son ame était douloureusement occupée de la
+mort d'un objet réel de ses affections, qu'il écrivit ses différens
+poèmes sur la mort d'un être <i>imaginaire</i>, Thyrza. Quand nous
+réfléchissons aux circonstances particulières sous l'influence
+desquelles son imagination produisit ces beaux vers, il n'est pas
+étonnant que de toutes ses pièces pathétiques celles-ci soient à la fois
+les plus touchantes et les plus pures; elles sont, pour ainsi dire,
+l'essence, l'esprit concentré de plusieurs douleurs, c'est le point où
+sont venues aboutir mille tristes pensées venues de sources différentes,
+raffinées, réchauffées dans leur passage à travers son imagination, et
+formant comme un réservoir profond d'idées et de sentimens lugubres et
+solennels. En retraçant les heures heureuses qu'il avait passées avec
+les amis qu'il venait de perdre, toute la tendresse ardente de sa
+jeunesse venait réchauffer son imagination et son cœur. Les jeux de
+l'école avec les favoris de son enfance Wingfield et Tattersatt, les
+jours d'été passés avec Long et ces soirées romanesques qui s'étaient
+écoulées dans la société de son frère adoptif Eddlestone; tous les
+souvenirs de ces hommes, jeunes naguère, et morts maintenant, venaient
+se mêler dans son esprit à l'image de celle qui, quoique vivante, était
+pour lui aussi bien perdue qu'eux, et répandaient dans son ame ce
+sentiment général de tendresse et d'affection qu'il revêtit d'un si
+brillant coloris dans ses poèmes. Jamais l'amitié, quelque passionnée
+qu'elle fût, n'aurait inspiré des chagrins aussi profonds; jamais non
+plus l'amour, quelque pur qu'on le suppose, n'eût pu retenir la passion
+dans des termes aussi chastes. C'est le mélange de deux affections dans
+sa mémoire et dans son imagination, qui donna ainsi naissance à un objet
+idéal, où les plus beaux traits de toutes deux se trouvaient combinés,
+et lui inspira ces poésies, les plus tristes et les plus tendres que
+puisse offrir le genre érotique, dans lesquelles nous trouvons toute la
+profondeur et toute l'intensité d'un sentiment réel peintes avec des
+couleurs que n'eut jamais la réalité.</p>
+
+<p>La lettre suivante fera connaître encore mieux l'état de ses pensées et
+ses occupations à cette époque.</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE LXXII.</h3>
+
+<h4>À M. HOGDSON.</h4>
+
+<p class="rig">Newstead-Abbey, 13 octobre 1811.</p><br><br>
+
+<p>«Vous devez commencer à me trouver un correspondant terriblement
+libéral; mais comme mes lettres sont franches de port, vous excuserez
+leur fréquence. J'ai répondu en vers et en prose à vos dernières
+lettres; et quoique je vous écrive de nouveau, je ne sais pourquoi je le
+fais, ni ce que je pourrais vous mander que vous ne sachiez déjà. Je
+deviens <i>nerveux</i>, combien vous allez rire! mais cela est vrai, je
+deviens réellement, malheureusement, ridiculement <i>nerveux</i> comme une
+petite-maîtresse. Votre climat me tue; je ne puis ni lire, ni écrire, ni
+m'amuser ou amuser qui que ce soit. Mes nuits et mes jours se passent
+sans repos; je n'ai presque jamais de société, et quand j'en ai je
+m'empresse de la fuir. Dans le moment où je vous parle, j'ai ici trois
+dames, et je me suis sauvé pour vous envoyer ce gribouillage. Je ne sais
+pas si je ne finirai point par être fou, car je sens le manque de
+méthode dans l'arrangement de mes idées. Cela me tourmente étrangement;
+mais cela a plutôt l'air de la sottise que de la folie, comme le dirait
+facétieusement Scrope Davies, qui a une singulière manière de consoler
+les gens. Il faut que j'essaie de votre compagnie, comme l'on essaie de
+la corne de cerf; une session de parlement m'irait assez bien: en un
+mot, je ne vois rien qui puisse m'empêcher de conjuguer le malheureux
+verbe, <i>je m'ennuie</i>, etc.</p>
+
+<p>»Quand serez-vous à Cambridge? Vous m'avez, je crois, donné à entendre
+que votre ami Bland est revenu de la Hollande. J'ai toujours eu le plus
+grand respect pour ses talens et pour tout ce que j'entends dire de son
+caractère personnel; je crois bien qu'il ne me connaît pas, si ce n'est
+qu'il se rappelle nos répétitions dans la sixième <i>forme</i>, à raison de
+deux vers chaque matin, et encore bien imparfaits. Je me le suis rappelé
+en passant sur les caps Matapan, Saint-Angelo et son île de Clériga, et
+j'ai toujours regretté l'absence de l'Anthologie. Je suppose qu'il va
+traduire maintenant Vondel, le Shakspeare hollandais, et dans l'état
+actuel <i>Gysbert van Amstel</i> pourra facilement être arrangée pour notre
+théâtre. Je présume qu'il a vu le poème hollandais où l'amour de Pirame
+et Thisbé est comparé à... <i>la Pas</i><i>sion de Jésus-Christ</i>, ainsi que
+<i>l'amour de Lucifer pour Ève</i>, et autres variétés de la littérature des
+Pays-Bas. Sans doute vous me croirez fou de vous entretenir de pareilles
+bagatelles, mais elles sont en grande réputation sur les bords de tous
+les canaux, depuis Amsterdam jusqu'à Alkmazar.</p>
+
+<p>»Tout à vous, etc.<br>
+
+<span class="rig">BYRON.</span><br></p>
+
+<p>»Toutes mes poésies sont entre les mains de leurs divers éditeurs,
+excepté mes <i>Imitations d'Horace</i>, auxquelles j'ai joint quelques vers
+sauvages sur le Méthodisme et quelques notes féroces sur les trois
+éditeurs de l'Édin; mes <i>Imitations</i>, dis-je, sont en retard, et
+pourquoi? Je n'ai pas d'amis dans le monde qui puisse traduire
+suffisamment bien le latin d'<i>Horace</i> et mon Anglais pour les ajuster
+ensemble au sortir de la presse, et corriger les épreuves d'une manière
+un peu grammaticale. En sorte que si vous n'avez pas d'entrailles quand
+vous retournerez à Londres, pour moi je suis trop loin pour le faire
+moi-même; le monde se trouvera privé de cet ouvrage ineffable pendant je
+ne sais combien de semaines.</p>
+
+<p>»<i>Le Pélerinage de Childe Harold</i> attendra jusqu'à ce que celui de
+Murray soit fini. Il fait maintenant une tournée dans Middlesex, et à
+son retour nous devons nous attendre à des merveilles. Il veut en faire
+un <i>in-quarto</i>, c'est un abominable format peu propre à la vente; mais
+l'ouvrage est effroyablement long, et il faut bien qu'on obéisse à son
+libraire...</p>
+
+<p>»Ainsi vous allez prendre les ordres. Il faut que vous fassiez votre
+prix avec les <i>réviseurs ecclésiastiques</i>; ils vous accusent d'impiété,
+et je crains que ce ne soit à tort. Démétrius <i>Poliorcète</i> est ici avec
+<i>Gilpin Horner</i>. Nous n'avons pas besoin du peintre<a id="footnotetag165" name="footnotetag165"></a>
+<a href="#footnote165"><sup class="sml">165</sup></a>, car les
+portraits qu'il a faits d'inspiration se trouvent absolument semblables
+aux animaux. Écrivez-moi, et envoyez-moi votre <i>Chanson d'amour</i>; mais
+j'attends de vous <i>paulo majora</i>. Faites un effort pour briller avant
+d'être diacre; essayez un peu d'un sec éditeur.</p>
+
+<p>»Tout à vous, etc.»<br>
+
+<span class="rig">BYRON.</span><br></p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote165"
+name="footnote165"><b>Note 165: </b></a><a href="#footnotetag165">
+(retour) </a> Qu'il avait mandé pour faire le portrait de son
+ ours et de son loup.</blockquote>
+
+<p>FIN DU TOME NEUVIÈME.</p>
+<br>
+<p class="sml">IMPRIMERIE DE DONDEY-DUPRÉ,<br>
+
+Rue St.-Louis, n°46, au Marais.</p>
+
+<div>*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 30067 ***</div>
+</body>
+
+</html>
+
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+Project Gutenberg (https://www.gutenberg.org) public repository for
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+The Project Gutenberg EBook of Oeuvres complètes de lord Byron, Volume 9, by
+George Gordon Byron
+
+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
+re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
+with this eBook or online at www.gutenberg.org
+
+
+Title: Oeuvres complètes de lord Byron, Volume 9
+ comprenant ses mémoires publiés par Thomas Moore
+
+Author: George Gordon Byron
+
+Annotator: Thomas Moore
+
+Translator: Paris Paulin
+
+Release Date: September 23, 2009 [EBook #30067]
+
+Language: French
+
+Character set encoding: UTF-8
+
+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LORD BYRON ***
+
+
+
+
+Produced by Mireille Harmelin, Rénald Lévesque and the
+Online Distributed Proofreaders Europe at
+http://dp.rastko.net. This file was produced from images
+generously made available by the Bibliothèque nationale
+de France (BnF/Gallica)
+
+
+
+
+
+
+
+ŒUVRES COMPLÈTES
+DE
+LORD BYRON,
+AVEC NOTES ET COMMENTAIRES,
+COMPRENANT
+SES MÉMOIRES PUBLIÉS PAR THOMAS MOORE,
+ET ORNÉS D'UN BEAU PORTRAIT DE L'AUTEUR.
+
+_Traduction Nouvelle_
+
+PAR M. PAULIN PARIS,
+DE LA BIBLIOTHÈQUE DU ROI.
+
+
+
+TOME NEUVIÈME.
+
+
+Paris.
+DONDEY-DUPRÉ PÈRE ET FILS, IMPR.-LIB.
+RUE SAINT-LOUIS, N° 46,
+ET RUE RICHELIEU, N° 47 _bis._
+
+1830.
+
+
+
+
+LETTRES
+DE LORD BYRON,
+ET
+MÉMOIRES SUR SA VIE,
+PAR THOMAS MOORE.
+
+
+
+_Préface du Traducteur_.
+
+Depuis la publication des deux premiers volumes de ces _Mémoires_, les
+journaux de la Grande-Bretagne ont ouvert leurs colonnes aux
+interminables réclamations des amis de lady Noël Byron, à lès en croire,
+injustement traitée dans le cours de cet ouvrage. La veuve de l'illustre
+poète a fait elle-même retentir ces organes insoucians du mensonge et de
+la vérité, des plaintes que _semblaient_ lui arracher l'indiscrétion de
+l'éditeur, la perfidie de ses demi-confidences, et surtout le rôle
+affreux qu'il prêtait aux personnes dont elle était entourée à l'époque
+de la déplorable affaire de son divorce. Certes le public a dû voir avec
+étonnement les récriminations de lady Byron. Jusqu'alors, il accusait M.
+Moore d'une partialité peu généreuse en faveur des adversaires de
+l'illustre poète qui lui avait remis l'honorable soin de le défendre; et
+le dépositaire, peut-être infidèle, semblait avoir assez fait, sinon
+pour sa considération personnelle, du moins pour celle d'une famille à
+laquelle Lord Byron avait toujours attribué ses chagrins les plus
+cuisans. Voici la première lettre de lady Byron, publiée dans la
+_Litterary Gazette_, et reproduite quelques jours après dans le _Times_:
+
+«Déjà, une multitude d'écrits remplis de faits notoirement faux ont été
+livrés au public; j'ai dédaigné d'y répondre. Mais aujourd'hui il s'agit
+d'un ouvrage publié par un homme regardé comme l'ami, le confident de
+Lord Byron, et par conséquent comme un personnage dont les révélations
+sont fondées sur la meilleure autorité. Cependant les faits contenus
+dans cet ouvrage n'en sont pas moins erronés. On ne devrait jamais
+attirer l'attention du public sur les détails de la vie privée; mais
+quand cela arrive, les personnes victimes d'une telle indiscrétion ont
+le droit de repousser d'injurieuses attaques. M. Moore a donné au public
+ses propres impressions sur des événemens particuliers qui me touchent
+de fort près; et il en a parlé comme s'il eût eu la connaissance la plus
+parfaite de ce dont il parlait. La mort de Lord Byron me rend plus
+pénible encore l'obligation de revenir sur des circonstances qui me
+reportent à l'époque de mon mariage. Mon intention est donc de ne les
+faire connaître qu'autant qu'il le faudra pour parvenir au but que je me
+propose dans cette déclaration. Nul motif de justification personnelle
+ne m'anime, et je n'accuserai personne: mais la conduite de mes parens
+étant représentée sous un jour odieux dans certains passages extraits
+des lettres de Lord Byron et dans les remarques de son biographe, je me
+crois obligée de les défendre d'imputations que je _sais_ être fausses.
+
+Voici les divers passages des lettres de Lord Byron dont je veux parler:
+
+Dans le second volume on a outragé la réputation de ma mère en disant:
+
+«Mon enfant est dans un état de santé florissant et prospère à ce qu'on
+me dit; mais je veux y voir par moi-même; je ne me sens nullement
+disposé à l'abandonner à la contagion de la société de sa grand'mère.»
+
+C'est à tort qu'on l'a accusée de s'être abaissée à employer des
+espions: «Une dame C. (espèce de factotum et _espion de lady Noël_) est
+regardée par des gens bien instruits comme la cause occulte de toutes
+nos dissensions domestiques.»
+
+Je cite aussi le passage où, après avoir voulu m'excuser moi-même, on
+ajoute immédiatement après: «Ses plus proches parens sont.......» Ici le
+mot laissé en blanc indique que l'expression était trop offensante pour
+être publiée.
+
+Ces passages tendent évidemment à jeter quelque défaveur sur mes parens,
+et peuvent faire croire que ce sont eux qui ont personnellement causé
+notre séparation, ou qu'ils l'ont provoquée par les espions officieux
+qu'ils ont employés.
+
+On peut induire aussi des passages suivans de la biographie, que mes
+parens ont du moins exercé une influence qui ne leur appartenait pas,
+afin de parvenir à leur but. «Ce fut peu de semaines après notre
+dernière entrevue (Lord Byron et M. Moore) que lady Byron prit la
+résolution de se séparer de son époux. Elle avait quitté Londres dans
+les derniers jours de janvier pour aller voir son père dans le comté de
+Leicester, et Lord Byron devait l'y rejoindre peu de tems après. Ils
+s'étaient quittés dans une union parfaite: en route, elle lui écrivit
+encore une lettre pleine de tendresse et de gaîté; mais à peine arrivée
+à Kirkby-Mallory, le père écrivit à Lord Byron pour lui apprendre que
+jamais il ne la reverrait.»
+
+En répondant à ce passage, j'éviterai autant qu'il me sera possible de
+parler de choses personnelles soit à Lord Byron, soit à moi-même. Je me
+borne à rétablir les faits. Je quittai Londres le 15 janvier 1816 pour
+me rendre à Kirkby-Mallory, résidence de mon père et de ma mère. Lord
+Byron m'avait signifié formellement dans sa lettre du 6 du même mois,
+qu'il désirait que je quittasse Londres aussitôt qu'il me paraîtrait
+convenable de le faire. Mais je ne pouvais me risquer à entreprendre ce
+voyage fatigant plus tôt que le 15. Avant mon départ, j'avais été
+vivement frappée de cette idée que Lord Byron était atteint de folie. Ce
+qui surtout m'avait donné cette opinion, c'étaient les confidences de
+ses plus proches amis, et de ses domestiques qui avaient eu plus que moi
+le loisir de l'observer pendant la dernière partie de notre séjour en
+ville. On avait même été jusqu'à me dire qu'il était à redouter qu'il ne
+se détruisit lui-même. D'accord avec sa famille, j'avais consulté le 8
+janvier le docteur Baillie, notre ami, sur cette maladie qu'on
+soupçonnait. Je lui racontai toutes les particularités venues à ma
+connaissance, et j'ajoutai que Lord Byron m'avait témoigné le désir de
+me voir quitter Londres. Le docteur saisît aussitôt cette idée, et pensa
+qu'en cas de quelque dérangement d'esprit, mon éloignement pouvait être
+fort utilement mis à profit. Le docteur Baillie ne pouvait avoir, à cet
+égard, d'opinion arrêtée, puisqu'il n'avait point approché
+personnellement Lord Byron. Il me recommanda d'éviter avec soin dans ma
+correspondance tout sujet de déplaisir ou de tristesse.
+
+Telles étaient donc mes pensées quand je quittai Londres, bien résolue
+de suivre les avis du médecin. Quelle qu'eût été la conduite de Lord
+Byron à mon égard depuis mon mariage, c'eût été une véritable inhumanité
+de montrer dans cette circonstance le moindre ressentiment. Le jour de
+mon départ, et encore à mon arrivée à Kirkby, le 16 janvier, j'écrivis à
+Lord Byron une lettre fort affectueuse, ainsi que j'en étais convenue
+avec M. Baillie. On a plus tard répandu ma dernière lettre, et on a
+voulu trouver là des preuves que j'avais cédé à des influences
+étrangères, quand ensuite j'abandonnai mon mari. On en a tiré la
+conséquence que j'avais quitté Lord Byron dans le plus parfait accord;
+que des sentimens incompatibles avec la moindre idée d'outrage m'avaient
+dicté ma dernière lettre, et que ma résolution n'avait subitement changé
+que quand je m'étais trouvée sous l'influence de mes parens. Ces
+assertions sont absolument dénuées de fondement: il n'y a point eu la
+moindre intervention étrangère.
+
+A mon arrivée à Kirkby-Mallery, mes parens ne se doutaient en rien des
+circonstances qui détruisaient toutes mes espérances de félicité; et
+quand je leur fis part de l'état d'esprit dans lequel se trouvait Lord
+Byron, ils firent tous leurs efforts pour me dissuader et le défendre.
+Ils assurèrent en outre à ceux de nos parens qui étaient avec lui à
+Londres qu'ils feraient tout ce qui dépendrait d'eux pour guérir sa
+maladie par les soins les plus attentifs, et qu'ils espéraient, si on
+pouvait le décider à venir les voir, obtenir les meilleurs résultats de
+leurs efforts. C'est dans ces intentions que ma mère écrivit le 17 à
+Lord Byron, en l'engageant à se rendre à Kirkby-Mallory. Elle l'avait
+toujours traité avec la plus affectueuse considération: son indulgence
+pour lui s'étendait jusqu'à ses moindres sentimens. Jamais, tant qu'elle
+vécut avec lui, il ne lui échappa une parole qui pût le blesser[1].
+
+ [Note 1: On peut, afin d'apprécier la véracité de lady Byron,
+ consulter, sur la _bienveillance_ de sa mère pour notre
+ poète, le premier chant de _Don Juan_ et les _Mémoires du
+ capitaine Medwin_.]
+
+Après notre séparation, les détails que me donnèrent des personnes qui
+vivaient dans son intimité ne firent que fortifier les doutes qui déjà
+s'étaient élevés dans mon esprit sur la réalité de son mal; les rapports
+des médecins étaient d'ailleurs loin d'établir le fait de l'aliénation
+mentale. Dans ces circonstances, je crus devoir déclarer à mes parens
+que, si je devais considérer la conduite passée de Lord Byron comme
+celle d'un homme dans son bon sens, rien ne pourrait m'engager à
+retourner auprès de lui. Mes parens et moi jugeâmes convenable de
+consulter les gens les plus capables de nous éclairer à cet égard. Ma
+mère se détermina donc à se rendre à Londres, pour cet objet, et afin
+d'y recueillir de plus amples informations sur ce qui avait pu faire
+supposer un dérangement d'esprit. Je lui avais donné procuration pour
+recueillir les opinions d'hommes de lois sur un mémoire que j'avais fait
+moi-même, bien que j'eusse alors des motifs de cacher une partie de
+l'affaire, même à mon père et à ma mère.
+
+Convaincue par ces recherches et par toute la conduite de Lord Byron,
+que les soupçons de folie conçus contre lui étaient tout-à-fait faux, je
+n'hésitai point à autoriser les mesures qui devaient lui ôter tout
+pouvoir sur moi. C'est d'après ma résolution, que mon père lui écrivit
+le 2 février pour lui proposer de nous séparer à l'amiable. Lord Byron
+repoussa d'abord cette proposition; mais quand on lui eut assuré que,
+s'il persistait dans son refus, il faudrait en venir aux lois, il
+consentit à signer l'acte de séparation. Je m'adressai au docteur
+Lushington, qui avait parfaitement connu tous les détails de cette
+affaire, pour qu'il voulût bien écrire tous ses souvenirs, et voici la
+lettre qu'il me répondit à ce sujet. Elle prouvera que ma mère ne put
+jamais avoir contre Lord Byron le moindre sentiment d'inimitié:
+
+
+MA CHÈRE LADY BYRON,
+
+«Voici tout ce que ma mémoire peut me fournir sur le sujet dont vous
+m'entretenez dans votre lettre.
+
+«Lady Noël me consulta d'abord pour votre affaire pendant que vous étiez
+encore à la campagne. Ce qu'elle me dit alors suffisait pour justifier
+une séparation; mais cependant les choses ne me parurent pas tellement
+graves, qu'il fût indispensable d'en venir à ce point. Je crus même
+qu'une réconciliation avec Lord Byron n'était pas impossible, et je m'y
+serais très-volontiers employé. Je ne vis dans le récit de lady Noël, ni
+la moindre exagération, ni le plus léger désir d'empêcher un
+rapprochement: elle ne fit aucune objection quand j'en parlai. Lorsque
+vous revîntes en ville, quinze jours ou peut-être plus après ma première
+entrevue avec lady Noël, vous fûtes la première à m'informer de faits
+qui, je n'en doute pas, n'étaient à la connaissance ni de sir Ralph ni
+de lady Noël. Ces nouveaux renseignemens changèrent tout-à-fait mon
+opinion; la réconciliation me parut dès-lors impossible; je déclarai ce
+que je pensais, et j'ajoutai que, si jamais on revenait à cette idée de
+rapprochement, je ne m'en mêlerais absolument en rien, soit en restant
+dans les devoirs de ma profession, soit autrement.
+
+«Croyez-moi toujours votre très-affectionné,»
+
+ ÉTIENNE LUSHINGTON.
+
+
+
+Je dois seulement ajouter ici que, si les informations sur lesquelles
+mes conseils légaux (feu sir Samuel Romilly et le docteur Lushington)
+ont formé leur opinion étaient fausses, c'est sur _moi seule_ que
+devraient retomber tout l'odieux et toute la responsabilité.
+
+J'espère que les faits que je viens d'exposer ici suffiront pour
+disculper mon père et ma mère de toute participation à mon divorce. Ils
+ne l'ont ni causé, ni provoqué, ni conseillé; l'on ne peut les condamner
+pour avoir donné à leur fille l'abri et l'assistance qu'elle réclamait
+d'eux. Comme il n'y a point d'autres personnes de ma famille qui
+puissent défendre leur mémoire de l'insulte, je me vois forcée de rompre
+un silence que j'espérais garder toujours, et je demande à ceux qui
+liront la vie de Byron qu'ils pèsent avec impartialité le témoignage
+qu'on vient de m'arracher.
+
+Hanger-Hill, 19 février.
+
+ A.J. NOËL BYRON.
+
+
+Le lecteur, avide de détails sur les circonstances et les causes de
+cette fameuse séparation, n'en trouve que de bien insignifians dans la
+lettre que nous venons de citer. Que lady Byron ait demandé de sa propre
+inspiration, ou d'après les conseils de sa mère, l'acte du fatal
+divorce, c'est une circonstance assez peu intéressante en elle-même. La
+seule chose que l'on doit ici remarquer, c'est que lady Byron avait le
+malheur de méconnaître non-seulement le génie sublime, mais le bon sens
+et la raison de son mari. Elle l'avoue naïvement: il lui fallu le
+témoignage de tous ceux qui approchaient Lord Byron; il fallut la
+sentence formelle des médecins pour lui persuader que l'auteur de
+_Childe Harold_ n'était pas un fou. Avouons-le: ce premier motif de
+divorce ne doit pas nous prévenir en faveur du second.
+
+La longue lettre de M. Campbell, insérée dans le _New Monthly Magazine_
+(avril 1830), offre moins d'intérêt encore que la précédente. Son
+étendue ne nous permet pas de la traduire en entier; ce ne serait pas,
+d'ailleurs, chose facile: jamais on n'a tant abusé de la facilité
+malheureuse qu'offre la langue anglaise de multiplier les mots et les
+phrases sonores sans exprimer d'idées et sans en suggérer au lecteur.
+
+L'illustre auteur des _Plaisirs de la Mémoire_[2], au mérite duquel
+Byron a rendu si amplement justice, M. Campbell, commence par nous
+apprendre qu'il avait consenti, le mois précédent, à l'insertion, dans
+la _Revue_ qu'il dirige, d'un article louangeur, sur les _mémoires_; que
+même, il en avait fait disparaître certains passages, où le critique
+reprochait à M. Moore une partialité coupable envers lady Byron. «Mais,
+ajoute-t-il, j'avais agi ainsi par suite de ma répugnance à blâmer _mon
+ami_ M. Moore, et parce que je n'avais pas assez approfondi les passages
+du livre incriminés. En outre, je ne croyais pas _alors_, comme je le
+sais aujourd'hui, que lady Byron fût entièrement irréprochable dans
+l'affaire de la séparation.»
+
+ [Note 2: Voyez dans les _Poètes anglais et les Journalistes
+ écossais_, page 373 du deuxième vol. des œuvres complètes.]
+
+Comment! cette fameuse séparation date de quatorze ans, et voilà enfin
+la conviction de M. Campbell tout-à-coup formée, arrêtée, ou plutôt
+changée du tout au tout! que s'est-il donc passé pendant ce mois de
+mars? Le voici: M. Campbell a écrit à lady Byron, lui demandant pour
+_son instruction particulière_ une appréciation de l'exactitude ou de
+l'inexactitude des faits avancés par M. Moore, et il en reçut la réponse
+qu'il publie _à ses périls_, parce qu'elle lui a paru importante, _et
+sans avoir eu le tems d'en demander la permission_ à cette dame:
+
+
+MON CHER M. CAMPBELL,
+
+«En prenant la plume dans l'intention de vous indiquer, pour votre
+_instruction particulière_, les passages du livre de M. Moore qui me
+concernent et que je crois susceptibles de contradiction, je les trouve
+encore bien plus nombreux que je n'avais d'abord supposé. Nier une
+assertion _çà et là_, ce serait implicitement reconnaître la vérité du
+reste. Si, au contraire, j'entreprenais de prouver toute la fausseté du
+point de vue sous lequel M. Moore présente les choses, je me verrais
+obligée à de certains détails, que dans les circonstances actuelles je
+ne puis dévoiler, d'après mes principes et mes sentimens. Peut-être, par
+un exemple, vous convaincrai-je mieux de la difficulté du cas: il n'est
+pas vrai que des embarras pécuniaires furent les causes qui troublèrent
+l'esprit[3] de Lord Byron, et la principale raison des arrangemens qu'il
+prit à cette époque. Mais puis-je raisonnablement m'attendre que vous ou
+d'autres le croirez, à moins que je ne vous montre quelles ont été les
+causes en question?... et c'est ce que je ne puis faire.
+
+Je suis, etc.»
+
+ E. NOËL BYRON.
+
+ [Note 3: Encore _l'esprit de Lord Byron troublé_! mais vous
+ avez avoué que c'était une de vos chimères.]
+
+Là-dessus M. Campbell de s'écrier: «Excellente femme! honorée de tous
+ceux qui la connaissent, attaquée seulement par ceux qui ne la
+connaissent pas, je l'en croirai certainement sur son seul témoignage!»
+
+Certes, si une pareille lettre a suffi pour déterminer la conviction de
+M. Campbell, il est au moins douteux qu'elle produise le même effet sur
+l'esprit des lecteurs. Il ajoute, il est vrai, qu'il a recueilli un
+petit nombre de faits à d'autres sources authentiques, qui lui prouvent
+jusqu'à l'évidence l'innocence de cette dame, mais qu'il ne nous
+répétera pas pour ne pas offenser notre délicatesse. Or, n'est-ce pas se
+jouer un peu trop du public que de lui dire chaque jour: voilà la
+vérité, je la tiens enfin, la voilà... mais vous ne la saurez pas!
+
+M. Campbell nous représente ensuite lady Byron comme la femme forte, qui
+trouve dans sa propre conscience la sanction de sa conduite, et s'occupe
+peu de l'opinion du monde; à la bonne heure, mais alors pourquoi donc
+importuner de nouveau le public? pourquoi lui écrire par la voie des
+journaux, uniquement pour lui dire qu'on ne lui dira rien?
+
+L'esprit de Byron était essentiellement versatile; il n'est donc pas
+étonnant qu'il ait quelquefois cherché à excuser sa femme et à
+s'attribuer tous les torts d'une rupture qui fit le malheur de sa vie.
+M. Campbell reproche à M. Moore d'avoir affaibli l'effet de ces
+prétendus aveux, en y ajoutant ses propres réflexions, et en y opposant
+les passages de sa correspondance où son noble ami parle dans un sens
+tout-à-fait contraire. Il cite à cet égard la lettre CCXXXV du recueil:
+elle passera sous les yeux de nos lecteurs, et, nous sommes fâchés de le
+dire, ils pourront voir que M. Campbell en a singulièrement altéré et
+amplifié les termes.
+
+C'est un singulier argument en faveur de lady Byron que de dire: si elle
+n'avait pas eu de justes sujets de désirer une séparation, le docteur
+Lushington ne se serait pas chargé de sa cause. Dans une affaire, il y a
+toujours au moins un avocat de chaque côté: souvent tous les deux sont
+des hommes de talent; et nous devons en outre les supposer tous deux des
+hommes d'honneur et de bonne foi. Alors, que devient l'argument? Un peu
+plus loin se trouve un passage que je traduirai textuellement, parce
+qu'il est d'une naïveté qui ne serait pas déplacée dans une comédie:
+«C'est encore une erreur de M. Moore, et je pourrais le prouver au
+besoin, que de représenter miss Millbank comme engagée avec son futur
+époux dans un commerce épistolaire, au moment où il venait de solliciter
+inutilement sa main. Jamais elle ne proposa de correspondance; au
+contraire, ce fut lui qui, après avoir éprouvé un premier échec, lui
+écrivit qu'il allait quitter l'Angleterre et voyager pendant quelques
+années en Orient; qu'il partait le cœur plein de douleur, mais sans
+entretenir aucun ressentiment, et qu'il s'estimerait heureux qu'elle
+daignât lui faire dire verbalement qu'elle s'intéressait encore à son
+bonheur. Une personne aussi bien élevée que miss Millbank pouvait-elle
+faire autrement que de répondre poliment à un pareil message? Elle lui
+envoya donc une réponse pleine de confiance et d'affection, ce qui ne
+signifiait nullement qu'elle voulût l'encourager à renouveler ses offres
+de mariage. Il lui écrivit, depuis, une lettre extrêmement intéressante
+sur lui-même, sur ses vues personnelles, morales et religieuses, à
+laquelle c'eût été manquer de charité que de ne point répondre. Il s'en
+suivit une correspondance insensiblement plus fréquente, et bientôt elle
+s'attacha passionnément à lui............................................
+........................................................................»
+
+Puisqu'après quatorze ans, passés dans l'attente, il paraît que nous
+sommes condamnés à ne rien savoir de certain sur cette fameuse affaire
+de la séparation, il faut bien en prendre notre parti et nous contenter
+de simples conjectures. Les adversaires les plus acharnés du noble poète
+sont obligés de convenir qu'il se montra toujours généreux, aimant et
+aimable; les partisans les plus ardens de sa veuve ne contestent ni sa
+fierté, ni sa froideur glaciale, ni ses prétentions ridicules à l'esprit
+et aux connaissances scientifiques. Lord Byron, qu'elle accuse, après sa
+mort, de torts qu'elle refuse de spécifier, et dont personne ne peut, en
+conséquence, justifier sa glorieuse mémoire, Lord Byron n'a jamais perdu
+un ami pendant la durée trop courte de son existence, il est au
+contraire parvenu à s'attacher sincèrement des hommes qui d'abord
+s'étaient déclarés ses ennemis; il fut un fils, sinon tendre, du moins
+attentif et respectueux envers une assez mauvaise mère; nous pouvons
+donc en conclure qu'il se fût montré bon mari, si l'épouse n'eût été
+encore plus insupportable que la mère.
+
+Les _Mémoires_ que nous donnons aujourd'hui au public ne sont pas, au
+moins quant à cette première partie, ce que le monde littéraire avait
+droit d'attendre, et attendait en effet de M. Moore, écrivant la vie et
+publiant la correspondance de Lord Byron. Cependant ils ne laissent pas
+d'offrir le plus vif intérêt. Il en est du chantre de Childe Harold,
+comme de tous les hommes véritablement grands: sa mort nous a fait mieux
+apprécier son mérite, et le temps, loin de diminuer sa gloire, n'a fait
+qu'ajouter à la popularité de ses ouvrages immortels. On voudra
+connaître la vie d'un homme si étonnant, on voudra assister au
+développement graduel de ce puissant génie; et des détails qui, partout
+ailleurs, pourraient sembler puérils, prendront de l'intérêt à cause de
+celui auquel ils se rapportent. Il eût été à désirer sans doute que la
+position sociale de M. Moore, en lui imposant moins de ménagemens envers
+les vivans, lui eût permis de rendre plus de justice à l'illustre mort.
+Lié avec tous ceux qui tiennent le premier rang dans l'aristocratie et
+dans la littérature de la Grande-Bretagne, non seulement M. Moore n'a
+pas osé tout dire, mais encore il a souvent gauchi devant la vérité. Sa
+prose, toujours maniérée, devient presque inintelligible précisément
+dans les passages où nous aurions le plus désiré qu'il nous donnât une
+idée précise des hommes et des choses. Ceux qui ont lu, je ne dis pas
+ses œuvres poétiques, mais ses ouvrages en prose, seront fort étonnés du
+mince talent qu'il a déployé dans celui-ci; et personne ne reconnaîtra
+dans le pâle compilateur des _Mémoires de Lord Byron_, l'auteur si
+ingénieux, si léger et si profond à la fois des _Mémoires du célèbre
+chef irlandais, le capitaine Rock_.
+
+Au moment où nous songions à donner cette traduction, d'autres libraires
+en faisaient paraître une autre que recommandait le nom de son auteur.
+Madame Belloc l'avait, en effet, commencée avec le talent que tout le
+monde lui reconnaît; mais bientôt, pressée sans doute par son éditeur,
+elle a plutôt résumé que traduit le texte anglais, et son style s'est
+beaucoup ressenti de la précipitation de son travail. Ajoutons qu'elle
+n'a pas eu plus d'égards pour les lettres de Lord Byron que pour les
+commentaires un peu longs de son biographe; en sorte que l'on peut dire
+avec vérité qu'elle n'a réellement donné au public, ni la vie, ni la
+correspondance de Lord Byron.
+
+Pour nous, nous avons religieusement tout traduit, et nous nous sommes
+appliqué à rendre notre auteur dans les termes dont il se serait servi,
+s'il eût écrit en français. A peine nous sommes-nous permis de
+retrancher dans ce premier volume une ou deux notes absolument
+étrangères au sujet. Dans le second, nous serons forcé de supprimer près
+d'une demi-feuille d'impression, c'est-à-dire quelques lettres où le
+noble poète consulte un de ses amis sur la coupe de certains vers, sur
+le choix de certaines expressions anglaises; le lecteur sentira
+facilement que ces lettres eussent été presque impossibles à traduire,
+et que la lecture ne lui eût offert aucune espèce d'intérêt.
+
+
+
+
+PRÉFACE
+DE L'ÉDITEUR ANGLAIS.
+
+
+En publiant cet ouvrage, je n'aurais pu, je l'avoue, me défendre d'une
+grande défiance, en songeant à tout ce qui me manquait pour accomplir
+une pareille tâche, si je n'étais persuadé que le sujet lui-même et la
+variété des matériaux qu'il comporte doivent conserver une grande partie
+de leur intérêt, même dans les mains les plus inhabiles. Les motifs qui
+portèrent Lord Byron à fuir son pays sont bien déplorables sans doute,
+mais c'est à son éloignement de l'Angleterre, alors que son génie
+brillait du plus vif éclat, que nous devons toutes les lettres qui
+formeront la plus grande partie du troisième et du quatrième volume de
+cet ouvrage, et qui, nous n'en doutons pas, seront jugées pour
+l'intérêt, l'énergie et la variété, comparables à ce qui honore le plus
+notre littérature dans le même genre.
+
+On a dit de Pétrarque que sa correspondance et ses vers offraient
+l'intérêt progressif d'un récit dans lequel le poète s'identifie
+toujours avec l'homme.» On peut appliquer, et plus justement encore, les
+mêmes expressions à Lord Byron, tant sa physionomie littéraire et son
+caractère personnel sont intimement liés. C'est même au point que
+priver ses ouvrages du commentaire instructif qu'en offrent sa
+correspondance et l'histoire de sa vie, ce serait commettre une égale
+injustice envers lui-même et envers le monde.
+
+
+
+
+MÉMOIRES
+SUR LA VIE
+DE LORD BYRON.
+
+
+On a dit de Lord Byron qu'il était plus fier de descendre de ces Byron
+qui accompagnèrent Guillaume-le-Conquérant en Angleterre, que d'avoir
+composé _Childe-Harold_ et _Manfred_. Cette remarque n'est pas dénuée de
+tout fondement, l'orgueil de la naissance était certainement l'un des
+traits caractéristiques du noble poète; et d'ailleurs toute
+l'illustration que les années donnent à une famille, il pouvait
+justement la réclamer pour la sienne. Le nom de Ralph de Burun occupe,
+dès le tems de Guillaume-le-Conquérant, un rang distingué dans le
+_Doomsday-Book_, parmi les tenanciers du Nottinghamshire; et pendant les
+règnes suivans, nous voyons les descendans de ce Ralph, sous le titre de
+lords de Horestan-Castle[4], posséder, dans le Derbyshire, des
+propriétés considérables, auxquelles la terre de Rochdale, dans le duché
+de Lancastre, fut ajoutée au tems d'Édouard Ier. Telle était, dans ces
+premiers tems, la richesse territoriale de la famille, que le partage de
+ses biens, dans le seul Nottinghamshire, avait suffi pour fonder
+quelques-unes des premières maisons de la province.
+
+ [Note 4: Il y avait, dit Thoroton, dans le parc de Horseley,
+ un château dont on peut voir encore quelques ruines; il
+ s'appelait Horestan-Castle, et était le principal manoir des
+ successeurs de Ralphe de Burun.
+ (_Note de Moore_.)]
+
+Mais son antiquité n'était pas la seule distinction qui recommandât à
+ses héritiers le nom de Byron; le mérite personnel et les hauts faits
+qui doivent former le premier ornement d'une généalogie, semblent avoir
+été le partage fréquent de ses ancêtres. Dans l'un de ses premiers
+poèmes, il fait allusion à la gloire de ses aïeux, et rappelle avec une
+vive satisfaction «ces fiers barons bardés de fer, qui brillaient parmi
+ceux qui conduisirent leurs vassaux européens dans les plaines de
+Palestine;» puis il ajoute: «Sous les remparts d'Ascalon périt John de
+Horiston; la mort a glacé la main de son ménestrel.» Cependant comme,
+autant que je l'ai pu découvrir, il n'est fait mention nulle part de
+quelqu'un de ses ancêtres qui se fût croisé, il est possible que sa
+seule autorité, en composant ces vers, fut la tradition qui se
+rapportait à certains groupes des vieilles boiseries de Newsteadt. Dans
+l'un de ces groupes profondément sculptés et se détachant du panneau, on
+peut reconnaître facilement un Sarrasin, ou un Maure avec une femme
+européenne, d'un côté, et de l'autre un soldat chrétien. Un deuxième
+groupe, placé dans l'une des chambres à coucher, représente une femme au
+centre, et de chaque côté la tête d'un Sarrasin, dont les yeux sont
+fixés avec intérêt sur elle. On ne sait rien de bien exact sur ces
+sculptures; mais la tradition est, m'a-t-on dit, qu'elles se rapportent
+à quelque aventure d'amour dans laquelle se trouvait engagé l'un des
+chevaliers croisés dont parle le jeune poète. Quant aux exploits les
+mieux prouvés, ou du moins les plus connus des Byron, il suffira de dire
+que sous Édouard III, au siége de Calais et dans les plaines mémorables,
+à diverses époques, de Créci, de Bosworth et de Marston Moor, leur nom
+se montre revêtu de la double illustration de rang et de mérite, dont se
+glorifiait leur plus jeune descendant, dans les vers que nous venons de
+citer.
+
+Ce fut sous le règne de Henri VIII, à l'époque de la suppression des
+monastères, que l'église et le prieuré de Newsteadt furent, avec les
+terres contiguës, ajoutés, par un don royal, aux autres domaines de la
+famille Byron[5]. Le favori à qui furent données les dépouilles du
+monastère, était le petit neveu du vaillant guerrier qui combattit à
+Bosworth, aux côtés de Richemond, et que l'on distingue des chevaliers
+du même nom par le titre de sir John Byron _le Court, à la grande
+barbe_: son portrait était du petit nombre de ceux qui décoraient les
+murs de l'abbaye, quand elle appartenait au noble poète.
+
+ [Note 5: Le prieuré de Newsteadt avait été fondé et dédie à
+ Dieu et à la Vierge, par Henri II; ses moines, chanoines
+ réguliers de l'ordre de St.-Augustin, étaient, à ce qu'il
+ paraît, les objets particuliers de la faveur royale, dans
+ leurs doubles intérêts spirituels et temporels. Pendant la
+ vie du cinquième Lord Byron, on trouva dans le lac de
+ Newsteadt, où l'on supposait que les moines avaient tenté de
+ le cacher, un grand aigle de cuivre; on le fit ouvrir, et
+ l'on découvrit dans l'intérieur une case secrète qui recelait
+ plusieurs vieilles chartes relatives aux droits et aux
+ privilèges de la fondation. A la vente des effets du vieux
+ Lord Byron, en 1776-1777, cet aigle avec trois candélabres,
+ trouvés à la même époque, furent achetés par un horloger de
+ Nottingham (celui-même qui avait trouvé les pièces dont nous
+ venons de parler), et ayant de ses mains passé dans celles de
+ sir Richard Kaye, prébendier de Southwell, ils forment à
+ présent un des ornemens les plus remarquables de la
+ cathédrale de cette ville. Un document curieux, trouvé,
+ dit-on, dans l'aigle, appartient aujourd'hui au colonel
+ Wildman; c'est un plein pardon, accordé par Henri II, de tous
+ les crimes possibles (et l'on en trouve désigné un assez long
+ catalogue) que les moines peuvent avoir commis avant le huit
+ décembre précédent. «_Murdris_ per ipsos _post decimum nonum
+ diem_ novembris ultimo præteritum perpetratis, si quæ
+ fuerint, _exceptis_.»]
+
+Au couronnement de Jacques Ier, nous trouvons un autre représentant de
+cette famille, le petit-fils de sir John Byron _le Court_, devenu
+l'objet de nouvelles faveurs royales et créé chevalier du Bain (_Knight
+of the Bath_). Une lettre de ce personnage, conservée dans _les
+Illustrations de Lodge_, nous apprend, que, malgré l'ostentation d'une
+apparente prospérité, cette ancienne famille avait déjà l'expérience des
+embarras pécuniaires. Dans cette pièce, après avoir parlé à son héritier
+du meilleur moyen de payer ses dettes, «je vous conseille donc,
+continue-t-il[6], aussitôt que vous aurez terminé, comme vous le devez,
+les funérailles de votre père, de régler et de réduire ce grand train de
+maison, et de ne garder de tous vos domestiques que quarante ou
+cinquante au plus. Dans mon opinion, vous feriez beaucoup mieux de vivre
+quelque tems dans le comté de Lancastre que dans celui de Nottingham; et
+cela, pour plusieurs raisons excellentes, qu'au lieu de vous écrire, je
+vous dirai à notre première entrevue.»
+
+ [Note 6: Le comte de Shrewsbury.
+ (_Note de Moore_.)]
+
+C'est du règne suivant, celui de Charles Ier, que date l'origine de la
+noblesse de la famille. En 1643, sir John Byron, arrière-petit-fils de
+celui qui avait obtenu le riche domaine de Newsteadt, fut créé baron
+Byron de Rochdale, dans le comté de Lancastre; et rarement de pareils
+titres furent concédés pour des services aussi réels et aussi honorables
+que ceux auxquels ce gentilhomme dut le sien. Presque à chaque page de
+l'histoire de nos guerres civiles, son nom se trouve lié aux diverses
+fortunes de son roi; toujours fidèle, persévérant et désintéressé dans
+sa conduite. «Sir John Byron, dit l'auteur des _Mémoires du colonel
+Hutchinson_, plus tard Lord Byron, et tous ses frères, hommes d'armes,
+actifs et vaillans de leurs personnes, étaient tous acquis passionnément
+au roi.» Dans une réponse que le colonel Hutchinson eut l'occasion de
+faire, étant gouverneur de Nottingham, à son cousin germain, sir Richard
+Byron, il accorde un glorieux tribut à la valeur et à la fidélité de la
+famille. Sir Richard ayant envoyé quelqu'un vers son parent pour
+l'engager à rendre le château, reçut pour réponse «que, sauf le cas où
+il trouverait dans son cœur quelque disposition à une trahison
+semblable, il devait se rappeler qu'il coulait dans ses veines assez du
+sang des Byron, pour qu'il eût horreur de trahir ou d'abandonner ce
+qu'il avait entrepris de défendre.»
+
+Tels sont quelques-uns des personnages distingués qui ont transmis à
+Byron leur nom illustré.
+
+Du côté maternel notre poète pouvait vanter ses ancêtres, à la noblesse
+desquels l'Écosse ne pouvait rien préférer, sa mère étant de la famille
+des Gordon de Gight, descendans de sir William Gordon, troisième fils du
+comte de Huntley, par la fille de Jacques Ier.
+
+Après les tems agités des guerres civiles, où se distinguèrent aussi
+plusieurs Byron, puisqu'à la fameuse bataille d'Edgehill on vit jusqu'à
+sept frères de ce nom, leur renommée semble assoupie pendant près d'un
+siècle. Mais vers l'année 1750, le naufrage et les souffrances du
+grand-père de notre poète, M. Byron, plus tard amiral, réveillèrent à un
+haut degré l'attention et l'intérêt du public. Quelque tems après, une
+autre sorte de célébrité, moins glorieuse il est vrai, devint le partage
+de deux autres membres de la famille: l'un grand-oncle, l'autre père de
+Lord Byron. Le premier, en 1765, subit un jugement devant la Chambre des
+Pairs, pour avoir tué en duel, ou plutôt au milieu d'une querelle, son
+parent et son voisin, M. Chaworth; le second ayant enlevé et conduit sur
+le continent la femme de lord Carmarthen, l'épousa dès que le marquis
+eut réussi à obtenir un divorce. Une fille fut le seul fruit de cette
+courte union: ce fut l'honorable Augusta Byron, aujourd'hui femme du
+colonel Leigh.
+
+En parcourant ainsi rapidement les premiers et les derniers ancêtres de
+Lord Byron, on ne peut s'empêcher de remarquer à quel point ce dernier
+réunissait en lui une partie des grandes et peut-être des mauvaises
+qualités remarquables dans plusieurs de ses aïeux! La générosité, la
+hardiesse, la grandeur d'ame des plus illustres; mais aussi les passions
+déréglées, la bizarrerie, le mépris de l'opinion publique, qui
+caractérisaient les autres.
+
+M. Byron, le père du poète, ayant perdu sa première femme en 1784, se
+remaria l'année suivante à miss Catherine Gordon, fille et unique
+héritière de George Gordon de Gight. Outre le domaine de Gight, qui
+pourtant était dans l'origine bien plus important qu'aujourd'hui, cette
+dame possédait en valeur pécuniaire, actions, etc., une fortune
+considérable; et l'opinion commune était que M. Byron ne lui avait fait
+la cour que pour s'affranchir de ses dettes.
+
+Un trait bien singulier que l'on raconte de miss Gordon, surtout si
+jusqu'alors elle n'avait jamais vu le capitaine Byron, prouve en même
+tems l'extrême vivacité et la véhémence des sentimens qu'elle avait déjà
+pour lui. Elle était au théâtre d'Edimbourg, un soir que le rôle
+d'_Isabella_ était rempli par Mrs. Siddons; l'illusion que faisait cette
+grand actrice l'affecta au point de la faire tomber, avant la fin de la
+pièce, dans de violentes attaques de nerf. On l'emporta hors du théâtre,
+tandis qu'elle s'écriait à haute voix: «Oh! mon Byron, mon Byron!»
+
+A l'occasion de son mariage, un rimeur écossais fit paraître une ballade
+que l'on a dernièrement réimprimée dans une collection d'_anciennes
+chansons et ballades du nord de l'Écosse_.
+
+Comme elle porte la preuve de la réputation de fortune qu'avait la
+nouvelle épouse et de l'inconduite extravagante de son époux, on en
+pourra lire volontiers l'extrait suivant:
+
+
+MISS GORDON DE GIGHT.
+
+Oh! où êtes-vous allée, jolie miss Gordon? où êtes-vous allée si
+gentille et si parée? Vous avez épousé, vous avez épousé John Byron,
+pour dissiper les terres de Gight.
+
+Ce jouvenceau est un mauvais sujet venu d'Angleterre; les Écossais ne
+connaissent pas sa famille; il entretient des maîtresses; son hôte
+l'importune et ne peut s'en faire payer. Oh! ce sera bientôt fait des
+terres de Gight.
+
+Oh! où êtes-vous allée, etc.
+
+Entendez-vous les coups de fusil, le bruit du tambourin, celui du cor
+dans les bois, de la cornemuse sous le vestibule, les aboiemens des
+chiens courans et des chiens d'arrêt. Avec tout ce bruit-là, ce sera
+bientôt fait des terres de Gight.
+
+Oh! où êtes-vous allée, etc.
+
+Bientôt après le mariage, qui eut lieu, je crois, à Bath, M. Byron et sa
+femme se retirèrent dans leur terre d'Écosse, et il se passa peu de tems
+avant que les pronostics du faiseur de ballades ne se réalisassent. La
+malheureuse héritière mesura alors des yeux l'abîme de dettes qui devait
+engloutir sa fortune. Les créanciers de M. Byron se présentèrent sans
+perdre de tems. Argent comptant, actions de la Banque, droits de pêche,
+tout fut sacrifié pour les satisfaire; tout cela ne suffisant pas, il
+fallut grever la propriété d'une hypothèque assez considérable.
+
+Dans l'été de 1786, elle et son mari quittèrent l'Écosse pour la France;
+et l'année suivante il fallut vendre le domaine de Gight, toujours pour
+payer des dettes. La totalité du prix de la vente y passa, à l'exception
+d'une petite somme remise en main tierce, pour l'usage particulier de
+mistress Byron, qui se vit ainsi, dans le court espace de deux ans,
+réduite d'un état d'opulence à un revenu modique de 150 livres
+sterling[7].
+
+ [Note 7: Les détails que je joins ici sur la fortune de
+ mistress Byron (la mère), avant son mariage, et la rapidité
+ avec laquelle cette même fortune fut dissipée bientôt après,
+ sont de la plus grande exactitude; j'ai tout lieu de le
+ croire, d'après l'authenticité de la source où je les ai
+ puisés.
+
+ «A l'époque de son mariage, miss Gordon possédait à peu près
+ 3,000 liv. st. en espèces, deux actions de la banque
+ d'Aberdeen, les domaines de Gight et de Monkshill, et le
+ privilège de deux pêcheries de saumons sur la Dee. Peu après
+ l'arrivée de M. et de mistress Byron en Écosse, il fut
+ évident que le premier avait contracté des dettes
+ considérables, et ses créanciers commencèrent des poursuites
+ légales pour arriver au recouvrement de leurs créances.
+ L'argent comptant fut immédiatement sacrifié pour les
+ satisfaire, les actions de la banque furent vendues à raison
+ de 600 liv. st. (elles en valent actuellement 5,000); on
+ abattit sur la terre de Gight et l'on vendit du bois, au
+ montant de 1,500 liv. st. On disposa de la ferme de Monkshill
+ et des pêcheries, formant un franc-fief, pour 480 liv. st. Ce
+ n'est pas tout, dans l'année même du mariage, on emprunta une
+ somme de 8,000 liv. st., pour laquelle mistress Byron donna
+ hypothèque sur son domaine de Gight.
+
+ «En mars 1786, un contrat de mariage fut dressé selon la
+ _coutume_ d'Écosse et signé par les parties. Dans le cours de
+ l'été de la même année, M. et mistress Byron quittèrent Gight
+ pour n'y plus revenir; le domaine fut vendu l'année suivante
+ à Lord Haddo moyennant 17,850 liv. st. La totalité de cette
+ somme fut employée à payer les dettes de M. Byron, excepté
+ une rente de 55 liv. sterl. 17 schellings 1 penny, douaire de
+ la grand'mère de mistress Byron, représentant un capital de
+ 1,128 liv. st., qui devait revenir à cette dernière à la mort
+ de son aïeule, et 3,000 qui devaient être déposées en mains
+ tierces pour l'usage particulier de mistress Byron, et qui
+ furent depuis placées chez M. Carsewell de Ratharllet, dans
+ le comté de Fife.»
+
+ Une autre personne, bien informée, m'a raconté une
+ particularité singulière qui eut lieu avant la vente de la
+ terre, c'est que tous les ramiers de la maison de Gight
+ s'envolèrent de concert et se rendirent au colombier de Lord
+ Haddo; leur exemple fut suivi par une troupe de hérons qui
+ avaient fait leur nid depuis maintes années dans un bois
+ voisin d'un grand lac, appelé le _Hagberry-Pot_. On vint en
+ avertir Lord Haddo. «Laissez venir les oiseaux, répondit-il,
+ ne les effarouchez pas, la terre ne manquera pas de les
+ suivre.» Ce qui arriva effectivement.
+ (_Note de Moore_.)]
+
+Mistress Byron revint en Angleterre à la fin de 1787, et le 22 janvier
+suivant elle mit au monde à Londres, dans _Holle-street_, son premier et
+unique enfant, George Gordon Byron. Le nom de Gordon lui fut donné par
+suite d'une condition testamentaire imposée à quiconque épouserait
+l'héritière de Gight; l'enfant, à son baptême, eut pour parrains le duc
+de Gordon et le colonel Duff de Fetteresso.
+
+A propos de sa qualité de fils unique, Lord Byron, dans une des feuilles
+de son journal, rapporte quelques coïncidences curieuses du même fait
+dans sa famille, qui, pour un esprit disposé comme le sien à trouver
+partout du merveilleux dans tout ce qui avait rapport à lui-même,
+devaient paraître plus singulières et plus frappantes qu'elles ne le
+sont en effet: «J'ai pensé, dit-il, à une chose bizarre; ma fille, ma
+femme, ma sœur de père, ma mère, ma tante maternelle, la mère de ma
+sœur, ma fille naturelle et moi-même sommes ou étions tous fils ou
+filles uniques; la mère de ma sœur, lady Conyers, n'eut que ma sœur de
+son second mariage; elle-même était fille unique; mon père n'eut que moi
+de son second mariage avec ma mère, également fille unique. Une telle
+complication dans une seule famille est bien singulière, elle semble
+vraiment l'effet de la fatalité.» Ensuite il ajoute ces paroles
+caractéristiques: «Mais les plus fiers animaux ont le moins de petits,
+tels que les lions, les tigres et jusqu'aux éléphans, qui sont doux en
+comparaison des premiers.»
+
+De Londres mistress Byron se rendit avec son enfant en Écosse; et, en
+1790, elle fixa son séjour à Aberdeen, où le capitaine Byron vint
+bientôt la rejoindre. C'est là qu'ils vécurent ensemble quelque tems,
+logés en garni chez un nommé Anderson, dans _Queen-street_; mais leur
+union étant loin d'être parfaite, une séparation fut bientôt jugée
+nécessaire, et mistress Byron prit le parti d'aller loger, toujours en
+garni, à l'extrémité de la même rue[8]. Malgré cette désunion, ils n'en
+continuèrent pas moins à se visiter de tems en tems, et même à prendre
+le thé l'un chez l'autre; mais les élémens de discorde se multiplièrent
+et finirent par amener leur séparation complète et définitive. Il
+arrivait toutefois fréquemment au mari, d'accoster la bonne et son fils
+dans leur promenade et d'exprimer un vif désir d'avoir l'enfant chez lui
+pour un ou deux jours. Mistress Byron était d'abord peu disposée à céder
+à ce vœu; mais la bonne lui représenta que _si le père avait l'enfant
+une seule nuit, il n'en voudrait pas davantage_, et cette réflexion la
+décida enfin à y consentir. L'événement justifia la prédiction de la
+bonne; quand elle vint le lendemain s'informer de son enfant, le
+capitaine Byron lui déclara qu'il avait assez de son jeune hôte, et
+qu'elle pouvait le reprendre tout de suite.
+
+ [Note 8: Il semble que plusieurs fois elle changea de
+ domicile à Aberdeen; on désigne encore deux maisons où elle
+ aurait quelque tems logé, l'une dans _Virginia-street_, et
+ l'autre chez un M. Leslie, je crois, dans _Broad-street_.
+ (_Note de Moore_.)]
+
+Il faut observer qu'à cette époque la fortune de mistress Byron ne lui
+permettait pas d'avoir plus d'une domestique; il n'est donc pas étonnant
+que l'enfant envoyé affronter l'épreuve d'une visite, sans la
+surveillance ordinaire de sa bonne, se soit montré un hôte difficile à
+gouverner.
+
+Du reste, que dès l'enfance son caractère fût violent, sournois et
+colère, il est impossible d'en douter; jusque dans ses petites jupes, il
+manifestait avec sa bonne ce même esprit d'impatience dont il donna dans
+la suite tant de preuves à ses critiques. Un jour elle le réprimanda
+vivement d'avoir sali ou déchiré un fourreau qu'on venait de lui mettre:
+ces reproches le firent entrer dans une de ces _rages silencieuses_,
+comme il les nomme lui-même; il prit le fourreau de ses deux mains, le
+mit en pièces, puis revint à une soudaine immobilité, défiant et son
+censeur et son ressentiment.
+
+Mais malgré cette petite scène et d'autres emportemens semblables,
+auxquels ne l'encourageait que trop l'exemple de sa mère (qui en
+agissait, dit-on, fréquemment de même avec ses bonnets et ses robes), il
+y avait dans ses inclinations, et le témoignage de ses bonnes, de ses
+maîtres et de tous ceux qui eurent alors des rapports avec lui est ici
+conforme, un mélange de douceur affectueuse et d'enjouement qui lui
+gagnait nécessairement les cœurs, et qui plus tard, comme dans ses plus
+tendres années, rendait son commerce facile pour ceux qui l'aimaient et
+le connaissaient assez pour user toujours à son égard de douceur et de
+fermeté. La gouvernante, dont nous avons déjà parlé, et la sœur de cette
+femme, May-Gray, qui la remplaça, prirent sur son esprit une influence à
+laquelle il ne résistait que bien rarement; tandis que sa mère, dont les
+caprices et les accès de tendresse et d'emportement diminuaient
+également le respect et l'affection de son enfant, ne dut jamais qu'à
+l'autorité de son titre de mère le faible pouvoir qu'elle eut sur lui.
+
+Par l'effet d'un accident qui, dit-on, arriva au moment de sa naissance,
+l'un de ses pieds fut détourné de sa position naturelle. Ce défaut,
+grâce surtout aux efforts que l'on fit pour y remédier, fut pour lui,
+pendant sa jeunesse, la source d'une foule de douleurs et d'ennuis. On
+voulut redresser ce membre d'après les expédiens alors en vogue, et sous
+la direction du célèbre John Hunter, qui même entretint à ce sujet une
+correspondance avec le docteur Livingstone d'Aberdeen. C'était à sa
+gouvernante qu'était confié le soin de lui mettre le soir ses
+machines-bandages; souvent alors, comme elle l'a raconté depuis, elle
+lui chantait ou lui racontait, pour mieux l'endormir, des histoires et
+des légendes auxquelles, comme la plupart des enfans, il prenait un
+grand plaisir. Elle lui apprit encore, dans cet âge si tendre, à répéter
+un grand nombre de psaumes, et le premier et le vingt-troisième furent
+ceux qu'il confia d'abord à sa mémoire. C'est un fait vraiment
+remarquable que, par les soins de cette respectable et pieuse personne,
+il acquit une connaissance plus parfaite des saintes Écritures, que ne
+l'ont en général les jeunes gens. Dans une lettre qu'il écrivit d'Italie
+à M. Murray, en 1821, après lui avoir demandé, par la première occasion,
+l'envoi d'une bible, il ajoute: «N'oubliez pas cela, car je suis un
+grand lecteur et admirateur de ces livres; je les avais parcourus tous
+avant l'âge de huit ans,--c'est-à-dire les livres de l'Ancien-Testament;
+quant au Nouveau, sa lecture me semblait une tâche, et celle de l'autre
+un plaisir. J'en parle d'après mes idées d'enfant, telles que je me les
+rappelle, et comme se présente encore à ma mémoire ce tems que je passai
+à Aberdeen en 1796.»
+
+La difformité de son pied était dès-lors un sujet qui l'affligeait
+beaucoup et sur lequel il se montrait très-irascible. Une personne de
+Glascow m'a rapporté que la gouvernante de sa femme et celle de Byron se
+voyaient souvent quand elles sortaient pour promener les enfans qui leur
+étaient confiés, et qu'un jour elle lui avait dit: «Quel bel enfant que
+ce Byron! et quel malheur qu'il ait un pareil pied!» L'enfant
+l'entendit, et soudain, outré de colère, il la frappa d'un petit fouet
+qu'il avait à la main, en s'écriant avec impatience: _Ne parlez pas de
+cela_. Quelquefois cependant, comme plus tard, il parlait avec
+indifférence et même plaisantait de son infirmité. Dans le voisinage se
+trouvait un autre enfant qui avait dans l'un de ses pieds un défaut
+semblable; Byron disait alors à cette occasion en riant: _Venez voir les
+deux petits garçons qui s'en vont dans Brood-street avec leurs deux
+pieds bots_.
+
+Parmi une foule d'exemples de vivacité et d'énergie, sa gouvernante
+citait le suivant. Un soir, elle l'avait conduit au théâtre, à la
+représentation de la _Femme colère corrigée_ (_the taming of the
+Shrew_); il avait suivi la pièce pendant quelque tems avec un intérêt
+silencieux, mais à la scène entre Catherine et Pétruchio, quand les
+acteurs en furent à ces deux vers:
+
+ CATHERINE. Je sais que c'est la lune.
+ PETRUCHIO. Non, vous mentez, c'est le soleil bienfaisant.
+
+Le petit Geordie (ainsi l'appelait-on), se levant de son siége, se mit à
+crier vivement: _Mais je vous dis, moi, que c'est la lune, monsieur_.
+
+Nous avons déjà parlé du séjour du capitaine Byron à Aberdeen; il revint
+encore y passer deux ou trois mois avant son départ définitif pour la
+France. Chaque fois, le principal objet de sa visite était de tirer
+encore, s'il le pouvait, quelque argent de la malheureuse femme qu'il
+avait réduite à la misère; et il y réussit si bien, que la dernière fois
+cette dame, gênée comme elle l'était, parvint à lui procurer les moyens
+de se rendre à Valenciennes[9], où il mourut l'année suivante (1791).
+Bien que sur la fin Mrs. Byron refusât de le voir, elle lui conserva
+toujours, dit-on, une vive affection; et à cette époque, quand la
+gouvernante venait à le rencontrer, elle ne manquait pas de s'informer
+auprès d'elle, avec la plus tendre sollicitude, de sa santé et de l'air
+de son visage. Quand elle apprit sa mort, sa douleur, suivant le récit
+de la même personne, tenait du désespoir, et ses cris perçans furent
+entendus jusque dans la rue. C'était vraiment une femme extrême dans
+toutes ses passions; sa douleur et sa tendresse partaient de son
+tempérament autant que d'une sensibilité réelle. Quoi qu'il en soit,
+déplorer la mort d'un pareil mari était, il faut l'avouer, faire preuve
+d'une générosité bien gratuite; d'autant plus que ne l'ayant épousée,
+comme il le disait tout haut, que pour sa fortune, et ayant bientôt
+dissipé le seul charme qu'elle eût à ses yeux, il avait la cruauté de
+lui reprocher fréquemment les inconvéniens de la pénurie, fruit de son
+extravagante prodigalité.
+
+ [Note 9: Mrs. Byron, dit quelqu'un que j'ai déjà cité,
+ s'était endettée de trois cents liv. st., par suite des
+ avances d'argent faites à M. Byron lors de ses deux visites à
+ Aberdeen, et par les frais d'ameublement de la chambre
+ qu'elle occupa après la mort de son mari, dans Brood-street.
+ Les intérêts de cette somme réduisirent son revenu à 139
+ liv.; toutefois elle sut vivre sans augmenter ses dettes, et
+ à la mort de sa grand'mère, ayant hérité des 1,122 liv.
+ réservées pour le douaire de cette dame, elle les acquitta
+ entièrement.]
+
+Le jeune Byron n'avait pas cinq ans accomplis quand on l'envoya à une
+école primaire, tenue à Aberdeen par M. Bowers[10]. Il y resta, sauf
+quelques interruptions, durant l'espace de douze mois, comme l'atteste
+l'extrait suivant du registre journalier de l'école:
+
+
+GEORGES GORDON BYRON,
+
+19 novembre 1792.
+
+19 novembre 1793, reçu une guinée.
+
+ [Note 10: Dans _Long-acre_, l'instituteur actuel de cette
+ école est M. Davie Gronta, l'ingénieux éditeur d'une
+ _collection de batailles et monumens militaires_, et d'un
+ ouvrage fort utile intitulé: _Livre classique des poèmes
+ modernes_.]
+
+Le prix de cette école, pour la lecture seulement, n'était que de 5
+_shillings_ par quartier; et ce fut certainement moins dans le but de
+hâter ses progrès que pour mieux échapper à sa turbulence que sa mère
+l'y envoya. Quant au résultat de ces premières études à Aberdeen, tant
+sous M. Bowers que sous différens autres instituteurs, il nous en offre
+lui-même le curieux document dans une sorte de journal commencé sous le
+titre de _mon Dictionnaire_, et qu'on retrouve dans l'un de ses
+manuscrits:
+
+«J'ai vécu dans cette ville plusieurs années de ma première jeunesse;
+mais depuis l'âge de dix ans je n'y suis pas retourné. A cinq ans, ou
+plus tôt même, on m'envoyait à l'école tenue par un M. Bowers, que l'on
+surnommait _Bodsy_, à cause de son air vif et éveillé. C'était une école
+à l'usage des deux sexes; j'y appris peu de chose, si ce n'est à répéter
+par cœur, à force de l'entendre, mais sans en retenir une lettre, la
+première leçon monosyllabique: _Dieu fit l'homme, il faut l'aimer_. La
+seule preuve que je donnais de mes progrès à la maison, c'était de
+répéter ces mots avec la plus grande volubilité; mais un jour, ayant
+tourné le feuillet, j'eus le malheur de redire encore la même chose, et
+cela fit découvrir les bornes étroites de mes jeunes talens: on me tira
+les oreilles (criante injustice, attendu que c'était par elles que
+j'avais appris ce que je savais), et l'on confia mes dispositions aux
+soins d'un nouveau précepteur; c'était un pieux et habile petit prêtre,
+nommé Ross, devenu plus tard, ministre de l'une des églises d'Écosse
+(celle d'_East_, je pense). Je fis sous lui d'étonnans progrès, et je me
+rappelle encore aujourd'hui ses manières douces et sa généreuse
+sollicitude. Dès que je pus lire, ma grande passion fut l'histoire, et
+surtout je me passionnai, pourquoi? je l'ignore, pour la bataille donnée
+près du lac Régille, dans l'histoire romaine, que l'on m'avait d'abord
+mise entre les mains. Il y a quatre ans, me trouvant sur les hauteurs de
+Tusculum, mes regards s'arrêtèrent sur le petit lac circulaire, jadis de
+Régille, et qui n'est plus qu'un point dans la perspective; alors je me
+souvins de mon jeune enthousiasme et de mon vieux instituteur. Plus tard
+j'eus pour maître un nommé Paterson, honnête jeune homme, mais
+très-sérieux et taciturne: c'était le fils de mon cordonnier; du reste
+fort instruit, comme le sont généralement les Écossais; c'était de plus
+un presbytérien rigide. Je commençai avec lui le latin, dans la
+grammaire de Ruddeman, et je continuai jusqu'au moment où l'on me mit à
+l'_école de grammaire_. Là je fis toutes mes classes jusqu'à la
+quatrième forme[11], époque de mon rappel en Angleterre, ma patrie, par
+la mort de mon oncle.
+
+ [Note 11: Un collége régulier anglais se divise généralement
+ en six _formes_, quoiqu'un même professeur puisse être chargé
+ de deux à la fois. L'ordre des _formes_ est inverse du nôtre;
+ ainsi (la rhétorique et la philosophie faisant partie de
+ l'enseignement spécial des universités), la sixièmes _forme_
+ correspondra à notre classe de seconde, et la première forme
+ à notre septième ou aux classes plus élémentaires encore.
+ (_Note du Traducteur_.)]
+
+C'est à Aberdeen, et sur les belles exemples de M. Duncan, que j'acquis
+le beau point d'écriture que je ne lis pas moi-même sans difficulté. Je
+ne pense pas qu'il se mît beaucoup en peine de mes progrès. J'écrivais
+mieux alors que je n'ai jamais fait depuis; la hâte et l'agitation d'une
+et d'autre espèce ont fait de moi le plus parfait griffonneur qui jamais
+ait tenu une plume. Il pouvait y avoir à cette école de grammaire cent
+cinquante enfans de tout âge; elle était divisée en cinq classes, tenues
+par quatre maîtres, le principal se chargeant de la quatrième et de la
+cinquième forme, comme en Angleterre la cinquième et la sixième forme et
+les moniteurs ont toujours pour professeur le chef de l'école.»
+
+Parmi ses compagnons de classe, il en est de vivans qui se souviendront
+encore de lui[12], et l'impression qu'ils en ont conservée est que
+c'était un enfant vif et passionné, emporté, rancunier, mais affectueux
+et sociable à l'égard de ses camarades; hardi, singulièrement aventureux
+et toujours, comme l'un d'eux le répétait heureusement, toujours _plus
+prêt à donner qu'à recevoir des coups_. Entr'autres anecdotes à l'appui
+de ce caractère, on cite qu'une fois, revenant de l'école, il se trouva
+de compagnie avec un enfant qui l'avait auparavant insulté, sans en
+avoir été puni. Le petit Byron avait juré qu'il le lui paierait à la
+première occasion; en conséquence cette fois-ci, bien que plusieurs
+autres enfans prissent le parti de son adversaire, il parvint à lui
+donner une _volée complète_; et quand il arriva chez sa mère, tout
+essoufflé, la servante lui demanda ce qu'il avait fait. Il répondit,
+avec un mélange de rage et d'enjouement, qu'il venait d'acquitter une
+dette en rossant un enfant auquel il l'avait promis; qu'il était un
+Byron, et que jamais il ne fausserait sa devise: _Croys Byron_.
+
+ [Note 12: Le vieux portier du collége aussi se rappelle bien
+ le petit garçon à la jaquette rouge et au pantalon de nankin,
+ qu'il a si souvent chassé de la cour du collége.]
+
+Il est certain qu'il cherchait bien plus à se distinguer parmi ses
+camarades par sa supériorité dans tous les jeux et exercices violens,
+que par ses progrès à l'étude[13]. Cependant il était plein d'ardeur dès
+qu'on parvenait à fixer son attention, ou qu'un genre d'étude venait à
+lui plaire. Il était en général parmi les derniers de sa classe, et ne
+semblait guère ambitieux de places plus honorables. Il est d'usage, je
+crois, dans cette pension, d'intervertir de tems en tems l'ordre des
+places et de mettre les plus faibles écoliers sur les bancs
+ordinairement réservés aux plus forts, sans doute dans la vue de mieux
+stimuler l'ardeur des uns et des autres. Dans ces occasions, et
+seulement alors, Byron était parfois à la tête de ses condisciples, et
+son professeur disait en le raillant; _Allons, George, vous ne tarderez
+pas à retourner à la queue_[14].
+
+ [Note 13: C'était, dit l'un de ceux que j'ai consultés, un
+ bon joueur de billes, il les lançait plus loin que la plupart
+ des enfans; il excellait aussi aux _barres_, jeu qui exige
+ une grande agilité de jambes.]
+
+ [Note 14: Il paraît, d'après la liste trimestrielle tenue a
+ l'école de grammaire d'Aberdeen, dans laquelle le nom des
+ enfans se trouve placé suivant le rang qu'ils tenaient dans
+ leur classe; il paraît, dis-je, qu'en avril 1794, le nom de
+ Byron se trouvait le vingt-troisième sur une liste de
+ trente-huit enfans, dans la seconde forme. En avril 1798, il
+ lui arriva d'être le cinquième dans la quatrième classe,
+ composée de vingt-sept enfans, et de dépasser plusieurs de
+ ses condisciples qui l'avaient toujours devancé jusque-là.]
+
+Durant cette période, sa mère et lui eurent l'occasion de faire visite à
+plusieurs de leurs amis: ils passèrent quelque tems à Fetteresso,
+demeure de son parrain le colonel Duff (on s'y rappelle encore le
+plaisir que prenait l'enfant à jouer avec un vieux sommelier, bon
+vivant, nommé Ernest Fiddler). Ils s'arrêtèrent aussi à Banff, où
+résidaient quelques proches parens de mistress Byron.
+
+Il eut en 1796 une attaque de fièvre scarlatine, après laquelle sa mère
+l'envoya, pour changer d'air, dans les montagnes de l'Écosse
+(_highlands_); et ce fut alors, ou l'année suivante, qu'ils choisirent
+pour résidence une ferme dans le voisinage de Ballater. C'est un séjour
+recherché pendant l'été par ceux qui veulent reprendre leur santé ou
+leur enjouement; il est situé sur la rivière, à quarante milles environ
+d'Aberdeen. Bien que cette maison, où l'on montre encore avec orgueil le
+lit du jeune Byron, soit naturellement devenue un but de pélerinage pour
+les admirateurs du génie, elle est, ainsi que la vallée étroite et aride
+dans laquelle elle est bâtie, bien indigne de s'associer au souvenir
+d'un poète. A peu de distance de là, on peut vanter avec raison un
+paysage où se retrouvent tous les genres de beautés sauvages qui suivent
+le cours de la Dée à travers les montagnes. C'est là que les noirs
+sommets de _Lachin-y-Gair_ s'élançaient en forme de tourelles aux yeux
+du poète futur; les vers qu'il consacra, plusieurs années après, au
+tableau de ces objets sublimes, montrent que déjà, malgré sa tendre
+jeunesse, il connaissait tous les genres de _gloire sourcilleuse_ qui
+s'y rattachaient[15].
+
+ [Note 15: Les souvenirs exprimés dans cette pièce sont
+ charmans, mais il n'en est pas moins certain, d'après le
+ témoignage de sa gouvernante, qu'il alla tout au plus deux
+ fois sur cette montagne, située à quelques milles de leur
+ résidence ordinaire.]
+
+Ah! c'est là que mes pas s'égarèrent souvent dans mon enfance; mon
+chapeau était le bonnet à carreaux, mon manteau le _plaid_ des
+montagnards; les souvenirs des chefs de _clans_, morts depuis long-tems,
+venaient s'offrir à mon esprit, quand, chaque jour, j'errais dans les
+clairières couvertes de pins. Je ne songeais pas à retourner au château,
+avant que la gloire du jour mourant n'eût fait place aux rayons brillans
+de l'étoile polaire, car mon imagination charmée aimait à se nourrir des
+traditions glorieuses que je recueillais de la bouche des habitans de la
+sombre Loch-na-Gar.
+
+On a plusieurs fois attribué la première étincelle de son génie poétique
+à la sévérité grandiose des scènes au milieu desquelles s'écoula son
+enfance; mais on pourrait se demander si jamais pareilles facultés
+furent l'effet d'un pareil accident. Que les charmes d'une nature
+pittoresque, nés principalement de notre imagination et de nos
+souvenirs, soient profondément sentis à un âge où l'imagination est à
+peine née, où les souvenirs sont rares, c'est ce qu'on concevra
+difficilement, tout en faisant la part d'un génie prématuré. L'éclat que
+le poète voit dans les aspects de la nature n'est pas autant dans les
+objets eux-mêmes que dans l'œil qui les contemple; et l'imagination doit
+entourer ses tableaux d'une sorte d'auréole avant de pouvoir leur
+emprunter quelque inspiration.
+
+A la vérité, comme matériaux susceptibles d'être mis en œuvre par la
+faculté poétique quand elle sera développée, ces merveilleuses
+impressions, recueillies dès l'enfance avec toute la vivacité,
+conservées avec toute la puissance de souvenir qui appartient au génie,
+peuvent bien former l'un des plus purs et des plus précieux alimens dont
+il se nourrira par la suite; mais cependant la source de ce charme est
+dans le sentiment poétique qui existait en lui et qui s'éveille alors.
+C'est l'imagination seule qui, agissant sur ses souvenirs, imprégnera
+pour lui, dans la suite, tout le passé de poésie.
+
+Il faut donc classer les impressions que Lord Byron reçut dans son
+enfance des scènes de la nature, avec les divers autres souvenirs qu'il
+conserva de la même période, comme de son innocence, de ses jeux, de ses
+espérances et de ses affections premières, tous souvenirs que le poète
+sait convertir à son usage, mais dont aucun ne fait le poète; pas plus
+que le miel (pour employer une comparaison de Byron lui-même) ne fait
+l'abeille qui le butine.
+
+Quand il arrive, comme ce fut le cas en Grèce pour Lord Byron, que les
+mêmes accidens de nature, sur lesquels la mémoire a réfléchi son charme,
+se reproduisent devant les yeux, entourés de circonstances nouvelles et
+inspiratrices, et de tous les accessoires qu'une imagination riche et
+vigoureuse peut leur prêter; alors, et le passé, et le présent, tout
+contribue à rendre l'enchantement complet. Or, jamais cœur ne fut mieux
+né pour réunir ces divers sentimens que celui de Lord Byron. Dans un
+poème écrit un ou deux ans avant sa mort[16], il fait honneur de sa
+passion pour les montagnes aux impressions de son séjour dans les
+_highlands_; et il attribue même le plaisir que lui fit éprouver
+l'aspect de l'Ida et du Parnasse, bien moins aux traditions classiques
+qu'aux souvenirs profonds que lui fournissaient son enfance et
+_Lachin-y-gair_.
+
+ [Note 16: L'Ile.]
+
+Celui dont les premiers regards se sont arrêtés sur les montagnes de
+l'Écosse, couronnées d'un bleu céleste, aimera à contempler toutes les
+cimes qui lui offriront une couleur analogue; il saluera, dans chaque
+mamelon, le visage connu d'un ami; à la vue d'une montagne, son ame
+s'épanouira, comme pour l'embrasser. Long-tems j'ai parcouru des pays
+qui n'étaient pas mon pays; j'ai adoré les Alpes, aimé les Apennins,
+révéré le Parnasse, admiré l'Ida cher à Jupiter, et l'Olympe qui s'élève
+majestueusement au-dessus de la mer. Mais ce n'était point le souvenir
+de leur gloire antique, ce n'était point la vue de leur beauté présente
+qui m'imposaient ces impressions profondes de respect et d'amour. Les
+ravissemens que l'enfant avait éprouvés survivaient à l'âge de
+l'enfance. Loch-na-Gar dominait avec l'Ida sur les champs de la Troade.
+Les souvenirs celtiques entouraient le mont Phrygien, et les eaux des
+cascades des _highlands_ se mêlaient à la claire fontaine de Castalie.
+
+Dans une note jointe à ce morceau, nous le voyons faire le même
+anachronisme dans l'histoire de ses propres sentimens, et rapporter à
+son enfance elle-même cet amour des montagnes, qui n'était autre chose
+que le résultat du travail de son imagination se reportant au passé.
+«C'est, dit-il, de cette époque (celle de son séjour dans les
+_highlands_) que date mon amour des pays montagneux. Je n'oublierai
+jamais l'effet que produisit sur moi, quelques années plus tard, en
+Angleterre, la seule chose que j'eusse vue depuis long-tems qui
+ressemblât à des montagnes, quoiqu'en miniature; je veux parler des
+_Malvern-hills_. Lorsque je retournai à Cheltenham, je les regardais
+chaque soir, au coucher du soleil, avec une émotion que je ne pourrais
+décrire.» Son amour pour les courses solitaires et pour les excursions
+de toutes espèces[17], le conduisait souvent assez loin pour donner sur
+lui des inquiétudes sérieuses. Il lui arrivait à Aberdeen, toutes les
+fois qu'il en trouvait l'occasion, de s'esquiver, inaperçu, de la
+maison. Quelquefois il se dirigeait du côté de la mer; et un jour, après
+de longues et pénibles recherches, on trouva le petit aventurier se
+débattant au milieu d'une fondrière ou mare, d'où il n'aurait pu se
+tirer de lui-même.
+
+ [Note 17: Cette phrase rend fort douteuse l'assurance donnée
+ par sa gouvernante (au rapport de Thomas Moore), que Byron
+ n'avait jamais vu que deux fois la montagne de
+ _Lachin-y-gair_, si voisine de l'habitation de sa mère.
+ (_N. du Tr._)]
+
+Dans le cours de l'une de ces excursions d'été le long de la Dée, il eut
+l'occasion de voir les sauvages beautés des _highlands_, mieux encore
+que dans les environs de leur résidence à Ballatrech. Sa mère l'avait
+conduit sur la route romantique d'_Invercauld_, jusqu'à la petite chute
+d'eau appelée _la vigne de la Dée_; sa passion pour les aventures fut
+alors sur le point de lui coûter la vie: comme il grimpait le long d'une
+pente inclinée sur cette cascade, une bruyère arrêta son pied bot et il
+tomba. Déjà même il roulait vers le précipice, quand la gouvernante eut
+la force et la présence d'esprit de le retenir, et de le ravir ainsi à
+une mort certaine.
+
+Il n'avait encore que huit ans: ce fut alors qu'un sentiment plus près
+de l'amour qu'on ne le supposerait possible dans un âge si tendre, prit,
+de son propre aveu, sur ses pensées, une puissance absolue, et prouva
+ainsi, de bonne heure, combien il était facile d'éveiller sa sensibilité
+sur ce point comme sur tous les autres[18]. L'objet de son attachement
+était Marie Duff; et les passages d'un journal, tenu par lui en 1813,
+montrent avec quelle fraîcheur, après un intervalle de dix-sept ans, il
+se rappelait toutes les circonstances de cette première passion:
+
+ [Note 18: On sait que Dante n'avait que neuf ans quand, à la
+ _fête du Mai_, il vit pour la première fois Béatrix et en
+ devint amoureux. Alfieri lui-même, amant précoce, considère
+ une telle sensibilité prématurée comme le signe incontestable
+ d'une ame née pour les beaux-arts. «_Effetti_, dit-il en
+ décrivant ce qu'il éprouva lui-même lors de son premier
+ amour, _che poche persone intendono, e pochissime provano: ma
+ a quei soli pochissimi è concesso l' uscir della folla
+ volgare in tutte le umane arti_.» Canova disait ordinairement
+ qu'il se rappelait fort bien avoir été amoureux dès l'âge de
+ cinq ans.]
+
+«J'ai dernièrement, dit-il, beaucoup pensé à Marie Duff; il est bien
+étrange que j'aie pu me passionner aussi profondément pour cette jeune
+fille, à un âge où je ne pouvais connaître l'amour, ni ce que ce mot
+signifiait: et pourtant c'était bien de l'amour. Ma mère me raillait
+d'habitude sur cet attachement puéril; et plusieurs années après
+(j'avais alors seize ans), elle me dit un jour: _Byron, je reçois une
+lettre d'Edimbourg; miss Abercromby me mande que votre ancienne passion,
+Marie Duff, est mariée à un M. Co_..... Et quelle fut ma réponse? En
+vérité, je ne sais comment expliquer ce que je ressentis en ce moment;
+mais je faillis entrer en convulsion. Ma mère en fut tellement alarmée,
+que plus tard elle évita toujours de revenir sur ce sujet _avec
+moi_,--se contentant de le redire volontiers à chacune de ses
+connaissances. Maintenant que signifiait tout cela? Je ne l'avais pas
+vue depuis que, par suite d'un _faux pas_ de sa mère, à Aberdeen, elle
+fut ramenée à Banff, auprès de son aïeule: nous étions tous deux de
+véritables enfans; j'avais dès-lors, et j'ai depuis éprouvé cinquante
+fois, d'autres sentimens tendres; cependant je me rappelle encore tout
+ce que nous nous disions l'un à l'autre, toutes nos caresses, ses
+traits, mon inquiétude, mes insomnies, mes instances auprès de la
+servante de ma mère pour qu'elle lui écrivît de ma part; ce qu'elle fit
+à la fin pour me tranquilliser. La pauvre Nancy pensait que j'étais fou;
+et comme je ne pouvais écrire une lettre moi-même, elle devint mon
+secrétaire. Je me rappelle aussi nos promenades, mon bonheur quand
+j'étais assis près de Marie dans l'appartement des enfans, à leur maison
+proche des _Plainstones_ à Aberdeen. Alors, tandis que sa petite sœur
+jouait à la poupée, nous faisions l'amour à notre manière.
+
+«Comment diable tout cela arriva-t-il à un pareil âge? d'où cela
+provenait-il? Certainement, plusieurs années après, je n'avais pas
+encore l'idée de la distinction des sexes; et cependant mes tourmens et
+mon amour furent si violens, que je doute quelquefois si j'ai jamais été
+depuis réellement amoureux.
+
+«Qu'il en soit ce qu'on voudra, l'annonce de son mariage, plusieurs
+années après, fut pour moi un coup de foudre et fut sur le point de
+m'étouffer, au grand effroi de ma mère et à l'étonnement de tous les
+spectateurs qui refusaient d'y croire. C'est dans ma vie un phénomène
+(puisque je n'avais alors que huit ans), qui m'a souvent tourmenté et
+qui me tourmentera jusqu'à ma dernière heure; et récemment encore, je ne
+sais pas pourquoi, son souvenir (non pas l'amour lui-même) s'est
+représenté avec plus de force que jamais. Je serais bien étonné qu'elle
+eût gardé de moi la moindre souvenance, et qu'elle se rappelât comme
+elle plaignait sa petite sœur Hélène de ne pas avoir aussi un amoureux!
+Il est incroyable comme j'ai gardé d'elle une parfaite et charmante
+idée; de son front, de ses cheveux noirs, de ses yeux d'un brun clair,
+de ses vêtemens même: je serais vraiment fâché de la voir aujourd'hui;
+la réalité, toute belle qu'elle serait, détruirait ou du moins
+obscurcirait les traits de la charmante Péri que je contemplais alors en
+elle, et qui vit encore dans mon imagination après plus de seize années.
+J'ai maintenant vingt-cinq ans et quelques mois.....
+
+«Ma mère, je le suppose, raconta cette circonstance (l'effet qu'avait
+produit son mariage sur moi) aux Parkynses et certainement à la famille
+Pigot; elle le mentionna sans doute également à miss Abercromby, qui
+connaissait mon ancien penchant, et qui sans doute n'avait donné cette
+nouvelle qu'à mon intention..... Je l'en remercie! Comme ses
+commencemens, le terme de cette passion m'a souvent fait réfléchir;
+quant à l'exactitude des faits, d'autres les connaissent aussi bien que
+moi, et le souvenir que j'en conserve est encore plein de vie. Mais plus
+j'y songe, et plus je suis embarrassé d'assigner quelques causes à cette
+précocité d'affection.»
+
+Les chances qu'il avait de succéder au titre de ses ancêtres furent
+quelque tems tout-à-fait incertaines; car; en 1794, le cinquième lord
+Byron vivant avait encore un petit-fils. Sa mère cependant, dès sa
+naissance, avait caressé l'espoir qu'il serait non-seulement un lord,
+mais encore un grand homme. Une circonstance bizarre sur laquelle elle
+fondait cette espérance, c'est qu'il était boiteux; pourquoi? il serait
+difficile de le dire, si ce n'est peut-être qu'ayant un esprit des plus
+superstitieux, elle avait consulté quelque diseur de bonne aventure,
+qui, pour anoblir aux yeux d'une mère cette infirmité, l'avait rattachée
+à la destinée future de l'enfant.
+
+La mort du petit-fils du vieux lord, arrivée en Corse en 1794, brisa le
+seul obstacle qui se trouvait jusqu'alors placé entre le petit George et
+l'héritage immédiat de la pairie: l'importance sensible que cet
+événement leur donna fut sentie non-seulement par Mrs. Byron, mais aussi
+par le jeune baron futur de Newsteadt. Pendant l'hiver de 1797, sa mère
+lisait un jour par hasard un discours prononcé à la Chambre des
+Communes; un ami se trouvait présent, qui dit à l'enfant: «Nous aurons
+un jour ou l'autre le plaisir de lire aussi vos discours à la Chambre
+des Communes.» _J'espère que non_, répondit-il; _si vous en lisez
+quelqu'un de moi, ce sera à la Chambre des Lords_.
+
+Le titre dont il se félicitait ainsi ne lui fut que trop tôt dévolu.
+S'il avait pu demeurer encore pendant dix ans tout simplement George
+Byron, on ne peut douter que son caractère n'y eût gagné sous beaucoup
+de rapports. L'année suivante, son grand oncle, le cinquième lord Byron,
+mourut à l'abbaye de Newsteadt, ayant consommé les dernières années de
+sa vie dans un état d'isolement austère et presque sauvage.
+
+Le lendemain de l'accession du petit Byron à la pairie, on dit qu'il
+courut à sa mère et lui demanda _si elle apercevait quelque changement
+en lui depuis qu'il était lord, car il n'en trouvait lui-même aucun_.
+Réflexion ingénieuse et naturelle; l'enfant ne songeait pas encore que
+la simple addition d'une syllabe au-devant de son nom avait suffi pour
+opérer un changement complet et magique dans toutes ses relations
+futures avec la société.
+
+On peut se faire une idée de l'effet que produisit dès-lors sur lui cet
+événement, d'après l'agitation que, dit-on, il manifesta en s'entendant,
+pour la première fois, appeler dans l'école avec l'addition du titre de
+_dominus_. Incapable de faire la réponse habituelle, _adsum_, il resta
+silencieux au milieu de la surprise générale de ses camarades, et finit
+enfin par fondre en larmes.
+
+Le nuage qu'avait jeté, et sans cause, à plusieurs égards, sur le
+caractère du dernier lord Byron, sa malheureuse affaire avec M.
+Chaworth, avait encore été, dans la suite, obscurci par les effets
+naturels d'une vie insociable et bizarre. On fait encore dans le
+voisinage les récits les plus exagérés de sa cruauté envers lady Byron,
+avant leur séparation mutuelle, et l'on croit même que, dans l'un de ses
+accès de fureur, il avait été jusqu'à la précipiter dans l'étang de
+Newsteadt. Une autre fois, dit-on, ayant tué son cocher pour quelque
+désobéissance, il avait jeté le cadavre dans la voiture où se trouvait
+lady Byron, et montant aussitôt sur le siége, il avait lui-même conduit
+les chevaux. Ces histoires sont, à n'en pas douter, des fables
+grossières, comme la plupart de celles dont son illustre héritier fut
+plus tard la victime. Une femme au service du vieux lord, encore
+vivante, contredit ces deux récits comme autant d'inventions de la
+calomnie; elle suppose pourtant que la première est fondée sur les
+circonstances suivantes. Une jeune dame du nom de Booth se trouvait à
+Newsteadt en visite; un soir, on fit une partie de plaisir devant la
+façade de l'abbaye, et lord Byron, par accident, l'avait poussée dans le
+bassin qui reçoit la cascade: de là, sans doute, le conte dont nous
+avons parlé.
+
+Une fois séparé de lady Byron, l'isolement complet dans lequel il vécut
+réveilla toute la puissance d'imagination des habitans de l'endroit; nul
+fait atroce ou désespéré que les commères du village ne fussent
+disposées à lui imputer. Il y avait dans son triste jardin deux images
+grimaçantes de satyres, que bientôt l'effroi de ceux qui les entrevirent
+décora du nom de _diables du vieux lord_. On sait qu'il marchait
+toujours armé, et l'on rapporte que le dernier sir John Warren, son
+voisin, ayant été admis à dîner un jour avec lui, trouva sur la table
+une boîte à pistolets placée là comme partie ordinaire du service.
+
+Dans ses dernières années, les seuls compagnons de sa solitude, outre
+cette colonie de grillons qu'il s'amusait, dit-on, lui-même, à nourrir
+et à dresser[19], étaient le vieux Murray, plus tard valet favori de son
+successeur, et la domestique dont je viens de citer l'autorité. Cette
+dernière, d'après les fonctions auxquelles on suppose qu'elle avait été
+promue auprès de son noble maître, avait reçu généralement dans le pays
+le nom de _Lady Betty_.
+
+ [Note 19: Lord Byron avait l'habitude d'ajouter à ceci, sur
+ l'autorité de vieux domestiques, que le jour de la mort de
+ leur patron, ces grillons laissèrent tous de concert la
+ maison, et en si grand nombre, qu'il était impossible de
+ faire un pas dans le vestibule sans en écraser quelques-uns.]
+
+Quoiqu'il vécût dans sa solitude d'une manière sordide, il paraît qu'il
+éprouvait souvent le besoin d'argent; et l'un des torts les plus sérieux
+qu'il fit à sa propriété, fut la vente du domaine de Rochdale, dans le
+duché de Lancastre, dont le produit minéralogique passait pour
+très-important. Il savait bien, dit-on, à l'époque de la vente, qu'il
+n'avait pas le droit de donner un titre légal de possession, et il n'est
+pas croyable que ceux qui rachetèrent ignorassent l'irrégularité de la
+transaction; mais ils prévirent sans doute, comme en effet cela arriva,
+qu'avant d'être dépossédés de la propriété ils seraient à peu près
+indemnisés par le produit qu'ils en tireraient.
+
+On tenta, pendant la minorité du jeune lord, de rentrer dans le domaine
+de Rochdale, et, comme on le lira bientôt, ce fut avec un plein succès.
+Pour Newsteadt, les bâtimens et les dépendances menaçaient une ruine
+prochaine, et parmi les rares témoignages de la sollicitude ou de la
+dépense de son propriétaire, se trouvaient quelques masses de pierres
+réunies à grands frais, et quelques bâtimens, crénelés, élevés sur le
+bord du lac et dans l'épaisseur du bois. Les forts bâtis sur le lac
+étaient destinés à donner un aspect naval à ses ondes: souvent, quand il
+était en bonne humeur, il se plaisait à des combats simulés; ses
+bâtimens attaquaient la forteresse, qui à son tour les canonnait. Le
+plus grand de ses vaisseaux avait été construit pour lui dans l'un des
+ports de mer de l'est: on l'avait dirigé sur des roues vers la forêt de
+Newsteadt, comme pour accomplir l'une des prophéties de la mère Shipton,
+_que quand un vaisseau chargé de_ ling _traverserait la forêt de
+Shervood, le domaine de Newsteadt sortirait de la famille Byron_. Dans
+le duché de Nottingham, _ling_ répond au mot bruyère; et afin de
+justifier la mère Shipton et de dépiter le vieux lord, on dit que les
+paysans escortaient le vaisseau en y jetant sans cesse des touffes de
+bruyère.
+
+Cet homme singulier prenait évidemment fort peu de soin du sort de ses
+descendans; il n'avait entretenu aucun rapport avec son jeune héritier
+d'Écosse, et s'il lui arrivait d'en parler, ce qui était fort rare, ce
+n'était jamais que sous le nom _du petit enfant qui est à Aberdeen_.
+
+La mort de son grand oncle faisait de Lord Byron _le pupille de la
+chancellerie_, et le comte de Carlisle fut désigné pour être son tuteur.
+Il avait avec la famille quelques rapports de parenté, comme fils de la
+sœur du défunt lord. En 1798, pendant l'automne, Mrs. Byron et son fils,
+escortés de leur fidèle May Gray, quittèrent Aberdeen pour Newsteadt.
+Avant leur départ, ils avaient vendu le mobilier de l'humble appartement
+qu'ils occupaient, et le produit, à l'exception du linge et de la
+vaisselle que Mrs. Byron emporta, fut de 74 livres sterling 17 shillings
+7 pence.
+
+Le tems que Byron passa en Écosse, où sa mère avait d'ailleurs pris
+naissance, lui permettait de se considérer lui-même, comme il s'en est
+glorifié dans Don Juan, _à moitié Écossais par sa naissance, et
+entièrement par son éducation_.
+
+Nous avons déjà vu avec quelle vivacité il gardait le souvenir des
+montagnes qui, dans l'origine, avaient frappé ses yeux; les allusions
+qu'il y fait, dans le passage de Don Juan que je viens de citer, au pont
+romantique du Don et aux autres localités d'Aberdeen, montrent la même
+fidélité et le même entraînement de souvenir.
+
+De dire comment _Auld-Lang-Syne_ évoque devant moi l'Écosse en masse et
+dans tous ses détails, les Plaids écossais, les _Snoods_ écossais, les
+montagnes bleues, les ondes claires, la Dee, le Don, le mur noir du pont
+de Balgounie, mes souvenirs d'enfant, en un mot le plus doux songe de ce
+qui me faisait alors rêver, enveloppé, comme les fils de Banco, de leurs
+manteaux funéraires;--d'expliquer ces allusions enfantines qui ramènent
+sous mes yeux ma douce enfance,--je ne m'en soucie pas, c'est un effet
+de _Auld-Lang-Syne_.
+
+Puis il ajoute en note:
+
+Le pont du Don, près de _la vieille ville_ d'Aberdeen, avec son arche
+unique et ses eaux noirâtres et poissonneuses, me sont encore présens,
+comme si je les avais vus hier. Je me rappelle également, bien que je le
+cite mal peut-être, le terrible proverbe qui, dans ma jeunesse, me
+faisait craindre et pourtant désirer de le passer, parce que j'étais
+fils unique, au moins du côté de ma mère. Le voici tel que je m'en
+souviens, quoique je ne l'aie entendu ni lu depuis l'âge de neuf ans:
+
+ Brig of Balgounie, black's your wa'
+ Wi a wife's ae son, and a mear's ae foal
+ Down ye shall fa'.....
+
+Pont de Balgounie, ton mur est noir, tu tomberas avec le fils unique
+d'une femme et le poulain unique d'une cavale.
+
+Il eut toujours un véritable plaisir à rencontrer une personne
+d'Aberdeen: quand feu M. Scott, qui était né dans cette ville, lui
+rendit une visite à Venise, en 1819, il lui désigna surtout, en
+rappelant leurs habitudes d'enfance, une place nommée la niche de
+Wallace, où se trouve encore aujourd'hui une grossière statue de ce
+guerrier écossais. Cette sorte de souvenir ne le trouvait jamais
+insensible. A son premier voyage en Grèce, non-seulement l'aspect des
+montagnes, mais le jupon court des Albanais, tout, dit-il, le _reportait
+à Morven_. Dans sa dernière et fatale expédition, l'habit qu'il portait
+de préférence, à Céphalonie, était une veste de _tartane_.
+
+Mais quelque sincères et profondément senties que fussent les
+impressions qu'il gardait de l'Écosse, il lui arrivait quelquefois,
+comme pour toutes ses affections les plus aimables, de donner un démenti
+à son bon naturel; et lorsque la colère ou l'ironie l'excitait, de
+persuader et les autres et lui-même que toutes ses affections se
+portaient vers des objets directement opposés.
+
+Le fiel qu'il répandit à l'occasion de sa querelle avec la _Revue
+d'Édimbourg_, sur tout ce qu'il y avait d'Écossais, offre l'exemple de
+ce triomphe temporaire de ses passions. Dans tous les tems, le moindre
+soupçon de ridicule jeté sur l'Écosse ou ses habitans suffisait pour
+faire taire ses affectueux sentimens. Un de ses amis me raconta
+l'amusante colère dans laquelle le mit un jour une innocente jeune
+fille, pour avoir remarqué qu'il avait quelque chose de l'accent
+écossais: «Bon dieu! s'écria-t-il, j'espère bien que non; j'aimerais
+mieux voir tomber la maudite Écosse dans la mer que d'avoir l'accent
+écossais.»
+
+Mais on ajoutera peu de foi aux saillies de ce genre répandues dans ses
+écrits ou sa conversation, quand on les comparera aux preuves décisives
+qu'il a laissées de son attachement pour le pays où il passa son
+enfance. Et si, pour lui, ces impressions étaient ineffaçables, de
+l'autre il y a chez les citoyens d'Aberdeen, qui le regardent comme leur
+compatriote, une correspondance chaleureuse d'affection pour sa mémoire
+et pour son nom. Ils montrent encore aux voyageurs les diverses maisons
+où il résidait dans sa jeunesse; l'avoir vu seulement une fois, réveille
+en eux un souvenir d'orgueil, et le pont du Don, déjà beau en lui-même,
+est désormais revêtu, grâce à la mention qu'il en a faite dans son _Don
+Juan_, d'un nouveau charme. Il y a deux ou trois ans qu'on offrit une
+somme de cinq liv. st. à une personne d'Aberdeen en échange d'une lettre
+écrite par le capitaine Byron quelques jours avant sa mort; et au nombre
+des souvenirs du jeune poète, devenus autant de trésors pour ceux qui
+les possèdent, il en est un dont il n'aurait pu sans rire entendre
+parler, c'est tout simplement une vieille soucoupe de porcelaine dont il
+avait une fois mordu un large morceau dans un accès de colère.
+
+Ce fut dans l'été de 1798 que Lord Byron, alors dans sa onzième année,
+quitta l'Écosse avec sa mère et sa _bonne_, pour prendre possession de
+l'ancien domaine de ses ancêtres. Voici comme il parle de ce voyage dans
+une de ses dernières lettres:
+
+«Je me souviens de Loch-Leven comme si c'était d'hier; ce fut pourtant à
+l'époque de mon voyage d'Angleterre, en 1798, que je le vis.»
+
+Déjà ils touchaient à la barrière de Newsteadt, ils voyaient les bois de
+l'abbaye s'élancer comme pour les recevoir, quand Mrs. Byron, affectant
+de méconnaître l'endroit, demanda à la femme de la barrière à qui
+appartenait cette propriété. On lui répondit que le possesseur, Lord
+Byron, était mort depuis quelques mois. «Et quel est l'héritier? demanda
+la mère avec un orgueil satisfait.--On dit, répondit la femme, que c'est
+un petit enfant qui vit à Aberdeen.--Et le voici, dieu le bénisse!»
+s'écria la gouvernante, incapable de se contenir, et couvrant de baisers
+le jeune lord assis sur ses genoux.
+
+Une élévation si soudaine aurait eu sans doute, même dans des
+circonstances plus favorables pour lui, une influence dangereuse sur son
+caractère; le guide qui désormais allait conduire les pas du jeune Byron
+dans le monde ne pouvait être plus inhabile à lui en montrer les
+écueils. Sa mère, dépourvue de jugement et d'empire sur elle-même,
+employait à son égard, avec la même maladresse, et l'indulgence, et ce
+qui était pire encore, une violence dont l'enfant s'amusait. Ce
+sentiment exquis du ridicule qui, plus tard, le rendit si remarquable,
+et que dès-lors il possédait, l'emportait toujours sur la crainte que
+pouvait lui inspirer sa mère. Quand Mrs. Byron, femme petite et dont
+l'embonpoint embarrassait la marche, essayait, dans ses accès de colère,
+de l'atteindre afin de le punir, le petit diable, glorieux de sa
+légèreté, se plaisait à lui échapper sans cesse, courant autour de la
+chambre en dépit de sa jambe boiteuse, et riant à gorge déployée d'avoir
+pu rendre inutiles toutes ses menaces. Dans ses _Memoranda_, il a
+consigné quelques anecdotes de ces premiers tems, et bien qu'il n'y
+nomme jamais sa mère qu'avec respect, il est facile de voir que l'idée
+qu'il en avait conservée, du moins la plus caractéristique, était d'une
+nature pénible. L'un des passages les plus frappans de ces _Mémoires_ se
+rapporte au chagrin profond qu'il ressentait de son infirmité; il décrit
+l'impression d'horreur et d'humiliation qui s'empara de lui quand sa
+mère, dans un accès de colère, l'appela, _vilain boiteux_. Comme il
+reproduit dans sa poésie, sous une forme ou l'autre, tous les sentimens
+profonds de sa vie, il ne faut pas être surpris d'y retrouver une
+expression de ce genre; nous voyons donc à l'ouverture de son drame, _le
+Difforme transformé_:
+
+ BERTA. Va-t'en, vilain bossu.
+ ARNOLD. Ma mère, je suis né ainsi.
+
+On peut se demander si l'origine du drame entier ne serait pas due à cet
+unique souvenir.
+
+Avec un pareil caractère dans la personne qui devait seule diriger ses
+premières années, on conçoit qu'il dut perdre tout le fruit des soins et
+de la sollicitude qu'un tuteur éclairé eût pu avoir pour lui. D'ailleurs
+Lord Carlisle, peu lié avec la famille, et n'ayant jamais eu l'occasion
+de connaître l'enfant, n'avait accepté qu'avec répugnance cette charge
+pénible; et comme ce titre le mettait surtout en rapport avec Mrs.
+Byron, il ne faut pas s'étonner qu'il ne désirât jamais pénétrer dans
+les détails de l'éducation de son pupille, plus qu'il n'y était
+rigoureusement obligé: ce qui l'en éloignait était la crainte de se
+trouver en opposition avec les habitudes violentes et capricieuses de la
+mère.
+
+D'un autre côté, si la réputation du dernier Lord eût été assez
+populaire pour piquer d'émulation son jeune successeur, peut-être
+l'envie salutaire de rivaliser avec les morts eût suppléé aux bons
+exemples des survivans, et nul esprit ne se serait plus facilement
+ouvert à cette louable émulation que celui de Byron. Mais
+malheureusement, comme nous venons de le dire, les circonstances étaient
+autres, et à la place d'un aussi désirable stimulant fut substituée une
+rivalité d'une espèce contraire. Les étranges anecdotes qui circulaient
+sur le feu Lord dans le pays où ses rudes et solitaires habitudes
+avaient laissé une trace d'effroi; ces anecdotes, dis-je, avaient frappé
+son imagination poétique, et réveillé dans son jeune esprit une espèce
+d'admiration pour des bizarreries qui lui semblaient un motif
+d'étonnement et de souvenir. On a même quelquefois supposé que ce fut le
+récit des bizarreries de son oncle, qui nourrit son imagination de ces
+sombres peintures et de ces figures idéales, qu'il sut par la suite
+revêtir de formes diverses et anoblies par son génie[20]. Mais, quoi
+qu'il en soit, on peut conjecturer que, dans sa pénurie de meilleurs
+modèles, les singularités de son prédécesseur immédiat eurent une grande
+influence sur ses goûts et son imagination. Une habitude, entre autres,
+qu'il semblait devoir à cet esprit d'imitation, et qu'il conserva toute
+sa vie, fut celle d'avoir ordinairement auprès de lui une arme d'une
+espèce quelconque; même encore enfant, il portait toujours de petits
+pistolets chargés dans la poche de sa veste.
+
+ [Note 20: Pourquoi donc accuser ces impressions, si les
+ effets en furent si admirables?
+ (_N. du Tr._)]
+
+La querelle du dernier Lord avec M. Chaworth avait pu d'ailleurs, dès
+l'origine, lier d'une sorte de connexité, dans son esprit, le nom de sa
+famille et l'habitude des duels; peut-être aussi les mortifications que
+lui faisait dévorer, ou du moins craindre, à l'école, son infirmité
+physique, trouvèrent une sorte de consolation dans l'espoir qu'un jour
+les lois du combat singulier lui permettraient de lutter avec le plus
+fort, à armes égales.
+
+Aussitôt après leur départ d'Écosse, Mrs. Byron, dans l'espoir d'obtenir
+sa guérison, avait confié son fils aux soins d'un individu de Nottingham
+qui se chargeait de ces sortes de cures: cet homme, charlatan de son
+métier, se nommait Lavender; son procédé était de frotter d'abord
+d'huile pendant long-tems le pied malade, puis de le tordre violemment
+et de le tenir comprimé dans une machine de bois. Pour que l'enfant ne
+fût pas, durant cet intervalle, retardé dans ses études, un respectable
+professeur venait lui donner des leçons de latin. M. Rogers, c'était son
+nom, lisait avec lui des morceaux de Virgile et de Cicéron, et ses
+progrès lui parurent alors, malgré sa jeunesse, extrêmement sensibles:
+toutefois, dans le cours de ses leçons, il éprouvait fréquemment de
+violentes douleurs, à cause de la position de son pied; un jour, M.
+Rogers lui dit: «Milord, je ne puis vous voir en proie à une douleur
+comme celle que vous souffrez.--N'y songez pas, M. Rogers, répondit
+l'enfant, vous ne vous en apercevrez plus.»
+
+Cet homme distingué, qui ne parle jamais de son élève que dans les
+termes les plus affectueux, se souvient de plusieurs exemples de la
+plaisante malice avec laquelle il aimait à se venger de son bourreau, en
+mettant à découvert sa fastueuse ignorance. Un jour il avait placé au
+hasard, sur une feuille de papier, toutes les lettres de l'alphabet,
+mais toutefois en les disposant de manière à simuler des mots et des
+phrases; il mit le papier sous les yeux du docte personnage en lui
+demandant quelle langue c'était: «De l'italien,» répondit notre homme,
+incapable d'avouer de bonne foi son ignorance. On conçoit que cette
+réponse fut accueillie par la joie immodérée et les insultans éclats de
+rire de notre jeune satirique, charmé du succès de ce premier piége
+tendu au charlatanisme.
+
+C'est par une suite de la profonde impression qu'il conservait de tout
+ce qui l'entourait dans sa jeunesse, et qui semblait un des traits
+distinctifs de son caractère, que plusieurs années après, se trouvant
+dans les environs de Nottingham, il envoya une lettre à son vieux
+précepteur, remplie de sentimens affectueux. Il avait même chargé celui
+qui la portait de dire à M. Rogers, qu'à compter d'un certain endroit de
+Virgile, qu'il désignait, il pouvait encore réciter une vingtaine de
+vers qu'il se souvenait fort bien d'avoir expliqués avec lui tandis
+qu'il souffrait le plus.
+
+C'est dans ce tems, au rapport de sa gouvernante May Gray, que se
+manifestèrent en lui les premiers indices de dispositions poétiques.
+Voici à quel propos: une dame âgée, qui faisait de fréquentes visites à
+sa mère, s'était servie à son égard d'expressions fort insultantes; et
+ces affronts, il en conservait ordinairement un ressentiment implacable.
+Cette dame s'était formé des idées singulières relativement à notre ame:
+elle s'imaginait qu'elle s'arrêtait dans la lune comme pour y subir une
+épreuve préliminaire avant d'aller plus loin. Un jour, Byron ayant reçu,
+comme il paraît, une seconde injure du même genre, se présente en fureur
+devant sa gouvernante: «Eh bien, mon petit héros, lui dit-elle,
+qu'avez-vous donc?» L'enfant répondit que cette vieille l'avait mis dans
+une affreuse colère, qu'il ne pouvait plus la supporter, etc., etc.;
+puis soudain il répéta plusieurs fois les mauvais vers suivans, charmé
+d'avoir trouvé un moyen d'exhaler sa bile:
+
+Dans le comté de Nott, demeure à Swan-Green une vieille maudite, si
+jamais il en fut, et quand elle mourra (promptement je l'espère) elle
+croit sur-le-champ qu'elle ira dans la lune.
+
+Ces vers ont peut-être été rajustés après coup; et lui-même, comme on va
+le voir, date d'une année plus tard son premier essai poétique, mais
+l'anecdote n'en fait pas moins connaître son caractère; c'est ce qui m'a
+décidé à la conserver.
+
+Dans le même tems les faibles revenus de Mrs. Byron reçurent une
+augmentation fort opportune sans doute, mais dont j'ignore le motif. Ce
+fut une pension sur la liste civile de 300 liv. st. de rente; la lettre
+suivante est une copie de l'ordonnance royale rendue à ce sujet:
+
+
+GEORGES ROI.
+
+Il nous a plu accorder à Catherine Gordon, veuve Byron, une rente
+annuelle de 300 livres, à commencer au 5 juillet 1799, pour continuer
+durant notre plaisir. Nous voulons et il nous plaît, qu'en vertu de
+notre lettre générale du sceau privé, sous la date du 5 novembre 1760,
+des fonds de notre trésor ou de l'échiquier applicables au service de
+notre liste civile, vous payiez à ladite Catherine Gordon, veuve Byron,
+ou à son ordre, ladite rente, à commencer du 5 juillet 1799, pour lui
+être servie par quartier ou autrement, dès que l'échéance sera arrivée;
+la présente sera votre garantie.
+
+ Le 2 octobre 1799; de notre règne la 39me.
+ _Par ordre de sa majesté_,
+
+ Signé W. PITT,
+ S. DOUGLAS.
+
+Peu satisfaite de l'opérateur de Nottingham, Mrs. Byron, pendant l'été
+de 1799, jugea convenable de conduire son enfant à Londres, où, d'après
+l'avis de Lord Carlisle, on le confia aux soins du docteur Baillie. Il
+était important de le placer dans une école paisible où l'on pût
+facilement lui faire suivre le régime que l'on adopterait pour sa
+guérison: on choisit à cet effet la maison de feu le docteur Glennie à
+Dulwich; et comme en outre on jugea à propos de lui donner une chambre à
+coucher séparée, le docteur Glennie avait fait placer un lit dans son
+propre cabinet pour son nouvel élève. Mrs. Byron, à son arrivée dans la
+ville après être restée peu de tems après lui à Newsteadt, prit un
+appartement à Sloane-terrace, et, sous la direction du docteur Baillie,
+on chargea l'un de messieurs Sheldrake de la construction d'une machine
+propre à redresser peu à peu la jambe de l'enfant[21]. On lui prescrivit
+de la modération dans tous les exercices du corps, mais le docteur
+Glennie trouvait le précepte plus facile à donner qu'à faire exécuter,
+et bien que l'enfant fût assez tranquille dans les heures d'étude, dès
+que celle des jeux sonnait, il ne montrait pas moins d'_émulation_ dans
+tous les exercices athlétiques que les enfans les plus robustes de
+l'école: «émulation,» ajoute le docteur Glennie, avec lequel j'ai eu
+quelques entretiens peu de tems avant sa mort, «que j'ai en général
+remarquée dans les jeunes enfans affectés de semblables défauts
+naturels[22].»
+
+ [Note 21: Dans une lettre adressée dernièrement par M.
+ Sheldrake à l'éditeur d'un journal médical, on établit que la
+ personne du même nom qui fut appelée à Dulwich auprès de Lord
+ Byron doit à une méprise cet honneur, et ne fit rien pour sa
+ guérison. L'auteur de la lettre ajoute qu'il fut lui-même
+ consulté par Lord Byron, quatre ou cinq années plus tard, et
+ bien qu'il n'ait pu alors entreprendre la guérison du pied à
+ cause du peu de docilité de son noble patient, il parvint
+ cependant à lui construire une sorte de soulier qui allégea
+ l'inconvénient de son infirmité.]
+
+ [Note 22: «Quoique, dit Alfieri en parlant de son tems
+ d'étude, je fusse le plus petit de tous les _grands_ qui se
+ trouvaient au second appartement où j'étais descendu, c'était
+ précisément mon infériorité de taille, d'âge et de force, qui
+ m'engageait à me distinguer.]
+
+Comme le jeune écolier avait reçu les élémens de la langue latine
+suivant le système d'enseignement adopté à Aberdeen, il eut de la peine
+à revenir sur ses pas, et se trouva, comme cela arrive souvent, retardé
+dans ses études et embarrassé dans ses souvenirs, par la nécessité de se
+soumettre au mode d'enseignement suivi dans les écoles anglaises. «Je
+m'aperçus, dit le docteur Glennie, qu'il montra d'abord de l'ardeur et
+obtint des succès: il était gai, toujours de bonne humeur et chéri de
+ses camarades; il connaissait nos poètes et nos historiens bien mieux
+que les enfans de son âge, et dans mon cabinet il trouvait à sa
+disposition une foule de livres capables de flatter son goût et de
+satisfaire sa curiosité, entre autres une collection de poètes, depuis
+Chaucer jusqu'à Churchill, que je serais tenté de croire qu'il parcourut
+depuis le commencement jusqu'à la fin. Il avait encore à cet âge une
+connaissance étendue de la partie historique des saintes écritures; il
+aimait à m'en entretenir, surtout après nos exercices pieux du dimanche
+soir, et quand il lui arrivait de raisonner sur les faits racontés dans
+nos livres sacrés, il le faisait avec l'air d'être persuadé des vérités
+divines qu'ils renferment. Que les impressions de son enfance, dit
+encore la même personne, se soient conservées plus tard dans sa mémoire,
+malgré ses habitudes d'une vie irrégulière, c'est ce qu'on ne peut guère
+révoquer en doute après avoir lu ses ouvrages sans prévention, et je
+n'ai jamais pu m'ôter de la tête que, dans les étranges désordres qui
+malheureusement marquèrent sa carrière, il n'ait dû souvent trouver bien
+difficile de violer les excellens principes qu'il avait d'abord
+adoptés.»
+
+J'aurais dû mentionner, parmi les traits caractéristiques de sa
+jeunesse, et d'après le récit du mari de sa première gouvernante, qu'il
+montrait dès-lors, et dans toutes les occasions, un esprit investigateur
+en matières religieuses.
+
+Le docteur Glennie ne fut pas long-tems sans s'apercevoir que la mère
+était beaucoup plus difficile à conduire que l'enfant. Tout en
+professant la plus entière déférence pour les représentations de
+l'habile instituteur, quant à la nécessité de ne pas interrompre les
+études de son fils, Mrs. Byron n'avait ni assez de raison, ni assez
+d'empire sur elle-même, pour confirmer ses paroles par ses actions; en
+dépit des remontrances du docteur et des injonctions de Lord Carlisle,
+elle ne laissa pas d'intervenir dans les détails de l'instruction de son
+fils, et comme on pouvait l'attendre d'une mère tendre, impérieuse et
+passionnée. En vain lui représentait-on que dans toutes les
+connaissances élémentaires exigées d'un jeune homme que l'on destinait à
+l'une des grandes écoles publiques, Lord Byron était fort en arrière, et
+que pour suppléer à ce défaut il n'avait pas trop de tous ses instans;
+Mrs. Byron paraissait bien comprendre la justice de ces observations,
+mais elle s'embarrassait peu d'en profiter, et n'en continuait pas moins
+à déranger sans cesse le professeur et l'enfant. Peu satisfaite
+d'emmener son fils du samedi au lundi à _Sloane-terrace_, contre la
+volonté du docteur Glennie, elle le retenait fréquemment chez elle une
+semaine de plus; et pour ajouter encore à la distraction née de ces
+interruptions, elle réunissait autour de lui un cercle nombreux de
+jeunes amis, sans mettre dans ses choix beaucoup de sagacité. En
+pouvait-il être autrement? se demande le docteur Glennie. «Mrs. Byron
+était totalement étrangère à la société et aux manières anglaises; avec
+un extérieur peu prévenant, une intelligence assez bornée et un esprit
+singulièrement peu cultivé, elle avait conservé tous les préjugés nés
+des opinions et des habitudes du nord. Je ne pense donc pas faire la
+moindre injure à sa mémoire en déclarant que Mrs. Byron n'était pas
+précisément une Mrs. Lambert, ornée des facultés capables de redresser
+les torts de la fortune, et de former l'esprit et le caractère d'un
+jeune homme de bonne famille.»
+
+Plus d'une fois l'intervention de Lord Carlisle, dont il fallut alors
+invoquer l'autorité, avait mis quelque obstacle à cette indulgence
+inopportune. Grâce à un tel soutien, le docteur Glennie osa bien
+s'opposer à la sortie du samedi, dont on avait tant abusé; mais les
+scènes violentes auxquelles il était en butte à chaque nouveau refus
+auraient pu lasser la patience de tout autre professeur moins
+consciencieux et moins zélé. Mrs. Byron, dont les accès d'emportement
+n'étaient pas comme ceux de son fils, _des silencieuses rages_, se
+laissait souvent entraîner à des cris dont les écoliers et les valets
+recevaient la confidence. C'est au point que le docteur Glennie eut un
+jour le chagrin d'entendre un camarade de son noble élève lui dire:
+«Byron, ta mère est une sotte;» à quoi l'autre répondit gravement: «Je
+le sais bien.» Par suite de toutes ces violences et de ces
+incompatibilités de mœurs, Lord Carlisle finit par ne plus se mêler de
+son pupille, et l'instituteur ayant sollicité une autre fois le bénéfice
+de son intervention, il répondit: «Je ne veux plus rien avoir à démêler
+avec Mrs. Byron, tirez-vous-en comme vous pourrez avec elle.»
+
+Parmi les livres que l'enfant pouvait consulter dans le cabinet du
+docteur Glennie, était une brochure écrite par le frère d'un de ses
+meilleurs amis, et intitulée: _Relation du naufrage de la Junon sur la
+côte d'Arracan, en l'année 1795_; l'auteur avait été officier en second
+du vaisseau, et le récit qu'il avait envoyé à ses amis des souffrances
+de leur équipage leur avait paru assez touchant et assez extraordinaire
+pour être publié. La brochure ne flatta que faiblement, à ce qu'il
+paraît, l'opinion publique; mais elle était à Dulwich la lecture
+favorite des jeunes élèves, et l'impression qu'elle laissa sur l'esprit
+observateur de Byron contribua peut-être à lui suggérer le désir
+d'étudier toutes les relations de naufrages, afin de mieux retracer la
+grande et magnifique scène du même genre que l'on trouve dans _Don
+Juan_. Les passages suivans de la brochure ont été adoptés, comme on va
+le voir, avec de faibles changemens, par notre poète, sauf quelques
+incidens:
+
+«De ceux qui n'étaient pas immédiatement auprès de moi, je ne sais rien,
+si ce n'est par leurs cris. Quelques-uns résistaient long-tems et
+mouraient dans une agonie complète, mais ce n'était pas toujours ceux
+dont la faiblesse était plus sensible qui succombaient avec moins de
+peine, quoiqu'il en arrivât quelquefois ainsi. Je me rappelle
+particulièrement les exemples suivans: le valet de M. Wade, garçon fort
+et robuste, mourut instantanément et presque sans murmurer, tandis qu'un
+autre jeune homme du même âge, mais d'un extérieur moins robuste,
+résista beaucoup plus long-tems. La destinée de ces malheureux jeunes
+gens fut encore différente sous un autre rapport mémorable. Leurs pères
+à tous deux étaient dans les hunes à l'instant où leurs enfans
+commencèrent à être malades; le père du valet de M. Wade apprit avec
+indifférence l'état de son fils, _il ne pouvait rien faire pour lui, il
+l'abandonnait à son sort_. L'autre, quand il reçut la même nouvelle,
+descendit à la hâte, et, saisissant le moment favorable, se traîna le
+long du plat-bord jusqu'à son fils qui était dans les agrès de mizaine;
+cependant il ne restait plus que trois ou quatre planches du gaillard
+d'arrière, justement sur la galerie contiguë à l'autre; c'est là que le
+père infortuné transporta son fils et l'attacha à la rampe pour
+l'empêcher d'être emporté par les flots: quand le jeune homme était
+saisi d'un accès de vomissement, le père le soulevait et essuyait
+l'écume qui couvrait ses lèvres; s'il survenait une pluie d'orage, il
+lui ouvrait la bouche pour qu'il pût en recevoir les gouttes, ou bien
+les exprimait d'un linge où il les avait recueillies. C'est dans cette
+situation douloureuse qu'ils restèrent tous deux quatre ou cinq jours,
+après lesquels l'enfant expira. Le malheureux père, comme s'il n'eût pu
+croire à ce qu'il voyait, se mit à soulever le corps, à le regarder
+attentivement; et quand enfin il ne conserva plus aucun doute, il le
+regarda en silence jusqu'au moment où la mer l'emporta; alors,
+s'enveloppant dans une pièce de toile, il tomba à terre et ne se releva
+plus. Il doit cependant avoir vécu deux ou trois jours au-delà, comme
+nous le jugeâmes d'après les tremblemens convulsifs de ses jambes, quand
+une vague venait à le couvrir[23].»
+
+[Note 23: Le passage suivant est la traduction qu'a tentée Lord Byron de
+ce touchant récit, et tous les lecteurs jugeront que c'est un des
+exemples dans lesquels la poésie est forcée de céder la palme à la
+prose. Il y a dans la dernière phrase de la relation originale un
+sublime que les artifices de la mesure et de la rime affaiblissent
+nécessairement, et que nuls vers, quelles que soient leurs beautés, ne
+sauraient exprimer avec moitié autant de force et de naturel.
+
+ 87. Dans cette déplorable troupe, il y avait deux pères et
+ avec eux les deux fils. L'un de ceux-ci paraissait le plus
+ robuste et le mieux portant; il mourut des premiers. À
+ l'instant de sa mort, son plus proche voisin en avertit le
+ père, qui dit, en jetant les yeux sur lui: «Je n'y puis rien,
+ la volonté de Dieu soit faite!» Et sans une larme ou soupir,
+ il vit jeter son corps à la mer.
+
+ 88. Le second père avait un fils plus faible, aux joues
+ décolorées, au maintien délicat. Ce jeune homme résista
+ long-tems, et se roidit contre sa destinée avec une patiente
+ tranquillité d'esprit. Il parlait peu, et de tems en tems il
+ souriait pour alléger le poids des mortelles pensées qui
+ oppressaient d'autant plus le cœur de son père, qu'il voyait
+ son fils les supporter comme lui.
+
+ 89. Penché sur son corps, le père ne levait pas les yeux de
+ dessus son visage; il essuyait l'écume qui couvrait ses
+ lèvres, et n'avait d'attention que pour lui. Quand la pluie
+ tant désirée vint enfin à tomber, et que les yeux de
+ l'enfant, déjà demi-voilés d'une membrane épaisse, vinrent à
+ briller et à remuer pour un instant, il exprima quelques
+ gouttes de pluie dans sa bouche expirante:--ce fut en vain.
+
+ 90. L'enfant mourut.--Le père demeura long-tems attaché sur
+ son corps; mais enfin, quand la mort se montra à découvert,
+ et que le poids insensible pressé contre son cœur ne lui
+ donna plus de mouvement ni d'espérance, il ne le perdit pas
+ des yeux, jusqu'au moment où une vague impitoyable éloigna le
+ corps du lieu d'où il avait été jeté. Alors il tomba lui-même
+ roide et glacé, ne donnant d'autre signe de vie que
+ l'agitation convulsive de ses jambes.
+
+ Le lecteur trouvera le récit de la perte de _la Junon_ dans
+ la _Collection des naufrages et désastres maritimes_, à
+ laquelle Lord Byron eut habilement recours, pour y puiser les
+ connaissances techniques et les circonstances de sa belle
+ description.]
+
+Ce fut sans doute pendant les vacances de cette année que sa jeune
+cousine, miss Parker, en faisant naître en lui une passion enfantine,
+eut la gloire de lui inspirer ses premiers essais poétiques; c'est à
+elle du moins qu'il attribué cet heureux effet. «Mes premiers essais
+poétiques, dit-il, remontent à 1800, c'était l'ébullition d'une belle
+passion pour ma cousine germaine, Marguerite Parker, fille et
+petite-fille des deux amiraux Parker, l'une des plus belles de ces
+jeunes filles qui, comme des fleurs, périssent dans leur printems. J'ai
+oublié depuis long-tems les vers; mais elle, il me serait difficile de
+l'oublier; ses yeux noirs, ses longs cils, son profil d'un style
+tout-à-fait grec! J'avais alors douze ans, elle était un peu plus âgée,
+peut-être d'un an. Elle mourut, un ou deux ans après, des suites d'une
+chute; elle s'était brisé l'épine du dos, et cet accident amena la
+consomption. Sa soeur _Augusta_, que quelques-uns regardaient comme plus
+belle encore, périt de la même maladie, et c'est même en lui prodiguant
+ses soins que Marguerite éprouva l'accident qui occasionna sa propre
+mort. Ma sœur m'a dit que quand elle alla la voir peu de tems avant sa
+fin, mon nom ayant été cité par hasard, le rouge monta à la figure de
+Marguerite, quoique la mort fut déjà dans ses yeux, au grand étonnement
+de ma sœur, qui, vivant avec sa grand'mère lady Holderness, et ne me
+voyant que rarement, pour raisons de famille, ne savait rien de notre
+attachement, et ne pouvait concevoir comment mon nom faisait un tel
+effet sur elle dans un tel moment. Je ne sus rien de sa maladie qu'après
+sa mort; j'étais à cette époque à Harrow ou dans la campagne. Quelques
+années après, j'essayai une élégie; elle était bien plate[24].
+
+ [Note 24: Cette élégie est la première de son volume non
+ publié.]
+
+«Je ne me rappelle rien d'égal à la beauté transparente de ma cousine,
+ou à la douceur de son caractère, pendant la courte période de notre
+intimité. _On l'eût dite faite d'un arc-en-ciel_: tout en elle était
+paix et beauté.
+
+«Ma passion eut sur moi ses effets habituels: je ne pouvais ni dormir,
+ni manger, ni reposer, bien que j'eusse toutes les raisons de croire
+qu'elle m'aimât. Mon tourment de chaque jour était de penser au tems qui
+devait s'écouler avant que je la revisse: c'était ordinairement douze
+heures. J'étais alors bien fou, et maintenant je ne suis guère plus
+sage.»
+
+Il y avait deux ans qu'il était sous la garde du docteur Glennie, quand
+sa mère, mécontente de la lenteur de ses progrès, lenteur dont elle
+pouvait, comme nous l'avons vu, s'accuser avant tous les autres, pressa
+tellement lord Carlisle de le faire passer dans une école publique, que
+celui-ci finit par accéder à ses vœux. «En conséquence, dit le docteur
+Glennie, il entra à Harrow aussi mal préparé qu'il est naturel de le
+supposer, après deux années d'instruction élémentaire, et
+continuellement dérangé par tout ce qui pouvait distraire son jeune
+esprit de l'école et de toute étude sérieuse.»
+
+Ce sage instituteur ne vit plus que rarement Lord Byron à compter de ce
+moment; mais à en juger par ce qu'en disent Mrs. Glennie et lui, il est
+clair qu'ils le suivirent toujours avec intérêt dans le reste de sa
+carrière; ils virent ses déviations, mais à travers le prisme flatteur
+d'une affection réelle; et dans ses aberrations les plus étranges, ils
+conservèrent la trace des belles qualités qu'ils avaient chéries et
+admirées dans son enfance. Au reste les affectueux sentimens du docteur
+Glennie furent mis à une rude épreuve, quand en 1817 il visita Genève,
+peu de tems après le départ de Lord Byron de cette ville, et au moment
+où sa réputation personnelle était frappée de la plus grande
+impopularité; ceux qui voyaient dans le docteur Glennie son ancien
+maître, ne manquaient pas d'accuser ce dernier de l'avoir mal élevé, ou,
+pour employer leurs propres expressions, de n'en avoir pas fait un
+meilleur sujet.
+
+Tandis que Lord Byron venait continuer à Londres son éducation, sa
+gouvernante May Gray quittait le service de sa mère et retournait dans
+son pays natal, où elle mourut il y a trois ans environ. Elle s'était
+mariée convenablement; et dans l'une de ses dernières maladies elle
+recevait les soins du docteur Ewing d'Aberdeen, qui, ayant toujours été
+admirateur enthousiaste de Lord Byron, éprouva autant de joie que de
+surprise de trouver une ancienne servante de son poète favori, dans une
+femme qu'il avait soignée plusieurs années. Comme on peut le supposer,
+il recueillait avec avidité de la bouche de sa malade toutes les
+particularités qu'elle pouvait se rappeler des premiers jours de sa
+seigneurie. Toutes ces communications, M. Ewing nous en a fait la
+confidence; c'est à lui que nous devons une partie des anecdotes que
+nous avons citées.
+
+Byron, au départ de May Gray, voulut lui donner un témoignage de sa
+reconnaissance pour les soins qu'elle avait eus de lui; il lui donna sa
+montre, la première qu'il eût eue en sa possession. La fidèle
+gouvernante conserva ce précieux souvenir jusqu'à sa mort, comme une
+sorte de trésor; et aussitôt après, son mari la donna au docteur Ewing,
+qui l'apprécia également comme une relique du génie. L'affectueux enfant
+lui avait aussi donné son portrait, grande miniature en pied peinte par
+Kay d'Édimbourg, en 1795. Il s'y trouve représenté tenant à la main un
+arc et des flèches, avec les plus beaux cheveux du monde tombant sur ses
+épaules. Ce morceau curieux est également passé dans la possession du
+docteur Ewing.
+
+Byron étendit les effets de sa reconnaissance à la sœur de cette femme,
+qui avait été sa première gouvernante. Il lui écrivit quelques années
+après son départ d'Écosse, et dans les termes les plus aimables; il
+s'informait de sa santé, et lui apprenait avec joie que son pied s'était
+assez bien redressé pour lui permettre de se servir de bottes
+ordinaires; «événement qu'il avait si long-tems désiré, et qui lui
+ferait sans doute à elle-même le plus vif plaisir.» Il accompagna sa
+mère à Cheltenham durant l'été de 1801, et le récit qu'il fait de ses
+propres sensations à cette époque nous montre à quel âge prématuré il
+était familier avec les impressions poétiques. Un enfant qui contemple
+avec émotion le soleil couchant sur les hauteurs, parce qu'il lui
+rappelle les montagnes où il a passé sa jeunesse, a déjà sans doute le
+cœur et l'imagination d'un poète. Ce fut pendant ce voyage à Cheltenham
+qu'une diseuse de bonne aventure, consultée par sa mère, fit sur lui une
+prédiction à laquelle il pensa quelque tems avec inquiétude. Mrs. Byron,
+dans sa première visite à cette femme (c'était, si je ne me trompe, la
+fameuse Mrs. Williams), s'était donnée pour une demoiselle; la sibylle
+toutefois ne s'y trompa point: elle déclara que celle qui la consultait
+était non-seulement mariée, mais la mère d'un fils boiteux; que ce fils
+était prédestiné, entre autres événemens qu'elle lisait dans les astres,
+à courir les dangers d'un empoisonnement avant sa majorité; qu'il serait
+deux fois marié, et la seconde fois à une étrangère.
+
+Après deux ans, le jeune Byron raconta ces particularités à la personne
+dont je tiens cette histoire, et il disait que l'idée de la première
+partie de la prédiction s'était souvent présentée à lui. Cependant la
+dernière partie semble avoir été plus près de se réaliser.
+
+Si on fait attention au caractère réservé de Byron dans sa jeunesse, et
+même jusqu'à un certain point dans toute sa vie, la transition d'un
+établissement paisible comme celui de Dulwich au fracas d'une grande
+école publique était assez difficile. Aussi trouvons-nous, d'après son
+propre témoignage, que, pendant les premiers dix-huit mois, _il haïssait
+Harrow_. Cependant son esprit actif et social finit par vaincre sa
+répugnance, et après avoir été, comme il le dit lui-même, _enfant fort
+impopulaire_, il parvint à se montrer le boute-en-train de tous les
+plaisirs et de toutes les espiégleries de l'école. Pour bien connaître
+ses dispositions et ses habitudes de ce tems-là, nous ne pouvons mieux
+faire que de nous en rapporter à la digne et respectable autorité du
+docteur Drury, qui était alors à la tête de l'école, et auquel Lord
+Byron a payé un tribut d'affection qui, semblable aux respectueux
+sentimens de Dryden pour le docteur Belly, uniront à jamais les deux
+noms du poète et de l'instituteur. Ce savant vénérable m'a fait passer
+le morceau suivant qui, malgré sa brièveté, présente d'importans détails
+sur l'impression que le jeune Lord fit alors sur lui.
+
+«Lord Byron avait treize ans et demi quand M. Hanson, son guide, vint le
+confier à mes soins. Il me fit remarquer que son éducation avait été
+négligée, et ajouta qu'il était mal préparé pour les études d'une école
+publique; mais qu'après tout il croyait à l'enfant de véritables
+dispositions. Aussitôt son départ, je pris dans mon cabinet le nouvel
+élève, et j'essayai de le faire parler, en m'informant de ses plaisirs,
+de ses habitudes, de ses amis dans son autre pension; mais je perdis
+presque entièrement mon tems, et je compris bientôt qu'on m'avait confié
+un jeune faon sauvage. Cependant il y avait de l'esprit dans ses yeux,
+et il fallait d'abord le lier d'amitié avec un enfant plus âgé, qui pût
+le familiariser avec les nouveaux objets qui l'entouraient et avec le
+système de la maison dont il allait faire partie. Mais ce qu'il apprit
+dans la conversation de son conducteur lui causa de la peine quand il
+sut que des élèves beaucoup plus jeunes que lui étaient bien plus
+avancés, et il se crut humilié de ne pouvoir rivaliser avec eux. Je m'en
+aperçus et m'empressai de le confier aux soins spéciaux de l'un des
+maîtres, comme répétiteur, en assurant l'enfant qu'il ne prendrait rang
+dans la classe qu'au moment où son travail lui permettrait de marcher
+avec ceux de son âge. Cette promesse lui plut, et dès-lors il fut plus à
+son aise avec ses camarades, car pendant un certain tems il gardait une
+sorte de timidité. Ses manières et son caractère me firent bientôt juger
+qu'il était plus facile de le conduire avec un fil de soie qu'avec un
+câble; et je me réglai sur ce principe. Après quelque séjour à Harrow,
+et comme son esprit commençait à se développer, lord Carlisle, son
+parent, exprima le désir de me voir; j'allai trouver sa seigneurie. Son
+but était de m'apprendre quels étaient les biens à venir de Byron; il me
+représenta ses espérances de fortune comme bornées, et voulut savoir
+quelle était sa capacité. Je ne fis pas d'observation sur ses premières
+confidences, et je répondis à sa question: _Il a des talens, milord, qui
+ajouteront de l'éclat à son rang_. En vérité!!! répondit sa seigneurie,
+avec un air de surprise qui n'indiquait pas, à mon avis, toute la
+satisfaction que j'en attendais. Quant à son talent pour l'art oratoire,
+voici la circonstance à laquelle vous faisiez allusion. Les hautes
+classes de l'école avaient composé de ces sortes de déclamations qui,
+après avoir été corrigées par les répétiteurs, étaient portées au
+professeur; alors ceux qui les avaient faites les répétaient, afin qu'on
+pût réformer leurs gestes et leur accent, avant qu'ils les prononçassent
+en public. Je fus, en cette occasion, enchanté de l'attitude, de la
+prononciation et des gestes de Lord Byron, non moins que de son travail
+en lui-même. Tous les jeunes orateurs ne manquaient pas de suivre à la
+lettre leur composition écrite: Lord Byron fit de même dans la première
+partie de son travail; mais à ma surprise, il s'écarta tout d'un coup de
+son manuscrit, et avec assez de hardiesse et de rapidité pour me faire
+craindre de le voir manquer de mémoire pour la conclusion. Mes alarmes
+n'étaient pas fondées, il fournit sa carrière sans hésitation et sans le
+moindre embarras. Je lui demandai, pourquoi il avait ainsi altéré sa
+composition; il me répondit qu'il n'y avait rien changé, et qu'il ne
+s'était pas aperçu qu'il s'en fût écarté le moins du monde. Je le crus,
+et d'après l'expérience que j'avais de sa manière d'être, je compris
+qu'étant plein de son sujet, il avait involontairement substitué des
+expressions et des couleurs plus vives à celles que sa plume avait
+tracées.»
+
+Le docteur Drury, en me communiquant ces détails, ajoute un fait qui
+atteste tout le cas que Lord Byron fit toujours des opinions de son
+vieux maître, même quand il fut au faîte de sa gloire.
+
+«Après ma retraite d'Harrow, je reçus de lui deux lettres pleines
+d'affection, et dans mes visites à Londres, à l'époque où ses ouvrages
+fascinaient les yeux du public, je lui demandai pourquoi il n'avait pas
+pensé à m'en faire tenir un seul, comme c'était son devoir. _C'est_, me
+dit-il, _parce que vous êtes le seul homme auquel je crains de les voir
+lire_. Puis, après un court intervalle, il ajouta: _Que pensez-vous du
+Corsaire_?»
+
+Maintenant je vais mettre sous les yeux du lecteur les diverses notes
+sur sa vie au collége, qu'il a consignées lui-même dans plusieurs livres
+de souvenirs. Il n'est pas besoin de dire qu'étant son ouvrage, elles
+présenteront sur ce tems les particularités les plus fidèles et les plus
+curieuses.
+
+«J'avais dix-huit ans, tout singulier que cela puisse paraître, avant
+d'avoir jamais lu une _revue_; mais étant à Harrow, mes connaissances,
+sur toute sorte de sujets nouveaux, étaient assez grandes pour faire
+supposer que je devais aux revues toute ma science, attendu qu'on ne me
+voyait jamais lisant, mais toujours badinant, jouant, ou occupé à
+quelque méchanceté. La vérité est que je lisais en mangeant, au lit et
+partout où nul ne lisait; et avant d'avoir cinq ans j'avais lu toutes
+sortes de livres, à l'exception d'une revue: cette exception est ce qui
+me l'a fait remarquer. Je me souviens qu'en 1804, Hunter et Curzon
+m'ayant confié l'idée qu'on avait de moi au collége à ce sujet, je les
+fis bien rire en leur demandant d'un air surpris: et qu'est-ce donc
+qu'une revue? Au reste, elles étaient alors moins répandues. Trois
+années plus tard je les connus beaucoup mieux: mais enfin j'en lus une
+pour la première fois en 1806.
+
+«J'ai déjà dit qu'on remarquait à l'école l'étendue et la variété de mes
+connaissances générales; mais n'ayant aucune activité sous les autres
+rapports, je pouvais bien faire d'une haleine trente ou quarante
+hexamètres grecs fidèles à la prosodie, Dieu sait comme! mais d'un
+travail soutenu j'en étais incapable. Mes dispositions étaient plutôt
+celles de l'orateur ou du guerrier que celles du poète; et c'était
+l'opinion du docteur Drury, mon grand patron et le principal du collége,
+d'après ma faconde, ma turbulence, mon organe, mon talent de gestes et
+de déclamation, que je deviendrais un jour grand orateur[25]. Je me
+souviens que ma première déclamation le surprit, et qu'il m'en fit
+devant mes rivaux les plus vifs complimens à la première répétition, ce
+qui était étonnant, car il en était fort économe. Mes premiers vers de
+Harrow (j'entends vers anglais) furent la traduction d'un chœur du
+Prométhée d'Eschyles. M. Drury les reçut froidement; et personne ne
+prévoyait en moi, d'après eux, la moindre disposition poétique.
+
+ [Note 25: Pour mieux développer son talent dans ce genre,
+ Byron ne manquait pas de choisir pour les jours de discours
+ les passages les plus véhémens, comme le discours de Zanga
+ sur le corps d'Alonzo et le monologue de Léar. Dans l'une de
+ ces occasions publiques, il était convenu qu'il prendrait le
+ rôle de Drancès, et le jeune Peel celui de Turnus; mais Lord
+ Byron changea tout d'un coup d'idée et préféra le rôle de
+ Latinus, craignant, comme on le supposa, d'inspirer quelque
+ allusion ridicule avec cette raillerie de Turnus: _Ventosa in
+ lingua, pedibusque fugacibus istis_.]
+
+«Peel, cet orateur et cet homme d'état (car il l'était, l'est et le
+sera), était de la même _forme_ que moi; nous en tenions _la tête_ tous
+deux, suivant l'expression reçue. Nous étions bien ensemble; mais son
+frère était mon ami intime. Maîtres et écoliers nous avions conçu de
+Peel les plus grandes espérances, et il ne les trompa pas.
+
+«Pour les connaissances classiques, il était de beaucoup au-dessus de
+moi; comme orateur et acteur; on m'estimait au moins son égal. Hors de
+l'école j'étais toujours en partie et lui jamais, tandis qu'en classe il
+savait toujours ses leçons et moi rarement; mais quand une fois je les
+savais, je les savais presque aussi bien. Du reste, en instruction
+générale, en histoire, etc., etc., je pense que je lui étais supérieur,
+aussi bien qu'à la plupart des enfans de mon âge.
+
+«La merveille du collége, de notre tems, était George Sinclair, fils de
+sir John; il faisait, à la lettre, les exercices de la moitié des
+écoliers, des vers à volonté et des amplifications presque malgré
+lui..... Il était de mes amis; comme nous nous trouvions dans la même
+division, il me demandait souvent de le laisser faire mes devoirs,
+faveur que je lui accordais toujours avec empressement quand ils étaient
+difficiles, ou quand j'avais à faire quelqu'autre chose, ce qui
+m'arrivait au moins une fois par heure. Du reste, son humeur était douce
+et la mienne querelleuse. Il m'arrivait souvent de me battre pour lui,
+ou de battre les autres à son intention, ou bien encore de le battre
+lui-même pour le forcer à battre les autres quand je jugeais qu'il le
+devait pour l'honneur de sa taille. D'autres fois nous parlions
+politique, sujet sur lequel il était très-fort. Nous nous aimions
+beaucoup, et je conserve encore des lettres qu'il m'a écrites de
+l'école[26].
+
+ [Note 26: Malheureusement ses réponses à M. Sinclair sont
+ perdues. Je tiens de ce dernier qu'il y en avait une, entre
+ autres, où Lord Byron développait toute l'ombrageuse
+ sensibilité de son caractère. Elle exprimait le ressentiment
+ d'une insulte imaginaire, et commençait par l'apostrophe
+ boudeuse de _monsieur_!]
+
+«Un autre prodige effrayant de savoir, de talent et d'espérance était
+Clayton; j'ignore ce qu'il est devenu, mais c'était réellement un génie.
+Les amitiés de collége, étaient pour moi de véritables _passions_[27]
+(car je n'ai jamais senti à demi), et je ne pense pas que j'en aie
+conservé une seule; mais il faut dire que plusieurs de ceux qui me les
+inspirèrent n'existent plus. Ma liaison avec lord Clare fut l'une des
+premières et des plus durables dont je me souvienne, l'éloignement ayant
+pu seul la refroidir. Jamais je n'entendis prononcer le nom de _Clare_
+sans un vif battement de cœur, et remarquez-le, j'écris encore
+aujourd'hui sous le charme de mes impressions de 1803, 1804 et 1805,
+etc., etc.»
+
+ [Note 27: Dans l'un de ses journaux, et sous la date de 1808,
+ je trouve le passage suivant de Marmontel, qui sans doute
+ l'avait frappé comme s'appliquant à l'enthousiasme de ses
+ premières liaisons. «L'amitié, qui dans le monde est à peine
+ un sentiment, est une passion dans les cloîtres.»
+ (_Contes moraux_.)]
+
+J'emprunte l'extrait suivant à un autre de ses _Souvenirs_.
+
+«À Harrow, je tenais bien ma place au coup de poing[28]. Je crois me
+rappeler que je ne fus battu qu'une fois sur sept, et c'était avec
+H..... encore le drôle ne me battit que par l'intervention déloyale des
+gens de la maison où il mangeait, et où la scène se passait; je n'avais
+pas même de second. Je ne lui pardonnerai jamais, et je serais fâché de
+le rencontrer aujourd'hui, car certainement nous nous querellerions. Mes
+combats les plus mémorables furent avec Morgan, Rice, Raiesford et lord
+Jocelyn, mais nous restâmes toujours bons amis par la suite. J'étais un
+des enfans les moins aimés, cependant je finis par me faire respecter.
+J'ai gardé toutes mes amitiés de collége et toutes mes haines, si ce
+n'est relativement au docteur Butler, contre lequel je me révoltais, ce
+dont plus tard j'ai été fâché. Le docteur Drury, que je tourmentais
+aussi passablement, fut de tous mes amis le meilleur, le plus tendre, et
+j'ajouterai le plus sévère; je le regarde encore aujourd'hui comme un
+père.
+
+ [Note 28: M. d'Israeli, dans son livre ingénieux _sur le
+ caractère des gens de lettres_, a émis l'opinion que l'un des
+ indices du génie dans les jeunes gens est le dégoût des jeux
+ et des exercices du corps. Il cite en preuve Beattie, qui
+ peint ainsi son ménestrel idéal:
+
+ «Il avait toujours fui le bruit, les réunions, les fatigues,
+ et ne se souciait pas de paraître dans la tumultueuse mêlée
+ des écoliers; mais les forêts avaient pour lui le plus grand
+ charme.»
+
+ Son autorité la plus imposante est Milton, qui dit aussi de
+ lui-même:
+
+ «Étant enfant, nul jeu d'enfant ne m'était agréable.»
+
+ On ne peut appliquer ces règles générales, ni aux
+ dispositions ni au mérite des hommes de génie, si dans les
+ personnages cités par M. d'Israeli on reconnaît quelque
+ infirmité corporelle, et si dans plusieurs autres on peut
+ remarquer des goûts directement opposés. Une foule d'autres
+ poètes, comme Eschyles, Dante, Camoëns, se sont distingués à
+ la guerre, le plus turbulent des exercices; et si l'on est
+ obligé d'avouer qu'Horace fut mauvais cavalier, et que
+ Virgile ne savait pas jouer à la paume, on trouve d'un autre
+ côté que Dante fut aussi habile à la chasse qu'à l'escrime,
+ que Tasse sut également bien danser et manier le fleuret,
+ qu'Alfieri était bon cavalier, Klopstock bon patineur, Cowper
+ renommé dans sa jeunesse à la crosse et au ballon, et
+ qu'enfin Lord Byron excellait dans tous les exercices du
+ corps.]
+
+«P. Hunter, Curzon, Long et Tatersant furent les principaux objets de
+mon affection; je m'attachai encore à Clare, Dorset, C. Gordon, Debath,
+Claridge et J. Wingfield; ils étaient plus jeunes que moi, et je les
+gâtais par mon indulgence. Peut-être n'ai-je jamais aimé quelqu'un
+autant que le pauvre Wingfield, qui mourut à Coimbre en 1811, avant mon
+retour en Angleterre.»
+
+Un des plus frappans résultats de l'éducation en Angleterre c'est qu'on
+ne retrouve dans aucun pays autant d'exemples d'amitié vigoureuse formée
+dès l'enfance et conservée dans l'âge mûr, et que dans nulle autre
+contrée peut-être les sentimens d'affection pour la maison paternelle ne
+sont aussi rares ou du moins aussi faibles. Éloignés, comme ils le sont,
+des cercles de famille, dans un tems où leur cœur est le plus accessible
+aux sentimens affectueux, les enfans substituent naturellement aux liens
+de parenté ces amitiés de collége, qui, s'unissant ensuite aux scènes et
+aux événemens qui charmèrent leur jeunesse, conservent toujours sur eux
+la plus grande force. On peut observer des résultats tout-à-fait
+différens en Irlande, et je crois aussi en France, où le système
+d'éducation se lie mieux aux souvenirs domestiques. Là, la maison
+paternelle obtient une sorte de partage naturel et légitime dans le cœur
+des enfans; mais aussi les amitiés hors de ce cercle domestique sont en
+proportion moins vives et moins durables[29].
+
+ [Note 29: À huit ou neuf ans, on met l'enfant à l'école, et
+ dès-lors il dévient étranger dans la maison où il est né;
+ l'affection de son père est interrompue pour lui, et les
+ sourires de sa mère, ses tendres avis, la sollicitude de ses
+ parens, ne sont plus devant ses yeux. D'année en année, il se
+ sent vers eux moins d'entraînement, et il finit par perdre
+ ses premiers sentimens au point de se trouver plus heureux
+ partout ailleurs que dans sa famille.
+ (_Lettres de Cowper_.)]
+
+Pour un jeune homme comme Byron, rempli des sentimens les plus
+passionnés, et ne trouvant dans la maison maternelle de sympathie
+qu'avec la portion la moins noble de sa nature, le petit univers de
+l'école devait nécessairement mettre en jeu ses affections, et leur
+donner une extension extrême. Voilà pourquoi les amitiés qu'il contracta
+au collége se ressentirent beaucoup de ce qu'il désigne lui-même comme
+des _passions_. C'est le vide de pareilles affections dans ses foyers,
+et leur vivacité parmi _la sociale réunion d'Ida_, qu'il décrit ainsi
+dans l'un de ses premiers poèmes[30].
+
+ [Note 30: Même avant ses liaisons de collége, il avait montré
+ la même sorte d'attachement romanesque pour un enfant de son
+ âge, fils d'un de ses fermiers de Newsteadt. Dans deux ou
+ trois de ses premiers poèmes il ne s'arrête pas moins sur
+ l'inégalité que sur la chaleur de cette amitié.
+
+ «Que la folie sourie, en voyant ton nom et le mien unis par
+ l'amitié; la vertu roturière a plus de droit à ce sentiment
+ que le vice anobli.
+
+ «Bien que ton sort ne soit pas égal au mien, puisque ma
+ naissance m'appelle aux honneurs de la pairie, ne m'envie pas
+ cet éclat pompeux, un mérite modeste fait ton orgueil.
+
+ «Nos ames du moins se rencontrent égales, ton humble
+ condition n'est point une disgrâce pour ma position élevée;
+ notre commerce n'en sera pas moins doux, puisque le mérite
+ remplace en toi la naissance.»]
+
+N'y a-t-il point quelqu'autre cause qui rende ce mot d'enfance si cher à
+tout le monde? Ah! sûrement il y a une voix secrète qui nous dit tout
+bas que l'amitié sera doublement douce à celui qui est obligé de
+chercher des cœurs aimans, de les chercher hors du sein de sa famille,
+quand il ne peut les y trouver. Ces cœurs, chère _Ida_[31], je les ai
+trouvés dans ton sein, tu as été pour moi une famille, un monde, un
+paradis.
+
+ [Note 31: _Ida_, nom poétique de l'école d'Harrow.
+ (_N. du Tr._)]
+
+Cette première publication est remplie des témoignages les plus touchans
+de ses amitiés de collége; il n'est pas jusqu'aux reproches qu'il
+adresse à l'un d'eux, à propos de quelques griefs, qui ne portent un
+caractère de tendresse.
+
+Vous saviez que mon ame, que mon cœur, que ma vie étaient à vous en cas
+de danger; vous saviez que les années et la distance ne m'avaient pas
+changé, que je n'existais que pour l'amour et l'amitié.
+
+Vous saviez... mais pourquoi revenir en vain sur le passé? les liens qui
+nous unissaient sont rompus. Peut-être ce souvenir vous arrachera-t-il
+un jour des larmes tardives; vous soupirerez alors en songeant à celui
+qui fut votre ami!
+
+La description suivante de ce qu'il éprouvait après avoir quitté Harrow,
+quand il retrouvait dans le monde quelqu'un de ses anciens camarades, se
+rapproche beaucoup de la scène qui eut lieu en Italie, quelques années
+seulement avant sa mort, quand à la vue de son cher lord Clare, après
+une longue séparation, il se sentit touché jusqu'aux larmes par les
+souvenirs qu'il réveillait en lui.
+
+..... Si par hasard quelque figure que je me rappelle bien, quelque
+ancien camarade de mon enfance vient, une honnête joie peinte sur la
+figure, réclamer en moi son ami; mes yeux, mon cœur, tout montre que je
+suis encore un enfant: la scène éblouissante, les groupes bruyans qui
+m'entourent disparaissent devant l'ami que je viens de retrouver.
+
+On a vu par les extraits de son _journal_ que M. Peel était l'un de ses
+condisciples d'Harrow. La curieuse anecdote suivante, qui les concerne
+tous deux, m'a été rapportée par un ami de ce dernier, et je tâcherai de
+me rapprocher autant que possible des propres expressions du narrateur.
+
+Tandis que Lord Byron et M. Peel étaient à Harrow, un tyran[32], plus
+vieux de quelques années, réclama le droit de _basculer_ le petit Peel,
+droit que Peel, à tort ou à raison, ne voulut pas reconnaître. Mais sa
+résistance fut vaine: le tyran non-seulement le fit fléchir, mais il
+résolut d'infliger une punition à l'esclave réfractaire. Il se mit donc
+en devoir de lui administrer une espèce de bastonnade sur la partie
+interne du bras, que durant l'opération il avait comprimé de deux
+cordes, avec un talent cruel, pour rendre la douleur plus vive. Tandis
+que les coups se succédaient rapidement et que le pauvre Peel n'en
+pouvait déjà plus, Byron aperçut et comprit de suite les tourmens de son
+ami; il savait bien qu'il n'était pas assez fort pour chercher querelle
+au tyran et que d'ailleurs il était dangereux de l'approcher; toutefois
+il s'avance vers la scène de l'action, et le visage rouge de colère, les
+yeux pleins de larmes et une voix que l'indignation et la terreur
+rendaient incertaine, il lui demanda humblement qu'il voulût bien lui
+dire combien de coups il entendait infliger. «Et que t'importe? petit
+drôle! répondit l'exécuteur.--C'est que si vous y consentiez, repartit
+Byron, en présentant son bras, j'en prendrais la moitié.» Il y a dans ce
+petit trait un mélange de simplicité et de grandeur vraiment héroïque;
+nous pouvons sourire à notre aise des amitiés d'enfance, mais il est
+rare que celles de l'âge mûr soient capables d'une générosité comparable
+à celle-ci.
+
+ [Note 32: On appelle ainsi, dans les grands colléges
+ d'Angleterre, les élèves les plus anciens; ceux des dernières
+ classes sont désignés sous le nom d'esclaves. Il en était de
+ même à l'école polytechnique, il y a quelques années, et la
+ _bascule_ était également une servitude qu'imposaient les
+ élèves de deuxième année à ceux de la première.
+ (_N. du Tr._)]
+
+Parmi ses favoris d'école, on peut remarquer qu'un grand nombre étaient
+nobles, ou de familles nobles, tels que les lords Clare et Delaware, le
+duc de Dorset, et le jeune Wingfield. Une circonstance peut laisser
+croire que leur rang avait eu quelque part dans les motifs qui
+attirèrent Byron vers eux: un jour, celui de ses condisciples qui me
+raconta le fait, avait, en sa qualité de moniteur, mis lord Delaware sur
+sa liste de punition; Byron s'en étant aperçu, s'approcha de lui, en
+disant: «Wildman, je vois que vous avez mis Delaware sur votre liste; ne
+le faites pas frapper, je vous prie.--Pourquoi donc?--Je ne sais pas,
+mais enfin c'est mon collègue à la pairie.» Il est inutile d'ajouter que
+son intervention en pareil cas n'était rien moins qu'heureuse; car l'un
+des rares bienfaits de l'éducation publique est de faire tomber en
+quelque sorte ces distinctions artificielles, et de placer les jeunes
+plébéiens dans une égalité parfaite avec les pairs, bien que ces
+derniers puissent avoir leur revanche dans le monde.
+
+Il est vrai que, dans Lord Byron, le sentiment de sa supériorité
+nobiliaire était alors assez peu déguisé pour lui attirer fréquemment
+les moqueries de ses camarades; c'est, je crois, à Dulwich que son
+habitude de tirer orgueil de la prééminence qu'il trouvait dans un vieux
+baron anglais, sur tous les nouveaux pairs, lui fit donner le surnom de
+_vieux baron anglais_. Mais ce serait une erreur de croire que, soit à
+l'école, soit plus tard, il ait jamais été guidé par d'aristocratiques
+sympathies dans le choix de ses amis. Tout au contraire, suivant l'usage
+des hommes d'une extrême fierté, il préférait généralement pour _ses
+intimes_, ceux d'un rang inférieur au sien, et tels étaient presque tous
+ceux qu'il comptait à l'école parmi ses amis. D'un autre côté, ce qui le
+charmait le plus dans ses autres plus jeunes amis, c'était leur
+infériorité sous le rapport de l'âge et de la force. Elle lui permettait
+de se complaire encore dans son généreux orgueil, en prenant quand il le
+fallait, à leur égard, le rôle de protecteur.
+
+William Harness, qui était entré à Harrow à dix ans, tandis que Byron en
+avait quatorze, fut l'un de ceux qu'il aima le plus, par ce dernier
+motif, bien qu'il ait oublié d'en parler. Le jeune Harness, encore
+boiteux des suites d'un accident d'enfance, et à peine remis d'une
+maladie grave, était peu capable de surmonter les difficultés d'une
+école publique; Byron le vit un jour maltraité par un enfant beaucoup
+plus âgé et plus fort; il se hâta de prendre sa défense. Le lendemain,
+le petit enfant demeurait seul à l'écart; Byron vint encore à lui, et
+lui dit: «Harness, si quelqu'un te bat, dis-le-moi, et, si je puis, je
+le rosserai.» Il tint sa parole, et, dès ce moment, le protecteur et le
+protégé devinrent, malgré leur différence d'âge, des amis inséparables.
+Cependant leur amitié subit un refroidissement auquel Lord Byron, dans
+une lettre écrite après six ans, fait allusion avec tant de sensibilité,
+de franchise et de délicatesse, que je ne puis m'empêcher d'anticiper la
+date, et d'en donner ici un extrait.
+
+«Nous paraissons tous deux nous rappeler parfaitement, avec un mélange
+de plaisir et de regret, les jours que nous passions ensemble; et je
+vous jure bien sincèrement que je les compte au nombre des plus heureux
+de mes courts instans de bonheur. Maintenant je touche à ma majorité,
+c'est-à-dire que j'ai vingt ans et un mois; encore un an, et je
+parcourrai dans le monde ma carrière de folie. Alors j'avais quatorze
+ans: vous étiez presque le premier de mes amis d'Harrow, le premier
+certainement en estime, sinon en date; mais une assez longue absence
+d'Harrow, et de votre part de nouvelles liaisons, le contraste de votre
+conduite (décidément tout à votre avantage) et de ces habitudes
+turbulentes et querelleuses qui m'entraînèrent dans tous les genres de
+désordres, toutes ces circonstances se réunirent pour détruire une
+intimité que l'affection me pressait de continuer, et que la mémoire
+m'obligeait de regretter amèrement. Mais il n'est pas une particularité
+de cette époque, pas même une seule de nos conversations, qui ne reste
+encore aujourd'hui gravée dans mon esprit. Je n'en dirai pas davantage:
+cette assurance seule vous prouvera que si je n'y avais pas attaché de
+prix, je ne me souviendrais pas aussi bien de tout cela. Comme je me
+rappelle la lecture de vos _premiers essais_! Une autre circonstance que
+vous ignorez, c'est que les _premiers vers_ que j'essayai de faire à
+Harrow vous étaient adressés, vous deviez les voir; mais Sinclair en
+avait gardé la copie quand nous allâmes en vacance, et à notre retour
+nous avions cessé d'être liés; ils furent détruits, et certes ce ne fut
+pas une grande perte. Par ce fait, vous pouvez juger de mes sentimens à
+un âge où l'on ne saurait être hypocrite.
+
+«Je me suis arrêté plus que je ne pensais sur ce sujet, et je finirai
+par où j'aurais dû commencer. Nous étions autrefois amis, nous l'avons
+même toujours été, car notre séparation fut l'effet du hasard et non du
+refroidissement. J'ignore où notre destinée doit nous conduire l'un et
+l'autre; mais si l'occasion et quelque penchant vous décident à jeter
+une pensée sur un écervelé de mon espèce, vous me trouverez toujours
+sincère, et jamais assez aveugle sur mes défauts pour envelopper les
+autres dans leurs conséquences. Voulez-vous m'écrire quelquefois? Je ne
+dis pas souvent; mais enfin, si nous nous retrouvons, j'espère que nous
+serons l'un pour l'autre ce que nous _devions_ être et ce que nous
+_étions_.»
+
+Une autre preuve aussi forte de la vivacité de ses impressions de
+jeunesse, c'est, quand ses amis ont gardé un si petit nombre de ses
+anciennes lettres, le soin avec lequel il conserva toutes celles que lui
+adressèrent les principaux d'entr'eux, même les plus jeunes. Et si
+quelquefois ses correspondans oubliaient de dater leurs missives, sa
+fidèle mémoire, après plusieurs années d'intervalle, suppléait à leur
+oubli. Parmi ces souvenirs qu'il conservait si précieusement, il en est
+un qu'il serait injuste de ne pas citer, soit comme monument de
+l'énergie qui brillait au milieu de son langage enfantin, soit en
+mémoire des tendres et affectueux sentimens que leur lecture réveillait,
+comme on le verra plus tard, dans l'ame de Byron.
+
+À LORD BYRON, etc., etc.
+
+
+Harrow-la-Montagne, 28 juillet 1805.
+
+«Puisque vous avez paru assez peu mon ami pour me _dire des noms_ toutes
+les fois que vous me rencontriez ces jours derniers, je vous demande une
+explication, et je désire savoir si vous voulez que nous soyons aussi
+bons amis qu'auparavant. J'ai bien vu que ce mois-ci vous m'aviez
+absolument laissé là, sans doute pour vos nouvelles connaissances; mais
+il ne faut pas croire, parce que vous aurez dans la tête un caprice
+quelconque, que je reviendrai toujours à vous, comme certains autres le
+font, pour regagner votre amitié. Ne pensez pas que je sois votre ami
+par intérêt, et parce que vous êtes plus grand ou plus âgé que moi: non,
+cela n'est pas, et ne sera jamais. J'étais votre ami, et je ne le suis
+encore qu'à une condition: c'est qu'en me voyant vous ne me _direz plus
+des noms_. Vous avez bien vu, j'en suis sûr, que je n'aimais pas cela;
+pourquoi donc le faisiez-vous, si ce n'est parce que vous ne voulez plus
+être mon ami? et pourquoi le resterais-je, si vous me traitez mal? Je ne
+tiens à rien de pareil; vous pouvez bien laisser les autres m'attaquer,
+mais si vous vous moquez de moi, je serai bien plus malheureux.
+
+«Je ne suis pas un hypocrite, Byron, et je ne le serai jamais assez pour
+rester votre ami quand vous me _direz des noms_. Personne ne dira, j'en
+suis sûr, que je me sois abaissé pour regagner une amitié dont vous ne
+voulez plus. Pourquoi le ferais-je? ne suis-je pas votre égal? Quel
+intérêt y aurais-je? Quand vous me retrouverez dans le monde
+(c'est-à-dire si vous le voulez), vous ne pourrez m'avancer ou me
+protéger, ni moi vous. Je vous engage donc et vous demande, si vous
+tenez à mon amitié (ce qui n'est pas, à en juger par votre conduite), à
+ne pas me donner les noms que vous faites, ni à vous moquer de moi.
+Jusqu'alors il me sera impossible de vous nommer mon ami. Je vous serai
+obligé de me répondre de suite.
+
+»En attendant, je demeure votre...
+
+»Je ne puis dire votre ami.»
+
+
+Sur le dos de cette lettre était la note suivante, de la main de Byron:
+
+«Cette lettre et une seconde furent écrites à Harrow par mon _alors_ et
+toujours cher ami Lord de ***, quand nous étions camarades d'études. Il
+me les adressa à la suite de je ne sais plus quel malentendu, le seul
+qui s'éleva jamais entre nous; il fut d'ailleurs de courte durée, et je
+ne conserve cette lettre que pour la lui rappeler quand je le verrai,
+afin que nous puissions rire au souvenir de l'insignifiance de notre
+première et dernière querelle.»
+
+ BYRON.
+
+
+On retrouve dans une lettre du même enfant, écrite deux années plus
+tard[33], ces passages remarquables:
+
+«Votre dernière lettre m'a fait penser que vous étiez extrêmement piqué
+contre la plupart de vos amis, et même un peu contre moi, si je ne me
+trompe. Vous dites d'un côté: _Il n'est presque pas douteux que peu
+d'années ou de mois nous rendront aussi indifférens l'un à l'autre, que
+si nous n'avions pas passé ensemble une partie de notre vie_. En vérité,
+Byron, vous me faites injure, et je n'ai pas de doute, au moins je
+l'espère, que vous ne vous calomniiez vous-même.»
+
+ [Note 33: D'autres lettres encore offrent de curieuses
+ preuves de la sensibilité jalouse et passionnée de Byron.
+ Dans l'une d'elles, par exemple, nous voyons qu'il s'était
+ offensé que son jeune ami lui eût écrit _mon cher Byron_ au
+ lieu de _mon très-cher_; et dans une autre, qu'il avait eu de
+ la jalousie de quelques expressions échappées à son ami, à
+ l'occasion du départ de Lord John Russell pour l'Espagne.
+ «Vous me dites, lui répond-on, que jamais vous ne me vîtes
+ agité comme quand j'écrivis ma dernière lettre; pensez-vous
+ que j'eusse tort? J'avais reçu une lettre de vous le samedi,
+ où vous me disiez que vous quittiez l'Angleterre au mois de
+ mars pour six ans; et le lundi John Russell partait pour
+ l'Espagne. Mais pouvez-vous imaginer que je fusse plus triste
+ au sujet de Lord Russell, qui s'en va pour quelques mois, et
+ de qui j'aurai constamment des nouvelles, que relativement à
+ vos six années de voyage au bout du monde, pendant lesquelles
+ j'entendrai à peine parler de vous, et qui peut-être
+ m'empêcheront de vous revoir jamais? J'éprouve une véritable
+ peine de ce que vous me dites, que je dois vous excuser si
+ vous êtes jaloux de me voir plus affecté du départ d'un ami
+ qui était près de vous que de celui qui était éloigné. Il est
+ impossible que vous ayez pu croire un moment que l'absence de
+ John m'affectât plus que la vôtre. Je finis donc sur ce
+ sujet.»]
+
+Malgré ces habitudes de jeux et de paresse qui semblaient l'indice d'une
+certaine absence d'idées et de réflexions, il y avait des momens où le
+jeune poète rentrait profondément en lui-même et se livrait à des
+méditations incompatibles avec l'enjouement et l'insouciance de son âge.
+On montre encore dans le cimetière d'Harrow une tombe élevée, d'où la
+vue plane sur Windsor; c'était l'endroit favori où l'on savait si bien
+qu'il aimait à s'arrêter, que les enfans l'appelaient _la tombe de
+Byron_[34], et c'est là, dit-on, qu'il demeurait des heures entières
+abîmé dans ses pensées, ruminant dans la solitude ses premières
+inspirations sublimes et passionnées, et parfois, peut-être, entrevoyant
+déjà cet avenir de gloire qui lui inspirait, à peine âgé de quinze ans,
+ces vers remarquables:
+
+_Mon nom seul sera mon épitaphe_. S'il ne suffit pour honorer ma cendre,
+qu'aucune autre gloire ne me soit accordée en récompense. On ne doit
+voir que ce nom, ce nom seul sur mon tombeau; illustré par lui, ou comme
+lui à jamais oublié.
+
+ [Note 34: C'est à cette tombe que se rapporte ce passage des
+ _souvenirs d'enfance_, qui font partie de ses œuvres
+ inédites:
+
+ «Souvent, quand, oppressé de tristes pressentimens, je
+ m'asseyais incliné sur notre tombe favorite.»]
+
+Il passa quelque tems à Bath avec sa mère, pendant l'automne de 1802,
+et, quoique bien jeune, il prit assez de part aux plaisirs de ces lieux.
+Il parut dans un bal masqué, donné par lady Riddel, sous le costume d'un
+jeune Turc; modèle anticipé, quant à la beauté et au costume, de son
+jeune Sélim de la _Fiancée d'Abydos_. Au moment d'entrer dans la maison,
+quelqu'un de la foule essaya d'arracher le diamant qui attachait le
+croissant de son turban, mais l'un de ceux qui l'accompagnaient
+s'aperçut à tems de cette tentative de vol. La dame qui m'apprit cette
+anecdote, et qui voyait beaucoup alors Mrs. Byron, a bien voulu ajouter
+à son récit les remarqués suivantes: «J'ai vu beaucoup Lord Byron à
+Bath; sa mère m'a invité souvent à prendre le thé avec elle; il était
+toujours fort plaisant et original; quand la conversation tombait sur
+ses amis absens, il montrait un léger penchant à la satire, auquel plus
+tard il s'abandonna, comme chacun sait, avec une liberté entière.»
+
+Nous touchons maintenant à un événement qui, d'après sa profonde
+conviction, exerça sur sa vie et son caractère une influence vive et
+durable.
+
+Ce fut en 1803, que son cœur, déjà deux fois éprouvé, comme nous l'avons
+vu, par d'enfantines impressions d'amour, conçut un attachement qui,
+jeune comme il était encore, domina ses facultés au point de colorer
+d'une teinte particulière le reste de ses jours. Que les passions
+malheureuses soient en général les plus durables, c'est une triste
+vérité qui, pour être confirmée, n'avait pas besoin de ce nouvel
+exemple; mais peut-être faut-il attribuer à la même circonstance
+l'innocence parfaite de cet attachement pour miss Chaworth, qui le
+distingua, sans jamais l'effacer de son cœur, de tous ceux qui le
+suivirent. Comme c'est le seul sentiment du même genre dont les détails
+puissent être suivis sans dangers, ou dont les résultats, bien que
+douloureux, puissent être racontés, nous pensons qu'on s'y arrêtera avec
+plaisir.
+
+Mrs. Byron, en partant de Bath, vint séjourner à Nottingham, Newsteadt
+étant en ce tems-là loué à lord Grey de Ruthen; et pendant les vacances
+de Harrow, son jeune fils vint l'y rejoindre. Tel était son attachement
+pour Newsteadt, que c'était même un plaisir pour lui d'être dans son
+voisinage; aussi, avant d'avoir fait la connaissance de lord Grey, il
+lui arrivait souvent de passer la nuit dans une petite maison contiguë à
+la grande porte et qu'on appelle encore à présent la hutte[35]; mais
+bientôt des rapports d'amitié s'établirent entre son noble locataire et
+lui, et dès-lors il eut toujours à son service un appartement dans
+l'abbaye. Comme il avait, peu de tems auparavant, été présenté à Londres
+à la famille de miss Chaworth, qui, actuellement, résidait à Annesley,
+dans le voisinage immédiat de Newsteadt, il renouvela bientôt
+connaissance avec elle. La jeune héritière elle-même joignait à tous les
+avantages sociaux qui l'environnaient une grande beauté et les
+dispositions les plus aimables et les plus séduisantes.
+
+ [Note 35: Je tiens ce fait de l'un des vieux domestiques de
+ Newsteadt, mais je ne dissimulerai pas que d'autres n'aient
+ révoqué en doute ces haltes nocturnes à _la hutte_.]
+
+Le jeune poète avait déjà remarqué ses charmes; mais ce fut seulement à
+l'époque où nous sommes arrivés, comme il était dans sa seizième année
+et miss Chaworth dans sa dix-huitième, qu'il semble en avoir été
+complètement ébloui. Six courtes semaines d'été, écoulées près d'elle,
+suffirent pour éveiller une passion qui dura toute sa vie.
+
+D'abord, bien qu'on lui offrît un lit à Annesley, il avait l'habitude de
+revenir chaque nuit à Newsteadt, et le motif qu'il alléguait était sa
+frayeur des tableaux de famille des Chaworth, qui, s'imaginait-il,
+l'avaient pris en grippe en souvenir du duel de son oncle, et se
+seraient détachés la nuit de leurs cadres pour le tourmenter. À la fin
+il dit gravement un soir à miss Chaworth et à sa cousine: «La dernière
+nuit, en m'en retournant, j'ai vu un _bogle_.» Comme ce dernier mot
+écossais était complètement inintelligible pour les jeunes dames, il
+leur fit entendre que c'était un revenant, et qu'il ne voulait pas ce
+soir-là retourner à Newsteadt. À compter de là, il coucha toujours à
+Annesley jusqu'à ce que ses visites furent interrompues par une courte
+excursion à Matlock et à Castleton, dans laquelle il eut le bonheur
+d'accompagner miss Chaworth et ses parens. Voici la curieuse notice que
+l'on trouve de ce voyage dans l'un de ses livres-journaux:
+
+«J'avais quinze ans quand il m'arriva, dans une caverne du duché de
+Derby, de traverser dans une barque, où deux personnes seulement
+pouvaient rester couchées, un ruisseau qui coulait sous une roche; cette
+dernière était tellement proche de l'eau, que nous fûmes obligés de
+faire pousser la barque par un conducteur enfumé, espèce de Caron, qui
+se tenait derrière, entièrement courbé dans l'eau. J'avais alors pour
+second M. A. C., dont j'avais été passionnément amoureux sans le lui
+dire, mais non pas sans qu'elle le découvrît. Je me rappelle mes
+sensations, mais je ne puis les décrire. Notre société se composait de
+Mrs. W., des deux miss W...s, de M. et Mrs. Cl...ke, de miss R. et de ma
+M. A. C. Hélas! pourquoi dire _ma_? Notre mariage aurait apaisé des
+haines qui avaient fait couler le sang de nos pères; il aurait réuni des
+propriétés vastes et riches; au moins aurait-il réuni un seul cœur et
+deux êtres assez bien assortis pour l'âge (elle avait deux ans de plus
+que moi), et... et... et... qu'en est-il résulté?»
+
+Miss Chaworth prenait ordinairement part aux danses du soir, à Matlock,
+tandis que son amant restait à la contempler, solitaire et mécontent. Il
+est possible que le dégoût qu'il exprima toujours pour ce genre de
+plaisir soit venu de quelque sentiment amer éprouvé dans sa jeunesse en
+voyant la _dame de son cœur_ conduite par d'autres à la danse joyeuse
+dont lui-même était exclu. Un jour que la jeune héritière d'Annesley
+avait eu pour cavalier une personne qu'elle n'avait jamais vue, Byron
+lui dit, d'un air de dépit, quand elle vint reprendre sa place:
+«J'espère que vous aimez votre nouvel ami.» Ces paroles étaient à peine
+prononcées, qu'il se vit accosté par une dame écossaise, d'une tournure
+déplaisante, qui vint se recommander à lui comme cousine, et qui,
+mettant son orgueil à la torture à force de manières et d'expressions
+vulgaires, décida la belle miss Chaworth à lui dire à son tour à
+l'oreille: «J'espère que vous aimez votre nouvelle amie.» À Annesley, il
+passait la plus grande partie de son tems à faire des courses à cheval
+avec miss Chaworth et sa cousine, ou plongé dans une morne rêverie, les
+mains occupées de son mouchoir; ou bien tirant contre une porte qui
+donne sur la terrasse, et qui conserve encore les vestiges de ses
+balles. Mais son plus grand plaisir était de s'asseoir auprès de miss
+Chaworth lorsqu'elle faisait de la musique; son air favori était la
+jolie chanson galloise _Maryanne_, sans doute principalement à cause de
+son nom. Pendant tout ce tems, il avait la douleur de voir celle qu'il
+aimait, entièrement occupée d'un autre amour; et comme il le dit
+lui-même:
+
+«Ses soupirs n'étaient pas pour lui: pour elle il était un frère, mais
+rien de plus.»
+
+Il n'est pas même probable, si le cœur de miss Chaworth eût été libre,
+que Lord Byron eût été choisi par elle comme un objet d'attachement.
+Deux ans de plus donnent à une jeune fille une avance dans la vie,
+contre laquelle un homme ne peut pas lutter. Miss Chaworth ne voyait
+dans Byron qu'un collégien: ses manières étaient d'ailleurs alors dures
+et peu sociables; elles n'avaient, comme je l'ai entendu répéter vingt
+fois, rien de flatteur pour les jeunes filles de son âge. Si dans un
+moment d'illusion il s'était flatté d'inspirer quelque amour à la jeune
+miss, il dut être bientôt désabusé par une circonstance notée dans ses
+_Mémoires_ comme l'une des plus douloureuses humiliations auxquelles son
+infirmité l'eût exposé. Il entendit un jour miss Chaworth dire à sa
+femme de chambre: «Pouvez-vous croire que je me soucie jamais de ce
+petit boiteux?» Ces mots, comme il l'a rappelé lui-même, furent un coup
+de foudre pour lui. Il était nuit fermée quand il les entendit; mais il
+sortit à l'instant de la maison, et, sans rien voir devant lui, il
+courut sans s'arrêter jusqu'à Newsteadt.
+
+La peinture qu'il a faite de cet amour, dans l'un de ses plus touchans
+poèmes, _le Songe_, montre comment le génie et la sensibilité peuvent
+élever les réalités de cette vie, et donner un lustre immortel aux
+objets et aux événemens les plus communs. Sous le nom de l'_antique
+oratoire_, la vieille salle d'Annesley rappellera long-tems à
+l'imagination la vierge et l'adolescent qui s'y trouvèrent une fois
+réunis; tandis que l'image du coursier de l'amant, bien que le type en
+ait été la race laborieuse et peu poétique des chevaux de Nottingham,
+ajoute encore aux charmes généraux de la scène, et jette sur le tableau
+une portion de la lumière que le génie seul peut à son gré répandre.
+
+Au reste, dès cet âge encore tendre, il paraît avoir eu assez
+d'expérience de la vie galante pour savoir comment les premiers trophées
+peuvent conduire en amour à de nouvelles conquêtes; il se glorifiait
+souvent, auprès de miss Chaworth, d'un nœud de cheveux que lui avait
+donné quelque beauté sensible (sans doute cette jolie cousine dont il
+parle avec tant de chaleur dans l'une des notes que nous avons citées).
+Déjà, et il ne l'ignorait pas, il avait la beauté qui, malgré quelque
+tendance à l'excessif embonpoint de sa mère, lui promettait cette
+expression particulière qui donnait à ses traits tant de finesse et tant
+de charme. Mais avec les fêtes de l'été finit le rêve de sa jeunesse: il
+ne vit plus qu'une fois miss Chaworth l'année suivante, et il lui dit un
+dernier adieu, comme il le racontait souvent, sur cette montagne près
+d'Annesley, qu'il a si bien décrite dans son poème du _Songe_, comme
+étant _couronnée d'un particulier diadême_[36]. Personne, à l'entendre,
+n'aurait pu deviner tout ce qu'il éprouvait, car sa contenance était
+calme et ses sentimens comprimés. «La première fois que je vous
+reverrai, lui dit-il en la quittant, vous serez sans doute Mrs.
+Chaworth[37]?--Je l'espère;» telle fut sa réponse. C'était avant cette
+entrevue qu'il avait écrit au crayon, dans un volume des lettres de Mme
+de Maintenon, qui appartenait à la jeune miss, les vers suivans:
+
+ [Note 36: Parmi les vers inédits en ma possession, je trouve
+ les fragmens suivans, écrits quelque tems après cette époque:
+
+ «Collines d'Annesley, arides et nues, dans lesquelles s'égara
+ mon enfance imprudente, comme les tempêtes du nord grondent
+ et mugissent au-dessus de vos ombrages touffus! Aujourd'hui
+ les heures ne s'écoulent plus délicieusement dans ces
+ promenades chéries; le sourire de Marie ne fait plus de vous
+ un paradis pour moi.»]
+
+ [Note 37: Son mari prit en effet, pendant quelque tems, le
+ surnom de Chaworth.]
+
+Cesse, ô mémoire! de me tourmenter. Le présent est aujourd'hui décoloré
+pour moi: l'avenir ne m'offre plus d'espérances; et quant au passé, par
+pitié, cache-le-moi. Pourquoi ramener devant mes yeux ces images de ce
+que je ne reverrai pas? pourquoi me représenter ces délicieux instans à
+jamais évanouis? Le plaisir passé augmente la peine présente; le regret
+de ce qui n'est plus se joint à la douleur de ce qui est. Espérances,
+regrets, vous n'êtes plus que de vains mots: je ne demande plus qu'à
+vous oublier.
+
+L'année suivante, miss Chaworth épousa l'heureux rival de Byron. M. John
+Muster, l'un de ceux qui se trouvaient présens quand il en reçut la
+première nouvelle, raconte ainsi ce qui se passa alors en lui: «J'étais
+présent quand il apprit ce mariage, sa mère lui dit: _Byron, j'ai à vous
+apprendre une nouvelle.--Eh bien, qu'est-ce?--D'abord, tirez votre
+mouchoir, car vous en aurez besoin.--Quelle absurdité!--Prenez, dis-je,
+votre mouchoir_ (il le fit pour lui plaire), _miss Chaworth est mariée_.
+À ces mots une expression singulière et impossible à décrire se peignit
+sur sa pâle figure; il remit violemment son mouchoir dans sa poche,
+puis, avec une affectation de froideur et de nonchalance: _Est-ce là
+tout?_ dit-il.--_Comment, je m'attendais à vous voir accablé de
+douleur._ Il ne répondit rien, et bientôt après il ouvrit la
+conversation sur un autre sujet.»
+
+Sa vie d'Harrow présente les mêmes particularités. Pendant toute sa
+durée, comme il le dit lui-même, il était toujours jouant, se
+révoltant[38], _ramant_ et se livrant à toute sorte d'espiègleries.
+L'esprit de révolte dont il parle ici (bien qu'il n'ait jamais été
+jusqu'à lui inspirer des actes de violence) se manifesta à l'occasion de
+la retraite du docteur Drury, quand, à la place vacante, se présentèrent
+les trois candidats, Mark Drury, Evans et Butler. Dans le premier
+mouvement auquel cette rivalité donna lieu parmi les écoliers, le jeune
+Wildman se montra à la tête du parti de Mark Drury, tandis que Byron
+avait commencé par rester neutre. Mais dans l'espérance de l'avoir pour
+allié, l'un des membres de la faction Drury dit à Wildman: «Byron, je le
+sais, ne se joindra pas à nous, parce qu'il ne veut jamais de la seconde
+place; mais vous pourriez, en lui donnant la première, vous l'assurer.»
+Wildman suivit cet avis, et Byron prit en effet le commandement de la
+faction.
+
+ [Note 38: Gibbon, parlant des écoles publiques, dit: «La
+ scène comique d'une révolte de collége fait connaître, sous
+ leur véritable point de vue, les ministériels et les
+ indépendans de la génération nouvelle.» Mais de pareils
+ pronostics ne sont pas toujours sûrs; ainsi le doux et
+ paisible Addisson fut, étant au collége, chef d'un
+ soulèvement.]
+
+La violence qu'il mit dans son opposition au choix que l'on fit de
+Butler, et surtout la vive affection qui l'unissait au dernier maître,
+contribuèrent à aigrir les relations qu'il eut avec le nouveau directeur
+pendant le reste de son séjour à Harrow. Par malheur, Byron résidant
+dans les appartemens de Butler, les occasions de mésintelligence étaient
+on ne peut plus fréquentes. Un jour le jeune rebelle, dans un accès de
+défiance, arracha tous les grillages des fenêtres de la salle; et quand
+le docteur lui demanda le motif de cette violence, il répondit, avec un
+grand sang-froid: «Parce qu'ils obscurcissent la salle.» Une autre fois
+il lui avoua hardiment la haine qu'il avait contre lui. Ce fut long-tems
+la coutume que le maître, à la fin de chaque terme, invitât à dîner les
+élèves les plus âgés; et cette faveur, semblable aux invitations
+royales, était en général regardée comme un ordre. Lord Byron cependant
+y répondit par un refus; cela surprit beaucoup le docteur Butler, et, à
+la première occasion, il lui en demanda le motif devant les autres
+élèves: «Aviez-vous quelque autre engagement?--Non, monsieur.--Mais vous
+aviez donc une raison, Lord Byron?--J'en avais.--Et laquelle?--Parce que
+(répliqua le jeune pair avec une fierté composée) s'il vous arrivait de
+passer dans mon voisinage tandis que je serais à Newsteadt, je ne
+songerais certainement pas à vous inviter à dîner; en conséquence, je ne
+dois pas accepter une pareille invitation de votre part.» En général
+l'idée qu'avaient de lui ses professeurs à Harrow était celle d'un
+enfant paresseux, qui ne voulait jamais rien apprendre; et si l'on fait
+attention à ses habitudes ordinaires, on avouera que cette réputation
+n'était pas dépourvue de fondement. Il est impossible de jeter les yeux
+sur les livres dont il se servait, et qui sont couverts de translations
+interlignées, sans être frappé de l'absence de son attention. Les mots
+grecs les plus ordinaires ont leur traduction anglaise barbouillée à
+leur côté, et cette circonstance prouve bien qu'il ne les connaissait
+pas assez pour les traduire de mémoire. Ainsi, dans son Xénophon, nous
+trouvons νεοι, _jeunes_, σωμασιν, _corps_, ανθρωποις τοις αγαθοις, _bons
+hommes_, etc., etc.; et même, dans les volumes de pièces grecques qu'il
+vendit en partant à la bibliothèque du collége, nous remarquons, entre
+autres exemples, le mot usuel χρυσος flanqué de son synonyme anglais
+(or).
+
+Mais quelque faibles que fussent ses progrès dans les matières purement
+scolastiques auxquelles nous consacrons en pure perte une si précieuse
+portion de la vie[39], il n'en montrait pas moins des dispositions
+merveilleuses pour tous les genres variés d'instruction qui ne sont
+utiles que dans le monde. Né avec un esprit trop scrutateur et trop
+vagabond pour être facilement emprisonné dans des limites déterminées,
+il s'attachait à des sujets qui déjà intéressaient ses goûts virils, et
+que ne pouvait comprendre l'esprit purement pédantesque d'une école;
+mais ses accès irréguliers et violens de travail, dans cette direction,
+donnaient à son intelligence une impulsion bien plus haute que celle de
+ses condisciples les plus laborieux. La liste qu'il a faite de tous les
+ouvrages divers dont il avait à la hâte, et de son propre choix, dévoré
+les pages, avant d'atteindre sa quinzième année, est tellement
+considérable, qu'on a de la peine à y ajouter foi; et elle présente une
+telle masse de recherches, qu'elle pourrait défier les plus vieux
+_helluones librorum_.
+
+ [Note 39: Il est déplorable de songer à la perte de tems que
+ l'on fait subir aux enfans dans la plupart des colléges, en
+ les occupant pendant six ou sept ans à apprendre seulement
+ des mots, et encore d'une manière fort imparfaite.
+ (COWLEY, _Essai_.)
+
+ Si un Chinois entendait parler de notre système d'éducation,
+ ne supposerait-il pas que nous destinons tous nos jeunes gens
+ à professer des langues mortes dans les pays étrangers, et
+ non pas à faire jamais usage de la nôtre?
+ (LOCKE, _sur l'Éducation_.)]
+
+Il ne faut pourtant pas croire, d'après l'étendue et l'activité de son
+esprit, que Byron pût de lui-même choisir une direction privilégiée;
+quel que soit, en effet, le plan d'instruction d'un jeune homme de
+talent dans les grandes écoles et dans les universités d'Angleterre, il
+ne suppléera pas complètement à ce qui lui manque sous le rapport
+intellectuel, et pourra même l'exposer à des écarts embarrassans et
+dangereux[40]. Dans la difficulté ou même l'impossibilité absolue qu'il
+trouvera à combiner l'acquisition des connaissances pratiques avec les
+études de l'antiquité qui lui sont nécessaires pour obtenir les honneurs
+scolastiques, il devra choisir ou de porter toute son attention et ses
+vœux vers ce dernier objet, et alors il n'aura aucune idée de tout ce
+qui doit lui servir le plus dans le monde; ou d'adopter comme Lord Byron
+et d'autres personnages distingués le système contraire, et consentir à
+passer à l'école pour un élève incapable et paresseux, afin de se
+préparer des moyens de supériorité dans le monde.
+
+ [Note 40: Un excellent écolier peut quitter les bancs de
+ Westminster ou d'Eton dans une ignorance complète du train de
+ vie et de la conversation du monde anglais, vers la fin du
+ dix-huitième siècle.
+ (GIBBON.)]
+
+Les _souvenirs_ inscrits par le jeune poète dans ses livres d'école
+peuvent nous permettre de croire que dans un âge si tendre il prévoyait
+déjà vaguement que tout ce qui se rapportait à lui deviendrait par la
+suite un objet d'intérêt et de curiosité. La date de son entrée à
+Harrow[41], le nom des enfans qui furent ses moniteurs, la liste des
+chefs de classe parmi ses condisciples sous le docteur Drury[42], tout y
+est noté avec la dernière minutie, et comme pour former des points de
+retour pour l'histoire de sa vie. Un exemple touchant suffira pour
+montrer qu'il lui arriva plus d'une fois de s'arrêter à ces idées. Nous
+trouvons sur la première page de ses _Scriptores græci_ la suivante note
+écrite à la main: «George Gordon Byron, vendredi 26 juin, a. d. 1805,
+trois heures trois quarts de l'après-midi, classe de troisième, Calvert
+moniteur, Tem, Wildman à ma gauche et Long à ma droite.
+Harrow-la-Montagne.» Et sur la même feuille se trouve le commentaire
+suivant, écrit cinq ans plus tard:
+
+ _Eheu fugaces, Posthume! Posthume!
+ Labuntur anni_.
+ B., 9 janvier 1809.
+
+ [Note 41: Byron, Harrow-la-Montagne, dans le Middlesex,
+ _alumnus scholæ lyonensis privus, in anno domini_ 1801,
+ _Ellison duce_.
+
+ Moniteur en 1801: Ellison, Royston, Hunxman, Rashleigh,
+ Rokeby, Leigh.]
+
+ [Note 42: Chefs de classe de Drury, 1804: Byron, Drury,
+ Sinclair, Clare, Bolder, Annesley, Calvert, Strong, Acland,
+ Gordon, Drummond.]
+
+«Des quatre personnes dont les noms sont ici mentionnés, l'une est
+morte, une autre est dans un climat lointain: tous sont séparés: il n'y
+a pas cinq ans qu'ils étaient ensemble réunis dans la même classe; et
+nul encore n'aurait atteint sa vingt et unième année.»
+
+Il passa les vacances de 1804[43] avec sa mère à Southwell: Mrs. Byron
+était venue s'y fixer pendant l'été de cette année, en quittant
+Nottingham, et elle avait choisi pour demeure la maison appelée
+Burgage-Manor. On conserve encore à Southwell, sous la date du 8 août
+1804, une note dans laquelle on annonce que le jeu est retenu _par Mrs.
+et Lord Byron_. La personne à qui appartenait la maison qu'ils
+habitaient était un rentier possesseur d'une assez belle bibliothèque;
+et le premier soin du jeune poète, comme il nous l'apprend, fut de la
+retourner complètement aussitôt après son arrivée à Southwell. L'un des
+livres qui l'occupèrent et l'intéressèrent davantage fut, et on le
+croira sans peine, la _Vie de lord Herbert de Cherbury_.
+
+ [Note 43: Pendant l'une des vacances de Harrow, il demeura
+ quelque tems dans la maison de l'abbé de Rouffigny, dans
+ Took's court, avec l'intention d'y étudier la langue
+ française; mais, au dire de l'abbé, il avait peu de goût pour
+ cette étude, et, au grand dépit du révérend maître, il
+ passait presque tout son tems à faire des armes, à boxer,
+ etc.]
+
+Il entra au mois d'octobre 1805 au collége de la Trinité à Cambridge.
+Voici comme il décrit les sentimens qu'il éprouva en quittant sa chère
+Ida:
+
+«Mon entrée au collége me fit un effet singulier et pénible. D'abord
+j'étais tellement affligé de quitter Harrow, bien que le tems en fût
+arrivé (ayant alors dix-sept ans), que pendant le dernier quartier que
+j'y passai, j'employais les heures, consacrées au sommeil à compter les
+jours que j'avais encore à y rester. J'avais toujours _détesté_ Harrow
+jusqu'aux dix-huit derniers mois, mais dès ce moment je l'aimai. En
+second lieu je souhaitais d'aller à Oxford et non à Cambridge;
+troisièmement je me trouvais tellement isolé dans ce nouveau monde que
+je faillis en perdre la tête. Mes camarades n'étaient pourtant pas
+insociables: au contraire, ils avaient de la bonté, de la bienveillance,
+un rang, de la fortune, et une gaîté bien autre que la mienne. Je me
+joignais à eux, je dînais, je soupais, etc., dans leur compagnie; mais
+je ne sais comment j'éprouvais un sentiment le plus pénible, le plus
+mortel de ma vie, en pensant que je n'étais plus un enfant.»
+
+Il fut sans doute quelque tems à Cambridge en proie à cette espèce
+d'isolement; mais il n'était pas dans sa nature de rester long-tems sans
+aimer quelque chose, et l'amitié qu'il forma bientôt avec le jeune
+Eddleston, qui avait deux ans de moins que lui, surpassa même en
+vivacité romanesque toutes ses autres liaisons de collége. Les
+dispositions musicales de cet enfant furent l'occasion de leur intimité.
+Il était alors un des choristes de Cambridge, bien que par la suite il
+ait suivi une profession mercantile. Cette disconvenance de leur
+position respective n'était pas sans charme pour Byron: elle flattait en
+même tems son orgueil et son bon naturel, et établissait entre eux des
+rapports mutuels de protection d'un côté, de reconnaissance et de
+dévouement de l'autre; seuls rapports qui, suivant Bacon, soient la base
+du peu d'amitié qui reste encore sur la terre. Ce fut sur un don que lui
+avait fait Eddleston qu'il écrivit ces vers, intitulés _la Cornaline_,
+qui étaient imprimés dans son premier volume resté inédit; en voici une
+stance:
+
+ Quelques-uns souriant des liens qui nous unissent, m'ont
+ souvent reproché ma faiblesse; ce don léger a cependant le
+ plus grand prix à mes yeux, car, j'en suis sûr, je le tiens de
+ quelqu'un qui m'aime.
+
+Une autre liaison moins vive, commencée à Harrow, et continuée pendant
+sa première année de Cambridge, est ainsi mentionnée dans l'un de ses
+_journaux_:
+
+«Que mes pensées sont étranges! La lecture du chant de Milton, _belle
+Salvina_, m'a ramené, je ne sais comment ou pourquoi, aux jours les plus
+heureux peut-être de ma vie (toujours exceptés, de tems en tems,
+certains dimanches des deux derniers étés de Harrow). Je me retrouvais à
+Cambridge avec Edward Noël et Long, qui fut plus tard dans les gardes:
+Long, après avoir servi avec honneur dans l'expédition de Copenhague
+(qui laisse encore vivre deux ou trois mille goujats gras et bien
+payés), fut noyé en 1809, pendant son passage à Lisbonne avec son
+régiment dans le _Saint-George_, qui fut heurté la nuit par un autre
+vaisseau de transport. Nous étions des nageurs rivaux, également
+passionnés pour les chevaux, la lecture et les festins. Nous avions été
+ensemble à Harrow, mais _là_ du moins il n'était pas un esprit aussi
+intraitable que le mien; j'étais toujours alors le premier à la paume,
+dans les révoltes, les batailles, les parties, et tous les genres de
+désordres; il était, lui, beaucoup plus calme et mieux civilisé. Mais à
+Cambridge, soit que mon caractère s'adoucît ou que le sien prît plus de
+roideur, il est certain que nous devînmes grands amis. La description du
+siége de Sabrina me rappelle nos mutuels exploits de plongeur. Bien que
+le Cam n'offre pas une onde vraiment _transparente_, et que l'endroit où
+nous nous jetions eût quatorze pieds de profondeur, nous avions toujours
+soin, afin de mieux prouver nos avantages, de lancer avant nous des
+œufs, des pièces de vaisselle et même des shillings. Il y avait entre
+autres, et je m'en souviens bien, dans le lit de la rivière où nous nous
+baignions le plus ordinairement, une souche d'arbre autour de laquelle
+j'aimais à me glisser et à m'étonner comment diable je me trouvais là.
+
+«Le soir nous faisions de la musique, car il était musicien et savait
+tirer un égal parti de la flûte et du violoncelle. Je faisais partie de
+l'assistance et, si je ne me trompe, notre boisson de prédilection était
+alors de l'eau de soude. Le jour nous courions à cheval, nous nous
+baignions, nous causions, ou parfois prenions un livre. Je me rappelle
+l'avidité avec laquelle nous parcourûmes le nouvel in-quarto de Moore
+(en 1806); le soir nous le lisions ensemble. Nous ne fûmes réunis qu'un
+été. Long entra dans les gardes l'année que je passai à Nottingham, au
+sortir du collége. Son amitié, et de ma part un violent et cependant pur
+amour, étaient alors le roman de l'époque la plus romanesque de ma
+vie.....................................................................
+........................................................................
+
+«Je me souviens qu'au printems de 1809 H***[44] me plaisantait de la
+tristesse que m'avait causée la mort de Long, et s'amusait à faire des
+épigrammes sur son nom, qui prêtait aux jeux de mots, tels que _long,
+court_, etc.; mais il eut bien le tems de s'en repentir à trois ans de
+là, quand notre ami mutuel, et surtout le sien, Charles Matthews, se
+noya également, et qu'il put lui-même sentir combien mon affliction
+avait été légitime. Pour moi, je ne rétorquai pas ces piquans jeux de
+mots; je sentais trop tout ce que je perdais dans Matthews, et, ne
+l'eussé-je pas senti, j'aurais encore respecté sa douleur.
+
+ [Note 44: Sans doute Hobhouse.]
+
+«Le père de Long m'écrivit pour m'engager à faire l'épitaphe de son
+fils: je le promis, mais je n'eus pas la force de la composer. Il était
+de ces êtres bons et aimables qui ne demeurent guère dans ce monde, doué
+de tous les talens et de tous les avantages qui pouvaient mieux le faire
+regretter. Cependant, quoique bon compagnon, il avait parfois d'étranges
+accès de mélancolie; je me souviens qu'un jour, allant chez son oncle,
+je l'accompagnai jusqu'à la porte, c'était dans le haut ou le bas
+Grosvenor ou Brook street, je ne sais plus lequel, mais c'était sûrement
+dans une rue qui faisait suite à quelque place: il me dit que la nuit
+d'auparavant il avait pris un pistolet sans savoir ou regarder s'il
+était ou non chargé, et qu'il l'avait dirigé contre sa tête, laissant au
+hasard le soin de décider s'il partirait ou non. La lettre qu'il
+m'écrivit en passant du collége aux gardes, était encore aussi
+mélancolique qu'on pouvait le supposer en pareil cas: mais son maintien
+naturel ne révélait rien d'une pareille disposition; il était doux et
+prévenant, il avait même un grand penchant pour la gaîté. Nous étions
+fort liés à Harrow, et mainte fois nous y sommes retournés de Londres
+pour nous mieux livrer à nos souvenirs de collége.»
+
+Ces mémoires affectueux sont extraits d'un journal qu'il tenait à
+Ravenne pendant sa résidence dans cette ville, en 1821. Les
+circonstances pendant lesquelles ils étaient consignés, doivent nous les
+rendre encore plus touchans et plus remarquables. Il habitait une terre
+étrangère; il était même en rapport avec des conspirateurs étrangers,
+dont il cachait dans sa maison les armes au moment où il écrivait.
+Cependant il lui était possible de s'éloigner ainsi des scènes qui
+l'entouraient, et de reporter ses pensées sur le tems ancien, sur les
+amitiés perdues de son enfance. Un anglais, M. Wathen, qui le vit dans
+l'une des villes d'Italie, ayant eu l'occasion de mentionner, en lui
+parlant, qu'il avait eu des rapports d'amitié avec Long, le noble poète,
+dès ce moment, lui prodigua les témoignages d'une affection marquée. Il
+lui parlait fréquemment de Long et de ses bonnes qualités, jusqu'à ce
+que des pleurs, qu'il ne pouvait arrêter, lui couvrissent le visage.
+
+Il rejoignit sa mère à Southwell, suivant son habitude, durant l'été de
+1806, et c'est alors qu'il forma dans une société rare, mais choisie,
+quelques liens d'intimité dont on chérit encore avec orgueil le
+souvenir. Si l'on excepte le court intervalle qu'il passa, comme nous
+l'avons vu, dans la société de miss Chaworth, ce ne fut qu'à Southwell
+qu'il eut jamais l'occasion de profiter de la douce influence de la
+conversation des femmes et de comprendre que la sphère véritable de
+leurs vertus c'est leur intérieur. Il fut admis dans le cercle de
+l'aimable et spirituelle famille Pigot comme s'il en eût fait partie, et
+le jeune poète ne trouva pas seulement dans le révérend John Becher[45]
+un critique fin et judicieux, mais un ami sincère. Il eut encore une ou
+deux autres familles, comme les Leacroft, les Houson, près desquelles
+ses talens et la vivacité de son esprit furent toujours bienvenus; et la
+timidité orgueilleuse qui, pendant sa minorité, l'avait éloigné de toute
+relation avec les gentilshommes du voisinage, semble avoir disparu dans
+la petite et agréable société de Southwell. L'une de ses amies les plus
+intimes à cette époque m'a fourni les détails suivans, sur la manière
+dont elle fit sa connaissance:
+
+ [Note 45: Citoyen qui depuis s'est distingué d'une manière
+ honorable par ses plans philanthropiques sur l'important
+ objet de l'amélioration du sort des pauvres.]
+
+«La première fois que je le vis, ce fut à une réunion chez sa mère; et
+telle était sa timidité, qu'il fallut l'envoyer chercher trois fois
+avant de le décider à venir dans le salon, pour jouer avec les autres
+jeunes gens. C'était un enfant gras et embarrassé, portant les cheveux
+peignés sur le front, et ressemblant parfaitement à la miniature que sa
+mère avait fait peindre par M. de Chambruland. Le lendemain matin, Mrs.
+Byron l'ayant conduit chez nous, il conserva son extérieur timide et
+réservé. La conversation tomba sur Chettenham, les amusemens et le
+théâtre de cette ville, etc. Je rappelai que j'avais vu le rôle de
+Gabriel Lackbrain parfaitement bien rempli. Quand sa mère partit, il la
+suivit en nous faisant une grande inclination; pour moi, rappelant
+encore la pièce dont nous venions de parler, je lui dis: Bonjour,
+_Gaby_. Ces mots l'animèrent aussitôt, sa belle bouche s'ouvrit par un
+éclat de rire, toute sa retenue s'évanouit pour toujours; et quand sa
+mère lui répéta: Eh bien, Byron, êtes-vous prêt? il répondit que non,
+qu'elle pouvait s'en aller, et qu'il désirait rester un peu plus
+long-tems. À compter de là, il venait nous voir à toutes les heures du
+jour, et se considérait chez nous parfaitement comme chez lui.»
+
+C'est à cette dame que fut adressée la première lettre de lui qui soit
+tombée entre mes mains; il correspondait en même tems avec plusieurs de
+ses amis d'Harrow, avec lord Clare, lord Powerscourt, M. William Peel,
+M. William Bankes, et d'autres encore. Mais on prévoyait peu alors
+l'intérêt général qui se rattacherait un jour à ces lettres d'écoliers,
+et en conséquence, comme j'ai déjà eu l'occasion de m'en affliger, il
+n'en existe plus qu'un très-petit nombre. La lettre dont j'ai parlé, à
+son amie de Southwell, ne contient rien de remarquable; mais, peut-être,
+par cette raison-là même, mérite-t-elle d'être insérée, comme servant à
+montrer, par sa comparaison avec les suivantes, combien son esprit
+acquit rapidement de la confiance en lui-même. Il y a véritablement dans
+ses premiers manuscrits un charme pour les yeux de la curiosité, qu'ils
+perdent nécessairement dans leur forme imprimée; ils attestent
+évidemment une éducation peu suivie; l'écriture en est informe et
+enfantine; on trouve même, çà et là, de grosses fautes d'orthographe
+sous la plume de celui qui, quelques années plus tard, devait s'élancer
+comme l'un des géans de la littérature anglaise.
+
+
+
+
+LETTRE PREMIÈRE.
+
+À MISS ***.
+
+Burgage-Manor, 29 août 1804.
+
+
+«J'ai reçu les armes, ma chère miss, et je vous remercie beaucoup de la
+peine que vous avez prise. Il est impossible que je puisse y trouver le
+moindre défaut. La vue des peintures me charme pour deux raisons: la
+première, parce qu'elles serviront à orner mes livres, et la seconde
+parce qu'elles me prouvent que _vous_ ne m'avez pas encore entièrement
+_oublié_. Cependant je suis fâché que vous ne reveniez pas plus tôt.
+Voilà déjà un siècle que vous êtes partie. Peut-être partirai-je pour
+Londres avant que vous en sortiez, mais je ne l'espère pas. Vous ne
+pensez plus à mon cordon de montre, à ma bourse; je désire pourtant bien
+les avoir. Votre petite lettre me fut remise par Harry, au spectacle, où
+j'accompagnais miss L*** et le docteur S***, et je reviens à l'instant
+pour vous répondre avant de me coucher. Si je suis à Southwell quand
+vous y viendrez, et je désire sincèrement que ce soit bientôt, car je
+regrette beaucoup votre absence, je me fais une fête de vous entendre
+chanter mon air favori _la vierge de Lodi_. Ma mère se joint à moi pour
+vous prier de nous rappeler à l'affection de Mrs. Pigot, et croyez-moi,
+ma chère miss, votre affectionné ami:
+
+BYRON.
+
+«_P. S._ Si vous jugiez à propos de me répondre, je m'estimerais
+extrêmement heureux. Adieu.
+
+«2e _P. S._ Comme vous êtes, dites-vous, novice dans l'art de tricoter,
+j'espère que vous ne vous en occupez guère; allez lentement, mais
+sûrement. Adieu encore une fois.»
+
+Nous aurons souvent occasion de remarquer la constance que Lord Byron,
+d'ailleurs si versatile, manifesta toujours dans les goûts et les
+habitudes de sa jeunesse. La lettre que nous venons de citer rappelle
+deux de ses habitudes, qu'il conserva toute sa vie; savoir, son
+exactitude à répondre sur-le-champ aux lettres qu'il recevait, et sa
+passion pour la musique des plus simples ballades. L'un des chants qu'il
+avait alors le bon goût d'aimer le mieux était celui de _la Duenna_; et
+quelques-uns de ses contemporains de Harrow se rappellent encore la
+gaîté avec laquelle, lorsqu'il dînait au milieu de ses amis chez la
+fameuse mère Barnard, il entonnait ordinairement: _Ce vin est le soleil
+de notre table_. Son séjour à Southwell, pendant cet été, fut
+interrompu, vers le commencement d'août, par l'un de ces emportemens
+auxquels, dès son berceau, Mrs. Byron ne l'avait que trop accoutumé, et
+que lui-même, par son esprit intraitable, contribuait souvent à faire
+éclater. Dans les portraits qu'il trace de lui-même, le pinceau qu'il
+emploie est si noir qu'il faut, dans la suivante description de son
+caractère, extraite de ses _Mémoires_, faire une large part à
+l'exagération, comme l'exige son usage de _surcharger les ombres
+elles-mêmes_.
+
+«Du reste (il vient de mentionner son amour précoce pour Marie Duff), je
+ne différais en rien des autres enfans: je n'étais ni grand, ni petit;
+ni lourd, ni sémillant: j'étais de mon âge; ordinairement fort enjoué,
+excepté dans mes humeurs noires, car alors j'étais un vrai démon. Un
+jour, dans l'une de mes _rages silencieuses_, il fallut m'ôter un
+couteau que j'avais pris sur la table, pendant le dîner de Mrs. Byron
+(je dînais toujours avant elle), et dont j'allais me frapper la tête.
+Mais c'était à trois ou quatre ans de là, et peu de jours avant la mort
+du dernier lord Byron.
+
+«Mon naturel apparent a certainement gagné dans ces derniers tems; mais
+je frémis, et je regretterai jusqu'à ma dernière heure les conséquences
+funestes de ma violence et de mes passions. Un événement... mais peu
+importe... il en est d'autres auxquels il ne vaut guère mieux s'arrêter,
+et que pourtant je ferai connaître de préférence.
+
+«Mais je n'aime pas les parenthèses: mon naturel est maintenant plus
+retenu, rarement brusque; et quand il l'est, les suites n'en sont pas
+mortelles. C'est quand je me tais, et que je sens _pâlir_ mon front et
+mes joues, que je ne me connais plus; et alors.... mais, à moins qu'il
+n'y ait sur le tapis une femme (je ne dis pas quelque, ou toutes
+femmes), je ne sors pas d'une apathie très-supportable.»
+
+On conçoit qu'avec un caractère de ce genre et les accès violens de Mrs.
+Byron, le choc devait être formidable. L'âge auquel était parvenu notre
+poète, alors que l'impatience du frein s'empare de la jeunesse, devait
+rendre ces occasions plus fréquentes. On rapporte comme une preuve de la
+conviction qu'ils avaient de leur mutuelle violence, qu'un jour, s'étant
+quittés à la suite d'une scène du même genre, on sut que tous deux
+s'étaient rendus en particulier, le soir même, chez l'apothicaire,
+demandant, avec une inquiétude alternative, si l'autre n'avait pas
+acheté du poison, et avertissant le droguiste de ne pas en donner dans
+le cas où il se présenterait.
+
+Toutefois le jeune Lord prenait rarement une part active dans ces
+orages. Aux éclats de sa mère il opposait un silence poli, et, par cela
+même, provocateur; s'inclinant avec l'apparence du plus profond respect
+à mesure que la voix maternelle augmentait d'intensité. Mais en général,
+quand il prévoyait une tempête, il cherchait son salut dans la fuite; et
+c'est à ce dernier expédient qu'il avait eu recours à l'époque où nous
+sommes arrivés. Mais auparavant une scène avait eu lieu entre lui et
+Mrs. Byron, dans laquelle la violence de cette dernière l'avait portée à
+des extrémités qui, malgré leur outrageuse inconvenance, n'étaient pas
+rares avec elle. Le poète Young, décrivant un caractère de cette espèce,
+dit:
+
+ «Les tasses et les soucoupes tourbillonnent dans l'air, pour
+ avertir que la dame est mécontente.»
+
+En pareil cas, Mrs. Byron préférait les pelles et pincettes, et plus
+d'une fois elle les lança bruyamment sur son enfant fugitif. Cette
+dernière fois, il n'eut que le tems d'éviter l'atteinte de la première
+de ces armes, et de se réfugier à la hâte chez un de ses amis dans le
+voisinage; là, ayant concerté le plus sûr moyen de déjouer les
+poursuites, il ne tarda pas à s'enfuir à Londres. Les lettres que je
+vais transcrire furent adressées, immédiatement après son arrivée, à
+quelques amis de Southwell, dont la bienveillante intervention, dans
+cette circonstance, nous permet de croire qu'il n'avait pas à se
+reprocher les torts de cet esclandre. La première est adressée à M.
+Pigot, jeune homme de son âge, qui venait d'arriver, à l'occasion des
+vacances, d'Édimbourg, où il suivait alors ses études médicales.
+
+
+
+
+LETTRE II.
+
+À M. PIGOT.
+
+Piccadilly, 9 août 1806.
+
+
+«MON CHER PIGOT,
+
+«Mille remercîmens pour votre piquant récit des derniers procédés de mon
+_aimable Alecto_, qui maintenant enfin commence à voir les suites de sa
+folie. Je viens de recevoir une épître pénitentiaire, à laquelle j'ai
+répondu modérément, avec une sorte de promesse de revenir dans une
+quinzaine: ce que toutefois, entre nous, je ne compte pas faire. Son
+_charmant ramage_ doit avoir ravi ses auditeurs; car ses hautes notes
+sont parfaitement musicales: elles doivent faire un très-bel effet
+pendant un beau clair de lune. Si j'avais été l'un des spectateurs, rien
+ne m'aurait fait plus de plaisir; mais figurer dans la pièce comme l'un
+des acteurs, saint Dominique m'en préserve! Sérieusement, j'ai de
+grandes obligations à votre mère; et vous, ainsi que toute votre
+famille, méritez tous mes remercîmens pour avoir si bien contribué à mon
+évasion des mains de Mrs. Byron _furiosa_.
+
+«Oh! que n'ai-je la plume d'Arioste pour reproduire en style d'épopée
+les _cris_ de cette _terrible soirée_, ou plutôt laissez-moi invoquer
+l'ombre du Dante, car il n'y a que l'auteur de l'enfer qui puisse
+convenablement répondre à un tel projet. Mais peut-être, à défaut de la
+plume, pouvons-nous recourir au pinceau. Quel groupe! Mrs. Byron, figure
+principale; vous, emplissant vos oreilles de coton comme le seul remède
+à une surdité totale; Mrs. *** s'efforçant vainement de calmer la rage
+de la lionne privée de son nourrisson, et enfin Élisabeth et Wousky,
+prodigieux à raconter! tous deux spoliés de leur partie de langue, et
+formant le dernier plan avec leur muette surprise. Comment S. B. a-t-il
+appris tout cela? Quelles _pointes_ il a dû faire sur un aussi bouffon
+sujet! Apprenez-moi tout cela dans votre suivante, et comment vous vous
+êtes excusé auprès de A. Sans doute vous êtes maintenant las de
+déchiffrer mes caractères hiéroglyphiques, et comme Tony Lumpkil[46],
+vous me traitez de main maudite et sautillante. Je ne doute pas que tout
+Southwell ne soit scandalisé. À propos, comment va ma nonne aux yeux
+bleus, la belle ***? Est-elle _enveloppée dans la noire tunique de la
+douleur_? Je resterai ici au moins huit à dix jours, vous recevrez mon
+adresse avant mon départ; mais je ne sais encore laquelle. Il faut que
+Mrs. Byron ignore ma retraite; vous pouvez lui offrir mes complimens et
+lui protester que toutes poursuites seraient inutiles, attendu que je me
+suis mis en mesure de gagner Portsmouth à la première nouvelle de son
+départ de Southwell. Vous pouvez ajouter que je suis maintenant à la
+campagne, chez un ami, où je resterai une quinzaine.
+
+ [Note 46: Dans la comédie de la Coquette (_She stoops to
+ Conquer_.)]
+
+«Je viens de barbouiller (je ne dis pas écrire) une feuille de papier
+double, et j'attends en réponse un _énorme budget_. Sans doute les dames
+de Southwell condamnent l'exemple dangereux que j'ai donné; elles
+tremblent que leurs bambins ne leur obéissent plus et ne quittent au
+moindre dépit leurs tendres mamans. Adieu. Quand vous commencerez vos
+lettres, rayez, s'il vous plaît, la _seigneurie_, et mettez à la place
+Byron. Croyez-moi votre, etc.»
+
+BYRON.
+
+On va voir par la lettre suivante que la _lionne_ n'était pas en arrière
+de son fils pour l'énergie et la résolution, et qu'aussitôt après la
+fuite de ce dernier elle avait envoyé après lui.
+
+
+
+
+LETTRE III.
+
+À MISS PIGOT.
+
+Londres, 10 août 1806.
+
+
+MA CHÈRE BRIGITTE,
+
+«J'ai déjà ennuyé votre frère de plus de griffonnage qu'il n'en pourra
+déchiffrer; c'est à vous maintenant que je donne la pénible charge de
+parcourir cette deuxième épître. Vous avez vu par la première, que je
+n'avais pas, en l'écrivant, la moindre fâcheuse idée de l'arrivée de
+Mrs. Byron; il n'en est plus de même: la vue d'un billet de la _cause
+illustre_ de mon _décampement soudain_ vient d'enlever _le rubis naturel
+de mes joues_, et de blanchir subitement ma déplorable figure. Le
+foudroyant avis de son arrivée (maudite soit son activité!) est
+cependant moins terrible que vous ne l'imaginez, sans doute, du
+tempérament volcanique de sa _seigneurie_. Il se termine par l'assurance
+flatteuse de l'impossibilité dans laquelle elle se trouve de faire
+présentement un pas, grâce à la fatigue du voyage, aux mauvaises routes,
+mille fois bénies, et aux quadrupèdes rétifs de la poste royale. Comme
+je ne me sens aucun entraînement à recevoir la chasse en plaine, je
+ferai de nécessité vertu; et puisque, semblable à Macbeth, _ils mont lié
+au poteau, je ne puis fuir_, j'imiterai ce courageux tyran, et, comme
+l'ours, je combattrai de pied ferme. Je puis à présent engager la lutte
+avec moins de désavantage, ayant tiré l'ennemi de ses retranchemens,
+bien qu'au hasard de me faire casser la tête, comme le modèle auquel je
+viens de me comparer. Quoi qu'il en soit, _frappe, Macduff, et maudit
+qui le premier criera: Assez!_
+
+»Je resterai dans la ville encore au moins une semaine, et j'espère
+avant ce tems recevoir de vos nouvelles. Je suppose que l'imprimeur vous
+a donné les résultats de ma _Métromanie_. Ayez soin de lire au premier
+vers: «Les vents soufflent _longuement_,» au lieu de _rondement_, comme
+l'a copié, par méprise, ce butor de Ridge, ce qui rend absurde toute la
+strophe. _Addio_. Maintenant je vais me préparer au choc de mon _Hydre_.
+
+»Tout à vous.»
+
+
+
+
+LETTRE IV.
+
+À M. PIGOT.
+
+Londres, dimanche à minuit, 10 août 1806.
+
+
+CHER PIGOT,
+
+«Cet effrayant paquet va sans doute vous épouvanter; mais ce soir ayant
+une heure de loisir, je l'ai employé à écrire les stances ci-incluses,
+que je vous prie d'envoyer à Ridge pour qu'il les imprime _à part_ de
+mes autres poèmes; car vous sentirez qu'il serait inconvenant de les
+offrir aux dames, et que par conséquent aucune femme ne doit les voir
+dans votre famille. Mille pardons de la peine que je vous donne cette
+fois-ci et tant d'autres.
+
+»Votre dévoué.»
+
+
+
+
+LETTRE V.
+
+À M. PIGOT.
+
+Piccadilly, 16 août 1806.
+
+
+«Je ne puis pas dire précisément comme César, _veni, vidi, vici_:
+pourtant je pourrais m'appliquer la part la plus importante de sa lettre
+laconique; car bien que Mrs. Byron ait prit la peine de _venir_ et de
+voir, votre humble serviteur a vaincu. Après un engagement sérieux de
+quelques heures, dans lequel la vivacité du feu de l'ennemi nous a fait
+éprouver une perte considérable, nous avons fini par l'obliger à se
+retirer en désordre, abandonnant son artillerie, son train et quelques
+prisonniers: cette victoire est décisive pour la campagne actuelle.
+Parlons maintenant plus clairement: Mrs. Byron va repartir, mais je me
+dirige moi-même, avec tous mes lauriers, vers Worthing, sur la côte de
+Sussex; et c'est là que vous m'adresserez (poste restante) votre
+première lettre. Le deuxième carillon de vers que j'enferme sous cette
+enveloppe vous donnera sans doute une haute idée des vertus prolifiques
+de ma muse; mais il y a plusieurs années que je les ai composés, et
+c'est par hasard que je les ai retrouvés mardi, au milieu de vieux
+papiers. Je les ai aussitôt recopiés, avec la date qui leur appartient,
+et je désire qu'on les imprime avec le reste de la famille. Je
+m'attendais bien à vous voir, sur les derniers venus, les mêmes
+sentimens que moi; mais comme les _faits_ étaient réels, il était
+impossible de rien changer à leur allure. Je ne resterai pas à Worthing
+plus de trois semaines, et il serait possible que vous me vissiez à
+Southwell vers le milieu de septembre..................................
+.......................................................................
+
+»Voulez-vous prier Ridge de suspendre l'impression de mes poésies
+jusqu'à nouvel avis de ma part? j'ai résolu de leur donner une forme
+entièrement nouvelle: cette suspension ne regarde pas les deux dernières
+pièces que j'ai jointes à mes lettres pour vous. Excusez le vide de
+cette lettre, ma tête est dans ce moment-ci un chaos d'idées absurdes,
+d'affaires, de plans et de préparatifs.
+
+»J'attends une réponse avec impatience; rien, dans ce moment, veuillez
+le croire, ne me ferait plus de plaisir qu'une lettre de vous.»
+
+
+
+
+LETTRE VI.
+
+À M. PIGOT.
+
+Londres, 18 août 1806.
+
+
+«Je suis précisément sur le point de partir pour Worthing, et je vous
+écris uniquement pour vous prier de faire partir sur-le-champ ce
+paresseux drôle de Charles avec mes chevaux. Dites-lui que je suis fort
+mécontent de ne l'avoir pas encore vu, ni reçu avis de la cause de son
+retard, surtout lui ayant fourni l'argent nécessaire pour son voyage.
+Qu'il ait soin de ne pas remettre d'un jour son départ, sous aucun
+prétexte; et, si pour obéir aux _caprices_ de Mrs. Byron (qui, je le
+présume, continue toujours à tourmenter sa petite monarchie), il jugeait
+à propos de ne pas suivre mes ordres positifs, il ne doit plus à
+l'avenir se considérer comme à mon service. Il m'apportera la note du
+chirurgien, et je l'acquitterai dès que je l'aurai reçue. Je ne puis non
+plus concevoir qu'il n'ait pas averti Frank du triste état de mes
+chevaux. Cher Pigot, pardonnez-moi ces brusques confidences, vous devez
+les attribuer à la mauvaise conduite de ce _précieux maraud_, qui, au
+lieu de suivre mes ordres, promène sa paresse dans les rues de ce
+pandémonium politique, Nottingham. Rappelez-moi à votre famille et aux
+Leacroft, et croyez-moi, etc.
+
+»_P. S._ Je vous charge du soin désagréable de presser son voyage, en
+dépit même des ordres de Mrs. Byron: il devra d'abord se rendre à
+Londres, et de là à Worthing, sans retard: C'est à Londres qu'il faut
+envoyer tout ce que j'ai laissé; vous y adresserez également mes
+poésies, sans même en réserver une copie pour vous et votre sœur,
+attendu que je veux leur donner une tout autre forme. Quand elles seront
+prêtes, vous en aurez les prémices. Il ne faut pas, sous aucun prétexte,
+que Mrs. Byron les _voie_ ou les touche. Adieu.»
+
+
+
+
+LETTRE VII.
+
+À M. PIGOT.
+
+Little-Hampton, 26 août 1806.
+
+
+«J'ai reçu ce matin votre lettre, qu'il m'a fallu envoyer chercher à
+Worthing, que je viens de quitter pour cet endroit, situé à huit milles
+du premier, et sur la même côte. Vous serez sans doute content de
+recevoir cette lettre, quand vous y aurez vu que je suis plus riche de
+trente mille livres qu'à notre départ: je viens de recevoir de mon
+avocat l'avis du gain d'une cause aux assises de Lancastre[47], par
+lequel je me trouve gratifié de cette somme pour le tems de ma majorité.
+Mrs. Byron est, sans doute, instruite de ce surcroît de propriété, mais
+elle n'en connaît pas la _valeur_ exacte, et il serait bon qu'elle
+continuât à l'ignorer, car sa conduite, dès qu'elle reçoit quelque
+nouvelle favorable, est, s'il est possible, plus ridicule que sa
+détestable habitude de s'affecter des plus légers contre-tems. Vous lui
+ferez mes complimens, et lui direz qu'une seule chose peut prolonger mon
+absence, c'est l'arrêt qu'elle a mis sur les effets de mon domestique: à
+moins qu'elle ne les fasse immédiatement partir pour Piccadilly, avec
+ceux qui m'appartiennent, et qu'elle a si long-tems retenus, elle ne
+verra pas de sitôt ma radieuse figure illuminer son obscure demeure;
+mais si elle les envoie, je reviendrai probablement avant deux ans, à
+partir de la date de cette épître.
+
+ [Note 47: Dans un procès entrepris pour rentrer dans la
+ propriété de Rochdale.]
+
+«Votre compliment poétique est une précieuse récompense de mes préludes;
+vous êtes du petit nombre des favoris d'Apollon qui cultivent toutes les
+sciences auxquelles préside votre divinité. Je désire que vous adressiez
+de suite mes poésies à mon hôtel, à Londres; j'y veux faire plusieurs
+changemens et quelques additions: il faut envoyer toutes les copies que
+vous en aurez; décidé, comme je suis, à perfectionner le tout, et à vous
+les représenter dans toute leur gloire. Vous les avez, je l'espère,
+retirées des mains de ce _triple Upas_, de cet antipode des arts, Mrs.
+Byron. Entre nous, vous pouvez compter me voir bientôt. Adieu. Tout à
+vous.»
+
+On peut voir par ces lettres que Lord Byron songeait déjà à préparer
+l'impression de ses poésies. L'idée de les publier s'offrit à lui, pour
+la première fois, dans une maisonnette qu'il avait adoptée pour demeure
+pendant ses visites à Southwell. Miss Pigot, qui auparavant ignorait son
+goût pour la versification, lisait un jour devant lui les poésies de
+Burns; tout-à-coup le jeune Byron lui dit que lui aussi était parfois
+poète, et qu'il allait lui écrire quelques vers de ceux qu'il pouvait se
+rappeler. Aussitôt il écrivit au crayon ceux qui commencent par
+_j'espérais vivement être uni à toi_, qui se trouvent imprimés, mais
+seulement dans le volume qui n'a pas été publié; il lui récita encore
+les vers dont j'ai déjà parlé, _dans la salle, quand la voix de mes
+pères_, etc., pièce si remarquable par la prédiction qu'elle contient de
+son illustration future.
+
+Depuis ce moment; il fut tout au désir de se voir imprimé; cependant son
+ambition se bornait encore à faire circuler parmi ses amis un petit
+volume. Celui qui eut l'honneur de recevoir son premier manuscrit fut
+Ridge, libraire à Newark; et, durant l'impression, le jeune auteur
+continuait à lui envoyer de nouvelles pièces avec tout l'empressement et
+toute la rapidité qu'il mit toujours dans ses autres compositions.
+
+Il ne fut pas long-tems sans revenir à Southwell, comme il l'avait
+annoncé dans la dernière lettre que nous avons donnée; il en repartit
+encore au bout d'une ou deux semaines, pour accompagner son jeune ami
+Pigot jusqu'à Harrowgate. Nous empruntons les extraits suivans à une
+lettre écrite dans le même tems, par ce dernier, à sa sœur. «Il y a
+encore beaucoup de monde à Harrowgate, aujourd'hui vendredi; nous avons
+un bal, je songe à y paraître pendant une heure, bien que je ne sois
+guère curieux de figures inconnues. Lord Byron, vous le savez, est
+encore plus timide que moi; cependant je ferai ce soir un effort...
+Comment vont nos rôles de théâtre? Lord Byron sait tout le sien, et moi
+la plus grande partie du mien: il est certain qu'il le joue d'une
+manière inimitable; il _poétise_ en ce moment, et depuis que nous sommes
+arrivés il a fait quelques vers vraiment jolis[48]. Il a la bonté de
+tout faire pour m'amuser autant que possible, mais il n'est pas dans mon
+naturel d'être heureux hors de la société des femmes ou de l'étude... Il
+y a dans les environs plusieurs promenades agréables; je les ai
+parcourues avec Boatswain, qui fait, ainsi que Brighton[49],
+l'admiration universelle. Vous lirez cela à Mrs. Byron, car c'est un peu
+dans le style de _Tony Lumpkin_. Lord Byron veut que je lui garde un peu
+de place; c'est pourquoi, croyez-moi avec le respect dû à tous les
+comédiens élus, etc., etc.»
+
+ [Note 48: La pièce _à une belle Quaker_, de son premier
+ volume, fut écrite à Harrowgate.]
+
+ [Note 49: Cheval de Lord Byron; il en avait encore un autre
+ alors appelé Sultan.]
+
+À cette note étaient joints les mots suivans de Lord Byron.
+
+«MA CHÈRE BRIGITTE,
+
+«Je descends un instant de mon Pégase, ce qui m'empêche d'avoir
+long-tems recours à la vile prose dans l'épître que j'adresse à votre
+_beauté_. Vous regrettez, dans une lettre précédente, que mes poésies ne
+soient pas plus étendues; je vous apprends donc, pour votre
+satisfaction, qu'elles sont maintenant presque doublées, soit par la
+découverte de quelques pièces regardées comme perdues, soit par l'effet
+de nouvelles inspirations. Nous nous reverrons mercredi prochain;
+jusqu'alors, croyez-moi votre affectionné,
+
+BYRON.
+
+»_P. S._ Votre frère Jean est possédé d'une manie poétique, il rime
+maintenant à raison de trois lignes par heure; ce que c'est que
+l'inspiration! Adieu.»
+
+Grâce à la personne qui était alors le compagnon, l'ami intime de Lord
+Byron, et qui maintenant exerce sa profession avec tout le succès que
+méritent ses talens distingués, j'ai été initié dans quelques autres
+particularités de leur commune visite à Harrowgate: on me permettra
+d'employer, pour en faire part, ses propres expressions:
+
+«Vous me demandez de rappeler quelques anecdotes du tems que nous
+passâmes ensemble à Harrowgate, pendant l'été de 1806, et à notre retour
+du collége, lui de Cambridge, moi d'Édimbourg; mais tant d'années se
+sont écoulées depuis, que je n'entrevois plus ce voyage que comme un
+songe lointain. Nous partîmes, je m'en souviens bien, dans la voiture de
+Lord Byron, traînée par des chevaux de poste: il avait fait partir son
+_groom_ avec deux chevaux de selle et un superbe et féroce boul-dogue
+appelé Nelson. Quant à Boatswain[50], il nous suivait, à côté de Frank,
+sur le coffre de la voiture. Le boul-dogue Nelson portait une muselière;
+mais cependant quelquefois il entrait dans notre appartement sans cette
+précaution, à mon grand ennui, bien que lui et son maître fussent
+enchantés de mettre tout en désordre dans la salle. Il y avait toujours
+un fonds de jalousie haineuse entre ce Nelson et Boatswain; et chaque
+fois que celui-ci rencontrait l'autre dans la chambre, ils en venaient
+aussitôt aux prises. Alors Byron, moi-même, Frank et tous ceux qui se
+trouvaient là, travaillions de toutes nos forces à les séparer: ce que
+nous n'obtenions guère qu'en leur jetant dans la gueule la pelle et les
+pincettes. Mais un jour Nelson s'échappa par malheur de la salle,
+démuselé; il s'élança dans l'écurie, se jeta au cou d'un cheval, et ce
+fut inutilement qu'on voulut lui faire lâcher prise. Les valets
+d'écurie, alarmés, coururent chercher Frank, qui prenant un pistolet de
+Wogdon, que son maître tenait toujours chargé dans sa chambre, le tira
+dans la tête du pauvre Nelson. Lord Byron en eut le plus grand regret.
+
+ [Note 50: Chien favori pour lequel Lord Byron fit dans la
+ suite la fameuse épitaphe.]
+
+«Nous habitions l'_hôtel de la Couronne_, au bas de Harrowgate. Nous
+dînions toujours dans la salle commune, mais aussitôt après nous nous
+retirions, car Byron n'aimait guère à boire plus que moi. Nous vivions
+retirés et faisions peu de connaissances, car il était _vraiment_
+timide, ce qu'on prenait pour de l'orgueil quand on ne le connaissait
+pas. Nous rencontrâmes par hasard le professeur Hailstone de Cambridge,
+ce qui parut lui faire grand plaisir. Le professeur habitait le haut
+Harrowgate; nous allâmes le prendre un soir pour aller au spectacle, et
+une autre fois Lord Byron lui envoya son équipage pour le conduire à un
+certain bal de Granby. Cet empressement à faire un accueil à l'un de ses
+professeurs prouve, en dépit de son penchant à critiquer l'éducation
+universitaire et à exagérer les défauts de la vieille discipline à
+laquelle on soumet les sous-gradués, qu'il avait cependant l'habitude de
+témoigner son respect aux personnes qui l'exerçaient. Je l'ai toujours
+entendu parler avec les plus grands éloges de Hailstone, aussi bien que
+de Bishop, Mansel du collége de la Trinité, et d'autres encore dont j'ai
+oublié le nom.
+
+»Peu de gens appréciaient Lord Byron, mais je sais que son cœur était
+naturellement bienveillant et sensible, et qu'il n'avait pas le plus
+petit mélange de méchanceté dans le caractère[51].»
+
+ [Note 51: Lord Byron et le docteur Pigot s'écrivirent encore
+ pendant quelque tems, mais ils ne se virent plus jamais à
+ compter de leur départ de Harrowgate, l'automne suivant.]
+
+On voit, par ses lettres de Harrowgate, qu'il songeait à organiser un
+théâtre; il s'en occupa aussitôt après son retour à Southwell, et ce fut
+pour lui une source infinie de plaisirs. On peut juger, par le fragment
+d'une lettre adressée à son compagnon, avec quelle impatience toutes les
+personnes chargées d'un rôle attendaient son retour:
+
+«Dites à Lord Byron, si quelque accident retardait son retour, que sa
+mère souhaite qu'il lui écrive; et combien elle serait malheureuse s'il
+ne se montrait pas au jour fixé. M. Wil. Banks a écrit à Mrs. H. pour
+lui offrir le rôle de _Henry Woodville_. M. et Mrs. *** n'approuvent pas
+que leur fils soit l'un des acteurs; mais je crois qu'il ne persistera
+pas moins. M. G. W. dit que, pour ne pas faire manquer la partie, il
+prendrait plutôt, pour nous obliger, un emploi, comme de chanter, de
+danser, ou enfin quelque autre chose. Il n'y a rien à faire jusqu'au
+retour de Lord Byron, et réellement il ne faut pas qu'il revienne plus
+tard que mercredi ou jeudi.»
+
+Nous avons déjà vu qu'à Harrow, le seul point qui le distinguât de ses
+condisciples était son talent pour la déclamation. Il revient avec une
+évidente satisfaction sur ses succès de collége et sur la part qu'il
+prenait à ces représentations de Southwell:
+
+«J'étais, dans ma jeunesse, considéré comme un bon acteur, outre les
+exercices de Harrow, dans lesquels je brillais. Je remplis, en 1806,
+pendant trois soirées consécutives, sur quelques théâtres particuliers
+de Southwell, le rôle de Penruddock, dans _la Roue de Fortune_, et celui
+de Tristram Fickle dans la farce de _la Girouette_, par Allingham. J'y
+recueillis les plus vifs applaudissemens. Le prologue, fait à l'occasion
+de notre réunion comique, était de ma composition. Quant aux autres
+acteurs, c'étaient de jeunes dames et des personnes du voisinage. Notre
+auditoire bienveillant parut complètement satisfait de nous.»
+
+Peut-être ici ne sera-t-il pas inutile de remarquer qu'en remplissant
+deux rôles opposés avec un égal succès, le jeune poète développait
+dès-lors cet amour et cette puissance de contraste qui, plus tard, le
+signalèrent dans le monde et sur un plus grand théâtre sous des aspects
+si divers. La morosité de Penruddock et la causticité de Tristram sont
+en effet deux types auxquels semblent se rapporter toutes les
+singularités de son caractère postérieur.
+
+Ces représentations forment une ère mémorable à Southwell; elles eurent
+lieu sur la fin de septembre, dans la maison de M. Leacroft, dont
+l'antichambre fut, pour cet effet, transformée en salle de spectacle, et
+dont la famille remplissait quelques-uns des plus beaux rôles. Le
+prologue, que l'on peut lire dans ses _Heures d'oisiveté_, fut composé
+par Lord Byron, en voiture et sur la route d'Harrowgate. En montant dans
+la chaise, à Chesterfield, il dit à son compagnon de voyage: «Pigot, je
+vais tramer un prologue pour notre représentation,» et avant de gagner
+Mansfield il avait achevé son travail, n'ayant qu'une seule fois
+interrompu sa versifiante rêverie pour demander la prononciation précise
+du mot français _début_; quand on la lui dit, il s'écria avec
+l'enthousiasme de Byshe: «Bien! ce sera pour rimer avec _new_.»
+
+L'épilogue fut dans cette occasion composé par M. Becher; c'était, pour
+donner à Lord Byron l'occasion de développer ses talens comiques, une
+réunion de gais portraits de toutes les personnes qui avaient pris part
+à cette représentation. Mais on avait eu, dans les coulisses, quelque
+indice de ce projet; soudain la crainte du ridicule répandit l'alarme
+chez tous les acteurs, et, pour les rassurer, l'auteur se vit obligé de
+promettre que, si après la répétition ils venaient à en condamner les
+traits, il le retirerait de bonne grâce. Cependant Lord Byron et lui
+convinrent de répéter les vers devant leurs camarades, dans un ton aussi
+innocent et aussi inoffensif que possible, réservant pour le soir de la
+représentation le jeu de pantomime qui faisait tout le sel de la
+plaisanterie. L'effet désiré fut produit; tous les acteurs satisfaits
+témoignèrent leur étonnement de ce qu'on avait pu soupçonner
+l'inconvenance d'un ouvrage aussi estimable. Mais leur surprise fut
+d'une nature tout-à-fait différente, quand ils entendirent, le
+lendemain, les bruyans éclats de rire de l'auditoire; et quand ils
+virent le tour que leur avait joué Lord Byron, ils n'eurent d'autre
+ressource que de joindre leurs rires à ceux que l'imitation de leurs
+traits excitait dans l'assemblée.
+
+Ce fut au mois de novembre que le petit volume de poésies, dont il
+s'occupait depuis quelque tems, fut lancé dans le cercle étroit auquel
+il était destiné. M. Becher en reçut le premier exemplaire[52].
+L'ascendant que son amour pour la poésie, son esprit juste et sociable,
+lui donnaient dans ce tems sur Lord Byron, lui permettait fréquemment de
+diriger le goût de son jeune ami, autant en matière de conduite que de
+littérature. Je citerai un exemple de la puissance de cet ascendant; il
+prouvera que le caractère de Byron était loin d'être intraitable, et que
+s'il avait eu plus souvent le bonheur de tomber dans des mains _habiles
+à toucher cet instrument_, elles en eussent tiré une expression douce
+aussi bien qu'énergique.
+
+ [Note 52: Il ne reste de cette édition in quarto, composée
+ d'un petit nombre de feuilles, que deux ou trois copies.]
+
+À l'instant de marquer ainsi sa place dans la littérature légère du
+jour, il était naturel que Lord Byron revînt avec plaisir sur les
+ouvrages qui semblaient le plus en harmonie avec sa jeunesse et son
+caractère. On dit que ses livres favoris étaient alors le Camoëns de
+lord Strangford et les poèmes de Little[53]; souvent son respectable ami
+lui avait justement reproché ce goût particulier; il lui représentait
+avec raison (du moins quant au dernier de ces deux auteurs), combien il
+lui était facile de trouver dans les vieilles illustrations littéraires
+de l'Angleterre de plus sûrs modèles de pensées et de style. Au lieu de
+perdre son tems sur les productions éphémères de ses contemporains, que
+n'étudiait-il les pages de Milton et de Shakspeare, et surtout que ne
+songeait-il à élever son imagination et son jugement par la
+contemplation des plus sublimes beautés de la Bible? Mais quant à ce
+dernier point, M. Becher reconnut que Lord Byron avait prévenu depuis
+long-tems ses avis, et qu'il avait une profonde connaissance des beautés
+de l'Écriture sainte. Cette circonstance fortifie encore le compte rendu
+par son premier maître, le docteur Glennie, de ses grands progrès dans
+les livres sacrés lorsqu'il n'était encore qu'un enfant.
+
+ [Note 53: On sait que Thomas Moore s'était caché sous ce nom
+ dans ses premières poésies érotiques.
+ (_Note du Tr._)]
+
+M. Becher, comme je l'ai dit, reçut le premier exemplaire de son livre;
+en le parcourant, et parmi plusieurs pièces dignes d'admiration, d'éloge
+ou de critique, il trouva un poème dans lequel le jeune auteur avait
+répandu une indécence de coloris, que ne pouvait pas même rendre
+excusable sa grande jeunesse. Aussitôt, et pour lui exprimer son opinion
+d'une manière plus courtoise, il fit et adressa à Lord Byron sur ce
+sujet une supplique rimée à laquelle le noble poète fit sur-le-champ une
+réponse également en vers; il y joignit une note en prose pour lui dire
+qu'il sentait parfaitement la justice de sa critique amicale, et qu'en
+conséquence plutôt que de laisser circuler le poème en question, il en
+retirerait toutes les copies qu'il avait pu déjà distribuer, et
+annullerait l'impression entière. Ce sacrifice fut fait le soir même; Mr
+Becher vit brûler toutes les copies de cette édition, à l'exception de
+celle qu'il avait reçue, et une autre qui, envoyée à Édimbourg, ne fut
+pas rendue.
+
+Ce trait du jeune poète parle assez haut en sa faveur; cette docilité
+ingénue, cette sensibilité, attestent un naturel capable de respecter et
+d'aimer tout ce qu'il y a de respectable au monde. Les sentimens qui lui
+dictèrent, vers ce tems, la lettre suivante, ne portent pas un caractère
+moins aimable; il est impossible de la parcourir sans reconnaître dans
+l'écrivain une noble candeur et une véritable sincérité.
+
+
+
+
+LETTRE VIII.
+
+AU COMTE DE CLARE.
+
+Southwell Nottes, 6 février 1807.
+
+
+MON TRÈS-CHER CLARE,
+
+«Si je voulais justifier ou du moins pallier ma négligence, vous
+pourriez dire qu'au lieu d'une lettre vous avez reçu un placet surchargé
+de prières à fin de pardon; j'aime mieux en un seul mot avouer mes
+crimes, et me confier à votre affection et à votre générosité plutôt
+qu'à mes protestations. Ma santé n'est pas entièrement rétablie:
+cependant je suis hors de tout danger, et j'ai repris toutes mes forces,
+si ce n'est celles de l'esprit fort susceptibles par elles-mêmes
+d'affaiblissement. Vous serez étonné d'apprendre que j'aie dernièrement
+écrit à Delaware pour lui expliquer (autant que possible sans
+compromettre quelques-uns de _mes vieux_ amis) les motifs de ma conduite
+à son égard pendant ma dernière résidence à Harrow (il y a deux ans de
+cela), laquelle, si vous vous rappelez, était extrêmement _en
+cavalier_[54]. Depuis j'ai découvert qu'il avait été injustement traité
+et par ceux qui avaient accusé ses procédés et par moi-même qui avais
+cru leur suggestion. En conséquence, je lui ai fait toutes les
+réparations possibles en expliquant ma méprise, sans toutefois grande
+espérance de le persuader: véritablement je n'attendais pas de réponse,
+tout en désirant qu'elle m'arrivât pour la forme; elle ne l'est pas
+encore, et sans doute elle ne viendra pas. Mais j'éprouve du bien-aise
+intérieurement de mon procédé, assez humiliant d'ailleurs pour les gens
+de ma nature; et je n'aurais pu dormir tranquille avec l'idée d'avoir,
+_même involontairement_, fait injure à quelqu'un. J'ai, autant qu'il
+m'était possible, réparé cette injure, et là doit se terminer l'affaire.
+Que nous revenions ou non à notre ancienne intimité, c'est une chose
+d'ailleurs fort secondaire.
+
+ [Note 54: On voit que Lord Byron, peu familiarisé avec la
+ langue française, prend ici l'expression _en cavalier_, pour
+ synonyme de celle de _cavalière_.]
+
+»Je viens de passer le tems au milieu de soins divers; j'ai fait
+condamner à _l'exportation_ un domestique[55] qui me volait, chose en
+elle-même fort désagréable; j'ai joué sur un théâtre de société; j'ai
+publié un volume de poésies (à la demande et à l'unique usage de mes
+amis); j'ai fait l'amour; j'ai pris médecine. Ces deux derniers
+amusemens n'ont pas eu _dans le monde_ un excellent effet; d'un côté mes
+attentions se partagèrent entre tant de belles _demoiselles_, et de
+l'autre les drogues qu'on me fit avaler étaient d'une vertu si
+compliquée, qu'entre Vénus et Esculape je me suis trouvé mortellement
+harassé. J'ai pourtant assez de loisir pour consacrer quelques heures
+aux souvenirs du passé, pour regretter l'amitié et en même tems profiter
+de l'occasion favorable pour vous assurer combien je suis et serai
+toujours, mon très-cher Clare, votre sincère et parfaitement dévoué,
+
+BYRON.
+
+ [Note 55: Son valet Frank.]
+
+Comme il se croyait obligé de remplacer les exemplaires de son livre
+qu'il avait redemandés, et en même tems de lever l'espèce de stigmate
+dont on aurait pu flétrir son talent avorté, il s'occupa promptement de
+préparer une seconde édition, et ce travail ne fut terminé qu'au bout de
+six semaines. Mais au commencement de janvier nous le voyons en adresser
+un exemplaire à son ami d'Édimbourg, le docteur Pigot.
+
+
+
+
+LETTRE IX.
+
+À M. PIGOT.
+
+Southwell, 13 janvier 1807.
+
+
+«Je devrais commencer par un million d'excuses; mais la variété de mes
+travaux en vers et en prose servira, je l'espère, à justifier ma
+négligence. Vous recevrez avec cette lettre un volume de tous mes
+_Juvenilia_, publiés depuis votre départ: leur nombre est beaucoup plus
+grand que dans l'exemplaire en votre possession, lequel je vous supplie
+d'anéantir, celui que je vous envoie étant beaucoup plus complet. Ces
+_maudits_ vers à ma pauvre Marie[56] ont été une source de
+mécontentemens auprès des dames d'un _certain âge_. Je ne les ai pas
+insérés dans cette édition, parce que je leur dois d'avoir été traité de
+_pécheur déhonté_, enfin d'un nouveau _Moore_, par votre cher[57]... Je
+pense qu'on a en général accueilli favorablement ce volume, et sans
+doute l'âge de son auteur préviendra la sévérité des juges.
+
+ [Note 56: Il ne faut pas confondre cette Marie avec miss
+ Chaworth ou Marie d'Aberdeen; tout ce que j'en puis dire,
+ c'est qu'elle avait dans le monde une position humble, sinon
+ équivoque; qu'elle avait de longs, de brillans cheveux
+ blonds, dont Byron aimait à montrer à ses amis une tresse
+ aussi bien que le portrait de celle qui les lui avait donnés;
+ et qu'enfin c'est à elle que furent adressés les vers des
+ _Heures d'oisiveté_, intitulés: _À Marie, en recevant son
+ portrait_.]
+
+ [Note 57: Le _respectable_ M. Becher, sans doute.
+ (_N. du Tr._)]
+
+»Les aventures de ma vie de seize à dix-neuf ans, et la dissipation au
+milieu de laquelle je me suis trouvé à Londres, ont donné à mes idées
+une teinte voluptueuse; mais d'ailleurs les inspirations que j'ai eues
+ne comportaient guère un autre coloris. Ce volume _est singulièrement_
+correct et miraculeusement chaste. À propos, en parlant d'amour....
+
+»Si vous pouvez trouver le tems de répondre à ce pot-pourri indigeste de
+sottises, vous ne doutez pas du plaisir qu'en recevra votre, etc.»
+
+L'un de ses amis de collége, M. William Bankes, ayant vu, par hasard, un
+exemplaire du livre, lui avait adressé une lettre où se trouvait exposée
+l'opinion qu'il s'en formait. Voici la réponse de lord Byron:
+
+
+
+
+LETTRE X.
+
+À M. WILLIAMS BANKES.
+
+Southwell, 6 mars 1807.
+
+
+CHER BANKES,
+
+«Votre critique m'est précieuse à plusieurs titres: d'abord c'est la
+seule où la flatterie ait fort peu de part, ensuite je suis _affadi_ par
+les complimens insipides. J'ai meilleure opinion de votre jugement et de
+votre mérite que de votre sensibilité. Recevez mes vifs remercîmens pour
+la sincérité d'un jugement qui, pour être entièrement inattendu, n'en
+sera pas moins bienvenu. Pour ce qui est d'un examen plus exact, il est
+inutile de vous rappeler combien peu de nos _meilleurs_ poèmes
+soutiendraient l'épreuve d'une minutieuse critique de mots. On ne peut
+donc guère attendre d'un enfant (et la plupart de ces vers furent
+composés il y a déjà long-tems) une grande perfection de sujet ou de
+style. Plusieurs pièces furent écrites sous l'influence d'un grand
+abattement d'esprit, d'une indisposition grave; de là, le tour sombre
+des idées. Nous sommes d'accord dans l'opinion que les poésies érotiques
+sont les moins irréprochables; elles n'en furent pas moins agréables aux
+divinités sur l'autel desquelles je les déposai; c'est tout ce que je
+voulais.
+
+»Le portrait de Pomposus fut dessiné à Harrow, après une _longue
+séance_; cela garantit la ressemblance ou plutôt la caricature. C'est
+_votre_ ami, _il ne fut jamais le mien_; il est donc à propos de m'en
+taire. Les rimes sur le collége ne contiennent pas de personnalités; on
+peut en voir dans l'une des notes, mais je ne pouvais la supprimer. Je
+ne doute pas qu'elles ne servent de prétexte au blâme, juste punition de
+mon impiété filiale envers une _alma mater_ aussi excellente. Je ne vous
+envoie pas mon livre dans la crainte de _nous_ placer, vous dans la
+situation de Gilblas, moi dans celle de l'archevêque de Grenade: au
+risque des chances de l'épreuve, je désire laisser à votre arrêt toute
+son indépendance. Si je vous avais adressé mon _libellus_ avant votre
+lettre, j'aurais semblé vouloir acheter un compliment, et je n'hésite
+pas à dire que j'avais plus d'impatience de voir votre critique malgré
+sa sévérité, que d'entendre un million de louangeurs. Le même jour je
+reçus les félicitations de Mackenzie, le célèbre auteur de l'_Homme
+sensible_; laquelle, de _votre_ approbation ou de la _sienne_, me flatta
+le plus? c'est ce que je ne puis décider. Vous recevrez mes _Juvenilia_,
+tous ceux, du moins, qui ont été publiés. J'ai en manuscrit un gros
+volume que je pourrai, par la suite, donner à part; à présent, je n'ai
+ni le tems ni la volonté de le livrer à l'impression. Le printems, je
+retournerai à la Trinité pour enlever mes effets, et vous dire un
+dernier adieu; mes _pleurs_, dans cette circonstance, n'augmenteront
+guère le courant du _Cam_. Je mettrai à profit désormais vos remarques,
+malgré leur causticité ou leur amertume pour un palais gâté par les
+_adulations sucrées_. Johnson a démontré qu'il n'y avait point de
+poésies parfaites, mais il faudrait un Hercule pour travailler à
+corriger les miennes. Franchement, je ne les avais pas revues depuis
+l'époque où je les composai; et si je les ai publiées, ce n'a été qu'à
+la prière de mes amis; mais on m'a tant parlé du _genus irritabile
+vatum_, que nous n'aurons jamais, sur ce sujet, de querelle, la
+réputation de poète n'étant nullement le _but_ de mes vœux.
+
+»Adieu. Tout à vous,»
+
+BYRON.
+
+Cette lettre fut suivie d'une autre, au même M. Bankes, sur le même
+sujet; il n'en reste malheureusement que les fragmens suivans:
+
+«Pour ma part, j'ai bien souffert de la mort de mes deux meilleurs amis,
+les seuls êtres que j'eusse jamais aimés (les femmes exceptées); me
+voici réduit à être un animal solitaire, passablement misérable, et je
+me sens assez cosmopolite pour ne plus me soucier le moins du monde du
+lieu que j'habiterai, l'Angleterre ou le Kamtschatka. Je ne puis montrer
+une déférence plus grande pour vos corrections qu'en les adoptant de
+suite; je les suivrai dans l'édition suivante. Je suis fâché que vos
+remarques ne soient pas plus fréquentes, convaincu de tout l'avantage
+que j'en pourrais également retirer. J'ai, depuis ma dernière lettre,
+reçu d'Édimbourg deux jugemens trop flatteurs tous les deux pour que je
+puisse les répéter: l'un est de lord Woodhouselee, le premier et le plus
+_volumineux_ des littérateurs écossais (son dernier ouvrage est une _Vie
+de lord Kaymes_); le second est de Mackenzie, qui m'envoyait pour la
+seconde fois son sentiment, mais plus développé. Je ne les connais
+personnellement l'un ni l'autre, et je n'ai jamais sollicité leur avis à
+ce sujet: leurs éloges sont volontaires; c'est un ami chez qui ils
+avaient lu mes vers qui me les a transmis.
+
+«Contre mes premières intentions, je m'occupe en ce moment de la
+publication d'une nouvelle édition; les sujets d'amour seront retranchés
+et remplacés par d'autres; le tout, considérablement augmenté, paraîtra
+vers la fin de mai. C'est une épreuve hasardeuse; mais le défaut
+d'occupations plus graves, les encouragemens que j'ai reçus, ma vanité
+personnelle, tout me porte à la tenter, mais non sans de _vives
+palpitations_. Le livre sera lu dans ce pays, du moins par curiosité...»
+Le reste manque.
+
+Voici la lettre modeste qu'il joignit à l'exemplaire qu'il présenta à M.
+Falkner, propriétaire de la maison qu'occupait sa mère.
+
+
+
+
+LETTRE XI.
+
+À M. FALKNER.
+
+
+MONSIEUR,
+
+«Le volume qui accompagne cette lettre vous aurait déjà été présenté, si
+l'indisposition de miss Falkner ne m'eût pas fait craindre de rendre
+inconvenante l'offre de pareilles bagatelles. Vous y verrez quelques
+fautes d'impression que je n'ai pas eu le tems de corriger: vous avez
+donc une tâche pénible, celle d'apercevoir et les fautes de l'auteur et
+celles dont il n'est pas coupable. De pareils _juvenilia_ ne peuvent
+espérer une approbation sérieuse, mais j'ose espérer, pour la même
+raison, qu'ils échapperont à la sévérité d'une critique intempestive,
+quoique peut-être non méritée.
+
+»Ces poésies furent composées dans des tems et des circonstances
+diverses; elles n'ont été publiées que pour un cercle d'amis
+bienveillans. Vous pouvez m'en croire, monsieur: si elles procurent le
+plus léger plaisir à vous et à mes autres _familiers_ lecteurs, j'aurai
+recueilli tous les lauriers que je souhaite pour la tête de votre tout
+dévoué,
+
+BYRON.
+
+»_P. S._ Miss Falkner est, je l'espère, en pleine convalescence.»
+
+Malgré cette déclaration peu ambitieuse du jeune auteur, il avait en lui
+quelque chose qui l'empêchait de s'arrêter; et la réputation qu'il
+s'était faite dans un cercle limité l'avait rendu plus avide de courir
+les chances d'une plus vaste lice. Les cent copies de cette première
+édition étaient à peine distribuées, qu'il revint avec une nouvelle
+activité chez son imprimeur, et c'est ainsi que parurent les _Heures de
+loisir_; il y joignit plusieurs pièces nouvellement composées, il en
+retrancha une vingtaine de celles que renfermait son premier volume. Il
+est difficile d'expliquer cette sévérité, la plupart des vers éliminés
+étant aussi beaux, sinon meilleurs que les autres.
+
+Il y a dans l'une des pièces réimprimées parmi les _Heures de loisir_
+quelques corrections et additions assez curieuses, en ce qu'on peut les
+attribuer aux sentimens connus du poète sur l'illustration de naissance.
+L'_Épitaphe d'un ami_ semble, d'après les vers que je vais citer, avoir
+été d'abord composée pour déplorer la mort de ce même jeune fermier
+auquel il avait auparavant adressé quelques vers affectueux reproduits
+plus haut:
+
+Quoique ton lot soit humble, puisque tu es né dans une chaumière; et que
+ton nom ne soit point orné de titres, ta simple amitié m'était bien plus
+chère que toutes les joies que peuvent donner la richesse, la réputation
+et les amis du grand monde.
+
+Dans la nouvelle forme de cette épitaphe, non-seulement il supprima ce
+passage, mais tous ceux qui rappelaient encore l'humble rang de son
+jeune ami. Le premier des vers ajoutés:
+
+ Et quoique ton père déplore l'extinction de sa race,
+
+semble destiné à rappeler l'idée d'une haute position sociale, toute
+différente de celle que présentait l'épitaphe primitive. L'autre pièce,
+évidemment adressée au même enfant, et rappelant en termes équivalens
+l'obscurité de sa condition, ne se retrouve pas davantage dans les
+_Heures de loisir_. Qu'en approchant de l'âge viril il sentît mieux
+l'élévation de son rang, on peut le supposer, et ne voir qu'une suite de
+ces sentimens dans le soin qu'il mit à cacher ses premières amitiés de
+village.
+
+Ses visites à Southwell n'ayant plus été, après ce tems, que rares et
+passagères, je saisis l'occasion de rappeler quelques traits variés de
+ses habitudes et de son genre de vie à la même époque. Dans les premiers
+instans de son séjour, sa timidité était excessive, mais elle disparut à
+mesure qu'il se lia davantage avec les jeunes gens; il finit même par se
+trouver à la plupart des assemblées et des festins, et par être mortifié
+quand il n'était pas invité à quelque _rout_. Toutefois il conservait
+encore son horreur des nouvelles figures; et s'il voyait des étrangers
+approcher de la maison de Mrs. Pigot, quand il s'y trouvait, il eût
+volontiers, pour les éviter, sauté par la fenêtre. Cette réserve
+naturelle, jointe à une dose assez forte d'orgueil, l'éloignait des
+gentilshommes du voisinage, auxquels, plus d'une fois, il lui arriva de
+ne pas rendre leur visite: à l'égard de quelques-uns, sous prétexte que
+leurs femmes n'étaient pas allées voir sa mère; de quelques autres,
+parce qu'ils avaient trop tardé à le voir lui-même: mais la vraie raison
+de ce dédain, c'est qu'il ne voulait pas faire connaissance avec des
+voisins plus opulens que lui, et qu'il aimait à les mortifier par la
+supériorité de son rang, comme il l'était lui-même par celle de leur
+fortune. Son ami M. Becher lui faisait de fréquens reproches de cet
+esprit insociable; et un jour Lord Byron lui répondit par des vers qui
+expriment parfaitement la hauteur avec laquelle son génie volcanique
+considérait déjà le monde; et comme le volume où se trouvent ces vers
+est devenu fort rare, je ne puis résister au désir d'en donner les
+passages suivans:
+
+Mon cher Becher, vous me dites de me mêler à la société des hommes: je
+ne saurais nier que votre avis ne soit bon; mais la retraite convient
+mieux à mon caractère, je ne veux pas descendre jusqu'à un monde que je
+méprise.
+
+Si le sénat ou les camps m'appelaient, l'ambition pourrait me faire
+sortir de mon heureux repos; et quand la jeunesse, ce tems d'épreuve,
+sera passé, peut-être je m'efforcerai d'illustrer mon nom.
+
+Le feu caché dans les flancs caverneux de l'Etna couve long-tems et
+fermente en secret, à la fin un volume effroyable de flammes et de fumée
+révèle son existence; alors il n'y a point de torrens qui puissent
+l'éteindre, point de barrières qui puissent l'arrêter.
+
+Oh! tel est le désir de gloire qui dévore mon cœur, qui m'ordonne de
+vivre pour être loué un jour de la postérité. Oh! si je pouvais comme le
+phénix prendre mon essor avec des ailes de feu, avec lui je serais
+content de mourir au milieu des flammes.
+
+Pour une vie comme celle de Fox, pour une mort comme celle de Chatham,
+quelles censures, quels dangers, quelles haines ne braverais-je pas?
+Leur vie ne s'est point terminée avec leur dernier souffle, leur gloire
+anime et vivifie le silence de leur tombeau.
+
+Comme sa mère, il était toujours en retard pour se lever et se mettre au
+lit; il conserva même toute sa vie cette habitude. La nuit fut toujours
+aussi son heure favorite de travail, et sa première visite, le jour
+suivant, était ordinairement pour la belle amie qui lui servait de
+copiste, et à laquelle il portait les fruits de sa précédente veille;
+puis il se rendait chez son ami, M. Becher; de là dans une ou deux
+autres maisons, puis le reste du jour était consacré à ses exercices
+favoris; le soir, il passait le tems dans la famille Pigot, soit en
+conversation, soit à entendre miss Pigot toucher le piano et chanter une
+série d'airs qu'il admirait[58]. _La Vierge de Lodi_, avec les paroles:
+_Mon cœur palpite d'amour_, et cet autre: _Quand le tems, qui ravit nos
+années_, étaient, à ce qu'il paraît, ses airs favoris. Il s'était fait
+dès-lors une douce habitude de cette existence régulière, qui le
+ramenait périodiquement aux mêmes occupations, et qu'il adopta pendant
+presque tout le tems de son séjour à l'étranger.
+
+D'un autre côté, les exercices auxquels il demandait quelques
+distractions, dans de moins heureux jours, lui offraient alors des
+plaisirs sans mélange. La plus grande partie de son tems se passait à
+nager, jouer aux barres, tirer au blanc et courir à cheval[59].
+
+ [Note 58: Il aima toujours la musique, mais il ne sut jamais
+ bien exécuter. «Il est bien singulier, disait-il un jour à la
+ même dame, que je chante beaucoup mieux avec votre
+ accompagnement qu'avec tout autre.--C'est, répondit-elle, que
+ je joue selon votre manière de chanter.» C'est là en effet
+ tout le secret d'un habile accompagnateur.]
+
+ [Note 59: Un autre de ses jeux favoris était _la balle à
+ crosser_; et l'on ne pouvait s'empêcher d'admirer la célérité
+ de sa course à ce dernier exercice, en dépit de son pied
+ boiteux. «Lord Byron, dit miss... dans une lettre à son
+ frère, datée de Southwell, vient de passer devant la fenêtre,
+ la batte sur l'épaule, pour aller _crosser_ suivant sa chère
+ habitude.»]
+
+Il n'était pas fort expert dans ce dernier art, et l'on cite comme un
+exemple de son peu d'habitude des chevaux, qu'en voyant un jour passer
+deux, sous ses fenêtres, il s'écria: «Les beaux chevaux! je voudrais les
+acheter.--Comment! ce sont les vôtres, milord,» répondit son valet. Ceux
+qui l'avaient connu au tems où nous sommes, s'étonnaient beaucoup
+d'entendre plus tard parler de son adresse à monter à cheval; et la
+vérité, je suis du moins porté à le croire, est que jamais il ne fut un
+excellent écuyer.
+
+Nous avons déjà vu, d'après ses propres paroles, qu'il excellait à nager
+et à plonger. Une dame de Southwell possède, entre autres précieux
+objets qui lui ont appartenu, un dé qu'il vint un matin lui emprunter au
+moment d'aller se baigner dans la Greet: en présence du frère de cette
+dame, il l'avait jeté et retiré trois fois du fond de la rivière. Son
+habitude de s'exercer au tir fut un jour un sujet d'alarme pour une
+jeune et fort jolie personne, miss H., qui était du grand nombre des
+beautés qui enflammaient à Southwell son imagination. On trouve
+l'introduction suivante à la tête d'une pièce de vers imprimée dans le
+volume non publié; «L'auteur déchargeant un jour ses pistolets dans un
+jardin, deux dames, qui passaient près du but, furent alarmées par le
+bruit d'une balle sifflant à leurs oreilles: c'est à l'une d'elles que
+furent adressées, le lendemain, les stances suivantes.»
+
+Telle était sa passion pour les armes de toute espèce, qu'il gardait
+ordinairement près de son lit une petite épée avec laquelle il s'amusait
+le matin à s'escrimer dans ses rideaux. Ce lit fut, à la vente des
+meubles de Mrs. Byron, acquis par une personne qui, voulant donner de
+l'intérêt aux trous des draperies, les supposait percées par l'épée dont
+le dernier lord Byron avait tué M. Chaworth, et que son héritier gardait
+toujours près de son lit en souvenir. C'est ainsi que la fiction vient
+souvent grossir les faits; l'épée en question était une arme innocente
+et vierge que lord Byron empruntait à l'un de ses voisins durant son
+séjour à Southwell.
+
+Les détails que nous avons déjà donnés sur son excursion à Harrowgate,
+peuvent faire juger de sa passion pour les chiens, autre goût qu'il
+conserva toute sa vie; il a immortalisé dans ses vers Boatswain, son
+dogue favori, auprès duquel il avait formé le projet solennel d'être
+enseveli. On raconte de cet animal quelques traits non-seulement
+d'intelligence, mais encore d'une générosité qui devait nécessairement
+exciter l'intérêt d'un maître comme Byron; j'en citerai un exemple en me
+rapprochant autant que possible du récit qui m'en fut fait. Mrs. Byron
+avait un chien terrier, appelé Gilpin, avec lequel Boatswain était
+toujours en querelle, saisissant toutes les occasions de l'attaquer et
+le mordant avec tant de rage qu'on craignait beaucoup qu'il ne finît par
+le tuer. Pour le soustraire à ce sort, Mrs. Byron envoya Gilpin à un
+fermier de Newstead, et Boatswain de son côté, quand lord Byron retourna
+à Cambridge, fut, jusqu'au retour de son maître, confié aux soins d'un
+valet, ainsi que deux autres dogues. Un matin le domestique conçut une
+vive alarme de la disparition de Boatswain; il n'en put avoir de
+nouvelles de la journée. Mais vers le soir, le chien revint accompagné
+de Gilpin qu'il s'empressa de conduire au feu de la cuisine en
+l'accablant de toutes les démonstrations de la joie la plus vive. Le
+fait est qu'il était allé à Newstead pour le découvrir, et qu'il l'avait
+ramené. Depuis ce tems ils vécurent en bonne intelligence; Boatswain
+protégeant toujours son nouvel ami contre les insultes des autres chiens
+(tâche que le naturel querelleur de Gilpin empêchait bien d'être une
+sinécure) et s'empressant d'accourir à la première voix de détresse du
+petit terrier.
+
+La tendance à la superstition est assez naturelle aux hommes doués d'un
+caractère poétique. Lord Byron n'en était pas exempt, et dès son enfance
+l'exemple de sa mère avait contribué à donner à son esprit cette
+faiblesse. Mrs. Byron croyait aveuglément aux merveilles de la seconde
+vue; et les récits étranges qu'elle faisait de cette faculté
+mystérieuse, étonnèrent mainte fois ses amis anglais doués d'une foi
+moins robuste. On verra que même bien plus tard, et à la mort de son ami
+Shelley, l'idée des apparitions dont sa mère l'avait nourri, n'avait pas
+perdu sur lui tout son empire. On peut citer comme un exemple d'une
+superstition moins lugubre, une petite anecdote qui me fut racontée par
+une de ses amies de Southwell. Cette dame avait un grain de collier en
+agate traversé d'un fil de laiton, et qu'elle gardait toujours dans sa
+boîte à ouvrage. Un jour, Lord Byron lui ayant dit ce que c'était, elle
+lui répondit qu'on le lui avait donné comme un talisman, et que le
+charme la préserverait de l'amour tant qu'il serait en sa possession.
+«Alors donnez-le-moi, s'écria-t-il vivement, c'est là précisément ce que
+je cherchais.» La jeune dame refusa; mais bientôt après son agate avait
+disparu. Elle le taxa d'avoir commis le vol; mais en l'avouant de bonne
+grâce, il protesta que jamais elle ne reverrait son amulette.
+
+Il laissa derrière lui à Southwell, comme partout où il fit jamais
+quelque résidence, les preuves les plus affectueuses de bienfaisance et
+de bonté de cœur... «Jamais, dit une personne qu'il voyait beaucoup à
+cette époque, ses yeux ne furent frappés d'un seul objet de détresse
+sans qu'il contribuât à l'adoucir.» Parmi de nombreux traits de cette
+nature, je choisis le suivant comme une preuve moins de sa générosité
+que de l'intérêt que présente l'incident en lui-même par sa liaison avec
+le nom de Byron. Étant encore écolier, il lui arriva de se trouver à
+Southwell dans une boutique de libraire, quand une pauvre femme vint
+pour y acheter une Bible; le prix qu'on la lui fit fut de 8 shellings.
+«Ah! mon cher Monsieur, s'écria-t-elle, je ne puis pas y mettre un
+pareil prix; je ne croyais pas qu'elle pût m'en coûter la moitié.» La
+femme alors s'éloigna avec un air désappointé, quand le jeune Byron, la
+rappelant, lui fit présent de la Bible.
+
+Il eut toujours un grand soin de sa personne et de sa toilette, de
+l'arrangement de ses cheveux, enfin de tout ce qui pouvait relever la
+beauté dont la nature l'avait doué. Même dans un âge fort tendre, il
+témoignait le désir de plaire à ce sexe qui ne devait pas cesser d'être
+l'étoile polaire de sa destinée. La crainte d'un embonpoint excessif,
+auquel il avait des dispositions naturelles, l'avait engagé, dès son
+arrivée à Cambridge, à adopter un système d'abstinence et de violent
+exercice, et de faire un fréquent usage des bains chauds. Mais un point
+remplissait sa vie d'amertume, le frappait comme une malédiction au
+milieu des joies de la jeunesse et de ses espérances de gloire et de
+bonheur: le croira-t-on? c'était la légère difformité de son pied. Un
+jour M. Becher, le voyant plus abattu qu'à l'ordinaire, s'efforçait de
+l'égayer et de le ranimer en lui représentant sous les plus brillantes
+couleurs, les nombreux avantages dont la Providence l'avait comblé,
+entre autres celui d'un esprit qui le plaçait au-dessus du reste des
+hommes. «Ah! mon cher ami, répondit Byron avec une expression
+douloureuse, si cela (en se frappant le front de la main) m'élève
+au-dessus des autres hommes, ceci (en indiquant son pied) me ravale bien
+au-dessous d'eux.»
+
+Quelquefois il semblait que sa susceptibilité lui persuadât qu'il était
+dans le monde la seule personne affligée d'une pareille infirmité. Quand
+M. Bailey, qui se faisait alors remarquer comme écolier, aussi bien que
+plus tard comme voyageur, entra à Cambridge après avoir été le
+condisciple de Lord Byron à Aberdeen, le jeune Lord avait pris tant
+d'embonpoint, que M. Bailey eut long-tems de la peine à le reconnaître.
+«Il est assez singulier, lui dit alors Byron, que vous ne vous souveniez
+pas de moi; je croyais que la nature m'avait gratifié d'un signe qui
+devait toujours me faire reconnaître.»
+
+Mais ce défaut était aussi bien un motif d'émulation pour lui qu'une
+source de regret et de honte. Dans tout ce qui exigeait du courage
+personnel ou de la vivacité, il semblait animé, par le stigmate que la
+nature lui avait infligé, d'un désir plus vif de surpasser tous ceux
+auxquels elle avait accordé de plus _parfaites proportions_. C'est là,
+je n'en doute pas, ce qui lui donnait aussi tant d'ardeur dans la
+poursuite des intrigues amoureuses. Plus d'une fois l'espoir d'étonner
+quelque jour le monde par les exploits d'un capitaine et d'un héros
+venait se mêler dans ses rêves à la perspective du laurier poétique.
+«Tôt ou tard, disait-il souvent quand il était enfant, je lèverai un
+corps de troupes; les soldats seront habillés de noir, et monteront des
+chevaux noirs; on les appellera, les _Byrons noirs_, et vous entendrez
+parler de leurs prodiges de valeur.»
+
+J'ai déjà parlé de l'ardeur extrême avec laquelle, pendant son séjour à
+Harrow, il se livrait à tous les genres d'études, à la seule exception
+de ceux qu'exigeait la discipline de l'école. Les jours de fête ne
+faisaient pas trêve à la soif de connaissances qui le dévorait, et, pour
+être le moins possible distrait de ses heures de travail, il avait pris
+l'habitude chez sa mère de lire tout le tems du dîner[60]. Dans un
+esprit aussi mobile que le sien, tout ce qui était nouveau, grave ou
+frivole, lourd ou divertissant, ne manquait jamais de trouver un écho,
+et je n'ai pas de peine à concevoir la joie qu'il témoignait un jour en
+montrant à l'une de ses amies qui me l'a raconté, un exemplaire des
+Contes de ma Mère l'Oie, qu'il avait acheté le matin chez un
+bouquiniste, et qu'il venait de lire à son dîner.
+
+ [Note 60: Burns avait aussi l'habitude de lire à table, comme
+ nous l'apprend M. Lockhart dans la vie de ce poète.]
+
+Maintenant nous allons extraire d'un _Memorandum_, commencé par lui
+cette année et tracé sans ordre et à la hâte, la liste de tous les
+livres qu'il avait déjà parcourus dans tous les genres, à une époque où
+la plupart de ses condisciples n'avaient encore étudié que leurs thèmes
+et leurs versions. Ce document ne peut manquer d'intéresser; et quand on
+considère que le lecteur de tant de livres possédait en même tems la
+mémoire la plus heureuse, on peut douter que parmi les jeunes gens les
+mieux élevés, parmi les plus brillans émules des honneurs scolastiques,
+on en trouvât un seul qui eût acquis au même âge une aussi grande
+variété de connaissances utiles.
+
+
+
+LISTE DES HISTORIENS
+DONT J'AI PARCOURU LES OUVRAGES EN DIFFÉRENTES LANGUES.
+
+
+
+HISTOIRE D'ANGLETERRE.--Hume, Rapin, Henry, Smollet, Tindal, Belsham,
+Bisset, Adolphus, Holinshed, les Chroniques de Froissart (ces dernières
+appartiennent proprement à la France).
+
+ÉCOSSE.--Buchanan, Hector, Boethius, tous deux en latin.
+
+IRLANDE.--Gordon.
+
+ROME.--Hooke, chute et décadence par Gibbon; Histoire ancienne de Rollin
+(renfermant celle des Carthaginois, etc.); de plus, Tite-Live, Tacite,
+Eutrope, Cornélius Nepos, Cesar, Arrien, Salluste.
+
+GRÈCE.--La Grèce de Mitford, le Philippe de Leland, Plutarque,
+Antiquités de Potter, Xenophon, Thucydide, Herodote.
+
+FRANCE.--Mezerai, Voltaire.
+
+ESPAGNE.--Je dois ce que je sais de l'ancienne histoire d'Espagne
+principalement à un livre appelé l'Atlas, maintenant oublié. J'ai pris
+quelque teinture de son histoire moderne, depuis les intrigues
+d'Alberoni jusqu'au Prince de la paix, dans les ouvrages qui traitaient
+de la politique européenne.
+
+PORTUGAL.--Ses révolutions par Vertot, comme aussi, du même historien,
+la relation du siége de Rhodes: elle est de son invention, les faits
+réels sont tout-à-fait différens. On en peut dire autant de ses
+chevaliers de Malte.
+
+TURQUIE.--J'ai lu Knolles, sir Paul Ricaut et le prince Cantemir; en
+outre une histoire anonyme plus moderne. Je sais tous les événemens de
+l'histoire des Ottomans, depuis Tangralopi et Othman Ier jusqu'à la paix
+de Passarowitz, en 1718; la bataille de Cutzka, en 1739, et le traité de
+1790 entre la Russie et la Porte.
+
+RUSSIE.--La vie de Catherine II de Tooke, le czar Pierre de Voltaire.
+
+SUÈDE.--Le Charles XII de Voltaire et celui de Norberg, selon moi le
+meilleur des deux. Une traduction de la guerre de trente ans de
+Schiller, qui renferme les exploits de Gustave-Adolphe; puis la vie du
+même prince par Harte. J'ai lu aussi quelque part un vie de Gustave
+Vasa, le libérateur de la Suède, mais j'ai oublié le nom de l'auteur.
+
+PRUSSE.--J'ai vu au moins vingt vies de Frédéric II, le seul prince
+mémorable dans les annales de la Prusse; ses propres ouvrages, ceux de
+Gillies et de Thibault sont loin d'être amusans; le dernier est peu
+estimable, mais circonstancié.
+
+DANEMARCK.--J'en sais peu de chose; j'ai quelque teinture de l'histoire
+naturelle de la Norwége, aucune de sa chronologie.
+
+ALLEMAGNE.--J'ai lu de longues histoires de la maison de Souabe, de
+Venceslas, de Rodolphe de Hapsbourg et de ses descendans autrichiens aux
+grosses lèvres.
+
+SUISSE.--Ah! Guillaume-Tell et la bataille de Morgarten, où le duc de
+Bourgogne fut tué!
+
+ITALIE.--Davila, Guicciardini, les Guelfes et les Gibelins, la bataille
+de Pavie, Mazaniello, les révolutions de Naples, etc.
+
+INDOSTAN.--Orme et Cambridge.
+
+AMÉRIQUE.--Robertson, la guerre d'Amérique par Andrews.
+
+AFRIQUE.--Rien que des voyageurs, comme Mungo-Park, Bruce.
+
+
+BIOGRAPHIE.
+
+Charles-Quint de Robertson, César, Salluste (Catilina et Jugurtha), les
+vies de Marlborough, du prince Eugène, de Tékéli, de Bonnard, de
+Bonaparte, de tous les poètes anglais, par Johnson et Anderson; les
+Confessions de Rousseau, la vie de Cromwell, le Plutarque anglais, le
+Nepos anglais, les vies des amiraux par Campbell, de Charles XII, du
+czar Pierre, de Catherine II, de Henri lord Kaimes, de Marmontel, de sir
+William Jones, par Teignmouth; la vie de Newton, de Bélisaire, et de
+mille autres qui ne méritent pas qu'on en fasse mention.
+
+
+LÉGISLATION.
+
+Blackstone, Montesquieu.
+
+
+PHILOSOPHIE.
+
+Paley, Locke, Bacon, Hume, Berkeley, Drummond, Beattie et Bolingbroke.
+Je déteste Hobbes.
+
+
+GÉOGRAPHIE.
+
+Strabon, Cellarius, Adams, Pinkerton et Guthrie.
+
+POÉSIE.
+
+Tous les classiques anglais et la plupart des poètes vivans, Scott,
+Southey, etc.; quelques poètes français dans l'original: le Cid est ma
+pièce favorite. Peu d'italiens; des grecs et des latins sans nombre: à
+l'avenir je ne m'occuperai plus de ces derniers. J'ai fait de nombreuses
+traductions de ces deux langues, vers et prose.
+
+
+ÉLOQUENCE.
+
+Démosthène, Cicéron, Quintilien, Sheridan, la Chironomie d'Austin, et
+les débats du parlement, depuis la révolution, jusqu'en 1742.
+
+
+THÉOLOGIE.
+
+Blair, Porteus, Tillotson, Hooker, tous fort ennuyeux. J'abhorre les
+livres de dévotion, quoique je révère et que j'aime Dieu, sans admettre
+les idées blasphématrices des sectaires, ni croire à leurs absurdes et
+damnables hérésies, à leurs mystères et aux trente-neuf articles.
+
+
+MÉLANGES.
+
+Le spectateur, le rôdeur; le monde, etc., etc., des romans par milliers.
+
+C'est de mémoire que j'ai fait l'énumération de tous ces livres: je me
+souviens de les avoir lus, et j'en pourrais à l'occasion citer plus d'un
+passage. J'ai, sans doute, omis quelques noms dans mon catalogue. J'en
+avais lu la majeure partie avant quinze ans. Depuis que j'ai quitté
+Harrow, je suis devenu paresseux et fat, en griffonnant des rimes et
+faisant la cour aux femmes.
+
+B., 30 novembre 1807.
+
+
+J'ai aussi lu, et je regrette aujourd'hui plus de quatre mille romans, y
+compris les œuvres de Cervantes, Fielding, Smollet, Richardson,
+Mackenzie, Sterne, Rabelais, Rousseau, etc., etc. Le livre, à mon avis,
+le plus utile pour celui qui veut avoir l'air d'être fort instruit sans
+grande peine, c'est la physiologie de la tristesse par Burton: c'est le
+recueil de citations et d'anecdotes le plus curieux et le plus amusant
+que j'aie parcouru; mais le lecteur superficiel doit le lire avec
+attention, ou bien la confusion des sujets le rebutera facilement. S'il
+a la patience d'aller jusqu'à la fin, il aura mieux profité pour ses
+conversations littéraires, que s'il avait parcouru vingt autres ouvrages
+que j'ai également lus, du moins en anglais.
+
+C'est à cette étude précoce et variée des écrivains anglais que Lord
+Byron dut la facilité avec laquelle il savait employer toutes les
+ressources de sa langue maternelle: c'est elle qui, le lançant dans les
+champs de la littérature, armé de pied en cap, lui permit de revêtir ses
+poétiques inspirations d'un style parfaitement digne d'elles. En
+général, ce n'est pas l'absence d'idées ou de coloris qui arrête les
+premiers pas des écrivains, c'est l'embarras de trouver des expressions
+pour ce qu'ils conçoivent, c'est l'inexpérience de l'instrument dont se
+rend maître l'homme de génie; en un mot, de leur langue maternelle.
+C'est un fait assez singulier, que les trois exemples les plus frappans
+de précocité littéraire, c'est-à-dire Pope, Congrève et Chatterton,
+devaient tous trois à eux-mêmes leur éducation[61]; et que c'est par
+suite de leurs goûts naturels, affranchis des pédantesques directions de
+l'école, qu'ils découvrirent dans le génie de la langue anglaise ces
+précieuses beautés dont ils surent faire un si parfait usage[62].
+
+ [Note 61: «Je lisais de moi-même, dit Pope, car la lecture
+ était une véritable passion chez moi; j'allais çà et là au
+ gré de mon imagination, et, comme un enfant qui va prendre
+ des fleurs dans les champs, dans les bois, partout où il en
+ voit sur sa route. Je regarde encore aujourd'hui ces cinq ou
+ six années comme les plus heureuses de ma vie.»
+
+ Il paraît aussi qu'il n'ignorait pas les avantages de cette
+ manière d'étudier indépendante: «M. Pope, dit Spins, croyait
+ avoir gagné sous quelques rapports à n'avoir pas eu
+ d'éducation régulière. Il avait l'habitude de chercher dans
+ ce qu'il étudiait un sens, quand nous n'y voyons encore que
+ des mots.»]
+
+ [Note 62: Chatterton écrivit, avant l'âge de douze ans, un
+ catalogue, dans le genre de celui de Byron, de tous les
+ livres qu'il avait déjà lus; ils s'élevaient à soixante-dix,
+ et la plupart roulaient sur des matières d'histoire ou de
+ théologie.]
+
+On peut, dans le fond, ajouter à ces trois exemples celui de Lord Byron,
+puisque, malgré son nom d'écolier, il n'étudia pas sur les bancs de
+l'école, dans le tems employé par ses camarades, à remuer curieusement
+la cendre de l'antiquité; il se contentait de remonter à la source
+fraîche et vive de son propre idiome[63], et d'y puiser cette richesse
+et cette variété de style qui, dès l'âge de vingt-deux ans, placèrent
+ses ouvrages parmi les monumens les plus précieux de la force et de la
+douceur de la langue anglaise.
+
+ [Note 63: La pureté que les Grecs mettaient dans leur style a
+ été attribuée peut-être avec justice à leur habitude de
+ n'étudier que leur propre langue. «S'ils devinrent savans,
+ dit Ferguson, ce ne fut qu'en étudiant ce qu'eux-mêmes
+ avaient composé.»]
+
+Dans le même livre où l'on retrouve les souvenirs de ses études, que
+nous venons de citer, Byron avait écrit également de mémoire une liste
+des divers poètes qui s'étaient distingués dans leur langue respective.
+Après avoir cité ceux de l'Europe ancienne et moderne, voici comme il
+poursuit son catalogue pour les autres contrées:
+
+ARABIE.--Mahomet, dont le Coran contient des passages d'une poésie bien
+plus sublime que celle des auteurs européens.
+
+PERSE.--Ferdousi, auteur du Shah-Nameh; l'Iliade des Persans; Sadi et
+Hafiz, l'immortel Hafiz, l'Anacréon de l'Orient. Ce dernier est respecté
+par les Persans, bien autrement que nous ne respectons aucun poète
+ancien ou moderne; ils vont en pélerinage à Shiraz pour y honorer sa
+mémoire sur son tombeau: à ce monument est attaché un magnifique
+exemplaire de ses œuvres.
+
+AMÉRIQUE.--Cet hémisphère a déjà produit un poète épique, c'est Barlow,
+auteur de la Colombiade; il ne faut pas le comparer aux ouvrages des
+nations plus polies.
+
+ISLANDE, DANEMARCK, NORWÉGE.--Ces régions étaient fameuses pour leurs
+Scaldes. Parmi ces derniers on distinguait Lodburg; son chant de mort
+respire des sentimens féroces, mais c'est un genre de poésie généreuse
+et passionnée.
+
+L'INDOSTAN n'a pas de grands poètes connus; du moins le sanscrit l'est
+si mal en Europe, que nous ignorons ce que le tems peut avoir épargné
+dans leur littérature.
+
+L'EMPIRE BIRMAN.--Les habitans aiment passionnément la poésie; mais on
+ne connaît pas leurs poètes.
+
+CHINE.--Je n'ai jamais entendu parler en fait de poète chinois que de
+l'empereur Kien-Long et de son Ode au thé. Quel malheur que le
+philosophe Confucius n'ait pas rédigé en vers ses admirables préceptes
+de morale!
+
+AFRIQUE.--Quelques chants de ce pays sont plaintifs, et leurs paroles
+simples et touchantes; mais j'ignore s'il faut compter ces informes
+essais parmi les poèmes, comme les chants des bardes ou des scaldes.
+
+J'ai écrit cette courte liste de poètes entièrement de mémoire, et sans
+le secours d'aucun livre; il a donc pu s'y glisser quelques erreurs,
+mais elles doivent être de peu d'importance. J'ai parcouru les ouvrages
+des Européens et quelques-uns de ceux de l'Asie, soit en original, soit
+à l'aide de traduction. Je n'ai cité que les meilleurs dans ma liste des
+poètes anglais; il eût été aussi inutile que fatigant d'énumérer ceux
+d'un moindre mérite. Peut-être cependant pourrait-on dans un catalogue
+cosmopolite ajouter encore Gray, Goldsmith et Collins; quant aux autres
+depuis Chaucer jusqu'à Churchill, ce sont _voces prætereaque nihil_,
+quelquefois nommés, rarement lus et jamais avec profit. Je regarde
+Chaucer, en dépit des éloges qu'on lui a prodigués, comme méprisable et
+licencieux; il ne doit son renom qu'à son antiquité, et sous ce
+rapport-là même, on devrait plutôt se rappeler Pierce Plowman ou Thomas
+d'Ercildoune. Je me suis gardé de citer des poètes vivans de
+l'Angleterre; il n'en est pas un qui ne survive à ses ouvrages. Le goût
+est perdu chez nous; encore un siècle, et nous aurons disparu, notre
+empire, notre littérature et notre nom, des annales du genre humain.
+
+30 novembre 1807, BYRON.
+
+
+Il se trouve, parmi les papiers que je possède de lui, plusieurs petits
+poèmes (en tout environ six cents vers) qu'il écrivit en ce tems-là,
+mais qu'il n'a jamais fait imprimer, parce qu'il les avait composés la
+plupart après la publication de ses _Heures de loisir_. Le plus grand
+nombre d'entre eux ne se recommande guère que par son nom, mais
+quelques-uns, grâce aux sentimens et aux circonstances qui les
+inspirent, seront lus ici avec plaisir. La première fois qu'il entra
+dans Newsteadt, il planta dans un coin de terre un jeune chêne dont il
+croyait l'existence attachée à la sienne. Après six ou sept ans, quand
+il revint au même endroit, il trouva le chêne étouffé sous les mauvaises
+herbes, et presque desséché. C'était au moment où Lord Grey de Ruthen
+quittait l'abbaye; il fit alors l'un de ces poèmes composés de cinq
+stances, et dont on pourra juger par les passages suivans:
+
+Jeune chêne, quand je te plantai profondément en terre, j'espérais que
+tes jours seraient plus longs que les miens, que tes branches
+jetteraient une ombre noire autour de toi, et que le lierre entourerait
+ton tronc comme un manteau.
+
+Telles étaient mes espérances dans les années de l'enfance, quand je te
+plantai avec orgueil sur la terre de mes aïeux. Ces jours sont passés et
+je t'arrose de mes larmes; les mauvaises herbes qui t'entourent ne
+peuvent voiler aux yeux ton triste dépérissement.
+
+Je t'ai quitté, mon pauvre chêne, et depuis cette heure fatale un
+étranger est le maître du château, etc., etc.
+
+Le sujet des vers qui suivent est assez éclairci par la note qu'il a
+placée en tête. Quoiqu'ils aient un air pénible et affecté, ils me
+paraissent dignes d'être conservés comme un témoignage des sentimens
+tendres et romanesques qu'il avait contractés pour ses amis de collége.
+
+«Il y a quelques années, étant à Harrow, un ami de l'auteur avait gravé
+leurs deux noms dans un endroit écarté; il y avait même ajouté quelques
+mots de souvenirs. Plus tard, à l'occasion de quelque injure réelle ou
+imaginaire, l'auteur, avant de laisser Harrow, avait effacé ce fragile
+souvenir. Voici les stances qu'il écrivit à leur place, quand il revit
+Harrow, en 1807:
+
+Ici naguère les souvenirs de l'amitié attiraient les yeux de l'étranger;
+ils étaient simples, ils étaient peu nombreux les mots qui les
+exprimaient, et cependant la colère les a effacés.
+
+Elle trancha profondément dans l'arbre, mais elle n'effaça pas
+entièrement les caractères; ils étaient si simples, que l'amitié
+revenant regarda long-tems, jusqu'à ce qu'aidée de la mémoire, elle
+rétablit les mots.
+
+Le repentir les traça de nouveau, le pardon y joignit son nom aimable;
+l'inscription reparut si belle que l'amitié la crut toujours la même.
+
+Le souvenir serait beau encore; mais, hélas! en dépit de l'espérance et
+des larmes de l'amitié, l'orgueil s'est jeté à la traverse, et a pour
+toujours effacé et l'inscription et le sentiment qu'elle exprimait.
+
+Les mêmes sentimens d'amitié idéale distinguent un autre de ses poèmes,
+dans lequel il a pris pour épigraphe cette ingénieuse devise française:
+_l'amitié est l'amour sans ailes_. Chacune des neuf stances est terminée
+par les mêmes mots; nous citerons les trois suivantes:
+
+Pourquoi gémirais-je tristement de ce que ma jeunesse est passée? Je
+puis encore compter des jours heureux; la faculté d'aimer n'est pas
+encore morte en moi. En revenant sur mes premières années, un souvenir
+durable, une vérité éternelle m'apporte une céleste consolation;
+souffles légers des vents, redites-la aux lieux où mon cœur s'émut pour
+la première fois!
+
+_L'amitié, c'est l'amour sans ailes_!
+
+Demeure de mes aïeux, ton clocher lointain me rappelle toutes ces scènes
+joyeuses; mon sein brûle comme autrefois; je redeviens enfant par la
+pensée. Ton bouquet d'ormeaux, ta colline verdoyante, chacun de tes
+sentiers, me ravissent encore. Chaque fleur exhale un double parfum. Il
+me semble encore, au milieu de nos doux entretiens, entendre chacun de
+mes compagnons s'écrier:
+
+L'amitié, c'est l'amour sans ailes!
+
+Mon cher Lycus, pourquoi pleures-tu? Retiens tes larmes prêtes à tomber;
+l'affection peut dormir quelque tems, mais, sois-en sûr, elle se
+réveillera! Quand nous nous retrouverons, pense, ami, pense combien elle
+sera douce cette réunion si long-tems désirée! Mon ame bondit de bonheur
+à cet espoir; quand deux jeunes cœurs sont si pleins d'affection,
+l'absence, ami, ne peut que redire:
+
+L'amitié, c'est l'amour sans ailes!
+
+Quant aux vers suivans, je ne puis dire positivement qu'ils se
+rattachent à quelque circonstance réelle. On peut même dire qu'habitué à
+revenir sur toutes les anecdotes de sa jeunesse, il n'eut pas manqué,
+dans la suite, de rappeler un fait aussi remarquable, s'il n'eût pas été
+imaginaire. Or, ni dans sa conversation, ni dans ses écrits, je ne
+trouve qu'il y ait fait une seule fois allusion[64]. D'un autre côté,
+toutes ses poésies, sauf les embellissemens dont les entourait son
+imagination, étaient l'expression si fidèle de ses sentimens et de sa
+vie, qu'on ne peut guère s'empêcher de supposer une sorte de fondement
+réel à un poème plein d'une sensibilité aussi pénétrante:
+
+ [Note 64: Voici la seule particularité qui puisse, et encore
+ de fort loin, se lier au sujet de ce poème. Un an ou deux
+ avant la date qui s'y trouve placée, il écrivit de Harrow à
+ sa mère (comme je le sais d'une personne qui tenait elle-même
+ le fait de Mrs. Byron), pour lui dire qu'il avait éprouvé
+ dernièrement beaucoup d'ennui à l'occasion d'une jeune femme,
+ maîtresse de son ami Curzon, qui venait de mourir. Cette
+ femme, se trouvant alors sur le point de devenir mère, avait
+ déclaré que Lord Byron était le père de son enfant. Byron
+ assurait positivement sa mère qu'il n'en était rien; mais,
+ persuadé comme il l'était, que l'enfant appartenait à Curzon,
+ il souhaitait qu'on en prît tout le soin possible, et priait
+ en conséquence sa mère d'avoir la bonté de se charger de lui.
+ Une telle demande pouvait fort bien exciter l'humeur d'une
+ femme plus douce que Mrs. Byron; cependant elle répondit à
+ son fils qu'elle accueillerait volontiers l'enfant dès qu'il
+ serait né, et qu'elle ferait pour lui tout ce qu'il désirait.
+ Par bonheur, l'enfant mourut en voyant le jour.]
+
+
+À MON FILS.
+
+Ces tresses blondes, ces yeux bleus, dont l'éclat rappelle ceux de ta
+mère; ces lèvres de roses, ces joues à fossettes, ce sourire, qui
+captivent le cœur, retracent d'anciennes scènes de bonheur, et touchent
+le cœur de ton père, ô mon enfant!
+
+Et tu ne peux prononcer le nom de ton père; ah, William! si son nom
+était le tien, alors sa conscience ne lui adresserait plus de reproches:
+mais écartons ces tristes idées; les soins que je prendrai de toi me
+rendront la paix intérieure; l'ombre de ta mère sourira dans sa joie, et
+pardonnera le passé, ô mon enfant!
+
+Le gazon a recouvert son humble tombe, et une étrangère t'a présenté son
+sein. Le préjugé peut rire dédaigneusement de ta naissance, et ne
+t'accorder qu'à peine un nom sur la terre; mais il ne saurait détruire
+une seule de tes espérances: le cœur de ton père est à toi, ô mon
+enfant!
+
+Eh bien! laisse un monde sans entrailles se récrier; dois-je pour lui
+plaire étouffer la voix puissante de la nature? Non, que les moralistes
+me désapprouvent s'ils le veulent, tu seras toujours pour moi le bien
+cher enfant de l'amour, beau chérubin, gage de jeunesse et de joie! un
+père veille sur ton berceau, ô mon enfant!
+
+Ô quel charme, avant que l'âge n'ait ridé mon front, avant que d'avoir
+épuisé à moitié la coupe de la vie, de contempler à la fois en toi, un
+frère et un fils, et d'employer le reste de mes jours à réparer mon
+injustice envers toi, ô mon enfant!
+
+Quoique ton père imprudent soit bien jeune encore, sa jeunesse
+n'éteindra pas en lui le feu de l'amour paternel. Et quand même tu me
+serais moins cher, tant que l'image d'Hélène revivra en toi, ce cœur,
+plein de son souvenir du bonheur passé, n'en abandonnera jamais le gage,
+ô mon enfant!
+
+B.--1807[65].
+
+ [Note 65: Dans cet usage de dater ses premiers poèmes, il
+ suivait l'exemple de Milton, qui, dit Johnson, en datant ses
+ premiers ouvrages, comme lui en avait donné l'exemple le
+ savant Politien, semblait recommander à la postérité la
+ précocité de ses inspirations. Le suivant badinage, également
+ écrit en 1807, n'a jamais été imprimé; il est intraduisible;
+ nous le donnerons en anglais:
+
+ EPITAPH
+
+ ON JOHN ADAMS, OF SOUTHWELL, A CARRIER,
+
+ WHO DIED OF DRUNKENNESS.
+
+ _John Adams lies here, of the parish of Southwell,
+ A_ carrier, _who_ carried _his can to his mouth well;
+ He_ carried _so much, and he_ carried _so fast,
+ He could_ carry _no more, so was_ carried _at last;
+ For, the liguor he drank being too much for one,
+ He could not_ carry _off, so he's now_ carri-on.
+
+ B., sept. 1807.]
+
+Mais le plus remarquable de ses poèmes est d'une date antérieure à
+toutes celles que je viens de donner, ayant été écrit en décembre 1806,
+quand il n'avait pas encore dix-neuf ans. Il contient sa profession de
+foi religieuse à cette époque, et nous montre combien son esprit lutta
+de bonne heure entre le doute et la piété:
+
+
+PRIÈRE DE LA NATURE.
+
+Père de la lumière! grand Dieu du ciel! entends-tu les accens du
+désespoir? Des fautes comme celles de l'homme peuvent-elles être jamais
+pardonnées? Le vice peut-il expier des crimes par des prières? Père de
+la lumière, j'élève vers toi mes accens! Tu le vois, mon ame est noircie
+de souillures; toi qui peux observer la chute du plus petit oiseau,
+détourne de moi la mort du péché.
+
+Je ne cherche point de sectes inconnues; oh! montre-moi le sentier de la
+vérité! Je reconnais ta toute-puissance redoutable, épargne les fautes
+de ma jeunesse en les corrigeant. Que les dévots élèvent, s'ils le
+veulent, des temples obscurs; que la superstition en salue humblement
+les portiques; que, pour étendre et affermir leur empire funeste, les
+prêtres inventent des rites mystiques et mensongers. L'homme
+bornera-t-il le domaine de son créateur à ces dômes gothiques qui
+surmontent des amas de pierres à moitié détruites? Ton temple est la
+face du jour; la terre, l'océan, le ciel te forment un trône sans
+limites.
+
+L'homme condamnera-t-il sa propre race aux tourmens de l'enfer, à moins
+qu'ils ne fléchissent le genou devant de vaines pompes? Nous dira-t-il
+que, pour un seul qui a failli, tous doivent périr confusément dans la
+tempête? Chacun prétendra-t-il gagner les cieux, et cependant condamner
+son frère à la mort éternelle, parce que son ame s'est ouverte à des
+espérances différentes, ou qu'il a suivi des doctrines moins sévères?
+Iront-ils, aux moyens de croyances qu'ils ne sauraient expliquer,
+décider d'avance tes grâces et tes châtimens? Des reptiles rampans sur
+la terre connaîtront-ils les desseins de leur grand créateur?
+
+Ces hommes qui n'ont vécu que pour eux-mêmes, qui ont passé leurs années
+dans des crimes renouvelés chaque jour, trouveront-ils dans leur foi une
+compensation à leurs forfaits, et vivront-ils au-delà des limites du
+tems?
+
+Ô mon père! je ne cherche les lois d'aucun prophète; tes lois, à toi,
+apparaissent dans les ouvrages de la nature. Je suis, je l'avoue, faible
+et corrompu, et cependant je te prierai, car tu m'entendras! Toi qui
+guides l'étoile errante à travers les royaumes infinis de l'éther, qui
+calmes la guerre des élémens, et dont j'aperçois la main d'un pôle à
+l'autre pôle; toi qui, dans ta sagesse, m'as placé ici-bas, et qui peux
+m'en retirer quand telle sera ta volonté; tant que je serai sur cette
+terre périssable, étends sur moi ta main protectrice. C'est à toi, à
+toi, mon Dieu, que j'adresse mes prières; quelque bonheur ou quelque
+malheur qui m'arrive, qu'à ta volonté je m'élève ou m'abaisse, je me
+confie en ta protection: si, quand cette poussière sera rendue à la
+poussière, mon ame parcourt les airs sur des ailes rapides, comme
+j'adorerai ton nom glorieux! mais si cet esprit passager partage avec le
+corps le repos éternel de la tombe, tant qu'il me restera un souffle de
+vie, j'élèverai vers toi ma prière, quoique condamné à ne jamais quitter
+la demeure des morts. C'est à toi que j'adresse mes dernières
+inspirations, plein de reconnaissance pour tes bienfaits passés, et
+espérant, ô mon Dieu, que cette vie errante se réunira enfin à ton
+essence.
+
+Dans un autre poème, et qu'il écrivit avec la triste conviction qu'il
+allait bientôt mourir, nous retrouvons une prière exprimant à peu près
+les mêmes opinions. Après avoir dit adieu à toutes les scènes favorites
+de sa jeunesse[66], voici comme il continue:
+
+ [Note 66: Annesley n'est pas oublié en cette occasion:
+
+ «Oublierai-je la scène toujours présente à ma pensée? Les
+ rochers s'élèvent et les rivières serpentent entre moi et les
+ lieux que notre amour embellissait, et cependant, Marie, ta
+ beauté m'apparaît fraîche encore, comme un délicieux songe
+ d'amour, etc., etc.»]
+
+Oublie ce monde, ô mon ame agitée, tourne tes pensées vers le ciel; tu y
+dirigeras bientôt ta course, si tes erreurs sont oubliées. Loin des
+bigots et des sectaires, incline-toi devant le trône du Tout-Puissant,
+adresse-lui ta tremblante prière. Il est clément et juste, il ne
+rejettera pas la prière de l'enfant de la poussière, quoiqu'il soit le
+moindre objet de ses soins. Père de la lumière, j'élève vers toi mes
+accens! Tu le vois, mon ame est pleine de souillures; toi qui peux
+observer la chute du plus petit oiseau, détourne de moi la mort du
+péché. Toi qui peux guider l'étoile errante, qui calmes la guerre des
+élémens, qui as pour manteau les cieux immenses, pardonne mes pensées,
+mes paroles, mes crimes; et puisque je dois bientôt cesser de vivre;
+apprends-moi comment je dois mourir.
+
+Nous avons vu par une lettre précédente qu'il avait eu à se féliciter de
+l'issue d'un procès jugé au tribunal de Lancastre, et relatif à la terre
+de Rochdale. Dans une note que nous allons reproduire, et qu'il écrivit
+à l'un de ses amis de Southwell à l'occasion d'un second triomphe dans
+la même cause, on verra qu'il s'en exagérait beaucoup les résultats
+probables.
+
+
+9 février 1807.
+
+MON CHER,
+
+«J'ai le plaisir de vous annoncer que j'ai gagné une seconde fois la
+cause de Rochdale, qui me fait valoir soixante mille livres de plus.
+
+Tout à vous.»
+
+BYRON.
+
+Au mois d'avril suivant il était encore à Southwell, et c'est de là
+qu'il écrivit au docteur Pigot, alors à Édimbourg[67]:
+
+ [Note 67: Il paraît, d'après un passage d'une lettre de miss
+ Pigot à son frère, que Lord Byron chargea ce dernier de
+ remettre une copie de ses poèmes à M. Mackenzie, l'auteur de
+ l'_Homme sensible_: «Je suis ravie que M. Mackenzie ait vu
+ une copie des poèmes de Lord Byron, et qu'il en ait jugé
+ aussi favorablement. Lord Byron en est enchanté.»
+
+ Dans une autre lettre, l'aimable écrivain dit encore: «Lord
+ Byron me charge de vous dire qu'il ne vous écrit pas parce
+ que son édition n'est pas aussi avancée qu'il l'avait espéré.
+ Je lui dis qu'il faut aussi peu de chose pour l'affecter qu'à
+ une femme.»]
+
+
+Southwell, avril 1807.
+
+MON CHER PIGOT,
+
+«Permettez-moi de vous féliciter du succès de votre premier examen;
+_courage_, mon ami. Le titre de docteur fera merveille auprès des dames.
+Je serai probablement à Essex ou à Londres quand vous arriverez en ce
+lieu maudit, où je suis encore retenu par l'impression de mes vers.
+
+«Adieu, croyez-moi toujours bien sincèrement votre
+
+BYRON.
+
+«_P. S._ Depuis notre séparation, grâce à de violens exercices, la
+_plupart_ physiques, et aux bains chauds, j'ai réduit mon embonpoint de
+cent soixante-quatorze livres à cent quarante-un; total vingt-sept
+livres de perte. _Bravo_! qu'en dites-vous?»
+
+Je dois à la complaisance de la dame qui correspondait alors avec Byron
+l'avantage de pouvoir initier le lecteur dans les sentimens et les
+travaux de notre poète pendant le reste de cette année. Ces lettres ont,
+sans doute, un caractère enfantin[68], et la plupart des plaisanteries
+qu'on y trouve naissent plutôt de jeux de mots que de pensées
+saillantes; mais je les estime cependant fort curieuses, et par la
+lumière qu'elles répandent sur cette époque de sa vie, et par le tableau
+animé des craintes et des espérances qu'il avait relativement à sa
+gloire future. La première de ces lettres ne porte pas de date, elle
+semble avoir été écrite avant son départ de Southwell; les autres, comme
+on le verra, sont datées de Cambridge et de Londres.
+
+ [Note 68: En effet, il n'était encore qu'un enfant sous tous
+ les rapports dans ce tems-la. «Lundi prochain (dit miss
+ Pigot) est notre grande foire. Lord Byron l'attend avec le
+ même plaisir que le petit Henri, et se promet de paraître à
+ cheval dans la foulée; mais je pense qu'il changera de
+ résolution.»]
+
+
+
+
+LETTRE XII.
+
+À MISS PIGOT.
+
+11 juin 1807.
+
+
+MA CHÈRE REINE BESS[69],
+
+«_Sauvage_ doit être immortel; ce n'est pas un généreux boul-dogue, mais
+c'est le plus joli roquet que j'aie encore vu, et il fera parfaitement
+l'affaire. Dans ses accès de tendresse, il a déjà mordu les doigts et
+dérangé la gravité du vieux Boatswain, qui en est encore fort ému. Je
+désire savoir ce qu'il coûte, les frais qu'il a occasionnés, etc., etc.,
+afin de pouvoir indemniser M. G... Je ne puis que le remercier de la
+peine qu'il a prise, lui adresser un long discours et conclure avec 1,
+2, 3, 4, 5, 6, 7[70]; mais je suis hors d'état de faire tout cela par
+moi-même, ainsi je vous _députe_ en qualité de légat, car il ne faut pas
+parler d'_ambassadeur_, relativement au _pape_, comme c'est le cas ici
+sans doute, puisque tout ce que je vous ai dit est à propos de
+_bulle_[71].
+
+«Tout à vous.
+
+BYRON.
+
+«_P. S._ Je vous écris de mon lit.»
+
+ [Note 69: Diminutif d'Élisabeth. Byron, en l'appelant reine,
+ fait allusion à la reine Élisabeth.]
+
+ [Note 70: Cette phrase s'explique par son habitude, quand il
+ lui arrivait de ne pas trouver les expressions de la pensée
+ qu'il voulait exprimer, de prononcer les chiffres 1, 2, 3, 4,
+ 5, 6, 7.]
+
+ [Note 71: Bull-dog ou boul-dogue. On comprendra facilement le
+ jeu de mois.]
+
+
+
+
+LETTRE XIII.
+
+À LA MÊME.
+
+Cambridge, 30 juin 1807.
+
+
+«Mieux vaut tard que jamais, c'est un proverbe dont vous connaissez
+l'origine, et, comme son application est ici toute naturelle, vous me
+pardonnerez de lui avoir donné dans ma lettre une place aussi honorable.
+Je me trouve ici presque suranné; mes anciens amis, excepté un fort
+petit nombre, sont tous partis, et je me dispose à les suivre, mais je
+reste jusqu'à lundi pour assister à trois oratorios, deux concerts, une
+foire et un bal. Je me trouve non-seulement _plus maigre_, mais d'un
+pouce plus _grand_ qu'à mon dernier voyage. Je me suis vu obligé de
+redire à chacun mon _nom_, personne n'ayant le moindre souvenir de ma
+figure ni de ma personne. Il n'est pas jusqu'au héros de ma _Cornaline_
+(qui, dans ce moment, se trouve placé vis-à-vis, lisant un volume de mes
+poésies), qui n'ait passé devant moi dans les promenades du collége sans
+me reconnaître, et qui n'ait été frappé du changement total qui s'était
+opéré en moi, etc., etc. Les uns me trouvent mieux, les autres plus mal;
+mais tous s'accordent à dire que je suis maigri, plus même que je ne le
+désire. J'ai perdu deux livres d'embonpoint depuis mon départ de votre
+maudit, détestable et détesté séjour de scandale[72], dont, à
+l'exception de vous-même et de John Becher, je voudrais voir toute la
+race consignée dans les gouffres de l'Achéron, lequel fleuve j'aimerais
+mieux visiter en personne que de salir mes sandales dans la vile
+poussière de Southwell. À parler sérieusement, si la légèreté de ma
+bourse ne me force pas à rejoindre Mrs. Byron, vous ne me reverrez plus.
+
+ [Note 72: Malgré les injures, d'ailleurs plutôt badines que
+ sérieuses, qu'il lance dans le cours de ses lettres contre
+ Southwell, il apprit plus tard à se convaincre que les heures
+ qu'il y avait passées étaient les plus heureuses de sa vie.
+ Dans une lettre qu'écrivit, il n'y a pas long-tems, à son
+ valet Fletcher, une dame qui l'avait intimement connu à
+ Southwell, on trouve le passage suivant: «Votre bon, votre
+ pauvre maître m'appelait toujours _l'antique piété_, quand je
+ m'avisais de lui faire des remontrances. Lors de sa dernière
+ visite, il me dit: _Eh bien! ma bonne amie, je ne serai
+ jamais aussi heureux qu'à Southwell_.» On verra plus loin,
+ dans une lettre à M. Dallas, ce qu'il pensait réellement de
+ cette ville et de ses agrémens comme lieu de résidence.]
+
+«Je pars lundi pour Londres; je quitte Cambridge sans beaucoup de peine,
+notre société étant dispersée, et le musicien que je protégeais ayant
+quitté sa place dans le chœur pour entrer dans une grande maison de
+commerce de la capitale. Je vous ai dit, sans doute, qu'il était
+exactement, et à une heure près, plus jeune que moi de deux années. Je
+l'ai trouvé fort grandi, et surtout enchanté de revoir son premier
+_patron_. Il est presque de ma taille, très-maigre, d'une belle figure,
+des yeux noirs, des cheveux clairs: vous connaissez déjà l'idée que j'ai
+de son esprit; j'espère bien n'avoir jamais sujet d'en changer. On me
+croit ici généralement indisposé: l'université est fort gaie dans ce
+moment; elle donne des fêtes de tous les genres. Hier j'ai soupé dehors,
+mais je n'ai rien mangé; satisfait d'une bouteille de Bordeaux, je me
+suis couché à deux heures pour me lever à huit. J'ai pris le parti de me
+lever de bonne heure, cette habitude me convient parfaitement. Je reçois
+beaucoup de politesses des maîtres et des élèves; mais ils me regardent
+avec un peu de défiance: ils se soucient peu des _lardons_; le moyen de
+déplaire c'est de dire la vérité.
+
+«Écrivez-moi, dites-moi comment se partent les habitans de votre
+_ménagerie_, si mon édition se place, si mes chiens grognent. À propos,
+mon boul-dogue est décédé; _la chair du chien comme celle de l'homme
+n'est que de l'herbe_. Répondez-moi à Cambridge; si j'en suis parti, on
+m'enverra votre lettre. Voici de tristes nouvelles qui arrivent: les
+Russes sont vainqueurs; triste troupe qui ne mange que de l'_huile_, et
+par conséquent devait fondre devant un _feu soutenu_. Je ne suis pas à
+mon aise dans mon costume universitaire, je n'en ai pas l'usage. Je suis
+monté sur une fenêtre à Sainte-Marie pour mieux entendre un _oratorio_;
+mais au milieu du chant du _Messie_, je me suis laissé tomber, déchirant
+ma superbe robe de soie noire, et endommageant une fort belle paire de
+culottes. Mémoire, prendre garde de ne jamais tomber d'une fenêtre
+d'église pendant le service. Adieu, ma chère Élisabeth, ne me rappelez à
+personne, oubliez les gens de Southwell; en être oublié, voilà tout ce
+que je désire.»
+
+
+
+
+LETTRE XIV.
+
+À MISS PIGOT.
+
+Cambridge, collége de la Trinité, 5 juillet 1807.
+
+
+«Depuis ma dernière lettre, je me suis décidé à rester encore une année
+à Granta (Cambridge); mes appartemens y sont meublés dans le dernier
+style. Plusieurs vieux amis me sont revenus, et leur nombre s'est
+augmenté de nouvelles connaissances; mon inclination est donc pour le
+collége, et j'y retournerai en octobre si je vis encore. Ma vie est ici
+une suite continuelle de plaisirs; je vais dans le même jour à vingt
+différens endroits; j'ai des invitations pour dîner plus que le tems de
+mon séjour ne me permet d'en accepter. Je viens de prendre la plume, une
+bouteille de Bordeaux dans la tête et des larmes dans les yeux, car je
+viens de quitter ma Cornaline[73] qui était venue passer la soirée avec
+moi; comme c'était notre dernière entrevue, j'avais manqué aux
+invitations que l'on m'avait faites pour consacrer à l'amitié les heures
+du _sabbat_. Maintenant nous voilà séparés, Edleston et moi: ma tête est
+un chaos d'ennuis et d'espérances. Demain je partirai pour Londres; vous
+m'écrirez à Albemarle-street, hôtel Gordon, où j'habiterai pendant mon
+séjour dans la capitale.
+
+«Je suis ravi d'apprendre que vous vous intéressiez à mon _protégé_; il
+a été mon _très-constant associé_ depuis le mois d'octobre 1805, époque
+de mon entrée au collége Trinité. Sa voix fut la première à me frapper,
+sa figure m'attacha à lui, ses manières me le firent aimer pour la vie.
+Il entre dans une maison de commerce en ville vers le mois d'octobre, et
+tout porte à croire que je ne le reverrai pas avant l'époque de ma
+majorité, quand je pourrai lui donner à choisir ou d'une place d'associé
+dans sa maison, ou de venir demeurer avec moi. Je pense que, dans ses
+idées actuelles, il préférerait le dernier parti; mais d'ici là il
+pourra bien changer d'avis: dans tous les cas ce sera comme il
+l'entendra. Il est certain que c'est l'être que j'aime le plus au monde,
+et que ni le tems ni l'absence ne pourront changer en rien mes sentimens
+d'ailleurs si mobiles. Bref, nous ferions honte à lady E... Butler et
+miss Ponsonby, nous étonnerions Oreste et Pilade; et vienne l'occasion
+d'une catastrophe comme celle de Nisus et Euryale, nous l'emporterons
+sur David et Jonathan. Peut-être a-t-il pour moi encore plus d'affection
+que je n'en ai pour lui. Pendant tout mon tems de Cambridge, nous nous
+sommes vus tous les jours, été et hiver, sans éprouver un moment
+d'ennui, et nous séparant toujours avec une peine incroyable. Vous nous
+verrez un jour ensemble, je l'espère; c'est le seul homme que j'estime,
+bien que ce ne soit pas le seul que j'aime[74].
+
+ [Note 73: C'est-à-dire celui auquel il avait donné la fameuse
+ cornaline.]
+
+ [Note 74: Il faut placer ici les autres détails de cette
+ amitié exaltée. Le jeune Edleston mourut en 1811 de
+ consomption. Voici la lettre que Byron adressa à la mère de
+ miss Pigot; elle prouvera quelle fut alors sa douleur, et
+ quelle fidélité il gardait à la mémoire de cet ami de
+ collége:
+
+ Cambridge, 28 octobre 1811.
+
+ MA CHÈRE DAME,
+
+ «Je vous écris pour une demande pénible, et cependant il
+ m'est impossible de faire autrement. Vous vous souvenez d'une
+ cornaline que j'avais confiée à miss Élisabeth, il y a
+ quelques années, que réellement je lui avais donnée;
+ maintenant je viens lui faire la plus égoïste et la plus
+ inconvenante prière. Celui qui me l'avait donnée, dans sa
+ première jeunesse, est _mort_; et bien que je ne l'eusse pas
+ revu depuis long-tems, c'est le seul souvenir qui me reste de
+ cette personne à laquelle je m'intéressais très-vivement.
+ Elle a donc acquis par cet événement une valeur que j'aurais
+ bien souhaité ne jamais lui supposer. Si donc miss Betty l'a
+ conservée jusqu'à présent, elle m'excusera, je l'espère, si
+ je la supplie de me la renvoyer à Londres, à
+ Saint-James-street, n° 8; je la remplacerai par quelque autre
+ souvenir qui lui sera également précieux. Elle eut toujours
+ la bonté de s'intéresser au sort de celui dont je viens de
+ parler; dites-lui que le _donneur_ de la cornaline mourut au
+ mois de mai dernier, à l'âge de vingt-un ans, et que sa mort
+ est la sixième d'amis ou de parens que j'aie eu à supporter
+ dans l'espace de quatre mois.
+
+ «Croyez-moi bien sincèrement, ma chère dame,
+
+ BYRON.
+
+ «_P. S._ Je pars demain pour Londres.»
+
+ La cornaline fut aussitôt renvoyée à Lord Byron, qui
+ rappelait encore quelque tems après qu'il l'avait laissée à
+ miss Pigot comme un dépôt et non pas comme un don.]
+
+«Le marquis de Tavistock est arrivé hier; j'ai soupé avec lui chez son
+tuteur, qui est un whig délibéré. L'opposition est ici en nombre, et
+lord Huntingdon, le duc de Leinster, etc., etc., doivent encore nous
+joindre en octobre; ainsi tout sera admirable. Le tems de la musique est
+passé; mais voici un nouvel accident: j'ai renversé une _nacelle_ à
+beurre sur la robe d'une dame; j'ai changé de couleur; les spectateurs
+de rire et moi de les maudire. À propos, aveu pénible! je me suis
+_grisé_ tous les jours, et je n'ai pas encore fini; cependant je ne
+mange rien que du poisson, du potage et des végétaux; je ne me porte
+donc pas plus mal. Les sots malins que ces Cantabres[75]! Mémoire.
+Projet de réforme pour janvier. Cette ville offre une monotonie de
+distractions continuelles; je l'aime, et déteste Southwell. Ridge a-t-il
+bien vendu? Quelles dames ont acheté?... J'ai vu à Sainte-Marie une
+jeune fille, vrai portrait d'Anne... J'ai cru que c'était elle... et
+pour mon malheur; car la dame s'arrêta, ainsi le fis-je; je rougis,
+ainsi ne fit-elle pas, ce qui était fort mal; je voudrais dans les
+femmes plus de modestie. En parlant de femmes, Fanni, mon chien terrier,
+me revient à l'esprit; comment se porte-t-il? J'ai attrapé un mal de
+tête, je vais me mettre au lit et demain haut le pied de bonne heure
+pour me mettre en route. Mon protégé déjeunera avec moi, mais je n'ai
+pas d'appétit quand je pars, si ce n'est de Southwell. Mémoire. _Je hais
+Southwell_.
+
+«Tout à vous.»
+
+ [Note 75: Les habitans de Cambridge.]
+
+
+
+
+LETTRE XV.
+
+À LA MÊME.
+
+Hôtel Gordon, 13 juillet 1807.
+
+
+«Vous m'écrivez des lettres parfaites.--Fi des autres correspondans, et
+de leurs fades excuses _de n'avoir rien à vous apprendre_! Vous m'avez
+envoyé une délicieuse _brochure_; ici je me trouve dans un continuel
+tourbillon de distractions fort agréables après tout, et, chose
+singulière, je maigris à vue d'œil, pesant maintenant bien moins de cent
+trente livres. Je séjournerai ici un mois, peut-être six semaines; je
+ferai une apparition dans le comté d'Essex, et comme une faveur je
+viendrai briller à Southwell dans toute ma gloire; mais rien jamais ne
+pourra me forcer à y résider. Je suis décidé à retourner en octobre à
+Cambridge; ou nous y serons d'une gaîté folle, ou je décampe de
+l'université. Il m'est arrivé à Cambridge quelque chose
+d'extraordinaire. J'ai trouvé une jeune fille qui ressemblait à ***, au
+point que la plus minutieuse inspection pouvait seule m'empêcher de la
+prendre pour cette dernière. Je me repens de ne pas lui avoir demandé si
+elle était jamais allée à Harrow.
+
+«Que diable prétend donc Ridge? cinquante exemplaires en quinze jours,
+et avant les annonces, n'est-ce pas assez vendre? Je sais que plusieurs
+libraires de Londres en ont, et que Crosby en a envoyé aux _eaux_ les
+plus fréquentées. En dit-on à Southwell du bien ou du mal?... J'aurais
+voulu que Boatswain eût _avalé_ Damon. Comment se porte Bran? Par les
+dieux, il faut que Bran devienne un _comte du saint empire romain_...
+
+«Les nouvelles de Londres ne peuvent guère vous intéresser; vous dont
+toute la vie a été campagnarde vous vous souciez peu des routs, des
+parties, des bals, des luttes, des cartes, des crim. con.[76],
+discussions des chambres, politique, bals masqués, industrie,
+institution d'Argyle-Street, courses nautiques, amourettes et loteries,
+Brook et Bonaparte, chanteurs d'opéras et oratorios, vins, femmes,
+figures de cire, girouettes, tout cela ne s'accorde guère avec vos idées
+rétrécies de décorum et vos autres expressions sucrées qui ne se
+trouvent plus dans notre vocabulaire.
+
+ [Note 76: Abréviation des mots _criminelles conversations_,
+ qui servent à désigner les actions en adultère, viols,
+ attentats à la pudeur, etc., etc.]
+
+«Oh! Southwell! Southwell! combien je me félicite de t'avoir abandonné,
+et combien je maudis les lourdes heures écoulées plusieurs mois durant,
+au milieu des Mohawk qui habitent tes kraals! Toutefois une chose me
+console, c'est, grâce à toi, d'avoir dépouillé assez de mon ancienne
+graisse pour me permettre de glisser dans une _peau d'anguille_, et de
+lutter avec les plus sveltes beaux des tems modernes. Mais je suis fâché
+de le dire, la mode actuelle semble exiger de l'embonpoint, et l'on
+m'assure qu'il s'en faut de quatorze livres que je sois à la mode. Il
+n'en est pas moins vrai qu'au lieu d'engraisser je diminue, ce qui est
+extraordinaire, attendu qu'à Londres on ne peut songer à des exercices
+violens. J'attribue ce phénomène à la presse que nous éprouvons dans nos
+réunions du soir. Je reçois ce matin même 14, une lettre de Ridge; la
+mienne était commencée d'avant-hier: il m'écrit que mon livre se débite
+aussi bien qu'on peut le désirer; que les soixante-quinze exemplaires
+envoyés à Londres sont épuisés, et qu'on lui en demande, le jour même
+qu'il m'écrivait, cinquante de plus: on n'a pourtant pas encore fait la
+moitié des annonces. Adieu.
+
+«_P. S._ Lord Carlisle, en recevant mes œuvres, m'a fait tenir une
+lettre assez satisfaisante avant d'avoir ouvert le livre: depuis je n'en
+ai pas entendu parler. Je ne connais pas l'opinion qu'il en a formée, et
+je m'en soucie fort peu. S'il fait la moindre insolence je l'encadrerai
+avec Butler[77] et les autres de sa force. Le pauvre homme! il est dans
+le duché d'York et fort malade; il me dit qu'il n'a pas eu le tems de me
+lire, mais qu'il a jugé convenable de m'annoncer de suite qu'il avait
+reçu mon envoi. Peut-être le comte ne veut-il _pas souffrir de frère
+auprès de son trône_[78].--_S'il en est ainsi_, je saurai bien briser
+_le sceptre dans ses mains_.--
+
+«Adieu.»
+
+BYRON.
+
+ [Note 77: Byron a inséré parmi ses poèmes imprimés, sans
+ avoir été publiés, quelques vers sur le docteur Butler, qu'il
+ n'a pas reproduits dans les _Heures d'oisiveté_; il y avait
+ ajouté une note moins amère, dans laquelle il expliquait ses
+ motifs de rancune.]
+
+ [Note 78: Citation qui présente une allusion à la coutume du
+ Grand-Seigneur, de faire étrangler ses frères en montant sur
+ le trône.]
+
+
+
+
+LETTRE XVI.
+
+À LA MÊME.
+
+2 août 1807.
+
+
+«Londres commence à dégorger ce qu'elle contenait.--La ville est
+déserte,--et mes occupations devenant moins nombreuses, je puis
+griffonner à loisir. Dans quinze jours je partirai pour répondre à une
+invitation de campagne, mais j'espère bien recevoir d'ici-là deux
+lettres de vous. Ridge _n'écoule_ pas rapidement dans Nottes.--Je le
+crois facilement; mais dans la capitale la chose se passe d'une manière
+bien plus flatteuse, et sans doute on peut se passer de l'assentiment
+des littérateurs de province, quand on a d'ailleurs obtenu l'éloge des
+revues, l'admiration des duchesses et la reconnaissance intéressée des
+libraires de la capitale. J'ai actuellement sous les yeux une revue
+intitulée: _Récréations littéraires_; mes poésies y sont vantées bien
+au-delà de leur mérite. Je ne connais pas mon juge, mais je lui trouve
+beaucoup de discernement, et à moi un talent _d'enfer_. Sa critique me
+plaît surtout en ce qu'elle est fort longue, et en ce qu'elle a
+justement la dose de sévérité nécessaire pour donner à ses éloges un
+agréable relief. Je hais, vous le savez, les complimens communs et
+insipides. Si vous voulez voir cet article, cherchez le troisième numéro
+des _Récréations littéraires_ du mois dernier.
+
+«Je n'ai pas, je vous le répète, la plus légère idée de celui qui l'a
+fait: il est imprimé dans un recueil périodique; et bien qu'on ait
+inséré dans le même ouvrage un morceau de ma composition (l'_Examen de
+Wordsworth_[79]), je ne connais aucun de ceux qui s'intéressent à cette
+publication, pas même l'éditeur, dont le nom n'est pas parvenu jusqu'à
+moi. Mon cousin, lord Alexandre Gordon, m'a dit que la _Grâce_ de
+Gordon, sa mère, l'avait engagé à présenter ma _poétique_ seigneurie à
+son _altesse_, attendu qu'elle avait acheté mon livre, qu'elle l'avait
+prodigieusement admiré, comme le reste de la haute société, et qu'elle
+voulait faire connaissance avec l'auteur. Malheureusement j'avais une
+invitation pour quelques jours dans les environs, et la duchesse était à
+la veille de partir pour l'Écosse; j'ai donc remis à l'hiver prochain ma
+présentation, et alors je pourrai donner à la dame, dont il ne
+m'appartient pas de contester l'excellent goût, une idée de ma sublime
+et très-édifiante conversation. En ce moment elle est dans les _hautes
+terres_, et Alexandre lui-même est parti depuis quelques jours pour ce
+séjour béni des vents _noirs_ et _tumultueux_.
+
+ [Note 79: On ne doit remarquer ce coup d'essai de Lord Byron
+ dans les _revues_ (plus tard, comme on le verra, il reparut
+ une ou deux fois dans la même lice, d'ailleurs si peu
+ poétique), qu'en rappelant l'aisance avec laquelle il sut se
+ plier au ton et à la phraséologie de ces tribunaux infimes de
+ la littérature; par exemple: «Les volumes que nous avons sous
+ les yeux sont de l'auteur des _Ballades lyriques_, collection
+ à laquelle on a prodigué, et non pas sans raison, de grands
+ éloges. Le caractère du talent de M. Wordsworth est la
+ simplicité unie à l'abondance: les vers pèchent quelquefois
+ du côté de l'harmonie, mais ils ont de la force; ils
+ s'adressent d'une manière irrésistible à l'imagination et à
+ tous nos sentimens naturels. Peut-être ces derniers ouvrages
+ n'égalent-ils pas les premières publications du même auteur;
+ mais on retrouve encore une véritable élégance dans une foule
+ de pièces, etc.» Si dans ce tems-là M. Wordsworth jeta les
+ yeux sur cet article, il ne prévit pas sans doute que
+ l'auteur d'une pareille prose rivaliserait, à quelque tems de
+ là, avec _lui-même_ dans la lice poétique.]
+
+«Crosby, mon éditeur de Londres, a placé sa seconde _commande_. Il en a
+redemandé, du moins si je l'en crois, une troisième à Ridge. Sur tous
+les étalages de librairie, je vois mon _propre nom_; je ne dis rien,
+mais je jouis en secret de ma célébrité. Le dernier critique qui se soit
+occupé de moi, m'a engagé avec bienveillance à renoncer à mon projet de
+ne plus rien écrire; et, en _sa qualité d'ami des lettres_, il m'a
+conjuré de _gratifier bientôt_ le public de quelque nouvel ouvrage. Qui
+diable ne voudrait être poète, c'est-à-dire, si tous les critiques
+avaient la même politesse? Au reste, je paierai peut-être cher ces
+aimables faveurs préliminaires; mais, dans ce cas-là, j'aurai mon tour;
+et, tant bien que mal, je n'en ai pas moins écrit, dans mes instans de
+loisir et après deux heures du matin, trois cent quatre-vingts vers
+blancs sur la bataille de Bosworth. J'avais heureusement pu consulter le
+livre de Hutton. Je ferai huit ou dix chants sur ce sujet, et je l'aurai
+terminé à la fin de l'année; mais les circonstances décideront si je
+ferai imprimer ou non ce poème. Voilà bien assez d'_égoïsme_: mes
+lauriers m'ont tourné la cervelle; mais sans doute la caustique
+assiduité des critiques à venir, me ramènera à des sentimens plus
+modestes.
+
+«Southwell est une place maudite; j'en ai fini avec elle, du moins
+suivant toutes les probabilités: à l'exception de vous, je ne porte pas
+la moindre estime à une seule ame de son enceinte; vous étiez la seule
+compagnie raisonnable, et franchement j'ai toujours eu pour vous plus de
+considération que pour les grues dont je partageais souvent les
+ridicules, par bonté d'ame. Vous vous êtes donné pour moi et pour mes
+manuscrits plus de peine que ne l'eussent fait tous ces mannequins
+réunis. Croyez-moi, je n'ai pas, dans le cercle de péchés où je vis en
+ce moment, oublié votre excellent naturel, et un jour j'espère bien vous
+prouver toute la reconnaissance que j'en conserve. Adieu. Tout à vous,
+etc.
+
+«_P. S._ Rappelez-moi au docteur P...»
+
+
+
+
+LETTRE XVII.
+
+À LA MÊME.
+
+Londres, 11 août 1807.
+
+
+«Je pars lundi _pour les hautes terres_[80]; un de mes amis
+m'accompagnera dans ma voiture jusqu'à Édimbourg; c'est là que nous
+quitterons notre équipage pour prendre un _tamdem_ (sorte de cabriolet),
+qui nous conduira au milieu des défilés de l'ouest jusqu'à Inverary.
+Nous achèterons alors des échasses afin de pénétrer dans les endroits
+défendus aux moyens de transport ordinaires. Quand nous serons sur les
+côtes, nous entrerons dans un vaisseau pour visiter les lieux les plus
+remarquables des îles Hebrides, et si le tems nous le permet, nous irons
+jusqu'en Islande à trois cents milles seulement de l'extrémité
+septentrionale de l'Écosse afin de saluer l'_Hécla_. Ne divulguez pas ce
+dernier projet, ma tendre _maman_ imaginerait que nous voyageons pour
+découvrir de nouvelles terres, et ferait entendre comme d'habitude un
+maternel cri d'alarme.
+
+ [Note 80: Ce plan, qu'il n'exécuta jamais, avait été résolu
+ avant son départ de Southwell; voici comme il en est parlé
+ dans une lettre de miss Pigot à son frère: «Comment
+ pouvez-vous demander si Lord Byron ira cet été dans les
+ _hautes terres_ (ou _Highlands_) d'Écosse? Ignorez-vous donc
+ qu'il n'a pas la même idée dix minutes de suite? Je lui dis
+ qu'il est aussi inconstant que les vents et aussi mobile que
+ les vagues.»]
+
+«J'ai nagé dans la Tamise la semaine dernière entre les deux ponts de
+Westminster et de Blackfriars, ce qui fait, en y comprenant les
+différent détours obligés, une distance de trois milles. Vous voyez que
+je suis préparé complètement à un naufrage sur mer.
+
+«J'ai l'intention de réunir toutes les traditions Erses, les poèmes,
+etc., etc., de les traduire ou du moins d'étendre assez le sujet pour
+faire un volume qui paraîtra au printems prochain sous le titre de _la
+Harpe montagnarde_ ou quelque autre titre aussi pittoresque. J'ai
+terminé le premier livre de la bataille de Bosworth; un second est
+commencé, ce sera l'affaire de trois ou quatre ans, et sans doute il ne
+sera jamais fini. Que penseriez-vous de quelques stances sur le mont
+Hecla? Du moins elles seraient écrites sous le _feu_. Comment va
+l'immortel Bran? et ce phénix des bêtes canines, le superbe Boatswain?
+Je viens d'acheter un boul-dogue de race, digne d'être le coadjuteur des
+précédentes divinités; son nom est Smut. _Oh! zéphirs, portez-le sur vos
+ailes embaumées_. Écrivez-moi avant mon départ, je vous en conjure par
+la cinquième côte de votre grand-père. Ridge est content de la vente, et
+cela me console du peu de succès du livre en province. La vogue a été
+complète à Londres: il y a peu de jours que Carpantier, l'éditeur de
+Moore, m'a dit qu'on avait vendu tout ce qu'on avait envoyé, et qu'on ne
+pouvait satisfaire aux dernières demandes parce qu'on n'en avait plus.
+Le duc d'York, la marquise de Headfort, la duchesse de Gordon, etc., se
+sont trouvés au nombre des acheteurs, et l'opinion de Crosby est que la
+circulation sera plus rapide encore dans l'hiver. L'été est une saison
+nulle pour le commerce, tant il y a peu de monde à Londres, et cependant
+ils sont extrêmement contens. Je passerai tout près de vous dans le
+cours de mon voyage, mais je ne pourrai aller vous voir. Ne le dites pas
+à Mrs. Byron, elle croit que je prends une autre route. Si donc vous
+avez une lettre, mettez-la à la boutique de Ridge, où je m'arrêterai, ou
+bien adressez-la, poste restante, à Newark, vers six ou huit heures du
+soir. Si votre frère veut bien se trouver là, je serai diablement ravi
+de le voir; il pourra repartir le soir même, ou bien souper avec nous,
+et retourner le lendemain matin. Je loge aux Armes de Kingston.
+
+«Adieu. Tout à vous.»
+
+BYRON.
+
+
+
+
+LETTRE XVIII.
+
+À LA MÊME.
+
+Collége de la Trinité, Cambridge, 25 octobre 1807.
+
+
+MA CHÈRE ÉLISABETH,
+
+«Fatigué d'être resté au jeu ces deux derniers jours jusqu'à quatre
+heures du matin[81], je prends la plume pour m'informer de la santé de
+votre altesse et de toutes les autres connaissances féminines que j'ai
+laissées dans votre métropole archiépiscopale. Je mérite, je le sais, de
+grands reproches pour ma négligence; mais ne faisant que courir à cheval
+de long en large dans la province depuis trois mois, comment aurais-je
+pu remplir les devoirs d'une exacte correspondance? Enfin me voilà
+retenu pour six semaines, et je vous écris aussi _maigre_ que jamais,
+n'ayant pas depuis ma diminution regagné une once, et n'en étant que de
+meilleure humeur; mais, quoi qu'il en soit, Southwell était un séjour
+détestable. J'en suis dehors, grâce à Saint-Dominique. Depuis ce tems,
+je m'en suis deux fois rapproché de huit milles, mais sans pouvoir me
+décider à venir étouffer dans sa lourde atmosphère. Cambridge est de son
+côté assez maudite; c'est un vil chaos de bruit et d'ivrognerie; le jeu,
+le bourgogne, la chasse, les mathématiques et Newmarket, les orgies et
+les courses de chevaux, voilà tout ce qu'on y fait et tout ce qu'on y
+trouve; mais comparé à l'éternelle insipidité de Southwell, c'est un
+vrai paradis. Est-il rien de plus misérable que de ne faire qu'accroître
+tous les jours le nombre de ses amours, de ses ennemis et de ses vers?
+
+ [Note 81: On trouvera ici, comme dans plusieurs autres
+ lettres de sa jeunesse, cette espèce d'ostentation
+ d'inconduite, travers assez commun à cet âge, alors
+ qu'aspirant à la virilité, nous nous imaginons qu'il peut y
+ avoir de la force à se précipiter dans le désordre.
+ Malheureusement cette ambition puérile de paraître plus
+ mauvais qu'il n'était, demeura invétérée dans l'esprit de
+ Lord Byron long-tems après qu'elle s'est évanouie chez les
+ autres; son esprit ne faisait même que s'en débarrasser
+ lorsqu'il termina ses jours.]
+
+Au mois de janvier prochain (mais cela est seulement entre nous, n'en
+dites rien, je vous prie, car mon persécuteur maternel jetterait bien
+vite sur mes projets sa tomahawk); je me mettrai en mer pour quatre ou
+cinq mois avec mon cousin le capitaine Bettesworth, qui commande _la
+Tartare_, la plus belle frégate de la marine. J'ai déjà vu bien des
+scènes, je veux étudier celles de la mer. Tout porte à croire que nous
+irons dans la Méditerranée ou aux Indes occidentales, ou bien enfin...
+au diable, et s'il y a quelque possibilité de me faire présenter à ce
+dernier, Bettesworth le fera; c'est un brave compagnon qui n'a encore
+reçu que vingt-quatre blessures en différens lieux, et qui possède une
+lettre du dernier lord Nelson, avouant que Bettesworth est le seul
+officier de marine qui ait reçu plus de blessures que lui-même.
+
+«J'ai maintenant un nouvel et le plus bel ami du monde, c'est un ours
+apprivoisé; quand je le montrai pour la première fois, on me demanda ce
+que je prétendais en faire, et moi de répondre que c'était un nouveau
+candidat au grade. Sherard vous expliquera ce mot, si vous avez de la
+peine à le comprendre. Ma réponse ne fit pas fortune. Nous avons ici une
+foule de réunions; ce soir, par exemple, je soupe avec un assortiment
+complet d'écuyers, joueurs, boxeurs, auteurs, ecclésiastiques et poètes.
+C'est, comme vous le voyez, un précieux mélange; mais ils s'accordent
+bien ensemble, et pour moi je suis un composé de chacun d'eux, à
+l'exception des écuyers. Hier, j'ai encore été démonté de cheval.
+
+«Remerciez, en mon nom, votre frère pour son traité. J'ai écrit deux
+cent quatorze pages d'un roman, un poème de trois cent quatre-vingts
+vers, que l'on publiera dans quelques semaines sans mon nom, et avec des
+notes; cinq cent soixante vers de la bataille de Bosworth et deux cent
+cinquante d'un autre poème, sans compter une demi-douzaine de pièces
+fugitives. Le poème que l'on va publier est une satire[82]. À propos,
+j'ai été porté dans les cieux par la Revue critique[83] et vivement
+insulté dans une autre publication[84]. Le tout, me dit-on, est pour le
+mieux pour la vente du livre; cela occupe l'attention, et empêche mon
+livre d'être oublié; d'ailleurs, dans tous les tems, n'a-t-on pas
+censuré les plus grands hommes? pourquoi les derniers seraient-ils plus
+heureux? Je supporte donc mon sort en philosophe: il est bizarre que
+deux critiques opposées aient paru le même jour; et que sur cinq pages
+d'injures, mon censeur, à l'appui de son opinion, ne cite que _deux
+vers_ de différens poèmes. Maintenant la vraie manière de _tuer un
+homme_, est de citer de longs passages et de les faire paraître
+absurdes, car une simple allégation n'est pas une preuve. D'un autre
+côté, il y a sept pages d'éloges, et c'est plus que ma _modestie_ ne
+peut en supporter à ce sujet.
+
+_P. S._ Écrivez, écrivez, écrivez!!!
+
+ [Note 82: Ce poème, qu'il augmenta depuis, était _les Bardes
+ anglais et les Reviseurs écossais_. Il semblerait d'après
+ cela que l'idée de cette satire lui soit venue quelque tems
+ avant la publication de l'article de la _Revue d'Édimbourg_.]
+
+ [Note 83: En septembre 1807. Cette _Revue_, en prononçant sur
+ la carrière future du jeune auteur, se montra meilleur
+ prophète que le grand oracle du nord. L'écrivain, en citant
+ l'élégie sur l'abbaye de Newsteadt, disait: «Nous ne pouvons
+ que saluer avec une sorte d'enthousiasme prophétique
+ l'espérance renfermée dans la stance suivante:
+
+ «Heureusement ton soleil peut encore échauffer ton front de
+ ses rayons les plus brûlans, etc., etc.»]
+
+ [Note 84: Dans le premier numéro d'un ouvrage mensuel, appelé
+ _le Satirique_, dans lequel furent insérées, par la suite,
+ quelques invectives contre sa personne.]
+
+Ce fut au commencement de l'année suivante que Lord Byron forma une
+liaison avec M. Dallas, allié de sa famille par les femmes. Ce M. Dallas
+est l'auteur de quelques romans qui jouirent d'une certaine réputation
+lorsqu'ils parurent, et aussi d'une sorte de _Mémoires_ du noble poète,
+publiés immédiatement après sa mort. Comme ils sont principalement
+fondés sur sa correspondance originale, ce sont aussi les plus
+authentiques et les plus dignes de foi qui aient encore été publiés.
+Dans les lettres que Lord Byron adresse à ce _gentleman_, parmi un grand
+nombre de détails curieux, sous le point de vue littéraire, nous en
+trouvons de bien plus importans sous celui qui nous occupe en ce moment;
+je veux dire quelques détails propres à faire connaître les opinions que
+Lord Byron professait alors sur la morale et la religion, opinions qui
+eurent une si grande influence sur sa réputation et sa conduite.
+
+Ce n'est que bien rarement que l'irréligion et le scepticisme trouvent
+accès dans un jeune cœur. Cette disposition naturelle à se confier en
+l'avenir, qui fait le charme de cette période de la vie, la rend
+naturellement la saison de la foi et de l'espérance. Alors sont encore
+fraîches dans l'esprit ces impressions d'une première éducation
+religieuse, qui, dans les esprits même les plus prompts à mettre en
+question la foi de leurs pères, ne cèdent que lentement aux
+envahissemens du doute, et, en même tems, étendent le bienfait de leur
+répression morale sur cette partie de la vie où l'on reconnaît qu'elle
+est le plus nécessaire. Si, comme les incrédules le reconnaissent
+eux-mêmes, l'absence du frein religieux dégage l'homme d'une
+responsabilité qui lui serait utile dans tous les tems; il en est
+surtout ainsi dans la jeunesse, l'âge des tentations, l'âge où les
+passions sont déjà assez portées par elles-mêmes à se donner toute
+latitude sans que l'irréligion vienne encore ajouter à leur licence. Il
+est donc heureux que, par suite des raisons que nous venons d'indiquer,
+le scepticisme et l'incrédulité ne pénètrent généralement dans les ames
+qu'à une époque de la vie où le caractère, déjà formé, est moins
+susceptible d'être détérioré par leur influence funeste. Quand
+l'incrédulité est le résultat erroné de la pensée et du raisonnement,
+elle aura quelque chose de la froideur des sources qui l'ont fait
+naître; elle ne sera qu'un sujet de spéculation; elle n'aura que peu de
+pouvoir à porter l'homme vers le mal, comme, à la même époque de la vie,
+la foi la plus orthodoxe n'en a trop souvent que peu pour le conduire
+vers le bien.
+
+Tandis que, de cette manière, les mœurs de l'incrédule lui-même sont
+préservées des conséquences funestes que de telles doctrines eussent pu
+entraîner à un âge plus tendre; par une raison analogue, le danger de la
+communication de ces mêmes idées à d'autres, se trouve singulièrement
+diminué. Cette même vanité, cette même audace qui ont dicté les opinions
+du jeune sceptique, le conduiront aussi probablement à les révéler, à
+les proclamer tout haut, sans s'occuper de l'effet que son exemple peut
+avoir sur ceux qui l'entourent, ou de l'odieux qu'une telle confession
+ne saurait manquer de jeter irréparablement sur lui-même; mais, dans un
+âge plus avancé, on examine ces conséquences avec plus de réflexion.
+
+L'incrédule, s'il a quelque considération pour le bonheur des autres, y
+regardera à deux fois, avant de chasser de leur cœur une espérance dont
+lui-même sent si vivement l'absence et le prix. S'il n'a d'égards que
+pour lui-même, il hésitera naturellement encore à promulguer des
+doctrines que, dans aucun siècle, les hommes n'ont impunément
+professées. Dans l'un ou l'autre cas, il y a donc grande probabilité
+qu'il gardera le silence; car, en supposant que la philanthropie ne
+l'éloignât pas du projet de convertir les autres, la prudence du moins
+pourra l'empêcher de faire de lui-même un martyr.
+
+Malheureusement Lord Byron fut encore en ceci une exception à la règle
+générale. Chez lui le ver rongeur se montra au matin de la jeunesse, au
+moment où ses ravages devaient être le plus funestes. Au malheur réel
+d'être incrédule à quelque âge que ce soit, il ajouta le malheur plus
+rare d'être incrédule avant d'avoir quitté les bancs de l'école. Et la
+précocité qui mit, de si bonne heure, en jeu ses passions et son génie,
+le fit aussi parvenir, avant l'âge, au plus affreux des résultats de la
+raison humaine. À cette époque de la vie, où un caractère comme le sien
+avait surtout besoin du frein des croyances religieuses, ce frein lui
+manquait déjà presque entièrement.
+
+Nous avons vu dans les deux prières à la Divinité que j'ai extraites de
+ses poésies non publiées, et mieux encore dans le résumé de ses études,
+à quel âge son esprit ardent avait déjà secoué le joug de tous les
+systèmes et de toutes les sectes. Toutefois, dans ces prières
+elles-mêmes, il y a une ferveur d'adoration, au milieu de l'éloignement
+des croyances reçues, qui peut montrer tout ce qu'il y avait
+naturellement de piété dans son cœur (et il y en a beaucoup dans le cœur
+des vrais poètes). S'il avait eu alors pour guides et pour appuis des
+hommes capables de nourrir et d'entretenir ces heureuses dispositions,
+il eût évité cette licence, ce dévergondage d'opinions, auxquels il se
+livra dans la suite. Son scepticisme, s'il n'eût pas été entièrement
+détruit, eût pu se changer en un doute modeste, qui, loin d'être opposé
+à l'esprit religieux, le préserve de l'orgueil et lui inspire la charité
+pour les erreurs des autres. S'il n'avait pas lui-même pris sur les
+matières religieuses des idées claires et solides, il eût du moins
+appris à ne pas obscurcir et ébranler celles de ses semblables. Mais il
+eut le malheur de n'avoir point près de lui un sage mentor. Après avoir
+quitté Southwell, il ne restait près de lui ni parent ni ami, vers qui
+il pût lever les yeux avec respect. Il fut jeté seul dans le monde, avec
+ses passions et son orgueil, pour s'abandonner à l'affreuse découverte
+qu'il croyait avoir faite de la non-existence d'une vie à venir, et aux
+droits dès-lors absolus que le présent a sur nous. Par une autre
+fatalité, celui de ses camarades de collége pour lequel il professa de
+son vivant le plus d'admiration et d'attachement, et dont il déplora la
+perte avec la tendresse d'un frère, Matthews se trouva aussi sceptique
+que lui-même, si ce n'est davantage encore. Les parens de ce jeune
+homme, dont la carrière, si elle n'eût été sitôt arrêtée par la mort,
+paraissait, d'après les promesses de sa jeunesse, devoir être si
+brillante, conçurent l'idée de publier ses Mémoires, et s'adressèrent,
+en conséquence, à Byron et à ses autres amis, pour en obtenir des
+matériaux. La lettre suivante, à laquelle cette demande donna lieu,
+outre qu'elle renferme plusieurs anecdotes amusantes sur son ami, nous
+donne des détails si intéressans sur sa vie domestique à cette époque,
+que nous n'hésitons pas à interrompre l'ordre chronologique pour
+l'insérer ici.
+
+
+
+
+LETTRE XIX.
+
+À M. MURRAY.
+
+Ravenne, 12 novembre 1820.
+
+
+«Ce que vous me dites de feu Charles Skinner Matthews, a réveillé tous
+mes anciens souvenirs; mais il m'a été impossible d'approuver
+l'intention qu'a son frère de donner une notice sur sa vie, quand bien
+même les événemens qui la remplirent auraient eu assez d'importance pour
+justifier la publication d'anecdotes d'un intérêt aussi restreint.
+Néanmoins, c'était un homme bien extraordinaire, et qui aurait acquis
+une grande illustration. Nul n'obtint jamais de plus brillans succès
+dans tout ce qu'il voulut essayer. Il était trop indolent sans doute;
+mais quand il lui arrivait de faire un effort, il dépassait aussitôt de
+bien loin tous ses rivaux. Ses victoires se trouveront enregistrées à
+Cambridge, particulièrement celle sur Downing, qui fut aisément
+remportée, quoique vivement et chaudement contestée. Hobhouse était son
+intime ami; il vous donnera plus de documens sur lui que personne.
+William Bankes aussi le connaissait intimement; mais pour moi je me
+rappelle moins ses grandes facultés académiques que ses bizarreries.
+Nous nous sommes trouvés réunis à l'une des époques les moins riantes de
+ma vie. Quand, en 1805, j'entrai au collége de la Trinité, âgé de
+dix-sept ans et demi, j'étais malheureux et jusqu'à un certain point
+insociable. Désolé de quitter Harrow, où j'avais fini par me plaire
+pendant les deux années précédentes; désolé d'aller à Cambridge et non
+pas à Oxford (parce qu'il ne se trouvait pas de place vacante à
+Christ-Church); désolé de quelques contrariétés domestiques de différens
+genres, j'étais en conséquence aussi indomptable qu'un loup dont on a
+rompu la voie. Aussi, bien que je connusse Matthews, et que je le
+rencontrasse souvent chez Bankes, mon aumônier, mon professeur et mon
+patron, chez Rhodes, chez Milness, chez Price, chez Dick, chez
+Macnamara, Farrell, Galley Knight, et autres connaissances du même tems,
+cependant je n'étais intime ni avec lui ni avec qui que ce fût, excepté
+mon ancien camarade d'école Edward Long, avec qui je passais les
+journées à monter à cheval et à nager, et Williams Bankes, qui avait
+assez de douceur dans le caractère pour tolérer mes férocités.
+
+Ce fut en 1807 seulement, quand, pour prendre mes _degrés_ je fus
+retourné à Cambridge, que j'avais auparavant quitté pendant plus d'un
+an, que je devins l'un des amis intimes de Matthews. Ce fut par
+l'entremise de M. ***, qui, après m'avoir détesté pendant deux ans,
+comme il le dit lui-même, parce que je portais un chapeau blanc, une
+redingote grise, et que je montais un cheval gris, m'avait pris en
+affection parce que je faisais des vers. J'avais déjà vécu assez
+long-tems avec eux, et je m'étais assez souvent enivré dans leur
+compagnie; mais tout-à-coup nous devînmes réellement amis un beau matin;
+Matthews cependant ne résidait pas à cette époque au collége; je le
+rencontrais principalement, et de tems en tems, à des époques
+incertaines, à Cambridge. H... pendant ce tems-là, faisait de grandes
+choses, et fondait le club des whigs de Cambridge, qu'il paraît avoir
+oublié, et la _société amicale_, qui fut dissoute en conséquence des
+querelles perpétuelles des membres qui la composaient. Il se rendait
+très-populaire parmi nous autres jeunes gens et très-formidable à tous
+les maîtres particuliers, à tous les professeurs et principaux de
+colléges. Williams B... était parti; car tant qu'il avait été là, c'est
+lui qui dirigeait toute l'université et qui était le protecteur-né de
+tous les mauvais tours.
+
+«À force de nous rencontrer à Londres et ailleurs, Matthews et moi
+devînmes grands amis; il n'était pas très-doux de caractère, ni moi non
+plus; mais avec un peu de tact, il était encore maniable. Je le
+regardais comme un homme si supérieur, que je ne demandais pas mieux que
+de sacrifier quelque chose à ses humeurs, qui souvent m'amusaient tout
+en me mettant en colère. On n'a jamais su ce que sont devenus ses
+papiers à l'époque de sa mort, et certainement il en avait beaucoup. Je
+le dis ici par forme de parenthèse, de peur de l'oublier; il écrivait
+remarquablement bien en latin et en anglais.
+
+«Nous nous rendîmes ensemble à Newsteadt, où j'avais une fameuse cave,
+et où je m'étais procuré de chez un costumier des habillemens de
+_moines_. Nous étions sept ou huit de notre compagnie, sans compter un
+ou deux voisins qui nous faisaient visite dans l'occasion. Nous restions
+fort tard dans la nuit, habillés de nos robes de frères, buvant du
+bourgogne, du bordeaux, du champagne, et que sais-je encore, dans une
+coupe faite d'un crâne humain, et quelques autres verres de toute
+espèce; faisant mille bouffonneries dans toute la maison, sans quitter
+un instant notre attirail monacal. Matthews m'avait baptisé du nom
+d'Abbé, et quand il était de bonne humeur, il ne m'en donna pas d'autre
+jusqu'au moment de sa mort. L'harmonie de nos touchantes réunions fut au
+bout de quelques jours tant soit peu interrompue, par la menace que fit
+Matthews de jeter _l'intrépide_ V... (nous l'avions appelé ainsi parce
+qu'il avait gagné deux courses, l'une à pied, d'Ipswich à Londres,
+l'autre à cheval, de Brighthelmstone à Londres), de jeter, dis-je,
+l'intrépide V... par la fenêtre, à la suite d'une soirée de
+plaisanterie, qui se termina par cette _épigramme_. V... vint à moi, et
+me dit que le respect et la considération qu'il me devait, comme maître
+de la maison, ne lui permettaient pas d'appeler en duel aucun de mes
+hôtes, mais que le lendemain matin il se retirerait. Ce fut en vain que
+je lui représentai que la fenêtre n'était pas très-élevée et que le
+gazon au-dessous était d'une douceur toute particulière: il s'en alla.
+
+«Matthews et moi, nous avions fait le voyage de Cambridge à Londres,
+parlant, pendant toute la route, sur le même sujet. Quand nous fûmes
+arrivés à Longhborough, je ne sais quel hasard nous en fit écarter un
+moment; Matthews s'en indigna; non, dit-il, ne quittons pas notre
+conversation, finissons comme nous avons commencé; continuons jusqu'au
+bout du voyage, et il se mit en effet à continuer, trouvant le moyen
+d'être toujours amusant jusqu'au bout. Il avait auparavant, durant mon
+absence de Cambridge, occupé mes appartemens dans le collége de la
+Trinité. En l'y installant, mon répétiteur Jones lui avait dit, avec son
+ton ridicule ordinaire: «M. Matthews, je vous recommande sérieusement de
+prendre garde d'endommager aucun des meubles, car Lord Byron, monsieur,
+est un jeune homme de passions tumultueuses.» Matthews fut ravi de cette
+allocution; et, qui que ce fût qui vînt le visiter, il ne manquait pas
+de leur recommander de ne toucher la porte elle-même qu'avec une grande
+précaution, et alors il leur répétait l'exhortation de Jones dans les
+mêmes termes et absolument du même ton; il y avait une grande glace dans
+une chambre, ce qui lui suggéra cette remarque, qu'il avait cru d'abord
+que ses amis devenaient singulièrement assidus à venir _le voir_; mais
+qu'il avait bientôt découvert qu'ils ne venaient que pour se voir
+eux-mêmes. La phrase de Jones de _passions tumultueuses_ et l'ensemble
+de la scène l'avaient mis de si bonne humeur, que je crois en vérité que
+c'est à cette circonstance que j'ai dû une partie de ses bonnes grâces.
+
+«Quand nous étions à Newstead, il arriva qu'un jour, avant dîner,
+quelqu'un lui salit, par mégarde, un de ses bas de soie blancs, et
+naturellement voulut lui en faire des excuses. Monsieur, répondit
+Matthews, il peut vous paraître fort agréable, à vous qui avez une
+grande quantité de bas de soie, de salir ceux d'autrui; mais pour moi
+qui n'ai que cette seule et unique paire, que j'ai mise pour faire
+honneur à l'Abbé ici présent, rien ne peut excuser le tort que me fait
+votre manque d'attention, sans parler des frais de blanchissage. Il
+avait presqu'en toute occasion le même ton de plaisanterie sardonique.
+Une espèce de sauvage Irlandais, nommé F**, commençant à dire quelque
+chose à un grand souper, à Cambridge, Matthews se mit à crier d'une voix
+de tonnerre: Silence! et alors montrant F** du doigt, il ajouta ces
+paroles d'oracle: _L'ourson est doué de raison_. On peut aisément
+supposer qu'en entendant ce compliment, le pauvre _ourson_ perdit le peu
+de raison qui pouvait lui être échu en partage. Quand H... publia son
+premier volume de poésies, intitulé _Mélanges_, tout ce qu'il put en
+tirer, c'est que la préface était absolument dans la manière de Walsh.
+H... crut d'abord que c'était un compliment, mais nous ne sûmes jamais à
+quoi nous en tenir là-dessus, car tout ce que l'on connaît de Walsh,
+c'est son ode au roi Williams, et l'épithète que lui donne Pope, le
+savant Walsh. Quand notre troupe quitta Newstead pour Londres, H... et
+Matthews qui étaient à cette époque les meilleurs amis du monde,
+convinrent de faire ensemble la route à pied. Ils se querellèrent à
+moitié route, et achevèrent ainsi leur voyage, passant et repassant l'un
+devant l'autre sans se dire un seul mot. Quand Matthews arriva à
+Highgate, il avait dépensé tout son argent, excepté trois pences et demi
+(7 sous) qu'il résolut d'employer aussi à une pinte de bière; il la
+buvait à la porte d'une taverne, quand H... passa devant lui pour la
+dernière fois, toujours sans lui parler. Ils se réconcilièrent depuis à
+Londres.
+
+«L'escrime était une des passions de Matthews, il était aussi très-fort
+au pugilat, mais il avait généralement le dessous dans les combats
+sérieux et au poing nu; quant à la natation, il nageait bien, mais avec
+efforts et travail, et se tenant le corps trop hors de l'eau; en sorte
+que Scrope, Davies et moi-même, qui étions en quelque sorte ses rivaux,
+nous lui disions souvent qu'il se noierait s'il rencontrait jamais
+quelque endroit difficile. Il se noya en effet; mais, à coup sûr, Scrope
+et moi eussions bien désiré que le doyen eût vécu, et que notre
+prédiction se fût trouvée mensongère.
+
+«Sa tête était extraordinairement belle, et ressemblait beaucoup à celle
+de Pope dans sa jeunesse.
+
+«Son frère Henry, si Henry est bien le nom de celui de _King's college_,
+rappelle fortement sa voix, ses traits et sa manière de rire. Sa passion
+pour boxer était si grande, qu'il voulait absolument que je le misse aux
+prises avec Dogherty, pour lequel j'avais parié contre Tom Belcher, et
+je les vis s'essayer ensemble dans ma chambre avec les gants. Comme il
+paraissait y tenir opiniâtrement, j'aurais parié, pour lui plaire, en
+faveur de Dogherty; mais le combat n'eut pas lieu. Bien entendu que
+c'eût été un combat particulier dans une chambre particulière.
+
+«Un certain jour que le tems ne lui permettait pas de retourner
+s'habiller chez lui, un ami, M. Basley, je crois, l'équipa d'une chemise
+et d'une cravate extrêmement à la mode, mais tant soit peu exagérée. Il
+se rendit à l'opéra, et prit place dans _Top's Alley_. Pendant
+l'entr'acte, entre l'opéra et les ballets, une de ses connaissances vint
+s'asseoir près de lui, et le salua. «Faites le tour, dit Matthews,
+faites le tour. Pourquoi ferais-je le tour? dit l'autre, vous n'avez
+qu'à tourner la tête, je suis tout près de vous. C'est précisément ce
+que je ne peux pas faire, répondit Matthews; ne voyez-vous pas l'état
+dans lequel je suis?» montrant du doigt son col de chemise savamment
+empesé, et son inflexible cravate. Et il se tint là pendant tout le
+spectacle, sa tête conservant toujours la même position perpendiculaire.
+
+«Un soir après avoir dîné ensemble, comme nous allions à l'opéra, je me
+trouvai avoir un billet disponible, comme souscripteur à une loge, et
+j'en fis présent à Matthews. «Voilà, dit-il quelque tems après à
+Hobhouse, un procédé _courtois_ de la part de l'Abbé: un autre ne se
+serait jamais avisé de penser que je pouvais faire meilleur emploi d'une
+demi-guinée que de la jeter à un portier de spectacle; mais lui,
+non-seulement il m'invite à dîner, mais il me donne encore un billet
+d'opéra.» Ce n'était qu'une de ses singularités, car nul n'était plus
+libéral, plus grand que lui dans toutes ses manières. Il nous donna, à
+Hobhouse et moi, avant notre départ pour Constantinople, un festin
+magnifique, auquel nous fîmes amplement honneur. Une de ses idées était
+d'aller dîner dans toutes sortes de lieux étranges. Quelqu'un le
+découvrit un jour dans je ne sais quelle obscure taverne du Strand; et
+que croyez-vous qui l'y attirait? c'est qu'il payait, je crois, un
+shilling pour dîner le _chapeau sur la tête_. Il appelait cela sa
+_maison à chapeau_, et de vanter les avantages qu'il avait à prendre ses
+repas la tête couverte.
+
+«Quand sir Henri Smith fut chassé de Cambridge, à la suite d'une rixe
+avec un marchand nommé _Hiron_, Matthews s'en consola en allant chaque
+soir crier sous la fenêtre de celui-ci: «Hélas! à quel péril s'expose
+l'homme qui se joue avec _hat Hiron_[85]!» Il était aussi de cette bande
+de libertins irréligieux qui se faisaient un plaisir d'aller troubler le
+sommeil de Lort Mansel (dernièrement évêque de Bristol), qui alors
+habitait le collége de la Trinité. Quand celui-ci paraissait à sa
+fenêtre, écumant de colère et s'écriant: «Je vous connais, messieurs, je
+vous connais,» ils avaient coutume de lui répondre: «Nous t'en
+conjurons, oh _Lort_! écoute-nous, bon Lort, délivre-nous[86]!» (Lort
+était son nom de baptême.) Comme il était très-libre dans ses manières
+d'envisager toutes sortes de sujets, quoiqu'il ne fût ni dissolu ni
+déréglé dans sa conduite, et que je n'avais pas moins d'indépendance
+dans les idées, notre conversation et notre correspondance alarmaient
+quelquefois vivement Hobhouse...»
+
+ [Note 85: Il est impossible de traduire en français le jeu de
+ mots qui se trouve ici dans le texte: _hat Hiron_ signifiant
+ le _bouillant Hiron_, et _hat iron_ signifiant _un fer
+ chaud_.]
+
+ [Note 86: Ces paroles sont extraites textuellement de la
+ liturgie anglicane, et présentent encore un jeu de mots:
+ _Lord, délivrez-nous; libera nos, Domine._]
+
+Comme déjà avant sa liaison avec M. Matthews, Lord Byron avait commencé
+à s'enfoncer dans l'abîme du scepticisme, il serait injuste d'attribuer
+au premier dans les opinions de son ami plus de part qu'il n'a dû en
+résulter de l'influence naturelle de l'exemple et de la sympathie;
+influence qui, éprouvée également des deux côtés, rendait en grande
+partie réciproque la contagion de leurs doctrines. Outre cette
+communauté de sentimens sur de tels sujets, ils étaient tous deux
+tourmentés par le goût dangereux de la satire. Les hommes les plus pieux
+même ne peuvent pas toujours résister à cette disposition d'esprit qui
+nous entraîne presque malgré nous à déverser du ridicule sur tout ce
+qu'il y a de plus saint et de plus grave. Il n'est donc pas étonnant que
+dans une telle société, les opinions du noble poète aient pris avec plus
+de rapidité une direction vers laquelle elles tendaient naturellement;
+et quoique l'on ne puisse pas dire qu'il ait eu alors des doctrines bien
+arrêtées, puisque ni à cette époque ni à aucune autre de sa vie il ne se
+montra incrédule décidé, il apprit sans doute à sentir moins fortement
+l'horreur du scepticisme, et à y mêler de la légèreté et de
+l'amour-propre. Dès le commencement de sa correspondance avec M. Dallas,
+nous le voyons proclamer ses sentimens sur tous les sujets de cette
+nature, avec une légèreté et un aplomb bien différens du ton avec lequel
+il présentait autrefois ses doutes. Cela même forme un contraste
+frappant avec cette tristesse fiévreuse d'un cœur désolé de perdre ses
+illusions, qui respire dans chaque vers des prières qu'il avait tracées
+moins d'un an auparavant.
+
+Il ne faut pas cependant oublier ici sa propension à exagérer tout ce
+qu'il pouvait y avoir de mauvais en lui. Dans sa première lettre à M.
+Dallas, nous voyons un exemple de cette étrange ambition, complètement
+opposée à l'hypocrisie, qui le porta à rechercher plutôt qu'à éviter la
+réputation de libertin, et à présenter sans cesse sous le jour le plus
+défavorable son caractère et sa conduite. Son nouveau correspondant lui
+faisant compliment sur les sentimens de morale et de charité qui
+respiraient dans l'un de ses poèmes, avait ajouté que cela lui avait
+rappelé les ouvrages d'un autre noble auteur, qui était non-seulement
+grand poète, grand orateur et grand historien, mais encore l'un des plus
+profonds raisonneurs qui aient établi la vérité de cette religion, dont
+le pardon des offenses est l'un des premiers principes; (le grand et le
+bon lord Littleton, dont la réputation ne périra jamais.) Son fils,
+ajoutait M. Dallas, auquel il avait transmis son génie, mais non ses
+vertus, a brillé un moment pour disparaître bientôt comme un météore
+passager, et avec lui son titre s'est éteint. C'est à cette lettre que
+Lord Byron fit la réponse suivante:
+
+
+
+
+LETTRE XX.
+
+À M. DALLAS.
+
+Hôtel Dorant, Albemarle-street, 20 janvier 1808.
+
+
+MONSIEUR,
+
+«Votre lettre ne m'est parvenue que ce matin, probablement parce qu'elle
+m'était adressée à Nottingham, où je n'ai pas résidé depuis le mois de
+juin dernier; comme elle est datée du 6 courant, je vous prie d'excuser
+le retard de ma réponse.
+
+«Si, comme vous dites, le petit volume dont vous parlez a fait quelque
+plaisir à l'auteur de _Perceval_ et d'_Aubrey_, je suis plus que
+récompensé par cet éloge. Quoique nos censeurs périodiques se soient
+montrés d'une indulgence peu commune, je confesse que l'approbation d'un
+homme d'un génie aussi reconnu est encore bien plus flatteuse pour moi;
+mais je perdrais, je le crains, tous droits au titre d'homme candide, si
+je ne refusais pas des éloges que je ne mérite point. Je suis fâché
+d'ajouter que ce serait ici le cas.
+
+«Mes ouvrages doivent parler pour eux-mêmes; ils doivent se soutenir ou
+tomber suivant leur mérite ou leur démérite; et sous le rapport
+littéraire je suis fier de l'opinion favorable que vous voulez bien m'en
+exprimer. Mais j'ai malheureusement si peu de prétentions au titre
+d'homme vertueux, que je ne puis accepter les complimens que vous me
+faites à cet égard, bien que je m'estimasse heureux de les mériter. Un
+passage de votre lettre m'a singulièrement frappé: vous y parlez des
+deux lords Littleton comme chacun d'eux le mérite respectivement; vous
+serez surpris d'apprendre que la personne qui vous écrit en ce moment, a
+été souvent comparée au second. Je n'ignore pas que par cet aveu, je me
+perds moi-même dans votre estime; mais c'est une circonstance que votre
+observation rend si remarquable, que je ne puis m'empêcher de rapporter
+ce fait. Les événemens de ma courte vie ont été d'une nature si
+singulière, que bien que cet orgueil que l'on appelle ordinairement
+honneur, m'ait toujours empêché, et doive, je l'espère, m'empêcher
+toujours de disgracier mon nom par aucune action lâche ou vile, j'ai
+déjà été considéré comme un adepte du libertinage et un disciple de
+l'incrédulité. Jusqu'à quel point la justice peut-elle avoir dicté cette
+accusation? je ne prétends pas l'examiner ici, mais je dirai que comme
+le _gentleman_[87] auquel mes religieux amis, dans la ferveur de leur
+charité, m'ont déjà dévoué, on me fait plus mauvais que je ne suis en
+effet. Quoi qu'il en soit, pour me laisser là moi-même, le plus mauvais
+sujet que je puisse traiter, et pour en revenir à mes poésies, je ne
+puis assez vous exprimer mes remercîmens, et j'espère avoir quelque jour
+l'occasion de vous en présenter personnellement l'hommage. Une seconde
+édition est maintenant sous presse avec quelques additions et des
+retranchemens considérables; vous me permettrez de vous en offrir un
+exemplaire. Le _Critical_, le _Monthly_ et l'_Anti-Jacobin Review_ ont
+été très-indulgens, mais l'_Eclectic_ a prononcé une furieuse
+philippique, non contre le livre, mais contre l'auteur, où vous
+trouverez tout ce que je viens de vous dire avancé par un ecclésiastique
+qui a écrit cet article.
+
+ [Note 87: _Le Diable_.]
+
+«Je connaissais depuis long-tems votre nom et vos rapports avec notre
+famille; j'espère faire bientôt une connaissance personnelle avec vous:
+vous trouverez en moi un excellent composé d'un _Brainless_ et d'un
+_Stanhope_[88]. Je crains que vous ne puissiez déchiffrer cette lettre,
+car ma main est presque aussi mauvaise que ma réputation; mais je vais
+signer, aussi lisiblement qu'il me sera possible, Votre obligé et
+obéissant serviteur,»
+
+BYRON.
+
+ [Note 88: Personnages du roman intitulé: _Percival_
+ (_Perceval_).
+ (_Note de Moore_.)]
+
+Il y a ici évidemment une sorte d'orgueil de la part de Byron à
+s'assimiler au débauché lord Littleton. De peur que ce qu'on connaissait
+d'irrégulier dans sa vie ne suffit pas pour justifier cette prétention,
+il fait, avec un air de mystère, suivant sa coutume, allusion à des
+événemens inconnus qui pourraient lui donner droit à ce paralèle[89]. M.
+Dallas qui, à ce qu'il paraît, ne s'attendait pas à voir recevoir ainsi
+ses complimens, se tira de ce mauvais pas en renvoyant à la _candeur_ du
+jeune Lord les éloges dont celui-ci s'était montré si peu reconnaissant
+quand ils étaient adressés à ses mœurs, et ajoutait que, d'après
+l'intention exprimée par Lord Byron dans sa préface, d'abandonner le
+culte des muses pour suivre une autre carrière, il le croyait en ce
+moment occupé aux études qui forment le sénateur et l'homme d'état;
+qu'il se l'était représenté comme membre de quelque université,
+s'exerçant à l'art de penser et de parler, et amassant un trésor de
+connaissances en histoire et en droit. C'est dans la réponse à cette
+lettre que se trouve l'exposition des opinions du noble poète à laquelle
+j'ai fait allusion plus haut.
+
+ [Note 89: Cet appel à l'imagination de son correspondant ne
+ fut pas tout-à-fait sans effet: «Je pensai, dit M. Dallas,
+ que ces lettres, _quoique évidemment fondées sur quelques
+ circonstances de sa vie antérieure_, étaient plutôt un jeu
+ d'esprit qu'un portrait ressemblant.
+ (_Note de Moore_.)]
+
+
+
+
+LETTRE XXI.
+
+À M. DALLAS.
+
+Hôtel Dorant, 21 janvier 1808.
+
+
+MONSIEUR,
+
+«Dans quelque tems que vos loisirs et votre disposition d'esprit vous
+permettent de me favoriser d'une visite, je serai sensiblement flatté de
+faire une connaissance personnelle avec quelqu'un dont l'esprit m'était
+déjà connu depuis long-tems par ses ouvrages.
+
+«Votre conjecture est fondée en ce sens que je suis membre de
+l'université de Cambridge, où je vais à la fin de ce quartier prendre le
+grade de _Master artium_[90]; mais si le raisonnement, l'éloquence, la
+vertu étaient l'objet que je poursuis, _Granta_[91] n'est point leur
+métropole; le pays où elle est située n'est point un Eldorado, bien
+moins encore une Eutopie. L'intelligence de ses enfans est aussi
+stagnante que les eaux de sa _Cam_[92]; ils ont en vue dans leurs
+travaux non l'église du Christ, mais l'église la plus prochaine qui leur
+donnerait un bénéfice.
+
+ [Note 90: _Maître-ès-arts_ (A. M.), second grade dans les
+ universités anglaises, correspondant exactement à celui de
+ licencié.
+
+ Une université anglaise se compose d'étudians non gradués
+ (_under graduates_), de bacheliers, de maîtres-ès-arts et de
+ docteurs. Ces grades ne correspondent pas absolument aux
+ nôtres, en ce sens qu'il n'y a de bachelier que _ès-lettres_
+ (_artium bachelors_, A. B.), bien que pour obtenir ce titre,
+ il faille subir des examens sur les sciences et la théologie.
+
+ La licence et le doctorat s'obtiennent par un certain nombre
+ d'années de résidence et le paiement de certains droits qui
+ varient suivant que l'impétrant est noble ou roturier. Il n'y
+ a également que des licenciés-ès-lettres (_artium masters_).
+
+ Quant au doctorat, au contraire, il n'y a point de
+ docteurs-ès-lettres, mais seulement des docteurs en théologie
+ (_doctores divinitatis_, D. D.), et des docteurs en droit
+ (_doctores legis_, D. L.). Bien que l'on appelle les médecins
+ du nom de docteur, il n'y a point de grades en médecine, non
+ plus que dans les sciences, et leurs diplômes sont plutôt des
+ permissions d'exercer que des titres universitaires.
+ (_N. du Tr._)]
+
+ [Note 91: Nom poétique de l'université de Cambridge.]
+
+ [Note 92: Rivière qui passe à Cambridge et lui donne son
+ nom.]
+
+«Quant à mes connaissances, je puis dire sans hyperbole qu'elles sont
+passablement étendues en histoire; peu de nations existent ou ont existé
+dont je ne connaisse plus ou moins les annales, depuis Hérodote jusqu'à
+Gibbon. Quant aux auteurs grecs et latins, je les connais autant que la
+plupart des écoliers qui leur ont consacré treize années d'études. Quant
+aux lois du pays, je les connais juste assez pour ne pas _enfreindre les
+statuts_, pour me servir de l'expression des braconniers. J'avais étudié
+l'_Esprit des lois_ et _le Droit des gens_; mais quand je vis celui-ci
+violé chaque mois, je cessai de m'en occuper comme d'une connaissance
+sans utilité. Quant à la géographie, j'ai vu plus de pays sur la carte,
+que je ne désirerais en traverser à pied. J'ai vu assez de mathématiques
+pour me donner mal à la tête sans éclaircir mes idées. De philosophie,
+d'astronomie et de métaphysique, j'en ai appris plus que je n'en
+comprends[93]; pour du sens commun, j'en ai acquis si peu que je me
+propose de fonder un prix _byronnien_ dans chacune de nos universités
+pour le premier qui en découvrira quelques traits en moi; quoique l'on
+craigne bien que la découverte de la quadrature du cercle ne doive
+précéder celle-là.
+
+ [Note 93: Byron paraît se rappeler ici la manière spirituelle
+ dont Voltaire nous peint l'érudition de Zadig: «Il savait de
+ la métaphysique ce que l'on en a su dans tous les âges...
+ c'est-à-dire fort peu de chose, etc.»]
+
+«Je me suis cru autrefois philosophe. Je débitais avec beaucoup de
+décorum bon nombre d'absurdités, défiant la douleur et prêchant
+l'égalité d'humeur. Pendant quelque tems cela réussit fort bien, car
+personne ne souffrait pour moi que mes amis, et ne perdait patience que
+mes auditeurs; à la fin une chute de cheval me convainquit que la
+douleur physique était un mal, et cet argument, le pire de tous, changea
+à la fois mon système et mon humeur; en sorte que je quittai Zenon pour
+Aristippe, et m'imaginai que c'est le plaisir qui constitue réellement
+le καλον[94]. En morale, je préfère Confucius aux dix
+commandemens, et Socrate à Saint-Paul, quoique les deux derniers
+s'accordent dans leur opinion du mariage. En religion, je suis pour
+l'émancipation catholique, mais je ne reconnais pas le pape, et j'ai
+refusé de recevoir le sacrement parce que je ne comprends pas comment
+manger du pain et boire du vin de la main du vicaire terrestre peut
+faire de moi l'héritier du royaume des cieux. Je regarde la vertu en
+général, et chaque vertu en particulier, comme une disposition de l'ame;
+chacune d'elles me semble une manière de sentir et non un principe[95].
+Je crois que la vérité est le premier attribut de la divinité, et que la
+mort est un sommeil éternel, au moins pour le corps. Vous avez là un
+résumé des sentimens de ce _libertin_ de George Lord Byron, et, jusqu'à
+ce que je me pourvoie d'un nouvel habit, vous voyez que je suis
+passablement mal vêtu.
+
+ [Note 94: Το καλον, le beau.]
+
+ [Note 95: C'est là la doctrine de Hume, qui résout toute
+ vertu en un sentiment. Voyez son ouvrage intitulé:
+ _Recherches sur les principes moraux_ (_Enquiry concerning
+ the principles of morals_).]
+
+«Je suis, etc.»
+
+Quoique telle fût sans doute à cette époque la tournure générale de ses
+opinions, il faut se rappeler, avant d'ajouter trop d'importance à cette
+profession de ses sentimens, d'abord qu'il ne résista jamais à la
+tentation de montrer son esprit aux dépens de sa réputation, ensuite
+qu'il écrivait ici à une personne bien intentionnée, sans doute, mais en
+même tems à l'un de ces officieux, de ces donneurs d'avis, toujours
+contens d'eux-mêmes, que Byron s'est fait dans tous les tems un plaisir
+d'étonner et de mystifier. Les tours qu'il joua étant enfant au
+charlatan du Nottinghamshire, Lavender, n'étaient que les premiers d'une
+longue série de mystifications qu'il fit toute sa vie aux nombreux
+charlatans que sa célébrité et son humeur sociable attiraient autour de
+lui.
+
+Les termes dans lesquels il parle de l'université, dans cette lettre,
+sont parfaitement d'accord avec plusieurs passages des _Heures
+d'oisiveté_ et de sa première satire. On voit que s'il se rappelait
+Harrow avec plus d'affection que de respect peut-être, Cambridge n'avait
+pu lui inspirer ni l'un ni l'autre de ces deux sentimens. Ce dégoût
+qu'il avait conservé pour sa _mère nourrice_, il le partageait en commun
+avec la plupart des noms les plus illustres de la littérature anglaise.
+«Si grande était la haine de Milton pour Cambridge, dit Warton, qu'il
+avait même conçu un dégoût pour l'aspect du pays et pour les campagnes
+d'alentour.» Voici comme le poète Gray parle de la même université:
+«Certainement c'est de cette ville, aujourd'hui Cambridge, mais
+autrefois connue sous le nom de Babylone, que le prophète parle, quand
+il dit: Les animaux sauvages du désert y habiteront, leurs demeures
+seront pleines de tristes créatures, les hiboux y bâtiront nids et les
+satyres y danseront.» Gibbon nous a transmis le souvenir amer qu'il
+conservait de l'université d'Oxford, et le froid mépris avec lequel
+Locke se vengea de l'hypocrisie qui régnait dans cet asile de la
+science, est encore plus remarquable[96].
+
+ [Note 96: Voyez sa lettre à Anthony Collins, 1703-4, où il
+ parle de ces fortes têtes qui jetaient feu et flamme contre
+ son livre, parce qu'il était de nature à nuire à l'industrie
+ locale, qu'à cette époque on appelait la _tonte de cochon_.]
+
+On peut penser que les souvenirs pénibles que quelques poètes ont
+conservés de leur vie de collége ont leur origine dans cette antipathie
+pour les entraves de la discipline, antipathie que l'on observe assez
+souvent comme un des traits caractéristiques de génie: c'est comme une
+sorte d'instinct ou de préservatif, s'il est vrai (comme quelques-uns
+l'ont dit) qu'une éducation classique nuise à la fraîcheur et à
+l'élasticité de l'imagination. Un écrivain, membre du clergé, et par
+conséquent peu suspect de vouloir déprécier les études académiques,
+non-seulement pose cette question: «Les formes ordinaires de notre
+système d'éducation ne sont-elles pas plus nuisibles qu'utiles aux vrais
+poètes?» mais encore il paraît fortement pencher pour une solution
+affirmative. Pour exemple à l'appui de son opinion, il choisit le
+classique Addisson qui, dans quelques essais originaux d'un genre sévère
+ou allégorique, paraît n'avoir pas été dépourvu des talens qui révèlent
+un esprit supérieur, talens qui furent tellement comprimés et énervés
+par son étude constante et superstitieuse des classiques anciens, que
+dans le fait il est demeuré un poète très-ordinaire.
+
+C'est sans doute sous l'impression de l'influence maligne de
+l'atmosphère scholastique sur le génie, que Milton, en parlant de
+Cambridge, s'écrie: «C'est un lieu où les disciples de Phébus ne
+sauraient vivre,» et que Lord Byron, répétant en vers une pensée déjà
+exprimée dans la lettre à M. Dallas, que nous venons de citer, dit: «Son
+Hélicon est plus pesant et plus fangeux encore que sa rivière de Cam.»
+
+Dryden, qui, comme Milton, avait reçu quelque châtiment déshonorant[97]
+à Cambridge, paraît avoir conservé peu de respect pour son _alma mater_;
+et les vers dans lesquels il loue l'université d'Oxford aux dépens de la
+sienne[98], lui ont été probablement dictés moins par une admiration
+véritable de l'une que par le désir de dénigrer l'autre.
+
+ [Note 97: Milton a reçu le fouet à l'université de Cambridge;
+ c'est, dit-on, le dernier qui ait été soumis à cette punition
+ dégoûtante, qui, bien que tombée en désuétude, n'en fait pas
+ moins partie des moyens de répression indiqués dans les
+ réglemens.
+ (_N. du. Tr._)]
+
+ [Note 98: Voyez _prologue à l'université d'Oxford_.]
+
+Ce n'est pas seulement le génie qui se rebelle contre la discipline des
+écoles; le goût, naturellement moins impérieux, et dont l'objet avoué
+est de cultiver les études classiques, se montre quelquefois rétif au
+gouvernement pédantesque qu'on veut lui imposer. Ce ne fut qu'après
+avoir été déchargé de l'obligation de lire Virgile comme une tâche, que
+Gray se sentit capable d'apprécier et de goûter les beautés de ce poète.
+Byron, jusques à la fin, s'efforça de vaincre un préjugé de la même
+nature contre Horace, dont le nom s'associait toujours dans son esprit
+au souvenir des ennuis de l'école.
+
+Quoique le tems ait accoutumé mon esprit à méditer sur ce que j'avais
+appris alors, telle est la force du préjugé né de l'impatience qu'ils
+m'ont fait éprouver dans mes premiers ans, que, perdant pour moi
+l'attrait de la nouveauté, les auteurs dont j'aurais peut-être cherché
+la lecture avec avidité, si j'avais été libre dans mes choix,
+m'inspirent toujours une sorte de dégoût, et que ce que je détestais
+alors je l'abhorre encore aujourd'hui. Adieu donc, Horace, que je
+détestais tant, c'est ma faute et non la tienne. C'est un grand malheur
+d'entendre les mots dont tu t'es servi pour exprimer tes idées
+poétiques, sans être en âge d'apprécier ces mêmes idées, et de
+comprendre tes vers, trop tôt pour pouvoir jamais les aimer. (_Childe
+Harold_, chant IV.)
+
+Aux grands poètes qui nous ont laissé un témoignage de leur
+désapprobation du système anglais d'éducation il faut ajouter les noms
+distingués de Cowley, Addisson et Cowper. Tandis que parmi les exemples
+qui, comme ceux de Milton et de Dryden, démontrent l'espèce de raison
+inverse qui peut exister entre les _honneurs_ du collége et le génie, il
+ne faut pas oublier ceux de Swift, Goldsmith et Churchill, qui ne furent
+jugés que de médiocres écoliers dans les universités dont ils honorent
+aujourd'hui les annales. À la suite de cette longue série de poètes qui
+ont quitté les universités, entachés d'une note déshonorante et pleins
+de sentimens haineux contre elles, nous ajoutons des noms tels que ceux
+de Shakspeare, de Pope, de Gay, de Thomson, de Burns, Chatterton, etc.,
+qui tous ont atteint leur degré de gloire respective sans avoir passé
+par aucun collége. Nous verrons que le plus grand nombre de nos poètes
+n'a rien dû à cette influence puissante que les universités sont censées
+exercer sur le développement du génie, dans les pays qui en sont
+pourvus.
+
+Les lettres suivantes, écrites à cette époque, contiennent quelques
+particularités qui peut-être ne seront pas sans intérêt pour le lecteur.
+
+
+
+
+LETTRE XXII.
+
+À M. HENRY DRURY.
+
+Hôtel Dorant, 13 janvier 1808.
+
+
+MON CHER MONSIEUR,
+
+«La stupidité de mes domestiques ou du portier, en ne vous disant pas de
+monter dans mon appartement, où je vous aurais rejoint à l'instant, m'a
+privé du plaisir de vous voir hier matin. J'espérais vous rencontrer le
+soir dans quelque lieu public, mon étoile ne l'a pas permis; c'est ainsi
+qu'elle me refuse les faveurs, et généralement les faveurs qui me
+seraient le plus agréables. Vous eussiez été, je crois, fort étonné en
+me revoyant; j'ai perdu 50 liv. depuis notre dernière entrevue; je
+pesais alors 181 liv., je n'en pèse plus maintenant que 130. Je me suis
+débarrassé de mon _superflu_, au moyen de l'exercice violent et de
+l'abstinence...........................................................
+.......................................................................
+
+«Si vos occupations à Harrow vous permettaient de venir en ville d'ici
+au premier février, je m'estimerais heureux de vous recevoir dans
+Albemarle-street. Si je ne puis pas avoir cet avantage, je tâcherai
+d'aller vous voir une après-midi à Harrow, tout en tremblant que votre
+cave ne contribue pas beaucoup à ma guérison. Quant à mon digne
+précepteur, le docteur Butler, notre rencontre chez vous n'empêcherait
+pas ces _petites douceurs_ que nous étions dans l'habitude de nous
+prodiguer mutuellement. Nous ne nous sommes parlé qu'une fois depuis mon
+départ de Harrow, 1805, et dans cette occasion il dit poliment à
+Tatersall que je n'étais pas un compagnon convenable pour ses élèves.
+C'était avant ma première _échauffourée_ poétique; et, en bonne prose,
+si j'avais été plus vieux de quelques années, j'aurais gardé le silence
+sur ses perfections; mais j'étais couché sur le dos quand j'écrivis ou
+plutôt quand je dictai ces folies d'écolier. Je ne m'attendais pas à en
+revenir jamais; mon médecin avait reçu les honoraires de seizième
+visite, et moi j'en étais à sa seizième ordonnance; je ne pouvais
+quitter la terre sans laisser à Butler un souvenir de constant
+attachement, en retour de tous ses bons offices. J'avais intention de
+descendre à Harrow en juillet; mais pensant que ma visite, immédiatement
+après la publication, pourrait être interprétée comme une insulte, je
+dirigeai mes pas ailleurs; j'avais, de plus, appris que plusieurs des
+élèves s'étaient procuré mon opuscule, et cela, bien certainement,
+contre mes intentions; car je n'en ai pas donné une seule copie avant le
+mois d'octobre, époque à laquelle, cédant à des instances réitérées, je
+ne pus en refuser une à un jeune homme qui depuis a quitté l'école. Vous
+me pardonnerez de vous entretenir si longuement sur ce sujet; vous
+l'aviez abordé, dès-lors une explication devient nécessaire. Je
+n'essaierai point de me justifier, _hic murus aheneus esto, nil conscire
+sibi_, etc., comme lord Baltimor lors de son jugement pour un rapt. Je
+suis demeuré assez long-tems au collége de la Trinité pour avoir oublié
+la fin du vers; mais si je ne finis pas ma citation, je finirai du moins
+ma lettre, en vous priant de me croire, avec autant d'affection que de
+reconnaissance, votre, etc.
+
+«_P. S._ Je n'abuserai pas de vos loisirs en sollicitant la faveur d'une
+réponse, de peur que vous ne disiez, comme dit Butler à Tatersall,
+auquel j'avais adressé une lettre assez imprudente, à l'occasion du
+propos dont j'ai parlé plus haut: «Je voudrais l'entraîner dans une
+correspondance avec moi.»
+
+
+
+
+LETTRE XXIII.
+
+À M. HARNESS.
+
+Hôtel Dorant, Albemarle-street, 11 février 1808.
+
+
+MON CHER HARNESS,
+
+«Comme je n'ai pas eu occasion de vous les exprimer verbalement,
+j'espère que vous voudrez bien recevoir mes remercîmens écrits, pour
+l'opinion flatteuse que vous avez bien voulu exprimer au mois de
+novembre dernier, sur quelques-unes des productions de ma pauvre muse.
+Au plaisir que j'éprouve à me voir loué par un ancien camarade d'école
+se joint le besoin de vous rendre justice, car j'avais entendu
+l'histoire avec quelques légères variantes. En vérité, quand nous nous
+rencontrâmes ce matin, Wingfield ne m'avait pas encore détrompé, mais il
+vous dira que je n'ai témoigné aucun ressentiment en citant le jugement
+qu'on vous prêtait, quoique je ne sois pas fâché d'avoir découvert la
+vérité. Peut-être vous vous rappelez à peine qu'il y a quelques années
+nous avons été liés d'une amitié trop courte, mais bien vive. Pourquoi
+cette amitié n'a-t-elle pas duré plus long-tems? je n'en sais rien. J'ai
+encore en ma possession un souvenir de vous, qui m'empêchera toujours de
+l'oublier. Je me souviens aussi d'avoir été favorisé de la lecture de
+plusieurs de vos compositions. Il est plusieurs autres circonstances que
+je pourrais vous rappeler, si je ne craignais de fatiguer votre mémoire;
+mais je vous prie de croire à la sincérité de mes regrets quant à la
+courte durée de mon amitié, et aux espérances que je nourris de la voir
+se renouveler, etc.»
+
+BYRON.
+
+J'ai déjà parlé de l'amitié qui unit de bonne heure ce _gentleman_ et
+Lord Byron, aussi bien que de la froideur qui lui succéda. L'extrait
+suivant d'une lettre dont M. Harness voulut bien m'honorer, en mettant à
+ma disposition celle de son noble correspondant, expliquera les
+circonstances qui amenèrent à cette époque leur réconciliation. Le
+tribut d'éloges qu'il paie dans les dernières phrases à la mémoire de
+Lord Byron, ne paraîtra pas moins honorable pour lui-même que pour son
+ami.
+
+«Bientôt après, notre liaison se refroidit, comme le dit Byron dans la
+première des lettres ci-jointes, et nous ne nous parlâmes plus durant la
+dernière année qu'il passa à Harrow, ni jusqu'après la publication de
+ses _Heures d'Oisiveté_; il était alors à Cambridge, et moi encore à
+l'école, mais dans une des _formes_ les plus avancées. Il arriva que
+dans une amplification anglaise je citai quelque chose de son ouvrage,
+et je le fis avec éloge. On rapporta à Byron que j'avais au contraire
+parlé en mauvaise part et de l'ouvrage et de l'auteur, pour m'attirer
+les bonnes grâces de notre maître le docteur Butler, contre lequel un de
+ses poèmes renfermait une satire. Wingfield, depuis lord Power's court,
+notre ami commun, le désabusa de son erreur, et ce fut là l'occasion de
+la première lettre de ce recueil. Notre commerce se renouvela, et
+continua de ce moment jusqu'à celui où il quitta l'Angleterre; quelques
+torts que Lord Byron puisse avoir eu envers d'autres, sa conduite envers
+moi a toujours été uniformément affectueuse. J'ai eu à me reprocher bien
+des négligences, bien des petites choses envers lui; mais je ne puis me
+rappeler, pendant tout le cours de notre liaison, aucun exemple de
+caprice, aucun manque d'amitié de sa part.»
+
+Au printems de cette année 1808, parut, dans la _Revue et Édimbourg_, la
+fameuse critique sur les _Heures d'Oisiveté_. Qu'il eût d'avance quelque
+idée de ce qui se préparait contre lui de ce côté, c'est ce que rend
+évident la lettre suivante à son ami M. Becher.
+
+
+
+
+LETTRE XXIV.
+
+À M. BECHER.
+
+Hôtel Dorant, 26 février 1808.
+
+
+MON CHER BECHER,
+
+«... Passons à Apollon: je suis charmé que vous me continuiez votre
+indulgence, et que le public veuille bien approuver mes essais. Je suis
+devenu un personnage si important, qu'une violente attaque se prépare
+contre moi dans le prochain numéro de la _Revue d'Édimbourg_. Je sais
+cela d'un ami qui a vu la copie et l'épreuve de cette critique. Vous
+n'ignorez pas que le système de ces messieurs est de tout désapprouver.
+Ils ne louent personne, et ni le public ni les auteurs ne s'attendent à
+trouver dans leur feuille rien qui ressemble à des éloges. Il y a ici
+cependant quelque chose de remarquable, attendu qu'ils font profession
+de ne donner de jugement que sur des ouvrages dignes de l'attention
+publique. Vous verrez cet article quand il paraîtra: il est, m'a-t-on
+dit, de la plus extrême sévérité; mais pour moi, j'en suis prévenu; et
+pour vous, j'espère que vous ne vous en offenserez pas.
+
+»Dites à Mrs. Byron de ne pas se chagriner pour cela, et de s'attendre
+aux plus grandes hostilités de leur part. Cela ne me peut faire aucun
+tort, ainsi j'espère qu'elle ne s'en tourmentera pas trop. Ces messieurs
+manquent leur but en injuriant indifféremment tout le monde; ils ne
+louent jamais que les partisans de Lord Holland et compagnie; ce n'est
+rien d'être critiqué et insulté, quand Southey, Moore, Lauderdale,
+Strangford et Payne Knight partagent le même sort.
+
+»J'en suis fâché, mais il faut retrancher les _Souvenirs d'Enfance_ dans
+la première édition. J'ai changé conformément à vos avis, les
+_allusions_ trop _personnelles_ dans la sixième stance de ma dernière
+ode.
+
+»Et maintenant, mon cher Becher, il me reste à vous offrir mes
+remercîmens pour tout l'intérêt que vous avez bien voulu prendre à moi
+et à mes mauvaises rimes. Croyez que je ferai toujours grand cas de vous
+et de vos amis: je suis bien sincèrement, etc., etc.»
+
+Bientôt après cette lettre, parut l'article redouté, article qui, s'il
+ne renferme pas beaucoup d'esprit en lui-même, eut du moins le mérite
+incontestable d'exciter l'esprit des autres; jamais en effet article
+dicté par la plus juste critique n'obtint la célébrité que celui-ci dut
+à son injustice elle-même. Aussi long-tems qu'on gardera le souvenir de
+la courte mais glorieuse carrière qu'a parcourue le génie de Byron, on
+ne saurait oublier l'odieuse critique qui lui donna son premier élan.
+
+Il n'est que juste cependant de remarquer, sans prétendre justifier en
+rien le ton méprisant qui règne dans cette critique, que les premiers
+vers de Lord Byron, tout gracieux et tendres qu'ils sont, étaient peu
+propres à faire attendre ces miracles brillans de poésie dont, par la
+suite, il enchanta le monde étonné. Si les vers composés dans sa
+jeunesse ont un charme particulier à nos yeux, c'est que nous les lisons
+pour ainsi dire à la lueur de la gloire immortelle qu'il acquit dans la
+suite.
+
+Il est cependant un point de vue sous lequel ces productions offrent un
+intérêt profond et instructif. Images fidèles de son caractère pendant
+cette période de sa vie, elles nous permettent de juger ce qu'il était
+par lui-même avant que des désappointemens eussent jeté de l'amertume
+dans son esprit ardent, et donné de l'activité aux défauts qui se
+rencontraient dans son naturel énergique. En le suivant dans toutes ces
+effusions de son jeune génie, nous le voyons se peindre des mêmes traits
+dont chaque anecdote de son enfance nous avait déjà fait la confidence:
+orgueilleux, entreprenant, colère, plein de ressentiment de la moindre
+injustice, plus encore dans la cause des autres que dans la sienne, et
+cependant, malgré son impétuosité, doux et facile sous la main de ceux à
+qui l'affection donnait le droit de le guider. Lui-même n'a que
+faiblement rendu justice à cette disposition aimante que l'on aperçoit à
+chaque page de ce volume; sa jeunesse tout entière, dès sa plus tendre
+enfance, n'est qu'une série d'attachemens les plus passionnés, de ces
+épanchemens de l'ame dans l'amitié et dans l'amour, que l'on éprouve
+rarement, et auxquels les autres répondent plus rarement encore, et qui,
+repoussés et refoulés vers le cœur, ne sauraient manquer de se tourner
+en amertume.
+
+L'on reconnaît aussi dans quelques-uns de ses poèmes non publiés, même à
+travers les nuages dont le doute commence à les couvrir, les sentimens
+de piété auxquels une ame comme la sienne ne pouvait demeurer étrangère,
+mais qui, détournés de leur canal légitime, trouvent bientôt dans le
+culte poétique de la nature une sorte de compensation à celui de la
+religion dont la superstition les éloigne. Quant à tous ces traits de
+caractère que nous trouvons çà et là répandus dans ses premiers poèmes,
+nous le voyons jeter dans l'avenir un coup-d'œil tantôt plein d'un noble
+orgueil, tantôt plein de tristesse, comme s'il sentait déjà en lui les
+élémens de quelque chose de grand, mais qu'il doutât que la destinée lui
+permît d'en développer jamais le germe. Il n'est pas étonnant qu'ayant
+présente à la pensée toute sa noble carrière, nous contemplions ses
+premiers essais sous l'influence d'une gloire qui ne leur est pas
+propre, mais qui est comme le reflet de celle qu'il acquit dans la
+suite; et alors, dans notre indignation contre l'aveuglement stupide du
+critique, nous oublions qu'il n'a point écrit sous le charme dont se
+revêt aujourd'hui pour nous tout ce qui se rattache de loin ou de près
+au poète.
+
+Pour bien comprendre l'effet que cette critique produisit sur lui, il
+faut d'abord se faire une juste idée de ce que la plupart des poètes
+éprouveraient en se voyant en butte à une telle attaque, et puis avouer
+que Byron avec son caractère et sa sensibilité devait en ressentir
+l'amertume dix fois plus qu'aucun autre. Nous avons vu avec quelle
+anxiété fiévreuse il attendait le jugement des revues inférieures; et la
+joie qu'il montra de se voir louer par des journalistes moins connus,
+peut nous faire juger combien son cœur a dû saigner sous les coups
+dédaigneux de ceux qui, à cette époque, tenaient le sceptre de la
+critique. Un ami qu'il trouva dans le premier moment d'émotion, après la
+lecture de l'article, s'empressa de lui demander s'il venait de recevoir
+un cartel, ne sachant comment expliquer autrement la colère et
+l'indignation qui se peignaient dans ses yeux. Il serait en effet
+difficile pour le sculpteur ou pour le peintre d'imaginer un sujet d'une
+beauté plus effrayante que la belle figure du jeune poète au moment de
+cette crise, où toute son énergie se déployait: son orgueil avait été
+piqué au vif et son ambition humiliée; mais ce sentiment terrible ne
+dura qu'un moment: la réaction de son esprit, le besoin de repousser
+l'attaque, lui révélèrent à lui-même tout son génie; et la douleur et la
+honte de l'injure se turent dans son cœur devant la noble certitude de
+la vengeance.
+
+Entre autres effets moins poétiques de l'article de la _Revue_ sur son
+esprit, il disait souvent que le jour qu'il le lut, il but pour sa part
+après dîner trois bouteilles de vin de Bordeaux, et que rien ne le
+soulagea jusqu'à ce qu'il eût donné en vers carrière à son imagination;
+mais qu'après les vingt premiers, il se trouva beaucoup mieux; en effet,
+son premier soin, après que la satire eut paru, fut, comme avant qu'elle
+ne vît le jour, d'alléger autant qu'il le pourrait l'effet qu'elle
+devait produire sur sa mère, qui, n'ayant pas le même génie, le même
+sentiment d'une prompte et juste vengeance, devait souffrir cruellement
+de cette attaque contre sa réputation, et s'en indigna, en effet,
+beaucoup plus que bientôt il ne le fit lui-même. Mais on verra mieux
+dans la lettre suivante l'état de son esprit dans ce moment critique.
+
+
+
+
+LETTRE XXV.
+
+À M. BECHER.
+
+Hôtel Dorant, 28 mars 1808.
+
+
+«J'ai reçu dernièrement de Ridge un exemplaire de la nouvelle édition,
+et il est bien tems que je vous remercie de la peine que vous avez prise
+de la surveiller: je le fais bien sincèrement, et je regrette seulement
+que Ridge ne vous ait pas secondé autant que je l'aurais désiré, au
+moins quant au papier, à la reliure, etc., etc., de mon exemplaire;
+peut-être ceux destinés au public sont-ils plus satisfaisans sous tous
+ces rapports.
+
+»Vous avez nécessairement vu _la Revue d'Édimbourg_. Je regrette que
+Mrs. Byron ait pris la chose si fort à cœur. Pour ma part, _ces petites
+boulettes de papier_ m'ont appris à voir le feu en face; et comme, somme
+toute, j'ai eu assez de bonheur, mon repos ni mon appétit n'en ont point
+été altérés. Pratt _le glaneur_, l'auteur, le poète, etc., etc., m'a
+adressé une longue épître en vers sur ce sujet, en forme de consolation;
+mais comme elle est assez mal faite, je ne vous l'enverrai pas, quoique
+son nom eût pu lui mériter cet honneur. Ces messieurs de la _Revue
+d'Édimbourg_ n'ont pas bien rempli leur tâche, c'est du moins l'avis de
+plusieurs hommes de lettres; je pense que je pourrais écrire sur
+moi-même une critique plus mordante que toutes celles qui ont été
+publiées jusqu'ici. Ainsi, au lieu de la remarque assez méchante, mais
+sans esprit, sur Macpherson, j'aurais dit si j'avais été à leur place:
+«Hélas! cette pièce ne fait que prouver la vérité de l'assertion du
+docteur Johnson, que beaucoup d'hommes, de femmes et _d'enfans_
+pourraient écrire des poésies comme celles d'Ossian.»
+
+»Je suis maigre, et prends beaucoup d'exercice. J'espère vous voir ce
+printems ou cet été. On dit que lord Ruthen quitte Newstead en avril...
+Aussitôt qu'il l'aura quitté pour toujours, je vous serais infiniment
+obligé d'y faire un tour à cheval, d'examiner la propriété et de me
+donner franchement votre opinion sur le meilleur parti à prendre quant à
+la maison. Entre nous, je suis diablement enfoncé; mes dettes, tout
+compris, s'élèveront à neuf ou dix mille livres sterling avant l'époque
+de ma majorité. Mais j'ai des raisons de penser que je me trouverai
+cependant plus riche que l'on ne le croit généralement. Je n'ai que peu
+d'espoir de conserver Newstead; mais Hanson, mon agent, me dit que ma
+propriété dans le Lancashire vaut trois fois plus. Je crois que nous la
+recouvrerons, et que la partie adverse ne refuse de la rendre, que dans
+l'espoir de prolonger l'affaire jusqu'à ma majorité; ils veulent sans
+doute alors proposer quelques arrangemens, supposant que je préférerai
+alors une somme d'argent comptant à une réversion. Pour Newstead, je
+puis le vendre, peut-être ne le ferai-je pas; nous aurons le tems d'en
+parler plus tard. Je viendrai en mai ou en juin...
+
+»Votre bien affectionné.»
+
+Le genre de vie qu'il menait à cette époque, partagé entre les
+dissipations de Londres et celles de Cambridge, sans maison à lui, sans
+un seul parent qu'il pût visiter, n'était pas propre à le rendre content
+de lui-même ou des autres. N'ayant en tout de volonté à consulter que la
+sienne[99], les plaisirs même auxquels il était le plus naturellement
+porté, perdirent de bonne heure tout leur charme pour lui, parce qu'ils
+manquaient de ce qui fait l'assaisonnement de toutes nos jouissances, la
+rareté et la difficulté. J'ai déjà extrait d'un de ses _souvenirs_, un
+passage où il décrit ce qu'il éprouva en se rendant à Cambridge pour la
+première fois, et dit: «Qu'une des sensations les plus pénibles de sa
+vie fut de voir qu'il n'était plus un enfant! Depuis ce moment,
+ajoute-t-il, je commençai à m'estimer vieux, et dans mon estime l'âge
+n'est pas estimable. Je pris mes _degrés_ dans le vice avec beaucoup de
+promptitude; mais le vice n'était pas de mon goût, car mes premières
+passions, quoique extrêmement violentes, étaient concentrées, et
+n'aimaient point à se répandre au-dehors ni à se partager. J'aurais pu
+quitter ou perdre le monde entier avec ou pour ce que j'aimais; mais
+bien que mon tempérament fût de feu, je ne pouvais prendre part au
+libertinage commun de cette ville à cette époque; et cependant ce dégoût
+lui-même, qui laissait mon cœur inoccupé, me jeta dans des excès
+peut-être plus fatals que ceux dont je m'éloignais, en fixant sur une
+seule personne (à la fois) les passions qui, répandues sur plusieurs,
+n'eussent fait de mal qu'à moi-même.
+
+ [Note 99: Notre vie entière dépend singulièrement des trois
+ ou quatre premières années pendant lesquelles nous n'avons
+ pas eu d'autres maîtres que nous-mêmes.
+ (COWPER.)]
+
+D'après les raisons que nous venons d'en donner, les écarts auxquels il
+se livrait à cette époque étaient bien moins nombreux et bien moins
+grossiers que ceux de la plupart de ses condisciples; cependant, soit à
+cause de la véhémence que leur donnait leur concentration, sur un seul
+objet, ou plutôt de cet étrange orgueil qui l'a toujours porté à
+afficher ses erreurs, il arrivait qu'une seule de ses folies faisait
+plus de bruit que mille de celles des autres; nous en avons un exemple à
+peu près à l'époque dont nous parlons, et à laquelle je serais porté à
+croire que se rapportent les allusions mystérieuses que nous venons de
+citer. Un amour, si l'on peut honorer de ce nom une intrigue passagère
+que d'autres eussent bientôt oubliée ou auraient eu la prudence de
+cacher, fut changé par lui en une liaison publique et d'une certaine
+durée. Il fit loger avec lui à Brompton la personne qui le lui avait
+inspiré, et l'emmena ensuite à Brighton déguisée en homme. Elle se
+promenait ordinairement à cheval avec lui, et il la présentait comme son
+jeune frère. Feu P.... qui se trouvait à Brighton à cette époque, et qui
+soupçonnait la vraie nature de leurs rapports, dit un jour au prétendu
+cavalier: «Quel joli cheval vous montez!--Oui, répondit celui-ci, en
+faisant une faute grossière de langue, c'est mon frère qui me l'a
+donn_a_ (_it was_ gave _me by my brother_).»
+
+Beattie nous dit de son poète idéal: «Il ne trouvait ni plaisir ni
+orgueil dans les exercices de force ou d'agilité.» Bien différens
+étaient les goûts de notre poète réel; et parmi les exercices auxquels
+il se livrait, il faut compter d'abord les moins romantiques de tous
+peut-être, celui de boxer et de prendre part au combat du coq. Ce goût
+lui fit rechercher de bonne heure la connaissance du plus célèbre
+professeur de cet art, M. Jackson, pour lequel il conserva, toute sa
+vie, la plus grande considération. Un de ses derniers ouvrages contient
+un tribut affectueux d'éloges, non-seulement pour les talens de cet
+ornement, de cette gloire du pugilat, mais encore de ses qualités
+sociales. Pendant le séjour que Byron fit cette année à Brighton,
+Jackson fut un de ses visiteurs les plus assidus, les frais de la
+voiture du professeur, pour l'_allée_ et le _retour_, étant toujours à
+la charge de son noble élève. Il honora aussi de sa familiarité
+d'Egville le maître de ballet et Gimaldi; il envoya, dit-on, à ce
+dernier, le jour de son bénéfice, un présent de cent guinées. M. Jackson
+ayant eu l'obligeance de me donner copie du petit nombre de lettres
+qu'il a conservées parmi un bien plus grand nombre que Lord Byron lui
+avait adressées, j'en insérerai ici une ou deux qui portent la date de
+cette année. Quoique les sujets dont elles traitent soient de peu
+d'importance en eux-mêmes, elles donneront peut-être des habitudes et de
+la vie actuelle du jeune poète une idée plus complète qu'on ne pourrait
+tirer de correspondances d'un genre plus relevé. Elles montreront au
+moins combien les premiers goûts et les premiers passe-tems de l'auteur
+de Childe-Harold étaient peu romanesques. Si nous les rapprochons des
+occupations et des amusemens moins romantiques encore de la jeunesse de
+Shakspeare, nous verrons combien le principe vital du génie, peut, sans
+s'affaiblir, traverser l'atmosphère, même, en apparence, la plus
+hétérogène et la plus contraire à sa nature.
+
+
+
+
+LETTRE XXVI.
+
+À M. JACKSON.
+
+Newstead-Abbey, 18 septembre 1808.
+
+
+MON CHER JACK,
+
+«Je voudrais que vous me fissiez savoir ce que Jekyll a fait à
+Snoane-Square, n° 40, concernant le _pony_ que j'ai renvoyé comme
+vicieux.
+
+«Je désire aussi que vous passiez chez Louch, à Brompton, pour lui
+demander quelle diable d'idée il a eue de m'envoyer une lettre si
+insolente à Brighton. Dites-lui bien en même tems que je ne prétends pas
+du tout accepter le compte ridicule qu'il me présente pour de prétendues
+détériorations.
+
+«Ambroise a agi de la manière la plus scandaleuse dans l'affaire du
+_pony_. Vous pouvez dire à Jekyll que s'il ne me rend pas l'argent, je
+mettrai l'affaire entre les mains de mon homme de loi. Vingt-cinq
+guinées sont un fort bon prix pour un _pony_; et parbleu! dût-il m'en
+coûter 500 liv. st., je ferai un exemple de M. Jekyll, et cela
+immédiatement, à moins qu'il ne rende l'argent.
+
+Croyez-moi, mon cher Jack, etc.
+
+
+
+
+LETTRE XXVII
+
+À M. JACKSON.
+
+Newstead-Abbey, 4 octobre 1808.
+
+
+MON CHER JACK,
+
+«Si ce M. Jekyll n'est pas un gentleman, vous ferez avec lui le marché
+le plus avantageux qu'il vous sera possible; mais si c'est un gentleman,
+informez-m'en, car alors j'en agirai d'une tout autre manière. S'il ne
+l'est pas, tirez de lui le plus d'argent que vous pourrez, car j'ai trop
+d'affaires sur les bras pour commencer un procès. En outre, cet Ambroise
+devrait rendre l'argent; mais j'en ai fini avec lui. Vous pouvez payer
+L... avec la balance, et vous disposerez des bidets, etc., pour le
+mieux.
+
+»J'aurais grand plaisir à vous voir ici; mais la maison est en
+réparation et pleine d'ouvriers. J'espère toutefois avoir cet avantage
+avant peu de mois. Si vous voyez Baldwabster, rappelez-moi, je vous
+prie, à son souvenir, et dites-lui que j'ai regretté la perte de Sydney,
+qui a péri, je le crains, dans ma garenne, car nous ne l'avons pas vu
+depuis quinze jours.
+
+»Adieu, etc.»
+
+
+
+
+LETTRE XXVIII.
+
+À M. JACKSON.
+
+Newstead-Abbey, 12 décembre 1808.
+
+
+MON CHER JACK,
+
+«Achetez le lévrier à quelque prix que ce soit, et autant d'autres de la
+même race que vous pourrez vous en procurer, mâles ou femelles.
+
+«Dites à d'Egville que je lui renverrai son costume, et que je lui suis
+fort obligé du patron. Je suis fâché de vous donner tant de peines; mais
+je n'avais pas idée qu'il fût si difficile de se procurer les animaux en
+question; mon manoir sera terminé dans quelques semaines, et si vous
+pouvez me faire une visite à Noël, je serai charmé de vous voir.
+
+«Croyez-moi votre, etc.»
+
+Le costume dont il s'agit ici était sans doute nécessaire pour un
+théâtre de société qu'il montait à cette époque à Newstead, et sur
+lequel nous trouverons d'autres détails dans la lettre suivante,
+adressée à M. Becher.
+
+
+
+
+LETTRE XXIX.
+
+À M. BECHER.
+
+Newstead-Abbey, 14 septembre 1808.
+
+
+MON CHER BECHER,
+
+«Je vous suis fort obligé des informations que vous me donnez, et j'en
+ferai mon profit. Je vais monter ici une comédie, le vestibule nous fera
+une salle admirable. J'ai déjà distribué les rôles, et puis me passer de
+dames, ayant quelques jeunes amis qui feront d'assez bons substituts, à
+défaut de femmes. Nous n'avons besoin que de trois hommes, outre M.
+Hobhouse et moi-même, pour la pièce dont nous avons fait choix. Ce sera
+la Vengeance (_the Revenge_). Dites, je vous prie, au charpentier
+Michalson de venir me parler immédiatement, et faites-moi savoir quel
+jour vous pourrez venir dîner et passer la soirée avec moi.
+
+»Croyez-moi, etc., etc.»
+
+Ce fut dans l'automne de cette année, comme l'indiquent les lettres
+précédentes, qu'il fixa pour la première fois sa résidence à l'abbaye de
+Newstead. La maison, quand il la reçut des mains de lord Grey de Ruthen,
+était dans le dernier état de dégradation; il se mit aussitôt à réparer
+et à meubler quelques appartemens pour en rendre l'habitation plus
+commode, non à lui-même, mais à sa mère. Dans une de ses lettres à Mrs.
+Byron, publiée par M. Dallas, voici comme il explique ses vues et ses
+intentions à ce sujet.
+
+
+
+
+LETTRE XXX.
+
+À L'HONORABLE[100] MISTRESS BYRON.
+
+ [Note 100: Lord Byron donne toujours le titre d'_honorable_ à
+ sa mère, quoiqu'elle n'y eût aucun droit.]
+
+Newstead-Abbey, 7 octobre 1808.
+
+
+CHÈRE MADAME,
+
+«Je n'ai point de lits à présent pour les H... ni pour aucun autre; ils
+couchent maintenant à Mansfield. Je ne sache point que je ressemble à
+J.-J. Rousseau. Je n'ai nulle ambition de ressembler à si illustre fou;
+mais ce que je sais, c'est que je vivrai à ma manière, et le plus
+solitairement qu'il me sera possible. Dès que mes appartemens seront
+prêts, je serai charmé de vous voir; jusque-là cela serait inconvenant
+et incommode pour tous deux; vous ne sauriez vous opposer
+raisonnablement à ce que je rende mon manoir habitable, malgré mon
+départ pour la Perse en mars ou au plus tard en mai. Vous serez
+propriétaire jusqu'à mon retour; et en cas d'accident, car j'ai déjà
+préparé mon testament pour le moment où j'aurai vingt-un ans, j'ai eu
+soin que la maison et le manoir vous restassent votre vie durant, outre
+une pension suffisante. Ainsi vous voyez que ce n'est pas l'égoïsme qui
+mes porte à faire des réparations et des embellissemens. Comme j'ai un
+ami ici, nous irons au bal de l'Hôpital. Le 12, nous prendrons le thé
+avec Mrs. Byron à huit heures, et nous espérons vous voir au bal. Si
+cette dame a la bonté de nous réserver deux chambres pour nous habiller,
+elle nous obligera infiniment. Que nous soyons au bal à dix ou onze
+heures, c'est tout ce qu'il faut, et nous retournerons à Newstead entre
+trois et quatre.
+
+»Adieu. Je suis bien sincèrement votre, etc.»
+
+L'idée entretenue par Mrs. Byron d'une ressemblance entre son fils et
+Rousseau était surtout fondée sur ses habitudes solitaires, dans
+lesquelles il montrait de si bonne heure du penchant à suivre ce
+philosophe, penchant qui prit de la force à mesure qu'il avança en âge.
+Dans un de ses _souvenirs_, auquel j'ai déjà beaucoup emprunté[101], il
+met en question la justesse de cette comparaison entre Rousseau et lui,
+et nous donne comme à l'ordinaire, en style très-animé, quelques idées
+de son caractère et de ses habitudes.
+
+ [Note 101: Ce journal est intitulé par lui-même: _Pensées
+ détachées_.]
+
+«Avant que je n'eusse vingt ans, ma mère voulait absolument que je
+ressemblasse à Rousseau, madame de Staël en disait autant en 1813, et il
+y a quelque chose de cela dans la _Revue d'Édimbourg_, dans l'article
+critique sur le quatrième chant de Childe-Harold. Pour ma part, je ne
+puis voir aucun point de ressemblance: il écrivait en prose et moi en
+vers; c'était un homme du peuple, et moi de l'aristocratie; il était
+philosophe, et je ne le suis point; il publia son premier ouvrage à
+quarante ans, et moi à seize: son premier essai lui attira les
+applaudissemens universels, le mien m'attira tout le contraire: il
+épousa sa gouvernante, je n'ai pas pu vivre avec ma femme[102]: il
+pensait que tout le monde conspirait contre sa personne, moi c'est mon
+petit monde qui croit que je conspire contre lui, si j'en peux juger par
+les injures que me prodiguent la presse et les coteries. Il aimait la
+botanique, j'aime les fleurs, les herbes et les arbres, mais je ne sais
+rien de leur histoire. Il a composé de la musique, je n'en connais que
+ce que l'oreille me permet de saisir. Je n'ai jamais pu rien apprendre
+par l'étude, pas même une langue: tout ce que je sais, je le dois à la
+routine, à l'oreille et à la mémoire, qu'il avait mauvaise, et que j'ai
+ou plutôt j'avais excellente, demandez plutôt au poète Hodgson, bon juge
+en cette matière, car il en a lui-même une étonnante. Il écrivait avec
+hésitation et travail, moi j'écris rapidement et presque toujours sans
+efforts. Il ne sut jamais monter à cheval, nager ni faire des armes, moi
+je suis un excellent nageur, un décent, si ce n'est un brillant
+cavalier, m'étant enfoncé une côte au manége à l'âge de dix-huit ans. Je
+maniais assez bien les armes, particulièrement l'espadon des
+montagnards; je n'étais pas non plus un mauvais boxeur, quand je pouvais
+conserver mon sang-froid, ce qui était difficile, mais ce que je me suis
+toujours efforcé de faire depuis que (avec les gants) je renversai M.
+Purling, et lui démis la rotule, en 1806, dans la salle d'Angelo et
+Jackson. J'étais aussi assez fort à la balle crossée et l'un des onze
+champions de Harrow, qui soutinrent un défi, en 1805, contre Éton. En
+outre, le genre de vie de Rousseau, son pays, ses mœurs, l'ensemble de
+son caractère, offrent avec moi de si grandes différences, que je ne
+puis comprendre comment une telle comparaison a pu être faite trois
+fois, et toujours d'une manière si remarquable. J'oubliais encore de
+dire qu'il avait la vue courte, et que jusqu'ici la mienne a été tout le
+contraire, au point qu'au plus grand théâtre de Bologne, je distinguai
+certain buste et lus certaines inscriptions sur le bord de la scène,
+bien que placé dans la loge la plus éloignée et la plus sombre.
+Quoiqu'il y eût dans cette même loge plusieurs personnes jeunes et y
+voyant bien, elles ne pouvaient reconnaître une seule lettre, et crurent
+d'abord que c'était une plaisanterie, quoique je ne fusse jamais entré
+dans ce théâtre auparavant. Somme toute, je crois avoir raison de
+trouver la comparaison mal fondée. Je ne le dis pas par humeur, car
+Rousseau était un grand homme, et la chose, si elle était vraie, serait
+assez flatteuse; mais je ne trouve point de plaisir dans une pure
+chimère.»
+
+ [Note 102: _He married his house-keeper; I could not keep
+ house with my wife_.]
+
+Dans une autre lettre à sa mère, quelques semaines après la précédente,
+il développe ses plans sur Newstead et ses voyages projetés.
+
+
+
+
+LETTRE XXXI.
+
+À MRS. BYRON.
+
+Newstead-Abbey, 2 novembre 1808.
+
+
+MA CHÈRE MÈRE,
+
+«Nous oublierons, s'il vous plaît, ce que vous me dîtes dans votre
+dernière; je ne désire point me le rappeler. Quand nos chambres seront
+prêtes, je serai charmé de vous recevoir; et surtout je serais fâché de
+vous voir douter, en ce moment, de ma sincérité. C'est plus pour vous
+que pour moi que je meuble la maison; je vous y installerai avant mon
+départ pour les Indes, qui aura lieu, je crois, dans le courant de mars,
+s'il ne survient quelque obstacle particulier. Je fais arranger en ce
+moment le salon vert, la chambre à coucher rouge, et à l'étage au-dessus
+quelques chambres d'amis. Tout cela sera bientôt prêt, ou du moins je
+l'espère ainsi.
+
+«Je vous prierais de vous informer auprès du major Watson, qui a résidé
+long-tems dans les Indes, quels sont les objets dont il est le plus
+nécessaire d'être pourvu. J'ai déjà fait écrire par l'un de mes amis au
+professeur d'Arabe, à Cambridge, pour quelques renseignemens que je
+désire vivement me procurer. Il me sera aisé d'obtenir du gouvernement
+des lettres pour les ambassadeurs, les consuls, etc., et aussi pour les
+gouverneurs de Calcutta et de Madras. Je placerai mes propriétés et mon
+testament entre les mains de plusieurs personnes de confiance dont vous
+serez certainement l'une. Je n'ai reçu aucune nouvelle de H...; quand
+j'en aurai, je m'empresserai de vous en faire part.
+
+»Après tout, vous avouerez que mon projet n'est pas mauvais; si je ne
+voyage pas maintenant, je ne voyagerai jamais, et les hommes le
+devraient toujours faire un jour ou l'autre. Je n'ai rien qui me
+retienne maintenant dans mon pays; point de femme, point de sœurs à
+pourvoir, point de frères, etc. Je prendrai soin de vos intérêts; et, à
+mon retour, il sera possible que je me décide à suivre la carrière de la
+politique. Quelques années consacrées à connaître d'autres pays, ne me
+nuiront pas si j'embrasse ce parti. Tant que nous ne voyons que notre
+propre nation; nous ne jouons pas franc jeu avec l'espèce humaine. C'est
+par l'expérience personnelle, et non par des livres, que nous devrions
+juger les peuples étrangers. Il n'y a rien de tel que de voir par
+soi-même, et de ne s'en rapporter qu'à ce qu'on a vu.
+
+»Votre, etc.»
+
+Dans le mois de novembre de cette année, il perdit son chien favori
+Boatswain. Le pauvre animal fut tout à coup saisi d'un accès de rage; au
+commencement, Lord Byron soupçonnait si peu la nature de la maladie,
+qu'il lui arriva plusieurs fois d'essuyer avec sa main nue l'écume qui
+sortait de la bouche du chien au moment de ses attaques. Dans une lettre
+à son ami, M. Hodgson[103], il annonce ainsi cet événement: «Boatswain
+est mort! il a expiré dans un état de rage complète, après avoir
+beaucoup souffert, mais conservant jusqu'à la fin toute la douceur de
+son naturel, et sans jamais essayer de faire le moindre mal à ceux qui
+l'entouraient. J'ai maintenant tout perdu, hors le vieux Murray.»
+
+ [Note 103: Le révérend Francis Hodgson, auteur d'une
+ excellente traduction de Juvenal et de plusieurs autres
+ ouvrages estimés: il fut long-tems en correspondance avec
+ Lord Byron, et je lui dois plusieurs lettres intéressantes de
+ son noble ami; je les donnerai dans le cours des pages
+ suivantes.]
+
+Le monument qu'il éleva à ce chien, le plus remarquable en son genre,
+depuis le tombeau du chien de Salamine, forme encore l'un des plus beaux
+ornemens de Newstead. Les vers pleins de misanthropie qu'il y fit graver
+se retrouvent dans son recueil de poésies, et sont précédés de
+l'inscription que voici:
+
+«Près de ce lieu sont déposés les restes d'un être qui posséda la beauté
+sans orgueil, la force sans insolence, le courage sans férocité; en un
+mot, toutes les vertus de l'homme sans ses vices. Cet éloge, qui serait
+une basse flatterie s'il était inscrit sur des cendres humaines, n'est
+qu'un juste tribut à la mémoire de Boatswain, chien qui, né à
+Terre-Neuve, au mois de mai 1803, est mort, à Newstead-Abbey, le 18
+novembre 1808.»
+
+Le poète Pope, à peu près au même âge que l'auteur de cette inscription,
+fait de même l'éloge de son chien, aux dépens de l'espèce humaine, et
+ajoute que l'histoire nous offre plus d'exemples de la fidélité des
+chiens que de celle des hommes. Lord Byron, parlant de son favori, dit,
+avec plus de tristesse et d'amertume encore: «Ces pierres ont été
+élevées pour couvrir les restes d'un ami; je n'en ai jamais eu qu'un, et
+c'est ici qu'il repose.» Il semble, en effet, qu'à cette époque sa
+mélancolie fît de rapides progrès. Dans une autre lettre à M. Hodgson,
+il dit: «Vous savez que, d'après Smollet, le rire est le signe
+caractéristique d'un animal raisonnable; je le crois aussi;
+malheureusement mes dispositions naturelles ne s'accordent pas toujours
+avec mon opinion à cet égard.»
+
+Murray, le vieux serviteur dont il parle plus haut, comme le seul
+individu fidèle qui lui reste, avait été long-tems domestique du vieux
+lord, et était traité par le jeune poète avec une affection que la
+vieillesse inspire rarement, surtout dans une condition dépendante.
+«J'ai vu souvent, dit l'un des plus constans visiteurs de Newstead, Lord
+Byron à la fin du repas, emplir un grand verre de Madère, et le passer
+par-dessus son épaule à Joe Murray, qui se tenait derrière sa chaise, en
+lui disant avec un air d'affection qui animait toute sa physionomie:
+«Tiens, bois, mon vieux camarade!»
+
+Nous retrouvons dans un passage d'une autre de ses lettres à M. Hodgson
+un exemple de ce ton d'indifférence avec lequel il parlait quelquefois
+de la difformité de son pied. Ce _gentleman_ ayant dit, en plaisantant,
+que quelques vers des _Heures d'oisiveté_ étaient calculés pour porter
+les écoliers à la révolte, Lord Byron répondit: «Si mes chants ont
+produit les glorieux effets que vous dites, je serai un Tyrtée complet,
+quoique, et je suis fâché de le dire, je ressemble plutôt à ce poète
+célèbre, dans ma personne que dans mes ouvrages.» Quelquefois aussi il
+supportait avec la meilleure humeur du monde une allusion faite par
+d'autres à cette infirmité, quand il supposait qu'on n'avait pas eu
+l'intention de l'offenser. Un jour, dans une compagnie nombreuse et
+_mélangée_, une personne sans éducation lui demanda tout haut: «Eh bien,
+Milord, comment va votre pied?--Je vous remercie, Monsieur, répondit
+Byron du ton le plus poli, comme à l'ordinaire, et absolument de même.»
+
+L'extrait suivant, relatif à un ecclésiastique des amis de sa
+Seigneurie, est encore tiré d'une de ses lettres à M. Hodgson, et de la
+même année:
+
+«J'écrivis, il y a quelques semaines, à N***, le priant de recevoir
+comme élève le fils d'un citoyen de Londres, que je connais beaucoup.
+Les attentions toutes particulières dont la famille m'avait comblé
+pendant mon séjour parmi eux m'engagèrent à cette démarche. Maintenant,
+faites attention à ce qui va suivre, comme quelqu'un l'a dit d'une
+manière si sublime. Ce même jour arrive une épître signée N***, ne
+contenant pas un seul mot relatif à la pension et à l'éducation, mais
+une pétition en faveur de Robert Gregson, le fameux boxeur, actuellement
+en prison pour quelques malheureuses livres sterling, et menacé d'avoir
+pour dernier asile le _Banc du Roy_. Si cette lettre m'était venue de
+quelques-unes de mes accointances _laïques_, ou enfin de toute autre
+personne que celle dont parle la signature, je ne m'en étonnerais pas.
+Si N*** est sérieux, je félicite le pugilat sur l'acquisition d'un tel
+patron, et me trouverais heureux d'avancer quelque somme que ce soit
+pour la délivrance du captif Gregson. Mais avant que d'écrire à N*** sur
+ce sujet, je veux certainement avoir un certificat du fait signé de vous
+ou de quelque respectable propriétaire. Quand je dis le _fait_, c'est le
+fait de la lettre en tant qu'écrite par N***; car je n'ai aucun doute de
+l'exactitude de ce qu'elle contient. La lettre est actuellement devant
+moi, et je la garde pour vous la faire lire.»
+
+Il passa cet automne à Newstead s'occupant principalement à revoir et à
+augmenter sa satire. Pour s'assurer lui-même de son mérite en la lisant
+et relisant tout imprimée[104], il avait fait tirer plusieurs épreuves
+du manuscrit, par son premier éditeur, à Newark. Il est assez
+remarquable qu'excité comme il l'était par l'attaque des journalistes,
+doué comme il l'était de la faculté d'écrire avec tant de rapidité, il
+ait laissé écouler un si grand laps de tems entre l'agression et la
+vengeance; mais il paraît qu'il avait pleinement apprécié toute
+l'importance du premier pas qu'il ferait dans la littérature après cette
+attaque. Il sentait que toutes ses chances de grandeur future
+dépendaient de l'effort qu'il allait faire; en conséquence, il
+rassemblait tranquillement toutes ses forces. Parmi ses préparatifs pour
+la tâche qu'il se proposait, on doit remarquer une étude profonde des
+écrits de Pope. Je ne doute point qu'on ne doive dater de cette époque
+l'admiration enthousiaste qu'il conserva toujours pour ce grand poète,
+admiration qui, après deux ou trois tentatives, éteignit en lui toute
+espérance de prééminence dans la même carrière, et le força à chercher
+la gloire par des chemins plus ouverts à la concurrence.
+
+ [Note 104: On dit que Wieland avait coutume de faire imprimer
+ ses ouvrages pour les corriger, et qu'il tirait de grands
+ avantages de cette méthode, qui paraît n'être pas du tout
+ extraordinaire en Allemagne.]
+
+La tournure misanthropique que des affections trompées et des espérances
+frustrées avaient, à cette époque, donnée à son esprit, lui rendait
+facile le genre de la satire; cependant il est évident que cette
+amertume existait bien plus dans son imagination que dans son cœur; et
+l'entraînement qu'il éprouvait à faire la guerre au monde venait moins
+du plaisir de porter des coups çà et là, que du sentiment de sa
+puissance qui se révélait alors à lui-même, et qui le plaçait plus haut
+qu'auparavant dans sa propre estime. La vérité est que la grande
+facilité avec laquelle, comme on le verra bientôt, il passe de l'éloge à
+la censure ou de la censure à l'éloge, prouve combien étaient passagères
+et incohérentes les impressions qui, dans beaucoup de cas, semblent
+avoir dicté ses jugemens. Quoique cette circonstance ôte à quelques
+égards, du poids à ses éloges, elle l'absout en même tems du trop
+d'aigreur qui se trouve dans ses critiques.
+
+Sa majorité (1809) fut célébrée à Newstead par autant de réjouissances
+que purent le permettre la médiocrité de sa fortune et l'exiguïté du
+nombre de ses amis; outre le _bœuf_ rôti de fondation, il y eut un bal
+donné en cette occasion. La seule particularité dont se souvienne le
+vieux domestique qui m'en a parlé, c'est que M. Hanson, l'agent du Lord,
+était au nombre des danseurs. Quant à la manière dont Byron lui-même
+célébra ce grand jour, je trouve dans une lettre écrite de Gênes, en
+1822, les détails suivans qui pourront ne pas paraître sans intérêt.
+«Vous ai-je jamais dit que le jour de ma majorité, je fis mon dîner
+d'œufs avec du lard et une bouteille d'ale? Pour une fois en passant,
+c'est ce que j'aime le mieux à manger et à boire; mais comme ni l'un ni
+l'autre ne conviennent à mon estomac, c'est une petite jouissance que je
+ne me permets que dans les grandes occasions, tous les quatre ou cinq
+ans environ.» On se procura à un intérêt énorme par l'entremise des
+usuriers, l'argent nécessaire pour son début dans le monde, et la
+nécessité de le rembourser fut long-tems un fardeau pour lui.
+
+Ce ne fut qu'au commencement de cette année qu'il apporta à Londres sa
+satire toute prête, à ce qu'il croyait lui-même, pour l'impression; mais
+malheureusement avant que l'ouvrage ne fût imprimé, sa bile trouva de
+nouveaux alimens dans la négligence avec laquelle il se crut traité par
+son tuteur lord Carlisle. Les relations qui avaient précédemment existé
+entre ce seigneur et son pupille n'avaient jamais été de nature à faire
+naître beaucoup d'amitié entre eux, et c'est au caractère et à
+l'influence de Mrs. Byron qu'appartient surtout le blâme d'avoir
+augmenté, si ce n'est d'avoir causé leur éloignement. Lord Byron sentit
+vivement, comme nous le voyons dans une de ses lettres, la froideur avec
+laquelle lord Carlisle avait reçu la dédicace de son premier volume.
+Toutefois cédant à des considérations prudentes, non-seulement il avait
+dissimulé son déplaisir, mais il avait dans sa satire (telle qu'elle
+devait d'abord paraître) introduit le compliment suivant à son tuteur:
+
+«Il n'en est qu'un seul auquel Apollon daigne encore sourire, et dans
+Carlisle il couronne un nouveau Roscommon.»
+
+Cet éloge, si généreusement accordé, ne conserva pas sa place dans le
+poème. Pendant le tems qui s'écoula entre la composition et
+l'impression, Lord Byron, espérant naturellement que son tuteur
+s'offrirait de lui-même à l'introduire dans la chambre des pairs le jour
+où il devait y paraître la première fois, lui écrivit pour lui rappeler
+qu'il serait majeur au commencement de la session. Au lieu de la
+politesse à laquelle il s'attendait, il ne reçut pour toute réponse
+qu'une note cérémonieuse, lui indiquant la manière formelle de procéder
+dans de telles occasions. Il n'est donc pas étonnant que, disposé comme
+il l'était par les circonstances précédentes à ne pas supposer à son
+tuteur des intentions bien favorables pour lui, et se voyant ainsi
+refusé au moment où l'appui d'un parent si proche lui eût été si utile,
+son ame, naturellement si _impressionnable_, se soit ouverte au plaisir
+de la vengeance. Cette indignation, une fois excitée, ne trouva qu'un
+moyen trop facile de s'exhaler. Les vers louangeurs que je viens de
+citer furent effacés, et sa satire fut publiée avec ceux que nous y
+voyons contre lord Carlisle. Si ces vers flattèrent délicieusement
+d'abord son désir de vengeance, telle était la facilité naturelle de son
+caractère, qu'il ne tarda pas à se repentir de les avoir écrits[105].
+
+ [Note 105: Voyez les vers sur la mort du major Howard, fils
+ de lord Carlisle, tué à Waterloo:
+
+ «Des lyres plus harmonieuses que la mienne ont redit leur
+ louange; mais parmi cette troupe de héros, il en est un que
+ je voudrais choisir, soit parce que je suis allié de sa
+ famille, soit parce que j'ai eu quelques torts envers son
+ père.»
+ (CHILDE HAROLD, chant III.)]
+
+Pendant l'impression de son poème, il l'augmenta de plus de cent vers,
+et y fit plusieurs changemens, dont deux ou trois peuvent être cités
+comme preuves de la promptitude avec laquelle il recevait les
+impressions et les influences qui l'ont rendu si variable dans ses
+manières de sentir et de juger. Dans sa satire, telle qu'il l'avait
+composée d'abord, se trouvaient les deux vers suivans:
+
+Quoique des imprimeurs condescendent à souiller leurs presses des odes
+de Smythe et des chants épiques de Hoyle.
+
+Il se repentit, au moment de la publication, de l'injustice de ces deux
+vers (injustes également pour les deux auteurs qui y sont cités), du
+moins quant à l'une de ces deux victimes. Il prit dans sa satire
+imprimée un ton tout-à-fait différent. Le nom du professeur Smythe y est
+cité avec honneur, comme il le méritait, et accouplé à celui de M.
+Hodgson, l'un des plus estimables amis du poète:
+
+Oh! obscur asile d'une race vandale, à la fois honneur et disgrâce des
+sciences, si plongé dans la routine de l'ennuyeuse inutilité, qu'à peine
+les noms de Smythe et d'Hodgson seront capables de réhabiliter le tien!
+
+Voici un autre exemple de son extrême mobilité. Le manuscrit original de
+la satire contenait ce vers:
+
+Je laisse la topographie à ce fat de Gell.
+
+Pendant le tems de l'impression il fit connaissance avec sir Williams
+Gell. Alors, sans effort, par le changement d'une seule épithète, il
+convertit sa satire en éloge: il écrivit pour la postérité:
+
+Je laisse la topographie au _classique_ Gell[106].
+
+ [Note 106: Dans la cinquième édition de cette satire,
+ supprimée par l'auteur en 1812, il changea de nouveau
+ d'opinion sur ce professeur, et en altéra l'expression ainsi:
+ «Je laisse la topographie au _rapide_ Gell.» Expliquons la
+ raison de ce nouveau changement par la note suivante:
+ «_Rapide_; en effet, il a _topographisé_ et _typographisé_ en
+ trois jours les états du roi Priam. Je l'avais appelé
+ classique avant que je n'eusse vu la _Troade_, et maintenant
+ je me garderai bien de lui accorder une qualification à
+ laquelle il a si peu de droits.»]
+
+Parmi les passages ajoutés au moment de l'impression, il faut remarquer
+les vers contre la licence de l'opéra, «qu'ainsi donc l'Ausonie, etc.,»
+que le jeune poète écrivit un soir au sortir du théâtre, et envoya
+aussitôt à M. Dallas pour les insérer dans sa satire. Une autre de ces
+additions fut le juste tribut d'éloge payé à MM. Crabbe et Rogers, éloge
+d'autant plus désintéressé et d'autant plus exact, qu'à cette époque il
+n'avait vu ni l'une ni l'autre de ces deux personnes distinguées, et
+qu'il conserva toute sa vie l'opinion qu'il avait exprimée sur leur
+mérite. Il devint depuis ami intime de l'auteur des _Plaisirs de la
+mémoire_; mais il n'eut jamais le bonheur de former aucune liaison avec
+celui qu'il désigna si bien sous le nom de _peintre le plus sombre et le
+plus vrai de la nature_. Mon respectable ami et voisin, M. Crabbe, m'a
+dit qu'une fois ils passèrent un jour ou deux dans le même hôtel, sans
+le savoir, et qu'ils ont dû souvent se rencontrer, soit en entrant dans
+la maison, soit en sortant.
+
+Presque de deux jours l'un, M. Dallas, qui s'était chargé de surveiller
+l'impression, recevait de nouveaux matériaux pour l'enrichir; l'esprit
+de l'auteur une fois excité sur un sujet quelconque ne savait plus
+maîtriser la surabondance de ses idées. Dans l'un de ses courts billets
+à M. Dallas, il lui dit: «Dépêchez-vous vite d'imprimer, ou je vous
+inonderai de vers.» Il en fut de même pour ses publications
+subséquentes, aussi long-tems du moins qu'il fut à portée de son
+imprimeur, alimentant jusqu'au dernier moment la presse d'idées neuves
+et fécondes qui lui étaient fournies par la lecture de ce qu'il avait
+écrit auparavant. Il semblerait, en effet, d'après l'extrême facilité et
+l'extrême rapidité dont il ajouta à presque tous ses ouvrages leurs plus
+beaux passages, tandis qu'ils étaient entre les mains de l'imprimeur,
+que l'action même de se faire imprimer aiguillonnât son imagination, et
+que le torrent de ses idées prît plus de vie, de fraîcheur, en arrivant,
+pour ainsi dire, à son embouchure.
+
+Parmi les passages pathétiques dont il orna son poème fut celui que lui
+suggéra la mort déplorable de lord Falkland. C'était un officier de
+marine, brave, mais débauché, dont il avait fait connaissance dans le
+monde, et qui fut, au commencement de mars, tué dans un duel par M.
+Powell. Les stances touchantes qu'il lui a consacrées dans sa satire
+prouvent assez combien cet événement l'avait vivement frappé. «Je
+connaissais beaucoup le feu lord Falkland. Le mardi soir je l'avais vu
+faire lui-même les honneurs de sa table hospitalière; le mercredi matin,
+je vis étendu devant moi ce corps qu'animaient naguère le courage, la
+sensibilité, et tant de nobles passions!» Il ne s'en tint pas à des
+paroles pour prouver sa sympathie dans cette occasion. Ce malheureux
+jeune homme laissait derrière lui une famille qui avait besoin pour son
+soulagement d'autre chose qu'une stérile compassion, et Lord Byron,
+malgré la gêne qu'il éprouvait lui-même à cette époque, trouva moyen de
+venir généreusement et délicatement au secours de la veuve et des enfans
+de son ami. Dans la lettre suivante à Mrs. Byron, il en parle entre
+autres sujets importans avec une sensibilité éloignée de toute
+ostentation, qui lui fait le plus grand honneur.
+
+
+
+
+LETTRE XXXII.
+
+À MRS. BYRON.
+
+Saint-James-street, n° 8, 4 mars 1809.
+
+
+MA CHÈRE MÈRE,
+
+«Ma dernière lettre fut écrite dans un grand abattement d'esprit causé
+par la mort de ce pauvre Falkland, qui a laissé sans un schelling sa
+femme et ses enfans. Je me suis efforcé de venir à leur secours. Dieu
+sait que je n'ai pas pu le faire comme je l'aurais désiré, gêné comme je
+le suis, et accablé de tant de dettes.
+
+»Vous avez parfaitement raison; il faut que Newstead et moi nous nous
+soutenions, ou tombions ensemble. J'y ai vécu, j'y ai attaché mon cœur,
+et jamais besoin d'argent présent ou à venir ne pourra me porter à
+vendre la moindre parcelle de notre héritage. J'ai un amour-propre qui
+me donnera la force de supporter bien des embarras pécuniaires: j'aurai
+peut-être à endurer bien des privations; mais quand on m'offrirait en
+échange de Newstead la première fortune de l'Angleterre, je rejetterais
+la proposition. N'ayez pas d'inquiétude à ce sujet; M. H*** en parle
+comme un homme d'affaires; mais je sens comme un homme d'honneur, et je
+ne vendrai pas Newstead.
+
+»J'entrerai à la chambre des pairs dès que l'on aura reçu certains
+certificats pour lesquels on a écrit à Carhais, dans le Cornouaille, et
+je ferai parler de moi: il faut que je brille dès le commencement, ou
+tout est perdu. Il faut me garder le secret sur ma satire pendant un
+mois, après cela vous serez libre d'en parler absolument comme vous le
+voudrez. Lord Carlisle en a usé avec moi d'une manière infâme, en
+refusant de donner au chancelier aucun détail sur ma famille. Je l'ai
+_sanglé_ comme il faut dans mes vers, et peut-être sa Seigneurie se
+repentira-t-elle de n'avoir pas montré une humeur plus conciliante. On
+dit que cela se vendra; je l'espère, car le libraire s'est bien conduit
+jusqu'ici, c'est-à-dire que l'édition a été bien soignée. Croyez-moi,
+etc.
+
+»_P. S._ Vous aurez hypothèque sur une des fermes.»
+
+Le certificat dont il est ici question comme attendu de la principauté
+de Cornouaille était les preuves du mariage entre l'amiral Byron et miss
+Trevanion, mariage célébré, à ce qu'il paraît, dans une chapelle
+particulière, à Carhais, et dont, en conséquence, il était difficile de
+se procurer une attestation légale. Le délai nécessaire pour obtenir ces
+papiers, et le refus peu gracieux de lord Carlisle de donner aucune
+explication sur sa famille, furent les obstacles qui l'empêchèrent
+long-tems de prendre sa place à la chambre. Les preuves nécessaires
+ayant été à la fin fournies, il se présenta, le 13 mars, dans un état
+d'isolement auquel aucun jeune homme d'un rang aussi élevé ne s'était
+jamais vu réduit en pareille occasion. N'ayant pas un seul individu de
+sa classe pour l'introduire comme un ami, ou l'accueillir comme une
+connaissance, ce fut au hasard seul qu'il dut d'être accompagné jusqu'à
+la barre de la chambre par un parent très-éloigné, et qui lui était
+complètement inconnu un peu plus d'un an auparavant. Ce parent fut M.
+Dallas, et les détails qu'il nous a donnés de cette scène entière sont
+trop frappans pour que nous y changions un seul mot.
+
+«La satire fut publiée vers le milieu de mars, quelques jours après
+qu'il eut pris sa place à la chambre des Pairs, ce qu'il fit le 13 du
+même mois. Je descendais ce jour-là de James's-Street, sans intention de
+lui faire visite; mais voyant son cabriolet à la porte, j'entrai. Sa
+figure plus pâle qu'à l'ordinaire montrait que son esprit était agité et
+qu'il pensait au noble seigneur sous les auspices duquel il avait
+toujours cru faire son entrée à la Chambre. Je suis bien aise, me
+dit-il, de vous voir; je vais prendre ma place à la Chambre, peut-être
+voudrez-vous bien m'accompagner. Je me hâtai de lui exprimer combien
+j'étais disposé à le faire, lui cachant en même tems le chagrin que
+j'éprouvais en voyant un jeune homme qui, par sa naissance, sa fortune
+et ses talens, appartenait à la première classe de la société, assez
+négligé, assez isolé dans le monde, pour qu'il n'y eût pas un seul
+membre du sénat dont il allait faire partie, auquel il pût s'adresser
+pour y être introduit d'une manière convenable. Je vis qu'il sentait
+vivement sa situation, et je partageais son indignation.
+
+»Après avoir parlé quelque tems de la satire dont les dernières feuilles
+étaient alors sous presse, j'accompagnai Lord Byron à la Chambre. Il fut
+reçu dans l'une des antichambres par quelques officiers de service, avec
+lesquels il s'entendit sur les frais qu'il avait à payer. L'un d'eux
+alla avertir le lord chancelier, et revint bientôt avec ordre
+d'introduire le récipiendaire. Il y avait peu de membres présens, et
+lord Eldon s'occupait d'affaires ordinaires ou peu importantes. Quand
+Lord Byron entra, il me parut encore plus pâle qu'avant; on lisait sur
+sa figure l'indignation jointe à la mortification; mais parvenu à la
+dominer, il passa devant la _balle de laine_[107] sans regarder autour
+de lui, et s'avança vers la table où l'officier chargé de cette fonction
+lui fit entendre le serment d'usage. Cette formalité remplie, le
+chancelier, quittant son siége, fit quelques pas vers lui en souriant et
+lui présentant la main pour le féliciter de la manière la plus amicale.
+Quoique je n'entendisse pas ses paroles, je vis bien qu'il lui adressait
+quelques complimens. Ce fut autant de perdu; Lord Byron fit un salut
+cérémonieux, et plaça à peine l'extrémité du bout de ses doigts dans les
+mains du chancelier. Celui-ci ne prolongea pas des félicitations aussi
+mal reçues; mais il retourna à sa place, tandis que Lord Byron alla
+négligemment s'asseoir quelques minutes sur l'un des bancs restés vides
+à la gauche du trône, et qu'occupent ordinairement les lords de
+l'opposition. Quand il vint me rejoindre, je lui fis part de mes
+observations; il me répondit: Si j'avais répondu à son serrement de
+main, il m'aurait tout de suite compté comme acquis à son parti. Je ne
+veux rien avoir à faire ni avec les uns ni avec les autres; j'ai pris
+mon rang; je veux maintenant quitter l'Angleterre. Nous retournâmes à
+Saint-James's-Street, mais il ne recouvra pas sa bonne humeur.»
+
+ [Note 107: Nom du fauteuil du chancelier, et qui est pris
+ souvent par métaphore pour la dignité de chancelier. C'est
+ ainsi que l'on dit être assis sur _la balle de laine_, comme
+ chez nous être assis sur les _fleurs de lis_.]
+
+Au récit d'une cérémonie si désagréable pour un esprit fier comme le
+sien, et si peu de nature à diminuer les idées misanthropiques qui déjà
+prenaient sur lui tant d'empire, j'ajouterai d'après l'un de ses propres
+_souvenirs_, les détails qu'il nous a lui-même laissés sur sa courte
+conversation avec le lord chancelier:
+
+«Quand j'eus atteint mes vingt-un ans, la nécessité de me procurer
+certains certificats de naissance et de mariage m'empêcha pendant
+plusieurs semaines de prendre rang dans la Chambre. Après que ces
+difficultés eurent été levées, et que j'eus prêté serment, le lord
+chancelier s'excusa auprès de moi de ce délai, observant que le maintien
+de ces formes voulues était une partie de son devoir. Je lui répondis
+qu'il ne me devait point d'excuse, et comme il n'avait pas, en effet,
+montré beaucoup d'empressement, j'ajoutai: Votre seigneurie est
+exactement comme le _Petit Poucet_ (on donnait à cette époque la pièce
+de ce nom), vous avez fait votre _devoir_, mais vous n'avez fait rien de
+plus.»
+
+Quelques jours après parut la satire, et l'un des premiers exemplaires
+fut adressé à M. Harness, son ami, avec la lettre suivante:
+
+
+
+
+LETTRE XXXIII.
+
+À M. HARNESS.
+
+Saint-James's-Street, 18 mars 1809.
+
+«Vous ne me deviez pas d'excuses; si vous avez le tems d'écrire, et si
+vous y êtes disposé, tant mieux; Le Seigneur nous rend reconnaissans
+pour les faveurs que nous recevons. Quand, au contraire, je n'entends
+pas parler de vous, je me console en pensant que vous êtes plus
+agréablement occupé.
+
+»Je vous envoie par le même courrier une certaine satire nouvellement
+publiée; et en retour de trois shillings et six pences qu'il m'en coûte,
+je vous prie, si vous venez à en deviner l'auteur, de tenir son nom
+secret, du moins quant à présent. Londres est plein de l'affaire du
+duc[108]. La Chambre des communes s'en est occupée pendant les trois
+dernières soirées, et n'a cependant encore rien décidé. Je ne sais pas
+si la chose sera portée devant notre Chambre, à moins que ce ne soit
+sous forme d'accusation. Si elle y paraît d'une manière qui permette la
+discussion, je serai peut-être tenté de dire quelque chose à ce sujet.
+Je suis bien aise d'apprendre que vous aimez Cambridge, premièrement
+parce que vous savoir heureux ne peut qu'être infiniment agréable à
+quelqu'un qui vous désire toutes les joies possibles de ce monde
+sublunaire, et secondement, parce que j'admire la moralité de ce
+sentiment. L'_alma mater_ a été pour moi une _injusta noverca_, et cette
+vieille folle ne m'a donné mon degré de _master artium_ que parce
+qu'elle n'a pu l'éviter. Vous savez quelle farce un noble candidat est
+obligé de jouer.
+
+ [Note 108: Probablement l'affaire du duc d'York, accusé
+ d'avoir vendu ou laissé vendre des commissions dans l'armée
+ d'une manière illégale.]
+
+«Je compte partir pour mes voyages, si je puis, au printems, et avant
+cette époque je fais une collection des portraits de ceux de mes
+camarades d'école avec lesquels j'étais le plus lié. J'en ai déjà
+quelques-uns, et j'ai besoin du vôtre, sans lequel la galerie ne serait
+pas complète. J'ai employé l'un des premiers peintres de miniature de
+l'époque, et ce à mes dépens bien entendu, car je n'ai jamais souffert
+que mes connaissances fussent induites à la moindre dépense pour
+satisfaire quelqu'une de mes fantaisies. Cette observation pourra
+paraître indélicate; mais quand je vous dirai qu'un de nos amis avait
+d'abord refusé de poser dans la persuasion qu'il lui faudrait délier les
+cordons de sa bourse, vous conviendrez qu'il est nécessaire de bien
+établir d'abord ces préliminaires; pour éviter le retour d'une semblable
+méprise, je viendrai vous voir quand il en sera tems, et je vous ménerai
+chez le peintre. Ce sera une espèce de taxe que je léverai pendant une
+semaine sur votre patience; mais excusez-moi, je vous prie, et songez
+que cette ressemblance sera peut-être le seul souvenir qui me restera un
+jour de notre ancienne amitié et de notre liaison actuelle. Cette idée
+paraît assez folle maintenant; mais dans quelques années, quand
+quelques-uns d'entre nous seront morts, que d'autres seront séparés par
+des circonstances inévitables, ce sera une sorte de satisfaction de
+conserver, dans les portraits de ceux qui survivront, l'image de ce que
+nous étions naguère, et de contempler dans les portraits de ceux qui
+seront morts tout ce qui nous restera du jugement, de la sensibilité et
+de l'ensemble de tant de nobles qualités. Mais tout ceci doit être assez
+ennuyeux pour vous; ainsi bon soir, et pour finir mon chapitre ou plutôt
+mon homélie, croyez-moi, mon cher Harness, votre très-affectionné, etc.,
+etc.»
+
+Dans cette idée romanesque de rassembler et de conserver les portraits
+de ses anciens amis de classe, on voit le travail naturel d'un cœur
+ardent et désappointé qui, à mesure que l'avenir commence à s'obscurcir
+autour de lui, se rattache avec empressement au souvenir du passé, et
+qui, désespérant de trouver de nouveaux et de fidèles amis, ne songe
+plus qu'à conserver tout ce qu'il pourra des anciens. Mais, en ce moment
+même, sa sensibilité eut à soutenir un de ces terribles échecs auxquels
+des ames comme la sienne, fort au-dessus de la trempe ordinaire, ne sont
+que trop fréquemment exposées. Ce fut de la part d'un des amis qu'il
+estimait le plus qu'il reçut, au moment où il quittait l'Angleterre,
+cette preuve d'indifférence dont il se plaint et s'indigne dans une note
+du second chant de _Childe-Harold_, la mettant en contraste avec la
+fidélité et l'affection que venait de lui montrer son domestique turc
+Derwish. M. Dallas décrit ainsi l'émotion où il le vit à l'occasion de
+ce même manque d'affection:
+
+«Je le trouvai étouffant d'indignation. Le croirez-vous? me dit-il; je
+viens à l'instant de rencontrer N***, je l'ai prié de venir passer une
+heure avec moi; il m'a refusé; et quelle raison pensez-vous qu'il m'ait
+donnée? Il était engagé à aller courir les boutiques avec sa mère et
+quelques autres dames, et il sait que je pars demain pour être absent
+pendant plusieurs années, et peut-être pour ne revenir jamais! Amitié!
+je ne pense pas qu'excepté vous, votre famille et peut-être ma mère, je
+laisse derrière moi un seul être qui se soucie de ce que je pourrai
+devenir.»
+
+D'après cette phrase déjà citée d'une lettre à Mrs. Byron, «il faut que
+je fasse quelque chose bientôt dans la Chambre,» et d'après une autre
+expression plus explicite encore, contenue dans une lettre à M. Harness,
+il paraîtrait qu'il songeait sérieusement, à cette époque, à entrer de
+suite dans la carrière des affaires politiques que sa qualité de pair
+héréditaire semblait ouvrir naturellement devant lui. Mais quelles
+qu'aient été d'abord les impulsions de son ambition vers ce point, il y
+renonça bientôt. S'il eût été allié de quelques familles qui eussent
+tenu un rang distingué dans le monde politique, son envie de dominer,
+secondée par de tels exemples et de telles sympathies, l'eût porté sans
+doute à chercher la gloire au milieu des guerres de parti; peut-être
+c'eût été alors son lot de donner un exemple remarquable de ce
+changement par lequel un homme cesse d'être un grand poète pour devenir
+un grand politique. Heureusement, toutefois pour le monde, car c'est une
+question si ce fut un bonheur pour lui-même, il était décidé que ce
+serait dans l'empire plus brillant de la poésie qu'il devait dominer. En
+effet, l'isolement de toute société dans lequel il se trouvait à cette
+époque, étant privé de ces affections et de ces protections dont un
+jeune homme est ordinairement entouré lors de ses débuts, cet isolement,
+dis-je, devait le décourager de suivre une carrière où les chances de
+succès dépendent surtout des avantages qui ne sont pas en nous-mêmes.
+Loin donc de prendre une part active aux travaux de ses nobles
+collègues, il paraît qu'il regardait comme ennuyeux et mortifiant d'y
+assister comme spectateur. Quelques jours après son admission, il se
+retira dans sa retraite de Newstead-Abbey, pour y savourer l'amertume
+d'une expérience prématurée, ou pour y méditer d'avance sur les scènes
+et les aventures auxquelles son esprit ardent devait trouver à
+l'étranger un champ plus libre que dans sa patrie.
+
+Peu de tems s'écoula cependant avant qu'il ne fût rappelé à Londres par
+le succès de sa satire, dont le prompt débit rendait une seconde édition
+nécessaire. Son agent zélé, M. Dallas, avait pris soin de lui
+transmettre, dans sa solitude, tout ce qu'il avait pu recueillir
+d'opinions favorables à son ouvrage. Il n'est pas sans intérêt de voir
+par quels degrés on arrive d'abord à la réputation, et de trouver dans
+l'approbation d'autorités telles que Pratt et les écrivains des Revues,
+la première récompense et les premiers encouragemens d'un Byron.
+
+«Vous êtes déjà, lui écrivait-il, assez généralement connu pour
+l'auteur. Cawthorn m'en a parlé dans ce sens, et j'en ai eu par moi-même
+une preuve chez Hatchard, libraire de la reine. J'entrai pour lui
+demander la satire; il me répondit qu'il en avait vendu un grand nombre
+d'exemplaires, qu'il ne lui en restait pas un, qu'il allait en
+redemander davantage, ce que je vis depuis qu'il avait fait. Je lui
+demandai quel était l'auteur. Il me répondit qu'on la croyait de Lord
+Byron. J'insistai pour savoir si c'était son opinion, à lui-même. Il me
+répondit que oui, et que ce qui le lui faisait croire, c'est qu'une dame
+de distinction était venue, sans hésitation, lui demander la satire de
+Lord Byron. Il m'apprit aussi qu'il avait demandé à M. Giffard, qui
+vient souvent dans sa boutique, si la satire était de vous; celui-ci nia
+absolument qu'il en connût l'auteur; mais il parla avec grand éloge de
+l'ouvrage, et dit qu'on lui en avait envoyé un exemplaire. Hatchard m'a
+assuré que tous ceux qui fréquentent son cabinet de lecture l'admirent
+beaucoup. Cawthorn m'a dit qu'on en faisait généralement un très-grand
+cas, non-seulement parmi ses propres pratiques, mais encore parmi toutes
+celles de ses confrères. Je suis allé plusieurs fois exprès chez mon
+éditeur, et je l'ai toujours entendu beaucoup vanter. Pratt l'a lue
+dernièrement à haute voix dans les salons, Phillip à un cercle d'hommes
+de lettres: tous l'ont unanimement louée. L'_Anti-Jacobin_ et le
+_Gentleman's Magazine_ ont déjà embouché pour vous la trompette de la
+renommée. Vous verrez votre satire dans les autres revues le mois
+prochain, et probablement elle sera maltraitée dans quelques-unes,
+suivant les rapports que les propriétaires ou les éditeurs peuvent avoir
+avec ceux que vous y avez flagellés.»
+
+À son arrivée à Londres, vers la fin d'avril, il trouva la première
+édition de sa satire presque épuisée; il se mit aussitôt en devoir d'en
+préparer une seconde, à laquelle il résolut de mettre son nom. Les
+additions qu'il fit alors à son ouvrage sont considérables, il ajouta
+entre autres près de cent vers qui devinrent les premiers[109], et ce ne
+fut guère qu'au milieu du mois suivant que la nouvelle édition fut prête
+à imprimer. Pendant son dernier séjour à la campagne, il était convenu
+avec son ami Hobhouse qu'ils quitteraient l'Angleterre au commencement
+de juin, et il désirait voir les épreuves de son volume avant que de
+partir.
+
+ [Note 109: La première édition commençait au vers:
+
+ «Il fut un tems, avant que de nos jours dégénérés.»]
+
+Cette seconde édition est suivie d'un post-scriptum en prose que M.
+Dallas, et c'est une preuve de jugement et de goût, supplia en vain le
+poète de retrancher. Il est fort à regretter que Byron ne se soit point
+rendu à ses sages avis; car il règne, dans cette malheureuse page, un
+ton de bravache, que l'on est toujours peiné de voir adopté par un homme
+vraiment brave. En voici un échantillon: «On dira peut-être que je
+quitte l'Angleterre, parce que j'y ai insulté des personnes d'esprit et
+d'honneur; mais je reviendrai, et elles pourront entretenir jusque-là
+leurs ressentimens. Ceux qui me connaissent peuvent affirmer que les
+motifs qui me font voyager, sont loin d'être des craintes littéraires ou
+personnelles, et ceux qui ne me connaissent pas pourront en être
+convaincus un jour. Depuis la publication de cet opuscule, mon nom n'a
+pas été au secret, j'ai presque constamment habité Londres, prêt à
+rendre raison de ce que j'ai écrit, et m'attendant chaque jour à
+recevoir quelque petit cartel; mais, hélas! les tems de la chevalerie
+sont passés, ou, pour parler comme le vulgaire, il n'y a plus de courage
+aujourd'hui.»
+
+Quelques torts que l'auteur ait pu avoir dans cette satire, peu de
+personnes la jugeraient plus sévèrement aujourd'hui, qu'il ne la jugea
+lui-même neuf ans après l'avoir composée, au moment où il venait de
+quitter l'Angleterre pour n'y jamais revenir. M. Murray possède
+l'exemplaire que Byron lut alors; et les notes qu'il griffonna en marge,
+et au bas des pages, méritent d'être traduites ici; sur la première on
+lit:
+
+«La reliure de ce volume est beaucoup trop belle pour ce qu'il contient.
+
+»C'est la propriété d'un autre, voilà la seule raison qui me retient de
+jeter au feu ce misérable monument de colère déplacée et de critique
+aveugle.»
+
+En marge de ce passage: «De se laisser égarer par le cœur de Jeffrey, ou
+la tête béotienne de Lamb,» est écrit: «Cela n'est pas juste; la tête et
+le cœur de ces messieurs, ne sont pas du tout tels qu'ils ont été ici
+représentés.» En travers de tout le sévère passage contre MM. Wordsworth
+et Coleridge, il a griffonné _injuste_. Pour l'attaque terrible contre
+M. Bowles, le commentaire est: «Tout ce morceau sur Bowles est trop
+sauvage.» À la marge des vers qui commencent par «salut à l'immortel
+Jeffrey,» est écrit, «trop féroce... C'est de la folie toute pure;» et
+plus bas, à propos des vers: «Quelqu'un se rappelle-t-il ce jour
+désastreux, etc.,» il ajoute, «tout cela est mauvais, parce que c'est
+trop personnel.»
+
+Quelquefois cependant, loin de casser ses premiers jugemens, il semble
+disposé à les confirmer et rendre plus sévères. Ainsi, en marge du
+passage relatif à certain auteur de certaines épopées obscures (Cottle),
+il dit: «C'est bien,» ajoutant au bas de la page: «J'ai vu quelques
+lettres de ce drôle à une pauvre dame poète,» dont il attaque les
+productions (productions dont cette brave femme n'était nullement
+enflée), d'un ton si grossier et si tranchant, que je ne regretterais
+pas les coups de fouet que je lui ai donnés, quand même ils eussent été
+injustes, ce qui n'est pas, car en vérité _c'est un grand âne_. En marge
+des vers si forts contre Clarke, collaborateur du _Magazine_ appelé le
+_satiriste_, se trouve cette remarque: «Assez bien; il la méritait, et
+cela n'est pas trop mal exprimé.»
+
+Tout le paragraphe commençant par _Illustre Lord Holland_, a pour note
+«mauvais, et, en outre, manquant de vérité.» Les vers contre Lord
+Carlisle lui paraissent mauvais aussi, la provocation n'était pas
+suffisante pour justifier tant d'acrimonie. Dans une autre note
+concernant le même seigneur, il dit: «Beaucoup trop sauvage, quel qu'en
+ait pu être le fondement.» Il dit de Rosa Maltida (la fille du célèbre
+juif K...), «elle a depuis épousé le Morning-Post, mariage extrêmement
+bien assorti.» Aux vers commençant par «Quand quelque jeune homme
+d'espérance, habitant une échoppe, etc.,» il a joint un note qui n'est
+pas sans intérêt: «Tout ceci était dirigé contre le pauvre Blackett, il
+était alors _patronisé_ par A. I. B.[110]. Je l'ignorais, sans quoi je
+n'eusse pas écrit tout ceci, ou du moins, je ne le crois pas.»
+
+ [Note 110: Lady Byron, alors miss Milbank.]
+
+En regard de l'éloge de M. Crabbe, il a écrit: «Je considère Crabbe et
+Coleridge comme les deux plus remarquables poètes de notre tems, sous le
+rapport de l'invention et du pathétique.» Sur l'un de ses propres vers:
+
+ Et la gloire comme le Phénix au milieu des flammes, etc.
+
+il s'écrie: «Le diable emporte le Phénix! comment a-t-il fait pour venir
+se fourrer là?» Et il conclut ses remarques de détails par l'observation
+suivante, sur l'ensemble de la pièce:
+
+«Je désirerais bien sincèrement que la majeure partie de cette satire
+n'eût jamais été écrite, non seulement à cause de l'injustice des
+jugemens qui y sont portés sur quelques ouvrages et quelques personnes,
+mais parce que je ne saurais approuver le ton qui y règne en général, et
+l'esprit qui l'a dictée.
+
+«BYRON.--Diodati-Genève, 14 juillet 1816.»
+
+En même tems qu'il préparait sa nouvelle édition, il faisait gaîment les
+honneurs de Newstead à une troupe de jeunes amis de collége, qu'à la
+veille de quitter l'Angleterre pour si long-tems il avait réunis autour
+de lui, comme pour une fête d'adieux. La lettre suivante, de l'un des
+convives, Charles Skinner Matthews; quoiqu'elle ne parle pas autant de
+son hôte illustre que nous eussions pu le désirer, plaira sans doute au
+lecteur comme une peinture prise au moment même, et qui réfléchit bien
+le caractère de Byron à cette époque.
+
+
+
+LETTRE DE C.S. MATTHEWS, ÉCUYER,
+
+À MISS ***.
+
+Londres, 22 mai 1809.
+
+
+MA CHÈRE MISS ***,
+
+«Il faut d'abord que je vous donne quelques détails sur le lieu
+singulier que je viens de quitter.
+
+»Newstead-Abbey est située à 136 milles de Londres, et à 4 de Mansfield.
+C'est un si beau morceau d'architecture que je ne serais pas étonné
+qu'on en trouvât la description, et peut-être la gravure, dans les
+_monumens_ gothiques de Grose. Elle est en la possession des ancêtres du
+propriétaire actuel depuis l'époque de la dissolution des monastères,
+mais le bâtiment lui-même est d'une date bien plus reculée. Quoique
+tombant en ruines, c'est encore une abbaye complète, et la plus grande
+partie de l'édifice est encore debout et dans le même état que le jour
+où il fut construit. Il y a deux rangées de cloîtres, avec un grand
+nombre de chambres et de cellules, qui, bien qu'inhabitées et
+inhabitables, pourraient facilement être remises en état; beaucoup des
+anciennes chambres servent encore, entre autres une grande salle dallée.
+Il ne reste plus qu'un côté de l'église de l'abbaye; l'ancienne cuisine
+et une longue file de bâtimens attenans n'offrent plus qu'un amas de
+décombres. Une salle magnifique de 70 pieds de long sur 23 de large,
+unit les anciennes constructions aux bâtimens modernes; mais toutes les
+parties de la maison sont dans un grand état de délabrement et
+d'abandon, excepté celles que le seigneur actuel vient de faire
+arranger.
+
+»La maison et les jardins sont entièrement entourés d'une muraille
+crénelée. Devant l'entrée principale se trouve un grand lac, flanqué çà
+et là de bâtimens fortifiés, dominés par une tour placée à l'autre
+extrémité. Imaginez-vous, tout autour, des collines nues et arides, la
+vue ne découvrant qu'à peine deux ou trois méchans arbres rabougris, à
+plusieurs milles de distance, et vous aurez une idée de Newstead. Le
+dernier lord étant brouillé avec son fils, auquel le domaine était
+assuré par substitution, voulut au moins, par esprit de vengeance, qu'il
+ne lui arrivât que dans le plus mauvais état possible. En conséquence il
+négligea les constructions, et fit un tel abattage de tous les arbres,
+qu'il réduisit bientôt une propriété naguère _boisée_ à l'état de
+désolation et de nudité que je viens de décrire. Toutefois, son fils
+mourut avant lui, et, tout cet étalage de colère manqua ainsi son effet.
+
+»En voilà assez sur le domaine; j'ai multiplié les détails sans ordre et
+sans liaison, pour qu'ils ressemblassent mieux au sujet. Mais si ce lieu
+vous paraît étrange, la manière dont on y vit ne l'est pas moins, je
+vous assure. Montez avec moi les degrés qui mènent au vestibule, que je
+vous présente à Milord et à ses hôtes. Prenez garde, souvenez-vous de
+n'y venir qu'en plein jour, et de bien ouvrir vos yeux, car si vous
+alliez vous tromper, si vous tourniez trop à droite en montant les
+degrés, vous vous feriez empoigner par un ours, et si vous alliez trop à
+gauche, ce serait encore pire, vous vous trouveriez nez à nez avec un
+loup. Parvenu à la porte, vous n'êtes pas hors de danger, car le
+vestibule étant en mauvais état, et ayant grand besoin de réparation, il
+y a probablement à l'autre extrémité une foule de visiteurs qui
+s'exercent à tirer au blanc, de manière que si vous entrez sans donner,
+de loin et à haute voix, avis de votre approche, vous n'aurez échappé à
+l'ours et au loup que pour tomber sous les balles des joyeux moines de
+Newstead.
+
+«Nous étions quatre, sans compter Lord Byron, et notre compagnie
+s'augmentait de tems en tems d'un curé du voisinage. Quant à notre
+manière de vivre, voici quel était généralement l'ordre du jour: pour le
+déjeuner, point d'heure fixe, chacun le prenait à sa convenance, et la
+table demeurait servie jusqu'à ce que chacun de nous eût fini; il est
+vrai de dire que si quelqu'un de nous eût désiré déjeuner d'aussi _bonne
+heure_ que dix heures, il lui eût fallu une grande chance pour trouver
+aucun des domestiques debout. Nous nous levions, terme moyen, à une
+heure. Moi, qui me levais généralement entre onze heures et midi,
+j'étais toujours, même malade, le premier levé, et je passais pour un
+miracle de diligence et d'activité. Souvent deux heures sonnaient avant
+que nous n'eussions fini de déjeuner. Alors, pour amuser notre journée,
+nous avions la lecture, l'escrime, le bâton de volée, ou le jeu de
+volant dans le grand salon, le tir au pistolet dans le vestibule; la
+promenade à pied, à cheval, en bateau sur le lac, la partie de paume, ou
+quelque partie avec l'ours et le loup que nous nous plaisions à
+tourmenter. Entre sept et huit heures, nous nous mettions à table pour
+dîner, et nous y restions jusqu'à une, deux et trois heures du matin. Je
+laisse à deviner quel était notre plaisir pendant cette longue séance.
+
+»Je ne dois pas passer sous silence l'usage de faire passer à la ronde,
+au moment du dessert, un crâne humain, rempli de vin de Bourgogne. Après
+nous être rassasiés de viandes choisies et des meilleurs vins de France,
+nous nous rendions dans le salon pour prendre le thé; là, suivant son
+goût, chacun se livrait à la lecture ou à quelque conversation
+instructive; et, après les _Sandwiches_, etc., chacun se retirait dans
+sa chambre à coucher. Une collection de robes de moines, avec tout ce
+qui s'en suit, crosses, rosaires, tonsures, etc., donnait plus de
+variété à nos physionomies et à nos plaisirs.
+
+»Vous pouvez juger combien je fus contrarié de me trouver malade presque
+pendant la première moitié du tems que je passai à Newstead. Mais je fus
+conduit à des réflexions bien différentes de celles du docteur Swift,
+qui quitta sans cérémonie aucune la maison de Pope, et lui écrivit
+ensuite qu'il était impossible à deux amis malades de vivre ensemble;
+mon pauvre corps tremblant et affaibli se trouvait si mal de la robuste
+et bruyante santé de mes compagnons, que je désirais de tout mon cœur
+voir chacun dans la maison, aussi malade que moi.
+
+»Je revins à pied avec un autre des convives; nous faisions à peu près
+vingt-cinq milles par jour, mais nous restâmes environ une semaine en
+route, parce que nous fûmes retenus par les pluies.
+
+»Je terminerai ici le récit d'une excursion qui m'a fait mieux connaître
+le pays. Où croyez-vous que j'aille maintenant? À Constantinople! Du
+moins on m'a proposé ce petit voyage. Lord Byron et un autre de mes amis
+partent le mois prochain, et m'ont demandé de les accompagner; mais
+c'est un projet un peu important, et qui vaut bien la peine d'y
+réfléchir à deux fois... Adieu, etc.»
+
+C.S. MATTHEWS.
+
+Après avoir ainsi mis la dernière main à sa nouvelle édition, sans
+attendre les nouveaux honneurs qui se préparaient pour lui, Lord Byron
+quitta Londres le 11 juin, et, quinze jours après, mit à la voile pour
+Lisbonne.
+
+Quelque grands que fussent les progrès que son talent eût faits sous
+l'influence de la colère qu'il avait prise pour muse, il est, dans la
+satire dont nous venons de parler, bien loin de la hauteur qu'il
+atteignit dans la suite. Il est remarquable en effet que, lié comme son
+génie paraît l'avoir été avec son caractère, le développement de ce
+dernier ait précédé de si long-tems toute la maturité des ressources de
+l'autre. La nature, en développant de bonne heure en lui une faculté de
+sentir si forte et si multiple, semblait lui avoir désigné ce qu'elle
+attendait de lui, avant qu'il pût la comprendre. Ce ne fut que lentement
+et après de longues méditations, qu'il découvrit en lui-même tous ces
+matériaux de poésie, que son caractère de feu enfantait, pour ainsi
+dire, à son insu. Toute vigoureuse que soit sa satire, on y voit peu de
+choses qui puissent donner un avant-goût des merveilles qui l'ont
+suivie. Son esprit avait reçu l'éveil, mais il n'en avait pas encore
+sondé la profondeur; et le fiel qu'il y répand, ne part pas encore du
+fond de son cœur comme celui qu'il jeta dans la suite à la face du genre
+humain. Ses innombrables facultés, ses passions que son ame avait
+nourries si long-tems, n'avaient pas encore trouvé d'organe digne
+d'elles. Le sombre, le grandiose, le tendre de sa nature, n'avaient pas
+encore de voix, jusqu'à ce qu'enfin son puissant génie se réveilla avec
+le sentiment de toute sa force.
+
+En s'arrêtant, dans sa satire aussi bien que dans ses premières poésies,
+à écrire d'après des modèles reçus, il montra combien peu il avait
+encore exploré ses propres ressources, et découvert les marques
+distinctives qui devaient à jamais illustrer son nom. Quelque hardi et
+quelque énergique que fût en général son caractère, il avait bien peu de
+confiance dans ses forces intellectuelles. Ce ne fut que par degrés
+insensibles qu'il acquit la conscience de ce qu'il pouvait faire; et il
+ne fut pas moins étonné que le public de découvrir dans son ame une
+aussi riche mine de génie. C'est par suite de la même lenteur à
+s'apprécier, que, dans la suite, arrivé à l'apogée de sa gloire, il
+douta long-tems qu'il pût réussir dans aucun ouvrage qui ne demandât que
+de l'esprit et de la gaîté, jusqu'à ce que l'heureux essai qu'il en fit
+dans Beppo, dissipa sa méfiance, et ouvrit une nouvelle carrière de
+triomphes à son génie immense et versatile.
+
+À quelque distance que ses premières productions soient de celles qui
+les ont suivies, il y a dans sa satire une vivacité de pensées, une
+vigueur et un courage qui, joints à la justice de sa cause, ne pouvaient
+manquer de lui valoir la sympathie publique, et d'attacher immédiatement
+beaucoup de célébrité à son nom. Malgré le ton général de hardiesse et
+d'indifférence qui règne dans sa satire, on y voit de tems en tems
+quelques allusions à son sort et à son caractère, dont le pathétique
+semble assurer la vérité, et qui étaient de nature à piquer vivement la
+curiosité et l'intérêt. Je vais citer deux ou trois de ces passages,
+comme montrant bien l'état de son ame à cette époque. Voici comme il
+peint sa jeunesse exposée sans protection aux tentations d'un monde
+corrompu et corrupteur: «Moi-même, le plus insouciant d'une troupe
+insouciante, qui ai juste assez de bon sens pour connaître ce qui est
+juste, et faire ce qui ne l'est pas, abandonné à moi-même à l'âge où le
+bouclier de la raison est encore mal assuré, pour chercher mon chemin au
+travers de la foule innombrable des passions; moi que tous les genres de
+plaisir ont attiré et repoussé tour à tour, moi-même je me sens forcé
+d'élever la voix; je suis forcé de sentir que de telles scènes, que de
+tels hommes sont contraires au bien public. Quand même quelqu'ami me
+dirait d'un ton de censeur: En quoi vaux-tu mieux que les autres, fou
+que tu es? Quand même chacun de mes anciens camarades de débauche
+sourirait et crierait au miracle, de me voir devenu moraliste...»
+
+Mais le passage suivant, quoique écrit à la hâte, montre bien plus
+encore ce cœur ulcéré que l'on retrouve dans toutes ses compositions
+subséquentes:
+
+«Il fut un tems qu'un mot désagréable ne serait jamais tombé de mes
+lèvres qui semblent aujourd'hui pleines de fiel; ni fous ni folies
+n'auraient pu me forcer à mépriser le plus vil des insectes que je
+voyais ramper devant mes yeux. Mais aujourd'hui je suis bien endurci, je
+suis bien changé de ce que j'étais dans ma jeunesse. J'ai appris à
+penser et à dire sévèrement la vérité; j'ai appris à me moquer des
+décrets emphatiques de nos critiques et à les briser eux-mêmes sur la
+roue qu'ils m'avaient préparée. J'ai appris à repousser du pied la verge
+que l'on voulait me faire baiser...»
+
+Nous avons indiqué dans les pages précédentes quelques-unes des causes
+qui amenèrent ce changement de son caractère. Outre son propre
+témoignage, il en est plusieurs autres qui prouvent qu'il n'avait
+naturellement pas de fiel. Dans son enfance, bien qu'il se montrât
+quelquefois colère et entêté, chacun reconnaissait sa douceur et sa
+bonté envers ceux qui se montraient eux-mêmes bons et doux à son égard;
+et ceux qui l'ont connu alors s'accordent à le d'un caractère affectueux
+et gai.
+
+De toutes ces qualités naturelles la plus saillante, en effet, semble
+avoir été un profond besoin d'aimer. Une disposition à former des
+attachemens durables et un désir ardent d'être payé de retour, ont été
+le songe et le tourment de sa vie. Nous avons vu avec quel enthousiasme
+passionné il se livra à ses amitiés de collége. L'amour délirant et
+malheureux qui suivit fut, si je puis m'exprimer ainsi, l'agonie, sans
+être la mort, de ce désir insatiable qui dura toute sa vie, remplit sa
+poésie de tout ce que l'ame a de plus tendre, prêta l'éclat de ses
+couleurs, même à ces nœuds indignes que la vanité et la passion lui
+firent former dans la suite, et lui dicta encore ces stances qu'il
+écrivait quelques mois avant sa mort:
+
+Il est tems que ce cœur cesse d'être ému, puisqu'il a cessé d'émouvoir
+les autres, et cependant, quoique je ne puisse plus être aimé, j'ai
+besoin d'aimer encore!
+
+En supposant même les circonstances les plus favorables, ce serait
+encore une question de savoir si, avec des dispositions telles que
+celles que nous venons de décrire, il eût pu éviter d'être à la fin
+désappointé, ou s'il eût jamais pu trouver où reposer son imagination et
+ses désirs; mais Lord Byron rencontra les désappointemens dès les
+premiers pas qu'il fit dans le sentier de la vie. Sa mère, vers laquelle
+il tourna naturellement et avec ardeur ses premières affections, ou le
+repoussa rudement, ou s'en joua par caprice. Parlant de ses premières
+années avec un de ses amis, à Gênes, peu de tems avant son départ pour
+la Grèce, il datait la première sensation de peine ou d'humiliation
+qu'il eût jamais connue, de la froideur avec laquelle sa mère recevait
+ses caresses dans son enfance et de ses fréquentes et malicieuses
+allusions à son infirmité.
+
+Sa jeunesse fut aussi privée de l'affection sympathique d'une sœur; il
+n'eut d'abord avec la sienne que des rapports extrêmement rares. Si son
+besoin d'aimer avait trouvé où s'épancher dans sa famille, peut-être le
+torrent de ses sensations se serait-il trouvé plus au niveau de ce monde
+qu'il avait à traverser. Ainsi il eût évité ces chutes rapides et
+tumultueuses auxquelles il fut bientôt exposé pour s'être trop tôt élevé
+à toute sa crue. Le manque d'objets sur lesquels son attachement pût se
+porter dans la maison paternelle ne laissa à son cœur d'autres
+ressources que ces affections enfantines qu'il forma à l'école; quand
+celles-ci furent interrompues par son passage à Cambridge, il se
+retrouva de nouveau isolé et abandonné au vague de ses désirs. Bientôt
+survint son malheureux attachement pour miss Chaworth, auquel, plus qu'à
+toute autre cause, il attribuait lui-même le funeste changement qui
+s'opéra dans son caractère.
+
+«Je doute quelquefois, dit-il dans ses _Pensées détachées_, si, après
+tout, un genre de vie tranquille et sans agitation eût pu me convenir,
+et pourtant je regrette quelquefois de n'en avoir pas un tel. Mes
+premiers rêves, comme presque tous ceux des enfans, furent des rêves
+guerriers; peu après ils furent tous d'amour et de solitude, jusqu'à ce
+que mon malheureux attachement pour Maria Chaworth commença lorsque
+j'avais à peine quinze ans, et continua long-tems quoique soigneusement
+caché. Ce fut ce qui me rejeta de nouveau seul sur une vaste... vaste
+mer. Je me rappelle qu'en 1804, je rencontrai ma sœur chez le général
+Harcourt dans Portland-Place. J'étais moi-même alors, tel qu'elle
+m'avait toujours vu jusque-là. Quand nous nous rencontrâmes ensuite en
+1805 (elle me l'a dit depuis), mon caractère et mes manières étaient
+tellement changés que l'on me reconnaissait à peine. Je ne m'apercevais
+pas alors de cette altération; mais j'y crois, et je pourrais en rendre
+raison.» J'ai déjà raconté la manière dont il prit congé de miss
+Chaworth avant son mariage. Une fois après cet événement, il la revit,
+et ce fut pour la dernière, lorsqu'il fut invité par M. Chaworth à dîner
+à Annesley, peu de tems avant son départ d'Angleterre. Le peu d'années
+qui s'étaient écoulées depuis leur dernière entrevue avaient apporté un
+changement considérable dans les manières et l'extérieur du jeune poète.
+L'informe et gros écolier était devenu un jeune homme gracieux et bien
+pris dans sa taille. Ces émotions et ces passions qui rehaussent d'abord
+et détruisent ensuite la beauté, n'avaient encore produit sur ses traits
+que leur effet favorable; et quoiqu'il eût eu peu d'occasions de
+fréquenter la bonne société, ses manières avaient acquis cette douceur
+et cet aplomb qui caractérisent l'homme bien élevé. Son empire sur
+lui-même fut bientôt mis à l'épreuve quand on apporta dans l'appartement
+la petite fille de sa belle hôtesse. La vue de cet enfant lui fit
+éprouver un saisissement dont il ne fut pas maître, ce ne fut qu'avec
+effort qu'il parvint à dissimuler sa profonde émotion, et c'est à ce
+qu'il éprouva dans ce moment que nous devons ces stances touchantes: «Eh
+bien! tu es heureuse, etc.[111],» qui ont paru dans un recueil de
+_Mélanges_, publié par l'un de ses amis, et que l'on retrouve maintenant
+dans la collection générale de ses œuvres. Sous l'influence du même
+sentiment il composa deux autres pièces à cette même époque; mais comme
+elles ne se trouvent que dans les _Mélanges_ que je viens de citer, et
+que ce recueil n'est plus dans le commerce, je crois qu'on ne me saura
+pas mauvais gré d'en citer ici quelques stances:
+
+ [Note 111: Datées sur le manuscrit original, 2 novembre
+ 1808.]
+
+
+ADIEUX A UNE DAME[112].
+
+ [Note 112: Intitulés dans le manuscrit original: À Mrs. ***,
+ qui me demandait mes raisons pour quitter l'Angleterre au
+ printems, et datés du 2 décembre 1808.]
+
+Quand, chassé des bosquets d'Éden, l'homme s'arrêta quelques instans sur
+le seuil, chaque scène lui rappelait les heures écoulées, et lui faisait
+maudire son avenir.
+
+Mais errant à travers de lointains climats, il apprit à porter le poids
+de son chagrin; il ne fit plus que donner un soupir au souvenir du tems
+passé, et trouva du soulagement au milieu de scènes plus agitées.
+
+Ainsi, Marie, doit-il en être de moi; je ne dois plus revoir tes
+charmes, car quand je m'arrête près de toi, mon cœur soupire pour tout
+ce bonheur qu'il a connu autrefois, etc.
+
+L'autre poème respire tout entier la tendresse; mais je n'en donnerai
+que les stances qui me paraissent les plus saillantes:
+
+
+STANCES À ***, EN QUITTANT L'ANGLETERRE.
+
+C'en est fait! la barque abandonne au souffle du vent ses voiles
+blanches, qui soufflent autour du mât et s'entr'ouvrent aux efforts de
+la brise bruyante! Et il faut que je quitte ce pays, parce que je n'en
+puis aimer qu'une...
+
+Comme un oiseau privé de sa compagne, mon cœur déchiré se livre à la
+douleur: en vain je cherche autour de moi, je ne puis rencontrer un
+sourire ami, une figure qui me plaise, et même au milieu des troupes les
+plus nombreuses, je suis toujours seul, parce que je n'en puis aimer
+qu'une.
+
+Je franchirai les flots blanchissans, j'irai chercher une patrie à
+l'étranger; je ne saurais trouver de repos nulle part, jusqu'à ce que
+j'aie oublié les traits de cette belle infidèle; je ne puis me
+soustraire à mes sombres pensées, mais je puis aimer toujours, et
+toujours je n'en puis aimer qu'une...
+
+Je pars... mais en quelque lieu que j'aille, aucun œil ne se mouillera
+pour moi de larmes, aucun cœur ne sympathisera à mes peines; toi-même,
+qui as détruit toutes mes espérances, tu ne m'accorderas pas un soupir,
+quoique je n'en aime qu'une.
+
+Le souvenir de chacune de ces scènes passées, la pensée de ce que nous
+sommes, de ce que nous avons été, abîmerait de douleurs des cœurs plus
+faibles! Mais, hélas! le mien a supporté le choc, il bat encore comme il
+avait commencé, et n'en aime jamais réellement qu'une.
+
+Qu'elle peut être cette belle, si tendrement aimée? c'est ce que le
+vulgaire ne doit pas savoir; pourquoi ce jeune amour fut-il malheureux?
+tu le sais, et moi j'en gémis; et bien peu de ceux qui vivent sur cette
+terre n'ont aimé si long-tems, et n'en ont aimé qu'une.
+
+J'ai essayé les fers d'une autre, tout aussi belle peut-être; j'aurais
+donné beaucoup pour l'aimer autant que toi, mais un charme insurmontable
+empêchait mon cœur déchiré de rien sentir que pour une.
+
+Il me serait doux de te revoir au moment du départ, de te bénir en te
+disant adieu; cependant je ne voudrais pas demander à tes beaux yeux des
+larmes pour celui qui va errer sur les vastes mers. Il a perdu sa
+patrie, ses espérances, sa jeunesse, et toutefois il aime encore, et
+n'en aime qu'une.
+
+Tandis que son cœur aimant était ainsi trompé dans ses espérances de
+retour, il était au moins autant mortifié et désappointé dans un autre
+instinct de sa nature, le désir d'acquérir des distinctions et de
+dominer. Le peu de rapports entre sa fortune et son rang fut de bonne
+heure pour lui une source d'embarras et d'humiliations; et la haute
+opinion qu'il avait des avantages d'une naissance illustre ne faisait
+qu'ajouter à l'amertume de cette inégalité. Cependant l'ambition lui
+suggéra bientôt qu'il y avait d'autres et de plus nobles voies pour
+arriver aux distinctions. Il sentit avec orgueil qu'il pourrait un jour
+obtenir celles que le talent ne doit qu'à lui-même. Il n'était pas
+extraordinaire non plus que, comptant sur l'indulgence que l'on accorde
+ordinairement à la jeunesse, il espérât faire impunément le premier pas
+dans le sentier de la gloire. Mais là, comme dans tous les autres objets
+que son cœur s'était proposés, il ne rencontra que le désappointement et
+la mortification. Au lieu d'éprouver ces égards, si ce n'est cette
+indulgence avec laquelle les critiques accueillent ordinairement de
+jeunes débutans, il se trouva tout à coup victime d'une sévérité sans
+borne, sévérité que l'on ne déploie que rarement contre les plus vieux
+pécheurs dans le monde littéraire. Ainsi, son cœur, qui venait
+d'éprouver toute la douleur d'un amour malheureux, se vit encore frustré
+de ces ressources et de ces consolations qu'il avait cherchées dans
+l'exercice de ses facultés intellectuelles.
+
+Tandis qu'il éprouvait ainsi de bonne heure des peines de plus d'un
+genre, son imagination reçut encore l'influence funeste de plaisirs trop
+prématurés. Bientôt se dissipa ce charme dont la jeunesse aime à
+embellir un monde qu'elle ne connaît pas. Ses passions avaient dès le
+commencement anticipé l'avenir, et le vide qu'elles laissèrent bientôt
+dans son ame fut, de son propre aveu, l'une des principales causes de
+cette mélancolie qui forma depuis l'une des marques distinctives de son
+caractère.
+
+«Mes passions, dit-il dans ses _Pensés détachées_, se développèrent de
+très-bonne heure, de si bonne heure que bien peu voudraient me croire,
+si j'en citais la date et les circonstances: peut-être l'une des causes
+de cette mélancolie anticipée de mes pensées fut que j'avais anticipé la
+vie. Mes premiers poèmes sont pleins de pensées qui semblent appartenir
+à un âge dix ans plus vieux que celui auquel ils furent écrits; je ne
+veux point parler de leur mérite, mais de l'expérience qu'on y remarque.
+Les deux premiers chants de _Childe Harold_ furent terminés, quand je
+n'avais que vingt-deux ans, et on les croirait écrits par un homme plus
+âgé que je ne le serai probablement jamais.»
+
+Quoique la première phrase de cet extrait se rapporte à une époque de
+beaucoup antérieure, elle nous donnera occasion de remarquer que,
+quelque irrégulière qu'ait été sa vie durant les deux ou trois années
+qui précédèrent le moment de ses voyages, l'idée que plusieurs ont eue
+qu'il faisait dans _Childe Harold_ allusion aux débauches et aux orgies
+de Newstead, est, comme beaucoup d'autres accusations contre lui, fondée
+sur son propre témoignage, étrangement exagéré. Il représente, il est
+vrai, la maison de son représentant poétique comme un _dôme monastique
+condamné à de vils usages_, et ajoute: «Où la superstition tenait jadis
+son antre les filles de Paphos venaient chanter et sourire.» M. Dallas
+se livrant au même esprit d'exagération, dit, en parlant des préparatifs
+du jeune poète: «Déjà rassasié de plaisirs et dégoûté de la compagnie de
+ceux qui n'avaient point d'autres ressources, il avait résolu de
+maîtriser ses passions, et avait congédié ses harems.» La vérité est que
+l'exiguïté des moyens pécuniaires de Lord Byron eût suffi seule pour le
+détourner de ce luxe oriental. Son genre de vie à Newstead était simple
+et peu coûteux. Ses compagnons, quoique amis du plaisir, avaient des
+goûts et des caractères trop réfléchis pour s'accommoder d'une débauche
+vulgaire. Quant à ses prétendus _harems_, il paraît qu'une ou deux
+_subintroductæ_, comme les moines les auraient appelées, et encore
+prises parmi les domestiques de la maison, sont tout ce que la médisance
+a jamais pu citer à l'appui de cette calomnie.
+
+Il nous dit lui-même, dans le journal que je viens de citer, que le jeu
+était au nombre de ses folies à cette époque.
+
+«J'ai, dit-il, idée que les joueurs sont aussi heureux que bien d'autres
+gens, parce qu'ils sont toujours _excités_. Les femmes, le vin, la
+gloire, la table rassasient quelquefois; mais chaque coup de carte ou de
+dé tient le joueur éveillé, outre que l'on peut jouer dix fois plus
+long-tems qu'on ne peut faire toute autre chose. Étant jeune, j'étais
+passionné pour le jeu, c'est-à-dire pour le hasard; car je déteste tous
+les jeux de cartes, même le pharaon. Quand le maccao fut inventé, je ne
+voulus pas l'adopter; car je regrettais le bruit du cornet et des dés et
+cette glorieuse incertitude, non-seulement d'une chance bonne ou
+mauvaise, mais même d'une chance quelconque; car il faut souvent jeter
+les dés plusieurs fois avant d'obtenir un résultat. J'ai gagné jusqu'à
+quatorze coups de suite, et enlevé tout l'argent qui se trouvait sur la
+table; mais je n'avais ni sang-froid, ni jugement, ni calcul: c'était
+l'émotion qui faisait tout mon plaisir. Après tout, j'ai cessé à tems,
+sans avoir ni beaucoup gagné ni beaucoup perdu. Depuis l'âge de vingt-un
+ans j'ai très peu joué, et jamais au-delà de cent, deux cents ou trois
+cents guinées.»
+
+Il fait allusion à cette folie et à quelques autres dans le billet
+suivant.
+
+
+À M. WILLIAMS BANKES.
+
+Vendredi, minuit.
+
+
+MON CHER BANKES,
+
+«Je reçois à l'instant votre petit mot; croyez que je suis désespéré de
+n'en avoir pas eu plus tôt connaissance; une demi-heure de conversation
+avec vous m'eût été plus agréable que le vin, le jeu et toutes les
+autres manières à la mode de passer une soirée chez soi ou en ville. Je
+suis réellement très-fâché d'être sorti avant l'arrivée de votre
+missive; à l'avenir écrivez-moi avant six heures, et soyez sûr que,
+quels que soient mes engagemens, je les mettrai de côté. Croyez-moi avec
+cette déférence que j'ai eue dès mon enfance pour vos talens, et une
+meilleure opinion de votre cœur,
+
+»Votre, etc.»
+
+BYRON.
+
+Parmi les causes, si ce n'est plutôt parmi les résultats de cette
+disposition à la mélancolie qui tenait à son caractère, il ne faut pas
+oublier ce scepticisme en fait de matières religieuses, qui, comme nous
+l'avons vu, jetait déjà quelque chose de sombre sur les pensées de son
+enfance, et qui se rembrunit de plus en plus à l'époque dont je parle en
+ce moment. En général, nous voyons les jeunes gens trop ardemment
+occupés des plaisirs que ce monde donne ou promet, pour s'occuper bien
+sérieusement des mystères du monde à venir. Mais avec lui le cas était
+malheureusement tout contraire: comme philosophe et comme ami du
+plaisir, il avait acquis trop tôt la plus déplorable expérience. Être,
+comme il le supposait, parvenu à la dernière limite des plaisirs de ce
+monde, et ne voir au-delà que nuages et obscurité, tel était le sort
+funeste auquel un caractère et des passions prématurées semblaient
+condamner Lord Byron.
+
+Quand, à l'âge de vingt-cinq ans, Pope se plaignait d'être fatigué du
+monde, Swift lui répondit qu'il n'avait point encore assez agi, assez
+souffert dans le monde pour en être fatigué. Mais quelle différence
+entre la jeunesse de Pope et celle de Byron! Ce que le premier n'avait
+qu'anticipé par la pensée, le second le connut dans la plus triste
+réalité. À l'âge où l'un commençait à peine à jeter un coup d'œil sur
+l'océan de la vie, l'autre y avait plongé, et en avait sondé toutes les
+profondeurs. Swift lui-même dut aux désappointemens et aux injustices
+qu'il éprouva de bonne heure cette amertume qui ne le quitta jamais, et
+présente bien plus d'analogie avec le sort de notre poète, non-seulement
+pour les attaques cruelles auxquelles il se trouva jeune en butte, que
+pour l'effet qu'elles produisirent sur son caractère[113].
+
+ [Note 113: Il y a du moins un grand point de rapprochement
+ dans la disposition d'esprit que Johnson attribue à Swift:
+ «Le soupçon d'irréligion, dit-il, qui plana sur la tête de
+ Swift, vint en grande partie de son horreur pour
+ l'hypocrisie: _au lieu de chercher à paraître meilleur, il
+ prenait plaisir à paraître pire qu'il n'était en effet_.»
+ (_Note de Moore_.)]
+
+La jeunesse est naturellement portée à se donner des airs d'une
+mélancolie romantique, à imiter un air triste et sombre que les années
+n'ont pas encore pu amener. Je ne veux pas nier que quelque chose de ce
+genre ne soit venu augmenter et nourrir les dispositions peu riantes de
+notre jeune poète. Il avait dans son cabinet d'étude un certain nombre
+de crânes humains bien polis et rangés avec une symétrie qui semblerait
+indiquer plutôt l'envie de s'entourer d'idées sombres que de les éviter.
+Peut-être est-ce aussi une imitation de l'usage que Young fit, dit-on,
+d'un crâne, circonstance qui nous ferait douter de la sincérité de sa
+mélancolie à cette époque, si nous n'en retrouvions les traces évidentes
+dans le reste de ses écrits et dans sa vie tout entière.
+
+Telle est, d'après son propre témoignage et celui des autres, la
+disposition d'esprit et de cœur dans laquelle Byron partit pour son
+voyage indéfini, à la suite du changement le plus grand qu'un homme ait
+jamais peut-être éprouvé dans sa manière de voir et de sentir. Le refus
+de lord Carlisle d'agir comme son patron, et la position humiliante dans
+laquelle ce refus le plaça, complétèrent les mortifications que déjà
+bien d'autres causes lui avaient fait éprouver. Trompé dans ses
+espérances en amour et en amitié, il trouva une sorte de vengeance et de
+consolation à douter qu'il existât en effet de tels sentimens. Les
+échecs qu'il avait essuyés étaient assez capables d'irriter et de
+blesser qui que ce soit; il ajouta encore à ce qu'ils avaient de pénible
+par le caractère irritable et impatient dont il les reçut. Ce que
+d'autres auraient reçu avec résignation comme autant de malheurs le
+révolta comme autant d'affronts et d'injustices, et la véhémence de
+cette réaction produisit un changement complet dans tout son caractère.
+Alors, comme dans les révolutions, tout ce qu'il y avait de mauvais et
+d'irrégulier dans son naturel surgit à la surface, et domina en même
+tems que tout ce qu'il y avait de plus énergique et de plus grand. Ses
+vertus et ses qualités naturelles ajoutèrent elles-mêmes à la violence
+de ce changement. Cette même ardeur qu'il avait mise dans ses amitiés et
+dans ses amours fournit de nouveaux alimens à son indignation et à son
+mépris. La vivacité et la tournure originale de son esprit ouvrirent un
+autre canal au fiel dont il était rempli; et cette haine de
+l'hypocrisie, qu'il avait déjà montrée en exagérant les erreurs de sa
+jeunesse, le porta, par horreur de toute fausse prétention à la vertu, à
+une autre prétention encore plus dangereuse, celle d'afficher des vices
+et de s'en faire gloire.
+
+La lettre suivante, qu'il écrivit à sa mère peu de jours avant que de
+mettre à la voile, donne quelques détails sur les personnes qui
+composaient sa suite. Robert Rushton, dont il y parle avec tant
+d'intérêt, est le jeune enfant qu'il introduisit dans le premier chant
+de _Childe Harold_, en qualité de son page.
+
+
+
+
+LETTRE XXXIV.
+
+À MRS. BYRON.
+
+Falmouth, 22 juin 1809.
+
+
+MA CHÈRE MÈRE,
+
+«Nous aurons mis à la voile, probablement avant que cette lettre ne vous
+soit parvenue. Fletcher m'a tant tourmenté, que je l'ai gardé à mon
+service; mais s'il ne se conduit pas bien à l'étranger, je le renverrai
+par un transport. J'ai un domestique allemand, qui a déjà été en Perse
+avec M. Wilbraham, et qui m'a été fortement recommandé par le docteur
+Butler de Harrow; si vous l'ajoutez à Robert et William, vous aurez tout
+le personnel dont se compose ma suite. J'ai des lettres de
+recommandation en abondance; je vous écrirai de tous les ports où nous
+toucherons; mais si mes lettres viennent à s'égarer, il ne faut pas vous
+en alarmer. Le continent marche bien; une insurrection a éclaté dans
+Paris; les Autrichiens sont en train de battre Bonaparte, et les
+Tyroliens se sont soulevés.
+
+«Voici mon portrait à l'huile pour être renvoyé le plus tôt possible à
+Newstead. Je voudrais bien que les demoiselles P... eussent quelque
+chose de mieux à faire que d'emporter mes miniatures à Nottingham pour
+les copier. Puisque c'est fait maintenant, vous pourriez leur offrir de
+copier aussi les autres portraits, auxquels je tiens beaucoup plus qu'au
+mien. Quant aux finances, je suis ruiné, du moins jusqu'à ce que
+Rochdale soit vendu; si cela ne tourne pas bien, j'entrerai au service
+de l'Autriche ou de la Russie, peut-être même à celui de la Turquie, si
+leurs manières me conviennent. Le monde est devant moi; je quitte
+l'Angleterre sans regret et sans aucun désir de rien revoir de ce
+qu'elle contient, excepté _vous-même_ et votre résidence actuelle.
+
+»_P. S._ Dites, je vous prie, à M. Rushton que son fils se porte bien et
+va bien; il en est de même de Murray; en vérité, je ne l'ai jamais vu
+mieux: il sera de retour dans un mois. Au nombre de mes regrets je
+devrais compter celui de me séparer de ce fidèle serviteur; son grand
+âge me privera peut-être du plaisir de le revoir jamais. Pour Robert, je
+l'emmène; je l'aime, parce que, comme moi, il paraît être un animal sans
+amis en ce monde.»
+
+Ceux qui se rappellent la description poétique qu'il fait de l'état de
+son ame au moment de quitter l'Angleterre, pourront trouver étranges et
+choquantes la gaîté et la légèreté qui règnent dans les lettres que je
+vais transcrire ici. Mais dans un caractère comme celui de Lord Byron,
+ces éclats de vivacité extérieure ne sont pas du tout incompatibles avec
+un cœur intimement et profondément ulcéré[114], et le ton de gaîté et de
+bonne humeur qu'il y affecte ne rend que plus frappant le sentiment
+d'abandon et d'isolement qu'il y laisse quelquefois percer.
+
+ [Note 114: On sait que le poète Cowper composa son
+ chef-d'œuvre de gaîté, _John Gilpin_, pendant une de ses
+ crises d'abattement mortel, et il dit lui-même: «Tout étrange
+ que cela puisse paraître, les ouvrages les plus bouffons que
+ j'aie écrits, le furent dans un moment de tristesse affreuse,
+ et peut-être ne les eussé-je jamais écrits sans cette même
+ tristesse.»
+ (_Note de Moore_.)]
+
+
+
+
+LETTRE XXXV.
+
+À M. HENRY DRURY.
+
+Falmouth, 25 juin 1809.
+
+
+MON CHER DRURY,
+
+«Nous partons demain par le paquebot de Lisbonne; nous avons été retenus
+jusqu'ici par le manque de vent et d'autres circonstances. Tout étant
+maintenant pour le mieux, demain soir à cette heure-ci nous serons
+embarqués sur ce vaste monde des eaux. Le paquebot de Malte ne devant
+pas partir pendant quelques semaines, nous avons résolu d'aller par
+Lisbonne, afin de voir le Portugal; de là par Cadix et Gibraltar, et
+puis nous reprenons notre première route, Malte et Constantinople, si
+tant est que le capitaine Kidd, notre brave commandant, entende bien la
+navigation, et nous conduise suivant la carte.
+
+»Voulez-vous avoir la bonté de dire au docteur Butler[115], qu'à sa
+recommandation j'ai pris à mon service un Prussien, Friese, la perle des
+domestiques? Il s'est trouvé parmi les adorateurs du feu en Perse, a vu
+Persépolis et tout ce qui s'en suit.
+
+ [Note 115: En se réconciliant avec le docteur Butler, au
+ moment de son départ, Byron donna une nouvelle preuve de la
+ bonté de son caractère, irritable sans doute, mais étranger à
+ toute idée de haine ou de rancune. Il avait préparé des
+ corrections pour une nouvelle édition de ses _Heures
+ d'oisiveté_, où il remplaçait les épigrammes contre ce
+ professeur, par son éloge et l'aveu des torts qu'il se
+ reprochait envers lui.
+ (_Note de Moore_.)]
+
+»Hobhouse a fait de formidables préparatifs pour publier ses voyages au
+retour; un cent de plumes, deux gallons d'encre[116], plusieurs livres
+blancs, etc., tout cela pour le plus grand avantage d'un public éclairé.
+J'ai renoncé à rien écrire pour mon propre compte, mais j'ai promis de
+lui fournir un ou deux chapitres de mœurs, etc., etc.
+
+ Le coq chante, il faut partir; je ne saurais vous en dire davantage.
+ (_Ghost of Gaffer Thumb_.)
+
+
+«Adieu, croyez-moi, etc., etc.»
+
+ [Note 116: Un peu moins de dix pintes de Paris.
+ (_N. du Tr._)]
+
+
+
+
+LETTRE XXXVI.
+
+À M. HODGSON.
+
+Falmouth, 25 juin 1809.
+
+
+MON CHER HODGSON,
+
+«Avant que la présente ne vous parvienne, Hobhouse, deux femmes
+d'officiers, trois enfans, deux filles de chambre, deux subalternes pour
+la troupe, trois seigneurs portugais et leurs domestiques, enfin
+moi-même, en tout dix-neuf ames, nous aurons mis à la voile pour
+Lisbonne, sous la conduite du noble capitaine Kidd, aussi brave marin
+qu'aucun qui ait jamais passé en contrebande un quartaut de spiritueux.
+
+»Nous allons à Lisbonne d'abord, parce que le paquebot de Malte est déjà
+parti, voyez-vous? De Lisbonne à Gibraltar, Malte, Constantinople _et
+cœtera_, comme dit éloquemment l'orateur Henley, quand il mit en danger
+l'église _et cœtera_.
+
+»Cette ville de Falmouth, comme vous le devinez presque déjà, n'est pas
+située fort loin de la mer. Elle est défendue de ce côté par deux
+châteaux, Saint-Maws et Pendennis, extrêmement bien calculés pour
+tourmenter tout le monde, excepté l'ennemi. Saint-Maws a pour garnison
+un individu très-valide, âgé seulement de quatre-vingts ans; c'est du
+reste un homme veuf. C'est à lui qu'est dévolu le commandement absolu et
+la direction de six pièces de siége, les moins dirigeables possible,
+admirablement adaptées pour la destruction de Pendennis qui est une
+autre tour de même force sur l'autre côté du canal. Nous avons visité
+Saint-Maws; pour Pendennis, on ne nous l'a laissé voir qu'à distance,
+parce qu'on nous soupçonnait, Hobhouse et moi, d'avoir déjà pris
+Saint-Maws par un coup de main.
+
+»La ville contient beaucoup de quakers et de poisson salé; les huîtres y
+ont un goût de cuivre, parce que le pays est plein de mines; les femmes
+(bénie soit pour cela la corporation!) sont fouettées derrière une
+charrette quand elles se permettent de voler en petit ou en grand; et
+c'est ce qui est arrivé hier vers midi à une personne du beau sexe. Elle
+était entêtée et a envoyé le maire à tous les diables...
+
+»Hodgson! rappelez-moi au souvenir de Drury, et rappelez-moi à votre
+propre souvenir... quand vous serez ivre; je ne suis pas digne d'occuper
+les pensers d'un homme à jeun. Ayez l'œil à ma satire chez Cawthorn,
+dans Cockspur-Street...
+
+»J'ignore quand je pourrai vous écrire de nouveau, car cela dépend de
+notre expérimenté capitaine, le brave Kidd, et «des vents orageux qui
+_ne_ soufflent _pas_ dans cette saison.» Je quitte l'Angleterre sans
+regret; j'y retournerai sans plaisir. Je suis comme Adam, le premier
+pécheur condamné à la déportation; mais je n'ai pas d'Ève, et je n'ai
+pas mangé de pomme, si ce n'est des pommes sures et sauvages. Ainsi
+finit mon premier chapitre.
+
+»Adieu. Tout à vous, etc.»
+
+Dans cette lettre étaient renfermées les strophes suivantes, dont nous
+regrettons de ne pouvoir rendre toute la gaîté et le naturel:
+
+En rade de Falmouth, 30 juin 1809.
+
+1. Hourra! Hodgson, nous voilà partis; l'embargo est à la fin levé: une
+brise favorable agite les voiles, et les frappe contre le mât, au-dessus
+duquel le pavillon de partance déploie ses orbes onduleux. Attention! le
+coup de canon est tiré. Les cris des femmes effrayées et les juremens
+des matelots nous avertissent que le moment est venu. Voici monter à
+bord un coquin de douanier; il faut tout ouvrir, tout montrer, malles,
+caisses, etc. Malgré tant de bruit et de fracas, il faut que le plus
+petit trou à rats soit visité, avant qu'on ne nous permette de partir à
+bord du paquebot de Lisbonne.
+
+2. Nos matelots détachent les amarres; tout le monde aux rames. Le
+bagage descend de dessus le quai; nous sommes impatiens. En avant,
+poussez loin du rivage. «Prenez garde! cette caisse renferme des
+liquides. Arrêtez le bateau, je me sens malade: oh! mon Dieu!»--«Malade!
+madame; le diable m'emporte, vous le serez bien davantage quand vous
+aurez été seulement une heure à bord.» Hommes, femmes, maîtres et
+valets, maîtresses et servantes, pressés les uns contre les autres comme
+des bâtons de cire, crient, se démènent et s'agitent. Que de bruit, que
+de fracas avant que nous n'atteignions le paquebot de Lisbonne!
+
+3. Enfin nous l'avons atteint! Voilà le capitaine, le brave Kidd, qui
+commande son équipage. Les passagers sont parqués dans leur logement,
+les uns pour y grogner, les autres pour y vomir tout à leur aise. «Holà
+hé! appelez-vous cela une chambre? Cela n'a pas trois pieds carrés; il
+n'y aurait pas de quoi contenir la reine Mab[117]. Qui diable peut loger
+là-dedans?»--«Qui, monsieur? beaucoup de monde. Vingt seigneurs à la
+fois ont rempli mon navire.»--«Vraiment! Jésus mon Dieu, comme vous nous
+pressez! Plût à Dieu que vos vingt seigneurs y fussent encore! j'aurais
+échappé à la chaleur et au bruit qui règnent à bord de ce beau navire,
+le paquebot de Lisbonne.
+
+ [Note 117: _Queen mab_; voyez, dans Shakspeare, la charmante
+ description de cette petite reine des fées et de son petit
+ équipage.]
+
+4. «Fletcher! Murray! Rob[118]! où êtes-vous? étendus sur le pont comme
+des bûches! Un coup de main, vous, joli matelot; voilà un bout de corde
+pour fouetter ces chiens-là.» Hobhouse murmure des juremens affreux en
+roulant le long de l'écoutille; il vomit alternativement des vers et son
+déjeuner, et nous envoie tous à tous les diables. «Voilà une stance sur
+la maison de Bragance... Au secours!»--«Un couplet?»--«Non, une tasse
+d'eau chaude.»--«Qu'est-ce qu'il y a?»--«Diable! mon foie me vient sur
+le bord des lèvres! Je ne survivrai jamais au bruit et au fracas de ce
+navire brutal, le paquebot de Lisbonne.»
+
+ [Note 118: Abréviation pour Robert.]
+
+5. Enfin, nous voilà en route pour la Turquie; Dieu sait quand nous en
+reviendrons! Les vents violens et les sombres tempêtes peuvent en un
+moment briser notre vaisseau. Mais puisque, de l'avis des philosophes,
+la vie n'est qu'une plaisanterie, le mieux est encore de rire. Rions
+donc, comme je fais maintenant; rions de tout, des grandes et des
+petites choses. Bien portans ou malades, à la mer ou sur terre, tant que
+nous avons de quoi boire abondamment, rions. Que diable! peut-on se
+soucier d'autre chose? Holà hé! de bon vin! qui voudrait s'en laisser
+manquer, même à bord du paquebot de Lisbonne?
+
+BYRON.
+
+Le 2 juillet, le navire mit à la voile de Falmouth; et après une
+heureuse traversée de quatre jours et demi, nos voyageurs arrivèrent à
+Lisbonne, et se logèrent dans cette ville.
+
+Lord Byron citait souvent une étrange anecdote que le capitaine Kidd,
+commandant du paquebot, lui avait racontée pendant la traversée. Cet
+officier lui dit qu'une nuit, étant endormi, il fut réveillé par le
+poids de quelque chose de lourd sur son estomac, et qu'à l'aide d'une
+petite clarté qui régnait dans sa chambre, il reconnut distinctement le
+corps de son frère qui, à cette époque, servait aux grandes Indes dans
+la marine royale, revêtu de son uniforme et couché en travers sur son
+lit. Pensant que c'était une illusion de ses sens, il ferma les yeux, et
+essaya de dormir. Mais la même pression se fit encore sentir, et chaque
+fois qu'il se hasarda à ouvrir les yeux, il vit la même figure couchée
+en travers sur lui dans la même position. Pour ajouter encore à ce que
+cet événement avait de merveilleux, en étendant la main pour toucher ce
+fantôme, il sentît que l'uniforme dont il paraissait couvert était tout
+dégouttant d'eau. À l'arrivée d'un de ses camarades qu'il appela au
+secours, l'apparition s'évanouit; mais quelques mois après, il reçut
+l'accablante nouvelle que son frère était mort cette nuit-là même, noyé
+dans les mers des Indes. Le capitaine Kidd n'avait pas le plus léger
+doute sur la réalité de cette apparition surnaturelle.
+
+Les lettres suivantes de Lord Byron à son ami Hodgson, quoique écrites
+avec une gaîté et une légèreté d'écolier, donneront quelque idée de
+l'impression que lui fit son séjour à Lisbonne. De telles lettres, qui
+contrastent si fortement avec les nobles stances sur le Portugal, qui se
+trouvent dans le _Childe Harold_, montreront combien son imagination
+était versatile, et sous combien d'aspects différens il pouvait
+envisager les mêmes choses suivant les différentes dispositions d'esprit
+où il était.
+
+
+
+
+LETTRE XXXVII.
+
+À M. HODGSON.
+
+Lisbonne, 16 juillet 1809.
+
+MON CHER HODGSON,
+
+«Jusqu'ici nous avons poursuivi notre route; nous avons vu des choses
+magnifiques, des palais, des couvens; mais comme tout cela se trouvera
+écrit au large dans le premier volume de voyages de mon ami Hobhouse, je
+ne veux point anticiper, ni le voler, en fraudant le plus petit détail,
+et vous le communiquant ainsi d'une manière clandestine dans une lettre.
+Tout ce que je puis me permettre de vous dire, c'est que le village de
+Cintra, dans l'Estramadoure, est peut-être le plus beau village du
+monde..................................................................
+
+»Je suis très-heureux ici, parce que j'aime les oranges, et que je parle
+mauvais latin aux moines, qui le comprennent d'autant mieux, qu'il est
+plus semblable au leur. Et puis je vais en société (avec mes pistolets
+de poche). Et puis je nage dans le Tage, que j'ai traversé d'un seul
+coup. Et puis je monte à cheval sur un âne ou sur une mule. Et puis j'ai
+attrapé la diarrhée, et j'ai été piqué par les mosquites: mais qu'est-ce
+que cela fait? on ne doit point chercher ses aises quand on fait une
+partie de plaisir.
+
+«Quand les Portugais font les méchans, je dis _caracho_! le grand juron
+des fashionables de ce pays-ci, et qui remplace parfaitement notre
+_damnation_. Quand je suis mécontent de mon voisin, je l'appelle _combro
+de merda_; avec ces deux phrases et une troisième, _cobra burro_, qui
+signifie: procurez-moi un âne, je suis universellement reconnu pour un
+homme de distinction, et qui parle fort bien toutes les langues. Quelle
+joyeuse vie nous menons, nous autres voyageurs!... si nous avions la
+nourriture et le vêtement. Mais sérieusement, et par malheur trop
+sérieusement parlant, tout au monde est préférable à l'Angleterre; et
+jusqu'ici je m'amuse beaucoup de mon voyage.
+
+»Demain, nous partons pour faire à cheval plus de quatre cents milles en
+poste, jusqu'à Gibraltar, où nous nous embarquerons pour Mélite et
+Byzance. Une lettre me parviendrait à Malte, ou me serait envoyée si
+j'étais absent. Embrassez, je vous prie, les Drury, les Dwyer, et tous
+les Éphésiens que vous rencontrerez. J'écris en ce moment avec le crayon
+qui m'a été donné par Butler, ce qui rend ma mauvaise main pire encore.
+Excusez mon _illisibilité_...
+
+»Hodgson! envoyez-moi les nouvelles, les morts et les défaites, les
+crimes capitaux et les malheurs de mes amis. Donnez-moi quelques détails
+sur les sujets littéraires, les controverses et les critiques; tout cela
+me sera agréable: _Suave mari magno_, etc. En parlant de cela, j'ai été
+malade à la mer et de la mer. Adieu...
+
+»Votre affectionné, etc.»
+
+
+
+
+LETTRE XXXVIII.
+
+À M. HODGSON.
+
+Gibraltar, 6 août 1809.
+
+
+«Je viens d'arriver dans cette ville après un voyage de près de cinq
+cents milles, à travers le Portugal et une partie de l'Espagne. Nous
+allâmes à cheval de Lisbonne à Séville et à Cadix, et de là nous
+montâmes à bord de la frégate _l'Hypérion_ pour nous rendre ici. Les
+chevaux sont excellens, nous faisions soixante-dix milles par jour. Des
+œufs, du vin, des lits bien durs, sont toutes les commodités qu'offre la
+route; mais sous un climat aussi brûlant, c'est bien assez. Ma santé est
+meilleure qu'en Angleterre.
+
+»Séville est une belle ville, et la Sierra Moréna est une montagne bien
+digne de ce nom; mais le diable emporte les descriptions! elles sont
+toujours ennuyeuses. Cadix! délicieuse Cadix! c'est le plus beau point
+de la terre..., et la beauté de ses rues et de ses bâtimens ne le cède
+qu'à l'amabilité de ses habitans. Car, préjugé national à part, je dois
+avouer que les femmes de Cadix sont aussi supérieures en beauté aux
+femmes anglaises, que les Espagnols sont inférieurs aux Anglais pour
+toutes les qualités qui donnent de la dignité au nom d'homme... Au
+moment où je commençais à faire quelques connaissances dans la ville, je
+fus obligé d'en partir.
+
+»Vous n'attendez pas de moi une longue lettre après une telle course à
+cheval, «sur ces rosses d'Asie à l'embonpoint hypocrite.» En parlant
+d'Asie, cela me fait penser à l'Afrique, qui n'est qu'à cinq milles de
+ma demeure actuelle; j'y veux aller me promener avant de partir pour
+Constantinople...
+
+«Cadix est une vraie Cythère; beaucoup de grands d'Espagne s'y sont
+réfugiés, après avoir quitté Madrid à la suite des troubles: c'est, je
+crois, la plus jolie ville et la plus propre de l'Europe. Londres est
+sale en comparaison... Les Espagnoles se ressemblent toutes; leur
+éducation est la même. La femme d'un duc est comme la femme d'un paysan
+sous le rapport de l'instruction; et pour les manières, la femme d'un
+paysan a les mêmes que la duchesse. Certainement elles sont séduisantes;
+mais elles n'ont qu'une idée dans la tête, et l'unique affaire de toute
+leur vie est l'intrigue...
+
+«J'ai vu sir John Carr à Séville et à Cadix; et comme le barbier de
+Swift, je l'ai supplié de ne me point faire figurer dans son journal.
+Rappelez-moi, je vous prie, au souvenir des Drury et des Davies et de
+tous ceux de ce genre-là qui sont encore en vie[119].
+
+ [Note 119: Des recommandations de ce genre, dit M. Hodgson,
+ dans une note au bas de la copie de cette lettre, se trouvent
+ à chaque pas dans sa correspondance. Il ne se contentait pas
+ de s'informer de la santé de ses amis et de leur donner cette
+ marque de souvenir. Si l'on pouvait savoir tout ce qu'il a
+ fait pour ses nombreux amis, certes il paraîtrait bien digne
+ d'en avoir eu. Pour moi, je me fais un plaisir de reconnaître
+ avec les sentimens de la plus vive gratitude, qu'il est venu
+ généreusement et bien à propos à mon secours; et si mon
+ pauvre ami Bland vivait encore, il rendrait aussi de grand
+ cœur le même hommage à la mémoire de Byron, quoique, après
+ tout, je sois de tous les hommes celui qui lui doit le plus
+ de reconnaissance.
+ (_Note de Moore_.)]
+
+Envoyez-moi une lettre et des nouvelles à Malte. Ma première sera datée
+du Caucase ou de la montagne de Sion. Je repasserai en Espagne avant de
+me rendre en Angleterre, car je suis amoureux de ce pays. Adieu, etc.»
+
+Dans une lettre à Mrs. Byron, datée de Gibraltar, quelques jours après,
+il répète les mêmes détails sur son voyage, mais un peu plus étendus.
+«Pour faire compensation, dit-il, à la saleté de Lisbonne et de ses
+habitans, le village de Cintra, situé à quinze milles environ de cette
+capitale, est peut-être, sous tous les rapports, le plus délicieux de
+l'Europe; il renferme des beautés de toute espèce, naturelles et
+artificielles. Des palais et des jardins s'élevant au milieu des
+rochers, des cataractes et des précipices; des couvens sur des hauteurs
+prodigieuses. Dans le lointain la vue de la mer et du Tage, et, en
+outre, quoique ce ne soit qu'une circonstance bien secondaire, ce
+village est remarquable comme étant le lieu où fut signée la fameuse
+_convention_ de sir H*** D**[120]. Il réunit l'apparence sauvage et
+pittoresque des montagnes de l'Écosse avec la verdure et la fécondité du
+midi de la France. Près de là est le palais de Mafra, l'orgueil des
+Portugais, et qui serait admiré dans tous les pays du monde sous le
+rapport de la magnificence, mais non sous celui de l'élégance. Un
+couvent y est annexé; les moines sont assez polis, et entendent le
+latin, de sorte que nous eûmes ensemble une longue conversation. Ils ont
+une belle bibliothèque, et me demandèrent si _les Anglais_ avaient _des
+livres_ dans leur pays.»
+
+ [Note 120: Le colonel Napier, dans une note à son excellente
+ _Histoire de la guerre de la Péninsule_, relève l'erreur dans
+ laquelle Byron est tombé avec plusieurs autres; la convention
+ dont il s'agit ayant été signée à trente milles de
+ Cintra.--Voy. _Childe Harold_, chant Ier.
+ (_Note de Moore_.)]
+
+Il raconte ensuite dans la même lettre une aventure qui lui arriva à
+Séville, et qui peut donner une juste idée de lui-même et du pays où il
+se trouvait:
+
+«Nous logeâmes dans la maison de deux dames espagnoles non mariées, qui
+possèdent six maisons à Séville, et me donnèrent un curieux modèle des
+manières espagnoles. Ce sont des dames de qualité: l'aînée est une fort
+belle femme; la seconde est agréable, mais elle n'est pas d'un port
+aussi avantageux que dona Josepha. La liberté de manières qui est
+générale ici m'étonna d'abord beaucoup; dans la suite de mes
+observations, j'eus lieu de remarquer que la réserve n'est pas le
+caractère dominant des Espagnoles, qui, en général, sont très-bien, avec
+de grands yeux noirs et de fort belles formes. L'aînée honora votre fils
+indigne d'une attention toute particulière, elle m'embrassa au moment de
+mon départ (je n'y avais demeuré que trois jours). Elle coupa une boucle
+de mes cheveux, et me fit cadeau d'une tresse des siens de trois pieds
+de long, que je vous envoie, et que je vous prie de vouloir bien me
+garder jusqu'à mon retour. Ses mots d'adieu furent: _Adios, tu hermoso!
+me gustas mucho_. «Adieu! beau cavalier, tu me plais beaucoup.» Elle
+m'offrit une partie de son propre appartement, que ma vertu ne me permit
+pas d'accepter; elle rit beaucoup, me dit que j'avais quelque amante en
+Angleterre, et ajouta qu'elle allait se marier à un officier de l'armée
+espagnole.»
+
+Parmi les beautés espagnoles, qui avaient excité en masse son
+imagination, il paraît qu'une dame était au moment de fixer plus
+particulièrement son attention:
+
+«Cadix, la délicieuse Cadix, est la plus agréable ville que j'aie encore
+vue; elle est bien différente de nos villes anglaises, excepté sous le
+rapport de la propreté; elle est aussi propre que Londres, mais pleine
+des plus belles femmes de l'Espagne; les belles de Cadix sont pour
+l'Espagne ce que sont les belles du Lancashire pour l'Angleterre.
+Précisément au moment où je venais d'être présenté à la grandesse, et
+que je commençais à l'aimer, je me suis vu obligé de quitter Cadix pour
+cet affreux Gibraltar; mais avant de rentrer en Angleterre, j'y veux
+faire une autre visite.
+
+»La veille de mon départ, j'étais à l'opéra dans la loge de l'amiral ***
+avec sa femme et sa fille. Elle est très-jolie dans le genre espagnol,
+qui, à mon avis, n'est pas inférieur au genre anglais pour la beauté
+proprement dite, et qui est bien plus séduisant. De longs cheveux noirs,
+des yeux noirs et languissans, un teint olive-claire et des formes plus
+gracieuses, quand elles sont animées par le mouvement, que n'en peut
+concevoir un Anglais, habitué à l'air nonchalant et apathique de ses
+belles compatriotes; ajoutez à cela la mise à la fois la plus décente et
+du meilleur goût, qui rend une beauté espagnole tout-à-fait
+irrésistible.
+
+»Mademoiselle *** et son jeune frère comprenaient un peu le français,
+et, après avoir témoigné ses regrets que je ne susse pas l'espagnol,
+elle me proposa de m'enseigner cette langue. Je ne pus répondre que par
+un profond salut, regrettant de quitter Cadix trop promptement pour
+faire tous les progrès qui eussent naturellement suivi mes études sous
+une si charmante directrice. Je me tenais debout, sur le derrière de la
+loge, qui ressemble assez à nos loges d'opéra (le théâtre est vaste,
+bien décoré, et la musique admirable), comme le font généralement les
+Anglais pour ne pas incommoder les dames qui sont devant, quand la belle
+espagnole déplaça une vieille femme, tante ou duègne, et m'ordonna de
+venir m'asseoir à côté d'elle, à une distance honnête de la maman. Le
+spectacle terminé, je m'étais éclipsé, et je traversais le passage avec
+plusieurs hommes, quand la dame, tournant la tête par hasard, m'appela,
+et j'eus l'honneur de la conduire jusqu'à la maison de l'amiral. J'ai
+reçu une invitation pour l'époque de mon retour à Cadix, et j'en
+profiterai certainement si je repasse par l'Espagne, en revenant
+d'Asie.»
+
+C'est à ces aventures, ou plutôt à ces commencemens d'aventures, qu'il
+fait allusion dans la première partie de ses _Souvenirs_; et c'est de la
+plus jeune de ses belles hôtesses de Séville qu'il dit qu'il devint
+amoureux, à l'aide d'un dictionnaire.
+
+«Pendant quelque tems, dit-il, je réussis très-bien dans mes études de
+langue et dans mon amour[121], jusqu'à ce que la dame prit une fantaisie
+pour une bague que je portais, et s'opiniâtra à ce que je la lui
+donnasse comme un gage de ma sincérité. Cela était impossible, et je lui
+déclarai que tout ce que je possédais était à son service, excepté cette
+bague dont j'avais fait vœu de ne pas me séparer. La jeune Espagnole se
+fâcha, son amant ne tarda pas à se fâcher aussi, et l'affaire se termina
+par une froide séparation. Bientôt après je mis à la voile pour Malte,
+où je perdis à la fois et mon cœur et ma bague.»
+
+ [Note 121: Nous trouvons une allusion à cet incident dans
+ _Don Juan_:
+
+ «Il est agréable d'apprendre une langue étrangère des yeux et
+ des lèvres d'une femme... c'est-à-dire quand la maîtresse et
+ l'écolier sont jeunes tous les deux, comme il m'arriva à moi,
+ etc.»]
+
+Dans une lettre sur Gibraltar que nous venons de citer, il ajoute: «Je
+vais demain en Afrique, qui n'est qu'à six milles de cette forteresse.
+Mon premier séjour après sera Cagliari, en Sardaigne, où je serai
+présenté à sa majesté. J'ai un superbe uniforme pour habit de cour,
+indispensable à un voyageur.» Toutefois il ne mit pas à exécution son
+projet de visiter l'Afrique. Après un court séjour à Gibraltar, où il
+dîna une fois avec lady Westmoreland, et une autre avec le général
+Castaños, il partit de Malte, par le paquebot, le 19 août. Il avait
+renvoyé en Angleterre Joe Murray et le jeune Rushton, la santé de ce
+dernier ne lui permettant pas de l'accompagner plus long-tems.
+
+«Je vous prie, dit-il à sa mère, ayez toutes sortes de bontés pour cet
+enfant; car c'est mon grand favori[122].»
+
+ [Note 122: Voici le _post-scriptum_ de cette lettre:
+
+ «Ainsi lord G... est marié à une paysanne! c'est fort bien!
+ Si je me marie, je vous amènerai une sultane, avec une
+ demi-douzaine de villes pour dot; et pour vous réconcilier
+ avec une belle-fille ottomane, elle vous donnera un boisseau
+ de perles, pas plus grosses que des œufs d'autruche et pas
+ plus petites que des noix.»]
+
+Il écrivit aussi une lettre au père de cet enfant, qui donne une si
+bonne idée de la bonté et de la sensibilité de son ame, que j'ai grand
+plaisir à l'insérer ici.
+
+
+
+
+LETTRE XXXIX.
+
+À M. RUSHTON.
+
+Gibraltar, 15 août 1809.
+
+
+M. RUSHTON,
+
+«J'ai envoyé Robert en Angleterre avec M. Murray, parce que le pays que
+je vais traverser est dans une condition peu sûre, particulièrement pour
+un enfant aussi jeune. Je vous permets de garder vingt-cinq livres
+sterling par an pour son éducation, si je ne reviens pas avant cette
+époque, et je désire qu'il soit toujours considéré comme étant à mon
+service. Prenez-en le plus grand soin; qu'il soit envoyé à l'école. Dans
+le cas où je viendrais à mourir, j'ai eu soin dans mon testament de lui
+assurer une existence indépendante. Il s'est conduit extrêmement bien,
+et a beaucoup voyagé, en égard au peu de tems qu'a duré son absence.
+Vous déduirez les frais de son éducation de votre fermage.»
+
+BYRON.
+
+Ce fut le sort de Byron, pendant toute sa vie, de trouver partout où il
+alla des personnes qui, par leur caractère extraordinaire, ou les
+circonstances dans lesquelles elles s'étaient trouvées, étaient toutes
+disposées à sympathiser avec lui. C'est à cette attraction qui se
+trouvait en lui pour tout ce qui était étrange et _excentrique_, qu'il
+dut, à la fois, les plus agréables, comme aussi les plus pénibles
+liaisons qu'il ait formées dans sa vie. C'est dans la première classe
+que nous devrons ranger le commerce qu'il entretint avec une dame,
+pendant le court séjour qu'il fit à Malte. C'est cette même dame qu'il a
+désignée, dans le _Childe Harold_, sous le nom de Florence, et dont il
+parle ainsi à sa mère dans une lettre datée de Malte:
+
+«Cette lettre est confiée aux soins d'une femme bien extraordinaire dont
+vous avez déjà sans doute entendu parler, Mrs. Spenser Smith, sur la
+délivrance de laquelle le marquis de Salvo a publié une brochure, il y a
+quelques années. Elle a depuis éprouvé un naufrage, et sa vie a été, dès
+le commencement, fertile en incidens si extraordinaires, que, dans un
+roman, ils paraîtraient improbables. Elle est née à Constantinople, où
+son père, le baron H***, était consul d'Autriche. Elle fut mariée
+malheureusement, et cependant jamais sa réputation n'a souffert la plus
+légère atteinte. Elle a excité la vengeance de Bonaparte en prenant part
+à quelque conspiration, a vu plusieurs fois sa vie en danger; et n'a pas
+encore vingt-cinq ans. Elle est ici, se disposant à rejoindre son mari
+en Angleterre. L'approche des Français l'a forcée à s'embarquer sur un
+vaisseau de guerre, et à quitter précipitamment Trieste, où elle était
+allée faire une visite à sa mère. Depuis son arrivée je n'ai presque pas
+eu d'autre compagnie. Je l'ai trouvée très-agréable, très-bien élevée et
+extrêmement originale. Bonaparte est encore en ce moment si fort irrité
+contre elle, que sa vie serait peut-être en danger si on la faisait
+prisonnière une seconde fois.»
+
+Le ton dont notre poète lui parle dans _Childe Harold_, parfaitement
+d'accord avec ce qu'il vient d'en dire plus haut, respire l'admiration
+et l'intérêt, mais sans indiquer un sentiment plus vif.
+
+Aimable Florence! si ce cœur insouciant et flétri pouvait jamais être à
+une autre, il serait à toi; mais entraîné par toutes les vagues qui se
+succèdent, je n'ose pas brûler sur ton autel un indigne parfum, ou
+demander à ton âme chérie une seule pensée pour moi.
+
+C'est ainsi que raisonna Harold quand il jeta les yeux sur ceux de
+Florence; il y puisa une admiration profonde, mais nul autre sentiment,
+etc., etc.
+
+Dans un homme comme Byron, qui, en même tems qu'il a fait passer dans
+ses poésies bien des événemens de sa vie, a mis aussi tant de poésie
+dans son existence, il n'est pas toujours facile, en cherchant à
+analyser ses sentimens, de distinguer ceux qui furent réels d'avec ceux
+qui n'étaient qu'imaginaires. Par exemple la description qu'il nous
+donne ici de la froideur et de l'insensibilité avec lesquelles il
+contemplait même les charmes de cette séduisante personne est bien peu
+d'accord avec l'anecdote que je viens de citer d'après ses Mémoires,
+avec beaucoup de passages de ses lettres postérieures, mais surtout avec
+l'un de ses petits poèmes les plus gracieux, qu'il désigne comme adressé
+à cette même dame, pendant un orage, lorsque notre poète se rendait à
+Zitza.
+
+Malgré ces témoignages qui semblent se contredire, je serais assez porté
+à croire que la peinture qu'il nous fait de l'état de son cœur au
+commencement de _Childe Harold_ est la seule vraie. L'idée qu'il était
+amoureux ne lui sera venue qu'après, quand l'image de la belle Florence
+se sera, pour ainsi dire, idéalisée dans son imagination, et qu'elle
+aura embelli d'un reflet d'amour le souvenir des heures agréables qu'ils
+avaient passées ensemble dans les îles de Calypso. On se rappellera
+qu'il attribue lui-même aux cœurs qui se sont livrés de bonne heure aux
+passions, et qui de bonne heure aussi en ont été désabusés, la froideur
+et le calme avec lesquels il contempla des appas même aussi séduisans
+que ceux de l'aimable Florence. Il y a toute raison de croire que telle
+était alors l'espèce de dégoût avec lequel il voyait tous les objets
+réels d'amour et de passion; et quoique son imagination pût toujours se
+créer des idoles, il continua, à son retour en Angleterre, de professer
+la même indifférence pour les plaisirs qu'il avait autrefois recherchés
+avec tant d'ardeur. Nul anachorète ne saurait en effet se vanter de plus
+d'apathie qu'il n'en montra à cette époque pour toutes les séductions de
+ce genre. Mais à vingt-trois ans, il est triste de ne devoir qu'à la
+satiété et au dégoût ce calme contre toutes les tentations: ce sont là
+de tristes auxiliaires de la vertu, et c'est une tranquillité achetée
+bien cher.
+
+Pendant son séjour à Malte, il fut, à la suite de quelque malentendu de
+peu d'importance, au moment de se battre en duel avec un officier de
+l'état-major du général Oakes. Il fait de fréquentes allusions à cet
+incident dans les lettres que nous lirons bientôt, et j'ai souvent
+entendu la personne qui lui servait de second, parler avec grand éloge
+du courage et du mâle sang-froid qu'il déploya dans toute cette affaire.
+Elle devait se vider de très-bonne heure; son ami fut obligé de
+l'arracher à un sommeil profond. Arrivés au lieu du rendez-vous, sur le
+bord de la mer, ils ne virent pas venir leurs adversaires, par suite de
+quelque erreur involontaire. Quoique ses bagages fussent déjà à bord du
+brick qui devait le transporter en Albanie, Lord Byron résolut
+d'attendre au moins encore une heure; et pendant à peu près tout ce
+tems, son ami et lui se promenèrent le long du rivage. À la fin ils
+virent venir à eux un officier envoyé par son adversaire, qui
+non-seulement l'excusa de ce retard, mais encore leur donna toutes les
+explications qu'ils pouvaient désirer sur ce qui avait fait le sujet
+même de la querelle.
+
+Le brick de guerre à bord duquel ils s'étaient embarqués, ayant ordre
+d'escorter une flotte de petits vaisseaux marchands à Patras et à
+Prévésa, ils restèrent deux ou trois jours à l'ancre en rade de cette
+première ville. Enfin ils arrivèrent à leur destination, et, après avoir
+vu en passant un coucher du soleil à Missolonghi, ils débarquèrent, le
+27 septembre, à Prévésa.
+
+Ceux qui pourraient désirer des détails sur le voyage de Lord Byron en
+Albanie, et ceux qu'il fit ensuite dans différentes parties de l'empire
+ottoman, en compagnie avec M. Hobhouse, les trouveront dans la relation
+qu'en a publiée ce dernier. Cet ouvrage, très-intéressant par lui-même,
+sous tous les rapports, le devient bien davantage par cette
+considération que nous y voyons Lord Byron comme présent à chaque page,
+et que nous y accompagnons, pour ainsi dire, ses premiers pas dans un
+pays au nom duquel il a pour jamais rattaché le sien. Comme j'ai entre
+les mains des lettres du noble poète à sa mère et quelques-unes plus
+curieuses encore qui, publiées pour la première fois, me mettent en état
+de donner ses propres descriptions et ses propres esquisses, je me
+contenterai, après avoir ainsi indiqué d'une manière générale le voyage
+de M. Hobhouse, d'en extraire quelques notes pour jeter plus de clarté
+sur la correspondance de son ami.
+
+
+
+
+LETTRE XL.
+
+À MRS. BYRON.
+
+Prévésa, 12 novembre 1809.
+
+
+MA CHÈRE MÈRE,
+
+«Voici quelque tems que je suis en Turquie; la ville que j'habite est
+sur la côte; mais j'ai déjà traversé l'intérieur de la province
+d'Albanie, en allant faire visite au pacha. J'ai quitté Malte, le 21
+septembre, à bord du brick de mer _le Spider_ (l'Araignée), et je suis
+arrivé en huit jours à Prévésa. Déjà je suis allé environ cent cinquante
+milles plus loin, à Tebelen, maison de campagne de Sa Hautesse, où je
+suis resté trois jours. Le pacha se nomme Ali; on le regarde comme un
+homme de grands talens; il gouverne toute l'Albanie (l'ancienne
+Illyrie), l'Épire et une partie de la Macédoine. Son fils Vely-Pacha,
+pour lequel il m'a donné des lettres, gouverne la Morée, et a beaucoup
+d'influence en Égypte; en un mot, c'est un des plus puissans personnages
+de l'empire Ottoman. Quand, après un voyage de trois jours dans un pays
+montagneux et plein des beautés les plus pittoresques, j'arrivai à
+Janina, on me dit qu'Ali-Pacha avait quitté cette capitale, et qu'il
+était en Illyrie avec son armée, assiégeant Ibrahim-Pacha dans la
+forteresse de Bérat. Il avait appris qu'un Anglais de distinction était
+arrivé dans ses états, et avait laissé au commandant de Janina l'ordre
+de me fournir une maison, et de me procurer _gratis_ tout ce qui me
+serait nécessaire. En conséquence, encore que l'on m'ait permis de faire
+quelques présens aux esclaves, etc., on n'a pas voulu me laisser payer
+la moindre chose de ce qui était entré dans la maison pour notre usage.
+
+»Je fis un tour dans la campagne sur les chevaux du vizir, et visitai
+ses palais, ainsi que ceux de ses petits-fils; ils sont magnifiques,
+mais trop chargés d'ornemens d'or et de soie. J'allai ensuite à travers
+les montagnes jusqu'à Zitza, village qui renferme un monastère grec où
+je couchai au retour. C'est la plus belle situation que j'aie jamais
+vue, en exceptant toujours Cintra en Portugal. Notre voyage fut beaucoup
+allongé par les torrens tombés des montagnes, et qui interceptaient les
+routes. Je n'oublierai jamais la scène singulière qui s'offrit à mes
+regards, quand j'entrai à Tebelen vers les cinq heures du soir, au
+moment du coucher du soleil. Elle me rappela, avec quelque changement de
+costume, bien entendu, la description que donne Scott, dans son _Lay_,
+du château de Branksome et du système féodal. Les Albanais avec leur
+habillement, le plus magnifique du monde, leur long jupon blanc, leur
+manteau broché d'or, leur veste et leur gilet de velours cramoisi lacé
+en or, leurs pistolets et leurs poignards montés en argent; les Tartares
+avec leurs hauts bonnets, les Turcs dans leurs turbans et leurs vastes
+pelisses, les soldats et les esclaves noirs avec leurs chevaux; les
+premiers groupés dans une grande galerie ouverte qui fait partie de la
+façade, les autres placés dans une sorte de cloître au-dessous; deux
+cents chevaux harnachés et prêts à être montés au moindre signal, des
+courriers allant et venant avec des dépêches, le bruit des timbales, des
+enfans qui crient l'heure, du haut du minaret, joint à la singularité du
+bâtiment lui-même, forment un coup-d'œil nouveau et délicieux pour
+l'étranger. Je fus conduit dans un fort bel appartement et le secrétaire
+du vizir vint s'informer de l'état de ma santé à la mode turque.
+
+«Le lendemain je fus présenté à Ali-Pacha. J'étais vêtu d'un uniforme
+d'officier d'état-major en grande tenue, avec un sabre magnifique, etc.
+Le vizir me reçut dans une grande pièce, pavée en marbre; une fontaine
+lançait de l'eau au milieu, et tout autour de la chambre étaient rangées
+des ottomanes couvertes d'une étoffe écarlate. Il me reçut debout,
+politesse extraordinaire pour un musulman, et me fit asseoir à sa
+droite. J'ai un Grec pour interprète; mais dans cette occasion ce fut un
+médecin d'Ali qui entend le latin, qui m'en servit. Sa première question
+fut, pourquoi j'avais quitté mon pays si jeune? Les Turcs n'ont pas
+l'idée qu'on puisse voyager pour son amusement. Il me dit ensuite que le
+ministre anglais, le capitaine Leake, l'avait prévenu que j'étais d'une
+grande famille, et me chargea de présenter ses respects à sa mère,
+commission dont je m'acquitte en ce moment. Il dit encore qu'il était
+sûr que j'étais noble, parce que j'avais les oreilles petites, les
+cheveux bouclés, les mains petites et blanches[123], et témoigna qu'il
+était content de ma figure et de mon costume. Il me dit de le regarder
+comme un père tant que je serais en Turquie, et qu'il veillerait sur moi
+comme sur son fils. Il me pria de le venir voir souvent, et surtout le
+soir quand il serait de loisir; on servit du café et des pipes; après
+quoi je terminai ma première visite, que je renouvelai trois fois. Il
+est singulier que les Turcs, qui n'ont pas de dignités héréditaires et
+peu de grandes familles, excepté les sultans, aient tant d'égards pour
+la naissance, car j'observai que ma généalogie m'en valait plus que mon
+titre de pair d'Angleterre[124]...
+
+ [Note 123: Lord Byron avait autant que le pacha l'opinion que
+ la forme de la main peut indiquer la naissance; voyez dans
+ _Don Juan_, sa note sur le vers:
+
+ _Though on more_ thorough-bred _or fairer fingers_.]
+
+ [Note 124: Lors du voyage du docteur Holland en Albanie,
+ Ali-Pacha se rappelait parfaitement Lord Byron; il en parla
+ avec intérêt, et apprit avec plaisir qu'il avait donné, dans
+ un de ses ouvrages (_Childe Harold_), une description
+ poétique de l'Albanie, qui avait été fort goûtée en
+ Angleterre, et que son ami Hobhouse se disposait à publier
+ son voyage dans le même pays.]
+
+»J'ai vu aujourd'hui les restes de la ville d'Actium, près de laquelle
+Antoine perdit le monde dans une petite baie, où deux frégates
+manœuvreraient à peine aujourd'hui; un mur demi-renversé est l'unique
+vestige qui marque ce lieu célèbre. De l'autre côté du golfe se voient
+les ruines de Nicopolis, bâtie par Auguste en l'honneur de sa victoire.
+Hier soir, j'ai assisté à une noce grecque, mais je n'ai ni assez de
+tems, ni assez de place pour en donner la description, non plus que de
+mille autres choses.
+
+»Je vais demain, avec une escorte de cinquante hommes, à Patras dans la
+Morée, et de là à Athènes où je passerai l'hiver. Il y a deux jours,
+j'ai failli périr avec un vaisseau de guerre turc, par l'ignorance du
+capitaine et de l'équipage, quoique la tempête ne fût pas violente.
+Fletcher appelait sa femme, les Grecs appelaient leurs saints, les
+Musulmans appelaient Alla; le capitaine descendit dans la chambre, et
+nous dit tout en pleurs de nous recommander à Dieu. Les voiles étaient
+déchirées, la grande vergue rompue, le vent _fraîchissait_, la nuit
+arrivait; nous n'avions plus que deux chances devant nous, d'arriver à
+Corfou, qui est au pouvoir des Français, ou de descendre dans le liquide
+tombeau, comme Fletcher le disait pathétiquement. Je fis ce que je pus
+pour consoler celui-ci; mais le trouvant incorrigible, je m'enveloppai
+dans ma capote albanaise (immense manteau), et je me couchai tout de mon
+long sur le pont pour y attendre tout ce qui pourrait arriver de
+pire[125]. J'ai appris dans mes voyages à avoir de la philosophie; et
+quand je n'en aurais pas eu, de quoi m'eût-il servi ici de me lamenter
+et de me plaindre? Heureusement le vent mollit, et ne nous porta qu'à
+Souli sur le continent, où nous débarquâmes, et avec l'aide des naturels
+nous retournâmes à Prévésa. Je ne me confierai plus dorénavant à des
+matelots turcs, quoique le pacha ait mis à mes ordres une de ses propres
+galiotes pour me porter à Patras. En conséquence, je vais jusqu'à
+Missolonghi par terre, et de là je n'aurai qu'un petit golfe à traverser
+pour arriver à Patras. La première lettre de Fletcher sera pleine de
+merveilles; nous avons, une nuit, été perdus pendant neuf heures dans
+les montagnes, et depuis nous avons manqué de nous noyer. Dans les deux
+cas, Fletcher avait entièrement perdu la tête; la première fois par la
+peur, la famine et les bandits; la seconde par la peur seule. Ses yeux
+ont été un peu malades, je ne sais si c'est un effet des éclairs ou des
+pleurs qu'il a versés. Quand vous m'écrirez, adressez-moi vos lettres
+chez M. Strane, consul d'Angleterre, à Patras en Morée.
+
+ [Note 125: J'ai entendu les compagnons de voyage de Byron
+ parler du sang-froid et du courage qu'il montra dans cette
+ occasion, d'une manière plus remarquable encore. Voyant qu'à
+ cause de son infirmité il ne pouvait être d'aucune utilité
+ pour l'exécution des manœuvres que leur position demandait,
+ non-seulement il est vrai qu'il s'enveloppa dans son manteau
+ et se coucha tranquillement, comme il le dit, mais ce qu'il
+ n'ajoute pas, c'est que, quand le danger fut passé, on
+ s'aperçut qu'il était profondément endormi.
+ (_Note de Moore_.)]
+
+»J'aurais beaucoup d'incidens à vous raconter, qui, je crois, vous
+amuseraient; mais ils font confusion dans ma tête, comme ils en
+feraient, je crois, sur le papier, et je ne saurais du tout les mettre
+en ordre. J'aime beaucoup les Albanais; ils ne sont pas tous turcs,
+quelques-uns sont chrétiens; mais la différence de leur religion n'en
+met aucune dans leurs mœurs et dans leur conduite; on les regarde comme
+les meilleures troupes au service de la Turquie. Pendant ma route, j'ai
+passé deux jours en allant, et trois en revenant, dans une caserne à
+Salone; et jamais je n'ai trouvé de soldats plus supportables, quoique
+j'aie été dans les garnisons de Gibraltar et de Malte, et que j'aie vu
+bon nombre de troupes espagnoles, françaises, siciliennes et anglaises.
+On ne m'a rien volé, et j'ai toujours été le bienvenu à partager leurs
+vivres et leur lait. Il n'y a pas une semaine, qu'un chef albanais
+(chaque village a son chef qui est appelé primat), après nous avoir aidé
+à sortir de la galère turque, lors de notre malheur, nous nourrit et
+nous logea, moi et ma suite, composée de Fletcher, un Grec, deux
+Athéniens, un prêtre grec, et mon compagnon, M. Hobhouse, et refusa de
+recevoir autre chose qu'un certificat de la bonne réception qu'il nous
+avait faite. Comme je le pressais de prendre au moins quelques sequins,
+«non, répondit-il, je veux que vous m'aimiez, et non pas que vous me
+payiez.» Ce sont là ses propres paroles.
+
+»Vous ne sauriez croire quelle est la valeur de l'argent dans ce
+pays-ci. Je n'avais rien à payer d'après les ordres du visir, mais
+depuis j'ai toujours eu seize chevaux, et généralement six ou sept
+hommes à mon service; et je n'ai pas dépensé la moitié de ce qu'il m'en
+a coûté pour passer trois semaines à Malte, quoique le gouverneur, sir
+A. Ball, m'ait donné une maison gratis, et que je n'eusse qu'un seul
+domestique. Je serais bien aise que H... fît des remises régulières, car
+je n'ai pas intention de rester à perpétuité dans cette province; qu'il
+m'écrive chez M. Strane, consul d'Angleterre à Patras. Le fait est que
+la fertilité des plaines est extraordinaire, les espèces fort rares, ce
+qui explique que tout y soit à bon marché. Je vais à Athènes pour y
+apprendre le grec moderne, qui diffère beaucoup du grec ancien, quoique
+les racines en soient les mêmes. Je n'ai pas envie de retourner en
+Angleterre; et je ne le ferai que si j'y suis forcé, comme, par exemple,
+si H... me négligeait. Je n'entrerai pas cependant en Asie avant un an
+ou deux, car j'ai bien des choses à voir en Grèce, et peut-être
+passerai-je en Afrique, ou du moins dans la partie Égyptienne.
+
+»Fletcher, comme tous les Anglais, est fort mécontent, cependant il est
+un peu réconcilié avec la Turquie, depuis que le pacha lui a fait
+présent de quatre-vingts piastres, qui, eu égard à la valeur de l'argent
+ici, équivalent presque à dix guinées anglaises. Il n'a rien eu à
+souffrir, si ce n'est du chaud, du froid et de la vermine, fléaux de
+tous ceux qui couchent dans les chaumières, dans des gorges de
+montagnes, dans les pays froids, et dont j'ai eu ma part comme lui; mais
+il n'est pas brave et a peur des voleurs et des tempêtes. Il n'y a
+personne en Angleterre au souvenir de qui je désire me recommander, et
+dont je veuille avoir des nouvelles. Je voudrais seulement recevoir une
+lettre de vous, et une ou deux de H... sur l'état de mes affaires;
+dites-lui de m'écrire. Pour moi, je vous écrirai quand je pourrai, et
+vous prie de me croire votre affectionné fils,»
+
+BYRON.
+
+Vers le milieu de novembre, notre jeune voyageur quitta Prévésa et se
+dirigea vers la Morée, à travers l'Acarnanie et l'Étolie, accompagné de
+son escorte de cinquante Albanais.
+
+En conséquence il prit une bande d'hommes sûrs pour traverser les vastes
+forêts de l'Acarnanie, hommes nés pour la guerre, et dont les rudes
+travaux ont rembruni le teint, jusqu'à ce qu'il aperçut les flots
+blanchissans de l'Achéloüs, et qu'il vit de l'autre côté les plaines
+fertiles de l'Étolie.
+
+(_Childe Harold_, ch. II.)
+
+Sa description d'une scène de nuit à Utraikey, petite place située dans
+l'une des baies du golfe d'Arta, est sans doute restée gravée dans la
+mémoire de nos lecteurs. Le plaisir que leur a causé la sauvage beauté
+de cette peinture ne sera point diminué quand nous leur aurons fait
+connaître, d'après le récit de M. Hobhouse, les circonstances réelles
+sur lesquelles elle est fondée:
+
+«Le soir, les portes étaient fermées, et l'on faisait les préparatifs
+nécessaires pour nourrir nos Albanais. On tuait un bouc, on le faisait
+rôtir tout entier; quatre feux étaient allumés dans la cour, autour
+desquels les soldats s'asseyaient en quatre troupes différentes. Après
+avoir bu et mangé, la plupart d'entre eux, tandis que nous et les chefs
+étions assis sur le gazon, s'assemblèrent autour du plus grand feu, et
+là se mirent à danser en rond sans autre musique que leurs propres
+chansons, mais en déployant une énergie étonnante. Toutes ces chansons
+se rapportaient à quelques exploits de voleurs fameux. L'une d'elles,
+qui les occupa plus d'une heure, commençait ainsi: «Quand nous partîmes
+de Parga, nous étions soixante: puis venait le refrain:
+
+ Tous voleurs à Parga,
+ Tous voleurs à Parga.
+
+ Κλεφτεις ποτε Παργα,
+ Κλεφτεις ποτε Παργα.
+
+»Quand ils mugissaient cette strophe, ils tournaient en rond autour du
+feu, tombaient sur leurs genoux, rebondissaient, et puis tournaient de
+nouveau en répétant le même refrain. Le bruissement des vagues sur la
+rive caillouteuse où nous étions assis remplissait les intervalles du
+chant d'une musique peut-être moins monotone et certainement plus douce.
+La nuit était très-sombre; mais au reflet des feux nous apercevions un
+peu les bois, les rochers et le lac, qui, avec l'apparence sauvage des
+danseurs, offraient une scène qui n'eût pas été perdue entre les mains
+d'un artiste organisé comme l'auteur des _Mystères d'Udolphe_.»
+
+Après avoir traversé l'Acarnanie, nos voyageurs passèrent l'Acheloüs, et
+arrivèrent, le 21 novembre, à Missolonghi. Ici il est impossible de ne
+pas nous arrêter, et de ne pas songer d'avance à cette triste visite
+qu'il y fit quinze ans après, quand, au milieu de sa carrière, et dans
+toute la plénitude de sa réputation, il vint donner sa vie pour la cause
+de ce pays qu'il traversait alors comme un simple et jeune étranger. Si
+quelque esprit lui eût alors révélé ce qui devait arriver dans cet
+intervalle; s'il lui avait montré, d'un côté, les triomphes qui
+l'attendaient, le pouvoir que son génie varié obtiendrait sur les cœurs
+pour les élever ou les abaisser, pour les éclairer ou les rendre plus
+sombres; et s'il eût placé d'un autre côté les inconvéniens attachés à
+ce don funeste: la fatigue et le dégoût que l'imagination donne à l'ame;
+les ravages de ce feu intérieur qui dévore celui qui le possède, tandis
+qu'il éblouit les autres; l'envie que tant de grandeur excite parmi les
+autres hommes; la vengeance qu'ils tirent de celui qui les force à
+regarder si haut pour l'admirer; on peut se le demander, eût-il accepté
+la gloire à de telles conditions? N'aurait-il pas senti, au contraire,
+que c'était l'acheter à trop haut prix, et que cet état de guerre
+continuel contre le monde entier pendant sa vie ne serait que faiblement
+récompensé par une immortalité que ce même monde serait obligé de lui
+accorder après son trépas?
+
+À Missolonghi, il renvoya tous ses Albanais, à l'exception d'un seul,
+nommé Dervish, qu'il prit à son service, et qui demeura avec lui pendant
+tout le tems qu'il fut en Orient, avec Basile, le domestique que lui
+avait donné Ali-Pacha. Après avoir habité près de quinze jours à Patras,
+il se dirigea sur Vostitza. En approchant de cette ville, le sommet
+neigeux du Parnasse, s'élevant comme une tour de l'autre côté du golfe,
+s'offrit pour la première fois à ses yeux. Deux jours après, dans les
+bosquets sacrés de Delphes, il écrivit les stances que cette vue lui
+avait inspirées, et qui commencent ainsi:
+
+Ô toi, Parnasse! que je vois maintenant, non comme l'imagination te
+présente souvent dans les songes du poète endormi, etc.
+
+C'est vers cette époque que, se promenant à cheval, au pied du Parnasse,
+il vit dans les airs voler une troupe considérable d'aigles, phénomène
+qui semble avoir frappé son imagination d'une sorte de superstition
+poétique; car il y fait plus d'une fois allusion dans son journal. «Me
+rendant à la fontaine de Delphes (Castri), en 1809, je vis une troupe de
+douze aigles, et j'acceptai le présage, bien que Hobhouse soutînt,
+probablement par plaisanterie, que c'étaient des vautours. J'avais la
+veille composé les vers sur le Parnasse, dans _Childe Harold_; en voyant
+ces oiseaux, j'espérai qu'Apollon avait agréé mon hommage. Du moins,
+j'ai eu le nom et la réputation de poète dans l'âge réellement poétique
+de la vie, de vingt à trente. Si cela continuera, c'est une autre
+question.»
+
+Dans son journal, en racontant son départ de Patras, il cite une
+anecdote qui fera honneur à son humanité aux yeux de tous ceux qui ne
+seront point chasseurs. «Le dernier oiseau sur lequel j'ai tiré fut un
+aiglon, sur le bord du golfe de Lépante, près Vostitza. Il n'était que
+blessé, et je voulus le sauver; son œil était si brillant! Mais il
+languit et mourut en peu de jours. Je n'ai jamais essayé depuis et
+jamais je n'essaierai de tuer un autre oiseau.»
+
+Peu de choses étonnent autant les voyageurs en Grèce que l'extrême
+petitesse de ces pays qui ont occupé si long-tems les cent bouches de la
+renommée. «On pourrait, dit M. Hobhouse, sans trop presser son cheval,
+aller de Livadie à Thèbes et revenir entre le déjeuner et le dîner, et,
+sans bagage, faire facilement, en deux jours, le tour de la Béotie.»
+Après avoir visité en très-peu de tems les fontaines de Mémoire et
+d'Oubli, à Livadie, et les retraites d'Apollon Isménien, à Thèbes, nos
+voyageurs tournèrent enfin leurs pas vers Athènes, l'objet de leurs
+rêves poétiques, traversèrent le mont Cythéron, et arrivèrent en vue des
+ruines de Philé, la veille de Noël 1809.
+
+Quoique le poète nous ait laissé dans ses vers le témoignage immortel de
+l'enthousiasme avec lequel il contempla les scènes qui s'offrirent alors
+à ses regards, il n'est pas difficile de concevoir que, pour des
+observateurs superficiels, il put paraître spectateur insensible de
+mille choses qui jettent le voyageur ordinaire en extase, du moins en
+paroles. Il professa toute sa vie le plus souverain mépris pour tout ce
+qui est affecté, soit en matière de goût, soit en matière de morale;
+souvent il déguisa le sentiment vrai de son admiration sous un dehors
+d'indifférence et de moquerie par haine pour le charlatanisme de ceux
+qu'il voyait s'extasier à froid et sans rien ressentir réellement. Il
+faut avouer aussi qu'il étendait à des sentimens vrais, mais pour
+lesquels il n'éprouvait pas de sympathie, le dégoût que lui inspiraient
+ceux qui n'étaient qu'affectés; ainsi il ne comprit jamais le mérite et
+les jouissances d'un antiquaire ou d'un amateur d'objets d'art. «Je ne
+fais point de collections, dit-il dans une note de _Childe Harold_, et
+je ne les admire pas du tout.» Il ne faisait aucun cas des antiquités, à
+moins qu'elles ne se rattachassent à quelques grands noms ou à quelques
+grands événemens. Pour les objets d'art, il se contentait d'admirer leur
+effet général, sans se piquer d'aucune connaissance des détails. C'était
+à la nature, dans ses scènes solitaires de grandeur et de beauté, ou,
+comme à Athènes, brillante d'un éclat toujours le même au milieu des
+ruines de la gloire et des arts, qu'il payait sans restriction l'hommage
+de son ame ardente. Dans le petit nombre de notes sur les voyages qu'il
+a jointes à _Childe Harold_, l'on voit qu'il aime beaucoup mieux
+s'occuper des sites et du pittoresque qu'offrent les lieux qu'il a
+visités que des souvenirs classiques ou historiques qui peuvent s'y
+rattacher. En prose ou en vers, il revient à la vallée de Zitza avec
+plus de plaisir qu'à Delphes ou aux rives de la Troade; et ce qui le
+frappe le plus vivement dans la plaine d'Athènes, c'est que «la vue y
+est plus belle encore qu'à Cintra ou à Istamboul.» Où la nature
+pouvait-elle en effet avoir plus de droit à son adoration que dans ces
+contrées où il la voyait briller d'une beauté toujours jeune, toujours
+la même au milieu des ruines de ce que l'homme avait jugé le plus digne
+de durée? «Les institutions humaines périssent, dit Harris; mais la
+nature ne change pas.» Lord Byron a paraphrasé cette pensée[126], en
+l'embellissant:
+
+ [Note 126: Le passage renferme la substance de toute la
+ strophe:
+
+ «Malgré les diverses fortunes d'Athènes, considérée comme
+ cité, l'Attique est encore fameuse pour ses oliviers, et
+ l'Hymète pour son miel. Les institutions humaines périssent,
+ mais la nature ne change pas.»
+ (_Recherches philologiques_.)
+
+ Je me rappelle que je fis un jour remarquer à Lord Byron
+ cette coïncidence, mais il m'assura qu'il n'avait jamais lu
+ cet ouvrage d'Harris.]
+
+Cependant ton ciel est aussi bleu, tes rochers aussi sauvages, tes
+bosquets aussi agréables, tes prairies aussi verdoyantes, ton olive
+aussi mûre, que quand tu florissais sous la protection de Minerve!
+L'Hymète offre encore aux hommes les trésors de son miel divin; libre
+voyageuse errante dans les plaines de l'air, l'abeille construit
+toujours gaîment sur tes montagnes sa forteresse parfumée. Apollon dore
+toujours de ses feux tes longs étés, et sous ses rayons brillent
+toujours les marbres de Mendeli! Les arts, la gloire, la liberté, tout
+passe, tout périt, excepté la nature, elle est toujours belle.
+
+(_Childe Harold_, ch. II.)
+
+Cette première visite à Athènes dura deux ou trois mois, pendant
+lesquels il ne laissa pas passer un seul jour sans consacrer quelques
+heures à parcourir les grands monumens du génie ancien, et sans évoquer,
+pour ainsi dire, du milieu de leurs ruines l'esprit des siècles écoulés.
+Il faisait aussi des excursions fréquentes dans différentes parties de
+l'Attique. Un jour qu'il visitait le cap Colonne, il fut au moment
+d'être enlevé par un parti de Maniotes cachés sous le rocher de Minerve
+Sunias. Ces pirates, à ce que lui raconta depuis un Grec qui alors était
+leur prisonnier, n'osèrent l'attaquer, persuadés que les deux Albanais
+qu'ils voyaient à ses côtés, n'étaient qu'une partie d'une escorte plus
+respectable laissée à portée de venir promptement à son secours.
+
+Outre le pouvoir magique de ses souvenirs et de son paysage, la ville de
+Minerve possédait un attrait d'une autre sorte pour notre poète, auquel,
+en quelque lieu qu'il portât ses pas, son cœur ou plutôt son imagination
+n'était que trop sensible. On dit que sa jolie romance: «Jeune vierge
+d'Athènes, avant que nous nous séparions,» fut adressée à la fille aînée
+de la dame grecque chez laquelle il était logé, et il est assez probable
+que la belle Athénienne ait été maîtresse de son imagination au moment
+où il composa ces vers. Théodora Macri, son hôtesse, était la veuve d'un
+vice-consul d'Angleterre; son principal revenu provenait de la location
+aux étrangers, et surtout aux voyageurs anglais, des appartemens
+qu'occupèrent alors Lord Byron et son ami; ce dernier nous en donne la
+description suivante: «Notre logement consistait en un salon et deux
+chambres à coucher, donnant sur une cour où se trouvaient cinq ou six
+citronniers, d'où l'on tira le fruit qui assaisonna notre pilau et les
+autres mets nationaux servis sur notre table frugale.»
+
+La renommée d'un poète illustre ne s'attache pas seulement à sa personne
+et à ses écrits, une partie se reflète sur tout ce qui a eu avec lui un
+rapport même éloigné. Non-seulement elle ennoblit les objets de ses
+amitiés, de ses amours et de ses goûts; mais les lieux même où il a
+vécu, où il a séjourné, acquièrent une célébrité qui ne s'efface pas
+aisément. La jeune fille d'Athènes, quand elle prêtait innocemment
+l'oreille aux complimens du jeune Anglais, ne se doutait guère qu'il dût
+rendre son nom et sa maison si célèbres, qu'à leur retour de Grèce, les
+voyageurs ne trouveraient rien de plus intéressant à donner à leurs
+lecteurs que les détails suivans sur elle et sa famille:
+
+«Nous rencontrâmes, dit M. Hobhouse, à la porte notre valet qui était
+allé devant pour nous chercher des logemens, et nous conduisit chez
+Théodora Macri, la veuve du vice-consul, où nous sommes actuellement.
+Cette dame a trois filles fort jolies; l'aînée est vraiment une beauté;
+c'est elle, dit-on, qui inspira à Lord Byron cette fameuse romance:
+
+Jeune vierge d'Athènes, avant que nous nous séparions, rends-moi,
+rends-moi mon cœur, etc., etc.
+
+»À Orchomènes, où était le temple des Grâces, je fus près de m'écrier:
+Où les grâces se sont-elles enfuies? Je ne m'attendais pas à les
+retrouver ici. Et cependant voici venir l'une avec des coupes dorées et
+du café, et l'autre avec un livre. Ce livre est un registre de noms, et
+il en est quelques-uns que la renommée est habituée à prononcer. Parmi
+eux se trouve celui de Lord Byron, lié aux vers que je vais transcrire:
+
+La noble Albion voit en souriant partir son fils pour aller visiter le
+berceau des arts; son but est noble; belle est l'entreprise; il vient à
+Athènes, et... écrit son nom.
+
+»En forme de contrepoids, Lord Byron écrivit au-dessous:
+
+Ce poète modeste, comme beaucoup de poètes inconnus, rimaille sur nos
+noms et cache le sien; mais quel qu'il soit, pour ne rien dire de pis,
+son nom lui ferait plus d'honneur que ses vers.
+
+»En écrivant ces mots, _les trois Grâces athéniennes_, j'ai, je n'en
+doute pas, fait naître votre curiosité et enflammé votre imagination, et
+je ne dois pas compter sur votre attention que je ne vous en aie donné
+quelque portrait. Leur appartement est justement en face du nôtre; et si
+vous pouviez les voir comme nous les voyons en ce moment à travers les
+plantes aromatiques qui se balancent doucement sur notre fenêtre, vous
+laisseriez votre cœur à Athènes.
+
+»Thérésa, la vierge d'Athènes, Katinka et Mariana sont de taille
+moyenne. Chacune d'elles porte sur le sommet de la tête une petite
+calotte albanaise de couleur rouge, surmontée d'une tassette bleue, qui
+s'étend et se rattache par le bas comme une étoile. Au bord de cette
+calotte est un mouchoir de couleurs variées roulé autour des tempes. La
+plus jeune porte ses cheveux détachés tombant sur les épaules presque
+jusqu'à la ceinture, et mêlés suivant l'usage avec des tresses de soie.
+Les cheveux des deux aînées sont le plus souvent attachés et retenus
+sous le mouchoir. Leur vêtement de dessus est une pelisse bordée de
+fourrures, tombant lâche jusqu'à la cheville; dessous est un mouchoir de
+mousseline qui couvre le sein et se termine à la taille qui est courte.
+En dessous est une robe de soie ou de mousseline rayée, s'élargissant un
+peu au-dessus de la ceinture, et retombant sur le devant d'une manière
+gracieuse et négligée; des bas blancs et des pantoufles jaunes
+complètent le costume. Les deux aînées ont les yeux et les cheveux
+noirs, le visage ovale, le teint un peu pâle et les dents d'une
+blancheur éblouissante. Leurs joues sont arrondies, leur nez droit avec
+quelque chose d'aquilin. La plus jeune, Mariana, est très-blonde; sa
+figure n'est pas aussi joliment arrondie, mais a une expression plus
+gaie que celle de ses sœurs, qui ont l'air assez pensif, excepté quand
+la conversation prend une tournure animée. Leur taille est élégante,
+leurs manières distinguées et susceptibles de plaire dans tous les pays
+possibles. Leur conversation est fort agréable, et leur esprit paraît
+plus cultivé que ne l'est généralement celui des dames grecques. Avec de
+tels avantages, il serait bien étonnant qu'elles n'attirassent pas
+l'attention des voyageurs qui visitent occasionnellement Athènes. Elles
+s'asseoient à la manière orientale, le corps légèrement incliné, les
+jambes ramassées sous elles sur le divan et sans souliers. Elles
+s'occupent à coudre, à jouer du tambour de basque et à lire.
+
+»J'ai dit que j'avais vu ces beautés grecques à travers les balancemens
+des plantes aromatiques qui décorent leurs fenêtres; peut-être cela
+pourrait-il vous donner une trop haute idée de leur position. Votre
+imagination vous représente peut-être déjà leurs maisons pleines de tous
+les attributs du luxe oriental. Les coupes d'or ont pu aussi opérer
+quelque enchantement sur vos idées. Avouez-le; ne vous représentez-vous
+pas--
+
+Les portes demi-ouvertes donnant sur de longues galeries où l'on ne
+saurait décrire tout ce que l'œil rencontre d'élégance et de grandeur;
+l'orgueil de la Turquie et de la Perse: des coussins jetés sur des
+coussins, des tapis sur des tapis, d'immenses ottomanes, des oreillers
+innombrables pour relever la tête, de manière que chaque appartement
+paraît un lit grand et moëlleux?
+
+»Vous verrez bientôt pourquoi j'ai différé jusqu'à ce moment; apprenez
+que les plantes aromatiques dont je viens de vous parler ne sont ni plus
+ni moins que quelques pauvres géraniums et quelques baumes grecs, et que
+la chambre dans laquelle se tiennent ces dames est presque dégarnie de
+meubles, que les murs n'en ont été ni peints ni décorés par une main
+habile. Que serait-il advenu de mes grâces, si je vous avais dit plus
+tôt qu'une seule chambre est tout le logement qu'elles possèdent, à
+l'exception d'un petit cabinet et d'une petite cuisine? Vous voyez
+combien j'ai pris soin que la première impression leur fût avantageuse;
+non qu'elles ne méritent toute espèce d'éloges, mais parce qu'il est
+dans la nature auguste et fière de l'homme de faire peu de cas du mérite
+et même de la beauté, si ces avantages ne sont pas relevés d'un peu de
+pompe mondaine. Maintenant je vais vous communiquer un secret, mais
+confidentiellement et à voix basse.
+
+»Ces dames, depuis la mort du vice-consul leur père, n'ont pas d'autres
+ressources pour exister que de louer à des étrangers la chambre et le
+cabinet que nous occupons dans ce moment; mais quoiqu'elles soient si
+pauvres, leur vertu n'est pas moins remarquable que leur beauté.
+
+»Et toutes les richesses de l'Orient ou tous les vers flatteurs du
+premier poète de l'Angleterre ne pourraient les rendre aussi réellement
+dignes d'amour et d'admiration[127].»
+
+ [Note 127: _Voyages en Italie, en Grèce_, etc., par H. W.
+ Williams.]
+
+Dix semaines s'étaient rapidement passées, quand l'offre inattendue d'un
+passage à bord d'une corvette anglaise détermina nos voyageurs à se
+préparer immédiatement au départ; et le 5 mars, ils quittèrent Athènes,
+quoique avec beaucoup de regret. «Après avoir passé, dit encore M.
+Hobhouse, par la porte qui conduit au Pyrée, nous lançâmes nos chevaux
+au galop dans le bois d'oliviers sur la route de Salamine, espérant par
+notre précipitation étourdir un peu la douleur du départ. Nous ne
+pouvions nous empêcher de regarder derrière nous en nous rendant au
+rivage, et nous continuâmes de fixer les yeux sur le point où à travers
+la clairière du bois, nous avions entrevu pour la dernière fois le
+temple de Thésée et les ruines du Parthénon; nous continuâmes ainsi
+plusieurs minutes après que la ville et l'Acropolis eurent entièrement
+disparu à notre vue.»
+
+À Smyrne, Lord Byron se logea dans la maison du consul général, et y
+demeura jusqu'au 11 avril, excepté deux ou trois jours qu'il employa à
+visiter les ruines d'Éphèse. Ce fut à cette époque qu'il termina les
+deux premiers chants de _Childe Harold_, comme on le voit par une note
+écrite de sa main sur le manuscrit original de ce poème: «Commencé le 31
+octobre 1809, à Janina en Albanie; fini le second chant, à Smyrne, le 28
+mars 1810.--BYRON.»
+
+La seule lettre un peu intéressante, datée de Smyrne, que je puisse
+offrir au lecteur, est la suivante:
+
+
+
+
+LETTRE XLI.
+
+À MRS. BYRON.
+
+Smyrne, 19 mars 1810.
+
+
+MA CHÈRE MÈRE,
+
+«Je ne puis pas vous écrire une longue lettre; mais comme je crois que
+vous ne serez pas fâchée de savoir où j'en suis de mes voyages, je vous
+prie d'accepter le peu de détails que je puis vous donner. J'ai traversé
+la plus grande partie de la Grèce, outre l'Épire, etc.; j'ai résidé dix
+semaines à Athènes, et je me rends maintenant à Constantinople par la
+route d'Asie. Je viens de visiter les ruines d'Éphèse, à une journée de
+Smyrne. J'espère que vous avez reçu une longue lettre que je vous ai
+écrite d'Albanie, où je vous donnais quelques détails sur la réception
+que m'a faite le pacha de cette province.
+
+»C'est en arrivant à Constantinople que je déciderai si je dois aller
+jusqu'en Perse, ou revenir sur mes pas. Je ne prendrai ce dernier parti
+que si je ne puis l'éviter. Mais je n'entends pas parler de M. H..., et
+je n'ai reçu de vous qu'une seule lettre. J'aurai besoin de fonds, soit
+que j'avance ou que je revienne. Je lui ai écrit plusieurs fois, pour
+qu'il ne prétende pas, pour s'excuser, qu'il ne connaissait pas ma
+situation. Je ne puis encore vous rien dire sur quoi que ce soit; le
+tems et l'occasion me manquent, car la frégate repart immédiatement. Il
+est vrai que plus je vais, plus ma paresse augmente; et mon aversion
+pour tout commerce épistolaire s'accroît de jour en jour. Je n'ai écrit
+à personne qu'à vous et à M. H..., et c'est moins par inclination que
+par devoir et par nécessité.
+
+»F*** est fort dégoûté par les fatigues, quoiqu'il n'en ait point enduré
+que je n'aie partagées. C'est une pauvre créature. Les domestiques
+anglais sont en vérité de détestables voyageurs. J'ai avec lui deux
+soldats albanais et un interprète grec, tous parfaits dans leur genre.
+La Grèce est délicieuse, surtout dans les environs d'Athènes. Partout
+des cieux sans nuages et des paysages charmans. Mais je dois remettre à
+notre première entrevue tout récit de mes aventures. Je ne tiens pas de
+journal, mais mon ami H... ne cesse d'écrire. Prenez soin, je vous prie,
+de Murray et de Robert, et dites à ce dernier qu'il est fort heureux
+pour lui qu'il ne m'ait pas accompagné en Turquie. N'attribuez cette
+lettre qu'au désir de vous assurer que je suis sain et sauf, et
+croyez-moi, etc.»
+
+BYRON.
+
+Le 11 avril, il partit de Smyrne sur la frégate _la Salsette_, qui avait
+reçu l'ordre de se rendre à Constantinople, pour ramener l'ambassadeur,
+M. Adair, en Angleterre; et après avoir exploré les ruines de la Troade,
+il arriva aux Dardanelles au commencement du mois suivant. Il écrivit
+les lettres qu'on va lire, à ses amis, MM. Drury et Hodgson, pendant que
+la frégate était à l'ancre dans ce détroit.
+
+
+
+
+LETTRE XLII.
+
+À M. DRURY.
+
+A bord de la _Salsette_, 3 mai 1810.
+
+
+MON CHER DRURY,
+
+«Lorsque je quittai l'Angleterre, il y a bientôt un an, vous me priâtes
+de vous écrire. C'est ce que je me propose de faire. J'ai traversé le
+Portugal et le midi de l'Espagne, visité la Sardaigne, la Sicile, Malte,
+et de là j'ai poussé jusqu'en Turquie, où je suis encore à rôder.
+Débarqué d'abord en Albanie, l'Épire d'autrefois, j'ai pénétré jusqu'au
+mont Tomarit, parfaitement accueilli par le gouverneur, Ali-Pacha; et,
+après avoir parcouru l'Illyrie, la Chaonie, etc., j'ai traversé le golfe
+d'Actium avec une garde de cinquante Albanais, et passé l'Achéloüs pour
+me rendre en Étolie par l'Acarnanie.
+
+»Après un court séjour en Morée, nous avons traversé le golfe de
+Lépante, pris terre au pied du Parnasse, vu tout ce qui reste de
+Delphes, et continué ainsi jusqu'à Thèbes et Athènes, dans la dernière
+desquelles nous avons passé deux mois et demi.
+
+»Le vaisseau de S. M. _le Pylade_ nous a transportés à Smyrne; mais nous
+avions auparavant étudié la topographie de l'Attique, sans oublier
+Marathon et le promontoire de Sunium. Après Smyrne, notre second relai
+fut la Troade, que nous visitâmes tandis que le navire était à l'ancre,
+où il resta pendant quinze jours, vis-à-vis la tombe d'Antiloque.
+Maintenant nous voilà dans les Dardanelles, en attendant le vent pour
+nous rendre à Constantinople.
+
+»Ce matin, j'ai parcouru à la nage le trajet de Sestos à Abydos. La
+distance directe n'est pas de plus d'un mille; mais, en raison du
+courant, la traversée n'est pas sans danger; il y en a même assez pour
+que je doute que l'affection conjugale de Léandre n'ait pas été un peu
+refroidie par le passage.
+
+»Je l'essayai il y a huit jours, mais je n'y pus réussir, à cause du
+vent du Nord et de l'étonnante rapidité du courant, quoique j'aie
+toujours été, depuis mon enfance, un rude nageur. Mais ce matin, par un
+tems plus calme, j'y suis parvenu, et j'ai traversé le _large
+Hellespont_ en une heure dix minutes.
+
+»Eh bien, mon cher monsieur, j'ai quitté mon foyer, et visité quelques
+parties de l'Afrique et de l'Asie, outre une raisonnable portion de
+l'Europe. J'ai vécu avec des généraux et des amiraux, des princes et des
+pachas, des gouverneurs et des _ingouvernables_; mais je n'ai ni tems ni
+papier pour m'étendre. Je suis bien aise de vous dire que je conserve
+pour vous des souvenirs d'amitié, et que je vis dans l'espérance de vous
+revoir un jour; et si je vous écris aussi brièvement que possible,
+attribuez-le à tout autre cause qu'à l'oubli.
+
+»Vous connaissez trop bien la Grèce ancienne et moderne pour qu'il soit
+besoin de vous la décrire. J'ai, il est vrai, mieux vu l'Albanie
+qu'aucun autre Anglais, que je sache, excepté un M. Leake; car c'est un
+pays que l'on visite rarement, à cause du caractère farouche des
+_natifs_; il offre cependant plus de beautés pittoresques que les
+contrées classiques de la Grèce, malgré toutes les merveilleuses beautés
+de ces dernières, surtout vers Delphes et le cap Colonne en Attique.
+Elles sont loin néanmoins d'égaler certaines parties de l'Illyrie et de
+l'Épire, où des lieux sans nom et des rivières oubliées sur la carte et
+un jour peut-être mieux appréciées, obtiendront des peintres et des
+poètes la préférence sur les rigoles desséchées de l'Ilyssus, et les
+fondrières de la Béotie.
+
+»La Troade offre un champ vaste aux faiseurs de conjectures et aux
+tireurs de bécassines; un bon chasseur et un savant ingénieux peuvent
+sur ce terrain exercer avec grand avantage leurs jambes et leur
+entendement; ou, s'ils préfèrent aller à cheval, ils peuvent s'y tromper
+de route, comme cela m'est arrivé, et s'embourber dans un maudit
+marécage formé par le Scamandre, qui serpente deçà et delà comme si les
+vierges troyennes allaient encore lui apporter leur tribut accoutumé. Il
+n'existe aujourd'hui d'autres vestiges de Troie, ou de ses destructeurs,
+que les tertres qui renferment, à ce que l'on suppose, les squelettes
+d'Achille, d'Antiloque, d'Ajax, etc. Mais le mont Ida lève encore son
+front superbe; quoique les bergers de nos jours ne ressemblent guère à
+Ganymède. Mais à quoi bon vous parler plus long-tems de choses qui sont
+décrites tout au long dans le _book of Gell_? Et H*** n'a-t-il pas écrit
+un journal? Quant à moi, je n'en tiens pas; car j'ai renoncé à tout
+griffonnage. Je ne vois pas grande différence entre les Turcs et nous,
+si ce n'est qu'ils n'ont pas de _culottes_, et que nous en avons; qu'ils
+portent des habits longs, et nous des habits courts; qu'ils parlent peu,
+et nous beaucoup. Ce sont des gens fort raisonnables. Ali-Pacha m'a dit
+qu'il était sûr que j'étais né dans un rang élevé, par ce que j'ai les
+oreilles et les mains petites et des cheveux bouclés. Je vous dirai, en
+passant, que je parle passablement le romaïque ou grec moderne: il ne
+diffère pas des anciens dialectes autant que vous pourriez le penser;
+mais la prononciation en est diamétralement opposée. Quant à la poésie,
+si elle n'est rimée, ils n'en ont pas la moindre idée.
+
+»J'aime les Grecs. Ce sont des fripons adroits qui ont tous les vices
+des Turcs, sans avoir leur courage. Quelques-uns cependant sont braves:
+tous sont beaux, et ressemblent beaucoup au buste d'Alcibiade. Les
+femmes sont un peu moins belles. Je sais jurer en turc; mais, excepté un
+effroyable jurement et les mots qui signifient entremetteur, pain et
+eau, je connais peu le vocabulaire de cette langue. Ils sont extrêmement
+polis envers les étrangers de tout rang, pourvu qu'ils soient
+convenablement protégés; et comme j'ai deux domestiques et deux soldats,
+nous faisons grand fracas. Nous avons parfois couru risque d'être
+dévalisés, et une fois de faire naufrage; mais nous nous en sommes tirés
+le mieux du monde.
+
+»À Malte, j'ai été fort épris d'une femme mariée, et j'ai provoqué un
+aide-de-camp du général ***, grossier personnage, qui s'était offensé de
+quelque chose, je n'ai jamais bien su de quoi; mais il donna des
+explications, fit des excuses, la dame s'embarqua pour Cadix, et
+j'échappai ainsi à l'accusation de meurtre et d'adultère. J'ai envoyé
+quelques détails sur l'Espagne à notre ami Hodgson; mais depuis ce
+tems-là je n'ai écrit à personne, excepté quelques billets à des parens
+et à des gens de loi, pour m'en débarrasser. Je me propose de rompre
+tout commerce, à mon retour, avec plusieurs de mes meilleurs amis, que
+je regarde au moins comme tels, et de gronder toute ma vie. Mais
+j'espère, avant de me faire tout-à-fait cynique, rire encore de bon cœur
+avec vous, embrasser Dwyer, et trinquer avec Hodgson.
+
+»Dites au docteur Butler que je me sers en ce moment de la plume d'or
+qu'il me donna avant mon départ: c'est pour cela que ma pancarte est
+moins lisible qu'à l'ordinaire. J'ai été à Athènes, et j'ai vu des
+gerbes de ces roseaux à écrire dont il refusa de me donner quelques-uns,
+parce que le topographe Gell les avait apportés de l'Attique. Mais vous
+n'aurez pas de descriptions, non; vous voudrez bien vous contenter de
+quelques détails jusqu'à mon retour. Mais alors nous ouvrirons toutes
+les écluses de la conversation. Je suis sur une frégate de trente-six,
+qui va chercher Rob Adair à Constantinople: c'est lui qui aura l'honneur
+de vous porter cette lettre.
+
+»Ainsi donc le livre de H***[128] a pris son essor avec quelques
+sentimentales chansonnettes de ma façon, pour remplir le volume. Quel
+succès a-t-il, eh? et où diable en est la seconde édition de ma satire
+avec les additions, et mon nom au bas du titre, et les vers nouveaux
+cloués à la fin, et un nouvel exorde, et je ne sais quoi encore, le tout
+sorti tout chaud de mon atelier avant que j'eusse franchi la Manche? La
+Méditerranée et l'Atlantique étendent leurs flots entre la critique et
+moi; et les mugissemens de l'Hellespont couvrent le bruit des foudres de
+la _Revue hyperboréenne_.
+
+ [Note 128: Les mélanges auxquels j'ai renvoyé plusieurs
+ fois.]
+
+«Rappelez-moi au souvenir de Claridge, s'il n'est pas rentré au collége,
+et présentez à Hodgson les assurances de ma haute considération. Vous
+allez me demander ce que je me propose de faire; et je vais vous
+répondre que je n'en sais rien. Il est possible que je m'en retourne
+dans quelques mois; mais j'ai des desseins et des projets pour le tems
+qui suivra mon séjour à Constantinople. Cependant Hobhouse sera
+probablement de retour en septembre.
+
+«Le 2 juillet, il y aura un an que nous sommes partis d'Albion,
+_oblitusque meoruni obliviscendus et illis_. J'étais las de mon pays, et
+fort peu prévenu en faveur de tout autre; mais _je traîne ma chaîne sans
+l'alonger, en changeant de lieu_. Je suis comme le joyeux meunier qui ne
+se souciait de personne, et dont personne ne se souciait. À mes yeux
+tout pays en vaut à peu près un autre. Je fume, j'ouvre de grands yeux
+pour mieux voir les montagnes, et je relève ma moustache avec une fière
+indépendance. Nulle privation ne m'afflige, et les moustiques qui
+martyrisent le corps maladif de H*** ne font, par bonheur, aucun effet
+sur le mien, parce que je vis avec plus de tempérance.
+
+»Dans mon catalogue j'ai oublié Éphèse, que j'ai visitée pendant mon
+séjour à Smyrne; mais le temple est presque entièrement détruit, et il
+serait bien superflu que saint Paul se donnât la peine d'adresser de
+nouvelles épîtres à la race actuelle des Éphésiens, qui ont converti en
+mosquée une vaste église construite entièrement en marbre; et je ne me
+suis pas aperçu que l'édifice en fît plus mauvaise figure.
+
+»Mon papier est rempli, mon encre est épuisée; bon soir! Si vous
+m'adressez une lettre à Malte, on me la fera parvenir quelque part que
+je sois. H*** vous fait ses complimens. Il soupire pour sa poésie, au
+moins pour en avoir quelques nouvelles. J'oubliais presque de vous dire
+que je meurs d'amour pour trois jeunes Athéniennes qui sont sœurs. Je
+logeais dans la même maison qu'elles. Ces divinités se nomment Thérésa,
+Mariana et Katinka[129]: aucune des trois n'a encore quinze ans.
+
+»Votre τατεινοτατος δουλος[130].»
+
+BYRON.
+
+ [Note 129: Il a adopté ce nom dans la description du sérail,
+ ch. VI, de _Don Juan_. Ce fut, si j'ai bonne mémoire, en
+ faisant la cour à une de ces jeunes filles qu'il lui donna
+ une marque d'amour fort en usage dans le levant, en se
+ faisant, avec son poignard, une blessure à la poitrine. La
+ jeune Athénienne, à ce qu'il m'a raconté, conserva tout son
+ sang-froid durant cette opération, qu'elle regardait comme un
+ juste tribut offert à sa beauté; mais elle n'en fut pas plus
+ disposée à lui être favorable.]
+
+ [Note 130: Très-humble serviteur.]
+
+
+
+
+LETTRE XLIII.
+
+À M. HOGDSON.
+
+À bord de la _Salsette_, détroit des Dardanelles, à la hauteur d'Abydos,
+le 5 mai 1810.
+
+
+«Je suis en route pour Constantinople, après avoir parcouru la Grèce,
+l'Épire, etc., et une partie de l'Asie Mineure, voyage dont je viens de
+communiquer quelques particularités à H. Drury, notre ami et notre hôte.
+Je m'abstiendrai donc de vous les répéter; mais comme vous serez
+peut-être bien aise d'apprendre que je me porte bien, etc., je saisis
+l'occasion du retour de notre ambassadeur pour vous adresser le peu de
+lignes que j'ai le tems d'écrire à la hâte. Nous avons éprouvé quelques
+inconvéniens et couru quelques périls, mais il ne nous est rien arrivé
+d'assez intéressant pour vous en entretenir, à moins que vous ne jugiez
+digne de votre attention le trajet de Sestos à Abydos, que j'ai fait à
+la nage, il y a deux jours. Si vous y joignez quelques alertes données
+par les voleurs, la crainte d'un naufrage sur une galère turque, il y a
+six mois, ma visite à un pacha, ma passion pour une femme mariée, à
+Malte, un défi à un officier, mes amours avec trois jeunes Athéniennes,
+avec une profusion de bouffonneries, et de beaux points de vue, vous
+connaîtrez tous les événemens qui, depuis mon départ d'Espagne, ont
+marqué ce voyage.
+
+»H*** fait des vers et écrit son journal; moi, je regarde et ne fais
+rien; à moins qu'on ne considère la distraction de fumer comme un
+amusement actif. Les Turcs surveillent trop leurs femmes pour qu'il soit
+possible de les observer beaucoup. Mais j'ai vécu avec bon nombre de
+Grecs, dont je connais le dialecte tout autant qu'il m'est nécessaire
+pour converser un peu. J'ai fait aussi parmi les Turcs quelques
+connaissances, en hommes. Quant à la société des femmes, il n'y faut pas
+penser. J'ai été fort bien reçu par les gouverneurs et les pachas, et je
+n'ai pas la moindre raison de me plaindre. Hobhouse quelque jour vous
+racontera toutes nos aventures. Si j'en essayais le récit, ni mon papier
+ni votre patience ne pourraient y suffire.
+
+»Personne, si ce n'est vous, ne m'a écrit depuis que j'ai quitté
+l'Angleterre; il est vrai que je ne l'avais pas demandé. J'excepte mes
+parens, qui m'écrivent tout aussi souvent que je le désire. Je ne sais
+rien de l'ouvrage d'Hobhouse, sinon qu'il a paru. C'est plus que je n'en
+sais de ma seconde édition; et certainement, à une pareille distance, je
+ne m'en inquiète que médiocrement........................... J'espère
+que vos publications et celles de Bland s'écoulent avec rapidité.
+
+»Je ne puis vous parler d'une manière certaine de l'époque de mon
+retour; mais je regarde comme probable que Hobhouse me précédera. Nous
+sommes absens depuis près d'un an. Je désirerais en employer au moins un
+autre à mes observations dans ces climats toujours verts; cependant je
+crains que des affaires, et des affaires litigieuses, qui sont bien ce
+qu'il y a de pire au monde, ne me rappellent avant ce tems, si ce n'est
+même beaucoup plus tôt. S'il en est ainsi, je vous en préviendrai.
+
+»J'espère que vous remarquerez en moi quelques changemens, je ne veux
+pas dire au physique, mais au moral; car je commence à m'apercevoir que
+sans la vertu ce monde maudit n'est pas tenable. Je suis passablement
+dégoûté du vice, que j'ai étudié dans ses plus agréables variétés, et je
+me propose, à mon retour, de rompre avec tous mes débauchés d'amis, de
+renoncer au vin, aux inclinations charnelles, et de me livrer à la
+politique et au décorum. Je suis sérieux, cynique et assez bien disposé
+à faire de la morale; mais heureusement pour vous, l'homélie dont vous
+étiez menacé est coupée court par le mauvais état de ma plume et le
+manque de papier.
+
+»Bonjour. Si vous m'écrivez, adressez vos lettres à Malte, d'où l'on me
+les fera parvenir. Ne me rappelez au souvenir de personne; mais
+croyez-moi bien sincèrement votre, etc.»
+
+BYRON.
+
+Arrivé à Constantinople le 14 mai, il adressa à Mrs. Byron quatre ou
+cinq lettres, et dans presque toutes il parle du succès avec lequel il a
+traversé l'Hellespont à la nage. L'excessive vanité qu'il tirait de
+cette prouesse classique (dont il a fort au long lui-même détaillé les
+particularités) peut être mise au nombre des preuves de cet enfantillage
+de caractère qui l'accompagna jusque dans un âge plus mûr, et qui, tout
+en embarrassant ceux qui jugeaient de loin sa conduite, n'était pas,
+pour ceux qui vivaient dans son intimité, une de ses singularités les
+moins intéressantes. Onze ans encore après cette époque, si quelque
+sceptique voyageur se hasardait à mettre en doute la possibilité de
+l'exploit de Léandre, Lord Byron, avec cette susceptibilité sur son
+courage personnel, qu'il conservait depuis son enfance, se lançait dans
+la discussion avec une nouvelle chaleur, et citait deux ou trois autres
+exemples de ce qu'il avait fait comme nageur, pour confirmer ses
+premières assertions[131].
+
+ [Note 131: Il citait entre autres son passage du Tage en
+ 1809, que M. Hobhouse a décrit de la manière suivante:
+
+ «Mon compagnon de voyage avait déjà précédemment exécuté une
+ traversée plus périlleuse, quoique moins célèbre; car je me
+ rappelle qu'à l'époque où nous étions en Portugal, il nagea
+ depuis le vieux Lisbonne jusqu'au château de Belem; et comme
+ il avait à lutter contre la marée et le courant opposé du
+ fleuve, le vent étant fort vif, il lui fallut près de deux
+ heures pour aller d'un bord à l'autre. Il ne resta dans l'eau
+ qu'une heure et dix minutes, en nageant de Sestos à Abydos.
+ En 1808, il faillit se noyer à Brighton, en se baignant avec
+ M. L. Stanhope, son ami. M. Hobhouse et d'autres spectateurs
+ envoyèrent à eux des bateliers, qui s'attachèrent des cordes
+ autour du corps, et qui réussirent enfin à retirer Lord Byron
+ et M. Stanhope de la lame, et leur sauvèrent ainsi la vie.»]
+
+Dans une de ses lettres à sa mère, datée de Constantinople, le 24 mai,
+il revient sur ce notable exploit, et se représente comme l'humble
+imitateur de Léandre; et pourtant, ajoute-t-il, je n'avais pas de Héro
+pour m'accueillir sur l'autre rive. Puis il continue ainsi:
+
+«Lorsque notre ambassadeur obtiendra son audience de congé, je
+l'accompagnerai pour voir le sultan, après quoi je retournerai
+probablement en Grèce. Je n'ai rien reçu de M. Hanson, si ce n'est une
+traite, mais sans aucune lettre de ce juridique gentleman. Si vous avez
+besoin de fonds, servez-vous, je vous prie, des miens, tant qu'il y en
+aura, sans aucune réserve; et dans la crainte que cela ne suffise pas,
+j'inviterai M. Hanson, dans ma prochaine lettre, à vous avancer toutes
+les sommes qui pourraient vous être nécessaires. Je m'en remets à votre
+discrétion pour juger de ce que vous pouvez convenablement demander
+d'après l'état actuel de mes affaires. J'ai déjà visité les lieux les
+plus intéressans de la Turquie d'Europe et de l'Asie Mineure; mais je
+n'irai pas plus loin avant d'avoir reçu des nouvelles d'Angleterre. En
+attendant je compte sur des rentrées toutes les fois que les occasions
+de m'en faire parvenir se présenteront; et je passerai l'été au milieu
+de mes amis, les Grecs de la Morée.»
+
+Alors il ajoute avec cette bienveillante sollicitude dont il ne
+s'écartait jamais envers les domestiques qu'il préférait: «Prenez soin,
+je vous prie, de mon jeune Robert et du vieux Murray. Il est heureux
+qu'ils s'en soient retournés; ni la jeunesse de l'un ni les années de
+l'autre n'auraient pu s'accommoder aux changemens de climat et à la
+fatigue du voyage.»
+
+
+
+
+LETTRE XLIV.
+
+À M. HENRY DRURY.
+
+Constantinople, 17 juin 1810.
+
+
+«Quoique ma dernière lettre soit d'une date bien récente, je reviens à
+la charge pour vous féliciter de la naissance de votre enfant; une
+lettre d'Hodgson m'a informé de cet événement dont je me réjouis avec
+vous.
+
+»Je suis à peine de retour d'une expédition, par le Bosphore, à la mer
+Noire et aux Symplegades Cyanéennes. J'ai gravi jusqu'à la cime de ces
+dernières en m'exposant à autant de dangers qu'en aient jamais bravé les
+Argonautes dans leur lougre. Vous rappelez-vous le commencement des
+lamentations de la nourrice dans Médée? je vous en adresse la traduction
+que j'ai faite au somme de ces montagnes:
+
+Oh! plût au ciel qu'un bon embargo eût retenu le navire _Argo_ dans le
+port, et qu'en restant toujours dans les chantiers de Grèce il n'eût
+jamais dépassé les roches d'Azur! mais, hélas! je crains que son voyage
+ne soit la cause de quelque méchef pour ma chère miss Médée[132].
+
+ [Note 132:
+
+ Oh! how I wish that an embargo
+ Had kept in port the good ship _Argo_
+ Who, still unlaunch'd from Grecian docks
+ Had never pass'd the Azure rocks!
+ But now I fear her trip will be a
+ Damn'd business for my miss Medea, etc.]
+
+»Peu s'en est fallu qu'il n'en fût ainsi pour moi.
+
+Car si je n'avais pas eu ce sublime passage dans la tête, je n'aurais
+jamais songé à grimper sur les susdites roches, où j'ai failli me rompre
+les os pour le plus grand honneur de l'antiquité.
+
+»Ainsi donc je me suis assis sur les Cyanées, j'ai nagé de Sestos à
+Abydos (comme je vous l'ai pompeusement annoncé dans ma dernière), et
+après avoir de nouveau traversé la Morée, je m'embarquerai pour
+Sainte-Maure, et j'irai faire le saut de Leucade. Si je survis à cette
+épreuve, je vous rejoindrai probablement en Angleterre. H..., qui vous
+remettra cette lettre, s'y rend en droite ligne; et comme ses voyages
+lui sortent par tous les pores, je n'anticiperai pas sur ses récits:
+seulement je vous prie de ne pas croire un mot de tout ce qu'il vous
+dira, mais de me réserver votre attention si vous avez quelque désir
+d'apprendre la vérité.
+
+«Je vais retourner à Athènes, et de là passer en Morée; mais la durée de
+mon séjour dépend tellement de mon caprice que je n'ai rien de probable
+à vous en dire. Mon absence date déjà d'un an; elle peut se prolonger
+d'un autre, mais je suis comme du vif-argent, et je ne peux rien
+affirmer. Nous sommes tous en ce moment fort occupés à ne rien faire.
+Nous avons tout vu, excepté les mosquées que nous devons visiter mardi
+prochain au moyen d'un firman. H... pourra vous les décrire ainsi que
+divers autres objets curieux, à condition que c'est à _moi_ qu'on
+s'adressera pour constater sa véracité, et je me réserve de contredire
+tous les détails auxquels il attache le plus d'importance. Mais s'il se
+lance parfois dans le bel esprit, je vous permets de l'applaudir, parce
+qu'il en aura nécessairement dérobé les traits les plus brillans à son
+compagnon de pélerinage. Dites à Davies que ses meilleures plaisanteries
+ont été fort heureusement reproduites par H... sur plus d'un vaisseau de
+Sa Majesté; mais ajoutez aussi que j'ai toujours soin de les rétablir au
+nom du légitime possesseur; d'où il suit que lui, Davies, n'est pas
+moins célèbre sur mer que sur terre, et règne sans rivaux aussi bien
+dans la cabine qu'à la taverne du _cocotier_.
+
+»Ainsi donc Hodgson a publié de nouvelles poésies. Je désirerais qu'il
+pût m'envoyer son _Sir Edgar_ et l'_Anthologie de Bland_, à Malte, d'où
+on me les ferait parvenir. Dans ma dernière; que vous avez reçue,
+j'espère, je traçais l'esquisse du terrain que nous avons parcouru. Si
+cette dépêche ne vous est pas parvenue, la langue d'H... est bien à
+votre service. Rappelez-moi au souvenir de Dwyer, qui me doit onze
+guinées. Dites-lui de les faire remettre à mon banquier à Gibraltar ou à
+Constantinople. Il me les a, je crois, déjà payées une fois; mais cela
+ne fait rien à l'affaire, attendu que c'était une rente annuelle.
+
+»Tâchez, je vous prie, de m'écrire. J'ai fréquemment reçu des nouvelles
+d'Hodgson. Malte est mon bureau de poste. Je compte vous revoir vers la
+prochaine réunion de Montem[133]; vous vous souvenez sûrement de celle
+de l'an dernier; j'espère qu'il en sera de même cette année; mais après
+avoir traversé _le vaste Hellespont_, je fais _fi_ de Datchett[134]. Bon
+soir. Je suis bien sincèrement, etc.»
+
+BYRON.
+
+ [Note 133: Réunion annuelle des élèves du collége
+ d'Eton-Montem, suivie d'une collecte dont le produit est
+ destiné à placer à l'université de Cambridge ou d'Oxford le
+ sujet le plus distingué d'entre eux.]
+
+ [Note 134: Allusion à une circonstance où il traversa la
+ Tamise à la nage, avec M. Drury, après le Montem, afin de
+ savoir combien de fois ils pourraient la traverser et la
+ retraverser sans toucher terre. Dans cette lutte, qui eut
+ lieu le soir, après souper, et lorsque tous deux étaient
+ échauffés par le vin, Lord Byron eut l'avantage.]
+
+Environ dix jours après la date de cette lettre, nous en trouvons une
+autre adressée à Mrs. Byron, laquelle, au milieu de plusieurs
+répétitions de faits déjà détaillés dans sa correspondance précédente,
+contient aussi un bon nombre de passages qui méritent d'en être
+extraits.
+
+
+
+
+LETTRE XLV.
+
+À MRS. BYRON.
+
+
+CHÈRE MÈRE,
+
+«M. Hobhouse, qui vous fera parvenir ou vous remettra cette lettre, et
+qui part pour retourner en Angleterre, pourra vous mettre au courant de
+nos divers changement de résidence; quant à moi, je suis fort incertain
+sur l'époque de mon retour. Il ira probablement dans le Nottingham un
+jour ou l'autre; mais Fletcher, que je renvoie parce qu'il m'embarrasse
+(les domestiques anglais sont de tristes voyageurs), Fletcher le
+remplacera par _interim_, et vous racontera nos voyages qui ont embrassé
+passablement d'espace...........................................
+
+»Je me rappelle que Mahmoud-Pacha, petit-fils d'Ali, pacha de Yanina
+(petit gaillard de dix ans, qui avait de grands yeux noirs, que nos
+dames paieraient bien cher, et ces traits réguliers qui distinguent la
+race turque), me demanda comment il se faisait que je me fusse mis à
+voyager si jeune, et sans avoir personne pour prendre soin de moi. Le
+petit bonhomme m'adressa cette question avec toute la gravité d'un homme
+de soixante ans.
+
+»Je ne peux pas aujourd'hui vous écrire bien longuement; je n'ai que le
+tems de vous dire que j'ai éprouvé bien des fatigues, mais jamais un
+moment d'ennui. La seule chose que je redoute, c'est de contracter le
+goût d'une vie errante, à la bohémienne, qui me rendra mon foyer
+insupportable. C'est, me dit-on, ce qui arrive fort souvent aux gens qui
+ont pris l'habitude des voyages; et, dans le fait, je commence à m'en
+apercevoir. Le 3 mai, j'ai passé à la nage de Sestos à Abydos. Vous
+connaissez l'histoire de Léandre; mais moi, je n'avais pas de Héro pour
+me recevoir sur la rive..........................
+
+«J'ai visité, en vertu d'un firman, toutes les principales mosquées. Il
+est rare qu'on accorde cette faveur à des infidèles; mais le départ de
+l'ambassadeur nous l'a fait obtenir. J'ai remonté par le Bosphore jusque
+dans la mer Noire, en faisant le tour des murs de la ville; et en
+vérité, j'en connais mieux l'aspect que celui de Londres. J'espère que,
+par quelque soirée d'hiver, je vous amuserai en vous en faisant la
+description; pour le moment, je vous prie de m'excuser si je m'en
+dispense. Je ne puis écrire de longues lettres en juin. Je retourne
+passer l'été en Grèce............................................
+
+»C'est une pauvre créature que Fletcher; il lui faudrait mille
+commodités dont je sais fort bien me passer. Il est furieusement las de
+ses voyages, et vous ferez bien de ne pas trop croire ce qu'il vous
+racontera de ce pays-ci. Il soupire après la bière, et l'oisiveté, et sa
+femme, et le diable sait quoi en outre. Pour mon compte, je n'ai éprouvé
+ni _désappointement_ ni dégoût. J'ai vécu avec des hommes du plus haut
+comme du plus bas rang; j'ai passé des journées dans le palais d'un
+pacha, et plus d'une nuit dans une étable; partout j'ai trouvé un peuple
+inoffensif et bienveillant. J'ai passé aussi quelque tems avec les Grecs
+les plus distingués de la Morée et de la Livadie; et quoiqu'ils ne
+vaillent pas les Turcs, j'en fais plus de cas que des Espagnols, qui, à
+leur tour, l'emportent sur les Portugais.
+
+»Vous trouverez dans les voyageurs mainte description de Constantinople;
+mais lady Wortley-Montague est tombée dans une étrange erreur, quand
+elle a dit que Saint-Paul ferait une singulière figure à coté de
+Sainte-Sophie. J'ai vu ces deux édifices, et j'en ai examiné avec
+beaucoup d'attention l'intérieur et l'extérieur. Sainte-Sophie, sans
+aucun doute, est le plus intéressant des deux, et par son immense
+antiquité, et parce que tous les empereurs grecs depuis Justinien y ont
+été couronnés, que plusieurs y ont été assassinés sur les marches mêmes
+de l'autel, et aussi parce que les sultans turcs s'y rendent
+régulièrement. Mais elle n'est ni aussi belle ni aussi grande que
+quelques autres mosquées, telles que celle de Soleyman, etc., et on ne
+peut la mettre en parallèle avec Saint Paul (j'en parle peut-être comme
+un cockney[135]). Néanmoins je préfère la cathédrale gothique de
+Séville, à Saint-Paul, à Sainte-Sophie et à tous les édifices religieux
+que j'aie jamais vus.
+
+ [Note 135: Sorte de sobriquet par lequel on désigne, en
+ Angleterre, les natifs de Londres.]
+
+»Les murs du sérail ressemblent à ceux des jardins de Newstead, un peu
+plus élevés cependant, et à peu près dans le même état de conservation.
+Mais la promenade en longeant les murs de la ville du côté de la terre,
+est d'une beauté remarquable. Figurez-vous quatre milles d'un triple
+rang d'immenses créneaux tapissés de lierre, surmontés de deux cent
+dix-huit tours, et de l'autre côté de la route, les sépultures turques
+(qui sont les lieux les plus charmans de la terre) ombragées par
+d'énormes cyprès.
+
+J'ai contemplé les ruines d'Athènes, d'Éphèse et de Delphes; j'ai
+traversé une grande partie de la Turquie, plusieurs autres contrées de
+l'Europe et quelques-unes de l'Asie; mais nul ouvrage de la nature ou de
+l'art ne produisit jamais sur moi autant d'impression que le point de
+vue qui se développe de chaque côté des Sept Tours jusqu'à l'extrémité
+de la Corne d'Or.
+
+»Parlons maintenant de l'Angleterre. J'apprends avec plaisir le succès
+des _Bardes anglais_, etc. Vous n'avez pu manquer d'observer les
+nombreuses additions que j'ai faites à l'édition nouvelle.
+
+»Avez-vous reçu mon portrait par Sanders, peintre à Londres, Vigo-Lane?
+Il était terminé et payé long-tems avant mon départ. Il me semble que
+vous aimez prodigieusement la lecture des _Magazines_; où déterrez-vous
+tant de nouvelles, de citations, etc.? Quoique je me trouve heureux
+d'avoir pu prendre mon rang à la Chambre sans le secours de lord
+Carlisle, je n'avais pas de ménagemens à garder envers un homme qui a
+refusé, dans cette circonstance, d'intervenir comme mon parent; et j'ai
+rompu sans retour avec lui, quoique je regrette d'affliger Mrs. Leigh.
+Pauvre femme! j'espère qu'elle est heureuse.
+
+»Mon avis est que M. B... doit épouser miss R... Notre premier devoir
+est de ne pas faire le mal; mais, hélas! cela n'est pas possible: le
+second est de le réparer, si nous en avons le pouvoir. Cette jeune fille
+est son égale; si elle ne l'était pas, une somme d'argent et l'entretien
+assuré à l'enfant feraient une sorte de compensation, quoique bien
+insuffisante; mais dans l'état des choses, son devoir est de l'épouser.
+Je ne veux pas de galans séducteurs sur mes domaines, et je n'accorderai
+pas à mes fermiers un privilége dont je m'abstiens moi-même, celui de
+débaucher les filles des uns et des autres. J'ai, Dieu le sait, bien des
+excès à me reprocher; mais comme j'ai pris la résolution de me réformer,
+et que je ne m'en suis pas écarté depuis quelque tems, je compte que ce
+Lothario suivra mon exemple, et commencera par rendre la jeune personne
+à la société; sinon, par la barbe de mon père! je jure qu'il s'en
+repentira.
+
+»Je vous prie de vous intéresser à Robert, à qui mon absence sera bien
+pénible. Le pauvre garçon! c'est bien malgré lui qu'il s'en est
+retourné.
+
+»J'espère que vous êtes bien portante et heureuse. J'aurai grand plaisir
+à recevoir de vos nouvelles.
+
+»Croyez-moi bien sincèrement, etc.
+
+BYRON.
+
+»_P. S._ Comment se porte Joe Murray? Je rouvre ma lettre pour vous dire
+que Fletcher m'ayant demandé de m'accompagner en Morée, je l'emmène avec
+moi, quoique je vous aie annoncé le contraire.»
+
+Le lecteur n'aura pas manqué, je l'espère, de remarquer la fin de cette
+lettre. L'énergie des sentimens moraux qui y sont exprimés si
+naturellement, semble le sûr garant d'un cœur dont le fond était pur,
+quoique les passions en eussent terni la surface. Quelques années plus
+tard, quand il eut contracté l'habitude de cette raillerie amère, dont,
+par malheur, il se plaisait à diriger les traits contre sa sensibilité
+et contre celle des autres, je ne sais, quoiqu'il fût encore animé des
+mêmes sentimens louables, si la fausse honte de passer pour vouloir se
+faire une réputation de vertu, n'en aurait pas arrêté la franche et
+honnête manifestation.
+
+L'extrait suivant, tiré d'une communication adressée à un recueil
+mensuel très-estimé, par un voyageur qui, à cette époque, rencontra Lord
+Byron à Constantinople, me paraît être assez authentique pour que je le
+présente, sans hésiter, à mes lecteurs.
+
+«Nous fûmes interrompus dans notre discussion par l'entrée d'un
+étranger, qu'au premier coup-d'œil je crus reconnaître pour un Anglais,
+mais qui devait n'être arrivé que depuis peu à Constantinople. Il était
+vêtu d'un habit écarlate, richement brodé en or, dans le genre de
+l'uniforme des aides-de-camp en Angleterre, avec deux grosses
+épaulettes. Sa figure annonçait environ vingt-deux ans. Ses traits,
+d'une délicatesse remarquable, lui auraient donné une apparence
+féminine, sans l'expression toute virile de ses beaux yeux bleus. En
+entrant dans la boutique intérieure, il ôta son chapeau militaire orné
+d'un panache, et découvrit une forêt de cheveux bruns bouclés qui
+relevaient encore la beauté peu commune de son visage. L'ensemble de son
+extérieur me fit une telle impression, qu'elle est toujours depuis
+restée profondément gravée dans ma mémoire; et quoique ce soit un
+souvenir de quinze ans, ce laps de tems n'en a pas altéré la vivacité.
+Il était accompagné d'un janissaire attaché à l'ambassade anglaise et
+d'un homme qui, par état, servait de _Cicerone_ aux étrangers. Ces
+circonstances, jointes à ce qu'il boitait très-visiblement, me
+convainquirent à l'instant que c'était Lord Byron. J'avais déjà entendu
+parler de Sa Seigneurie et de son arrivée récente sur la frégate _la
+Salsette_, qui s'était détachée de la station de Smyrne pour venir
+prendre et emmener M. Adair, notre ambassadeur près de la Porte. Lord
+Byron avait auparavant voyagé en Épire et dans l'Asie Mineure avec son
+ami M. Hobhouse, et était devenu grand fumeur de tabac. Il s'était fait
+conduire à cette boutique dans le dessein d'y acheter quelques pipes.
+L'italien assez mauvais dont il se servait en parlant à son cicerone, et
+le turc encore plus imparfait de celui-ci, ne permettaient guère au
+marchand de comprendre facilement ce qu'ils désiraient; et comme
+l'étranger en paraissait contrarié, je lui adressai la parole en
+anglais, et m'offris à lui servir d'interprète. Quand il m'eut ainsi
+reconnu pour un Anglais, Lord Byron me serra cordialement la main, et
+m'assura, avec quelque chaleur, du grand plaisir qu'il éprouvait
+toujours lorsqu'il rencontrait un compatriote en pays étranger. Ses
+emplettes et les miennes étant terminées, nous sortîmes ensemble, et
+parcourûmes les rues, dans plusieurs desquelles j'eus le plaisir de
+diriger son attention vers quelques-unes des curiosités les plus
+remarquables de Constantinople. Les circonstances particulières qui nous
+avaient amenés à faire connaissance, firent naître entre nous, dès le
+premier jour, un certain degré d'intimité que très-probablement deux ou
+trois années de fréquentation n'auraient pas produit en Angleterre. Je
+prononçai souvent son nom en lui parlant, mais il ne lui vint pas à
+l'esprit de me demander comment j'avais pu l'apprendre, ni de s'informer
+du mien. Il n'avait pas encore jeté les fondemens de cette célébrité
+littéraire qu'il a acquise dans la suite; on ne le connaissait, au
+contraire, que comme auteur des _Heures d'oisiveté_; et la sévérité avec
+laquelle les rédacteurs de _la Revue d'Édimbourg_ avaient critiqué cette
+production, était encore présente au souvenir de tout lecteur anglais.
+On ne pouvait donc pas supposer qu'en recherchant sa connaissance je
+fusse poussé par aucun de ces motifs de vanité auxquels tant d'autres
+ont cédé depuis. Mais il était tout naturel qu'après notre rencontre
+fortuite et tout ce qui s'était passé entre nous à cette occasion, je
+priasse l'un des secrétaires de l'ambassade de me présenter à lui dans
+les formes, un jour de la même semaine, que nous dînions ensemble chez
+l'ambassadeur. Sa Seigneurie assura qu'elle se souvenait parfaitement de
+moi; mais ce fut avec une extrême froideur, et immédiatement après elle
+me tourna le dos. Ce procédé sans cérémonie qui contrastait d'une
+manière si prononcée avec les circonstances précédentes, me parut si
+étrange qu'il me fut impossible de me l'expliquer, et que je me sentis
+en même tems fort disposé à beaucoup rabattre de l'opinion favorable que
+son apparente franchise m'avait fait concevoir à notre première
+entrevue. Ce ne fut donc pas sans surprise que, quelques jours après, je
+le vis dans la rue s'avancer vers moi avec un sourire plein de
+bienveillance. Il m'aborda familièrement, et me dit en me tendant la
+main: «Je suis ennemi déclaré de l'étiquette anglaise, surtout hors
+d'Angleterre; et quand je fais une nouvelle connaissance, c'est sans
+attendre les formalités d'une présentation. Si vous n'avez rien à faire,
+et que vous soyez disposé à une autre promenade, votre société me fera
+beaucoup de plaisir.» Il mit dans sa manière d'agir cette irrésistible
+attraction dont ceux qui ont eu le bonheur d'être admis dans son
+intimité ont pu seuls éprouver la puissance dans ses momens de bonne
+humeur, et j'acceptai avec empressement sa proposition. Nous visitâmes
+de nouveau les curiosités les plus remarquables de la capitale, que je
+ne décrirai point ici pour ne pas répéter les détails pleins
+d'exactitude et de précision que des centaines de voyageurs en ont déjà
+donnés; mais Sa Seigneurie se trouva fort _désappointée_ par le peu
+d'intérêt qu'elles présentaient. Il loua les beautés pittoresques de la
+ville et des paysages qui l'environnent, et me parut d'avis que, cela
+excepté, rien n'était digne d'attirer l'attention d'un observateur. Il
+parla des Turcs de manière à faire supposer qu'il avait fait un long
+séjour parmi eux, et termina ses réflexions par ces mots: «Les Grecs,
+tôt ou tard, s'insurgeront contre eux; mais s'ils ne se hâtent pas,
+j'espère que Bonaparte viendra chasser cette inutile canaille[136].»
+
+ [Note 136: _New Monthly Magazine_.]
+
+Pendant sa résidence à Constantinople, le ministre d'Angleterre, M.
+Adair, se trouvant presque toujours indisposé, ne le vit que
+très-rarement. Il le pressa cependant avec instance de venir loger au
+palais de l'ambassade; mais Lord Byron, qui préférait la liberté dont il
+jouissait dans une simple hôtellerie, refusa ses offres hospitalières.
+
+Lors de l'audience de congé accordée à l'ambassadeur par le sultan, le
+noble poète, pour y assister, se mêla au cortége de M. Adair, non sans
+avoir témoigné, relativement à la place qu'il occuperait dans la marche,
+une anxiété bien caractéristique de sa jalouse susceptibilité toutes les
+fois qu'il s'agissait de son rang. En vain l'ambassadeur l'assura-t-il
+qu'on ne pouvait pas lui assigner une place particulière; que les Turcs,
+dans leurs dispositions relatives au cérémonial, ne tenaient compte que
+des personnes attachées à l'ambassade, et qu'ils négligeaient ou
+ignoraient les distinctions de préséance accordées chez nous à la
+noblesse. Enfin voyant que le jeune pair ne se laissait pas convaincre
+par ces raisons, M. Adair fut obligé d'en appeler à une autorité qui
+passait pour infaillible en matière d'étiquette; c'était le vieux
+internonce d'Autriche. Lord Byron l'ayant consulté sur ce point, et le
+trouvant entièrement d'accord avec le ministre d'Angleterre, déclara
+qu'il était parfaitement satisfait.
+
+Le 14 juillet, son compagnon de voyage et lui partirent de
+Constantinople, à bord de la frégate _la Salsette_; M. Hobhouse dans le
+dessein d'accompagner l'ambassadeur en Angleterre, et Lord Byron pour
+visiter de nouveau sa chère Grèce. M. Adair crut remarquer à cette
+époque qu'il était plongé dans un profond abattement d'esprit, et je
+trouve que M. Bruce, qui le rencontra plus tard à Athènes, en porta le
+même jugement. On m'a raconté, comme ayant eu lieu pendant cette
+traversée, une circonstance fort remarquable. En se promenant sur le
+pont, il aperçut un petit yataghan ou poignard turc, qu'on avait laissé
+sur un banc. Il le prit, le tira du fourreau, et après en avoir quelques
+instans examiné la lame, on l'entendit qui disait à demi-voix:
+«J'aimerais à savoir ce que ressent un homme après avoir commis un
+meurtre!» On peut, je crois, dans ce surprenant propos, découvrir le
+germe de ses poèmes futurs du _Giaour_ et de _Lara_. C'est cet ardent
+désir de soumettre à l'examen les opérations mystérieuses des passions,
+qui, secondé par son imagination, lui en donna enfin le pouvoir; et
+peut-être trouverait-on que les émotions qui produisirent ces paroles
+n'étaient que la première manifestation de cette faculté qui lui valut
+plus tard, à juste titre, le surnom de _Scrutateur des abymes du
+cœur_[137].
+
+ [Note 137: _Searcher of dark bosoms_.]
+
+En approchant de l'île de Zéa, il demanda à être mis à terre. En
+conséquence, après qu'il eut fait ses adieux à son ami, on le débarqua
+sur cette petite île avec ses deux Albanais, un Tartare et un domestique
+anglais. Il a décrit lui-même dans un de ses manuscrits, les sentimens
+de fierté solitaire avec lesquels, debout sur le rivage, il regarda le
+vaisseau s'éloigner à pleines voiles, le laissant seul sur une terre
+étrangère.
+
+Quelques jours après, il adressa d'Athènes la lettre suivante à Mrs.
+Byron:
+
+
+
+
+LETTRE XLVI.
+
+À MRS. BYRON.
+
+Athènes, 15 juillet 1810.
+
+
+CHÈRE MÈRE,
+
+«Je suis arrivé de Constantinople ici en quatre jours, ce que l'on
+considère comme une traversée extrêmement rapide, surtout dans cette
+saison de l'année. Vous autres habitans du nord, vous ne pouvez pas vous
+faire une idée de ce que c'est que l'été en Grèce; et pourtant un vrai
+tems de gelée en comparaison des étés de Malte et de Gibraltar, sous les
+ombrages desquels je me suis reposé l'année dernière, après un petit
+mouvement de galop de quatre cents milles, sans interruption, à travers
+l'Espagne et le Portugal. La date de ma lettre vous apprend que je suis
+de nouveau à Athènes, ville que je préfère, tout bien considéré, à
+toutes celles que je connais....
+
+«Pour première excursion, je pars demain pour la Morée, où je compte
+passer un mois ou deux, puis revenir prendre ici mes quartiers d'hiver,
+à moins que je ne change mes plans, à la vérité, fort variables, comme
+vous pouvez bien le supposer, mais dont aucun ne me dirige vers
+l'Angleterre.
+
+«Le marquis de Sligo, mon ancien camarade de collége, est ici, et désire
+m'accompagner en Morée. Ainsi nous partirons ensemble. Lord Sligo
+continuera ensuite sa route vers la capitale, et Lord Byron, après avoir
+examiné toutes les curiosités de ce canton, vous instruira de ce qu'il
+se propose de faire, car c'est un point sur lequel ses idées ne sont
+pas, pour le moment, parfaitement arrêtées. Malte est mon bureau de
+poste perpétuel; c'est de là que mes lettres sont dirigées vers tous les
+points de la terre habitable: remarquez en passant que j'ai déjà vu
+l'Asie, l'Afrique, le levant de l'Europe, et tiré le meilleur parti de
+mon tems, sans avoir pour cela examiné trop à la hâte les lieux les plus
+intéressans de l'ancien monde. F..., après avoir été grillé, rôti, cuit
+dans son jus; après avoir servi de pâture à toutes sortes d'insectes
+rampans, commence à philosopher; il se réforme et se résigne, et promet
+d'être à son retour un des ornemens de sa paroisse et un personnage fort
+saillant dans la généalogie des Fl.... qui tiennent, à mon avis, des
+Goths par leurs talens, des Grecs par leur pénétration, et des anciens
+Saxons par leur énorme appétit. Il me demande la permission d'envoyer
+une demi-douzaine de soupirs à Sally, son épousée, et s'émerveille, mais
+non pas moi, de ce que ses lettres, d'une écriture et d'une orthographe
+détestables, ne sont jamais parvenues en Angleterre. Au demeurant, ce
+n'est pas une grande perte que celle de ses lettres ou des miennes qui
+n'ont guère d'autre mérite que de vous apprendre, comme celle-ci, que
+nous nous portons bien, et chaudement, Dieu sait! Ne comptez pas, en
+cette saison, sur de longues lettres; car elles sont, je vous assure,
+écrites à la sueur de mon front. Il est passablement singulier que M.
+H.... ne m'ait pas adressé une syllabe depuis mon départ. Comme toutes
+vos lettres me sont parvenues ainsi que beaucoup d'autres, je conjecture
+que l'homme de loi est fâché ou qu'il a trop d'affaires.
+
+«J'espère que vous vous plaisez à Newstead, et que vous vivez en bonne
+intelligence avec vos voisins, quoique vous soyez un vrai dragon, comme
+vous savez; ne voilà-t-il pas une épithète bien respectueuse? Je vous
+prie d'avoir grand soin de mes livres, ainsi que de plusieurs boîtes
+remplies de papiers qui sont entre les mains de Joseph; et, s'il vous
+plaît, laissez-moi quelques bouteilles de champagne à boire, car je suis
+terriblement altéré. Je n'insiste pourtant sur ce dernier point
+qu'autant qu'il vous arrangera. Je suppose que vous avez une pleine
+maison de commères bien bavardes et bien médisantes. Avez-vous reçu mon
+portrait à l'huile par Sanders, de Londres? Il est payé depuis seize
+mois, pourquoi ne vous le faites-vous pas remettre? Ma suite, composée
+de deux Turcs, deux Grecs, un Luthérien et de l'équivoque Fletcher, fait
+un tel vacarme que je suis bien aise de finir en vous assurant que je
+suis, etc.»
+
+BYRON.
+
+Un jour ou deux après la date de cette lettre, il partit d'Athènes avec
+le marquis de Sligo. Après avoir voyagé de compagnie jusqu'à Corinthe,
+ils prirent chacun une direction différente; lord Sligo pour visiter la
+capitale de la Morée, et Lord Byron pour se rendre à Patras, où il
+avait, comme on le verra dans la lettre suivante, quelques affaires à
+régler avec le consul anglais, M. Strané.
+
+
+
+
+LETTRE XLVII.
+
+A MRS. BYRON.
+
+Patras, 30 juillet 1810.
+
+
+CHÈRE MADAME,
+
+«En quatre jours, avec un vent favorable, la frégate m'a transporté de
+Constantinople à l'île de Céos, où j'ai pris un bateau pour me rendre à
+Athènes. J'ai rencontré dans cette ville mon ami le marquis de Sligo qui
+m'a témoigné le désir de voyager avec moi jusqu'à Corinthe. Là, nous
+nous sommes séparés, lui pour aller à Tripolitza, et moi pour me rendre
+à Patras, où j'avais quelques affaires à régler avec le consul M.
+Strané, de la maison duquel je vous écris. Il m'a rendu tous les
+services possibles depuis que j'ai quitté Malte pour me rendre à
+Constantinople, d'où je vous ai écrit deux ou trois fois. J'irai dans
+quelques jours faire une visite au pacha de Tripolitza, puis je ferai le
+tour de la Morée, et je retournerai à Athènes, où j'ai fixé mon
+quartier-général. Nous éprouvons ici de violentes chaleurs. En
+Angleterre, quand le thermomètre s'élève à 98 degrés[138], vous êtes
+tout en feu; l'autre jour, tandis que j'allais d'Athènes à Mégare, il
+marquait 125 degrés: cependant je n'en suis pas incommodé. J'ai, comme
+cela doit être, le teint fort bruni; mais je vis avec une grande
+tempérance, et je ne me suis jamais mieux porté.
+
+ [Note 138: De Fahrenheit.]
+
+»Avant de quitter Constantinople, j'ai vu le sultan (avec M. Adair) et
+l'intérieur des mosquées, ce qui n'arrive que bien rarement aux
+voyageurs. M. Hobhouse est parti pour l'Angleterre; quant à moi, je ne
+me sens pas pressé d'en faire autant. Je n'ai rien de particulier à
+faire savoir dans votre pays, si ce n'est l'extrême surprise que me
+cause le silence de M. H... Je désire aussi qu'il m'adresse
+régulièrement des fonds. Je suppose qu'on a pris des arrangemens en ce
+qui regarde Wymondham et Rochdale. Adressez vos lettres à Malte ou à M.
+Strané, consul-général, à Patras, Morée. Vous vous plaignez de mon
+silence; mais je vous ai écrit vingt ou trente fois dans le courant de
+l'année dernière: jamais moins de deux fois par mois, et souvent
+davantage. Si mes lettres ne vous parviennent pas, il ne faut pas
+conclure qu'on nous a dévorés, ou que ce pays-ci est désolé par la
+guerre, la peste ou la famine: ne croyez pas non plus tous les bruits
+absurdes qui ne manquent sûrement pas de circuler dans le
+Nottinghamshire comme c'est l'usage. Je suis fort bien ici, ni plus ni
+moins heureux qu'à mon ordinaire; si ce n'est que je suis fort aise de
+me retrouver seul, car je commençais à me lasser de mon compagnon de
+voyage; non pas que j'eusse à m'en plaindre, mais parce que je suis
+naturellement porté vers la solitude, et que cette disposition prend de
+jour en jour plus de force. Si je le désirais, je ne manquerais pas de
+compagnons de voyage, il s'en présente tous les jours. L'un veut
+m'emmener en Égypte, l'autre en Asie, dont j'ai vu tout ce que j'en veux
+voir. Je connais déjà la plus grande partie de la Grèce, de sorte que je
+me contenterai de retourner aux lieux que j'ai déjà parcourus, de
+contempler mes mers et mes montagnes, seules connaissances dont j'aie
+jamais tiré quelque utilité.
+
+»J'ai une suite fort présentable; elle se compose d'un Tartare, de deux
+Albanais, d'un interprète et de Fletcher; mais dans ce pays-ci on en est
+quitte à peu de frais. Adair m'a fait un accueil merveilleux, et dans le
+fait je n'ai à me plaindre de personne. L'hospitalité ici est
+nécessaire, car on n'y voit point d'hôtelleries. J'ai logé chez des
+Grecs, des Turcs, des Italiens, des Anglais; aujourd'hui dans un palais,
+demain dans une étable; un jour avec le pacha, le suivant avec le
+berger. Je continuerai à vous écrire brièvement, mais fréquemment, et je
+suis toujours heureux d'apprendre de vos nouvelles; mais vous remplissez
+votre papier d'extraits de journaux, comme si ceux d'Angleterre ne se
+trouvaient pas dans tous les lieux du monde. J'en ai une douzaine, en ce
+moment, devant moi. Je vous prie de veiller à ce qu'on ait soin de mes
+livres, et de me croire, chère mère, etc.»
+
+Il paraît qu'il passa la plus grande partie des deux mois suivans à
+parcourir la Morée[139]; et dans plusieurs lettres il parle avec
+beaucoup de satisfaction de la réception très-distinguée que lui fit
+Véli-Pacha, fils d'Ali.
+
+ [Note 139: Dans une note de l'avertissement qui précède son
+ _Siége de Corinthe_, il dit: «Je visitai ces trois villes
+ (Tripolitza, Napoli et Argos) en 1810-11; et durant mes
+ diverses excursions dans le pays, depuis mon arrivée en 1809,
+ je traversai l'Isthme huit fois en passant de l'Attique en
+ Morée, par les montagnes, ou dans l'autre direction, lorsque
+ j'allais du golfe d'Athènes à celui de Lépante.»]
+
+À son retour à Patras, il fut saisi d'une maladie, dont il raconte les
+particularités dans la lettre suivante adressée à M. Hodgson; elles
+sont, à beaucoup d'égards, si conformes à celles de la maladie fatale
+qui l'enleva, quatorze ans plus tard, presque aux mêmes lieux, que,
+malgré la gaîté du récit, il est difficile de le lire sans être
+douloureusement affecté.
+
+
+
+
+LETTRE XLVIII.
+
+À M. HODGSON.
+
+Patras (Morée), 3 octobre 1810.
+
+
+«Comme je suis à peine délivré du médecin et de la fièvre, qui m'ont
+retenu cinq jours au lit, je vous prie de ne pas compter sur beaucoup
+d'_allegrezza_ dans cette lettre. Il règne ici une maladie endémique
+qui, lorsque le vent vient du golfe de Corinthe (comme il arrive cinq
+mois sur six), attaque grands et petits, et fait de terribles ravages
+parmi les voyageurs étrangers. Il y a, de plus, deux médecins, dont l'un
+est plein de confiance dans son génie naturel, car il n'a jamais étudié,
+et dont l'autre a pour tous titres une campagne de dix-huit mois contre
+les malades d'Otrante, qu'il a faite dans sa jeunesse avec de grands
+résultats.
+
+»Lorsque je tombai malade, je protestai contre les tentatives de _ces_
+deux assassins; mais que peut faire pour sa défense un pauvre diable
+affaibli, dévoré par la fièvre, et inondé de potions. Malgré moi et mes
+dents, je vis le consul anglais, mon Tartare, mes Albanais, mon
+interprète se réunir pour me livrer au médecin, à l'aide duquel ils
+m'ont, trois jours durant, émétisé et clystérisé jusqu'à ne me laisser
+que le souffle. C'est dans cet état que j'ai fait mon épitaphe. Tenez,
+la voici:
+
+«La jeunesse, la nature et la pitié des dieux combattirent long-tems
+pour tenir ma lampe allumée; mais le redoutable Romanelli triompha de
+leurs efforts, et son souffle en éteignit la flamme tremblante[140].»
+
+ [Note 140:
+
+ Youth, nature, and relenting jove,
+ To keep my lamp _in_ strongly strove;
+ But Romanelli was so stout,
+ He beat all three, and blew it _out_.]
+
+»Cependant la nature et les dieux, piqués de mon peu de foi dans leur
+pouvoir, ont à la fin triomphé tout de bon de Romanelli, et je vis
+encore, bien à votre service, quoique ma faiblesse soit extrême.
+
+»Depuis que j'ai quitté Constantinople, j'ai parcouru la Morée et visité
+Véli-Pacha, qui m'a rendu de grands honneurs, et donné un fort joli
+étalon. H*** est sûrement en Angleterre à l'heure où je vous écris; je
+l'ai chargé d'une dépêche pour votre poétique individu. Il m'écrit de
+Malte, et me demande mon journal, en cas que j'en tienne un. Si j'en
+faisais un, il l'aurait. Je lui ai adressé en réponse une épître de
+consolations et d'exhortations, où je le prie de réduire de trois schl.
+et six pences le prix de sa prochaine publication, vu qu'une demi-guinée
+est un trop haut prix pour toute autre chose qu'un billet d'Opéra.
+
+»Quant à l'Angleterre, je n'en ai pas eu de nouvelles depuis bien
+long-tems. Toutes les personnes qui prennent quelque intérêt à ce qui me
+regarde sont, je crois, endormies, et vous êtes mon seul correspondant,
+à l'exception des gens d'affaires. Je n'ai réellement pas d'amis au
+monde, quoique ce monde soit peuplé de mes anciens condisciples, qui s'y
+promènent revêtus de curieux déguisemens, en officiers des gardes, en
+hommes de loi, en ecclésiastiques, en hommes à la mode, et autres habits
+de caractères; aussi fais-je mes adieux à tous ces messieurs si
+affairés, dont pas un ne daigne m'écrire. Au fait, je ne les en ai pas
+priés; et me voilà ici, pauvre voyageur et philosophe un peu païen, qui,
+après avoir parcouru la plus grande partie du Levant et vu force terres
+et mers, dont on pourrait tirer fort bon parti, ne vaux, après tout,
+guère mieux qu'avant de me mettre en route. Que Dieu me soit en aide!
+
+»Il y a aujourd'hui même quinze mois que je suis parti, et je pense que
+mes intérêts me rappelleront bientôt en Angleterre; mais je vous en
+donnerai régulièrement avis de Malte. Hobhouse vous donnera tous les
+renseignemens possibles, si vous êtes curieux de connaître nos
+aventures. J'ai lu quelques vieilles gazettes anglaises qui vont
+jusqu'au 15 mai. J'y vois l'annonce de la _Dame du Lac_. Il va sans dire
+que l'auteur ne s'est pas départi de sa manière, qui rappelle l'ancienne
+ballade, et que le poème est bon. Tout balancé, Scott n'a pas de rivaux;
+le but de tout griffonnage est d'amuser, et certainement il y réussit.
+Je brûle de lire son nouvel ouvrage.
+
+»Et que deviennent _sir Edgard_ et votre ami Bland? Je suppose que vous
+êtes engagé dans quelque chicane littéraire. Le seul parti à prendre,
+c'est de regarder du haut en bas tous les confrères de l'écritoire. Je
+suppose bien que vous ne m'accorderez pas le titre d'auteur; mais je
+vous dédaigne tous, coquins que vous êtes! comptez là-dessus.
+
+»Vous ne connaissez pas D...s, n'est-ce pas? Il avait une farce prête à
+être jouée quand je partis d'Angleterre, et me pria d'en faire le
+prologue: ce que je lui promis; mais mon départ fut si précipité que je
+n'en écrivis pas le premier couplet. Je n'ose m'informer de sa pièce, de
+peur d'apprendre qu'elle est tombée. Que Dieu me pardonne d'employer un
+tel mot! mais le parterre, mon cher monsieur, le parterre, vous le
+savez, se permet de ces tours-là, en dépit du mérite. C'est une
+circonstance fort curieuse qui me rappelle cette farce. Quand Drury-Lane
+fut brûlé de fond en comble, accident qui fit perdre à Shéridan et à son
+fils le peu de schellings qui leur restassent, que fait mon ami D...s?
+Avant que l'incendie soit éteint, il écrit à Tom Shéridan, directeur du
+combustible établissement, pour lui demander si cette farce n'a pas
+servi d'aliment aux flammes, avec environ deux mille autres manuscrits
+non jouables qui naturellement furent en grand péril, sinon entièrement
+consumés. Eh bien! n'est-ce pas là un trait caractéristique? Les
+passions de Pope ne sont rien en comparaison. Tandis que le pauvre
+directeur, tout bouleversé, déplorait la perte d'un édifice qui ne
+valait pas moins de trois cent mille livres sterling, avec quelque vingt
+mille autres que pouvaient avoir coûté les chiffons et le clinquant des
+costumes, les éléphans de _Barbe bleue_ et le reste, voici venir un
+billet d'un endiablé d'auteur qui le rend responsable de deux actes et
+quelques scènes de sa farce!
+
+»Mon cher H..., rappelez à Drury que je lui souhaite mille prospérités,
+et priez Scrope Davies de me conserver son amitié. J'appelle de mes vœux
+le jour où je vous reverrai à Newstead, et où le champagne égaiera
+encore nos soirées: cet espoir me réjouit l'ame. Je n'ai laissé passer
+aucune occasion sans vous écrire; j'attends donc des réponses aussi
+régulières que celles de la Liturgie, et quelque peu plus longues. Comme
+il est impossible à un homme dans son bon sens de compter sur d'heureux
+jours, espérons au moins que nous en verrons de joyeux, ce qui y
+ressemble le plus en apparence, quoiqu'il n'en soit rien en réalité.
+
+»C'est dans cette attente que je suis, etc.»
+
+Faible et fort amaigri par suite de sa maladie à Patras, un jour, après
+son retour à Athènes, debout devant une glace, il dit à lord Sligo:
+«Comme je suis pâle! j'aimerais, je crois, à mourir de
+consomption.--Pourquoi de consomption? demanda son ami.--Parce qu'alors,
+répondit-il, toutes les femmes diraient: Voyez ce pauvre Byron, comme il
+a l'air intéressant en mourant!»
+
+Dans cette anecdote que, toute frivole qu'elle est, le narrateur citait
+comme une preuve du sentiment que le poète avait de sa propre beauté, on
+peut aussi trouver la trace de son habitude de tout rapporter à ce sexe
+qu'il affectait de mépriser, et qui cependant exerçait une puissante
+influence sur le cours et la teinte de toutes ses pensées.
+
+Il parlait souvent de sa mère à lord Sligo avec des sentimens qui
+s'éloignaient bien peu de l'aversion. «Quelque jour, lui dit-il, je vous
+expliquerai la cause de cette disposition de mon cœur.» Peu de tems
+après, un jour qu'ils se baignaient ensemble dans le golfe de Lépante,
+il rappela cette promesse, et montrant sa jambe et son pied nus. «Voyez,
+s'écria-t-il, c'est à ses absurdes faiblesses à l'époque de ma naissance
+que je dois cette difformité, et pourtant, d'aussi loin que je puisse me
+souvenir, elle n'a jamais cessé de me la reprocher. Même encore peu de
+jours avant notre dernière séparation, au moment où j'allais quitter
+l'Angleterre, elle prononça contre moi une imprécation dans un de ses
+accès de colère, et souhaita que je pusse devenir aussi difforme
+d'esprit que de corps!»
+
+L'expression de sa physionomie et de ses gestes ne peuvent être bien
+conçus que par ceux qui l'ont vu quelquefois dans un pareil état
+d'excitation.
+
+Habitué à manifester sans réserve ses sentimens et ses pensées, il ne
+déguisait pas davantage le peu de prix qu'il attachait à ces débris des
+arts antiques, qu'il voyait si ardemment recherchés par tous ses
+classiques compagnons de voyage. Lord Sligo se proposait d'employer
+quelque argent à faire faire des fouilles pour chercher des antiquités.
+Lord Byron, en lui offrant de surveiller ces travaux, et de tenir la
+main à ce que cet argent reçût une destination légitime, lui dit: «Vous
+pouvez être bien tranquille en vous en rapportant à moi, je ne suis pas
+_dilettante_. Tous vos connaisseurs sont des voleurs; mais je fais trop
+peu de cas de ces sortes de choses pour en dérober jamais.»
+
+Il observa plus sévèrement encore, pendant ses voyages, le régime qu'il
+avait adopté pour se faire maigrir, et qu'il avait commencé à suivre
+avant de quitter l'Angleterre. À Athènes, il prenait, dans ce dessein,
+des bains chauds trois fois la semaine; sa boisson habituelle était un
+mélange d'eau et de vinaigre, et il mangeait rarement autre chose qu'un
+peu de riz.
+
+Au nombre des personnes qu'il vit le plus à cette époque, outre lord
+Sligo, se trouvaient lady Hester Stanhope et M. Bruce; et même l'un des
+premiers objets qui s'offrirent aux yeux de ces voyageurs distingués, au
+moment où ils approchaient des côtes de l'Attique, fut Lord Byron se
+jouant dans son élément favori au pied des rochers du cap Colonne. Ils
+furent ensuite présentés les uns aux autres par lord Sligo; et ce fut,
+je crois, à sa table que, dans le cours de leur première entrevue, lady
+Hester, avec cette vive éloquence qui la rend si remarquable, fit
+chaudement la guerre au poète à propos de l'opinion peu favorable à
+l'intelligence des femmes, qu'elle lui supposait. Peu disposé, quand
+même il en eût été capable, à défendre une pareille hérésie contre une
+personne qui, par elle-même, en était la plus irrésistible réfutation,
+Lord Byron n'eut d'autre ressource contre les argumens de sa belle
+antagoniste, que le silence de l'assentiment. Lady Hester sut
+naturellement gré d'une pareille retenue de la part d'un homme de sa
+condition, et ils se lièrent, dès ce moment, de l'amitié la plus
+sincère. En rappelant dans ses _Memoranda_ quelques souvenirs de cette
+époque, après avoir raconté qu'il fut, à Sunium, surpris au bain par une
+société anglaise, il ajoute: «Ce fut le commencement de la plus agréable
+connaissance que j'aie faite en Grèce...» Puis il continue en protestant
+à M. Bruce, si jamais ces pages tombent sous ses yeux, qu'il se
+souvenait encore avec plaisir des jours qu'ils avaient passés ensemble à
+Athènes.
+
+Pendant son séjour en Grèce à cette époque, nous le voyons former une de
+ces amitiés singulières (si l'on peut prononcer ce beau nom en pareille
+circonstance), dont j'ai cité déjà deux ou trois exemples en traçant
+l'histoire de sa jeunesse, et dont le charme principal à ses yeux semble
+avoir consisté dans le plaisir d'être protecteur, et celui de faire
+naître des sentimens de reconnaissance. Un jeune Grec, nommé Nicolo
+Giraud, fils d'une dame veuve, chez laquelle logeait l'artiste Lusieri,
+fut celui qu'il adopta de cette manière, sans doute par suite d'idées
+semblables à celles qui avaient inspiré ses premiers attachemens pour le
+jeune paysan de Newstead, et pour le jeune chantre de Cambridge. Il
+paraît avoir porté à ce jeune homme un intérêt très-vif, et l'on peut
+dire fraternel; c'est au point que, non-seulement il lui fit accepter,
+en le quittant à Malte, une somme considérable, mais encore il lui donna
+dans la suite, comme le lecteur le verra, une preuve plus durable de sa
+générosité.
+
+Quoiqu'il fît de tems à autre des excursions en Attique et en Morée, il
+avait fixé son quartier-général à Athènes, où il logeait dans un couvent
+de franciscains; et dans les intervalles d'une tournée à l'autre, il
+s'occupait à recueillir des matériaux pour ces notes sur la situation de
+la Grèce moderne, dont il a fait suivre le second chant de _Childe
+Harold_. Ce fut aussi dans cette retraite qu'il composa, comme pour
+braver le _Genius loci_, ses imitations d'Horace. Cette satire, qui
+retrace d'un bout à l'autre des scènes de la vie de Londres, porte pour
+date: «Athènes, couvent des Capucines, 12 mars 1811.»
+
+Dans le petit nombre de lettres qu'il écrivit encore à sa mère, je ne
+choisirai que les deux suivantes.
+
+
+
+
+LETTRE XLIX.
+
+À MRS. BYRON.
+
+Athènes, 14 janvier 1811.
+
+
+CHÈRE MADAME,
+
+«Je saisis, suivant mon usage, une occasion d'écrire brièvement, mais
+fréquemment; l'arrivée des lettres, à défaut de communications
+régulières, étant fort incertaine... J'ai dernièrement fait plusieurs
+tournées de quelque cent ou deux cents milles en Morée et dans
+l'Attique, etc. J'ai terminé aussi ma grande excursion par la Troade et
+Constantinople, etc., et suis maintenant revenu encore une fois à
+Athènes. Je crois vous avoir écrit plusieurs fois qu'à l'imitation de
+Léandre (quoique sans sa dame), j'avais traversé l'Hellespont de Sestos
+à Abydos. Fletcher, que j'ai renvoyé en Angleterre avec des papiers,
+vous instruira de cette circonstance et de quelques autres. Je n'aurai
+pas, je crois, à me plaindre beaucoup de son absence, connaissant
+passablement l'italien et le grec moderne; j'étudie cette dernière
+langue avec un maître, et j'en sais tout ce qu'un homme raisonnable peut
+désirer pour converser et donner des ordres. En outre, les lamentations
+perpétuelles de Fletcher sur la privation de bœuf et de bière, son
+mépris stupide pour tout ce qui est étranger, son incapacité
+insurmontable pour apprendre le moindre mot d'aucune langue, le
+rendaient une charge, suivant l'usage de tous les autres domestiques
+anglais. Je vous assure que l'ennui de parler pour lui, les consolations
+dont il avait besoin (beaucoup plus que moi-même), les pilaus (mets turc
+composé de riz et de viande) qu'il ne pouvait manger, les vins qu'il ne
+pouvait boire, les lits dans lesquels il ne pouvait dormir, et la longue
+liste des calamités, telles que les faux pas des chevaux, le manque de
+thé!!! qui l'assaillaient sans cesse, l'auraient rendu un objet
+continuel de plaisanteries pour les spectateurs et d'embarras pour son
+maître. Après tout, l'homme est assez honnête et assez capable dans un
+pays chrétien; mais en Turquie, Dieu me pardonne! mes soldats albanais,
+mes Tartares et mes janissaires travaillaient pour lui et pour nous
+aussi, ainsi que mon ami Hobhouse peut le certifier.
+
+»Il est probable que je reviendrai en Angleterre au printems; mais pour
+l'exécution de ce projet, il me faut des remises. Mes propres fonds
+m'auraient très-bien suffi; mais j'ai été obligé d'aider un ami qui me
+paiera, j'en suis certain; et en attendant je n'ai pas le sou.
+Maintenant je ne me soucie pas d'entreprendre un voyage d'hiver, même
+quand je serais fatigué de voyager; et je suis tellement convaincu des
+avantages que l'on recueille à observer l'espèce humaine au lieu de lire
+ce que l'on en écrit, et des fâcheux effets de rester chez soi, en proie
+aux préjugés étroits d'un insulaire, que je pense qu'il devrait exister
+parmi nous une loi qui envoyât pour un tems les jeunes gens à
+l'étranger, chez le petit nombre d'alliés que nos guerres nous ont
+laissés.
+
+»Ici je vis et je converse avec des Français, des Italiens, des
+Allemands, des Danois, des Grecs, des Turcs, des Américains, etc., etc.,
+etc.; et sans perdre de vue mon pays, je puis juger des manières des
+autres. Quand je reconnais la supériorité de l'Angleterre (sur le compte
+de laquelle, soit dit en passant, nous nous abusons en bien des choses),
+j'en suis satisfait; et lorsque je la trouve inférieure, je m'éclaire au
+moins sous ce rapport. J'aurais pu continuer un siècle à être enfumé
+dans vos villes, ou à humer le brouillard dans vos campagnes, sans
+apprendre cette vérité, et sans rien acquérir chez moi de plus utile ou
+de plus agréable. Je ne tiens point de journal, et n'ai point
+l'intention de griffonner mes voyages. J'ai fini avec le métier
+d'auteur; et si, dans ma dernière production, j'ai prouvé aux critiques
+ou au monde que j'étais quelque chose de plus que ce qu'ils supposaient,
+je suis satisfait, et ne hasarderai point _cette réputation_ par un
+futur effort. Il est vrai que j'ai quelques autres productions en
+portefeuille; mais je les laisse pour ceux qui me survivront. Si on les
+juge dignes de la publication, elles serviront à éterniser ma mémoire,
+lorsque moi-même j'aurai cessé d'avoir un souvenir. J'ai pris ici un
+artiste bavarois qui prend pour moi quelques vues d'Athènes, etc. Cela
+vaudra mieux que du griffonnage, maladie dont j'espère être guéri. À mon
+retour, j'espère mener une vie tranquille et retirée; mais Dieu sait
+mieux que nous ce qu'il nous faut, et agit en conséquence, au moins à ce
+que l'on dit. Je n'ai point d'objection à faire à cela, après tout,
+n'ayant pas raison de me plaindre de mon lot. Je suis cependant
+convaincu que les hommes se font eux-mêmes plus de mal que le diable ne
+pourrait jamais leur en faire. J'espère que cette lettre vous trouvera
+en bonne santé, et autant heureuse que nous pouvons l'être. Vous
+apprendrez au moins avec plaisir qu'il en est ainsi pour moi, et que je
+suis à jamais votre...»
+
+
+
+
+LETTRE L.
+
+À MRS. BYRON.
+
+Athènes, 28 février 1811.
+
+
+CHÈRE MADAME,
+
+«Comme j'ai reçu un firman pour l'Égypte, etc., je partirai pour ce pays
+dans le courant du printems, et je vous prie de mander à M. H... qu'il
+est nécessaire de me faire parvenir des fonds. Au sujet de Newstead, je
+réponds, comme auparavant, non. S'il faut vendre, vendez Rochdale.
+Fletcher sera arrivé à cette époque avec mes lettres relatives à cet
+objet. Je vous dirai d'abord franchement que je n'aime pas les placemens
+de fonds. Si, par quelque circonstance particulière, j'étais amené à
+adopter une telle résolution, j'irais, à tout événement, passer ma vie à
+l'étranger: le seul lien qui m'attache à l'Angleterre est Newstead; et
+ce lien une fois rompu, ni mon intérêt ni mes inclinations ne
+m'appelleraient dans le Nord. La médiocrité dans votre pays est
+l'opulence en Orient, tant est grande la différence qui existe dans la
+valeur monétaire et l'abondance des objets nécessaires à la vie. Je me
+sens tellement un citoyen du monde, que le pays où je pourrai jouir d'un
+climat délicieux et de toutes les recherches du luxe, à un prix moindre
+que celui de la vie ordinaire de collége en Angleterre, sera toujours
+une patrie pour moi. Telles sont en effet les côtes de l'Archipel. Voici
+donc l'alternative:--Si je garde Newstead, je reviens; si je le vends,
+je reste à l'étranger. Je n'ai reçu d'autres lettres de vous que celles
+de juin, mais j'ai écrit plusieurs fois; et, comme à l'ordinaire, je
+continuerai d'après le même plan.
+
+»Croyez-moi à jamais votre, etc.
+
+BYRON.
+
+»_P. S._ Je vous verrai probablement dans le cours de l'automne; mais je
+ne puis réellement, à une telle distance, vous désigner aucun mois en
+particulier.»
+
+
+
+
+LETTRE LI.
+
+À M. HODGSON.
+
+À bord de la frégate _la Volage_[141], 29 juin 1811.
+
+ [Note 141: Le voyage d'Égypte, que, par la lettre précédente,
+ il semble avoir projeté, fut abandonné, probablement à défaut
+ des fonds qu'il attendait; et, le 3 de juin, il mit à la
+ voile de Malte pour l'Angleterre, sur la frégate _la Volage_,
+ ayant, pendant son court séjour à Malte, éprouvé une violente
+ attaque de fièvre tierce. D'après les lettres mélancoliques
+ qui suivent, on peut se faire une idée des sentimens avec
+ lesquels il revenait dans sa patrie.]
+
+
+«Dans huit jours, avec un bon vent, nous serons à Portsmouth; et, le 2
+de juillet, se termineront (jour pour jour) deux années d'un voyage
+duquel je reviens avec aussi peu d'émotion qu'à mon départ. Je pense
+pourtant que j'ai eu plus de peine à quitter la Grèce que l'Angleterre,
+pays que je suis impatient de revoir par la seule raison que je suis las
+d'un si long voyage.
+
+»En vérité, mon avenir n'offre rien de très-agréable. Embarrassé dans
+mes affaires particulières, indifférent au public, solitaire semis avoir
+le désir de la société, le corps affaibli par des fièvres successives,
+mais l'esprit, je l'espère, non encore abattu, je retourne _au logis_
+sans une espérance, et presque sans un désir. La première chose qu'il me
+faudra braver, sera un homme de loi; la seconde un créancier, puis des
+charbonniers, des fermiers, des arpenteurs, et toutes les agréables
+conséquences d'un domaine en désordre et de mines de charbon contestées.
+En un mot, je suis malade et chagrin; et, lorsque j'aurai un peu réparé
+mes irréparables affaires, je décamperai ou vers l'Espagne pour y
+guerroyer, ou encore une fois vers l'Orient, où je puis au moins avoir
+des cieux sans nuages et un refuge contre les impertinens.
+
+»Je compte vous rencontrer ou vous voir à la ville ou à Newstead, toutes
+les fois que vous pourrez y venir sans vous déranger. Je suppose que,
+comme d'habitude, vous faites de l'amour et de la poésie. Ce mari de
+H... Drury ne m'a jamais écrit, quoique je lui aie adressé plus d'une
+lettre; mais je jurerais que le pauvre homme a de la famille, et que par
+conséquent tous ses soins sont concentrés dans son cercle.
+
+Car des enfans causent de nouvelles dépenses, et Dicky est maintenant en
+âge d'aller à l'école.
+
+(WARTON.)
+
+»Si vous le voyez, dites-lui que je lui apporte une lettre de Tucker, un
+de ses amis, chirurgien de l'armée, qui m'a soigné et est un très-digne
+homme, quoiqu'il aime trop les mots de son métier. J'arriverais trop
+tard pour le jour des exercices oratoires, ou je serais probablement
+descendu à Harrow......................................................
+.......................................................................
+
+»J'ai beaucoup regretté en Grèce d'avoir omis d'emporter
+l'_Anthologie_.--Je veux dire celle de Bland et de Mirivale............
+.......................................................................
+
+»Qu'est devenu sir Edgar? Et les imitations et les traductions, où en
+sont-elles? Je suppose que vous n'avez pas l'intention d'abandonner si
+aisément le public, mais que vous l'attaquerez avec un in-quarto. Quant
+à moi, je suis excédé des fats de la poésie et des bavardages, «et je
+laisserai tout le domaine Castalien» à Bufo ou à tout autre. Mais vous
+êtes un homme sentimental et sensible, et vous rimerez jusqu'à la fin du
+chapitre. Quoi qu'il en soit, j'ai écrit quelque quatre mille vers d'un
+genre ou d'un autre, sur mes voyages.
+
+»Je n'ai pas besoin de vous répéter que je serais heureux de vous voir.
+J'arriverai à Londres vers le 8, à l'hôtel de Dorant, rue d'Albemarle,
+et mes affaires m'appelleront quelques jours après dans le Nottingham
+supérieur, et de là à Rochdale.
+
+»Je suis, ici et là, votre, etc.»
+
+
+
+
+LETTRE LII.
+
+À MRS. BYRON.
+
+À bord de la frégate _la Volage_, 25 juin 1811.
+
+
+CHÈRE MÈRE,
+
+«Cette lettre, qui vous sera envoyée à notre arrivée à Portsmouth,
+probablement vers le 4 de juillet, a été commencée à peu près
+vingt-trois jours après notre départ de Malte. Le 2 de juillet, jour
+pour jour, j'aurai été deux ans absent de l'Angleterre, et j'y reviens
+en grande partie avec les mêmes sentimens qui me dominaient à mon
+départ; savoir, l'indifférence. Mais cette apathie ne s'étend
+certainement pas jusqu'à vous, ainsi que je vous le prouverai par tous
+les moyens en mon pouvoir. Vous serez assez bonne pour faire préparer
+mon appartement à Newstead; mais que rien ne vous dérange, et surtout
+que ce ne soit pas moi. Ne me considérez que comme une visite ordinaire.
+Je dois seulement vous informer que, depuis long-tems, je me suis
+astreint à une diète végétale complète, et que le poisson ni la viande
+n'entrent dans mon régime. Je compte donc sur une provision considérable
+de pommes de terre, d'herbes et de biscuit. Je ne bois point de vin.
+J'ai avec moi deux domestiques, hommes de moyen âge, et tous deux Grecs.
+Mon intention est de me rendre d'abord à Londres pour voir M. H..., et
+de passer de là à Newstead, en allant à Rochdale. Je n'ai d'autre prière
+à vous faire que celle de ne point oublier mon régime, qu'il m'est
+très-nécessaire d'observer. Je suis en bonne santé, comme je l'ai
+généralement été, à l'exception de deux accès de fièvre dont je fus
+promptement débarrassé.
+
+»Mes projets dépendront tellement des circonstances, que je ne me
+hasarderai point à énoncer une opinion à ce sujet. Mon avenir n'est pas
+flatteur; mais je suppose que nous lutterons toute notre vie, comme nos
+voisins. En vérité, d'après les dernières informations de H..., j'ai
+quelque crainte de trouver Newstead démantelé par MM. Brothers, etc.:
+H... semble déterminé à me forcer à le vendre; mais il sera trompé dans
+son espoir. Je pense que je ne serai pas obsédé de visiteurs; mais s'il
+en était autrement, vous devrez les recevoir, car je suis résolu à ne
+laisser violer ma retraite par personne. Vous savez que je n'ai jamais
+beaucoup aimé la société; je l'aime encore moins qu'auparavant. Je vous
+apporte un schall et une quantité d'essence de roses. Il faudra que
+j'entre tout cela par contrebande, s'il est possible. J'espère trouver
+ma bibliothèque en assez bon ordre.
+
+»Fletcher est sans doute arrivé. Je distrairai le moulin, de la ferme de
+M. B***; son fils est un trop brillant séducteur pour hériter des deux
+objets, et j'y placerai Fletcher, qui m'a servi fidèlement, et dont
+l'épouse est une bonne femme. Il est, en outre, nécessaire de tempérer
+l'ardeur du jeune M. B***, ou il peuplera la paroisse de bâtards. En un
+mot, s'il avait séduit une laitière, il aurait pu trouver quelque
+excuse; mais la fille est son égale, et, dans la haute comme dans la
+basse classe, en circonstance semblable, la réparation est de droit;
+mais je n'interviendrai qu'en démembrant (comme Bonaparte) le royaume de
+M. B***, afin d'en ériger une partie en principauté pour le
+feld-maréchal Fletcher. J'espère que vous gouvernez d'une main prudente
+mon petit empire et sa triste charge de dette nationale. Pour rompre la
+métaphore, permettez-moi de me dire votre, etc.
+
+»_P. S._ Cette lettre était écrite pour être envoyée de Portsmouth;
+mais, à notre arrivée, l'escadre a reçu l'ordre de se rendre à Nore.
+C'est de là que partira ma lettre. Je n'ai point fait cet envoi plus
+tôt, parce que j'ai supposé que vous pourriez éprouver des inquiétudes,
+l'intervalle mentionné dans la lettre étant plus long que celui qui
+devait exister entre notre arrivée au port et ma venue à Newstead.»
+
+
+
+
+LETTRE LIII.
+
+À M. HENRY DRURY.
+
+À bord de la frégate _la Volage_, à la hauteur d'Ouessant, 17 juillet
+1811.
+
+
+MON CHER DRURY,
+
+«Après deux ans et quelques jours d'absence (le 2), j'approche de votre
+patrie. L'extérieur de ma lettre vous indiquera le jour de mon arrivée.
+Maintenant nous sommes agréablement retenus, par un calme plat, près du
+port de Brest. Je n'en ai jamais été si près depuis que j'ai quitté
+Duck-Puddle. .................................................
+
+»Nous sommes partis de Malte depuis trente-quatre jours, et nous avons
+eu une traversée fort ennuyeuse. Vous me verrez ou entendrez parler de
+moi bientôt après la réception de cette lettre, puisque je dois passer
+par Londres, afin de réparer mes irréparables affaires. De là il me faut
+aller dans le Nottinghamshire, y lever des rentes; ensuite dans le
+Lancashire, y vendre des mines de charbon; et revenir à Londres payer
+des dettes; car il semble que je n'aurai jamais ni charbon ni repos que
+je n'aille à Rochdale en personne.
+
+»Je rapporte quelques marbres pour Hobhouse, pour moi quatre anciens
+crânes athéniens[142], tirés de sarcophages, une fiole de ciguë
+attique[143], quatre tortues vivantes, un lièvre (mort dans la
+traversée), deux domestiques grecs, vivans, l'un Athénien, l'autre
+Yaniote, lesquels ne peuvent parler que le romaïque ou l'italien, et
+_moi-même_, comme le dit finement Moses dans le _Vicaire de Wakefield_,
+et je puis le dire à son exemple, car j'ai aussi peu de raison de me
+vanter de mon expédition que lui de la sienne à la foire.
+
+ [Note 142: Donnés par la suite à sir Walter Scott.]
+
+ [Note 143: Possédée aujourd'hui par M. Murray.]
+
+»Je vous écrivis des rochers Cyanéens, pour vous dire que j'avais
+traversé la mer à la nage de Sestos à Abydos. Avez-vous reçu ma
+lettre?... Je suppose qu'Hodgson est, à l'heure qu'il est, enfoncé dans
+l'étude. Que n'aurait-il pas donné pour avoir vu, comme moi, le
+véritable Parnasse, où je fis tort à l'évêque de Chrissa d'un livre de
+géographie? Mais je n'appelle cela qu'un plagiat, en ce que cette action
+fut commise à une heure de chemin de Delphes.»
+
+Maintenant que nous avons ramené le jeune voyageur en Angleterre, il
+peut être intéressant, avant de le suivre dans les scènes qui
+l'attendaient chez lui, de considérer à quel point le caractère général
+de son esprit et de son humeur avait été modifié par la série de voyages
+et d'aventures dans lesquels il avait été engagé pendant les deux années
+qui venaient de s'écouler. Il serait difficile d'imaginer une vie moins
+poétique et moins romanesque que celle qu'il avait menée avant son
+départ pour ses voyages. Dans sa jeunesse, il est vrai, il avait vécu et
+erré parmi des scènes bien capables, selon les idées ordinaires, de
+former les premiers germes du sentiment poétique. Mais bien que le poète
+ait pu se nourrir plus tard de ces brillans souvenirs, il est plus que
+douteux, comme on l'a déjà fait observer, qu'il ait été formé par eux.
+S'il était vrai qu'une jeunesse passée au milieu des scènes de montagnes
+fût si favorable au développement des talens d'imagination, les Gallois
+parmi nous, et les Suisses à l'étranger, devraient briller plus qu'ils
+ne le font de nos jours par leurs conceptions poétiques. Mais, en
+accordant même que la mémoire des premières excursions de Byron ait eu
+quelque part dans la direction de ses idées, l'effet réel de cette
+influence, quelle qu'elle fût, cessa avec son enfance, et la vie qu'il
+mena ensuite, durant son séjour au collége d'Harrow, fut ce que
+naturellement la vie d'un écolier si rêveur et si entreprenant devait
+être, tout autre chose que poétique. Pour un soldat ou un aventurier,
+l'éducation qu'il reçut alors eût été parfaite. Ses exercices
+athlétiques, ses combats, son amour pour les entreprises hasardeuses,
+donnèrent les indices d'un esprit fait pour la carrière la plus
+orageuse; mais ces dispositions paraissaient, de toutes, les moins
+favorables aux études méditatives de la poésie; et bien qu'elles
+promissent de le rendre plus tard un sujet d'inspiration pour les
+poètes, elles ne donnaient assurément que très-peu d'espérance de le
+voir jamais lui-même briller au premier rang parmi eux.
+
+Ses habitudes à l'université étaient encore moins intellectuelles et
+moins littéraires. Dès son enfance, il avait lu beaucoup et avec ardeur,
+quoique sans méthode; mais cette application même de son esprit,
+irrégulière et sans direction comme elle était, il l'avait en grande
+partie abandonnée après son départ d'Harrow; et au nombre des
+occupations qui se partageaient son tems à l'académie, les jeux de
+hasard, l'escrime, les soins à donner à son ours et à ses boul-dogues
+furent au moins les plus innocentes, si elles ne furent pas les plus
+favorites. Pendant son séjour à Londres, on ne le voit pas davantage
+cultiver son intelligence, ou rechercher des amusemens plus délicats.
+N'ayant aucune ressource de société privée par le manque absolu d'amis
+et de parens, il était réduit dans cette ville à fréquenter les oisifs
+de café; et pour ceux qui se rappellent ce qu'étaient à cette époque les
+cafés de Limmer et Stevens, les deux maisons qu'il visitait de
+préférence, il est inutile de dire que, quel que fût d'ailleurs le
+mérite de ces établissemens, ils n'étaient rien moins que des écoles
+convenables au développement d'un caractère poétique.
+
+Mais quelque incompatible qu'une telle vie pût être avec les habitudes
+de contemplation qui seules pouvaient éveiller et fortifier les hautes
+facultés qu'il avait déjà montrées, cependant, sous un autre point de
+vue, le tems qu'il perdit alors en apparence fut, dans la suite, mis à
+profit d'une manière incontestable. En l'initiant ainsi peu à peu à la
+connaissance des variétés de l'esprit humain, en lui donnant l'aperçu
+exact des détails de la société dans leurs formes les moins
+artificielles; enfin, en le mêlant si jeune avec le monde, ses affaires
+et ses plaisirs, la vie qu'il menait à Londres contribua certainement à
+former cette combinaison extraordinaire, qu'on admira plus tard en lui,
+de l'imagination et de la connaissance du monde, de l'héroïque et du
+plaisant, des aperçus les plus fins et les plus minutieux de la vie
+réelle avec les conceptions les plus élevées et les plus sublimes de la
+grandeur idéale.
+
+Une autre disposition dominante de son esprit plus mûr et de ses écrits
+dut peut-être sa naissance aux mêmes causes. Dans cette expérience
+anticipée du monde que lui donnait son contact précoce avec la foule, il
+n'est guère probable qu'un grand nombre des caractères les plus dignes
+de l'espèce humaine aient frappé ses regards. Il n'est que trop
+probable, au contraire, que les individus les plus légers et les moins
+estimables des deux sexes durent être au nombre de ses modèles, et que
+c'est d'après eux, à un âge où les impressions se gravent le plus
+fortement, que ses premiers jugemens sur la nature humaine furent
+formés. De là probablement ces aperçus méprisans et dégradans pour
+l'humanité, qu'il était dans l'usage d'allier au tribut plus noble qu'il
+payait à la beauté et à la majesté de la nature en général. De là le
+contraste qui apparaît entre les productions de son imagination et
+celles de son expérience; entre ces rêves pleins de beauté et de douceur
+que l'une créait à sa volonté, et l'amertume, sombre et désolante qui
+débordait de tous côtés lorsqu'il ne consultait plus que l'autre.
+
+Malgré le peu d'espérance que donnait sa jeunesse de la haute destinée
+qui l'attendait, elle présentait déjà un caractère singulier de la
+puissance de son imagination; je veux parler de cet amour de la solitude
+qui, de bonne heure, indique ces goûts d'étude et d'observation de
+soi-même par lesquelles seules «les carrières de diamans» du génie sont
+exploitées et mises au grand jour. Dans son enfance à Harrow, il avait
+fortement montré cette disposition; on le connaissait au collége comme
+je l'ai déjà dit, pour aimer à s'éloigner de ses camarades, et à
+s'asseoir seul sur une tombe dans le cimetière, s'abandonnant ainsi à la
+rêverie pendant des heures entières. À mesure que son esprit révéla ses
+ressources, ce sentiment domina en lui; et quand ses voyages à
+l'étranger n'auraient servi qu'à le détacher des distractions de la
+société pour le mettre en état, solitaire célèbre, de communiquer avec
+son propre esprit, cela eût été un grand pas de fait vers l'expansion
+complète de ses facultés. Ce fut réellement alors qu'il commença à se
+sentir capable de se livrer au détachement que l'étude de soi-même
+exige, et qu'il put jouir de cette liberté, indépendante du mélange des
+pensées d'autrui, et qui seule laisse l'esprit contemplatif maître de
+ses propres idées. Dans la solitude de ses nuits sur mer, dans ses
+excursions isolées à travers la Grèce, il jouit d'assez de loisir et de
+solitude pour s'observer lui-même, et là s'apercevoir des premiers
+«éclairs de son glorieux génie.» Un de ses principaux plaisirs, ainsi
+qu'il en fait mention dans ses _Memoranda_, était, lorsqu'il se baignait
+dans quelque lieu retiré, de s'asseoir, au-dessus de la mer, sur des
+rochers élevés, et là de rester des heures entières à contempler les
+cieux et les eaux[144], et à se perdre dans cette sorte de vague rêverie
+qui, quoique sans forme arrêtée, et sans but pour le moment, se
+répandait ensuite, dans ses écrits, en peintures énergiques et
+brillantes qui vivront à jamais.
+
+ [Note 144: Il fait allusion à cette passion dans ces belles
+ stances:
+
+ «S'asseoir sur les rochers, contempler la mer, etc.»
+
+ Alfieri, avant que son génie ne se fût complètement
+ développé, ainsi qu'il nous le dit, avait l'habitude de
+ passer des heures dans une sorte d'état de rêverie, à
+ contempler l'Océan: «Après le spectacle, un de mes amusemens
+ à Marseille était de me baigner presque tous les soirs dans
+ la mer. J'avais trouvé un petit endroit fort agréable, sur
+ une langue de terre placée à droite hors du port; où, en
+ m'asseyant sur le sable, le dos appuyé contre un petit rocher
+ qui empêchait qu'on ne pût me voir du côté de la terre, je
+ n'avais plus devant moi que le ciel et la mer. Entre ces deux
+ immensités, qu'embellissaient les rayons d'un soleil
+ couchant, je passai, en rêvant, des heures délicieuses; et
+ là, je serais devenu poète, si j'avais su écrire dans une
+ langue quelconque.»]
+
+S'il n'eût pas été livré à ces doutes et à cette défiance qui entourent
+les premiers pas du génie, les sentimens qu'il devait éprouver et ses
+découvertes dans un nouveau domaine d'intelligence, auraient dû
+convertir les heures solitaires du jeune voyageur en un rêve de bonheur.
+Mais on verra que dans ces momens même, il se défiait de sa propre
+force, et qu'il ne se doutait nullement de la hauteur à laquelle
+s'élèverait l'esprit qu'il évoquait alors. Il devint tellement épris de
+ces rêveries solitaires, que la société même de son compagnon de voyage,
+malgré la sympathie de ses goûts avec les siens, devint pour lui une
+chaîne et un fardeau; et ce ne fut que lorsqu'il se trouva seul, sur le
+rivage d'une petite île de la mer Égée, que son génie respira librement.
+Si l'on voulait une preuve plus forte de sa passion profonde pour
+l'isolement, nous la trouverions, quelques années après, dans ses
+propres écrits, lorsqu'il avoue que, dans la compagnie de la femme qu'il
+aima le plus, il se surprit souvent soupirant après la solitude.
+
+Ce ne fut pas seulement en lui procurant la retraite dont il avait
+besoin pour faire éclore dans le silence ses facultés admirables, que
+les voyages contribuèrent puissamment à la formation de son caractère
+poétique; dès son enfance même, il avait contemplé l'Orient avec des
+yeux romanesques. La lecture qu'il fit, avant l'âge de dix ans, de
+l'histoire des Turcs, par Rycaut, avait pris un fort ascendant sur son
+esprit, et il avait lu avec avidité tous les livres sur l'Orient qu'il
+avait pu rencontrer[145].
+
+ [Note 145: Quelques mois avant sa mort, dans une conversation
+ avec Mavrocordato, à Missolonghi, Lord Byron dit: «L'histoire
+ turque fut un des premiers livres qui procura du plaisir à ma
+ jeunesse; et je pense que cette lecture eut beaucoup
+ d'influence sur les désirs que j'eus ensuite de visiter le
+ Levant, et donna peut-être à ma poésie cette teinte orientale
+ que l'on y remarque.»
+
+ (_Récit du comte Gamba_.)
+
+ Dans la dernière édition de l'ouvrage du docteur Israeli, sur
+ le _caractère littéraire_, on trouve quelques notes
+ marginales assez curieuses, écrites par Lord Byron dans un
+ exemplaire de cet ouvrage qui lui appartenait. Parmi ces
+ notes est l'énumération suivante des écrivains qui, outre
+ Rycaut, avaient attiré son attention sur l'Orient de si bonne
+ heure.
+
+ «Knolles, Cantemir, de Tott, lady M.W. Montague, la
+ traduction d'Hawkin de l'_Histoire des Turcs_ par Mignot, les
+ _Mille et Une Nuits_, tous les voyages, toutes les histoires,
+ tous les livres sur l'Orient que je pouvais trouver, je les
+ avais lus, ainsi que Rycaut, avant l'âge de dix ans. Je pense
+ que je lus les _Mille et Une Nuits_ en premier lieu; après
+ cela je préférai le récit des combats de mer, le roman de
+ _Don Quichotte_ et ceux de Smollett, particulièrement
+ _Roderic Random_, et j'étais passionné pour l'histoire
+ romaine. Lorsque j'étais enfant, je ne pus jamais lire sans
+ dégoût un livre de poésie.»]
+
+Il s'ensuit qu'en visitant ces contrées il ne fit que réaliser les rêves
+de sa jeunesse, et ce retour de ses pensées vers ce tems d'innocence
+donna à leur cours une fraîcheur et une pureté dont elles avaient manqué
+depuis long-tems. Sans le charme de ces souvenirs, l'attrait de la
+nouveauté était la moindre chose que lui présentaient les scènes
+nouvelles à travers lesquelles il passait. De doux souvenirs du passé,
+et peu d'hommes les ont retenus aussi vivement, se mêlaient aux
+impressions des objets présens à ses yeux; et comme, dans les montagnes
+d'Écosse, il avait souvent traversé, en imagination, les pays musulmans,
+ainsi la même faculté le transportait des montagnes sauvages de
+l'Albanie à celles de Monroy.
+
+Tandis qu'il trouvait à chaque pas des inspirations poétiques, il y
+avait aussi dans ce prompt changement de place et de scène, dans cette
+diversité d'hommes et d'usages qui l'entouraient, dans l'espérance
+continuelle d'aventures nouvelles, et d'entreprises extraordinaires, une
+succession et une variété d'_excitation_ toujours renouvelée, qui
+mettaient non-seulement en action, mais rendaient plus vigoureuse toute
+l'énergie de son caractère. Ainsi qu'il décrit lui-même sa manière de
+vivre, c'était aujourd'hui dans un palais, demain dans une étable; un
+jour avec le pacha, l'autre avec le berger. C'est ainsi qu'il trouva
+toujours à exercer son esprit observateur, et que les impressions se
+multiplièrent sur son imagination. Déjà initié à quelques-unes des
+privations et des peines de la vie, pouvant juger par-là des rigueurs de
+l'adversité, il apprit à agrandir le cercle de ses sympathies, plus
+qu'il n'est ordinaire dans le rang élevé auquel il appartenait, et il
+s'habitua à cette trempe vigoureuse et mâle de pensée qui est si
+profondément gravée dans tous ses écrits. Nous ne devons pas oublier, au
+nombre de ces salutaires effets de ses voyages, les nobles inspirations
+du danger qu'il éprouva plus d'une fois, ayant été placé, tant sur terre
+que sur mer, dans des situations bien calculées pour éveiller ces
+sentimens d'énergie que des périls envisagés de sang-froid ne manquent
+jamais de faire naître.
+
+Le vif intérêt, qu'en dépit de sa philosophie apparente à cet égard,
+dans _Childe Harold_, il prenait à tout ce qui se rattache à la vie
+militaire, trouva des occasions fréquentes de satisfaction,
+non-seulement à bord des vaisseaux de guerre anglais sur lesquels il
+s'embarqua, mais aussi dans ses divers rapports avec les soldats du
+pays. À Salora, place isolée sur le golfe d'Arta, il passa une fois deux
+ou trois jours logé dans une misérable baraque. Pendant tout ce tems il
+vécut familièrement avec les soldats. Ces guerriers farouches, que l'on
+pourrait presque appeler des brigands, assis autour du jeune poète, et
+examinant avec une sauvage admiration son fusil de Manton[146] et son
+épée anglaise, présentaient chaque soir une scène curieuse dont le
+tableau pourrait offrir un contraste, malheureusement trop affligeant,
+avec ce qui se passa quand le poète, devenu l'un de leurs capitaines,
+mourut sur cette même terre avec des Souliotes pour gardes et la Grèce
+entière pour cortége de deuil.
+
+ [Note 146: «Il plut beaucoup le jour suivant, et nous
+ passâmes encore cette soirée avec nos soldats. Leur
+ capitaine, Elmas, essaya un beau fusil de Manton[146a],
+ appartenant à mon ami; et comme il touchait le but à chaque
+ coup, il y prit grand plaisir: _Hobhouse's Journey_, etc.»]
+
+ [Note 146a: Nom d'un arquebusier.]
+
+Il est vrai qu'au milieu des émotions réveillées par cette variété
+d'objets, son esprit était toujours plongé dans cette mélancolie qu'il
+avait apportée de son pays natal. Il fit sur M. Adair et sur M. Bruce,
+comme je l'ai déjà dit, l'effet d'un homme en proie à un profond
+abattement; et ce fut aussi l'opinion du colonel Leake, qui, à cette
+époque, était notre résident à Joannina[147]. Mais cette mélancolie
+même, malgré son opiniâtreté, dut certainement parvenir, sous
+l'influence énergique et salutaire de sa vie errante, à un degré
+d'élévation qu'elle n'aurait jamais pu atteindre au milieu des
+contrariétés qui l'obligeaient à se replier sur elle-même. S'il n'eût
+pas voyagé, peut-être serait-il devenu un satirique grondeur; mais à
+mesure que ses yeux embrassaient un plus vaste horizon, tous les
+sentimens de son cœur se développèrent dans la même proportion; et cette
+tristesse innée, en se combinant avec les effusions de son génie, devint
+une des principales causes de leur énergie et de leur grandeur. Quelle
+pensée sublime, en effet, s'éleva jamais dans l'ame, sans que la
+mélancolie, quoique ignorée peut-être, y ait eu quelque part?
+
+ [Note 147: Il faut se rappeler que ces deux personnes le
+ virent le plus souvent dans des circonstances où l'étiquette
+ des présentations devait, par suite de sa froide réserve,
+ porter au plus haut degré la tristesse de ses pensées. Son
+ compagnon de voyage parle de lui bien différemment. Dans le
+ récit d'une courte excursion à Négrepont, M. Hobhouse, qui ne
+ put l'y accompagner, exprime avec force le vide que lui fait
+ éprouver l'absence d'un ami qui joignait à la vivacité
+ d'observation et à des remarques piquantes, cette bonne
+ humeur communicative, qui réveille l'attention au milieu des
+ fatigues et rend les dangers moins terribles. Lord Byron,
+ dans quelques vers des imitations d'Horace, adressés
+ évidemment à M. Hobhouse, se rend la même justice, en ce qui
+ regarde sa sociabilité, mais il donne une idée plus nette de
+ la tournure d'esprit qui en était la source:
+
+ «Cher Moschus, avec toi j'espère encore passer de longues
+ heures, riant de la folie des hommes, si nous ne pouvons
+ sourire à leurs traits d'esprit. Oui, je veux, ami, quitter
+ pour toi ma cellule de cynique, et adopter la devise de
+ Swift: Vivent les badinages! etc.»]
+
+Les lettres qu'il écrivit pendant la traversée, à son retour en
+Angleterre, nous ont appris combien alors les dispositions de son ame
+étaient loin d'être gaies et ses espérances d'être flatteuses; sans
+contredit, eût-il été doué de la plus grande confiance, les contrariétés
+qui l'attendaient dans sa patrie étaient bien suffisantes pour attrister
+ses prévisions et comprimer son élasticité d'esprit. «Être heureux chez
+soi, dit Johnson, c'est là en définitive, le but de toute ambition, la
+fin où tendent nos travaux et nos entreprises.» Mais Lord Byron n'avait
+pas de _chez soi_, rien du moins qui méritât ce nom si séduisant. Ce
+bonheur de faire partie d'une famille bien unie dont les prières
+l'auraient suivi dans ses voyages, dont l'attention aurait avidement
+écouté ses récits à son retour, il ne le connut jamais, quoique la
+nature lui eût donné un cœur digne de l'apprécier. Privé de tout ce qui
+soutient et encourage, il eut à lutter contre tout ce qui désole et
+humilie. À l'horreur d'un intérieur sans affections vint se joindre le
+fardeau d'une position sociale sans ressources suffisantes, et il
+éprouva ainsi tous les embarras de la vie domestique, sans jouir des
+charmes qui les compensent. Pendant son absence, on avait laissé tomber
+ses affaires dans une confusion plus grande encore, que leur tendance
+naturelle ne donnait lieu de le craindre. On avait, l'année précédente,
+exécuté une saisie à Newstead, pour une somme de quinze cents liv. st.,
+due à MM. Brothers, tapissiers, et nous croyons devoir rapporter un
+trait du vieux Joë Murray dans cette circonstance. C'était un terrible
+crève-cœur pour ce vieux et fidèle serviteur, jaloux de l'antique
+honneur des Byron, de voir l'annonce de la vente placardée sur la porte
+de l'abbaye. Mais redoutant assez la loi pour ne pas arracher l'affiche,
+il se décida, pour s'en dédommager, à la couvrir d'une large feuille de
+papier brun qu'il colla par dessus.
+
+Malgré la résolution, si récemment exprimée par Lord Byron, d'abandonner
+pour jamais le métier d'auteur, et de laisser à d'autres _tout l'empire
+Castalien_, nous le trouvons, à peine débarqué en Angleterre,
+très-activement occupé de préparer la publication de quelques-uns des
+poèmes qu'il avait composés dans ses voyages. Il y mettait même tant
+d'empressement qu'il avait déjà, dans une lettre écrite en mer, annoncé
+à M. Dallas, qu'on pourrait de suite les mettre sous presse. Je vais
+placer ici sous les yeux du lecteur les parties les plus essentielles de
+cette lettre qui, d'après sa date, aurait dû précéder quelques-unes de
+celles que nous avons déjà données.
+
+
+
+
+LETTRE LIV.
+
+À M. DALLAS.
+
+À bord de la frégate _la Volage_, 28 juin 1811.
+
+
+«Après une absence de deux ans (jour pour jour, le 2 de juillet, avant
+lequel nous n'arriverons pas à Portsmouth), me voilà revenant en
+Angleterre...
+
+»J'y reviens avec peu d'espoir de bonheur domestique, et une
+constitution un peu ébranlée par une ou deux atteintes fort vives de
+fièvre; mais avec une ame qui n'est point abattue. Mes affaires, à ce
+qu'il paraît, sont terriblement embrouillées, et je vais avoir
+d'interminables difficultés à régler avec les gens de loi, les
+charbonniers, les fermiers et les créanciers. Or, pour un homme qui
+redoute les embarras, autant qu'il redoute un évêque, c'est un sérieux
+sujet d'inquiétude.
+
+»Ma satire, à ce que je crois, est à sa quatrième édition; ce n'est pas
+un succès tout-à-fait médiocre; il n'a cependant rien d'exagéré pour une
+production qui, en raison du sujet qu'elle traite, ne peut intéresser
+long-tems, et doit, par conséquent, avoir un succès immédiat, où n'en
+avoir aucun. Aujourd'hui que je pense et agis avec plus de modération,
+je regrette de l'avoir écrite, quoiqu'il soit probable que je la
+trouverai oubliée par tout le monde, moins ceux qu'elle a offensés.
+
+»Votre protégé et celui de Pratt, le cordonnier Blackett est donc mort,
+malgré ses vers! Cette mort est probablement une de celles qui sauvent
+un homme de la damnation. C'est parmi vous que le pauvre diable s'est
+perdu. Sans ses patrons, il serait peut-être aujourd'hui en fort bonne
+posture, faisant des souliers, non des vers; mais vous avez voulu en
+faire un immortel, coûte que coûte. Je dis cela dans la supposition que
+ce sont la poésie, le patronage et les liqueurs fortes qui l'ont tué. Si
+vous êtes à Londres au commencement ou vers le commencement de juillet,
+vous me trouverez à l'hôtel Dorant, Albemarle-Street, où je serai charmé
+de vous voir. J'ai une imitation de l'art poétique d'Horace, que
+Cawthorn pourra imprimer de suite; mais que cela ne vous effraie pas, je
+n'ai pas l'intention de vous en fatiguer. Vous savez bien que je ne lis
+jamais mes vers aux personnes qui me viennent voir. Je partirai de
+Londres après un séjour fort court, pour me rendre dans le
+Nottinghamshire et de là à Rochdale.
+
+»Votre, etc.»
+
+Dès que Lord Byron fut arrivé à Londres, M. Dallas se rendit près de
+lui. «Le 15 juillet, dit ce gentleman, j'eus le plaisir de lui serrer la
+main, à l'hôtel Reddish, Saint-James's-Street: je trouvai que son aspect
+démentait ce qu'il m'avait dit de sa santé, et son air n'annonçait ni
+mélancolie, ni mécontentement d'être de retour. Il m'entretint, avec
+beaucoup de feu, de ses voyages; mais il m'assura qu'il n'avait jamais
+eu l'idée de les écrire. Il me dit qu'à son avis la satire était son
+fort; qu'il s'en tenait à ce genre, et qu'il avait composé pendant ses
+divers séjours une paraphrase de l'art poétique d'Horace, qui serait un
+excellent supplément aux _Bardes anglais et critiques écossais_. Il
+semblait espérer que sa réputation s'en accroîtrait, et j'entrepris d'en
+surveiller la publication, comme je l'avais fait pour la satire. J'avais
+mal choisi l'instant de ma visite, et nous eûmes à peine le tems de nous
+entretenir sans être interrompus. Il m'engagea donc à venir le lendemain
+déjeûner avec lui.»
+
+Dans l'intervalle, M. Dallas parcourut cette paraphrase que Lord Byron
+lui avait permis d'emporter dans ce dessein, et son _désappointement_,
+comme il le dit lui-même, fut cruel, en découvrant qu'un voyage de deux
+ans dans les contrées inspiratrices de l'Orient, n'avait pas produit
+plus de richesses poétiques. À leur rendez-vous du lendemain, quoiqu'il
+s'abstînt de déprécier cet ouvrage, il ne put s'empêcher, comme il nous
+l'apprend lui-même, d'exprimer à son noble ami quelque surprise de ce
+qu'il n'avait composé rien de plus pendant son absence. «Alors,
+continue-t-il, Lord Byron me dit qu'il avait en diverses occasions écrit
+de courts poèmes, outre une grande quantité de stances, du rhythme de
+Spencer, relatives aux pays qu'il avait parcourus. «Mais, dit-il, elles
+ne sont pas dignes de votre attention; vous pouvez cependant les
+emporter toutes, si cela vous fait plaisir.» C'est ainsi que j'obtins le
+pélerinage de _Childe Harold_: il le tira d'un coffret avec beaucoup
+d'autres poésies. Il me dit qu'elles n'avaient été lues que par une
+seule personne qui y avait trouvé peu de choses à louer et beaucoup à
+critiquer; que c'était son avis, et qu'il était sûr que ce serait aussi
+le mien; que néanmoins, quoi qu'il en fût, elles étaient bien à mon
+service; mais qu'il était urgent de presser la publication des
+_Imitations d'Horace_, ce dont je l'assurai que je m'occupais.»
+
+M. Dallas ne tarda pas à découvrir tout le prix du trésor qui lui était
+ainsi confié. Dès le même soir, il écrivit à son noble ami: «Vous avez
+composé l'un des plus délicieux poèmes que j'aie jamais lus. Si je vous
+disais cela pour vous flatter, je mériterais moins votre amitié que
+votre mépris. _Childe Harold_ m'a tellement captivé, que je n'ai pu en
+quitter la lecture. Je répondrais sur ma tête qu'il ajoutera beaucoup à
+votre réputation comme poète, et qu'il vous fera un honneur infini, si
+vous daignez accorder quelque attention à mes avis, etc.»
+
+Malgré ces justes éloges, et l'écho secret qu'ils durent trouver dans un
+cœur si sensible au moindre murmure de la renommée, il se passa quelque
+tems avant que la répugnance opiniâtre de Lord Byron à la publication de
+_Childe Harold_ pût être surmontée.
+
+«Quoique jusqu'alors, dit M. Dallas, il eût écouté mes avis et mes
+conseils, et qu'il fût naturel de croire qu'il céderait à des éloges si
+prononcés, je fus surpris de voir qu'il se défiait encore de mon
+jugement sur le mérite de _Childe Harold_. «C'était, disait-il, tout ce
+qu'on voudrait, excepté de la poésie; un critique fort capable l'avait
+blâmé; n'avais-je pas vu moi-même les annotations en marge du
+manuscrit?» Enfin il revenait toujours de préférence aux paraphrases de
+l'art poétique, et le manuscrit en fut remis à Cawthorn, éditeur de la
+satire, pour qu'il le publiât sans aucun retard. Je ne quittai pourtant
+pas encore la partie. Avant de sortir de chez lui, je revins à la
+charge, et je lui dis que j'étais si convaincu du mérite de _Childe
+Harold_, que s'il me l'avait donné, je l'aurais certainement publié,
+pourvu qu'il voulût consentir à un petit nombre de changemens et de
+correction.»
+
+Parmi les nombreux exemples cités en littérature du jugement erroné que
+quelques auteurs ont porté sur leurs propres ouvrages, on peut regarder
+comme l'un des plus inexplicables cette préférence que Lord Byron
+accordait à une production si peu digne de son génie, sur un poème qui
+offre autant de beautés originales que les premiers chants de _Childe
+Harold_[148]. «Il en est, dit Swift, des hommes comme des terrains, qui
+recèlent quelquefois une mine d'or, dont le propriétaire ignore
+l'existence.» Mais cette mine, Lord Byron l'avait découverte, sans se
+douter, à ce qu'on pourrait croire, de toute sa valeur. J'ai déjà eu
+occasion de remarquer que, dans le tems même où il composait _Childe
+Harold_, il est douteux qu'il connût pleinement la puissance nouvelle et
+de sentimens et de pensées qui venait de s'élever dans son âme, et cette
+observation est confirmée par l'étrange appréciation de son ouvrage que
+nous lui voyons adopter.
+
+ [Note 148: On doit moins s'étonner de ce que quelques auteurs
+ se méprennent sur le mérite de leurs ouvrages, quand on voit
+ que des générations entières sont quelquefois tombées dans la
+ même erreur. Les sonnets de Pétrarque furent considérés par
+ les savans de son tems comme dignes tout au plus des
+ chanteurs de ballades qui les faisaient entendre dans les
+ rues; tandis que son poème épique de l'Afrique, dont
+ l'existence est à peine connue de nos jours, était recherché
+ de toutes parts, et que le moindre fragment en était vivement
+ sollicité près de l'auteur, pour être placé dans les
+ bibliothèques des savans.]
+
+On pourrait croire en effet que malgré l'impulsion qui avait fait faire
+des pas si rapides à son imagination, son jugement, plus lent à se
+développer, était bien loin de la maturité, et que le jugement de
+soi-même, le plus difficile de tous, lui était encore refusé.
+
+D'un autre côté, si l'on considère la déférence que, surtout à cette
+époque, il était porté à accorder aux opinions de ceux avec lesquels il
+vivait, il serait peut-être plus juste d'attribuer cette fausse
+appréciation à sa défiance de son propre jugement, qu'à aucune
+insuffisance. On ne peut expliquer que par l'ignorance de son énergie
+intellectuelle ses égards et sa complaisante admiration pour ses anciens
+condisciples, qui presque tous l'avaient dépassé durant ses études, et
+dont quelques-uns, dans ce tems-là même, étaient ses rivaux en poésie.
+L'exemple qu'il recevait de ces jeunes écrivains étant, comme leur goût,
+principalement fondé sur l'imitation des modèles consacrés, leur
+autorité, aussi long-tems qu'il s'y soumit, dut jusqu'à un certain point
+le détourner de s'engager franchement dans une route nouvelle et
+originale. Il est assez probable que quelques souvenirs de cette
+première direction, joints à un léger penchant pour les réminiscences
+classiques[149], contribuèrent à déterminer sa préférence pour la
+paraphrase d'Horace. On peut croire au moins qu'ils furent suffisans
+pour le décider à se contenter, pour le présent, de la gloire qu'il
+avait acquise en suivant les routes tracées, au lieu de se lancer dans
+une carrière qu'il n'avait pas encore explorée. Nous avons vu que le
+noble auteur avant de confier à M. Dallas les deux premiers chants de
+_Childe Harold_, en avait soumis le manuscrit à l'examen d'un ami, le
+premier et le seul, à ce qu'il paraît, qui en eût pris connaissance à
+cette époque. M. Dallas n'a pas nommé ce critique si scrupuleux; mais le
+ton tranchant de censure, dont sont empreintes ses remarques, aurait été
+capable, à quelque époque que ce fût, de dénaturer le jugement d'un
+auteur qui, plusieurs années après, dans tout l'éclat de sa gloire,
+avouait que le blâme du dernier des hommes lui causait plus de chagrin
+qu'il n'éprouvait de plaisir à recevoir les applaudissemens des plus
+hauts personnages.
+
+ [Note 149: Gray, dominé par une semblable prédilection,
+ préféra long-tems ses poèmes latins à ceux qui lui ont
+ assigné un rang si élevé dans la littérature anglaise.
+ «Devons-nous, dit Mason, attribuer cette méprise à ce qu'il
+ avait été élevé à Eton, ou à quelque autre cause? Il est
+ certain que lorsque je fis sa connaissance, il semblait
+ attacher à ses poésies latines beaucoup plus de prix qu'à
+ celles qu'il avait composées dans sa langue natale.»]
+
+Quoiqu'il soit facile de reconnaître dans toutes les productions de son
+âge mûr, des traces de sa supériorité, nous croyons cependant qu'on
+ajouterait peu à sa célébrité en publiant dans son entier cette
+paraphrase d'Horace, qui se compose de près de huit cents vers. Mais
+j'en choisirai quelques passages capables de donner une idée de ses
+beautés, comme de ses défauts, afin de mettre le lecteur à même de se
+former une opinion sur une composition que l'auteur, par une erreur ou
+un caprice de jugement, sans exemple peut-être dans les annales de la
+littérature, préféra long-tems aux sublimes méditations de _Childe
+Harold_.
+
+Le début du poème, si on le compare à l'original, est assez ingénieux:
+
+Qui ne rirait si Lawrence, s'engageant à couvrir sa précieuse toile du
+portrait flatté du premier venu, abusait assez de son art pour que la
+nature effarouchée vît nos bons bourgeois prendre sous son pinceau la
+forme des centaures? Ou si quelque barbouilleur, par amour de
+l'extraordinaire, ou pour hâter la vente, s'avisait de joindre à une
+fille d'honneur la queue d'une sirène? Ou si le trivial Dubost (comme on
+l'a vu naguère), possédé de la fureur de peindre, dégradait les
+créatures, images de la divinité? Toute la politesse qui défend de se
+moquer des sots en leur présence, ne pourrait réprimer les éclats de
+rire de leurs amis. Crois-moi, Moschus, rien ne ressemble plus à ces
+tableaux que le livre qui, plus décousu que les rêves d'un malade,
+présente à nos regards une foule de figures incomplètes, poétiques
+cauchemars, qui n'ont ni pieds ni tête.
+
+Ce qui suit est un des meilleurs morceaux écrits dans un genre plus
+grave:
+
+De nos jours, les mots nouveaux sont en honneur, si on les ente
+adroitement sur quelque gallicisme: pourrions-nous refuser à la muse
+plus habile de Dryden et de Pope, ce que Chaucer et Spencer tentèrent
+avec succès? Si vous pouvez créer que ne le faites-vous, à l'exemple de
+William Pitt et de Walter-Scott, qui par le secours, l'un de ses vers,
+l'autre de ses poumons, ont enrichi les dialectes mal joints de notre
+île? Il est et il sera toujours légitime de proposer des réformes en
+littérature, comme au parlement.
+
+De même que les forêts couvrent par degrés la terre de leurs feuilles,
+ainsi se fanent des expressions qui ont plu dans leur nouveauté. Le même
+destin est réservé à l'homme, et à tout ce qui se rattache à lui. Ses
+ouvrages, ses mots s'effacent et ne servent plus qu'à fixer une date.
+Quoique, à un signe des monarques, et à la voix du commerce, des fleuves
+impétueux deviennent de tranquilles canaux; quoique des marais desséchés
+et assainis soient sillonnés par la charrue et portent de jaunes
+moissons; quoique des ports creusés sur nos rivages protégent les
+vaisseaux contre les tempêtes de l'antique Océan, tout, tout doit périr.
+Mais, survivant au naufrage général, l'amour des lettres préserve à demi
+les souvenirs du passé.
+
+Je ne cite ce qui suit qu'à cause de la note qui y est jointe:
+
+Les premiers vers satiriques naquirent du spleen de quelque égoïste. En
+doutez-vous? Voyez Dryden, Pope, et le doyen de Saint-Patrick[150].
+
+ [Note 150: _Mac-Flecknoe_, la _Dunciade_ et toutes les
+ ballades satiriques de Swift. Quels que soient leurs autres
+ ouvrages, ceux-ci furent le résultat de sentimens personnels
+ et de récriminations violentes contre d'indignes rivaux; et
+ quoique le mérite littéraire de ces satires fasse honneur aux
+ talens poétiques des auteurs, leur virulence déshonore
+ certainement leur caractère.]
+
+Les vers blancs, aujourd'hui, par un commun accord, sont presque
+inséparables de la tragédie. Quoique les fureurs d'Almanzor
+s'exprimassent en vers rimés, au tems de Dryden, nous ne voyons pas les
+héros des pièces nouvelles en affubler leurs emportemens; et la modeste
+comédie, abandonnant tout-à-fait les vers, nous offre en humble prose
+ses gentillesses et ses quolibets. Ce n'est pas que nos Beaumont et nos
+_ben_ aient plus mauvaise grâce, ou perdent rien de leur mérite, pour
+avoir composé en vers; mais c'est ainsi que Thalie aime à se montrer.
+Pauvre fille! que l'on siffle quelques vingt fois par an.
+
+On trouve dans les vers suivans, sur Milton, plus de poésie que dans
+aucun autre passage de la paraphrase:
+
+Ô muse! s'écrie-t-il, réveille de plus sublimes accords! Et, s'il vous
+plaît, que pensez-vous voir éclore de son cerveau enflammé? En un clin
+d'œil, il tombe aussi bas que Southey dont les montagnes épiques ne
+manquent jamais d'accoucher d'une souris! Ce n'était pas ainsi que jadis
+votre puissant devancier tirait de doux accens de sa lyre inimitable:
+d'une voix mélodieuse comme les soupirs de la harpe éolienne, il nous
+parle de la première désobéissance de l'homme et du fruit défendu; mais
+à mesure que son sujet s'élève, son chant fait retentir les échos de la
+terre et des cieux.
+
+On pourra remarquer quelques traits piquans dans les esquisses
+suivantes:
+
+Enfin il touche à l'adolescence! On ne le forcera plus à gémir sur les
+vers diaboliques[151] de Virgile, et sur ceux qu'on lui donne à faire.
+Les prières l'ennuient, la lecture est trop sérieuse; il vole de T...ll
+à Fordham (malheureux T...ll, condamné à d'éternels soucis par les
+apprentis boxeurs et les ours). Que peuvent des tuteurs, des devoirs,
+des convenances, en présence d'une meute, de chevaux de chasse et de la
+plaine de Newmarket? Rude avec ses aînés, hautain avec ses égaux, poli
+envers des escrocs, prodigue de richesses........... persiflé, pillé,
+dupé, il passe le tems de ses cours sans rien faire; évite peut-être
+l'expulsion, et se retire M. A. (Maître-ès-arts)! Et l'on proclame sa
+nouvelle dignité dans les clubs et les tripots, dont nul habitué
+n'arriva jamais plus haut.
+
+ [Note 151: Harvey, qui fit connaître la circulation du sang,
+ avait coutume, dans ses transports d'admiration, de jeter
+ loin de lui son _Virgile_, en disant que le livre avait un
+ diable familier. Un personnage tel que celui que je décris,
+ jetterait probablement aussi le livre; mais il désirerait
+ plutôt que le diable s'en emparât, non pas en haine du poète,
+ mais par une horreur bien fondée des hexamètres. Car,
+ vraiment, la fastidieuse étude des _longues_ et des _brèves_
+ suffit pour qu'un homme prenne la poésie en aversion pendant
+ sa vie entière; et peut-être en cela n'est-ce pas un
+ désavantage.]
+
+Lancé dans le monde, et devenu moins ardent, il singe l'égoïste prudence
+de son père; prend une femme, pour sa dot; choisit ses amis pour leur
+rang; achète des terres, et se vante d'être trop prudent pour se fier à
+la banque. Il prend place au sénat; procrée un héritier, et l'envoie à
+Harrow, car il y fut lui-même. Muet, quoi qu'il vote, à moins qu'il ne
+joigne sa voix aux acclamations favorables au ministère; s'il parle de
+son fils: C'est un compère adroit, qu'il espère bien voir un jour
+arriver à la pairie!
+
+La vieillesse s'avance; l'âge paralyse ses membres; il quitte la scène,
+ou la scène le quitte; il entasse des richesses; s'afflige à chaque
+penny qu'il faut dépenser, et l'avarice s'empare de toutes les pensées
+qui ne sont pas à l'ambition. Il compte les cent pour cent, et sourit;
+ou vainement s'irrite, en considérant ses trésors entamés pour payer les
+dettes du jeune Hopeful; il pèse bien et sagement ce qu'il faut acheter
+ou vendre; habile à tout faire, excepté à mourir! grondeur, morose,
+radoteur difficile à contenter, louant tous les tems, excepté le
+présent; infirme, querelleur, délaissé et presque oublié, il meurt sans
+qu'on le pleure; on l'enterre; qu'il pourrisse!
+
+Plus loin, parlant de l'opéra, voilà comment il s'exprime:
+
+Là se rend l'alerte boutiquier, dont l'oreille est mise à la torture par
+l'orchestre qu'il veut entendre pour son argent. Une fausse honte, et
+non la sympathie, l'empêche seule de ronfler; ses angoisses redoublent
+quand il croit du bon ton de crier: Encore! Écrasé par la foule dans
+Fop's alley, coudoyé par les élégans, gêné par son chapeau, tremblant
+pour ses orteils, sa soirée est un combat, et il ne goûte quelque repos
+que quand enfin le rideau tombe, et lui donne un peu de relâche qui
+l'enchante. Devinez-vous pourquoi il se résigne à souffrir tout cela et
+plus encore? C'est qu'il lui en coûte cher, et qu'il est forcé de se
+parer!
+
+Les derniers vers du passage suivant retracent plaisamment ce mélange de
+gaîté et d'amertume qui, parfois, animait la conversation de l'auteur. À
+tel point même, que ceux qui l'ont connu pourraient presque s'imaginer
+qu'ils l'entendent parler:
+
+Mais rien n'est sans défaut, et chacun sait que les violons et les
+harpes perdent souvent le ton, et que les meilleurs chanteurs, au moment
+où ils voudraient réunir tous leurs moyens, ne font entendre que des
+accens criards; les chiens perdent la trace du gibier, la pierre refuse
+l'étincelle, et les fusils à deux coups (que le diable les emporte!)
+manquent le but[152]!
+
+ [Note 152: Comme M. Pope a pris la liberté d'envoyer Homère à
+ tous les diables, malgré tout ce qu'il lui devait, quand il a
+ dit: «Et Homère (que le diable l'emporte, etc.)» Il est
+ présumable que, par licence poétique, on peut en faire
+ autant, en vers, de tout homme et de toute chose; et en cas
+ d'accident, je désire qu'on me permette de me prévaloir de
+ cet illustre précédent.]
+
+Un dernier passage, avec la note plaisante qui y est jointe, complétera
+le nombre des morceaux que je veux citer comme les meilleurs.
+
+Est-ce assez? Non: écrivez donc et imprimez bien vite. Si le dernier
+arrivé est dévolu à Satan, qui voudrait arriver le dernier? Ils
+assiégent les presses, ils publient en toute hâte, ils escaladent le
+comptoir et quittent leurs échoppes: de belles demoiselles de province,
+des hommes de haut renom, quoi donc! des baronnets même, ont noirci
+d'encre leur main guerrière. La pauvreté ne les arrête pas; c'est
+Pollion qui nous joua ce tour; de son tems Phébus commença à trouver
+crédit chez les banquiers. Ce ne sont pas seulement les vivans; les
+morts même nous débitent leurs sottises aussi couramment que jadis
+chantait la tête d'Orphée! Sifflés de leur vivant, ils obtiennent un
+succès posthume; tirés de la poussière où ils étaient ensevelis quand
+ils vivaient. Les revues réveillent le souvenir de leurs épidémiques
+délits, de ces livres témoins muets du martyre auquel les condamne la
+rage de rimer: Hélas! Que de chagrins va nous causer tel barbouilleur
+que citèrent souvent le _Morning Post_ et le _Monthly Magazine_! dans
+ces recueils sont ensevelis ses premiers chefs-d'œuvre; mais bientôt la
+presse gémit, et il en sort un épais in-quarto! Laissez donc, vous qui
+êtes sages, laissez les succès mendiés de la lyre aux baronnets ou aux
+lords possédés du démon des vers, ou à ces crépins de village,
+ménestrels jumeaux ivres de poétique bière! Prêtez l'oreille à ces
+accords d'une mélodie narcotique: ce sont les savetiers lauréats qui
+chantent les louanges de Capel Lofft[153].
+
+ [Note 153: Ce gentleman bien intentionné a gâté quelques
+ excellens cordonniers, et contribué à la ruine poétique de
+ plus d'un pauvre industrieux. Nathaniel Bloomfield et son
+ frère Bobby ont mis tout le Sommersetshire en train de
+ chanter; et cette maladie ne s'est pas bornée à envahir un
+ seul comté. Pratt aussi, qui fut jadis plus sage, a été
+ atteint de la contagion du patronage, et a attiré dans le
+ piége de la poésie un pauvre diable nommé Blackett; mais il
+ mourut pendant l'opération, laissant au dépourvu un enfant et
+ deux volumes de fragmens. La petite fille, si elle n'a pas
+ d'inclinations poétiques et ne se transforme pas en Sapho
+ cordonnière, s'en tirera peut-être; mais les tragédies sont
+ aussi rachitiques que si elles étaient la progéniture d'un
+ comte ou de quelque coureur de prix académiques. Les patrons
+ du pauvre homme sont certainement responsables de sa fin
+ tragique, et ce devrait être un délit punissable par les
+ lois. Mais c'est là ce qu'ils ont fait de moins coupable;
+ car, par un raffinement de barbarie, ils ont couvert le
+ défunt d'un ridicule posthume, en imprimant ce qu'il aurait
+ eu le bon sens de ne jamais faire imprimer lui-même. Certes,
+ ces remueurs de débris sont punissables par le statut contre
+ _les hommes de la résurrection_. Quelle différence y a-t-il,
+ en effet, entre exposer un pauvre idiot, après sa mort, dans
+ un amphithéâtre de chirurgie, et l'étaler dans une boutique
+ de libraire? Est-il plus mal d'exhumer ses os que ses bévues?
+ Ne vaut-il pas mieux attacher son corps au gibet, sur une
+ bruyère, que d'emprisonner son ame dans un in-octavo? «Nous
+ savons ce que nous sommes, mais nous ignorons ce que nous
+ pouvons devenir;» et il faut espérer que nous ne saurons
+ jamais si un homme qui a traversé la vie avec une sorte
+ d'éclat, est destiné à n'être qu'un charlatan de l'autre côté
+ du Styx, et à devenir, comme le pauvre Joe Blackett, le
+ plastron des railleries du purgatoire. Le prétexte de cette
+ publication est d'assurer un sort à l'enfant. Mais aucun des
+ amis et des tentateurs de ce _sutor ultrà crepidam_ ne
+ pouvait-il donc faire une bonne action sans enferrer Pratt
+ dans une biographie, et lui faire encore diviser sa dédicace
+ en tant de minces portions? À la duchesse une telle; la
+ très-honorable celle-ci, et mistress et miss celle-là; ces
+ volumes sont, etc., etc. Eh mais, c'est distribuer «le doux
+ lait de la dédicace» par petits verres. Il n'y en a qu'une
+ chopine, et il le partage entre douze personnes. Ah! Pratt,
+ n'avais-tu donc pas quelques éloges en réserve? As-tu pu
+ croire que six familles de distinction se contenteraient de
+ si peu? Il y a un enfant, un livre et une dédicace: que
+ n'envoies-tu la petite fille à la duchesse, les volumes à
+ l'épicier, et la dédicace à tous les diables?]
+
+Ces extraits choisis, qui comprennent un peu plus du huitième du poème
+entier, suffiront pour donner au lecteur une idée du reste, dont la plus
+grande partie est fort inférieure, et descend parfois au niveau de la
+versification la plus triviale.
+
+Quand on examine la destinée des hommes, il est assez curieux d'observer
+combien de fois un premier pas a décidé du sort de toute la vie. Si Lord
+Byron, à cette époque, eût persisté dans son premier projet de publier
+ce poème au lieu de _Childe Harold_, il est plus que probable que le
+monde aurait compté un grand poète de moins[154]. La paraphrase, qui est
+à tous égards si inférieure à sa première satire, et qui tombe même, en
+quelques endroits, au-dessous de ce qu'ont écrit les versificateurs du
+dernier rang, n'aurait pu manquer d'éprouver une chute complète. Ses
+premiers adversaires auraient repris tous leurs avantages; et dans
+l'amertume de sa mortification, il aurait peut-être jeté _Childe Harold_
+au feu; ou s'il eût retrouvé assez de courage pour publier ce poème, son
+succès même, quoique suffisant pour le réhabiliter aux yeux du public et
+aux siens, n'aurait jamais excité cette explosion d'enthousiasme, cette
+subite manifestation de l'admiration générale, qui l'accueillirent
+lorsqu'il apparut au monde avec toute l'illusion de son retour récent de
+la terre natale de la poésie, et au milieu desquelles il marcha d'un pas
+ferme et sûr à de nouveaux triomphes, dont le dernier était toujours le
+plus éclatant.
+
+ [Note 154: Le passage suivant de son journal montrera qu'il
+ attribuait lui-même tout à la fortune: «Comme Sylla, j'ai
+ toujours cru que tout dépendait de la fortune, et rien de
+ nous-mêmes. Je ne me rappelle ni une pensée ni une action
+ dignes de mon approbation ou de celle d'autrui, que je ne
+ doive attribuer à la bonne déesse fortune.»]
+
+Le jugement plus sûr de ses amis détourna heureusement ce danger, et il
+consentit enfin à la publication immédiate de _Childe Harold_; mais il
+ne cessa pas d'exprimer des doutes sur son mérite, et son inquiétude sur
+l'accueil qu'on lui ferait dans le monde.
+
+«Je fis tout mon possible, dit son conseiller, pour relever cet ouvrage
+dans son opinion, et j'y réussis; mais il variait beaucoup dans ses
+idées à cet égard, et il ne fut satisfait que lorsque le monde eut enfin
+prononcé sur son mérite. Il me répétait sans cesse que j'allais le jeter
+dans de grands embarras avec ses anciens ennemis; que la _Revue
+d'Édimbourg_ saisirait avec joie l'occasion de l'humilier; qu'il ne
+voulait pas que son nom parût. Je le priai d'abandonner tout à ma
+direction, et que je répondais que ce poème imposerait silence à tous
+ses ennemis.»
+
+La question de la publication étant alors décidée, il s'éleva quelques
+doutes et quelques difficultés relativement à l'éditeur. Quoique Lord
+Byron eût confié à Cawthorn ses _Imitations d'Horace_, qu'il regardait
+comme son plus beau titre, il paraît qu'il ne le trouva pas assez haut
+placé dans sa profession pour assurer le succès ou la vogue à l'ouvrage
+dont les chances lui semblaient plus incertaines. Il n'avait pas oublié
+que MM. Longman avaient autrefois refusé de publier ses _Bardes
+anglais_, et il exigea positivement de M. Dallas qu'il n'offrît pas le
+manuscrit à cette maison. On s'adressa d'abord à M. Miller,
+d'Albemarle-Street; mais, effrayé de la sévérité avec laquelle lord
+Elgin était traité dans ce poème, M. Miller, qui était l'éditeur et le
+libraire de ce seigneur, refusa de s'en charger. Le poète était si
+soigneux de sa réputation, que cette circonstance, quelque insignifiante
+qu'elle fût, commença à réveiller ses premières terreurs; et s'il se fût
+présenté de nouvelles difficultés, il ne faut pas douter qu'il ne fût
+revenu à son ancien projet. Mais on ne tarda pas à trouver une personne
+qui tint à honneur d'entreprendre cette publication. M. Murray, qui
+demeurait alors dans Fleet-Street, ayant, quelque tems auparavant,
+exprimé le désir d'être autorisé à faire paraître quelque production de
+Lord Byron, ce fut à lui que M. Dallas confia le manuscrit de _Childe
+Harold_. Ainsi commencèrent entre ce gentleman et le poète des relations
+qui durèrent, à quelques interruptions près, aussi long-tems que la vie
+de l'un, et devinrent pour l'autre une source abondante d'honneur et de
+richesse.
+
+Au milieu des occupations que lui donnaient ses projets littéraires et
+quelques affaires litigieuses à terminer avec ses agens, Lord Byron fut
+soudain rappelé à Newstead par la nouvelle d'un événement qui semble
+l'avoir affligé beaucoup plus qu'on ne pouvait s'y attendre d'après
+l'état des choses. Mrs. Byron, dont l'embonpoint excessif menaçait
+toujours de rendre les maladies dangereuses, s'était trouvée indisposée
+depuis quelques jours, mais sans que sa position fût alarmante, et il ne
+paraît pas que son état fût capable d'inspirer des craintes quand il lui
+avait écrit le billet suivant:
+
+
+Hôtel Reddish, Londres, 23 juillet 1811.
+
+
+CHÈRE MADAME,
+
+«M. H... me retient seul encore pour signer quelques baux, et j'aurai
+soin de vous prévenir de mon départ. C'est bien malgré moi que je reste
+ici. Je vous ferai une courte visite en me dirigeant vers le Lancashire
+pour l'affaire de Rochdale. Vous me donnerez votre avis..., etc.
+
+»_P. S._ Je vous prie de considérer Newstead comme votre maison, et non
+la mienne, et de ne regarder mon passage que comme une simple visite.»
+
+Quand il était parti pour ses voyages, elle avait conçu une sorte d'idée
+superstitieuse qu'elle ne le reverrait plus; et lorsqu'il revint sain et
+sauf, et qu'il lui écrivit pour la prévenir qu'il se rendrait bientôt
+près d'elle, à Newstead, elle dit à sa femme de chambre: «Si j'allais
+mourir avant l'arrivée de Byron, comme ce serait étrange!» Et ce fut
+réellement ce qui arriva. À la fin de juillet sa maladie devint plus
+menaçante; et sa vie, dit-on, se termina d'une manière tristement
+caractéristique, s'il est vrai que ce fut un accès de colère excité par
+la lecture d'un mémoire du tapissier, qui causa sa mort. Lord Byron,
+comme cela devait être, fut promptement informé de l'attaque. Mais,
+malgré son départ précipité, il arriva trop tard; elle avait rendu le
+dernier soupir.
+
+Il écrivit la lettre suivante sur la route:
+
+
+
+
+LETTRE LV.
+
+AU DOCTEUR PIGOT.
+
+Newport-Pagnell, 2 août 1811.
+
+
+MON CHER DOCTEUR,
+
+«Ma pauvre mère est morte hier! et je suis parti de Londres pour aller
+accompagner ce qui reste d'elle, à la sépulture de famille. J'ai appris
+sa maladie un jour, et sa mort le lendemain. Grâce à Dieu, ses derniers
+momens ont été fort tranquilles. On m'assure qu'elle a peu souffert, et
+qu'elle ne connaissait pas le danger de sa position. Je reconnais
+aujourd'hui toute la vérité de l'observation de M. Gray: «Que nous ne
+pouvons avoir qu'une mère.» Qu'elle repose en paix! J'ai à vous
+remercier de vos témoignages d'intérêt; et comme dans six semaines je
+dois aller dans le Lancashire pour affaires, je pousserai jusqu'à
+Liverpool et Chester; du moins je tâcherai.
+
+»Si cela peut vous être agréable, je vous dirai qu'au mois de novembre
+prochain l'éditeur du _Fouet_ (_the Scourge_) sera jugé pour deux
+libelles différens sur feu Mrs. Byron et moi-même, la mort de ma mère ne
+changeant rien à la chose. Comme il est coupable d'une violation de
+privilége, dans une insertion aussi sotte que mal fondée, il sera
+poursuivi avec la dernière rigueur.
+
+»Je vous donne ce détail, parce que je sais que vous vous intéressez à
+l'affaire, laquelle est maintenant entre les mains du procureur-général.
+
+»Je resterai la plus grande partie de ce mois à Newstead, où je serais
+charmé de recevoir de vos nouvelles, d'autant plus que j'en ai été privé
+pendant les deux années qu'a duré mon voyage d'Orient.
+
+»Je suis, mon cher Pigot, etc.»
+
+BYRON.
+
+Le lecteur aura sans doute remarqué que le ton général de la
+correspondance du noble poète avec sa mère est celui d'un fils qui
+accomplit strictement et consciencieusement ce qu'il regarde comme son
+devoir, mais sans aucun mélange de cordialité ou d'affection. Le titre
+même de _madame_ qu'il lui donne presque toujours, auquel il ne
+substitue que rarement le nom plus doux de _mère_, est en lui-même une
+preuve suffisante de la nature des sentimens qu'il avait pour elle.
+Qu'ils aient été tels, l'on ne peut ni s'en étonner, ni l'en blâmer;
+mais que, malgré le malheureux caractère de sa mère, qui lui aliénait
+son cœur, il ait continué à consulter ses désirs, à s'occuper de son
+bien-être, comme on le voit non-seulement dans ses lettres, mais encore
+dans le soin qu'il avait pris de disposer le domaine de Newstead pour
+son usage presque exclusif, c'est ce qui lui fait singulièrement
+honneur, et ce qui devient même plus méritoire, car l'affection nous
+fait un plaisir personnel des soins que nous prodiguons à ceux qui en
+sont l'objet.
+
+Mais, quoique sa mère fut ainsi devenue, de son vivant, presque
+étrangère à son cœur, la mort lui rendit la place qu'elle devait
+naturellement y occuper. Soit par un retour de sa première tendresse;
+soit par la puissance du tombeau, qui fait oublier tant de choses! soit
+par la perspective du vide qu'elle allait laisser dans sa vie, il est
+certain qu'il sentit amèrement sa mort, si ce n'est profondément. La
+nuit qui suivit son arrivée à Newstead, la garde de Mrs. Byron, passant
+devant la porte de la chambre où reposait le cadavre de cette dame,
+entendit un bruit comme de quelqu'un qui soupirait péniblement, et, en
+entrant, fut fort étonnée de trouver Lord Byron près du lit, assis dans
+une obscurité profonde. Comme elle lui représentait la faiblesse qu'il y
+avait à s'abandonner ainsi à la douleur, il fondit en larmes, et
+s'écria: «Ho! Mrs. By, je n'avais qu'une amie dans le monde, et elle est
+morte!»
+
+Tandis qu'il renfermait ainsi dans le silence et dans l'obscurité ses
+pensées réelles, il y avait dans d'autres parties de sa conduite plus
+exposées aux regards un degré de singularité et d'indécorum qui, aux
+yeux d'observateurs superficiels, devait faire révoquer en doute la
+sensibilité de son naturel. Le matin des funérailles, après avoir refusé
+d'accompagner lui-même le corps, il se tint debout à la porte de
+l'Abbaye jusqu'à ce que tout le cortége fut passé; alors, se tournant
+vers le jeune Rushton, il lui ordonna d'aller chercher des gants à
+boxer, et se mit à s'exercer avec cet enfant, comme à son ordinaire. Il
+fut silencieux et distrait pendant tout le tems; et comme par un effort
+pour se soustraire aux pensées qui l'agitaient, Rushton crut
+s'apercevoir qu'il mettait une violence inaccoutumée dans les coups
+qu'il lui portait. Mais à la fin, l'effort devenant trop grand pour lui,
+il jeta précipitamment les gants, et se retira dans sa chambre.
+
+Nous avons assez parlé de Mrs. Byron dans cet ouvrage pour mettre
+pleinement le lecteur en état de se former une opinion tant sur le
+caractère de cette dame que sur le degré d'influence qu'il dut avoir sur
+celui de son fils. L'homme le plus extraordinaire de notre tems[155],
+qui se croyait principalement redevable à l'éducation qu'il reçut de sa
+mère, de l'élévation sans exemple à laquelle il arriva dans la suite, a
+dit plusieurs fois que «la bonne ou mauvaise conduite d'un enfant dépend
+entièrement de sa mère.» Quant à l'influence que peuvent avoir eue les
+caprices et la violence de sa mère sur les défauts qui se mêlèrent aux
+belles qualités de Lord Byron, sur ses impulsions incertaines et
+opiniâtres, sur son aversion pour toute espèce de frein, sur l'amertume
+qu'il mit quelquefois dans sa haine, et sur la précipitation de ses
+ressentimens, c'est une question pour la solution de laquelle les
+matériaux ne manquent pas dans ces pages, et que chacun décidera suivant
+qu'il accordera plus ou moins de force et de pouvoir à ces causes dans
+la formation d'un caractère.
+
+ [Note 155: Napoléon.]
+
+Malgré le traitement peu judicieux et presque grossier qu'elle lui fit
+subir, il n'est pas douteux qu'elle n'aimât son fils, mais par boutades,
+et comme il convenait seulement à un naturel tel que le sien; il est
+moins douteux encore qu'elle n'en fût fière, et ne plaçât en lui de
+grandes espérances pour l'avenir. On peut juger de son anxiété pour le
+succès de ses premiers essais littéraires, par les peines que prit Byron
+pour la tranquilliser lors de l'apparition de l'article de la _Revue
+d'Édimbourg_, où il était si mal traité. À mesure que sa renommée
+s'augmenta et devint plus brillante, elle se confirma de plus en plus
+dans les idées que, par une sorte de superstition, elle avait formées
+dès son enfance, de sa grandeur et de sa gloire à venir. Elle épiait
+avec inquiétude toutes les publications où son nom était même simplement
+mentionné; elle avait réuni en un volume qu'a vu l'un de mes amis tout
+ce qui avait paru sur sa satire et ses premiers poèmes. Le volume était
+couvert à la marge d'observations qui lui étaient propres, pleines de
+plus de sens et d'habileté que nous ne lui en aurions supposé, d'après
+ce que nous connaissions en général de son caractère et de sa manière
+d'être.
+
+Parmi les autres traits de sa conduite, où l'on pourrait remarquer le
+désir d'environner sa mère de respect, on peut remarquer qu'étant enfant
+il insistait pour être appelé «Georges Byron Gordon,» donnant ainsi la
+préférence au nom maternel, et qu'il continua toujours à lui écrire: «À
+l'honorable Mrs. Byron,» quoiqu'il sût bien qu'elle n'avait aucune
+espèce de droit à ce titre honorifique. Il ne paraît pas non plus que
+dans sa conduite générale envers elle il ait jamais manqué d'affection
+et de déférence, on y remarquait seulement quelquefois plus de
+familiarité que n'en comportent nos idées de respect filial. Ainsi quand
+ils étaient bien ensemble, il ne l'appelait jamais autrement que «Kitty
+Gordon;» et je me rappelle avoir vu un témoin de la scène me décrire
+l'air dramatique et malin dont un jour, à Southwell, quand ils étaient
+dans le fort de leur rage théâtrale, il ouvrit brusquement les portes du
+salon pour la faire entrer, en disant: «Entrez, honorable Kitty Gordon.»
+
+L'orgueil de la naissance était un sentiment commun à la mère et au
+fils, souvent même c'était un sujet de rivalité entre eux; il leur était
+difficile d'accorder leurs prétentions anglaises et écossaises au plus
+haut lignage respectif. Dans une lettre écrite d'Italie; il dit à propos
+de quelque anecdote qu'il tenait de sa mère: «Ma mère, qui était fière
+comme un diable de descendre des Stuart, en ligne droite des _vieux
+Gordon_, et non des _Sexton Gordon_, comme elle appelait dédaigneusement
+la branche ducale, ne manquait pas de me faire remarquer, chaque fois
+qu'elle me racontait cette histoire, combien _ses_ Gordon l'emportaient
+sur les Byron anglais, malgré notre origine normande, et notre nom
+toujours porté par un héritier mâle, tandis que celui des Gordon était
+tombé à une femme, dans la personne de ma mère.»
+
+Si, pour peindre fortement les émotions pénibles, il faut les avoir
+éprouvées, ou, en d'autres termes, si, pour que le poète soit grand,
+l'homme doit avoir souffert, Lord Byron, il faut l'avouer, paya son beau
+talent de bonne heure et bien cher. Quelque peu nombreuses que fussent
+les affections de Byron, soit en dedans, soit en dehors du cercle de sa
+parenté, il les vit dans un court espace de tems presque toutes brisées
+par la mort[156]. Outre la perte de sa mère, il eut à déplorer, dans
+l'espace de quelques semaines, la mort prématurée de deux ou trois de
+ses meilleurs amis. «Dans le court espace d'un mois,» dit-il dans une
+note de _Childe Harold_, «j'ai perdu celle qui m'avait donné
+l'existence, et la plupart de ceux qui me rendaient cette existence
+tolérable.» Parmi eux nous devons compter le jeune Wingfield, que nous
+avons vu en tête de la liste de ses favoris, à Harrow, et qui mourut de
+la fièvre à Coimbre; et Matthews, l'objet de son admiration et de son
+idolâtrie à l'université, qui se noya en se baignant dans la Cam.
+
+ [Note 156: Dans une lettre écrite deux ou trois mois après la
+ mort de sa mère, il ne compte pas moins de six personnes de
+ ses parens ou de ses amis que la mort lui avait enlevées
+ depuis le mois de mai jusqu'à la fin d'août.
+ (_Note de Moore_.)]
+
+La lettre suivante, écrite immédiatement après ce dernier événement, est
+tellement pleine d'une douloureuse sensibilité, que la lecture en est
+presque pénible.
+
+
+
+
+LETTRE LVI.
+
+À M. SCROPE DAVIES.
+
+Newstead-Abbey, 7 août 1811.
+
+
+MON CHER DAVIES,
+
+«Il y a quelque malédiction sur moi et les miens. Le cadavre de ma mère
+est encore dans la maison, et voilà qu'un de mes meilleurs amis se noie
+dans un fossé! Je ne sais que dire, que penser ou que faire. J'avais
+reçu une lettre de lui avant-hier. Mon cher Scrope, si vous avez un
+moment de libre, je vous en conjure, venez me voir, j'ai besoin d'un
+ami. La dernière lettre de Matthews était datée de vendredi, et samedi
+il n'était plus! Qui pouvait-on comparer à Matthews pour les talens?
+Comme nous étions tous petits auprès de lui! Vous ne me rendez que
+justice en disant que j'aurais volontiers risqué ma chétive existence
+pour sauver la sienne. J'avais intention de lui écrire ce soir même,
+pour l'inviter, comme je vous invite, mon bien, bon ami, à me venir
+voir. Que Dieu pardonne à... son apathie! Quelle sera la douleur de
+notre pauvre Hobhouse! Ses lettres ne parlent que de Matthews. Venez,
+Scrope, je suis presque dans le désespoir; me voilà presque seul dans le
+monde! Je n'avais que vous, Hobhouse et Matthews; laissez-moi jouir de
+la société des survivans aussi long-tems que je le puis. Pauvre
+Matthews! Dans sa lettre de vendredi, il me parlait de son intention de
+se présenter pour l'élection de Cambridge et d'un voyage qu'il devait
+faire bientôt à Londres. Écrivez-moi ou venez, mais venez plutôt si vous
+le pouvez; l'un ou l'autre, ou tous les deux.
+
+»Pour toujours, votre, etc.»
+
+J'ai déjà eu occasion de parler de ce jeune homme remarquable[157]; mais
+le rang qu'il occupa dans les affections de Byron, justifiera sans doute
+un hommage à sa mémoire un peu plus détaillé.
+
+ [Note 157: Charles Skinner Matthews était le troisième fils
+ de feu John Matthews, esq. de Belmont, dans le Herefordshire,
+ représentant de ce comté au parlement de 1802 à 1806. Il
+ avait pour frères l'auteur du _Journal d'un Invalide_ (_Diary
+ of an Invalid_), qui mourut aussi fort jeune, et le
+ prébendier actuel d'Hereford, le révérend Arthur Matthews,
+ qui, par ses talens naturels et ses connaissances acquises,
+ soutient dignement la réputation de son nom.
+
+ Le père de cette famille accomplie était lui-même un homme de
+ fort grands talens, et auteur de plusieurs poèmes anonymes;
+ l'un d'eux, la _Parodie de l'Héloïse de Pope_, a été
+ faussement attribué à feu M. le professeur Porson; qui le
+ récitait souvent, et qui en a même donné une édition.]
+
+Rarement, peut-être on a vu réunis à la fois autant de jeunes gens de
+mérite et d'espérance qu'il s'en trouva à Cambridge dans la société dont
+Byron faisait partie. Le nom de quelques-uns d'entre eux, MM. Hobhouse
+et William Bankes, par exemple, est devenu célèbre dans le monde
+littéraire et savant. Il en est un autre, M. Scrope Davies, dont les
+talens n'ont encore, au grand regret de ses amis, brillé que dans sa
+conversation, d'ailleurs fort remarquable. Parmi tous ces jeunes gens
+pleins de talens et de connaissances, en y comprenant Byron lui-même,
+dont le génie était à cette époque _un monde non encore découvert_, la
+supériorité dans presque tous les genres paraît, du consentement de
+tous, avoir incontestablement appartenu à Matthews. Cet hommage unanime,
+si nous considérons le mérite des personnes qui le lui rendaient, doit
+donner une très-haute idée des dispositions et même des talens qu'il
+montrait à cette époque. On ne peut songer sans intérêt et sans douleur
+à ce qu'il serait probablement devenu un jour si la mort ne l'eût pas
+frappé sitôt. La supériorité intellectuelle, non accompagnée des
+qualités aimables du cœur, n'eût pas suffi pour obtenir cet éloge
+unanime; mais le jeune Matthews, en dépit de quelques légères aspérités
+de caractère, de quelques originalités qu'il commençait à faire
+disparaître, paraît avoir été l'un de ces individus rares, qui
+commandent notre affection en même tems que nos respects, et qui nous
+soulagent de l'admiration que nous ne saurions leur refuser, par l'amour
+qu'ils savent nous inspirer.
+
+J'ai déjà parlé de ses opinions religieuses, et, de leur malheureuse
+conformité avec celles de Lord Byron; ardent, comme son noble ami, à la
+recherche de la vérité, comme lui il s'égara dans sa poursuite, et tous
+deux prirent pour elle cette fausse lumière qui lui ressemble. Qu'il
+soit jamais allé plus loin que Lord Byron dans son scepticisme, que son
+esprit ingénieux ait jamais admis _la croyance incroyable de
+l'athéisme_, c'est, malgré le témoignage écrit de notre poète, c'est ce
+que je vois nier par tous ceux de ses amis qui avouent ses autres
+erreurs en les déplorant. Je ne me serais même pas permis d'examiner
+quelles ont été les opinions d'un homme qui, ne les ayant jamais
+affichées, ne les a pas rendues du domaine public, si l'idée fausse
+qu'on avait adoptée à ce sujet, d'après l'autorité de Lord Byron, ne
+m'eût pas fait considérer comme un acte de justice, envers tous deux, de
+repousser cette imputation.
+
+On se rappellera que, dans ses lettres écrites à sa mère, avant son
+départ pour ses voyages, Lord Byron parle quelquefois d'un testament
+qu'il avait intention de laisser entre les mains de ses exécuteurs. Quel
+qu'ait été le contenu de cette pièce, il paraît que, quinze jours après
+la mort de sa mère, il crut devoir faire de nouvelles dispositions, et
+adressa la lettre suivante, avec ses instructions à cet effet, à feu M.
+Bolton, procureur à Nottingham. J'ai refusé long-tems de croire qu'il
+eût jamais donné sérieusement et en forme les ordres que l'on va voir,
+pour son propre enterrement; mais les documens ci-joints mettent hors de
+doute cette preuve remarquable de la singularité de son caractère.
+
+
+À M. BOLTON.
+
+Newstead-Abbey, 12 août 1811.
+
+
+MONSIEUR,
+
+«Je vous envoie ci-joint une copie des clauses principales du testament
+que j'ai dessein de faire, que je vous prie de vouloir bien faire
+grossoyer le plus tôt possible, de la manière la plus claire et la plus
+formelle. Les changemens que vous y remarquerez sont principalement par
+suite de la mort de Mrs. Byron. Je vous serais obligé de le tenir prêt
+dans peu de tems, et j'ai l'honneur d'être, monsieur,
+
+»Votre très-humble et très-obéissant serviteur,»
+
+BYRON.
+
+NOTES POUR UN TESTAMENT À GROSSOYER IMMÉDIATEMENT.
+
+Newstead-Abbey, 12 août 1811.
+
+«Le domaine de Newstead à substituer, après certaines déductions, à
+George Anson Byron, héritier légitime du titre, ou à la personne
+quelconque qui s'en trouvera héritière légitime au décès de Lord Byron.
+La propriété de Rochdale à vendre en tout ou en partie, suivant le
+chiffre des dettes et legs du présent Lord Byron.
+
+»À Nicolo Giraud, d'Athènes, sujet français, mais né en Grèce, la somme
+de 7,000 livres sterl. pour être payée, à l'époque de sa majorité, audit
+Nicolo Giraud, habitant Athènes et Malte en 1810, et ce sur la vente de
+telles parties de Rochdale, Newstead et autres propriétés, suivant que
+besoin sera.
+
+»À William Fletcher, Joseph Murray et Démétrius Zograffo[158], natif de
+Grèce, domestiques, la somme de 50 livres sterl. pendant leur vie. De
+plus, audit William Fletcher, le moulin de Newstead, à condition qu'il
+en paiera la rente, mais sans être soumis au caprice du propriétaire. À
+Robert Rushton, la somme de 50 livres sterling de rente viagère; plus,
+une autre somme de 1,000 liv. sterl. le jour qu'il atteindra l'âge de
+vingt-cinq ans.
+
+ [Note 158: Si les gazettes ne mentent pas, ce qu'elles font
+ généralement, Démétrius Zograffo, d'Athènes, est à la tête de
+ l'insurrection de ce pays. Il a été mon domestique pendant
+ les années 1809, 1810, 1811 et 1812, avec quelques
+ interruptions, car je le laissai en Grèce quand je passai à
+ Constantinople; il m'accompagna en Angleterre, en 1811, et
+ retourna dans son pays au printems de l'année suivante. C'est
+ un homme habile, quoiqu'il n'eût pas l'air entreprenant; mais
+ ce sont les circonstances qui nous font ce que nous sommes.
+ Ses deux fils, alors au berceau, s'appelaient Miltiade et
+ Alcibiade; puisse le présage être favorable!
+ (_Journal autographe de Byron_.)]
+
+»À John Hanson, esq., la somme de 2,000 liv. sterling.
+
+»Ce qui pourra être dû à S.B. Davies, esq., devra lui être payé dès
+qu'il en aura fourni la note.
+
+»Le corps de Lord Byron sera enseveli dans le caveau du château de
+Newstead, sans aucune cérémonie ou service funèbre, et sans aucune
+inscription, si ce n'est celle de son nom et de son âge. Les restes de
+son chien ne seront pas pour cela enlevés du dit caveau.
+
+»Ma bibliothèque et mes meubles de toute espèce sont légués à mes amis
+et exécuteurs John Carn Hobbouse et S.B. Davies. En cas de décès des
+susdits, je nomme pour mes exécuteurs le révérend J. Becher, de
+Southwell, Nottinghamshire, et R. C. Dallas, Esq. de Montake Surrey.
+
+»Le produit de la vente de Wymondham dans le Norfolkshire, et des
+propriétés de la feue Mrs. Byron en Écosse, sera employé au paiement de
+mes dettes et de mes legs.»
+
+En envoyant une copie du testament rédigé d'après les instructions de
+Lord Byron, le procureur avait accompagné quelques-unes des clauses de
+questions marginales, appelant l'attention de son noble client sur
+certaines choses qui lui semblaient impropres ou douteuses. Comme les
+courtes, mais énergiques réponses de Byron, sont parfaitement empreintes
+de l'originalité de son caractère, nous allons donner ici quelques-unes
+de ces clauses avec les questions et les réponses qui s'y rapportent.
+
+«Ceci est la dernière volonté et le testament de moi, le très-honorable
+Georges-Gordon Lord Byron, Baron Byron de Rochdale, dans le comté de
+Lancaster. Je veux que mon corps soit enterré dans le caveau du jardin
+de Newstead, sans aucune cérémonie, ni aucun service funèbre quelconque.
+Qu'on ne place aucune inscription sur mon tombeau, sauf une tablette
+portant mon nom et mon âge. Je veux de plus qu'on ne retire pas du dit
+caveau les restes de mon chien fidèle. Je me confie à l'affection de mes
+exécuteurs pour l'accomplissement de cette volonté, à laquelle je tiens
+d'une manière toute particulière.»
+
+»--On demande à Lord Byron s'il ne vaudrait pas mieux supprimer
+entièrement cette clause relative aux funérailles. La substance pourrait
+en être renfermée dans une lettre de Sa Seigneurie à ses exécuteurs, et
+jointe au testament, lequel porterait alors que les funérailles auraient
+lieu en la manière que Sa Seigneurie l'aurait ordonné par une lettre _ad
+hoc_, ou, à défaut d'une telle lettre, à la discrétion de ses
+exécuteurs.»
+
+»--Il faut que cela reste.»
+
+BYRON.
+
+»Je veux, et j'ordonne formellement que toutes les sommes que ledit S.
+B. Davies pourrait avoir à répéter sur moi, soient payées intégralement,
+aussitôt que possible, après mon décès, dès qu'il aura prouvé la nature
+et le montant de la dette (par témoins ou autrement, à la satisfaction
+de mes exécuteurs ci-dessus nommés)[159].»
+
+ [Note 159: Les mots placés ici entre deux traits avaient été
+ biffés à la plume par Lord Byron.]
+
+»--Si M. Davies a quelques comptes non réglés avec Lord Byron, cette
+circonstance est une raison de ne le point nommer exécuteur; chaque
+exécuteur étant en état de se payer par ses propres mains sans consulter
+ses co-exécuteurs.»
+
+»--Tant mieux... Si la chose est possible, qu'il soit l'un des
+exécuteurs.»
+
+BYRON.
+
+Les deux lettres suivantes contiennent de nouvelles instructions sur le
+même sujet.
+
+
+
+
+LETTRE LVIII. [Même numéro que lettre suivante]
+
+À M. BOLTON.
+
+Newstead-Abbey, 16 août 1811.
+
+
+MONSIEUR,
+
+«J'ai répondu en marge à vos questions[160]. Mon intention est que l'on
+accorde à M. Davies tout ce qu'il croira devoir répéter, et de plus
+qu'il soit l'un de mes exécuteurs. Je désire que le testament soit, s'il
+est possible, écrit de manière à prévenir toute espèce de discussion
+après ma mort, et c'est ce sur quoi je m'en repose sur vous comme homme
+de loi et homme d'honneur.
+
+ [Note 160: En énumérant dans cette clause le nom et la
+ demeure des exécuteurs, le procureur avait laissé des blancs
+ pour les noms de baptême des exécuteurs; Lord Byron les ayant
+ tous remplis, excepté celui ou ceux de M. Dallas, écrivit en
+ marge: «J'ai oublié le nom de baptême de Dallas... il n'y a
+ qu'à le retrancher.»]
+
+»Quant à la manière simple dont je veux qu'on dispose de ma _carcasse_,
+je veux que l'on s'y conforme absolument; cela aura, du moins,
+l'avantage de sauver bien du trouble et de la dépense. En outre, ce qui
+est de peu de conséquence pour moi, mais qui pourra calmer la conscience
+des survivans, le jardin est _terre consacrée_. Cet article est copié
+mot à mot de mon premier testament, et les changemens opérés dans
+d'autres sont la suite de la mort de Mrs. Byron.
+
+»J'ai l'honneur d'être votre très-humble et très-obéissant serviteur,»
+
+BYRON.
+
+
+
+
+LETTRE LVIII.[Même numéro que la lettre précédente.]
+
+À M. BOLTON.
+
+Newstead-Abbey, 20 août 1811.
+
+
+MONSIEUR,
+
+«Les témoins seront pris parmi mes fermiers, et je serai charmé de vous
+recevoir le premier jour qui vous sera convenable. J'ai oublié de
+mentionner qu'il faut spécifier par codicille, ou autrement, que mon
+corps ne devra, sous aucun prétexte, être enlevé de la place où je yeux
+qu'il soit déposé. Que si quelqu'un de mes successeurs au titre, soit
+par bigoterie, soit autrement, voulait déranger ma carcasse, un tel
+procédé devra être suivi de la perte du domaine, qui, dans ce cas,
+serait dévolu à ma sœur l'honorable Augusta Leigh ou à ses ayant-cause,
+aux mêmes conditions.
+
+«»J'ai l'honneur d'être, Monsieur, etc.»
+
+BYRON.
+
+En conséquence de cette dernière lettre, une condition provisionnelle
+fut insérée dans le testament. Il y fut aussi, le 28 du même mois,
+ajouté un codicille par lequel il révoque la donation précédemment faite
+de «ses meubles meublans, bibliothèque, tableaux, sabres, montres,
+argenterie, linge, bijoux, etc., et autres effets mobiliers, excepté
+l'argent et les valeurs en portefeuille, qui se trouveraient dans la
+maison et propriété de Newstead au jour de son décès, et lègue le tout
+(excepté le vin et les autres spiritueux) à ses amis lesdits J. C.
+Hobhouse, J. B. Davies et Francis Hodgson, ses exécuteurs, etc. Il lègue
+le vin et les liqueurs spiritueuses qui se trouveront dans les caves et
+autres parties de Newstead, à son ami ledit J. Becher, pour son usage
+particulier. Priant collectivement et individuellement les susnommés de
+vouloir bien accepter leur dit legs respectif, comme un gage de son
+amitié.»
+
+On ne saurait se défendre d'un intérêt douloureux à la lecture des
+lettres suivantes, écrites lorsque ses dernières pertes étaient encore
+toutes récentes.
+
+LETTRE LIX.
+
+À M. DALLAS.
+
+Newstead-Abbey, 12 août 1811.
+
+«Que la paix soit avec les morts! Le regret ne saurait les réveiller.
+Après avoir donné un soupir à ceux qui ont quitté cette vie,
+reprenons-en les ennuyeuses occupations, dans la certitude où nous
+sommes que nous aussi nous aurons un jour notre repos. Outre celle qui
+m'avait donné l'existence, j'ai perdu la plus grande partie de ceux qui
+me la rendaient supportable. Le meilleur ami de mon ami Hobhouse,
+Matthews, homme d'un rare mérite, l'ornement de notre petit cercle, a
+péri misérablement dans les eaux fangeuses de la Cam, toujours fatales
+au génie. Mon pauvre camarade d'école, Wingfield, est mort à Coimbre. En
+voilà trois dans l'espace d'un mois; j'avais reçu des nouvelles de tous
+trois, mais je n'en ai pas vu un seul. Matthews m'avait écrit le jour
+même de sa mort: quoique je regrette vivement sa perte, je suis bien
+plus tourmenté pour Hobhouse, je crains bien qu'il n'en perde la raison;
+depuis cet événement, les lettres qu'il m'a écrites sont pleines
+d'incohérences. Mais allons..., nous passerons un jour ou un autre comme
+tout le reste... Le monde est trop plein de ces sortes de choses, et
+notre chagrin même est égoïste.
+
+»J'ai reçu une lettre de vous, à laquelle mes dernières occupations
+m'ont empêché de répondre, ainsi qu'il aurait convenu. J'espère que vos
+parens et vos amis ne seront pas de sitôt séparés. Je serai charmé de
+recevoir une lettre de vous: parlez-moi d'affaires, de sujets communs,
+de quelque chose ou de rien, de tout ce que vous voudrez, excepté de la
+mort; j'en ai plus que je n'en puis supporter. C'est une chose
+étonnante: je regarde sans émotion les quatre crânes que j'ai toujours
+sous les yeux dans mon cabinet d'étude, et je ne puis, même par la
+pensée, dépouiller de leur enveloppe charnue les traits de ceux que j'ai
+connus, sans éprouver une horrible sensation; mais les vers n'y font pas
+tant de cérémonie! Sûrement les Romains avaient raison de brûler leurs
+morts.
+
+»Je serai charmé de recevoir de vos nouvelles, et suis votre, etc.»
+
+BYRON.
+
+
+
+
+LETTRE LX.
+
+À M. HODGSON.
+
+Newstead-Abbey, 22 août 1811.
+
+
+«Vous avez sans doute appris la mort soudaine de ma mère, celle de
+Matthews, celle de Wingfield que je n'ai sue d'une manière bien positive
+qu'au moment où je quittais Londres, encore refusais-je d'y croire; tout
+cela fait un horrible vide dans mes affections. Ces coups se sont
+succédé si rapidement, que je suis comme stupéfait du choc. Quoique je
+mange, que je boive, que je parle, que je rie même quelquefois, j'ai
+peine à me persuader que je sois éveillé; chaque matin j'acquiers la
+triste conviction que tout cela n'est que trop réel. Mais, brisons là,
+les morts sont en repos, et seuls ils y sont.
+
+»Vous partagerez la douleur de ce pauvre Hobhouse: Matthews était le
+dieu de son idolâtrie; et si l'intelligence peut élever un homme
+au-dessus de ses semblables, nul ne pouvait lui refuser cette
+prééminence. Je le connaissais très-intimement, et l'estimais en
+proportion; mais je retombe encore... Allons, parlons de la vie et des
+vivans.
+
+«Si vous vous sentiez disposé à venir ici, vous y trouveriez «du bœuf,
+du feu de charbon de terre» et du vin qui n'est pas sans quelque mérite.
+Si vous y trouverez les deux autres nécessités d'un Anglais, suivant
+Otway, je ne saurais en répondre, mais probablement une des deux.
+Faites-moi savoir quand je pourrai vous attendre, afin que je vous
+tienne au courant de mes allées et de mes venues.....
+
+«Davies est venu ici; il m'a invité à passer une semaine à Cambridge
+dans le mois d'octobre, de sorte que nous pourrions d'aventure nous
+rencontrer le verre à la main. Sa gaîté contre laquelle la mort ne peut
+rien, m'a rendu bien service; mais après tout, nos éclats de rire
+n'étaient pas francs.
+
+«Vous m'écrirez? Je suis seul, voilà la première fois que la solitude
+m'est pénible. Votre anxiété, à propos de la critique sur le livre de
+***, est amusante; comme elle est anonyme, elle est de peu de
+conséquence. Je voudrais qu'elle eût amené un peu plus de confusion, car
+j'aime les malices littéraires. Ne faites-vous rien? N'écrivez-vous
+rien? N'imprimez-vous rien? Pourquoi ne continuez-vous pas votre satire
+sur le méthodisme? Ce sujet, en supposant même que le public fût aveugle
+sur le mérite littéraire, ferait merveille. Outre que pour un homme qui
+se destine au diaconat, il n'y aurait pas de mal de prouver son
+orthodoxie, sérieusement parlé, je désirerais vivement vous voir mieux
+apprécié. Je dis _sérieusement_, parce qu'étant auteur moi-même, on
+pourrait soupçonner mon humanité. Croyez-moi, pour toujours, mon cher
+Hodgson, votre, etc.»
+
+
+
+
+LETTRE LXI.
+
+A M. DALLAS.
+
+Newstead, 21 août 1811.
+
+
+«Votre lettre me fait honneur de plus de sensibilité que je n'en
+possède; quoique je me trouve suffisamment malheureux, je suis cependant
+sujet à une sorte de joie hystérique, ou plutôt de rire sans gaîté, dont
+je ne puis me rendre compte, et que je ne saurais surmonter; et
+cependant je ne m'en sens pas soulagé: une personne indifférente me
+croirait dans les meilleures dispositions du monde. «Il faut oublier
+toutes ces choses,» et avoir recours à toutes nos jouissances
+d'égoïstes, ou plutôt à notre égoïsme, source de nos jouissances. Je ne
+crois pas retourner à Londres immédiatement; j'accepterai donc sans
+cérémonie ce que vous m'avez obligeamment offert, votre médiation entre
+Murray et moi. Je ne crois pas qu'il soit convenable d'y mettre mon nom.
+Observez que ma maudite satire sera cause que les critiques anglais et
+écossais vont se déchaîner sur le _Pélerinage_. Mais n'importe; si
+Murray insiste, et que vous soyez d'accord avec lui, j'en aurai le
+courage. Que le titre porte donc: «Par l'auteur des _Poètes anglais et
+des Journalistes écossais_.» Mes remarques sur la langue romaïque, qui
+devaient accompagner mes _Imitations d'Horace_, se joindront tout
+naturellement à cet ouvrage, avec lequel elles ont plus de rapport,
+ainsi que les petits poèmes que j'ai maintenant en portefeuille, et
+quelques autres déjà publiés dans les _Mélanges_. J'ai trouvé dans les
+papiers de ma pauvre mère toutes mes lettres de l'Orient, et en
+particulier une assez longue sur l'Albanie; j'en pourrai, au besoin,
+tirer le sujet d'une note ou deux. Comme je n'avais point de journal,
+ces lettres écrites sur les lieux sont tout ce que je puis désirer de
+mieux. Nous en reparlerons quand tout le reste sera définitivement
+arrangé.
+
+«Murray a-t-il montré l'ouvrage à quelqu'un? Il en est bien le maître;
+mais je ne veux pas de suffrages mendiés ou surpris. Il y a
+naturellement certaines petites choses que je voudrais changer.
+Peut-être ferait-on aussi bien de retrancher deux stances bouffonnes sur
+le dimanche à Londres. Je dois singulièrement éviter d'identifier mon
+caractère avec celui de _Childe Harold_, et c'est en vérité une seconde
+objection pour l'impression de mon nom sur le titre. Quand vous serez
+convenu du tems, du format, du caractère, etc., faites-moi l'honneur
+d'une réponse. Je vous donne une peine infinie, et que tous mes
+remercîmens ne sauraient jamais reconnaître. J'avais mis en tête du
+manuscrit une sorte d'apologie en prose de mon scepticisme; mais comme,
+toute réflexion faite, je trouve qu'elle a plutôt l'air d'une attaque
+que d'une défense, je crois qu'il serait peut-être mieux de la
+retrancher.... Voyez, et jugez. Je crains que Murray ne se fasse quelque
+mauvaise affaire avec les dévots; je ne puis qu'y faire; je souhaite
+cependant qu'il s'en tire pour le mieux. Quant à moi, «j'ai été abreuvé
+de critiques, et j'en ai eu tout mon soûl,» et je ne pense pas que «le
+plus épouvantable traité» puisse mouvoir et faire hérisser sur ma tête
+«ma toison de cheveux», jusqu'à ce que «la forêt de Birnam vienne au
+château de Dunsinane[161]». Je continuerai à vous écrire de tems en
+tems, et j'espère que vous me rendrez lettre pour lettre. Comment Pratt
+se tire-t-il des œuvres posthumes de Joe Blackett? Vous avez tué ce
+pauvre homme-là entre vous, en dépit de votre ami l'Ionien et de moi qui
+voulions le sauver des griffes de Pratt. Poésie, pauvreté pendant la
+vie, oubli après la mort! Cruel patronage! de ruiner un homme, en
+l'arrachant à son état. Mais enfin c'est un merveilleux sujet de
+souscription et de biographie; et Pratt, qui tire le meilleur parti de
+ses dédicaces, a déjà dédié son livre à cinq grandes familles au moins.
+
+ [Note 161: Imitation burlesque du _Macbeth_ de Shakspeare.
+ (_N. du Tr._)]
+
+«Je suis fâché que vous n'aimiez pas Harry White; avec beaucoup de
+jargon religieux qui, par parenthèse, l'a tué, quoique sincère, comme
+vous avez tué Joe Blackett, certes il y avait en lui de la poésie et du
+génie. Je ne dis pas cela pour ma comparaison et mes rimes; mais il
+était incontestablement au-dessus de tous les Bloomfields, les
+Blacketts, et tous ces autres savetiers que Lofft et Pratt ont enlevés
+ou enlèveront à leur état pour les faire entrer au service de la presse.
+Vous excuserez tout le décousu de cette lettre; j'écris je ne sais quoi
+pour me dérober à moi-même. Hobhouse est parti pour l'Irlande. M. Davies
+est passé par ici en se rendant à Harrowgate.
+
+»Vous ne connaissiez pas Matthews; c'était un homme d'un talent
+extraordinaire; il en a fait preuve à Cambridge, en gagnant, sur les
+plus habiles candidats, plus de prix et de _fellowships_ qu'aucun gradué
+ne l'ait encore fait, de mémoire d'homme. Mais c'était un athée bien
+décidé et bien connu pour tel; car il proclamait ses principes dans
+toutes les sociétés. Je le connaissais beaucoup; sa mort laisse dans mon
+cœur un vide qui ne sera pas aisément rempli: pour Hobhouse, il ne s'en
+consolera jamais. Écrivez-moi, et croyez-moi, etc.»
+
+
+
+
+LETTRE LXII.
+
+À M. MURRAY.
+
+Newstead-Abbey, 23 août 1811.
+
+
+MONSIEUR,
+
+«Un chagrin domestique, la mort d'un parent très-proche, m'a jusqu'ici
+empêché d'entrer en correspondance avec vous sur ce qui fait le sujet de
+cette lettre. Mon ami, M. Dallas, a mis entre vos mains le manuscrit
+d'un poème écrit par moi en Grèce, et me dit que vous n'avez point
+d'objections contre sa publication; mais il m'apprend aussi que vous
+désireriez soumettre l'ouvrage à M. Gifford. Certes, nul ne désirerait
+plus que moi profiter des observations dont il pourrait peut-être
+m'honorer; mais il y a dans une démarche de ce genre une sorte de quête
+d'éloges qui répugne à mon orgueil, ou de quelque autre nom qu'il vous
+plaise d'appeler le sentiment qui me force à m'y refuser. Non-seulement
+M. Gifford est le premier de nos poètes satiriques, mais il est encore
+l'éditeur de nos principales _Revues_, et comme tel, l'homme du monde
+dont je voudrais le moins avoir l'air de prévenir la critique par de
+petits moyens, quoique en effet je la redoute beaucoup. Vous voudrez
+donc bien garder le manuscrit entre vos mains, ou s'il faut absolument
+qu'il soit montré à quelqu'un, envoyez-le à un autre. Quoique je ne sois
+pas très-patient de la censure, je serais, comme un autre, charmé de
+recevoir le peu d'éloges que mes vers peuvent mériter; mais à coup sûr
+je ne veux pas les extorquer par d'humbles sollicitations, et en faisant
+passer mon manuscrit à la ronde. Je suis persuadé qu'avec un peu de
+réflexion vous verrez que je n'ai pas tort.
+
+«Si vous vous déterminez à publier, j'ai aussi quelques petits poèmes
+inédits, quelques notes, et une courte dissertation sur la littérature
+grecque moderne, écrite à Athènes, qui pourront être places à la fin du
+volume. Si la pièce dont il s'agit ici venait à réussir, j'ai intention
+de publier plus tard un choix de mon premier recueil, ma satire, une
+autre de la même longueur, et quelques autres petites choses; le tout
+joint au manuscrit que vous avez maintenant entre les mains pourrait
+former deux volumes. Nous aurons le tems d'en reparler. Je vous serais
+obligé de me faire connaître la détermination que vous aurez prise.
+
+«Je suis, monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur,»
+
+BYRON.
+
+
+
+
+LETTRE LXIII.
+
+A M. DALLAS.
+
+Newstead-Abbey, 25 août 1811.
+
+
+«Comme heureusement j'ai mon franc-couvert[162], je ne me fais point
+scrupule de vous accabler de griffonnage; depuis dix jours je vous ai
+envoyé de véritables paquets. Je suis ici comme un ermite; je ne crois
+pas que mon agent puisse m'accompagner à Rochdale avant la seconde
+semaine de septembre, délai qui me contrarie fort; car je voudrais que
+cette affaire fût finie, et serais bien aise de me livrer à quelque
+occupation. Je vous envoie des exordes, des annotations, etc., pour
+notre futur in-quarto, si tant est qu'in-quarto il doive y avoir. J'ai
+aussi écrit à M. Murray, lui exposant les raisons qui me font ne pas
+consentir à ce qu'il envoie mon manuscrit à Juvénal[163], mais lui
+permettant de le montrer à quelque autre personne du métier qu'il pourra
+lui être agréable. Hobhouse est sous presse, de manière que, lui en
+prose, et moi en vers, nous tirons passablement à vue sur la patience et
+le papier-monnaie du public. Ce n'est pas tout; mes _Imitations
+d'Horace_ attendent leur tour pour s'imprimer chez Cawthorn, mais je
+suis encore incertain sur le _quand_ et le _comment_, le simple ou le
+double, le présent et le futur. Il faut que vous excusiez tout ce
+bavardage; car dans ce manoir isolé je n'ai rien à dire, si ce n'est de
+moi-même, et je serais charmé de pouvoir parler de....., ou penser à
+quelque autre chose que ce soit.
+
+ [Note 162: Pendant la durée des sessions, les membres des
+ deux chambres ont leur couvert libre, tant pour les lettres
+ qu'ils écrivent que pour celles qu'ils reçoivent.
+ (_N. du Tr._)]
+
+ [Note 163: M. Gifford.]
+
+«Qu'est-ce que vous allez faire? Pensez-vous à percher dans le
+Cumberland, comme vous en aviez l'idée, quand j'étais dans la métropole!
+Si vous avez le goût de la retraite, que ne prenez-vous «la chaumière de
+l'amitié» de miss ***, dernière résidence du savetier Joe Blackett, de
+la mort duquel vous et les autres répondrez un jour? «Sa fille
+orpheline» (pathétique Pratt!) ne saurait manquer de devenir une Sapho
+cordonnière. N'avez-vous pas de remords? Je crois que l'élégante épître
+à miss Dallas devrait être gravée sur le cénotaphe que miss *** veut
+consacrer à sa mémoire.
+
+«Les journaux semblent désappointés de ce que Sa Majesté ne meurt pas et
+s'occupe à quelque chose de mieux. Je présume que tout est fini
+maintenant. Si le parlement reprend ses séances en octobre, je me
+rendrai à Londres pour y assister. Je suis aussi invité à Cambridge pour
+le commencement de ce mois, mais il faut d'abord que j'aille faire une
+course à Rochdale. Maintenant que Matthews est mort et que Hobhouse est
+en Irlande, à l'exception de celui qui m'y appelle, à peine me
+reste-t-il un ami à Cambridge pour me venir prendre la main à mon
+arrivée. A vingt-trois ans, me voilà resté presque seul, que sera-ce
+donc à soixante-dix! Il est vrai que je suis jeune et que je puis
+commencer de nouvelles liaisons; mais avec qui me rappellerai-je ces
+scènes joyeuses de la première partie de la vie? C'est une chose
+étrange, combien peu de mes amis sont morts d'une mort tranquille! je
+veux dire dans leur lit. Une vie tranquille est de bien plus grande
+conséquence. Mais on aime mieux se quereller et se heurter que
+_bailler_. Ce mot m'avertit qu'il est tems de vous débarrasser de votre
+bien affectionné, etc.
+
+
+
+
+LETTRE LXIV.
+
+A M. DALLAS.
+
+Newstead-Abbey, 27 août 1811.
+
+«J'étais si sincère dans ma note sur feu Charles Matthews, et je me sens
+si totalement incapable de rendre justice à ses talens, que le passage
+doit subsister par la raison même que vous alléguez pour me le faire
+supprimer. Tous les hommes que j'ai connus ne sont que des pygmées
+auprès de lui. C'était un géant intellectuel. Il est vrai que j'aimais
+Wingfield plus encore: c'était mon plus ancien camarade et le plus cher,
+un de ces hommes peu nombreux qu'on ne saurait jamais se repentir
+d'avoir aimés; mais sous le rapport de la capacité... Ah! vous ne
+connaissiez pas Matthews!
+
+«_Childe Harold_ peut attendre, et ce sera tant mieux; les livres n'en
+sont jamais plus mauvais pour avoir été retardés dans leur publication.
+Ainsi, vous avez chez vous notre héritier, Georges Anson Byron, et sa
+sœur...................................................................
+
+«Dites tout ce que vous voudrez, mais vous êtes l'un des _meurtriers_ de
+Blackett, et cependant vous ne voulez pas avouer le génie d'Harry White.
+Mettant à part sa bigoterie, il mérite certainement d'être placé près de
+Chatterton. Il est étonnant combien peu il était connu! et, à Cambridge,
+personne ne pensait à lui, ne parlait de lui, jusqu'à ce que la mort
+l'ait rendu indifférent à sa gloire posthume. Pour ma part, j'eusse été
+fier d'être lié avec lui; ses préjugés mêmes étaient respectables. Il y
+a à Granta un poète épique en herbe, un M. Townsend, protégé du feu duc
+de Cumberland. Avez-vous jamais entendu parler de son _Armageddon_? Je
+crois que son plan (pour l'homme, je ne le connais pas) a quelque chose
+de sublime; bien que dans vos idées, à vous autres Nazaréens, il y ait
+trop de hardiesse à vouloir créer à l'avance _Le Dernier Jour_. Cela a
+l'air de vouloir dire au Seigneur ce qu'il doit faire, et pourrait
+rappeler à quelque lecteur malévole ce vers:
+
+ Des sots se précipitent où les anges ne marchent qu'en
+ tremblant.
+
+»Je ne veux point lui faire de chicanes, d'autres lui en feront, et il
+pourrait bien voir après ses talons tous les agneaux de Jacob Behmen.
+Quoi qu'il en soit, j'espère qu'il s'en tirera à son honneur, encore
+qu'il doive rencontrer Milton en son chemin.
+
+ȃcrivez-moi, je suis fou de bavardages; saluez pour moi Ju..., et
+donnez pour moi une poignée de main à Georges; mais prenez garde, il a
+une vilaine patte marine.
+
+»_P. S._ J'inviterais volontiers Georges à venir ici, mais je ne sais
+comment l'amuser; j'ai vendu tous mes chevaux à mon départ d'Angleterre,
+et je n'ai pas encore eu le tems de les remplacer. Cependant, s'il veut
+venir chasser en septembre, il sera le bienvenu, mais il faudra qu'il
+apporte un fusil; j'ai donné tous les miens à Ali Pacha, et à d'autres
+Turcs. J'ai des chiens, un garde, beaucoup de gibier, un grand domaine,
+un lac, un bateau, un logement et du bon vin à son service.»
+
+
+
+
+LETTRE LXV.
+
+À M. MURRAY.
+
+Newstead-Abbey, 5 septembre 1811.
+
+
+MONSIEUR,
+
+«Il paraît que le tems est passé où, comme le disait le docteur Johnson,
+un homme était sûr d'apprendre la vérité de son libraire; vous m'avez
+fait tant de complimens qu'à moins d'être le dernier écrivassier du
+monde, je devrais m'en tenir pour offensé. Mais puisque je les accepte
+ces complimens tels qu'ils sont, il est bien juste que j'aie aussi
+beaucoup d'égards pour vos objections, d'autant plus que je les crois
+fondées. Quant aux parties politique et métaphysique, je crains de n'y
+pouvoir rien changer; j'ai de grandes autorités pour justifier mes
+erreurs sur ce point, car l'_Énéide_ elle-même était un poème
+_politique_ et écrit dans un but _politique_. Quant à mes malheureuses
+opinions sur des sujets plus importans, j'ai été trop sincère en les
+émettant pour songer à chanter la palinodie. J'ai dit ce que j'avais vu
+pour ce qui touche les affaires d'Espagne, et je crois que l'honnête
+John Bull commence à revenir de l'ivresse où l'avait plongé la retraite
+de Masséna, conséquence ordinaire de _succès extraordinaires_. Vous
+voyez donc que je ne puis altérer les pensées; mais si dans l'expression
+et la forme des vers, il y a quelque chose que vous désiriez changer, je
+puis rajuster des rimes, et retourner des stances autant qu'il vous
+plaira. Quant aux _Orthodoxes_, espérons qu'ils achèteront l'ouvrage
+pour en dire du mal, alors vous leur pardonnerez l'intention en faveur
+du résultat immédiat. Vous savez que rien de ce qui sort de ma plume ne
+saurait être épargné, pour plusieurs bonnes raisons; ainsi donc, encore
+que cet ouvrage soit d'une nature tout-à-fait différente du premier,
+nous ne devons pas nous livrer à de trop belles espérances.
+
+»Vous ne m'avez point fait de réponse à ma question; dites-moi
+franchement, avez-vous montré le manuscrit à quelqu'un de votre corps?
+J'ai envoyé une stance d'introduction à M. Dallas pour vous être remise,
+et sans laquelle le poème commençait d'une manière trop brusque. Il vaut
+mieux numéroter les stances en chiffres romains. J'ai des _Recherches
+sur la littérature grecque moderne_ et quelques autres petits poèmes qui
+se placeront à la fin. Je les ai ici, et je vous les enverrai en tems
+opportun. Si M. Dallas a perdu la stance et la note qui y était annexée,
+écrivez-le-moi, et je vous les enverrai directement. Vous me dites
+d'ajouter deux chants, mais je dois visiter mes _charbonniers_ du
+Lancashire, le 15 courant, et c'est une occupation si anti-poétique que
+je n'ai pas besoin de vous en dire davantage.
+
+»Je suis, Monsieur, votre très-obéissant, etc.»
+
+Les manuscrits de ces deux poèmes ayant été, bien contre sa volonté,
+montrés à M. Gifford, voici l'opinion de ce gentleman, rapportée par M.
+Dallas: «Il a parlé très-avantageusement de votre satire; mais quant à
+votre poème (_Childe Harold_), non-seulement il a dit que c'était ce que
+vous aviez écrit de mieux, mais il le prétend au moins égal à quoi que
+ce soit qu'on ait publié depuis le commencement de ce siècle.»
+
+
+
+
+LETTRE LXVI.
+
+À M. DALLAS.
+
+Newstead-Abbey, 7 septembre 1811.
+
+
+MONSIEUR,
+
+«Comme Gifford a toujours été pour moi mon _magnus Apollo_, des éloges
+tels que ceux que vous mentionnez me sont naturellement plus précieux
+que _tout l'or vanté de Bolcara_, que _toutes les pierres précieuses de
+Samarkand_. Mais je suis fâché que le manuscrit lui ait été montré, et
+je l'avais écrit à Murray, croyant qu'il en était tems encore.
+
+»Pour répondre à votre objection sur l'expression de _ligne centrale_,
+je vous dirai seulement qu'avant que Childe Harold quittât l'Angleterre,
+son intention arrêtée était de traverser la Perse et de revenir par les
+Indes, ce qu'il n'aurait pu faire sans passer la ligne équinoxiale.
+
+»Quant aux autres erreurs dont vous parlez, il faudra que je les corrige
+au fur et à mesure pendant l'impression. Je me sens très-honoré du désir
+qu'ont bien voulu exprimer des personnes aussi distinguées de me voir
+continuer mon poème; mais pour cela, il faut que je retourne en Grèce et
+en Asie; il me faut un soleil plus chaud et un ciel sans nuages; on ne
+saurait décrire de telles scènes au coin d'un feu de charbon de terre.
+J'avais projeté un chant additionnel quand j'étais dans la Troade et à
+Constantinople, et, si je revoyais ces lieux-là, je pourrais continuer:
+mais au milieu des circonstances et des sensations actuelles je n'ai ni
+harpe, ni cœur, ni voix pour aller en avant. Je sens que vous avez tous
+raison quant à la partie métaphysique; mais je sens aussi que je suis
+sincère, et que si je ne devais écrire que _ad captandum vulgus_, autant
+vaudrait publier tout de suite un _Magazine_ ou filer langoureusement
+des chansonnettes pour le Wauxhall...................................
+
+»Mon ouvrage réussira comme il pourra. Je sais que j'ai tout contre moi,
+des poètes irrités et des préjugés; mais si le poème est _un poème_, il
+surmontera ces obstacles, _sinon_ il mérite son sort. J'ai lu l'ode de
+votre ami; ce ne serait pas lui faire grand compliment de lui dire
+qu'elle est bien supérieure à celle de S***, sur le même sujet. C'est
+évidemment l'ouvrage d'un homme de goût et d'un poète, et cependant je
+ne pourrais dire qu'elle soit tout-à-fait égale à ce qu'on avait droit
+d'attendre de l'auteur des _Horæ Ionicæ_. Je vous en remercie, et c'est
+plus que je n'en voudrais dire d'aucune autre des odes qu'on nous donne
+aujourd'hui. Je suis bien sensible aux vœux que vous formez pour moi, et
+j'en ai grand besoin. Ma vie entière a été en opposition aux convenances
+sociales pour ne pas dire à la décence. Mes affaires sont embarrassées,
+mes amis sont morts ou loin de moi, et mon existence n'est plus qu'un
+désert aride. Dans Matthews j'ai perdu un guide, un philosophe, un ami;
+dans Wingfield un ami seulement, mais un ami que j'aurais désiré
+accompagner dans son long voyage.
+
+»Matthews était, en effet, un homme extraordinaire; jamais un étranger
+n'aurait pu concevoir un tel génie; le cachet de l'immortalité était
+empreint sur tout ce qu'il disait, sur tout ce qu'il faisait: et
+maintenant que reste-t-il de lui? Quand nous voyons de ces hommes
+disparaître, de ces hommes qui semblaient avoir été créés pour montrer
+tout ce que le créateur pourrait faire de ses créatures; quand nous les
+voyons réduits en poussière avant que le tems n'ait mûri leur génie qui
+eût pu être l'orgueil de la postérité, que devons-nous en conclure? Pour
+ma part, ma raison s'y perd. Il était beaucoup pour moi, il était tout
+pour Hobhouse. Mon pauvre Hobhouse idolâtrait Matthews. Moi je l'aimais
+moitié moins que je ne le respectais; j'étais tellement convaincu de sa
+supériorité infinie, que quoique je ne lui portasse pas envie, je
+restais devant lui dans une sorte d'admiration stupéfaite. Lui,
+Hobhouse, Davis et moi nous formions un petit cercle à Cambridge et
+ailleurs. Davis est un homme d'esprit et un homme du monde; il ressent
+la perte que nous avons faite, autant qu'un homme de ce caractère peut
+la ressentir; mais il n'en est pas aussi affecté qu'Hobhouse. Davis, qui
+n'est point écrivain, nous a toujours battus dans une guerre de mots;
+son talent de conversation nous amusait en même tems qu'il nous
+imposait. Hobhouse et moi, avions toujours le dessous contre les deux
+autres, et Matthews lui-même était obligé de céder devant la vivacité
+toute puissante de Davis. Mais je vous parle là d'hommes et de jeunes
+gens, comme si tout cela était de nature à vous intéresser.
+
+»J'attends le retour de mon agent vers le 14, pour me rendre avec lui
+dans le Lancashire, où tout le monde me dit que j'ai une propriété qui
+n'est pas à dédaigner, consistant en mines de charbon de terre, etc. Mon
+intention est d'accepter ensuite une invitation, à Cambridge, en
+octobre, et peut-être irai-je jusqu'à Londres. J'ai quatre invitations
+pour quatre villes différentes; mais il faut que je me dévoue tout
+entier aux affaires. Je suis complètement seul, comme le prouvent assez
+ces lettres longues et ennuyeuses. En relisant votre lettre, je vois que
+l'ode est de l'auteur; faites-lui, je vous prie, accepter mes
+complimens. Sa muse méritait un sujet plus noble. Vous m'écrirez, je
+l'espère, comme à l'ordinaire.
+
+»Je vous souhaite le bon soir, et suis, etc.»
+
+
+
+LETTRE LXVII.
+
+À M. MURRAY.
+
+Newstead-Abbey, 14 septembre 1811.
+
+
+MONSIEUR,
+
+«Depuis votre dernière lettre j'ai appris de M. Dallas que, contre mon
+intention, ainsi qu'il le savait bien, et que vous le savez vous-même,
+d'après une lettre que je vous avais écrite tout entière à ce sujet, mon
+manuscrit avait été soumis à la lecture de M. Gifford. Quelques
+événemens domestiques récens, dont vous avez sans doute connaissance,
+m'empêchèrent de vous envoyer ma lettre plus tôt. Je ne pouvais
+m'imaginer, en effet, que vous seriez si pressé de jeter mes productions
+entre les mains d'un étranger, qui pouvait n'être pas plus satisfait de
+les recevoir, que l'auteur de les voir offrir d'une telle manière et à
+un tel homme.
+
+»Mon adresse, quand j'aurai quitté Newstead, sera à Rochdale,
+Lancashire; mais je n'ai pas encore fixé le jour de mon départ, j'aurai
+soin de vous en tenir averti.
+
+»Vous m'avez mis dans une situation bien ridicule; mais enfin cela est
+passé, nous n'en parlerons pas davantage. Vous paraissez désirer
+quelques changemens; s'ils n'ont rien à voir avec la politique ou la
+religion, je m'y prêterai avec le plus grand plaisir du monde.
+
+»Je suis, Monsieur, etc.»
+
+
+
+LETTRE LXVIII.
+
+À M. DALLAS.
+
+Newstead-Abbey, 17 septembre 1811.
+
+
+«Je vous excuse facilement de ne m'avoir point écrit, car j'espère que
+vous avez quelque chose de mieux à faire. De votre côté, vous devez me
+pardonner de vous importuner si souvent, car, pour le moment, je n'ai
+rien à faire qui puisse vous sauver l'ennui de ma correspondance.
+
+»Je ne puis me fixer à rien, et, à l'exception d'un grand exercice
+physique, mes jours se passent dans une indolence uniforme et une
+oisiveté insipide. J'ai long-tems attendu, et j'attends encore mon
+agent; quand il viendra, j'aurai assez de quoi m'occuper d'affaires peu
+agréables, je vous assure. Avant de partir pour Rochdale, je vous dirai
+comment vous devez m'écrire, ce sera probablement poste restante. J'ai
+reçu de Murray une seconde épreuve que je l'ai prié de vous montrer,
+afin que vous voyiez si quelque chose ne me serait pas échappé avant que
+l'imprimeur ne jette les fondemens d'une colonne d'_errata_.
+
+»Je suis maintenant presque seul, n'ayant avec moi qu'une vieille
+connaissance, un vieux camarade d'école, si _vieux_, en effet, que nous
+n'avons presque plus rien de _nouveau_ à nous dire sur aucun sujet, et
+que nous bâillons l'un devant l'autre dans une sorte de _quiétude
+inquiète_. Je n'entends pas parler de Cawthorn ou du capitaine Hobhouse
+et de leur _in-quarto_. Dieu prenne pitié du genre humain! Nous fondons
+sur lui, comme Cerbère, avec notre triple publication. Pour moi-même,
+pris isolément, je me contente de me faire comparer à Janus.
+
+»Je ne suis pas du tout satisfait que Murray ait montré le manuscrit; et
+je suis certain que Gifford doit penser là-dessus, comme moi-même. Ses
+éloges ne signifient absolument rien; que pouvait-il dire? Il ne pouvait
+pas cracher à la figure de quelqu'un qui l'avait loué de toutes les
+manières possibles. Je dois l'avouer, je donnerais tout au monde pour
+qu'il fût bien convaincu que je ne suis pour rien dans cette misérable
+affaire. Plus j'y pense, plus cela me tourmente; ainsi le meilleur est
+de n'en plus parler. C'est déjà assez d'être un écrivassier, sans avoir
+recours à de si petits moyens pour extorquer des éloges ou prévenir la
+censure. C'est aller au-devant d'un jugement, c'est mendier, se mettre à
+genoux devant un homme, c'est l'aduler... Diable, diable, diable! et
+tout cela sans mon consentement, et en opposition à ma volonté formelle!
+Je voudrais que Murray eût été attaché au _cou de Payne_, quand il sauta
+dans le canal de Padington; dites-lui donc que c'est un réceptacle
+convenable pour des éditeurs. Puisque vous pensez à vous fixer à la
+campagne, pourquoi ne pas essayer de Nottingham? Je crois qu'il y a là
+plusieurs maisons qui vous conviendraient parfaitement, et puis vous
+seriez plus près de la métropole; mais nous en reparlerons.
+
+»Je suis, etc.»
+
+
+
+
+LETTRE LXIX.
+
+À M. DALLAS.
+
+Newstead-Abbey, 21 septembre 1811.
+
+
+«J'ai montré le cas que je fais de vos observations en me conformant à
+presque toutes; j'ai aussi fait, par moi-même, plusieurs corrections sur
+la première épreuve. Écrivez-moi, je vous prie; quand j'irai à Lanes, je
+vous le ferai savoir. Vous voilà sur mon dos maintenant, ainsi que mon
+ami Juvenal Hodgson sur le chapitre de la révélation. Vous ne manquez
+pas de ferveur, mais lui c'est un brasier ardent; s'il prend, pour
+sauver son ame, la moitié de la peine qu'il se donne pour la mienne,
+grande sera sa récompense un jour à venir. Je vous honore et vous
+remercie tous deux; mais ni l'un ni l'autre vous ne m'avez convaincu.
+
+»Maintenant occupons-nous des notes. Outre celles que j'ai déjà
+envoyées, j'enverrai encore les observations sur les remarques de ces
+messieurs de la _Revue d'Édimbourg_ sur le grec moderne, une chanson
+albanaise en langue albanaise _et non pas grecque_, quelques
+échantillons de grec moderne, tirés du Nouveau-Testament, une scène de
+l'une des comédies de Goldoni, traduite, le prospectus du livre d'un
+ami, tout cela en romaïque, outre leur _Pater Noster_; vous voyez qu'il
+y en aura assez pour ne pas dire trop. Avez-vous reçu les _Noctes
+atticæ_? J'envoie de plus une note sur le Portugal. Hobhouse va bientôt
+paraître aussi.»
+
+
+
+
+LETTRE LXX.
+
+À M. DALLAS.
+
+Newstead-Abbey, 23 septembre 1811.
+
+
+«_Lisboa_ est le mot portugais, et conséquemment le meilleur.
+_Ulyssipont_ est pédantesque, et comme j'ai un peu plus haut _Hellas_ et
+_Eros_, cela aurait l'air d'une affectation de termes grecs, que je
+désire éviter. J'en ai déjà une quantité effrayante dans mes notes,
+comme échantillons de la langue; ainsi donc il faut conserver _Lisboa_.
+Vous avez raison quant aux _Imitations d'Horace_, il ne faut pas
+qu'elles viennent avant le _Romaunt_; je sais bien que Cawthorn sera
+furieux; mais n'importe, arrêtez toujours les _Imitations_, et puis vous
+essaierez si vous pouvez le remettre de bonne humeur, si vous pouvez.
+
+»J'ai adopté, je crois, la plupart de vos suggestions; _Lisboa_ sera une
+exception pour prouver la règle. J'ai envoyé quantité de notes, et j'en
+enverrai encore; mais faites-les recopier, je vous prie, car le diable
+ne lirait pas mon écriture. À propos, je n'ai point envie de changer le
+neuvième vers de la pièce intitulée _Good Night_ (_Bonne Nuit_ ou _Bon
+Soir_). Je n'ai aucune raison de supposer que mon chien vaille mieux que
+ses confrères de l'espèce humaine, et nous savons qu'_Argus_ est une
+fable. Le _Cosmopolite_ est une acquisition faite sur le continent. Je
+ne crois pas qu'on le trouve en Angleterre. C'est un petit volume
+amusant, plein de la gaîté et de la vivacité françaises. Je lis leur
+langue, quoique je ne la parle pas.
+
+»Je veux être en colère contre Murray. Son procédé est un procédé de
+libraire, cela sent l'arrière-boutique; et si le résultat de
+l'expérience avait été tel qu'il le méritait, il y avait de quoi
+soulever tout Fleet-Street, et emprunter le bâton du géant de l'église
+de Saint-Dunstan pour immoler un homme qui abuse ainsi du dépôt qu'on
+lui avait confié. Je lui ai écrit, je vous jure, comme jamais auteur ne
+l'avait encore fait; j'espère que vous exagérerez encore mon
+ressentiment, jusqu'à ce qu'il s'y montre sensible. Vous me dites
+toujours que vous avez beaucoup de choses à m'écrire, écrivez-les; mais
+laissez de côté la métaphysique. Nous ne nous entendrons jamais sur ce
+point-là. Je suis ennuyé et endormi à mon ordinaire. Je ne fais rien, et
+ce rien même me fatigue. Adieu.»
+
+
+
+
+LETTRE LXXI.
+
+À M. DALLAS.
+
+Newstead-Abbey, 11 octobre 1811.
+
+
+«Je reviens de Lancs, et je me suis convaincu que ma propriété pourrait
+acquérir beaucoup de valeur; mais diverses circonstances m'empêchent d'y
+donner tous les soins convenables. Je serai à Londres pour affaires au
+commencement de novembre, et peut-être à Cambridge avant la fin de ce
+mois; dans tous les cas, je vous tiendrai au courant de tous mes
+mouvemens.
+
+»Voici encore une mort qui vient m'affliger; j'ai perdu quelqu'un qui
+m'était bien cher dans de meilleurs tems; mais j'ai presque oublié le
+goût amer du chagrin, et j'ai été abreuvé d'horreur jusqu'à ce que je
+sois devenu complètement endurci. Je n'ai plus une larme aujourd'hui
+pour un événement qui, il y a cinq ans, m'aurait abîmé de douleur. Il
+semblerait que je sois destiné à éprouver dès ma jeunesse le plus grand
+malheur des vieillards. Mes amis tombent autour de moi, et je resterai
+comme un arbre seul et isolé quoique le tems ne l'ait pas encore
+desséché: d'autres peuvent toujours trouver un refuge dans leur famille;
+mais je n'ai de ressources que dans mes propres réflexions, et elles ne
+m'offrent aucune consolation dans ce monde ou dans l'autre, si ce n'est
+le plaisir égoïste de survivre à ceux qui valaient mieux que moi. En
+vérité je suis bien malheureux; vous me pardonnerez de m'excuser ainsi;
+car vous savez que je ne suis point porté à la sensibilité.
+
+»Au lieu de vous fatiguer de mes affaires, je serais bien aise que vous
+me parlassiez de vos projets de retraite; vous ne voulez pas, je
+suppose, vous isoler entièrement de la société? Maintenant je connais un
+grand village, ou une petite ville, à douze milles environ d'ici, où
+votre famille aurait l'avantage d'une société fort agréable, et n'aurait
+pas à craindre de se voir ennuyer par une affluence mercantile; où vous
+trouveriez des hommes de talent et d'opinions indépendantes, où j'ai
+quelques amis dont je serais fier de vous procurer la connaissance. Il y
+a en outre un café et d'autres lieux publics où l'on peut se réunir. Ma
+mère y a demeuré pendant plusieurs années, et je connais très-bien tout
+Southwell; c'est le nom de cette petite république. Enfin, vous ne serez
+pas fort loin de moi; et quoique je sois en général le plus mauvais
+compagnon possible pour des jeunes gens, cette objection ne saurait
+s'appliquer à vous, que je pourrais voir fréquemment. Vos dépenses aussi
+seront exactement celles qu'il vous conviendra de faire plus ou moins;
+mais il vous en coûterait fort peu, pour vous procurer tous les plaisirs
+d'une vie de province. Vous pourriez être aussi retiré ou aussi répandu
+que vous le voudriez, et dans un pays certainement aussi beau que les
+lacs du Cumberland, à moins que vous n'ayez un désir particulier
+d'entrer dans l'_école pittoresque_[164].
+
+ [Note 164: Voyez, dans les _Poètes anglais_, tome II des
+ _Œuvres de Byron_, page 378, une note sur les poètes des
+ lacs.
+ (_N. du Tr._)]
+
+»Cet Ionien de vos amis est-il à Londres? Vous m'aviez promis de me
+procurer sa connaissance.
+
+Vous me dites que vous avez montré le manuscrit à plusieurs personnes;
+cela n'est-il pas contraire à nos conventions? Avertissez donc M. Murray
+de défendre à son garçon de boutique d'appeler mon ouvrage _le
+Pélerinage de l'enfant d'Harrow_ (_Child of Harrow's Pilgrimage_!!!)
+comme il l'a fait en parlant à plusieurs de mes amis étonnés, qui, à
+cette occasion, ont écrit pour s'informer de l'état de mes facultés
+intellectuelles, et certes il y avait de quoi. Je n'ai pas reçu de
+nouvelles de Murray, à qui j'avais adressé une vigoureuse semonce.
+Faut-il que j'écrive encore des notes? N'y en a-t-il pas assez? Il faut
+arrêter Cawthorn dans l'impression des _Imitations d'Horace_; j'espère
+qu'il avance dans celle de l'_in-quarto_ de Hobhouse.
+
+»Bon soir. Tout à vous, etc., etc.»
+
+Les vers suivans sont de la même date que la lettre précédente, et n'ont
+pas encore été imprimés, c'est une réponse à d'autres vers dans lesquels
+un ami l'exhortait à bannir les soucis et à se livrer à la joie. On y
+verra avec quelle triste persévérance, même sous le poids de malheurs
+récens, il revient sans cesse au désappointement qu'il a éprouvé dans
+ses premières affections comme à la source principale de tous ses
+chagrins et de toutes ses erreurs passées et à venir.
+
+Oh! bannissons les soucis! que telle soit toujours ta devise à l'heure
+du plaisir! Peut-être aussi la mienne, lorsque, dans de nocturnes
+orgies, je cherche ces délices enivrantes, par lesquelles les fils du
+désespoir tentent d'assoupir le cœur et de bannir les chagrins.
+
+Mais à l'heure matinale des méditations, quand le présent, le passé,
+l'avenir nous effraient de leurs sombres images, quand je reconnais que
+tout ce que j'aimais est changé ou n'est plus, ne viens pas irriter par
+ces maximes importunes les douleurs d'un homme dont chaque pensée...
+Mais pourquoi en parler? tu sais que je ne suis plus ce que j'étais
+naguère; et surtout si tu tiens à conserver une place dans un cœur qui
+ne fut jamais froid, je t'en conjure par toutes les puissances que les
+hommes révèrent, par tous les objets qui te sont chers, par ton bonheur
+ici-bas et tes espérances d'une autre vie, garde-toi, oh! garde-toi de
+jamais me parler d'amour.
+
+Il serait trop long de raconter, et sans utilité d'entendre la triste
+histoire d'un homme qui dédaigne les larmes; ce récit ne réveillerait
+que peu de sympathie dans les cœurs vertueux; mais le mien a souffert
+plus qu'il ne convient à un philosophe de l'avouer. J'ai vu ma fiancée
+devenir l'épouse d'un autre, je l'ai vue assise à ses côtés; j'ai vu
+l'enfant que son sein a porté sourire doucement comme faisait sa mère,
+lorsque jeunes tous deux nous nous regardions en souriant, innocens et
+purs comme cet enfant; j'ai vu ses yeux, chargés d'un froid dédain,
+chercher à découvrir si j'éprouvais quelque douleur secrète; et moi,
+j'ai bien joué mon rôle: j'ai commandé à mon visage de ne pas trahir les
+angoisses de mon cœur, je lui ai renvoyé des regards aussi glacés que
+les siens; et pourtant, cette femme! je me sentais encore son esclave!
+J'ai baisé d'un air d'indifférence l'enfant qui aurait dû être le mien,
+et chacune de mes caresses n'a que trop prouvé que le tems n'avait pas
+affaibli mon amour. Mais laissons ces tristes souvenirs: je ne veux plus
+gémir; je n'irai plus chercher quelque repos sur la rive orientale: le
+inonde convient bien au tumulte de mes pensées; je reviendrai me jeter
+dans son tourbillon. Mais si dans un tems à venir, quand les beaux jours
+d'Albion seront sur le déclin, tu entends parler d'un homme dont les
+crimes profonds sont dignes des époques les plus noires, d'un homme que
+ni l'amour ni la pitié ne touchent, aussi insensible à l'espoir de la
+célébrité qu'aux louanges des hommes vertueux; d'un homme qui, dans
+l'orgueil d'une inflexible ambition, ne reculera pas même devant la
+crainte de verser le sang; d'un homme que l'histoire mettra au rang des
+anarchistes les plus violens du siècle; cet homme, tu le connaîtras,
+mais alors suspends ton jugement, et que l'horreur de ces _effets_ ne te
+fasse pas oublier quelle fut leur _cause_.
+
+Les pronostics qu'il tire dans ces dernières lignes sur sa carrière à
+venir sont de nature, il faut l'avouer, à exciter plus d'horreur que
+d'intérêt, si bien d'autres exagérations du même genre ne nous avaient
+appris à ne nous point étonner à quelque excès que nous le voyions
+pousser la rage de se calomnier lui-même. On dirait qu'avec le génie
+nécessaire pour peindre des personnages sauvages et sombres, il eût
+aussi l'ambition d'être lui-même l'objet noir et sublime qu'il
+retraçait, et qu'à force de se plaire à dessiner des crimes héroïques,
+il s'efforçait d'imaginer ce qu'il ne pouvait trouver dans son propre
+caractère, des sujets propres à exercer ses pinceaux.............
+
+C'est vers ce tems, quand son ame était douloureusement occupée de la
+mort d'un objet réel de ses affections, qu'il écrivit ses différens
+poèmes sur la mort d'un être _imaginaire_, Thyrza. Quand nous
+réfléchissons aux circonstances particulières sous l'influence
+desquelles son imagination produisit ces beaux vers, il n'est pas
+étonnant que de toutes ses pièces pathétiques celles-ci soient à la fois
+les plus touchantes et les plus pures; elles sont, pour ainsi dire,
+l'essence, l'esprit concentré de plusieurs douleurs, c'est le point où
+sont venues aboutir mille tristes pensées venues de sources différentes,
+raffinées, réchauffées dans leur passage à travers son imagination, et
+formant comme un réservoir profond d'idées et de sentimens lugubres et
+solennels. En retraçant les heures heureuses qu'il avait passées avec
+les amis qu'il venait de perdre, toute la tendresse ardente de sa
+jeunesse venait réchauffer son imagination et son cœur. Les jeux de
+l'école avec les favoris de son enfance Wingfield et Tattersatt, les
+jours d'été passés avec Long et ces soirées romanesques qui s'étaient
+écoulées dans la société de son frère adoptif Eddlestone; tous les
+souvenirs de ces hommes, jeunes naguère, et morts maintenant, venaient
+se mêler dans son esprit à l'image de celle qui, quoique vivante, était
+pour lui aussi bien perdue qu'eux, et répandaient dans son ame ce
+sentiment général de tendresse et d'affection qu'il revêtit d'un si
+brillant coloris dans ses poèmes. Jamais l'amitié, quelque passionnée
+qu'elle fût, n'aurait inspiré des chagrins aussi profonds; jamais non
+plus l'amour, quelque pur qu'on le suppose, n'eût pu retenir la passion
+dans des termes aussi chastes. C'est le mélange de deux affections dans
+sa mémoire et dans son imagination, qui donna ainsi naissance à un objet
+idéal, où les plus beaux traits de toutes deux se trouvaient combinés,
+et lui inspira ces poésies, les plus tristes et les plus tendres que
+puisse offrir le genre érotique, dans lesquelles nous trouvons toute la
+profondeur et toute l'intensité d'un sentiment réel peintes avec des
+couleurs que n'eut jamais la réalité.
+
+La lettre suivante fera connaître encore mieux l'état de ses pensées et
+ses occupations à cette époque.
+
+
+
+
+LETTRE LXXII.
+
+À M. HOGDSON.
+
+Newstead-Abbey, 13 octobre 1811.
+
+
+«Vous devez commencer à me trouver un correspondant terriblement
+libéral; mais comme mes lettres sont franches de port, vous excuserez
+leur fréquence. J'ai répondu en vers et en prose à vos dernières
+lettres; et quoique je vous écrive de nouveau, je ne sais pourquoi je le
+fais, ni ce que je pourrais vous mander que vous ne sachiez déjà. Je
+deviens _nerveux_, combien vous allez rire! mais cela est vrai, je
+deviens réellement, malheureusement, ridiculement _nerveux_ comme une
+petite-maîtresse. Votre climat me tue; je ne puis ni lire, ni écrire, ni
+m'amuser ou amuser qui que ce soit. Mes nuits et mes jours se passent
+sans repos; je n'ai presque jamais de société, et quand j'en ai je
+m'empresse de la fuir. Dans le moment où je vous parle, j'ai ici trois
+dames, et je me suis sauvé pour vous envoyer ce gribouillage. Je ne sais
+pas si je ne finirai point par être fou, car je sens le manque de
+méthode dans l'arrangement de mes idées. Cela me tourmente étrangement;
+mais cela a plutôt l'air de la sottise que de la folie, comme le dirait
+facétieusement Scrope Davies, qui a une singulière manière de consoler
+les gens. Il faut que j'essaie de votre compagnie, comme l'on essaie de
+la corne de cerf; une session de parlement m'irait assez bien: en un
+mot, je ne vois rien qui puisse m'empêcher de conjuguer le malheureux
+verbe, _je m'ennuie_, etc.
+
+»Quand serez-vous à Cambridge? Vous m'avez, je crois, donné à entendre
+que votre ami Bland est revenu de la Hollande. J'ai toujours eu le plus
+grand respect pour ses talens et pour tout ce que j'entends dire de son
+caractère personnel; je crois bien qu'il ne me connaît pas, si ce n'est
+qu'il se rappelle nos répétitions dans la sixième _forme_, à raison de
+deux vers chaque matin, et encore bien imparfaits. Je me le suis rappelé
+en passant sur les caps Matapan, Saint-Angelo et son île de Clériga, et
+j'ai toujours regretté l'absence de l'Anthologie. Je suppose qu'il va
+traduire maintenant Vondel, le Shakspeare hollandais, et dans l'état
+actuel _Gysbert van Amstel_ pourra facilement être arrangée pour notre
+théâtre. Je présume qu'il a vu le poème hollandais où l'amour de Pirame
+et Thisbé est comparé à... _la Pas__sion de Jésus-Christ_, ainsi que
+_l'amour de Lucifer pour Ève_, et autres variétés de la littérature des
+Pays-Bas. Sans doute vous me croirez fou de vous entretenir de pareilles
+bagatelles, mais elles sont en grande réputation sur les bords de tous
+les canaux, depuis Amsterdam jusqu'à Alkmazar.
+
+»Tout à vous, etc.
+
+BYRON.
+
+»Toutes mes poésies sont entre les mains de leurs divers éditeurs,
+excepté mes _Imitations d'Horace_, auxquelles j'ai joint quelques vers
+sauvages sur le Méthodisme et quelques notes féroces sur les trois
+éditeurs de l'Édin; mes _Imitations_, dis-je, sont en retard, et
+pourquoi? Je n'ai pas d'amis dans le monde qui puisse traduire
+suffisamment bien le latin d'_Horace_ et mon Anglais pour les ajuster
+ensemble au sortir de la presse, et corriger les épreuves d'une manière
+un peu grammaticale. En sorte que si vous n'avez pas d'entrailles quand
+vous retournerez à Londres, pour moi je suis trop loin pour le faire
+moi-même; le monde se trouvera privé de cet ouvrage ineffable pendant je
+ne sais combien de semaines.
+
+»_Le Pélerinage de Childe Harold_ attendra jusqu'à ce que celui de
+Murray soit fini. Il fait maintenant une tournée dans Middlesex, et à
+son retour nous devons nous attendre à des merveilles. Il veut en faire
+un _in-quarto_, c'est un abominable format peu propre à la vente; mais
+l'ouvrage est effroyablement long, et il faut bien qu'on obéisse à son
+libraire...
+
+»Ainsi vous allez prendre les ordres. Il faut que vous fassiez votre
+prix avec les _réviseurs ecclésiastiques_; ils vous accusent d'impiété,
+et je crains que ce ne soit à tort. Démétrius _Poliorcète_ est ici avec
+_Gilpin Horner_. Nous n'avons pas besoin du peintre[165], car les
+portraits qu'il a faits d'inspiration se trouvent absolument semblables
+aux animaux. Écrivez-moi, et envoyez-moi votre _Chanson d'amour_; mais
+j'attends de vous _paulo majora_. Faites un effort pour briller avant
+d'être diacre; essayez un peu d'un sec éditeur.
+
+»Tout à vous, etc.»
+
+BYRON.
+
+ [Note 165: Qu'il avait mandé pour faire le portrait de son
+ ours et de son loup.]
+
+
+FIN DU TOME NEUVIÈME.
+
+
+IMPRIMERIE DE DONDEY-DUPRÉ,
+Rue St.-Louis, n°46, au Marais.
+
+
+
+
+
+
+
+
+End of the Project Gutenberg EBook of Oeuvres complètes de lord Byron
+ Volume 9, by George Gordon Byron
+
+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LORD BYRON ***
+
+***** This file should be named 30067-0.txt or 30067-0.zip *****
+This and all associated files of various formats will be found in:
+ http://www.gutenberg.org/3/0/0/6/30067/
+
+Produced by Mireille Harmelin, Rénald Lévesque and the
+Online Distributed Proofreaders Europe at
+http://dp.rastko.net. This file was produced from images
+generously made available by the Bibliothèque nationale
+de France (BnF/Gallica)
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+
+Updated editions will replace the previous one--the old editions
+will be renamed.
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+Creating the works from public domain print editions means that no
+one owns a United States copyright in these works, so the Foundation
+(and you!) can copy and distribute it in the United States without
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+set forth in the General Terms of Use part of this license, apply to
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+Gutenberg is a registered trademark, and may not be used if you
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+rules is very easy. You may use this eBook for nearly any purpose
+such as creation of derivative works, reports, performances and
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+provision of this agreement shall not void the remaining provisions.
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+or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm
+work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any
+Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause.
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+Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm
+
+Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
+electronic works in formats readable by the widest variety of computers
+including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists
+because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
+people in all walks of life.
+
+Volunteers and financial support to provide volunteers with the
+assistance they need, are critical to reaching Project Gutenberg-tm's
+goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
+remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
+Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
+and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
+To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
+and the Foundation web page at http://www.pglaf.org.
+
+
+Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive
+Foundation
+
+The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
+501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
+state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
+Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
+number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at
+http://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
+permitted by U.S. federal laws and your state's laws.
+
+The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
+Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered
+throughout numerous locations. Its business office is located at
+809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email
+business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact
+information can be found at the Foundation's web site and official
+page at http://pglaf.org
+
+For additional contact information:
+ Dr. Gregory B. Newby
+ Chief Executive and Director
+ gbnewby@pglaf.org
+
+
+Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation
+
+Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
+spread public support and donations to carry out its mission of
+increasing the number of public domain and licensed works that can be
+freely distributed in machine readable form accessible by the widest
+array of equipment including outdated equipment. Many small donations
+($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
+status with the IRS.
+
+The Foundation is committed to complying with the laws regulating
+charities and charitable donations in all 50 states of the United
+States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
+considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
+with these requirements. We do not solicit donations in locations
+where we have not received written confirmation of compliance. To
+SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
+particular state visit http://pglaf.org
+
+While we cannot and do not solicit contributions from states where we
+have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
+against accepting unsolicited donations from donors in such states who
+approach us with offers to donate.
+
+International donations are gratefully accepted, but we cannot make
+any statements concerning tax treatment of donations received from
+outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
+
+Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
+methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
+ways including checks, online payments and credit card donations.
+To donate, please visit: http://pglaf.org/donate
+
+
+Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic
+works.
+
+Professor Michael S. Hart is the originator of the Project Gutenberg-tm
+concept of a library of electronic works that could be freely shared
+with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project
+Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.
+
+
+Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
+editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
+unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily
+keep eBooks in compliance with any particular paper edition.
+
+
+Most people start at our Web site which has the main PG search facility:
+
+ http://www.gutenberg.org
+
+This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
+including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
+Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
+subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.
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@@ -0,0 +1,13649 @@
+The Project Gutenberg EBook of Oeuvres compltes de lord Byron, Volume 9, by
+George Gordon Byron
+
+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
+re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
+with this eBook or online at www.gutenberg.org
+
+
+Title: Oeuvres compltes de lord Byron, Volume 9
+ comprenant ses mmoires publis par Thomas Moore
+
+Author: George Gordon Byron
+
+Annotator: Thomas Moore
+
+Translator: Paris Paulin
+
+Release Date: September 23, 2009 [EBook #30067]
+
+Language: French
+
+Character set encoding: ISO-8859-1
+
+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LORD BYRON ***
+
+
+
+
+Produced by Mireille Harmelin, Rnald Lvesque and the
+Online Distributed Proofreaders Europe at
+http://dp.rastko.net. This file was produced from images
+generously made available by the Bibliothque nationale
+de France (BnF/Gallica)
+
+
+
+
+
+
+
+OEUVRES COMPLTES
+DE
+LORD BYRON,
+AVEC NOTES ET COMMENTAIRES,
+COMPRENANT
+SES MMOIRES PUBLIS PAR THOMAS MOORE,
+ET ORNS D'UN BEAU PORTRAIT DE L'AUTEUR.
+
+_Traduction Nouvelle_
+
+PAR M. PAULIN PARIS,
+DE LA BIBLIOTHQUE DU ROI.
+
+
+
+TOME NEUVIME.
+
+
+Paris.
+DONDEY-DUPR PRE ET FILS, IMPR.-LIB.
+RUE SAINT-LOUIS, N 46,
+ET RUE RICHELIEU, N 47 _bis._
+
+1830.
+
+
+
+
+LETTRES
+DE LORD BYRON,
+ET
+MMOIRES SUR SA VIE,
+PAR THOMAS MOORE.
+
+
+
+_Prface du Traducteur_.
+
+Depuis la publication des deux premiers volumes de ces _Mmoires_, les
+journaux de la Grande-Bretagne ont ouvert leurs colonnes aux
+interminables rclamations des amis de lady Nol Byron, ls en croire,
+injustement traite dans le cours de cet ouvrage. La veuve de l'illustre
+pote a fait elle-mme retentir ces organes insoucians du mensonge et de
+la vrit, des plaintes que _semblaient_ lui arracher l'indiscrtion de
+l'diteur, la perfidie de ses demi-confidences, et surtout le rle
+affreux qu'il prtait aux personnes dont elle tait entoure l'poque
+de la dplorable affaire de son divorce. Certes le public a d voir avec
+tonnement les rcriminations de lady Byron. Jusqu'alors, il accusait M.
+Moore d'une partialit peu gnreuse en faveur des adversaires de
+l'illustre pote qui lui avait remis l'honorable soin de le dfendre; et
+le dpositaire, peut-tre infidle, semblait avoir assez fait, sinon
+pour sa considration personnelle, du moins pour celle d'une famille
+laquelle Lord Byron avait toujours attribu ses chagrins les plus
+cuisans. Voici la premire lettre de lady Byron, publie dans la
+_Litterary Gazette_, et reproduite quelques jours aprs dans le _Times_:
+
+Dj, une multitude d'crits remplis de faits notoirement faux ont t
+livrs au public; j'ai ddaign d'y rpondre. Mais aujourd'hui il s'agit
+d'un ouvrage publi par un homme regard comme l'ami, le confident de
+Lord Byron, et par consquent comme un personnage dont les rvlations
+sont fondes sur la meilleure autorit. Cependant les faits contenus
+dans cet ouvrage n'en sont pas moins errons. On ne devrait jamais
+attirer l'attention du public sur les dtails de la vie prive; mais
+quand cela arrive, les personnes victimes d'une telle indiscrtion ont
+le droit de repousser d'injurieuses attaques. M. Moore a donn au public
+ses propres impressions sur des vnemens particuliers qui me touchent
+de fort prs; et il en a parl comme s'il et eu la connaissance la plus
+parfaite de ce dont il parlait. La mort de Lord Byron me rend plus
+pnible encore l'obligation de revenir sur des circonstances qui me
+reportent l'poque de mon mariage. Mon intention est donc de ne les
+faire connatre qu'autant qu'il le faudra pour parvenir au but que je me
+propose dans cette dclaration. Nul motif de justification personnelle
+ne m'anime, et je n'accuserai personne: mais la conduite de mes parens
+tant reprsente sous un jour odieux dans certains passages extraits
+des lettres de Lord Byron et dans les remarques de son biographe, je me
+crois oblige de les dfendre d'imputations que je _sais_ tre fausses.
+
+Voici les divers passages des lettres de Lord Byron dont je veux parler:
+
+Dans le second volume on a outrag la rputation de ma mre en disant:
+
+Mon enfant est dans un tat de sant florissant et prospre ce qu'on
+me dit; mais je veux y voir par moi-mme; je ne me sens nullement
+dispos l'abandonner la contagion de la socit de sa grand'mre.
+
+C'est tort qu'on l'a accuse de s'tre abaisse employer des
+espions: Une dame C. (espce de factotum et _espion de lady Nol_) est
+regarde par des gens bien instruits comme la cause occulte de toutes
+nos dissensions domestiques.
+
+Je cite aussi le passage o, aprs avoir voulu m'excuser moi-mme, on
+ajoute immdiatement aprs: Ses plus proches parens sont....... Ici le
+mot laiss en blanc indique que l'expression tait trop offensante pour
+tre publie.
+
+Ces passages tendent videmment jeter quelque dfaveur sur mes parens,
+et peuvent faire croire que ce sont eux qui ont personnellement caus
+notre sparation, ou qu'ils l'ont provoque par les espions officieux
+qu'ils ont employs.
+
+On peut induire aussi des passages suivans de la biographie, que mes
+parens ont du moins exerc une influence qui ne leur appartenait pas,
+afin de parvenir leur but. Ce fut peu de semaines aprs notre
+dernire entrevue (Lord Byron et M. Moore) que lady Byron prit la
+rsolution de se sparer de son poux. Elle avait quitt Londres dans
+les derniers jours de janvier pour aller voir son pre dans le comt de
+Leicester, et Lord Byron devait l'y rejoindre peu de tems aprs. Ils
+s'taient quitts dans une union parfaite: en route, elle lui crivit
+encore une lettre pleine de tendresse et de gat; mais peine arrive
+ Kirkby-Mallory, le pre crivit Lord Byron pour lui apprendre que
+jamais il ne la reverrait.
+
+En rpondant ce passage, j'viterai autant qu'il me sera possible de
+parler de choses personnelles soit Lord Byron, soit moi-mme. Je me
+borne rtablir les faits. Je quittai Londres le 15 janvier 1816 pour
+me rendre Kirkby-Mallory, rsidence de mon pre et de ma mre. Lord
+Byron m'avait signifi formellement dans sa lettre du 6 du mme mois,
+qu'il dsirait que je quittasse Londres aussitt qu'il me paratrait
+convenable de le faire. Mais je ne pouvais me risquer entreprendre ce
+voyage fatigant plus tt que le 15. Avant mon dpart, j'avais t
+vivement frappe de cette ide que Lord Byron tait atteint de folie. Ce
+qui surtout m'avait donn cette opinion, c'taient les confidences de
+ses plus proches amis, et de ses domestiques qui avaient eu plus que moi
+le loisir de l'observer pendant la dernire partie de notre sjour en
+ville. On avait mme t jusqu' me dire qu'il tait redouter qu'il ne
+se dtruisit lui-mme. D'accord avec sa famille, j'avais consult le 8
+janvier le docteur Baillie, notre ami, sur cette maladie qu'on
+souponnait. Je lui racontai toutes les particularits venues ma
+connaissance, et j'ajoutai que Lord Byron m'avait tmoign le dsir de
+me voir quitter Londres. Le docteur saist aussitt cette ide, et pensa
+qu'en cas de quelque drangement d'esprit, mon loignement pouvait tre
+fort utilement mis profit. Le docteur Baillie ne pouvait avoir, cet
+gard, d'opinion arrte, puisqu'il n'avait point approch
+personnellement Lord Byron. Il me recommanda d'viter avec soin dans ma
+correspondance tout sujet de dplaisir ou de tristesse.
+
+Telles taient donc mes penses quand je quittai Londres, bien rsolue
+de suivre les avis du mdecin. Quelle qu'et t la conduite de Lord
+Byron mon gard depuis mon mariage, c'et t une vritable inhumanit
+de montrer dans cette circonstance le moindre ressentiment. Le jour de
+mon dpart, et encore mon arrive Kirkby, le 16 janvier, j'crivis
+Lord Byron une lettre fort affectueuse, ainsi que j'en tais convenue
+avec M. Baillie. On a plus tard rpandu ma dernire lettre, et on a
+voulu trouver l des preuves que j'avais cd des influences
+trangres, quand ensuite j'abandonnai mon mari. On en a tir la
+consquence que j'avais quitt Lord Byron dans le plus parfait accord;
+que des sentimens incompatibles avec la moindre ide d'outrage m'avaient
+dict ma dernire lettre, et que ma rsolution n'avait subitement chang
+que quand je m'tais trouve sous l'influence de mes parens. Ces
+assertions sont absolument dnues de fondement: il n'y a point eu la
+moindre intervention trangre.
+
+A mon arrive Kirkby-Mallery, mes parens ne se doutaient en rien des
+circonstances qui dtruisaient toutes mes esprances de flicit; et
+quand je leur fis part de l'tat d'esprit dans lequel se trouvait Lord
+Byron, ils firent tous leurs efforts pour me dissuader et le dfendre.
+Ils assurrent en outre ceux de nos parens qui taient avec lui
+Londres qu'ils feraient tout ce qui dpendrait d'eux pour gurir sa
+maladie par les soins les plus attentifs, et qu'ils espraient, si on
+pouvait le dcider venir les voir, obtenir les meilleurs rsultats de
+leurs efforts. C'est dans ces intentions que ma mre crivit le 17
+Lord Byron, en l'engageant se rendre Kirkby-Mallory. Elle l'avait
+toujours trait avec la plus affectueuse considration: son indulgence
+pour lui s'tendait jusqu' ses moindres sentimens. Jamais, tant qu'elle
+vcut avec lui, il ne lui chappa une parole qui pt le blesser[1].
+
+ [Note 1: On peut, afin d'apprcier la vracit de lady Byron,
+ consulter, sur la _bienveillance_ de sa mre pour notre
+ pote, le premier chant de _Don Juan_ et les _Mmoires du
+ capitaine Medwin_.]
+
+Aprs notre sparation, les dtails que me donnrent des personnes qui
+vivaient dans son intimit ne firent que fortifier les doutes qui dj
+s'taient levs dans mon esprit sur la ralit de son mal; les rapports
+des mdecins taient d'ailleurs loin d'tablir le fait de l'alination
+mentale. Dans ces circonstances, je crus devoir dclarer mes parens
+que, si je devais considrer la conduite passe de Lord Byron comme
+celle d'un homme dans son bon sens, rien ne pourrait m'engager
+retourner auprs de lui. Mes parens et moi jugemes convenable de
+consulter les gens les plus capables de nous clairer cet gard. Ma
+mre se dtermina donc se rendre Londres, pour cet objet, et afin
+d'y recueillir de plus amples informations sur ce qui avait pu faire
+supposer un drangement d'esprit. Je lui avais donn procuration pour
+recueillir les opinions d'hommes de lois sur un mmoire que j'avais fait
+moi-mme, bien que j'eusse alors des motifs de cacher une partie de
+l'affaire, mme mon pre et ma mre.
+
+Convaincue par ces recherches et par toute la conduite de Lord Byron,
+que les soupons de folie conus contre lui taient tout--fait faux, je
+n'hsitai point autoriser les mesures qui devaient lui ter tout
+pouvoir sur moi. C'est d'aprs ma rsolution, que mon pre lui crivit
+le 2 fvrier pour lui proposer de nous sparer l'amiable. Lord Byron
+repoussa d'abord cette proposition; mais quand on lui eut assur que,
+s'il persistait dans son refus, il faudrait en venir aux lois, il
+consentit signer l'acte de sparation. Je m'adressai au docteur
+Lushington, qui avait parfaitement connu tous les dtails de cette
+affaire, pour qu'il voult bien crire tous ses souvenirs, et voici la
+lettre qu'il me rpondit ce sujet. Elle prouvera que ma mre ne put
+jamais avoir contre Lord Byron le moindre sentiment d'inimiti:
+
+
+MA CHRE LADY BYRON,
+
+Voici tout ce que ma mmoire peut me fournir sur le sujet dont vous
+m'entretenez dans votre lettre.
+
+Lady Nol me consulta d'abord pour votre affaire pendant que vous tiez
+encore la campagne. Ce qu'elle me dit alors suffisait pour justifier
+une sparation; mais cependant les choses ne me parurent pas tellement
+graves, qu'il ft indispensable d'en venir ce point. Je crus mme
+qu'une rconciliation avec Lord Byron n'tait pas impossible, et je m'y
+serais trs-volontiers employ. Je ne vis dans le rcit de lady Nol, ni
+la moindre exagration, ni le plus lger dsir d'empcher un
+rapprochement: elle ne fit aucune objection quand j'en parlai. Lorsque
+vous revntes en ville, quinze jours ou peut-tre plus aprs ma premire
+entrevue avec lady Nol, vous ftes la premire m'informer de faits
+qui, je n'en doute pas, n'taient la connaissance ni de sir Ralph ni
+de lady Nol. Ces nouveaux renseignemens changrent tout--fait mon
+opinion; la rconciliation me parut ds-lors impossible; je dclarai ce
+que je pensais, et j'ajoutai que, si jamais on revenait cette ide de
+rapprochement, je ne m'en mlerais absolument en rien, soit en restant
+dans les devoirs de ma profession, soit autrement.
+
+Croyez-moi toujours votre trs-affectionn,
+
+ TIENNE LUSHINGTON.
+
+
+
+Je dois seulement ajouter ici que, si les informations sur lesquelles
+mes conseils lgaux (feu sir Samuel Romilly et le docteur Lushington)
+ont form leur opinion taient fausses, c'est sur _moi seule_ que
+devraient retomber tout l'odieux et toute la responsabilit.
+
+J'espre que les faits que je viens d'exposer ici suffiront pour
+disculper mon pre et ma mre de toute participation mon divorce. Ils
+ne l'ont ni caus, ni provoqu, ni conseill; l'on ne peut les condamner
+pour avoir donn leur fille l'abri et l'assistance qu'elle rclamait
+d'eux. Comme il n'y a point d'autres personnes de ma famille qui
+puissent dfendre leur mmoire de l'insulte, je me vois force de rompre
+un silence que j'esprais garder toujours, et je demande ceux qui
+liront la vie de Byron qu'ils psent avec impartialit le tmoignage
+qu'on vient de m'arracher.
+
+Hanger-Hill, 19 fvrier.
+
+ A.J. NOL BYRON.
+
+
+Le lecteur, avide de dtails sur les circonstances et les causes de
+cette fameuse sparation, n'en trouve que de bien insignifians dans la
+lettre que nous venons de citer. Que lady Byron ait demand de sa propre
+inspiration, ou d'aprs les conseils de sa mre, l'acte du fatal
+divorce, c'est une circonstance assez peu intressante en elle-mme. La
+seule chose que l'on doit ici remarquer, c'est que lady Byron avait le
+malheur de mconnatre non-seulement le gnie sublime, mais le bon sens
+et la raison de son mari. Elle l'avoue navement: il lui fallu le
+tmoignage de tous ceux qui approchaient Lord Byron; il fallut la
+sentence formelle des mdecins pour lui persuader que l'auteur de
+_Childe Harold_ n'tait pas un fou. Avouons-le: ce premier motif de
+divorce ne doit pas nous prvenir en faveur du second.
+
+La longue lettre de M. Campbell, insre dans le _New Monthly Magazine_
+(avril 1830), offre moins d'intrt encore que la prcdente. Son
+tendue ne nous permet pas de la traduire en entier; ce ne serait pas,
+d'ailleurs, chose facile: jamais on n'a tant abus de la facilit
+malheureuse qu'offre la langue anglaise de multiplier les mots et les
+phrases sonores sans exprimer d'ides et sans en suggrer au lecteur.
+
+L'illustre auteur des _Plaisirs de la Mmoire_[2], au mrite duquel
+Byron a rendu si amplement justice, M. Campbell, commence par nous
+apprendre qu'il avait consenti, le mois prcdent, l'insertion, dans
+la _Revue_ qu'il dirige, d'un article louangeur, sur les _mmoires_; que
+mme, il en avait fait disparatre certains passages, o le critique
+reprochait M. Moore une partialit coupable envers lady Byron. Mais,
+ajoute-t-il, j'avais agi ainsi par suite de ma rpugnance blmer _mon
+ami_ M. Moore, et parce que je n'avais pas assez approfondi les passages
+du livre incrimins. En outre, je ne croyais pas _alors_, comme je le
+sais aujourd'hui, que lady Byron ft entirement irrprochable dans
+l'affaire de la sparation.
+
+ [Note 2: Voyez dans les _Potes anglais et les Journalistes
+ cossais_, page 373 du deuxime vol. des oeuvres compltes.]
+
+Comment! cette fameuse sparation date de quatorze ans, et voil enfin
+la conviction de M. Campbell tout--coup forme, arrte, ou plutt
+change du tout au tout! que s'est-il donc pass pendant ce mois de
+mars? Le voici: M. Campbell a crit lady Byron, lui demandant pour
+_son instruction particulire_ une apprciation de l'exactitude ou de
+l'inexactitude des faits avancs par M. Moore, et il en reut la rponse
+qu'il publie _ ses prils_, parce qu'elle lui a paru importante, _et
+sans avoir eu le tems d'en demander la permission_ cette dame:
+
+
+MON CHER M. CAMPBELL,
+
+En prenant la plume dans l'intention de vous indiquer, pour votre
+_instruction particulire_, les passages du livre de M. Moore qui me
+concernent et que je crois susceptibles de contradiction, je les trouve
+encore bien plus nombreux que je n'avais d'abord suppos. Nier une
+assertion _ et l_, ce serait implicitement reconnatre la vrit du
+reste. Si, au contraire, j'entreprenais de prouver toute la fausset du
+point de vue sous lequel M. Moore prsente les choses, je me verrais
+oblige de certains dtails, que dans les circonstances actuelles je
+ne puis dvoiler, d'aprs mes principes et mes sentimens. Peut-tre, par
+un exemple, vous convaincrai-je mieux de la difficult du cas: il n'est
+pas vrai que des embarras pcuniaires furent les causes qui troublrent
+l'esprit[3] de Lord Byron, et la principale raison des arrangemens qu'il
+prit cette poque. Mais puis-je raisonnablement m'attendre que vous ou
+d'autres le croirez, moins que je ne vous montre quelles ont t les
+causes en question?... et c'est ce que je ne puis faire.
+
+Je suis, etc.
+
+ E. NOL BYRON.
+
+ [Note 3: Encore _l'esprit de Lord Byron troubl_! mais vous
+ avez avou que c'tait une de vos chimres.]
+
+L-dessus M. Campbell de s'crier: Excellente femme! honore de tous
+ceux qui la connaissent, attaque seulement par ceux qui ne la
+connaissent pas, je l'en croirai certainement sur son seul tmoignage!
+
+Certes, si une pareille lettre a suffi pour dterminer la conviction de
+M. Campbell, il est au moins douteux qu'elle produise le mme effet sur
+l'esprit des lecteurs. Il ajoute, il est vrai, qu'il a recueilli un
+petit nombre de faits d'autres sources authentiques, qui lui prouvent
+jusqu' l'vidence l'innocence de cette dame, mais qu'il ne nous
+rptera pas pour ne pas offenser notre dlicatesse. Or, n'est-ce pas se
+jouer un peu trop du public que de lui dire chaque jour: voil la
+vrit, je la tiens enfin, la voil... mais vous ne la saurez pas!
+
+M. Campbell nous reprsente ensuite lady Byron comme la femme forte, qui
+trouve dans sa propre conscience la sanction de sa conduite, et s'occupe
+peu de l'opinion du monde; la bonne heure, mais alors pourquoi donc
+importuner de nouveau le public? pourquoi lui crire par la voie des
+journaux, uniquement pour lui dire qu'on ne lui dira rien?
+
+L'esprit de Byron tait essentiellement versatile; il n'est donc pas
+tonnant qu'il ait quelquefois cherch excuser sa femme et
+s'attribuer tous les torts d'une rupture qui fit le malheur de sa vie.
+M. Campbell reproche M. Moore d'avoir affaibli l'effet de ces
+prtendus aveux, en y ajoutant ses propres rflexions, et en y opposant
+les passages de sa correspondance o son noble ami parle dans un sens
+tout--fait contraire. Il cite cet gard la lettre CCXXXV du recueil:
+elle passera sous les yeux de nos lecteurs, et, nous sommes fchs de le
+dire, ils pourront voir que M. Campbell en a singulirement altr et
+amplifi les termes.
+
+C'est un singulier argument en faveur de lady Byron que de dire: si elle
+n'avait pas eu de justes sujets de dsirer une sparation, le docteur
+Lushington ne se serait pas charg de sa cause. Dans une affaire, il y a
+toujours au moins un avocat de chaque ct: souvent tous les deux sont
+des hommes de talent; et nous devons en outre les supposer tous deux des
+hommes d'honneur et de bonne foi. Alors, que devient l'argument? Un peu
+plus loin se trouve un passage que je traduirai textuellement, parce
+qu'il est d'une navet qui ne serait pas dplace dans une comdie:
+C'est encore une erreur de M. Moore, et je pourrais le prouver au
+besoin, que de reprsenter miss Millbank comme engage avec son futur
+poux dans un commerce pistolaire, au moment o il venait de solliciter
+inutilement sa main. Jamais elle ne proposa de correspondance; au
+contraire, ce fut lui qui, aprs avoir prouv un premier chec, lui
+crivit qu'il allait quitter l'Angleterre et voyager pendant quelques
+annes en Orient; qu'il partait le coeur plein de douleur, mais sans
+entretenir aucun ressentiment, et qu'il s'estimerait heureux qu'elle
+daignt lui faire dire verbalement qu'elle s'intressait encore son
+bonheur. Une personne aussi bien leve que miss Millbank pouvait-elle
+faire autrement que de rpondre poliment un pareil message? Elle lui
+envoya donc une rponse pleine de confiance et d'affection, ce qui ne
+signifiait nullement qu'elle voult l'encourager renouveler ses offres
+de mariage. Il lui crivit, depuis, une lettre extrmement intressante
+sur lui-mme, sur ses vues personnelles, morales et religieuses,
+laquelle c'et t manquer de charit que de ne point rpondre. Il s'en
+suivit une correspondance insensiblement plus frquente, et bientt elle
+s'attacha passionnment lui............................................
+........................................................................
+
+Puisqu'aprs quatorze ans, passs dans l'attente, il parat que nous
+sommes condamns ne rien savoir de certain sur cette fameuse affaire
+de la sparation, il faut bien en prendre notre parti et nous contenter
+de simples conjectures. Les adversaires les plus acharns du noble pote
+sont obligs de convenir qu'il se montra toujours gnreux, aimant et
+aimable; les partisans les plus ardens de sa veuve ne contestent ni sa
+fiert, ni sa froideur glaciale, ni ses prtentions ridicules l'esprit
+et aux connaissances scientifiques. Lord Byron, qu'elle accuse, aprs sa
+mort, de torts qu'elle refuse de spcifier, et dont personne ne peut, en
+consquence, justifier sa glorieuse mmoire, Lord Byron n'a jamais perdu
+un ami pendant la dure trop courte de son existence, il est au
+contraire parvenu s'attacher sincrement des hommes qui d'abord
+s'taient dclars ses ennemis; il fut un fils, sinon tendre, du moins
+attentif et respectueux envers une assez mauvaise mre; nous pouvons
+donc en conclure qu'il se ft montr bon mari, si l'pouse n'et t
+encore plus insupportable que la mre.
+
+Les _Mmoires_ que nous donnons aujourd'hui au public ne sont pas, au
+moins quant cette premire partie, ce que le monde littraire avait
+droit d'attendre, et attendait en effet de M. Moore, crivant la vie et
+publiant la correspondance de Lord Byron. Cependant ils ne laissent pas
+d'offrir le plus vif intrt. Il en est du chantre de Childe Harold,
+comme de tous les hommes vritablement grands: sa mort nous a fait mieux
+apprcier son mrite, et le temps, loin de diminuer sa gloire, n'a fait
+qu'ajouter la popularit de ses ouvrages immortels. On voudra
+connatre la vie d'un homme si tonnant, on voudra assister au
+dveloppement graduel de ce puissant gnie; et des dtails qui, partout
+ailleurs, pourraient sembler purils, prendront de l'intrt cause de
+celui auquel ils se rapportent. Il et t dsirer sans doute que la
+position sociale de M. Moore, en lui imposant moins de mnagemens envers
+les vivans, lui et permis de rendre plus de justice l'illustre mort.
+Li avec tous ceux qui tiennent le premier rang dans l'aristocratie et
+dans la littrature de la Grande-Bretagne, non seulement M. Moore n'a
+pas os tout dire, mais encore il a souvent gauchi devant la vrit. Sa
+prose, toujours manire, devient presque inintelligible prcisment
+dans les passages o nous aurions le plus dsir qu'il nous donnt une
+ide prcise des hommes et des choses. Ceux qui ont lu, je ne dis pas
+ses oeuvres potiques, mais ses ouvrages en prose, seront fort tonns du
+mince talent qu'il a dploy dans celui-ci; et personne ne reconnatra
+dans le ple compilateur des _Mmoires de Lord Byron_, l'auteur si
+ingnieux, si lger et si profond la fois des _Mmoires du clbre
+chef irlandais, le capitaine Rock_.
+
+Au moment o nous songions donner cette traduction, d'autres libraires
+en faisaient paratre une autre que recommandait le nom de son auteur.
+Madame Belloc l'avait, en effet, commence avec le talent que tout le
+monde lui reconnat; mais bientt, presse sans doute par son diteur,
+elle a plutt rsum que traduit le texte anglais, et son style s'est
+beaucoup ressenti de la prcipitation de son travail. Ajoutons qu'elle
+n'a pas eu plus d'gards pour les lettres de Lord Byron que pour les
+commentaires un peu longs de son biographe; en sorte que l'on peut dire
+avec vrit qu'elle n'a rellement donn au public, ni la vie, ni la
+correspondance de Lord Byron.
+
+Pour nous, nous avons religieusement tout traduit, et nous nous sommes
+appliqu rendre notre auteur dans les termes dont il se serait servi,
+s'il et crit en franais. A peine nous sommes-nous permis de
+retrancher dans ce premier volume une ou deux notes absolument
+trangres au sujet. Dans le second, nous serons forc de supprimer prs
+d'une demi-feuille d'impression, c'est--dire quelques lettres o le
+noble pote consulte un de ses amis sur la coupe de certains vers, sur
+le choix de certaines expressions anglaises; le lecteur sentira
+facilement que ces lettres eussent t presque impossibles traduire,
+et que la lecture ne lui et offert aucune espce d'intrt.
+
+
+
+
+PRFACE
+DE L'DITEUR ANGLAIS.
+
+
+En publiant cet ouvrage, je n'aurais pu, je l'avoue, me dfendre d'une
+grande dfiance, en songeant tout ce qui me manquait pour accomplir
+une pareille tche, si je n'tais persuad que le sujet lui-mme et la
+varit des matriaux qu'il comporte doivent conserver une grande partie
+de leur intrt, mme dans les mains les plus inhabiles. Les motifs qui
+portrent Lord Byron fuir son pays sont bien dplorables sans doute,
+mais c'est son loignement de l'Angleterre, alors que son gnie
+brillait du plus vif clat, que nous devons toutes les lettres qui
+formeront la plus grande partie du troisime et du quatrime volume de
+cet ouvrage, et qui, nous n'en doutons pas, seront juges pour
+l'intrt, l'nergie et la varit, comparables ce qui honore le plus
+notre littrature dans le mme genre.
+
+On a dit de Ptrarque que sa correspondance et ses vers offraient
+l'intrt progressif d'un rcit dans lequel le pote s'identifie
+toujours avec l'homme. On peut appliquer, et plus justement encore, les
+mmes expressions Lord Byron, tant sa physionomie littraire et son
+caractre personnel sont intimement lis. C'est mme au point que
+priver ses ouvrages du commentaire instructif qu'en offrent sa
+correspondance et l'histoire de sa vie, ce serait commettre une gale
+injustice envers lui-mme et envers le monde.
+
+
+
+
+MMOIRES
+SUR LA VIE
+DE LORD BYRON.
+
+
+On a dit de Lord Byron qu'il tait plus fier de descendre de ces Byron
+qui accompagnrent Guillaume-le-Conqurant en Angleterre, que d'avoir
+compos _Childe-Harold_ et _Manfred_. Cette remarque n'est pas dnue de
+tout fondement, l'orgueil de la naissance tait certainement l'un des
+traits caractristiques du noble pote; et d'ailleurs toute
+l'illustration que les annes donnent une famille, il pouvait
+justement la rclamer pour la sienne. Le nom de Ralph de Burun occupe,
+ds le tems de Guillaume-le-Conqurant, un rang distingu dans le
+_Doomsday-Book_, parmi les tenanciers du Nottinghamshire; et pendant les
+rgnes suivans, nous voyons les descendans de ce Ralph, sous le titre de
+lords de Horestan-Castle[4], possder, dans le Derbyshire, des
+proprits considrables, auxquelles la terre de Rochdale, dans le duch
+de Lancastre, fut ajoute au tems d'douard Ier. Telle tait, dans ces
+premiers tems, la richesse territoriale de la famille, que le partage de
+ses biens, dans le seul Nottinghamshire, avait suffi pour fonder
+quelques-unes des premires maisons de la province.
+
+ [Note 4: Il y avait, dit Thoroton, dans le parc de Horseley,
+ un chteau dont on peut voir encore quelques ruines; il
+ s'appelait Horestan-Castle, et tait le principal manoir des
+ successeurs de Ralphe de Burun.
+ (_Note de Moore_.)]
+
+Mais son antiquit n'tait pas la seule distinction qui recommandt
+ses hritiers le nom de Byron; le mrite personnel et les hauts faits
+qui doivent former le premier ornement d'une gnalogie, semblent avoir
+t le partage frquent de ses anctres. Dans l'un de ses premiers
+pomes, il fait allusion la gloire de ses aeux, et rappelle avec une
+vive satisfaction ces fiers barons bards de fer, qui brillaient parmi
+ceux qui conduisirent leurs vassaux europens dans les plaines de
+Palestine; puis il ajoute: Sous les remparts d'Ascalon prit John de
+Horiston; la mort a glac la main de son mnestrel. Cependant comme,
+autant que je l'ai pu dcouvrir, il n'est fait mention nulle part de
+quelqu'un de ses anctres qui se ft crois, il est possible que sa
+seule autorit, en composant ces vers, fut la tradition qui se
+rapportait certains groupes des vieilles boiseries de Newsteadt. Dans
+l'un de ces groupes profondment sculpts et se dtachant du panneau, on
+peut reconnatre facilement un Sarrasin, ou un Maure avec une femme
+europenne, d'un ct, et de l'autre un soldat chrtien. Un deuxime
+groupe, plac dans l'une des chambres coucher, reprsente une femme au
+centre, et de chaque ct la tte d'un Sarrasin, dont les yeux sont
+fixs avec intrt sur elle. On ne sait rien de bien exact sur ces
+sculptures; mais la tradition est, m'a-t-on dit, qu'elles se rapportent
+ quelque aventure d'amour dans laquelle se trouvait engag l'un des
+chevaliers croiss dont parle le jeune pote. Quant aux exploits les
+mieux prouvs, ou du moins les plus connus des Byron, il suffira de dire
+que sous douard III, au sige de Calais et dans les plaines mmorables,
+ diverses poques, de Crci, de Bosworth et de Marston Moor, leur nom
+se montre revtu de la double illustration de rang et de mrite, dont se
+glorifiait leur plus jeune descendant, dans les vers que nous venons de
+citer.
+
+Ce fut sous le rgne de Henri VIII, l'poque de la suppression des
+monastres, que l'glise et le prieur de Newsteadt furent, avec les
+terres contigus, ajouts, par un don royal, aux autres domaines de la
+famille Byron[5]. Le favori qui furent donnes les dpouilles du
+monastre, tait le petit neveu du vaillant guerrier qui combattit
+Bosworth, aux cts de Richemond, et que l'on distingue des chevaliers
+du mme nom par le titre de sir John Byron _le Court, la grande
+barbe_: son portrait tait du petit nombre de ceux qui dcoraient les
+murs de l'abbaye, quand elle appartenait au noble pote.
+
+ [Note 5: Le prieur de Newsteadt avait t fond et ddie
+ Dieu et la Vierge, par Henri II; ses moines, chanoines
+ rguliers de l'ordre de St.-Augustin, taient, ce qu'il
+ parat, les objets particuliers de la faveur royale, dans
+ leurs doubles intrts spirituels et temporels. Pendant la
+ vie du cinquime Lord Byron, on trouva dans le lac de
+ Newsteadt, o l'on supposait que les moines avaient tent de
+ le cacher, un grand aigle de cuivre; on le fit ouvrir, et
+ l'on dcouvrit dans l'intrieur une case secrte qui recelait
+ plusieurs vieilles chartes relatives aux droits et aux
+ privilges de la fondation. A la vente des effets du vieux
+ Lord Byron, en 1776-1777, cet aigle avec trois candlabres,
+ trouvs la mme poque, furent achets par un horloger de
+ Nottingham (celui-mme qui avait trouv les pices dont nous
+ venons de parler), et ayant de ses mains pass dans celles de
+ sir Richard Kaye, prbendier de Southwell, ils forment
+ prsent un des ornemens les plus remarquables de la
+ cathdrale de cette ville. Un document curieux, trouv,
+ dit-on, dans l'aigle, appartient aujourd'hui au colonel
+ Wildman; c'est un plein pardon, accord par Henri II, de tous
+ les crimes possibles (et l'on en trouve dsign un assez long
+ catalogue) que les moines peuvent avoir commis avant le huit
+ dcembre prcdent. _Murdris_ per ipsos _post decimum nonum
+ diem_ novembris ultimo prteritum perpetratis, si qu
+ fuerint, _exceptis_.]
+
+Au couronnement de Jacques Ier, nous trouvons un autre reprsentant de
+cette famille, le petit-fils de sir John Byron _le Court_, devenu
+l'objet de nouvelles faveurs royales et cr chevalier du Bain (_Knight
+of the Bath_). Une lettre de ce personnage, conserve dans _les
+Illustrations de Lodge_, nous apprend, que, malgr l'ostentation d'une
+apparente prosprit, cette ancienne famille avait dj l'exprience des
+embarras pcuniaires. Dans cette pice, aprs avoir parl son hritier
+du meilleur moyen de payer ses dettes, je vous conseille donc,
+continue-t-il[6], aussitt que vous aurez termin, comme vous le devez,
+les funrailles de votre pre, de rgler et de rduire ce grand train de
+maison, et de ne garder de tous vos domestiques que quarante ou
+cinquante au plus. Dans mon opinion, vous feriez beaucoup mieux de vivre
+quelque tems dans le comt de Lancastre que dans celui de Nottingham; et
+cela, pour plusieurs raisons excellentes, qu'au lieu de vous crire, je
+vous dirai notre premire entrevue.
+
+ [Note 6: Le comte de Shrewsbury.
+ (_Note de Moore_.)]
+
+C'est du rgne suivant, celui de Charles Ier, que date l'origine de la
+noblesse de la famille. En 1643, sir John Byron, arrire-petit-fils de
+celui qui avait obtenu le riche domaine de Newsteadt, fut cr baron
+Byron de Rochdale, dans le comt de Lancastre; et rarement de pareils
+titres furent concds pour des services aussi rels et aussi honorables
+que ceux auxquels ce gentilhomme dut le sien. Presque chaque page de
+l'histoire de nos guerres civiles, son nom se trouve li aux diverses
+fortunes de son roi; toujours fidle, persvrant et dsintress dans
+sa conduite. Sir John Byron, dit l'auteur des _Mmoires du colonel
+Hutchinson_, plus tard Lord Byron, et tous ses frres, hommes d'armes,
+actifs et vaillans de leurs personnes, taient tous acquis passionnment
+au roi. Dans une rponse que le colonel Hutchinson eut l'occasion de
+faire, tant gouverneur de Nottingham, son cousin germain, sir Richard
+Byron, il accorde un glorieux tribut la valeur et la fidlit de la
+famille. Sir Richard ayant envoy quelqu'un vers son parent pour
+l'engager rendre le chteau, reut pour rponse que, sauf le cas o
+il trouverait dans son coeur quelque disposition une trahison
+semblable, il devait se rappeler qu'il coulait dans ses veines assez du
+sang des Byron, pour qu'il et horreur de trahir ou d'abandonner ce
+qu'il avait entrepris de dfendre.
+
+Tels sont quelques-uns des personnages distingus qui ont transmis
+Byron leur nom illustr.
+
+Du ct maternel notre pote pouvait vanter ses anctres, la noblesse
+desquels l'cosse ne pouvait rien prfrer, sa mre tant de la famille
+des Gordon de Gight, descendans de sir William Gordon, troisime fils du
+comte de Huntley, par la fille de Jacques Ier.
+
+Aprs les tems agits des guerres civiles, o se distingurent aussi
+plusieurs Byron, puisqu' la fameuse bataille d'Edgehill on vit jusqu'
+sept frres de ce nom, leur renomme semble assoupie pendant prs d'un
+sicle. Mais vers l'anne 1750, le naufrage et les souffrances du
+grand-pre de notre pote, M. Byron, plus tard amiral, rveillrent un
+haut degr l'attention et l'intrt du public. Quelque tems aprs, une
+autre sorte de clbrit, moins glorieuse il est vrai, devint le partage
+de deux autres membres de la famille: l'un grand-oncle, l'autre pre de
+Lord Byron. Le premier, en 1765, subit un jugement devant la Chambre des
+Pairs, pour avoir tu en duel, ou plutt au milieu d'une querelle, son
+parent et son voisin, M. Chaworth; le second ayant enlev et conduit sur
+le continent la femme de lord Carmarthen, l'pousa ds que le marquis
+eut russi obtenir un divorce. Une fille fut le seul fruit de cette
+courte union: ce fut l'honorable Augusta Byron, aujourd'hui femme du
+colonel Leigh.
+
+En parcourant ainsi rapidement les premiers et les derniers anctres de
+Lord Byron, on ne peut s'empcher de remarquer quel point ce dernier
+runissait en lui une partie des grandes et peut-tre des mauvaises
+qualits remarquables dans plusieurs de ses aeux! La gnrosit, la
+hardiesse, la grandeur d'ame des plus illustres; mais aussi les passions
+drgles, la bizarrerie, le mpris de l'opinion publique, qui
+caractrisaient les autres.
+
+M. Byron, le pre du pote, ayant perdu sa premire femme en 1784, se
+remaria l'anne suivante miss Catherine Gordon, fille et unique
+hritire de George Gordon de Gight. Outre le domaine de Gight, qui
+pourtant tait dans l'origine bien plus important qu'aujourd'hui, cette
+dame possdait en valeur pcuniaire, actions, etc., une fortune
+considrable; et l'opinion commune tait que M. Byron ne lui avait fait
+la cour que pour s'affranchir de ses dettes.
+
+Un trait bien singulier que l'on raconte de miss Gordon, surtout si
+jusqu'alors elle n'avait jamais vu le capitaine Byron, prouve en mme
+tems l'extrme vivacit et la vhmence des sentimens qu'elle avait dj
+pour lui. Elle tait au thtre d'Edimbourg, un soir que le rle
+d'_Isabella_ tait rempli par Mrs. Siddons; l'illusion que faisait cette
+grand actrice l'affecta au point de la faire tomber, avant la fin de la
+pice, dans de violentes attaques de nerf. On l'emporta hors du thtre,
+tandis qu'elle s'criait haute voix: Oh! mon Byron, mon Byron!
+
+A l'occasion de son mariage, un rimeur cossais fit paratre une ballade
+que l'on a dernirement rimprime dans une collection d'_anciennes
+chansons et ballades du nord de l'cosse_.
+
+Comme elle porte la preuve de la rputation de fortune qu'avait la
+nouvelle pouse et de l'inconduite extravagante de son poux, on en
+pourra lire volontiers l'extrait suivant:
+
+
+MISS GORDON DE GIGHT.
+
+Oh! o tes-vous alle, jolie miss Gordon? o tes-vous alle si
+gentille et si pare? Vous avez pous, vous avez pous John Byron,
+pour dissiper les terres de Gight.
+
+Ce jouvenceau est un mauvais sujet venu d'Angleterre; les cossais ne
+connaissent pas sa famille; il entretient des matresses; son hte
+l'importune et ne peut s'en faire payer. Oh! ce sera bientt fait des
+terres de Gight.
+
+Oh! o tes-vous alle, etc.
+
+Entendez-vous les coups de fusil, le bruit du tambourin, celui du cor
+dans les bois, de la cornemuse sous le vestibule, les aboiemens des
+chiens courans et des chiens d'arrt. Avec tout ce bruit-l, ce sera
+bientt fait des terres de Gight.
+
+Oh! o tes-vous alle, etc.
+
+Bientt aprs le mariage, qui eut lieu, je crois, Bath, M. Byron et sa
+femme se retirrent dans leur terre d'cosse, et il se passa peu de tems
+avant que les pronostics du faiseur de ballades ne se ralisassent. La
+malheureuse hritire mesura alors des yeux l'abme de dettes qui devait
+engloutir sa fortune. Les cranciers de M. Byron se prsentrent sans
+perdre de tems. Argent comptant, actions de la Banque, droits de pche,
+tout fut sacrifi pour les satisfaire; tout cela ne suffisant pas, il
+fallut grever la proprit d'une hypothque assez considrable.
+
+Dans l't de 1786, elle et son mari quittrent l'cosse pour la France;
+et l'anne suivante il fallut vendre le domaine de Gight, toujours pour
+payer des dettes. La totalit du prix de la vente y passa, l'exception
+d'une petite somme remise en main tierce, pour l'usage particulier de
+mistress Byron, qui se vit ainsi, dans le court espace de deux ans,
+rduite d'un tat d'opulence un revenu modique de 150 livres
+sterling[7].
+
+ [Note 7: Les dtails que je joins ici sur la fortune de
+ mistress Byron (la mre), avant son mariage, et la rapidit
+ avec laquelle cette mme fortune fut dissipe bientt aprs,
+ sont de la plus grande exactitude; j'ai tout lieu de le
+ croire, d'aprs l'authenticit de la source o je les ai
+ puiss.
+
+ A l'poque de son mariage, miss Gordon possdait peu prs
+ 3,000 liv. st. en espces, deux actions de la banque
+ d'Aberdeen, les domaines de Gight et de Monkshill, et le
+ privilge de deux pcheries de saumons sur la Dee. Peu aprs
+ l'arrive de M. et de mistress Byron en cosse, il fut
+ vident que le premier avait contract des dettes
+ considrables, et ses cranciers commencrent des poursuites
+ lgales pour arriver au recouvrement de leurs crances.
+ L'argent comptant fut immdiatement sacrifi pour les
+ satisfaire, les actions de la banque furent vendues raison
+ de 600 liv. st. (elles en valent actuellement 5,000); on
+ abattit sur la terre de Gight et l'on vendit du bois, au
+ montant de 1,500 liv. st. On disposa de la ferme de Monkshill
+ et des pcheries, formant un franc-fief, pour 480 liv. st. Ce
+ n'est pas tout, dans l'anne mme du mariage, on emprunta une
+ somme de 8,000 liv. st., pour laquelle mistress Byron donna
+ hypothque sur son domaine de Gight.
+
+ En mars 1786, un contrat de mariage fut dress selon la
+ _coutume_ d'cosse et sign par les parties. Dans le cours de
+ l't de la mme anne, M. et mistress Byron quittrent Gight
+ pour n'y plus revenir; le domaine fut vendu l'anne suivante
+ Lord Haddo moyennant 17,850 liv. st. La totalit de cette
+ somme fut employe payer les dettes de M. Byron, except
+ une rente de 55 liv. sterl. 17 schellings 1 penny, douaire de
+ la grand'mre de mistress Byron, reprsentant un capital de
+ 1,128 liv. st., qui devait revenir cette dernire la mort
+ de son aeule, et 3,000 qui devaient tre dposes en mains
+ tierces pour l'usage particulier de mistress Byron, et qui
+ furent depuis places chez M. Carsewell de Ratharllet, dans
+ le comt de Fife.
+
+ Une autre personne, bien informe, m'a racont une
+ particularit singulire qui eut lieu avant la vente de la
+ terre, c'est que tous les ramiers de la maison de Gight
+ s'envolrent de concert et se rendirent au colombier de Lord
+ Haddo; leur exemple fut suivi par une troupe de hrons qui
+ avaient fait leur nid depuis maintes annes dans un bois
+ voisin d'un grand lac, appel le _Hagberry-Pot_. On vint en
+ avertir Lord Haddo. Laissez venir les oiseaux, rpondit-il,
+ ne les effarouchez pas, la terre ne manquera pas de les
+ suivre. Ce qui arriva effectivement.
+ (_Note de Moore_.)]
+
+Mistress Byron revint en Angleterre la fin de 1787, et le 22 janvier
+suivant elle mit au monde Londres, dans _Holle-street_, son premier et
+unique enfant, George Gordon Byron. Le nom de Gordon lui fut donn par
+suite d'une condition testamentaire impose quiconque pouserait
+l'hritire de Gight; l'enfant, son baptme, eut pour parrains le duc
+de Gordon et le colonel Duff de Fetteresso.
+
+A propos de sa qualit de fils unique, Lord Byron, dans une des feuilles
+de son journal, rapporte quelques concidences curieuses du mme fait
+dans sa famille, qui, pour un esprit dispos comme le sien trouver
+partout du merveilleux dans tout ce qui avait rapport lui-mme,
+devaient paratre plus singulires et plus frappantes qu'elles ne le
+sont en effet: J'ai pens, dit-il, une chose bizarre; ma fille, ma
+femme, ma soeur de pre, ma mre, ma tante maternelle, la mre de ma
+soeur, ma fille naturelle et moi-mme sommes ou tions tous fils ou
+filles uniques; la mre de ma soeur, lady Conyers, n'eut que ma soeur de
+son second mariage; elle-mme tait fille unique; mon pre n'eut que moi
+de son second mariage avec ma mre, galement fille unique. Une telle
+complication dans une seule famille est bien singulire, elle semble
+vraiment l'effet de la fatalit. Ensuite il ajoute ces paroles
+caractristiques: Mais les plus fiers animaux ont le moins de petits,
+tels que les lions, les tigres et jusqu'aux lphans, qui sont doux en
+comparaison des premiers.
+
+De Londres mistress Byron se rendit avec son enfant en cosse; et, en
+1790, elle fixa son sjour Aberdeen, o le capitaine Byron vint
+bientt la rejoindre. C'est l qu'ils vcurent ensemble quelque tems,
+logs en garni chez un nomm Anderson, dans _Queen-street_; mais leur
+union tant loin d'tre parfaite, une sparation fut bientt juge
+ncessaire, et mistress Byron prit le parti d'aller loger, toujours en
+garni, l'extrmit de la mme rue[8]. Malgr cette dsunion, ils n'en
+continurent pas moins se visiter de tems en tems, et mme prendre
+le th l'un chez l'autre; mais les lmens de discorde se multiplirent
+et finirent par amener leur sparation complte et dfinitive. Il
+arrivait toutefois frquemment au mari, d'accoster la bonne et son fils
+dans leur promenade et d'exprimer un vif dsir d'avoir l'enfant chez lui
+pour un ou deux jours. Mistress Byron tait d'abord peu dispose cder
+ ce voeu; mais la bonne lui reprsenta que _si le pre avait l'enfant
+une seule nuit, il n'en voudrait pas davantage_, et cette rflexion la
+dcida enfin y consentir. L'vnement justifia la prdiction de la
+bonne; quand elle vint le lendemain s'informer de son enfant, le
+capitaine Byron lui dclara qu'il avait assez de son jeune hte, et
+qu'elle pouvait le reprendre tout de suite.
+
+ [Note 8: Il semble que plusieurs fois elle changea de
+ domicile Aberdeen; on dsigne encore deux maisons o elle
+ aurait quelque tems log, l'une dans _Virginia-street_, et
+ l'autre chez un M. Leslie, je crois, dans _Broad-street_.
+ (_Note de Moore_.)]
+
+Il faut observer qu' cette poque la fortune de mistress Byron ne lui
+permettait pas d'avoir plus d'une domestique; il n'est donc pas tonnant
+que l'enfant envoy affronter l'preuve d'une visite, sans la
+surveillance ordinaire de sa bonne, se soit montr un hte difficile
+gouverner.
+
+Du reste, que ds l'enfance son caractre ft violent, sournois et
+colre, il est impossible d'en douter; jusque dans ses petites jupes, il
+manifestait avec sa bonne ce mme esprit d'impatience dont il donna dans
+la suite tant de preuves ses critiques. Un jour elle le rprimanda
+vivement d'avoir sali ou dchir un fourreau qu'on venait de lui mettre:
+ces reproches le firent entrer dans une de ces _rages silencieuses_,
+comme il les nomme lui-mme; il prit le fourreau de ses deux mains, le
+mit en pices, puis revint une soudaine immobilit, dfiant et son
+censeur et son ressentiment.
+
+Mais malgr cette petite scne et d'autres emportemens semblables,
+auxquels ne l'encourageait que trop l'exemple de sa mre (qui en
+agissait, dit-on, frquemment de mme avec ses bonnets et ses robes), il
+y avait dans ses inclinations, et le tmoignage de ses bonnes, de ses
+matres et de tous ceux qui eurent alors des rapports avec lui est ici
+conforme, un mlange de douceur affectueuse et d'enjouement qui lui
+gagnait ncessairement les coeurs, et qui plus tard, comme dans ses plus
+tendres annes, rendait son commerce facile pour ceux qui l'aimaient et
+le connaissaient assez pour user toujours son gard de douceur et de
+fermet. La gouvernante, dont nous avons dj parl, et la soeur de cette
+femme, May-Gray, qui la remplaa, prirent sur son esprit une influence
+laquelle il ne rsistait que bien rarement; tandis que sa mre, dont les
+caprices et les accs de tendresse et d'emportement diminuaient
+galement le respect et l'affection de son enfant, ne dut jamais qu'
+l'autorit de son titre de mre le faible pouvoir qu'elle eut sur lui.
+
+Par l'effet d'un accident qui, dit-on, arriva au moment de sa naissance,
+l'un de ses pieds fut dtourn de sa position naturelle. Ce dfaut,
+grce surtout aux efforts que l'on fit pour y remdier, fut pour lui,
+pendant sa jeunesse, la source d'une foule de douleurs et d'ennuis. On
+voulut redresser ce membre d'aprs les expdiens alors en vogue, et sous
+la direction du clbre John Hunter, qui mme entretint ce sujet une
+correspondance avec le docteur Livingstone d'Aberdeen. C'tait sa
+gouvernante qu'tait confi le soin de lui mettre le soir ses
+machines-bandages; souvent alors, comme elle l'a racont depuis, elle
+lui chantait ou lui racontait, pour mieux l'endormir, des histoires et
+des lgendes auxquelles, comme la plupart des enfans, il prenait un
+grand plaisir. Elle lui apprit encore, dans cet ge si tendre, rpter
+un grand nombre de psaumes, et le premier et le vingt-troisime furent
+ceux qu'il confia d'abord sa mmoire. C'est un fait vraiment
+remarquable que, par les soins de cette respectable et pieuse personne,
+il acquit une connaissance plus parfaite des saintes critures, que ne
+l'ont en gnral les jeunes gens. Dans une lettre qu'il crivit d'Italie
+ M. Murray, en 1821, aprs lui avoir demand, par la premire occasion,
+l'envoi d'une bible, il ajoute: N'oubliez pas cela, car je suis un
+grand lecteur et admirateur de ces livres; je les avais parcourus tous
+avant l'ge de huit ans,--c'est--dire les livres de l'Ancien-Testament;
+quant au Nouveau, sa lecture me semblait une tche, et celle de l'autre
+un plaisir. J'en parle d'aprs mes ides d'enfant, telles que je me les
+rappelle, et comme se prsente encore ma mmoire ce tems que je passai
+ Aberdeen en 1796.
+
+La difformit de son pied tait ds-lors un sujet qui l'affligeait
+beaucoup et sur lequel il se montrait trs-irascible. Une personne de
+Glascow m'a rapport que la gouvernante de sa femme et celle de Byron se
+voyaient souvent quand elles sortaient pour promener les enfans qui leur
+taient confis, et qu'un jour elle lui avait dit: Quel bel enfant que
+ce Byron! et quel malheur qu'il ait un pareil pied! L'enfant
+l'entendit, et soudain, outr de colre, il la frappa d'un petit fouet
+qu'il avait la main, en s'criant avec impatience: _Ne parlez pas de
+cela_. Quelquefois cependant, comme plus tard, il parlait avec
+indiffrence et mme plaisantait de son infirmit. Dans le voisinage se
+trouvait un autre enfant qui avait dans l'un de ses pieds un dfaut
+semblable; Byron disait alors cette occasion en riant: _Venez voir les
+deux petits garons qui s'en vont dans Brood-street avec leurs deux
+pieds bots_.
+
+Parmi une foule d'exemples de vivacit et d'nergie, sa gouvernante
+citait le suivant. Un soir, elle l'avait conduit au thtre, la
+reprsentation de la _Femme colre corrige_ (_the taming of the
+Shrew_); il avait suivi la pice pendant quelque tems avec un intrt
+silencieux, mais la scne entre Catherine et Ptruchio, quand les
+acteurs en furent ces deux vers:
+
+ CATHERINE. Je sais que c'est la lune.
+ PETRUCHIO. Non, vous mentez, c'est le soleil bienfaisant.
+
+Le petit Geordie (ainsi l'appelait-on), se levant de son sige, se mit
+crier vivement: _Mais je vous dis, moi, que c'est la lune, monsieur_.
+
+Nous avons dj parl du sjour du capitaine Byron Aberdeen; il revint
+encore y passer deux ou trois mois avant son dpart dfinitif pour la
+France. Chaque fois, le principal objet de sa visite tait de tirer
+encore, s'il le pouvait, quelque argent de la malheureuse femme qu'il
+avait rduite la misre; et il y russit si bien, que la dernire fois
+cette dame, gne comme elle l'tait, parvint lui procurer les moyens
+de se rendre Valenciennes[9], o il mourut l'anne suivante (1791).
+Bien que sur la fin Mrs. Byron refust de le voir, elle lui conserva
+toujours, dit-on, une vive affection; et cette poque, quand la
+gouvernante venait le rencontrer, elle ne manquait pas de s'informer
+auprs d'elle, avec la plus tendre sollicitude, de sa sant et de l'air
+de son visage. Quand elle apprit sa mort, sa douleur, suivant le rcit
+de la mme personne, tenait du dsespoir, et ses cris perans furent
+entendus jusque dans la rue. C'tait vraiment une femme extrme dans
+toutes ses passions; sa douleur et sa tendresse partaient de son
+temprament autant que d'une sensibilit relle. Quoi qu'il en soit,
+dplorer la mort d'un pareil mari tait, il faut l'avouer, faire preuve
+d'une gnrosit bien gratuite; d'autant plus que ne l'ayant pouse,
+comme il le disait tout haut, que pour sa fortune, et ayant bientt
+dissip le seul charme qu'elle et ses yeux, il avait la cruaut de
+lui reprocher frquemment les inconvniens de la pnurie, fruit de son
+extravagante prodigalit.
+
+ [Note 9: Mrs. Byron, dit quelqu'un que j'ai dj cit,
+ s'tait endette de trois cents liv. st., par suite des
+ avances d'argent faites M. Byron lors de ses deux visites
+ Aberdeen, et par les frais d'ameublement de la chambre
+ qu'elle occupa aprs la mort de son mari, dans Brood-street.
+ Les intrts de cette somme rduisirent son revenu 139
+ liv.; toutefois elle sut vivre sans augmenter ses dettes, et
+ la mort de sa grand'mre, ayant hrit des 1,122 liv.
+ rserves pour le douaire de cette dame, elle les acquitta
+ entirement.]
+
+Le jeune Byron n'avait pas cinq ans accomplis quand on l'envoya une
+cole primaire, tenue Aberdeen par M. Bowers[10]. Il y resta, sauf
+quelques interruptions, durant l'espace de douze mois, comme l'atteste
+l'extrait suivant du registre journalier de l'cole:
+
+
+GEORGES GORDON BYRON,
+
+19 novembre 1792.
+
+19 novembre 1793, reu une guine.
+
+ [Note 10: Dans _Long-acre_, l'instituteur actuel de cette
+ cole est M. Davie Gronta, l'ingnieux diteur d'une
+ _collection de batailles et monumens militaires_, et d'un
+ ouvrage fort utile intitul: _Livre classique des pomes
+ modernes_.]
+
+Le prix de cette cole, pour la lecture seulement, n'tait que de 5
+_shillings_ par quartier; et ce fut certainement moins dans le but de
+hter ses progrs que pour mieux chapper sa turbulence que sa mre
+l'y envoya. Quant au rsultat de ces premires tudes Aberdeen, tant
+sous M. Bowers que sous diffrens autres instituteurs, il nous en offre
+lui-mme le curieux document dans une sorte de journal commenc sous le
+titre de _mon Dictionnaire_, et qu'on retrouve dans l'un de ses
+manuscrits:
+
+J'ai vcu dans cette ville plusieurs annes de ma premire jeunesse;
+mais depuis l'ge de dix ans je n'y suis pas retourn. A cinq ans, ou
+plus tt mme, on m'envoyait l'cole tenue par un M. Bowers, que l'on
+surnommait _Bodsy_, cause de son air vif et veill. C'tait une cole
+ l'usage des deux sexes; j'y appris peu de chose, si ce n'est rpter
+par coeur, force de l'entendre, mais sans en retenir une lettre, la
+premire leon monosyllabique: _Dieu fit l'homme, il faut l'aimer_. La
+seule preuve que je donnais de mes progrs la maison, c'tait de
+rpter ces mots avec la plus grande volubilit; mais un jour, ayant
+tourn le feuillet, j'eus le malheur de redire encore la mme chose, et
+cela fit dcouvrir les bornes troites de mes jeunes talens: on me tira
+les oreilles (criante injustice, attendu que c'tait par elles que
+j'avais appris ce que je savais), et l'on confia mes dispositions aux
+soins d'un nouveau prcepteur; c'tait un pieux et habile petit prtre,
+nomm Ross, devenu plus tard, ministre de l'une des glises d'cosse
+(celle d'_East_, je pense). Je fis sous lui d'tonnans progrs, et je me
+rappelle encore aujourd'hui ses manires douces et sa gnreuse
+sollicitude. Ds que je pus lire, ma grande passion fut l'histoire, et
+surtout je me passionnai, pourquoi? je l'ignore, pour la bataille donne
+prs du lac Rgille, dans l'histoire romaine, que l'on m'avait d'abord
+mise entre les mains. Il y a quatre ans, me trouvant sur les hauteurs de
+Tusculum, mes regards s'arrtrent sur le petit lac circulaire, jadis de
+Rgille, et qui n'est plus qu'un point dans la perspective; alors je me
+souvins de mon jeune enthousiasme et de mon vieux instituteur. Plus tard
+j'eus pour matre un nomm Paterson, honnte jeune homme, mais
+trs-srieux et taciturne: c'tait le fils de mon cordonnier; du reste
+fort instruit, comme le sont gnralement les cossais; c'tait de plus
+un presbytrien rigide. Je commenai avec lui le latin, dans la
+grammaire de Ruddeman, et je continuai jusqu'au moment o l'on me mit
+l'_cole de grammaire_. L je fis toutes mes classes jusqu' la
+quatrime forme[11], poque de mon rappel en Angleterre, ma patrie, par
+la mort de mon oncle.
+
+ [Note 11: Un collge rgulier anglais se divise gnralement
+ en six _formes_, quoiqu'un mme professeur puisse tre charg
+ de deux la fois. L'ordre des _formes_ est inverse du ntre;
+ ainsi (la rhtorique et la philosophie faisant partie de
+ l'enseignement spcial des universits), la siximes _forme_
+ correspondra notre classe de seconde, et la premire forme
+ notre septime ou aux classes plus lmentaires encore.
+ (_Note du Traducteur_.)]
+
+C'est Aberdeen, et sur les belles exemples de M. Duncan, que j'acquis
+le beau point d'criture que je ne lis pas moi-mme sans difficult. Je
+ne pense pas qu'il se mt beaucoup en peine de mes progrs. J'crivais
+mieux alors que je n'ai jamais fait depuis; la hte et l'agitation d'une
+et d'autre espce ont fait de moi le plus parfait griffonneur qui jamais
+ait tenu une plume. Il pouvait y avoir cette cole de grammaire cent
+cinquante enfans de tout ge; elle tait divise en cinq classes, tenues
+par quatre matres, le principal se chargeant de la quatrime et de la
+cinquime forme, comme en Angleterre la cinquime et la sixime forme et
+les moniteurs ont toujours pour professeur le chef de l'cole.
+
+Parmi ses compagnons de classe, il en est de vivans qui se souviendront
+encore de lui[12], et l'impression qu'ils en ont conserve est que
+c'tait un enfant vif et passionn, emport, rancunier, mais affectueux
+et sociable l'gard de ses camarades; hardi, singulirement aventureux
+et toujours, comme l'un d'eux le rptait heureusement, toujours _plus
+prt donner qu' recevoir des coups_. Entr'autres anecdotes l'appui
+de ce caractre, on cite qu'une fois, revenant de l'cole, il se trouva
+de compagnie avec un enfant qui l'avait auparavant insult, sans en
+avoir t puni. Le petit Byron avait jur qu'il le lui paierait la
+premire occasion; en consquence cette fois-ci, bien que plusieurs
+autres enfans prissent le parti de son adversaire, il parvint lui
+donner une _vole complte_; et quand il arriva chez sa mre, tout
+essouffl, la servante lui demanda ce qu'il avait fait. Il rpondit,
+avec un mlange de rage et d'enjouement, qu'il venait d'acquitter une
+dette en rossant un enfant auquel il l'avait promis; qu'il tait un
+Byron, et que jamais il ne fausserait sa devise: _Croys Byron_.
+
+ [Note 12: Le vieux portier du collge aussi se rappelle bien
+ le petit garon la jaquette rouge et au pantalon de nankin,
+ qu'il a si souvent chass de la cour du collge.]
+
+Il est certain qu'il cherchait bien plus se distinguer parmi ses
+camarades par sa supriorit dans tous les jeux et exercices violens,
+que par ses progrs l'tude[13]. Cependant il tait plein d'ardeur ds
+qu'on parvenait fixer son attention, ou qu'un genre d'tude venait
+lui plaire. Il tait en gnral parmi les derniers de sa classe, et ne
+semblait gure ambitieux de places plus honorables. Il est d'usage, je
+crois, dans cette pension, d'intervertir de tems en tems l'ordre des
+places et de mettre les plus faibles coliers sur les bancs
+ordinairement rservs aux plus forts, sans doute dans la vue de mieux
+stimuler l'ardeur des uns et des autres. Dans ces occasions, et
+seulement alors, Byron tait parfois la tte de ses condisciples, et
+son professeur disait en le raillant; _Allons, George, vous ne tarderez
+pas retourner la queue_[14].
+
+ [Note 13: C'tait, dit l'un de ceux que j'ai consults, un
+ bon joueur de billes, il les lanait plus loin que la plupart
+ des enfans; il excellait aussi aux _barres_, jeu qui exige
+ une grande agilit de jambes.]
+
+ [Note 14: Il parat, d'aprs la liste trimestrielle tenue a
+ l'cole de grammaire d'Aberdeen, dans laquelle le nom des
+ enfans se trouve plac suivant le rang qu'ils tenaient dans
+ leur classe; il parat, dis-je, qu'en avril 1794, le nom de
+ Byron se trouvait le vingt-troisime sur une liste de
+ trente-huit enfans, dans la seconde forme. En avril 1798, il
+ lui arriva d'tre le cinquime dans la quatrime classe,
+ compose de vingt-sept enfans, et de dpasser plusieurs de
+ ses condisciples qui l'avaient toujours devanc jusque-l.]
+
+Durant cette priode, sa mre et lui eurent l'occasion de faire visite
+plusieurs de leurs amis: ils passrent quelque tems Fetteresso,
+demeure de son parrain le colonel Duff (on s'y rappelle encore le
+plaisir que prenait l'enfant jouer avec un vieux sommelier, bon
+vivant, nomm Ernest Fiddler). Ils s'arrtrent aussi Banff, o
+rsidaient quelques proches parens de mistress Byron.
+
+Il eut en 1796 une attaque de fivre scarlatine, aprs laquelle sa mre
+l'envoya, pour changer d'air, dans les montagnes de l'cosse
+(_highlands_); et ce fut alors, ou l'anne suivante, qu'ils choisirent
+pour rsidence une ferme dans le voisinage de Ballater. C'est un sjour
+recherch pendant l't par ceux qui veulent reprendre leur sant ou
+leur enjouement; il est situ sur la rivire, quarante milles environ
+d'Aberdeen. Bien que cette maison, o l'on montre encore avec orgueil le
+lit du jeune Byron, soit naturellement devenue un but de plerinage pour
+les admirateurs du gnie, elle est, ainsi que la valle troite et aride
+dans laquelle elle est btie, bien indigne de s'associer au souvenir
+d'un pote. A peu de distance de l, on peut vanter avec raison un
+paysage o se retrouvent tous les genres de beauts sauvages qui suivent
+le cours de la De travers les montagnes. C'est l que les noirs
+sommets de _Lachin-y-Gair_ s'lanaient en forme de tourelles aux yeux
+du pote futur; les vers qu'il consacra, plusieurs annes aprs, au
+tableau de ces objets sublimes, montrent que dj, malgr sa tendre
+jeunesse, il connaissait tous les genres de _gloire sourcilleuse_ qui
+s'y rattachaient[15].
+
+ [Note 15: Les souvenirs exprims dans cette pice sont
+ charmans, mais il n'en est pas moins certain, d'aprs le
+ tmoignage de sa gouvernante, qu'il alla tout au plus deux
+ fois sur cette montagne, situe quelques milles de leur
+ rsidence ordinaire.]
+
+Ah! c'est l que mes pas s'garrent souvent dans mon enfance; mon
+chapeau tait le bonnet carreaux, mon manteau le _plaid_ des
+montagnards; les souvenirs des chefs de _clans_, morts depuis long-tems,
+venaient s'offrir mon esprit, quand, chaque jour, j'errais dans les
+clairires couvertes de pins. Je ne songeais pas retourner au chteau,
+avant que la gloire du jour mourant n'et fait place aux rayons brillans
+de l'toile polaire, car mon imagination charme aimait se nourrir des
+traditions glorieuses que je recueillais de la bouche des habitans de la
+sombre Loch-na-Gar.
+
+On a plusieurs fois attribu la premire tincelle de son gnie potique
+ la svrit grandiose des scnes au milieu desquelles s'coula son
+enfance; mais on pourrait se demander si jamais pareilles facults
+furent l'effet d'un pareil accident. Que les charmes d'une nature
+pittoresque, ns principalement de notre imagination et de nos
+souvenirs, soient profondment sentis un ge o l'imagination est
+peine ne, o les souvenirs sont rares, c'est ce qu'on concevra
+difficilement, tout en faisant la part d'un gnie prmatur. L'clat que
+le pote voit dans les aspects de la nature n'est pas autant dans les
+objets eux-mmes que dans l'oeil qui les contemple; et l'imagination doit
+entourer ses tableaux d'une sorte d'aurole avant de pouvoir leur
+emprunter quelque inspiration.
+
+A la vrit, comme matriaux susceptibles d'tre mis en oeuvre par la
+facult potique quand elle sera dveloppe, ces merveilleuses
+impressions, recueillies ds l'enfance avec toute la vivacit,
+conserves avec toute la puissance de souvenir qui appartient au gnie,
+peuvent bien former l'un des plus purs et des plus prcieux alimens dont
+il se nourrira par la suite; mais cependant la source de ce charme est
+dans le sentiment potique qui existait en lui et qui s'veille alors.
+C'est l'imagination seule qui, agissant sur ses souvenirs, imprgnera
+pour lui, dans la suite, tout le pass de posie.
+
+Il faut donc classer les impressions que Lord Byron reut dans son
+enfance des scnes de la nature, avec les divers autres souvenirs qu'il
+conserva de la mme priode, comme de son innocence, de ses jeux, de ses
+esprances et de ses affections premires, tous souvenirs que le pote
+sait convertir son usage, mais dont aucun ne fait le pote; pas plus
+que le miel (pour employer une comparaison de Byron lui-mme) ne fait
+l'abeille qui le butine.
+
+Quand il arrive, comme ce fut le cas en Grce pour Lord Byron, que les
+mmes accidens de nature, sur lesquels la mmoire a rflchi son charme,
+se reproduisent devant les yeux, entours de circonstances nouvelles et
+inspiratrices, et de tous les accessoires qu'une imagination riche et
+vigoureuse peut leur prter; alors, et le pass, et le prsent, tout
+contribue rendre l'enchantement complet. Or, jamais coeur ne fut mieux
+n pour runir ces divers sentimens que celui de Lord Byron. Dans un
+pome crit un ou deux ans avant sa mort[16], il fait honneur de sa
+passion pour les montagnes aux impressions de son sjour dans les
+_highlands_; et il attribue mme le plaisir que lui fit prouver
+l'aspect de l'Ida et du Parnasse, bien moins aux traditions classiques
+qu'aux souvenirs profonds que lui fournissaient son enfance et
+_Lachin-y-gair_.
+
+ [Note 16: L'Ile.]
+
+Celui dont les premiers regards se sont arrts sur les montagnes de
+l'cosse, couronnes d'un bleu cleste, aimera contempler toutes les
+cimes qui lui offriront une couleur analogue; il saluera, dans chaque
+mamelon, le visage connu d'un ami; la vue d'une montagne, son ame
+s'panouira, comme pour l'embrasser. Long-tems j'ai parcouru des pays
+qui n'taient pas mon pays; j'ai ador les Alpes, aim les Apennins,
+rvr le Parnasse, admir l'Ida cher Jupiter, et l'Olympe qui s'lve
+majestueusement au-dessus de la mer. Mais ce n'tait point le souvenir
+de leur gloire antique, ce n'tait point la vue de leur beaut prsente
+qui m'imposaient ces impressions profondes de respect et d'amour. Les
+ravissemens que l'enfant avait prouvs survivaient l'ge de
+l'enfance. Loch-na-Gar dominait avec l'Ida sur les champs de la Troade.
+Les souvenirs celtiques entouraient le mont Phrygien, et les eaux des
+cascades des _highlands_ se mlaient la claire fontaine de Castalie.
+
+Dans une note jointe ce morceau, nous le voyons faire le mme
+anachronisme dans l'histoire de ses propres sentimens, et rapporter
+son enfance elle-mme cet amour des montagnes, qui n'tait autre chose
+que le rsultat du travail de son imagination se reportant au pass.
+C'est, dit-il, de cette poque (celle de son sjour dans les
+_highlands_) que date mon amour des pays montagneux. Je n'oublierai
+jamais l'effet que produisit sur moi, quelques annes plus tard, en
+Angleterre, la seule chose que j'eusse vue depuis long-tems qui
+ressemblt des montagnes, quoiqu'en miniature; je veux parler des
+_Malvern-hills_. Lorsque je retournai Cheltenham, je les regardais
+chaque soir, au coucher du soleil, avec une motion que je ne pourrais
+dcrire. Son amour pour les courses solitaires et pour les excursions
+de toutes espces[17], le conduisait souvent assez loin pour donner sur
+lui des inquitudes srieuses. Il lui arrivait Aberdeen, toutes les
+fois qu'il en trouvait l'occasion, de s'esquiver, inaperu, de la
+maison. Quelquefois il se dirigeait du ct de la mer; et un jour, aprs
+de longues et pnibles recherches, on trouva le petit aventurier se
+dbattant au milieu d'une fondrire ou mare, d'o il n'aurait pu se
+tirer de lui-mme.
+
+ [Note 17: Cette phrase rend fort douteuse l'assurance donne
+ par sa gouvernante (au rapport de Thomas Moore), que Byron
+ n'avait jamais vu que deux fois la montagne de
+ _Lachin-y-gair_, si voisine de l'habitation de sa mre.
+ (_N. du Tr._)]
+
+Dans le cours de l'une de ces excursions d't le long de la De, il eut
+l'occasion de voir les sauvages beauts des _highlands_, mieux encore
+que dans les environs de leur rsidence Ballatrech. Sa mre l'avait
+conduit sur la route romantique d'_Invercauld_, jusqu' la petite chute
+d'eau appele _la vigne de la De_; sa passion pour les aventures fut
+alors sur le point de lui coter la vie: comme il grimpait le long d'une
+pente incline sur cette cascade, une bruyre arrta son pied bot et il
+tomba. Dj mme il roulait vers le prcipice, quand la gouvernante eut
+la force et la prsence d'esprit de le retenir, et de le ravir ainsi
+une mort certaine.
+
+Il n'avait encore que huit ans: ce fut alors qu'un sentiment plus prs
+de l'amour qu'on ne le supposerait possible dans un ge si tendre, prit,
+de son propre aveu, sur ses penses, une puissance absolue, et prouva
+ainsi, de bonne heure, combien il tait facile d'veiller sa sensibilit
+sur ce point comme sur tous les autres[18]. L'objet de son attachement
+tait Marie Duff; et les passages d'un journal, tenu par lui en 1813,
+montrent avec quelle fracheur, aprs un intervalle de dix-sept ans, il
+se rappelait toutes les circonstances de cette premire passion:
+
+ [Note 18: On sait que Dante n'avait que neuf ans quand, la
+ _fte du Mai_, il vit pour la premire fois Batrix et en
+ devint amoureux. Alfieri lui-mme, amant prcoce, considre
+ une telle sensibilit prmature comme le signe incontestable
+ d'une ame ne pour les beaux-arts. _Effetti_, dit-il en
+ dcrivant ce qu'il prouva lui-mme lors de son premier
+ amour, _che poche persone intendono, e pochissime provano: ma
+ a quei soli pochissimi concesso l' uscir della folla
+ volgare in tutte le umane arti_. Canova disait ordinairement
+ qu'il se rappelait fort bien avoir t amoureux ds l'ge de
+ cinq ans.]
+
+J'ai dernirement, dit-il, beaucoup pens Marie Duff; il est bien
+trange que j'aie pu me passionner aussi profondment pour cette jeune
+fille, un ge o je ne pouvais connatre l'amour, ni ce que ce mot
+signifiait: et pourtant c'tait bien de l'amour. Ma mre me raillait
+d'habitude sur cet attachement puril; et plusieurs annes aprs
+(j'avais alors seize ans), elle me dit un jour: _Byron, je reois une
+lettre d'Edimbourg; miss Abercromby me mande que votre ancienne passion,
+Marie Duff, est marie un M. Co_..... Et quelle fut ma rponse? En
+vrit, je ne sais comment expliquer ce que je ressentis en ce moment;
+mais je faillis entrer en convulsion. Ma mre en fut tellement alarme,
+que plus tard elle vita toujours de revenir sur ce sujet _avec
+moi_,--se contentant de le redire volontiers chacune de ses
+connaissances. Maintenant que signifiait tout cela? Je ne l'avais pas
+vue depuis que, par suite d'un _faux pas_ de sa mre, Aberdeen, elle
+fut ramene Banff, auprs de son aeule: nous tions tous deux de
+vritables enfans; j'avais ds-lors, et j'ai depuis prouv cinquante
+fois, d'autres sentimens tendres; cependant je me rappelle encore tout
+ce que nous nous disions l'un l'autre, toutes nos caresses, ses
+traits, mon inquitude, mes insomnies, mes instances auprs de la
+servante de ma mre pour qu'elle lui crivt de ma part; ce qu'elle fit
+ la fin pour me tranquilliser. La pauvre Nancy pensait que j'tais fou;
+et comme je ne pouvais crire une lettre moi-mme, elle devint mon
+secrtaire. Je me rappelle aussi nos promenades, mon bonheur quand
+j'tais assis prs de Marie dans l'appartement des enfans, leur maison
+proche des _Plainstones_ Aberdeen. Alors, tandis que sa petite soeur
+jouait la poupe, nous faisions l'amour notre manire.
+
+Comment diable tout cela arriva-t-il un pareil ge? d'o cela
+provenait-il? Certainement, plusieurs annes aprs, je n'avais pas
+encore l'ide de la distinction des sexes; et cependant mes tourmens et
+mon amour furent si violens, que je doute quelquefois si j'ai jamais t
+depuis rellement amoureux.
+
+Qu'il en soit ce qu'on voudra, l'annonce de son mariage, plusieurs
+annes aprs, fut pour moi un coup de foudre et fut sur le point de
+m'touffer, au grand effroi de ma mre et l'tonnement de tous les
+spectateurs qui refusaient d'y croire. C'est dans ma vie un phnomne
+(puisque je n'avais alors que huit ans), qui m'a souvent tourment et
+qui me tourmentera jusqu' ma dernire heure; et rcemment encore, je ne
+sais pas pourquoi, son souvenir (non pas l'amour lui-mme) s'est
+reprsent avec plus de force que jamais. Je serais bien tonn qu'elle
+et gard de moi la moindre souvenance, et qu'elle se rappelt comme
+elle plaignait sa petite soeur Hlne de ne pas avoir aussi un amoureux!
+Il est incroyable comme j'ai gard d'elle une parfaite et charmante
+ide; de son front, de ses cheveux noirs, de ses yeux d'un brun clair,
+de ses vtemens mme: je serais vraiment fch de la voir aujourd'hui;
+la ralit, toute belle qu'elle serait, dtruirait ou du moins
+obscurcirait les traits de la charmante Pri que je contemplais alors en
+elle, et qui vit encore dans mon imagination aprs plus de seize annes.
+J'ai maintenant vingt-cinq ans et quelques mois.....
+
+Ma mre, je le suppose, raconta cette circonstance (l'effet qu'avait
+produit son mariage sur moi) aux Parkynses et certainement la famille
+Pigot; elle le mentionna sans doute galement miss Abercromby, qui
+connaissait mon ancien penchant, et qui sans doute n'avait donn cette
+nouvelle qu' mon intention..... Je l'en remercie! Comme ses
+commencemens, le terme de cette passion m'a souvent fait rflchir;
+quant l'exactitude des faits, d'autres les connaissent aussi bien que
+moi, et le souvenir que j'en conserve est encore plein de vie. Mais plus
+j'y songe, et plus je suis embarrass d'assigner quelques causes cette
+prcocit d'affection.
+
+Les chances qu'il avait de succder au titre de ses anctres furent
+quelque tems tout--fait incertaines; car; en 1794, le cinquime lord
+Byron vivant avait encore un petit-fils. Sa mre cependant, ds sa
+naissance, avait caress l'espoir qu'il serait non-seulement un lord,
+mais encore un grand homme. Une circonstance bizarre sur laquelle elle
+fondait cette esprance, c'est qu'il tait boiteux; pourquoi? il serait
+difficile de le dire, si ce n'est peut-tre qu'ayant un esprit des plus
+superstitieux, elle avait consult quelque diseur de bonne aventure,
+qui, pour anoblir aux yeux d'une mre cette infirmit, l'avait rattache
+ la destine future de l'enfant.
+
+La mort du petit-fils du vieux lord, arrive en Corse en 1794, brisa le
+seul obstacle qui se trouvait jusqu'alors plac entre le petit George et
+l'hritage immdiat de la pairie: l'importance sensible que cet
+vnement leur donna fut sentie non-seulement par Mrs. Byron, mais aussi
+par le jeune baron futur de Newsteadt. Pendant l'hiver de 1797, sa mre
+lisait un jour par hasard un discours prononc la Chambre des
+Communes; un ami se trouvait prsent, qui dit l'enfant: Nous aurons
+un jour ou l'autre le plaisir de lire aussi vos discours la Chambre
+des Communes. _J'espre que non_, rpondit-il; _si vous en lisez
+quelqu'un de moi, ce sera la Chambre des Lords_.
+
+Le titre dont il se flicitait ainsi ne lui fut que trop tt dvolu.
+S'il avait pu demeurer encore pendant dix ans tout simplement George
+Byron, on ne peut douter que son caractre n'y et gagn sous beaucoup
+de rapports. L'anne suivante, son grand oncle, le cinquime lord Byron,
+mourut l'abbaye de Newsteadt, ayant consomm les dernires annes de
+sa vie dans un tat d'isolement austre et presque sauvage.
+
+Le lendemain de l'accession du petit Byron la pairie, on dit qu'il
+courut sa mre et lui demanda _si elle apercevait quelque changement
+en lui depuis qu'il tait lord, car il n'en trouvait lui-mme aucun_.
+Rflexion ingnieuse et naturelle; l'enfant ne songeait pas encore que
+la simple addition d'une syllabe au-devant de son nom avait suffi pour
+oprer un changement complet et magique dans toutes ses relations
+futures avec la socit.
+
+On peut se faire une ide de l'effet que produisit ds-lors sur lui cet
+vnement, d'aprs l'agitation que, dit-on, il manifesta en s'entendant,
+pour la premire fois, appeler dans l'cole avec l'addition du titre de
+_dominus_. Incapable de faire la rponse habituelle, _adsum_, il resta
+silencieux au milieu de la surprise gnrale de ses camarades, et finit
+enfin par fondre en larmes.
+
+Le nuage qu'avait jet, et sans cause, plusieurs gards, sur le
+caractre du dernier lord Byron, sa malheureuse affaire avec M.
+Chaworth, avait encore t, dans la suite, obscurci par les effets
+naturels d'une vie insociable et bizarre. On fait encore dans le
+voisinage les rcits les plus exagrs de sa cruaut envers lady Byron,
+avant leur sparation mutuelle, et l'on croit mme que, dans l'un de ses
+accs de fureur, il avait t jusqu' la prcipiter dans l'tang de
+Newsteadt. Une autre fois, dit-on, ayant tu son cocher pour quelque
+dsobissance, il avait jet le cadavre dans la voiture o se trouvait
+lady Byron, et montant aussitt sur le sige, il avait lui-mme conduit
+les chevaux. Ces histoires sont, n'en pas douter, des fables
+grossires, comme la plupart de celles dont son illustre hritier fut
+plus tard la victime. Une femme au service du vieux lord, encore
+vivante, contredit ces deux rcits comme autant d'inventions de la
+calomnie; elle suppose pourtant que la premire est fonde sur les
+circonstances suivantes. Une jeune dame du nom de Booth se trouvait
+Newsteadt en visite; un soir, on fit une partie de plaisir devant la
+faade de l'abbaye, et lord Byron, par accident, l'avait pousse dans le
+bassin qui reoit la cascade: de l, sans doute, le conte dont nous
+avons parl.
+
+Une fois spar de lady Byron, l'isolement complet dans lequel il vcut
+rveilla toute la puissance d'imagination des habitans de l'endroit; nul
+fait atroce ou dsespr que les commres du village ne fussent
+disposes lui imputer. Il y avait dans son triste jardin deux images
+grimaantes de satyres, que bientt l'effroi de ceux qui les entrevirent
+dcora du nom de _diables du vieux lord_. On sait qu'il marchait
+toujours arm, et l'on rapporte que le dernier sir John Warren, son
+voisin, ayant t admis dner un jour avec lui, trouva sur la table
+une bote pistolets place l comme partie ordinaire du service.
+
+Dans ses dernires annes, les seuls compagnons de sa solitude, outre
+cette colonie de grillons qu'il s'amusait, dit-on, lui-mme, nourrir
+et dresser[19], taient le vieux Murray, plus tard valet favori de son
+successeur, et la domestique dont je viens de citer l'autorit. Cette
+dernire, d'aprs les fonctions auxquelles on suppose qu'elle avait t
+promue auprs de son noble matre, avait reu gnralement dans le pays
+le nom de _Lady Betty_.
+
+ [Note 19: Lord Byron avait l'habitude d'ajouter ceci, sur
+ l'autorit de vieux domestiques, que le jour de la mort de
+ leur patron, ces grillons laissrent tous de concert la
+ maison, et en si grand nombre, qu'il tait impossible de
+ faire un pas dans le vestibule sans en craser quelques-uns.]
+
+Quoiqu'il vct dans sa solitude d'une manire sordide, il parat qu'il
+prouvait souvent le besoin d'argent; et l'un des torts les plus srieux
+qu'il fit sa proprit, fut la vente du domaine de Rochdale, dans le
+duch de Lancastre, dont le produit minralogique passait pour
+trs-important. Il savait bien, dit-on, l'poque de la vente, qu'il
+n'avait pas le droit de donner un titre lgal de possession, et il n'est
+pas croyable que ceux qui rachetrent ignorassent l'irrgularit de la
+transaction; mais ils prvirent sans doute, comme en effet cela arriva,
+qu'avant d'tre dpossds de la proprit ils seraient peu prs
+indemniss par le produit qu'ils en tireraient.
+
+On tenta, pendant la minorit du jeune lord, de rentrer dans le domaine
+de Rochdale, et, comme on le lira bientt, ce fut avec un plein succs.
+Pour Newsteadt, les btimens et les dpendances menaaient une ruine
+prochaine, et parmi les rares tmoignages de la sollicitude ou de la
+dpense de son propritaire, se trouvaient quelques masses de pierres
+runies grands frais, et quelques btimens, crnels, levs sur le
+bord du lac et dans l'paisseur du bois. Les forts btis sur le lac
+taient destins donner un aspect naval ses ondes: souvent, quand il
+tait en bonne humeur, il se plaisait des combats simuls; ses
+btimens attaquaient la forteresse, qui son tour les canonnait. Le
+plus grand de ses vaisseaux avait t construit pour lui dans l'un des
+ports de mer de l'est: on l'avait dirig sur des roues vers la fort de
+Newsteadt, comme pour accomplir l'une des prophties de la mre Shipton,
+_que quand un vaisseau charg de_ ling _traverserait la fort de
+Shervood, le domaine de Newsteadt sortirait de la famille Byron_. Dans
+le duch de Nottingham, _ling_ rpond au mot bruyre; et afin de
+justifier la mre Shipton et de dpiter le vieux lord, on dit que les
+paysans escortaient le vaisseau en y jetant sans cesse des touffes de
+bruyre.
+
+Cet homme singulier prenait videmment fort peu de soin du sort de ses
+descendans; il n'avait entretenu aucun rapport avec son jeune hritier
+d'cosse, et s'il lui arrivait d'en parler, ce qui tait fort rare, ce
+n'tait jamais que sous le nom _du petit enfant qui est Aberdeen_.
+
+La mort de son grand oncle faisait de Lord Byron _le pupille de la
+chancellerie_, et le comte de Carlisle fut dsign pour tre son tuteur.
+Il avait avec la famille quelques rapports de parent, comme fils de la
+soeur du dfunt lord. En 1798, pendant l'automne, Mrs. Byron et son fils,
+escorts de leur fidle May Gray, quittrent Aberdeen pour Newsteadt.
+Avant leur dpart, ils avaient vendu le mobilier de l'humble appartement
+qu'ils occupaient, et le produit, l'exception du linge et de la
+vaisselle que Mrs. Byron emporta, fut de 74 livres sterling 17 shillings
+7 pence.
+
+Le tems que Byron passa en cosse, o sa mre avait d'ailleurs pris
+naissance, lui permettait de se considrer lui-mme, comme il s'en est
+glorifi dans Don Juan, _ moiti cossais par sa naissance, et
+entirement par son ducation_.
+
+Nous avons dj vu avec quelle vivacit il gardait le souvenir des
+montagnes qui, dans l'origine, avaient frapp ses yeux; les allusions
+qu'il y fait, dans le passage de Don Juan que je viens de citer, au pont
+romantique du Don et aux autres localits d'Aberdeen, montrent la mme
+fidlit et le mme entranement de souvenir.
+
+De dire comment _Auld-Lang-Syne_ voque devant moi l'cosse en masse et
+dans tous ses dtails, les Plaids cossais, les _Snoods_ cossais, les
+montagnes bleues, les ondes claires, la Dee, le Don, le mur noir du pont
+de Balgounie, mes souvenirs d'enfant, en un mot le plus doux songe de ce
+qui me faisait alors rver, envelopp, comme les fils de Banco, de leurs
+manteaux funraires;--d'expliquer ces allusions enfantines qui ramnent
+sous mes yeux ma douce enfance,--je ne m'en soucie pas, c'est un effet
+de _Auld-Lang-Syne_.
+
+Puis il ajoute en note:
+
+Le pont du Don, prs de _la vieille ville_ d'Aberdeen, avec son arche
+unique et ses eaux noirtres et poissonneuses, me sont encore prsens,
+comme si je les avais vus hier. Je me rappelle galement, bien que je le
+cite mal peut-tre, le terrible proverbe qui, dans ma jeunesse, me
+faisait craindre et pourtant dsirer de le passer, parce que j'tais
+fils unique, au moins du ct de ma mre. Le voici tel que je m'en
+souviens, quoique je ne l'aie entendu ni lu depuis l'ge de neuf ans:
+
+ Brig of Balgounie, black's your wa'
+ Wi a wife's ae son, and a mear's ae foal
+ Down ye shall fa'.....
+
+Pont de Balgounie, ton mur est noir, tu tomberas avec le fils unique
+d'une femme et le poulain unique d'une cavale.
+
+Il eut toujours un vritable plaisir rencontrer une personne
+d'Aberdeen: quand feu M. Scott, qui tait n dans cette ville, lui
+rendit une visite Venise, en 1819, il lui dsigna surtout, en
+rappelant leurs habitudes d'enfance, une place nomme la niche de
+Wallace, o se trouve encore aujourd'hui une grossire statue de ce
+guerrier cossais. Cette sorte de souvenir ne le trouvait jamais
+insensible. A son premier voyage en Grce, non-seulement l'aspect des
+montagnes, mais le jupon court des Albanais, tout, dit-il, le _reportait
+ Morven_. Dans sa dernire et fatale expdition, l'habit qu'il portait
+de prfrence, Cphalonie, tait une veste de _tartane_.
+
+Mais quelque sincres et profondment senties que fussent les
+impressions qu'il gardait de l'cosse, il lui arrivait quelquefois,
+comme pour toutes ses affections les plus aimables, de donner un dmenti
+ son bon naturel; et lorsque la colre ou l'ironie l'excitait, de
+persuader et les autres et lui-mme que toutes ses affections se
+portaient vers des objets directement opposs.
+
+Le fiel qu'il rpandit l'occasion de sa querelle avec la _Revue
+d'dimbourg_, sur tout ce qu'il y avait d'cossais, offre l'exemple de
+ce triomphe temporaire de ses passions. Dans tous les tems, le moindre
+soupon de ridicule jet sur l'cosse ou ses habitans suffisait pour
+faire taire ses affectueux sentimens. Un de ses amis me raconta
+l'amusante colre dans laquelle le mit un jour une innocente jeune
+fille, pour avoir remarqu qu'il avait quelque chose de l'accent
+cossais: Bon dieu! s'cria-t-il, j'espre bien que non; j'aimerais
+mieux voir tomber la maudite cosse dans la mer que d'avoir l'accent
+cossais.
+
+Mais on ajoutera peu de foi aux saillies de ce genre rpandues dans ses
+crits ou sa conversation, quand on les comparera aux preuves dcisives
+qu'il a laisses de son attachement pour le pays o il passa son
+enfance. Et si, pour lui, ces impressions taient ineffaables, de
+l'autre il y a chez les citoyens d'Aberdeen, qui le regardent comme leur
+compatriote, une correspondance chaleureuse d'affection pour sa mmoire
+et pour son nom. Ils montrent encore aux voyageurs les diverses maisons
+o il rsidait dans sa jeunesse; l'avoir vu seulement une fois, rveille
+en eux un souvenir d'orgueil, et le pont du Don, dj beau en lui-mme,
+est dsormais revtu, grce la mention qu'il en a faite dans son _Don
+Juan_, d'un nouveau charme. Il y a deux ou trois ans qu'on offrit une
+somme de cinq liv. st. une personne d'Aberdeen en change d'une lettre
+crite par le capitaine Byron quelques jours avant sa mort; et au nombre
+des souvenirs du jeune pote, devenus autant de trsors pour ceux qui
+les possdent, il en est un dont il n'aurait pu sans rire entendre
+parler, c'est tout simplement une vieille soucoupe de porcelaine dont il
+avait une fois mordu un large morceau dans un accs de colre.
+
+Ce fut dans l't de 1798 que Lord Byron, alors dans sa onzime anne,
+quitta l'cosse avec sa mre et sa _bonne_, pour prendre possession de
+l'ancien domaine de ses anctres. Voici comme il parle de ce voyage dans
+une de ses dernires lettres:
+
+Je me souviens de Loch-Leven comme si c'tait d'hier; ce fut pourtant
+l'poque de mon voyage d'Angleterre, en 1798, que je le vis.
+
+Dj ils touchaient la barrire de Newsteadt, ils voyaient les bois de
+l'abbaye s'lancer comme pour les recevoir, quand Mrs. Byron, affectant
+de mconnatre l'endroit, demanda la femme de la barrire qui
+appartenait cette proprit. On lui rpondit que le possesseur, Lord
+Byron, tait mort depuis quelques mois. Et quel est l'hritier? demanda
+la mre avec un orgueil satisfait.--On dit, rpondit la femme, que c'est
+un petit enfant qui vit Aberdeen.--Et le voici, dieu le bnisse!
+s'cria la gouvernante, incapable de se contenir, et couvrant de baisers
+le jeune lord assis sur ses genoux.
+
+Une lvation si soudaine aurait eu sans doute, mme dans des
+circonstances plus favorables pour lui, une influence dangereuse sur son
+caractre; le guide qui dsormais allait conduire les pas du jeune Byron
+dans le monde ne pouvait tre plus inhabile lui en montrer les
+cueils. Sa mre, dpourvue de jugement et d'empire sur elle-mme,
+employait son gard, avec la mme maladresse, et l'indulgence, et ce
+qui tait pire encore, une violence dont l'enfant s'amusait. Ce
+sentiment exquis du ridicule qui, plus tard, le rendit si remarquable,
+et que ds-lors il possdait, l'emportait toujours sur la crainte que
+pouvait lui inspirer sa mre. Quand Mrs. Byron, femme petite et dont
+l'embonpoint embarrassait la marche, essayait, dans ses accs de colre,
+de l'atteindre afin de le punir, le petit diable, glorieux de sa
+lgret, se plaisait lui chapper sans cesse, courant autour de la
+chambre en dpit de sa jambe boiteuse, et riant gorge dploye d'avoir
+pu rendre inutiles toutes ses menaces. Dans ses _Memoranda_, il a
+consign quelques anecdotes de ces premiers tems, et bien qu'il n'y
+nomme jamais sa mre qu'avec respect, il est facile de voir que l'ide
+qu'il en avait conserve, du moins la plus caractristique, tait d'une
+nature pnible. L'un des passages les plus frappans de ces _Mmoires_ se
+rapporte au chagrin profond qu'il ressentait de son infirmit; il dcrit
+l'impression d'horreur et d'humiliation qui s'empara de lui quand sa
+mre, dans un accs de colre, l'appela, _vilain boiteux_. Comme il
+reproduit dans sa posie, sous une forme ou l'autre, tous les sentimens
+profonds de sa vie, il ne faut pas tre surpris d'y retrouver une
+expression de ce genre; nous voyons donc l'ouverture de son drame, _le
+Difforme transform_:
+
+ BERTA. Va-t'en, vilain bossu.
+ ARNOLD. Ma mre, je suis n ainsi.
+
+On peut se demander si l'origine du drame entier ne serait pas due cet
+unique souvenir.
+
+Avec un pareil caractre dans la personne qui devait seule diriger ses
+premires annes, on conoit qu'il dut perdre tout le fruit des soins et
+de la sollicitude qu'un tuteur clair et pu avoir pour lui. D'ailleurs
+Lord Carlisle, peu li avec la famille, et n'ayant jamais eu l'occasion
+de connatre l'enfant, n'avait accept qu'avec rpugnance cette charge
+pnible; et comme ce titre le mettait surtout en rapport avec Mrs.
+Byron, il ne faut pas s'tonner qu'il ne dsirt jamais pntrer dans
+les dtails de l'ducation de son pupille, plus qu'il n'y tait
+rigoureusement oblig: ce qui l'en loignait tait la crainte de se
+trouver en opposition avec les habitudes violentes et capricieuses de la
+mre.
+
+D'un autre ct, si la rputation du dernier Lord et t assez
+populaire pour piquer d'mulation son jeune successeur, peut-tre
+l'envie salutaire de rivaliser avec les morts et suppl aux bons
+exemples des survivans, et nul esprit ne se serait plus facilement
+ouvert cette louable mulation que celui de Byron. Mais
+malheureusement, comme nous venons de le dire, les circonstances taient
+autres, et la place d'un aussi dsirable stimulant fut substitue une
+rivalit d'une espce contraire. Les tranges anecdotes qui circulaient
+sur le feu Lord dans le pays o ses rudes et solitaires habitudes
+avaient laiss une trace d'effroi; ces anecdotes, dis-je, avaient frapp
+son imagination potique, et rveill dans son jeune esprit une espce
+d'admiration pour des bizarreries qui lui semblaient un motif
+d'tonnement et de souvenir. On a mme quelquefois suppos que ce fut le
+rcit des bizarreries de son oncle, qui nourrit son imagination de ces
+sombres peintures et de ces figures idales, qu'il sut par la suite
+revtir de formes diverses et anoblies par son gnie[20]. Mais, quoi
+qu'il en soit, on peut conjecturer que, dans sa pnurie de meilleurs
+modles, les singularits de son prdcesseur immdiat eurent une grande
+influence sur ses gots et son imagination. Une habitude, entre autres,
+qu'il semblait devoir cet esprit d'imitation, et qu'il conserva toute
+sa vie, fut celle d'avoir ordinairement auprs de lui une arme d'une
+espce quelconque; mme encore enfant, il portait toujours de petits
+pistolets chargs dans la poche de sa veste.
+
+ [Note 20: Pourquoi donc accuser ces impressions, si les
+ effets en furent si admirables?
+ (_N. du Tr._)]
+
+La querelle du dernier Lord avec M. Chaworth avait pu d'ailleurs, ds
+l'origine, lier d'une sorte de connexit, dans son esprit, le nom de sa
+famille et l'habitude des duels; peut-tre aussi les mortifications que
+lui faisait dvorer, ou du moins craindre, l'cole, son infirmit
+physique, trouvrent une sorte de consolation dans l'espoir qu'un jour
+les lois du combat singulier lui permettraient de lutter avec le plus
+fort, armes gales.
+
+Aussitt aprs leur dpart d'cosse, Mrs. Byron, dans l'espoir d'obtenir
+sa gurison, avait confi son fils aux soins d'un individu de Nottingham
+qui se chargeait de ces sortes de cures: cet homme, charlatan de son
+mtier, se nommait Lavender; son procd tait de frotter d'abord
+d'huile pendant long-tems le pied malade, puis de le tordre violemment
+et de le tenir comprim dans une machine de bois. Pour que l'enfant ne
+ft pas, durant cet intervalle, retard dans ses tudes, un respectable
+professeur venait lui donner des leons de latin. M. Rogers, c'tait son
+nom, lisait avec lui des morceaux de Virgile et de Cicron, et ses
+progrs lui parurent alors, malgr sa jeunesse, extrmement sensibles:
+toutefois, dans le cours de ses leons, il prouvait frquemment de
+violentes douleurs, cause de la position de son pied; un jour, M.
+Rogers lui dit: Milord, je ne puis vous voir en proie une douleur
+comme celle que vous souffrez.--N'y songez pas, M. Rogers, rpondit
+l'enfant, vous ne vous en apercevrez plus.
+
+Cet homme distingu, qui ne parle jamais de son lve que dans les
+termes les plus affectueux, se souvient de plusieurs exemples de la
+plaisante malice avec laquelle il aimait se venger de son bourreau, en
+mettant dcouvert sa fastueuse ignorance. Un jour il avait plac au
+hasard, sur une feuille de papier, toutes les lettres de l'alphabet,
+mais toutefois en les disposant de manire simuler des mots et des
+phrases; il mit le papier sous les yeux du docte personnage en lui
+demandant quelle langue c'tait: De l'italien, rpondit notre homme,
+incapable d'avouer de bonne foi son ignorance. On conoit que cette
+rponse fut accueillie par la joie immodre et les insultans clats de
+rire de notre jeune satirique, charm du succs de ce premier pige
+tendu au charlatanisme.
+
+C'est par une suite de la profonde impression qu'il conservait de tout
+ce qui l'entourait dans sa jeunesse, et qui semblait un des traits
+distinctifs de son caractre, que plusieurs annes aprs, se trouvant
+dans les environs de Nottingham, il envoya une lettre son vieux
+prcepteur, remplie de sentimens affectueux. Il avait mme charg celui
+qui la portait de dire M. Rogers, qu' compter d'un certain endroit de
+Virgile, qu'il dsignait, il pouvait encore rciter une vingtaine de
+vers qu'il se souvenait fort bien d'avoir expliqus avec lui tandis
+qu'il souffrait le plus.
+
+C'est dans ce tems, au rapport de sa gouvernante May Gray, que se
+manifestrent en lui les premiers indices de dispositions potiques.
+Voici quel propos: une dame ge, qui faisait de frquentes visites
+sa mre, s'tait servie son gard d'expressions fort insultantes; et
+ces affronts, il en conservait ordinairement un ressentiment implacable.
+Cette dame s'tait form des ides singulires relativement notre ame:
+elle s'imaginait qu'elle s'arrtait dans la lune comme pour y subir une
+preuve prliminaire avant d'aller plus loin. Un jour, Byron ayant reu,
+comme il parat, une seconde injure du mme genre, se prsente en fureur
+devant sa gouvernante: Eh bien, mon petit hros, lui dit-elle,
+qu'avez-vous donc? L'enfant rpondit que cette vieille l'avait mis dans
+une affreuse colre, qu'il ne pouvait plus la supporter, etc., etc.;
+puis soudain il rpta plusieurs fois les mauvais vers suivans, charm
+d'avoir trouv un moyen d'exhaler sa bile:
+
+Dans le comt de Nott, demeure Swan-Green une vieille maudite, si
+jamais il en fut, et quand elle mourra (promptement je l'espre) elle
+croit sur-le-champ qu'elle ira dans la lune.
+
+Ces vers ont peut-tre t rajusts aprs coup; et lui-mme, comme on va
+le voir, date d'une anne plus tard son premier essai potique, mais
+l'anecdote n'en fait pas moins connatre son caractre; c'est ce qui m'a
+dcid la conserver.
+
+Dans le mme tems les faibles revenus de Mrs. Byron reurent une
+augmentation fort opportune sans doute, mais dont j'ignore le motif. Ce
+fut une pension sur la liste civile de 300 liv. st. de rente; la lettre
+suivante est une copie de l'ordonnance royale rendue ce sujet:
+
+
+GEORGES ROI.
+
+Il nous a plu accorder Catherine Gordon, veuve Byron, une rente
+annuelle de 300 livres, commencer au 5 juillet 1799, pour continuer
+durant notre plaisir. Nous voulons et il nous plat, qu'en vertu de
+notre lettre gnrale du sceau priv, sous la date du 5 novembre 1760,
+des fonds de notre trsor ou de l'chiquier applicables au service de
+notre liste civile, vous payiez ladite Catherine Gordon, veuve Byron,
+ou son ordre, ladite rente, commencer du 5 juillet 1799, pour lui
+tre servie par quartier ou autrement, ds que l'chance sera arrive;
+la prsente sera votre garantie.
+
+ Le 2 octobre 1799; de notre rgne la 39me.
+ _Par ordre de sa majest_,
+
+ Sign W. PITT,
+ S. DOUGLAS.
+
+Peu satisfaite de l'oprateur de Nottingham, Mrs. Byron, pendant l't
+de 1799, jugea convenable de conduire son enfant Londres, o, d'aprs
+l'avis de Lord Carlisle, on le confia aux soins du docteur Baillie. Il
+tait important de le placer dans une cole paisible o l'on pt
+facilement lui faire suivre le rgime que l'on adopterait pour sa
+gurison: on choisit cet effet la maison de feu le docteur Glennie
+Dulwich; et comme en outre on jugea propos de lui donner une chambre
+coucher spare, le docteur Glennie avait fait placer un lit dans son
+propre cabinet pour son nouvel lve. Mrs. Byron, son arrive dans la
+ville aprs tre reste peu de tems aprs lui Newsteadt, prit un
+appartement Sloane-terrace, et, sous la direction du docteur Baillie,
+on chargea l'un de messieurs Sheldrake de la construction d'une machine
+propre redresser peu peu la jambe de l'enfant[21]. On lui prescrivit
+de la modration dans tous les exercices du corps, mais le docteur
+Glennie trouvait le prcepte plus facile donner qu' faire excuter,
+et bien que l'enfant ft assez tranquille dans les heures d'tude, ds
+que celle des jeux sonnait, il ne montrait pas moins d'_mulation_ dans
+tous les exercices athltiques que les enfans les plus robustes de
+l'cole: mulation, ajoute le docteur Glennie, avec lequel j'ai eu
+quelques entretiens peu de tems avant sa mort, que j'ai en gnral
+remarque dans les jeunes enfans affects de semblables dfauts
+naturels[22].
+
+ [Note 21: Dans une lettre adresse dernirement par M.
+ Sheldrake l'diteur d'un journal mdical, on tablit que la
+ personne du mme nom qui fut appele Dulwich auprs de Lord
+ Byron doit une mprise cet honneur, et ne fit rien pour sa
+ gurison. L'auteur de la lettre ajoute qu'il fut lui-mme
+ consult par Lord Byron, quatre ou cinq annes plus tard, et
+ bien qu'il n'ait pu alors entreprendre la gurison du pied
+ cause du peu de docilit de son noble patient, il parvint
+ cependant lui construire une sorte de soulier qui allgea
+ l'inconvnient de son infirmit.]
+
+ [Note 22: Quoique, dit Alfieri en parlant de son tems
+ d'tude, je fusse le plus petit de tous les _grands_ qui se
+ trouvaient au second appartement o j'tais descendu, c'tait
+ prcisment mon infriorit de taille, d'ge et de force, qui
+ m'engageait me distinguer.]
+
+Comme le jeune colier avait reu les lmens de la langue latine
+suivant le systme d'enseignement adopt Aberdeen, il eut de la peine
+ revenir sur ses pas, et se trouva, comme cela arrive souvent, retard
+dans ses tudes et embarrass dans ses souvenirs, par la ncessit de se
+soumettre au mode d'enseignement suivi dans les coles anglaises. Je
+m'aperus, dit le docteur Glennie, qu'il montra d'abord de l'ardeur et
+obtint des succs: il tait gai, toujours de bonne humeur et chri de
+ses camarades; il connaissait nos potes et nos historiens bien mieux
+que les enfans de son ge, et dans mon cabinet il trouvait sa
+disposition une foule de livres capables de flatter son got et de
+satisfaire sa curiosit, entre autres une collection de potes, depuis
+Chaucer jusqu' Churchill, que je serais tent de croire qu'il parcourut
+depuis le commencement jusqu' la fin. Il avait encore cet ge une
+connaissance tendue de la partie historique des saintes critures; il
+aimait m'en entretenir, surtout aprs nos exercices pieux du dimanche
+soir, et quand il lui arrivait de raisonner sur les faits raconts dans
+nos livres sacrs, il le faisait avec l'air d'tre persuad des vrits
+divines qu'ils renferment. Que les impressions de son enfance, dit
+encore la mme personne, se soient conserves plus tard dans sa mmoire,
+malgr ses habitudes d'une vie irrgulire, c'est ce qu'on ne peut gure
+rvoquer en doute aprs avoir lu ses ouvrages sans prvention, et je
+n'ai jamais pu m'ter de la tte que, dans les tranges dsordres qui
+malheureusement marqurent sa carrire, il n'ait d souvent trouver bien
+difficile de violer les excellens principes qu'il avait d'abord
+adopts.
+
+J'aurais d mentionner, parmi les traits caractristiques de sa
+jeunesse, et d'aprs le rcit du mari de sa premire gouvernante, qu'il
+montrait ds-lors, et dans toutes les occasions, un esprit investigateur
+en matires religieuses.
+
+Le docteur Glennie ne fut pas long-tems sans s'apercevoir que la mre
+tait beaucoup plus difficile conduire que l'enfant. Tout en
+professant la plus entire dfrence pour les reprsentations de
+l'habile instituteur, quant la ncessit de ne pas interrompre les
+tudes de son fils, Mrs. Byron n'avait ni assez de raison, ni assez
+d'empire sur elle-mme, pour confirmer ses paroles par ses actions; en
+dpit des remontrances du docteur et des injonctions de Lord Carlisle,
+elle ne laissa pas d'intervenir dans les dtails de l'instruction de son
+fils, et comme on pouvait l'attendre d'une mre tendre, imprieuse et
+passionne. En vain lui reprsentait-on que dans toutes les
+connaissances lmentaires exiges d'un jeune homme que l'on destinait
+l'une des grandes coles publiques, Lord Byron tait fort en arrire, et
+que pour suppler ce dfaut il n'avait pas trop de tous ses instans;
+Mrs. Byron paraissait bien comprendre la justice de ces observations,
+mais elle s'embarrassait peu d'en profiter, et n'en continuait pas moins
+ dranger sans cesse le professeur et l'enfant. Peu satisfaite
+d'emmener son fils du samedi au lundi _Sloane-terrace_, contre la
+volont du docteur Glennie, elle le retenait frquemment chez elle une
+semaine de plus; et pour ajouter encore la distraction ne de ces
+interruptions, elle runissait autour de lui un cercle nombreux de
+jeunes amis, sans mettre dans ses choix beaucoup de sagacit. En
+pouvait-il tre autrement? se demande le docteur Glennie. Mrs. Byron
+tait totalement trangre la socit et aux manires anglaises; avec
+un extrieur peu prvenant, une intelligence assez borne et un esprit
+singulirement peu cultiv, elle avait conserv tous les prjugs ns
+des opinions et des habitudes du nord. Je ne pense donc pas faire la
+moindre injure sa mmoire en dclarant que Mrs. Byron n'tait pas
+prcisment une Mrs. Lambert, orne des facults capables de redresser
+les torts de la fortune, et de former l'esprit et le caractre d'un
+jeune homme de bonne famille.
+
+Plus d'une fois l'intervention de Lord Carlisle, dont il fallut alors
+invoquer l'autorit, avait mis quelque obstacle cette indulgence
+inopportune. Grce un tel soutien, le docteur Glennie osa bien
+s'opposer la sortie du samedi, dont on avait tant abus; mais les
+scnes violentes auxquelles il tait en butte chaque nouveau refus
+auraient pu lasser la patience de tout autre professeur moins
+consciencieux et moins zl. Mrs. Byron, dont les accs d'emportement
+n'taient pas comme ceux de son fils, _des silencieuses rages_, se
+laissait souvent entraner des cris dont les coliers et les valets
+recevaient la confidence. C'est au point que le docteur Glennie eut un
+jour le chagrin d'entendre un camarade de son noble lve lui dire:
+Byron, ta mre est une sotte; quoi l'autre rpondit gravement: Je
+le sais bien. Par suite de toutes ces violences et de ces
+incompatibilits de moeurs, Lord Carlisle finit par ne plus se mler de
+son pupille, et l'instituteur ayant sollicit une autre fois le bnfice
+de son intervention, il rpondit: Je ne veux plus rien avoir dmler
+avec Mrs. Byron, tirez-vous-en comme vous pourrez avec elle.
+
+Parmi les livres que l'enfant pouvait consulter dans le cabinet du
+docteur Glennie, tait une brochure crite par le frre d'un de ses
+meilleurs amis, et intitule: _Relation du naufrage de la Junon sur la
+cte d'Arracan, en l'anne 1795_; l'auteur avait t officier en second
+du vaisseau, et le rcit qu'il avait envoy ses amis des souffrances
+de leur quipage leur avait paru assez touchant et assez extraordinaire
+pour tre publi. La brochure ne flatta que faiblement, ce qu'il
+parat, l'opinion publique; mais elle tait Dulwich la lecture
+favorite des jeunes lves, et l'impression qu'elle laissa sur l'esprit
+observateur de Byron contribua peut-tre lui suggrer le dsir
+d'tudier toutes les relations de naufrages, afin de mieux retracer la
+grande et magnifique scne du mme genre que l'on trouve dans _Don
+Juan_. Les passages suivans de la brochure ont t adopts, comme on va
+le voir, avec de faibles changemens, par notre pote, sauf quelques
+incidens:
+
+De ceux qui n'taient pas immdiatement auprs de moi, je ne sais rien,
+si ce n'est par leurs cris. Quelques-uns rsistaient long-tems et
+mouraient dans une agonie complte, mais ce n'tait pas toujours ceux
+dont la faiblesse tait plus sensible qui succombaient avec moins de
+peine, quoiqu'il en arrivt quelquefois ainsi. Je me rappelle
+particulirement les exemples suivans: le valet de M. Wade, garon fort
+et robuste, mourut instantanment et presque sans murmurer, tandis qu'un
+autre jeune homme du mme ge, mais d'un extrieur moins robuste,
+rsista beaucoup plus long-tems. La destine de ces malheureux jeunes
+gens fut encore diffrente sous un autre rapport mmorable. Leurs pres
+ tous deux taient dans les hunes l'instant o leurs enfans
+commencrent tre malades; le pre du valet de M. Wade apprit avec
+indiffrence l'tat de son fils, _il ne pouvait rien faire pour lui, il
+l'abandonnait son sort_. L'autre, quand il reut la mme nouvelle,
+descendit la hte, et, saisissant le moment favorable, se trana le
+long du plat-bord jusqu' son fils qui tait dans les agrs de mizaine;
+cependant il ne restait plus que trois ou quatre planches du gaillard
+d'arrire, justement sur la galerie contigu l'autre; c'est l que le
+pre infortun transporta son fils et l'attacha la rampe pour
+l'empcher d'tre emport par les flots: quand le jeune homme tait
+saisi d'un accs de vomissement, le pre le soulevait et essuyait
+l'cume qui couvrait ses lvres; s'il survenait une pluie d'orage, il
+lui ouvrait la bouche pour qu'il pt en recevoir les gouttes, ou bien
+les exprimait d'un linge o il les avait recueillies. C'est dans cette
+situation douloureuse qu'ils restrent tous deux quatre ou cinq jours,
+aprs lesquels l'enfant expira. Le malheureux pre, comme s'il n'et pu
+croire ce qu'il voyait, se mit soulever le corps, le regarder
+attentivement; et quand enfin il ne conserva plus aucun doute, il le
+regarda en silence jusqu'au moment o la mer l'emporta; alors,
+s'enveloppant dans une pice de toile, il tomba terre et ne se releva
+plus. Il doit cependant avoir vcu deux ou trois jours au-del, comme
+nous le jugemes d'aprs les tremblemens convulsifs de ses jambes, quand
+une vague venait le couvrir[23].
+
+[Note 23: Le passage suivant est la traduction qu'a tente Lord Byron de
+ce touchant rcit, et tous les lecteurs jugeront que c'est un des
+exemples dans lesquels la posie est force de cder la palme la
+prose. Il y a dans la dernire phrase de la relation originale un
+sublime que les artifices de la mesure et de la rime affaiblissent
+ncessairement, et que nuls vers, quelles que soient leurs beauts, ne
+sauraient exprimer avec moiti autant de force et de naturel.
+
+ 87. Dans cette dplorable troupe, il y avait deux pres et
+ avec eux les deux fils. L'un de ceux-ci paraissait le plus
+ robuste et le mieux portant; il mourut des premiers.
+ l'instant de sa mort, son plus proche voisin en avertit le
+ pre, qui dit, en jetant les yeux sur lui: Je n'y puis rien,
+ la volont de Dieu soit faite! Et sans une larme ou soupir,
+ il vit jeter son corps la mer.
+
+ 88. Le second pre avait un fils plus faible, aux joues
+ dcolores, au maintien dlicat. Ce jeune homme rsista
+ long-tems, et se roidit contre sa destine avec une patiente
+ tranquillit d'esprit. Il parlait peu, et de tems en tems il
+ souriait pour allger le poids des mortelles penses qui
+ oppressaient d'autant plus le coeur de son pre, qu'il voyait
+ son fils les supporter comme lui.
+
+ 89. Pench sur son corps, le pre ne levait pas les yeux de
+ dessus son visage; il essuyait l'cume qui couvrait ses
+ lvres, et n'avait d'attention que pour lui. Quand la pluie
+ tant dsire vint enfin tomber, et que les yeux de
+ l'enfant, dj demi-voils d'une membrane paisse, vinrent
+ briller et remuer pour un instant, il exprima quelques
+ gouttes de pluie dans sa bouche expirante:--ce fut en vain.
+
+ 90. L'enfant mourut.--Le pre demeura long-tems attach sur
+ son corps; mais enfin, quand la mort se montra dcouvert,
+ et que le poids insensible press contre son coeur ne lui
+ donna plus de mouvement ni d'esprance, il ne le perdit pas
+ des yeux, jusqu'au moment o une vague impitoyable loigna le
+ corps du lieu d'o il avait t jet. Alors il tomba lui-mme
+ roide et glac, ne donnant d'autre signe de vie que
+ l'agitation convulsive de ses jambes.
+
+ Le lecteur trouvera le rcit de la perte de _la Junon_ dans
+ la _Collection des naufrages et dsastres maritimes_,
+ laquelle Lord Byron eut habilement recours, pour y puiser les
+ connaissances techniques et les circonstances de sa belle
+ description.]
+
+Ce fut sans doute pendant les vacances de cette anne que sa jeune
+cousine, miss Parker, en faisant natre en lui une passion enfantine,
+eut la gloire de lui inspirer ses premiers essais potiques; c'est
+elle du moins qu'il attribu cet heureux effet. Mes premiers essais
+potiques, dit-il, remontent 1800, c'tait l'bullition d'une belle
+passion pour ma cousine germaine, Marguerite Parker, fille et
+petite-fille des deux amiraux Parker, l'une des plus belles de ces
+jeunes filles qui, comme des fleurs, prissent dans leur printems. J'ai
+oubli depuis long-tems les vers; mais elle, il me serait difficile de
+l'oublier; ses yeux noirs, ses longs cils, son profil d'un style
+tout--fait grec! J'avais alors douze ans, elle tait un peu plus ge,
+peut-tre d'un an. Elle mourut, un ou deux ans aprs, des suites d'une
+chute; elle s'tait bris l'pine du dos, et cet accident amena la
+consomption. Sa soeur _Augusta_, que quelques-uns regardaient comme plus
+belle encore, prit de la mme maladie, et c'est mme en lui prodiguant
+ses soins que Marguerite prouva l'accident qui occasionna sa propre
+mort. Ma soeur m'a dit que quand elle alla la voir peu de tems avant sa
+fin, mon nom ayant t cit par hasard, le rouge monta la figure de
+Marguerite, quoique la mort fut dj dans ses yeux, au grand tonnement
+de ma soeur, qui, vivant avec sa grand'mre lady Holderness, et ne me
+voyant que rarement, pour raisons de famille, ne savait rien de notre
+attachement, et ne pouvait concevoir comment mon nom faisait un tel
+effet sur elle dans un tel moment. Je ne sus rien de sa maladie qu'aprs
+sa mort; j'tais cette poque Harrow ou dans la campagne. Quelques
+annes aprs, j'essayai une lgie; elle tait bien plate[24].
+
+ [Note 24: Cette lgie est la premire de son volume non
+ publi.]
+
+Je ne me rappelle rien d'gal la beaut transparente de ma cousine,
+ou la douceur de son caractre, pendant la courte priode de notre
+intimit. _On l'et dite faite d'un arc-en-ciel_: tout en elle tait
+paix et beaut.
+
+Ma passion eut sur moi ses effets habituels: je ne pouvais ni dormir,
+ni manger, ni reposer, bien que j'eusse toutes les raisons de croire
+qu'elle m'aimt. Mon tourment de chaque jour tait de penser au tems qui
+devait s'couler avant que je la revisse: c'tait ordinairement douze
+heures. J'tais alors bien fou, et maintenant je ne suis gure plus
+sage.
+
+Il y avait deux ans qu'il tait sous la garde du docteur Glennie, quand
+sa mre, mcontente de la lenteur de ses progrs, lenteur dont elle
+pouvait, comme nous l'avons vu, s'accuser avant tous les autres, pressa
+tellement lord Carlisle de le faire passer dans une cole publique, que
+celui-ci finit par accder ses voeux. En consquence, dit le docteur
+Glennie, il entra Harrow aussi mal prpar qu'il est naturel de le
+supposer, aprs deux annes d'instruction lmentaire, et
+continuellement drang par tout ce qui pouvait distraire son jeune
+esprit de l'cole et de toute tude srieuse.
+
+Ce sage instituteur ne vit plus que rarement Lord Byron compter de ce
+moment; mais en juger par ce qu'en disent Mrs. Glennie et lui, il est
+clair qu'ils le suivirent toujours avec intrt dans le reste de sa
+carrire; ils virent ses dviations, mais travers le prisme flatteur
+d'une affection relle; et dans ses aberrations les plus tranges, ils
+conservrent la trace des belles qualits qu'ils avaient chries et
+admires dans son enfance. Au reste les affectueux sentimens du docteur
+Glennie furent mis une rude preuve, quand en 1817 il visita Genve,
+peu de tems aprs le dpart de Lord Byron de cette ville, et au moment
+o sa rputation personnelle tait frappe de la plus grande
+impopularit; ceux qui voyaient dans le docteur Glennie son ancien
+matre, ne manquaient pas d'accuser ce dernier de l'avoir mal lev, ou,
+pour employer leurs propres expressions, de n'en avoir pas fait un
+meilleur sujet.
+
+Tandis que Lord Byron venait continuer Londres son ducation, sa
+gouvernante May Gray quittait le service de sa mre et retournait dans
+son pays natal, o elle mourut il y a trois ans environ. Elle s'tait
+marie convenablement; et dans l'une de ses dernires maladies elle
+recevait les soins du docteur Ewing d'Aberdeen, qui, ayant toujours t
+admirateur enthousiaste de Lord Byron, prouva autant de joie que de
+surprise de trouver une ancienne servante de son pote favori, dans une
+femme qu'il avait soigne plusieurs annes. Comme on peut le supposer,
+il recueillait avec avidit de la bouche de sa malade toutes les
+particularits qu'elle pouvait se rappeler des premiers jours de sa
+seigneurie. Toutes ces communications, M. Ewing nous en a fait la
+confidence; c'est lui que nous devons une partie des anecdotes que
+nous avons cites.
+
+Byron, au dpart de May Gray, voulut lui donner un tmoignage de sa
+reconnaissance pour les soins qu'elle avait eus de lui; il lui donna sa
+montre, la premire qu'il et eue en sa possession. La fidle
+gouvernante conserva ce prcieux souvenir jusqu' sa mort, comme une
+sorte de trsor; et aussitt aprs, son mari la donna au docteur Ewing,
+qui l'apprcia galement comme une relique du gnie. L'affectueux enfant
+lui avait aussi donn son portrait, grande miniature en pied peinte par
+Kay d'dimbourg, en 1795. Il s'y trouve reprsent tenant la main un
+arc et des flches, avec les plus beaux cheveux du monde tombant sur ses
+paules. Ce morceau curieux est galement pass dans la possession du
+docteur Ewing.
+
+Byron tendit les effets de sa reconnaissance la soeur de cette femme,
+qui avait t sa premire gouvernante. Il lui crivit quelques annes
+aprs son dpart d'cosse, et dans les termes les plus aimables; il
+s'informait de sa sant, et lui apprenait avec joie que son pied s'tait
+assez bien redress pour lui permettre de se servir de bottes
+ordinaires; vnement qu'il avait si long-tems dsir, et qui lui
+ferait sans doute elle-mme le plus vif plaisir. Il accompagna sa
+mre Cheltenham durant l't de 1801, et le rcit qu'il fait de ses
+propres sensations cette poque nous montre quel ge prmatur il
+tait familier avec les impressions potiques. Un enfant qui contemple
+avec motion le soleil couchant sur les hauteurs, parce qu'il lui
+rappelle les montagnes o il a pass sa jeunesse, a dj sans doute le
+coeur et l'imagination d'un pote. Ce fut pendant ce voyage Cheltenham
+qu'une diseuse de bonne aventure, consulte par sa mre, fit sur lui une
+prdiction laquelle il pensa quelque tems avec inquitude. Mrs. Byron,
+dans sa premire visite cette femme (c'tait, si je ne me trompe, la
+fameuse Mrs. Williams), s'tait donne pour une demoiselle; la sibylle
+toutefois ne s'y trompa point: elle dclara que celle qui la consultait
+tait non-seulement marie, mais la mre d'un fils boiteux; que ce fils
+tait prdestin, entre autres vnemens qu'elle lisait dans les astres,
+ courir les dangers d'un empoisonnement avant sa majorit; qu'il serait
+deux fois mari, et la seconde fois une trangre.
+
+Aprs deux ans, le jeune Byron raconta ces particularits la personne
+dont je tiens cette histoire, et il disait que l'ide de la premire
+partie de la prdiction s'tait souvent prsente lui. Cependant la
+dernire partie semble avoir t plus prs de se raliser.
+
+Si on fait attention au caractre rserv de Byron dans sa jeunesse, et
+mme jusqu' un certain point dans toute sa vie, la transition d'un
+tablissement paisible comme celui de Dulwich au fracas d'une grande
+cole publique tait assez difficile. Aussi trouvons-nous, d'aprs son
+propre tmoignage, que, pendant les premiers dix-huit mois, _il hassait
+Harrow_. Cependant son esprit actif et social finit par vaincre sa
+rpugnance, et aprs avoir t, comme il le dit lui-mme, _enfant fort
+impopulaire_, il parvint se montrer le boute-en-train de tous les
+plaisirs et de toutes les espigleries de l'cole. Pour bien connatre
+ses dispositions et ses habitudes de ce tems-l, nous ne pouvons mieux
+faire que de nous en rapporter la digne et respectable autorit du
+docteur Drury, qui tait alors la tte de l'cole, et auquel Lord
+Byron a pay un tribut d'affection qui, semblable aux respectueux
+sentimens de Dryden pour le docteur Belly, uniront jamais les deux
+noms du pote et de l'instituteur. Ce savant vnrable m'a fait passer
+le morceau suivant qui, malgr sa brivet, prsente d'importans dtails
+sur l'impression que le jeune Lord fit alors sur lui.
+
+Lord Byron avait treize ans et demi quand M. Hanson, son guide, vint le
+confier mes soins. Il me fit remarquer que son ducation avait t
+nglige, et ajouta qu'il tait mal prpar pour les tudes d'une cole
+publique; mais qu'aprs tout il croyait l'enfant de vritables
+dispositions. Aussitt son dpart, je pris dans mon cabinet le nouvel
+lve, et j'essayai de le faire parler, en m'informant de ses plaisirs,
+de ses habitudes, de ses amis dans son autre pension; mais je perdis
+presque entirement mon tems, et je compris bientt qu'on m'avait confi
+un jeune faon sauvage. Cependant il y avait de l'esprit dans ses yeux,
+et il fallait d'abord le lier d'amiti avec un enfant plus g, qui pt
+le familiariser avec les nouveaux objets qui l'entouraient et avec le
+systme de la maison dont il allait faire partie. Mais ce qu'il apprit
+dans la conversation de son conducteur lui causa de la peine quand il
+sut que des lves beaucoup plus jeunes que lui taient bien plus
+avancs, et il se crut humili de ne pouvoir rivaliser avec eux. Je m'en
+aperus et m'empressai de le confier aux soins spciaux de l'un des
+matres, comme rptiteur, en assurant l'enfant qu'il ne prendrait rang
+dans la classe qu'au moment o son travail lui permettrait de marcher
+avec ceux de son ge. Cette promesse lui plut, et ds-lors il fut plus
+son aise avec ses camarades, car pendant un certain tems il gardait une
+sorte de timidit. Ses manires et son caractre me firent bientt juger
+qu'il tait plus facile de le conduire avec un fil de soie qu'avec un
+cble; et je me rglai sur ce principe. Aprs quelque sjour Harrow,
+et comme son esprit commenait se dvelopper, lord Carlisle, son
+parent, exprima le dsir de me voir; j'allai trouver sa seigneurie. Son
+but tait de m'apprendre quels taient les biens venir de Byron; il me
+reprsenta ses esprances de fortune comme bornes, et voulut savoir
+quelle tait sa capacit. Je ne fis pas d'observation sur ses premires
+confidences, et je rpondis sa question: _Il a des talens, milord, qui
+ajouteront de l'clat son rang_. En vrit!!! rpondit sa seigneurie,
+avec un air de surprise qui n'indiquait pas, mon avis, toute la
+satisfaction que j'en attendais. Quant son talent pour l'art oratoire,
+voici la circonstance laquelle vous faisiez allusion. Les hautes
+classes de l'cole avaient compos de ces sortes de dclamations qui,
+aprs avoir t corriges par les rptiteurs, taient portes au
+professeur; alors ceux qui les avaient faites les rptaient, afin qu'on
+pt rformer leurs gestes et leur accent, avant qu'ils les prononassent
+en public. Je fus, en cette occasion, enchant de l'attitude, de la
+prononciation et des gestes de Lord Byron, non moins que de son travail
+en lui-mme. Tous les jeunes orateurs ne manquaient pas de suivre la
+lettre leur composition crite: Lord Byron fit de mme dans la premire
+partie de son travail; mais ma surprise, il s'carta tout d'un coup de
+son manuscrit, et avec assez de hardiesse et de rapidit pour me faire
+craindre de le voir manquer de mmoire pour la conclusion. Mes alarmes
+n'taient pas fondes, il fournit sa carrire sans hsitation et sans le
+moindre embarras. Je lui demandai, pourquoi il avait ainsi altr sa
+composition; il me rpondit qu'il n'y avait rien chang, et qu'il ne
+s'tait pas aperu qu'il s'en ft cart le moins du monde. Je le crus,
+et d'aprs l'exprience que j'avais de sa manire d'tre, je compris
+qu'tant plein de son sujet, il avait involontairement substitu des
+expressions et des couleurs plus vives celles que sa plume avait
+traces.
+
+Le docteur Drury, en me communiquant ces dtails, ajoute un fait qui
+atteste tout le cas que Lord Byron fit toujours des opinions de son
+vieux matre, mme quand il fut au fate de sa gloire.
+
+Aprs ma retraite d'Harrow, je reus de lui deux lettres pleines
+d'affection, et dans mes visites Londres, l'poque o ses ouvrages
+fascinaient les yeux du public, je lui demandai pourquoi il n'avait pas
+pens m'en faire tenir un seul, comme c'tait son devoir. _C'est_, me
+dit-il, _parce que vous tes le seul homme auquel je crains de les voir
+lire_. Puis, aprs un court intervalle, il ajouta: _Que pensez-vous du
+Corsaire_?
+
+Maintenant je vais mettre sous les yeux du lecteur les diverses notes
+sur sa vie au collge, qu'il a consignes lui-mme dans plusieurs livres
+de souvenirs. Il n'est pas besoin de dire qu'tant son ouvrage, elles
+prsenteront sur ce tems les particularits les plus fidles et les plus
+curieuses.
+
+J'avais dix-huit ans, tout singulier que cela puisse paratre, avant
+d'avoir jamais lu une _revue_; mais tant Harrow, mes connaissances,
+sur toute sorte de sujets nouveaux, taient assez grandes pour faire
+supposer que je devais aux revues toute ma science, attendu qu'on ne me
+voyait jamais lisant, mais toujours badinant, jouant, ou occup
+quelque mchancet. La vrit est que je lisais en mangeant, au lit et
+partout o nul ne lisait; et avant d'avoir cinq ans j'avais lu toutes
+sortes de livres, l'exception d'une revue: cette exception est ce qui
+me l'a fait remarquer. Je me souviens qu'en 1804, Hunter et Curzon
+m'ayant confi l'ide qu'on avait de moi au collge ce sujet, je les
+fis bien rire en leur demandant d'un air surpris: et qu'est-ce donc
+qu'une revue? Au reste, elles taient alors moins rpandues. Trois
+annes plus tard je les connus beaucoup mieux: mais enfin j'en lus une
+pour la premire fois en 1806.
+
+J'ai dj dit qu'on remarquait l'cole l'tendue et la varit de mes
+connaissances gnrales; mais n'ayant aucune activit sous les autres
+rapports, je pouvais bien faire d'une haleine trente ou quarante
+hexamtres grecs fidles la prosodie, Dieu sait comme! mais d'un
+travail soutenu j'en tais incapable. Mes dispositions taient plutt
+celles de l'orateur ou du guerrier que celles du pote; et c'tait
+l'opinion du docteur Drury, mon grand patron et le principal du collge,
+d'aprs ma faconde, ma turbulence, mon organe, mon talent de gestes et
+de dclamation, que je deviendrais un jour grand orateur[25]. Je me
+souviens que ma premire dclamation le surprit, et qu'il m'en fit
+devant mes rivaux les plus vifs complimens la premire rptition, ce
+qui tait tonnant, car il en tait fort conome. Mes premiers vers de
+Harrow (j'entends vers anglais) furent la traduction d'un choeur du
+Promthe d'Eschyles. M. Drury les reut froidement; et personne ne
+prvoyait en moi, d'aprs eux, la moindre disposition potique.
+
+ [Note 25: Pour mieux dvelopper son talent dans ce genre,
+ Byron ne manquait pas de choisir pour les jours de discours
+ les passages les plus vhmens, comme le discours de Zanga
+ sur le corps d'Alonzo et le monologue de Lar. Dans l'une de
+ ces occasions publiques, il tait convenu qu'il prendrait le
+ rle de Drancs, et le jeune Peel celui de Turnus; mais Lord
+ Byron changea tout d'un coup d'ide et prfra le rle de
+ Latinus, craignant, comme on le supposa, d'inspirer quelque
+ allusion ridicule avec cette raillerie de Turnus: _Ventosa in
+ lingua, pedibusque fugacibus istis_.]
+
+Peel, cet orateur et cet homme d'tat (car il l'tait, l'est et le
+sera), tait de la mme _forme_ que moi; nous en tenions _la tte_ tous
+deux, suivant l'expression reue. Nous tions bien ensemble; mais son
+frre tait mon ami intime. Matres et coliers nous avions conu de
+Peel les plus grandes esprances, et il ne les trompa pas.
+
+Pour les connaissances classiques, il tait de beaucoup au-dessus de
+moi; comme orateur et acteur; on m'estimait au moins son gal. Hors de
+l'cole j'tais toujours en partie et lui jamais, tandis qu'en classe il
+savait toujours ses leons et moi rarement; mais quand une fois je les
+savais, je les savais presque aussi bien. Du reste, en instruction
+gnrale, en histoire, etc., etc., je pense que je lui tais suprieur,
+aussi bien qu' la plupart des enfans de mon ge.
+
+La merveille du collge, de notre tems, tait George Sinclair, fils de
+sir John; il faisait, la lettre, les exercices de la moiti des
+coliers, des vers volont et des amplifications presque malgr
+lui..... Il tait de mes amis; comme nous nous trouvions dans la mme
+division, il me demandait souvent de le laisser faire mes devoirs,
+faveur que je lui accordais toujours avec empressement quand ils taient
+difficiles, ou quand j'avais faire quelqu'autre chose, ce qui
+m'arrivait au moins une fois par heure. Du reste, son humeur tait douce
+et la mienne querelleuse. Il m'arrivait souvent de me battre pour lui,
+ou de battre les autres son intention, ou bien encore de le battre
+lui-mme pour le forcer battre les autres quand je jugeais qu'il le
+devait pour l'honneur de sa taille. D'autres fois nous parlions
+politique, sujet sur lequel il tait trs-fort. Nous nous aimions
+beaucoup, et je conserve encore des lettres qu'il m'a crites de
+l'cole[26].
+
+ [Note 26: Malheureusement ses rponses M. Sinclair sont
+ perdues. Je tiens de ce dernier qu'il y en avait une, entre
+ autres, o Lord Byron dveloppait toute l'ombrageuse
+ sensibilit de son caractre. Elle exprimait le ressentiment
+ d'une insulte imaginaire, et commenait par l'apostrophe
+ boudeuse de _monsieur_!]
+
+Un autre prodige effrayant de savoir, de talent et d'esprance tait
+Clayton; j'ignore ce qu'il est devenu, mais c'tait rellement un gnie.
+Les amitis de collge, taient pour moi de vritables _passions_[27]
+(car je n'ai jamais senti demi), et je ne pense pas que j'en aie
+conserv une seule; mais il faut dire que plusieurs de ceux qui me les
+inspirrent n'existent plus. Ma liaison avec lord Clare fut l'une des
+premires et des plus durables dont je me souvienne, l'loignement ayant
+pu seul la refroidir. Jamais je n'entendis prononcer le nom de _Clare_
+sans un vif battement de coeur, et remarquez-le, j'cris encore
+aujourd'hui sous le charme de mes impressions de 1803, 1804 et 1805,
+etc., etc.
+
+ [Note 27: Dans l'un de ses journaux, et sous la date de 1808,
+ je trouve le passage suivant de Marmontel, qui sans doute
+ l'avait frapp comme s'appliquant l'enthousiasme de ses
+ premires liaisons. L'amiti, qui dans le monde est peine
+ un sentiment, est une passion dans les clotres.
+ (_Contes moraux_.)]
+
+J'emprunte l'extrait suivant un autre de ses _Souvenirs_.
+
+ Harrow, je tenais bien ma place au coup de poing[28]. Je crois me
+rappeler que je ne fus battu qu'une fois sur sept, et c'tait avec
+H..... encore le drle ne me battit que par l'intervention dloyale des
+gens de la maison o il mangeait, et o la scne se passait; je n'avais
+pas mme de second. Je ne lui pardonnerai jamais, et je serais fch de
+le rencontrer aujourd'hui, car certainement nous nous querellerions. Mes
+combats les plus mmorables furent avec Morgan, Rice, Raiesford et lord
+Jocelyn, mais nous restmes toujours bons amis par la suite. J'tais un
+des enfans les moins aims, cependant je finis par me faire respecter.
+J'ai gard toutes mes amitis de collge et toutes mes haines, si ce
+n'est relativement au docteur Butler, contre lequel je me rvoltais, ce
+dont plus tard j'ai t fch. Le docteur Drury, que je tourmentais
+aussi passablement, fut de tous mes amis le meilleur, le plus tendre, et
+j'ajouterai le plus svre; je le regarde encore aujourd'hui comme un
+pre.
+
+ [Note 28: M. d'Israeli, dans son livre ingnieux _sur le
+ caractre des gens de lettres_, a mis l'opinion que l'un des
+ indices du gnie dans les jeunes gens est le dgot des jeux
+ et des exercices du corps. Il cite en preuve Beattie, qui
+ peint ainsi son mnestrel idal:
+
+ Il avait toujours fui le bruit, les runions, les fatigues,
+ et ne se souciait pas de paratre dans la tumultueuse mle
+ des coliers; mais les forts avaient pour lui le plus grand
+ charme.
+
+ Son autorit la plus imposante est Milton, qui dit aussi de
+ lui-mme:
+
+ tant enfant, nul jeu d'enfant ne m'tait agrable.
+
+ On ne peut appliquer ces rgles gnrales, ni aux
+ dispositions ni au mrite des hommes de gnie, si dans les
+ personnages cits par M. d'Israeli on reconnat quelque
+ infirmit corporelle, et si dans plusieurs autres on peut
+ remarquer des gots directement opposs. Une foule d'autres
+ potes, comme Eschyles, Dante, Camons, se sont distingus
+ la guerre, le plus turbulent des exercices; et si l'on est
+ oblig d'avouer qu'Horace fut mauvais cavalier, et que
+ Virgile ne savait pas jouer la paume, on trouve d'un autre
+ ct que Dante fut aussi habile la chasse qu' l'escrime,
+ que Tasse sut galement bien danser et manier le fleuret,
+ qu'Alfieri tait bon cavalier, Klopstock bon patineur, Cowper
+ renomm dans sa jeunesse la crosse et au ballon, et
+ qu'enfin Lord Byron excellait dans tous les exercices du
+ corps.]
+
+P. Hunter, Curzon, Long et Tatersant furent les principaux objets de
+mon affection; je m'attachai encore Clare, Dorset, C. Gordon, Debath,
+Claridge et J. Wingfield; ils taient plus jeunes que moi, et je les
+gtais par mon indulgence. Peut-tre n'ai-je jamais aim quelqu'un
+autant que le pauvre Wingfield, qui mourut Coimbre en 1811, avant mon
+retour en Angleterre.
+
+Un des plus frappans rsultats de l'ducation en Angleterre c'est qu'on
+ne retrouve dans aucun pays autant d'exemples d'amiti vigoureuse forme
+ds l'enfance et conserve dans l'ge mr, et que dans nulle autre
+contre peut-tre les sentimens d'affection pour la maison paternelle ne
+sont aussi rares ou du moins aussi faibles. loigns, comme ils le sont,
+des cercles de famille, dans un tems o leur coeur est le plus accessible
+aux sentimens affectueux, les enfans substituent naturellement aux liens
+de parent ces amitis de collge, qui, s'unissant ensuite aux scnes et
+aux vnemens qui charmrent leur jeunesse, conservent toujours sur eux
+la plus grande force. On peut observer des rsultats tout--fait
+diffrens en Irlande, et je crois aussi en France, o le systme
+d'ducation se lie mieux aux souvenirs domestiques. L, la maison
+paternelle obtient une sorte de partage naturel et lgitime dans le coeur
+des enfans; mais aussi les amitis hors de ce cercle domestique sont en
+proportion moins vives et moins durables[29].
+
+ [Note 29: huit ou neuf ans, on met l'enfant l'cole, et
+ ds-lors il dvient tranger dans la maison o il est n;
+ l'affection de son pre est interrompue pour lui, et les
+ sourires de sa mre, ses tendres avis, la sollicitude de ses
+ parens, ne sont plus devant ses yeux. D'anne en anne, il se
+ sent vers eux moins d'entranement, et il finit par perdre
+ ses premiers sentimens au point de se trouver plus heureux
+ partout ailleurs que dans sa famille.
+ (_Lettres de Cowper_.)]
+
+Pour un jeune homme comme Byron, rempli des sentimens les plus
+passionns, et ne trouvant dans la maison maternelle de sympathie
+qu'avec la portion la moins noble de sa nature, le petit univers de
+l'cole devait ncessairement mettre en jeu ses affections, et leur
+donner une extension extrme. Voil pourquoi les amitis qu'il contracta
+au collge se ressentirent beaucoup de ce qu'il dsigne lui-mme comme
+des _passions_. C'est le vide de pareilles affections dans ses foyers,
+et leur vivacit parmi _la sociale runion d'Ida_, qu'il dcrit ainsi
+dans l'un de ses premiers pomes[30].
+
+ [Note 30: Mme avant ses liaisons de collge, il avait montr
+ la mme sorte d'attachement romanesque pour un enfant de son
+ ge, fils d'un de ses fermiers de Newsteadt. Dans deux ou
+ trois de ses premiers pomes il ne s'arrte pas moins sur
+ l'ingalit que sur la chaleur de cette amiti.
+
+ Que la folie sourie, en voyant ton nom et le mien unis par
+ l'amiti; la vertu roturire a plus de droit ce sentiment
+ que le vice anobli.
+
+ Bien que ton sort ne soit pas gal au mien, puisque ma
+ naissance m'appelle aux honneurs de la pairie, ne m'envie pas
+ cet clat pompeux, un mrite modeste fait ton orgueil.
+
+ Nos ames du moins se rencontrent gales, ton humble
+ condition n'est point une disgrce pour ma position leve;
+ notre commerce n'en sera pas moins doux, puisque le mrite
+ remplace en toi la naissance.]
+
+N'y a-t-il point quelqu'autre cause qui rende ce mot d'enfance si cher
+tout le monde? Ah! srement il y a une voix secrte qui nous dit tout
+bas que l'amiti sera doublement douce celui qui est oblig de
+chercher des coeurs aimans, de les chercher hors du sein de sa famille,
+quand il ne peut les y trouver. Ces coeurs, chre _Ida_[31], je les ai
+trouvs dans ton sein, tu as t pour moi une famille, un monde, un
+paradis.
+
+ [Note 31: _Ida_, nom potique de l'cole d'Harrow.
+ (_N. du Tr._)]
+
+Cette premire publication est remplie des tmoignages les plus touchans
+de ses amitis de collge; il n'est pas jusqu'aux reproches qu'il
+adresse l'un d'eux, propos de quelques griefs, qui ne portent un
+caractre de tendresse.
+
+Vous saviez que mon ame, que mon coeur, que ma vie taient vous en cas
+de danger; vous saviez que les annes et la distance ne m'avaient pas
+chang, que je n'existais que pour l'amour et l'amiti.
+
+Vous saviez... mais pourquoi revenir en vain sur le pass? les liens qui
+nous unissaient sont rompus. Peut-tre ce souvenir vous arrachera-t-il
+un jour des larmes tardives; vous soupirerez alors en songeant celui
+qui fut votre ami!
+
+La description suivante de ce qu'il prouvait aprs avoir quitt Harrow,
+quand il retrouvait dans le monde quelqu'un de ses anciens camarades, se
+rapproche beaucoup de la scne qui eut lieu en Italie, quelques annes
+seulement avant sa mort, quand la vue de son cher lord Clare, aprs
+une longue sparation, il se sentit touch jusqu'aux larmes par les
+souvenirs qu'il rveillait en lui.
+
+..... Si par hasard quelque figure que je me rappelle bien, quelque
+ancien camarade de mon enfance vient, une honnte joie peinte sur la
+figure, rclamer en moi son ami; mes yeux, mon coeur, tout montre que je
+suis encore un enfant: la scne blouissante, les groupes bruyans qui
+m'entourent disparaissent devant l'ami que je viens de retrouver.
+
+On a vu par les extraits de son _journal_ que M. Peel tait l'un de ses
+condisciples d'Harrow. La curieuse anecdote suivante, qui les concerne
+tous deux, m'a t rapporte par un ami de ce dernier, et je tcherai de
+me rapprocher autant que possible des propres expressions du narrateur.
+
+Tandis que Lord Byron et M. Peel taient Harrow, un tyran[32], plus
+vieux de quelques annes, rclama le droit de _basculer_ le petit Peel,
+droit que Peel, tort ou raison, ne voulut pas reconnatre. Mais sa
+rsistance fut vaine: le tyran non-seulement le fit flchir, mais il
+rsolut d'infliger une punition l'esclave rfractaire. Il se mit donc
+en devoir de lui administrer une espce de bastonnade sur la partie
+interne du bras, que durant l'opration il avait comprim de deux
+cordes, avec un talent cruel, pour rendre la douleur plus vive. Tandis
+que les coups se succdaient rapidement et que le pauvre Peel n'en
+pouvait dj plus, Byron aperut et comprit de suite les tourmens de son
+ami; il savait bien qu'il n'tait pas assez fort pour chercher querelle
+au tyran et que d'ailleurs il tait dangereux de l'approcher; toutefois
+il s'avance vers la scne de l'action, et le visage rouge de colre, les
+yeux pleins de larmes et une voix que l'indignation et la terreur
+rendaient incertaine, il lui demanda humblement qu'il voult bien lui
+dire combien de coups il entendait infliger. Et que t'importe? petit
+drle! rpondit l'excuteur.--C'est que si vous y consentiez, repartit
+Byron, en prsentant son bras, j'en prendrais la moiti. Il y a dans ce
+petit trait un mlange de simplicit et de grandeur vraiment hroque;
+nous pouvons sourire notre aise des amitis d'enfance, mais il est
+rare que celles de l'ge mr soient capables d'une gnrosit comparable
+ celle-ci.
+
+ [Note 32: On appelle ainsi, dans les grands collges
+ d'Angleterre, les lves les plus anciens; ceux des dernires
+ classes sont dsigns sous le nom d'esclaves. Il en tait de
+ mme l'cole polytechnique, il y a quelques annes, et la
+ _bascule_ tait galement une servitude qu'imposaient les
+ lves de deuxime anne ceux de la premire.
+ (_N. du Tr._)]
+
+Parmi ses favoris d'cole, on peut remarquer qu'un grand nombre taient
+nobles, ou de familles nobles, tels que les lords Clare et Delaware, le
+duc de Dorset, et le jeune Wingfield. Une circonstance peut laisser
+croire que leur rang avait eu quelque part dans les motifs qui
+attirrent Byron vers eux: un jour, celui de ses condisciples qui me
+raconta le fait, avait, en sa qualit de moniteur, mis lord Delaware sur
+sa liste de punition; Byron s'en tant aperu, s'approcha de lui, en
+disant: Wildman, je vois que vous avez mis Delaware sur votre liste; ne
+le faites pas frapper, je vous prie.--Pourquoi donc?--Je ne sais pas,
+mais enfin c'est mon collgue la pairie. Il est inutile d'ajouter que
+son intervention en pareil cas n'tait rien moins qu'heureuse; car l'un
+des rares bienfaits de l'ducation publique est de faire tomber en
+quelque sorte ces distinctions artificielles, et de placer les jeunes
+plbiens dans une galit parfaite avec les pairs, bien que ces
+derniers puissent avoir leur revanche dans le monde.
+
+Il est vrai que, dans Lord Byron, le sentiment de sa supriorit
+nobiliaire tait alors assez peu dguis pour lui attirer frquemment
+les moqueries de ses camarades; c'est, je crois, Dulwich que son
+habitude de tirer orgueil de la prminence qu'il trouvait dans un vieux
+baron anglais, sur tous les nouveaux pairs, lui fit donner le surnom de
+_vieux baron anglais_. Mais ce serait une erreur de croire que, soit
+l'cole, soit plus tard, il ait jamais t guid par d'aristocratiques
+sympathies dans le choix de ses amis. Tout au contraire, suivant l'usage
+des hommes d'une extrme fiert, il prfrait gnralement pour _ses
+intimes_, ceux d'un rang infrieur au sien, et tels taient presque tous
+ceux qu'il comptait l'cole parmi ses amis. D'un autre ct, ce qui le
+charmait le plus dans ses autres plus jeunes amis, c'tait leur
+infriorit sous le rapport de l'ge et de la force. Elle lui permettait
+de se complaire encore dans son gnreux orgueil, en prenant quand il le
+fallait, leur gard, le rle de protecteur.
+
+William Harness, qui tait entr Harrow dix ans, tandis que Byron en
+avait quatorze, fut l'un de ceux qu'il aima le plus, par ce dernier
+motif, bien qu'il ait oubli d'en parler. Le jeune Harness, encore
+boiteux des suites d'un accident d'enfance, et peine remis d'une
+maladie grave, tait peu capable de surmonter les difficults d'une
+cole publique; Byron le vit un jour maltrait par un enfant beaucoup
+plus g et plus fort; il se hta de prendre sa dfense. Le lendemain,
+le petit enfant demeurait seul l'cart; Byron vint encore lui, et
+lui dit: Harness, si quelqu'un te bat, dis-le-moi, et, si je puis, je
+le rosserai. Il tint sa parole, et, ds ce moment, le protecteur et le
+protg devinrent, malgr leur diffrence d'ge, des amis insparables.
+Cependant leur amiti subit un refroidissement auquel Lord Byron, dans
+une lettre crite aprs six ans, fait allusion avec tant de sensibilit,
+de franchise et de dlicatesse, que je ne puis m'empcher d'anticiper la
+date, et d'en donner ici un extrait.
+
+Nous paraissons tous deux nous rappeler parfaitement, avec un mlange
+de plaisir et de regret, les jours que nous passions ensemble; et je
+vous jure bien sincrement que je les compte au nombre des plus heureux
+de mes courts instans de bonheur. Maintenant je touche ma majorit,
+c'est--dire que j'ai vingt ans et un mois; encore un an, et je
+parcourrai dans le monde ma carrire de folie. Alors j'avais quatorze
+ans: vous tiez presque le premier de mes amis d'Harrow, le premier
+certainement en estime, sinon en date; mais une assez longue absence
+d'Harrow, et de votre part de nouvelles liaisons, le contraste de votre
+conduite (dcidment tout votre avantage) et de ces habitudes
+turbulentes et querelleuses qui m'entranrent dans tous les genres de
+dsordres, toutes ces circonstances se runirent pour dtruire une
+intimit que l'affection me pressait de continuer, et que la mmoire
+m'obligeait de regretter amrement. Mais il n'est pas une particularit
+de cette poque, pas mme une seule de nos conversations, qui ne reste
+encore aujourd'hui grave dans mon esprit. Je n'en dirai pas davantage:
+cette assurance seule vous prouvera que si je n'y avais pas attach de
+prix, je ne me souviendrais pas aussi bien de tout cela. Comme je me
+rappelle la lecture de vos _premiers essais_! Une autre circonstance que
+vous ignorez, c'est que les _premiers vers_ que j'essayai de faire
+Harrow vous taient adresss, vous deviez les voir; mais Sinclair en
+avait gard la copie quand nous allmes en vacance, et notre retour
+nous avions cess d'tre lis; ils furent dtruits, et certes ce ne fut
+pas une grande perte. Par ce fait, vous pouvez juger de mes sentimens
+un ge o l'on ne saurait tre hypocrite.
+
+Je me suis arrt plus que je ne pensais sur ce sujet, et je finirai
+par o j'aurais d commencer. Nous tions autrefois amis, nous l'avons
+mme toujours t, car notre sparation fut l'effet du hasard et non du
+refroidissement. J'ignore o notre destine doit nous conduire l'un et
+l'autre; mais si l'occasion et quelque penchant vous dcident jeter
+une pense sur un cervel de mon espce, vous me trouverez toujours
+sincre, et jamais assez aveugle sur mes dfauts pour envelopper les
+autres dans leurs consquences. Voulez-vous m'crire quelquefois? Je ne
+dis pas souvent; mais enfin, si nous nous retrouvons, j'espre que nous
+serons l'un pour l'autre ce que nous _devions_ tre et ce que nous
+_tions_.
+
+Une autre preuve aussi forte de la vivacit de ses impressions de
+jeunesse, c'est, quand ses amis ont gard un si petit nombre de ses
+anciennes lettres, le soin avec lequel il conserva toutes celles que lui
+adressrent les principaux d'entr'eux, mme les plus jeunes. Et si
+quelquefois ses correspondans oubliaient de dater leurs missives, sa
+fidle mmoire, aprs plusieurs annes d'intervalle, supplait leur
+oubli. Parmi ces souvenirs qu'il conservait si prcieusement, il en est
+un qu'il serait injuste de ne pas citer, soit comme monument de
+l'nergie qui brillait au milieu de son langage enfantin, soit en
+mmoire des tendres et affectueux sentimens que leur lecture rveillait,
+comme on le verra plus tard, dans l'ame de Byron.
+
+ LORD BYRON, etc., etc.
+
+
+Harrow-la-Montagne, 28 juillet 1805.
+
+Puisque vous avez paru assez peu mon ami pour me _dire des noms_ toutes
+les fois que vous me rencontriez ces jours derniers, je vous demande une
+explication, et je dsire savoir si vous voulez que nous soyons aussi
+bons amis qu'auparavant. J'ai bien vu que ce mois-ci vous m'aviez
+absolument laiss l, sans doute pour vos nouvelles connaissances; mais
+il ne faut pas croire, parce que vous aurez dans la tte un caprice
+quelconque, que je reviendrai toujours vous, comme certains autres le
+font, pour regagner votre amiti. Ne pensez pas que je sois votre ami
+par intrt, et parce que vous tes plus grand ou plus g que moi: non,
+cela n'est pas, et ne sera jamais. J'tais votre ami, et je ne le suis
+encore qu' une condition: c'est qu'en me voyant vous ne me _direz plus
+des noms_. Vous avez bien vu, j'en suis sr, que je n'aimais pas cela;
+pourquoi donc le faisiez-vous, si ce n'est parce que vous ne voulez plus
+tre mon ami? et pourquoi le resterais-je, si vous me traitez mal? Je ne
+tiens rien de pareil; vous pouvez bien laisser les autres m'attaquer,
+mais si vous vous moquez de moi, je serai bien plus malheureux.
+
+Je ne suis pas un hypocrite, Byron, et je ne le serai jamais assez pour
+rester votre ami quand vous me _direz des noms_. Personne ne dira, j'en
+suis sr, que je me sois abaiss pour regagner une amiti dont vous ne
+voulez plus. Pourquoi le ferais-je? ne suis-je pas votre gal? Quel
+intrt y aurais-je? Quand vous me retrouverez dans le monde
+(c'est--dire si vous le voulez), vous ne pourrez m'avancer ou me
+protger, ni moi vous. Je vous engage donc et vous demande, si vous
+tenez mon amiti (ce qui n'est pas, en juger par votre conduite),
+ne pas me donner les noms que vous faites, ni vous moquer de moi.
+Jusqu'alors il me sera impossible de vous nommer mon ami. Je vous serai
+oblig de me rpondre de suite.
+
+En attendant, je demeure votre...
+
+Je ne puis dire votre ami.
+
+
+Sur le dos de cette lettre tait la note suivante, de la main de Byron:
+
+Cette lettre et une seconde furent crites Harrow par mon _alors_ et
+toujours cher ami Lord de ***, quand nous tions camarades d'tudes. Il
+me les adressa la suite de je ne sais plus quel malentendu, le seul
+qui s'leva jamais entre nous; il fut d'ailleurs de courte dure, et je
+ne conserve cette lettre que pour la lui rappeler quand je le verrai,
+afin que nous puissions rire au souvenir de l'insignifiance de notre
+premire et dernire querelle.
+
+ BYRON.
+
+
+On retrouve dans une lettre du mme enfant, crite deux annes plus
+tard[33], ces passages remarquables:
+
+Votre dernire lettre m'a fait penser que vous tiez extrmement piqu
+contre la plupart de vos amis, et mme un peu contre moi, si je ne me
+trompe. Vous dites d'un ct: _Il n'est presque pas douteux que peu
+d'annes ou de mois nous rendront aussi indiffrens l'un l'autre, que
+si nous n'avions pas pass ensemble une partie de notre vie_. En vrit,
+Byron, vous me faites injure, et je n'ai pas de doute, au moins je
+l'espre, que vous ne vous calomniiez vous-mme.
+
+ [Note 33: D'autres lettres encore offrent de curieuses
+ preuves de la sensibilit jalouse et passionne de Byron.
+ Dans l'une d'elles, par exemple, nous voyons qu'il s'tait
+ offens que son jeune ami lui et crit _mon cher Byron_ au
+ lieu de _mon trs-cher_; et dans une autre, qu'il avait eu de
+ la jalousie de quelques expressions chappes son ami,
+ l'occasion du dpart de Lord John Russell pour l'Espagne.
+ Vous me dites, lui rpond-on, que jamais vous ne me vtes
+ agit comme quand j'crivis ma dernire lettre; pensez-vous
+ que j'eusse tort? J'avais reu une lettre de vous le samedi,
+ o vous me disiez que vous quittiez l'Angleterre au mois de
+ mars pour six ans; et le lundi John Russell partait pour
+ l'Espagne. Mais pouvez-vous imaginer que je fusse plus triste
+ au sujet de Lord Russell, qui s'en va pour quelques mois, et
+ de qui j'aurai constamment des nouvelles, que relativement
+ vos six annes de voyage au bout du monde, pendant lesquelles
+ j'entendrai peine parler de vous, et qui peut-tre
+ m'empcheront de vous revoir jamais? J'prouve une vritable
+ peine de ce que vous me dites, que je dois vous excuser si
+ vous tes jaloux de me voir plus affect du dpart d'un ami
+ qui tait prs de vous que de celui qui tait loign. Il est
+ impossible que vous ayez pu croire un moment que l'absence de
+ John m'affectt plus que la vtre. Je finis donc sur ce
+ sujet.]
+
+Malgr ces habitudes de jeux et de paresse qui semblaient l'indice d'une
+certaine absence d'ides et de rflexions, il y avait des momens o le
+jeune pote rentrait profondment en lui-mme et se livrait des
+mditations incompatibles avec l'enjouement et l'insouciance de son ge.
+On montre encore dans le cimetire d'Harrow une tombe leve, d'o la
+vue plane sur Windsor; c'tait l'endroit favori o l'on savait si bien
+qu'il aimait s'arrter, que les enfans l'appelaient _la tombe de
+Byron_[34], et c'est l, dit-on, qu'il demeurait des heures entires
+abm dans ses penses, ruminant dans la solitude ses premires
+inspirations sublimes et passionnes, et parfois, peut-tre, entrevoyant
+dj cet avenir de gloire qui lui inspirait, peine g de quinze ans,
+ces vers remarquables:
+
+_Mon nom seul sera mon pitaphe_. S'il ne suffit pour honorer ma cendre,
+qu'aucune autre gloire ne me soit accorde en rcompense. On ne doit
+voir que ce nom, ce nom seul sur mon tombeau; illustr par lui, ou comme
+lui jamais oubli.
+
+ [Note 34: C'est cette tombe que se rapporte ce passage des
+ _souvenirs d'enfance_, qui font partie de ses oeuvres
+ indites:
+
+ Souvent, quand, oppress de tristes pressentimens, je
+ m'asseyais inclin sur notre tombe favorite.]
+
+Il passa quelque tems Bath avec sa mre, pendant l'automne de 1802,
+et, quoique bien jeune, il prit assez de part aux plaisirs de ces lieux.
+Il parut dans un bal masqu, donn par lady Riddel, sous le costume d'un
+jeune Turc; modle anticip, quant la beaut et au costume, de son
+jeune Slim de la _Fiance d'Abydos_. Au moment d'entrer dans la maison,
+quelqu'un de la foule essaya d'arracher le diamant qui attachait le
+croissant de son turban, mais l'un de ceux qui l'accompagnaient
+s'aperut tems de cette tentative de vol. La dame qui m'apprit cette
+anecdote, et qui voyait beaucoup alors Mrs. Byron, a bien voulu ajouter
+ son rcit les remarqus suivantes: J'ai vu beaucoup Lord Byron
+Bath; sa mre m'a invit souvent prendre le th avec elle; il tait
+toujours fort plaisant et original; quand la conversation tombait sur
+ses amis absens, il montrait un lger penchant la satire, auquel plus
+tard il s'abandonna, comme chacun sait, avec une libert entire.
+
+Nous touchons maintenant un vnement qui, d'aprs sa profonde
+conviction, exera sur sa vie et son caractre une influence vive et
+durable.
+
+Ce fut en 1803, que son coeur, dj deux fois prouv, comme nous l'avons
+vu, par d'enfantines impressions d'amour, conut un attachement qui,
+jeune comme il tait encore, domina ses facults au point de colorer
+d'une teinte particulire le reste de ses jours. Que les passions
+malheureuses soient en gnral les plus durables, c'est une triste
+vrit qui, pour tre confirme, n'avait pas besoin de ce nouvel
+exemple; mais peut-tre faut-il attribuer la mme circonstance
+l'innocence parfaite de cet attachement pour miss Chaworth, qui le
+distingua, sans jamais l'effacer de son coeur, de tous ceux qui le
+suivirent. Comme c'est le seul sentiment du mme genre dont les dtails
+puissent tre suivis sans dangers, ou dont les rsultats, bien que
+douloureux, puissent tre raconts, nous pensons qu'on s'y arrtera avec
+plaisir.
+
+Mrs. Byron, en partant de Bath, vint sjourner Nottingham, Newsteadt
+tant en ce tems-l lou lord Grey de Ruthen; et pendant les vacances
+de Harrow, son jeune fils vint l'y rejoindre. Tel tait son attachement
+pour Newsteadt, que c'tait mme un plaisir pour lui d'tre dans son
+voisinage; aussi, avant d'avoir fait la connaissance de lord Grey, il
+lui arrivait souvent de passer la nuit dans une petite maison contigu
+la grande porte et qu'on appelle encore prsent la hutte[35]; mais
+bientt des rapports d'amiti s'tablirent entre son noble locataire et
+lui, et ds-lors il eut toujours son service un appartement dans
+l'abbaye. Comme il avait, peu de tems auparavant, t prsent Londres
+ la famille de miss Chaworth, qui, actuellement, rsidait Annesley,
+dans le voisinage immdiat de Newsteadt, il renouvela bientt
+connaissance avec elle. La jeune hritire elle-mme joignait tous les
+avantages sociaux qui l'environnaient une grande beaut et les
+dispositions les plus aimables et les plus sduisantes.
+
+ [Note 35: Je tiens ce fait de l'un des vieux domestiques de
+ Newsteadt, mais je ne dissimulerai pas que d'autres n'aient
+ rvoqu en doute ces haltes nocturnes _la hutte_.]
+
+Le jeune pote avait dj remarqu ses charmes; mais ce fut seulement
+l'poque o nous sommes arrivs, comme il tait dans sa seizime anne
+et miss Chaworth dans sa dix-huitime, qu'il semble en avoir t
+compltement bloui. Six courtes semaines d't, coules prs d'elle,
+suffirent pour veiller une passion qui dura toute sa vie.
+
+D'abord, bien qu'on lui offrt un lit Annesley, il avait l'habitude de
+revenir chaque nuit Newsteadt, et le motif qu'il allguait tait sa
+frayeur des tableaux de famille des Chaworth, qui, s'imaginait-il,
+l'avaient pris en grippe en souvenir du duel de son oncle, et se
+seraient dtachs la nuit de leurs cadres pour le tourmenter. la fin
+il dit gravement un soir miss Chaworth et sa cousine: La dernire
+nuit, en m'en retournant, j'ai vu un _bogle_. Comme ce dernier mot
+cossais tait compltement inintelligible pour les jeunes dames, il
+leur fit entendre que c'tait un revenant, et qu'il ne voulait pas ce
+soir-l retourner Newsteadt. compter de l, il coucha toujours
+Annesley jusqu' ce que ses visites furent interrompues par une courte
+excursion Matlock et Castleton, dans laquelle il eut le bonheur
+d'accompagner miss Chaworth et ses parens. Voici la curieuse notice que
+l'on trouve de ce voyage dans l'un de ses livres-journaux:
+
+J'avais quinze ans quand il m'arriva, dans une caverne du duch de
+Derby, de traverser dans une barque, o deux personnes seulement
+pouvaient rester couches, un ruisseau qui coulait sous une roche; cette
+dernire tait tellement proche de l'eau, que nous fmes obligs de
+faire pousser la barque par un conducteur enfum, espce de Caron, qui
+se tenait derrire, entirement courb dans l'eau. J'avais alors pour
+second M. A. C., dont j'avais t passionnment amoureux sans le lui
+dire, mais non pas sans qu'elle le dcouvrt. Je me rappelle mes
+sensations, mais je ne puis les dcrire. Notre socit se composait de
+Mrs. W., des deux miss W...s, de M. et Mrs. Cl...ke, de miss R. et de ma
+M. A. C. Hlas! pourquoi dire _ma_? Notre mariage aurait apais des
+haines qui avaient fait couler le sang de nos pres; il aurait runi des
+proprits vastes et riches; au moins aurait-il runi un seul coeur et
+deux tres assez bien assortis pour l'ge (elle avait deux ans de plus
+que moi), et... et... et... qu'en est-il rsult?
+
+Miss Chaworth prenait ordinairement part aux danses du soir, Matlock,
+tandis que son amant restait la contempler, solitaire et mcontent. Il
+est possible que le dgot qu'il exprima toujours pour ce genre de
+plaisir soit venu de quelque sentiment amer prouv dans sa jeunesse en
+voyant la _dame de son coeur_ conduite par d'autres la danse joyeuse
+dont lui-mme tait exclu. Un jour que la jeune hritire d'Annesley
+avait eu pour cavalier une personne qu'elle n'avait jamais vue, Byron
+lui dit, d'un air de dpit, quand elle vint reprendre sa place:
+J'espre que vous aimez votre nouvel ami. Ces paroles taient peine
+prononces, qu'il se vit accost par une dame cossaise, d'une tournure
+dplaisante, qui vint se recommander lui comme cousine, et qui,
+mettant son orgueil la torture force de manires et d'expressions
+vulgaires, dcida la belle miss Chaworth lui dire son tour
+l'oreille: J'espre que vous aimez votre nouvelle amie. Annesley, il
+passait la plus grande partie de son tems faire des courses cheval
+avec miss Chaworth et sa cousine, ou plong dans une morne rverie, les
+mains occupes de son mouchoir; ou bien tirant contre une porte qui
+donne sur la terrasse, et qui conserve encore les vestiges de ses
+balles. Mais son plus grand plaisir tait de s'asseoir auprs de miss
+Chaworth lorsqu'elle faisait de la musique; son air favori tait la
+jolie chanson galloise _Maryanne_, sans doute principalement cause de
+son nom. Pendant tout ce tems, il avait la douleur de voir celle qu'il
+aimait, entirement occupe d'un autre amour; et comme il le dit
+lui-mme:
+
+Ses soupirs n'taient pas pour lui: pour elle il tait un frre, mais
+rien de plus.
+
+Il n'est pas mme probable, si le coeur de miss Chaworth et t libre,
+que Lord Byron et t choisi par elle comme un objet d'attachement.
+Deux ans de plus donnent une jeune fille une avance dans la vie,
+contre laquelle un homme ne peut pas lutter. Miss Chaworth ne voyait
+dans Byron qu'un collgien: ses manires taient d'ailleurs alors dures
+et peu sociables; elles n'avaient, comme je l'ai entendu rpter vingt
+fois, rien de flatteur pour les jeunes filles de son ge. Si dans un
+moment d'illusion il s'tait flatt d'inspirer quelque amour la jeune
+miss, il dut tre bientt dsabus par une circonstance note dans ses
+_Mmoires_ comme l'une des plus douloureuses humiliations auxquelles son
+infirmit l'et expos. Il entendit un jour miss Chaworth dire sa
+femme de chambre: Pouvez-vous croire que je me soucie jamais de ce
+petit boiteux? Ces mots, comme il l'a rappel lui-mme, furent un coup
+de foudre pour lui. Il tait nuit ferme quand il les entendit; mais il
+sortit l'instant de la maison, et, sans rien voir devant lui, il
+courut sans s'arrter jusqu' Newsteadt.
+
+La peinture qu'il a faite de cet amour, dans l'un de ses plus touchans
+pomes, _le Songe_, montre comment le gnie et la sensibilit peuvent
+lever les ralits de cette vie, et donner un lustre immortel aux
+objets et aux vnemens les plus communs. Sous le nom de l'_antique
+oratoire_, la vieille salle d'Annesley rappellera long-tems
+l'imagination la vierge et l'adolescent qui s'y trouvrent une fois
+runis; tandis que l'image du coursier de l'amant, bien que le type en
+ait t la race laborieuse et peu potique des chevaux de Nottingham,
+ajoute encore aux charmes gnraux de la scne, et jette sur le tableau
+une portion de la lumire que le gnie seul peut son gr rpandre.
+
+Au reste, ds cet ge encore tendre, il parat avoir eu assez
+d'exprience de la vie galante pour savoir comment les premiers trophes
+peuvent conduire en amour de nouvelles conqutes; il se glorifiait
+souvent, auprs de miss Chaworth, d'un noeud de cheveux que lui avait
+donn quelque beaut sensible (sans doute cette jolie cousine dont il
+parle avec tant de chaleur dans l'une des notes que nous avons cites).
+Dj, et il ne l'ignorait pas, il avait la beaut qui, malgr quelque
+tendance l'excessif embonpoint de sa mre, lui promettait cette
+expression particulire qui donnait ses traits tant de finesse et tant
+de charme. Mais avec les ftes de l't finit le rve de sa jeunesse: il
+ne vit plus qu'une fois miss Chaworth l'anne suivante, et il lui dit un
+dernier adieu, comme il le racontait souvent, sur cette montagne prs
+d'Annesley, qu'il a si bien dcrite dans son pome du _Songe_, comme
+tant _couronne d'un particulier diadme_[36]. Personne, l'entendre,
+n'aurait pu deviner tout ce qu'il prouvait, car sa contenance tait
+calme et ses sentimens comprims. La premire fois que je vous
+reverrai, lui dit-il en la quittant, vous serez sans doute Mrs.
+Chaworth[37]?--Je l'espre; telle fut sa rponse. C'tait avant cette
+entrevue qu'il avait crit au crayon, dans un volume des lettres de Mme
+de Maintenon, qui appartenait la jeune miss, les vers suivans:
+
+ [Note 36: Parmi les vers indits en ma possession, je trouve
+ les fragmens suivans, crits quelque tems aprs cette poque:
+
+ Collines d'Annesley, arides et nues, dans lesquelles s'gara
+ mon enfance imprudente, comme les temptes du nord grondent
+ et mugissent au-dessus de vos ombrages touffus! Aujourd'hui
+ les heures ne s'coulent plus dlicieusement dans ces
+ promenades chries; le sourire de Marie ne fait plus de vous
+ un paradis pour moi.]
+
+ [Note 37: Son mari prit en effet, pendant quelque tems, le
+ surnom de Chaworth.]
+
+Cesse, mmoire! de me tourmenter. Le prsent est aujourd'hui dcolor
+pour moi: l'avenir ne m'offre plus d'esprances; et quant au pass, par
+piti, cache-le-moi. Pourquoi ramener devant mes yeux ces images de ce
+que je ne reverrai pas? pourquoi me reprsenter ces dlicieux instans
+jamais vanouis? Le plaisir pass augmente la peine prsente; le regret
+de ce qui n'est plus se joint la douleur de ce qui est. Esprances,
+regrets, vous n'tes plus que de vains mots: je ne demande plus qu'
+vous oublier.
+
+L'anne suivante, miss Chaworth pousa l'heureux rival de Byron. M. John
+Muster, l'un de ceux qui se trouvaient prsens quand il en reut la
+premire nouvelle, raconte ainsi ce qui se passa alors en lui: J'tais
+prsent quand il apprit ce mariage, sa mre lui dit: _Byron, j'ai vous
+apprendre une nouvelle.--Eh bien, qu'est-ce?--D'abord, tirez votre
+mouchoir, car vous en aurez besoin.--Quelle absurdit!--Prenez, dis-je,
+votre mouchoir_ (il le fit pour lui plaire), _miss Chaworth est marie_.
+ ces mots une expression singulire et impossible dcrire se peignit
+sur sa ple figure; il remit violemment son mouchoir dans sa poche,
+puis, avec une affectation de froideur et de nonchalance: _Est-ce l
+tout?_ dit-il.--_Comment, je m'attendais vous voir accabl de
+douleur._ Il ne rpondit rien, et bientt aprs il ouvrit la
+conversation sur un autre sujet.
+
+Sa vie d'Harrow prsente les mmes particularits. Pendant toute sa
+dure, comme il le dit lui-mme, il tait toujours jouant, se
+rvoltant[38], _ramant_ et se livrant toute sorte d'espigleries.
+L'esprit de rvolte dont il parle ici (bien qu'il n'ait jamais t
+jusqu' lui inspirer des actes de violence) se manifesta l'occasion de
+la retraite du docteur Drury, quand, la place vacante, se prsentrent
+les trois candidats, Mark Drury, Evans et Butler. Dans le premier
+mouvement auquel cette rivalit donna lieu parmi les coliers, le jeune
+Wildman se montra la tte du parti de Mark Drury, tandis que Byron
+avait commenc par rester neutre. Mais dans l'esprance de l'avoir pour
+alli, l'un des membres de la faction Drury dit Wildman: Byron, je le
+sais, ne se joindra pas nous, parce qu'il ne veut jamais de la seconde
+place; mais vous pourriez, en lui donnant la premire, vous l'assurer.
+Wildman suivit cet avis, et Byron prit en effet le commandement de la
+faction.
+
+ [Note 38: Gibbon, parlant des coles publiques, dit: La
+ scne comique d'une rvolte de collge fait connatre, sous
+ leur vritable point de vue, les ministriels et les
+ indpendans de la gnration nouvelle. Mais de pareils
+ pronostics ne sont pas toujours srs; ainsi le doux et
+ paisible Addisson fut, tant au collge, chef d'un
+ soulvement.]
+
+La violence qu'il mit dans son opposition au choix que l'on fit de
+Butler, et surtout la vive affection qui l'unissait au dernier matre,
+contriburent aigrir les relations qu'il eut avec le nouveau directeur
+pendant le reste de son sjour Harrow. Par malheur, Byron rsidant
+dans les appartemens de Butler, les occasions de msintelligence taient
+on ne peut plus frquentes. Un jour le jeune rebelle, dans un accs de
+dfiance, arracha tous les grillages des fentres de la salle; et quand
+le docteur lui demanda le motif de cette violence, il rpondit, avec un
+grand sang-froid: Parce qu'ils obscurcissent la salle. Une autre fois
+il lui avoua hardiment la haine qu'il avait contre lui. Ce fut long-tems
+la coutume que le matre, la fin de chaque terme, invitt dner les
+lves les plus gs; et cette faveur, semblable aux invitations
+royales, tait en gnral regarde comme un ordre. Lord Byron cependant
+y rpondit par un refus; cela surprit beaucoup le docteur Butler, et,
+la premire occasion, il lui en demanda le motif devant les autres
+lves: Aviez-vous quelque autre engagement?--Non, monsieur.--Mais vous
+aviez donc une raison, Lord Byron?--J'en avais.--Et laquelle?--Parce que
+(rpliqua le jeune pair avec une fiert compose) s'il vous arrivait de
+passer dans mon voisinage tandis que je serais Newsteadt, je ne
+songerais certainement pas vous inviter dner; en consquence, je ne
+dois pas accepter une pareille invitation de votre part. En gnral
+l'ide qu'avaient de lui ses professeurs Harrow tait celle d'un
+enfant paresseux, qui ne voulait jamais rien apprendre; et si l'on fait
+attention ses habitudes ordinaires, on avouera que cette rputation
+n'tait pas dpourvue de fondement. Il est impossible de jeter les yeux
+sur les livres dont il se servait, et qui sont couverts de translations
+interlignes, sans tre frapp de l'absence de son attention. Les mots
+grecs les plus ordinaires ont leur traduction anglaise barbouille
+leur ct, et cette circonstance prouve bien qu'il ne les connaissait
+pas assez pour les traduire de mmoire. Ainsi, dans son Xnophon, nous
+trouvons [Grec: neoi], _jeunes_, [Grec: smasin], _corps_, [Grec:
+anthrpois tois agathois], _bons hommes_, etc., etc.; et mme, dans les
+volumes de pices grecques qu'il vendit en partant la bibliothque du
+collge, nous remarquons, entre autres exemples, le mot usuel [Grec:
+chrousos] flanqu de son synonyme anglais (or).
+
+Mais quelque faibles que fussent ses progrs dans les matires purement
+scolastiques auxquelles nous consacrons en pure perte une si prcieuse
+portion de la vie[39], il n'en montrait pas moins des dispositions
+merveilleuses pour tous les genres varis d'instruction qui ne sont
+utiles que dans le monde. N avec un esprit trop scrutateur et trop
+vagabond pour tre facilement emprisonn dans des limites dtermines,
+il s'attachait des sujets qui dj intressaient ses gots virils, et
+que ne pouvait comprendre l'esprit purement pdantesque d'une cole;
+mais ses accs irrguliers et violens de travail, dans cette direction,
+donnaient son intelligence une impulsion bien plus haute que celle de
+ses condisciples les plus laborieux. La liste qu'il a faite de tous les
+ouvrages divers dont il avait la hte, et de son propre choix, dvor
+les pages, avant d'atteindre sa quinzime anne, est tellement
+considrable, qu'on a de la peine y ajouter foi; et elle prsente une
+telle masse de recherches, qu'elle pourrait dfier les plus vieux
+_helluones librorum_.
+
+ [Note 39: Il est dplorable de songer la perte de tems que
+ l'on fait subir aux enfans dans la plupart des collges, en
+ les occupant pendant six ou sept ans apprendre seulement
+ des mots, et encore d'une manire fort imparfaite.
+ (COWLEY, _Essai_.)
+
+ Si un Chinois entendait parler de notre systme d'ducation,
+ ne supposerait-il pas que nous destinons tous nos jeunes gens
+ professer des langues mortes dans les pays trangers, et
+ non pas faire jamais usage de la ntre?
+ (LOCKE, _sur l'ducation_.)]
+
+Il ne faut pourtant pas croire, d'aprs l'tendue et l'activit de son
+esprit, que Byron pt de lui-mme choisir une direction privilgie;
+quel que soit, en effet, le plan d'instruction d'un jeune homme de
+talent dans les grandes coles et dans les universits d'Angleterre, il
+ne supplera pas compltement ce qui lui manque sous le rapport
+intellectuel, et pourra mme l'exposer des carts embarrassans et
+dangereux[40]. Dans la difficult ou mme l'impossibilit absolue qu'il
+trouvera combiner l'acquisition des connaissances pratiques avec les
+tudes de l'antiquit qui lui sont ncessaires pour obtenir les honneurs
+scolastiques, il devra choisir ou de porter toute son attention et ses
+voeux vers ce dernier objet, et alors il n'aura aucune ide de tout ce
+qui doit lui servir le plus dans le monde; ou d'adopter comme Lord Byron
+et d'autres personnages distingus le systme contraire, et consentir
+passer l'cole pour un lve incapable et paresseux, afin de se
+prparer des moyens de supriorit dans le monde.
+
+ [Note 40: Un excellent colier peut quitter les bancs de
+ Westminster ou d'Eton dans une ignorance complte du train de
+ vie et de la conversation du monde anglais, vers la fin du
+ dix-huitime sicle.
+ (GIBBON.)]
+
+Les _souvenirs_ inscrits par le jeune pote dans ses livres d'cole
+peuvent nous permettre de croire que dans un ge si tendre il prvoyait
+dj vaguement que tout ce qui se rapportait lui deviendrait par la
+suite un objet d'intrt et de curiosit. La date de son entre
+Harrow[41], le nom des enfans qui furent ses moniteurs, la liste des
+chefs de classe parmi ses condisciples sous le docteur Drury[42], tout y
+est not avec la dernire minutie, et comme pour former des points de
+retour pour l'histoire de sa vie. Un exemple touchant suffira pour
+montrer qu'il lui arriva plus d'une fois de s'arrter ces ides. Nous
+trouvons sur la premire page de ses _Scriptores grci_ la suivante note
+crite la main: George Gordon Byron, vendredi 26 juin, a. d. 1805,
+trois heures trois quarts de l'aprs-midi, classe de troisime, Calvert
+moniteur, Tem, Wildman ma gauche et Long ma droite.
+Harrow-la-Montagne. Et sur la mme feuille se trouve le commentaire
+suivant, crit cinq ans plus tard:
+
+ _Eheu fugaces, Posthume! Posthume!
+ Labuntur anni_.
+ B., 9 janvier 1809.
+
+ [Note 41: Byron, Harrow-la-Montagne, dans le Middlesex,
+ _alumnus schol lyonensis privus, in anno domini_ 1801,
+ _Ellison duce_.
+
+ Moniteur en 1801: Ellison, Royston, Hunxman, Rashleigh,
+ Rokeby, Leigh.]
+
+ [Note 42: Chefs de classe de Drury, 1804: Byron, Drury,
+ Sinclair, Clare, Bolder, Annesley, Calvert, Strong, Acland,
+ Gordon, Drummond.]
+
+Des quatre personnes dont les noms sont ici mentionns, l'une est
+morte, une autre est dans un climat lointain: tous sont spars: il n'y
+a pas cinq ans qu'ils taient ensemble runis dans la mme classe; et
+nul encore n'aurait atteint sa vingt et unime anne.
+
+Il passa les vacances de 1804[43] avec sa mre Southwell: Mrs. Byron
+tait venue s'y fixer pendant l't de cette anne, en quittant
+Nottingham, et elle avait choisi pour demeure la maison appele
+Burgage-Manor. On conserve encore Southwell, sous la date du 8 aot
+1804, une note dans laquelle on annonce que le jeu est retenu _par Mrs.
+et Lord Byron_. La personne qui appartenait la maison qu'ils
+habitaient tait un rentier possesseur d'une assez belle bibliothque;
+et le premier soin du jeune pote, comme il nous l'apprend, fut de la
+retourner compltement aussitt aprs son arrive Southwell. L'un des
+livres qui l'occuprent et l'intressrent davantage fut, et on le
+croira sans peine, la _Vie de lord Herbert de Cherbury_.
+
+ [Note 43: Pendant l'une des vacances de Harrow, il demeura
+ quelque tems dans la maison de l'abb de Rouffigny, dans
+ Took's court, avec l'intention d'y tudier la langue
+ franaise; mais, au dire de l'abb, il avait peu de got pour
+ cette tude, et, au grand dpit du rvrend matre, il
+ passait presque tout son tems faire des armes, boxer,
+ etc.]
+
+Il entra au mois d'octobre 1805 au collge de la Trinit Cambridge.
+Voici comme il dcrit les sentimens qu'il prouva en quittant sa chre
+Ida:
+
+Mon entre au collge me fit un effet singulier et pnible. D'abord
+j'tais tellement afflig de quitter Harrow, bien que le tems en ft
+arriv (ayant alors dix-sept ans), que pendant le dernier quartier que
+j'y passai, j'employais les heures, consacres au sommeil compter les
+jours que j'avais encore y rester. J'avais toujours _dtest_ Harrow
+jusqu'aux dix-huit derniers mois, mais ds ce moment je l'aimai. En
+second lieu je souhaitais d'aller Oxford et non Cambridge;
+troisimement je me trouvais tellement isol dans ce nouveau monde que
+je faillis en perdre la tte. Mes camarades n'taient pourtant pas
+insociables: au contraire, ils avaient de la bont, de la bienveillance,
+un rang, de la fortune, et une gat bien autre que la mienne. Je me
+joignais eux, je dnais, je soupais, etc., dans leur compagnie; mais
+je ne sais comment j'prouvais un sentiment le plus pnible, le plus
+mortel de ma vie, en pensant que je n'tais plus un enfant.
+
+Il fut sans doute quelque tems Cambridge en proie cette espce
+d'isolement; mais il n'tait pas dans sa nature de rester long-tems sans
+aimer quelque chose, et l'amiti qu'il forma bientt avec le jeune
+Eddleston, qui avait deux ans de moins que lui, surpassa mme en
+vivacit romanesque toutes ses autres liaisons de collge. Les
+dispositions musicales de cet enfant furent l'occasion de leur intimit.
+Il tait alors un des choristes de Cambridge, bien que par la suite il
+ait suivi une profession mercantile. Cette disconvenance de leur
+position respective n'tait pas sans charme pour Byron: elle flattait en
+mme tems son orgueil et son bon naturel, et tablissait entre eux des
+rapports mutuels de protection d'un ct, de reconnaissance et de
+dvouement de l'autre; seuls rapports qui, suivant Bacon, soient la base
+du peu d'amiti qui reste encore sur la terre. Ce fut sur un don que lui
+avait fait Eddleston qu'il crivit ces vers, intituls _la Cornaline_,
+qui taient imprims dans son premier volume rest indit; en voici une
+stance:
+
+ Quelques-uns souriant des liens qui nous unissent, m'ont
+ souvent reproch ma faiblesse; ce don lger a cependant le
+ plus grand prix mes yeux, car, j'en suis sr, je le tiens de
+ quelqu'un qui m'aime.
+
+Une autre liaison moins vive, commence Harrow, et continue pendant
+sa premire anne de Cambridge, est ainsi mentionne dans l'un de ses
+_journaux_:
+
+Que mes penses sont tranges! La lecture du chant de Milton, _belle
+Salvina_, m'a ramen, je ne sais comment ou pourquoi, aux jours les plus
+heureux peut-tre de ma vie (toujours excepts, de tems en tems,
+certains dimanches des deux derniers ts de Harrow). Je me retrouvais
+Cambridge avec Edward Nol et Long, qui fut plus tard dans les gardes:
+Long, aprs avoir servi avec honneur dans l'expdition de Copenhague
+(qui laisse encore vivre deux ou trois mille goujats gras et bien
+pays), fut noy en 1809, pendant son passage Lisbonne avec son
+rgiment dans le _Saint-George_, qui fut heurt la nuit par un autre
+vaisseau de transport. Nous tions des nageurs rivaux, galement
+passionns pour les chevaux, la lecture et les festins. Nous avions t
+ensemble Harrow, mais _l_ du moins il n'tait pas un esprit aussi
+intraitable que le mien; j'tais toujours alors le premier la paume,
+dans les rvoltes, les batailles, les parties, et tous les genres de
+dsordres; il tait, lui, beaucoup plus calme et mieux civilis. Mais
+Cambridge, soit que mon caractre s'adouct ou que le sien prt plus de
+roideur, il est certain que nous devnmes grands amis. La description du
+sige de Sabrina me rappelle nos mutuels exploits de plongeur. Bien que
+le Cam n'offre pas une onde vraiment _transparente_, et que l'endroit o
+nous nous jetions et quatorze pieds de profondeur, nous avions toujours
+soin, afin de mieux prouver nos avantages, de lancer avant nous des
+oeufs, des pices de vaisselle et mme des shillings. Il y avait entre
+autres, et je m'en souviens bien, dans le lit de la rivire o nous nous
+baignions le plus ordinairement, une souche d'arbre autour de laquelle
+j'aimais me glisser et m'tonner comment diable je me trouvais l.
+
+Le soir nous faisions de la musique, car il tait musicien et savait
+tirer un gal parti de la flte et du violoncelle. Je faisais partie de
+l'assistance et, si je ne me trompe, notre boisson de prdilection tait
+alors de l'eau de soude. Le jour nous courions cheval, nous nous
+baignions, nous causions, ou parfois prenions un livre. Je me rappelle
+l'avidit avec laquelle nous parcourmes le nouvel in-quarto de Moore
+(en 1806); le soir nous le lisions ensemble. Nous ne fmes runis qu'un
+t. Long entra dans les gardes l'anne que je passai Nottingham, au
+sortir du collge. Son amiti, et de ma part un violent et cependant pur
+amour, taient alors le roman de l'poque la plus romanesque de ma
+vie.....................................................................
+........................................................................
+
+Je me souviens qu'au printems de 1809 H***[44] me plaisantait de la
+tristesse que m'avait cause la mort de Long, et s'amusait faire des
+pigrammes sur son nom, qui prtait aux jeux de mots, tels que _long,
+court_, etc.; mais il eut bien le tems de s'en repentir trois ans de
+l, quand notre ami mutuel, et surtout le sien, Charles Matthews, se
+noya galement, et qu'il put lui-mme sentir combien mon affliction
+avait t lgitime. Pour moi, je ne rtorquai pas ces piquans jeux de
+mots; je sentais trop tout ce que je perdais dans Matthews, et, ne
+l'euss-je pas senti, j'aurais encore respect sa douleur.
+
+ [Note 44: Sans doute Hobhouse.]
+
+Le pre de Long m'crivit pour m'engager faire l'pitaphe de son
+fils: je le promis, mais je n'eus pas la force de la composer. Il tait
+de ces tres bons et aimables qui ne demeurent gure dans ce monde, dou
+de tous les talens et de tous les avantages qui pouvaient mieux le faire
+regretter. Cependant, quoique bon compagnon, il avait parfois d'tranges
+accs de mlancolie; je me souviens qu'un jour, allant chez son oncle,
+je l'accompagnai jusqu' la porte, c'tait dans le haut ou le bas
+Grosvenor ou Brook street, je ne sais plus lequel, mais c'tait srement
+dans une rue qui faisait suite quelque place: il me dit que la nuit
+d'auparavant il avait pris un pistolet sans savoir ou regarder s'il
+tait ou non charg, et qu'il l'avait dirig contre sa tte, laissant au
+hasard le soin de dcider s'il partirait ou non. La lettre qu'il
+m'crivit en passant du collge aux gardes, tait encore aussi
+mlancolique qu'on pouvait le supposer en pareil cas: mais son maintien
+naturel ne rvlait rien d'une pareille disposition; il tait doux et
+prvenant, il avait mme un grand penchant pour la gat. Nous tions
+fort lis Harrow, et mainte fois nous y sommes retourns de Londres
+pour nous mieux livrer nos souvenirs de collge.
+
+Ces mmoires affectueux sont extraits d'un journal qu'il tenait
+Ravenne pendant sa rsidence dans cette ville, en 1821. Les
+circonstances pendant lesquelles ils taient consigns, doivent nous les
+rendre encore plus touchans et plus remarquables. Il habitait une terre
+trangre; il tait mme en rapport avec des conspirateurs trangers,
+dont il cachait dans sa maison les armes au moment o il crivait.
+Cependant il lui tait possible de s'loigner ainsi des scnes qui
+l'entouraient, et de reporter ses penses sur le tems ancien, sur les
+amitis perdues de son enfance. Un anglais, M. Wathen, qui le vit dans
+l'une des villes d'Italie, ayant eu l'occasion de mentionner, en lui
+parlant, qu'il avait eu des rapports d'amiti avec Long, le noble pote,
+ds ce moment, lui prodigua les tmoignages d'une affection marque. Il
+lui parlait frquemment de Long et de ses bonnes qualits, jusqu' ce
+que des pleurs, qu'il ne pouvait arrter, lui couvrissent le visage.
+
+Il rejoignit sa mre Southwell, suivant son habitude, durant l't de
+1806, et c'est alors qu'il forma dans une socit rare, mais choisie,
+quelques liens d'intimit dont on chrit encore avec orgueil le
+souvenir. Si l'on excepte le court intervalle qu'il passa, comme nous
+l'avons vu, dans la socit de miss Chaworth, ce ne fut qu' Southwell
+qu'il eut jamais l'occasion de profiter de la douce influence de la
+conversation des femmes et de comprendre que la sphre vritable de
+leurs vertus c'est leur intrieur. Il fut admis dans le cercle de
+l'aimable et spirituelle famille Pigot comme s'il en et fait partie, et
+le jeune pote ne trouva pas seulement dans le rvrend John Becher[45]
+un critique fin et judicieux, mais un ami sincre. Il eut encore une ou
+deux autres familles, comme les Leacroft, les Houson, prs desquelles
+ses talens et la vivacit de son esprit furent toujours bienvenus; et la
+timidit orgueilleuse qui, pendant sa minorit, l'avait loign de toute
+relation avec les gentilshommes du voisinage, semble avoir disparu dans
+la petite et agrable socit de Southwell. L'une de ses amies les plus
+intimes cette poque m'a fourni les dtails suivans, sur la manire
+dont elle fit sa connaissance:
+
+ [Note 45: Citoyen qui depuis s'est distingu d'une manire
+ honorable par ses plans philanthropiques sur l'important
+ objet de l'amlioration du sort des pauvres.]
+
+La premire fois que je le vis, ce fut une runion chez sa mre; et
+telle tait sa timidit, qu'il fallut l'envoyer chercher trois fois
+avant de le dcider venir dans le salon, pour jouer avec les autres
+jeunes gens. C'tait un enfant gras et embarrass, portant les cheveux
+peigns sur le front, et ressemblant parfaitement la miniature que sa
+mre avait fait peindre par M. de Chambruland. Le lendemain matin, Mrs.
+Byron l'ayant conduit chez nous, il conserva son extrieur timide et
+rserv. La conversation tomba sur Chettenham, les amusemens et le
+thtre de cette ville, etc. Je rappelai que j'avais vu le rle de
+Gabriel Lackbrain parfaitement bien rempli. Quand sa mre partit, il la
+suivit en nous faisant une grande inclination; pour moi, rappelant
+encore la pice dont nous venions de parler, je lui dis: Bonjour,
+_Gaby_. Ces mots l'animrent aussitt, sa belle bouche s'ouvrit par un
+clat de rire, toute sa retenue s'vanouit pour toujours; et quand sa
+mre lui rpta: Eh bien, Byron, tes-vous prt? il rpondit que non,
+qu'elle pouvait s'en aller, et qu'il dsirait rester un peu plus
+long-tems. compter de l, il venait nous voir toutes les heures du
+jour, et se considrait chez nous parfaitement comme chez lui.
+
+C'est cette dame que fut adresse la premire lettre de lui qui soit
+tombe entre mes mains; il correspondait en mme tems avec plusieurs de
+ses amis d'Harrow, avec lord Clare, lord Powerscourt, M. William Peel,
+M. William Bankes, et d'autres encore. Mais on prvoyait peu alors
+l'intrt gnral qui se rattacherait un jour ces lettres d'coliers,
+et en consquence, comme j'ai dj eu l'occasion de m'en affliger, il
+n'en existe plus qu'un trs-petit nombre. La lettre dont j'ai parl,
+son amie de Southwell, ne contient rien de remarquable; mais, peut-tre,
+par cette raison-l mme, mrite-t-elle d'tre insre, comme servant
+montrer, par sa comparaison avec les suivantes, combien son esprit
+acquit rapidement de la confiance en lui-mme. Il y a vritablement dans
+ses premiers manuscrits un charme pour les yeux de la curiosit, qu'ils
+perdent ncessairement dans leur forme imprime; ils attestent
+videmment une ducation peu suivie; l'criture en est informe et
+enfantine; on trouve mme, et l, de grosses fautes d'orthographe
+sous la plume de celui qui, quelques annes plus tard, devait s'lancer
+comme l'un des gans de la littrature anglaise.
+
+
+
+
+LETTRE PREMIRE.
+
+ MISS ***.
+
+Burgage-Manor, 29 aot 1804.
+
+
+J'ai reu les armes, ma chre miss, et je vous remercie beaucoup de la
+peine que vous avez prise. Il est impossible que je puisse y trouver le
+moindre dfaut. La vue des peintures me charme pour deux raisons: la
+premire, parce qu'elles serviront orner mes livres, et la seconde
+parce qu'elles me prouvent que _vous_ ne m'avez pas encore entirement
+_oubli_. Cependant je suis fch que vous ne reveniez pas plus tt.
+Voil dj un sicle que vous tes partie. Peut-tre partirai-je pour
+Londres avant que vous en sortiez, mais je ne l'espre pas. Vous ne
+pensez plus mon cordon de montre, ma bourse; je dsire pourtant bien
+les avoir. Votre petite lettre me fut remise par Harry, au spectacle, o
+j'accompagnais miss L*** et le docteur S***, et je reviens l'instant
+pour vous rpondre avant de me coucher. Si je suis Southwell quand
+vous y viendrez, et je dsire sincrement que ce soit bientt, car je
+regrette beaucoup votre absence, je me fais une fte de vous entendre
+chanter mon air favori _la vierge de Lodi_. Ma mre se joint moi pour
+vous prier de nous rappeler l'affection de Mrs. Pigot, et croyez-moi,
+ma chre miss, votre affectionn ami:
+
+BYRON.
+
+_P. S._ Si vous jugiez propos de me rpondre, je m'estimerais
+extrmement heureux. Adieu.
+
+2e _P. S._ Comme vous tes, dites-vous, novice dans l'art de tricoter,
+j'espre que vous ne vous en occupez gure; allez lentement, mais
+srement. Adieu encore une fois.
+
+Nous aurons souvent occasion de remarquer la constance que Lord Byron,
+d'ailleurs si versatile, manifesta toujours dans les gots et les
+habitudes de sa jeunesse. La lettre que nous venons de citer rappelle
+deux de ses habitudes, qu'il conserva toute sa vie; savoir, son
+exactitude rpondre sur-le-champ aux lettres qu'il recevait, et sa
+passion pour la musique des plus simples ballades. L'un des chants qu'il
+avait alors le bon got d'aimer le mieux tait celui de _la Duenna_; et
+quelques-uns de ses contemporains de Harrow se rappellent encore la
+gat avec laquelle, lorsqu'il dnait au milieu de ses amis chez la
+fameuse mre Barnard, il entonnait ordinairement: _Ce vin est le soleil
+de notre table_. Son sjour Southwell, pendant cet t, fut
+interrompu, vers le commencement d'aot, par l'un de ces emportemens
+auxquels, ds son berceau, Mrs. Byron ne l'avait que trop accoutum, et
+que lui-mme, par son esprit intraitable, contribuait souvent faire
+clater. Dans les portraits qu'il trace de lui-mme, le pinceau qu'il
+emploie est si noir qu'il faut, dans la suivante description de son
+caractre, extraite de ses _Mmoires_, faire une large part
+l'exagration, comme l'exige son usage de _surcharger les ombres
+elles-mmes_.
+
+Du reste (il vient de mentionner son amour prcoce pour Marie Duff), je
+ne diffrais en rien des autres enfans: je n'tais ni grand, ni petit;
+ni lourd, ni smillant: j'tais de mon ge; ordinairement fort enjou,
+except dans mes humeurs noires, car alors j'tais un vrai dmon. Un
+jour, dans l'une de mes _rages silencieuses_, il fallut m'ter un
+couteau que j'avais pris sur la table, pendant le dner de Mrs. Byron
+(je dnais toujours avant elle), et dont j'allais me frapper la tte.
+Mais c'tait trois ou quatre ans de l, et peu de jours avant la mort
+du dernier lord Byron.
+
+Mon naturel apparent a certainement gagn dans ces derniers tems; mais
+je frmis, et je regretterai jusqu' ma dernire heure les consquences
+funestes de ma violence et de mes passions. Un vnement... mais peu
+importe... il en est d'autres auxquels il ne vaut gure mieux s'arrter,
+et que pourtant je ferai connatre de prfrence.
+
+Mais je n'aime pas les parenthses: mon naturel est maintenant plus
+retenu, rarement brusque; et quand il l'est, les suites n'en sont pas
+mortelles. C'est quand je me tais, et que je sens _plir_ mon front et
+mes joues, que je ne me connais plus; et alors.... mais, moins qu'il
+n'y ait sur le tapis une femme (je ne dis pas quelque, ou toutes
+femmes), je ne sors pas d'une apathie trs-supportable.
+
+On conoit qu'avec un caractre de ce genre et les accs violens de Mrs.
+Byron, le choc devait tre formidable. L'ge auquel tait parvenu notre
+pote, alors que l'impatience du frein s'empare de la jeunesse, devait
+rendre ces occasions plus frquentes. On rapporte comme une preuve de la
+conviction qu'ils avaient de leur mutuelle violence, qu'un jour, s'tant
+quitts la suite d'une scne du mme genre, on sut que tous deux
+s'taient rendus en particulier, le soir mme, chez l'apothicaire,
+demandant, avec une inquitude alternative, si l'autre n'avait pas
+achet du poison, et avertissant le droguiste de ne pas en donner dans
+le cas o il se prsenterait.
+
+Toutefois le jeune Lord prenait rarement une part active dans ces
+orages. Aux clats de sa mre il opposait un silence poli, et, par cela
+mme, provocateur; s'inclinant avec l'apparence du plus profond respect
+ mesure que la voix maternelle augmentait d'intensit. Mais en gnral,
+quand il prvoyait une tempte, il cherchait son salut dans la fuite; et
+c'est ce dernier expdient qu'il avait eu recours l'poque o nous
+sommes arrivs. Mais auparavant une scne avait eu lieu entre lui et
+Mrs. Byron, dans laquelle la violence de cette dernire l'avait porte
+des extrmits qui, malgr leur outrageuse inconvenance, n'taient pas
+rares avec elle. Le pote Young, dcrivant un caractre de cette espce,
+dit:
+
+ Les tasses et les soucoupes tourbillonnent dans l'air, pour
+ avertir que la dame est mcontente.
+
+En pareil cas, Mrs. Byron prfrait les pelles et pincettes, et plus
+d'une fois elle les lana bruyamment sur son enfant fugitif. Cette
+dernire fois, il n'eut que le tems d'viter l'atteinte de la premire
+de ces armes, et de se rfugier la hte chez un de ses amis dans le
+voisinage; l, ayant concert le plus sr moyen de djouer les
+poursuites, il ne tarda pas s'enfuir Londres. Les lettres que je
+vais transcrire furent adresses, immdiatement aprs son arrive,
+quelques amis de Southwell, dont la bienveillante intervention, dans
+cette circonstance, nous permet de croire qu'il n'avait pas se
+reprocher les torts de cet esclandre. La premire est adresse M.
+Pigot, jeune homme de son ge, qui venait d'arriver, l'occasion des
+vacances, d'dimbourg, o il suivait alors ses tudes mdicales.
+
+
+
+
+LETTRE II.
+
+ M. PIGOT.
+
+Piccadilly, 9 aot 1806.
+
+
+MON CHER PIGOT,
+
+Mille remercmens pour votre piquant rcit des derniers procds de mon
+_aimable Alecto_, qui maintenant enfin commence voir les suites de sa
+folie. Je viens de recevoir une ptre pnitentiaire, laquelle j'ai
+rpondu modrment, avec une sorte de promesse de revenir dans une
+quinzaine: ce que toutefois, entre nous, je ne compte pas faire. Son
+_charmant ramage_ doit avoir ravi ses auditeurs; car ses hautes notes
+sont parfaitement musicales: elles doivent faire un trs-bel effet
+pendant un beau clair de lune. Si j'avais t l'un des spectateurs, rien
+ne m'aurait fait plus de plaisir; mais figurer dans la pice comme l'un
+des acteurs, saint Dominique m'en prserve! Srieusement, j'ai de
+grandes obligations votre mre; et vous, ainsi que toute votre
+famille, mritez tous mes remercmens pour avoir si bien contribu mon
+vasion des mains de Mrs. Byron _furiosa_.
+
+Oh! que n'ai-je la plume d'Arioste pour reproduire en style d'pope
+les _cris_ de cette _terrible soire_, ou plutt laissez-moi invoquer
+l'ombre du Dante, car il n'y a que l'auteur de l'enfer qui puisse
+convenablement rpondre un tel projet. Mais peut-tre, dfaut de la
+plume, pouvons-nous recourir au pinceau. Quel groupe! Mrs. Byron, figure
+principale; vous, emplissant vos oreilles de coton comme le seul remde
+ une surdit totale; Mrs. *** s'efforant vainement de calmer la rage
+de la lionne prive de son nourrisson, et enfin lisabeth et Wousky,
+prodigieux raconter! tous deux spolis de leur partie de langue, et
+formant le dernier plan avec leur muette surprise. Comment S. B. a-t-il
+appris tout cela? Quelles _pointes_ il a d faire sur un aussi bouffon
+sujet! Apprenez-moi tout cela dans votre suivante, et comment vous vous
+tes excus auprs de A. Sans doute vous tes maintenant las de
+dchiffrer mes caractres hiroglyphiques, et comme Tony Lumpkil[46],
+vous me traitez de main maudite et sautillante. Je ne doute pas que tout
+Southwell ne soit scandalis. propos, comment va ma nonne aux yeux
+bleus, la belle ***? Est-elle _enveloppe dans la noire tunique de la
+douleur_? Je resterai ici au moins huit dix jours, vous recevrez mon
+adresse avant mon dpart; mais je ne sais encore laquelle. Il faut que
+Mrs. Byron ignore ma retraite; vous pouvez lui offrir mes complimens et
+lui protester que toutes poursuites seraient inutiles, attendu que je me
+suis mis en mesure de gagner Portsmouth la premire nouvelle de son
+dpart de Southwell. Vous pouvez ajouter que je suis maintenant la
+campagne, chez un ami, o je resterai une quinzaine.
+
+ [Note 46: Dans la comdie de la Coquette (_She stoops to
+ Conquer_.)]
+
+Je viens de barbouiller (je ne dis pas crire) une feuille de papier
+double, et j'attends en rponse un _norme budget_. Sans doute les dames
+de Southwell condamnent l'exemple dangereux que j'ai donn; elles
+tremblent que leurs bambins ne leur obissent plus et ne quittent au
+moindre dpit leurs tendres mamans. Adieu. Quand vous commencerez vos
+lettres, rayez, s'il vous plat, la _seigneurie_, et mettez la place
+Byron. Croyez-moi votre, etc.
+
+BYRON.
+
+On va voir par la lettre suivante que la _lionne_ n'tait pas en arrire
+de son fils pour l'nergie et la rsolution, et qu'aussitt aprs la
+fuite de ce dernier elle avait envoy aprs lui.
+
+
+
+
+LETTRE III.
+
+ MISS PIGOT.
+
+Londres, 10 aot 1806.
+
+
+MA CHRE BRIGITTE,
+
+J'ai dj ennuy votre frre de plus de griffonnage qu'il n'en pourra
+dchiffrer; c'est vous maintenant que je donne la pnible charge de
+parcourir cette deuxime ptre. Vous avez vu par la premire, que je
+n'avais pas, en l'crivant, la moindre fcheuse ide de l'arrive de
+Mrs. Byron; il n'en est plus de mme: la vue d'un billet de la _cause
+illustre_ de mon _dcampement soudain_ vient d'enlever _le rubis naturel
+de mes joues_, et de blanchir subitement ma dplorable figure. Le
+foudroyant avis de son arrive (maudite soit son activit!) est
+cependant moins terrible que vous ne l'imaginez, sans doute, du
+temprament volcanique de sa _seigneurie_. Il se termine par l'assurance
+flatteuse de l'impossibilit dans laquelle elle se trouve de faire
+prsentement un pas, grce la fatigue du voyage, aux mauvaises routes,
+mille fois bnies, et aux quadrupdes rtifs de la poste royale. Comme
+je ne me sens aucun entranement recevoir la chasse en plaine, je
+ferai de ncessit vertu; et puisque, semblable Macbeth, _ils mont li
+au poteau, je ne puis fuir_, j'imiterai ce courageux tyran, et, comme
+l'ours, je combattrai de pied ferme. Je puis prsent engager la lutte
+avec moins de dsavantage, ayant tir l'ennemi de ses retranchemens,
+bien qu'au hasard de me faire casser la tte, comme le modle auquel je
+viens de me comparer. Quoi qu'il en soit, _frappe, Macduff, et maudit
+qui le premier criera: Assez!_
+
+Je resterai dans la ville encore au moins une semaine, et j'espre
+avant ce tems recevoir de vos nouvelles. Je suppose que l'imprimeur vous
+a donn les rsultats de ma _Mtromanie_. Ayez soin de lire au premier
+vers: Les vents soufflent _longuement_, au lieu de _rondement_, comme
+l'a copi, par mprise, ce butor de Ridge, ce qui rend absurde toute la
+strophe. _Addio_. Maintenant je vais me prparer au choc de mon _Hydre_.
+
+Tout vous.
+
+
+
+
+LETTRE IV.
+
+ M. PIGOT.
+
+Londres, dimanche minuit, 10 aot 1806.
+
+
+CHER PIGOT,
+
+Cet effrayant paquet va sans doute vous pouvanter; mais ce soir ayant
+une heure de loisir, je l'ai employ crire les stances ci-incluses,
+que je vous prie d'envoyer Ridge pour qu'il les imprime _ part_ de
+mes autres pomes; car vous sentirez qu'il serait inconvenant de les
+offrir aux dames, et que par consquent aucune femme ne doit les voir
+dans votre famille. Mille pardons de la peine que je vous donne cette
+fois-ci et tant d'autres.
+
+Votre dvou.
+
+
+
+
+LETTRE V.
+
+ M. PIGOT.
+
+Piccadilly, 16 aot 1806.
+
+
+Je ne puis pas dire prcisment comme Csar, _veni, vidi, vici_:
+pourtant je pourrais m'appliquer la part la plus importante de sa lettre
+laconique; car bien que Mrs. Byron ait prit la peine de _venir_ et de
+voir, votre humble serviteur a vaincu. Aprs un engagement srieux de
+quelques heures, dans lequel la vivacit du feu de l'ennemi nous a fait
+prouver une perte considrable, nous avons fini par l'obliger se
+retirer en dsordre, abandonnant son artillerie, son train et quelques
+prisonniers: cette victoire est dcisive pour la campagne actuelle.
+Parlons maintenant plus clairement: Mrs. Byron va repartir, mais je me
+dirige moi-mme, avec tous mes lauriers, vers Worthing, sur la cte de
+Sussex; et c'est l que vous m'adresserez (poste restante) votre
+premire lettre. Le deuxime carillon de vers que j'enferme sous cette
+enveloppe vous donnera sans doute une haute ide des vertus prolifiques
+de ma muse; mais il y a plusieurs annes que je les ai composs, et
+c'est par hasard que je les ai retrouvs mardi, au milieu de vieux
+papiers. Je les ai aussitt recopis, avec la date qui leur appartient,
+et je dsire qu'on les imprime avec le reste de la famille. Je
+m'attendais bien vous voir, sur les derniers venus, les mmes
+sentimens que moi; mais comme les _faits_ taient rels, il tait
+impossible de rien changer leur allure. Je ne resterai pas Worthing
+plus de trois semaines, et il serait possible que vous me vissiez
+Southwell vers le milieu de septembre..................................
+.......................................................................
+
+Voulez-vous prier Ridge de suspendre l'impression de mes posies
+jusqu' nouvel avis de ma part? j'ai rsolu de leur donner une forme
+entirement nouvelle: cette suspension ne regarde pas les deux dernires
+pices que j'ai jointes mes lettres pour vous. Excusez le vide de
+cette lettre, ma tte est dans ce moment-ci un chaos d'ides absurdes,
+d'affaires, de plans et de prparatifs.
+
+J'attends une rponse avec impatience; rien, dans ce moment, veuillez
+le croire, ne me ferait plus de plaisir qu'une lettre de vous.
+
+
+
+
+LETTRE VI.
+
+ M. PIGOT.
+
+Londres, 18 aot 1806.
+
+
+Je suis prcisment sur le point de partir pour Worthing, et je vous
+cris uniquement pour vous prier de faire partir sur-le-champ ce
+paresseux drle de Charles avec mes chevaux. Dites-lui que je suis fort
+mcontent de ne l'avoir pas encore vu, ni reu avis de la cause de son
+retard, surtout lui ayant fourni l'argent ncessaire pour son voyage.
+Qu'il ait soin de ne pas remettre d'un jour son dpart, sous aucun
+prtexte; et, si pour obir aux _caprices_ de Mrs. Byron (qui, je le
+prsume, continue toujours tourmenter sa petite monarchie), il jugeait
+ propos de ne pas suivre mes ordres positifs, il ne doit plus
+l'avenir se considrer comme mon service. Il m'apportera la note du
+chirurgien, et je l'acquitterai ds que je l'aurai reue. Je ne puis non
+plus concevoir qu'il n'ait pas averti Frank du triste tat de mes
+chevaux. Cher Pigot, pardonnez-moi ces brusques confidences, vous devez
+les attribuer la mauvaise conduite de ce _prcieux maraud_, qui, au
+lieu de suivre mes ordres, promne sa paresse dans les rues de ce
+pandmonium politique, Nottingham. Rappelez-moi votre famille et aux
+Leacroft, et croyez-moi, etc.
+
+_P. S._ Je vous charge du soin dsagrable de presser son voyage, en
+dpit mme des ordres de Mrs. Byron: il devra d'abord se rendre
+Londres, et de l Worthing, sans retard: C'est Londres qu'il faut
+envoyer tout ce que j'ai laiss; vous y adresserez galement mes
+posies, sans mme en rserver une copie pour vous et votre soeur,
+attendu que je veux leur donner une tout autre forme. Quand elles seront
+prtes, vous en aurez les prmices. Il ne faut pas, sous aucun prtexte,
+que Mrs. Byron les _voie_ ou les touche. Adieu.
+
+
+
+
+LETTRE VII.
+
+ M. PIGOT.
+
+Little-Hampton, 26 aot 1806.
+
+
+J'ai reu ce matin votre lettre, qu'il m'a fallu envoyer chercher
+Worthing, que je viens de quitter pour cet endroit, situ huit milles
+du premier, et sur la mme cte. Vous serez sans doute content de
+recevoir cette lettre, quand vous y aurez vu que je suis plus riche de
+trente mille livres qu' notre dpart: je viens de recevoir de mon
+avocat l'avis du gain d'une cause aux assises de Lancastre[47], par
+lequel je me trouve gratifi de cette somme pour le tems de ma majorit.
+Mrs. Byron est, sans doute, instruite de ce surcrot de proprit, mais
+elle n'en connat pas la _valeur_ exacte, et il serait bon qu'elle
+continut l'ignorer, car sa conduite, ds qu'elle reoit quelque
+nouvelle favorable, est, s'il est possible, plus ridicule que sa
+dtestable habitude de s'affecter des plus lgers contre-tems. Vous lui
+ferez mes complimens, et lui direz qu'une seule chose peut prolonger mon
+absence, c'est l'arrt qu'elle a mis sur les effets de mon domestique:
+moins qu'elle ne les fasse immdiatement partir pour Piccadilly, avec
+ceux qui m'appartiennent, et qu'elle a si long-tems retenus, elle ne
+verra pas de sitt ma radieuse figure illuminer son obscure demeure;
+mais si elle les envoie, je reviendrai probablement avant deux ans,
+partir de la date de cette ptre.
+
+ [Note 47: Dans un procs entrepris pour rentrer dans la
+ proprit de Rochdale.]
+
+Votre compliment potique est une prcieuse rcompense de mes prludes;
+vous tes du petit nombre des favoris d'Apollon qui cultivent toutes les
+sciences auxquelles prside votre divinit. Je dsire que vous adressiez
+de suite mes posies mon htel, Londres; j'y veux faire plusieurs
+changemens et quelques additions: il faut envoyer toutes les copies que
+vous en aurez; dcid, comme je suis, perfectionner le tout, et vous
+les reprsenter dans toute leur gloire. Vous les avez, je l'espre,
+retires des mains de ce _triple Upas_, de cet antipode des arts, Mrs.
+Byron. Entre nous, vous pouvez compter me voir bientt. Adieu. Tout
+vous.
+
+On peut voir par ces lettres que Lord Byron songeait dj prparer
+l'impression de ses posies. L'ide de les publier s'offrit lui, pour
+la premire fois, dans une maisonnette qu'il avait adopte pour demeure
+pendant ses visites Southwell. Miss Pigot, qui auparavant ignorait son
+got pour la versification, lisait un jour devant lui les posies de
+Burns; tout--coup le jeune Byron lui dit que lui aussi tait parfois
+pote, et qu'il allait lui crire quelques vers de ceux qu'il pouvait se
+rappeler. Aussitt il crivit au crayon ceux qui commencent par
+_j'esprais vivement tre uni toi_, qui se trouvent imprims, mais
+seulement dans le volume qui n'a pas t publi; il lui rcita encore
+les vers dont j'ai dj parl, _dans la salle, quand la voix de mes
+pres_, etc., pice si remarquable par la prdiction qu'elle contient de
+son illustration future.
+
+Depuis ce moment; il fut tout au dsir de se voir imprim; cependant son
+ambition se bornait encore faire circuler parmi ses amis un petit
+volume. Celui qui eut l'honneur de recevoir son premier manuscrit fut
+Ridge, libraire Newark; et, durant l'impression, le jeune auteur
+continuait lui envoyer de nouvelles pices avec tout l'empressement et
+toute la rapidit qu'il mit toujours dans ses autres compositions.
+
+Il ne fut pas long-tems sans revenir Southwell, comme il l'avait
+annonc dans la dernire lettre que nous avons donne; il en repartit
+encore au bout d'une ou deux semaines, pour accompagner son jeune ami
+Pigot jusqu' Harrowgate. Nous empruntons les extraits suivans une
+lettre crite dans le mme tems, par ce dernier, sa soeur. Il y a
+encore beaucoup de monde Harrowgate, aujourd'hui vendredi; nous avons
+un bal, je songe y paratre pendant une heure, bien que je ne sois
+gure curieux de figures inconnues. Lord Byron, vous le savez, est
+encore plus timide que moi; cependant je ferai ce soir un effort...
+Comment vont nos rles de thtre? Lord Byron sait tout le sien, et moi
+la plus grande partie du mien: il est certain qu'il le joue d'une
+manire inimitable; il _potise_ en ce moment, et depuis que nous sommes
+arrivs il a fait quelques vers vraiment jolis[48]. Il a la bont de
+tout faire pour m'amuser autant que possible, mais il n'est pas dans mon
+naturel d'tre heureux hors de la socit des femmes ou de l'tude... Il
+y a dans les environs plusieurs promenades agrables; je les ai
+parcourues avec Boatswain, qui fait, ainsi que Brighton[49],
+l'admiration universelle. Vous lirez cela Mrs. Byron, car c'est un peu
+dans le style de _Tony Lumpkin_. Lord Byron veut que je lui garde un peu
+de place; c'est pourquoi, croyez-moi avec le respect d tous les
+comdiens lus, etc., etc.
+
+ [Note 48: La pice _ une belle Quaker_, de son premier
+ volume, fut crite Harrowgate.]
+
+ [Note 49: Cheval de Lord Byron; il en avait encore un autre
+ alors appel Sultan.]
+
+ cette note taient joints les mots suivans de Lord Byron.
+
+MA CHRE BRIGITTE,
+
+Je descends un instant de mon Pgase, ce qui m'empche d'avoir
+long-tems recours la vile prose dans l'ptre que j'adresse votre
+_beaut_. Vous regrettez, dans une lettre prcdente, que mes posies ne
+soient pas plus tendues; je vous apprends donc, pour votre
+satisfaction, qu'elles sont maintenant presque doubles, soit par la
+dcouverte de quelques pices regardes comme perdues, soit par l'effet
+de nouvelles inspirations. Nous nous reverrons mercredi prochain;
+jusqu'alors, croyez-moi votre affectionn,
+
+BYRON.
+
+_P. S._ Votre frre Jean est possd d'une manie potique, il rime
+maintenant raison de trois lignes par heure; ce que c'est que
+l'inspiration! Adieu.
+
+Grce la personne qui tait alors le compagnon, l'ami intime de Lord
+Byron, et qui maintenant exerce sa profession avec tout le succs que
+mritent ses talens distingus, j'ai t initi dans quelques autres
+particularits de leur commune visite Harrowgate: on me permettra
+d'employer, pour en faire part, ses propres expressions:
+
+Vous me demandez de rappeler quelques anecdotes du tems que nous
+passmes ensemble Harrowgate, pendant l't de 1806, et notre retour
+du collge, lui de Cambridge, moi d'dimbourg; mais tant d'annes se
+sont coules depuis, que je n'entrevois plus ce voyage que comme un
+songe lointain. Nous partmes, je m'en souviens bien, dans la voiture de
+Lord Byron, trane par des chevaux de poste: il avait fait partir son
+_groom_ avec deux chevaux de selle et un superbe et froce boul-dogue
+appel Nelson. Quant Boatswain[50], il nous suivait, ct de Frank,
+sur le coffre de la voiture. Le boul-dogue Nelson portait une muselire;
+mais cependant quelquefois il entrait dans notre appartement sans cette
+prcaution, mon grand ennui, bien que lui et son matre fussent
+enchants de mettre tout en dsordre dans la salle. Il y avait toujours
+un fonds de jalousie haineuse entre ce Nelson et Boatswain; et chaque
+fois que celui-ci rencontrait l'autre dans la chambre, ils en venaient
+aussitt aux prises. Alors Byron, moi-mme, Frank et tous ceux qui se
+trouvaient l, travaillions de toutes nos forces les sparer: ce que
+nous n'obtenions gure qu'en leur jetant dans la gueule la pelle et les
+pincettes. Mais un jour Nelson s'chappa par malheur de la salle,
+dmusel; il s'lana dans l'curie, se jeta au cou d'un cheval, et ce
+fut inutilement qu'on voulut lui faire lcher prise. Les valets
+d'curie, alarms, coururent chercher Frank, qui prenant un pistolet de
+Wogdon, que son matre tenait toujours charg dans sa chambre, le tira
+dans la tte du pauvre Nelson. Lord Byron en eut le plus grand regret.
+
+ [Note 50: Chien favori pour lequel Lord Byron fit dans la
+ suite la fameuse pitaphe.]
+
+Nous habitions l'_htel de la Couronne_, au bas de Harrowgate. Nous
+dnions toujours dans la salle commune, mais aussitt aprs nous nous
+retirions, car Byron n'aimait gure boire plus que moi. Nous vivions
+retirs et faisions peu de connaissances, car il tait _vraiment_
+timide, ce qu'on prenait pour de l'orgueil quand on ne le connaissait
+pas. Nous rencontrmes par hasard le professeur Hailstone de Cambridge,
+ce qui parut lui faire grand plaisir. Le professeur habitait le haut
+Harrowgate; nous allmes le prendre un soir pour aller au spectacle, et
+une autre fois Lord Byron lui envoya son quipage pour le conduire un
+certain bal de Granby. Cet empressement faire un accueil l'un de ses
+professeurs prouve, en dpit de son penchant critiquer l'ducation
+universitaire et exagrer les dfauts de la vieille discipline
+laquelle on soumet les sous-gradus, qu'il avait cependant l'habitude de
+tmoigner son respect aux personnes qui l'exeraient. Je l'ai toujours
+entendu parler avec les plus grands loges de Hailstone, aussi bien que
+de Bishop, Mansel du collge de la Trinit, et d'autres encore dont j'ai
+oubli le nom.
+
+Peu de gens apprciaient Lord Byron, mais je sais que son coeur tait
+naturellement bienveillant et sensible, et qu'il n'avait pas le plus
+petit mlange de mchancet dans le caractre[51].
+
+ [Note 51: Lord Byron et le docteur Pigot s'crivirent encore
+ pendant quelque tems, mais ils ne se virent plus jamais
+ compter de leur dpart de Harrowgate, l'automne suivant.]
+
+On voit, par ses lettres de Harrowgate, qu'il songeait organiser un
+thtre; il s'en occupa aussitt aprs son retour Southwell, et ce fut
+pour lui une source infinie de plaisirs. On peut juger, par le fragment
+d'une lettre adresse son compagnon, avec quelle impatience toutes les
+personnes charges d'un rle attendaient son retour:
+
+Dites Lord Byron, si quelque accident retardait son retour, que sa
+mre souhaite qu'il lui crive; et combien elle serait malheureuse s'il
+ne se montrait pas au jour fix. M. Wil. Banks a crit Mrs. H. pour
+lui offrir le rle de _Henry Woodville_. M. et Mrs. *** n'approuvent pas
+que leur fils soit l'un des acteurs; mais je crois qu'il ne persistera
+pas moins. M. G. W. dit que, pour ne pas faire manquer la partie, il
+prendrait plutt, pour nous obliger, un emploi, comme de chanter, de
+danser, ou enfin quelque autre chose. Il n'y a rien faire jusqu'au
+retour de Lord Byron, et rellement il ne faut pas qu'il revienne plus
+tard que mercredi ou jeudi.
+
+Nous avons dj vu qu' Harrow, le seul point qui le distingut de ses
+condisciples tait son talent pour la dclamation. Il revient avec une
+vidente satisfaction sur ses succs de collge et sur la part qu'il
+prenait ces reprsentations de Southwell:
+
+J'tais, dans ma jeunesse, considr comme un bon acteur, outre les
+exercices de Harrow, dans lesquels je brillais. Je remplis, en 1806,
+pendant trois soires conscutives, sur quelques thtres particuliers
+de Southwell, le rle de Penruddock, dans _la Roue de Fortune_, et celui
+de Tristram Fickle dans la farce de _la Girouette_, par Allingham. J'y
+recueillis les plus vifs applaudissemens. Le prologue, fait l'occasion
+de notre runion comique, tait de ma composition. Quant aux autres
+acteurs, c'taient de jeunes dames et des personnes du voisinage. Notre
+auditoire bienveillant parut compltement satisfait de nous.
+
+Peut-tre ici ne sera-t-il pas inutile de remarquer qu'en remplissant
+deux rles opposs avec un gal succs, le jeune pote dveloppait
+ds-lors cet amour et cette puissance de contraste qui, plus tard, le
+signalrent dans le monde et sur un plus grand thtre sous des aspects
+si divers. La morosit de Penruddock et la causticit de Tristram sont
+en effet deux types auxquels semblent se rapporter toutes les
+singularits de son caractre postrieur.
+
+Ces reprsentations forment une re mmorable Southwell; elles eurent
+lieu sur la fin de septembre, dans la maison de M. Leacroft, dont
+l'antichambre fut, pour cet effet, transforme en salle de spectacle, et
+dont la famille remplissait quelques-uns des plus beaux rles. Le
+prologue, que l'on peut lire dans ses _Heures d'oisivet_, fut compos
+par Lord Byron, en voiture et sur la route d'Harrowgate. En montant dans
+la chaise, Chesterfield, il dit son compagnon de voyage: Pigot, je
+vais tramer un prologue pour notre reprsentation, et avant de gagner
+Mansfield il avait achev son travail, n'ayant qu'une seule fois
+interrompu sa versifiante rverie pour demander la prononciation prcise
+du mot franais _dbut_; quand on la lui dit, il s'cria avec
+l'enthousiasme de Byshe: Bien! ce sera pour rimer avec _new_.
+
+L'pilogue fut dans cette occasion compos par M. Becher; c'tait, pour
+donner Lord Byron l'occasion de dvelopper ses talens comiques, une
+runion de gais portraits de toutes les personnes qui avaient pris part
+ cette reprsentation. Mais on avait eu, dans les coulisses, quelque
+indice de ce projet; soudain la crainte du ridicule rpandit l'alarme
+chez tous les acteurs, et, pour les rassurer, l'auteur se vit oblig de
+promettre que, si aprs la rptition ils venaient en condamner les
+traits, il le retirerait de bonne grce. Cependant Lord Byron et lui
+convinrent de rpter les vers devant leurs camarades, dans un ton aussi
+innocent et aussi inoffensif que possible, rservant pour le soir de la
+reprsentation le jeu de pantomime qui faisait tout le sel de la
+plaisanterie. L'effet dsir fut produit; tous les acteurs satisfaits
+tmoignrent leur tonnement de ce qu'on avait pu souponner
+l'inconvenance d'un ouvrage aussi estimable. Mais leur surprise fut
+d'une nature tout--fait diffrente, quand ils entendirent, le
+lendemain, les bruyans clats de rire de l'auditoire; et quand ils
+virent le tour que leur avait jou Lord Byron, ils n'eurent d'autre
+ressource que de joindre leurs rires ceux que l'imitation de leurs
+traits excitait dans l'assemble.
+
+Ce fut au mois de novembre que le petit volume de posies, dont il
+s'occupait depuis quelque tems, fut lanc dans le cercle troit auquel
+il tait destin. M. Becher en reut le premier exemplaire[52].
+L'ascendant que son amour pour la posie, son esprit juste et sociable,
+lui donnaient dans ce tems sur Lord Byron, lui permettait frquemment de
+diriger le got de son jeune ami, autant en matire de conduite que de
+littrature. Je citerai un exemple de la puissance de cet ascendant; il
+prouvera que le caractre de Byron tait loin d'tre intraitable, et que
+s'il avait eu plus souvent le bonheur de tomber dans des mains _habiles
+ toucher cet instrument_, elles en eussent tir une expression douce
+aussi bien qu'nergique.
+
+ [Note 52: Il ne reste de cette dition in quarto, compose
+ d'un petit nombre de feuilles, que deux ou trois copies.]
+
+ l'instant de marquer ainsi sa place dans la littrature lgre du
+jour, il tait naturel que Lord Byron revnt avec plaisir sur les
+ouvrages qui semblaient le plus en harmonie avec sa jeunesse et son
+caractre. On dit que ses livres favoris taient alors le Camons de
+lord Strangford et les pomes de Little[53]; souvent son respectable ami
+lui avait justement reproch ce got particulier; il lui reprsentait
+avec raison (du moins quant au dernier de ces deux auteurs), combien il
+lui tait facile de trouver dans les vieilles illustrations littraires
+de l'Angleterre de plus srs modles de penses et de style. Au lieu de
+perdre son tems sur les productions phmres de ses contemporains, que
+n'tudiait-il les pages de Milton et de Shakspeare, et surtout que ne
+songeait-il lever son imagination et son jugement par la
+contemplation des plus sublimes beauts de la Bible? Mais quant ce
+dernier point, M. Becher reconnut que Lord Byron avait prvenu depuis
+long-tems ses avis, et qu'il avait une profonde connaissance des beauts
+de l'criture sainte. Cette circonstance fortifie encore le compte rendu
+par son premier matre, le docteur Glennie, de ses grands progrs dans
+les livres sacrs lorsqu'il n'tait encore qu'un enfant.
+
+ [Note 53: On sait que Thomas Moore s'tait cach sous ce nom
+ dans ses premires posies rotiques.
+ (_Note du Tr._)]
+
+M. Becher, comme je l'ai dit, reut le premier exemplaire de son livre;
+en le parcourant, et parmi plusieurs pices dignes d'admiration, d'loge
+ou de critique, il trouva un pome dans lequel le jeune auteur avait
+rpandu une indcence de coloris, que ne pouvait pas mme rendre
+excusable sa grande jeunesse. Aussitt, et pour lui exprimer son opinion
+d'une manire plus courtoise, il fit et adressa Lord Byron sur ce
+sujet une supplique rime laquelle le noble pote fit sur-le-champ une
+rponse galement en vers; il y joignit une note en prose pour lui dire
+qu'il sentait parfaitement la justice de sa critique amicale, et qu'en
+consquence plutt que de laisser circuler le pome en question, il en
+retirerait toutes les copies qu'il avait pu dj distribuer, et
+annullerait l'impression entire. Ce sacrifice fut fait le soir mme; Mr
+Becher vit brler toutes les copies de cette dition, l'exception de
+celle qu'il avait reue, et une autre qui, envoye dimbourg, ne fut
+pas rendue.
+
+Ce trait du jeune pote parle assez haut en sa faveur; cette docilit
+ingnue, cette sensibilit, attestent un naturel capable de respecter et
+d'aimer tout ce qu'il y a de respectable au monde. Les sentimens qui lui
+dictrent, vers ce tems, la lettre suivante, ne portent pas un caractre
+moins aimable; il est impossible de la parcourir sans reconnatre dans
+l'crivain une noble candeur et une vritable sincrit.
+
+
+
+
+LETTRE VIII.
+
+AU COMTE DE CLARE.
+
+Southwell Nottes, 6 fvrier 1807.
+
+
+MON TRS-CHER CLARE,
+
+Si je voulais justifier ou du moins pallier ma ngligence, vous
+pourriez dire qu'au lieu d'une lettre vous avez reu un placet surcharg
+de prires fin de pardon; j'aime mieux en un seul mot avouer mes
+crimes, et me confier votre affection et votre gnrosit plutt
+qu' mes protestations. Ma sant n'est pas entirement rtablie:
+cependant je suis hors de tout danger, et j'ai repris toutes mes forces,
+si ce n'est celles de l'esprit fort susceptibles par elles-mmes
+d'affaiblissement. Vous serez tonn d'apprendre que j'aie dernirement
+crit Delaware pour lui expliquer (autant que possible sans
+compromettre quelques-uns de _mes vieux_ amis) les motifs de ma conduite
+ son gard pendant ma dernire rsidence Harrow (il y a deux ans de
+cela), laquelle, si vous vous rappelez, tait extrmement _en
+cavalier_[54]. Depuis j'ai dcouvert qu'il avait t injustement trait
+et par ceux qui avaient accus ses procds et par moi-mme qui avais
+cru leur suggestion. En consquence, je lui ai fait toutes les
+rparations possibles en expliquant ma mprise, sans toutefois grande
+esprance de le persuader: vritablement je n'attendais pas de rponse,
+tout en dsirant qu'elle m'arrivt pour la forme; elle ne l'est pas
+encore, et sans doute elle ne viendra pas. Mais j'prouve du bien-aise
+intrieurement de mon procd, assez humiliant d'ailleurs pour les gens
+de ma nature; et je n'aurais pu dormir tranquille avec l'ide d'avoir,
+_mme involontairement_, fait injure quelqu'un. J'ai, autant qu'il
+m'tait possible, rpar cette injure, et l doit se terminer l'affaire.
+Que nous revenions ou non notre ancienne intimit, c'est une chose
+d'ailleurs fort secondaire.
+
+ [Note 54: On voit que Lord Byron, peu familiaris avec la
+ langue franaise, prend ici l'expression _en cavalier_, pour
+ synonyme de celle de _cavalire_.]
+
+Je viens de passer le tems au milieu de soins divers; j'ai fait
+condamner _l'exportation_ un domestique[55] qui me volait, chose en
+elle-mme fort dsagrable; j'ai jou sur un thtre de socit; j'ai
+publi un volume de posies ( la demande et l'unique usage de mes
+amis); j'ai fait l'amour; j'ai pris mdecine. Ces deux derniers
+amusemens n'ont pas eu _dans le monde_ un excellent effet; d'un ct mes
+attentions se partagrent entre tant de belles _demoiselles_, et de
+l'autre les drogues qu'on me fit avaler taient d'une vertu si
+complique, qu'entre Vnus et Esculape je me suis trouv mortellement
+harass. J'ai pourtant assez de loisir pour consacrer quelques heures
+aux souvenirs du pass, pour regretter l'amiti et en mme tems profiter
+de l'occasion favorable pour vous assurer combien je suis et serai
+toujours, mon trs-cher Clare, votre sincre et parfaitement dvou,
+
+BYRON.
+
+ [Note 55: Son valet Frank.]
+
+Comme il se croyait oblig de remplacer les exemplaires de son livre
+qu'il avait redemands, et en mme tems de lever l'espce de stigmate
+dont on aurait pu fltrir son talent avort, il s'occupa promptement de
+prparer une seconde dition, et ce travail ne fut termin qu'au bout de
+six semaines. Mais au commencement de janvier nous le voyons en adresser
+un exemplaire son ami d'dimbourg, le docteur Pigot.
+
+
+
+
+LETTRE IX.
+
+ M. PIGOT.
+
+Southwell, 13 janvier 1807.
+
+
+Je devrais commencer par un million d'excuses; mais la varit de mes
+travaux en vers et en prose servira, je l'espre, justifier ma
+ngligence. Vous recevrez avec cette lettre un volume de tous mes
+_Juvenilia_, publis depuis votre dpart: leur nombre est beaucoup plus
+grand que dans l'exemplaire en votre possession, lequel je vous supplie
+d'anantir, celui que je vous envoie tant beaucoup plus complet. Ces
+_maudits_ vers ma pauvre Marie[56] ont t une source de
+mcontentemens auprs des dames d'un _certain ge_. Je ne les ai pas
+insrs dans cette dition, parce que je leur dois d'avoir t trait de
+_pcheur dhont_, enfin d'un nouveau _Moore_, par votre cher[57]... Je
+pense qu'on a en gnral accueilli favorablement ce volume, et sans
+doute l'ge de son auteur prviendra la svrit des juges.
+
+ [Note 56: Il ne faut pas confondre cette Marie avec miss
+ Chaworth ou Marie d'Aberdeen; tout ce que j'en puis dire,
+ c'est qu'elle avait dans le monde une position humble, sinon
+ quivoque; qu'elle avait de longs, de brillans cheveux
+ blonds, dont Byron aimait montrer ses amis une tresse
+ aussi bien que le portrait de celle qui les lui avait donns;
+ et qu'enfin c'est elle que furent adresss les vers des
+ _Heures d'oisivet_, intituls: _ Marie, en recevant son
+ portrait_.]
+
+ [Note 57: Le _respectable_ M. Becher, sans doute.
+ (_N. du Tr._)]
+
+Les aventures de ma vie de seize dix-neuf ans, et la dissipation au
+milieu de laquelle je me suis trouv Londres, ont donn mes ides
+une teinte voluptueuse; mais d'ailleurs les inspirations que j'ai eues
+ne comportaient gure un autre coloris. Ce volume _est singulirement_
+correct et miraculeusement chaste. propos, en parlant d'amour....
+
+Si vous pouvez trouver le tems de rpondre ce pot-pourri indigeste de
+sottises, vous ne doutez pas du plaisir qu'en recevra votre, etc.
+
+L'un de ses amis de collge, M. William Bankes, ayant vu, par hasard, un
+exemplaire du livre, lui avait adress une lettre o se trouvait expose
+l'opinion qu'il s'en formait. Voici la rponse de lord Byron:
+
+
+
+
+LETTRE X.
+
+ M. WILLIAMS BANKES.
+
+Southwell, 6 mars 1807.
+
+
+CHER BANKES,
+
+Votre critique m'est prcieuse plusieurs titres: d'abord c'est la
+seule o la flatterie ait fort peu de part, ensuite je suis _affadi_ par
+les complimens insipides. J'ai meilleure opinion de votre jugement et de
+votre mrite que de votre sensibilit. Recevez mes vifs remercmens pour
+la sincrit d'un jugement qui, pour tre entirement inattendu, n'en
+sera pas moins bienvenu. Pour ce qui est d'un examen plus exact, il est
+inutile de vous rappeler combien peu de nos _meilleurs_ pomes
+soutiendraient l'preuve d'une minutieuse critique de mots. On ne peut
+donc gure attendre d'un enfant (et la plupart de ces vers furent
+composs il y a dj long-tems) une grande perfection de sujet ou de
+style. Plusieurs pices furent crites sous l'influence d'un grand
+abattement d'esprit, d'une indisposition grave; de l, le tour sombre
+des ides. Nous sommes d'accord dans l'opinion que les posies rotiques
+sont les moins irrprochables; elles n'en furent pas moins agrables aux
+divinits sur l'autel desquelles je les dposai; c'est tout ce que je
+voulais.
+
+Le portrait de Pomposus fut dessin Harrow, aprs une _longue
+sance_; cela garantit la ressemblance ou plutt la caricature. C'est
+_votre_ ami, _il ne fut jamais le mien_; il est donc propos de m'en
+taire. Les rimes sur le collge ne contiennent pas de personnalits; on
+peut en voir dans l'une des notes, mais je ne pouvais la supprimer. Je
+ne doute pas qu'elles ne servent de prtexte au blme, juste punition de
+mon impit filiale envers une _alma mater_ aussi excellente. Je ne vous
+envoie pas mon livre dans la crainte de _nous_ placer, vous dans la
+situation de Gilblas, moi dans celle de l'archevque de Grenade: au
+risque des chances de l'preuve, je dsire laisser votre arrt toute
+son indpendance. Si je vous avais adress mon _libellus_ avant votre
+lettre, j'aurais sembl vouloir acheter un compliment, et je n'hsite
+pas dire que j'avais plus d'impatience de voir votre critique malgr
+sa svrit, que d'entendre un million de louangeurs. Le mme jour je
+reus les flicitations de Mackenzie, le clbre auteur de l'_Homme
+sensible_; laquelle, de _votre_ approbation ou de la _sienne_, me flatta
+le plus? c'est ce que je ne puis dcider. Vous recevrez mes _Juvenilia_,
+tous ceux, du moins, qui ont t publis. J'ai en manuscrit un gros
+volume que je pourrai, par la suite, donner part; prsent, je n'ai
+ni le tems ni la volont de le livrer l'impression. Le printems, je
+retournerai la Trinit pour enlever mes effets, et vous dire un
+dernier adieu; mes _pleurs_, dans cette circonstance, n'augmenteront
+gure le courant du _Cam_. Je mettrai profit dsormais vos remarques,
+malgr leur causticit ou leur amertume pour un palais gt par les
+_adulations sucres_. Johnson a dmontr qu'il n'y avait point de
+posies parfaites, mais il faudrait un Hercule pour travailler
+corriger les miennes. Franchement, je ne les avais pas revues depuis
+l'poque o je les composai; et si je les ai publies, ce n'a t qu'
+la prire de mes amis; mais on m'a tant parl du _genus irritabile
+vatum_, que nous n'aurons jamais, sur ce sujet, de querelle, la
+rputation de pote n'tant nullement le _but_ de mes voeux.
+
+Adieu. Tout vous,
+
+BYRON.
+
+Cette lettre fut suivie d'une autre, au mme M. Bankes, sur le mme
+sujet; il n'en reste malheureusement que les fragmens suivans:
+
+Pour ma part, j'ai bien souffert de la mort de mes deux meilleurs amis,
+les seuls tres que j'eusse jamais aims (les femmes exceptes); me
+voici rduit tre un animal solitaire, passablement misrable, et je
+me sens assez cosmopolite pour ne plus me soucier le moins du monde du
+lieu que j'habiterai, l'Angleterre ou le Kamtschatka. Je ne puis montrer
+une dfrence plus grande pour vos corrections qu'en les adoptant de
+suite; je les suivrai dans l'dition suivante. Je suis fch que vos
+remarques ne soient pas plus frquentes, convaincu de tout l'avantage
+que j'en pourrais galement retirer. J'ai, depuis ma dernire lettre,
+reu d'dimbourg deux jugemens trop flatteurs tous les deux pour que je
+puisse les rpter: l'un est de lord Woodhouselee, le premier et le plus
+_volumineux_ des littrateurs cossais (son dernier ouvrage est une _Vie
+de lord Kaymes_); le second est de Mackenzie, qui m'envoyait pour la
+seconde fois son sentiment, mais plus dvelopp. Je ne les connais
+personnellement l'un ni l'autre, et je n'ai jamais sollicit leur avis
+ce sujet: leurs loges sont volontaires; c'est un ami chez qui ils
+avaient lu mes vers qui me les a transmis.
+
+Contre mes premires intentions, je m'occupe en ce moment de la
+publication d'une nouvelle dition; les sujets d'amour seront retranchs
+et remplacs par d'autres; le tout, considrablement augment, paratra
+vers la fin de mai. C'est une preuve hasardeuse; mais le dfaut
+d'occupations plus graves, les encouragemens que j'ai reus, ma vanit
+personnelle, tout me porte la tenter, mais non sans de _vives
+palpitations_. Le livre sera lu dans ce pays, du moins par curiosit...
+Le reste manque.
+
+Voici la lettre modeste qu'il joignit l'exemplaire qu'il prsenta M.
+Falkner, propritaire de la maison qu'occupait sa mre.
+
+
+
+
+LETTRE XI.
+
+ M. FALKNER.
+
+
+MONSIEUR,
+
+Le volume qui accompagne cette lettre vous aurait dj t prsent, si
+l'indisposition de miss Falkner ne m'et pas fait craindre de rendre
+inconvenante l'offre de pareilles bagatelles. Vous y verrez quelques
+fautes d'impression que je n'ai pas eu le tems de corriger: vous avez
+donc une tche pnible, celle d'apercevoir et les fautes de l'auteur et
+celles dont il n'est pas coupable. De pareils _juvenilia_ ne peuvent
+esprer une approbation srieuse, mais j'ose esprer, pour la mme
+raison, qu'ils chapperont la svrit d'une critique intempestive,
+quoique peut-tre non mrite.
+
+Ces posies furent composes dans des tems et des circonstances
+diverses; elles n'ont t publies que pour un cercle d'amis
+bienveillans. Vous pouvez m'en croire, monsieur: si elles procurent le
+plus lger plaisir vous et mes autres _familiers_ lecteurs, j'aurai
+recueilli tous les lauriers que je souhaite pour la tte de votre tout
+dvou,
+
+BYRON.
+
+_P. S._ Miss Falkner est, je l'espre, en pleine convalescence.
+
+Malgr cette dclaration peu ambitieuse du jeune auteur, il avait en lui
+quelque chose qui l'empchait de s'arrter; et la rputation qu'il
+s'tait faite dans un cercle limit l'avait rendu plus avide de courir
+les chances d'une plus vaste lice. Les cent copies de cette premire
+dition taient peine distribues, qu'il revint avec une nouvelle
+activit chez son imprimeur, et c'est ainsi que parurent les _Heures de
+loisir_; il y joignit plusieurs pices nouvellement composes, il en
+retrancha une vingtaine de celles que renfermait son premier volume. Il
+est difficile d'expliquer cette svrit, la plupart des vers limins
+tant aussi beaux, sinon meilleurs que les autres.
+
+Il y a dans l'une des pices rimprimes parmi les _Heures de loisir_
+quelques corrections et additions assez curieuses, en ce qu'on peut les
+attribuer aux sentimens connus du pote sur l'illustration de naissance.
+L'_pitaphe d'un ami_ semble, d'aprs les vers que je vais citer, avoir
+t d'abord compose pour dplorer la mort de ce mme jeune fermier
+auquel il avait auparavant adress quelques vers affectueux reproduits
+plus haut:
+
+Quoique ton lot soit humble, puisque tu es n dans une chaumire; et que
+ton nom ne soit point orn de titres, ta simple amiti m'tait bien plus
+chre que toutes les joies que peuvent donner la richesse, la rputation
+et les amis du grand monde.
+
+Dans la nouvelle forme de cette pitaphe, non-seulement il supprima ce
+passage, mais tous ceux qui rappelaient encore l'humble rang de son
+jeune ami. Le premier des vers ajouts:
+
+ Et quoique ton pre dplore l'extinction de sa race,
+
+semble destin rappeler l'ide d'une haute position sociale, toute
+diffrente de celle que prsentait l'pitaphe primitive. L'autre pice,
+videmment adresse au mme enfant, et rappelant en termes quivalens
+l'obscurit de sa condition, ne se retrouve pas davantage dans les
+_Heures de loisir_. Qu'en approchant de l'ge viril il sentt mieux
+l'lvation de son rang, on peut le supposer, et ne voir qu'une suite de
+ces sentimens dans le soin qu'il mit cacher ses premires amitis de
+village.
+
+Ses visites Southwell n'ayant plus t, aprs ce tems, que rares et
+passagres, je saisis l'occasion de rappeler quelques traits varis de
+ses habitudes et de son genre de vie la mme poque. Dans les premiers
+instans de son sjour, sa timidit tait excessive, mais elle disparut
+mesure qu'il se lia davantage avec les jeunes gens; il finit mme par se
+trouver la plupart des assembles et des festins, et par tre mortifi
+quand il n'tait pas invit quelque _rout_. Toutefois il conservait
+encore son horreur des nouvelles figures; et s'il voyait des trangers
+approcher de la maison de Mrs. Pigot, quand il s'y trouvait, il et
+volontiers, pour les viter, saut par la fentre. Cette rserve
+naturelle, jointe une dose assez forte d'orgueil, l'loignait des
+gentilshommes du voisinage, auxquels, plus d'une fois, il lui arriva de
+ne pas rendre leur visite: l'gard de quelques-uns, sous prtexte que
+leurs femmes n'taient pas alles voir sa mre; de quelques autres,
+parce qu'ils avaient trop tard le voir lui-mme: mais la vraie raison
+de ce ddain, c'est qu'il ne voulait pas faire connaissance avec des
+voisins plus opulens que lui, et qu'il aimait les mortifier par la
+supriorit de son rang, comme il l'tait lui-mme par celle de leur
+fortune. Son ami M. Becher lui faisait de frquens reproches de cet
+esprit insociable; et un jour Lord Byron lui rpondit par des vers qui
+expriment parfaitement la hauteur avec laquelle son gnie volcanique
+considrait dj le monde; et comme le volume o se trouvent ces vers
+est devenu fort rare, je ne puis rsister au dsir d'en donner les
+passages suivans:
+
+Mon cher Becher, vous me dites de me mler la socit des hommes: je
+ne saurais nier que votre avis ne soit bon; mais la retraite convient
+mieux mon caractre, je ne veux pas descendre jusqu' un monde que je
+mprise.
+
+Si le snat ou les camps m'appelaient, l'ambition pourrait me faire
+sortir de mon heureux repos; et quand la jeunesse, ce tems d'preuve,
+sera pass, peut-tre je m'efforcerai d'illustrer mon nom.
+
+Le feu cach dans les flancs caverneux de l'Etna couve long-tems et
+fermente en secret, la fin un volume effroyable de flammes et de fume
+rvle son existence; alors il n'y a point de torrens qui puissent
+l'teindre, point de barrires qui puissent l'arrter.
+
+Oh! tel est le dsir de gloire qui dvore mon coeur, qui m'ordonne de
+vivre pour tre lou un jour de la postrit. Oh! si je pouvais comme le
+phnix prendre mon essor avec des ailes de feu, avec lui je serais
+content de mourir au milieu des flammes.
+
+Pour une vie comme celle de Fox, pour une mort comme celle de Chatham,
+quelles censures, quels dangers, quelles haines ne braverais-je pas?
+Leur vie ne s'est point termine avec leur dernier souffle, leur gloire
+anime et vivifie le silence de leur tombeau.
+
+Comme sa mre, il tait toujours en retard pour se lever et se mettre au
+lit; il conserva mme toute sa vie cette habitude. La nuit fut toujours
+aussi son heure favorite de travail, et sa premire visite, le jour
+suivant, tait ordinairement pour la belle amie qui lui servait de
+copiste, et laquelle il portait les fruits de sa prcdente veille;
+puis il se rendait chez son ami, M. Becher; de l dans une ou deux
+autres maisons, puis le reste du jour tait consacr ses exercices
+favoris; le soir, il passait le tems dans la famille Pigot, soit en
+conversation, soit entendre miss Pigot toucher le piano et chanter une
+srie d'airs qu'il admirait[58]. _La Vierge de Lodi_, avec les paroles:
+_Mon coeur palpite d'amour_, et cet autre: _Quand le tems, qui ravit nos
+annes_, taient, ce qu'il parat, ses airs favoris. Il s'tait fait
+ds-lors une douce habitude de cette existence rgulire, qui le
+ramenait priodiquement aux mmes occupations, et qu'il adopta pendant
+presque tout le tems de son sjour l'tranger.
+
+D'un autre ct, les exercices auxquels il demandait quelques
+distractions, dans de moins heureux jours, lui offraient alors des
+plaisirs sans mlange. La plus grande partie de son tems se passait
+nager, jouer aux barres, tirer au blanc et courir cheval[59].
+
+ [Note 58: Il aima toujours la musique, mais il ne sut jamais
+ bien excuter. Il est bien singulier, disait-il un jour la
+ mme dame, que je chante beaucoup mieux avec votre
+ accompagnement qu'avec tout autre.--C'est, rpondit-elle, que
+ je joue selon votre manire de chanter. C'est l en effet
+ tout le secret d'un habile accompagnateur.]
+
+ [Note 59: Un autre de ses jeux favoris tait _la balle
+ crosser_; et l'on ne pouvait s'empcher d'admirer la clrit
+ de sa course ce dernier exercice, en dpit de son pied
+ boiteux. Lord Byron, dit miss... dans une lettre son
+ frre, date de Southwell, vient de passer devant la fentre,
+ la batte sur l'paule, pour aller _crosser_ suivant sa chre
+ habitude.]
+
+Il n'tait pas fort expert dans ce dernier art, et l'on cite comme un
+exemple de son peu d'habitude des chevaux, qu'en voyant un jour passer
+deux, sous ses fentres, il s'cria: Les beaux chevaux! je voudrais les
+acheter.--Comment! ce sont les vtres, milord, rpondit son valet. Ceux
+qui l'avaient connu au tems o nous sommes, s'tonnaient beaucoup
+d'entendre plus tard parler de son adresse monter cheval; et la
+vrit, je suis du moins port le croire, est que jamais il ne fut un
+excellent cuyer.
+
+Nous avons dj vu, d'aprs ses propres paroles, qu'il excellait nager
+et plonger. Une dame de Southwell possde, entre autres prcieux
+objets qui lui ont appartenu, un d qu'il vint un matin lui emprunter au
+moment d'aller se baigner dans la Greet: en prsence du frre de cette
+dame, il l'avait jet et retir trois fois du fond de la rivire. Son
+habitude de s'exercer au tir fut un jour un sujet d'alarme pour une
+jeune et fort jolie personne, miss H., qui tait du grand nombre des
+beauts qui enflammaient Southwell son imagination. On trouve
+l'introduction suivante la tte d'une pice de vers imprime dans le
+volume non publi; L'auteur dchargeant un jour ses pistolets dans un
+jardin, deux dames, qui passaient prs du but, furent alarmes par le
+bruit d'une balle sifflant leurs oreilles: c'est l'une d'elles que
+furent adresses, le lendemain, les stances suivantes.
+
+Telle tait sa passion pour les armes de toute espce, qu'il gardait
+ordinairement prs de son lit une petite pe avec laquelle il s'amusait
+le matin s'escrimer dans ses rideaux. Ce lit fut, la vente des
+meubles de Mrs. Byron, acquis par une personne qui, voulant donner de
+l'intrt aux trous des draperies, les supposait perces par l'pe dont
+le dernier lord Byron avait tu M. Chaworth, et que son hritier gardait
+toujours prs de son lit en souvenir. C'est ainsi que la fiction vient
+souvent grossir les faits; l'pe en question tait une arme innocente
+et vierge que lord Byron empruntait l'un de ses voisins durant son
+sjour Southwell.
+
+Les dtails que nous avons dj donns sur son excursion Harrowgate,
+peuvent faire juger de sa passion pour les chiens, autre got qu'il
+conserva toute sa vie; il a immortalis dans ses vers Boatswain, son
+dogue favori, auprs duquel il avait form le projet solennel d'tre
+enseveli. On raconte de cet animal quelques traits non-seulement
+d'intelligence, mais encore d'une gnrosit qui devait ncessairement
+exciter l'intrt d'un matre comme Byron; j'en citerai un exemple en me
+rapprochant autant que possible du rcit qui m'en fut fait. Mrs. Byron
+avait un chien terrier, appel Gilpin, avec lequel Boatswain tait
+toujours en querelle, saisissant toutes les occasions de l'attaquer et
+le mordant avec tant de rage qu'on craignait beaucoup qu'il ne fint par
+le tuer. Pour le soustraire ce sort, Mrs. Byron envoya Gilpin un
+fermier de Newstead, et Boatswain de son ct, quand lord Byron retourna
+ Cambridge, fut, jusqu'au retour de son matre, confi aux soins d'un
+valet, ainsi que deux autres dogues. Un matin le domestique conut une
+vive alarme de la disparition de Boatswain; il n'en put avoir de
+nouvelles de la journe. Mais vers le soir, le chien revint accompagn
+de Gilpin qu'il s'empressa de conduire au feu de la cuisine en
+l'accablant de toutes les dmonstrations de la joie la plus vive. Le
+fait est qu'il tait all Newstead pour le dcouvrir, et qu'il l'avait
+ramen. Depuis ce tems ils vcurent en bonne intelligence; Boatswain
+protgeant toujours son nouvel ami contre les insultes des autres chiens
+(tche que le naturel querelleur de Gilpin empchait bien d'tre une
+sincure) et s'empressant d'accourir la premire voix de dtresse du
+petit terrier.
+
+La tendance la superstition est assez naturelle aux hommes dous d'un
+caractre potique. Lord Byron n'en tait pas exempt, et ds son enfance
+l'exemple de sa mre avait contribu donner son esprit cette
+faiblesse. Mrs. Byron croyait aveuglment aux merveilles de la seconde
+vue; et les rcits tranges qu'elle faisait de cette facult
+mystrieuse, tonnrent mainte fois ses amis anglais dous d'une foi
+moins robuste. On verra que mme bien plus tard, et la mort de son ami
+Shelley, l'ide des apparitions dont sa mre l'avait nourri, n'avait pas
+perdu sur lui tout son empire. On peut citer comme un exemple d'une
+superstition moins lugubre, une petite anecdote qui me fut raconte par
+une de ses amies de Southwell. Cette dame avait un grain de collier en
+agate travers d'un fil de laiton, et qu'elle gardait toujours dans sa
+bote ouvrage. Un jour, Lord Byron lui ayant dit ce que c'tait, elle
+lui rpondit qu'on le lui avait donn comme un talisman, et que le
+charme la prserverait de l'amour tant qu'il serait en sa possession.
+Alors donnez-le-moi, s'cria-t-il vivement, c'est l prcisment ce que
+je cherchais. La jeune dame refusa; mais bientt aprs son agate avait
+disparu. Elle le taxa d'avoir commis le vol; mais en l'avouant de bonne
+grce, il protesta que jamais elle ne reverrait son amulette.
+
+Il laissa derrire lui Southwell, comme partout o il fit jamais
+quelque rsidence, les preuves les plus affectueuses de bienfaisance et
+de bont de coeur... Jamais, dit une personne qu'il voyait beaucoup
+cette poque, ses yeux ne furent frapps d'un seul objet de dtresse
+sans qu'il contribut l'adoucir. Parmi de nombreux traits de cette
+nature, je choisis le suivant comme une preuve moins de sa gnrosit
+que de l'intrt que prsente l'incident en lui-mme par sa liaison avec
+le nom de Byron. tant encore colier, il lui arriva de se trouver
+Southwell dans une boutique de libraire, quand une pauvre femme vint
+pour y acheter une Bible; le prix qu'on la lui fit fut de 8 shellings.
+Ah! mon cher Monsieur, s'cria-t-elle, je ne puis pas y mettre un
+pareil prix; je ne croyais pas qu'elle pt m'en coter la moiti. La
+femme alors s'loigna avec un air dsappoint, quand le jeune Byron, la
+rappelant, lui fit prsent de la Bible.
+
+Il eut toujours un grand soin de sa personne et de sa toilette, de
+l'arrangement de ses cheveux, enfin de tout ce qui pouvait relever la
+beaut dont la nature l'avait dou. Mme dans un ge fort tendre, il
+tmoignait le dsir de plaire ce sexe qui ne devait pas cesser d'tre
+l'toile polaire de sa destine. La crainte d'un embonpoint excessif,
+auquel il avait des dispositions naturelles, l'avait engag, ds son
+arrive Cambridge, adopter un systme d'abstinence et de violent
+exercice, et de faire un frquent usage des bains chauds. Mais un point
+remplissait sa vie d'amertume, le frappait comme une maldiction au
+milieu des joies de la jeunesse et de ses esprances de gloire et de
+bonheur: le croira-t-on? c'tait la lgre difformit de son pied. Un
+jour M. Becher, le voyant plus abattu qu' l'ordinaire, s'efforait de
+l'gayer et de le ranimer en lui reprsentant sous les plus brillantes
+couleurs, les nombreux avantages dont la Providence l'avait combl,
+entre autres celui d'un esprit qui le plaait au-dessus du reste des
+hommes. Ah! mon cher ami, rpondit Byron avec une expression
+douloureuse, si cela (en se frappant le front de la main) m'lve
+au-dessus des autres hommes, ceci (en indiquant son pied) me ravale bien
+au-dessous d'eux.
+
+Quelquefois il semblait que sa susceptibilit lui persuadt qu'il tait
+dans le monde la seule personne afflige d'une pareille infirmit. Quand
+M. Bailey, qui se faisait alors remarquer comme colier, aussi bien que
+plus tard comme voyageur, entra Cambridge aprs avoir t le
+condisciple de Lord Byron Aberdeen, le jeune Lord avait pris tant
+d'embonpoint, que M. Bailey eut long-tems de la peine le reconnatre.
+Il est assez singulier, lui dit alors Byron, que vous ne vous souveniez
+pas de moi; je croyais que la nature m'avait gratifi d'un signe qui
+devait toujours me faire reconnatre.
+
+Mais ce dfaut tait aussi bien un motif d'mulation pour lui qu'une
+source de regret et de honte. Dans tout ce qui exigeait du courage
+personnel ou de la vivacit, il semblait anim, par le stigmate que la
+nature lui avait inflig, d'un dsir plus vif de surpasser tous ceux
+auxquels elle avait accord de plus _parfaites proportions_. C'est l,
+je n'en doute pas, ce qui lui donnait aussi tant d'ardeur dans la
+poursuite des intrigues amoureuses. Plus d'une fois l'espoir d'tonner
+quelque jour le monde par les exploits d'un capitaine et d'un hros
+venait se mler dans ses rves la perspective du laurier potique.
+Tt ou tard, disait-il souvent quand il tait enfant, je lverai un
+corps de troupes; les soldats seront habills de noir, et monteront des
+chevaux noirs; on les appellera, les _Byrons noirs_, et vous entendrez
+parler de leurs prodiges de valeur.
+
+J'ai dj parl de l'ardeur extrme avec laquelle, pendant son sjour
+Harrow, il se livrait tous les genres d'tudes, la seule exception
+de ceux qu'exigeait la discipline de l'cole. Les jours de fte ne
+faisaient pas trve la soif de connaissances qui le dvorait, et, pour
+tre le moins possible distrait de ses heures de travail, il avait pris
+l'habitude chez sa mre de lire tout le tems du dner[60]. Dans un
+esprit aussi mobile que le sien, tout ce qui tait nouveau, grave ou
+frivole, lourd ou divertissant, ne manquait jamais de trouver un cho,
+et je n'ai pas de peine concevoir la joie qu'il tmoignait un jour en
+montrant l'une de ses amies qui me l'a racont, un exemplaire des
+Contes de ma Mre l'Oie, qu'il avait achet le matin chez un
+bouquiniste, et qu'il venait de lire son dner.
+
+ [Note 60: Burns avait aussi l'habitude de lire table, comme
+ nous l'apprend M. Lockhart dans la vie de ce pote.]
+
+Maintenant nous allons extraire d'un _Memorandum_, commenc par lui
+cette anne et trac sans ordre et la hte, la liste de tous les
+livres qu'il avait dj parcourus dans tous les genres, une poque o
+la plupart de ses condisciples n'avaient encore tudi que leurs thmes
+et leurs versions. Ce document ne peut manquer d'intresser; et quand on
+considre que le lecteur de tant de livres possdait en mme tems la
+mmoire la plus heureuse, on peut douter que parmi les jeunes gens les
+mieux levs, parmi les plus brillans mules des honneurs scolastiques,
+on en trouvt un seul qui et acquis au mme ge une aussi grande
+varit de connaissances utiles.
+
+
+
+LISTE DES HISTORIENS
+DONT J'AI PARCOURU LES OUVRAGES EN DIFFRENTES LANGUES.
+
+
+
+HISTOIRE D'ANGLETERRE.--Hume, Rapin, Henry, Smollet, Tindal, Belsham,
+Bisset, Adolphus, Holinshed, les Chroniques de Froissart (ces dernires
+appartiennent proprement la France).
+
+COSSE.--Buchanan, Hector, Boethius, tous deux en latin.
+
+IRLANDE.--Gordon.
+
+ROME.--Hooke, chute et dcadence par Gibbon; Histoire ancienne de Rollin
+(renfermant celle des Carthaginois, etc.); de plus, Tite-Live, Tacite,
+Eutrope, Cornlius Nepos, Cesar, Arrien, Salluste.
+
+GRCE.--La Grce de Mitford, le Philippe de Leland, Plutarque,
+Antiquits de Potter, Xenophon, Thucydide, Herodote.
+
+FRANCE.--Mezerai, Voltaire.
+
+ESPAGNE.--Je dois ce que je sais de l'ancienne histoire d'Espagne
+principalement un livre appel l'Atlas, maintenant oubli. J'ai pris
+quelque teinture de son histoire moderne, depuis les intrigues
+d'Alberoni jusqu'au Prince de la paix, dans les ouvrages qui traitaient
+de la politique europenne.
+
+PORTUGAL.--Ses rvolutions par Vertot, comme aussi, du mme historien,
+la relation du sige de Rhodes: elle est de son invention, les faits
+rels sont tout--fait diffrens. On en peut dire autant de ses
+chevaliers de Malte.
+
+TURQUIE.--J'ai lu Knolles, sir Paul Ricaut et le prince Cantemir; en
+outre une histoire anonyme plus moderne. Je sais tous les vnemens de
+l'histoire des Ottomans, depuis Tangralopi et Othman Ier jusqu' la paix
+de Passarowitz, en 1718; la bataille de Cutzka, en 1739, et le trait de
+1790 entre la Russie et la Porte.
+
+RUSSIE.--La vie de Catherine II de Tooke, le czar Pierre de Voltaire.
+
+SUDE.--Le Charles XII de Voltaire et celui de Norberg, selon moi le
+meilleur des deux. Une traduction de la guerre de trente ans de
+Schiller, qui renferme les exploits de Gustave-Adolphe; puis la vie du
+mme prince par Harte. J'ai lu aussi quelque part un vie de Gustave
+Vasa, le librateur de la Sude, mais j'ai oubli le nom de l'auteur.
+
+PRUSSE.--J'ai vu au moins vingt vies de Frdric II, le seul prince
+mmorable dans les annales de la Prusse; ses propres ouvrages, ceux de
+Gillies et de Thibault sont loin d'tre amusans; le dernier est peu
+estimable, mais circonstanci.
+
+DANEMARCK.--J'en sais peu de chose; j'ai quelque teinture de l'histoire
+naturelle de la Norwge, aucune de sa chronologie.
+
+ALLEMAGNE.--J'ai lu de longues histoires de la maison de Souabe, de
+Venceslas, de Rodolphe de Hapsbourg et de ses descendans autrichiens aux
+grosses lvres.
+
+SUISSE.--Ah! Guillaume-Tell et la bataille de Morgarten, o le duc de
+Bourgogne fut tu!
+
+ITALIE.--Davila, Guicciardini, les Guelfes et les Gibelins, la bataille
+de Pavie, Mazaniello, les rvolutions de Naples, etc.
+
+INDOSTAN.--Orme et Cambridge.
+
+AMRIQUE.--Robertson, la guerre d'Amrique par Andrews.
+
+AFRIQUE.--Rien que des voyageurs, comme Mungo-Park, Bruce.
+
+
+BIOGRAPHIE.
+
+Charles-Quint de Robertson, Csar, Salluste (Catilina et Jugurtha), les
+vies de Marlborough, du prince Eugne, de Tkli, de Bonnard, de
+Bonaparte, de tous les potes anglais, par Johnson et Anderson; les
+Confessions de Rousseau, la vie de Cromwell, le Plutarque anglais, le
+Nepos anglais, les vies des amiraux par Campbell, de Charles XII, du
+czar Pierre, de Catherine II, de Henri lord Kaimes, de Marmontel, de sir
+William Jones, par Teignmouth; la vie de Newton, de Blisaire, et de
+mille autres qui ne mritent pas qu'on en fasse mention.
+
+
+LGISLATION.
+
+Blackstone, Montesquieu.
+
+
+PHILOSOPHIE.
+
+Paley, Locke, Bacon, Hume, Berkeley, Drummond, Beattie et Bolingbroke.
+Je dteste Hobbes.
+
+
+GOGRAPHIE.
+
+Strabon, Cellarius, Adams, Pinkerton et Guthrie.
+
+POSIE.
+
+Tous les classiques anglais et la plupart des potes vivans, Scott,
+Southey, etc.; quelques potes franais dans l'original: le Cid est ma
+pice favorite. Peu d'italiens; des grecs et des latins sans nombre:
+l'avenir je ne m'occuperai plus de ces derniers. J'ai fait de nombreuses
+traductions de ces deux langues, vers et prose.
+
+
+LOQUENCE.
+
+Dmosthne, Cicron, Quintilien, Sheridan, la Chironomie d'Austin, et
+les dbats du parlement, depuis la rvolution, jusqu'en 1742.
+
+
+THOLOGIE.
+
+Blair, Porteus, Tillotson, Hooker, tous fort ennuyeux. J'abhorre les
+livres de dvotion, quoique je rvre et que j'aime Dieu, sans admettre
+les ides blasphmatrices des sectaires, ni croire leurs absurdes et
+damnables hrsies, leurs mystres et aux trente-neuf articles.
+
+
+MLANGES.
+
+Le spectateur, le rdeur; le monde, etc., etc., des romans par milliers.
+
+C'est de mmoire que j'ai fait l'numration de tous ces livres: je me
+souviens de les avoir lus, et j'en pourrais l'occasion citer plus d'un
+passage. J'ai, sans doute, omis quelques noms dans mon catalogue. J'en
+avais lu la majeure partie avant quinze ans. Depuis que j'ai quitt
+Harrow, je suis devenu paresseux et fat, en griffonnant des rimes et
+faisant la cour aux femmes.
+
+B., 30 novembre 1807.
+
+
+J'ai aussi lu, et je regrette aujourd'hui plus de quatre mille romans, y
+compris les oeuvres de Cervantes, Fielding, Smollet, Richardson,
+Mackenzie, Sterne, Rabelais, Rousseau, etc., etc. Le livre, mon avis,
+le plus utile pour celui qui veut avoir l'air d'tre fort instruit sans
+grande peine, c'est la physiologie de la tristesse par Burton: c'est le
+recueil de citations et d'anecdotes le plus curieux et le plus amusant
+que j'aie parcouru; mais le lecteur superficiel doit le lire avec
+attention, ou bien la confusion des sujets le rebutera facilement. S'il
+a la patience d'aller jusqu' la fin, il aura mieux profit pour ses
+conversations littraires, que s'il avait parcouru vingt autres ouvrages
+que j'ai galement lus, du moins en anglais.
+
+C'est cette tude prcoce et varie des crivains anglais que Lord
+Byron dut la facilit avec laquelle il savait employer toutes les
+ressources de sa langue maternelle: c'est elle qui, le lanant dans les
+champs de la littrature, arm de pied en cap, lui permit de revtir ses
+potiques inspirations d'un style parfaitement digne d'elles. En
+gnral, ce n'est pas l'absence d'ides ou de coloris qui arrte les
+premiers pas des crivains, c'est l'embarras de trouver des expressions
+pour ce qu'ils conoivent, c'est l'inexprience de l'instrument dont se
+rend matre l'homme de gnie; en un mot, de leur langue maternelle.
+C'est un fait assez singulier, que les trois exemples les plus frappans
+de prcocit littraire, c'est--dire Pope, Congrve et Chatterton,
+devaient tous trois eux-mmes leur ducation[61]; et que c'est par
+suite de leurs gots naturels, affranchis des pdantesques directions de
+l'cole, qu'ils dcouvrirent dans le gnie de la langue anglaise ces
+prcieuses beauts dont ils surent faire un si parfait usage[62].
+
+ [Note 61: Je lisais de moi-mme, dit Pope, car la lecture
+ tait une vritable passion chez moi; j'allais et l au
+ gr de mon imagination, et, comme un enfant qui va prendre
+ des fleurs dans les champs, dans les bois, partout o il en
+ voit sur sa route. Je regarde encore aujourd'hui ces cinq ou
+ six annes comme les plus heureuses de ma vie.
+
+ Il parat aussi qu'il n'ignorait pas les avantages de cette
+ manire d'tudier indpendante: M. Pope, dit Spins, croyait
+ avoir gagn sous quelques rapports n'avoir pas eu
+ d'ducation rgulire. Il avait l'habitude de chercher dans
+ ce qu'il tudiait un sens, quand nous n'y voyons encore que
+ des mots.]
+
+ [Note 62: Chatterton crivit, avant l'ge de douze ans, un
+ catalogue, dans le genre de celui de Byron, de tous les
+ livres qu'il avait dj lus; ils s'levaient soixante-dix,
+ et la plupart roulaient sur des matires d'histoire ou de
+ thologie.]
+
+On peut, dans le fond, ajouter ces trois exemples celui de Lord Byron,
+puisque, malgr son nom d'colier, il n'tudia pas sur les bancs de
+l'cole, dans le tems employ par ses camarades, remuer curieusement
+la cendre de l'antiquit; il se contentait de remonter la source
+frache et vive de son propre idiome[63], et d'y puiser cette richesse
+et cette varit de style qui, ds l'ge de vingt-deux ans, placrent
+ses ouvrages parmi les monumens les plus prcieux de la force et de la
+douceur de la langue anglaise.
+
+ [Note 63: La puret que les Grecs mettaient dans leur style a
+ t attribue peut-tre avec justice leur habitude de
+ n'tudier que leur propre langue. S'ils devinrent savans,
+ dit Ferguson, ce ne fut qu'en tudiant ce qu'eux-mmes
+ avaient compos.]
+
+Dans le mme livre o l'on retrouve les souvenirs de ses tudes, que
+nous venons de citer, Byron avait crit galement de mmoire une liste
+des divers potes qui s'taient distingus dans leur langue respective.
+Aprs avoir cit ceux de l'Europe ancienne et moderne, voici comme il
+poursuit son catalogue pour les autres contres:
+
+ARABIE.--Mahomet, dont le Coran contient des passages d'une posie bien
+plus sublime que celle des auteurs europens.
+
+PERSE.--Ferdousi, auteur du Shah-Nameh; l'Iliade des Persans; Sadi et
+Hafiz, l'immortel Hafiz, l'Anacron de l'Orient. Ce dernier est respect
+par les Persans, bien autrement que nous ne respectons aucun pote
+ancien ou moderne; ils vont en plerinage Shiraz pour y honorer sa
+mmoire sur son tombeau: ce monument est attach un magnifique
+exemplaire de ses oeuvres.
+
+AMRIQUE.--Cet hmisphre a dj produit un pote pique, c'est Barlow,
+auteur de la Colombiade; il ne faut pas le comparer aux ouvrages des
+nations plus polies.
+
+ISLANDE, DANEMARCK, NORWGE.--Ces rgions taient fameuses pour leurs
+Scaldes. Parmi ces derniers on distinguait Lodburg; son chant de mort
+respire des sentimens froces, mais c'est un genre de posie gnreuse
+et passionne.
+
+L'INDOSTAN n'a pas de grands potes connus; du moins le sanscrit l'est
+si mal en Europe, que nous ignorons ce que le tems peut avoir pargn
+dans leur littrature.
+
+L'EMPIRE BIRMAN.--Les habitans aiment passionnment la posie; mais on
+ne connat pas leurs potes.
+
+CHINE.--Je n'ai jamais entendu parler en fait de pote chinois que de
+l'empereur Kien-Long et de son Ode au th. Quel malheur que le
+philosophe Confucius n'ait pas rdig en vers ses admirables prceptes
+de morale!
+
+AFRIQUE.--Quelques chants de ce pays sont plaintifs, et leurs paroles
+simples et touchantes; mais j'ignore s'il faut compter ces informes
+essais parmi les pomes, comme les chants des bardes ou des scaldes.
+
+J'ai crit cette courte liste de potes entirement de mmoire, et sans
+le secours d'aucun livre; il a donc pu s'y glisser quelques erreurs,
+mais elles doivent tre de peu d'importance. J'ai parcouru les ouvrages
+des Europens et quelques-uns de ceux de l'Asie, soit en original, soit
+ l'aide de traduction. Je n'ai cit que les meilleurs dans ma liste des
+potes anglais; il et t aussi inutile que fatigant d'numrer ceux
+d'un moindre mrite. Peut-tre cependant pourrait-on dans un catalogue
+cosmopolite ajouter encore Gray, Goldsmith et Collins; quant aux autres
+depuis Chaucer jusqu' Churchill, ce sont _voces prtereaque nihil_,
+quelquefois nomms, rarement lus et jamais avec profit. Je regarde
+Chaucer, en dpit des loges qu'on lui a prodigus, comme mprisable et
+licencieux; il ne doit son renom qu' son antiquit, et sous ce
+rapport-l mme, on devrait plutt se rappeler Pierce Plowman ou Thomas
+d'Ercildoune. Je me suis gard de citer des potes vivans de
+l'Angleterre; il n'en est pas un qui ne survive ses ouvrages. Le got
+est perdu chez nous; encore un sicle, et nous aurons disparu, notre
+empire, notre littrature et notre nom, des annales du genre humain.
+
+30 novembre 1807, BYRON.
+
+
+Il se trouve, parmi les papiers que je possde de lui, plusieurs petits
+pomes (en tout environ six cents vers) qu'il crivit en ce tems-l,
+mais qu'il n'a jamais fait imprimer, parce qu'il les avait composs la
+plupart aprs la publication de ses _Heures de loisir_. Le plus grand
+nombre d'entre eux ne se recommande gure que par son nom, mais
+quelques-uns, grce aux sentimens et aux circonstances qui les
+inspirent, seront lus ici avec plaisir. La premire fois qu'il entra
+dans Newsteadt, il planta dans un coin de terre un jeune chne dont il
+croyait l'existence attache la sienne. Aprs six ou sept ans, quand
+il revint au mme endroit, il trouva le chne touff sous les mauvaises
+herbes, et presque dessch. C'tait au moment o Lord Grey de Ruthen
+quittait l'abbaye; il fit alors l'un de ces pomes composs de cinq
+stances, et dont on pourra juger par les passages suivans:
+
+Jeune chne, quand je te plantai profondment en terre, j'esprais que
+tes jours seraient plus longs que les miens, que tes branches
+jetteraient une ombre noire autour de toi, et que le lierre entourerait
+ton tronc comme un manteau.
+
+Telles taient mes esprances dans les annes de l'enfance, quand je te
+plantai avec orgueil sur la terre de mes aeux. Ces jours sont passs et
+je t'arrose de mes larmes; les mauvaises herbes qui t'entourent ne
+peuvent voiler aux yeux ton triste dprissement.
+
+Je t'ai quitt, mon pauvre chne, et depuis cette heure fatale un
+tranger est le matre du chteau, etc., etc.
+
+Le sujet des vers qui suivent est assez clairci par la note qu'il a
+place en tte. Quoiqu'ils aient un air pnible et affect, ils me
+paraissent dignes d'tre conservs comme un tmoignage des sentimens
+tendres et romanesques qu'il avait contracts pour ses amis de collge.
+
+Il y a quelques annes, tant Harrow, un ami de l'auteur avait grav
+leurs deux noms dans un endroit cart; il y avait mme ajout quelques
+mots de souvenirs. Plus tard, l'occasion de quelque injure relle ou
+imaginaire, l'auteur, avant de laisser Harrow, avait effac ce fragile
+souvenir. Voici les stances qu'il crivit leur place, quand il revit
+Harrow, en 1807:
+
+Ici nagure les souvenirs de l'amiti attiraient les yeux de l'tranger;
+ils taient simples, ils taient peu nombreux les mots qui les
+exprimaient, et cependant la colre les a effacs.
+
+Elle trancha profondment dans l'arbre, mais elle n'effaa pas
+entirement les caractres; ils taient si simples, que l'amiti
+revenant regarda long-tems, jusqu' ce qu'aide de la mmoire, elle
+rtablit les mots.
+
+Le repentir les traa de nouveau, le pardon y joignit son nom aimable;
+l'inscription reparut si belle que l'amiti la crut toujours la mme.
+
+Le souvenir serait beau encore; mais, hlas! en dpit de l'esprance et
+des larmes de l'amiti, l'orgueil s'est jet la traverse, et a pour
+toujours effac et l'inscription et le sentiment qu'elle exprimait.
+
+Les mmes sentimens d'amiti idale distinguent un autre de ses pomes,
+dans lequel il a pris pour pigraphe cette ingnieuse devise franaise:
+_l'amiti est l'amour sans ailes_. Chacune des neuf stances est termine
+par les mmes mots; nous citerons les trois suivantes:
+
+Pourquoi gmirais-je tristement de ce que ma jeunesse est passe? Je
+puis encore compter des jours heureux; la facult d'aimer n'est pas
+encore morte en moi. En revenant sur mes premires annes, un souvenir
+durable, une vrit ternelle m'apporte une cleste consolation;
+souffles lgers des vents, redites-la aux lieux o mon coeur s'mut pour
+la premire fois!
+
+_L'amiti, c'est l'amour sans ailes_!
+
+Demeure de mes aeux, ton clocher lointain me rappelle toutes ces scnes
+joyeuses; mon sein brle comme autrefois; je redeviens enfant par la
+pense. Ton bouquet d'ormeaux, ta colline verdoyante, chacun de tes
+sentiers, me ravissent encore. Chaque fleur exhale un double parfum. Il
+me semble encore, au milieu de nos doux entretiens, entendre chacun de
+mes compagnons s'crier:
+
+L'amiti, c'est l'amour sans ailes!
+
+Mon cher Lycus, pourquoi pleures-tu? Retiens tes larmes prtes tomber;
+l'affection peut dormir quelque tems, mais, sois-en sr, elle se
+rveillera! Quand nous nous retrouverons, pense, ami, pense combien elle
+sera douce cette runion si long-tems dsire! Mon ame bondit de bonheur
+ cet espoir; quand deux jeunes coeurs sont si pleins d'affection,
+l'absence, ami, ne peut que redire:
+
+L'amiti, c'est l'amour sans ailes!
+
+Quant aux vers suivans, je ne puis dire positivement qu'ils se
+rattachent quelque circonstance relle. On peut mme dire qu'habitu
+revenir sur toutes les anecdotes de sa jeunesse, il n'eut pas manqu,
+dans la suite, de rappeler un fait aussi remarquable, s'il n'et pas t
+imaginaire. Or, ni dans sa conversation, ni dans ses crits, je ne
+trouve qu'il y ait fait une seule fois allusion[64]. D'un autre ct,
+toutes ses posies, sauf les embellissemens dont les entourait son
+imagination, taient l'expression si fidle de ses sentimens et de sa
+vie, qu'on ne peut gure s'empcher de supposer une sorte de fondement
+rel un pome plein d'une sensibilit aussi pntrante:
+
+ [Note 64: Voici la seule particularit qui puisse, et encore
+ de fort loin, se lier au sujet de ce pome. Un an ou deux
+ avant la date qui s'y trouve place, il crivit de Harrow
+ sa mre (comme je le sais d'une personne qui tenait elle-mme
+ le fait de Mrs. Byron), pour lui dire qu'il avait prouv
+ dernirement beaucoup d'ennui l'occasion d'une jeune femme,
+ matresse de son ami Curzon, qui venait de mourir. Cette
+ femme, se trouvant alors sur le point de devenir mre, avait
+ dclar que Lord Byron tait le pre de son enfant. Byron
+ assurait positivement sa mre qu'il n'en tait rien; mais,
+ persuad comme il l'tait, que l'enfant appartenait Curzon,
+ il souhaitait qu'on en prt tout le soin possible, et priait
+ en consquence sa mre d'avoir la bont de se charger de lui.
+ Une telle demande pouvait fort bien exciter l'humeur d'une
+ femme plus douce que Mrs. Byron; cependant elle rpondit
+ son fils qu'elle accueillerait volontiers l'enfant ds qu'il
+ serait n, et qu'elle ferait pour lui tout ce qu'il dsirait.
+ Par bonheur, l'enfant mourut en voyant le jour.]
+
+
+ MON FILS.
+
+Ces tresses blondes, ces yeux bleus, dont l'clat rappelle ceux de ta
+mre; ces lvres de roses, ces joues fossettes, ce sourire, qui
+captivent le coeur, retracent d'anciennes scnes de bonheur, et touchent
+le coeur de ton pre, mon enfant!
+
+Et tu ne peux prononcer le nom de ton pre; ah, William! si son nom
+tait le tien, alors sa conscience ne lui adresserait plus de reproches:
+mais cartons ces tristes ides; les soins que je prendrai de toi me
+rendront la paix intrieure; l'ombre de ta mre sourira dans sa joie, et
+pardonnera le pass, mon enfant!
+
+Le gazon a recouvert son humble tombe, et une trangre t'a prsent son
+sein. Le prjug peut rire ddaigneusement de ta naissance, et ne
+t'accorder qu' peine un nom sur la terre; mais il ne saurait dtruire
+une seule de tes esprances: le coeur de ton pre est toi, mon
+enfant!
+
+Eh bien! laisse un monde sans entrailles se rcrier; dois-je pour lui
+plaire touffer la voix puissante de la nature? Non, que les moralistes
+me dsapprouvent s'ils le veulent, tu seras toujours pour moi le bien
+cher enfant de l'amour, beau chrubin, gage de jeunesse et de joie! un
+pre veille sur ton berceau, mon enfant!
+
+ quel charme, avant que l'ge n'ait rid mon front, avant que d'avoir
+puis moiti la coupe de la vie, de contempler la fois en toi, un
+frre et un fils, et d'employer le reste de mes jours rparer mon
+injustice envers toi, mon enfant!
+
+Quoique ton pre imprudent soit bien jeune encore, sa jeunesse
+n'teindra pas en lui le feu de l'amour paternel. Et quand mme tu me
+serais moins cher, tant que l'image d'Hlne revivra en toi, ce coeur,
+plein de son souvenir du bonheur pass, n'en abandonnera jamais le gage,
+ mon enfant!
+
+B.--1807[65].
+
+ [Note 65: Dans cet usage de dater ses premiers pomes, il
+ suivait l'exemple de Milton, qui, dit Johnson, en datant ses
+ premiers ouvrages, comme lui en avait donn l'exemple le
+ savant Politien, semblait recommander la postrit la
+ prcocit de ses inspirations. Le suivant badinage, galement
+ crit en 1807, n'a jamais t imprim; il est intraduisible;
+ nous le donnerons en anglais:
+
+ EPITAPH
+
+ ON JOHN ADAMS, OF SOUTHWELL, A CARRIER,
+
+ WHO DIED OF DRUNKENNESS.
+
+ _John Adams lies here, of the parish of Southwell,
+ A_ carrier, _who_ carried _his can to his mouth well;
+ He_ carried _so much, and he_ carried _so fast,
+ He could_ carry _no more, so was_ carried _at last;
+ For, the liguor he drank being too much for one,
+ He could not_ carry _off, so he's now_ carri-on.
+
+ B., sept. 1807.]
+
+Mais le plus remarquable de ses pomes est d'une date antrieure
+toutes celles que je viens de donner, ayant t crit en dcembre 1806,
+quand il n'avait pas encore dix-neuf ans. Il contient sa profession de
+foi religieuse cette poque, et nous montre combien son esprit lutta
+de bonne heure entre le doute et la pit:
+
+
+PRIRE DE LA NATURE.
+
+Pre de la lumire! grand Dieu du ciel! entends-tu les accens du
+dsespoir? Des fautes comme celles de l'homme peuvent-elles tre jamais
+pardonnes? Le vice peut-il expier des crimes par des prires? Pre de
+la lumire, j'lve vers toi mes accens! Tu le vois, mon ame est noircie
+de souillures; toi qui peux observer la chute du plus petit oiseau,
+dtourne de moi la mort du pch.
+
+Je ne cherche point de sectes inconnues; oh! montre-moi le sentier de la
+vrit! Je reconnais ta toute-puissance redoutable, pargne les fautes
+de ma jeunesse en les corrigeant. Que les dvots lvent, s'ils le
+veulent, des temples obscurs; que la superstition en salue humblement
+les portiques; que, pour tendre et affermir leur empire funeste, les
+prtres inventent des rites mystiques et mensongers. L'homme
+bornera-t-il le domaine de son crateur ces dmes gothiques qui
+surmontent des amas de pierres moiti dtruites? Ton temple est la
+face du jour; la terre, l'ocan, le ciel te forment un trne sans
+limites.
+
+L'homme condamnera-t-il sa propre race aux tourmens de l'enfer, moins
+qu'ils ne flchissent le genou devant de vaines pompes? Nous dira-t-il
+que, pour un seul qui a failli, tous doivent prir confusment dans la
+tempte? Chacun prtendra-t-il gagner les cieux, et cependant condamner
+son frre la mort ternelle, parce que son ame s'est ouverte des
+esprances diffrentes, ou qu'il a suivi des doctrines moins svres?
+Iront-ils, aux moyens de croyances qu'ils ne sauraient expliquer,
+dcider d'avance tes grces et tes chtimens? Des reptiles rampans sur
+la terre connatront-ils les desseins de leur grand crateur?
+
+Ces hommes qui n'ont vcu que pour eux-mmes, qui ont pass leurs annes
+dans des crimes renouvels chaque jour, trouveront-ils dans leur foi une
+compensation leurs forfaits, et vivront-ils au-del des limites du
+tems?
+
+ mon pre! je ne cherche les lois d'aucun prophte; tes lois, toi,
+apparaissent dans les ouvrages de la nature. Je suis, je l'avoue, faible
+et corrompu, et cependant je te prierai, car tu m'entendras! Toi qui
+guides l'toile errante travers les royaumes infinis de l'ther, qui
+calmes la guerre des lmens, et dont j'aperois la main d'un ple
+l'autre ple; toi qui, dans ta sagesse, m'as plac ici-bas, et qui peux
+m'en retirer quand telle sera ta volont; tant que je serai sur cette
+terre prissable, tends sur moi ta main protectrice. C'est toi,
+toi, mon Dieu, que j'adresse mes prires; quelque bonheur ou quelque
+malheur qui m'arrive, qu' ta volont je m'lve ou m'abaisse, je me
+confie en ta protection: si, quand cette poussire sera rendue la
+poussire, mon ame parcourt les airs sur des ailes rapides, comme
+j'adorerai ton nom glorieux! mais si cet esprit passager partage avec le
+corps le repos ternel de la tombe, tant qu'il me restera un souffle de
+vie, j'lverai vers toi ma prire, quoique condamn ne jamais quitter
+la demeure des morts. C'est toi que j'adresse mes dernires
+inspirations, plein de reconnaissance pour tes bienfaits passs, et
+esprant, mon Dieu, que cette vie errante se runira enfin ton
+essence.
+
+Dans un autre pome, et qu'il crivit avec la triste conviction qu'il
+allait bientt mourir, nous retrouvons une prire exprimant peu prs
+les mmes opinions. Aprs avoir dit adieu toutes les scnes favorites
+de sa jeunesse[66], voici comme il continue:
+
+ [Note 66: Annesley n'est pas oubli en cette occasion:
+
+ Oublierai-je la scne toujours prsente ma pense? Les
+ rochers s'lvent et les rivires serpentent entre moi et les
+ lieux que notre amour embellissait, et cependant, Marie, ta
+ beaut m'apparat frache encore, comme un dlicieux songe
+ d'amour, etc., etc.]
+
+Oublie ce monde, mon ame agite, tourne tes penses vers le ciel; tu y
+dirigeras bientt ta course, si tes erreurs sont oublies. Loin des
+bigots et des sectaires, incline-toi devant le trne du Tout-Puissant,
+adresse-lui ta tremblante prire. Il est clment et juste, il ne
+rejettera pas la prire de l'enfant de la poussire, quoiqu'il soit le
+moindre objet de ses soins. Pre de la lumire, j'lve vers toi mes
+accens! Tu le vois, mon ame est pleine de souillures; toi qui peux
+observer la chute du plus petit oiseau, dtourne de moi la mort du
+pch. Toi qui peux guider l'toile errante, qui calmes la guerre des
+lmens, qui as pour manteau les cieux immenses, pardonne mes penses,
+mes paroles, mes crimes; et puisque je dois bientt cesser de vivre;
+apprends-moi comment je dois mourir.
+
+Nous avons vu par une lettre prcdente qu'il avait eu se fliciter de
+l'issue d'un procs jug au tribunal de Lancastre, et relatif la terre
+de Rochdale. Dans une note que nous allons reproduire, et qu'il crivit
+ l'un de ses amis de Southwell l'occasion d'un second triomphe dans
+la mme cause, on verra qu'il s'en exagrait beaucoup les rsultats
+probables.
+
+
+9 fvrier 1807.
+
+MON CHER,
+
+J'ai le plaisir de vous annoncer que j'ai gagn une seconde fois la
+cause de Rochdale, qui me fait valoir soixante mille livres de plus.
+
+Tout vous.
+
+BYRON.
+
+Au mois d'avril suivant il tait encore Southwell, et c'est de l
+qu'il crivit au docteur Pigot, alors dimbourg[67]:
+
+ [Note 67: Il parat, d'aprs un passage d'une lettre de miss
+ Pigot son frre, que Lord Byron chargea ce dernier de
+ remettre une copie de ses pomes M. Mackenzie, l'auteur de
+ l'_Homme sensible_: Je suis ravie que M. Mackenzie ait vu
+ une copie des pomes de Lord Byron, et qu'il en ait jug
+ aussi favorablement. Lord Byron en est enchant.
+
+ Dans une autre lettre, l'aimable crivain dit encore: Lord
+ Byron me charge de vous dire qu'il ne vous crit pas parce
+ que son dition n'est pas aussi avance qu'il l'avait espr.
+ Je lui dis qu'il faut aussi peu de chose pour l'affecter qu'
+ une femme.]
+
+
+Southwell, avril 1807.
+
+MON CHER PIGOT,
+
+Permettez-moi de vous fliciter du succs de votre premier examen;
+_courage_, mon ami. Le titre de docteur fera merveille auprs des dames.
+Je serai probablement Essex ou Londres quand vous arriverez en ce
+lieu maudit, o je suis encore retenu par l'impression de mes vers.
+
+Adieu, croyez-moi toujours bien sincrement votre
+
+BYRON.
+
+_P. S._ Depuis notre sparation, grce de violens exercices, la
+_plupart_ physiques, et aux bains chauds, j'ai rduit mon embonpoint de
+cent soixante-quatorze livres cent quarante-un; total vingt-sept
+livres de perte. _Bravo_! qu'en dites-vous?
+
+Je dois la complaisance de la dame qui correspondait alors avec Byron
+l'avantage de pouvoir initier le lecteur dans les sentimens et les
+travaux de notre pote pendant le reste de cette anne. Ces lettres ont,
+sans doute, un caractre enfantin[68], et la plupart des plaisanteries
+qu'on y trouve naissent plutt de jeux de mots que de penses
+saillantes; mais je les estime cependant fort curieuses, et par la
+lumire qu'elles rpandent sur cette poque de sa vie, et par le tableau
+anim des craintes et des esprances qu'il avait relativement sa
+gloire future. La premire de ces lettres ne porte pas de date, elle
+semble avoir t crite avant son dpart de Southwell; les autres, comme
+on le verra, sont dates de Cambridge et de Londres.
+
+ [Note 68: En effet, il n'tait encore qu'un enfant sous tous
+ les rapports dans ce tems-la. Lundi prochain (dit miss
+ Pigot) est notre grande foire. Lord Byron l'attend avec le
+ mme plaisir que le petit Henri, et se promet de paratre
+ cheval dans la foule; mais je pense qu'il changera de
+ rsolution.]
+
+
+
+
+LETTRE XII.
+
+ MISS PIGOT.
+
+11 juin 1807.
+
+
+MA CHRE REINE BESS[69],
+
+_Sauvage_ doit tre immortel; ce n'est pas un gnreux boul-dogue, mais
+c'est le plus joli roquet que j'aie encore vu, et il fera parfaitement
+l'affaire. Dans ses accs de tendresse, il a dj mordu les doigts et
+drang la gravit du vieux Boatswain, qui en est encore fort mu. Je
+dsire savoir ce qu'il cote, les frais qu'il a occasionns, etc., etc.,
+afin de pouvoir indemniser M. G... Je ne puis que le remercier de la
+peine qu'il a prise, lui adresser un long discours et conclure avec 1,
+2, 3, 4, 5, 6, 7[70]; mais je suis hors d'tat de faire tout cela par
+moi-mme, ainsi je vous _dpute_ en qualit de lgat, car il ne faut pas
+parler d'_ambassadeur_, relativement au _pape_, comme c'est le cas ici
+sans doute, puisque tout ce que je vous ai dit est propos de
+_bulle_[71].
+
+Tout vous.
+
+BYRON.
+
+_P. S._ Je vous cris de mon lit.
+
+ [Note 69: Diminutif d'lisabeth. Byron, en l'appelant reine,
+ fait allusion la reine lisabeth.]
+
+ [Note 70: Cette phrase s'explique par son habitude, quand il
+ lui arrivait de ne pas trouver les expressions de la pense
+ qu'il voulait exprimer, de prononcer les chiffres 1, 2, 3, 4,
+ 5, 6, 7.]
+
+ [Note 71: Bull-dog ou boul-dogue. On comprendra facilement le
+ jeu de mois.]
+
+
+
+
+LETTRE XIII.
+
+ LA MME.
+
+Cambridge, 30 juin 1807.
+
+
+Mieux vaut tard que jamais, c'est un proverbe dont vous connaissez
+l'origine, et, comme son application est ici toute naturelle, vous me
+pardonnerez de lui avoir donn dans ma lettre une place aussi honorable.
+Je me trouve ici presque surann; mes anciens amis, except un fort
+petit nombre, sont tous partis, et je me dispose les suivre, mais je
+reste jusqu' lundi pour assister trois oratorios, deux concerts, une
+foire et un bal. Je me trouve non-seulement _plus maigre_, mais d'un
+pouce plus _grand_ qu' mon dernier voyage. Je me suis vu oblig de
+redire chacun mon _nom_, personne n'ayant le moindre souvenir de ma
+figure ni de ma personne. Il n'est pas jusqu'au hros de ma _Cornaline_
+(qui, dans ce moment, se trouve plac vis--vis, lisant un volume de mes
+posies), qui n'ait pass devant moi dans les promenades du collge sans
+me reconnatre, et qui n'ait t frapp du changement total qui s'tait
+opr en moi, etc., etc. Les uns me trouvent mieux, les autres plus mal;
+mais tous s'accordent dire que je suis maigri, plus mme que je ne le
+dsire. J'ai perdu deux livres d'embonpoint depuis mon dpart de votre
+maudit, dtestable et dtest sjour de scandale[72], dont,
+l'exception de vous-mme et de John Becher, je voudrais voir toute la
+race consigne dans les gouffres de l'Achron, lequel fleuve j'aimerais
+mieux visiter en personne que de salir mes sandales dans la vile
+poussire de Southwell. parler srieusement, si la lgret de ma
+bourse ne me force pas rejoindre Mrs. Byron, vous ne me reverrez plus.
+
+ [Note 72: Malgr les injures, d'ailleurs plutt badines que
+ srieuses, qu'il lance dans le cours de ses lettres contre
+ Southwell, il apprit plus tard se convaincre que les heures
+ qu'il y avait passes taient les plus heureuses de sa vie.
+ Dans une lettre qu'crivit, il n'y a pas long-tems, son
+ valet Fletcher, une dame qui l'avait intimement connu
+ Southwell, on trouve le passage suivant: Votre bon, votre
+ pauvre matre m'appelait toujours _l'antique pit_, quand je
+ m'avisais de lui faire des remontrances. Lors de sa dernire
+ visite, il me dit: _Eh bien! ma bonne amie, je ne serai
+ jamais aussi heureux qu' Southwell_. On verra plus loin,
+ dans une lettre M. Dallas, ce qu'il pensait rellement de
+ cette ville et de ses agrmens comme lieu de rsidence.]
+
+Je pars lundi pour Londres; je quitte Cambridge sans beaucoup de peine,
+notre socit tant disperse, et le musicien que je protgeais ayant
+quitt sa place dans le choeur pour entrer dans une grande maison de
+commerce de la capitale. Je vous ai dit, sans doute, qu'il tait
+exactement, et une heure prs, plus jeune que moi de deux annes. Je
+l'ai trouv fort grandi, et surtout enchant de revoir son premier
+_patron_. Il est presque de ma taille, trs-maigre, d'une belle figure,
+des yeux noirs, des cheveux clairs: vous connaissez dj l'ide que j'ai
+de son esprit; j'espre bien n'avoir jamais sujet d'en changer. On me
+croit ici gnralement indispos: l'universit est fort gaie dans ce
+moment; elle donne des ftes de tous les genres. Hier j'ai soup dehors,
+mais je n'ai rien mang; satisfait d'une bouteille de Bordeaux, je me
+suis couch deux heures pour me lever huit. J'ai pris le parti de me
+lever de bonne heure, cette habitude me convient parfaitement. Je reois
+beaucoup de politesses des matres et des lves; mais ils me regardent
+avec un peu de dfiance: ils se soucient peu des _lardons_; le moyen de
+dplaire c'est de dire la vrit.
+
+crivez-moi, dites-moi comment se partent les habitans de votre
+_mnagerie_, si mon dition se place, si mes chiens grognent. propos,
+mon boul-dogue est dcd; _la chair du chien comme celle de l'homme
+n'est que de l'herbe_. Rpondez-moi Cambridge; si j'en suis parti, on
+m'enverra votre lettre. Voici de tristes nouvelles qui arrivent: les
+Russes sont vainqueurs; triste troupe qui ne mange que de l'_huile_, et
+par consquent devait fondre devant un _feu soutenu_. Je ne suis pas
+mon aise dans mon costume universitaire, je n'en ai pas l'usage. Je suis
+mont sur une fentre Sainte-Marie pour mieux entendre un _oratorio_;
+mais au milieu du chant du _Messie_, je me suis laiss tomber, dchirant
+ma superbe robe de soie noire, et endommageant une fort belle paire de
+culottes. Mmoire, prendre garde de ne jamais tomber d'une fentre
+d'glise pendant le service. Adieu, ma chre lisabeth, ne me rappelez
+personne, oubliez les gens de Southwell; en tre oubli, voil tout ce
+que je dsire.
+
+
+
+
+LETTRE XIV.
+
+ MISS PIGOT.
+
+Cambridge, collge de la Trinit, 5 juillet 1807.
+
+
+Depuis ma dernire lettre, je me suis dcid rester encore une anne
+ Granta (Cambridge); mes appartemens y sont meubls dans le dernier
+style. Plusieurs vieux amis me sont revenus, et leur nombre s'est
+augment de nouvelles connaissances; mon inclination est donc pour le
+collge, et j'y retournerai en octobre si je vis encore. Ma vie est ici
+une suite continuelle de plaisirs; je vais dans le mme jour vingt
+diffrens endroits; j'ai des invitations pour dner plus que le tems de
+mon sjour ne me permet d'en accepter. Je viens de prendre la plume, une
+bouteille de Bordeaux dans la tte et des larmes dans les yeux, car je
+viens de quitter ma Cornaline[73] qui tait venue passer la soire avec
+moi; comme c'tait notre dernire entrevue, j'avais manqu aux
+invitations que l'on m'avait faites pour consacrer l'amiti les heures
+du _sabbat_. Maintenant nous voil spars, Edleston et moi: ma tte est
+un chaos d'ennuis et d'esprances. Demain je partirai pour Londres; vous
+m'crirez Albemarle-street, htel Gordon, o j'habiterai pendant mon
+sjour dans la capitale.
+
+Je suis ravi d'apprendre que vous vous intressiez mon _protg_; il
+a t mon _trs-constant associ_ depuis le mois d'octobre 1805, poque
+de mon entre au collge Trinit. Sa voix fut la premire me frapper,
+sa figure m'attacha lui, ses manires me le firent aimer pour la vie.
+Il entre dans une maison de commerce en ville vers le mois d'octobre, et
+tout porte croire que je ne le reverrai pas avant l'poque de ma
+majorit, quand je pourrai lui donner choisir ou d'une place d'associ
+dans sa maison, ou de venir demeurer avec moi. Je pense que, dans ses
+ides actuelles, il prfrerait le dernier parti; mais d'ici l il
+pourra bien changer d'avis: dans tous les cas ce sera comme il
+l'entendra. Il est certain que c'est l'tre que j'aime le plus au monde,
+et que ni le tems ni l'absence ne pourront changer en rien mes sentimens
+d'ailleurs si mobiles. Bref, nous ferions honte lady E... Butler et
+miss Ponsonby, nous tonnerions Oreste et Pilade; et vienne l'occasion
+d'une catastrophe comme celle de Nisus et Euryale, nous l'emporterons
+sur David et Jonathan. Peut-tre a-t-il pour moi encore plus d'affection
+que je n'en ai pour lui. Pendant tout mon tems de Cambridge, nous nous
+sommes vus tous les jours, t et hiver, sans prouver un moment
+d'ennui, et nous sparant toujours avec une peine incroyable. Vous nous
+verrez un jour ensemble, je l'espre; c'est le seul homme que j'estime,
+bien que ce ne soit pas le seul que j'aime[74].
+
+ [Note 73: C'est--dire celui auquel il avait donn la fameuse
+ cornaline.]
+
+ [Note 74: Il faut placer ici les autres dtails de cette
+ amiti exalte. Le jeune Edleston mourut en 1811 de
+ consomption. Voici la lettre que Byron adressa la mre de
+ miss Pigot; elle prouvera quelle fut alors sa douleur, et
+ quelle fidlit il gardait la mmoire de cet ami de
+ collge:
+
+ Cambridge, 28 octobre 1811.
+
+ MA CHRE DAME,
+
+ Je vous cris pour une demande pnible, et cependant il
+ m'est impossible de faire autrement. Vous vous souvenez d'une
+ cornaline que j'avais confie miss lisabeth, il y a
+ quelques annes, que rellement je lui avais donne;
+ maintenant je viens lui faire la plus goste et la plus
+ inconvenante prire. Celui qui me l'avait donne, dans sa
+ premire jeunesse, est _mort_; et bien que je ne l'eusse pas
+ revu depuis long-tems, c'est le seul souvenir qui me reste de
+ cette personne laquelle je m'intressais trs-vivement.
+ Elle a donc acquis par cet vnement une valeur que j'aurais
+ bien souhait ne jamais lui supposer. Si donc miss Betty l'a
+ conserve jusqu' prsent, elle m'excusera, je l'espre, si
+ je la supplie de me la renvoyer Londres,
+ Saint-James-street, n 8; je la remplacerai par quelque autre
+ souvenir qui lui sera galement prcieux. Elle eut toujours
+ la bont de s'intresser au sort de celui dont je viens de
+ parler; dites-lui que le _donneur_ de la cornaline mourut au
+ mois de mai dernier, l'ge de vingt-un ans, et que sa mort
+ est la sixime d'amis ou de parens que j'aie eu supporter
+ dans l'espace de quatre mois.
+
+ Croyez-moi bien sincrement, ma chre dame,
+
+ BYRON.
+
+ _P. S._ Je pars demain pour Londres.
+
+ La cornaline fut aussitt renvoye Lord Byron, qui
+ rappelait encore quelque tems aprs qu'il l'avait laisse
+ miss Pigot comme un dpt et non pas comme un don.]
+
+Le marquis de Tavistock est arriv hier; j'ai soup avec lui chez son
+tuteur, qui est un whig dlibr. L'opposition est ici en nombre, et
+lord Huntingdon, le duc de Leinster, etc., etc., doivent encore nous
+joindre en octobre; ainsi tout sera admirable. Le tems de la musique est
+pass; mais voici un nouvel accident: j'ai renvers une _nacelle_
+beurre sur la robe d'une dame; j'ai chang de couleur; les spectateurs
+de rire et moi de les maudire. propos, aveu pnible! je me suis
+_gris_ tous les jours, et je n'ai pas encore fini; cependant je ne
+mange rien que du poisson, du potage et des vgtaux; je ne me porte
+donc pas plus mal. Les sots malins que ces Cantabres[75]! Mmoire.
+Projet de rforme pour janvier. Cette ville offre une monotonie de
+distractions continuelles; je l'aime, et dteste Southwell. Ridge a-t-il
+bien vendu? Quelles dames ont achet?... J'ai vu Sainte-Marie une
+jeune fille, vrai portrait d'Anne... J'ai cru que c'tait elle... et
+pour mon malheur; car la dame s'arrta, ainsi le fis-je; je rougis,
+ainsi ne fit-elle pas, ce qui tait fort mal; je voudrais dans les
+femmes plus de modestie. En parlant de femmes, Fanni, mon chien terrier,
+me revient l'esprit; comment se porte-t-il? J'ai attrap un mal de
+tte, je vais me mettre au lit et demain haut le pied de bonne heure
+pour me mettre en route. Mon protg djeunera avec moi, mais je n'ai
+pas d'apptit quand je pars, si ce n'est de Southwell. Mmoire. _Je hais
+Southwell_.
+
+Tout vous.
+
+ [Note 75: Les habitans de Cambridge.]
+
+
+
+
+LETTRE XV.
+
+ LA MME.
+
+Htel Gordon, 13 juillet 1807.
+
+
+Vous m'crivez des lettres parfaites.--Fi des autres correspondans, et
+de leurs fades excuses _de n'avoir rien vous apprendre_! Vous m'avez
+envoy une dlicieuse _brochure_; ici je me trouve dans un continuel
+tourbillon de distractions fort agrables aprs tout, et, chose
+singulire, je maigris vue d'oeil, pesant maintenant bien moins de cent
+trente livres. Je sjournerai ici un mois, peut-tre six semaines; je
+ferai une apparition dans le comt d'Essex, et comme une faveur je
+viendrai briller Southwell dans toute ma gloire; mais rien jamais ne
+pourra me forcer y rsider. Je suis dcid retourner en octobre
+Cambridge; ou nous y serons d'une gat folle, ou je dcampe de
+l'universit. Il m'est arriv Cambridge quelque chose
+d'extraordinaire. J'ai trouv une jeune fille qui ressemblait ***, au
+point que la plus minutieuse inspection pouvait seule m'empcher de la
+prendre pour cette dernire. Je me repens de ne pas lui avoir demand si
+elle tait jamais alle Harrow.
+
+Que diable prtend donc Ridge? cinquante exemplaires en quinze jours,
+et avant les annonces, n'est-ce pas assez vendre? Je sais que plusieurs
+libraires de Londres en ont, et que Crosby en a envoy aux _eaux_ les
+plus frquentes. En dit-on Southwell du bien ou du mal?... J'aurais
+voulu que Boatswain et _aval_ Damon. Comment se porte Bran? Par les
+dieux, il faut que Bran devienne un _comte du saint empire romain_...
+
+Les nouvelles de Londres ne peuvent gure vous intresser; vous dont
+toute la vie a t campagnarde vous vous souciez peu des routs, des
+parties, des bals, des luttes, des cartes, des crim. con.[76],
+discussions des chambres, politique, bals masqus, industrie,
+institution d'Argyle-Street, courses nautiques, amourettes et loteries,
+Brook et Bonaparte, chanteurs d'opras et oratorios, vins, femmes,
+figures de cire, girouettes, tout cela ne s'accorde gure avec vos ides
+rtrcies de dcorum et vos autres expressions sucres qui ne se
+trouvent plus dans notre vocabulaire.
+
+ [Note 76: Abrviation des mots _criminelles conversations_,
+ qui servent dsigner les actions en adultre, viols,
+ attentats la pudeur, etc., etc.]
+
+Oh! Southwell! Southwell! combien je me flicite de t'avoir abandonn,
+et combien je maudis les lourdes heures coules plusieurs mois durant,
+au milieu des Mohawk qui habitent tes kraals! Toutefois une chose me
+console, c'est, grce toi, d'avoir dpouill assez de mon ancienne
+graisse pour me permettre de glisser dans une _peau d'anguille_, et de
+lutter avec les plus sveltes beaux des tems modernes. Mais je suis fch
+de le dire, la mode actuelle semble exiger de l'embonpoint, et l'on
+m'assure qu'il s'en faut de quatorze livres que je sois la mode. Il
+n'en est pas moins vrai qu'au lieu d'engraisser je diminue, ce qui est
+extraordinaire, attendu qu' Londres on ne peut songer des exercices
+violens. J'attribue ce phnomne la presse que nous prouvons dans nos
+runions du soir. Je reois ce matin mme 14, une lettre de Ridge; la
+mienne tait commence d'avant-hier: il m'crit que mon livre se dbite
+aussi bien qu'on peut le dsirer; que les soixante-quinze exemplaires
+envoys Londres sont puiss, et qu'on lui en demande, le jour mme
+qu'il m'crivait, cinquante de plus: on n'a pourtant pas encore fait la
+moiti des annonces. Adieu.
+
+_P. S._ Lord Carlisle, en recevant mes oeuvres, m'a fait tenir une
+lettre assez satisfaisante avant d'avoir ouvert le livre: depuis je n'en
+ai pas entendu parler. Je ne connais pas l'opinion qu'il en a forme, et
+je m'en soucie fort peu. S'il fait la moindre insolence je l'encadrerai
+avec Butler[77] et les autres de sa force. Le pauvre homme! il est dans
+le duch d'York et fort malade; il me dit qu'il n'a pas eu le tems de me
+lire, mais qu'il a jug convenable de m'annoncer de suite qu'il avait
+reu mon envoi. Peut-tre le comte ne veut-il _pas souffrir de frre
+auprs de son trne_[78].--_S'il en est ainsi_, je saurai bien briser
+_le sceptre dans ses mains_.--
+
+Adieu.
+
+BYRON.
+
+ [Note 77: Byron a insr parmi ses pomes imprims, sans
+ avoir t publis, quelques vers sur le docteur Butler, qu'il
+ n'a pas reproduits dans les _Heures d'oisivet_; il y avait
+ ajout une note moins amre, dans laquelle il expliquait ses
+ motifs de rancune.]
+
+ [Note 78: Citation qui prsente une allusion la coutume du
+ Grand-Seigneur, de faire trangler ses frres en montant sur
+ le trne.]
+
+
+
+
+LETTRE XVI.
+
+ LA MME.
+
+2 aot 1807.
+
+
+Londres commence dgorger ce qu'elle contenait.--La ville est
+dserte,--et mes occupations devenant moins nombreuses, je puis
+griffonner loisir. Dans quinze jours je partirai pour rpondre une
+invitation de campagne, mais j'espre bien recevoir d'ici-l deux
+lettres de vous. Ridge _n'coule_ pas rapidement dans Nottes.--Je le
+crois facilement; mais dans la capitale la chose se passe d'une manire
+bien plus flatteuse, et sans doute on peut se passer de l'assentiment
+des littrateurs de province, quand on a d'ailleurs obtenu l'loge des
+revues, l'admiration des duchesses et la reconnaissance intresse des
+libraires de la capitale. J'ai actuellement sous les yeux une revue
+intitule: _Rcrations littraires_; mes posies y sont vantes bien
+au-del de leur mrite. Je ne connais pas mon juge, mais je lui trouve
+beaucoup de discernement, et moi un talent _d'enfer_. Sa critique me
+plat surtout en ce qu'elle est fort longue, et en ce qu'elle a
+justement la dose de svrit ncessaire pour donner ses loges un
+agrable relief. Je hais, vous le savez, les complimens communs et
+insipides. Si vous voulez voir cet article, cherchez le troisime numro
+des _Rcrations littraires_ du mois dernier.
+
+Je n'ai pas, je vous le rpte, la plus lgre ide de celui qui l'a
+fait: il est imprim dans un recueil priodique; et bien qu'on ait
+insr dans le mme ouvrage un morceau de ma composition (l'_Examen de
+Wordsworth_[79]), je ne connais aucun de ceux qui s'intressent cette
+publication, pas mme l'diteur, dont le nom n'est pas parvenu jusqu'
+moi. Mon cousin, lord Alexandre Gordon, m'a dit que la _Grce_ de
+Gordon, sa mre, l'avait engag prsenter ma _potique_ seigneurie
+son _altesse_, attendu qu'elle avait achet mon livre, qu'elle l'avait
+prodigieusement admir, comme le reste de la haute socit, et qu'elle
+voulait faire connaissance avec l'auteur. Malheureusement j'avais une
+invitation pour quelques jours dans les environs, et la duchesse tait
+la veille de partir pour l'cosse; j'ai donc remis l'hiver prochain ma
+prsentation, et alors je pourrai donner la dame, dont il ne
+m'appartient pas de contester l'excellent got, une ide de ma sublime
+et trs-difiante conversation. En ce moment elle est dans les _hautes
+terres_, et Alexandre lui-mme est parti depuis quelques jours pour ce
+sjour bni des vents _noirs_ et _tumultueux_.
+
+ [Note 79: On ne doit remarquer ce coup d'essai de Lord Byron
+ dans les _revues_ (plus tard, comme on le verra, il reparut
+ une ou deux fois dans la mme lice, d'ailleurs si peu
+ potique), qu'en rappelant l'aisance avec laquelle il sut se
+ plier au ton et la phrasologie de ces tribunaux infimes de
+ la littrature; par exemple: Les volumes que nous avons sous
+ les yeux sont de l'auteur des _Ballades lyriques_, collection
+ laquelle on a prodigu, et non pas sans raison, de grands
+ loges. Le caractre du talent de M. Wordsworth est la
+ simplicit unie l'abondance: les vers pchent quelquefois
+ du ct de l'harmonie, mais ils ont de la force; ils
+ s'adressent d'une manire irrsistible l'imagination et
+ tous nos sentimens naturels. Peut-tre ces derniers ouvrages
+ n'galent-ils pas les premires publications du mme auteur;
+ mais on retrouve encore une vritable lgance dans une foule
+ de pices, etc. Si dans ce tems-l M. Wordsworth jeta les
+ yeux sur cet article, il ne prvit pas sans doute que
+ l'auteur d'une pareille prose rivaliserait, quelque tems de
+ l, avec _lui-mme_ dans la lice potique.]
+
+Crosby, mon diteur de Londres, a plac sa seconde _commande_. Il en a
+redemand, du moins si je l'en crois, une troisime Ridge. Sur tous
+les talages de librairie, je vois mon _propre nom_; je ne dis rien,
+mais je jouis en secret de ma clbrit. Le dernier critique qui se soit
+occup de moi, m'a engag avec bienveillance renoncer mon projet de
+ne plus rien crire; et, en _sa qualit d'ami des lettres_, il m'a
+conjur de _gratifier bientt_ le public de quelque nouvel ouvrage. Qui
+diable ne voudrait tre pote, c'est--dire, si tous les critiques
+avaient la mme politesse? Au reste, je paierai peut-tre cher ces
+aimables faveurs prliminaires; mais, dans ce cas-l, j'aurai mon tour;
+et, tant bien que mal, je n'en ai pas moins crit, dans mes instans de
+loisir et aprs deux heures du matin, trois cent quatre-vingts vers
+blancs sur la bataille de Bosworth. J'avais heureusement pu consulter le
+livre de Hutton. Je ferai huit ou dix chants sur ce sujet, et je l'aurai
+termin la fin de l'anne; mais les circonstances dcideront si je
+ferai imprimer ou non ce pome. Voil bien assez d'_gosme_: mes
+lauriers m'ont tourn la cervelle; mais sans doute la caustique
+assiduit des critiques venir, me ramnera des sentimens plus
+modestes.
+
+Southwell est une place maudite; j'en ai fini avec elle, du moins
+suivant toutes les probabilits: l'exception de vous, je ne porte pas
+la moindre estime une seule ame de son enceinte; vous tiez la seule
+compagnie raisonnable, et franchement j'ai toujours eu pour vous plus de
+considration que pour les grues dont je partageais souvent les
+ridicules, par bont d'ame. Vous vous tes donn pour moi et pour mes
+manuscrits plus de peine que ne l'eussent fait tous ces mannequins
+runis. Croyez-moi, je n'ai pas, dans le cercle de pchs o je vis en
+ce moment, oubli votre excellent naturel, et un jour j'espre bien vous
+prouver toute la reconnaissance que j'en conserve. Adieu. Tout vous,
+etc.
+
+_P. S._ Rappelez-moi au docteur P...
+
+
+
+
+LETTRE XVII.
+
+ LA MME.
+
+Londres, 11 aot 1807.
+
+
+Je pars lundi _pour les hautes terres_[80]; un de mes amis
+m'accompagnera dans ma voiture jusqu' dimbourg; c'est l que nous
+quitterons notre quipage pour prendre un _tamdem_ (sorte de cabriolet),
+qui nous conduira au milieu des dfils de l'ouest jusqu' Inverary.
+Nous achterons alors des chasses afin de pntrer dans les endroits
+dfendus aux moyens de transport ordinaires. Quand nous serons sur les
+ctes, nous entrerons dans un vaisseau pour visiter les lieux les plus
+remarquables des les Hebrides, et si le tems nous le permet, nous irons
+jusqu'en Islande trois cents milles seulement de l'extrmit
+septentrionale de l'cosse afin de saluer l'_Hcla_. Ne divulguez pas ce
+dernier projet, ma tendre _maman_ imaginerait que nous voyageons pour
+dcouvrir de nouvelles terres, et ferait entendre comme d'habitude un
+maternel cri d'alarme.
+
+ [Note 80: Ce plan, qu'il n'excuta jamais, avait t rsolu
+ avant son dpart de Southwell; voici comme il en est parl
+ dans une lettre de miss Pigot son frre: Comment
+ pouvez-vous demander si Lord Byron ira cet t dans les
+ _hautes terres_ (ou _Highlands_) d'cosse? Ignorez-vous donc
+ qu'il n'a pas la mme ide dix minutes de suite? Je lui dis
+ qu'il est aussi inconstant que les vents et aussi mobile que
+ les vagues.]
+
+J'ai nag dans la Tamise la semaine dernire entre les deux ponts de
+Westminster et de Blackfriars, ce qui fait, en y comprenant les
+diffrent dtours obligs, une distance de trois milles. Vous voyez que
+je suis prpar compltement un naufrage sur mer.
+
+J'ai l'intention de runir toutes les traditions Erses, les pomes,
+etc., etc., de les traduire ou du moins d'tendre assez le sujet pour
+faire un volume qui paratra au printems prochain sous le titre de _la
+Harpe montagnarde_ ou quelque autre titre aussi pittoresque. J'ai
+termin le premier livre de la bataille de Bosworth; un second est
+commenc, ce sera l'affaire de trois ou quatre ans, et sans doute il ne
+sera jamais fini. Que penseriez-vous de quelques stances sur le mont
+Hecla? Du moins elles seraient crites sous le _feu_. Comment va
+l'immortel Bran? et ce phnix des btes canines, le superbe Boatswain?
+Je viens d'acheter un boul-dogue de race, digne d'tre le coadjuteur des
+prcdentes divinits; son nom est Smut. _Oh! zphirs, portez-le sur vos
+ailes embaumes_. crivez-moi avant mon dpart, je vous en conjure par
+la cinquime cte de votre grand-pre. Ridge est content de la vente, et
+cela me console du peu de succs du livre en province. La vogue a t
+complte Londres: il y a peu de jours que Carpantier, l'diteur de
+Moore, m'a dit qu'on avait vendu tout ce qu'on avait envoy, et qu'on ne
+pouvait satisfaire aux dernires demandes parce qu'on n'en avait plus.
+Le duc d'York, la marquise de Headfort, la duchesse de Gordon, etc., se
+sont trouvs au nombre des acheteurs, et l'opinion de Crosby est que la
+circulation sera plus rapide encore dans l'hiver. L't est une saison
+nulle pour le commerce, tant il y a peu de monde Londres, et cependant
+ils sont extrmement contens. Je passerai tout prs de vous dans le
+cours de mon voyage, mais je ne pourrai aller vous voir. Ne le dites pas
+ Mrs. Byron, elle croit que je prends une autre route. Si donc vous
+avez une lettre, mettez-la la boutique de Ridge, o je m'arrterai, ou
+bien adressez-la, poste restante, Newark, vers six ou huit heures du
+soir. Si votre frre veut bien se trouver l, je serai diablement ravi
+de le voir; il pourra repartir le soir mme, ou bien souper avec nous,
+et retourner le lendemain matin. Je loge aux Armes de Kingston.
+
+Adieu. Tout vous.
+
+BYRON.
+
+
+
+
+LETTRE XVIII.
+
+ LA MME.
+
+Collge de la Trinit, Cambridge, 25 octobre 1807.
+
+
+MA CHRE LISABETH,
+
+Fatigu d'tre rest au jeu ces deux derniers jours jusqu' quatre
+heures du matin[81], je prends la plume pour m'informer de la sant de
+votre altesse et de toutes les autres connaissances fminines que j'ai
+laisses dans votre mtropole archipiscopale. Je mrite, je le sais, de
+grands reproches pour ma ngligence; mais ne faisant que courir cheval
+de long en large dans la province depuis trois mois, comment aurais-je
+pu remplir les devoirs d'une exacte correspondance? Enfin me voil
+retenu pour six semaines, et je vous cris aussi _maigre_ que jamais,
+n'ayant pas depuis ma diminution regagn une once, et n'en tant que de
+meilleure humeur; mais, quoi qu'il en soit, Southwell tait un sjour
+dtestable. J'en suis dehors, grce Saint-Dominique. Depuis ce tems,
+je m'en suis deux fois rapproch de huit milles, mais sans pouvoir me
+dcider venir touffer dans sa lourde atmosphre. Cambridge est de son
+ct assez maudite; c'est un vil chaos de bruit et d'ivrognerie; le jeu,
+le bourgogne, la chasse, les mathmatiques et Newmarket, les orgies et
+les courses de chevaux, voil tout ce qu'on y fait et tout ce qu'on y
+trouve; mais compar l'ternelle insipidit de Southwell, c'est un
+vrai paradis. Est-il rien de plus misrable que de ne faire qu'accrotre
+tous les jours le nombre de ses amours, de ses ennemis et de ses vers?
+
+ [Note 81: On trouvera ici, comme dans plusieurs autres
+ lettres de sa jeunesse, cette espce d'ostentation
+ d'inconduite, travers assez commun cet ge, alors
+ qu'aspirant la virilit, nous nous imaginons qu'il peut y
+ avoir de la force se prcipiter dans le dsordre.
+ Malheureusement cette ambition purile de paratre plus
+ mauvais qu'il n'tait, demeura invtre dans l'esprit de
+ Lord Byron long-tems aprs qu'elle s'est vanouie chez les
+ autres; son esprit ne faisait mme que s'en dbarrasser
+ lorsqu'il termina ses jours.]
+
+Au mois de janvier prochain (mais cela est seulement entre nous, n'en
+dites rien, je vous prie, car mon perscuteur maternel jetterait bien
+vite sur mes projets sa tomahawk); je me mettrai en mer pour quatre ou
+cinq mois avec mon cousin le capitaine Bettesworth, qui commande _la
+Tartare_, la plus belle frgate de la marine. J'ai dj vu bien des
+scnes, je veux tudier celles de la mer. Tout porte croire que nous
+irons dans la Mditerrane ou aux Indes occidentales, ou bien enfin...
+au diable, et s'il y a quelque possibilit de me faire prsenter ce
+dernier, Bettesworth le fera; c'est un brave compagnon qui n'a encore
+reu que vingt-quatre blessures en diffrens lieux, et qui possde une
+lettre du dernier lord Nelson, avouant que Bettesworth est le seul
+officier de marine qui ait reu plus de blessures que lui-mme.
+
+J'ai maintenant un nouvel et le plus bel ami du monde, c'est un ours
+apprivois; quand je le montrai pour la premire fois, on me demanda ce
+que je prtendais en faire, et moi de rpondre que c'tait un nouveau
+candidat au grade. Sherard vous expliquera ce mot, si vous avez de la
+peine le comprendre. Ma rponse ne fit pas fortune. Nous avons ici une
+foule de runions; ce soir, par exemple, je soupe avec un assortiment
+complet d'cuyers, joueurs, boxeurs, auteurs, ecclsiastiques et potes.
+C'est, comme vous le voyez, un prcieux mlange; mais ils s'accordent
+bien ensemble, et pour moi je suis un compos de chacun d'eux,
+l'exception des cuyers. Hier, j'ai encore t dmont de cheval.
+
+Remerciez, en mon nom, votre frre pour son trait. J'ai crit deux
+cent quatorze pages d'un roman, un pome de trois cent quatre-vingts
+vers, que l'on publiera dans quelques semaines sans mon nom, et avec des
+notes; cinq cent soixante vers de la bataille de Bosworth et deux cent
+cinquante d'un autre pome, sans compter une demi-douzaine de pices
+fugitives. Le pome que l'on va publier est une satire[82]. propos,
+j'ai t port dans les cieux par la Revue critique[83] et vivement
+insult dans une autre publication[84]. Le tout, me dit-on, est pour le
+mieux pour la vente du livre; cela occupe l'attention, et empche mon
+livre d'tre oubli; d'ailleurs, dans tous les tems, n'a-t-on pas
+censur les plus grands hommes? pourquoi les derniers seraient-ils plus
+heureux? Je supporte donc mon sort en philosophe: il est bizarre que
+deux critiques opposes aient paru le mme jour; et que sur cinq pages
+d'injures, mon censeur, l'appui de son opinion, ne cite que _deux
+vers_ de diffrens pomes. Maintenant la vraie manire de _tuer un
+homme_, est de citer de longs passages et de les faire paratre
+absurdes, car une simple allgation n'est pas une preuve. D'un autre
+ct, il y a sept pages d'loges, et c'est plus que ma _modestie_ ne
+peut en supporter ce sujet.
+
+_P. S._ crivez, crivez, crivez!!!
+
+ [Note 82: Ce pome, qu'il augmenta depuis, tait _les Bardes
+ anglais et les Reviseurs cossais_. Il semblerait d'aprs
+ cela que l'ide de cette satire lui soit venue quelque tems
+ avant la publication de l'article de la _Revue d'dimbourg_.]
+
+ [Note 83: En septembre 1807. Cette _Revue_, en prononant sur
+ la carrire future du jeune auteur, se montra meilleur
+ prophte que le grand oracle du nord. L'crivain, en citant
+ l'lgie sur l'abbaye de Newsteadt, disait: Nous ne pouvons
+ que saluer avec une sorte d'enthousiasme prophtique
+ l'esprance renferme dans la stance suivante:
+
+ Heureusement ton soleil peut encore chauffer ton front de
+ ses rayons les plus brlans, etc., etc.]
+
+ [Note 84: Dans le premier numro d'un ouvrage mensuel, appel
+ _le Satirique_, dans lequel furent insres, par la suite,
+ quelques invectives contre sa personne.]
+
+Ce fut au commencement de l'anne suivante que Lord Byron forma une
+liaison avec M. Dallas, alli de sa famille par les femmes. Ce M. Dallas
+est l'auteur de quelques romans qui jouirent d'une certaine rputation
+lorsqu'ils parurent, et aussi d'une sorte de _Mmoires_ du noble pote,
+publis immdiatement aprs sa mort. Comme ils sont principalement
+fonds sur sa correspondance originale, ce sont aussi les plus
+authentiques et les plus dignes de foi qui aient encore t publis.
+Dans les lettres que Lord Byron adresse ce _gentleman_, parmi un grand
+nombre de dtails curieux, sous le point de vue littraire, nous en
+trouvons de bien plus importans sous celui qui nous occupe en ce moment;
+je veux dire quelques dtails propres faire connatre les opinions que
+Lord Byron professait alors sur la morale et la religion, opinions qui
+eurent une si grande influence sur sa rputation et sa conduite.
+
+Ce n'est que bien rarement que l'irrligion et le scepticisme trouvent
+accs dans un jeune coeur. Cette disposition naturelle se confier en
+l'avenir, qui fait le charme de cette priode de la vie, la rend
+naturellement la saison de la foi et de l'esprance. Alors sont encore
+fraches dans l'esprit ces impressions d'une premire ducation
+religieuse, qui, dans les esprits mme les plus prompts mettre en
+question la foi de leurs pres, ne cdent que lentement aux
+envahissemens du doute, et, en mme tems, tendent le bienfait de leur
+rpression morale sur cette partie de la vie o l'on reconnat qu'elle
+est le plus ncessaire. Si, comme les incrdules le reconnaissent
+eux-mmes, l'absence du frein religieux dgage l'homme d'une
+responsabilit qui lui serait utile dans tous les tems; il en est
+surtout ainsi dans la jeunesse, l'ge des tentations, l'ge o les
+passions sont dj assez portes par elles-mmes se donner toute
+latitude sans que l'irrligion vienne encore ajouter leur licence. Il
+est donc heureux que, par suite des raisons que nous venons d'indiquer,
+le scepticisme et l'incrdulit ne pntrent gnralement dans les ames
+qu' une poque de la vie o le caractre, dj form, est moins
+susceptible d'tre dtrior par leur influence funeste. Quand
+l'incrdulit est le rsultat erron de la pense et du raisonnement,
+elle aura quelque chose de la froideur des sources qui l'ont fait
+natre; elle ne sera qu'un sujet de spculation; elle n'aura que peu de
+pouvoir porter l'homme vers le mal, comme, la mme poque de la vie,
+la foi la plus orthodoxe n'en a trop souvent que peu pour le conduire
+vers le bien.
+
+Tandis que, de cette manire, les moeurs de l'incrdule lui-mme sont
+prserves des consquences funestes que de telles doctrines eussent pu
+entraner un ge plus tendre; par une raison analogue, le danger de la
+communication de ces mmes ides d'autres, se trouve singulirement
+diminu. Cette mme vanit, cette mme audace qui ont dict les opinions
+du jeune sceptique, le conduiront aussi probablement les rvler,
+les proclamer tout haut, sans s'occuper de l'effet que son exemple peut
+avoir sur ceux qui l'entourent, ou de l'odieux qu'une telle confession
+ne saurait manquer de jeter irrparablement sur lui-mme; mais, dans un
+ge plus avanc, on examine ces consquences avec plus de rflexion.
+
+L'incrdule, s'il a quelque considration pour le bonheur des autres, y
+regardera deux fois, avant de chasser de leur coeur une esprance dont
+lui-mme sent si vivement l'absence et le prix. S'il n'a d'gards que
+pour lui-mme, il hsitera naturellement encore promulguer des
+doctrines que, dans aucun sicle, les hommes n'ont impunment
+professes. Dans l'un ou l'autre cas, il y a donc grande probabilit
+qu'il gardera le silence; car, en supposant que la philanthropie ne
+l'loignt pas du projet de convertir les autres, la prudence du moins
+pourra l'empcher de faire de lui-mme un martyr.
+
+Malheureusement Lord Byron fut encore en ceci une exception la rgle
+gnrale. Chez lui le ver rongeur se montra au matin de la jeunesse, au
+moment o ses ravages devaient tre le plus funestes. Au malheur rel
+d'tre incrdule quelque ge que ce soit, il ajouta le malheur plus
+rare d'tre incrdule avant d'avoir quitt les bancs de l'cole. Et la
+prcocit qui mit, de si bonne heure, en jeu ses passions et son gnie,
+le fit aussi parvenir, avant l'ge, au plus affreux des rsultats de la
+raison humaine. cette poque de la vie, o un caractre comme le sien
+avait surtout besoin du frein des croyances religieuses, ce frein lui
+manquait dj presque entirement.
+
+Nous avons vu dans les deux prires la Divinit que j'ai extraites de
+ses posies non publies, et mieux encore dans le rsum de ses tudes,
+ quel ge son esprit ardent avait dj secou le joug de tous les
+systmes et de toutes les sectes. Toutefois, dans ces prires
+elles-mmes, il y a une ferveur d'adoration, au milieu de l'loignement
+des croyances reues, qui peut montrer tout ce qu'il y avait
+naturellement de pit dans son coeur (et il y en a beaucoup dans le coeur
+des vrais potes). S'il avait eu alors pour guides et pour appuis des
+hommes capables de nourrir et d'entretenir ces heureuses dispositions,
+il et vit cette licence, ce dvergondage d'opinions, auxquels il se
+livra dans la suite. Son scepticisme, s'il n'et pas t entirement
+dtruit, et pu se changer en un doute modeste, qui, loin d'tre oppos
+ l'esprit religieux, le prserve de l'orgueil et lui inspire la charit
+pour les erreurs des autres. S'il n'avait pas lui-mme pris sur les
+matires religieuses des ides claires et solides, il et du moins
+appris ne pas obscurcir et branler celles de ses semblables. Mais il
+eut le malheur de n'avoir point prs de lui un sage mentor. Aprs avoir
+quitt Southwell, il ne restait prs de lui ni parent ni ami, vers qui
+il pt lever les yeux avec respect. Il fut jet seul dans le monde, avec
+ses passions et son orgueil, pour s'abandonner l'affreuse dcouverte
+qu'il croyait avoir faite de la non-existence d'une vie venir, et aux
+droits ds-lors absolus que le prsent a sur nous. Par une autre
+fatalit, celui de ses camarades de collge pour lequel il professa de
+son vivant le plus d'admiration et d'attachement, et dont il dplora la
+perte avec la tendresse d'un frre, Matthews se trouva aussi sceptique
+que lui-mme, si ce n'est davantage encore. Les parens de ce jeune
+homme, dont la carrire, si elle n'et t sitt arrte par la mort,
+paraissait, d'aprs les promesses de sa jeunesse, devoir tre si
+brillante, conurent l'ide de publier ses Mmoires, et s'adressrent,
+en consquence, Byron et ses autres amis, pour en obtenir des
+matriaux. La lettre suivante, laquelle cette demande donna lieu,
+outre qu'elle renferme plusieurs anecdotes amusantes sur son ami, nous
+donne des dtails si intressans sur sa vie domestique cette poque,
+que nous n'hsitons pas interrompre l'ordre chronologique pour
+l'insrer ici.
+
+
+
+
+LETTRE XIX.
+
+ M. MURRAY.
+
+Ravenne, 12 novembre 1820.
+
+
+Ce que vous me dites de feu Charles Skinner Matthews, a rveill tous
+mes anciens souvenirs; mais il m'a t impossible d'approuver
+l'intention qu'a son frre de donner une notice sur sa vie, quand bien
+mme les vnemens qui la remplirent auraient eu assez d'importance pour
+justifier la publication d'anecdotes d'un intrt aussi restreint.
+Nanmoins, c'tait un homme bien extraordinaire, et qui aurait acquis
+une grande illustration. Nul n'obtint jamais de plus brillans succs
+dans tout ce qu'il voulut essayer. Il tait trop indolent sans doute;
+mais quand il lui arrivait de faire un effort, il dpassait aussitt de
+bien loin tous ses rivaux. Ses victoires se trouveront enregistres
+Cambridge, particulirement celle sur Downing, qui fut aisment
+remporte, quoique vivement et chaudement conteste. Hobhouse tait son
+intime ami; il vous donnera plus de documens sur lui que personne.
+William Bankes aussi le connaissait intimement; mais pour moi je me
+rappelle moins ses grandes facults acadmiques que ses bizarreries.
+Nous nous sommes trouvs runis l'une des poques les moins riantes de
+ma vie. Quand, en 1805, j'entrai au collge de la Trinit, g de
+dix-sept ans et demi, j'tais malheureux et jusqu' un certain point
+insociable. Dsol de quitter Harrow, o j'avais fini par me plaire
+pendant les deux annes prcdentes; dsol d'aller Cambridge et non
+pas Oxford (parce qu'il ne se trouvait pas de place vacante
+Christ-Church); dsol de quelques contrarits domestiques de diffrens
+genres, j'tais en consquence aussi indomptable qu'un loup dont on a
+rompu la voie. Aussi, bien que je connusse Matthews, et que je le
+rencontrasse souvent chez Bankes, mon aumnier, mon professeur et mon
+patron, chez Rhodes, chez Milness, chez Price, chez Dick, chez
+Macnamara, Farrell, Galley Knight, et autres connaissances du mme tems,
+cependant je n'tais intime ni avec lui ni avec qui que ce ft, except
+mon ancien camarade d'cole Edward Long, avec qui je passais les
+journes monter cheval et nager, et Williams Bankes, qui avait
+assez de douceur dans le caractre pour tolrer mes frocits.
+
+Ce fut en 1807 seulement, quand, pour prendre mes _degrs_ je fus
+retourn Cambridge, que j'avais auparavant quitt pendant plus d'un
+an, que je devins l'un des amis intimes de Matthews. Ce fut par
+l'entremise de M. ***, qui, aprs m'avoir dtest pendant deux ans,
+comme il le dit lui-mme, parce que je portais un chapeau blanc, une
+redingote grise, et que je montais un cheval gris, m'avait pris en
+affection parce que je faisais des vers. J'avais dj vcu assez
+long-tems avec eux, et je m'tais assez souvent enivr dans leur
+compagnie; mais tout--coup nous devnmes rellement amis un beau matin;
+Matthews cependant ne rsidait pas cette poque au collge; je le
+rencontrais principalement, et de tems en tems, des poques
+incertaines, Cambridge. H... pendant ce tems-l, faisait de grandes
+choses, et fondait le club des whigs de Cambridge, qu'il parat avoir
+oubli, et la _socit amicale_, qui fut dissoute en consquence des
+querelles perptuelles des membres qui la composaient. Il se rendait
+trs-populaire parmi nous autres jeunes gens et trs-formidable tous
+les matres particuliers, tous les professeurs et principaux de
+collges. Williams B... tait parti; car tant qu'il avait t l, c'est
+lui qui dirigeait toute l'universit et qui tait le protecteur-n de
+tous les mauvais tours.
+
+ force de nous rencontrer Londres et ailleurs, Matthews et moi
+devnmes grands amis; il n'tait pas trs-doux de caractre, ni moi non
+plus; mais avec un peu de tact, il tait encore maniable. Je le
+regardais comme un homme si suprieur, que je ne demandais pas mieux que
+de sacrifier quelque chose ses humeurs, qui souvent m'amusaient tout
+en me mettant en colre. On n'a jamais su ce que sont devenus ses
+papiers l'poque de sa mort, et certainement il en avait beaucoup. Je
+le dis ici par forme de parenthse, de peur de l'oublier; il crivait
+remarquablement bien en latin et en anglais.
+
+Nous nous rendmes ensemble Newsteadt, o j'avais une fameuse cave,
+et o je m'tais procur de chez un costumier des habillemens de
+_moines_. Nous tions sept ou huit de notre compagnie, sans compter un
+ou deux voisins qui nous faisaient visite dans l'occasion. Nous restions
+fort tard dans la nuit, habills de nos robes de frres, buvant du
+bourgogne, du bordeaux, du champagne, et que sais-je encore, dans une
+coupe faite d'un crne humain, et quelques autres verres de toute
+espce; faisant mille bouffonneries dans toute la maison, sans quitter
+un instant notre attirail monacal. Matthews m'avait baptis du nom
+d'Abb, et quand il tait de bonne humeur, il ne m'en donna pas d'autre
+jusqu'au moment de sa mort. L'harmonie de nos touchantes runions fut au
+bout de quelques jours tant soit peu interrompue, par la menace que fit
+Matthews de jeter _l'intrpide_ V... (nous l'avions appel ainsi parce
+qu'il avait gagn deux courses, l'une pied, d'Ipswich Londres,
+l'autre cheval, de Brighthelmstone Londres), de jeter, dis-je,
+l'intrpide V... par la fentre, la suite d'une soire de
+plaisanterie, qui se termina par cette _pigramme_. V... vint moi, et
+me dit que le respect et la considration qu'il me devait, comme matre
+de la maison, ne lui permettaient pas d'appeler en duel aucun de mes
+htes, mais que le lendemain matin il se retirerait. Ce fut en vain que
+je lui reprsentai que la fentre n'tait pas trs-leve et que le
+gazon au-dessous tait d'une douceur toute particulire: il s'en alla.
+
+Matthews et moi, nous avions fait le voyage de Cambridge Londres,
+parlant, pendant toute la route, sur le mme sujet. Quand nous fmes
+arrivs Longhborough, je ne sais quel hasard nous en fit carter un
+moment; Matthews s'en indigna; non, dit-il, ne quittons pas notre
+conversation, finissons comme nous avons commenc; continuons jusqu'au
+bout du voyage, et il se mit en effet continuer, trouvant le moyen
+d'tre toujours amusant jusqu'au bout. Il avait auparavant, durant mon
+absence de Cambridge, occup mes appartemens dans le collge de la
+Trinit. En l'y installant, mon rptiteur Jones lui avait dit, avec son
+ton ridicule ordinaire: M. Matthews, je vous recommande srieusement de
+prendre garde d'endommager aucun des meubles, car Lord Byron, monsieur,
+est un jeune homme de passions tumultueuses. Matthews fut ravi de cette
+allocution; et, qui que ce ft qui vnt le visiter, il ne manquait pas
+de leur recommander de ne toucher la porte elle-mme qu'avec une grande
+prcaution, et alors il leur rptait l'exhortation de Jones dans les
+mmes termes et absolument du mme ton; il y avait une grande glace dans
+une chambre, ce qui lui suggra cette remarque, qu'il avait cru d'abord
+que ses amis devenaient singulirement assidus venir _le voir_; mais
+qu'il avait bientt dcouvert qu'ils ne venaient que pour se voir
+eux-mmes. La phrase de Jones de _passions tumultueuses_ et l'ensemble
+de la scne l'avaient mis de si bonne humeur, que je crois en vrit que
+c'est cette circonstance que j'ai d une partie de ses bonnes grces.
+
+Quand nous tions Newstead, il arriva qu'un jour, avant dner,
+quelqu'un lui salit, par mgarde, un de ses bas de soie blancs, et
+naturellement voulut lui en faire des excuses. Monsieur, rpondit
+Matthews, il peut vous paratre fort agrable, vous qui avez une
+grande quantit de bas de soie, de salir ceux d'autrui; mais pour moi
+qui n'ai que cette seule et unique paire, que j'ai mise pour faire
+honneur l'Abb ici prsent, rien ne peut excuser le tort que me fait
+votre manque d'attention, sans parler des frais de blanchissage. Il
+avait presqu'en toute occasion le mme ton de plaisanterie sardonique.
+Une espce de sauvage Irlandais, nomm F**, commenant dire quelque
+chose un grand souper, Cambridge, Matthews se mit crier d'une voix
+de tonnerre: Silence! et alors montrant F** du doigt, il ajouta ces
+paroles d'oracle: _L'ourson est dou de raison_. On peut aisment
+supposer qu'en entendant ce compliment, le pauvre _ourson_ perdit le peu
+de raison qui pouvait lui tre chu en partage. Quand H... publia son
+premier volume de posies, intitul _Mlanges_, tout ce qu'il put en
+tirer, c'est que la prface tait absolument dans la manire de Walsh.
+H... crut d'abord que c'tait un compliment, mais nous ne smes jamais
+quoi nous en tenir l-dessus, car tout ce que l'on connat de Walsh,
+c'est son ode au roi Williams, et l'pithte que lui donne Pope, le
+savant Walsh. Quand notre troupe quitta Newstead pour Londres, H... et
+Matthews qui taient cette poque les meilleurs amis du monde,
+convinrent de faire ensemble la route pied. Ils se querellrent
+moiti route, et achevrent ainsi leur voyage, passant et repassant l'un
+devant l'autre sans se dire un seul mot. Quand Matthews arriva
+Highgate, il avait dpens tout son argent, except trois pences et demi
+(7 sous) qu'il rsolut d'employer aussi une pinte de bire; il la
+buvait la porte d'une taverne, quand H... passa devant lui pour la
+dernire fois, toujours sans lui parler. Ils se rconcilirent depuis
+Londres.
+
+L'escrime tait une des passions de Matthews, il tait aussi trs-fort
+au pugilat, mais il avait gnralement le dessous dans les combats
+srieux et au poing nu; quant la natation, il nageait bien, mais avec
+efforts et travail, et se tenant le corps trop hors de l'eau; en sorte
+que Scrope, Davies et moi-mme, qui tions en quelque sorte ses rivaux,
+nous lui disions souvent qu'il se noierait s'il rencontrait jamais
+quelque endroit difficile. Il se noya en effet; mais, coup sr, Scrope
+et moi eussions bien dsir que le doyen et vcu, et que notre
+prdiction se ft trouve mensongre.
+
+Sa tte tait extraordinairement belle, et ressemblait beaucoup celle
+de Pope dans sa jeunesse.
+
+Son frre Henry, si Henry est bien le nom de celui de _King's college_,
+rappelle fortement sa voix, ses traits et sa manire de rire. Sa passion
+pour boxer tait si grande, qu'il voulait absolument que je le misse aux
+prises avec Dogherty, pour lequel j'avais pari contre Tom Belcher, et
+je les vis s'essayer ensemble dans ma chambre avec les gants. Comme il
+paraissait y tenir opinitrement, j'aurais pari, pour lui plaire, en
+faveur de Dogherty; mais le combat n'eut pas lieu. Bien entendu que
+c'et t un combat particulier dans une chambre particulire.
+
+Un certain jour que le tems ne lui permettait pas de retourner
+s'habiller chez lui, un ami, M. Basley, je crois, l'quipa d'une chemise
+et d'une cravate extrmement la mode, mais tant soit peu exagre. Il
+se rendit l'opra, et prit place dans _Top's Alley_. Pendant
+l'entr'acte, entre l'opra et les ballets, une de ses connaissances vint
+s'asseoir prs de lui, et le salua. Faites le tour, dit Matthews,
+faites le tour. Pourquoi ferais-je le tour? dit l'autre, vous n'avez
+qu' tourner la tte, je suis tout prs de vous. C'est prcisment ce
+que je ne peux pas faire, rpondit Matthews; ne voyez-vous pas l'tat
+dans lequel je suis? montrant du doigt son col de chemise savamment
+empes, et son inflexible cravate. Et il se tint l pendant tout le
+spectacle, sa tte conservant toujours la mme position perpendiculaire.
+
+Un soir aprs avoir dn ensemble, comme nous allions l'opra, je me
+trouvai avoir un billet disponible, comme souscripteur une loge, et
+j'en fis prsent Matthews. Voil, dit-il quelque tems aprs
+Hobhouse, un procd _courtois_ de la part de l'Abb: un autre ne se
+serait jamais avis de penser que je pouvais faire meilleur emploi d'une
+demi-guine que de la jeter un portier de spectacle; mais lui,
+non-seulement il m'invite dner, mais il me donne encore un billet
+d'opra. Ce n'tait qu'une de ses singularits, car nul n'tait plus
+libral, plus grand que lui dans toutes ses manires. Il nous donna,
+Hobhouse et moi, avant notre dpart pour Constantinople, un festin
+magnifique, auquel nous fmes amplement honneur. Une de ses ides tait
+d'aller dner dans toutes sortes de lieux tranges. Quelqu'un le
+dcouvrit un jour dans je ne sais quelle obscure taverne du Strand; et
+que croyez-vous qui l'y attirait? c'est qu'il payait, je crois, un
+shilling pour dner le _chapeau sur la tte_. Il appelait cela sa
+_maison chapeau_, et de vanter les avantages qu'il avait prendre ses
+repas la tte couverte.
+
+Quand sir Henri Smith fut chass de Cambridge, la suite d'une rixe
+avec un marchand nomm _Hiron_, Matthews s'en consola en allant chaque
+soir crier sous la fentre de celui-ci: Hlas! quel pril s'expose
+l'homme qui se joue avec _hat Hiron_[85]! Il tait aussi de cette bande
+de libertins irrligieux qui se faisaient un plaisir d'aller troubler le
+sommeil de Lort Mansel (dernirement vque de Bristol), qui alors
+habitait le collge de la Trinit. Quand celui-ci paraissait sa
+fentre, cumant de colre et s'criant: Je vous connais, messieurs, je
+vous connais, ils avaient coutume de lui rpondre: Nous t'en
+conjurons, oh _Lort_! coute-nous, bon Lort, dlivre-nous[86]! (Lort
+tait son nom de baptme.) Comme il tait trs-libre dans ses manires
+d'envisager toutes sortes de sujets, quoiqu'il ne ft ni dissolu ni
+drgl dans sa conduite, et que je n'avais pas moins d'indpendance
+dans les ides, notre conversation et notre correspondance alarmaient
+quelquefois vivement Hobhouse...
+
+ [Note 85: Il est impossible de traduire en franais le jeu de
+ mots qui se trouve ici dans le texte: _hat Hiron_ signifiant
+ le _bouillant Hiron_, et _hat iron_ signifiant _un fer
+ chaud_.]
+
+ [Note 86: Ces paroles sont extraites textuellement de la
+ liturgie anglicane, et prsentent encore un jeu de mots:
+ _Lord, dlivrez-nous; libera nos, Domine._]
+
+Comme dj avant sa liaison avec M. Matthews, Lord Byron avait commenc
+ s'enfoncer dans l'abme du scepticisme, il serait injuste d'attribuer
+au premier dans les opinions de son ami plus de part qu'il n'a d en
+rsulter de l'influence naturelle de l'exemple et de la sympathie;
+influence qui, prouve galement des deux cts, rendait en grande
+partie rciproque la contagion de leurs doctrines. Outre cette
+communaut de sentimens sur de tels sujets, ils taient tous deux
+tourments par le got dangereux de la satire. Les hommes les plus pieux
+mme ne peuvent pas toujours rsister cette disposition d'esprit qui
+nous entrane presque malgr nous dverser du ridicule sur tout ce
+qu'il y a de plus saint et de plus grave. Il n'est donc pas tonnant que
+dans une telle socit, les opinions du noble pote aient pris avec plus
+de rapidit une direction vers laquelle elles tendaient naturellement;
+et quoique l'on ne puisse pas dire qu'il ait eu alors des doctrines bien
+arrtes, puisque ni cette poque ni aucune autre de sa vie il ne se
+montra incrdule dcid, il apprit sans doute sentir moins fortement
+l'horreur du scepticisme, et y mler de la lgret et de
+l'amour-propre. Ds le commencement de sa correspondance avec M. Dallas,
+nous le voyons proclamer ses sentimens sur tous les sujets de cette
+nature, avec une lgret et un aplomb bien diffrens du ton avec lequel
+il prsentait autrefois ses doutes. Cela mme forme un contraste
+frappant avec cette tristesse fivreuse d'un coeur dsol de perdre ses
+illusions, qui respire dans chaque vers des prires qu'il avait traces
+moins d'un an auparavant.
+
+Il ne faut pas cependant oublier ici sa propension exagrer tout ce
+qu'il pouvait y avoir de mauvais en lui. Dans sa premire lettre M.
+Dallas, nous voyons un exemple de cette trange ambition, compltement
+oppose l'hypocrisie, qui le porta rechercher plutt qu' viter la
+rputation de libertin, et prsenter sans cesse sous le jour le plus
+dfavorable son caractre et sa conduite. Son nouveau correspondant lui
+faisant compliment sur les sentimens de morale et de charit qui
+respiraient dans l'un de ses pomes, avait ajout que cela lui avait
+rappel les ouvrages d'un autre noble auteur, qui tait non-seulement
+grand pote, grand orateur et grand historien, mais encore l'un des plus
+profonds raisonneurs qui aient tabli la vrit de cette religion, dont
+le pardon des offenses est l'un des premiers principes; (le grand et le
+bon lord Littleton, dont la rputation ne prira jamais.) Son fils,
+ajoutait M. Dallas, auquel il avait transmis son gnie, mais non ses
+vertus, a brill un moment pour disparatre bientt comme un mtore
+passager, et avec lui son titre s'est teint. C'est cette lettre que
+Lord Byron fit la rponse suivante:
+
+
+
+
+LETTRE XX.
+
+ M. DALLAS.
+
+Htel Dorant, Albemarle-street, 20 janvier 1808.
+
+
+MONSIEUR,
+
+Votre lettre ne m'est parvenue que ce matin, probablement parce qu'elle
+m'tait adresse Nottingham, o je n'ai pas rsid depuis le mois de
+juin dernier; comme elle est date du 6 courant, je vous prie d'excuser
+le retard de ma rponse.
+
+Si, comme vous dites, le petit volume dont vous parlez a fait quelque
+plaisir l'auteur de _Perceval_ et d'_Aubrey_, je suis plus que
+rcompens par cet loge. Quoique nos censeurs priodiques se soient
+montrs d'une indulgence peu commune, je confesse que l'approbation d'un
+homme d'un gnie aussi reconnu est encore bien plus flatteuse pour moi;
+mais je perdrais, je le crains, tous droits au titre d'homme candide, si
+je ne refusais pas des loges que je ne mrite point. Je suis fch
+d'ajouter que ce serait ici le cas.
+
+Mes ouvrages doivent parler pour eux-mmes; ils doivent se soutenir ou
+tomber suivant leur mrite ou leur dmrite; et sous le rapport
+littraire je suis fier de l'opinion favorable que vous voulez bien m'en
+exprimer. Mais j'ai malheureusement si peu de prtentions au titre
+d'homme vertueux, que je ne puis accepter les complimens que vous me
+faites cet gard, bien que je m'estimasse heureux de les mriter. Un
+passage de votre lettre m'a singulirement frapp: vous y parlez des
+deux lords Littleton comme chacun d'eux le mrite respectivement; vous
+serez surpris d'apprendre que la personne qui vous crit en ce moment, a
+t souvent compare au second. Je n'ignore pas que par cet aveu, je me
+perds moi-mme dans votre estime; mais c'est une circonstance que votre
+observation rend si remarquable, que je ne puis m'empcher de rapporter
+ce fait. Les vnemens de ma courte vie ont t d'une nature si
+singulire, que bien que cet orgueil que l'on appelle ordinairement
+honneur, m'ait toujours empch, et doive, je l'espre, m'empcher
+toujours de disgracier mon nom par aucune action lche ou vile, j'ai
+dj t considr comme un adepte du libertinage et un disciple de
+l'incrdulit. Jusqu' quel point la justice peut-elle avoir dict cette
+accusation? je ne prtends pas l'examiner ici, mais je dirai que comme
+le _gentleman_[87] auquel mes religieux amis, dans la ferveur de leur
+charit, m'ont dj dvou, on me fait plus mauvais que je ne suis en
+effet. Quoi qu'il en soit, pour me laisser l moi-mme, le plus mauvais
+sujet que je puisse traiter, et pour en revenir mes posies, je ne
+puis assez vous exprimer mes remercmens, et j'espre avoir quelque jour
+l'occasion de vous en prsenter personnellement l'hommage. Une seconde
+dition est maintenant sous presse avec quelques additions et des
+retranchemens considrables; vous me permettrez de vous en offrir un
+exemplaire. Le _Critical_, le _Monthly_ et l'_Anti-Jacobin Review_ ont
+t trs-indulgens, mais l'_Eclectic_ a prononc une furieuse
+philippique, non contre le livre, mais contre l'auteur, o vous
+trouverez tout ce que je viens de vous dire avanc par un ecclsiastique
+qui a crit cet article.
+
+ [Note 87: _Le Diable_.]
+
+Je connaissais depuis long-tems votre nom et vos rapports avec notre
+famille; j'espre faire bientt une connaissance personnelle avec vous:
+vous trouverez en moi un excellent compos d'un _Brainless_ et d'un
+_Stanhope_[88]. Je crains que vous ne puissiez dchiffrer cette lettre,
+car ma main est presque aussi mauvaise que ma rputation; mais je vais
+signer, aussi lisiblement qu'il me sera possible, Votre oblig et
+obissant serviteur,
+
+BYRON.
+
+ [Note 88: Personnages du roman intitul: _Percival_
+ (_Perceval_).
+ (_Note de Moore_.)]
+
+Il y a ici videmment une sorte d'orgueil de la part de Byron
+s'assimiler au dbauch lord Littleton. De peur que ce qu'on connaissait
+d'irrgulier dans sa vie ne suffit pas pour justifier cette prtention,
+il fait, avec un air de mystre, suivant sa coutume, allusion des
+vnemens inconnus qui pourraient lui donner droit ce paralle[89]. M.
+Dallas qui, ce qu'il parat, ne s'attendait pas voir recevoir ainsi
+ses complimens, se tira de ce mauvais pas en renvoyant la _candeur_ du
+jeune Lord les loges dont celui-ci s'tait montr si peu reconnaissant
+quand ils taient adresss ses moeurs, et ajoutait que, d'aprs
+l'intention exprime par Lord Byron dans sa prface, d'abandonner le
+culte des muses pour suivre une autre carrire, il le croyait en ce
+moment occup aux tudes qui forment le snateur et l'homme d'tat;
+qu'il se l'tait reprsent comme membre de quelque universit,
+s'exerant l'art de penser et de parler, et amassant un trsor de
+connaissances en histoire et en droit. C'est dans la rponse cette
+lettre que se trouve l'exposition des opinions du noble pote laquelle
+j'ai fait allusion plus haut.
+
+ [Note 89: Cet appel l'imagination de son correspondant ne
+ fut pas tout--fait sans effet: Je pensai, dit M. Dallas,
+ que ces lettres, _quoique videmment fondes sur quelques
+ circonstances de sa vie antrieure_, taient plutt un jeu
+ d'esprit qu'un portrait ressemblant.
+ (_Note de Moore_.)]
+
+
+
+
+LETTRE XXI.
+
+ M. DALLAS.
+
+Htel Dorant, 21 janvier 1808.
+
+
+MONSIEUR,
+
+Dans quelque tems que vos loisirs et votre disposition d'esprit vous
+permettent de me favoriser d'une visite, je serai sensiblement flatt de
+faire une connaissance personnelle avec quelqu'un dont l'esprit m'tait
+dj connu depuis long-tems par ses ouvrages.
+
+Votre conjecture est fonde en ce sens que je suis membre de
+l'universit de Cambridge, o je vais la fin de ce quartier prendre le
+grade de _Master artium_[90]; mais si le raisonnement, l'loquence, la
+vertu taient l'objet que je poursuis, _Granta_[91] n'est point leur
+mtropole; le pays o elle est situe n'est point un Eldorado, bien
+moins encore une Eutopie. L'intelligence de ses enfans est aussi
+stagnante que les eaux de sa _Cam_[92]; ils ont en vue dans leurs
+travaux non l'glise du Christ, mais l'glise la plus prochaine qui leur
+donnerait un bnfice.
+
+ [Note 90: _Matre-s-arts_ (A. M.), second grade dans les
+ universits anglaises, correspondant exactement celui de
+ licenci.
+
+ Une universit anglaise se compose d'tudians non gradus
+ (_under graduates_), de bacheliers, de matres-s-arts et de
+ docteurs. Ces grades ne correspondent pas absolument aux
+ ntres, en ce sens qu'il n'y a de bachelier que _s-lettres_
+ (_artium bachelors_, A. B.), bien que pour obtenir ce titre,
+ il faille subir des examens sur les sciences et la thologie.
+
+ La licence et le doctorat s'obtiennent par un certain nombre
+ d'annes de rsidence et le paiement de certains droits qui
+ varient suivant que l'imptrant est noble ou roturier. Il n'y
+ a galement que des licencis-s-lettres (_artium masters_).
+
+ Quant au doctorat, au contraire, il n'y a point de
+ docteurs-s-lettres, mais seulement des docteurs en thologie
+ (_doctores divinitatis_, D. D.), et des docteurs en droit
+ (_doctores legis_, D. L.). Bien que l'on appelle les mdecins
+ du nom de docteur, il n'y a point de grades en mdecine, non
+ plus que dans les sciences, et leurs diplmes sont plutt des
+ permissions d'exercer que des titres universitaires.
+ (_N. du Tr._)]
+
+ [Note 91: Nom potique de l'universit de Cambridge.]
+
+ [Note 92: Rivire qui passe Cambridge et lui donne son
+ nom.]
+
+Quant mes connaissances, je puis dire sans hyperbole qu'elles sont
+passablement tendues en histoire; peu de nations existent ou ont exist
+dont je ne connaisse plus ou moins les annales, depuis Hrodote jusqu'
+Gibbon. Quant aux auteurs grecs et latins, je les connais autant que la
+plupart des coliers qui leur ont consacr treize annes d'tudes. Quant
+aux lois du pays, je les connais juste assez pour ne pas _enfreindre les
+statuts_, pour me servir de l'expression des braconniers. J'avais tudi
+l'_Esprit des lois_ et _le Droit des gens_; mais quand je vis celui-ci
+viol chaque mois, je cessai de m'en occuper comme d'une connaissance
+sans utilit. Quant la gographie, j'ai vu plus de pays sur la carte,
+que je ne dsirerais en traverser pied. J'ai vu assez de mathmatiques
+pour me donner mal la tte sans claircir mes ides. De philosophie,
+d'astronomie et de mtaphysique, j'en ai appris plus que je n'en
+comprends[93]; pour du sens commun, j'en ai acquis si peu que je me
+propose de fonder un prix _byronnien_ dans chacune de nos universits
+pour le premier qui en dcouvrira quelques traits en moi; quoique l'on
+craigne bien que la dcouverte de la quadrature du cercle ne doive
+prcder celle-l.
+
+ [Note 93: Byron parat se rappeler ici la manire spirituelle
+ dont Voltaire nous peint l'rudition de Zadig: Il savait de
+ la mtaphysique ce que l'on en a su dans tous les ges...
+ c'est--dire fort peu de chose, etc.]
+
+Je me suis cru autrefois philosophe. Je dbitais avec beaucoup de
+dcorum bon nombre d'absurdits, dfiant la douleur et prchant
+l'galit d'humeur. Pendant quelque tems cela russit fort bien, car
+personne ne souffrait pour moi que mes amis, et ne perdait patience que
+mes auditeurs; la fin une chute de cheval me convainquit que la
+douleur physique tait un mal, et cet argument, le pire de tous, changea
+ la fois mon systme et mon humeur; en sorte que je quittai Zenon pour
+Aristippe, et m'imaginai que c'est le plaisir qui constitue rellement
+le [Grec: kalon][94]. En morale, je prfre Confucius aux dix
+commandemens, et Socrate Saint-Paul, quoique les deux derniers
+s'accordent dans leur opinion du mariage. En religion, je suis pour
+l'mancipation catholique, mais je ne reconnais pas le pape, et j'ai
+refus de recevoir le sacrement parce que je ne comprends pas comment
+manger du pain et boire du vin de la main du vicaire terrestre peut
+faire de moi l'hritier du royaume des cieux. Je regarde la vertu en
+gnral, et chaque vertu en particulier, comme une disposition de l'ame;
+chacune d'elles me semble une manire de sentir et non un principe[95].
+Je crois que la vrit est le premier attribut de la divinit, et que la
+mort est un sommeil ternel, au moins pour le corps. Vous avez l un
+rsum des sentimens de ce _libertin_ de George Lord Byron, et, jusqu'
+ce que je me pourvoie d'un nouvel habit, vous voyez que je suis
+passablement mal vtu.
+
+ [Note 94: [Grec: Tau kalov], le beau.]
+
+ [Note 95: C'est l la doctrine de Hume, qui rsout toute
+ vertu en un sentiment. Voyez son ouvrage intitul:
+ _Recherches sur les principes moraux_ (_Enquiry concerning
+ the principles of morals_).]
+
+Je suis, etc.
+
+Quoique telle ft sans doute cette poque la tournure gnrale de ses
+opinions, il faut se rappeler, avant d'ajouter trop d'importance cette
+profession de ses sentimens, d'abord qu'il ne rsista jamais la
+tentation de montrer son esprit aux dpens de sa rputation, ensuite
+qu'il crivait ici une personne bien intentionne, sans doute, mais en
+mme tems l'un de ces officieux, de ces donneurs d'avis, toujours
+contens d'eux-mmes, que Byron s'est fait dans tous les tems un plaisir
+d'tonner et de mystifier. Les tours qu'il joua tant enfant au
+charlatan du Nottinghamshire, Lavender, n'taient que les premiers d'une
+longue srie de mystifications qu'il fit toute sa vie aux nombreux
+charlatans que sa clbrit et son humeur sociable attiraient autour de
+lui.
+
+Les termes dans lesquels il parle de l'universit, dans cette lettre,
+sont parfaitement d'accord avec plusieurs passages des _Heures
+d'oisivet_ et de sa premire satire. On voit que s'il se rappelait
+Harrow avec plus d'affection que de respect peut-tre, Cambridge n'avait
+pu lui inspirer ni l'un ni l'autre de ces deux sentimens. Ce dgot
+qu'il avait conserv pour sa _mre nourrice_, il le partageait en commun
+avec la plupart des noms les plus illustres de la littrature anglaise.
+Si grande tait la haine de Milton pour Cambridge, dit Warton, qu'il
+avait mme conu un dgot pour l'aspect du pays et pour les campagnes
+d'alentour. Voici comme le pote Gray parle de la mme universit:
+Certainement c'est de cette ville, aujourd'hui Cambridge, mais
+autrefois connue sous le nom de Babylone, que le prophte parle, quand
+il dit: Les animaux sauvages du dsert y habiteront, leurs demeures
+seront pleines de tristes cratures, les hiboux y btiront nids et les
+satyres y danseront. Gibbon nous a transmis le souvenir amer qu'il
+conservait de l'universit d'Oxford, et le froid mpris avec lequel
+Locke se vengea de l'hypocrisie qui rgnait dans cet asile de la
+science, est encore plus remarquable[96].
+
+ [Note 96: Voyez sa lettre Anthony Collins, 1703-4, o il
+ parle de ces fortes ttes qui jetaient feu et flamme contre
+ son livre, parce qu'il tait de nature nuire l'industrie
+ locale, qu' cette poque on appelait la _tonte de cochon_.]
+
+On peut penser que les souvenirs pnibles que quelques potes ont
+conservs de leur vie de collge ont leur origine dans cette antipathie
+pour les entraves de la discipline, antipathie que l'on observe assez
+souvent comme un des traits caractristiques de gnie: c'est comme une
+sorte d'instinct ou de prservatif, s'il est vrai (comme quelques-uns
+l'ont dit) qu'une ducation classique nuise la fracheur et
+l'lasticit de l'imagination. Un crivain, membre du clerg, et par
+consquent peu suspect de vouloir dprcier les tudes acadmiques,
+non-seulement pose cette question: Les formes ordinaires de notre
+systme d'ducation ne sont-elles pas plus nuisibles qu'utiles aux vrais
+potes? mais encore il parat fortement pencher pour une solution
+affirmative. Pour exemple l'appui de son opinion, il choisit le
+classique Addisson qui, dans quelques essais originaux d'un genre svre
+ou allgorique, parat n'avoir pas t dpourvu des talens qui rvlent
+un esprit suprieur, talens qui furent tellement comprims et nervs
+par son tude constante et superstitieuse des classiques anciens, que
+dans le fait il est demeur un pote trs-ordinaire.
+
+C'est sans doute sous l'impression de l'influence maligne de
+l'atmosphre scholastique sur le gnie, que Milton, en parlant de
+Cambridge, s'crie: C'est un lieu o les disciples de Phbus ne
+sauraient vivre, et que Lord Byron, rptant en vers une pense dj
+exprime dans la lettre M. Dallas, que nous venons de citer, dit: Son
+Hlicon est plus pesant et plus fangeux encore que sa rivire de Cam.
+
+Dryden, qui, comme Milton, avait reu quelque chtiment dshonorant[97]
+ Cambridge, parat avoir conserv peu de respect pour son _alma mater_;
+et les vers dans lesquels il loue l'universit d'Oxford aux dpens de la
+sienne[98], lui ont t probablement dicts moins par une admiration
+vritable de l'une que par le dsir de dnigrer l'autre.
+
+ [Note 97: Milton a reu le fouet l'universit de Cambridge;
+ c'est, dit-on, le dernier qui ait t soumis cette punition
+ dgotante, qui, bien que tombe en dsutude, n'en fait pas
+ moins partie des moyens de rpression indiqus dans les
+ rglemens.
+ (_N. du. Tr._)]
+
+ [Note 98: Voyez _prologue l'universit d'Oxford_.]
+
+Ce n'est pas seulement le gnie qui se rebelle contre la discipline des
+coles; le got, naturellement moins imprieux, et dont l'objet avou
+est de cultiver les tudes classiques, se montre quelquefois rtif au
+gouvernement pdantesque qu'on veut lui imposer. Ce ne fut qu'aprs
+avoir t dcharg de l'obligation de lire Virgile comme une tche, que
+Gray se sentit capable d'apprcier et de goter les beauts de ce pote.
+Byron, jusques la fin, s'effora de vaincre un prjug de la mme
+nature contre Horace, dont le nom s'associait toujours dans son esprit
+au souvenir des ennuis de l'cole.
+
+Quoique le tems ait accoutum mon esprit mditer sur ce que j'avais
+appris alors, telle est la force du prjug n de l'impatience qu'ils
+m'ont fait prouver dans mes premiers ans, que, perdant pour moi
+l'attrait de la nouveaut, les auteurs dont j'aurais peut-tre cherch
+la lecture avec avidit, si j'avais t libre dans mes choix,
+m'inspirent toujours une sorte de dgot, et que ce que je dtestais
+alors je l'abhorre encore aujourd'hui. Adieu donc, Horace, que je
+dtestais tant, c'est ma faute et non la tienne. C'est un grand malheur
+d'entendre les mots dont tu t'es servi pour exprimer tes ides
+potiques, sans tre en ge d'apprcier ces mmes ides, et de
+comprendre tes vers, trop tt pour pouvoir jamais les aimer. (_Childe
+Harold_, chant IV.)
+
+Aux grands potes qui nous ont laiss un tmoignage de leur
+dsapprobation du systme anglais d'ducation il faut ajouter les noms
+distingus de Cowley, Addisson et Cowper. Tandis que parmi les exemples
+qui, comme ceux de Milton et de Dryden, dmontrent l'espce de raison
+inverse qui peut exister entre les _honneurs_ du collge et le gnie, il
+ne faut pas oublier ceux de Swift, Goldsmith et Churchill, qui ne furent
+jugs que de mdiocres coliers dans les universits dont ils honorent
+aujourd'hui les annales. la suite de cette longue srie de potes qui
+ont quitt les universits, entachs d'une note dshonorante et pleins
+de sentimens haineux contre elles, nous ajoutons des noms tels que ceux
+de Shakspeare, de Pope, de Gay, de Thomson, de Burns, Chatterton, etc.,
+qui tous ont atteint leur degr de gloire respective sans avoir pass
+par aucun collge. Nous verrons que le plus grand nombre de nos potes
+n'a rien d cette influence puissante que les universits sont censes
+exercer sur le dveloppement du gnie, dans les pays qui en sont
+pourvus.
+
+Les lettres suivantes, crites cette poque, contiennent quelques
+particularits qui peut-tre ne seront pas sans intrt pour le lecteur.
+
+
+
+
+LETTRE XXII.
+
+ M. HENRY DRURY.
+
+Htel Dorant, 13 janvier 1808.
+
+
+MON CHER MONSIEUR,
+
+La stupidit de mes domestiques ou du portier, en ne vous disant pas de
+monter dans mon appartement, o je vous aurais rejoint l'instant, m'a
+priv du plaisir de vous voir hier matin. J'esprais vous rencontrer le
+soir dans quelque lieu public, mon toile ne l'a pas permis; c'est ainsi
+qu'elle me refuse les faveurs, et gnralement les faveurs qui me
+seraient le plus agrables. Vous eussiez t, je crois, fort tonn en
+me revoyant; j'ai perdu 50 liv. depuis notre dernire entrevue; je
+pesais alors 181 liv., je n'en pse plus maintenant que 130. Je me suis
+dbarrass de mon _superflu_, au moyen de l'exercice violent et de
+l'abstinence...........................................................
+.......................................................................
+
+Si vos occupations Harrow vous permettaient de venir en ville d'ici
+au premier fvrier, je m'estimerais heureux de vous recevoir dans
+Albemarle-street. Si je ne puis pas avoir cet avantage, je tcherai
+d'aller vous voir une aprs-midi Harrow, tout en tremblant que votre
+cave ne contribue pas beaucoup ma gurison. Quant mon digne
+prcepteur, le docteur Butler, notre rencontre chez vous n'empcherait
+pas ces _petites douceurs_ que nous tions dans l'habitude de nous
+prodiguer mutuellement. Nous ne nous sommes parl qu'une fois depuis mon
+dpart de Harrow, 1805, et dans cette occasion il dit poliment
+Tatersall que je n'tais pas un compagnon convenable pour ses lves.
+C'tait avant ma premire _chauffoure_ potique; et, en bonne prose,
+si j'avais t plus vieux de quelques annes, j'aurais gard le silence
+sur ses perfections; mais j'tais couch sur le dos quand j'crivis ou
+plutt quand je dictai ces folies d'colier. Je ne m'attendais pas en
+revenir jamais; mon mdecin avait reu les honoraires de seizime
+visite, et moi j'en tais sa seizime ordonnance; je ne pouvais
+quitter la terre sans laisser Butler un souvenir de constant
+attachement, en retour de tous ses bons offices. J'avais intention de
+descendre Harrow en juillet; mais pensant que ma visite, immdiatement
+aprs la publication, pourrait tre interprte comme une insulte, je
+dirigeai mes pas ailleurs; j'avais, de plus, appris que plusieurs des
+lves s'taient procur mon opuscule, et cela, bien certainement,
+contre mes intentions; car je n'en ai pas donn une seule copie avant le
+mois d'octobre, poque laquelle, cdant des instances ritres, je
+ne pus en refuser une un jeune homme qui depuis a quitt l'cole. Vous
+me pardonnerez de vous entretenir si longuement sur ce sujet; vous
+l'aviez abord, ds-lors une explication devient ncessaire. Je
+n'essaierai point de me justifier, _hic murus aheneus esto, nil conscire
+sibi_, etc., comme lord Baltimor lors de son jugement pour un rapt. Je
+suis demeur assez long-tems au collge de la Trinit pour avoir oubli
+la fin du vers; mais si je ne finis pas ma citation, je finirai du moins
+ma lettre, en vous priant de me croire, avec autant d'affection que de
+reconnaissance, votre, etc.
+
+_P. S._ Je n'abuserai pas de vos loisirs en sollicitant la faveur d'une
+rponse, de peur que vous ne disiez, comme dit Butler Tatersall,
+auquel j'avais adress une lettre assez imprudente, l'occasion du
+propos dont j'ai parl plus haut: Je voudrais l'entraner dans une
+correspondance avec moi.
+
+
+
+
+LETTRE XXIII.
+
+ M. HARNESS.
+
+Htel Dorant, Albemarle-street, 11 fvrier 1808.
+
+
+MON CHER HARNESS,
+
+Comme je n'ai pas eu occasion de vous les exprimer verbalement,
+j'espre que vous voudrez bien recevoir mes remercmens crits, pour
+l'opinion flatteuse que vous avez bien voulu exprimer au mois de
+novembre dernier, sur quelques-unes des productions de ma pauvre muse.
+Au plaisir que j'prouve me voir lou par un ancien camarade d'cole
+se joint le besoin de vous rendre justice, car j'avais entendu
+l'histoire avec quelques lgres variantes. En vrit, quand nous nous
+rencontrmes ce matin, Wingfield ne m'avait pas encore dtromp, mais il
+vous dira que je n'ai tmoign aucun ressentiment en citant le jugement
+qu'on vous prtait, quoique je ne sois pas fch d'avoir dcouvert la
+vrit. Peut-tre vous vous rappelez peine qu'il y a quelques annes
+nous avons t lis d'une amiti trop courte, mais bien vive. Pourquoi
+cette amiti n'a-t-elle pas dur plus long-tems? je n'en sais rien. J'ai
+encore en ma possession un souvenir de vous, qui m'empchera toujours de
+l'oublier. Je me souviens aussi d'avoir t favoris de la lecture de
+plusieurs de vos compositions. Il est plusieurs autres circonstances que
+je pourrais vous rappeler, si je ne craignais de fatiguer votre mmoire;
+mais je vous prie de croire la sincrit de mes regrets quant la
+courte dure de mon amiti, et aux esprances que je nourris de la voir
+se renouveler, etc.
+
+BYRON.
+
+J'ai dj parl de l'amiti qui unit de bonne heure ce _gentleman_ et
+Lord Byron, aussi bien que de la froideur qui lui succda. L'extrait
+suivant d'une lettre dont M. Harness voulut bien m'honorer, en mettant
+ma disposition celle de son noble correspondant, expliquera les
+circonstances qui amenrent cette poque leur rconciliation. Le
+tribut d'loges qu'il paie dans les dernires phrases la mmoire de
+Lord Byron, ne paratra pas moins honorable pour lui-mme que pour son
+ami.
+
+Bientt aprs, notre liaison se refroidit, comme le dit Byron dans la
+premire des lettres ci-jointes, et nous ne nous parlmes plus durant la
+dernire anne qu'il passa Harrow, ni jusqu'aprs la publication de
+ses _Heures d'Oisivet_; il tait alors Cambridge, et moi encore
+l'cole, mais dans une des _formes_ les plus avances. Il arriva que
+dans une amplification anglaise je citai quelque chose de son ouvrage,
+et je le fis avec loge. On rapporta Byron que j'avais au contraire
+parl en mauvaise part et de l'ouvrage et de l'auteur, pour m'attirer
+les bonnes grces de notre matre le docteur Butler, contre lequel un de
+ses pomes renfermait une satire. Wingfield, depuis lord Power's court,
+notre ami commun, le dsabusa de son erreur, et ce fut l l'occasion de
+la premire lettre de ce recueil. Notre commerce se renouvela, et
+continua de ce moment jusqu' celui o il quitta l'Angleterre; quelques
+torts que Lord Byron puisse avoir eu envers d'autres, sa conduite envers
+moi a toujours t uniformment affectueuse. J'ai eu me reprocher bien
+des ngligences, bien des petites choses envers lui; mais je ne puis me
+rappeler, pendant tout le cours de notre liaison, aucun exemple de
+caprice, aucun manque d'amiti de sa part.
+
+Au printems de cette anne 1808, parut, dans la _Revue et dimbourg_, la
+fameuse critique sur les _Heures d'Oisivet_. Qu'il et d'avance quelque
+ide de ce qui se prparait contre lui de ce ct, c'est ce que rend
+vident la lettre suivante son ami M. Becher.
+
+
+
+
+LETTRE XXIV.
+
+ M. BECHER.
+
+Htel Dorant, 26 fvrier 1808.
+
+
+MON CHER BECHER,
+
+... Passons Apollon: je suis charm que vous me continuiez votre
+indulgence, et que le public veuille bien approuver mes essais. Je suis
+devenu un personnage si important, qu'une violente attaque se prpare
+contre moi dans le prochain numro de la _Revue d'dimbourg_. Je sais
+cela d'un ami qui a vu la copie et l'preuve de cette critique. Vous
+n'ignorez pas que le systme de ces messieurs est de tout dsapprouver.
+Ils ne louent personne, et ni le public ni les auteurs ne s'attendent
+trouver dans leur feuille rien qui ressemble des loges. Il y a ici
+cependant quelque chose de remarquable, attendu qu'ils font profession
+de ne donner de jugement que sur des ouvrages dignes de l'attention
+publique. Vous verrez cet article quand il paratra: il est, m'a-t-on
+dit, de la plus extrme svrit; mais pour moi, j'en suis prvenu; et
+pour vous, j'espre que vous ne vous en offenserez pas.
+
+Dites Mrs. Byron de ne pas se chagriner pour cela, et de s'attendre
+aux plus grandes hostilits de leur part. Cela ne me peut faire aucun
+tort, ainsi j'espre qu'elle ne s'en tourmentera pas trop. Ces messieurs
+manquent leur but en injuriant indiffremment tout le monde; ils ne
+louent jamais que les partisans de Lord Holland et compagnie; ce n'est
+rien d'tre critiqu et insult, quand Southey, Moore, Lauderdale,
+Strangford et Payne Knight partagent le mme sort.
+
+J'en suis fch, mais il faut retrancher les _Souvenirs d'Enfance_ dans
+la premire dition. J'ai chang conformment vos avis, les
+_allusions_ trop _personnelles_ dans la sixime stance de ma dernire
+ode.
+
+Et maintenant, mon cher Becher, il me reste vous offrir mes
+remercmens pour tout l'intrt que vous avez bien voulu prendre moi
+et mes mauvaises rimes. Croyez que je ferai toujours grand cas de vous
+et de vos amis: je suis bien sincrement, etc., etc.
+
+Bientt aprs cette lettre, parut l'article redout, article qui, s'il
+ne renferme pas beaucoup d'esprit en lui-mme, eut du moins le mrite
+incontestable d'exciter l'esprit des autres; jamais en effet article
+dict par la plus juste critique n'obtint la clbrit que celui-ci dut
+ son injustice elle-mme. Aussi long-tems qu'on gardera le souvenir de
+la courte mais glorieuse carrire qu'a parcourue le gnie de Byron, on
+ne saurait oublier l'odieuse critique qui lui donna son premier lan.
+
+Il n'est que juste cependant de remarquer, sans prtendre justifier en
+rien le ton mprisant qui rgne dans cette critique, que les premiers
+vers de Lord Byron, tout gracieux et tendres qu'ils sont, taient peu
+propres faire attendre ces miracles brillans de posie dont, par la
+suite, il enchanta le monde tonn. Si les vers composs dans sa
+jeunesse ont un charme particulier nos yeux, c'est que nous les lisons
+pour ainsi dire la lueur de la gloire immortelle qu'il acquit dans la
+suite.
+
+Il est cependant un point de vue sous lequel ces productions offrent un
+intrt profond et instructif. Images fidles de son caractre pendant
+cette priode de sa vie, elles nous permettent de juger ce qu'il tait
+par lui-mme avant que des dsappointemens eussent jet de l'amertume
+dans son esprit ardent, et donn de l'activit aux dfauts qui se
+rencontraient dans son naturel nergique. En le suivant dans toutes ces
+effusions de son jeune gnie, nous le voyons se peindre des mmes traits
+dont chaque anecdote de son enfance nous avait dj fait la confidence:
+orgueilleux, entreprenant, colre, plein de ressentiment de la moindre
+injustice, plus encore dans la cause des autres que dans la sienne, et
+cependant, malgr son imptuosit, doux et facile sous la main de ceux
+qui l'affection donnait le droit de le guider. Lui-mme n'a que
+faiblement rendu justice cette disposition aimante que l'on aperoit
+chaque page de ce volume; sa jeunesse tout entire, ds sa plus tendre
+enfance, n'est qu'une srie d'attachemens les plus passionns, de ces
+panchemens de l'ame dans l'amiti et dans l'amour, que l'on prouve
+rarement, et auxquels les autres rpondent plus rarement encore, et qui,
+repousss et refouls vers le coeur, ne sauraient manquer de se tourner
+en amertume.
+
+L'on reconnat aussi dans quelques-uns de ses pomes non publis, mme
+travers les nuages dont le doute commence les couvrir, les sentimens
+de pit auxquels une ame comme la sienne ne pouvait demeurer trangre,
+mais qui, dtourns de leur canal lgitime, trouvent bientt dans le
+culte potique de la nature une sorte de compensation celui de la
+religion dont la superstition les loigne. Quant tous ces traits de
+caractre que nous trouvons et l rpandus dans ses premiers pomes,
+nous le voyons jeter dans l'avenir un coup-d'oeil tantt plein d'un noble
+orgueil, tantt plein de tristesse, comme s'il sentait dj en lui les
+lmens de quelque chose de grand, mais qu'il doutt que la destine lui
+permt d'en dvelopper jamais le germe. Il n'est pas tonnant qu'ayant
+prsente la pense toute sa noble carrire, nous contemplions ses
+premiers essais sous l'influence d'une gloire qui ne leur est pas
+propre, mais qui est comme le reflet de celle qu'il acquit dans la
+suite; et alors, dans notre indignation contre l'aveuglement stupide du
+critique, nous oublions qu'il n'a point crit sous le charme dont se
+revt aujourd'hui pour nous tout ce qui se rattache de loin ou de prs
+au pote.
+
+Pour bien comprendre l'effet que cette critique produisit sur lui, il
+faut d'abord se faire une juste ide de ce que la plupart des potes
+prouveraient en se voyant en butte une telle attaque, et puis avouer
+que Byron avec son caractre et sa sensibilit devait en ressentir
+l'amertume dix fois plus qu'aucun autre. Nous avons vu avec quelle
+anxit fivreuse il attendait le jugement des revues infrieures; et la
+joie qu'il montra de se voir louer par des journalistes moins connus,
+peut nous faire juger combien son coeur a d saigner sous les coups
+ddaigneux de ceux qui, cette poque, tenaient le sceptre de la
+critique. Un ami qu'il trouva dans le premier moment d'motion, aprs la
+lecture de l'article, s'empressa de lui demander s'il venait de recevoir
+un cartel, ne sachant comment expliquer autrement la colre et
+l'indignation qui se peignaient dans ses yeux. Il serait en effet
+difficile pour le sculpteur ou pour le peintre d'imaginer un sujet d'une
+beaut plus effrayante que la belle figure du jeune pote au moment de
+cette crise, o toute son nergie se dployait: son orgueil avait t
+piqu au vif et son ambition humilie; mais ce sentiment terrible ne
+dura qu'un moment: la raction de son esprit, le besoin de repousser
+l'attaque, lui rvlrent lui-mme tout son gnie; et la douleur et la
+honte de l'injure se turent dans son coeur devant la noble certitude de
+la vengeance.
+
+Entre autres effets moins potiques de l'article de la _Revue_ sur son
+esprit, il disait souvent que le jour qu'il le lut, il but pour sa part
+aprs dner trois bouteilles de vin de Bordeaux, et que rien ne le
+soulagea jusqu' ce qu'il et donn en vers carrire son imagination;
+mais qu'aprs les vingt premiers, il se trouva beaucoup mieux; en effet,
+son premier soin, aprs que la satire eut paru, fut, comme avant qu'elle
+ne vt le jour, d'allger autant qu'il le pourrait l'effet qu'elle
+devait produire sur sa mre, qui, n'ayant pas le mme gnie, le mme
+sentiment d'une prompte et juste vengeance, devait souffrir cruellement
+de cette attaque contre sa rputation, et s'en indigna, en effet,
+beaucoup plus que bientt il ne le fit lui-mme. Mais on verra mieux
+dans la lettre suivante l'tat de son esprit dans ce moment critique.
+
+
+
+
+LETTRE XXV.
+
+ M. BECHER.
+
+Htel Dorant, 28 mars 1808.
+
+
+J'ai reu dernirement de Ridge un exemplaire de la nouvelle dition,
+et il est bien tems que je vous remercie de la peine que vous avez prise
+de la surveiller: je le fais bien sincrement, et je regrette seulement
+que Ridge ne vous ait pas second autant que je l'aurais dsir, au
+moins quant au papier, la reliure, etc., etc., de mon exemplaire;
+peut-tre ceux destins au public sont-ils plus satisfaisans sous tous
+ces rapports.
+
+Vous avez ncessairement vu _la Revue d'dimbourg_. Je regrette que
+Mrs. Byron ait pris la chose si fort coeur. Pour ma part, _ces petites
+boulettes de papier_ m'ont appris voir le feu en face; et comme, somme
+toute, j'ai eu assez de bonheur, mon repos ni mon apptit n'en ont point
+t altrs. Pratt _le glaneur_, l'auteur, le pote, etc., etc., m'a
+adress une longue ptre en vers sur ce sujet, en forme de consolation;
+mais comme elle est assez mal faite, je ne vous l'enverrai pas, quoique
+son nom et pu lui mriter cet honneur. Ces messieurs de la _Revue
+d'dimbourg_ n'ont pas bien rempli leur tche, c'est du moins l'avis de
+plusieurs hommes de lettres; je pense que je pourrais crire sur
+moi-mme une critique plus mordante que toutes celles qui ont t
+publies jusqu'ici. Ainsi, au lieu de la remarque assez mchante, mais
+sans esprit, sur Macpherson, j'aurais dit si j'avais t leur place:
+Hlas! cette pice ne fait que prouver la vrit de l'assertion du
+docteur Johnson, que beaucoup d'hommes, de femmes et _d'enfans_
+pourraient crire des posies comme celles d'Ossian.
+
+Je suis maigre, et prends beaucoup d'exercice. J'espre vous voir ce
+printems ou cet t. On dit que lord Ruthen quitte Newstead en avril...
+Aussitt qu'il l'aura quitt pour toujours, je vous serais infiniment
+oblig d'y faire un tour cheval, d'examiner la proprit et de me
+donner franchement votre opinion sur le meilleur parti prendre quant
+la maison. Entre nous, je suis diablement enfonc; mes dettes, tout
+compris, s'lveront neuf ou dix mille livres sterling avant l'poque
+de ma majorit. Mais j'ai des raisons de penser que je me trouverai
+cependant plus riche que l'on ne le croit gnralement. Je n'ai que peu
+d'espoir de conserver Newstead; mais Hanson, mon agent, me dit que ma
+proprit dans le Lancashire vaut trois fois plus. Je crois que nous la
+recouvrerons, et que la partie adverse ne refuse de la rendre, que dans
+l'espoir de prolonger l'affaire jusqu' ma majorit; ils veulent sans
+doute alors proposer quelques arrangemens, supposant que je prfrerai
+alors une somme d'argent comptant une rversion. Pour Newstead, je
+puis le vendre, peut-tre ne le ferai-je pas; nous aurons le tems d'en
+parler plus tard. Je viendrai en mai ou en juin...
+
+Votre bien affectionn.
+
+Le genre de vie qu'il menait cette poque, partag entre les
+dissipations de Londres et celles de Cambridge, sans maison lui, sans
+un seul parent qu'il pt visiter, n'tait pas propre le rendre content
+de lui-mme ou des autres. N'ayant en tout de volont consulter que la
+sienne[99], les plaisirs mme auxquels il tait le plus naturellement
+port, perdirent de bonne heure tout leur charme pour lui, parce qu'ils
+manquaient de ce qui fait l'assaisonnement de toutes nos jouissances, la
+raret et la difficult. J'ai dj extrait d'un de ses _souvenirs_, un
+passage o il dcrit ce qu'il prouva en se rendant Cambridge pour la
+premire fois, et dit: Qu'une des sensations les plus pnibles de sa
+vie fut de voir qu'il n'tait plus un enfant! Depuis ce moment,
+ajoute-t-il, je commenai m'estimer vieux, et dans mon estime l'ge
+n'est pas estimable. Je pris mes _degrs_ dans le vice avec beaucoup de
+promptitude; mais le vice n'tait pas de mon got, car mes premires
+passions, quoique extrmement violentes, taient concentres, et
+n'aimaient point se rpandre au-dehors ni se partager. J'aurais pu
+quitter ou perdre le monde entier avec ou pour ce que j'aimais; mais
+bien que mon temprament ft de feu, je ne pouvais prendre part au
+libertinage commun de cette ville cette poque; et cependant ce dgot
+lui-mme, qui laissait mon coeur inoccup, me jeta dans des excs
+peut-tre plus fatals que ceux dont je m'loignais, en fixant sur une
+seule personne ( la fois) les passions qui, rpandues sur plusieurs,
+n'eussent fait de mal qu' moi-mme.
+
+ [Note 99: Notre vie entire dpend singulirement des trois
+ ou quatre premires annes pendant lesquelles nous n'avons
+ pas eu d'autres matres que nous-mmes.
+ (COWPER.)]
+
+D'aprs les raisons que nous venons d'en donner, les carts auxquels il
+se livrait cette poque taient bien moins nombreux et bien moins
+grossiers que ceux de la plupart de ses condisciples; cependant, soit
+cause de la vhmence que leur donnait leur concentration, sur un seul
+objet, ou plutt de cet trange orgueil qui l'a toujours port
+afficher ses erreurs, il arrivait qu'une seule de ses folies faisait
+plus de bruit que mille de celles des autres; nous en avons un exemple
+peu prs l'poque dont nous parlons, et laquelle je serais port
+croire que se rapportent les allusions mystrieuses que nous venons de
+citer. Un amour, si l'on peut honorer de ce nom une intrigue passagre
+que d'autres eussent bientt oublie ou auraient eu la prudence de
+cacher, fut chang par lui en une liaison publique et d'une certaine
+dure. Il fit loger avec lui Brompton la personne qui le lui avait
+inspir, et l'emmena ensuite Brighton dguise en homme. Elle se
+promenait ordinairement cheval avec lui, et il la prsentait comme son
+jeune frre. Feu P.... qui se trouvait Brighton cette poque, et qui
+souponnait la vraie nature de leurs rapports, dit un jour au prtendu
+cavalier: Quel joli cheval vous montez!--Oui, rpondit celui-ci, en
+faisant une faute grossire de langue, c'est mon frre qui me l'a
+donn_a_ (_it was_ gave _me by my brother_).
+
+Beattie nous dit de son pote idal: Il ne trouvait ni plaisir ni
+orgueil dans les exercices de force ou d'agilit. Bien diffrens
+taient les gots de notre pote rel; et parmi les exercices auxquels
+il se livrait, il faut compter d'abord les moins romantiques de tous
+peut-tre, celui de boxer et de prendre part au combat du coq. Ce got
+lui fit rechercher de bonne heure la connaissance du plus clbre
+professeur de cet art, M. Jackson, pour lequel il conserva, toute sa
+vie, la plus grande considration. Un de ses derniers ouvrages contient
+un tribut affectueux d'loges, non-seulement pour les talens de cet
+ornement, de cette gloire du pugilat, mais encore de ses qualits
+sociales. Pendant le sjour que Byron fit cette anne Brighton,
+Jackson fut un de ses visiteurs les plus assidus, les frais de la
+voiture du professeur, pour l'_alle_ et le _retour_, tant toujours
+la charge de son noble lve. Il honora aussi de sa familiarit
+d'Egville le matre de ballet et Gimaldi; il envoya, dit-on, ce
+dernier, le jour de son bnfice, un prsent de cent guines. M. Jackson
+ayant eu l'obligeance de me donner copie du petit nombre de lettres
+qu'il a conserves parmi un bien plus grand nombre que Lord Byron lui
+avait adresses, j'en insrerai ici une ou deux qui portent la date de
+cette anne. Quoique les sujets dont elles traitent soient de peu
+d'importance en eux-mmes, elles donneront peut-tre des habitudes et de
+la vie actuelle du jeune pote une ide plus complte qu'on ne pourrait
+tirer de correspondances d'un genre plus relev. Elles montreront au
+moins combien les premiers gots et les premiers passe-tems de l'auteur
+de Childe-Harold taient peu romanesques. Si nous les rapprochons des
+occupations et des amusemens moins romantiques encore de la jeunesse de
+Shakspeare, nous verrons combien le principe vital du gnie, peut, sans
+s'affaiblir, traverser l'atmosphre, mme, en apparence, la plus
+htrogne et la plus contraire sa nature.
+
+
+
+
+LETTRE XXVI.
+
+ M. JACKSON.
+
+Newstead-Abbey, 18 septembre 1808.
+
+
+MON CHER JACK,
+
+Je voudrais que vous me fissiez savoir ce que Jekyll a fait
+Snoane-Square, n 40, concernant le _pony_ que j'ai renvoy comme
+vicieux.
+
+Je dsire aussi que vous passiez chez Louch, Brompton, pour lui
+demander quelle diable d'ide il a eue de m'envoyer une lettre si
+insolente Brighton. Dites-lui bien en mme tems que je ne prtends pas
+du tout accepter le compte ridicule qu'il me prsente pour de prtendues
+dtriorations.
+
+Ambroise a agi de la manire la plus scandaleuse dans l'affaire du
+_pony_. Vous pouvez dire Jekyll que s'il ne me rend pas l'argent, je
+mettrai l'affaire entre les mains de mon homme de loi. Vingt-cinq
+guines sont un fort bon prix pour un _pony_; et parbleu! dt-il m'en
+coter 500 liv. st., je ferai un exemple de M. Jekyll, et cela
+immdiatement, moins qu'il ne rende l'argent.
+
+Croyez-moi, mon cher Jack, etc.
+
+
+
+
+LETTRE XXVII
+
+ M. JACKSON.
+
+Newstead-Abbey, 4 octobre 1808.
+
+
+MON CHER JACK,
+
+Si ce M. Jekyll n'est pas un gentleman, vous ferez avec lui le march
+le plus avantageux qu'il vous sera possible; mais si c'est un gentleman,
+informez-m'en, car alors j'en agirai d'une tout autre manire. S'il ne
+l'est pas, tirez de lui le plus d'argent que vous pourrez, car j'ai trop
+d'affaires sur les bras pour commencer un procs. En outre, cet Ambroise
+devrait rendre l'argent; mais j'en ai fini avec lui. Vous pouvez payer
+L... avec la balance, et vous disposerez des bidets, etc., pour le
+mieux.
+
+J'aurais grand plaisir vous voir ici; mais la maison est en
+rparation et pleine d'ouvriers. J'espre toutefois avoir cet avantage
+avant peu de mois. Si vous voyez Baldwabster, rappelez-moi, je vous
+prie, son souvenir, et dites-lui que j'ai regrett la perte de Sydney,
+qui a pri, je le crains, dans ma garenne, car nous ne l'avons pas vu
+depuis quinze jours.
+
+Adieu, etc.
+
+
+
+
+LETTRE XXVIII.
+
+ M. JACKSON.
+
+Newstead-Abbey, 12 dcembre 1808.
+
+
+MON CHER JACK,
+
+Achetez le lvrier quelque prix que ce soit, et autant d'autres de la
+mme race que vous pourrez vous en procurer, mles ou femelles.
+
+Dites d'Egville que je lui renverrai son costume, et que je lui suis
+fort oblig du patron. Je suis fch de vous donner tant de peines; mais
+je n'avais pas ide qu'il ft si difficile de se procurer les animaux en
+question; mon manoir sera termin dans quelques semaines, et si vous
+pouvez me faire une visite Nol, je serai charm de vous voir.
+
+Croyez-moi votre, etc.
+
+Le costume dont il s'agit ici tait sans doute ncessaire pour un
+thtre de socit qu'il montait cette poque Newstead, et sur
+lequel nous trouverons d'autres dtails dans la lettre suivante,
+adresse M. Becher.
+
+
+
+
+LETTRE XXIX.
+
+ M. BECHER.
+
+Newstead-Abbey, 14 septembre 1808.
+
+
+MON CHER BECHER,
+
+Je vous suis fort oblig des informations que vous me donnez, et j'en
+ferai mon profit. Je vais monter ici une comdie, le vestibule nous fera
+une salle admirable. J'ai dj distribu les rles, et puis me passer de
+dames, ayant quelques jeunes amis qui feront d'assez bons substituts,
+dfaut de femmes. Nous n'avons besoin que de trois hommes, outre M.
+Hobhouse et moi-mme, pour la pice dont nous avons fait choix. Ce sera
+la Vengeance (_the Revenge_). Dites, je vous prie, au charpentier
+Michalson de venir me parler immdiatement, et faites-moi savoir quel
+jour vous pourrez venir dner et passer la soire avec moi.
+
+Croyez-moi, etc., etc.
+
+Ce fut dans l'automne de cette anne, comme l'indiquent les lettres
+prcdentes, qu'il fixa pour la premire fois sa rsidence l'abbaye de
+Newstead. La maison, quand il la reut des mains de lord Grey de Ruthen,
+tait dans le dernier tat de dgradation; il se mit aussitt rparer
+et meubler quelques appartemens pour en rendre l'habitation plus
+commode, non lui-mme, mais sa mre. Dans une de ses lettres Mrs.
+Byron, publie par M. Dallas, voici comme il explique ses vues et ses
+intentions ce sujet.
+
+
+
+
+LETTRE XXX.
+
+ L'HONORABLE[100] MISTRESS BYRON.
+
+ [Note 100: Lord Byron donne toujours le titre d'_honorable_
+ sa mre, quoiqu'elle n'y et aucun droit.]
+
+Newstead-Abbey, 7 octobre 1808.
+
+
+CHRE MADAME,
+
+Je n'ai point de lits prsent pour les H... ni pour aucun autre; ils
+couchent maintenant Mansfield. Je ne sache point que je ressemble
+J.-J. Rousseau. Je n'ai nulle ambition de ressembler si illustre fou;
+mais ce que je sais, c'est que je vivrai ma manire, et le plus
+solitairement qu'il me sera possible. Ds que mes appartemens seront
+prts, je serai charm de vous voir; jusque-l cela serait inconvenant
+et incommode pour tous deux; vous ne sauriez vous opposer
+raisonnablement ce que je rende mon manoir habitable, malgr mon
+dpart pour la Perse en mars ou au plus tard en mai. Vous serez
+propritaire jusqu' mon retour; et en cas d'accident, car j'ai dj
+prpar mon testament pour le moment o j'aurai vingt-un ans, j'ai eu
+soin que la maison et le manoir vous restassent votre vie durant, outre
+une pension suffisante. Ainsi vous voyez que ce n'est pas l'gosme qui
+mes porte faire des rparations et des embellissemens. Comme j'ai un
+ami ici, nous irons au bal de l'Hpital. Le 12, nous prendrons le th
+avec Mrs. Byron huit heures, et nous esprons vous voir au bal. Si
+cette dame a la bont de nous rserver deux chambres pour nous habiller,
+elle nous obligera infiniment. Que nous soyons au bal dix ou onze
+heures, c'est tout ce qu'il faut, et nous retournerons Newstead entre
+trois et quatre.
+
+Adieu. Je suis bien sincrement votre, etc.
+
+L'ide entretenue par Mrs. Byron d'une ressemblance entre son fils et
+Rousseau tait surtout fonde sur ses habitudes solitaires, dans
+lesquelles il montrait de si bonne heure du penchant suivre ce
+philosophe, penchant qui prit de la force mesure qu'il avana en ge.
+Dans un de ses _souvenirs_, auquel j'ai dj beaucoup emprunt[101], il
+met en question la justesse de cette comparaison entre Rousseau et lui,
+et nous donne comme l'ordinaire, en style trs-anim, quelques ides
+de son caractre et de ses habitudes.
+
+ [Note 101: Ce journal est intitul par lui-mme: _Penses
+ dtaches_.]
+
+Avant que je n'eusse vingt ans, ma mre voulait absolument que je
+ressemblasse Rousseau, madame de Stal en disait autant en 1813, et il
+y a quelque chose de cela dans la _Revue d'dimbourg_, dans l'article
+critique sur le quatrime chant de Childe-Harold. Pour ma part, je ne
+puis voir aucun point de ressemblance: il crivait en prose et moi en
+vers; c'tait un homme du peuple, et moi de l'aristocratie; il tait
+philosophe, et je ne le suis point; il publia son premier ouvrage
+quarante ans, et moi seize: son premier essai lui attira les
+applaudissemens universels, le mien m'attira tout le contraire: il
+pousa sa gouvernante, je n'ai pas pu vivre avec ma femme[102]: il
+pensait que tout le monde conspirait contre sa personne, moi c'est mon
+petit monde qui croit que je conspire contre lui, si j'en peux juger par
+les injures que me prodiguent la presse et les coteries. Il aimait la
+botanique, j'aime les fleurs, les herbes et les arbres, mais je ne sais
+rien de leur histoire. Il a compos de la musique, je n'en connais que
+ce que l'oreille me permet de saisir. Je n'ai jamais pu rien apprendre
+par l'tude, pas mme une langue: tout ce que je sais, je le dois la
+routine, l'oreille et la mmoire, qu'il avait mauvaise, et que j'ai
+ou plutt j'avais excellente, demandez plutt au pote Hodgson, bon juge
+en cette matire, car il en a lui-mme une tonnante. Il crivait avec
+hsitation et travail, moi j'cris rapidement et presque toujours sans
+efforts. Il ne sut jamais monter cheval, nager ni faire des armes, moi
+je suis un excellent nageur, un dcent, si ce n'est un brillant
+cavalier, m'tant enfonc une cte au mange l'ge de dix-huit ans. Je
+maniais assez bien les armes, particulirement l'espadon des
+montagnards; je n'tais pas non plus un mauvais boxeur, quand je pouvais
+conserver mon sang-froid, ce qui tait difficile, mais ce que je me suis
+toujours efforc de faire depuis que (avec les gants) je renversai M.
+Purling, et lui dmis la rotule, en 1806, dans la salle d'Angelo et
+Jackson. J'tais aussi assez fort la balle crosse et l'un des onze
+champions de Harrow, qui soutinrent un dfi, en 1805, contre ton. En
+outre, le genre de vie de Rousseau, son pays, ses moeurs, l'ensemble de
+son caractre, offrent avec moi de si grandes diffrences, que je ne
+puis comprendre comment une telle comparaison a pu tre faite trois
+fois, et toujours d'une manire si remarquable. J'oubliais encore de
+dire qu'il avait la vue courte, et que jusqu'ici la mienne a t tout le
+contraire, au point qu'au plus grand thtre de Bologne, je distinguai
+certain buste et lus certaines inscriptions sur le bord de la scne,
+bien que plac dans la loge la plus loigne et la plus sombre.
+Quoiqu'il y et dans cette mme loge plusieurs personnes jeunes et y
+voyant bien, elles ne pouvaient reconnatre une seule lettre, et crurent
+d'abord que c'tait une plaisanterie, quoique je ne fusse jamais entr
+dans ce thtre auparavant. Somme toute, je crois avoir raison de
+trouver la comparaison mal fonde. Je ne le dis pas par humeur, car
+Rousseau tait un grand homme, et la chose, si elle tait vraie, serait
+assez flatteuse; mais je ne trouve point de plaisir dans une pure
+chimre.
+
+ [Note 102: _He married his house-keeper; I could not keep
+ house with my wife_.]
+
+Dans une autre lettre sa mre, quelques semaines aprs la prcdente,
+il dveloppe ses plans sur Newstead et ses voyages projets.
+
+
+
+
+LETTRE XXXI.
+
+ MRS. BYRON.
+
+Newstead-Abbey, 2 novembre 1808.
+
+
+MA CHRE MRE,
+
+Nous oublierons, s'il vous plat, ce que vous me dtes dans votre
+dernire; je ne dsire point me le rappeler. Quand nos chambres seront
+prtes, je serai charm de vous recevoir; et surtout je serais fch de
+vous voir douter, en ce moment, de ma sincrit. C'est plus pour vous
+que pour moi que je meuble la maison; je vous y installerai avant mon
+dpart pour les Indes, qui aura lieu, je crois, dans le courant de mars,
+s'il ne survient quelque obstacle particulier. Je fais arranger en ce
+moment le salon vert, la chambre coucher rouge, et l'tage au-dessus
+quelques chambres d'amis. Tout cela sera bientt prt, ou du moins je
+l'espre ainsi.
+
+Je vous prierais de vous informer auprs du major Watson, qui a rsid
+long-tems dans les Indes, quels sont les objets dont il est le plus
+ncessaire d'tre pourvu. J'ai dj fait crire par l'un de mes amis au
+professeur d'Arabe, Cambridge, pour quelques renseignemens que je
+dsire vivement me procurer. Il me sera ais d'obtenir du gouvernement
+des lettres pour les ambassadeurs, les consuls, etc., et aussi pour les
+gouverneurs de Calcutta et de Madras. Je placerai mes proprits et mon
+testament entre les mains de plusieurs personnes de confiance dont vous
+serez certainement l'une. Je n'ai reu aucune nouvelle de H...; quand
+j'en aurai, je m'empresserai de vous en faire part.
+
+Aprs tout, vous avouerez que mon projet n'est pas mauvais; si je ne
+voyage pas maintenant, je ne voyagerai jamais, et les hommes le
+devraient toujours faire un jour ou l'autre. Je n'ai rien qui me
+retienne maintenant dans mon pays; point de femme, point de soeurs
+pourvoir, point de frres, etc. Je prendrai soin de vos intrts; et,
+mon retour, il sera possible que je me dcide suivre la carrire de la
+politique. Quelques annes consacres connatre d'autres pays, ne me
+nuiront pas si j'embrasse ce parti. Tant que nous ne voyons que notre
+propre nation; nous ne jouons pas franc jeu avec l'espce humaine. C'est
+par l'exprience personnelle, et non par des livres, que nous devrions
+juger les peuples trangers. Il n'y a rien de tel que de voir par
+soi-mme, et de ne s'en rapporter qu' ce qu'on a vu.
+
+Votre, etc.
+
+Dans le mois de novembre de cette anne, il perdit son chien favori
+Boatswain. Le pauvre animal fut tout coup saisi d'un accs de rage; au
+commencement, Lord Byron souponnait si peu la nature de la maladie,
+qu'il lui arriva plusieurs fois d'essuyer avec sa main nue l'cume qui
+sortait de la bouche du chien au moment de ses attaques. Dans une lettre
+ son ami, M. Hodgson[103], il annonce ainsi cet vnement: Boatswain
+est mort! il a expir dans un tat de rage complte, aprs avoir
+beaucoup souffert, mais conservant jusqu' la fin toute la douceur de
+son naturel, et sans jamais essayer de faire le moindre mal ceux qui
+l'entouraient. J'ai maintenant tout perdu, hors le vieux Murray.
+
+ [Note 103: Le rvrend Francis Hodgson, auteur d'une
+ excellente traduction de Juvenal et de plusieurs autres
+ ouvrages estims: il fut long-tems en correspondance avec
+ Lord Byron, et je lui dois plusieurs lettres intressantes de
+ son noble ami; je les donnerai dans le cours des pages
+ suivantes.]
+
+Le monument qu'il leva ce chien, le plus remarquable en son genre,
+depuis le tombeau du chien de Salamine, forme encore l'un des plus beaux
+ornemens de Newstead. Les vers pleins de misanthropie qu'il y fit graver
+se retrouvent dans son recueil de posies, et sont prcds de
+l'inscription que voici:
+
+Prs de ce lieu sont dposs les restes d'un tre qui possda la beaut
+sans orgueil, la force sans insolence, le courage sans frocit; en un
+mot, toutes les vertus de l'homme sans ses vices. Cet loge, qui serait
+une basse flatterie s'il tait inscrit sur des cendres humaines, n'est
+qu'un juste tribut la mmoire de Boatswain, chien qui, n
+Terre-Neuve, au mois de mai 1803, est mort, Newstead-Abbey, le 18
+novembre 1808.
+
+Le pote Pope, peu prs au mme ge que l'auteur de cette inscription,
+fait de mme l'loge de son chien, aux dpens de l'espce humaine, et
+ajoute que l'histoire nous offre plus d'exemples de la fidlit des
+chiens que de celle des hommes. Lord Byron, parlant de son favori, dit,
+avec plus de tristesse et d'amertume encore: Ces pierres ont t
+leves pour couvrir les restes d'un ami; je n'en ai jamais eu qu'un, et
+c'est ici qu'il repose. Il semble, en effet, qu' cette poque sa
+mlancolie ft de rapides progrs. Dans une autre lettre M. Hodgson,
+il dit: Vous savez que, d'aprs Smollet, le rire est le signe
+caractristique d'un animal raisonnable; je le crois aussi;
+malheureusement mes dispositions naturelles ne s'accordent pas toujours
+avec mon opinion cet gard.
+
+Murray, le vieux serviteur dont il parle plus haut, comme le seul
+individu fidle qui lui reste, avait t long-tems domestique du vieux
+lord, et tait trait par le jeune pote avec une affection que la
+vieillesse inspire rarement, surtout dans une condition dpendante.
+J'ai vu souvent, dit l'un des plus constans visiteurs de Newstead, Lord
+Byron la fin du repas, emplir un grand verre de Madre, et le passer
+par-dessus son paule Joe Murray, qui se tenait derrire sa chaise, en
+lui disant avec un air d'affection qui animait toute sa physionomie:
+Tiens, bois, mon vieux camarade!
+
+Nous retrouvons dans un passage d'une autre de ses lettres M. Hodgson
+un exemple de ce ton d'indiffrence avec lequel il parlait quelquefois
+de la difformit de son pied. Ce _gentleman_ ayant dit, en plaisantant,
+que quelques vers des _Heures d'oisivet_ taient calculs pour porter
+les coliers la rvolte, Lord Byron rpondit: Si mes chants ont
+produit les glorieux effets que vous dites, je serai un Tyrte complet,
+quoique, et je suis fch de le dire, je ressemble plutt ce pote
+clbre, dans ma personne que dans mes ouvrages. Quelquefois aussi il
+supportait avec la meilleure humeur du monde une allusion faite par
+d'autres cette infirmit, quand il supposait qu'on n'avait pas eu
+l'intention de l'offenser. Un jour, dans une compagnie nombreuse et
+_mlange_, une personne sans ducation lui demanda tout haut: Eh bien,
+Milord, comment va votre pied?--Je vous remercie, Monsieur, rpondit
+Byron du ton le plus poli, comme l'ordinaire, et absolument de mme.
+
+L'extrait suivant, relatif un ecclsiastique des amis de sa
+Seigneurie, est encore tir d'une de ses lettres M. Hodgson, et de la
+mme anne:
+
+J'crivis, il y a quelques semaines, N***, le priant de recevoir
+comme lve le fils d'un citoyen de Londres, que je connais beaucoup.
+Les attentions toutes particulires dont la famille m'avait combl
+pendant mon sjour parmi eux m'engagrent cette dmarche. Maintenant,
+faites attention ce qui va suivre, comme quelqu'un l'a dit d'une
+manire si sublime. Ce mme jour arrive une ptre signe N***, ne
+contenant pas un seul mot relatif la pension et l'ducation, mais
+une ptition en faveur de Robert Gregson, le fameux boxeur, actuellement
+en prison pour quelques malheureuses livres sterling, et menac d'avoir
+pour dernier asile le _Banc du Roy_. Si cette lettre m'tait venue de
+quelques-unes de mes accointances _laques_, ou enfin de toute autre
+personne que celle dont parle la signature, je ne m'en tonnerais pas.
+Si N*** est srieux, je flicite le pugilat sur l'acquisition d'un tel
+patron, et me trouverais heureux d'avancer quelque somme que ce soit
+pour la dlivrance du captif Gregson. Mais avant que d'crire N*** sur
+ce sujet, je veux certainement avoir un certificat du fait sign de vous
+ou de quelque respectable propritaire. Quand je dis le _fait_, c'est le
+fait de la lettre en tant qu'crite par N***; car je n'ai aucun doute de
+l'exactitude de ce qu'elle contient. La lettre est actuellement devant
+moi, et je la garde pour vous la faire lire.
+
+Il passa cet automne Newstead s'occupant principalement revoir et
+augmenter sa satire. Pour s'assurer lui-mme de son mrite en la lisant
+et relisant tout imprime[104], il avait fait tirer plusieurs preuves
+du manuscrit, par son premier diteur, Newark. Il est assez
+remarquable qu'excit comme il l'tait par l'attaque des journalistes,
+dou comme il l'tait de la facult d'crire avec tant de rapidit, il
+ait laiss couler un si grand laps de tems entre l'agression et la
+vengeance; mais il parat qu'il avait pleinement apprci toute
+l'importance du premier pas qu'il ferait dans la littrature aprs cette
+attaque. Il sentait que toutes ses chances de grandeur future
+dpendaient de l'effort qu'il allait faire; en consquence, il
+rassemblait tranquillement toutes ses forces. Parmi ses prparatifs pour
+la tche qu'il se proposait, on doit remarquer une tude profonde des
+crits de Pope. Je ne doute point qu'on ne doive dater de cette poque
+l'admiration enthousiaste qu'il conserva toujours pour ce grand pote,
+admiration qui, aprs deux ou trois tentatives, teignit en lui toute
+esprance de prminence dans la mme carrire, et le fora chercher
+la gloire par des chemins plus ouverts la concurrence.
+
+ [Note 104: On dit que Wieland avait coutume de faire imprimer
+ ses ouvrages pour les corriger, et qu'il tirait de grands
+ avantages de cette mthode, qui parat n'tre pas du tout
+ extraordinaire en Allemagne.]
+
+La tournure misanthropique que des affections trompes et des esprances
+frustres avaient, cette poque, donne son esprit, lui rendait
+facile le genre de la satire; cependant il est vident que cette
+amertume existait bien plus dans son imagination que dans son coeur; et
+l'entranement qu'il prouvait faire la guerre au monde venait moins
+du plaisir de porter des coups et l, que du sentiment de sa
+puissance qui se rvlait alors lui-mme, et qui le plaait plus haut
+qu'auparavant dans sa propre estime. La vrit est que la grande
+facilit avec laquelle, comme on le verra bientt, il passe de l'loge
+la censure ou de la censure l'loge, prouve combien taient passagres
+et incohrentes les impressions qui, dans beaucoup de cas, semblent
+avoir dict ses jugemens. Quoique cette circonstance te quelques
+gards, du poids ses loges, elle l'absout en mme tems du trop
+d'aigreur qui se trouve dans ses critiques.
+
+Sa majorit (1809) fut clbre Newstead par autant de rjouissances
+que purent le permettre la mdiocrit de sa fortune et l'exigut du
+nombre de ses amis; outre le _boeuf_ rti de fondation, il y eut un bal
+donn en cette occasion. La seule particularit dont se souvienne le
+vieux domestique qui m'en a parl, c'est que M. Hanson, l'agent du Lord,
+tait au nombre des danseurs. Quant la manire dont Byron lui-mme
+clbra ce grand jour, je trouve dans une lettre crite de Gnes, en
+1822, les dtails suivans qui pourront ne pas paratre sans intrt.
+Vous ai-je jamais dit que le jour de ma majorit, je fis mon dner
+d'oeufs avec du lard et une bouteille d'ale? Pour une fois en passant,
+c'est ce que j'aime le mieux manger et boire; mais comme ni l'un ni
+l'autre ne conviennent mon estomac, c'est une petite jouissance que je
+ne me permets que dans les grandes occasions, tous les quatre ou cinq
+ans environ. On se procura un intrt norme par l'entremise des
+usuriers, l'argent ncessaire pour son dbut dans le monde, et la
+ncessit de le rembourser fut long-tems un fardeau pour lui.
+
+Ce ne fut qu'au commencement de cette anne qu'il apporta Londres sa
+satire toute prte, ce qu'il croyait lui-mme, pour l'impression; mais
+malheureusement avant que l'ouvrage ne ft imprim, sa bile trouva de
+nouveaux alimens dans la ngligence avec laquelle il se crut trait par
+son tuteur lord Carlisle. Les relations qui avaient prcdemment exist
+entre ce seigneur et son pupille n'avaient jamais t de nature faire
+natre beaucoup d'amiti entre eux, et c'est au caractre et
+l'influence de Mrs. Byron qu'appartient surtout le blme d'avoir
+augment, si ce n'est d'avoir caus leur loignement. Lord Byron sentit
+vivement, comme nous le voyons dans une de ses lettres, la froideur avec
+laquelle lord Carlisle avait reu la ddicace de son premier volume.
+Toutefois cdant des considrations prudentes, non-seulement il avait
+dissimul son dplaisir, mais il avait dans sa satire (telle qu'elle
+devait d'abord paratre) introduit le compliment suivant son tuteur:
+
+Il n'en est qu'un seul auquel Apollon daigne encore sourire, et dans
+Carlisle il couronne un nouveau Roscommon.
+
+Cet loge, si gnreusement accord, ne conserva pas sa place dans le
+pome. Pendant le tems qui s'coula entre la composition et
+l'impression, Lord Byron, esprant naturellement que son tuteur
+s'offrirait de lui-mme l'introduire dans la chambre des pairs le jour
+o il devait y paratre la premire fois, lui crivit pour lui rappeler
+qu'il serait majeur au commencement de la session. Au lieu de la
+politesse laquelle il s'attendait, il ne reut pour toute rponse
+qu'une note crmonieuse, lui indiquant la manire formelle de procder
+dans de telles occasions. Il n'est donc pas tonnant que, dispos comme
+il l'tait par les circonstances prcdentes ne pas supposer son
+tuteur des intentions bien favorables pour lui, et se voyant ainsi
+refus au moment o l'appui d'un parent si proche lui et t si utile,
+son ame, naturellement si _impressionnable_, se soit ouverte au plaisir
+de la vengeance. Cette indignation, une fois excite, ne trouva qu'un
+moyen trop facile de s'exhaler. Les vers louangeurs que je viens de
+citer furent effacs, et sa satire fut publie avec ceux que nous y
+voyons contre lord Carlisle. Si ces vers flattrent dlicieusement
+d'abord son dsir de vengeance, telle tait la facilit naturelle de son
+caractre, qu'il ne tarda pas se repentir de les avoir crits[105].
+
+ [Note 105: Voyez les vers sur la mort du major Howard, fils
+ de lord Carlisle, tu Waterloo:
+
+ Des lyres plus harmonieuses que la mienne ont redit leur
+ louange; mais parmi cette troupe de hros, il en est un que
+ je voudrais choisir, soit parce que je suis alli de sa
+ famille, soit parce que j'ai eu quelques torts envers son
+ pre.
+ (CHILDE HAROLD, chant III.)]
+
+Pendant l'impression de son pome, il l'augmenta de plus de cent vers,
+et y fit plusieurs changemens, dont deux ou trois peuvent tre cits
+comme preuves de la promptitude avec laquelle il recevait les
+impressions et les influences qui l'ont rendu si variable dans ses
+manires de sentir et de juger. Dans sa satire, telle qu'il l'avait
+compose d'abord, se trouvaient les deux vers suivans:
+
+Quoique des imprimeurs condescendent souiller leurs presses des odes
+de Smythe et des chants piques de Hoyle.
+
+Il se repentit, au moment de la publication, de l'injustice de ces deux
+vers (injustes galement pour les deux auteurs qui y sont cits), du
+moins quant l'une de ces deux victimes. Il prit dans sa satire
+imprime un ton tout--fait diffrent. Le nom du professeur Smythe y est
+cit avec honneur, comme il le mritait, et accoupl celui de M.
+Hodgson, l'un des plus estimables amis du pote:
+
+Oh! obscur asile d'une race vandale, la fois honneur et disgrce des
+sciences, si plong dans la routine de l'ennuyeuse inutilit, qu' peine
+les noms de Smythe et d'Hodgson seront capables de rhabiliter le tien!
+
+Voici un autre exemple de son extrme mobilit. Le manuscrit original de
+la satire contenait ce vers:
+
+Je laisse la topographie ce fat de Gell.
+
+Pendant le tems de l'impression il fit connaissance avec sir Williams
+Gell. Alors, sans effort, par le changement d'une seule pithte, il
+convertit sa satire en loge: il crivit pour la postrit:
+
+Je laisse la topographie au _classique_ Gell[106].
+
+ [Note 106: Dans la cinquime dition de cette satire,
+ supprime par l'auteur en 1812, il changea de nouveau
+ d'opinion sur ce professeur, et en altra l'expression ainsi:
+ Je laisse la topographie au _rapide_ Gell. Expliquons la
+ raison de ce nouveau changement par la note suivante:
+ _Rapide_; en effet, il a _topographis_ et _typographis_ en
+ trois jours les tats du roi Priam. Je l'avais appel
+ classique avant que je n'eusse vu la _Troade_, et maintenant
+ je me garderai bien de lui accorder une qualification
+ laquelle il a si peu de droits.]
+
+Parmi les passages ajouts au moment de l'impression, il faut remarquer
+les vers contre la licence de l'opra, qu'ainsi donc l'Ausonie, etc.,
+que le jeune pote crivit un soir au sortir du thtre, et envoya
+aussitt M. Dallas pour les insrer dans sa satire. Une autre de ces
+additions fut le juste tribut d'loge pay MM. Crabbe et Rogers, loge
+d'autant plus dsintress et d'autant plus exact, qu' cette poque il
+n'avait vu ni l'une ni l'autre de ces deux personnes distingues, et
+qu'il conserva toute sa vie l'opinion qu'il avait exprime sur leur
+mrite. Il devint depuis ami intime de l'auteur des _Plaisirs de la
+mmoire_; mais il n'eut jamais le bonheur de former aucune liaison avec
+celui qu'il dsigna si bien sous le nom de _peintre le plus sombre et le
+plus vrai de la nature_. Mon respectable ami et voisin, M. Crabbe, m'a
+dit qu'une fois ils passrent un jour ou deux dans le mme htel, sans
+le savoir, et qu'ils ont d souvent se rencontrer, soit en entrant dans
+la maison, soit en sortant.
+
+Presque de deux jours l'un, M. Dallas, qui s'tait charg de surveiller
+l'impression, recevait de nouveaux matriaux pour l'enrichir; l'esprit
+de l'auteur une fois excit sur un sujet quelconque ne savait plus
+matriser la surabondance de ses ides. Dans l'un de ses courts billets
+ M. Dallas, il lui dit: Dpchez-vous vite d'imprimer, ou je vous
+inonderai de vers. Il en fut de mme pour ses publications
+subsquentes, aussi long-tems du moins qu'il fut porte de son
+imprimeur, alimentant jusqu'au dernier moment la presse d'ides neuves
+et fcondes qui lui taient fournies par la lecture de ce qu'il avait
+crit auparavant. Il semblerait, en effet, d'aprs l'extrme facilit et
+l'extrme rapidit dont il ajouta presque tous ses ouvrages leurs plus
+beaux passages, tandis qu'ils taient entre les mains de l'imprimeur,
+que l'action mme de se faire imprimer aiguillonnt son imagination, et
+que le torrent de ses ides prt plus de vie, de fracheur, en arrivant,
+pour ainsi dire, son embouchure.
+
+Parmi les passages pathtiques dont il orna son pome fut celui que lui
+suggra la mort dplorable de lord Falkland. C'tait un officier de
+marine, brave, mais dbauch, dont il avait fait connaissance dans le
+monde, et qui fut, au commencement de mars, tu dans un duel par M.
+Powell. Les stances touchantes qu'il lui a consacres dans sa satire
+prouvent assez combien cet vnement l'avait vivement frapp. Je
+connaissais beaucoup le feu lord Falkland. Le mardi soir je l'avais vu
+faire lui-mme les honneurs de sa table hospitalire; le mercredi matin,
+je vis tendu devant moi ce corps qu'animaient nagure le courage, la
+sensibilit, et tant de nobles passions! Il ne s'en tint pas des
+paroles pour prouver sa sympathie dans cette occasion. Ce malheureux
+jeune homme laissait derrire lui une famille qui avait besoin pour son
+soulagement d'autre chose qu'une strile compassion, et Lord Byron,
+malgr la gne qu'il prouvait lui-mme cette poque, trouva moyen de
+venir gnreusement et dlicatement au secours de la veuve et des enfans
+de son ami. Dans la lettre suivante Mrs. Byron, il en parle entre
+autres sujets importans avec une sensibilit loigne de toute
+ostentation, qui lui fait le plus grand honneur.
+
+
+
+
+LETTRE XXXII.
+
+ MRS. BYRON.
+
+Saint-James-street, n 8, 4 mars 1809.
+
+
+MA CHRE MRE,
+
+Ma dernire lettre fut crite dans un grand abattement d'esprit caus
+par la mort de ce pauvre Falkland, qui a laiss sans un schelling sa
+femme et ses enfans. Je me suis efforc de venir leur secours. Dieu
+sait que je n'ai pas pu le faire comme je l'aurais dsir, gn comme je
+le suis, et accabl de tant de dettes.
+
+Vous avez parfaitement raison; il faut que Newstead et moi nous nous
+soutenions, ou tombions ensemble. J'y ai vcu, j'y ai attach mon coeur,
+et jamais besoin d'argent prsent ou venir ne pourra me porter
+vendre la moindre parcelle de notre hritage. J'ai un amour-propre qui
+me donnera la force de supporter bien des embarras pcuniaires: j'aurai
+peut-tre endurer bien des privations; mais quand on m'offrirait en
+change de Newstead la premire fortune de l'Angleterre, je rejetterais
+la proposition. N'ayez pas d'inquitude ce sujet; M. H*** en parle
+comme un homme d'affaires; mais je sens comme un homme d'honneur, et je
+ne vendrai pas Newstead.
+
+J'entrerai la chambre des pairs ds que l'on aura reu certains
+certificats pour lesquels on a crit Carhais, dans le Cornouaille, et
+je ferai parler de moi: il faut que je brille ds le commencement, ou
+tout est perdu. Il faut me garder le secret sur ma satire pendant un
+mois, aprs cela vous serez libre d'en parler absolument comme vous le
+voudrez. Lord Carlisle en a us avec moi d'une manire infme, en
+refusant de donner au chancelier aucun dtail sur ma famille. Je l'ai
+_sangl_ comme il faut dans mes vers, et peut-tre sa Seigneurie se
+repentira-t-elle de n'avoir pas montr une humeur plus conciliante. On
+dit que cela se vendra; je l'espre, car le libraire s'est bien conduit
+jusqu'ici, c'est--dire que l'dition a t bien soigne. Croyez-moi,
+etc.
+
+_P. S._ Vous aurez hypothque sur une des fermes.
+
+Le certificat dont il est ici question comme attendu de la principaut
+de Cornouaille tait les preuves du mariage entre l'amiral Byron et miss
+Trevanion, mariage clbr, ce qu'il parat, dans une chapelle
+particulire, Carhais, et dont, en consquence, il tait difficile de
+se procurer une attestation lgale. Le dlai ncessaire pour obtenir ces
+papiers, et le refus peu gracieux de lord Carlisle de donner aucune
+explication sur sa famille, furent les obstacles qui l'empchrent
+long-tems de prendre sa place la chambre. Les preuves ncessaires
+ayant t la fin fournies, il se prsenta, le 13 mars, dans un tat
+d'isolement auquel aucun jeune homme d'un rang aussi lev ne s'tait
+jamais vu rduit en pareille occasion. N'ayant pas un seul individu de
+sa classe pour l'introduire comme un ami, ou l'accueillir comme une
+connaissance, ce fut au hasard seul qu'il dut d'tre accompagn jusqu'
+la barre de la chambre par un parent trs-loign, et qui lui tait
+compltement inconnu un peu plus d'un an auparavant. Ce parent fut M.
+Dallas, et les dtails qu'il nous a donns de cette scne entire sont
+trop frappans pour que nous y changions un seul mot.
+
+La satire fut publie vers le milieu de mars, quelques jours aprs
+qu'il eut pris sa place la chambre des Pairs, ce qu'il fit le 13 du
+mme mois. Je descendais ce jour-l de James's-Street, sans intention de
+lui faire visite; mais voyant son cabriolet la porte, j'entrai. Sa
+figure plus ple qu' l'ordinaire montrait que son esprit tait agit et
+qu'il pensait au noble seigneur sous les auspices duquel il avait
+toujours cru faire son entre la Chambre. Je suis bien aise, me
+dit-il, de vous voir; je vais prendre ma place la Chambre, peut-tre
+voudrez-vous bien m'accompagner. Je me htai de lui exprimer combien
+j'tais dispos le faire, lui cachant en mme tems le chagrin que
+j'prouvais en voyant un jeune homme qui, par sa naissance, sa fortune
+et ses talens, appartenait la premire classe de la socit, assez
+nglig, assez isol dans le monde, pour qu'il n'y et pas un seul
+membre du snat dont il allait faire partie, auquel il pt s'adresser
+pour y tre introduit d'une manire convenable. Je vis qu'il sentait
+vivement sa situation, et je partageais son indignation.
+
+Aprs avoir parl quelque tems de la satire dont les dernires feuilles
+taient alors sous presse, j'accompagnai Lord Byron la Chambre. Il fut
+reu dans l'une des antichambres par quelques officiers de service, avec
+lesquels il s'entendit sur les frais qu'il avait payer. L'un d'eux
+alla avertir le lord chancelier, et revint bientt avec ordre
+d'introduire le rcipiendaire. Il y avait peu de membres prsens, et
+lord Eldon s'occupait d'affaires ordinaires ou peu importantes. Quand
+Lord Byron entra, il me parut encore plus ple qu'avant; on lisait sur
+sa figure l'indignation jointe la mortification; mais parvenu la
+dominer, il passa devant la _balle de laine_[107] sans regarder autour
+de lui, et s'avana vers la table o l'officier charg de cette fonction
+lui fit entendre le serment d'usage. Cette formalit remplie, le
+chancelier, quittant son sige, fit quelques pas vers lui en souriant et
+lui prsentant la main pour le fliciter de la manire la plus amicale.
+Quoique je n'entendisse pas ses paroles, je vis bien qu'il lui adressait
+quelques complimens. Ce fut autant de perdu; Lord Byron fit un salut
+crmonieux, et plaa peine l'extrmit du bout de ses doigts dans les
+mains du chancelier. Celui-ci ne prolongea pas des flicitations aussi
+mal reues; mais il retourna sa place, tandis que Lord Byron alla
+ngligemment s'asseoir quelques minutes sur l'un des bancs rests vides
+ la gauche du trne, et qu'occupent ordinairement les lords de
+l'opposition. Quand il vint me rejoindre, je lui fis part de mes
+observations; il me rpondit: Si j'avais rpondu son serrement de
+main, il m'aurait tout de suite compt comme acquis son parti. Je ne
+veux rien avoir faire ni avec les uns ni avec les autres; j'ai pris
+mon rang; je veux maintenant quitter l'Angleterre. Nous retournmes
+Saint-James's-Street, mais il ne recouvra pas sa bonne humeur.
+
+ [Note 107: Nom du fauteuil du chancelier, et qui est pris
+ souvent par mtaphore pour la dignit de chancelier. C'est
+ ainsi que l'on dit tre assis sur _la balle de laine_, comme
+ chez nous tre assis sur les _fleurs de lis_.]
+
+Au rcit d'une crmonie si dsagrable pour un esprit fier comme le
+sien, et si peu de nature diminuer les ides misanthropiques qui dj
+prenaient sur lui tant d'empire, j'ajouterai d'aprs l'un de ses propres
+_souvenirs_, les dtails qu'il nous a lui-mme laisss sur sa courte
+conversation avec le lord chancelier:
+
+Quand j'eus atteint mes vingt-un ans, la ncessit de me procurer
+certains certificats de naissance et de mariage m'empcha pendant
+plusieurs semaines de prendre rang dans la Chambre. Aprs que ces
+difficults eurent t leves, et que j'eus prt serment, le lord
+chancelier s'excusa auprs de moi de ce dlai, observant que le maintien
+de ces formes voulues tait une partie de son devoir. Je lui rpondis
+qu'il ne me devait point d'excuse, et comme il n'avait pas, en effet,
+montr beaucoup d'empressement, j'ajoutai: Votre seigneurie est
+exactement comme le _Petit Poucet_ (on donnait cette poque la pice
+de ce nom), vous avez fait votre _devoir_, mais vous n'avez fait rien de
+plus.
+
+Quelques jours aprs parut la satire, et l'un des premiers exemplaires
+fut adress M. Harness, son ami, avec la lettre suivante:
+
+
+
+
+LETTRE XXXIII.
+
+ M. HARNESS.
+
+Saint-James's-Street, 18 mars 1809.
+
+Vous ne me deviez pas d'excuses; si vous avez le tems d'crire, et si
+vous y tes dispos, tant mieux; Le Seigneur nous rend reconnaissans
+pour les faveurs que nous recevons. Quand, au contraire, je n'entends
+pas parler de vous, je me console en pensant que vous tes plus
+agrablement occup.
+
+Je vous envoie par le mme courrier une certaine satire nouvellement
+publie; et en retour de trois shillings et six pences qu'il m'en cote,
+je vous prie, si vous venez en deviner l'auteur, de tenir son nom
+secret, du moins quant prsent. Londres est plein de l'affaire du
+duc[108]. La Chambre des communes s'en est occupe pendant les trois
+dernires soires, et n'a cependant encore rien dcid. Je ne sais pas
+si la chose sera porte devant notre Chambre, moins que ce ne soit
+sous forme d'accusation. Si elle y parat d'une manire qui permette la
+discussion, je serai peut-tre tent de dire quelque chose ce sujet.
+Je suis bien aise d'apprendre que vous aimez Cambridge, premirement
+parce que vous savoir heureux ne peut qu'tre infiniment agrable
+quelqu'un qui vous dsire toutes les joies possibles de ce monde
+sublunaire, et secondement, parce que j'admire la moralit de ce
+sentiment. L'_alma mater_ a t pour moi une _injusta noverca_, et cette
+vieille folle ne m'a donn mon degr de _master artium_ que parce
+qu'elle n'a pu l'viter. Vous savez quelle farce un noble candidat est
+oblig de jouer.
+
+ [Note 108: Probablement l'affaire du duc d'York, accus
+ d'avoir vendu ou laiss vendre des commissions dans l'arme
+ d'une manire illgale.]
+
+Je compte partir pour mes voyages, si je puis, au printems, et avant
+cette poque je fais une collection des portraits de ceux de mes
+camarades d'cole avec lesquels j'tais le plus li. J'en ai dj
+quelques-uns, et j'ai besoin du vtre, sans lequel la galerie ne serait
+pas complte. J'ai employ l'un des premiers peintres de miniature de
+l'poque, et ce mes dpens bien entendu, car je n'ai jamais souffert
+que mes connaissances fussent induites la moindre dpense pour
+satisfaire quelqu'une de mes fantaisies. Cette observation pourra
+paratre indlicate; mais quand je vous dirai qu'un de nos amis avait
+d'abord refus de poser dans la persuasion qu'il lui faudrait dlier les
+cordons de sa bourse, vous conviendrez qu'il est ncessaire de bien
+tablir d'abord ces prliminaires; pour viter le retour d'une semblable
+mprise, je viendrai vous voir quand il en sera tems, et je vous mnerai
+chez le peintre. Ce sera une espce de taxe que je lverai pendant une
+semaine sur votre patience; mais excusez-moi, je vous prie, et songez
+que cette ressemblance sera peut-tre le seul souvenir qui me restera un
+jour de notre ancienne amiti et de notre liaison actuelle. Cette ide
+parat assez folle maintenant; mais dans quelques annes, quand
+quelques-uns d'entre nous seront morts, que d'autres seront spars par
+des circonstances invitables, ce sera une sorte de satisfaction de
+conserver, dans les portraits de ceux qui survivront, l'image de ce que
+nous tions nagure, et de contempler dans les portraits de ceux qui
+seront morts tout ce qui nous restera du jugement, de la sensibilit et
+de l'ensemble de tant de nobles qualits. Mais tout ceci doit tre assez
+ennuyeux pour vous; ainsi bon soir, et pour finir mon chapitre ou plutt
+mon homlie, croyez-moi, mon cher Harness, votre trs-affectionn, etc.,
+etc.
+
+Dans cette ide romanesque de rassembler et de conserver les portraits
+de ses anciens amis de classe, on voit le travail naturel d'un coeur
+ardent et dsappoint qui, mesure que l'avenir commence s'obscurcir
+autour de lui, se rattache avec empressement au souvenir du pass, et
+qui, dsesprant de trouver de nouveaux et de fidles amis, ne songe
+plus qu' conserver tout ce qu'il pourra des anciens. Mais, en ce moment
+mme, sa sensibilit eut soutenir un de ces terribles checs auxquels
+des ames comme la sienne, fort au-dessus de la trempe ordinaire, ne sont
+que trop frquemment exposes. Ce fut de la part d'un des amis qu'il
+estimait le plus qu'il reut, au moment o il quittait l'Angleterre,
+cette preuve d'indiffrence dont il se plaint et s'indigne dans une note
+du second chant de _Childe-Harold_, la mettant en contraste avec la
+fidlit et l'affection que venait de lui montrer son domestique turc
+Derwish. M. Dallas dcrit ainsi l'motion o il le vit l'occasion de
+ce mme manque d'affection:
+
+Je le trouvai touffant d'indignation. Le croirez-vous? me dit-il; je
+viens l'instant de rencontrer N***, je l'ai pri de venir passer une
+heure avec moi; il m'a refus; et quelle raison pensez-vous qu'il m'ait
+donne? Il tait engag aller courir les boutiques avec sa mre et
+quelques autres dames, et il sait que je pars demain pour tre absent
+pendant plusieurs annes, et peut-tre pour ne revenir jamais! Amiti!
+je ne pense pas qu'except vous, votre famille et peut-tre ma mre, je
+laisse derrire moi un seul tre qui se soucie de ce que je pourrai
+devenir.
+
+D'aprs cette phrase dj cite d'une lettre Mrs. Byron, il faut que
+je fasse quelque chose bientt dans la Chambre, et d'aprs une autre
+expression plus explicite encore, contenue dans une lettre M. Harness,
+il paratrait qu'il songeait srieusement, cette poque, entrer de
+suite dans la carrire des affaires politiques que sa qualit de pair
+hrditaire semblait ouvrir naturellement devant lui. Mais quelles
+qu'aient t d'abord les impulsions de son ambition vers ce point, il y
+renona bientt. S'il et t alli de quelques familles qui eussent
+tenu un rang distingu dans le monde politique, son envie de dominer,
+seconde par de tels exemples et de telles sympathies, l'et port sans
+doute chercher la gloire au milieu des guerres de parti; peut-tre
+c'et t alors son lot de donner un exemple remarquable de ce
+changement par lequel un homme cesse d'tre un grand pote pour devenir
+un grand politique. Heureusement, toutefois pour le monde, car c'est une
+question si ce fut un bonheur pour lui-mme, il tait dcid que ce
+serait dans l'empire plus brillant de la posie qu'il devait dominer. En
+effet, l'isolement de toute socit dans lequel il se trouvait cette
+poque, tant priv de ces affections et de ces protections dont un
+jeune homme est ordinairement entour lors de ses dbuts, cet isolement,
+dis-je, devait le dcourager de suivre une carrire o les chances de
+succs dpendent surtout des avantages qui ne sont pas en nous-mmes.
+Loin donc de prendre une part active aux travaux de ses nobles
+collgues, il parat qu'il regardait comme ennuyeux et mortifiant d'y
+assister comme spectateur. Quelques jours aprs son admission, il se
+retira dans sa retraite de Newstead-Abbey, pour y savourer l'amertume
+d'une exprience prmature, ou pour y mditer d'avance sur les scnes
+et les aventures auxquelles son esprit ardent devait trouver
+l'tranger un champ plus libre que dans sa patrie.
+
+Peu de tems s'coula cependant avant qu'il ne ft rappel Londres par
+le succs de sa satire, dont le prompt dbit rendait une seconde dition
+ncessaire. Son agent zl, M. Dallas, avait pris soin de lui
+transmettre, dans sa solitude, tout ce qu'il avait pu recueillir
+d'opinions favorables son ouvrage. Il n'est pas sans intrt de voir
+par quels degrs on arrive d'abord la rputation, et de trouver dans
+l'approbation d'autorits telles que Pratt et les crivains des Revues,
+la premire rcompense et les premiers encouragemens d'un Byron.
+
+Vous tes dj, lui crivait-il, assez gnralement connu pour
+l'auteur. Cawthorn m'en a parl dans ce sens, et j'en ai eu par moi-mme
+une preuve chez Hatchard, libraire de la reine. J'entrai pour lui
+demander la satire; il me rpondit qu'il en avait vendu un grand nombre
+d'exemplaires, qu'il ne lui en restait pas un, qu'il allait en
+redemander davantage, ce que je vis depuis qu'il avait fait. Je lui
+demandai quel tait l'auteur. Il me rpondit qu'on la croyait de Lord
+Byron. J'insistai pour savoir si c'tait son opinion, lui-mme. Il me
+rpondit que oui, et que ce qui le lui faisait croire, c'est qu'une dame
+de distinction tait venue, sans hsitation, lui demander la satire de
+Lord Byron. Il m'apprit aussi qu'il avait demand M. Giffard, qui
+vient souvent dans sa boutique, si la satire tait de vous; celui-ci nia
+absolument qu'il en connt l'auteur; mais il parla avec grand loge de
+l'ouvrage, et dit qu'on lui en avait envoy un exemplaire. Hatchard m'a
+assur que tous ceux qui frquentent son cabinet de lecture l'admirent
+beaucoup. Cawthorn m'a dit qu'on en faisait gnralement un trs-grand
+cas, non-seulement parmi ses propres pratiques, mais encore parmi toutes
+celles de ses confrres. Je suis all plusieurs fois exprs chez mon
+diteur, et je l'ai toujours entendu beaucoup vanter. Pratt l'a lue
+dernirement haute voix dans les salons, Phillip un cercle d'hommes
+de lettres: tous l'ont unanimement loue. L'_Anti-Jacobin_ et le
+_Gentleman's Magazine_ ont dj embouch pour vous la trompette de la
+renomme. Vous verrez votre satire dans les autres revues le mois
+prochain, et probablement elle sera maltraite dans quelques-unes,
+suivant les rapports que les propritaires ou les diteurs peuvent avoir
+avec ceux que vous y avez flagells.
+
+ son arrive Londres, vers la fin d'avril, il trouva la premire
+dition de sa satire presque puise; il se mit aussitt en devoir d'en
+prparer une seconde, laquelle il rsolut de mettre son nom. Les
+additions qu'il fit alors son ouvrage sont considrables, il ajouta
+entre autres prs de cent vers qui devinrent les premiers[109], et ce ne
+fut gure qu'au milieu du mois suivant que la nouvelle dition fut prte
+ imprimer. Pendant son dernier sjour la campagne, il tait convenu
+avec son ami Hobhouse qu'ils quitteraient l'Angleterre au commencement
+de juin, et il dsirait voir les preuves de son volume avant que de
+partir.
+
+ [Note 109: La premire dition commenait au vers:
+
+ Il fut un tems, avant que de nos jours dgnrs.]
+
+Cette seconde dition est suivie d'un post-scriptum en prose que M.
+Dallas, et c'est une preuve de jugement et de got, supplia en vain le
+pote de retrancher. Il est fort regretter que Byron ne se soit point
+rendu ses sages avis; car il rgne, dans cette malheureuse page, un
+ton de bravache, que l'on est toujours pein de voir adopt par un homme
+vraiment brave. En voici un chantillon: On dira peut-tre que je
+quitte l'Angleterre, parce que j'y ai insult des personnes d'esprit et
+d'honneur; mais je reviendrai, et elles pourront entretenir jusque-l
+leurs ressentimens. Ceux qui me connaissent peuvent affirmer que les
+motifs qui me font voyager, sont loin d'tre des craintes littraires ou
+personnelles, et ceux qui ne me connaissent pas pourront en tre
+convaincus un jour. Depuis la publication de cet opuscule, mon nom n'a
+pas t au secret, j'ai presque constamment habit Londres, prt
+rendre raison de ce que j'ai crit, et m'attendant chaque jour
+recevoir quelque petit cartel; mais, hlas! les tems de la chevalerie
+sont passs, ou, pour parler comme le vulgaire, il n'y a plus de courage
+aujourd'hui.
+
+Quelques torts que l'auteur ait pu avoir dans cette satire, peu de
+personnes la jugeraient plus svrement aujourd'hui, qu'il ne la jugea
+lui-mme neuf ans aprs l'avoir compose, au moment o il venait de
+quitter l'Angleterre pour n'y jamais revenir. M. Murray possde
+l'exemplaire que Byron lut alors; et les notes qu'il griffonna en marge,
+et au bas des pages, mritent d'tre traduites ici; sur la premire on
+lit:
+
+La reliure de ce volume est beaucoup trop belle pour ce qu'il contient.
+
+C'est la proprit d'un autre, voil la seule raison qui me retient de
+jeter au feu ce misrable monument de colre dplace et de critique
+aveugle.
+
+En marge de ce passage: De se laisser garer par le coeur de Jeffrey, ou
+la tte botienne de Lamb, est crit: Cela n'est pas juste; la tte et
+le coeur de ces messieurs, ne sont pas du tout tels qu'ils ont t ici
+reprsents. En travers de tout le svre passage contre MM. Wordsworth
+et Coleridge, il a griffonn _injuste_. Pour l'attaque terrible contre
+M. Bowles, le commentaire est: Tout ce morceau sur Bowles est trop
+sauvage. la marge des vers qui commencent par salut l'immortel
+Jeffrey, est crit, trop froce... C'est de la folie toute pure; et
+plus bas, propos des vers: Quelqu'un se rappelle-t-il ce jour
+dsastreux, etc., il ajoute, tout cela est mauvais, parce que c'est
+trop personnel.
+
+Quelquefois cependant, loin de casser ses premiers jugemens, il semble
+dispos les confirmer et rendre plus svres. Ainsi, en marge du
+passage relatif certain auteur de certaines popes obscures (Cottle),
+il dit: C'est bien, ajoutant au bas de la page: J'ai vu quelques
+lettres de ce drle une pauvre dame pote, dont il attaque les
+productions (productions dont cette brave femme n'tait nullement
+enfle), d'un ton si grossier et si tranchant, que je ne regretterais
+pas les coups de fouet que je lui ai donns, quand mme ils eussent t
+injustes, ce qui n'est pas, car en vrit _c'est un grand ne_. En marge
+des vers si forts contre Clarke, collaborateur du _Magazine_ appel le
+_satiriste_, se trouve cette remarque: Assez bien; il la mritait, et
+cela n'est pas trop mal exprim.
+
+Tout le paragraphe commenant par _Illustre Lord Holland_, a pour note
+mauvais, et, en outre, manquant de vrit. Les vers contre Lord
+Carlisle lui paraissent mauvais aussi, la provocation n'tait pas
+suffisante pour justifier tant d'acrimonie. Dans une autre note
+concernant le mme seigneur, il dit: Beaucoup trop sauvage, quel qu'en
+ait pu tre le fondement. Il dit de Rosa Maltida (la fille du clbre
+juif K...), elle a depuis pous le Morning-Post, mariage extrmement
+bien assorti. Aux vers commenant par Quand quelque jeune homme
+d'esprance, habitant une choppe, etc., il a joint un note qui n'est
+pas sans intrt: Tout ceci tait dirig contre le pauvre Blackett, il
+tait alors _patronis_ par A. I. B.[110]. Je l'ignorais, sans quoi je
+n'eusse pas crit tout ceci, ou du moins, je ne le crois pas.
+
+ [Note 110: Lady Byron, alors miss Milbank.]
+
+En regard de l'loge de M. Crabbe, il a crit: Je considre Crabbe et
+Coleridge comme les deux plus remarquables potes de notre tems, sous le
+rapport de l'invention et du pathtique. Sur l'un de ses propres vers:
+
+ Et la gloire comme le Phnix au milieu des flammes, etc.
+
+il s'crie: Le diable emporte le Phnix! comment a-t-il fait pour venir
+se fourrer l? Et il conclut ses remarques de dtails par l'observation
+suivante, sur l'ensemble de la pice:
+
+Je dsirerais bien sincrement que la majeure partie de cette satire
+n'et jamais t crite, non seulement cause de l'injustice des
+jugemens qui y sont ports sur quelques ouvrages et quelques personnes,
+mais parce que je ne saurais approuver le ton qui y rgne en gnral, et
+l'esprit qui l'a dicte.
+
+BYRON.--Diodati-Genve, 14 juillet 1816.
+
+En mme tems qu'il prparait sa nouvelle dition, il faisait gament les
+honneurs de Newstead une troupe de jeunes amis de collge, qu' la
+veille de quitter l'Angleterre pour si long-tems il avait runis autour
+de lui, comme pour une fte d'adieux. La lettre suivante, de l'un des
+convives, Charles Skinner Matthews; quoiqu'elle ne parle pas autant de
+son hte illustre que nous eussions pu le dsirer, plaira sans doute au
+lecteur comme une peinture prise au moment mme, et qui rflchit bien
+le caractre de Byron cette poque.
+
+
+
+LETTRE DE C.S. MATTHEWS, CUYER,
+
+ MISS ***.
+
+Londres, 22 mai 1809.
+
+
+MA CHRE MISS ***,
+
+Il faut d'abord que je vous donne quelques dtails sur le lieu
+singulier que je viens de quitter.
+
+Newstead-Abbey est situe 136 milles de Londres, et 4 de Mansfield.
+C'est un si beau morceau d'architecture que je ne serais pas tonn
+qu'on en trouvt la description, et peut-tre la gravure, dans les
+_monumens_ gothiques de Grose. Elle est en la possession des anctres du
+propritaire actuel depuis l'poque de la dissolution des monastres,
+mais le btiment lui-mme est d'une date bien plus recule. Quoique
+tombant en ruines, c'est encore une abbaye complte, et la plus grande
+partie de l'difice est encore debout et dans le mme tat que le jour
+o il fut construit. Il y a deux ranges de clotres, avec un grand
+nombre de chambres et de cellules, qui, bien qu'inhabites et
+inhabitables, pourraient facilement tre remises en tat; beaucoup des
+anciennes chambres servent encore, entre autres une grande salle dalle.
+Il ne reste plus qu'un ct de l'glise de l'abbaye; l'ancienne cuisine
+et une longue file de btimens attenans n'offrent plus qu'un amas de
+dcombres. Une salle magnifique de 70 pieds de long sur 23 de large,
+unit les anciennes constructions aux btimens modernes; mais toutes les
+parties de la maison sont dans un grand tat de dlabrement et
+d'abandon, except celles que le seigneur actuel vient de faire
+arranger.
+
+La maison et les jardins sont entirement entours d'une muraille
+crnele. Devant l'entre principale se trouve un grand lac, flanqu
+et l de btimens fortifis, domins par une tour place l'autre
+extrmit. Imaginez-vous, tout autour, des collines nues et arides, la
+vue ne dcouvrant qu' peine deux ou trois mchans arbres rabougris,
+plusieurs milles de distance, et vous aurez une ide de Newstead. Le
+dernier lord tant brouill avec son fils, auquel le domaine tait
+assur par substitution, voulut au moins, par esprit de vengeance, qu'il
+ne lui arrivt que dans le plus mauvais tat possible. En consquence il
+ngligea les constructions, et fit un tel abattage de tous les arbres,
+qu'il rduisit bientt une proprit nagure _boise_ l'tat de
+dsolation et de nudit que je viens de dcrire. Toutefois, son fils
+mourut avant lui, et, tout cet talage de colre manqua ainsi son effet.
+
+En voil assez sur le domaine; j'ai multipli les dtails sans ordre et
+sans liaison, pour qu'ils ressemblassent mieux au sujet. Mais si ce lieu
+vous parat trange, la manire dont on y vit ne l'est pas moins, je
+vous assure. Montez avec moi les degrs qui mnent au vestibule, que je
+vous prsente Milord et ses htes. Prenez garde, souvenez-vous de
+n'y venir qu'en plein jour, et de bien ouvrir vos yeux, car si vous
+alliez vous tromper, si vous tourniez trop droite en montant les
+degrs, vous vous feriez empoigner par un ours, et si vous alliez trop
+gauche, ce serait encore pire, vous vous trouveriez nez nez avec un
+loup. Parvenu la porte, vous n'tes pas hors de danger, car le
+vestibule tant en mauvais tat, et ayant grand besoin de rparation, il
+y a probablement l'autre extrmit une foule de visiteurs qui
+s'exercent tirer au blanc, de manire que si vous entrez sans donner,
+de loin et haute voix, avis de votre approche, vous n'aurez chapp
+l'ours et au loup que pour tomber sous les balles des joyeux moines de
+Newstead.
+
+Nous tions quatre, sans compter Lord Byron, et notre compagnie
+s'augmentait de tems en tems d'un cur du voisinage. Quant notre
+manire de vivre, voici quel tait gnralement l'ordre du jour: pour le
+djeuner, point d'heure fixe, chacun le prenait sa convenance, et la
+table demeurait servie jusqu' ce que chacun de nous et fini; il est
+vrai de dire que si quelqu'un de nous et dsir djeuner d'aussi _bonne
+heure_ que dix heures, il lui et fallu une grande chance pour trouver
+aucun des domestiques debout. Nous nous levions, terme moyen, une
+heure. Moi, qui me levais gnralement entre onze heures et midi,
+j'tais toujours, mme malade, le premier lev, et je passais pour un
+miracle de diligence et d'activit. Souvent deux heures sonnaient avant
+que nous n'eussions fini de djeuner. Alors, pour amuser notre journe,
+nous avions la lecture, l'escrime, le bton de vole, ou le jeu de
+volant dans le grand salon, le tir au pistolet dans le vestibule; la
+promenade pied, cheval, en bateau sur le lac, la partie de paume, ou
+quelque partie avec l'ours et le loup que nous nous plaisions
+tourmenter. Entre sept et huit heures, nous nous mettions table pour
+dner, et nous y restions jusqu' une, deux et trois heures du matin. Je
+laisse deviner quel tait notre plaisir pendant cette longue sance.
+
+Je ne dois pas passer sous silence l'usage de faire passer la ronde,
+au moment du dessert, un crne humain, rempli de vin de Bourgogne. Aprs
+nous tre rassasis de viandes choisies et des meilleurs vins de France,
+nous nous rendions dans le salon pour prendre le th; l, suivant son
+got, chacun se livrait la lecture ou quelque conversation
+instructive; et, aprs les _Sandwiches_, etc., chacun se retirait dans
+sa chambre coucher. Une collection de robes de moines, avec tout ce
+qui s'en suit, crosses, rosaires, tonsures, etc., donnait plus de
+varit nos physionomies et nos plaisirs.
+
+Vous pouvez juger combien je fus contrari de me trouver malade presque
+pendant la premire moiti du tems que je passai Newstead. Mais je fus
+conduit des rflexions bien diffrentes de celles du docteur Swift,
+qui quitta sans crmonie aucune la maison de Pope, et lui crivit
+ensuite qu'il tait impossible deux amis malades de vivre ensemble;
+mon pauvre corps tremblant et affaibli se trouvait si mal de la robuste
+et bruyante sant de mes compagnons, que je dsirais de tout mon coeur
+voir chacun dans la maison, aussi malade que moi.
+
+Je revins pied avec un autre des convives; nous faisions peu prs
+vingt-cinq milles par jour, mais nous restmes environ une semaine en
+route, parce que nous fmes retenus par les pluies.
+
+Je terminerai ici le rcit d'une excursion qui m'a fait mieux connatre
+le pays. O croyez-vous que j'aille maintenant? Constantinople! Du
+moins on m'a propos ce petit voyage. Lord Byron et un autre de mes amis
+partent le mois prochain, et m'ont demand de les accompagner; mais
+c'est un projet un peu important, et qui vaut bien la peine d'y
+rflchir deux fois... Adieu, etc.
+
+C.S. MATTHEWS.
+
+Aprs avoir ainsi mis la dernire main sa nouvelle dition, sans
+attendre les nouveaux honneurs qui se prparaient pour lui, Lord Byron
+quitta Londres le 11 juin, et, quinze jours aprs, mit la voile pour
+Lisbonne.
+
+Quelque grands que fussent les progrs que son talent et faits sous
+l'influence de la colre qu'il avait prise pour muse, il est, dans la
+satire dont nous venons de parler, bien loin de la hauteur qu'il
+atteignit dans la suite. Il est remarquable en effet que, li comme son
+gnie parat l'avoir t avec son caractre, le dveloppement de ce
+dernier ait prcd de si long-tems toute la maturit des ressources de
+l'autre. La nature, en dveloppant de bonne heure en lui une facult de
+sentir si forte et si multiple, semblait lui avoir dsign ce qu'elle
+attendait de lui, avant qu'il pt la comprendre. Ce ne fut que lentement
+et aprs de longues mditations, qu'il dcouvrit en lui-mme tous ces
+matriaux de posie, que son caractre de feu enfantait, pour ainsi
+dire, son insu. Toute vigoureuse que soit sa satire, on y voit peu de
+choses qui puissent donner un avant-got des merveilles qui l'ont
+suivie. Son esprit avait reu l'veil, mais il n'en avait pas encore
+sond la profondeur; et le fiel qu'il y rpand, ne part pas encore du
+fond de son coeur comme celui qu'il jeta dans la suite la face du genre
+humain. Ses innombrables facults, ses passions que son ame avait
+nourries si long-tems, n'avaient pas encore trouv d'organe digne
+d'elles. Le sombre, le grandiose, le tendre de sa nature, n'avaient pas
+encore de voix, jusqu' ce qu'enfin son puissant gnie se rveilla avec
+le sentiment de toute sa force.
+
+En s'arrtant, dans sa satire aussi bien que dans ses premires posies,
+ crire d'aprs des modles reus, il montra combien peu il avait
+encore explor ses propres ressources, et dcouvert les marques
+distinctives qui devaient jamais illustrer son nom. Quelque hardi et
+quelque nergique que ft en gnral son caractre, il avait bien peu de
+confiance dans ses forces intellectuelles. Ce ne fut que par degrs
+insensibles qu'il acquit la conscience de ce qu'il pouvait faire; et il
+ne fut pas moins tonn que le public de dcouvrir dans son ame une
+aussi riche mine de gnie. C'est par suite de la mme lenteur
+s'apprcier, que, dans la suite, arriv l'apoge de sa gloire, il
+douta long-tems qu'il pt russir dans aucun ouvrage qui ne demandt que
+de l'esprit et de la gat, jusqu' ce que l'heureux essai qu'il en fit
+dans Beppo, dissipa sa mfiance, et ouvrit une nouvelle carrire de
+triomphes son gnie immense et versatile.
+
+ quelque distance que ses premires productions soient de celles qui
+les ont suivies, il y a dans sa satire une vivacit de penses, une
+vigueur et un courage qui, joints la justice de sa cause, ne pouvaient
+manquer de lui valoir la sympathie publique, et d'attacher immdiatement
+beaucoup de clbrit son nom. Malgr le ton gnral de hardiesse et
+d'indiffrence qui rgne dans sa satire, on y voit de tems en tems
+quelques allusions son sort et son caractre, dont le pathtique
+semble assurer la vrit, et qui taient de nature piquer vivement la
+curiosit et l'intrt. Je vais citer deux ou trois de ces passages,
+comme montrant bien l'tat de son ame cette poque. Voici comme il
+peint sa jeunesse expose sans protection aux tentations d'un monde
+corrompu et corrupteur: Moi-mme, le plus insouciant d'une troupe
+insouciante, qui ai juste assez de bon sens pour connatre ce qui est
+juste, et faire ce qui ne l'est pas, abandonn moi-mme l'ge o le
+bouclier de la raison est encore mal assur, pour chercher mon chemin au
+travers de la foule innombrable des passions; moi que tous les genres de
+plaisir ont attir et repouss tour tour, moi-mme je me sens forc
+d'lever la voix; je suis forc de sentir que de telles scnes, que de
+tels hommes sont contraires au bien public. Quand mme quelqu'ami me
+dirait d'un ton de censeur: En quoi vaux-tu mieux que les autres, fou
+que tu es? Quand mme chacun de mes anciens camarades de dbauche
+sourirait et crierait au miracle, de me voir devenu moraliste...
+
+Mais le passage suivant, quoique crit la hte, montre bien plus
+encore ce coeur ulcr que l'on retrouve dans toutes ses compositions
+subsquentes:
+
+Il fut un tems qu'un mot dsagrable ne serait jamais tomb de mes
+lvres qui semblent aujourd'hui pleines de fiel; ni fous ni folies
+n'auraient pu me forcer mpriser le plus vil des insectes que je
+voyais ramper devant mes yeux. Mais aujourd'hui je suis bien endurci, je
+suis bien chang de ce que j'tais dans ma jeunesse. J'ai appris
+penser et dire svrement la vrit; j'ai appris me moquer des
+dcrets emphatiques de nos critiques et les briser eux-mmes sur la
+roue qu'ils m'avaient prpare. J'ai appris repousser du pied la verge
+que l'on voulait me faire baiser...
+
+Nous avons indiqu dans les pages prcdentes quelques-unes des causes
+qui amenrent ce changement de son caractre. Outre son propre
+tmoignage, il en est plusieurs autres qui prouvent qu'il n'avait
+naturellement pas de fiel. Dans son enfance, bien qu'il se montrt
+quelquefois colre et entt, chacun reconnaissait sa douceur et sa
+bont envers ceux qui se montraient eux-mmes bons et doux son gard;
+et ceux qui l'ont connu alors s'accordent le d'un caractre affectueux
+et gai.
+
+De toutes ces qualits naturelles la plus saillante, en effet, semble
+avoir t un profond besoin d'aimer. Une disposition former des
+attachemens durables et un dsir ardent d'tre pay de retour, ont t
+le songe et le tourment de sa vie. Nous avons vu avec quel enthousiasme
+passionn il se livra ses amitis de collge. L'amour dlirant et
+malheureux qui suivit fut, si je puis m'exprimer ainsi, l'agonie, sans
+tre la mort, de ce dsir insatiable qui dura toute sa vie, remplit sa
+posie de tout ce que l'ame a de plus tendre, prta l'clat de ses
+couleurs, mme ces noeuds indignes que la vanit et la passion lui
+firent former dans la suite, et lui dicta encore ces stances qu'il
+crivait quelques mois avant sa mort:
+
+Il est tems que ce coeur cesse d'tre mu, puisqu'il a cess d'mouvoir
+les autres, et cependant, quoique je ne puisse plus tre aim, j'ai
+besoin d'aimer encore!
+
+En supposant mme les circonstances les plus favorables, ce serait
+encore une question de savoir si, avec des dispositions telles que
+celles que nous venons de dcrire, il et pu viter d'tre la fin
+dsappoint, ou s'il et jamais pu trouver o reposer son imagination et
+ses dsirs; mais Lord Byron rencontra les dsappointemens ds les
+premiers pas qu'il fit dans le sentier de la vie. Sa mre, vers laquelle
+il tourna naturellement et avec ardeur ses premires affections, ou le
+repoussa rudement, ou s'en joua par caprice. Parlant de ses premires
+annes avec un de ses amis, Gnes, peu de tems avant son dpart pour
+la Grce, il datait la premire sensation de peine ou d'humiliation
+qu'il et jamais connue, de la froideur avec laquelle sa mre recevait
+ses caresses dans son enfance et de ses frquentes et malicieuses
+allusions son infirmit.
+
+Sa jeunesse fut aussi prive de l'affection sympathique d'une soeur; il
+n'eut d'abord avec la sienne que des rapports extrmement rares. Si son
+besoin d'aimer avait trouv o s'pancher dans sa famille, peut-tre le
+torrent de ses sensations se serait-il trouv plus au niveau de ce monde
+qu'il avait traverser. Ainsi il et vit ces chutes rapides et
+tumultueuses auxquelles il fut bientt expos pour s'tre trop tt lev
+ toute sa crue. Le manque d'objets sur lesquels son attachement pt se
+porter dans la maison paternelle ne laissa son coeur d'autres
+ressources que ces affections enfantines qu'il forma l'cole; quand
+celles-ci furent interrompues par son passage Cambridge, il se
+retrouva de nouveau isol et abandonn au vague de ses dsirs. Bientt
+survint son malheureux attachement pour miss Chaworth, auquel, plus qu'
+toute autre cause, il attribuait lui-mme le funeste changement qui
+s'opra dans son caractre.
+
+Je doute quelquefois, dit-il dans ses _Penses dtaches_, si, aprs
+tout, un genre de vie tranquille et sans agitation et pu me convenir,
+et pourtant je regrette quelquefois de n'en avoir pas un tel. Mes
+premiers rves, comme presque tous ceux des enfans, furent des rves
+guerriers; peu aprs ils furent tous d'amour et de solitude, jusqu' ce
+que mon malheureux attachement pour Maria Chaworth commena lorsque
+j'avais peine quinze ans, et continua long-tems quoique soigneusement
+cach. Ce fut ce qui me rejeta de nouveau seul sur une vaste... vaste
+mer. Je me rappelle qu'en 1804, je rencontrai ma soeur chez le gnral
+Harcourt dans Portland-Place. J'tais moi-mme alors, tel qu'elle
+m'avait toujours vu jusque-l. Quand nous nous rencontrmes ensuite en
+1805 (elle me l'a dit depuis), mon caractre et mes manires taient
+tellement changs que l'on me reconnaissait peine. Je ne m'apercevais
+pas alors de cette altration; mais j'y crois, et je pourrais en rendre
+raison. J'ai dj racont la manire dont il prit cong de miss
+Chaworth avant son mariage. Une fois aprs cet vnement, il la revit,
+et ce fut pour la dernire, lorsqu'il fut invit par M. Chaworth dner
+ Annesley, peu de tems avant son dpart d'Angleterre. Le peu d'annes
+qui s'taient coules depuis leur dernire entrevue avaient apport un
+changement considrable dans les manires et l'extrieur du jeune pote.
+L'informe et gros colier tait devenu un jeune homme gracieux et bien
+pris dans sa taille. Ces motions et ces passions qui rehaussent d'abord
+et dtruisent ensuite la beaut, n'avaient encore produit sur ses traits
+que leur effet favorable; et quoiqu'il et eu peu d'occasions de
+frquenter la bonne socit, ses manires avaient acquis cette douceur
+et cet aplomb qui caractrisent l'homme bien lev. Son empire sur
+lui-mme fut bientt mis l'preuve quand on apporta dans l'appartement
+la petite fille de sa belle htesse. La vue de cet enfant lui fit
+prouver un saisissement dont il ne fut pas matre, ce ne fut qu'avec
+effort qu'il parvint dissimuler sa profonde motion, et c'est ce
+qu'il prouva dans ce moment que nous devons ces stances touchantes: Eh
+bien! tu es heureuse, etc.[111], qui ont paru dans un recueil de
+_Mlanges_, publi par l'un de ses amis, et que l'on retrouve maintenant
+dans la collection gnrale de ses oeuvres. Sous l'influence du mme
+sentiment il composa deux autres pices cette mme poque; mais comme
+elles ne se trouvent que dans les _Mlanges_ que je viens de citer, et
+que ce recueil n'est plus dans le commerce, je crois qu'on ne me saura
+pas mauvais gr d'en citer ici quelques stances:
+
+ [Note 111: Dates sur le manuscrit original, 2 novembre
+ 1808.]
+
+
+ADIEUX A UNE DAME[112].
+
+ [Note 112: Intituls dans le manuscrit original: Mrs. ***,
+ qui me demandait mes raisons pour quitter l'Angleterre au
+ printems, et dats du 2 dcembre 1808.]
+
+Quand, chass des bosquets d'den, l'homme s'arrta quelques instans sur
+le seuil, chaque scne lui rappelait les heures coules, et lui faisait
+maudire son avenir.
+
+Mais errant travers de lointains climats, il apprit porter le poids
+de son chagrin; il ne fit plus que donner un soupir au souvenir du tems
+pass, et trouva du soulagement au milieu de scnes plus agites.
+
+Ainsi, Marie, doit-il en tre de moi; je ne dois plus revoir tes
+charmes, car quand je m'arrte prs de toi, mon coeur soupire pour tout
+ce bonheur qu'il a connu autrefois, etc.
+
+L'autre pome respire tout entier la tendresse; mais je n'en donnerai
+que les stances qui me paraissent les plus saillantes:
+
+
+STANCES ***, EN QUITTANT L'ANGLETERRE.
+
+C'en est fait! la barque abandonne au souffle du vent ses voiles
+blanches, qui soufflent autour du mt et s'entr'ouvrent aux efforts de
+la brise bruyante! Et il faut que je quitte ce pays, parce que je n'en
+puis aimer qu'une...
+
+Comme un oiseau priv de sa compagne, mon coeur dchir se livre la
+douleur: en vain je cherche autour de moi, je ne puis rencontrer un
+sourire ami, une figure qui me plaise, et mme au milieu des troupes les
+plus nombreuses, je suis toujours seul, parce que je n'en puis aimer
+qu'une.
+
+Je franchirai les flots blanchissans, j'irai chercher une patrie
+l'tranger; je ne saurais trouver de repos nulle part, jusqu' ce que
+j'aie oubli les traits de cette belle infidle; je ne puis me
+soustraire mes sombres penses, mais je puis aimer toujours, et
+toujours je n'en puis aimer qu'une...
+
+Je pars... mais en quelque lieu que j'aille, aucun oeil ne se mouillera
+pour moi de larmes, aucun coeur ne sympathisera mes peines; toi-mme,
+qui as dtruit toutes mes esprances, tu ne m'accorderas pas un soupir,
+quoique je n'en aime qu'une.
+
+Le souvenir de chacune de ces scnes passes, la pense de ce que nous
+sommes, de ce que nous avons t, abmerait de douleurs des coeurs plus
+faibles! Mais, hlas! le mien a support le choc, il bat encore comme il
+avait commenc, et n'en aime jamais rellement qu'une.
+
+Qu'elle peut tre cette belle, si tendrement aime? c'est ce que le
+vulgaire ne doit pas savoir; pourquoi ce jeune amour fut-il malheureux?
+tu le sais, et moi j'en gmis; et bien peu de ceux qui vivent sur cette
+terre n'ont aim si long-tems, et n'en ont aim qu'une.
+
+J'ai essay les fers d'une autre, tout aussi belle peut-tre; j'aurais
+donn beaucoup pour l'aimer autant que toi, mais un charme insurmontable
+empchait mon coeur dchir de rien sentir que pour une.
+
+Il me serait doux de te revoir au moment du dpart, de te bnir en te
+disant adieu; cependant je ne voudrais pas demander tes beaux yeux des
+larmes pour celui qui va errer sur les vastes mers. Il a perdu sa
+patrie, ses esprances, sa jeunesse, et toutefois il aime encore, et
+n'en aime qu'une.
+
+Tandis que son coeur aimant tait ainsi tromp dans ses esprances de
+retour, il tait au moins autant mortifi et dsappoint dans un autre
+instinct de sa nature, le dsir d'acqurir des distinctions et de
+dominer. Le peu de rapports entre sa fortune et son rang fut de bonne
+heure pour lui une source d'embarras et d'humiliations; et la haute
+opinion qu'il avait des avantages d'une naissance illustre ne faisait
+qu'ajouter l'amertume de cette ingalit. Cependant l'ambition lui
+suggra bientt qu'il y avait d'autres et de plus nobles voies pour
+arriver aux distinctions. Il sentit avec orgueil qu'il pourrait un jour
+obtenir celles que le talent ne doit qu' lui-mme. Il n'tait pas
+extraordinaire non plus que, comptant sur l'indulgence que l'on accorde
+ordinairement la jeunesse, il esprt faire impunment le premier pas
+dans le sentier de la gloire. Mais l, comme dans tous les autres objets
+que son coeur s'tait proposs, il ne rencontra que le dsappointement et
+la mortification. Au lieu d'prouver ces gards, si ce n'est cette
+indulgence avec laquelle les critiques accueillent ordinairement de
+jeunes dbutans, il se trouva tout coup victime d'une svrit sans
+borne, svrit que l'on ne dploie que rarement contre les plus vieux
+pcheurs dans le monde littraire. Ainsi, son coeur, qui venait
+d'prouver toute la douleur d'un amour malheureux, se vit encore frustr
+de ces ressources et de ces consolations qu'il avait cherches dans
+l'exercice de ses facults intellectuelles.
+
+Tandis qu'il prouvait ainsi de bonne heure des peines de plus d'un
+genre, son imagination reut encore l'influence funeste de plaisirs trop
+prmaturs. Bientt se dissipa ce charme dont la jeunesse aime
+embellir un monde qu'elle ne connat pas. Ses passions avaient ds le
+commencement anticip l'avenir, et le vide qu'elles laissrent bientt
+dans son ame fut, de son propre aveu, l'une des principales causes de
+cette mlancolie qui forma depuis l'une des marques distinctives de son
+caractre.
+
+Mes passions, dit-il dans ses _Penss dtaches_, se dvelopprent de
+trs-bonne heure, de si bonne heure que bien peu voudraient me croire,
+si j'en citais la date et les circonstances: peut-tre l'une des causes
+de cette mlancolie anticipe de mes penses fut que j'avais anticip la
+vie. Mes premiers pomes sont pleins de penses qui semblent appartenir
+ un ge dix ans plus vieux que celui auquel ils furent crits; je ne
+veux point parler de leur mrite, mais de l'exprience qu'on y remarque.
+Les deux premiers chants de _Childe Harold_ furent termins, quand je
+n'avais que vingt-deux ans, et on les croirait crits par un homme plus
+g que je ne le serai probablement jamais.
+
+Quoique la premire phrase de cet extrait se rapporte une poque de
+beaucoup antrieure, elle nous donnera occasion de remarquer que,
+quelque irrgulire qu'ait t sa vie durant les deux ou trois annes
+qui prcdrent le moment de ses voyages, l'ide que plusieurs ont eue
+qu'il faisait dans _Childe Harold_ allusion aux dbauches et aux orgies
+de Newstead, est, comme beaucoup d'autres accusations contre lui, fonde
+sur son propre tmoignage, trangement exagr. Il reprsente, il est
+vrai, la maison de son reprsentant potique comme un _dme monastique
+condamn de vils usages_, et ajoute: O la superstition tenait jadis
+son antre les filles de Paphos venaient chanter et sourire. M. Dallas
+se livrant au mme esprit d'exagration, dit, en parlant des prparatifs
+du jeune pote: Dj rassasi de plaisirs et dgot de la compagnie de
+ceux qui n'avaient point d'autres ressources, il avait rsolu de
+matriser ses passions, et avait congdi ses harems. La vrit est que
+l'exigut des moyens pcuniaires de Lord Byron et suffi seule pour le
+dtourner de ce luxe oriental. Son genre de vie Newstead tait simple
+et peu coteux. Ses compagnons, quoique amis du plaisir, avaient des
+gots et des caractres trop rflchis pour s'accommoder d'une dbauche
+vulgaire. Quant ses prtendus _harems_, il parat qu'une ou deux
+_subintroduct_, comme les moines les auraient appeles, et encore
+prises parmi les domestiques de la maison, sont tout ce que la mdisance
+a jamais pu citer l'appui de cette calomnie.
+
+Il nous dit lui-mme, dans le journal que je viens de citer, que le jeu
+tait au nombre de ses folies cette poque.
+
+J'ai, dit-il, ide que les joueurs sont aussi heureux que bien d'autres
+gens, parce qu'ils sont toujours _excits_. Les femmes, le vin, la
+gloire, la table rassasient quelquefois; mais chaque coup de carte ou de
+d tient le joueur veill, outre que l'on peut jouer dix fois plus
+long-tems qu'on ne peut faire toute autre chose. tant jeune, j'tais
+passionn pour le jeu, c'est--dire pour le hasard; car je dteste tous
+les jeux de cartes, mme le pharaon. Quand le maccao fut invent, je ne
+voulus pas l'adopter; car je regrettais le bruit du cornet et des ds et
+cette glorieuse incertitude, non-seulement d'une chance bonne ou
+mauvaise, mais mme d'une chance quelconque; car il faut souvent jeter
+les ds plusieurs fois avant d'obtenir un rsultat. J'ai gagn jusqu'
+quatorze coups de suite, et enlev tout l'argent qui se trouvait sur la
+table; mais je n'avais ni sang-froid, ni jugement, ni calcul: c'tait
+l'motion qui faisait tout mon plaisir. Aprs tout, j'ai cess tems,
+sans avoir ni beaucoup gagn ni beaucoup perdu. Depuis l'ge de vingt-un
+ans j'ai trs peu jou, et jamais au-del de cent, deux cents ou trois
+cents guines.
+
+Il fait allusion cette folie et quelques autres dans le billet
+suivant.
+
+
+ M. WILLIAMS BANKES.
+
+Vendredi, minuit.
+
+
+MON CHER BANKES,
+
+Je reois l'instant votre petit mot; croyez que je suis dsespr de
+n'en avoir pas eu plus tt connaissance; une demi-heure de conversation
+avec vous m'et t plus agrable que le vin, le jeu et toutes les
+autres manires la mode de passer une soire chez soi ou en ville. Je
+suis rellement trs-fch d'tre sorti avant l'arrive de votre
+missive; l'avenir crivez-moi avant six heures, et soyez sr que,
+quels que soient mes engagemens, je les mettrai de ct. Croyez-moi avec
+cette dfrence que j'ai eue ds mon enfance pour vos talens, et une
+meilleure opinion de votre coeur,
+
+Votre, etc.
+
+BYRON.
+
+Parmi les causes, si ce n'est plutt parmi les rsultats de cette
+disposition la mlancolie qui tenait son caractre, il ne faut pas
+oublier ce scepticisme en fait de matires religieuses, qui, comme nous
+l'avons vu, jetait dj quelque chose de sombre sur les penses de son
+enfance, et qui se rembrunit de plus en plus l'poque dont je parle en
+ce moment. En gnral, nous voyons les jeunes gens trop ardemment
+occups des plaisirs que ce monde donne ou promet, pour s'occuper bien
+srieusement des mystres du monde venir. Mais avec lui le cas tait
+malheureusement tout contraire: comme philosophe et comme ami du
+plaisir, il avait acquis trop tt la plus dplorable exprience. tre,
+comme il le supposait, parvenu la dernire limite des plaisirs de ce
+monde, et ne voir au-del que nuages et obscurit, tel tait le sort
+funeste auquel un caractre et des passions prmatures semblaient
+condamner Lord Byron.
+
+Quand, l'ge de vingt-cinq ans, Pope se plaignait d'tre fatigu du
+monde, Swift lui rpondit qu'il n'avait point encore assez agi, assez
+souffert dans le monde pour en tre fatigu. Mais quelle diffrence
+entre la jeunesse de Pope et celle de Byron! Ce que le premier n'avait
+qu'anticip par la pense, le second le connut dans la plus triste
+ralit. l'ge o l'un commenait peine jeter un coup d'oeil sur
+l'ocan de la vie, l'autre y avait plong, et en avait sond toutes les
+profondeurs. Swift lui-mme dut aux dsappointemens et aux injustices
+qu'il prouva de bonne heure cette amertume qui ne le quitta jamais, et
+prsente bien plus d'analogie avec le sort de notre pote, non-seulement
+pour les attaques cruelles auxquelles il se trouva jeune en butte, que
+pour l'effet qu'elles produisirent sur son caractre[113].
+
+ [Note 113: Il y a du moins un grand point de rapprochement
+ dans la disposition d'esprit que Johnson attribue Swift:
+ Le soupon d'irrligion, dit-il, qui plana sur la tte de
+ Swift, vint en grande partie de son horreur pour
+ l'hypocrisie: _au lieu de chercher paratre meilleur, il
+ prenait plaisir paratre pire qu'il n'tait en effet_.
+ (_Note de Moore_.)]
+
+La jeunesse est naturellement porte se donner des airs d'une
+mlancolie romantique, imiter un air triste et sombre que les annes
+n'ont pas encore pu amener. Je ne veux pas nier que quelque chose de ce
+genre ne soit venu augmenter et nourrir les dispositions peu riantes de
+notre jeune pote. Il avait dans son cabinet d'tude un certain nombre
+de crnes humains bien polis et rangs avec une symtrie qui semblerait
+indiquer plutt l'envie de s'entourer d'ides sombres que de les viter.
+Peut-tre est-ce aussi une imitation de l'usage que Young fit, dit-on,
+d'un crne, circonstance qui nous ferait douter de la sincrit de sa
+mlancolie cette poque, si nous n'en retrouvions les traces videntes
+dans le reste de ses crits et dans sa vie tout entire.
+
+Telle est, d'aprs son propre tmoignage et celui des autres, la
+disposition d'esprit et de coeur dans laquelle Byron partit pour son
+voyage indfini, la suite du changement le plus grand qu'un homme ait
+jamais peut-tre prouv dans sa manire de voir et de sentir. Le refus
+de lord Carlisle d'agir comme son patron, et la position humiliante dans
+laquelle ce refus le plaa, compltrent les mortifications que dj
+bien d'autres causes lui avaient fait prouver. Tromp dans ses
+esprances en amour et en amiti, il trouva une sorte de vengeance et de
+consolation douter qu'il existt en effet de tels sentimens. Les
+checs qu'il avait essuys taient assez capables d'irriter et de
+blesser qui que ce soit; il ajouta encore ce qu'ils avaient de pnible
+par le caractre irritable et impatient dont il les reut. Ce que
+d'autres auraient reu avec rsignation comme autant de malheurs le
+rvolta comme autant d'affronts et d'injustices, et la vhmence de
+cette raction produisit un changement complet dans tout son caractre.
+Alors, comme dans les rvolutions, tout ce qu'il y avait de mauvais et
+d'irrgulier dans son naturel surgit la surface, et domina en mme
+tems que tout ce qu'il y avait de plus nergique et de plus grand. Ses
+vertus et ses qualits naturelles ajoutrent elles-mmes la violence
+de ce changement. Cette mme ardeur qu'il avait mise dans ses amitis et
+dans ses amours fournit de nouveaux alimens son indignation et son
+mpris. La vivacit et la tournure originale de son esprit ouvrirent un
+autre canal au fiel dont il tait rempli; et cette haine de
+l'hypocrisie, qu'il avait dj montre en exagrant les erreurs de sa
+jeunesse, le porta, par horreur de toute fausse prtention la vertu,
+une autre prtention encore plus dangereuse, celle d'afficher des vices
+et de s'en faire gloire.
+
+La lettre suivante, qu'il crivit sa mre peu de jours avant que de
+mettre la voile, donne quelques dtails sur les personnes qui
+composaient sa suite. Robert Rushton, dont il y parle avec tant
+d'intrt, est le jeune enfant qu'il introduisit dans le premier chant
+de _Childe Harold_, en qualit de son page.
+
+
+
+
+LETTRE XXXIV.
+
+ MRS. BYRON.
+
+Falmouth, 22 juin 1809.
+
+
+MA CHRE MRE,
+
+Nous aurons mis la voile, probablement avant que cette lettre ne vous
+soit parvenue. Fletcher m'a tant tourment, que je l'ai gard mon
+service; mais s'il ne se conduit pas bien l'tranger, je le renverrai
+par un transport. J'ai un domestique allemand, qui a dj t en Perse
+avec M. Wilbraham, et qui m'a t fortement recommand par le docteur
+Butler de Harrow; si vous l'ajoutez Robert et William, vous aurez tout
+le personnel dont se compose ma suite. J'ai des lettres de
+recommandation en abondance; je vous crirai de tous les ports o nous
+toucherons; mais si mes lettres viennent s'garer, il ne faut pas vous
+en alarmer. Le continent marche bien; une insurrection a clat dans
+Paris; les Autrichiens sont en train de battre Bonaparte, et les
+Tyroliens se sont soulevs.
+
+Voici mon portrait l'huile pour tre renvoy le plus tt possible
+Newstead. Je voudrais bien que les demoiselles P... eussent quelque
+chose de mieux faire que d'emporter mes miniatures Nottingham pour
+les copier. Puisque c'est fait maintenant, vous pourriez leur offrir de
+copier aussi les autres portraits, auxquels je tiens beaucoup plus qu'au
+mien. Quant aux finances, je suis ruin, du moins jusqu' ce que
+Rochdale soit vendu; si cela ne tourne pas bien, j'entrerai au service
+de l'Autriche ou de la Russie, peut-tre mme celui de la Turquie, si
+leurs manires me conviennent. Le monde est devant moi; je quitte
+l'Angleterre sans regret et sans aucun dsir de rien revoir de ce
+qu'elle contient, except _vous-mme_ et votre rsidence actuelle.
+
+_P. S._ Dites, je vous prie, M. Rushton que son fils se porte bien et
+va bien; il en est de mme de Murray; en vrit, je ne l'ai jamais vu
+mieux: il sera de retour dans un mois. Au nombre de mes regrets je
+devrais compter celui de me sparer de ce fidle serviteur; son grand
+ge me privera peut-tre du plaisir de le revoir jamais. Pour Robert, je
+l'emmne; je l'aime, parce que, comme moi, il parat tre un animal sans
+amis en ce monde.
+
+Ceux qui se rappellent la description potique qu'il fait de l'tat de
+son ame au moment de quitter l'Angleterre, pourront trouver tranges et
+choquantes la gat et la lgret qui rgnent dans les lettres que je
+vais transcrire ici. Mais dans un caractre comme celui de Lord Byron,
+ces clats de vivacit extrieure ne sont pas du tout incompatibles avec
+un coeur intimement et profondment ulcr[114], et le ton de gat et de
+bonne humeur qu'il y affecte ne rend que plus frappant le sentiment
+d'abandon et d'isolement qu'il y laisse quelquefois percer.
+
+ [Note 114: On sait que le pote Cowper composa son
+ chef-d'oeuvre de gat, _John Gilpin_, pendant une de ses
+ crises d'abattement mortel, et il dit lui-mme: Tout trange
+ que cela puisse paratre, les ouvrages les plus bouffons que
+ j'aie crits, le furent dans un moment de tristesse affreuse,
+ et peut-tre ne les euss-je jamais crits sans cette mme
+ tristesse.
+ (_Note de Moore_.)]
+
+
+
+
+LETTRE XXXV.
+
+ M. HENRY DRURY.
+
+Falmouth, 25 juin 1809.
+
+
+MON CHER DRURY,
+
+Nous partons demain par le paquebot de Lisbonne; nous avons t retenus
+jusqu'ici par le manque de vent et d'autres circonstances. Tout tant
+maintenant pour le mieux, demain soir cette heure-ci nous serons
+embarqus sur ce vaste monde des eaux. Le paquebot de Malte ne devant
+pas partir pendant quelques semaines, nous avons rsolu d'aller par
+Lisbonne, afin de voir le Portugal; de l par Cadix et Gibraltar, et
+puis nous reprenons notre premire route, Malte et Constantinople, si
+tant est que le capitaine Kidd, notre brave commandant, entende bien la
+navigation, et nous conduise suivant la carte.
+
+Voulez-vous avoir la bont de dire au docteur Butler[115], qu' sa
+recommandation j'ai pris mon service un Prussien, Friese, la perle des
+domestiques? Il s'est trouv parmi les adorateurs du feu en Perse, a vu
+Perspolis et tout ce qui s'en suit.
+
+ [Note 115: En se rconciliant avec le docteur Butler, au
+ moment de son dpart, Byron donna une nouvelle preuve de la
+ bont de son caractre, irritable sans doute, mais tranger
+ toute ide de haine ou de rancune. Il avait prpar des
+ corrections pour une nouvelle dition de ses _Heures
+ d'oisivet_, o il remplaait les pigrammes contre ce
+ professeur, par son loge et l'aveu des torts qu'il se
+ reprochait envers lui.
+ (_Note de Moore_.)]
+
+Hobhouse a fait de formidables prparatifs pour publier ses voyages au
+retour; un cent de plumes, deux gallons d'encre[116], plusieurs livres
+blancs, etc., tout cela pour le plus grand avantage d'un public clair.
+J'ai renonc rien crire pour mon propre compte, mais j'ai promis de
+lui fournir un ou deux chapitres de moeurs, etc., etc.
+
+ Le coq chante, il faut partir; je ne saurais vous en dire davantage.
+ (_Ghost of Gaffer Thumb_.)
+
+
+Adieu, croyez-moi, etc., etc.
+
+ [Note 116: Un peu moins de dix pintes de Paris.
+ (_N. du Tr._)]
+
+
+
+
+LETTRE XXXVI.
+
+ M. HODGSON.
+
+Falmouth, 25 juin 1809.
+
+
+MON CHER HODGSON,
+
+Avant que la prsente ne vous parvienne, Hobhouse, deux femmes
+d'officiers, trois enfans, deux filles de chambre, deux subalternes pour
+la troupe, trois seigneurs portugais et leurs domestiques, enfin
+moi-mme, en tout dix-neuf ames, nous aurons mis la voile pour
+Lisbonne, sous la conduite du noble capitaine Kidd, aussi brave marin
+qu'aucun qui ait jamais pass en contrebande un quartaut de spiritueux.
+
+Nous allons Lisbonne d'abord, parce que le paquebot de Malte est dj
+parti, voyez-vous? De Lisbonne Gibraltar, Malte, Constantinople _et
+coetera_, comme dit loquemment l'orateur Henley, quand il mit en danger
+l'glise _et coetera_.
+
+Cette ville de Falmouth, comme vous le devinez presque dj, n'est pas
+situe fort loin de la mer. Elle est dfendue de ce ct par deux
+chteaux, Saint-Maws et Pendennis, extrmement bien calculs pour
+tourmenter tout le monde, except l'ennemi. Saint-Maws a pour garnison
+un individu trs-valide, g seulement de quatre-vingts ans; c'est du
+reste un homme veuf. C'est lui qu'est dvolu le commandement absolu et
+la direction de six pices de sige, les moins dirigeables possible,
+admirablement adaptes pour la destruction de Pendennis qui est une
+autre tour de mme force sur l'autre ct du canal. Nous avons visit
+Saint-Maws; pour Pendennis, on ne nous l'a laiss voir qu' distance,
+parce qu'on nous souponnait, Hobhouse et moi, d'avoir dj pris
+Saint-Maws par un coup de main.
+
+La ville contient beaucoup de quakers et de poisson sal; les hutres y
+ont un got de cuivre, parce que le pays est plein de mines; les femmes
+(bnie soit pour cela la corporation!) sont fouettes derrire une
+charrette quand elles se permettent de voler en petit ou en grand; et
+c'est ce qui est arriv hier vers midi une personne du beau sexe. Elle
+tait entte et a envoy le maire tous les diables...
+
+Hodgson! rappelez-moi au souvenir de Drury, et rappelez-moi votre
+propre souvenir... quand vous serez ivre; je ne suis pas digne d'occuper
+les pensers d'un homme jeun. Ayez l'oeil ma satire chez Cawthorn,
+dans Cockspur-Street...
+
+J'ignore quand je pourrai vous crire de nouveau, car cela dpend de
+notre expriment capitaine, le brave Kidd, et des vents orageux qui
+_ne_ soufflent _pas_ dans cette saison. Je quitte l'Angleterre sans
+regret; j'y retournerai sans plaisir. Je suis comme Adam, le premier
+pcheur condamn la dportation; mais je n'ai pas d've, et je n'ai
+pas mang de pomme, si ce n'est des pommes sures et sauvages. Ainsi
+finit mon premier chapitre.
+
+Adieu. Tout vous, etc.
+
+Dans cette lettre taient renfermes les strophes suivantes, dont nous
+regrettons de ne pouvoir rendre toute la gat et le naturel:
+
+En rade de Falmouth, 30 juin 1809.
+
+1. Hourra! Hodgson, nous voil partis; l'embargo est la fin lev: une
+brise favorable agite les voiles, et les frappe contre le mt, au-dessus
+duquel le pavillon de partance dploie ses orbes onduleux. Attention! le
+coup de canon est tir. Les cris des femmes effrayes et les juremens
+des matelots nous avertissent que le moment est venu. Voici monter
+bord un coquin de douanier; il faut tout ouvrir, tout montrer, malles,
+caisses, etc. Malgr tant de bruit et de fracas, il faut que le plus
+petit trou rats soit visit, avant qu'on ne nous permette de partir
+bord du paquebot de Lisbonne.
+
+2. Nos matelots dtachent les amarres; tout le monde aux rames. Le
+bagage descend de dessus le quai; nous sommes impatiens. En avant,
+poussez loin du rivage. Prenez garde! cette caisse renferme des
+liquides. Arrtez le bateau, je me sens malade: oh! mon Dieu!--Malade!
+madame; le diable m'emporte, vous le serez bien davantage quand vous
+aurez t seulement une heure bord. Hommes, femmes, matres et
+valets, matresses et servantes, presss les uns contre les autres comme
+des btons de cire, crient, se dmnent et s'agitent. Que de bruit, que
+de fracas avant que nous n'atteignions le paquebot de Lisbonne!
+
+3. Enfin nous l'avons atteint! Voil le capitaine, le brave Kidd, qui
+commande son quipage. Les passagers sont parqus dans leur logement,
+les uns pour y grogner, les autres pour y vomir tout leur aise. Hol
+h! appelez-vous cela une chambre? Cela n'a pas trois pieds carrs; il
+n'y aurait pas de quoi contenir la reine Mab[117]. Qui diable peut loger
+l-dedans?--Qui, monsieur? beaucoup de monde. Vingt seigneurs la
+fois ont rempli mon navire.--Vraiment! Jsus mon Dieu, comme vous nous
+pressez! Plt Dieu que vos vingt seigneurs y fussent encore! j'aurais
+chapp la chaleur et au bruit qui rgnent bord de ce beau navire,
+le paquebot de Lisbonne.
+
+ [Note 117: _Queen mab_; voyez, dans Shakspeare, la charmante
+ description de cette petite reine des fes et de son petit
+ quipage.]
+
+4. Fletcher! Murray! Rob[118]! o tes-vous? tendus sur le pont comme
+des bches! Un coup de main, vous, joli matelot; voil un bout de corde
+pour fouetter ces chiens-l. Hobhouse murmure des juremens affreux en
+roulant le long de l'coutille; il vomit alternativement des vers et son
+djeuner, et nous envoie tous tous les diables. Voil une stance sur
+la maison de Bragance... Au secours!--Un couplet?--Non, une tasse
+d'eau chaude.--Qu'est-ce qu'il y a?--Diable! mon foie me vient sur
+le bord des lvres! Je ne survivrai jamais au bruit et au fracas de ce
+navire brutal, le paquebot de Lisbonne.
+
+ [Note 118: Abrviation pour Robert.]
+
+5. Enfin, nous voil en route pour la Turquie; Dieu sait quand nous en
+reviendrons! Les vents violens et les sombres temptes peuvent en un
+moment briser notre vaisseau. Mais puisque, de l'avis des philosophes,
+la vie n'est qu'une plaisanterie, le mieux est encore de rire. Rions
+donc, comme je fais maintenant; rions de tout, des grandes et des
+petites choses. Bien portans ou malades, la mer ou sur terre, tant que
+nous avons de quoi boire abondamment, rions. Que diable! peut-on se
+soucier d'autre chose? Hol h! de bon vin! qui voudrait s'en laisser
+manquer, mme bord du paquebot de Lisbonne?
+
+BYRON.
+
+Le 2 juillet, le navire mit la voile de Falmouth; et aprs une
+heureuse traverse de quatre jours et demi, nos voyageurs arrivrent
+Lisbonne, et se logrent dans cette ville.
+
+Lord Byron citait souvent une trange anecdote que le capitaine Kidd,
+commandant du paquebot, lui avait raconte pendant la traverse. Cet
+officier lui dit qu'une nuit, tant endormi, il fut rveill par le
+poids de quelque chose de lourd sur son estomac, et qu' l'aide d'une
+petite clart qui rgnait dans sa chambre, il reconnut distinctement le
+corps de son frre qui, cette poque, servait aux grandes Indes dans
+la marine royale, revtu de son uniforme et couch en travers sur son
+lit. Pensant que c'tait une illusion de ses sens, il ferma les yeux, et
+essaya de dormir. Mais la mme pression se fit encore sentir, et chaque
+fois qu'il se hasarda ouvrir les yeux, il vit la mme figure couche
+en travers sur lui dans la mme position. Pour ajouter encore ce que
+cet vnement avait de merveilleux, en tendant la main pour toucher ce
+fantme, il sentt que l'uniforme dont il paraissait couvert tait tout
+dgouttant d'eau. l'arrive d'un de ses camarades qu'il appela au
+secours, l'apparition s'vanouit; mais quelques mois aprs, il reut
+l'accablante nouvelle que son frre tait mort cette nuit-l mme, noy
+dans les mers des Indes. Le capitaine Kidd n'avait pas le plus lger
+doute sur la ralit de cette apparition surnaturelle.
+
+Les lettres suivantes de Lord Byron son ami Hodgson, quoique crites
+avec une gat et une lgret d'colier, donneront quelque ide de
+l'impression que lui fit son sjour Lisbonne. De telles lettres, qui
+contrastent si fortement avec les nobles stances sur le Portugal, qui se
+trouvent dans le _Childe Harold_, montreront combien son imagination
+tait versatile, et sous combien d'aspects diffrens il pouvait
+envisager les mmes choses suivant les diffrentes dispositions d'esprit
+o il tait.
+
+
+
+
+LETTRE XXXVII.
+
+ M. HODGSON.
+
+Lisbonne, 16 juillet 1809.
+
+MON CHER HODGSON,
+
+Jusqu'ici nous avons poursuivi notre route; nous avons vu des choses
+magnifiques, des palais, des couvens; mais comme tout cela se trouvera
+crit au large dans le premier volume de voyages de mon ami Hobhouse, je
+ne veux point anticiper, ni le voler, en fraudant le plus petit dtail,
+et vous le communiquant ainsi d'une manire clandestine dans une lettre.
+Tout ce que je puis me permettre de vous dire, c'est que le village de
+Cintra, dans l'Estramadoure, est peut-tre le plus beau village du
+monde..................................................................
+
+Je suis trs-heureux ici, parce que j'aime les oranges, et que je parle
+mauvais latin aux moines, qui le comprennent d'autant mieux, qu'il est
+plus semblable au leur. Et puis je vais en socit (avec mes pistolets
+de poche). Et puis je nage dans le Tage, que j'ai travers d'un seul
+coup. Et puis je monte cheval sur un ne ou sur une mule. Et puis j'ai
+attrap la diarrhe, et j'ai t piqu par les mosquites: mais qu'est-ce
+que cela fait? on ne doit point chercher ses aises quand on fait une
+partie de plaisir.
+
+Quand les Portugais font les mchans, je dis _caracho_! le grand juron
+des fashionables de ce pays-ci, et qui remplace parfaitement notre
+_damnation_. Quand je suis mcontent de mon voisin, je l'appelle _combro
+de merda_; avec ces deux phrases et une troisime, _cobra burro_, qui
+signifie: procurez-moi un ne, je suis universellement reconnu pour un
+homme de distinction, et qui parle fort bien toutes les langues. Quelle
+joyeuse vie nous menons, nous autres voyageurs!... si nous avions la
+nourriture et le vtement. Mais srieusement, et par malheur trop
+srieusement parlant, tout au monde est prfrable l'Angleterre; et
+jusqu'ici je m'amuse beaucoup de mon voyage.
+
+Demain, nous partons pour faire cheval plus de quatre cents milles en
+poste, jusqu' Gibraltar, o nous nous embarquerons pour Mlite et
+Byzance. Une lettre me parviendrait Malte, ou me serait envoye si
+j'tais absent. Embrassez, je vous prie, les Drury, les Dwyer, et tous
+les phsiens que vous rencontrerez. J'cris en ce moment avec le crayon
+qui m'a t donn par Butler, ce qui rend ma mauvaise main pire encore.
+Excusez mon _illisibilit_...
+
+Hodgson! envoyez-moi les nouvelles, les morts et les dfaites, les
+crimes capitaux et les malheurs de mes amis. Donnez-moi quelques dtails
+sur les sujets littraires, les controverses et les critiques; tout cela
+me sera agrable: _Suave mari magno_, etc. En parlant de cela, j'ai t
+malade la mer et de la mer. Adieu...
+
+Votre affectionn, etc.
+
+
+
+
+LETTRE XXXVIII.
+
+ M. HODGSON.
+
+Gibraltar, 6 aot 1809.
+
+
+Je viens d'arriver dans cette ville aprs un voyage de prs de cinq
+cents milles, travers le Portugal et une partie de l'Espagne. Nous
+allmes cheval de Lisbonne Sville et Cadix, et de l nous
+montmes bord de la frgate _l'Hyprion_ pour nous rendre ici. Les
+chevaux sont excellens, nous faisions soixante-dix milles par jour. Des
+oeufs, du vin, des lits bien durs, sont toutes les commodits qu'offre la
+route; mais sous un climat aussi brlant, c'est bien assez. Ma sant est
+meilleure qu'en Angleterre.
+
+Sville est une belle ville, et la Sierra Morna est une montagne bien
+digne de ce nom; mais le diable emporte les descriptions! elles sont
+toujours ennuyeuses. Cadix! dlicieuse Cadix! c'est le plus beau point
+de la terre..., et la beaut de ses rues et de ses btimens ne le cde
+qu' l'amabilit de ses habitans. Car, prjug national part, je dois
+avouer que les femmes de Cadix sont aussi suprieures en beaut aux
+femmes anglaises, que les Espagnols sont infrieurs aux Anglais pour
+toutes les qualits qui donnent de la dignit au nom d'homme... Au
+moment o je commenais faire quelques connaissances dans la ville, je
+fus oblig d'en partir.
+
+Vous n'attendez pas de moi une longue lettre aprs une telle course
+cheval, sur ces rosses d'Asie l'embonpoint hypocrite. En parlant
+d'Asie, cela me fait penser l'Afrique, qui n'est qu' cinq milles de
+ma demeure actuelle; j'y veux aller me promener avant de partir pour
+Constantinople...
+
+Cadix est une vraie Cythre; beaucoup de grands d'Espagne s'y sont
+rfugis, aprs avoir quitt Madrid la suite des troubles: c'est, je
+crois, la plus jolie ville et la plus propre de l'Europe. Londres est
+sale en comparaison... Les Espagnoles se ressemblent toutes; leur
+ducation est la mme. La femme d'un duc est comme la femme d'un paysan
+sous le rapport de l'instruction; et pour les manires, la femme d'un
+paysan a les mmes que la duchesse. Certainement elles sont sduisantes;
+mais elles n'ont qu'une ide dans la tte, et l'unique affaire de toute
+leur vie est l'intrigue...
+
+J'ai vu sir John Carr Sville et Cadix; et comme le barbier de
+Swift, je l'ai suppli de ne me point faire figurer dans son journal.
+Rappelez-moi, je vous prie, au souvenir des Drury et des Davies et de
+tous ceux de ce genre-l qui sont encore en vie[119].
+
+ [Note 119: Des recommandations de ce genre, dit M. Hodgson,
+ dans une note au bas de la copie de cette lettre, se trouvent
+ chaque pas dans sa correspondance. Il ne se contentait pas
+ de s'informer de la sant de ses amis et de leur donner cette
+ marque de souvenir. Si l'on pouvait savoir tout ce qu'il a
+ fait pour ses nombreux amis, certes il paratrait bien digne
+ d'en avoir eu. Pour moi, je me fais un plaisir de reconnatre
+ avec les sentimens de la plus vive gratitude, qu'il est venu
+ gnreusement et bien propos mon secours; et si mon
+ pauvre ami Bland vivait encore, il rendrait aussi de grand
+ coeur le mme hommage la mmoire de Byron, quoique, aprs
+ tout, je sois de tous les hommes celui qui lui doit le plus
+ de reconnaissance.
+ (_Note de Moore_.)]
+
+Envoyez-moi une lettre et des nouvelles Malte. Ma premire sera date
+du Caucase ou de la montagne de Sion. Je repasserai en Espagne avant de
+me rendre en Angleterre, car je suis amoureux de ce pays. Adieu, etc.
+
+Dans une lettre Mrs. Byron, date de Gibraltar, quelques jours aprs,
+il rpte les mmes dtails sur son voyage, mais un peu plus tendus.
+Pour faire compensation, dit-il, la salet de Lisbonne et de ses
+habitans, le village de Cintra, situ quinze milles environ de cette
+capitale, est peut-tre, sous tous les rapports, le plus dlicieux de
+l'Europe; il renferme des beauts de toute espce, naturelles et
+artificielles. Des palais et des jardins s'levant au milieu des
+rochers, des cataractes et des prcipices; des couvens sur des hauteurs
+prodigieuses. Dans le lointain la vue de la mer et du Tage, et, en
+outre, quoique ce ne soit qu'une circonstance bien secondaire, ce
+village est remarquable comme tant le lieu o fut signe la fameuse
+_convention_ de sir H*** D**[120]. Il runit l'apparence sauvage et
+pittoresque des montagnes de l'cosse avec la verdure et la fcondit du
+midi de la France. Prs de l est le palais de Mafra, l'orgueil des
+Portugais, et qui serait admir dans tous les pays du monde sous le
+rapport de la magnificence, mais non sous celui de l'lgance. Un
+couvent y est annex; les moines sont assez polis, et entendent le
+latin, de sorte que nous emes ensemble une longue conversation. Ils ont
+une belle bibliothque, et me demandrent si _les Anglais_ avaient _des
+livres_ dans leur pays.
+
+ [Note 120: Le colonel Napier, dans une note son excellente
+ _Histoire de la guerre de la Pninsule_, relve l'erreur dans
+ laquelle Byron est tomb avec plusieurs autres; la convention
+ dont il s'agit ayant t signe trente milles de
+ Cintra.--Voy. _Childe Harold_, chant Ier.
+ (_Note de Moore_.)]
+
+Il raconte ensuite dans la mme lettre une aventure qui lui arriva
+Sville, et qui peut donner une juste ide de lui-mme et du pays o il
+se trouvait:
+
+Nous logemes dans la maison de deux dames espagnoles non maries, qui
+possdent six maisons Sville, et me donnrent un curieux modle des
+manires espagnoles. Ce sont des dames de qualit: l'ane est une fort
+belle femme; la seconde est agrable, mais elle n'est pas d'un port
+aussi avantageux que dona Josepha. La libert de manires qui est
+gnrale ici m'tonna d'abord beaucoup; dans la suite de mes
+observations, j'eus lieu de remarquer que la rserve n'est pas le
+caractre dominant des Espagnoles, qui, en gnral, sont trs-bien, avec
+de grands yeux noirs et de fort belles formes. L'ane honora votre fils
+indigne d'une attention toute particulire, elle m'embrassa au moment de
+mon dpart (je n'y avais demeur que trois jours). Elle coupa une boucle
+de mes cheveux, et me fit cadeau d'une tresse des siens de trois pieds
+de long, que je vous envoie, et que je vous prie de vouloir bien me
+garder jusqu' mon retour. Ses mots d'adieu furent: _Adios, tu hermoso!
+me gustas mucho_. Adieu! beau cavalier, tu me plais beaucoup. Elle
+m'offrit une partie de son propre appartement, que ma vertu ne me permit
+pas d'accepter; elle rit beaucoup, me dit que j'avais quelque amante en
+Angleterre, et ajouta qu'elle allait se marier un officier de l'arme
+espagnole.
+
+Parmi les beauts espagnoles, qui avaient excit en masse son
+imagination, il parat qu'une dame tait au moment de fixer plus
+particulirement son attention:
+
+Cadix, la dlicieuse Cadix, est la plus agrable ville que j'aie encore
+vue; elle est bien diffrente de nos villes anglaises, except sous le
+rapport de la propret; elle est aussi propre que Londres, mais pleine
+des plus belles femmes de l'Espagne; les belles de Cadix sont pour
+l'Espagne ce que sont les belles du Lancashire pour l'Angleterre.
+Prcisment au moment o je venais d'tre prsent la grandesse, et
+que je commenais l'aimer, je me suis vu oblig de quitter Cadix pour
+cet affreux Gibraltar; mais avant de rentrer en Angleterre, j'y veux
+faire une autre visite.
+
+La veille de mon dpart, j'tais l'opra dans la loge de l'amiral ***
+avec sa femme et sa fille. Elle est trs-jolie dans le genre espagnol,
+qui, mon avis, n'est pas infrieur au genre anglais pour la beaut
+proprement dite, et qui est bien plus sduisant. De longs cheveux noirs,
+des yeux noirs et languissans, un teint olive-claire et des formes plus
+gracieuses, quand elles sont animes par le mouvement, que n'en peut
+concevoir un Anglais, habitu l'air nonchalant et apathique de ses
+belles compatriotes; ajoutez cela la mise la fois la plus dcente et
+du meilleur got, qui rend une beaut espagnole tout--fait
+irrsistible.
+
+Mademoiselle *** et son jeune frre comprenaient un peu le franais,
+et, aprs avoir tmoign ses regrets que je ne susse pas l'espagnol,
+elle me proposa de m'enseigner cette langue. Je ne pus rpondre que par
+un profond salut, regrettant de quitter Cadix trop promptement pour
+faire tous les progrs qui eussent naturellement suivi mes tudes sous
+une si charmante directrice. Je me tenais debout, sur le derrire de la
+loge, qui ressemble assez nos loges d'opra (le thtre est vaste,
+bien dcor, et la musique admirable), comme le font gnralement les
+Anglais pour ne pas incommoder les dames qui sont devant, quand la belle
+espagnole dplaa une vieille femme, tante ou dugne, et m'ordonna de
+venir m'asseoir ct d'elle, une distance honnte de la maman. Le
+spectacle termin, je m'tais clips, et je traversais le passage avec
+plusieurs hommes, quand la dame, tournant la tte par hasard, m'appela,
+et j'eus l'honneur de la conduire jusqu' la maison de l'amiral. J'ai
+reu une invitation pour l'poque de mon retour Cadix, et j'en
+profiterai certainement si je repasse par l'Espagne, en revenant
+d'Asie.
+
+C'est ces aventures, ou plutt ces commencemens d'aventures, qu'il
+fait allusion dans la premire partie de ses _Souvenirs_; et c'est de la
+plus jeune de ses belles htesses de Sville qu'il dit qu'il devint
+amoureux, l'aide d'un dictionnaire.
+
+Pendant quelque tems, dit-il, je russis trs-bien dans mes tudes de
+langue et dans mon amour[121], jusqu' ce que la dame prit une fantaisie
+pour une bague que je portais, et s'opinitra ce que je la lui
+donnasse comme un gage de ma sincrit. Cela tait impossible, et je lui
+dclarai que tout ce que je possdais tait son service, except cette
+bague dont j'avais fait voeu de ne pas me sparer. La jeune Espagnole se
+fcha, son amant ne tarda pas se fcher aussi, et l'affaire se termina
+par une froide sparation. Bientt aprs je mis la voile pour Malte,
+o je perdis la fois et mon coeur et ma bague.
+
+ [Note 121: Nous trouvons une allusion cet incident dans
+ _Don Juan_:
+
+ Il est agrable d'apprendre une langue trangre des yeux et
+ des lvres d'une femme... c'est--dire quand la matresse et
+ l'colier sont jeunes tous les deux, comme il m'arriva moi,
+ etc.]
+
+Dans une lettre sur Gibraltar que nous venons de citer, il ajoute: Je
+vais demain en Afrique, qui n'est qu' six milles de cette forteresse.
+Mon premier sjour aprs sera Cagliari, en Sardaigne, o je serai
+prsent sa majest. J'ai un superbe uniforme pour habit de cour,
+indispensable un voyageur. Toutefois il ne mit pas excution son
+projet de visiter l'Afrique. Aprs un court sjour Gibraltar, o il
+dna une fois avec lady Westmoreland, et une autre avec le gnral
+Castaos, il partit de Malte, par le paquebot, le 19 aot. Il avait
+renvoy en Angleterre Joe Murray et le jeune Rushton, la sant de ce
+dernier ne lui permettant pas de l'accompagner plus long-tems.
+
+Je vous prie, dit-il sa mre, ayez toutes sortes de bonts pour cet
+enfant; car c'est mon grand favori[122].
+
+ [Note 122: Voici le _post-scriptum_ de cette lettre:
+
+ Ainsi lord G... est mari une paysanne! c'est fort bien!
+ Si je me marie, je vous amnerai une sultane, avec une
+ demi-douzaine de villes pour dot; et pour vous rconcilier
+ avec une belle-fille ottomane, elle vous donnera un boisseau
+ de perles, pas plus grosses que des oeufs d'autruche et pas
+ plus petites que des noix.]
+
+Il crivit aussi une lettre au pre de cet enfant, qui donne une si
+bonne ide de la bont et de la sensibilit de son ame, que j'ai grand
+plaisir l'insrer ici.
+
+
+
+
+LETTRE XXXIX.
+
+ M. RUSHTON.
+
+Gibraltar, 15 aot 1809.
+
+
+M. RUSHTON,
+
+J'ai envoy Robert en Angleterre avec M. Murray, parce que le pays que
+je vais traverser est dans une condition peu sre, particulirement pour
+un enfant aussi jeune. Je vous permets de garder vingt-cinq livres
+sterling par an pour son ducation, si je ne reviens pas avant cette
+poque, et je dsire qu'il soit toujours considr comme tant mon
+service. Prenez-en le plus grand soin; qu'il soit envoy l'cole. Dans
+le cas o je viendrais mourir, j'ai eu soin dans mon testament de lui
+assurer une existence indpendante. Il s'est conduit extrmement bien,
+et a beaucoup voyag, en gard au peu de tems qu'a dur son absence.
+Vous dduirez les frais de son ducation de votre fermage.
+
+BYRON.
+
+Ce fut le sort de Byron, pendant toute sa vie, de trouver partout o il
+alla des personnes qui, par leur caractre extraordinaire, ou les
+circonstances dans lesquelles elles s'taient trouves, taient toutes
+disposes sympathiser avec lui. C'est cette attraction qui se
+trouvait en lui pour tout ce qui tait trange et _excentrique_, qu'il
+dut, la fois, les plus agrables, comme aussi les plus pnibles
+liaisons qu'il ait formes dans sa vie. C'est dans la premire classe
+que nous devrons ranger le commerce qu'il entretint avec une dame,
+pendant le court sjour qu'il fit Malte. C'est cette mme dame qu'il a
+dsigne, dans le _Childe Harold_, sous le nom de Florence, et dont il
+parle ainsi sa mre dans une lettre date de Malte:
+
+Cette lettre est confie aux soins d'une femme bien extraordinaire dont
+vous avez dj sans doute entendu parler, Mrs. Spenser Smith, sur la
+dlivrance de laquelle le marquis de Salvo a publi une brochure, il y a
+quelques annes. Elle a depuis prouv un naufrage, et sa vie a t, ds
+le commencement, fertile en incidens si extraordinaires, que, dans un
+roman, ils paratraient improbables. Elle est ne Constantinople, o
+son pre, le baron H***, tait consul d'Autriche. Elle fut marie
+malheureusement, et cependant jamais sa rputation n'a souffert la plus
+lgre atteinte. Elle a excit la vengeance de Bonaparte en prenant part
+ quelque conspiration, a vu plusieurs fois sa vie en danger; et n'a pas
+encore vingt-cinq ans. Elle est ici, se disposant rejoindre son mari
+en Angleterre. L'approche des Franais l'a force s'embarquer sur un
+vaisseau de guerre, et quitter prcipitamment Trieste, o elle tait
+alle faire une visite sa mre. Depuis son arrive je n'ai presque pas
+eu d'autre compagnie. Je l'ai trouve trs-agrable, trs-bien leve et
+extrmement originale. Bonaparte est encore en ce moment si fort irrit
+contre elle, que sa vie serait peut-tre en danger si on la faisait
+prisonnire une seconde fois.
+
+Le ton dont notre pote lui parle dans _Childe Harold_, parfaitement
+d'accord avec ce qu'il vient d'en dire plus haut, respire l'admiration
+et l'intrt, mais sans indiquer un sentiment plus vif.
+
+Aimable Florence! si ce coeur insouciant et fltri pouvait jamais tre
+une autre, il serait toi; mais entran par toutes les vagues qui se
+succdent, je n'ose pas brler sur ton autel un indigne parfum, ou
+demander ton me chrie une seule pense pour moi.
+
+C'est ainsi que raisonna Harold quand il jeta les yeux sur ceux de
+Florence; il y puisa une admiration profonde, mais nul autre sentiment,
+etc., etc.
+
+Dans un homme comme Byron, qui, en mme tems qu'il a fait passer dans
+ses posies bien des vnemens de sa vie, a mis aussi tant de posie
+dans son existence, il n'est pas toujours facile, en cherchant
+analyser ses sentimens, de distinguer ceux qui furent rels d'avec ceux
+qui n'taient qu'imaginaires. Par exemple la description qu'il nous
+donne ici de la froideur et de l'insensibilit avec lesquelles il
+contemplait mme les charmes de cette sduisante personne est bien peu
+d'accord avec l'anecdote que je viens de citer d'aprs ses Mmoires,
+avec beaucoup de passages de ses lettres postrieures, mais surtout avec
+l'un de ses petits pomes les plus gracieux, qu'il dsigne comme adress
+ cette mme dame, pendant un orage, lorsque notre pote se rendait
+Zitza.
+
+Malgr ces tmoignages qui semblent se contredire, je serais assez port
+ croire que la peinture qu'il nous fait de l'tat de son coeur au
+commencement de _Childe Harold_ est la seule vraie. L'ide qu'il tait
+amoureux ne lui sera venue qu'aprs, quand l'image de la belle Florence
+se sera, pour ainsi dire, idalise dans son imagination, et qu'elle
+aura embelli d'un reflet d'amour le souvenir des heures agrables qu'ils
+avaient passes ensemble dans les les de Calypso. On se rappellera
+qu'il attribue lui-mme aux coeurs qui se sont livrs de bonne heure aux
+passions, et qui de bonne heure aussi en ont t dsabuss, la froideur
+et le calme avec lesquels il contempla des appas mme aussi sduisans
+que ceux de l'aimable Florence. Il y a toute raison de croire que telle
+tait alors l'espce de dgot avec lequel il voyait tous les objets
+rels d'amour et de passion; et quoique son imagination pt toujours se
+crer des idoles, il continua, son retour en Angleterre, de professer
+la mme indiffrence pour les plaisirs qu'il avait autrefois recherchs
+avec tant d'ardeur. Nul anachorte ne saurait en effet se vanter de plus
+d'apathie qu'il n'en montra cette poque pour toutes les sductions de
+ce genre. Mais vingt-trois ans, il est triste de ne devoir qu' la
+satit et au dgot ce calme contre toutes les tentations: ce sont l
+de tristes auxiliaires de la vertu, et c'est une tranquillit achete
+bien cher.
+
+Pendant son sjour Malte, il fut, la suite de quelque malentendu de
+peu d'importance, au moment de se battre en duel avec un officier de
+l'tat-major du gnral Oakes. Il fait de frquentes allusions cet
+incident dans les lettres que nous lirons bientt, et j'ai souvent
+entendu la personne qui lui servait de second, parler avec grand loge
+du courage et du mle sang-froid qu'il dploya dans toute cette affaire.
+Elle devait se vider de trs-bonne heure; son ami fut oblig de
+l'arracher un sommeil profond. Arrivs au lieu du rendez-vous, sur le
+bord de la mer, ils ne virent pas venir leurs adversaires, par suite de
+quelque erreur involontaire. Quoique ses bagages fussent dj bord du
+brick qui devait le transporter en Albanie, Lord Byron rsolut
+d'attendre au moins encore une heure; et pendant peu prs tout ce
+tems, son ami et lui se promenrent le long du rivage. la fin ils
+virent venir eux un officier envoy par son adversaire, qui
+non-seulement l'excusa de ce retard, mais encore leur donna toutes les
+explications qu'ils pouvaient dsirer sur ce qui avait fait le sujet
+mme de la querelle.
+
+Le brick de guerre bord duquel ils s'taient embarqus, ayant ordre
+d'escorter une flotte de petits vaisseaux marchands Patras et
+Prvsa, ils restrent deux ou trois jours l'ancre en rade de cette
+premire ville. Enfin ils arrivrent leur destination, et, aprs avoir
+vu en passant un coucher du soleil Missolonghi, ils dbarqurent, le
+27 septembre, Prvsa.
+
+Ceux qui pourraient dsirer des dtails sur le voyage de Lord Byron en
+Albanie, et ceux qu'il fit ensuite dans diffrentes parties de l'empire
+ottoman, en compagnie avec M. Hobhouse, les trouveront dans la relation
+qu'en a publie ce dernier. Cet ouvrage, trs-intressant par lui-mme,
+sous tous les rapports, le devient bien davantage par cette
+considration que nous y voyons Lord Byron comme prsent chaque page,
+et que nous y accompagnons, pour ainsi dire, ses premiers pas dans un
+pays au nom duquel il a pour jamais rattach le sien. Comme j'ai entre
+les mains des lettres du noble pote sa mre et quelques-unes plus
+curieuses encore qui, publies pour la premire fois, me mettent en tat
+de donner ses propres descriptions et ses propres esquisses, je me
+contenterai, aprs avoir ainsi indiqu d'une manire gnrale le voyage
+de M. Hobhouse, d'en extraire quelques notes pour jeter plus de clart
+sur la correspondance de son ami.
+
+
+
+
+LETTRE XL.
+
+ MRS. BYRON.
+
+Prvsa, 12 novembre 1809.
+
+
+MA CHRE MRE,
+
+Voici quelque tems que je suis en Turquie; la ville que j'habite est
+sur la cte; mais j'ai dj travers l'intrieur de la province
+d'Albanie, en allant faire visite au pacha. J'ai quitt Malte, le 21
+septembre, bord du brick de mer _le Spider_ (l'Araigne), et je suis
+arriv en huit jours Prvsa. Dj je suis all environ cent cinquante
+milles plus loin, Tebelen, maison de campagne de Sa Hautesse, o je
+suis rest trois jours. Le pacha se nomme Ali; on le regarde comme un
+homme de grands talens; il gouverne toute l'Albanie (l'ancienne
+Illyrie), l'pire et une partie de la Macdoine. Son fils Vely-Pacha,
+pour lequel il m'a donn des lettres, gouverne la More, et a beaucoup
+d'influence en gypte; en un mot, c'est un des plus puissans personnages
+de l'empire Ottoman. Quand, aprs un voyage de trois jours dans un pays
+montagneux et plein des beauts les plus pittoresques, j'arrivai
+Janina, on me dit qu'Ali-Pacha avait quitt cette capitale, et qu'il
+tait en Illyrie avec son arme, assigeant Ibrahim-Pacha dans la
+forteresse de Brat. Il avait appris qu'un Anglais de distinction tait
+arriv dans ses tats, et avait laiss au commandant de Janina l'ordre
+de me fournir une maison, et de me procurer _gratis_ tout ce qui me
+serait ncessaire. En consquence, encore que l'on m'ait permis de faire
+quelques prsens aux esclaves, etc., on n'a pas voulu me laisser payer
+la moindre chose de ce qui tait entr dans la maison pour notre usage.
+
+Je fis un tour dans la campagne sur les chevaux du vizir, et visitai
+ses palais, ainsi que ceux de ses petits-fils; ils sont magnifiques,
+mais trop chargs d'ornemens d'or et de soie. J'allai ensuite travers
+les montagnes jusqu' Zitza, village qui renferme un monastre grec o
+je couchai au retour. C'est la plus belle situation que j'aie jamais
+vue, en exceptant toujours Cintra en Portugal. Notre voyage fut beaucoup
+allong par les torrens tombs des montagnes, et qui interceptaient les
+routes. Je n'oublierai jamais la scne singulire qui s'offrit mes
+regards, quand j'entrai Tebelen vers les cinq heures du soir, au
+moment du coucher du soleil. Elle me rappela, avec quelque changement de
+costume, bien entendu, la description que donne Scott, dans son _Lay_,
+du chteau de Branksome et du systme fodal. Les Albanais avec leur
+habillement, le plus magnifique du monde, leur long jupon blanc, leur
+manteau broch d'or, leur veste et leur gilet de velours cramoisi lac
+en or, leurs pistolets et leurs poignards monts en argent; les Tartares
+avec leurs hauts bonnets, les Turcs dans leurs turbans et leurs vastes
+pelisses, les soldats et les esclaves noirs avec leurs chevaux; les
+premiers groups dans une grande galerie ouverte qui fait partie de la
+faade, les autres placs dans une sorte de clotre au-dessous; deux
+cents chevaux harnachs et prts tre monts au moindre signal, des
+courriers allant et venant avec des dpches, le bruit des timbales, des
+enfans qui crient l'heure, du haut du minaret, joint la singularit du
+btiment lui-mme, forment un coup-d'oeil nouveau et dlicieux pour
+l'tranger. Je fus conduit dans un fort bel appartement et le secrtaire
+du vizir vint s'informer de l'tat de ma sant la mode turque.
+
+Le lendemain je fus prsent Ali-Pacha. J'tais vtu d'un uniforme
+d'officier d'tat-major en grande tenue, avec un sabre magnifique, etc.
+Le vizir me reut dans une grande pice, pave en marbre; une fontaine
+lanait de l'eau au milieu, et tout autour de la chambre taient ranges
+des ottomanes couvertes d'une toffe carlate. Il me reut debout,
+politesse extraordinaire pour un musulman, et me fit asseoir sa
+droite. J'ai un Grec pour interprte; mais dans cette occasion ce fut un
+mdecin d'Ali qui entend le latin, qui m'en servit. Sa premire question
+fut, pourquoi j'avais quitt mon pays si jeune? Les Turcs n'ont pas
+l'ide qu'on puisse voyager pour son amusement. Il me dit ensuite que le
+ministre anglais, le capitaine Leake, l'avait prvenu que j'tais d'une
+grande famille, et me chargea de prsenter ses respects sa mre,
+commission dont je m'acquitte en ce moment. Il dit encore qu'il tait
+sr que j'tais noble, parce que j'avais les oreilles petites, les
+cheveux boucls, les mains petites et blanches[123], et tmoigna qu'il
+tait content de ma figure et de mon costume. Il me dit de le regarder
+comme un pre tant que je serais en Turquie, et qu'il veillerait sur moi
+comme sur son fils. Il me pria de le venir voir souvent, et surtout le
+soir quand il serait de loisir; on servit du caf et des pipes; aprs
+quoi je terminai ma premire visite, que je renouvelai trois fois. Il
+est singulier que les Turcs, qui n'ont pas de dignits hrditaires et
+peu de grandes familles, except les sultans, aient tant d'gards pour
+la naissance, car j'observai que ma gnalogie m'en valait plus que mon
+titre de pair d'Angleterre[124]...
+
+ [Note 123: Lord Byron avait autant que le pacha l'opinion que
+ la forme de la main peut indiquer la naissance; voyez dans
+ _Don Juan_, sa note sur le vers:
+
+ _Though on more_ thorough-bred _or fairer fingers_.]
+
+ [Note 124: Lors du voyage du docteur Holland en Albanie,
+ Ali-Pacha se rappelait parfaitement Lord Byron; il en parla
+ avec intrt, et apprit avec plaisir qu'il avait donn, dans
+ un de ses ouvrages (_Childe Harold_), une description
+ potique de l'Albanie, qui avait t fort gote en
+ Angleterre, et que son ami Hobhouse se disposait publier
+ son voyage dans le mme pays.]
+
+J'ai vu aujourd'hui les restes de la ville d'Actium, prs de laquelle
+Antoine perdit le monde dans une petite baie, o deux frgates
+manoeuvreraient peine aujourd'hui; un mur demi-renvers est l'unique
+vestige qui marque ce lieu clbre. De l'autre ct du golfe se voient
+les ruines de Nicopolis, btie par Auguste en l'honneur de sa victoire.
+Hier soir, j'ai assist une noce grecque, mais je n'ai ni assez de
+tems, ni assez de place pour en donner la description, non plus que de
+mille autres choses.
+
+Je vais demain, avec une escorte de cinquante hommes, Patras dans la
+More, et de l Athnes o je passerai l'hiver. Il y a deux jours,
+j'ai failli prir avec un vaisseau de guerre turc, par l'ignorance du
+capitaine et de l'quipage, quoique la tempte ne ft pas violente.
+Fletcher appelait sa femme, les Grecs appelaient leurs saints, les
+Musulmans appelaient Alla; le capitaine descendit dans la chambre, et
+nous dit tout en pleurs de nous recommander Dieu. Les voiles taient
+dchires, la grande vergue rompue, le vent _frachissait_, la nuit
+arrivait; nous n'avions plus que deux chances devant nous, d'arriver
+Corfou, qui est au pouvoir des Franais, ou de descendre dans le liquide
+tombeau, comme Fletcher le disait pathtiquement. Je fis ce que je pus
+pour consoler celui-ci; mais le trouvant incorrigible, je m'enveloppai
+dans ma capote albanaise (immense manteau), et je me couchai tout de mon
+long sur le pont pour y attendre tout ce qui pourrait arriver de
+pire[125]. J'ai appris dans mes voyages avoir de la philosophie; et
+quand je n'en aurais pas eu, de quoi m'et-il servi ici de me lamenter
+et de me plaindre? Heureusement le vent mollit, et ne nous porta qu'
+Souli sur le continent, o nous dbarqumes, et avec l'aide des naturels
+nous retournmes Prvsa. Je ne me confierai plus dornavant des
+matelots turcs, quoique le pacha ait mis mes ordres une de ses propres
+galiotes pour me porter Patras. En consquence, je vais jusqu'
+Missolonghi par terre, et de l je n'aurai qu'un petit golfe traverser
+pour arriver Patras. La premire lettre de Fletcher sera pleine de
+merveilles; nous avons, une nuit, t perdus pendant neuf heures dans
+les montagnes, et depuis nous avons manqu de nous noyer. Dans les deux
+cas, Fletcher avait entirement perdu la tte; la premire fois par la
+peur, la famine et les bandits; la seconde par la peur seule. Ses yeux
+ont t un peu malades, je ne sais si c'est un effet des clairs ou des
+pleurs qu'il a verss. Quand vous m'crirez, adressez-moi vos lettres
+chez M. Strane, consul d'Angleterre, Patras en More.
+
+ [Note 125: J'ai entendu les compagnons de voyage de Byron
+ parler du sang-froid et du courage qu'il montra dans cette
+ occasion, d'une manire plus remarquable encore. Voyant qu'
+ cause de son infirmit il ne pouvait tre d'aucune utilit
+ pour l'excution des manoeuvres que leur position demandait,
+ non-seulement il est vrai qu'il s'enveloppa dans son manteau
+ et se coucha tranquillement, comme il le dit, mais ce qu'il
+ n'ajoute pas, c'est que, quand le danger fut pass, on
+ s'aperut qu'il tait profondment endormi.
+ (_Note de Moore_.)]
+
+J'aurais beaucoup d'incidens vous raconter, qui, je crois, vous
+amuseraient; mais ils font confusion dans ma tte, comme ils en
+feraient, je crois, sur le papier, et je ne saurais du tout les mettre
+en ordre. J'aime beaucoup les Albanais; ils ne sont pas tous turcs,
+quelques-uns sont chrtiens; mais la diffrence de leur religion n'en
+met aucune dans leurs moeurs et dans leur conduite; on les regarde comme
+les meilleures troupes au service de la Turquie. Pendant ma route, j'ai
+pass deux jours en allant, et trois en revenant, dans une caserne
+Salone; et jamais je n'ai trouv de soldats plus supportables, quoique
+j'aie t dans les garnisons de Gibraltar et de Malte, et que j'aie vu
+bon nombre de troupes espagnoles, franaises, siciliennes et anglaises.
+On ne m'a rien vol, et j'ai toujours t le bienvenu partager leurs
+vivres et leur lait. Il n'y a pas une semaine, qu'un chef albanais
+(chaque village a son chef qui est appel primat), aprs nous avoir aid
+ sortir de la galre turque, lors de notre malheur, nous nourrit et
+nous logea, moi et ma suite, compose de Fletcher, un Grec, deux
+Athniens, un prtre grec, et mon compagnon, M. Hobhouse, et refusa de
+recevoir autre chose qu'un certificat de la bonne rception qu'il nous
+avait faite. Comme je le pressais de prendre au moins quelques sequins,
+non, rpondit-il, je veux que vous m'aimiez, et non pas que vous me
+payiez. Ce sont l ses propres paroles.
+
+Vous ne sauriez croire quelle est la valeur de l'argent dans ce
+pays-ci. Je n'avais rien payer d'aprs les ordres du visir, mais
+depuis j'ai toujours eu seize chevaux, et gnralement six ou sept
+hommes mon service; et je n'ai pas dpens la moiti de ce qu'il m'en
+a cot pour passer trois semaines Malte, quoique le gouverneur, sir
+A. Ball, m'ait donn une maison gratis, et que je n'eusse qu'un seul
+domestique. Je serais bien aise que H... ft des remises rgulires, car
+je n'ai pas intention de rester perptuit dans cette province; qu'il
+m'crive chez M. Strane, consul d'Angleterre Patras. Le fait est que
+la fertilit des plaines est extraordinaire, les espces fort rares, ce
+qui explique que tout y soit bon march. Je vais Athnes pour y
+apprendre le grec moderne, qui diffre beaucoup du grec ancien, quoique
+les racines en soient les mmes. Je n'ai pas envie de retourner en
+Angleterre; et je ne le ferai que si j'y suis forc, comme, par exemple,
+si H... me ngligeait. Je n'entrerai pas cependant en Asie avant un an
+ou deux, car j'ai bien des choses voir en Grce, et peut-tre
+passerai-je en Afrique, ou du moins dans la partie gyptienne.
+
+Fletcher, comme tous les Anglais, est fort mcontent, cependant il est
+un peu rconcili avec la Turquie, depuis que le pacha lui a fait
+prsent de quatre-vingts piastres, qui, eu gard la valeur de l'argent
+ici, quivalent presque dix guines anglaises. Il n'a rien eu
+souffrir, si ce n'est du chaud, du froid et de la vermine, flaux de
+tous ceux qui couchent dans les chaumires, dans des gorges de
+montagnes, dans les pays froids, et dont j'ai eu ma part comme lui; mais
+il n'est pas brave et a peur des voleurs et des temptes. Il n'y a
+personne en Angleterre au souvenir de qui je dsire me recommander, et
+dont je veuille avoir des nouvelles. Je voudrais seulement recevoir une
+lettre de vous, et une ou deux de H... sur l'tat de mes affaires;
+dites-lui de m'crire. Pour moi, je vous crirai quand je pourrai, et
+vous prie de me croire votre affectionn fils,
+
+BYRON.
+
+Vers le milieu de novembre, notre jeune voyageur quitta Prvsa et se
+dirigea vers la More, travers l'Acarnanie et l'tolie, accompagn de
+son escorte de cinquante Albanais.
+
+En consquence il prit une bande d'hommes srs pour traverser les vastes
+forts de l'Acarnanie, hommes ns pour la guerre, et dont les rudes
+travaux ont rembruni le teint, jusqu' ce qu'il aperut les flots
+blanchissans de l'Achlos, et qu'il vit de l'autre ct les plaines
+fertiles de l'tolie.
+
+(_Childe Harold_, ch. II.)
+
+Sa description d'une scne de nuit Utraikey, petite place situe dans
+l'une des baies du golfe d'Arta, est sans doute reste grave dans la
+mmoire de nos lecteurs. Le plaisir que leur a caus la sauvage beaut
+de cette peinture ne sera point diminu quand nous leur aurons fait
+connatre, d'aprs le rcit de M. Hobhouse, les circonstances relles
+sur lesquelles elle est fonde:
+
+Le soir, les portes taient fermes, et l'on faisait les prparatifs
+ncessaires pour nourrir nos Albanais. On tuait un bouc, on le faisait
+rtir tout entier; quatre feux taient allums dans la cour, autour
+desquels les soldats s'asseyaient en quatre troupes diffrentes. Aprs
+avoir bu et mang, la plupart d'entre eux, tandis que nous et les chefs
+tions assis sur le gazon, s'assemblrent autour du plus grand feu, et
+l se mirent danser en rond sans autre musique que leurs propres
+chansons, mais en dployant une nergie tonnante. Toutes ces chansons
+se rapportaient quelques exploits de voleurs fameux. L'une d'elles,
+qui les occupa plus d'une heure, commenait ainsi: Quand nous partmes
+de Parga, nous tions soixante: puis venait le refrain:
+
+ Tous voleurs Parga,
+ Tous voleurs Parga.
+
+ [Grec: Klephteis pote Parga],
+ [Grec: Klephteis pote Parga].
+
+Quand ils mugissaient cette strophe, ils tournaient en rond autour du
+feu, tombaient sur leurs genoux, rebondissaient, et puis tournaient de
+nouveau en rptant le mme refrain. Le bruissement des vagues sur la
+rive caillouteuse o nous tions assis remplissait les intervalles du
+chant d'une musique peut-tre moins monotone et certainement plus douce.
+La nuit tait trs-sombre; mais au reflet des feux nous apercevions un
+peu les bois, les rochers et le lac, qui, avec l'apparence sauvage des
+danseurs, offraient une scne qui n'et pas t perdue entre les mains
+d'un artiste organis comme l'auteur des _Mystres d'Udolphe_.
+
+Aprs avoir travers l'Acarnanie, nos voyageurs passrent l'Achelos, et
+arrivrent, le 21 novembre, Missolonghi. Ici il est impossible de ne
+pas nous arrter, et de ne pas songer d'avance cette triste visite
+qu'il y fit quinze ans aprs, quand, au milieu de sa carrire, et dans
+toute la plnitude de sa rputation, il vint donner sa vie pour la cause
+de ce pays qu'il traversait alors comme un simple et jeune tranger. Si
+quelque esprit lui et alors rvl ce qui devait arriver dans cet
+intervalle; s'il lui avait montr, d'un ct, les triomphes qui
+l'attendaient, le pouvoir que son gnie vari obtiendrait sur les coeurs
+pour les lever ou les abaisser, pour les clairer ou les rendre plus
+sombres; et s'il et plac d'un autre ct les inconvniens attachs
+ce don funeste: la fatigue et le dgot que l'imagination donne l'ame;
+les ravages de ce feu intrieur qui dvore celui qui le possde, tandis
+qu'il blouit les autres; l'envie que tant de grandeur excite parmi les
+autres hommes; la vengeance qu'ils tirent de celui qui les force
+regarder si haut pour l'admirer; on peut se le demander, et-il accept
+la gloire de telles conditions? N'aurait-il pas senti, au contraire,
+que c'tait l'acheter trop haut prix, et que cet tat de guerre
+continuel contre le monde entier pendant sa vie ne serait que faiblement
+rcompens par une immortalit que ce mme monde serait oblig de lui
+accorder aprs son trpas?
+
+ Missolonghi, il renvoya tous ses Albanais, l'exception d'un seul,
+nomm Dervish, qu'il prit son service, et qui demeura avec lui pendant
+tout le tems qu'il fut en Orient, avec Basile, le domestique que lui
+avait donn Ali-Pacha. Aprs avoir habit prs de quinze jours Patras,
+il se dirigea sur Vostitza. En approchant de cette ville, le sommet
+neigeux du Parnasse, s'levant comme une tour de l'autre ct du golfe,
+s'offrit pour la premire fois ses yeux. Deux jours aprs, dans les
+bosquets sacrs de Delphes, il crivit les stances que cette vue lui
+avait inspires, et qui commencent ainsi:
+
+ toi, Parnasse! que je vois maintenant, non comme l'imagination te
+prsente souvent dans les songes du pote endormi, etc.
+
+C'est vers cette poque que, se promenant cheval, au pied du Parnasse,
+il vit dans les airs voler une troupe considrable d'aigles, phnomne
+qui semble avoir frapp son imagination d'une sorte de superstition
+potique; car il y fait plus d'une fois allusion dans son journal. Me
+rendant la fontaine de Delphes (Castri), en 1809, je vis une troupe de
+douze aigles, et j'acceptai le prsage, bien que Hobhouse soutnt,
+probablement par plaisanterie, que c'taient des vautours. J'avais la
+veille compos les vers sur le Parnasse, dans _Childe Harold_; en voyant
+ces oiseaux, j'esprai qu'Apollon avait agr mon hommage. Du moins,
+j'ai eu le nom et la rputation de pote dans l'ge rellement potique
+de la vie, de vingt trente. Si cela continuera, c'est une autre
+question.
+
+Dans son journal, en racontant son dpart de Patras, il cite une
+anecdote qui fera honneur son humanit aux yeux de tous ceux qui ne
+seront point chasseurs. Le dernier oiseau sur lequel j'ai tir fut un
+aiglon, sur le bord du golfe de Lpante, prs Vostitza. Il n'tait que
+bless, et je voulus le sauver; son oeil tait si brillant! Mais il
+languit et mourut en peu de jours. Je n'ai jamais essay depuis et
+jamais je n'essaierai de tuer un autre oiseau.
+
+Peu de choses tonnent autant les voyageurs en Grce que l'extrme
+petitesse de ces pays qui ont occup si long-tems les cent bouches de la
+renomme. On pourrait, dit M. Hobhouse, sans trop presser son cheval,
+aller de Livadie Thbes et revenir entre le djeuner et le dner, et,
+sans bagage, faire facilement, en deux jours, le tour de la Botie.
+Aprs avoir visit en trs-peu de tems les fontaines de Mmoire et
+d'Oubli, Livadie, et les retraites d'Apollon Ismnien, Thbes, nos
+voyageurs tournrent enfin leurs pas vers Athnes, l'objet de leurs
+rves potiques, traversrent le mont Cythron, et arrivrent en vue des
+ruines de Phil, la veille de Nol 1809.
+
+Quoique le pote nous ait laiss dans ses vers le tmoignage immortel de
+l'enthousiasme avec lequel il contempla les scnes qui s'offrirent alors
+ ses regards, il n'est pas difficile de concevoir que, pour des
+observateurs superficiels, il put paratre spectateur insensible de
+mille choses qui jettent le voyageur ordinaire en extase, du moins en
+paroles. Il professa toute sa vie le plus souverain mpris pour tout ce
+qui est affect, soit en matire de got, soit en matire de morale;
+souvent il dguisa le sentiment vrai de son admiration sous un dehors
+d'indiffrence et de moquerie par haine pour le charlatanisme de ceux
+qu'il voyait s'extasier froid et sans rien ressentir rellement. Il
+faut avouer aussi qu'il tendait des sentimens vrais, mais pour
+lesquels il n'prouvait pas de sympathie, le dgot que lui inspiraient
+ceux qui n'taient qu'affects; ainsi il ne comprit jamais le mrite et
+les jouissances d'un antiquaire ou d'un amateur d'objets d'art. Je ne
+fais point de collections, dit-il dans une note de _Childe Harold_, et
+je ne les admire pas du tout. Il ne faisait aucun cas des antiquits,
+moins qu'elles ne se rattachassent quelques grands noms ou quelques
+grands vnemens. Pour les objets d'art, il se contentait d'admirer leur
+effet gnral, sans se piquer d'aucune connaissance des dtails. C'tait
+ la nature, dans ses scnes solitaires de grandeur et de beaut, ou,
+comme Athnes, brillante d'un clat toujours le mme au milieu des
+ruines de la gloire et des arts, qu'il payait sans restriction l'hommage
+de son ame ardente. Dans le petit nombre de notes sur les voyages qu'il
+a jointes _Childe Harold_, l'on voit qu'il aime beaucoup mieux
+s'occuper des sites et du pittoresque qu'offrent les lieux qu'il a
+visits que des souvenirs classiques ou historiques qui peuvent s'y
+rattacher. En prose ou en vers, il revient la valle de Zitza avec
+plus de plaisir qu' Delphes ou aux rives de la Troade; et ce qui le
+frappe le plus vivement dans la plaine d'Athnes, c'est que la vue y
+est plus belle encore qu' Cintra ou Istamboul. O la nature
+pouvait-elle en effet avoir plus de droit son adoration que dans ces
+contres o il la voyait briller d'une beaut toujours jeune, toujours
+la mme au milieu des ruines de ce que l'homme avait jug le plus digne
+de dure? Les institutions humaines prissent, dit Harris; mais la
+nature ne change pas. Lord Byron a paraphras cette pense[126], en
+l'embellissant:
+
+ [Note 126: Le passage renferme la substance de toute la
+ strophe:
+
+ Malgr les diverses fortunes d'Athnes, considre comme
+ cit, l'Attique est encore fameuse pour ses oliviers, et
+ l'Hymte pour son miel. Les institutions humaines prissent,
+ mais la nature ne change pas.
+ (_Recherches philologiques_.)
+
+ Je me rappelle que je fis un jour remarquer Lord Byron
+ cette concidence, mais il m'assura qu'il n'avait jamais lu
+ cet ouvrage d'Harris.]
+
+Cependant ton ciel est aussi bleu, tes rochers aussi sauvages, tes
+bosquets aussi agrables, tes prairies aussi verdoyantes, ton olive
+aussi mre, que quand tu florissais sous la protection de Minerve!
+L'Hymte offre encore aux hommes les trsors de son miel divin; libre
+voyageuse errante dans les plaines de l'air, l'abeille construit
+toujours gament sur tes montagnes sa forteresse parfume. Apollon dore
+toujours de ses feux tes longs ts, et sous ses rayons brillent
+toujours les marbres de Mendeli! Les arts, la gloire, la libert, tout
+passe, tout prit, except la nature, elle est toujours belle.
+
+(_Childe Harold_, ch. II.)
+
+Cette premire visite Athnes dura deux ou trois mois, pendant
+lesquels il ne laissa pas passer un seul jour sans consacrer quelques
+heures parcourir les grands monumens du gnie ancien, et sans voquer,
+pour ainsi dire, du milieu de leurs ruines l'esprit des sicles couls.
+Il faisait aussi des excursions frquentes dans diffrentes parties de
+l'Attique. Un jour qu'il visitait le cap Colonne, il fut au moment
+d'tre enlev par un parti de Maniotes cachs sous le rocher de Minerve
+Sunias. Ces pirates, ce que lui raconta depuis un Grec qui alors tait
+leur prisonnier, n'osrent l'attaquer, persuads que les deux Albanais
+qu'ils voyaient ses cts, n'taient qu'une partie d'une escorte plus
+respectable laisse porte de venir promptement son secours.
+
+Outre le pouvoir magique de ses souvenirs et de son paysage, la ville de
+Minerve possdait un attrait d'une autre sorte pour notre pote, auquel,
+en quelque lieu qu'il portt ses pas, son coeur ou plutt son imagination
+n'tait que trop sensible. On dit que sa jolie romance: Jeune vierge
+d'Athnes, avant que nous nous sparions, fut adresse la fille ane
+de la dame grecque chez laquelle il tait log, et il est assez probable
+que la belle Athnienne ait t matresse de son imagination au moment
+o il composa ces vers. Thodora Macri, son htesse, tait la veuve d'un
+vice-consul d'Angleterre; son principal revenu provenait de la location
+aux trangers, et surtout aux voyageurs anglais, des appartemens
+qu'occuprent alors Lord Byron et son ami; ce dernier nous en donne la
+description suivante: Notre logement consistait en un salon et deux
+chambres coucher, donnant sur une cour o se trouvaient cinq ou six
+citronniers, d'o l'on tira le fruit qui assaisonna notre pilau et les
+autres mets nationaux servis sur notre table frugale.
+
+La renomme d'un pote illustre ne s'attache pas seulement sa personne
+et ses crits, une partie se reflte sur tout ce qui a eu avec lui un
+rapport mme loign. Non-seulement elle ennoblit les objets de ses
+amitis, de ses amours et de ses gots; mais les lieux mme o il a
+vcu, o il a sjourn, acquirent une clbrit qui ne s'efface pas
+aisment. La jeune fille d'Athnes, quand elle prtait innocemment
+l'oreille aux complimens du jeune Anglais, ne se doutait gure qu'il dt
+rendre son nom et sa maison si clbres, qu' leur retour de Grce, les
+voyageurs ne trouveraient rien de plus intressant donner leurs
+lecteurs que les dtails suivans sur elle et sa famille:
+
+Nous rencontrmes, dit M. Hobhouse, la porte notre valet qui tait
+all devant pour nous chercher des logemens, et nous conduisit chez
+Thodora Macri, la veuve du vice-consul, o nous sommes actuellement.
+Cette dame a trois filles fort jolies; l'ane est vraiment une beaut;
+c'est elle, dit-on, qui inspira Lord Byron cette fameuse romance:
+
+Jeune vierge d'Athnes, avant que nous nous sparions, rends-moi,
+rends-moi mon coeur, etc., etc.
+
+ Orchomnes, o tait le temple des Grces, je fus prs de m'crier:
+O les grces se sont-elles enfuies? Je ne m'attendais pas les
+retrouver ici. Et cependant voici venir l'une avec des coupes dores et
+du caf, et l'autre avec un livre. Ce livre est un registre de noms, et
+il en est quelques-uns que la renomme est habitue prononcer. Parmi
+eux se trouve celui de Lord Byron, li aux vers que je vais transcrire:
+
+La noble Albion voit en souriant partir son fils pour aller visiter le
+berceau des arts; son but est noble; belle est l'entreprise; il vient
+Athnes, et... crit son nom.
+
+En forme de contrepoids, Lord Byron crivit au-dessous:
+
+Ce pote modeste, comme beaucoup de potes inconnus, rimaille sur nos
+noms et cache le sien; mais quel qu'il soit, pour ne rien dire de pis,
+son nom lui ferait plus d'honneur que ses vers.
+
+En crivant ces mots, _les trois Grces athniennes_, j'ai, je n'en
+doute pas, fait natre votre curiosit et enflamm votre imagination, et
+je ne dois pas compter sur votre attention que je ne vous en aie donn
+quelque portrait. Leur appartement est justement en face du ntre; et si
+vous pouviez les voir comme nous les voyons en ce moment travers les
+plantes aromatiques qui se balancent doucement sur notre fentre, vous
+laisseriez votre coeur Athnes.
+
+Thrsa, la vierge d'Athnes, Katinka et Mariana sont de taille
+moyenne. Chacune d'elles porte sur le sommet de la tte une petite
+calotte albanaise de couleur rouge, surmonte d'une tassette bleue, qui
+s'tend et se rattache par le bas comme une toile. Au bord de cette
+calotte est un mouchoir de couleurs varies roul autour des tempes. La
+plus jeune porte ses cheveux dtachs tombant sur les paules presque
+jusqu' la ceinture, et mls suivant l'usage avec des tresses de soie.
+Les cheveux des deux anes sont le plus souvent attachs et retenus
+sous le mouchoir. Leur vtement de dessus est une pelisse borde de
+fourrures, tombant lche jusqu' la cheville; dessous est un mouchoir de
+mousseline qui couvre le sein et se termine la taille qui est courte.
+En dessous est une robe de soie ou de mousseline raye, s'largissant un
+peu au-dessus de la ceinture, et retombant sur le devant d'une manire
+gracieuse et nglige; des bas blancs et des pantoufles jaunes
+compltent le costume. Les deux anes ont les yeux et les cheveux
+noirs, le visage ovale, le teint un peu ple et les dents d'une
+blancheur blouissante. Leurs joues sont arrondies, leur nez droit avec
+quelque chose d'aquilin. La plus jeune, Mariana, est trs-blonde; sa
+figure n'est pas aussi joliment arrondie, mais a une expression plus
+gaie que celle de ses soeurs, qui ont l'air assez pensif, except quand
+la conversation prend une tournure anime. Leur taille est lgante,
+leurs manires distingues et susceptibles de plaire dans tous les pays
+possibles. Leur conversation est fort agrable, et leur esprit parat
+plus cultiv que ne l'est gnralement celui des dames grecques. Avec de
+tels avantages, il serait bien tonnant qu'elles n'attirassent pas
+l'attention des voyageurs qui visitent occasionnellement Athnes. Elles
+s'asseoient la manire orientale, le corps lgrement inclin, les
+jambes ramasses sous elles sur le divan et sans souliers. Elles
+s'occupent coudre, jouer du tambour de basque et lire.
+
+J'ai dit que j'avais vu ces beauts grecques travers les balancemens
+des plantes aromatiques qui dcorent leurs fentres; peut-tre cela
+pourrait-il vous donner une trop haute ide de leur position. Votre
+imagination vous reprsente peut-tre dj leurs maisons pleines de tous
+les attributs du luxe oriental. Les coupes d'or ont pu aussi oprer
+quelque enchantement sur vos ides. Avouez-le; ne vous reprsentez-vous
+pas--
+
+Les portes demi-ouvertes donnant sur de longues galeries o l'on ne
+saurait dcrire tout ce que l'oeil rencontre d'lgance et de grandeur;
+l'orgueil de la Turquie et de la Perse: des coussins jets sur des
+coussins, des tapis sur des tapis, d'immenses ottomanes, des oreillers
+innombrables pour relever la tte, de manire que chaque appartement
+parat un lit grand et molleux?
+
+Vous verrez bientt pourquoi j'ai diffr jusqu' ce moment; apprenez
+que les plantes aromatiques dont je viens de vous parler ne sont ni plus
+ni moins que quelques pauvres graniums et quelques baumes grecs, et que
+la chambre dans laquelle se tiennent ces dames est presque dgarnie de
+meubles, que les murs n'en ont t ni peints ni dcors par une main
+habile. Que serait-il advenu de mes grces, si je vous avais dit plus
+tt qu'une seule chambre est tout le logement qu'elles possdent,
+l'exception d'un petit cabinet et d'une petite cuisine? Vous voyez
+combien j'ai pris soin que la premire impression leur ft avantageuse;
+non qu'elles ne mritent toute espce d'loges, mais parce qu'il est
+dans la nature auguste et fire de l'homme de faire peu de cas du mrite
+et mme de la beaut, si ces avantages ne sont pas relevs d'un peu de
+pompe mondaine. Maintenant je vais vous communiquer un secret, mais
+confidentiellement et voix basse.
+
+Ces dames, depuis la mort du vice-consul leur pre, n'ont pas d'autres
+ressources pour exister que de louer des trangers la chambre et le
+cabinet que nous occupons dans ce moment; mais quoiqu'elles soient si
+pauvres, leur vertu n'est pas moins remarquable que leur beaut.
+
+Et toutes les richesses de l'Orient ou tous les vers flatteurs du
+premier pote de l'Angleterre ne pourraient les rendre aussi rellement
+dignes d'amour et d'admiration[127].
+
+ [Note 127: _Voyages en Italie, en Grce_, etc., par H. W.
+ Williams.]
+
+Dix semaines s'taient rapidement passes, quand l'offre inattendue d'un
+passage bord d'une corvette anglaise dtermina nos voyageurs se
+prparer immdiatement au dpart; et le 5 mars, ils quittrent Athnes,
+quoique avec beaucoup de regret. Aprs avoir pass, dit encore M.
+Hobhouse, par la porte qui conduit au Pyre, nous lanmes nos chevaux
+au galop dans le bois d'oliviers sur la route de Salamine, esprant par
+notre prcipitation tourdir un peu la douleur du dpart. Nous ne
+pouvions nous empcher de regarder derrire nous en nous rendant au
+rivage, et nous continumes de fixer les yeux sur le point o travers
+la clairire du bois, nous avions entrevu pour la dernire fois le
+temple de Thse et les ruines du Parthnon; nous continumes ainsi
+plusieurs minutes aprs que la ville et l'Acropolis eurent entirement
+disparu notre vue.
+
+ Smyrne, Lord Byron se logea dans la maison du consul gnral, et y
+demeura jusqu'au 11 avril, except deux ou trois jours qu'il employa
+visiter les ruines d'phse. Ce fut cette poque qu'il termina les
+deux premiers chants de _Childe Harold_, comme on le voit par une note
+crite de sa main sur le manuscrit original de ce pome: Commenc le 31
+octobre 1809, Janina en Albanie; fini le second chant, Smyrne, le 28
+mars 1810.--BYRON.
+
+La seule lettre un peu intressante, date de Smyrne, que je puisse
+offrir au lecteur, est la suivante:
+
+
+
+
+LETTRE XLI.
+
+ MRS. BYRON.
+
+Smyrne, 19 mars 1810.
+
+
+MA CHRE MRE,
+
+Je ne puis pas vous crire une longue lettre; mais comme je crois que
+vous ne serez pas fche de savoir o j'en suis de mes voyages, je vous
+prie d'accepter le peu de dtails que je puis vous donner. J'ai travers
+la plus grande partie de la Grce, outre l'pire, etc.; j'ai rsid dix
+semaines Athnes, et je me rends maintenant Constantinople par la
+route d'Asie. Je viens de visiter les ruines d'phse, une journe de
+Smyrne. J'espre que vous avez reu une longue lettre que je vous ai
+crite d'Albanie, o je vous donnais quelques dtails sur la rception
+que m'a faite le pacha de cette province.
+
+C'est en arrivant Constantinople que je dciderai si je dois aller
+jusqu'en Perse, ou revenir sur mes pas. Je ne prendrai ce dernier parti
+que si je ne puis l'viter. Mais je n'entends pas parler de M. H..., et
+je n'ai reu de vous qu'une seule lettre. J'aurai besoin de fonds, soit
+que j'avance ou que je revienne. Je lui ai crit plusieurs fois, pour
+qu'il ne prtende pas, pour s'excuser, qu'il ne connaissait pas ma
+situation. Je ne puis encore vous rien dire sur quoi que ce soit; le
+tems et l'occasion me manquent, car la frgate repart immdiatement. Il
+est vrai que plus je vais, plus ma paresse augmente; et mon aversion
+pour tout commerce pistolaire s'accrot de jour en jour. Je n'ai crit
+ personne qu' vous et M. H..., et c'est moins par inclination que
+par devoir et par ncessit.
+
+F*** est fort dgot par les fatigues, quoiqu'il n'en ait point endur
+que je n'aie partages. C'est une pauvre crature. Les domestiques
+anglais sont en vrit de dtestables voyageurs. J'ai avec lui deux
+soldats albanais et un interprte grec, tous parfaits dans leur genre.
+La Grce est dlicieuse, surtout dans les environs d'Athnes. Partout
+des cieux sans nuages et des paysages charmans. Mais je dois remettre
+notre premire entrevue tout rcit de mes aventures. Je ne tiens pas de
+journal, mais mon ami H... ne cesse d'crire. Prenez soin, je vous prie,
+de Murray et de Robert, et dites ce dernier qu'il est fort heureux
+pour lui qu'il ne m'ait pas accompagn en Turquie. N'attribuez cette
+lettre qu'au dsir de vous assurer que je suis sain et sauf, et
+croyez-moi, etc.
+
+BYRON.
+
+Le 11 avril, il partit de Smyrne sur la frgate _la Salsette_, qui avait
+reu l'ordre de se rendre Constantinople, pour ramener l'ambassadeur,
+M. Adair, en Angleterre; et aprs avoir explor les ruines de la Troade,
+il arriva aux Dardanelles au commencement du mois suivant. Il crivit
+les lettres qu'on va lire, ses amis, MM. Drury et Hodgson, pendant que
+la frgate tait l'ancre dans ce dtroit.
+
+
+
+
+LETTRE XLII.
+
+ M. DRURY.
+
+A bord de la _Salsette_, 3 mai 1810.
+
+
+MON CHER DRURY,
+
+Lorsque je quittai l'Angleterre, il y a bientt un an, vous me prites
+de vous crire. C'est ce que je me propose de faire. J'ai travers le
+Portugal et le midi de l'Espagne, visit la Sardaigne, la Sicile, Malte,
+et de l j'ai pouss jusqu'en Turquie, o je suis encore rder.
+Dbarqu d'abord en Albanie, l'pire d'autrefois, j'ai pntr jusqu'au
+mont Tomarit, parfaitement accueilli par le gouverneur, Ali-Pacha; et,
+aprs avoir parcouru l'Illyrie, la Chaonie, etc., j'ai travers le golfe
+d'Actium avec une garde de cinquante Albanais, et pass l'Achlos pour
+me rendre en tolie par l'Acarnanie.
+
+Aprs un court sjour en More, nous avons travers le golfe de
+Lpante, pris terre au pied du Parnasse, vu tout ce qui reste de
+Delphes, et continu ainsi jusqu' Thbes et Athnes, dans la dernire
+desquelles nous avons pass deux mois et demi.
+
+Le vaisseau de S. M. _le Pylade_ nous a transports Smyrne; mais nous
+avions auparavant tudi la topographie de l'Attique, sans oublier
+Marathon et le promontoire de Sunium. Aprs Smyrne, notre second relai
+fut la Troade, que nous visitmes tandis que le navire tait l'ancre,
+o il resta pendant quinze jours, vis--vis la tombe d'Antiloque.
+Maintenant nous voil dans les Dardanelles, en attendant le vent pour
+nous rendre Constantinople.
+
+Ce matin, j'ai parcouru la nage le trajet de Sestos Abydos. La
+distance directe n'est pas de plus d'un mille; mais, en raison du
+courant, la traverse n'est pas sans danger; il y en a mme assez pour
+que je doute que l'affection conjugale de Landre n'ait pas t un peu
+refroidie par le passage.
+
+Je l'essayai il y a huit jours, mais je n'y pus russir, cause du
+vent du Nord et de l'tonnante rapidit du courant, quoique j'aie
+toujours t, depuis mon enfance, un rude nageur. Mais ce matin, par un
+tems plus calme, j'y suis parvenu, et j'ai travers le _large
+Hellespont_ en une heure dix minutes.
+
+Eh bien, mon cher monsieur, j'ai quitt mon foyer, et visit quelques
+parties de l'Afrique et de l'Asie, outre une raisonnable portion de
+l'Europe. J'ai vcu avec des gnraux et des amiraux, des princes et des
+pachas, des gouverneurs et des _ingouvernables_; mais je n'ai ni tems ni
+papier pour m'tendre. Je suis bien aise de vous dire que je conserve
+pour vous des souvenirs d'amiti, et que je vis dans l'esprance de vous
+revoir un jour; et si je vous cris aussi brivement que possible,
+attribuez-le tout autre cause qu' l'oubli.
+
+Vous connaissez trop bien la Grce ancienne et moderne pour qu'il soit
+besoin de vous la dcrire. J'ai, il est vrai, mieux vu l'Albanie
+qu'aucun autre Anglais, que je sache, except un M. Leake; car c'est un
+pays que l'on visite rarement, cause du caractre farouche des
+_natifs_; il offre cependant plus de beauts pittoresques que les
+contres classiques de la Grce, malgr toutes les merveilleuses beauts
+de ces dernires, surtout vers Delphes et le cap Colonne en Attique.
+Elles sont loin nanmoins d'galer certaines parties de l'Illyrie et de
+l'pire, o des lieux sans nom et des rivires oublies sur la carte et
+un jour peut-tre mieux apprcies, obtiendront des peintres et des
+potes la prfrence sur les rigoles dessches de l'Ilyssus, et les
+fondrires de la Botie.
+
+La Troade offre un champ vaste aux faiseurs de conjectures et aux
+tireurs de bcassines; un bon chasseur et un savant ingnieux peuvent
+sur ce terrain exercer avec grand avantage leurs jambes et leur
+entendement; ou, s'ils prfrent aller cheval, ils peuvent s'y tromper
+de route, comme cela m'est arriv, et s'embourber dans un maudit
+marcage form par le Scamandre, qui serpente de et del comme si les
+vierges troyennes allaient encore lui apporter leur tribut accoutum. Il
+n'existe aujourd'hui d'autres vestiges de Troie, ou de ses destructeurs,
+que les tertres qui renferment, ce que l'on suppose, les squelettes
+d'Achille, d'Antiloque, d'Ajax, etc. Mais le mont Ida lve encore son
+front superbe; quoique les bergers de nos jours ne ressemblent gure
+Ganymde. Mais quoi bon vous parler plus long-tems de choses qui sont
+dcrites tout au long dans le _book of Gell_? Et H*** n'a-t-il pas crit
+un journal? Quant moi, je n'en tiens pas; car j'ai renonc tout
+griffonnage. Je ne vois pas grande diffrence entre les Turcs et nous,
+si ce n'est qu'ils n'ont pas de _culottes_, et que nous en avons; qu'ils
+portent des habits longs, et nous des habits courts; qu'ils parlent peu,
+et nous beaucoup. Ce sont des gens fort raisonnables. Ali-Pacha m'a dit
+qu'il tait sr que j'tais n dans un rang lev, par ce que j'ai les
+oreilles et les mains petites et des cheveux boucls. Je vous dirai, en
+passant, que je parle passablement le romaque ou grec moderne: il ne
+diffre pas des anciens dialectes autant que vous pourriez le penser;
+mais la prononciation en est diamtralement oppose. Quant la posie,
+si elle n'est rime, ils n'en ont pas la moindre ide.
+
+J'aime les Grecs. Ce sont des fripons adroits qui ont tous les vices
+des Turcs, sans avoir leur courage. Quelques-uns cependant sont braves:
+tous sont beaux, et ressemblent beaucoup au buste d'Alcibiade. Les
+femmes sont un peu moins belles. Je sais jurer en turc; mais, except un
+effroyable jurement et les mots qui signifient entremetteur, pain et
+eau, je connais peu le vocabulaire de cette langue. Ils sont extrmement
+polis envers les trangers de tout rang, pourvu qu'ils soient
+convenablement protgs; et comme j'ai deux domestiques et deux soldats,
+nous faisons grand fracas. Nous avons parfois couru risque d'tre
+dvaliss, et une fois de faire naufrage; mais nous nous en sommes tirs
+le mieux du monde.
+
+ Malte, j'ai t fort pris d'une femme marie, et j'ai provoqu un
+aide-de-camp du gnral ***, grossier personnage, qui s'tait offens de
+quelque chose, je n'ai jamais bien su de quoi; mais il donna des
+explications, fit des excuses, la dame s'embarqua pour Cadix, et
+j'chappai ainsi l'accusation de meurtre et d'adultre. J'ai envoy
+quelques dtails sur l'Espagne notre ami Hodgson; mais depuis ce
+tems-l je n'ai crit personne, except quelques billets des parens
+et des gens de loi, pour m'en dbarrasser. Je me propose de rompre
+tout commerce, mon retour, avec plusieurs de mes meilleurs amis, que
+je regarde au moins comme tels, et de gronder toute ma vie. Mais
+j'espre, avant de me faire tout--fait cynique, rire encore de bon coeur
+avec vous, embrasser Dwyer, et trinquer avec Hodgson.
+
+Dites au docteur Butler que je me sers en ce moment de la plume d'or
+qu'il me donna avant mon dpart: c'est pour cela que ma pancarte est
+moins lisible qu' l'ordinaire. J'ai t Athnes, et j'ai vu des
+gerbes de ces roseaux crire dont il refusa de me donner quelques-uns,
+parce que le topographe Gell les avait apports de l'Attique. Mais vous
+n'aurez pas de descriptions, non; vous voudrez bien vous contenter de
+quelques dtails jusqu' mon retour. Mais alors nous ouvrirons toutes
+les cluses de la conversation. Je suis sur une frgate de trente-six,
+qui va chercher Rob Adair Constantinople: c'est lui qui aura l'honneur
+de vous porter cette lettre.
+
+Ainsi donc le livre de H***[128] a pris son essor avec quelques
+sentimentales chansonnettes de ma faon, pour remplir le volume. Quel
+succs a-t-il, eh? et o diable en est la seconde dition de ma satire
+avec les additions, et mon nom au bas du titre, et les vers nouveaux
+clous la fin, et un nouvel exorde, et je ne sais quoi encore, le tout
+sorti tout chaud de mon atelier avant que j'eusse franchi la Manche? La
+Mditerrane et l'Atlantique tendent leurs flots entre la critique et
+moi; et les mugissemens de l'Hellespont couvrent le bruit des foudres de
+la _Revue hyperborenne_.
+
+ [Note 128: Les mlanges auxquels j'ai renvoy plusieurs
+ fois.]
+
+Rappelez-moi au souvenir de Claridge, s'il n'est pas rentr au collge,
+et prsentez Hodgson les assurances de ma haute considration. Vous
+allez me demander ce que je me propose de faire; et je vais vous
+rpondre que je n'en sais rien. Il est possible que je m'en retourne
+dans quelques mois; mais j'ai des desseins et des projets pour le tems
+qui suivra mon sjour Constantinople. Cependant Hobhouse sera
+probablement de retour en septembre.
+
+Le 2 juillet, il y aura un an que nous sommes partis d'Albion,
+_oblitusque meoruni obliviscendus et illis_. J'tais las de mon pays, et
+fort peu prvenu en faveur de tout autre; mais _je trane ma chane sans
+l'alonger, en changeant de lieu_. Je suis comme le joyeux meunier qui ne
+se souciait de personne, et dont personne ne se souciait. mes yeux
+tout pays en vaut peu prs un autre. Je fume, j'ouvre de grands yeux
+pour mieux voir les montagnes, et je relve ma moustache avec une fire
+indpendance. Nulle privation ne m'afflige, et les moustiques qui
+martyrisent le corps maladif de H*** ne font, par bonheur, aucun effet
+sur le mien, parce que je vis avec plus de temprance.
+
+Dans mon catalogue j'ai oubli phse, que j'ai visite pendant mon
+sjour Smyrne; mais le temple est presque entirement dtruit, et il
+serait bien superflu que saint Paul se donnt la peine d'adresser de
+nouvelles ptres la race actuelle des phsiens, qui ont converti en
+mosque une vaste glise construite entirement en marbre; et je ne me
+suis pas aperu que l'difice en ft plus mauvaise figure.
+
+Mon papier est rempli, mon encre est puise; bon soir! Si vous
+m'adressez une lettre Malte, on me la fera parvenir quelque part que
+je sois. H*** vous fait ses complimens. Il soupire pour sa posie, au
+moins pour en avoir quelques nouvelles. J'oubliais presque de vous dire
+que je meurs d'amour pour trois jeunes Athniennes qui sont soeurs. Je
+logeais dans la mme maison qu'elles. Ces divinits se nomment Thrsa,
+Mariana et Katinka[129]: aucune des trois n'a encore quinze ans.
+
+Votre [Grec: tapeinotatos doulos][130].
+
+BYRON.
+
+ [Note 129: Il a adopt ce nom dans la description du srail,
+ ch. VI, de _Don Juan_. Ce fut, si j'ai bonne mmoire, en
+ faisant la cour une de ces jeunes filles qu'il lui donna
+ une marque d'amour fort en usage dans le levant, en se
+ faisant, avec son poignard, une blessure la poitrine. La
+ jeune Athnienne, ce qu'il m'a racont, conserva tout son
+ sang-froid durant cette opration, qu'elle regardait comme un
+ juste tribut offert sa beaut; mais elle n'en fut pas plus
+ dispose lui tre favorable.]
+
+ [Note 130: Trs-humble serviteur.]
+
+
+
+
+LETTRE XLIII.
+
+ M. HOGDSON.
+
+ bord de la _Salsette_, dtroit des Dardanelles, la hauteur d'Abydos,
+le 5 mai 1810.
+
+
+Je suis en route pour Constantinople, aprs avoir parcouru la Grce,
+l'pire, etc., et une partie de l'Asie Mineure, voyage dont je viens de
+communiquer quelques particularits H. Drury, notre ami et notre hte.
+Je m'abstiendrai donc de vous les rpter; mais comme vous serez
+peut-tre bien aise d'apprendre que je me porte bien, etc., je saisis
+l'occasion du retour de notre ambassadeur pour vous adresser le peu de
+lignes que j'ai le tems d'crire la hte. Nous avons prouv quelques
+inconvniens et couru quelques prils, mais il ne nous est rien arriv
+d'assez intressant pour vous en entretenir, moins que vous ne jugiez
+digne de votre attention le trajet de Sestos Abydos, que j'ai fait
+la nage, il y a deux jours. Si vous y joignez quelques alertes donnes
+par les voleurs, la crainte d'un naufrage sur une galre turque, il y a
+six mois, ma visite un pacha, ma passion pour une femme marie,
+Malte, un dfi un officier, mes amours avec trois jeunes Athniennes,
+avec une profusion de bouffonneries, et de beaux points de vue, vous
+connatrez tous les vnemens qui, depuis mon dpart d'Espagne, ont
+marqu ce voyage.
+
+H*** fait des vers et crit son journal; moi, je regarde et ne fais
+rien; moins qu'on ne considre la distraction de fumer comme un
+amusement actif. Les Turcs surveillent trop leurs femmes pour qu'il soit
+possible de les observer beaucoup. Mais j'ai vcu avec bon nombre de
+Grecs, dont je connais le dialecte tout autant qu'il m'est ncessaire
+pour converser un peu. J'ai fait aussi parmi les Turcs quelques
+connaissances, en hommes. Quant la socit des femmes, il n'y faut pas
+penser. J'ai t fort bien reu par les gouverneurs et les pachas, et je
+n'ai pas la moindre raison de me plaindre. Hobhouse quelque jour vous
+racontera toutes nos aventures. Si j'en essayais le rcit, ni mon papier
+ni votre patience ne pourraient y suffire.
+
+Personne, si ce n'est vous, ne m'a crit depuis que j'ai quitt
+l'Angleterre; il est vrai que je ne l'avais pas demand. J'excepte mes
+parens, qui m'crivent tout aussi souvent que je le dsire. Je ne sais
+rien de l'ouvrage d'Hobhouse, sinon qu'il a paru. C'est plus que je n'en
+sais de ma seconde dition; et certainement, une pareille distance, je
+ne m'en inquite que mdiocrement........................... J'espre
+que vos publications et celles de Bland s'coulent avec rapidit.
+
+Je ne puis vous parler d'une manire certaine de l'poque de mon
+retour; mais je regarde comme probable que Hobhouse me prcdera. Nous
+sommes absens depuis prs d'un an. Je dsirerais en employer au moins un
+autre mes observations dans ces climats toujours verts; cependant je
+crains que des affaires, et des affaires litigieuses, qui sont bien ce
+qu'il y a de pire au monde, ne me rappellent avant ce tems, si ce n'est
+mme beaucoup plus tt. S'il en est ainsi, je vous en prviendrai.
+
+J'espre que vous remarquerez en moi quelques changemens, je ne veux
+pas dire au physique, mais au moral; car je commence m'apercevoir que
+sans la vertu ce monde maudit n'est pas tenable. Je suis passablement
+dgot du vice, que j'ai tudi dans ses plus agrables varits, et je
+me propose, mon retour, de rompre avec tous mes dbauchs d'amis, de
+renoncer au vin, aux inclinations charnelles, et de me livrer la
+politique et au dcorum. Je suis srieux, cynique et assez bien dispos
+ faire de la morale; mais heureusement pour vous, l'homlie dont vous
+tiez menac est coupe court par le mauvais tat de ma plume et le
+manque de papier.
+
+Bonjour. Si vous m'crivez, adressez vos lettres Malte, d'o l'on me
+les fera parvenir. Ne me rappelez au souvenir de personne; mais
+croyez-moi bien sincrement votre, etc.
+
+BYRON.
+
+Arriv Constantinople le 14 mai, il adressa Mrs. Byron quatre ou
+cinq lettres, et dans presque toutes il parle du succs avec lequel il a
+travers l'Hellespont la nage. L'excessive vanit qu'il tirait de
+cette prouesse classique (dont il a fort au long lui-mme dtaill les
+particularits) peut tre mise au nombre des preuves de cet enfantillage
+de caractre qui l'accompagna jusque dans un ge plus mr, et qui, tout
+en embarrassant ceux qui jugeaient de loin sa conduite, n'tait pas,
+pour ceux qui vivaient dans son intimit, une de ses singularits les
+moins intressantes. Onze ans encore aprs cette poque, si quelque
+sceptique voyageur se hasardait mettre en doute la possibilit de
+l'exploit de Landre, Lord Byron, avec cette susceptibilit sur son
+courage personnel, qu'il conservait depuis son enfance, se lanait dans
+la discussion avec une nouvelle chaleur, et citait deux ou trois autres
+exemples de ce qu'il avait fait comme nageur, pour confirmer ses
+premires assertions[131].
+
+ [Note 131: Il citait entre autres son passage du Tage en
+ 1809, que M. Hobhouse a dcrit de la manire suivante:
+
+ Mon compagnon de voyage avait dj prcdemment excut une
+ traverse plus prilleuse, quoique moins clbre; car je me
+ rappelle qu' l'poque o nous tions en Portugal, il nagea
+ depuis le vieux Lisbonne jusqu'au chteau de Belem; et comme
+ il avait lutter contre la mare et le courant oppos du
+ fleuve, le vent tant fort vif, il lui fallut prs de deux
+ heures pour aller d'un bord l'autre. Il ne resta dans l'eau
+ qu'une heure et dix minutes, en nageant de Sestos Abydos.
+ En 1808, il faillit se noyer Brighton, en se baignant avec
+ M. L. Stanhope, son ami. M. Hobhouse et d'autres spectateurs
+ envoyrent eux des bateliers, qui s'attachrent des cordes
+ autour du corps, et qui russirent enfin retirer Lord Byron
+ et M. Stanhope de la lame, et leur sauvrent ainsi la vie.]
+
+Dans une de ses lettres sa mre, date de Constantinople, le 24 mai,
+il revient sur ce notable exploit, et se reprsente comme l'humble
+imitateur de Landre; et pourtant, ajoute-t-il, je n'avais pas de Hro
+pour m'accueillir sur l'autre rive. Puis il continue ainsi:
+
+Lorsque notre ambassadeur obtiendra son audience de cong, je
+l'accompagnerai pour voir le sultan, aprs quoi je retournerai
+probablement en Grce. Je n'ai rien reu de M. Hanson, si ce n'est une
+traite, mais sans aucune lettre de ce juridique gentleman. Si vous avez
+besoin de fonds, servez-vous, je vous prie, des miens, tant qu'il y en
+aura, sans aucune rserve; et dans la crainte que cela ne suffise pas,
+j'inviterai M. Hanson, dans ma prochaine lettre, vous avancer toutes
+les sommes qui pourraient vous tre ncessaires. Je m'en remets votre
+discrtion pour juger de ce que vous pouvez convenablement demander
+d'aprs l'tat actuel de mes affaires. J'ai dj visit les lieux les
+plus intressans de la Turquie d'Europe et de l'Asie Mineure; mais je
+n'irai pas plus loin avant d'avoir reu des nouvelles d'Angleterre. En
+attendant je compte sur des rentres toutes les fois que les occasions
+de m'en faire parvenir se prsenteront; et je passerai l't au milieu
+de mes amis, les Grecs de la More.
+
+Alors il ajoute avec cette bienveillante sollicitude dont il ne
+s'cartait jamais envers les domestiques qu'il prfrait: Prenez soin,
+je vous prie, de mon jeune Robert et du vieux Murray. Il est heureux
+qu'ils s'en soient retourns; ni la jeunesse de l'un ni les annes de
+l'autre n'auraient pu s'accommoder aux changemens de climat et la
+fatigue du voyage.
+
+
+
+
+LETTRE XLIV.
+
+ M. HENRY DRURY.
+
+Constantinople, 17 juin 1810.
+
+
+Quoique ma dernire lettre soit d'une date bien rcente, je reviens
+la charge pour vous fliciter de la naissance de votre enfant; une
+lettre d'Hodgson m'a inform de cet vnement dont je me rjouis avec
+vous.
+
+Je suis peine de retour d'une expdition, par le Bosphore, la mer
+Noire et aux Symplegades Cyanennes. J'ai gravi jusqu' la cime de ces
+dernires en m'exposant autant de dangers qu'en aient jamais brav les
+Argonautes dans leur lougre. Vous rappelez-vous le commencement des
+lamentations de la nourrice dans Mde? je vous en adresse la traduction
+que j'ai faite au somme de ces montagnes:
+
+Oh! plt au ciel qu'un bon embargo et retenu le navire _Argo_ dans le
+port, et qu'en restant toujours dans les chantiers de Grce il n'et
+jamais dpass les roches d'Azur! mais, hlas! je crains que son voyage
+ne soit la cause de quelque mchef pour ma chre miss Mde[132].
+
+ [Note 132:
+
+ Oh! how I wish that an embargo
+ Had kept in port the good ship _Argo_
+ Who, still unlaunch'd from Grecian docks
+ Had never pass'd the Azure rocks!
+ But now I fear her trip will be a
+ Damn'd business for my miss Medea, etc.]
+
+Peu s'en est fallu qu'il n'en ft ainsi pour moi.
+
+Car si je n'avais pas eu ce sublime passage dans la tte, je n'aurais
+jamais song grimper sur les susdites roches, o j'ai failli me rompre
+les os pour le plus grand honneur de l'antiquit.
+
+Ainsi donc je me suis assis sur les Cyanes, j'ai nag de Sestos
+Abydos (comme je vous l'ai pompeusement annonc dans ma dernire), et
+aprs avoir de nouveau travers la More, je m'embarquerai pour
+Sainte-Maure, et j'irai faire le saut de Leucade. Si je survis cette
+preuve, je vous rejoindrai probablement en Angleterre. H..., qui vous
+remettra cette lettre, s'y rend en droite ligne; et comme ses voyages
+lui sortent par tous les pores, je n'anticiperai pas sur ses rcits:
+seulement je vous prie de ne pas croire un mot de tout ce qu'il vous
+dira, mais de me rserver votre attention si vous avez quelque dsir
+d'apprendre la vrit.
+
+Je vais retourner Athnes, et de l passer en More; mais la dure de
+mon sjour dpend tellement de mon caprice que je n'ai rien de probable
+ vous en dire. Mon absence date dj d'un an; elle peut se prolonger
+d'un autre, mais je suis comme du vif-argent, et je ne peux rien
+affirmer. Nous sommes tous en ce moment fort occups ne rien faire.
+Nous avons tout vu, except les mosques que nous devons visiter mardi
+prochain au moyen d'un firman. H... pourra vous les dcrire ainsi que
+divers autres objets curieux, condition que c'est _moi_ qu'on
+s'adressera pour constater sa vracit, et je me rserve de contredire
+tous les dtails auxquels il attache le plus d'importance. Mais s'il se
+lance parfois dans le bel esprit, je vous permets de l'applaudir, parce
+qu'il en aura ncessairement drob les traits les plus brillans son
+compagnon de plerinage. Dites Davies que ses meilleures plaisanteries
+ont t fort heureusement reproduites par H... sur plus d'un vaisseau de
+Sa Majest; mais ajoutez aussi que j'ai toujours soin de les rtablir au
+nom du lgitime possesseur; d'o il suit que lui, Davies, n'est pas
+moins clbre sur mer que sur terre, et rgne sans rivaux aussi bien
+dans la cabine qu' la taverne du _cocotier_.
+
+Ainsi donc Hodgson a publi de nouvelles posies. Je dsirerais qu'il
+pt m'envoyer son _Sir Edgar_ et l'_Anthologie de Bland_, Malte, d'o
+on me les ferait parvenir. Dans ma dernire; que vous avez reue,
+j'espre, je traais l'esquisse du terrain que nous avons parcouru. Si
+cette dpche ne vous est pas parvenue, la langue d'H... est bien
+votre service. Rappelez-moi au souvenir de Dwyer, qui me doit onze
+guines. Dites-lui de les faire remettre mon banquier Gibraltar ou
+Constantinople. Il me les a, je crois, dj payes une fois; mais cela
+ne fait rien l'affaire, attendu que c'tait une rente annuelle.
+
+Tchez, je vous prie, de m'crire. J'ai frquemment reu des nouvelles
+d'Hodgson. Malte est mon bureau de poste. Je compte vous revoir vers la
+prochaine runion de Montem[133]; vous vous souvenez srement de celle
+de l'an dernier; j'espre qu'il en sera de mme cette anne; mais aprs
+avoir travers _le vaste Hellespont_, je fais _fi_ de Datchett[134]. Bon
+soir. Je suis bien sincrement, etc.
+
+BYRON.
+
+ [Note 133: Runion annuelle des lves du collge
+ d'Eton-Montem, suivie d'une collecte dont le produit est
+ destin placer l'universit de Cambridge ou d'Oxford le
+ sujet le plus distingu d'entre eux.]
+
+ [Note 134: Allusion une circonstance o il traversa la
+ Tamise la nage, avec M. Drury, aprs le Montem, afin de
+ savoir combien de fois ils pourraient la traverser et la
+ retraverser sans toucher terre. Dans cette lutte, qui eut
+ lieu le soir, aprs souper, et lorsque tous deux taient
+ chauffs par le vin, Lord Byron eut l'avantage.]
+
+Environ dix jours aprs la date de cette lettre, nous en trouvons une
+autre adresse Mrs. Byron, laquelle, au milieu de plusieurs
+rptitions de faits dj dtaills dans sa correspondance prcdente,
+contient aussi un bon nombre de passages qui mritent d'en tre
+extraits.
+
+
+
+
+LETTRE XLV.
+
+ MRS. BYRON.
+
+
+CHRE MRE,
+
+M. Hobhouse, qui vous fera parvenir ou vous remettra cette lettre, et
+qui part pour retourner en Angleterre, pourra vous mettre au courant de
+nos divers changement de rsidence; quant moi, je suis fort incertain
+sur l'poque de mon retour. Il ira probablement dans le Nottingham un
+jour ou l'autre; mais Fletcher, que je renvoie parce qu'il m'embarrasse
+(les domestiques anglais sont de tristes voyageurs), Fletcher le
+remplacera par _interim_, et vous racontera nos voyages qui ont embrass
+passablement d'espace...........................................
+
+Je me rappelle que Mahmoud-Pacha, petit-fils d'Ali, pacha de Yanina
+(petit gaillard de dix ans, qui avait de grands yeux noirs, que nos
+dames paieraient bien cher, et ces traits rguliers qui distinguent la
+race turque), me demanda comment il se faisait que je me fusse mis
+voyager si jeune, et sans avoir personne pour prendre soin de moi. Le
+petit bonhomme m'adressa cette question avec toute la gravit d'un homme
+de soixante ans.
+
+Je ne peux pas aujourd'hui vous crire bien longuement; je n'ai que le
+tems de vous dire que j'ai prouv bien des fatigues, mais jamais un
+moment d'ennui. La seule chose que je redoute, c'est de contracter le
+got d'une vie errante, la bohmienne, qui me rendra mon foyer
+insupportable. C'est, me dit-on, ce qui arrive fort souvent aux gens qui
+ont pris l'habitude des voyages; et, dans le fait, je commence m'en
+apercevoir. Le 3 mai, j'ai pass la nage de Sestos Abydos. Vous
+connaissez l'histoire de Landre; mais moi, je n'avais pas de Hro pour
+me recevoir sur la rive..........................
+
+J'ai visit, en vertu d'un firman, toutes les principales mosques. Il
+est rare qu'on accorde cette faveur des infidles; mais le dpart de
+l'ambassadeur nous l'a fait obtenir. J'ai remont par le Bosphore jusque
+dans la mer Noire, en faisant le tour des murs de la ville; et en
+vrit, j'en connais mieux l'aspect que celui de Londres. J'espre que,
+par quelque soire d'hiver, je vous amuserai en vous en faisant la
+description; pour le moment, je vous prie de m'excuser si je m'en
+dispense. Je ne puis crire de longues lettres en juin. Je retourne
+passer l't en Grce............................................
+
+C'est une pauvre crature que Fletcher; il lui faudrait mille
+commodits dont je sais fort bien me passer. Il est furieusement las de
+ses voyages, et vous ferez bien de ne pas trop croire ce qu'il vous
+racontera de ce pays-ci. Il soupire aprs la bire, et l'oisivet, et sa
+femme, et le diable sait quoi en outre. Pour mon compte, je n'ai prouv
+ni _dsappointement_ ni dgot. J'ai vcu avec des hommes du plus haut
+comme du plus bas rang; j'ai pass des journes dans le palais d'un
+pacha, et plus d'une nuit dans une table; partout j'ai trouv un peuple
+inoffensif et bienveillant. J'ai pass aussi quelque tems avec les Grecs
+les plus distingus de la More et de la Livadie; et quoiqu'ils ne
+vaillent pas les Turcs, j'en fais plus de cas que des Espagnols, qui,
+leur tour, l'emportent sur les Portugais.
+
+Vous trouverez dans les voyageurs mainte description de Constantinople;
+mais lady Wortley-Montague est tombe dans une trange erreur, quand
+elle a dit que Saint-Paul ferait une singulire figure cot de
+Sainte-Sophie. J'ai vu ces deux difices, et j'en ai examin avec
+beaucoup d'attention l'intrieur et l'extrieur. Sainte-Sophie, sans
+aucun doute, est le plus intressant des deux, et par son immense
+antiquit, et parce que tous les empereurs grecs depuis Justinien y ont
+t couronns, que plusieurs y ont t assassins sur les marches mmes
+de l'autel, et aussi parce que les sultans turcs s'y rendent
+rgulirement. Mais elle n'est ni aussi belle ni aussi grande que
+quelques autres mosques, telles que celle de Soleyman, etc., et on ne
+peut la mettre en parallle avec Saint Paul (j'en parle peut-tre comme
+un cockney[135]). Nanmoins je prfre la cathdrale gothique de
+Sville, Saint-Paul, Sainte-Sophie et tous les difices religieux
+que j'aie jamais vus.
+
+ [Note 135: Sorte de sobriquet par lequel on dsigne, en
+ Angleterre, les natifs de Londres.]
+
+Les murs du srail ressemblent ceux des jardins de Newstead, un peu
+plus levs cependant, et peu prs dans le mme tat de conservation.
+Mais la promenade en longeant les murs de la ville du ct de la terre,
+est d'une beaut remarquable. Figurez-vous quatre milles d'un triple
+rang d'immenses crneaux tapisss de lierre, surmonts de deux cent
+dix-huit tours, et de l'autre ct de la route, les spultures turques
+(qui sont les lieux les plus charmans de la terre) ombrages par
+d'normes cyprs.
+
+J'ai contempl les ruines d'Athnes, d'phse et de Delphes; j'ai
+travers une grande partie de la Turquie, plusieurs autres contres de
+l'Europe et quelques-unes de l'Asie; mais nul ouvrage de la nature ou de
+l'art ne produisit jamais sur moi autant d'impression que le point de
+vue qui se dveloppe de chaque ct des Sept Tours jusqu' l'extrmit
+de la Corne d'Or.
+
+Parlons maintenant de l'Angleterre. J'apprends avec plaisir le succs
+des _Bardes anglais_, etc. Vous n'avez pu manquer d'observer les
+nombreuses additions que j'ai faites l'dition nouvelle.
+
+Avez-vous reu mon portrait par Sanders, peintre Londres, Vigo-Lane?
+Il tait termin et pay long-tems avant mon dpart. Il me semble que
+vous aimez prodigieusement la lecture des _Magazines_; o dterrez-vous
+tant de nouvelles, de citations, etc.? Quoique je me trouve heureux
+d'avoir pu prendre mon rang la Chambre sans le secours de lord
+Carlisle, je n'avais pas de mnagemens garder envers un homme qui a
+refus, dans cette circonstance, d'intervenir comme mon parent; et j'ai
+rompu sans retour avec lui, quoique je regrette d'affliger Mrs. Leigh.
+Pauvre femme! j'espre qu'elle est heureuse.
+
+Mon avis est que M. B... doit pouser miss R... Notre premier devoir
+est de ne pas faire le mal; mais, hlas! cela n'est pas possible: le
+second est de le rparer, si nous en avons le pouvoir. Cette jeune fille
+est son gale; si elle ne l'tait pas, une somme d'argent et l'entretien
+assur l'enfant feraient une sorte de compensation, quoique bien
+insuffisante; mais dans l'tat des choses, son devoir est de l'pouser.
+Je ne veux pas de galans sducteurs sur mes domaines, et je n'accorderai
+pas mes fermiers un privilge dont je m'abstiens moi-mme, celui de
+dbaucher les filles des uns et des autres. J'ai, Dieu le sait, bien des
+excs me reprocher; mais comme j'ai pris la rsolution de me rformer,
+et que je ne m'en suis pas cart depuis quelque tems, je compte que ce
+Lothario suivra mon exemple, et commencera par rendre la jeune personne
+ la socit; sinon, par la barbe de mon pre! je jure qu'il s'en
+repentira.
+
+Je vous prie de vous intresser Robert, qui mon absence sera bien
+pnible. Le pauvre garon! c'est bien malgr lui qu'il s'en est
+retourn.
+
+J'espre que vous tes bien portante et heureuse. J'aurai grand plaisir
+ recevoir de vos nouvelles.
+
+Croyez-moi bien sincrement, etc.
+
+BYRON.
+
+_P. S._ Comment se porte Joe Murray? Je rouvre ma lettre pour vous dire
+que Fletcher m'ayant demand de m'accompagner en More, je l'emmne avec
+moi, quoique je vous aie annonc le contraire.
+
+Le lecteur n'aura pas manqu, je l'espre, de remarquer la fin de cette
+lettre. L'nergie des sentimens moraux qui y sont exprims si
+naturellement, semble le sr garant d'un coeur dont le fond tait pur,
+quoique les passions en eussent terni la surface. Quelques annes plus
+tard, quand il eut contract l'habitude de cette raillerie amre, dont,
+par malheur, il se plaisait diriger les traits contre sa sensibilit
+et contre celle des autres, je ne sais, quoiqu'il ft encore anim des
+mmes sentimens louables, si la fausse honte de passer pour vouloir se
+faire une rputation de vertu, n'en aurait pas arrt la franche et
+honnte manifestation.
+
+L'extrait suivant, tir d'une communication adresse un recueil
+mensuel trs-estim, par un voyageur qui, cette poque, rencontra Lord
+Byron Constantinople, me parat tre assez authentique pour que je le
+prsente, sans hsiter, mes lecteurs.
+
+Nous fmes interrompus dans notre discussion par l'entre d'un
+tranger, qu'au premier coup-d'oeil je crus reconnatre pour un Anglais,
+mais qui devait n'tre arriv que depuis peu Constantinople. Il tait
+vtu d'un habit carlate, richement brod en or, dans le genre de
+l'uniforme des aides-de-camp en Angleterre, avec deux grosses
+paulettes. Sa figure annonait environ vingt-deux ans. Ses traits,
+d'une dlicatesse remarquable, lui auraient donn une apparence
+fminine, sans l'expression toute virile de ses beaux yeux bleus. En
+entrant dans la boutique intrieure, il ta son chapeau militaire orn
+d'un panache, et dcouvrit une fort de cheveux bruns boucls qui
+relevaient encore la beaut peu commune de son visage. L'ensemble de son
+extrieur me fit une telle impression, qu'elle est toujours depuis
+reste profondment grave dans ma mmoire; et quoique ce soit un
+souvenir de quinze ans, ce laps de tems n'en a pas altr la vivacit.
+Il tait accompagn d'un janissaire attach l'ambassade anglaise et
+d'un homme qui, par tat, servait de _Cicerone_ aux trangers. Ces
+circonstances, jointes ce qu'il boitait trs-visiblement, me
+convainquirent l'instant que c'tait Lord Byron. J'avais dj entendu
+parler de Sa Seigneurie et de son arrive rcente sur la frgate _la
+Salsette_, qui s'tait dtache de la station de Smyrne pour venir
+prendre et emmener M. Adair, notre ambassadeur prs de la Porte. Lord
+Byron avait auparavant voyag en pire et dans l'Asie Mineure avec son
+ami M. Hobhouse, et tait devenu grand fumeur de tabac. Il s'tait fait
+conduire cette boutique dans le dessein d'y acheter quelques pipes.
+L'italien assez mauvais dont il se servait en parlant son cicerone, et
+le turc encore plus imparfait de celui-ci, ne permettaient gure au
+marchand de comprendre facilement ce qu'ils dsiraient; et comme
+l'tranger en paraissait contrari, je lui adressai la parole en
+anglais, et m'offris lui servir d'interprte. Quand il m'eut ainsi
+reconnu pour un Anglais, Lord Byron me serra cordialement la main, et
+m'assura, avec quelque chaleur, du grand plaisir qu'il prouvait
+toujours lorsqu'il rencontrait un compatriote en pays tranger. Ses
+emplettes et les miennes tant termines, nous sortmes ensemble, et
+parcourmes les rues, dans plusieurs desquelles j'eus le plaisir de
+diriger son attention vers quelques-unes des curiosits les plus
+remarquables de Constantinople. Les circonstances particulires qui nous
+avaient amens faire connaissance, firent natre entre nous, ds le
+premier jour, un certain degr d'intimit que trs-probablement deux ou
+trois annes de frquentation n'auraient pas produit en Angleterre. Je
+prononai souvent son nom en lui parlant, mais il ne lui vint pas
+l'esprit de me demander comment j'avais pu l'apprendre, ni de s'informer
+du mien. Il n'avait pas encore jet les fondemens de cette clbrit
+littraire qu'il a acquise dans la suite; on ne le connaissait, au
+contraire, que comme auteur des _Heures d'oisivet_; et la svrit avec
+laquelle les rdacteurs de _la Revue d'dimbourg_ avaient critiqu cette
+production, tait encore prsente au souvenir de tout lecteur anglais.
+On ne pouvait donc pas supposer qu'en recherchant sa connaissance je
+fusse pouss par aucun de ces motifs de vanit auxquels tant d'autres
+ont cd depuis. Mais il tait tout naturel qu'aprs notre rencontre
+fortuite et tout ce qui s'tait pass entre nous cette occasion, je
+priasse l'un des secrtaires de l'ambassade de me prsenter lui dans
+les formes, un jour de la mme semaine, que nous dnions ensemble chez
+l'ambassadeur. Sa Seigneurie assura qu'elle se souvenait parfaitement de
+moi; mais ce fut avec une extrme froideur, et immdiatement aprs elle
+me tourna le dos. Ce procd sans crmonie qui contrastait d'une
+manire si prononce avec les circonstances prcdentes, me parut si
+trange qu'il me fut impossible de me l'expliquer, et que je me sentis
+en mme tems fort dispos beaucoup rabattre de l'opinion favorable que
+son apparente franchise m'avait fait concevoir notre premire
+entrevue. Ce ne fut donc pas sans surprise que, quelques jours aprs, je
+le vis dans la rue s'avancer vers moi avec un sourire plein de
+bienveillance. Il m'aborda familirement, et me dit en me tendant la
+main: Je suis ennemi dclar de l'tiquette anglaise, surtout hors
+d'Angleterre; et quand je fais une nouvelle connaissance, c'est sans
+attendre les formalits d'une prsentation. Si vous n'avez rien faire,
+et que vous soyez dispos une autre promenade, votre socit me fera
+beaucoup de plaisir. Il mit dans sa manire d'agir cette irrsistible
+attraction dont ceux qui ont eu le bonheur d'tre admis dans son
+intimit ont pu seuls prouver la puissance dans ses momens de bonne
+humeur, et j'acceptai avec empressement sa proposition. Nous visitmes
+de nouveau les curiosits les plus remarquables de la capitale, que je
+ne dcrirai point ici pour ne pas rpter les dtails pleins
+d'exactitude et de prcision que des centaines de voyageurs en ont dj
+donns; mais Sa Seigneurie se trouva fort _dsappointe_ par le peu
+d'intrt qu'elles prsentaient. Il loua les beauts pittoresques de la
+ville et des paysages qui l'environnent, et me parut d'avis que, cela
+except, rien n'tait digne d'attirer l'attention d'un observateur. Il
+parla des Turcs de manire faire supposer qu'il avait fait un long
+sjour parmi eux, et termina ses rflexions par ces mots: Les Grecs,
+tt ou tard, s'insurgeront contre eux; mais s'ils ne se htent pas,
+j'espre que Bonaparte viendra chasser cette inutile canaille[136].
+
+ [Note 136: _New Monthly Magazine_.]
+
+Pendant sa rsidence Constantinople, le ministre d'Angleterre, M.
+Adair, se trouvant presque toujours indispos, ne le vit que
+trs-rarement. Il le pressa cependant avec instance de venir loger au
+palais de l'ambassade; mais Lord Byron, qui prfrait la libert dont il
+jouissait dans une simple htellerie, refusa ses offres hospitalires.
+
+Lors de l'audience de cong accorde l'ambassadeur par le sultan, le
+noble pote, pour y assister, se mla au cortge de M. Adair, non sans
+avoir tmoign, relativement la place qu'il occuperait dans la marche,
+une anxit bien caractristique de sa jalouse susceptibilit toutes les
+fois qu'il s'agissait de son rang. En vain l'ambassadeur l'assura-t-il
+qu'on ne pouvait pas lui assigner une place particulire; que les Turcs,
+dans leurs dispositions relatives au crmonial, ne tenaient compte que
+des personnes attaches l'ambassade, et qu'ils ngligeaient ou
+ignoraient les distinctions de prsance accordes chez nous la
+noblesse. Enfin voyant que le jeune pair ne se laissait pas convaincre
+par ces raisons, M. Adair fut oblig d'en appeler une autorit qui
+passait pour infaillible en matire d'tiquette; c'tait le vieux
+internonce d'Autriche. Lord Byron l'ayant consult sur ce point, et le
+trouvant entirement d'accord avec le ministre d'Angleterre, dclara
+qu'il tait parfaitement satisfait.
+
+Le 14 juillet, son compagnon de voyage et lui partirent de
+Constantinople, bord de la frgate _la Salsette_; M. Hobhouse dans le
+dessein d'accompagner l'ambassadeur en Angleterre, et Lord Byron pour
+visiter de nouveau sa chre Grce. M. Adair crut remarquer cette
+poque qu'il tait plong dans un profond abattement d'esprit, et je
+trouve que M. Bruce, qui le rencontra plus tard Athnes, en porta le
+mme jugement. On m'a racont, comme ayant eu lieu pendant cette
+traverse, une circonstance fort remarquable. En se promenant sur le
+pont, il aperut un petit yataghan ou poignard turc, qu'on avait laiss
+sur un banc. Il le prit, le tira du fourreau, et aprs en avoir quelques
+instans examin la lame, on l'entendit qui disait demi-voix:
+J'aimerais savoir ce que ressent un homme aprs avoir commis un
+meurtre! On peut, je crois, dans ce surprenant propos, dcouvrir le
+germe de ses pomes futurs du _Giaour_ et de _Lara_. C'est cet ardent
+dsir de soumettre l'examen les oprations mystrieuses des passions,
+qui, second par son imagination, lui en donna enfin le pouvoir; et
+peut-tre trouverait-on que les motions qui produisirent ces paroles
+n'taient que la premire manifestation de cette facult qui lui valut
+plus tard, juste titre, le surnom de _Scrutateur des abymes du
+coeur_[137].
+
+ [Note 137: _Searcher of dark bosoms_.]
+
+En approchant de l'le de Za, il demanda tre mis terre. En
+consquence, aprs qu'il eut fait ses adieux son ami, on le dbarqua
+sur cette petite le avec ses deux Albanais, un Tartare et un domestique
+anglais. Il a dcrit lui-mme dans un de ses manuscrits, les sentimens
+de fiert solitaire avec lesquels, debout sur le rivage, il regarda le
+vaisseau s'loigner pleines voiles, le laissant seul sur une terre
+trangre.
+
+Quelques jours aprs, il adressa d'Athnes la lettre suivante Mrs.
+Byron:
+
+
+
+
+LETTRE XLVI.
+
+ MRS. BYRON.
+
+Athnes, 15 juillet 1810.
+
+
+CHRE MRE,
+
+Je suis arriv de Constantinople ici en quatre jours, ce que l'on
+considre comme une traverse extrmement rapide, surtout dans cette
+saison de l'anne. Vous autres habitans du nord, vous ne pouvez pas vous
+faire une ide de ce que c'est que l't en Grce; et pourtant un vrai
+tems de gele en comparaison des ts de Malte et de Gibraltar, sous les
+ombrages desquels je me suis repos l'anne dernire, aprs un petit
+mouvement de galop de quatre cents milles, sans interruption, travers
+l'Espagne et le Portugal. La date de ma lettre vous apprend que je suis
+de nouveau Athnes, ville que je prfre, tout bien considr,
+toutes celles que je connais....
+
+Pour premire excursion, je pars demain pour la More, o je compte
+passer un mois ou deux, puis revenir prendre ici mes quartiers d'hiver,
+ moins que je ne change mes plans, la vrit, fort variables, comme
+vous pouvez bien le supposer, mais dont aucun ne me dirige vers
+l'Angleterre.
+
+Le marquis de Sligo, mon ancien camarade de collge, est ici, et dsire
+m'accompagner en More. Ainsi nous partirons ensemble. Lord Sligo
+continuera ensuite sa route vers la capitale, et Lord Byron, aprs avoir
+examin toutes les curiosits de ce canton, vous instruira de ce qu'il
+se propose de faire, car c'est un point sur lequel ses ides ne sont
+pas, pour le moment, parfaitement arrtes. Malte est mon bureau de
+poste perptuel; c'est de l que mes lettres sont diriges vers tous les
+points de la terre habitable: remarquez en passant que j'ai dj vu
+l'Asie, l'Afrique, le levant de l'Europe, et tir le meilleur parti de
+mon tems, sans avoir pour cela examin trop la hte les lieux les plus
+intressans de l'ancien monde. F..., aprs avoir t grill, rti, cuit
+dans son jus; aprs avoir servi de pture toutes sortes d'insectes
+rampans, commence philosopher; il se rforme et se rsigne, et promet
+d'tre son retour un des ornemens de sa paroisse et un personnage fort
+saillant dans la gnalogie des Fl.... qui tiennent, mon avis, des
+Goths par leurs talens, des Grecs par leur pntration, et des anciens
+Saxons par leur norme apptit. Il me demande la permission d'envoyer
+une demi-douzaine de soupirs Sally, son pouse, et s'merveille, mais
+non pas moi, de ce que ses lettres, d'une criture et d'une orthographe
+dtestables, ne sont jamais parvenues en Angleterre. Au demeurant, ce
+n'est pas une grande perte que celle de ses lettres ou des miennes qui
+n'ont gure d'autre mrite que de vous apprendre, comme celle-ci, que
+nous nous portons bien, et chaudement, Dieu sait! Ne comptez pas, en
+cette saison, sur de longues lettres; car elles sont, je vous assure,
+crites la sueur de mon front. Il est passablement singulier que M.
+H.... ne m'ait pas adress une syllabe depuis mon dpart. Comme toutes
+vos lettres me sont parvenues ainsi que beaucoup d'autres, je conjecture
+que l'homme de loi est fch ou qu'il a trop d'affaires.
+
+J'espre que vous vous plaisez Newstead, et que vous vivez en bonne
+intelligence avec vos voisins, quoique vous soyez un vrai dragon, comme
+vous savez; ne voil-t-il pas une pithte bien respectueuse? Je vous
+prie d'avoir grand soin de mes livres, ainsi que de plusieurs botes
+remplies de papiers qui sont entre les mains de Joseph; et, s'il vous
+plat, laissez-moi quelques bouteilles de champagne boire, car je suis
+terriblement altr. Je n'insiste pourtant sur ce dernier point
+qu'autant qu'il vous arrangera. Je suppose que vous avez une pleine
+maison de commres bien bavardes et bien mdisantes. Avez-vous reu mon
+portrait l'huile par Sanders, de Londres? Il est pay depuis seize
+mois, pourquoi ne vous le faites-vous pas remettre? Ma suite, compose
+de deux Turcs, deux Grecs, un Luthrien et de l'quivoque Fletcher, fait
+un tel vacarme que je suis bien aise de finir en vous assurant que je
+suis, etc.
+
+BYRON.
+
+Un jour ou deux aprs la date de cette lettre, il partit d'Athnes avec
+le marquis de Sligo. Aprs avoir voyag de compagnie jusqu' Corinthe,
+ils prirent chacun une direction diffrente; lord Sligo pour visiter la
+capitale de la More, et Lord Byron pour se rendre Patras, o il
+avait, comme on le verra dans la lettre suivante, quelques affaires
+rgler avec le consul anglais, M. Stran.
+
+
+
+
+LETTRE XLVII.
+
+A MRS. BYRON.
+
+Patras, 30 juillet 1810.
+
+
+CHRE MADAME,
+
+En quatre jours, avec un vent favorable, la frgate m'a transport de
+Constantinople l'le de Cos, o j'ai pris un bateau pour me rendre
+Athnes. J'ai rencontr dans cette ville mon ami le marquis de Sligo qui
+m'a tmoign le dsir de voyager avec moi jusqu' Corinthe. L, nous
+nous sommes spars, lui pour aller Tripolitza, et moi pour me rendre
+ Patras, o j'avais quelques affaires rgler avec le consul M.
+Stran, de la maison duquel je vous cris. Il m'a rendu tous les
+services possibles depuis que j'ai quitt Malte pour me rendre
+Constantinople, d'o je vous ai crit deux ou trois fois. J'irai dans
+quelques jours faire une visite au pacha de Tripolitza, puis je ferai le
+tour de la More, et je retournerai Athnes, o j'ai fix mon
+quartier-gnral. Nous prouvons ici de violentes chaleurs. En
+Angleterre, quand le thermomtre s'lve 98 degrs[138], vous tes
+tout en feu; l'autre jour, tandis que j'allais d'Athnes Mgare, il
+marquait 125 degrs: cependant je n'en suis pas incommod. J'ai, comme
+cela doit tre, le teint fort bruni; mais je vis avec une grande
+temprance, et je ne me suis jamais mieux port.
+
+ [Note 138: De Fahrenheit.]
+
+Avant de quitter Constantinople, j'ai vu le sultan (avec M. Adair) et
+l'intrieur des mosques, ce qui n'arrive que bien rarement aux
+voyageurs. M. Hobhouse est parti pour l'Angleterre; quant moi, je ne
+me sens pas press d'en faire autant. Je n'ai rien de particulier
+faire savoir dans votre pays, si ce n'est l'extrme surprise que me
+cause le silence de M. H... Je dsire aussi qu'il m'adresse
+rgulirement des fonds. Je suppose qu'on a pris des arrangemens en ce
+qui regarde Wymondham et Rochdale. Adressez vos lettres Malte ou M.
+Stran, consul-gnral, Patras, More. Vous vous plaignez de mon
+silence; mais je vous ai crit vingt ou trente fois dans le courant de
+l'anne dernire: jamais moins de deux fois par mois, et souvent
+davantage. Si mes lettres ne vous parviennent pas, il ne faut pas
+conclure qu'on nous a dvors, ou que ce pays-ci est dsol par la
+guerre, la peste ou la famine: ne croyez pas non plus tous les bruits
+absurdes qui ne manquent srement pas de circuler dans le
+Nottinghamshire comme c'est l'usage. Je suis fort bien ici, ni plus ni
+moins heureux qu' mon ordinaire; si ce n'est que je suis fort aise de
+me retrouver seul, car je commenais me lasser de mon compagnon de
+voyage; non pas que j'eusse m'en plaindre, mais parce que je suis
+naturellement port vers la solitude, et que cette disposition prend de
+jour en jour plus de force. Si je le dsirais, je ne manquerais pas de
+compagnons de voyage, il s'en prsente tous les jours. L'un veut
+m'emmener en gypte, l'autre en Asie, dont j'ai vu tout ce que j'en veux
+voir. Je connais dj la plus grande partie de la Grce, de sorte que je
+me contenterai de retourner aux lieux que j'ai dj parcourus, de
+contempler mes mers et mes montagnes, seules connaissances dont j'aie
+jamais tir quelque utilit.
+
+J'ai une suite fort prsentable; elle se compose d'un Tartare, de deux
+Albanais, d'un interprte et de Fletcher; mais dans ce pays-ci on en est
+quitte peu de frais. Adair m'a fait un accueil merveilleux, et dans le
+fait je n'ai me plaindre de personne. L'hospitalit ici est
+ncessaire, car on n'y voit point d'htelleries. J'ai log chez des
+Grecs, des Turcs, des Italiens, des Anglais; aujourd'hui dans un palais,
+demain dans une table; un jour avec le pacha, le suivant avec le
+berger. Je continuerai vous crire brivement, mais frquemment, et je
+suis toujours heureux d'apprendre de vos nouvelles; mais vous remplissez
+votre papier d'extraits de journaux, comme si ceux d'Angleterre ne se
+trouvaient pas dans tous les lieux du monde. J'en ai une douzaine, en ce
+moment, devant moi. Je vous prie de veiller ce qu'on ait soin de mes
+livres, et de me croire, chre mre, etc.
+
+Il parat qu'il passa la plus grande partie des deux mois suivans
+parcourir la More[139]; et dans plusieurs lettres il parle avec
+beaucoup de satisfaction de la rception trs-distingue que lui fit
+Vli-Pacha, fils d'Ali.
+
+ [Note 139: Dans une note de l'avertissement qui prcde son
+ _Sige de Corinthe_, il dit: Je visitai ces trois villes
+ (Tripolitza, Napoli et Argos) en 1810-11; et durant mes
+ diverses excursions dans le pays, depuis mon arrive en 1809,
+ je traversai l'Isthme huit fois en passant de l'Attique en
+ More, par les montagnes, ou dans l'autre direction, lorsque
+ j'allais du golfe d'Athnes celui de Lpante.]
+
+ son retour Patras, il fut saisi d'une maladie, dont il raconte les
+particularits dans la lettre suivante adresse M. Hodgson; elles
+sont, beaucoup d'gards, si conformes celles de la maladie fatale
+qui l'enleva, quatorze ans plus tard, presque aux mmes lieux, que,
+malgr la gat du rcit, il est difficile de le lire sans tre
+douloureusement affect.
+
+
+
+
+LETTRE XLVIII.
+
+ M. HODGSON.
+
+Patras (More), 3 octobre 1810.
+
+
+Comme je suis peine dlivr du mdecin et de la fivre, qui m'ont
+retenu cinq jours au lit, je vous prie de ne pas compter sur beaucoup
+d'_allegrezza_ dans cette lettre. Il rgne ici une maladie endmique
+qui, lorsque le vent vient du golfe de Corinthe (comme il arrive cinq
+mois sur six), attaque grands et petits, et fait de terribles ravages
+parmi les voyageurs trangers. Il y a, de plus, deux mdecins, dont l'un
+est plein de confiance dans son gnie naturel, car il n'a jamais tudi,
+et dont l'autre a pour tous titres une campagne de dix-huit mois contre
+les malades d'Otrante, qu'il a faite dans sa jeunesse avec de grands
+rsultats.
+
+Lorsque je tombai malade, je protestai contre les tentatives de _ces_
+deux assassins; mais que peut faire pour sa dfense un pauvre diable
+affaibli, dvor par la fivre, et inond de potions. Malgr moi et mes
+dents, je vis le consul anglais, mon Tartare, mes Albanais, mon
+interprte se runir pour me livrer au mdecin, l'aide duquel ils
+m'ont, trois jours durant, mtis et clystris jusqu' ne me laisser
+que le souffle. C'est dans cet tat que j'ai fait mon pitaphe. Tenez,
+la voici:
+
+La jeunesse, la nature et la piti des dieux combattirent long-tems
+pour tenir ma lampe allume; mais le redoutable Romanelli triompha de
+leurs efforts, et son souffle en teignit la flamme tremblante[140].
+
+ [Note 140:
+
+ Youth, nature, and relenting jove,
+ To keep my lamp _in_ strongly strove;
+ But Romanelli was so stout,
+ He beat all three, and blew it _out_.]
+
+Cependant la nature et les dieux, piqus de mon peu de foi dans leur
+pouvoir, ont la fin triomph tout de bon de Romanelli, et je vis
+encore, bien votre service, quoique ma faiblesse soit extrme.
+
+Depuis que j'ai quitt Constantinople, j'ai parcouru la More et visit
+Vli-Pacha, qui m'a rendu de grands honneurs, et donn un fort joli
+talon. H*** est srement en Angleterre l'heure o je vous cris; je
+l'ai charg d'une dpche pour votre potique individu. Il m'crit de
+Malte, et me demande mon journal, en cas que j'en tienne un. Si j'en
+faisais un, il l'aurait. Je lui ai adress en rponse une ptre de
+consolations et d'exhortations, o je le prie de rduire de trois schl.
+et six pences le prix de sa prochaine publication, vu qu'une demi-guine
+est un trop haut prix pour toute autre chose qu'un billet d'Opra.
+
+Quant l'Angleterre, je n'en ai pas eu de nouvelles depuis bien
+long-tems. Toutes les personnes qui prennent quelque intrt ce qui me
+regarde sont, je crois, endormies, et vous tes mon seul correspondant,
+ l'exception des gens d'affaires. Je n'ai rellement pas d'amis au
+monde, quoique ce monde soit peupl de mes anciens condisciples, qui s'y
+promnent revtus de curieux dguisemens, en officiers des gardes, en
+hommes de loi, en ecclsiastiques, en hommes la mode, et autres habits
+de caractres; aussi fais-je mes adieux tous ces messieurs si
+affairs, dont pas un ne daigne m'crire. Au fait, je ne les en ai pas
+pris; et me voil ici, pauvre voyageur et philosophe un peu paen, qui,
+aprs avoir parcouru la plus grande partie du Levant et vu force terres
+et mers, dont on pourrait tirer fort bon parti, ne vaux, aprs tout,
+gure mieux qu'avant de me mettre en route. Que Dieu me soit en aide!
+
+Il y a aujourd'hui mme quinze mois que je suis parti, et je pense que
+mes intrts me rappelleront bientt en Angleterre; mais je vous en
+donnerai rgulirement avis de Malte. Hobhouse vous donnera tous les
+renseignemens possibles, si vous tes curieux de connatre nos
+aventures. J'ai lu quelques vieilles gazettes anglaises qui vont
+jusqu'au 15 mai. J'y vois l'annonce de la _Dame du Lac_. Il va sans dire
+que l'auteur ne s'est pas dparti de sa manire, qui rappelle l'ancienne
+ballade, et que le pome est bon. Tout balanc, Scott n'a pas de rivaux;
+le but de tout griffonnage est d'amuser, et certainement il y russit.
+Je brle de lire son nouvel ouvrage.
+
+Et que deviennent _sir Edgard_ et votre ami Bland? Je suppose que vous
+tes engag dans quelque chicane littraire. Le seul parti prendre,
+c'est de regarder du haut en bas tous les confrres de l'critoire. Je
+suppose bien que vous ne m'accorderez pas le titre d'auteur; mais je
+vous ddaigne tous, coquins que vous tes! comptez l-dessus.
+
+Vous ne connaissez pas D...s, n'est-ce pas? Il avait une farce prte
+tre joue quand je partis d'Angleterre, et me pria d'en faire le
+prologue: ce que je lui promis; mais mon dpart fut si prcipit que je
+n'en crivis pas le premier couplet. Je n'ose m'informer de sa pice, de
+peur d'apprendre qu'elle est tombe. Que Dieu me pardonne d'employer un
+tel mot! mais le parterre, mon cher monsieur, le parterre, vous le
+savez, se permet de ces tours-l, en dpit du mrite. C'est une
+circonstance fort curieuse qui me rappelle cette farce. Quand Drury-Lane
+fut brl de fond en comble, accident qui fit perdre Shridan et son
+fils le peu de schellings qui leur restassent, que fait mon ami D...s?
+Avant que l'incendie soit teint, il crit Tom Shridan, directeur du
+combustible tablissement, pour lui demander si cette farce n'a pas
+servi d'aliment aux flammes, avec environ deux mille autres manuscrits
+non jouables qui naturellement furent en grand pril, sinon entirement
+consums. Eh bien! n'est-ce pas l un trait caractristique? Les
+passions de Pope ne sont rien en comparaison. Tandis que le pauvre
+directeur, tout boulevers, dplorait la perte d'un difice qui ne
+valait pas moins de trois cent mille livres sterling, avec quelque vingt
+mille autres que pouvaient avoir cot les chiffons et le clinquant des
+costumes, les lphans de _Barbe bleue_ et le reste, voici venir un
+billet d'un endiabl d'auteur qui le rend responsable de deux actes et
+quelques scnes de sa farce!
+
+Mon cher H..., rappelez Drury que je lui souhaite mille prosprits,
+et priez Scrope Davies de me conserver son amiti. J'appelle de mes voeux
+le jour o je vous reverrai Newstead, et o le champagne gaiera
+encore nos soires: cet espoir me rjouit l'ame. Je n'ai laiss passer
+aucune occasion sans vous crire; j'attends donc des rponses aussi
+rgulires que celles de la Liturgie, et quelque peu plus longues. Comme
+il est impossible un homme dans son bon sens de compter sur d'heureux
+jours, esprons au moins que nous en verrons de joyeux, ce qui y
+ressemble le plus en apparence, quoiqu'il n'en soit rien en ralit.
+
+C'est dans cette attente que je suis, etc.
+
+Faible et fort amaigri par suite de sa maladie Patras, un jour, aprs
+son retour Athnes, debout devant une glace, il dit lord Sligo:
+Comme je suis ple! j'aimerais, je crois, mourir de
+consomption.--Pourquoi de consomption? demanda son ami.--Parce qu'alors,
+rpondit-il, toutes les femmes diraient: Voyez ce pauvre Byron, comme il
+a l'air intressant en mourant!
+
+Dans cette anecdote que, toute frivole qu'elle est, le narrateur citait
+comme une preuve du sentiment que le pote avait de sa propre beaut, on
+peut aussi trouver la trace de son habitude de tout rapporter ce sexe
+qu'il affectait de mpriser, et qui cependant exerait une puissante
+influence sur le cours et la teinte de toutes ses penses.
+
+Il parlait souvent de sa mre lord Sligo avec des sentimens qui
+s'loignaient bien peu de l'aversion. Quelque jour, lui dit-il, je vous
+expliquerai la cause de cette disposition de mon coeur. Peu de tems
+aprs, un jour qu'ils se baignaient ensemble dans le golfe de Lpante,
+il rappela cette promesse, et montrant sa jambe et son pied nus. Voyez,
+s'cria-t-il, c'est ses absurdes faiblesses l'poque de ma naissance
+que je dois cette difformit, et pourtant, d'aussi loin que je puisse me
+souvenir, elle n'a jamais cess de me la reprocher. Mme encore peu de
+jours avant notre dernire sparation, au moment o j'allais quitter
+l'Angleterre, elle pronona contre moi une imprcation dans un de ses
+accs de colre, et souhaita que je pusse devenir aussi difforme
+d'esprit que de corps!
+
+L'expression de sa physionomie et de ses gestes ne peuvent tre bien
+conus que par ceux qui l'ont vu quelquefois dans un pareil tat
+d'excitation.
+
+Habitu manifester sans rserve ses sentimens et ses penses, il ne
+dguisait pas davantage le peu de prix qu'il attachait ces dbris des
+arts antiques, qu'il voyait si ardemment recherchs par tous ses
+classiques compagnons de voyage. Lord Sligo se proposait d'employer
+quelque argent faire faire des fouilles pour chercher des antiquits.
+Lord Byron, en lui offrant de surveiller ces travaux, et de tenir la
+main ce que cet argent ret une destination lgitime, lui dit: Vous
+pouvez tre bien tranquille en vous en rapportant moi, je ne suis pas
+_dilettante_. Tous vos connaisseurs sont des voleurs; mais je fais trop
+peu de cas de ces sortes de choses pour en drober jamais.
+
+Il observa plus svrement encore, pendant ses voyages, le rgime qu'il
+avait adopt pour se faire maigrir, et qu'il avait commenc suivre
+avant de quitter l'Angleterre. Athnes, il prenait, dans ce dessein,
+des bains chauds trois fois la semaine; sa boisson habituelle tait un
+mlange d'eau et de vinaigre, et il mangeait rarement autre chose qu'un
+peu de riz.
+
+Au nombre des personnes qu'il vit le plus cette poque, outre lord
+Sligo, se trouvaient lady Hester Stanhope et M. Bruce; et mme l'un des
+premiers objets qui s'offrirent aux yeux de ces voyageurs distingus, au
+moment o ils approchaient des ctes de l'Attique, fut Lord Byron se
+jouant dans son lment favori au pied des rochers du cap Colonne. Ils
+furent ensuite prsents les uns aux autres par lord Sligo; et ce fut,
+je crois, sa table que, dans le cours de leur premire entrevue, lady
+Hester, avec cette vive loquence qui la rend si remarquable, fit
+chaudement la guerre au pote propos de l'opinion peu favorable
+l'intelligence des femmes, qu'elle lui supposait. Peu dispos, quand
+mme il en et t capable, dfendre une pareille hrsie contre une
+personne qui, par elle-mme, en tait la plus irrsistible rfutation,
+Lord Byron n'eut d'autre ressource contre les argumens de sa belle
+antagoniste, que le silence de l'assentiment. Lady Hester sut
+naturellement gr d'une pareille retenue de la part d'un homme de sa
+condition, et ils se lirent, ds ce moment, de l'amiti la plus
+sincre. En rappelant dans ses _Memoranda_ quelques souvenirs de cette
+poque, aprs avoir racont qu'il fut, Sunium, surpris au bain par une
+socit anglaise, il ajoute: Ce fut le commencement de la plus agrable
+connaissance que j'aie faite en Grce... Puis il continue en protestant
+ M. Bruce, si jamais ces pages tombent sous ses yeux, qu'il se
+souvenait encore avec plaisir des jours qu'ils avaient passs ensemble
+Athnes.
+
+Pendant son sjour en Grce cette poque, nous le voyons former une de
+ces amitis singulires (si l'on peut prononcer ce beau nom en pareille
+circonstance), dont j'ai cit dj deux ou trois exemples en traant
+l'histoire de sa jeunesse, et dont le charme principal ses yeux semble
+avoir consist dans le plaisir d'tre protecteur, et celui de faire
+natre des sentimens de reconnaissance. Un jeune Grec, nomm Nicolo
+Giraud, fils d'une dame veuve, chez laquelle logeait l'artiste Lusieri,
+fut celui qu'il adopta de cette manire, sans doute par suite d'ides
+semblables celles qui avaient inspir ses premiers attachemens pour le
+jeune paysan de Newstead, et pour le jeune chantre de Cambridge. Il
+parat avoir port ce jeune homme un intrt trs-vif, et l'on peut
+dire fraternel; c'est au point que, non-seulement il lui fit accepter,
+en le quittant Malte, une somme considrable, mais encore il lui donna
+dans la suite, comme le lecteur le verra, une preuve plus durable de sa
+gnrosit.
+
+Quoiqu'il ft de tems autre des excursions en Attique et en More, il
+avait fix son quartier-gnral Athnes, o il logeait dans un couvent
+de franciscains; et dans les intervalles d'une tourne l'autre, il
+s'occupait recueillir des matriaux pour ces notes sur la situation de
+la Grce moderne, dont il a fait suivre le second chant de _Childe
+Harold_. Ce fut aussi dans cette retraite qu'il composa, comme pour
+braver le _Genius loci_, ses imitations d'Horace. Cette satire, qui
+retrace d'un bout l'autre des scnes de la vie de Londres, porte pour
+date: Athnes, couvent des Capucines, 12 mars 1811.
+
+Dans le petit nombre de lettres qu'il crivit encore sa mre, je ne
+choisirai que les deux suivantes.
+
+
+
+
+LETTRE XLIX.
+
+ MRS. BYRON.
+
+Athnes, 14 janvier 1811.
+
+
+CHRE MADAME,
+
+Je saisis, suivant mon usage, une occasion d'crire brivement, mais
+frquemment; l'arrive des lettres, dfaut de communications
+rgulires, tant fort incertaine... J'ai dernirement fait plusieurs
+tournes de quelque cent ou deux cents milles en More et dans
+l'Attique, etc. J'ai termin aussi ma grande excursion par la Troade et
+Constantinople, etc., et suis maintenant revenu encore une fois
+Athnes. Je crois vous avoir crit plusieurs fois qu' l'imitation de
+Landre (quoique sans sa dame), j'avais travers l'Hellespont de Sestos
+ Abydos. Fletcher, que j'ai renvoy en Angleterre avec des papiers,
+vous instruira de cette circonstance et de quelques autres. Je n'aurai
+pas, je crois, me plaindre beaucoup de son absence, connaissant
+passablement l'italien et le grec moderne; j'tudie cette dernire
+langue avec un matre, et j'en sais tout ce qu'un homme raisonnable peut
+dsirer pour converser et donner des ordres. En outre, les lamentations
+perptuelles de Fletcher sur la privation de boeuf et de bire, son
+mpris stupide pour tout ce qui est tranger, son incapacit
+insurmontable pour apprendre le moindre mot d'aucune langue, le
+rendaient une charge, suivant l'usage de tous les autres domestiques
+anglais. Je vous assure que l'ennui de parler pour lui, les consolations
+dont il avait besoin (beaucoup plus que moi-mme), les pilaus (mets turc
+compos de riz et de viande) qu'il ne pouvait manger, les vins qu'il ne
+pouvait boire, les lits dans lesquels il ne pouvait dormir, et la longue
+liste des calamits, telles que les faux pas des chevaux, le manque de
+th!!! qui l'assaillaient sans cesse, l'auraient rendu un objet
+continuel de plaisanteries pour les spectateurs et d'embarras pour son
+matre. Aprs tout, l'homme est assez honnte et assez capable dans un
+pays chrtien; mais en Turquie, Dieu me pardonne! mes soldats albanais,
+mes Tartares et mes janissaires travaillaient pour lui et pour nous
+aussi, ainsi que mon ami Hobhouse peut le certifier.
+
+Il est probable que je reviendrai en Angleterre au printems; mais pour
+l'excution de ce projet, il me faut des remises. Mes propres fonds
+m'auraient trs-bien suffi; mais j'ai t oblig d'aider un ami qui me
+paiera, j'en suis certain; et en attendant je n'ai pas le sou.
+Maintenant je ne me soucie pas d'entreprendre un voyage d'hiver, mme
+quand je serais fatigu de voyager; et je suis tellement convaincu des
+avantages que l'on recueille observer l'espce humaine au lieu de lire
+ce que l'on en crit, et des fcheux effets de rester chez soi, en proie
+aux prjugs troits d'un insulaire, que je pense qu'il devrait exister
+parmi nous une loi qui envoyt pour un tems les jeunes gens
+l'tranger, chez le petit nombre d'allis que nos guerres nous ont
+laisss.
+
+Ici je vis et je converse avec des Franais, des Italiens, des
+Allemands, des Danois, des Grecs, des Turcs, des Amricains, etc., etc.,
+etc.; et sans perdre de vue mon pays, je puis juger des manires des
+autres. Quand je reconnais la supriorit de l'Angleterre (sur le compte
+de laquelle, soit dit en passant, nous nous abusons en bien des choses),
+j'en suis satisfait; et lorsque je la trouve infrieure, je m'claire au
+moins sous ce rapport. J'aurais pu continuer un sicle tre enfum
+dans vos villes, ou humer le brouillard dans vos campagnes, sans
+apprendre cette vrit, et sans rien acqurir chez moi de plus utile ou
+de plus agrable. Je ne tiens point de journal, et n'ai point
+l'intention de griffonner mes voyages. J'ai fini avec le mtier
+d'auteur; et si, dans ma dernire production, j'ai prouv aux critiques
+ou au monde que j'tais quelque chose de plus que ce qu'ils supposaient,
+je suis satisfait, et ne hasarderai point _cette rputation_ par un
+futur effort. Il est vrai que j'ai quelques autres productions en
+portefeuille; mais je les laisse pour ceux qui me survivront. Si on les
+juge dignes de la publication, elles serviront terniser ma mmoire,
+lorsque moi-mme j'aurai cess d'avoir un souvenir. J'ai pris ici un
+artiste bavarois qui prend pour moi quelques vues d'Athnes, etc. Cela
+vaudra mieux que du griffonnage, maladie dont j'espre tre guri. mon
+retour, j'espre mener une vie tranquille et retire; mais Dieu sait
+mieux que nous ce qu'il nous faut, et agit en consquence, au moins ce
+que l'on dit. Je n'ai point d'objection faire cela, aprs tout,
+n'ayant pas raison de me plaindre de mon lot. Je suis cependant
+convaincu que les hommes se font eux-mmes plus de mal que le diable ne
+pourrait jamais leur en faire. J'espre que cette lettre vous trouvera
+en bonne sant, et autant heureuse que nous pouvons l'tre. Vous
+apprendrez au moins avec plaisir qu'il en est ainsi pour moi, et que je
+suis jamais votre...
+
+
+
+
+LETTRE L.
+
+ MRS. BYRON.
+
+Athnes, 28 fvrier 1811.
+
+
+CHRE MADAME,
+
+Comme j'ai reu un firman pour l'gypte, etc., je partirai pour ce pays
+dans le courant du printems, et je vous prie de mander M. H... qu'il
+est ncessaire de me faire parvenir des fonds. Au sujet de Newstead, je
+rponds, comme auparavant, non. S'il faut vendre, vendez Rochdale.
+Fletcher sera arriv cette poque avec mes lettres relatives cet
+objet. Je vous dirai d'abord franchement que je n'aime pas les placemens
+de fonds. Si, par quelque circonstance particulire, j'tais amen
+adopter une telle rsolution, j'irais, tout vnement, passer ma vie
+l'tranger: le seul lien qui m'attache l'Angleterre est Newstead; et
+ce lien une fois rompu, ni mon intrt ni mes inclinations ne
+m'appelleraient dans le Nord. La mdiocrit dans votre pays est
+l'opulence en Orient, tant est grande la diffrence qui existe dans la
+valeur montaire et l'abondance des objets ncessaires la vie. Je me
+sens tellement un citoyen du monde, que le pays o je pourrai jouir d'un
+climat dlicieux et de toutes les recherches du luxe, un prix moindre
+que celui de la vie ordinaire de collge en Angleterre, sera toujours
+une patrie pour moi. Telles sont en effet les ctes de l'Archipel. Voici
+donc l'alternative:--Si je garde Newstead, je reviens; si je le vends,
+je reste l'tranger. Je n'ai reu d'autres lettres de vous que celles
+de juin, mais j'ai crit plusieurs fois; et, comme l'ordinaire, je
+continuerai d'aprs le mme plan.
+
+Croyez-moi jamais votre, etc.
+
+BYRON.
+
+_P. S._ Je vous verrai probablement dans le cours de l'automne; mais je
+ne puis rellement, une telle distance, vous dsigner aucun mois en
+particulier.
+
+
+
+
+LETTRE LI.
+
+ M. HODGSON.
+
+ bord de la frgate _la Volage_[141], 29 juin 1811.
+
+ [Note 141: Le voyage d'gypte, que, par la lettre prcdente,
+ il semble avoir projet, fut abandonn, probablement dfaut
+ des fonds qu'il attendait; et, le 3 de juin, il mit la
+ voile de Malte pour l'Angleterre, sur la frgate _la Volage_,
+ ayant, pendant son court sjour Malte, prouv une violente
+ attaque de fivre tierce. D'aprs les lettres mlancoliques
+ qui suivent, on peut se faire une ide des sentimens avec
+ lesquels il revenait dans sa patrie.]
+
+
+Dans huit jours, avec un bon vent, nous serons Portsmouth; et, le 2
+de juillet, se termineront (jour pour jour) deux annes d'un voyage
+duquel je reviens avec aussi peu d'motion qu' mon dpart. Je pense
+pourtant que j'ai eu plus de peine quitter la Grce que l'Angleterre,
+pays que je suis impatient de revoir par la seule raison que je suis las
+d'un si long voyage.
+
+En vrit, mon avenir n'offre rien de trs-agrable. Embarrass dans
+mes affaires particulires, indiffrent au public, solitaire semis avoir
+le dsir de la socit, le corps affaibli par des fivres successives,
+mais l'esprit, je l'espre, non encore abattu, je retourne _au logis_
+sans une esprance, et presque sans un dsir. La premire chose qu'il me
+faudra braver, sera un homme de loi; la seconde un crancier, puis des
+charbonniers, des fermiers, des arpenteurs, et toutes les agrables
+consquences d'un domaine en dsordre et de mines de charbon contestes.
+En un mot, je suis malade et chagrin; et, lorsque j'aurai un peu rpar
+mes irrparables affaires, je dcamperai ou vers l'Espagne pour y
+guerroyer, ou encore une fois vers l'Orient, o je puis au moins avoir
+des cieux sans nuages et un refuge contre les impertinens.
+
+Je compte vous rencontrer ou vous voir la ville ou Newstead, toutes
+les fois que vous pourrez y venir sans vous dranger. Je suppose que,
+comme d'habitude, vous faites de l'amour et de la posie. Ce mari de
+H... Drury ne m'a jamais crit, quoique je lui aie adress plus d'une
+lettre; mais je jurerais que le pauvre homme a de la famille, et que par
+consquent tous ses soins sont concentrs dans son cercle.
+
+Car des enfans causent de nouvelles dpenses, et Dicky est maintenant en
+ge d'aller l'cole.
+
+(WARTON.)
+
+Si vous le voyez, dites-lui que je lui apporte une lettre de Tucker, un
+de ses amis, chirurgien de l'arme, qui m'a soign et est un trs-digne
+homme, quoiqu'il aime trop les mots de son mtier. J'arriverais trop
+tard pour le jour des exercices oratoires, ou je serais probablement
+descendu Harrow......................................................
+.......................................................................
+
+J'ai beaucoup regrett en Grce d'avoir omis d'emporter
+l'_Anthologie_.--Je veux dire celle de Bland et de Mirivale............
+.......................................................................
+
+Qu'est devenu sir Edgar? Et les imitations et les traductions, o en
+sont-elles? Je suppose que vous n'avez pas l'intention d'abandonner si
+aisment le public, mais que vous l'attaquerez avec un in-quarto. Quant
+ moi, je suis excd des fats de la posie et des bavardages, et je
+laisserai tout le domaine Castalien Bufo ou tout autre. Mais vous
+tes un homme sentimental et sensible, et vous rimerez jusqu' la fin du
+chapitre. Quoi qu'il en soit, j'ai crit quelque quatre mille vers d'un
+genre ou d'un autre, sur mes voyages.
+
+Je n'ai pas besoin de vous rpter que je serais heureux de vous voir.
+J'arriverai Londres vers le 8, l'htel de Dorant, rue d'Albemarle,
+et mes affaires m'appelleront quelques jours aprs dans le Nottingham
+suprieur, et de l Rochdale.
+
+Je suis, ici et l, votre, etc.
+
+
+
+
+LETTRE LII.
+
+ MRS. BYRON.
+
+ bord de la frgate _la Volage_, 25 juin 1811.
+
+
+CHRE MRE,
+
+Cette lettre, qui vous sera envoye notre arrive Portsmouth,
+probablement vers le 4 de juillet, a t commence peu prs
+vingt-trois jours aprs notre dpart de Malte. Le 2 de juillet, jour
+pour jour, j'aurai t deux ans absent de l'Angleterre, et j'y reviens
+en grande partie avec les mmes sentimens qui me dominaient mon
+dpart; savoir, l'indiffrence. Mais cette apathie ne s'tend
+certainement pas jusqu' vous, ainsi que je vous le prouverai par tous
+les moyens en mon pouvoir. Vous serez assez bonne pour faire prparer
+mon appartement Newstead; mais que rien ne vous drange, et surtout
+que ce ne soit pas moi. Ne me considrez que comme une visite ordinaire.
+Je dois seulement vous informer que, depuis long-tems, je me suis
+astreint une dite vgtale complte, et que le poisson ni la viande
+n'entrent dans mon rgime. Je compte donc sur une provision considrable
+de pommes de terre, d'herbes et de biscuit. Je ne bois point de vin.
+J'ai avec moi deux domestiques, hommes de moyen ge, et tous deux Grecs.
+Mon intention est de me rendre d'abord Londres pour voir M. H..., et
+de passer de l Newstead, en allant Rochdale. Je n'ai d'autre prire
+ vous faire que celle de ne point oublier mon rgime, qu'il m'est
+trs-ncessaire d'observer. Je suis en bonne sant, comme je l'ai
+gnralement t, l'exception de deux accs de fivre dont je fus
+promptement dbarrass.
+
+Mes projets dpendront tellement des circonstances, que je ne me
+hasarderai point noncer une opinion ce sujet. Mon avenir n'est pas
+flatteur; mais je suppose que nous lutterons toute notre vie, comme nos
+voisins. En vrit, d'aprs les dernires informations de H..., j'ai
+quelque crainte de trouver Newstead dmantel par MM. Brothers, etc.:
+H... semble dtermin me forcer le vendre; mais il sera tromp dans
+son espoir. Je pense que je ne serai pas obsd de visiteurs; mais s'il
+en tait autrement, vous devrez les recevoir, car je suis rsolu ne
+laisser violer ma retraite par personne. Vous savez que je n'ai jamais
+beaucoup aim la socit; je l'aime encore moins qu'auparavant. Je vous
+apporte un schall et une quantit d'essence de roses. Il faudra que
+j'entre tout cela par contrebande, s'il est possible. J'espre trouver
+ma bibliothque en assez bon ordre.
+
+Fletcher est sans doute arriv. Je distrairai le moulin, de la ferme de
+M. B***; son fils est un trop brillant sducteur pour hriter des deux
+objets, et j'y placerai Fletcher, qui m'a servi fidlement, et dont
+l'pouse est une bonne femme. Il est, en outre, ncessaire de temprer
+l'ardeur du jeune M. B***, ou il peuplera la paroisse de btards. En un
+mot, s'il avait sduit une laitire, il aurait pu trouver quelque
+excuse; mais la fille est son gale, et, dans la haute comme dans la
+basse classe, en circonstance semblable, la rparation est de droit;
+mais je n'interviendrai qu'en dmembrant (comme Bonaparte) le royaume de
+M. B***, afin d'en riger une partie en principaut pour le
+feld-marchal Fletcher. J'espre que vous gouvernez d'une main prudente
+mon petit empire et sa triste charge de dette nationale. Pour rompre la
+mtaphore, permettez-moi de me dire votre, etc.
+
+_P. S._ Cette lettre tait crite pour tre envoye de Portsmouth;
+mais, notre arrive, l'escadre a reu l'ordre de se rendre Nore.
+C'est de l que partira ma lettre. Je n'ai point fait cet envoi plus
+tt, parce que j'ai suppos que vous pourriez prouver des inquitudes,
+l'intervalle mentionn dans la lettre tant plus long que celui qui
+devait exister entre notre arrive au port et ma venue Newstead.
+
+
+
+
+LETTRE LIII.
+
+ M. HENRY DRURY.
+
+ bord de la frgate _la Volage_, la hauteur d'Ouessant, 17 juillet
+1811.
+
+
+MON CHER DRURY,
+
+Aprs deux ans et quelques jours d'absence (le 2), j'approche de votre
+patrie. L'extrieur de ma lettre vous indiquera le jour de mon arrive.
+Maintenant nous sommes agrablement retenus, par un calme plat, prs du
+port de Brest. Je n'en ai jamais t si prs depuis que j'ai quitt
+Duck-Puddle. .................................................
+
+Nous sommes partis de Malte depuis trente-quatre jours, et nous avons
+eu une traverse fort ennuyeuse. Vous me verrez ou entendrez parler de
+moi bientt aprs la rception de cette lettre, puisque je dois passer
+par Londres, afin de rparer mes irrparables affaires. De l il me faut
+aller dans le Nottinghamshire, y lever des rentes; ensuite dans le
+Lancashire, y vendre des mines de charbon; et revenir Londres payer
+des dettes; car il semble que je n'aurai jamais ni charbon ni repos que
+je n'aille Rochdale en personne.
+
+Je rapporte quelques marbres pour Hobhouse, pour moi quatre anciens
+crnes athniens[142], tirs de sarcophages, une fiole de cigu
+attique[143], quatre tortues vivantes, un livre (mort dans la
+traverse), deux domestiques grecs, vivans, l'un Athnien, l'autre
+Yaniote, lesquels ne peuvent parler que le romaque ou l'italien, et
+_moi-mme_, comme le dit finement Moses dans le _Vicaire de Wakefield_,
+et je puis le dire son exemple, car j'ai aussi peu de raison de me
+vanter de mon expdition que lui de la sienne la foire.
+
+ [Note 142: Donns par la suite sir Walter Scott.]
+
+ [Note 143: Possde aujourd'hui par M. Murray.]
+
+Je vous crivis des rochers Cyanens, pour vous dire que j'avais
+travers la mer la nage de Sestos Abydos. Avez-vous reu ma
+lettre?... Je suppose qu'Hodgson est, l'heure qu'il est, enfonc dans
+l'tude. Que n'aurait-il pas donn pour avoir vu, comme moi, le
+vritable Parnasse, o je fis tort l'vque de Chrissa d'un livre de
+gographie? Mais je n'appelle cela qu'un plagiat, en ce que cette action
+fut commise une heure de chemin de Delphes.
+
+Maintenant que nous avons ramen le jeune voyageur en Angleterre, il
+peut tre intressant, avant de le suivre dans les scnes qui
+l'attendaient chez lui, de considrer quel point le caractre gnral
+de son esprit et de son humeur avait t modifi par la srie de voyages
+et d'aventures dans lesquels il avait t engag pendant les deux annes
+qui venaient de s'couler. Il serait difficile d'imaginer une vie moins
+potique et moins romanesque que celle qu'il avait mene avant son
+dpart pour ses voyages. Dans sa jeunesse, il est vrai, il avait vcu et
+err parmi des scnes bien capables, selon les ides ordinaires, de
+former les premiers germes du sentiment potique. Mais bien que le pote
+ait pu se nourrir plus tard de ces brillans souvenirs, il est plus que
+douteux, comme on l'a dj fait observer, qu'il ait t form par eux.
+S'il tait vrai qu'une jeunesse passe au milieu des scnes de montagnes
+ft si favorable au dveloppement des talens d'imagination, les Gallois
+parmi nous, et les Suisses l'tranger, devraient briller plus qu'ils
+ne le font de nos jours par leurs conceptions potiques. Mais, en
+accordant mme que la mmoire des premires excursions de Byron ait eu
+quelque part dans la direction de ses ides, l'effet rel de cette
+influence, quelle qu'elle ft, cessa avec son enfance, et la vie qu'il
+mena ensuite, durant son sjour au collge d'Harrow, fut ce que
+naturellement la vie d'un colier si rveur et si entreprenant devait
+tre, tout autre chose que potique. Pour un soldat ou un aventurier,
+l'ducation qu'il reut alors et t parfaite. Ses exercices
+athltiques, ses combats, son amour pour les entreprises hasardeuses,
+donnrent les indices d'un esprit fait pour la carrire la plus
+orageuse; mais ces dispositions paraissaient, de toutes, les moins
+favorables aux tudes mditatives de la posie; et bien qu'elles
+promissent de le rendre plus tard un sujet d'inspiration pour les
+potes, elles ne donnaient assurment que trs-peu d'esprance de le
+voir jamais lui-mme briller au premier rang parmi eux.
+
+Ses habitudes l'universit taient encore moins intellectuelles et
+moins littraires. Ds son enfance, il avait lu beaucoup et avec ardeur,
+quoique sans mthode; mais cette application mme de son esprit,
+irrgulire et sans direction comme elle tait, il l'avait en grande
+partie abandonne aprs son dpart d'Harrow; et au nombre des
+occupations qui se partageaient son tems l'acadmie, les jeux de
+hasard, l'escrime, les soins donner son ours et ses boul-dogues
+furent au moins les plus innocentes, si elles ne furent pas les plus
+favorites. Pendant son sjour Londres, on ne le voit pas davantage
+cultiver son intelligence, ou rechercher des amusemens plus dlicats.
+N'ayant aucune ressource de socit prive par le manque absolu d'amis
+et de parens, il tait rduit dans cette ville frquenter les oisifs
+de caf; et pour ceux qui se rappellent ce qu'taient cette poque les
+cafs de Limmer et Stevens, les deux maisons qu'il visitait de
+prfrence, il est inutile de dire que, quel que ft d'ailleurs le
+mrite de ces tablissemens, ils n'taient rien moins que des coles
+convenables au dveloppement d'un caractre potique.
+
+Mais quelque incompatible qu'une telle vie pt tre avec les habitudes
+de contemplation qui seules pouvaient veiller et fortifier les hautes
+facults qu'il avait dj montres, cependant, sous un autre point de
+vue, le tems qu'il perdit alors en apparence fut, dans la suite, mis
+profit d'une manire incontestable. En l'initiant ainsi peu peu la
+connaissance des varits de l'esprit humain, en lui donnant l'aperu
+exact des dtails de la socit dans leurs formes les moins
+artificielles; enfin, en le mlant si jeune avec le monde, ses affaires
+et ses plaisirs, la vie qu'il menait Londres contribua certainement
+former cette combinaison extraordinaire, qu'on admira plus tard en lui,
+de l'imagination et de la connaissance du monde, de l'hroque et du
+plaisant, des aperus les plus fins et les plus minutieux de la vie
+relle avec les conceptions les plus leves et les plus sublimes de la
+grandeur idale.
+
+Une autre disposition dominante de son esprit plus mr et de ses crits
+dut peut-tre sa naissance aux mmes causes. Dans cette exprience
+anticipe du monde que lui donnait son contact prcoce avec la foule, il
+n'est gure probable qu'un grand nombre des caractres les plus dignes
+de l'espce humaine aient frapp ses regards. Il n'est que trop
+probable, au contraire, que les individus les plus lgers et les moins
+estimables des deux sexes durent tre au nombre de ses modles, et que
+c'est d'aprs eux, un ge o les impressions se gravent le plus
+fortement, que ses premiers jugemens sur la nature humaine furent
+forms. De l probablement ces aperus mprisans et dgradans pour
+l'humanit, qu'il tait dans l'usage d'allier au tribut plus noble qu'il
+payait la beaut et la majest de la nature en gnral. De l le
+contraste qui apparat entre les productions de son imagination et
+celles de son exprience; entre ces rves pleins de beaut et de douceur
+que l'une crait sa volont, et l'amertume, sombre et dsolante qui
+dbordait de tous cts lorsqu'il ne consultait plus que l'autre.
+
+Malgr le peu d'esprance que donnait sa jeunesse de la haute destine
+qui l'attendait, elle prsentait dj un caractre singulier de la
+puissance de son imagination; je veux parler de cet amour de la solitude
+qui, de bonne heure, indique ces gots d'tude et d'observation de
+soi-mme par lesquelles seules les carrires de diamans du gnie sont
+exploites et mises au grand jour. Dans son enfance Harrow, il avait
+fortement montr cette disposition; on le connaissait au collge comme
+je l'ai dj dit, pour aimer s'loigner de ses camarades, et
+s'asseoir seul sur une tombe dans le cimetire, s'abandonnant ainsi la
+rverie pendant des heures entires. mesure que son esprit rvla ses
+ressources, ce sentiment domina en lui; et quand ses voyages
+l'tranger n'auraient servi qu' le dtacher des distractions de la
+socit pour le mettre en tat, solitaire clbre, de communiquer avec
+son propre esprit, cela et t un grand pas de fait vers l'expansion
+complte de ses facults. Ce fut rellement alors qu'il commena se
+sentir capable de se livrer au dtachement que l'tude de soi-mme
+exige, et qu'il put jouir de cette libert, indpendante du mlange des
+penses d'autrui, et qui seule laisse l'esprit contemplatif matre de
+ses propres ides. Dans la solitude de ses nuits sur mer, dans ses
+excursions isoles travers la Grce, il jouit d'assez de loisir et de
+solitude pour s'observer lui-mme, et l s'apercevoir des premiers
+clairs de son glorieux gnie. Un de ses principaux plaisirs, ainsi
+qu'il en fait mention dans ses _Memoranda_, tait, lorsqu'il se baignait
+dans quelque lieu retir, de s'asseoir, au-dessus de la mer, sur des
+rochers levs, et l de rester des heures entires contempler les
+cieux et les eaux[144], et se perdre dans cette sorte de vague rverie
+qui, quoique sans forme arrte, et sans but pour le moment, se
+rpandait ensuite, dans ses crits, en peintures nergiques et
+brillantes qui vivront jamais.
+
+ [Note 144: Il fait allusion cette passion dans ces belles
+ stances:
+
+ S'asseoir sur les rochers, contempler la mer, etc.
+
+ Alfieri, avant que son gnie ne se ft compltement
+ dvelopp, ainsi qu'il nous le dit, avait l'habitude de
+ passer des heures dans une sorte d'tat de rverie,
+ contempler l'Ocan: Aprs le spectacle, un de mes amusemens
+ Marseille tait de me baigner presque tous les soirs dans
+ la mer. J'avais trouv un petit endroit fort agrable, sur
+ une langue de terre place droite hors du port; o, en
+ m'asseyant sur le sable, le dos appuy contre un petit rocher
+ qui empchait qu'on ne pt me voir du ct de la terre, je
+ n'avais plus devant moi que le ciel et la mer. Entre ces deux
+ immensits, qu'embellissaient les rayons d'un soleil
+ couchant, je passai, en rvant, des heures dlicieuses; et
+ l, je serais devenu pote, si j'avais su crire dans une
+ langue quelconque.]
+
+S'il n'et pas t livr ces doutes et cette dfiance qui entourent
+les premiers pas du gnie, les sentimens qu'il devait prouver et ses
+dcouvertes dans un nouveau domaine d'intelligence, auraient d
+convertir les heures solitaires du jeune voyageur en un rve de bonheur.
+Mais on verra que dans ces momens mme, il se dfiait de sa propre
+force, et qu'il ne se doutait nullement de la hauteur laquelle
+s'lverait l'esprit qu'il voquait alors. Il devint tellement pris de
+ces rveries solitaires, que la socit mme de son compagnon de voyage,
+malgr la sympathie de ses gots avec les siens, devint pour lui une
+chane et un fardeau; et ce ne fut que lorsqu'il se trouva seul, sur le
+rivage d'une petite le de la mer ge, que son gnie respira librement.
+Si l'on voulait une preuve plus forte de sa passion profonde pour
+l'isolement, nous la trouverions, quelques annes aprs, dans ses
+propres crits, lorsqu'il avoue que, dans la compagnie de la femme qu'il
+aima le plus, il se surprit souvent soupirant aprs la solitude.
+
+Ce ne fut pas seulement en lui procurant la retraite dont il avait
+besoin pour faire clore dans le silence ses facults admirables, que
+les voyages contriburent puissamment la formation de son caractre
+potique; ds son enfance mme, il avait contempl l'Orient avec des
+yeux romanesques. La lecture qu'il fit, avant l'ge de dix ans, de
+l'histoire des Turcs, par Rycaut, avait pris un fort ascendant sur son
+esprit, et il avait lu avec avidit tous les livres sur l'Orient qu'il
+avait pu rencontrer[145].
+
+ [Note 145: Quelques mois avant sa mort, dans une conversation
+ avec Mavrocordato, Missolonghi, Lord Byron dit: L'histoire
+ turque fut un des premiers livres qui procura du plaisir ma
+ jeunesse; et je pense que cette lecture eut beaucoup
+ d'influence sur les dsirs que j'eus ensuite de visiter le
+ Levant, et donna peut-tre ma posie cette teinte orientale
+ que l'on y remarque.
+
+ (_Rcit du comte Gamba_.)
+
+ Dans la dernire dition de l'ouvrage du docteur Israeli, sur
+ le _caractre littraire_, on trouve quelques notes
+ marginales assez curieuses, crites par Lord Byron dans un
+ exemplaire de cet ouvrage qui lui appartenait. Parmi ces
+ notes est l'numration suivante des crivains qui, outre
+ Rycaut, avaient attir son attention sur l'Orient de si bonne
+ heure.
+
+ Knolles, Cantemir, de Tott, lady M.W. Montague, la
+ traduction d'Hawkin de l'_Histoire des Turcs_ par Mignot, les
+ _Mille et Une Nuits_, tous les voyages, toutes les histoires,
+ tous les livres sur l'Orient que je pouvais trouver, je les
+ avais lus, ainsi que Rycaut, avant l'ge de dix ans. Je pense
+ que je lus les _Mille et Une Nuits_ en premier lieu; aprs
+ cela je prfrai le rcit des combats de mer, le roman de
+ _Don Quichotte_ et ceux de Smollett, particulirement
+ _Roderic Random_, et j'tais passionn pour l'histoire
+ romaine. Lorsque j'tais enfant, je ne pus jamais lire sans
+ dgot un livre de posie.]
+
+Il s'ensuit qu'en visitant ces contres il ne fit que raliser les rves
+de sa jeunesse, et ce retour de ses penses vers ce tems d'innocence
+donna leur cours une fracheur et une puret dont elles avaient manqu
+depuis long-tems. Sans le charme de ces souvenirs, l'attrait de la
+nouveaut tait la moindre chose que lui prsentaient les scnes
+nouvelles travers lesquelles il passait. De doux souvenirs du pass,
+et peu d'hommes les ont retenus aussi vivement, se mlaient aux
+impressions des objets prsens ses yeux; et comme, dans les montagnes
+d'cosse, il avait souvent travers, en imagination, les pays musulmans,
+ainsi la mme facult le transportait des montagnes sauvages de
+l'Albanie celles de Monroy.
+
+Tandis qu'il trouvait chaque pas des inspirations potiques, il y
+avait aussi dans ce prompt changement de place et de scne, dans cette
+diversit d'hommes et d'usages qui l'entouraient, dans l'esprance
+continuelle d'aventures nouvelles, et d'entreprises extraordinaires, une
+succession et une varit d'_excitation_ toujours renouvele, qui
+mettaient non-seulement en action, mais rendaient plus vigoureuse toute
+l'nergie de son caractre. Ainsi qu'il dcrit lui-mme sa manire de
+vivre, c'tait aujourd'hui dans un palais, demain dans une table; un
+jour avec le pacha, l'autre avec le berger. C'est ainsi qu'il trouva
+toujours exercer son esprit observateur, et que les impressions se
+multiplirent sur son imagination. Dj initi quelques-unes des
+privations et des peines de la vie, pouvant juger par-l des rigueurs de
+l'adversit, il apprit agrandir le cercle de ses sympathies, plus
+qu'il n'est ordinaire dans le rang lev auquel il appartenait, et il
+s'habitua cette trempe vigoureuse et mle de pense qui est si
+profondment grave dans tous ses crits. Nous ne devons pas oublier, au
+nombre de ces salutaires effets de ses voyages, les nobles inspirations
+du danger qu'il prouva plus d'une fois, ayant t plac, tant sur terre
+que sur mer, dans des situations bien calcules pour veiller ces
+sentimens d'nergie que des prils envisags de sang-froid ne manquent
+jamais de faire natre.
+
+Le vif intrt, qu'en dpit de sa philosophie apparente cet gard,
+dans _Childe Harold_, il prenait tout ce qui se rattache la vie
+militaire, trouva des occasions frquentes de satisfaction,
+non-seulement bord des vaisseaux de guerre anglais sur lesquels il
+s'embarqua, mais aussi dans ses divers rapports avec les soldats du
+pays. Salora, place isole sur le golfe d'Arta, il passa une fois deux
+ou trois jours log dans une misrable baraque. Pendant tout ce tems il
+vcut familirement avec les soldats. Ces guerriers farouches, que l'on
+pourrait presque appeler des brigands, assis autour du jeune pote, et
+examinant avec une sauvage admiration son fusil de Manton[146] et son
+pe anglaise, prsentaient chaque soir une scne curieuse dont le
+tableau pourrait offrir un contraste, malheureusement trop affligeant,
+avec ce qui se passa quand le pote, devenu l'un de leurs capitaines,
+mourut sur cette mme terre avec des Souliotes pour gardes et la Grce
+entire pour cortge de deuil.
+
+ [Note 146: Il plut beaucoup le jour suivant, et nous
+ passmes encore cette soire avec nos soldats. Leur
+ capitaine, Elmas, essaya un beau fusil de Manton[146a],
+ appartenant mon ami; et comme il touchait le but chaque
+ coup, il y prit grand plaisir: _Hobhouse's Journey_, etc.]
+
+ [Note 146a: Nom d'un arquebusier.]
+
+Il est vrai qu'au milieu des motions rveilles par cette varit
+d'objets, son esprit tait toujours plong dans cette mlancolie qu'il
+avait apporte de son pays natal. Il fit sur M. Adair et sur M. Bruce,
+comme je l'ai dj dit, l'effet d'un homme en proie un profond
+abattement; et ce fut aussi l'opinion du colonel Leake, qui, cette
+poque, tait notre rsident Joannina[147]. Mais cette mlancolie
+mme, malgr son opinitret, dut certainement parvenir, sous
+l'influence nergique et salutaire de sa vie errante, un degr
+d'lvation qu'elle n'aurait jamais pu atteindre au milieu des
+contrarits qui l'obligeaient se replier sur elle-mme. S'il n'et
+pas voyag, peut-tre serait-il devenu un satirique grondeur; mais
+mesure que ses yeux embrassaient un plus vaste horizon, tous les
+sentimens de son coeur se dvelopprent dans la mme proportion; et cette
+tristesse inne, en se combinant avec les effusions de son gnie, devint
+une des principales causes de leur nergie et de leur grandeur. Quelle
+pense sublime, en effet, s'leva jamais dans l'ame, sans que la
+mlancolie, quoique ignore peut-tre, y ait eu quelque part?
+
+ [Note 147: Il faut se rappeler que ces deux personnes le
+ virent le plus souvent dans des circonstances o l'tiquette
+ des prsentations devait, par suite de sa froide rserve,
+ porter au plus haut degr la tristesse de ses penses. Son
+ compagnon de voyage parle de lui bien diffremment. Dans le
+ rcit d'une courte excursion Ngrepont, M. Hobhouse, qui ne
+ put l'y accompagner, exprime avec force le vide que lui fait
+ prouver l'absence d'un ami qui joignait la vivacit
+ d'observation et des remarques piquantes, cette bonne
+ humeur communicative, qui rveille l'attention au milieu des
+ fatigues et rend les dangers moins terribles. Lord Byron,
+ dans quelques vers des imitations d'Horace, adresss
+ videmment M. Hobhouse, se rend la mme justice, en ce qui
+ regarde sa sociabilit, mais il donne une ide plus nette de
+ la tournure d'esprit qui en tait la source:
+
+ Cher Moschus, avec toi j'espre encore passer de longues
+ heures, riant de la folie des hommes, si nous ne pouvons
+ sourire leurs traits d'esprit. Oui, je veux, ami, quitter
+ pour toi ma cellule de cynique, et adopter la devise de
+ Swift: Vivent les badinages! etc.]
+
+Les lettres qu'il crivit pendant la traverse, son retour en
+Angleterre, nous ont appris combien alors les dispositions de son ame
+taient loin d'tre gaies et ses esprances d'tre flatteuses; sans
+contredit, et-il t dou de la plus grande confiance, les contrarits
+qui l'attendaient dans sa patrie taient bien suffisantes pour attrister
+ses prvisions et comprimer son lasticit d'esprit. tre heureux chez
+soi, dit Johnson, c'est l en dfinitive, le but de toute ambition, la
+fin o tendent nos travaux et nos entreprises. Mais Lord Byron n'avait
+pas de _chez soi_, rien du moins qui mritt ce nom si sduisant. Ce
+bonheur de faire partie d'une famille bien unie dont les prires
+l'auraient suivi dans ses voyages, dont l'attention aurait avidement
+cout ses rcits son retour, il ne le connut jamais, quoique la
+nature lui et donn un coeur digne de l'apprcier. Priv de tout ce qui
+soutient et encourage, il eut lutter contre tout ce qui dsole et
+humilie. l'horreur d'un intrieur sans affections vint se joindre le
+fardeau d'une position sociale sans ressources suffisantes, et il
+prouva ainsi tous les embarras de la vie domestique, sans jouir des
+charmes qui les compensent. Pendant son absence, on avait laiss tomber
+ses affaires dans une confusion plus grande encore, que leur tendance
+naturelle ne donnait lieu de le craindre. On avait, l'anne prcdente,
+excut une saisie Newstead, pour une somme de quinze cents liv. st.,
+due MM. Brothers, tapissiers, et nous croyons devoir rapporter un
+trait du vieux Jo Murray dans cette circonstance. C'tait un terrible
+crve-coeur pour ce vieux et fidle serviteur, jaloux de l'antique
+honneur des Byron, de voir l'annonce de la vente placarde sur la porte
+de l'abbaye. Mais redoutant assez la loi pour ne pas arracher l'affiche,
+il se dcida, pour s'en ddommager, la couvrir d'une large feuille de
+papier brun qu'il colla par dessus.
+
+Malgr la rsolution, si rcemment exprime par Lord Byron, d'abandonner
+pour jamais le mtier d'auteur, et de laisser d'autres _tout l'empire
+Castalien_, nous le trouvons, peine dbarqu en Angleterre,
+trs-activement occup de prparer la publication de quelques-uns des
+pomes qu'il avait composs dans ses voyages. Il y mettait mme tant
+d'empressement qu'il avait dj, dans une lettre crite en mer, annonc
+ M. Dallas, qu'on pourrait de suite les mettre sous presse. Je vais
+placer ici sous les yeux du lecteur les parties les plus essentielles de
+cette lettre qui, d'aprs sa date, aurait d prcder quelques-unes de
+celles que nous avons dj donnes.
+
+
+
+
+LETTRE LIV.
+
+ M. DALLAS.
+
+ bord de la frgate _la Volage_, 28 juin 1811.
+
+
+Aprs une absence de deux ans (jour pour jour, le 2 de juillet, avant
+lequel nous n'arriverons pas Portsmouth), me voil revenant en
+Angleterre...
+
+J'y reviens avec peu d'espoir de bonheur domestique, et une
+constitution un peu branle par une ou deux atteintes fort vives de
+fivre; mais avec une ame qui n'est point abattue. Mes affaires, ce
+qu'il parat, sont terriblement embrouilles, et je vais avoir
+d'interminables difficults rgler avec les gens de loi, les
+charbonniers, les fermiers et les cranciers. Or, pour un homme qui
+redoute les embarras, autant qu'il redoute un vque, c'est un srieux
+sujet d'inquitude.
+
+Ma satire, ce que je crois, est sa quatrime dition; ce n'est pas
+un succs tout--fait mdiocre; il n'a cependant rien d'exagr pour une
+production qui, en raison du sujet qu'elle traite, ne peut intresser
+long-tems, et doit, par consquent, avoir un succs immdiat, o n'en
+avoir aucun. Aujourd'hui que je pense et agis avec plus de modration,
+je regrette de l'avoir crite, quoiqu'il soit probable que je la
+trouverai oublie par tout le monde, moins ceux qu'elle a offenss.
+
+Votre protg et celui de Pratt, le cordonnier Blackett est donc mort,
+malgr ses vers! Cette mort est probablement une de celles qui sauvent
+un homme de la damnation. C'est parmi vous que le pauvre diable s'est
+perdu. Sans ses patrons, il serait peut-tre aujourd'hui en fort bonne
+posture, faisant des souliers, non des vers; mais vous avez voulu en
+faire un immortel, cote que cote. Je dis cela dans la supposition que
+ce sont la posie, le patronage et les liqueurs fortes qui l'ont tu. Si
+vous tes Londres au commencement ou vers le commencement de juillet,
+vous me trouverez l'htel Dorant, Albemarle-Street, o je serai charm
+de vous voir. J'ai une imitation de l'art potique d'Horace, que
+Cawthorn pourra imprimer de suite; mais que cela ne vous effraie pas, je
+n'ai pas l'intention de vous en fatiguer. Vous savez bien que je ne lis
+jamais mes vers aux personnes qui me viennent voir. Je partirai de
+Londres aprs un sjour fort court, pour me rendre dans le
+Nottinghamshire et de l Rochdale.
+
+Votre, etc.
+
+Ds que Lord Byron fut arriv Londres, M. Dallas se rendit prs de
+lui. Le 15 juillet, dit ce gentleman, j'eus le plaisir de lui serrer la
+main, l'htel Reddish, Saint-James's-Street: je trouvai que son aspect
+dmentait ce qu'il m'avait dit de sa sant, et son air n'annonait ni
+mlancolie, ni mcontentement d'tre de retour. Il m'entretint, avec
+beaucoup de feu, de ses voyages; mais il m'assura qu'il n'avait jamais
+eu l'ide de les crire. Il me dit qu' son avis la satire tait son
+fort; qu'il s'en tenait ce genre, et qu'il avait compos pendant ses
+divers sjours une paraphrase de l'art potique d'Horace, qui serait un
+excellent supplment aux _Bardes anglais et critiques cossais_. Il
+semblait esprer que sa rputation s'en accrotrait, et j'entrepris d'en
+surveiller la publication, comme je l'avais fait pour la satire. J'avais
+mal choisi l'instant de ma visite, et nous emes peine le tems de nous
+entretenir sans tre interrompus. Il m'engagea donc venir le lendemain
+djener avec lui.
+
+Dans l'intervalle, M. Dallas parcourut cette paraphrase que Lord Byron
+lui avait permis d'emporter dans ce dessein, et son _dsappointement_,
+comme il le dit lui-mme, fut cruel, en dcouvrant qu'un voyage de deux
+ans dans les contres inspiratrices de l'Orient, n'avait pas produit
+plus de richesses potiques. leur rendez-vous du lendemain, quoiqu'il
+s'abstnt de dprcier cet ouvrage, il ne put s'empcher, comme il nous
+l'apprend lui-mme, d'exprimer son noble ami quelque surprise de ce
+qu'il n'avait compos rien de plus pendant son absence. Alors,
+continue-t-il, Lord Byron me dit qu'il avait en diverses occasions crit
+de courts pomes, outre une grande quantit de stances, du rhythme de
+Spencer, relatives aux pays qu'il avait parcourus. Mais, dit-il, elles
+ne sont pas dignes de votre attention; vous pouvez cependant les
+emporter toutes, si cela vous fait plaisir. C'est ainsi que j'obtins le
+plerinage de _Childe Harold_: il le tira d'un coffret avec beaucoup
+d'autres posies. Il me dit qu'elles n'avaient t lues que par une
+seule personne qui y avait trouv peu de choses louer et beaucoup
+critiquer; que c'tait son avis, et qu'il tait sr que ce serait aussi
+le mien; que nanmoins, quoi qu'il en ft, elles taient bien mon
+service; mais qu'il tait urgent de presser la publication des
+_Imitations d'Horace_, ce dont je l'assurai que je m'occupais.
+
+M. Dallas ne tarda pas dcouvrir tout le prix du trsor qui lui tait
+ainsi confi. Ds le mme soir, il crivit son noble ami: Vous avez
+compos l'un des plus dlicieux pomes que j'aie jamais lus. Si je vous
+disais cela pour vous flatter, je mriterais moins votre amiti que
+votre mpris. _Childe Harold_ m'a tellement captiv, que je n'ai pu en
+quitter la lecture. Je rpondrais sur ma tte qu'il ajoutera beaucoup
+votre rputation comme pote, et qu'il vous fera un honneur infini, si
+vous daignez accorder quelque attention mes avis, etc.
+
+Malgr ces justes loges, et l'cho secret qu'ils durent trouver dans un
+coeur si sensible au moindre murmure de la renomme, il se passa quelque
+tems avant que la rpugnance opinitre de Lord Byron la publication de
+_Childe Harold_ pt tre surmonte.
+
+Quoique jusqu'alors, dit M. Dallas, il et cout mes avis et mes
+conseils, et qu'il ft naturel de croire qu'il cderait des loges si
+prononcs, je fus surpris de voir qu'il se dfiait encore de mon
+jugement sur le mrite de _Childe Harold_. C'tait, disait-il, tout ce
+qu'on voudrait, except de la posie; un critique fort capable l'avait
+blm; n'avais-je pas vu moi-mme les annotations en marge du
+manuscrit? Enfin il revenait toujours de prfrence aux paraphrases de
+l'art potique, et le manuscrit en fut remis Cawthorn, diteur de la
+satire, pour qu'il le publit sans aucun retard. Je ne quittai pourtant
+pas encore la partie. Avant de sortir de chez lui, je revins la
+charge, et je lui dis que j'tais si convaincu du mrite de _Childe
+Harold_, que s'il me l'avait donn, je l'aurais certainement publi,
+pourvu qu'il voult consentir un petit nombre de changemens et de
+correction.
+
+Parmi les nombreux exemples cits en littrature du jugement erron que
+quelques auteurs ont port sur leurs propres ouvrages, on peut regarder
+comme l'un des plus inexplicables cette prfrence que Lord Byron
+accordait une production si peu digne de son gnie, sur un pome qui
+offre autant de beauts originales que les premiers chants de _Childe
+Harold_[148]. Il en est, dit Swift, des hommes comme des terrains, qui
+reclent quelquefois une mine d'or, dont le propritaire ignore
+l'existence. Mais cette mine, Lord Byron l'avait dcouverte, sans se
+douter, ce qu'on pourrait croire, de toute sa valeur. J'ai dj eu
+occasion de remarquer que, dans le tems mme o il composait _Childe
+Harold_, il est douteux qu'il connt pleinement la puissance nouvelle et
+de sentimens et de penses qui venait de s'lever dans son me, et cette
+observation est confirme par l'trange apprciation de son ouvrage que
+nous lui voyons adopter.
+
+ [Note 148: On doit moins s'tonner de ce que quelques auteurs
+ se mprennent sur le mrite de leurs ouvrages, quand on voit
+ que des gnrations entires sont quelquefois tombes dans la
+ mme erreur. Les sonnets de Ptrarque furent considrs par
+ les savans de son tems comme dignes tout au plus des
+ chanteurs de ballades qui les faisaient entendre dans les
+ rues; tandis que son pome pique de l'Afrique, dont
+ l'existence est peine connue de nos jours, tait recherch
+ de toutes parts, et que le moindre fragment en tait vivement
+ sollicit prs de l'auteur, pour tre plac dans les
+ bibliothques des savans.]
+
+On pourrait croire en effet que malgr l'impulsion qui avait fait faire
+des pas si rapides son imagination, son jugement, plus lent se
+dvelopper, tait bien loin de la maturit, et que le jugement de
+soi-mme, le plus difficile de tous, lui tait encore refus.
+
+D'un autre ct, si l'on considre la dfrence que, surtout cette
+poque, il tait port accorder aux opinions de ceux avec lesquels il
+vivait, il serait peut-tre plus juste d'attribuer cette fausse
+apprciation sa dfiance de son propre jugement, qu' aucune
+insuffisance. On ne peut expliquer que par l'ignorance de son nergie
+intellectuelle ses gards et sa complaisante admiration pour ses anciens
+condisciples, qui presque tous l'avaient dpass durant ses tudes, et
+dont quelques-uns, dans ce tems-l mme, taient ses rivaux en posie.
+L'exemple qu'il recevait de ces jeunes crivains tant, comme leur got,
+principalement fond sur l'imitation des modles consacrs, leur
+autorit, aussi long-tems qu'il s'y soumit, dut jusqu' un certain point
+le dtourner de s'engager franchement dans une route nouvelle et
+originale. Il est assez probable que quelques souvenirs de cette
+premire direction, joints un lger penchant pour les rminiscences
+classiques[149], contriburent dterminer sa prfrence pour la
+paraphrase d'Horace. On peut croire au moins qu'ils furent suffisans
+pour le dcider se contenter, pour le prsent, de la gloire qu'il
+avait acquise en suivant les routes traces, au lieu de se lancer dans
+une carrire qu'il n'avait pas encore explore. Nous avons vu que le
+noble auteur avant de confier M. Dallas les deux premiers chants de
+_Childe Harold_, en avait soumis le manuscrit l'examen d'un ami, le
+premier et le seul, ce qu'il parat, qui en et pris connaissance
+cette poque. M. Dallas n'a pas nomm ce critique si scrupuleux; mais le
+ton tranchant de censure, dont sont empreintes ses remarques, aurait t
+capable, quelque poque que ce ft, de dnaturer le jugement d'un
+auteur qui, plusieurs annes aprs, dans tout l'clat de sa gloire,
+avouait que le blme du dernier des hommes lui causait plus de chagrin
+qu'il n'prouvait de plaisir recevoir les applaudissemens des plus
+hauts personnages.
+
+ [Note 149: Gray, domin par une semblable prdilection,
+ prfra long-tems ses pomes latins ceux qui lui ont
+ assign un rang si lev dans la littrature anglaise.
+ Devons-nous, dit Mason, attribuer cette mprise ce qu'il
+ avait t lev Eton, ou quelque autre cause? Il est
+ certain que lorsque je fis sa connaissance, il semblait
+ attacher ses posies latines beaucoup plus de prix qu'
+ celles qu'il avait composes dans sa langue natale.]
+
+Quoiqu'il soit facile de reconnatre dans toutes les productions de son
+ge mr, des traces de sa supriorit, nous croyons cependant qu'on
+ajouterait peu sa clbrit en publiant dans son entier cette
+paraphrase d'Horace, qui se compose de prs de huit cents vers. Mais
+j'en choisirai quelques passages capables de donner une ide de ses
+beauts, comme de ses dfauts, afin de mettre le lecteur mme de se
+former une opinion sur une composition que l'auteur, par une erreur ou
+un caprice de jugement, sans exemple peut-tre dans les annales de la
+littrature, prfra long-tems aux sublimes mditations de _Childe
+Harold_.
+
+Le dbut du pome, si on le compare l'original, est assez ingnieux:
+
+Qui ne rirait si Lawrence, s'engageant couvrir sa prcieuse toile du
+portrait flatt du premier venu, abusait assez de son art pour que la
+nature effarouche vt nos bons bourgeois prendre sous son pinceau la
+forme des centaures? Ou si quelque barbouilleur, par amour de
+l'extraordinaire, ou pour hter la vente, s'avisait de joindre une
+fille d'honneur la queue d'une sirne? Ou si le trivial Dubost (comme on
+l'a vu nagure), possd de la fureur de peindre, dgradait les
+cratures, images de la divinit? Toute la politesse qui dfend de se
+moquer des sots en leur prsence, ne pourrait rprimer les clats de
+rire de leurs amis. Crois-moi, Moschus, rien ne ressemble plus ces
+tableaux que le livre qui, plus dcousu que les rves d'un malade,
+prsente nos regards une foule de figures incompltes, potiques
+cauchemars, qui n'ont ni pieds ni tte.
+
+Ce qui suit est un des meilleurs morceaux crits dans un genre plus
+grave:
+
+De nos jours, les mots nouveaux sont en honneur, si on les ente
+adroitement sur quelque gallicisme: pourrions-nous refuser la muse
+plus habile de Dryden et de Pope, ce que Chaucer et Spencer tentrent
+avec succs? Si vous pouvez crer que ne le faites-vous, l'exemple de
+William Pitt et de Walter-Scott, qui par le secours, l'un de ses vers,
+l'autre de ses poumons, ont enrichi les dialectes mal joints de notre
+le? Il est et il sera toujours lgitime de proposer des rformes en
+littrature, comme au parlement.
+
+De mme que les forts couvrent par degrs la terre de leurs feuilles,
+ainsi se fanent des expressions qui ont plu dans leur nouveaut. Le mme
+destin est rserv l'homme, et tout ce qui se rattache lui. Ses
+ouvrages, ses mots s'effacent et ne servent plus qu' fixer une date.
+Quoique, un signe des monarques, et la voix du commerce, des fleuves
+imptueux deviennent de tranquilles canaux; quoique des marais desschs
+et assainis soient sillonns par la charrue et portent de jaunes
+moissons; quoique des ports creuss sur nos rivages protgent les
+vaisseaux contre les temptes de l'antique Ocan, tout, tout doit prir.
+Mais, survivant au naufrage gnral, l'amour des lettres prserve demi
+les souvenirs du pass.
+
+Je ne cite ce qui suit qu' cause de la note qui y est jointe:
+
+Les premiers vers satiriques naquirent du spleen de quelque goste. En
+doutez-vous? Voyez Dryden, Pope, et le doyen de Saint-Patrick[150].
+
+ [Note 150: _Mac-Flecknoe_, la _Dunciade_ et toutes les
+ ballades satiriques de Swift. Quels que soient leurs autres
+ ouvrages, ceux-ci furent le rsultat de sentimens personnels
+ et de rcriminations violentes contre d'indignes rivaux; et
+ quoique le mrite littraire de ces satires fasse honneur aux
+ talens potiques des auteurs, leur virulence dshonore
+ certainement leur caractre.]
+
+Les vers blancs, aujourd'hui, par un commun accord, sont presque
+insparables de la tragdie. Quoique les fureurs d'Almanzor
+s'exprimassent en vers rims, au tems de Dryden, nous ne voyons pas les
+hros des pices nouvelles en affubler leurs emportemens; et la modeste
+comdie, abandonnant tout--fait les vers, nous offre en humble prose
+ses gentillesses et ses quolibets. Ce n'est pas que nos Beaumont et nos
+_ben_ aient plus mauvaise grce, ou perdent rien de leur mrite, pour
+avoir compos en vers; mais c'est ainsi que Thalie aime se montrer.
+Pauvre fille! que l'on siffle quelques vingt fois par an.
+
+On trouve dans les vers suivans, sur Milton, plus de posie que dans
+aucun autre passage de la paraphrase:
+
+ muse! s'crie-t-il, rveille de plus sublimes accords! Et, s'il vous
+plat, que pensez-vous voir clore de son cerveau enflamm? En un clin
+d'oeil, il tombe aussi bas que Southey dont les montagnes piques ne
+manquent jamais d'accoucher d'une souris! Ce n'tait pas ainsi que jadis
+votre puissant devancier tirait de doux accens de sa lyre inimitable:
+d'une voix mlodieuse comme les soupirs de la harpe olienne, il nous
+parle de la premire dsobissance de l'homme et du fruit dfendu; mais
+ mesure que son sujet s'lve, son chant fait retentir les chos de la
+terre et des cieux.
+
+On pourra remarquer quelques traits piquans dans les esquisses
+suivantes:
+
+Enfin il touche l'adolescence! On ne le forcera plus gmir sur les
+vers diaboliques[151] de Virgile, et sur ceux qu'on lui donne faire.
+Les prires l'ennuient, la lecture est trop srieuse; il vole de T...ll
+ Fordham (malheureux T...ll, condamn d'ternels soucis par les
+apprentis boxeurs et les ours). Que peuvent des tuteurs, des devoirs,
+des convenances, en prsence d'une meute, de chevaux de chasse et de la
+plaine de Newmarket? Rude avec ses ans, hautain avec ses gaux, poli
+envers des escrocs, prodigue de richesses........... persifl, pill,
+dup, il passe le tems de ses cours sans rien faire; vite peut-tre
+l'expulsion, et se retire M. A. (Matre-s-arts)! Et l'on proclame sa
+nouvelle dignit dans les clubs et les tripots, dont nul habitu
+n'arriva jamais plus haut.
+
+ [Note 151: Harvey, qui fit connatre la circulation du sang,
+ avait coutume, dans ses transports d'admiration, de jeter
+ loin de lui son _Virgile_, en disant que le livre avait un
+ diable familier. Un personnage tel que celui que je dcris,
+ jetterait probablement aussi le livre; mais il dsirerait
+ plutt que le diable s'en empart, non pas en haine du pote,
+ mais par une horreur bien fonde des hexamtres. Car,
+ vraiment, la fastidieuse tude des _longues_ et des _brves_
+ suffit pour qu'un homme prenne la posie en aversion pendant
+ sa vie entire; et peut-tre en cela n'est-ce pas un
+ dsavantage.]
+
+Lanc dans le monde, et devenu moins ardent, il singe l'goste prudence
+de son pre; prend une femme, pour sa dot; choisit ses amis pour leur
+rang; achte des terres, et se vante d'tre trop prudent pour se fier
+la banque. Il prend place au snat; procre un hritier, et l'envoie
+Harrow, car il y fut lui-mme. Muet, quoi qu'il vote, moins qu'il ne
+joigne sa voix aux acclamations favorables au ministre; s'il parle de
+son fils: C'est un compre adroit, qu'il espre bien voir un jour
+arriver la pairie!
+
+La vieillesse s'avance; l'ge paralyse ses membres; il quitte la scne,
+ou la scne le quitte; il entasse des richesses; s'afflige chaque
+penny qu'il faut dpenser, et l'avarice s'empare de toutes les penses
+qui ne sont pas l'ambition. Il compte les cent pour cent, et sourit;
+ou vainement s'irrite, en considrant ses trsors entams pour payer les
+dettes du jeune Hopeful; il pse bien et sagement ce qu'il faut acheter
+ou vendre; habile tout faire, except mourir! grondeur, morose,
+radoteur difficile contenter, louant tous les tems, except le
+prsent; infirme, querelleur, dlaiss et presque oubli, il meurt sans
+qu'on le pleure; on l'enterre; qu'il pourrisse!
+
+Plus loin, parlant de l'opra, voil comment il s'exprime:
+
+L se rend l'alerte boutiquier, dont l'oreille est mise la torture par
+l'orchestre qu'il veut entendre pour son argent. Une fausse honte, et
+non la sympathie, l'empche seule de ronfler; ses angoisses redoublent
+quand il croit du bon ton de crier: Encore! cras par la foule dans
+Fop's alley, coudoy par les lgans, gn par son chapeau, tremblant
+pour ses orteils, sa soire est un combat, et il ne gote quelque repos
+que quand enfin le rideau tombe, et lui donne un peu de relche qui
+l'enchante. Devinez-vous pourquoi il se rsigne souffrir tout cela et
+plus encore? C'est qu'il lui en cote cher, et qu'il est forc de se
+parer!
+
+Les derniers vers du passage suivant retracent plaisamment ce mlange de
+gat et d'amertume qui, parfois, animait la conversation de l'auteur.
+tel point mme, que ceux qui l'ont connu pourraient presque s'imaginer
+qu'ils l'entendent parler:
+
+Mais rien n'est sans dfaut, et chacun sait que les violons et les
+harpes perdent souvent le ton, et que les meilleurs chanteurs, au moment
+o ils voudraient runir tous leurs moyens, ne font entendre que des
+accens criards; les chiens perdent la trace du gibier, la pierre refuse
+l'tincelle, et les fusils deux coups (que le diable les emporte!)
+manquent le but[152]!
+
+ [Note 152: Comme M. Pope a pris la libert d'envoyer Homre
+ tous les diables, malgr tout ce qu'il lui devait, quand il a
+ dit: Et Homre (que le diable l'emporte, etc.) Il est
+ prsumable que, par licence potique, on peut en faire
+ autant, en vers, de tout homme et de toute chose; et en cas
+ d'accident, je dsire qu'on me permette de me prvaloir de
+ cet illustre prcdent.]
+
+Un dernier passage, avec la note plaisante qui y est jointe, compltera
+le nombre des morceaux que je veux citer comme les meilleurs.
+
+Est-ce assez? Non: crivez donc et imprimez bien vite. Si le dernier
+arriv est dvolu Satan, qui voudrait arriver le dernier? Ils
+assigent les presses, ils publient en toute hte, ils escaladent le
+comptoir et quittent leurs choppes: de belles demoiselles de province,
+des hommes de haut renom, quoi donc! des baronnets mme, ont noirci
+d'encre leur main guerrire. La pauvret ne les arrte pas; c'est
+Pollion qui nous joua ce tour; de son tems Phbus commena trouver
+crdit chez les banquiers. Ce ne sont pas seulement les vivans; les
+morts mme nous dbitent leurs sottises aussi couramment que jadis
+chantait la tte d'Orphe! Siffls de leur vivant, ils obtiennent un
+succs posthume; tirs de la poussire o ils taient ensevelis quand
+ils vivaient. Les revues rveillent le souvenir de leurs pidmiques
+dlits, de ces livres tmoins muets du martyre auquel les condamne la
+rage de rimer: Hlas! Que de chagrins va nous causer tel barbouilleur
+que citrent souvent le _Morning Post_ et le _Monthly Magazine_! dans
+ces recueils sont ensevelis ses premiers chefs-d'oeuvre; mais bientt la
+presse gmit, et il en sort un pais in-quarto! Laissez donc, vous qui
+tes sages, laissez les succs mendis de la lyre aux baronnets ou aux
+lords possds du dmon des vers, ou ces crpins de village,
+mnestrels jumeaux ivres de potique bire! Prtez l'oreille ces
+accords d'une mlodie narcotique: ce sont les savetiers laurats qui
+chantent les louanges de Capel Lofft[153].
+
+ [Note 153: Ce gentleman bien intentionn a gt quelques
+ excellens cordonniers, et contribu la ruine potique de
+ plus d'un pauvre industrieux. Nathaniel Bloomfield et son
+ frre Bobby ont mis tout le Sommersetshire en train de
+ chanter; et cette maladie ne s'est pas borne envahir un
+ seul comt. Pratt aussi, qui fut jadis plus sage, a t
+ atteint de la contagion du patronage, et a attir dans le
+ pige de la posie un pauvre diable nomm Blackett; mais il
+ mourut pendant l'opration, laissant au dpourvu un enfant et
+ deux volumes de fragmens. La petite fille, si elle n'a pas
+ d'inclinations potiques et ne se transforme pas en Sapho
+ cordonnire, s'en tirera peut-tre; mais les tragdies sont
+ aussi rachitiques que si elles taient la progniture d'un
+ comte ou de quelque coureur de prix acadmiques. Les patrons
+ du pauvre homme sont certainement responsables de sa fin
+ tragique, et ce devrait tre un dlit punissable par les
+ lois. Mais c'est l ce qu'ils ont fait de moins coupable;
+ car, par un raffinement de barbarie, ils ont couvert le
+ dfunt d'un ridicule posthume, en imprimant ce qu'il aurait
+ eu le bon sens de ne jamais faire imprimer lui-mme. Certes,
+ ces remueurs de dbris sont punissables par le statut contre
+ _les hommes de la rsurrection_. Quelle diffrence y a-t-il,
+ en effet, entre exposer un pauvre idiot, aprs sa mort, dans
+ un amphithtre de chirurgie, et l'taler dans une boutique
+ de libraire? Est-il plus mal d'exhumer ses os que ses bvues?
+ Ne vaut-il pas mieux attacher son corps au gibet, sur une
+ bruyre, que d'emprisonner son ame dans un in-octavo? Nous
+ savons ce que nous sommes, mais nous ignorons ce que nous
+ pouvons devenir; et il faut esprer que nous ne saurons
+ jamais si un homme qui a travers la vie avec une sorte
+ d'clat, est destin n'tre qu'un charlatan de l'autre ct
+ du Styx, et devenir, comme le pauvre Joe Blackett, le
+ plastron des railleries du purgatoire. Le prtexte de cette
+ publication est d'assurer un sort l'enfant. Mais aucun des
+ amis et des tentateurs de ce _sutor ultr crepidam_ ne
+ pouvait-il donc faire une bonne action sans enferrer Pratt
+ dans une biographie, et lui faire encore diviser sa ddicace
+ en tant de minces portions? la duchesse une telle; la
+ trs-honorable celle-ci, et mistress et miss celle-l; ces
+ volumes sont, etc., etc. Eh mais, c'est distribuer le doux
+ lait de la ddicace par petits verres. Il n'y en a qu'une
+ chopine, et il le partage entre douze personnes. Ah! Pratt,
+ n'avais-tu donc pas quelques loges en rserve? As-tu pu
+ croire que six familles de distinction se contenteraient de
+ si peu? Il y a un enfant, un livre et une ddicace: que
+ n'envoies-tu la petite fille la duchesse, les volumes
+ l'picier, et la ddicace tous les diables?]
+
+Ces extraits choisis, qui comprennent un peu plus du huitime du pome
+entier, suffiront pour donner au lecteur une ide du reste, dont la plus
+grande partie est fort infrieure, et descend parfois au niveau de la
+versification la plus triviale.
+
+Quand on examine la destine des hommes, il est assez curieux d'observer
+combien de fois un premier pas a dcid du sort de toute la vie. Si Lord
+Byron, cette poque, et persist dans son premier projet de publier
+ce pome au lieu de _Childe Harold_, il est plus que probable que le
+monde aurait compt un grand pote de moins[154]. La paraphrase, qui est
+ tous gards si infrieure sa premire satire, et qui tombe mme, en
+quelques endroits, au-dessous de ce qu'ont crit les versificateurs du
+dernier rang, n'aurait pu manquer d'prouver une chute complte. Ses
+premiers adversaires auraient repris tous leurs avantages; et dans
+l'amertume de sa mortification, il aurait peut-tre jet _Childe Harold_
+au feu; ou s'il et retrouv assez de courage pour publier ce pome, son
+succs mme, quoique suffisant pour le rhabiliter aux yeux du public et
+aux siens, n'aurait jamais excit cette explosion d'enthousiasme, cette
+subite manifestation de l'admiration gnrale, qui l'accueillirent
+lorsqu'il apparut au monde avec toute l'illusion de son retour rcent de
+la terre natale de la posie, et au milieu desquelles il marcha d'un pas
+ferme et sr de nouveaux triomphes, dont le dernier tait toujours le
+plus clatant.
+
+ [Note 154: Le passage suivant de son journal montrera qu'il
+ attribuait lui-mme tout la fortune: Comme Sylla, j'ai
+ toujours cru que tout dpendait de la fortune, et rien de
+ nous-mmes. Je ne me rappelle ni une pense ni une action
+ dignes de mon approbation ou de celle d'autrui, que je ne
+ doive attribuer la bonne desse fortune.]
+
+Le jugement plus sr de ses amis dtourna heureusement ce danger, et il
+consentit enfin la publication immdiate de _Childe Harold_; mais il
+ne cessa pas d'exprimer des doutes sur son mrite, et son inquitude sur
+l'accueil qu'on lui ferait dans le monde.
+
+Je fis tout mon possible, dit son conseiller, pour relever cet ouvrage
+dans son opinion, et j'y russis; mais il variait beaucoup dans ses
+ides cet gard, et il ne fut satisfait que lorsque le monde eut enfin
+prononc sur son mrite. Il me rptait sans cesse que j'allais le jeter
+dans de grands embarras avec ses anciens ennemis; que la _Revue
+d'dimbourg_ saisirait avec joie l'occasion de l'humilier; qu'il ne
+voulait pas que son nom part. Je le priai d'abandonner tout ma
+direction, et que je rpondais que ce pome imposerait silence tous
+ses ennemis.
+
+La question de la publication tant alors dcide, il s'leva quelques
+doutes et quelques difficults relativement l'diteur. Quoique Lord
+Byron et confi Cawthorn ses _Imitations d'Horace_, qu'il regardait
+comme son plus beau titre, il parat qu'il ne le trouva pas assez haut
+plac dans sa profession pour assurer le succs ou la vogue l'ouvrage
+dont les chances lui semblaient plus incertaines. Il n'avait pas oubli
+que MM. Longman avaient autrefois refus de publier ses _Bardes
+anglais_, et il exigea positivement de M. Dallas qu'il n'offrt pas le
+manuscrit cette maison. On s'adressa d'abord M. Miller,
+d'Albemarle-Street; mais, effray de la svrit avec laquelle lord
+Elgin tait trait dans ce pome, M. Miller, qui tait l'diteur et le
+libraire de ce seigneur, refusa de s'en charger. Le pote tait si
+soigneux de sa rputation, que cette circonstance, quelque insignifiante
+qu'elle ft, commena rveiller ses premires terreurs; et s'il se ft
+prsent de nouvelles difficults, il ne faut pas douter qu'il ne ft
+revenu son ancien projet. Mais on ne tarda pas trouver une personne
+qui tint honneur d'entreprendre cette publication. M. Murray, qui
+demeurait alors dans Fleet-Street, ayant, quelque tems auparavant,
+exprim le dsir d'tre autoris faire paratre quelque production de
+Lord Byron, ce fut lui que M. Dallas confia le manuscrit de _Childe
+Harold_. Ainsi commencrent entre ce gentleman et le pote des relations
+qui durrent, quelques interruptions prs, aussi long-tems que la vie
+de l'un, et devinrent pour l'autre une source abondante d'honneur et de
+richesse.
+
+Au milieu des occupations que lui donnaient ses projets littraires et
+quelques affaires litigieuses terminer avec ses agens, Lord Byron fut
+soudain rappel Newstead par la nouvelle d'un vnement qui semble
+l'avoir afflig beaucoup plus qu'on ne pouvait s'y attendre d'aprs
+l'tat des choses. Mrs. Byron, dont l'embonpoint excessif menaait
+toujours de rendre les maladies dangereuses, s'tait trouve indispose
+depuis quelques jours, mais sans que sa position ft alarmante, et il ne
+parat pas que son tat ft capable d'inspirer des craintes quand il lui
+avait crit le billet suivant:
+
+
+Htel Reddish, Londres, 23 juillet 1811.
+
+
+CHRE MADAME,
+
+M. H... me retient seul encore pour signer quelques baux, et j'aurai
+soin de vous prvenir de mon dpart. C'est bien malgr moi que je reste
+ici. Je vous ferai une courte visite en me dirigeant vers le Lancashire
+pour l'affaire de Rochdale. Vous me donnerez votre avis..., etc.
+
+_P. S._ Je vous prie de considrer Newstead comme votre maison, et non
+la mienne, et de ne regarder mon passage que comme une simple visite.
+
+Quand il tait parti pour ses voyages, elle avait conu une sorte d'ide
+superstitieuse qu'elle ne le reverrait plus; et lorsqu'il revint sain et
+sauf, et qu'il lui crivit pour la prvenir qu'il se rendrait bientt
+prs d'elle, Newstead, elle dit sa femme de chambre: Si j'allais
+mourir avant l'arrive de Byron, comme ce serait trange! Et ce fut
+rellement ce qui arriva. la fin de juillet sa maladie devint plus
+menaante; et sa vie, dit-on, se termina d'une manire tristement
+caractristique, s'il est vrai que ce fut un accs de colre excit par
+la lecture d'un mmoire du tapissier, qui causa sa mort. Lord Byron,
+comme cela devait tre, fut promptement inform de l'attaque. Mais,
+malgr son dpart prcipit, il arriva trop tard; elle avait rendu le
+dernier soupir.
+
+Il crivit la lettre suivante sur la route:
+
+
+
+
+LETTRE LV.
+
+AU DOCTEUR PIGOT.
+
+Newport-Pagnell, 2 aot 1811.
+
+
+MON CHER DOCTEUR,
+
+Ma pauvre mre est morte hier! et je suis parti de Londres pour aller
+accompagner ce qui reste d'elle, la spulture de famille. J'ai appris
+sa maladie un jour, et sa mort le lendemain. Grce Dieu, ses derniers
+momens ont t fort tranquilles. On m'assure qu'elle a peu souffert, et
+qu'elle ne connaissait pas le danger de sa position. Je reconnais
+aujourd'hui toute la vrit de l'observation de M. Gray: Que nous ne
+pouvons avoir qu'une mre. Qu'elle repose en paix! J'ai vous
+remercier de vos tmoignages d'intrt; et comme dans six semaines je
+dois aller dans le Lancashire pour affaires, je pousserai jusqu'
+Liverpool et Chester; du moins je tcherai.
+
+Si cela peut vous tre agrable, je vous dirai qu'au mois de novembre
+prochain l'diteur du _Fouet_ (_the Scourge_) sera jug pour deux
+libelles diffrens sur feu Mrs. Byron et moi-mme, la mort de ma mre ne
+changeant rien la chose. Comme il est coupable d'une violation de
+privilge, dans une insertion aussi sotte que mal fonde, il sera
+poursuivi avec la dernire rigueur.
+
+Je vous donne ce dtail, parce que je sais que vous vous intressez
+l'affaire, laquelle est maintenant entre les mains du procureur-gnral.
+
+Je resterai la plus grande partie de ce mois Newstead, o je serais
+charm de recevoir de vos nouvelles, d'autant plus que j'en ai t priv
+pendant les deux annes qu'a dur mon voyage d'Orient.
+
+Je suis, mon cher Pigot, etc.
+
+BYRON.
+
+Le lecteur aura sans doute remarqu que le ton gnral de la
+correspondance du noble pote avec sa mre est celui d'un fils qui
+accomplit strictement et consciencieusement ce qu'il regarde comme son
+devoir, mais sans aucun mlange de cordialit ou d'affection. Le titre
+mme de _madame_ qu'il lui donne presque toujours, auquel il ne
+substitue que rarement le nom plus doux de _mre_, est en lui-mme une
+preuve suffisante de la nature des sentimens qu'il avait pour elle.
+Qu'ils aient t tels, l'on ne peut ni s'en tonner, ni l'en blmer;
+mais que, malgr le malheureux caractre de sa mre, qui lui alinait
+son coeur, il ait continu consulter ses dsirs, s'occuper de son
+bien-tre, comme on le voit non-seulement dans ses lettres, mais encore
+dans le soin qu'il avait pris de disposer le domaine de Newstead pour
+son usage presque exclusif, c'est ce qui lui fait singulirement
+honneur, et ce qui devient mme plus mritoire, car l'affection nous
+fait un plaisir personnel des soins que nous prodiguons ceux qui en
+sont l'objet.
+
+Mais, quoique sa mre fut ainsi devenue, de son vivant, presque
+trangre son coeur, la mort lui rendit la place qu'elle devait
+naturellement y occuper. Soit par un retour de sa premire tendresse;
+soit par la puissance du tombeau, qui fait oublier tant de choses! soit
+par la perspective du vide qu'elle allait laisser dans sa vie, il est
+certain qu'il sentit amrement sa mort, si ce n'est profondment. La
+nuit qui suivit son arrive Newstead, la garde de Mrs. Byron, passant
+devant la porte de la chambre o reposait le cadavre de cette dame,
+entendit un bruit comme de quelqu'un qui soupirait pniblement, et, en
+entrant, fut fort tonne de trouver Lord Byron prs du lit, assis dans
+une obscurit profonde. Comme elle lui reprsentait la faiblesse qu'il y
+avait s'abandonner ainsi la douleur, il fondit en larmes, et
+s'cria: Ho! Mrs. By, je n'avais qu'une amie dans le monde, et elle est
+morte!
+
+Tandis qu'il renfermait ainsi dans le silence et dans l'obscurit ses
+penses relles, il y avait dans d'autres parties de sa conduite plus
+exposes aux regards un degr de singularit et d'indcorum qui, aux
+yeux d'observateurs superficiels, devait faire rvoquer en doute la
+sensibilit de son naturel. Le matin des funrailles, aprs avoir refus
+d'accompagner lui-mme le corps, il se tint debout la porte de
+l'Abbaye jusqu' ce que tout le cortge fut pass; alors, se tournant
+vers le jeune Rushton, il lui ordonna d'aller chercher des gants
+boxer, et se mit s'exercer avec cet enfant, comme son ordinaire. Il
+fut silencieux et distrait pendant tout le tems; et comme par un effort
+pour se soustraire aux penses qui l'agitaient, Rushton crut
+s'apercevoir qu'il mettait une violence inaccoutume dans les coups
+qu'il lui portait. Mais la fin, l'effort devenant trop grand pour lui,
+il jeta prcipitamment les gants, et se retira dans sa chambre.
+
+Nous avons assez parl de Mrs. Byron dans cet ouvrage pour mettre
+pleinement le lecteur en tat de se former une opinion tant sur le
+caractre de cette dame que sur le degr d'influence qu'il dut avoir sur
+celui de son fils. L'homme le plus extraordinaire de notre tems[155],
+qui se croyait principalement redevable l'ducation qu'il reut de sa
+mre, de l'lvation sans exemple laquelle il arriva dans la suite, a
+dit plusieurs fois que la bonne ou mauvaise conduite d'un enfant dpend
+entirement de sa mre. Quant l'influence que peuvent avoir eue les
+caprices et la violence de sa mre sur les dfauts qui se mlrent aux
+belles qualits de Lord Byron, sur ses impulsions incertaines et
+opinitres, sur son aversion pour toute espce de frein, sur l'amertume
+qu'il mit quelquefois dans sa haine, et sur la prcipitation de ses
+ressentimens, c'est une question pour la solution de laquelle les
+matriaux ne manquent pas dans ces pages, et que chacun dcidera suivant
+qu'il accordera plus ou moins de force et de pouvoir ces causes dans
+la formation d'un caractre.
+
+ [Note 155: Napolon.]
+
+Malgr le traitement peu judicieux et presque grossier qu'elle lui fit
+subir, il n'est pas douteux qu'elle n'aimt son fils, mais par boutades,
+et comme il convenait seulement un naturel tel que le sien; il est
+moins douteux encore qu'elle n'en ft fire, et ne plat en lui de
+grandes esprances pour l'avenir. On peut juger de son anxit pour le
+succs de ses premiers essais littraires, par les peines que prit Byron
+pour la tranquilliser lors de l'apparition de l'article de la _Revue
+d'dimbourg_, o il tait si mal trait. mesure que sa renomme
+s'augmenta et devint plus brillante, elle se confirma de plus en plus
+dans les ides que, par une sorte de superstition, elle avait formes
+ds son enfance, de sa grandeur et de sa gloire venir. Elle piait
+avec inquitude toutes les publications o son nom tait mme simplement
+mentionn; elle avait runi en un volume qu'a vu l'un de mes amis tout
+ce qui avait paru sur sa satire et ses premiers pomes. Le volume tait
+couvert la marge d'observations qui lui taient propres, pleines de
+plus de sens et d'habilet que nous ne lui en aurions suppos, d'aprs
+ce que nous connaissions en gnral de son caractre et de sa manire
+d'tre.
+
+Parmi les autres traits de sa conduite, o l'on pourrait remarquer le
+dsir d'environner sa mre de respect, on peut remarquer qu'tant enfant
+il insistait pour tre appel Georges Byron Gordon, donnant ainsi la
+prfrence au nom maternel, et qu'il continua toujours lui crire:
+l'honorable Mrs. Byron, quoiqu'il st bien qu'elle n'avait aucune
+espce de droit ce titre honorifique. Il ne parat pas non plus que
+dans sa conduite gnrale envers elle il ait jamais manqu d'affection
+et de dfrence, on y remarquait seulement quelquefois plus de
+familiarit que n'en comportent nos ides de respect filial. Ainsi quand
+ils taient bien ensemble, il ne l'appelait jamais autrement que Kitty
+Gordon; et je me rappelle avoir vu un tmoin de la scne me dcrire
+l'air dramatique et malin dont un jour, Southwell, quand ils taient
+dans le fort de leur rage thtrale, il ouvrit brusquement les portes du
+salon pour la faire entrer, en disant: Entrez, honorable Kitty Gordon.
+
+L'orgueil de la naissance tait un sentiment commun la mre et au
+fils, souvent mme c'tait un sujet de rivalit entre eux; il leur tait
+difficile d'accorder leurs prtentions anglaises et cossaises au plus
+haut lignage respectif. Dans une lettre crite d'Italie; il dit propos
+de quelque anecdote qu'il tenait de sa mre: Ma mre, qui tait fire
+comme un diable de descendre des Stuart, en ligne droite des _vieux
+Gordon_, et non des _Sexton Gordon_, comme elle appelait ddaigneusement
+la branche ducale, ne manquait pas de me faire remarquer, chaque fois
+qu'elle me racontait cette histoire, combien _ses_ Gordon l'emportaient
+sur les Byron anglais, malgr notre origine normande, et notre nom
+toujours port par un hritier mle, tandis que celui des Gordon tait
+tomb une femme, dans la personne de ma mre.
+
+Si, pour peindre fortement les motions pnibles, il faut les avoir
+prouves, ou, en d'autres termes, si, pour que le pote soit grand,
+l'homme doit avoir souffert, Lord Byron, il faut l'avouer, paya son beau
+talent de bonne heure et bien cher. Quelque peu nombreuses que fussent
+les affections de Byron, soit en dedans, soit en dehors du cercle de sa
+parent, il les vit dans un court espace de tems presque toutes brises
+par la mort[156]. Outre la perte de sa mre, il eut dplorer, dans
+l'espace de quelques semaines, la mort prmature de deux ou trois de
+ses meilleurs amis. Dans le court espace d'un mois, dit-il dans une
+note de _Childe Harold_, j'ai perdu celle qui m'avait donn
+l'existence, et la plupart de ceux qui me rendaient cette existence
+tolrable. Parmi eux nous devons compter le jeune Wingfield, que nous
+avons vu en tte de la liste de ses favoris, Harrow, et qui mourut de
+la fivre Coimbre; et Matthews, l'objet de son admiration et de son
+idoltrie l'universit, qui se noya en se baignant dans la Cam.
+
+ [Note 156: Dans une lettre crite deux ou trois mois aprs la
+ mort de sa mre, il ne compte pas moins de six personnes de
+ ses parens ou de ses amis que la mort lui avait enleves
+ depuis le mois de mai jusqu' la fin d'aot.
+ (_Note de Moore_.)]
+
+La lettre suivante, crite immdiatement aprs ce dernier vnement, est
+tellement pleine d'une douloureuse sensibilit, que la lecture en est
+presque pnible.
+
+
+
+
+LETTRE LVI.
+
+ M. SCROPE DAVIES.
+
+Newstead-Abbey, 7 aot 1811.
+
+
+MON CHER DAVIES,
+
+Il y a quelque maldiction sur moi et les miens. Le cadavre de ma mre
+est encore dans la maison, et voil qu'un de mes meilleurs amis se noie
+dans un foss! Je ne sais que dire, que penser ou que faire. J'avais
+reu une lettre de lui avant-hier. Mon cher Scrope, si vous avez un
+moment de libre, je vous en conjure, venez me voir, j'ai besoin d'un
+ami. La dernire lettre de Matthews tait date de vendredi, et samedi
+il n'tait plus! Qui pouvait-on comparer Matthews pour les talens?
+Comme nous tions tous petits auprs de lui! Vous ne me rendez que
+justice en disant que j'aurais volontiers risqu ma chtive existence
+pour sauver la sienne. J'avais intention de lui crire ce soir mme,
+pour l'inviter, comme je vous invite, mon bien, bon ami, me venir
+voir. Que Dieu pardonne ... son apathie! Quelle sera la douleur de
+notre pauvre Hobhouse! Ses lettres ne parlent que de Matthews. Venez,
+Scrope, je suis presque dans le dsespoir; me voil presque seul dans le
+monde! Je n'avais que vous, Hobhouse et Matthews; laissez-moi jouir de
+la socit des survivans aussi long-tems que je le puis. Pauvre
+Matthews! Dans sa lettre de vendredi, il me parlait de son intention de
+se prsenter pour l'lection de Cambridge et d'un voyage qu'il devait
+faire bientt Londres. crivez-moi ou venez, mais venez plutt si vous
+le pouvez; l'un ou l'autre, ou tous les deux.
+
+Pour toujours, votre, etc.
+
+J'ai dj eu occasion de parler de ce jeune homme remarquable[157]; mais
+le rang qu'il occupa dans les affections de Byron, justifiera sans doute
+un hommage sa mmoire un peu plus dtaill.
+
+ [Note 157: Charles Skinner Matthews tait le troisime fils
+ de feu John Matthews, esq. de Belmont, dans le Herefordshire,
+ reprsentant de ce comt au parlement de 1802 1806. Il
+ avait pour frres l'auteur du _Journal d'un Invalide_ (_Diary
+ of an Invalid_), qui mourut aussi fort jeune, et le
+ prbendier actuel d'Hereford, le rvrend Arthur Matthews,
+ qui, par ses talens naturels et ses connaissances acquises,
+ soutient dignement la rputation de son nom.
+
+ Le pre de cette famille accomplie tait lui-mme un homme de
+ fort grands talens, et auteur de plusieurs pomes anonymes;
+ l'un d'eux, la _Parodie de l'Hlose de Pope_, a t
+ faussement attribu feu M. le professeur Porson; qui le
+ rcitait souvent, et qui en a mme donn une dition.]
+
+Rarement, peut-tre on a vu runis la fois autant de jeunes gens de
+mrite et d'esprance qu'il s'en trouva Cambridge dans la socit dont
+Byron faisait partie. Le nom de quelques-uns d'entre eux, MM. Hobhouse
+et William Bankes, par exemple, est devenu clbre dans le monde
+littraire et savant. Il en est un autre, M. Scrope Davies, dont les
+talens n'ont encore, au grand regret de ses amis, brill que dans sa
+conversation, d'ailleurs fort remarquable. Parmi tous ces jeunes gens
+pleins de talens et de connaissances, en y comprenant Byron lui-mme,
+dont le gnie tait cette poque _un monde non encore dcouvert_, la
+supriorit dans presque tous les genres parat, du consentement de
+tous, avoir incontestablement appartenu Matthews. Cet hommage unanime,
+si nous considrons le mrite des personnes qui le lui rendaient, doit
+donner une trs-haute ide des dispositions et mme des talens qu'il
+montrait cette poque. On ne peut songer sans intrt et sans douleur
+ ce qu'il serait probablement devenu un jour si la mort ne l'et pas
+frapp sitt. La supriorit intellectuelle, non accompagne des
+qualits aimables du coeur, n'et pas suffi pour obtenir cet loge
+unanime; mais le jeune Matthews, en dpit de quelques lgres asprits
+de caractre, de quelques originalits qu'il commenait faire
+disparatre, parat avoir t l'un de ces individus rares, qui
+commandent notre affection en mme tems que nos respects, et qui nous
+soulagent de l'admiration que nous ne saurions leur refuser, par l'amour
+qu'ils savent nous inspirer.
+
+J'ai dj parl de ses opinions religieuses, et, de leur malheureuse
+conformit avec celles de Lord Byron; ardent, comme son noble ami, la
+recherche de la vrit, comme lui il s'gara dans sa poursuite, et tous
+deux prirent pour elle cette fausse lumire qui lui ressemble. Qu'il
+soit jamais all plus loin que Lord Byron dans son scepticisme, que son
+esprit ingnieux ait jamais admis _la croyance incroyable de
+l'athisme_, c'est, malgr le tmoignage crit de notre pote, c'est ce
+que je vois nier par tous ceux de ses amis qui avouent ses autres
+erreurs en les dplorant. Je ne me serais mme pas permis d'examiner
+quelles ont t les opinions d'un homme qui, ne les ayant jamais
+affiches, ne les a pas rendues du domaine public, si l'ide fausse
+qu'on avait adopte ce sujet, d'aprs l'autorit de Lord Byron, ne
+m'et pas fait considrer comme un acte de justice, envers tous deux, de
+repousser cette imputation.
+
+On se rappellera que, dans ses lettres crites sa mre, avant son
+dpart pour ses voyages, Lord Byron parle quelquefois d'un testament
+qu'il avait intention de laisser entre les mains de ses excuteurs. Quel
+qu'ait t le contenu de cette pice, il parat que, quinze jours aprs
+la mort de sa mre, il crut devoir faire de nouvelles dispositions, et
+adressa la lettre suivante, avec ses instructions cet effet, feu M.
+Bolton, procureur Nottingham. J'ai refus long-tems de croire qu'il
+et jamais donn srieusement et en forme les ordres que l'on va voir,
+pour son propre enterrement; mais les documens ci-joints mettent hors de
+doute cette preuve remarquable de la singularit de son caractre.
+
+
+ M. BOLTON.
+
+Newstead-Abbey, 12 aot 1811.
+
+
+MONSIEUR,
+
+Je vous envoie ci-joint une copie des clauses principales du testament
+que j'ai dessein de faire, que je vous prie de vouloir bien faire
+grossoyer le plus tt possible, de la manire la plus claire et la plus
+formelle. Les changemens que vous y remarquerez sont principalement par
+suite de la mort de Mrs. Byron. Je vous serais oblig de le tenir prt
+dans peu de tems, et j'ai l'honneur d'tre, monsieur,
+
+Votre trs-humble et trs-obissant serviteur,
+
+BYRON.
+
+NOTES POUR UN TESTAMENT GROSSOYER IMMDIATEMENT.
+
+Newstead-Abbey, 12 aot 1811.
+
+Le domaine de Newstead substituer, aprs certaines dductions,
+George Anson Byron, hritier lgitime du titre, ou la personne
+quelconque qui s'en trouvera hritire lgitime au dcs de Lord Byron.
+La proprit de Rochdale vendre en tout ou en partie, suivant le
+chiffre des dettes et legs du prsent Lord Byron.
+
+ Nicolo Giraud, d'Athnes, sujet franais, mais n en Grce, la somme
+de 7,000 livres sterl. pour tre paye, l'poque de sa majorit, audit
+Nicolo Giraud, habitant Athnes et Malte en 1810, et ce sur la vente de
+telles parties de Rochdale, Newstead et autres proprits, suivant que
+besoin sera.
+
+ William Fletcher, Joseph Murray et Dmtrius Zograffo[158], natif de
+Grce, domestiques, la somme de 50 livres sterl. pendant leur vie. De
+plus, audit William Fletcher, le moulin de Newstead, condition qu'il
+en paiera la rente, mais sans tre soumis au caprice du propritaire.
+Robert Rushton, la somme de 50 livres sterling de rente viagre; plus,
+une autre somme de 1,000 liv. sterl. le jour qu'il atteindra l'ge de
+vingt-cinq ans.
+
+ [Note 158: Si les gazettes ne mentent pas, ce qu'elles font
+ gnralement, Dmtrius Zograffo, d'Athnes, est la tte de
+ l'insurrection de ce pays. Il a t mon domestique pendant
+ les annes 1809, 1810, 1811 et 1812, avec quelques
+ interruptions, car je le laissai en Grce quand je passai
+ Constantinople; il m'accompagna en Angleterre, en 1811, et
+ retourna dans son pays au printems de l'anne suivante. C'est
+ un homme habile, quoiqu'il n'et pas l'air entreprenant; mais
+ ce sont les circonstances qui nous font ce que nous sommes.
+ Ses deux fils, alors au berceau, s'appelaient Miltiade et
+ Alcibiade; puisse le prsage tre favorable!
+ (_Journal autographe de Byron_.)]
+
+ John Hanson, esq., la somme de 2,000 liv. sterling.
+
+Ce qui pourra tre d S.B. Davies, esq., devra lui tre pay ds
+qu'il en aura fourni la note.
+
+Le corps de Lord Byron sera enseveli dans le caveau du chteau de
+Newstead, sans aucune crmonie ou service funbre, et sans aucune
+inscription, si ce n'est celle de son nom et de son ge. Les restes de
+son chien ne seront pas pour cela enlevs du dit caveau.
+
+Ma bibliothque et mes meubles de toute espce sont lgus mes amis
+et excuteurs John Carn Hobbouse et S.B. Davies. En cas de dcs des
+susdits, je nomme pour mes excuteurs le rvrend J. Becher, de
+Southwell, Nottinghamshire, et R. C. Dallas, Esq. de Montake Surrey.
+
+Le produit de la vente de Wymondham dans le Norfolkshire, et des
+proprits de la feue Mrs. Byron en cosse, sera employ au paiement de
+mes dettes et de mes legs.
+
+En envoyant une copie du testament rdig d'aprs les instructions de
+Lord Byron, le procureur avait accompagn quelques-unes des clauses de
+questions marginales, appelant l'attention de son noble client sur
+certaines choses qui lui semblaient impropres ou douteuses. Comme les
+courtes, mais nergiques rponses de Byron, sont parfaitement empreintes
+de l'originalit de son caractre, nous allons donner ici quelques-unes
+de ces clauses avec les questions et les rponses qui s'y rapportent.
+
+Ceci est la dernire volont et le testament de moi, le trs-honorable
+Georges-Gordon Lord Byron, Baron Byron de Rochdale, dans le comt de
+Lancaster. Je veux que mon corps soit enterr dans le caveau du jardin
+de Newstead, sans aucune crmonie, ni aucun service funbre quelconque.
+Qu'on ne place aucune inscription sur mon tombeau, sauf une tablette
+portant mon nom et mon ge. Je veux de plus qu'on ne retire pas du dit
+caveau les restes de mon chien fidle. Je me confie l'affection de mes
+excuteurs pour l'accomplissement de cette volont, laquelle je tiens
+d'une manire toute particulire.
+
+--On demande Lord Byron s'il ne vaudrait pas mieux supprimer
+entirement cette clause relative aux funrailles. La substance pourrait
+en tre renferme dans une lettre de Sa Seigneurie ses excuteurs, et
+jointe au testament, lequel porterait alors que les funrailles auraient
+lieu en la manire que Sa Seigneurie l'aurait ordonn par une lettre _ad
+hoc_, ou, dfaut d'une telle lettre, la discrtion de ses
+excuteurs.
+
+--Il faut que cela reste.
+
+BYRON.
+
+Je veux, et j'ordonne formellement que toutes les sommes que ledit S.
+B. Davies pourrait avoir rpter sur moi, soient payes intgralement,
+aussitt que possible, aprs mon dcs, ds qu'il aura prouv la nature
+et le montant de la dette (par tmoins ou autrement, la satisfaction
+de mes excuteurs ci-dessus nomms)[159].
+
+ [Note 159: Les mots placs ici entre deux traits avaient t
+ biffs la plume par Lord Byron.]
+
+--Si M. Davies a quelques comptes non rgls avec Lord Byron, cette
+circonstance est une raison de ne le point nommer excuteur; chaque
+excuteur tant en tat de se payer par ses propres mains sans consulter
+ses co-excuteurs.
+
+--Tant mieux... Si la chose est possible, qu'il soit l'un des
+excuteurs.
+
+BYRON.
+
+Les deux lettres suivantes contiennent de nouvelles instructions sur le
+mme sujet.
+
+
+
+
+LETTRE LVIII. [Mme numro que lettre suivante]
+
+ M. BOLTON.
+
+Newstead-Abbey, 16 aot 1811.
+
+
+MONSIEUR,
+
+J'ai rpondu en marge vos questions[160]. Mon intention est que l'on
+accorde M. Davies tout ce qu'il croira devoir rpter, et de plus
+qu'il soit l'un de mes excuteurs. Je dsire que le testament soit, s'il
+est possible, crit de manire prvenir toute espce de discussion
+aprs ma mort, et c'est ce sur quoi je m'en repose sur vous comme homme
+de loi et homme d'honneur.
+
+ [Note 160: En numrant dans cette clause le nom et la
+ demeure des excuteurs, le procureur avait laiss des blancs
+ pour les noms de baptme des excuteurs; Lord Byron les ayant
+ tous remplis, except celui ou ceux de M. Dallas, crivit en
+ marge: J'ai oubli le nom de baptme de Dallas... il n'y a
+ qu' le retrancher.]
+
+Quant la manire simple dont je veux qu'on dispose de ma _carcasse_,
+je veux que l'on s'y conforme absolument; cela aura, du moins,
+l'avantage de sauver bien du trouble et de la dpense. En outre, ce qui
+est de peu de consquence pour moi, mais qui pourra calmer la conscience
+des survivans, le jardin est _terre consacre_. Cet article est copi
+mot mot de mon premier testament, et les changemens oprs dans
+d'autres sont la suite de la mort de Mrs. Byron.
+
+J'ai l'honneur d'tre votre trs-humble et trs-obissant serviteur,
+
+BYRON.
+
+
+
+
+LETTRE LVIII.[Mme numro que la lettre prcdente.]
+
+ M. BOLTON.
+
+Newstead-Abbey, 20 aot 1811.
+
+
+MONSIEUR,
+
+Les tmoins seront pris parmi mes fermiers, et je serai charm de vous
+recevoir le premier jour qui vous sera convenable. J'ai oubli de
+mentionner qu'il faut spcifier par codicille, ou autrement, que mon
+corps ne devra, sous aucun prtexte, tre enlev de la place o je yeux
+qu'il soit dpos. Que si quelqu'un de mes successeurs au titre, soit
+par bigoterie, soit autrement, voulait dranger ma carcasse, un tel
+procd devra tre suivi de la perte du domaine, qui, dans ce cas,
+serait dvolu ma soeur l'honorable Augusta Leigh ou ses ayant-cause,
+aux mmes conditions.
+
+J'ai l'honneur d'tre, Monsieur, etc.
+
+BYRON.
+
+En consquence de cette dernire lettre, une condition provisionnelle
+fut insre dans le testament. Il y fut aussi, le 28 du mme mois,
+ajout un codicille par lequel il rvoque la donation prcdemment faite
+de ses meubles meublans, bibliothque, tableaux, sabres, montres,
+argenterie, linge, bijoux, etc., et autres effets mobiliers, except
+l'argent et les valeurs en portefeuille, qui se trouveraient dans la
+maison et proprit de Newstead au jour de son dcs, et lgue le tout
+(except le vin et les autres spiritueux) ses amis lesdits J. C.
+Hobhouse, J. B. Davies et Francis Hodgson, ses excuteurs, etc. Il lgue
+le vin et les liqueurs spiritueuses qui se trouveront dans les caves et
+autres parties de Newstead, son ami ledit J. Becher, pour son usage
+particulier. Priant collectivement et individuellement les susnomms de
+vouloir bien accepter leur dit legs respectif, comme un gage de son
+amiti.
+
+On ne saurait se dfendre d'un intrt douloureux la lecture des
+lettres suivantes, crites lorsque ses dernires pertes taient encore
+toutes rcentes.
+
+LETTRE LIX.
+
+ M. DALLAS.
+
+Newstead-Abbey, 12 aot 1811.
+
+Que la paix soit avec les morts! Le regret ne saurait les rveiller.
+Aprs avoir donn un soupir ceux qui ont quitt cette vie,
+reprenons-en les ennuyeuses occupations, dans la certitude o nous
+sommes que nous aussi nous aurons un jour notre repos. Outre celle qui
+m'avait donn l'existence, j'ai perdu la plus grande partie de ceux qui
+me la rendaient supportable. Le meilleur ami de mon ami Hobhouse,
+Matthews, homme d'un rare mrite, l'ornement de notre petit cercle, a
+pri misrablement dans les eaux fangeuses de la Cam, toujours fatales
+au gnie. Mon pauvre camarade d'cole, Wingfield, est mort Coimbre. En
+voil trois dans l'espace d'un mois; j'avais reu des nouvelles de tous
+trois, mais je n'en ai pas vu un seul. Matthews m'avait crit le jour
+mme de sa mort: quoique je regrette vivement sa perte, je suis bien
+plus tourment pour Hobhouse, je crains bien qu'il n'en perde la raison;
+depuis cet vnement, les lettres qu'il m'a crites sont pleines
+d'incohrences. Mais allons..., nous passerons un jour ou un autre comme
+tout le reste... Le monde est trop plein de ces sortes de choses, et
+notre chagrin mme est goste.
+
+J'ai reu une lettre de vous, laquelle mes dernires occupations
+m'ont empch de rpondre, ainsi qu'il aurait convenu. J'espre que vos
+parens et vos amis ne seront pas de sitt spars. Je serai charm de
+recevoir une lettre de vous: parlez-moi d'affaires, de sujets communs,
+de quelque chose ou de rien, de tout ce que vous voudrez, except de la
+mort; j'en ai plus que je n'en puis supporter. C'est une chose
+tonnante: je regarde sans motion les quatre crnes que j'ai toujours
+sous les yeux dans mon cabinet d'tude, et je ne puis, mme par la
+pense, dpouiller de leur enveloppe charnue les traits de ceux que j'ai
+connus, sans prouver une horrible sensation; mais les vers n'y font pas
+tant de crmonie! Srement les Romains avaient raison de brler leurs
+morts.
+
+Je serai charm de recevoir de vos nouvelles, et suis votre, etc.
+
+BYRON.
+
+
+
+
+LETTRE LX.
+
+ M. HODGSON.
+
+Newstead-Abbey, 22 aot 1811.
+
+
+Vous avez sans doute appris la mort soudaine de ma mre, celle de
+Matthews, celle de Wingfield que je n'ai sue d'une manire bien positive
+qu'au moment o je quittais Londres, encore refusais-je d'y croire; tout
+cela fait un horrible vide dans mes affections. Ces coups se sont
+succd si rapidement, que je suis comme stupfait du choc. Quoique je
+mange, que je boive, que je parle, que je rie mme quelquefois, j'ai
+peine me persuader que je sois veill; chaque matin j'acquiers la
+triste conviction que tout cela n'est que trop rel. Mais, brisons l,
+les morts sont en repos, et seuls ils y sont.
+
+Vous partagerez la douleur de ce pauvre Hobhouse: Matthews tait le
+dieu de son idoltrie; et si l'intelligence peut lever un homme
+au-dessus de ses semblables, nul ne pouvait lui refuser cette
+prminence. Je le connaissais trs-intimement, et l'estimais en
+proportion; mais je retombe encore... Allons, parlons de la vie et des
+vivans.
+
+Si vous vous sentiez dispos venir ici, vous y trouveriez du boeuf,
+du feu de charbon de terre et du vin qui n'est pas sans quelque mrite.
+Si vous y trouverez les deux autres ncessits d'un Anglais, suivant
+Otway, je ne saurais en rpondre, mais probablement une des deux.
+Faites-moi savoir quand je pourrai vous attendre, afin que je vous
+tienne au courant de mes alles et de mes venues.....
+
+Davies est venu ici; il m'a invit passer une semaine Cambridge
+dans le mois d'octobre, de sorte que nous pourrions d'aventure nous
+rencontrer le verre la main. Sa gat contre laquelle la mort ne peut
+rien, m'a rendu bien service; mais aprs tout, nos clats de rire
+n'taient pas francs.
+
+Vous m'crirez? Je suis seul, voil la premire fois que la solitude
+m'est pnible. Votre anxit, propos de la critique sur le livre de
+***, est amusante; comme elle est anonyme, elle est de peu de
+consquence. Je voudrais qu'elle et amen un peu plus de confusion, car
+j'aime les malices littraires. Ne faites-vous rien? N'crivez-vous
+rien? N'imprimez-vous rien? Pourquoi ne continuez-vous pas votre satire
+sur le mthodisme? Ce sujet, en supposant mme que le public ft aveugle
+sur le mrite littraire, ferait merveille. Outre que pour un homme qui
+se destine au diaconat, il n'y aurait pas de mal de prouver son
+orthodoxie, srieusement parl, je dsirerais vivement vous voir mieux
+apprci. Je dis _srieusement_, parce qu'tant auteur moi-mme, on
+pourrait souponner mon humanit. Croyez-moi, pour toujours, mon cher
+Hodgson, votre, etc.
+
+
+
+
+LETTRE LXI.
+
+A M. DALLAS.
+
+Newstead, 21 aot 1811.
+
+
+Votre lettre me fait honneur de plus de sensibilit que je n'en
+possde; quoique je me trouve suffisamment malheureux, je suis cependant
+sujet une sorte de joie hystrique, ou plutt de rire sans gat, dont
+je ne puis me rendre compte, et que je ne saurais surmonter; et
+cependant je ne m'en sens pas soulag: une personne indiffrente me
+croirait dans les meilleures dispositions du monde. Il faut oublier
+toutes ces choses, et avoir recours toutes nos jouissances
+d'gostes, ou plutt notre gosme, source de nos jouissances. Je ne
+crois pas retourner Londres immdiatement; j'accepterai donc sans
+crmonie ce que vous m'avez obligeamment offert, votre mdiation entre
+Murray et moi. Je ne crois pas qu'il soit convenable d'y mettre mon nom.
+Observez que ma maudite satire sera cause que les critiques anglais et
+cossais vont se dchaner sur le _Plerinage_. Mais n'importe; si
+Murray insiste, et que vous soyez d'accord avec lui, j'en aurai le
+courage. Que le titre porte donc: Par l'auteur des _Potes anglais et
+des Journalistes cossais_. Mes remarques sur la langue romaque, qui
+devaient accompagner mes _Imitations d'Horace_, se joindront tout
+naturellement cet ouvrage, avec lequel elles ont plus de rapport,
+ainsi que les petits pomes que j'ai maintenant en portefeuille, et
+quelques autres dj publis dans les _Mlanges_. J'ai trouv dans les
+papiers de ma pauvre mre toutes mes lettres de l'Orient, et en
+particulier une assez longue sur l'Albanie; j'en pourrai, au besoin,
+tirer le sujet d'une note ou deux. Comme je n'avais point de journal,
+ces lettres crites sur les lieux sont tout ce que je puis dsirer de
+mieux. Nous en reparlerons quand tout le reste sera dfinitivement
+arrang.
+
+Murray a-t-il montr l'ouvrage quelqu'un? Il en est bien le matre;
+mais je ne veux pas de suffrages mendis ou surpris. Il y a
+naturellement certaines petites choses que je voudrais changer.
+Peut-tre ferait-on aussi bien de retrancher deux stances bouffonnes sur
+le dimanche Londres. Je dois singulirement viter d'identifier mon
+caractre avec celui de _Childe Harold_, et c'est en vrit une seconde
+objection pour l'impression de mon nom sur le titre. Quand vous serez
+convenu du tems, du format, du caractre, etc., faites-moi l'honneur
+d'une rponse. Je vous donne une peine infinie, et que tous mes
+remercmens ne sauraient jamais reconnatre. J'avais mis en tte du
+manuscrit une sorte d'apologie en prose de mon scepticisme; mais comme,
+toute rflexion faite, je trouve qu'elle a plutt l'air d'une attaque
+que d'une dfense, je crois qu'il serait peut-tre mieux de la
+retrancher.... Voyez, et jugez. Je crains que Murray ne se fasse quelque
+mauvaise affaire avec les dvots; je ne puis qu'y faire; je souhaite
+cependant qu'il s'en tire pour le mieux. Quant moi, j'ai t abreuv
+de critiques, et j'en ai eu tout mon sol, et je ne pense pas que le
+plus pouvantable trait puisse mouvoir et faire hrisser sur ma tte
+ma toison de cheveux, jusqu' ce que la fort de Birnam vienne au
+chteau de Dunsinane[161]. Je continuerai vous crire de tems en
+tems, et j'espre que vous me rendrez lettre pour lettre. Comment Pratt
+se tire-t-il des oeuvres posthumes de Joe Blackett? Vous avez tu ce
+pauvre homme-l entre vous, en dpit de votre ami l'Ionien et de moi qui
+voulions le sauver des griffes de Pratt. Posie, pauvret pendant la
+vie, oubli aprs la mort! Cruel patronage! de ruiner un homme, en
+l'arrachant son tat. Mais enfin c'est un merveilleux sujet de
+souscription et de biographie; et Pratt, qui tire le meilleur parti de
+ses ddicaces, a dj ddi son livre cinq grandes familles au moins.
+
+ [Note 161: Imitation burlesque du _Macbeth_ de Shakspeare.
+ (_N. du Tr._)]
+
+Je suis fch que vous n'aimiez pas Harry White; avec beaucoup de
+jargon religieux qui, par parenthse, l'a tu, quoique sincre, comme
+vous avez tu Joe Blackett, certes il y avait en lui de la posie et du
+gnie. Je ne dis pas cela pour ma comparaison et mes rimes; mais il
+tait incontestablement au-dessus de tous les Bloomfields, les
+Blacketts, et tous ces autres savetiers que Lofft et Pratt ont enlevs
+ou enlveront leur tat pour les faire entrer au service de la presse.
+Vous excuserez tout le dcousu de cette lettre; j'cris je ne sais quoi
+pour me drober moi-mme. Hobhouse est parti pour l'Irlande. M. Davies
+est pass par ici en se rendant Harrowgate.
+
+Vous ne connaissiez pas Matthews; c'tait un homme d'un talent
+extraordinaire; il en a fait preuve Cambridge, en gagnant, sur les
+plus habiles candidats, plus de prix et de _fellowships_ qu'aucun gradu
+ne l'ait encore fait, de mmoire d'homme. Mais c'tait un athe bien
+dcid et bien connu pour tel; car il proclamait ses principes dans
+toutes les socits. Je le connaissais beaucoup; sa mort laisse dans mon
+coeur un vide qui ne sera pas aisment rempli: pour Hobhouse, il ne s'en
+consolera jamais. crivez-moi, et croyez-moi, etc.
+
+
+
+
+LETTRE LXII.
+
+ M. MURRAY.
+
+Newstead-Abbey, 23 aot 1811.
+
+
+MONSIEUR,
+
+Un chagrin domestique, la mort d'un parent trs-proche, m'a jusqu'ici
+empch d'entrer en correspondance avec vous sur ce qui fait le sujet de
+cette lettre. Mon ami, M. Dallas, a mis entre vos mains le manuscrit
+d'un pome crit par moi en Grce, et me dit que vous n'avez point
+d'objections contre sa publication; mais il m'apprend aussi que vous
+dsireriez soumettre l'ouvrage M. Gifford. Certes, nul ne dsirerait
+plus que moi profiter des observations dont il pourrait peut-tre
+m'honorer; mais il y a dans une dmarche de ce genre une sorte de qute
+d'loges qui rpugne mon orgueil, ou de quelque autre nom qu'il vous
+plaise d'appeler le sentiment qui me force m'y refuser. Non-seulement
+M. Gifford est le premier de nos potes satiriques, mais il est encore
+l'diteur de nos principales _Revues_, et comme tel, l'homme du monde
+dont je voudrais le moins avoir l'air de prvenir la critique par de
+petits moyens, quoique en effet je la redoute beaucoup. Vous voudrez
+donc bien garder le manuscrit entre vos mains, ou s'il faut absolument
+qu'il soit montr quelqu'un, envoyez-le un autre. Quoique je ne sois
+pas trs-patient de la censure, je serais, comme un autre, charm de
+recevoir le peu d'loges que mes vers peuvent mriter; mais coup sr
+je ne veux pas les extorquer par d'humbles sollicitations, et en faisant
+passer mon manuscrit la ronde. Je suis persuad qu'avec un peu de
+rflexion vous verrez que je n'ai pas tort.
+
+Si vous vous dterminez publier, j'ai aussi quelques petits pomes
+indits, quelques notes, et une courte dissertation sur la littrature
+grecque moderne, crite Athnes, qui pourront tre places la fin du
+volume. Si la pice dont il s'agit ici venait russir, j'ai intention
+de publier plus tard un choix de mon premier recueil, ma satire, une
+autre de la mme longueur, et quelques autres petites choses; le tout
+joint au manuscrit que vous avez maintenant entre les mains pourrait
+former deux volumes. Nous aurons le tems d'en reparler. Je vous serais
+oblig de me faire connatre la dtermination que vous aurez prise.
+
+Je suis, monsieur, votre trs-humble et trs-obissant serviteur,
+
+BYRON.
+
+
+
+
+LETTRE LXIII.
+
+A M. DALLAS.
+
+Newstead-Abbey, 25 aot 1811.
+
+
+Comme heureusement j'ai mon franc-couvert[162], je ne me fais point
+scrupule de vous accabler de griffonnage; depuis dix jours je vous ai
+envoy de vritables paquets. Je suis ici comme un ermite; je ne crois
+pas que mon agent puisse m'accompagner Rochdale avant la seconde
+semaine de septembre, dlai qui me contrarie fort; car je voudrais que
+cette affaire ft finie, et serais bien aise de me livrer quelque
+occupation. Je vous envoie des exordes, des annotations, etc., pour
+notre futur in-quarto, si tant est qu'in-quarto il doive y avoir. J'ai
+aussi crit M. Murray, lui exposant les raisons qui me font ne pas
+consentir ce qu'il envoie mon manuscrit Juvnal[163], mais lui
+permettant de le montrer quelque autre personne du mtier qu'il pourra
+lui tre agrable. Hobhouse est sous presse, de manire que, lui en
+prose, et moi en vers, nous tirons passablement vue sur la patience et
+le papier-monnaie du public. Ce n'est pas tout; mes _Imitations
+d'Horace_ attendent leur tour pour s'imprimer chez Cawthorn, mais je
+suis encore incertain sur le _quand_ et le _comment_, le simple ou le
+double, le prsent et le futur. Il faut que vous excusiez tout ce
+bavardage; car dans ce manoir isol je n'ai rien dire, si ce n'est de
+moi-mme, et je serais charm de pouvoir parler de....., ou penser
+quelque autre chose que ce soit.
+
+ [Note 162: Pendant la dure des sessions, les membres des
+ deux chambres ont leur couvert libre, tant pour les lettres
+ qu'ils crivent que pour celles qu'ils reoivent.
+ (_N. du Tr._)]
+
+ [Note 163: M. Gifford.]
+
+Qu'est-ce que vous allez faire? Pensez-vous percher dans le
+Cumberland, comme vous en aviez l'ide, quand j'tais dans la mtropole!
+Si vous avez le got de la retraite, que ne prenez-vous la chaumire de
+l'amiti de miss ***, dernire rsidence du savetier Joe Blackett, de
+la mort duquel vous et les autres rpondrez un jour? Sa fille
+orpheline (pathtique Pratt!) ne saurait manquer de devenir une Sapho
+cordonnire. N'avez-vous pas de remords? Je crois que l'lgante ptre
+ miss Dallas devrait tre grave sur le cnotaphe que miss *** veut
+consacrer sa mmoire.
+
+Les journaux semblent dsappoints de ce que Sa Majest ne meurt pas et
+s'occupe quelque chose de mieux. Je prsume que tout est fini
+maintenant. Si le parlement reprend ses sances en octobre, je me
+rendrai Londres pour y assister. Je suis aussi invit Cambridge pour
+le commencement de ce mois, mais il faut d'abord que j'aille faire une
+course Rochdale. Maintenant que Matthews est mort et que Hobhouse est
+en Irlande, l'exception de celui qui m'y appelle, peine me
+reste-t-il un ami Cambridge pour me venir prendre la main mon
+arrive. A vingt-trois ans, me voil rest presque seul, que sera-ce
+donc soixante-dix! Il est vrai que je suis jeune et que je puis
+commencer de nouvelles liaisons; mais avec qui me rappellerai-je ces
+scnes joyeuses de la premire partie de la vie? C'est une chose
+trange, combien peu de mes amis sont morts d'une mort tranquille! je
+veux dire dans leur lit. Une vie tranquille est de bien plus grande
+consquence. Mais on aime mieux se quereller et se heurter que
+_bailler_. Ce mot m'avertit qu'il est tems de vous dbarrasser de votre
+bien affectionn, etc.
+
+
+
+
+LETTRE LXIV.
+
+A M. DALLAS.
+
+Newstead-Abbey, 27 aot 1811.
+
+J'tais si sincre dans ma note sur feu Charles Matthews, et je me sens
+si totalement incapable de rendre justice ses talens, que le passage
+doit subsister par la raison mme que vous allguez pour me le faire
+supprimer. Tous les hommes que j'ai connus ne sont que des pygmes
+auprs de lui. C'tait un gant intellectuel. Il est vrai que j'aimais
+Wingfield plus encore: c'tait mon plus ancien camarade et le plus cher,
+un de ces hommes peu nombreux qu'on ne saurait jamais se repentir
+d'avoir aims; mais sous le rapport de la capacit... Ah! vous ne
+connaissiez pas Matthews!
+
+_Childe Harold_ peut attendre, et ce sera tant mieux; les livres n'en
+sont jamais plus mauvais pour avoir t retards dans leur publication.
+Ainsi, vous avez chez vous notre hritier, Georges Anson Byron, et sa
+soeur...................................................................
+
+Dites tout ce que vous voudrez, mais vous tes l'un des _meurtriers_ de
+Blackett, et cependant vous ne voulez pas avouer le gnie d'Harry White.
+Mettant part sa bigoterie, il mrite certainement d'tre plac prs de
+Chatterton. Il est tonnant combien peu il tait connu! et, Cambridge,
+personne ne pensait lui, ne parlait de lui, jusqu' ce que la mort
+l'ait rendu indiffrent sa gloire posthume. Pour ma part, j'eusse t
+fier d'tre li avec lui; ses prjugs mmes taient respectables. Il y
+a Granta un pote pique en herbe, un M. Townsend, protg du feu duc
+de Cumberland. Avez-vous jamais entendu parler de son _Armageddon_? Je
+crois que son plan (pour l'homme, je ne le connais pas) a quelque chose
+de sublime; bien que dans vos ides, vous autres Nazarens, il y ait
+trop de hardiesse vouloir crer l'avance _Le Dernier Jour_. Cela a
+l'air de vouloir dire au Seigneur ce qu'il doit faire, et pourrait
+rappeler quelque lecteur malvole ce vers:
+
+ Des sots se prcipitent o les anges ne marchent qu'en
+ tremblant.
+
+Je ne veux point lui faire de chicanes, d'autres lui en feront, et il
+pourrait bien voir aprs ses talons tous les agneaux de Jacob Behmen.
+Quoi qu'il en soit, j'espre qu'il s'en tirera son honneur, encore
+qu'il doive rencontrer Milton en son chemin.
+
+crivez-moi, je suis fou de bavardages; saluez pour moi Ju..., et
+donnez pour moi une poigne de main Georges; mais prenez garde, il a
+une vilaine patte marine.
+
+_P. S._ J'inviterais volontiers Georges venir ici, mais je ne sais
+comment l'amuser; j'ai vendu tous mes chevaux mon dpart d'Angleterre,
+et je n'ai pas encore eu le tems de les remplacer. Cependant, s'il veut
+venir chasser en septembre, il sera le bienvenu, mais il faudra qu'il
+apporte un fusil; j'ai donn tous les miens Ali Pacha, et d'autres
+Turcs. J'ai des chiens, un garde, beaucoup de gibier, un grand domaine,
+un lac, un bateau, un logement et du bon vin son service.
+
+
+
+
+LETTRE LXV.
+
+ M. MURRAY.
+
+Newstead-Abbey, 5 septembre 1811.
+
+
+MONSIEUR,
+
+Il parat que le tems est pass o, comme le disait le docteur Johnson,
+un homme tait sr d'apprendre la vrit de son libraire; vous m'avez
+fait tant de complimens qu' moins d'tre le dernier crivassier du
+monde, je devrais m'en tenir pour offens. Mais puisque je les accepte
+ces complimens tels qu'ils sont, il est bien juste que j'aie aussi
+beaucoup d'gards pour vos objections, d'autant plus que je les crois
+fondes. Quant aux parties politique et mtaphysique, je crains de n'y
+pouvoir rien changer; j'ai de grandes autorits pour justifier mes
+erreurs sur ce point, car l'_nide_ elle-mme tait un pome
+_politique_ et crit dans un but _politique_. Quant mes malheureuses
+opinions sur des sujets plus importans, j'ai t trop sincre en les
+mettant pour songer chanter la palinodie. J'ai dit ce que j'avais vu
+pour ce qui touche les affaires d'Espagne, et je crois que l'honnte
+John Bull commence revenir de l'ivresse o l'avait plong la retraite
+de Massna, consquence ordinaire de _succs extraordinaires_. Vous
+voyez donc que je ne puis altrer les penses; mais si dans l'expression
+et la forme des vers, il y a quelque chose que vous dsiriez changer, je
+puis rajuster des rimes, et retourner des stances autant qu'il vous
+plaira. Quant aux _Orthodoxes_, esprons qu'ils achteront l'ouvrage
+pour en dire du mal, alors vous leur pardonnerez l'intention en faveur
+du rsultat immdiat. Vous savez que rien de ce qui sort de ma plume ne
+saurait tre pargn, pour plusieurs bonnes raisons; ainsi donc, encore
+que cet ouvrage soit d'une nature tout--fait diffrente du premier,
+nous ne devons pas nous livrer de trop belles esprances.
+
+Vous ne m'avez point fait de rponse ma question; dites-moi
+franchement, avez-vous montr le manuscrit quelqu'un de votre corps?
+J'ai envoy une stance d'introduction M. Dallas pour vous tre remise,
+et sans laquelle le pome commenait d'une manire trop brusque. Il vaut
+mieux numroter les stances en chiffres romains. J'ai des _Recherches
+sur la littrature grecque moderne_ et quelques autres petits pomes qui
+se placeront la fin. Je les ai ici, et je vous les enverrai en tems
+opportun. Si M. Dallas a perdu la stance et la note qui y tait annexe,
+crivez-le-moi, et je vous les enverrai directement. Vous me dites
+d'ajouter deux chants, mais je dois visiter mes _charbonniers_ du
+Lancashire, le 15 courant, et c'est une occupation si anti-potique que
+je n'ai pas besoin de vous en dire davantage.
+
+Je suis, Monsieur, votre trs-obissant, etc.
+
+Les manuscrits de ces deux pomes ayant t, bien contre sa volont,
+montrs M. Gifford, voici l'opinion de ce gentleman, rapporte par M.
+Dallas: Il a parl trs-avantageusement de votre satire; mais quant
+votre pome (_Childe Harold_), non-seulement il a dit que c'tait ce que
+vous aviez crit de mieux, mais il le prtend au moins gal quoi que
+ce soit qu'on ait publi depuis le commencement de ce sicle.
+
+
+
+
+LETTRE LXVI.
+
+ M. DALLAS.
+
+Newstead-Abbey, 7 septembre 1811.
+
+
+MONSIEUR,
+
+Comme Gifford a toujours t pour moi mon _magnus Apollo_, des loges
+tels que ceux que vous mentionnez me sont naturellement plus prcieux
+que _tout l'or vant de Bolcara_, que _toutes les pierres prcieuses de
+Samarkand_. Mais je suis fch que le manuscrit lui ait t montr, et
+je l'avais crit Murray, croyant qu'il en tait tems encore.
+
+Pour rpondre votre objection sur l'expression de _ligne centrale_,
+je vous dirai seulement qu'avant que Childe Harold quittt l'Angleterre,
+son intention arrte tait de traverser la Perse et de revenir par les
+Indes, ce qu'il n'aurait pu faire sans passer la ligne quinoxiale.
+
+Quant aux autres erreurs dont vous parlez, il faudra que je les corrige
+au fur et mesure pendant l'impression. Je me sens trs-honor du dsir
+qu'ont bien voulu exprimer des personnes aussi distingues de me voir
+continuer mon pome; mais pour cela, il faut que je retourne en Grce et
+en Asie; il me faut un soleil plus chaud et un ciel sans nuages; on ne
+saurait dcrire de telles scnes au coin d'un feu de charbon de terre.
+J'avais projet un chant additionnel quand j'tais dans la Troade et
+Constantinople, et, si je revoyais ces lieux-l, je pourrais continuer:
+mais au milieu des circonstances et des sensations actuelles je n'ai ni
+harpe, ni coeur, ni voix pour aller en avant. Je sens que vous avez tous
+raison quant la partie mtaphysique; mais je sens aussi que je suis
+sincre, et que si je ne devais crire que _ad captandum vulgus_, autant
+vaudrait publier tout de suite un _Magazine_ ou filer langoureusement
+des chansonnettes pour le Wauxhall...................................
+
+Mon ouvrage russira comme il pourra. Je sais que j'ai tout contre moi,
+des potes irrits et des prjugs; mais si le pome est _un pome_, il
+surmontera ces obstacles, _sinon_ il mrite son sort. J'ai lu l'ode de
+votre ami; ce ne serait pas lui faire grand compliment de lui dire
+qu'elle est bien suprieure celle de S***, sur le mme sujet. C'est
+videmment l'ouvrage d'un homme de got et d'un pote, et cependant je
+ne pourrais dire qu'elle soit tout--fait gale ce qu'on avait droit
+d'attendre de l'auteur des _Hor Ionic_. Je vous en remercie, et c'est
+plus que je n'en voudrais dire d'aucune autre des odes qu'on nous donne
+aujourd'hui. Je suis bien sensible aux voeux que vous formez pour moi, et
+j'en ai grand besoin. Ma vie entire a t en opposition aux convenances
+sociales pour ne pas dire la dcence. Mes affaires sont embarrasses,
+mes amis sont morts ou loin de moi, et mon existence n'est plus qu'un
+dsert aride. Dans Matthews j'ai perdu un guide, un philosophe, un ami;
+dans Wingfield un ami seulement, mais un ami que j'aurais dsir
+accompagner dans son long voyage.
+
+Matthews tait, en effet, un homme extraordinaire; jamais un tranger
+n'aurait pu concevoir un tel gnie; le cachet de l'immortalit tait
+empreint sur tout ce qu'il disait, sur tout ce qu'il faisait: et
+maintenant que reste-t-il de lui? Quand nous voyons de ces hommes
+disparatre, de ces hommes qui semblaient avoir t crs pour montrer
+tout ce que le crateur pourrait faire de ses cratures; quand nous les
+voyons rduits en poussire avant que le tems n'ait mri leur gnie qui
+et pu tre l'orgueil de la postrit, que devons-nous en conclure? Pour
+ma part, ma raison s'y perd. Il tait beaucoup pour moi, il tait tout
+pour Hobhouse. Mon pauvre Hobhouse idoltrait Matthews. Moi je l'aimais
+moiti moins que je ne le respectais; j'tais tellement convaincu de sa
+supriorit infinie, que quoique je ne lui portasse pas envie, je
+restais devant lui dans une sorte d'admiration stupfaite. Lui,
+Hobhouse, Davis et moi nous formions un petit cercle Cambridge et
+ailleurs. Davis est un homme d'esprit et un homme du monde; il ressent
+la perte que nous avons faite, autant qu'un homme de ce caractre peut
+la ressentir; mais il n'en est pas aussi affect qu'Hobhouse. Davis, qui
+n'est point crivain, nous a toujours battus dans une guerre de mots;
+son talent de conversation nous amusait en mme tems qu'il nous
+imposait. Hobhouse et moi, avions toujours le dessous contre les deux
+autres, et Matthews lui-mme tait oblig de cder devant la vivacit
+toute puissante de Davis. Mais je vous parle l d'hommes et de jeunes
+gens, comme si tout cela tait de nature vous intresser.
+
+J'attends le retour de mon agent vers le 14, pour me rendre avec lui
+dans le Lancashire, o tout le monde me dit que j'ai une proprit qui
+n'est pas ddaigner, consistant en mines de charbon de terre, etc. Mon
+intention est d'accepter ensuite une invitation, Cambridge, en
+octobre, et peut-tre irai-je jusqu' Londres. J'ai quatre invitations
+pour quatre villes diffrentes; mais il faut que je me dvoue tout
+entier aux affaires. Je suis compltement seul, comme le prouvent assez
+ces lettres longues et ennuyeuses. En relisant votre lettre, je vois que
+l'ode est de l'auteur; faites-lui, je vous prie, accepter mes
+complimens. Sa muse mritait un sujet plus noble. Vous m'crirez, je
+l'espre, comme l'ordinaire.
+
+Je vous souhaite le bon soir, et suis, etc.
+
+
+
+LETTRE LXVII.
+
+ M. MURRAY.
+
+Newstead-Abbey, 14 septembre 1811.
+
+
+MONSIEUR,
+
+Depuis votre dernire lettre j'ai appris de M. Dallas que, contre mon
+intention, ainsi qu'il le savait bien, et que vous le savez vous-mme,
+d'aprs une lettre que je vous avais crite tout entire ce sujet, mon
+manuscrit avait t soumis la lecture de M. Gifford. Quelques
+vnemens domestiques rcens, dont vous avez sans doute connaissance,
+m'empchrent de vous envoyer ma lettre plus tt. Je ne pouvais
+m'imaginer, en effet, que vous seriez si press de jeter mes productions
+entre les mains d'un tranger, qui pouvait n'tre pas plus satisfait de
+les recevoir, que l'auteur de les voir offrir d'une telle manire et
+un tel homme.
+
+Mon adresse, quand j'aurai quitt Newstead, sera Rochdale,
+Lancashire; mais je n'ai pas encore fix le jour de mon dpart, j'aurai
+soin de vous en tenir averti.
+
+Vous m'avez mis dans une situation bien ridicule; mais enfin cela est
+pass, nous n'en parlerons pas davantage. Vous paraissez dsirer
+quelques changemens; s'ils n'ont rien voir avec la politique ou la
+religion, je m'y prterai avec le plus grand plaisir du monde.
+
+Je suis, Monsieur, etc.
+
+
+
+LETTRE LXVIII.
+
+ M. DALLAS.
+
+Newstead-Abbey, 17 septembre 1811.
+
+
+Je vous excuse facilement de ne m'avoir point crit, car j'espre que
+vous avez quelque chose de mieux faire. De votre ct, vous devez me
+pardonner de vous importuner si souvent, car, pour le moment, je n'ai
+rien faire qui puisse vous sauver l'ennui de ma correspondance.
+
+Je ne puis me fixer rien, et, l'exception d'un grand exercice
+physique, mes jours se passent dans une indolence uniforme et une
+oisivet insipide. J'ai long-tems attendu, et j'attends encore mon
+agent; quand il viendra, j'aurai assez de quoi m'occuper d'affaires peu
+agrables, je vous assure. Avant de partir pour Rochdale, je vous dirai
+comment vous devez m'crire, ce sera probablement poste restante. J'ai
+reu de Murray une seconde preuve que je l'ai pri de vous montrer,
+afin que vous voyiez si quelque chose ne me serait pas chapp avant que
+l'imprimeur ne jette les fondemens d'une colonne d'_errata_.
+
+Je suis maintenant presque seul, n'ayant avec moi qu'une vieille
+connaissance, un vieux camarade d'cole, si _vieux_, en effet, que nous
+n'avons presque plus rien de _nouveau_ nous dire sur aucun sujet, et
+que nous billons l'un devant l'autre dans une sorte de _quitude
+inquite_. Je n'entends pas parler de Cawthorn ou du capitaine Hobhouse
+et de leur _in-quarto_. Dieu prenne piti du genre humain! Nous fondons
+sur lui, comme Cerbre, avec notre triple publication. Pour moi-mme,
+pris isolment, je me contente de me faire comparer Janus.
+
+Je ne suis pas du tout satisfait que Murray ait montr le manuscrit; et
+je suis certain que Gifford doit penser l-dessus, comme moi-mme. Ses
+loges ne signifient absolument rien; que pouvait-il dire? Il ne pouvait
+pas cracher la figure de quelqu'un qui l'avait lou de toutes les
+manires possibles. Je dois l'avouer, je donnerais tout au monde pour
+qu'il ft bien convaincu que je ne suis pour rien dans cette misrable
+affaire. Plus j'y pense, plus cela me tourmente; ainsi le meilleur est
+de n'en plus parler. C'est dj assez d'tre un crivassier, sans avoir
+recours de si petits moyens pour extorquer des loges ou prvenir la
+censure. C'est aller au-devant d'un jugement, c'est mendier, se mettre
+genoux devant un homme, c'est l'aduler... Diable, diable, diable! et
+tout cela sans mon consentement, et en opposition ma volont formelle!
+Je voudrais que Murray et t attach au _cou de Payne_, quand il sauta
+dans le canal de Padington; dites-lui donc que c'est un rceptacle
+convenable pour des diteurs. Puisque vous pensez vous fixer la
+campagne, pourquoi ne pas essayer de Nottingham? Je crois qu'il y a l
+plusieurs maisons qui vous conviendraient parfaitement, et puis vous
+seriez plus prs de la mtropole; mais nous en reparlerons.
+
+Je suis, etc.
+
+
+
+
+LETTRE LXIX.
+
+ M. DALLAS.
+
+Newstead-Abbey, 21 septembre 1811.
+
+
+J'ai montr le cas que je fais de vos observations en me conformant
+presque toutes; j'ai aussi fait, par moi-mme, plusieurs corrections sur
+la premire preuve. crivez-moi, je vous prie; quand j'irai Lanes, je
+vous le ferai savoir. Vous voil sur mon dos maintenant, ainsi que mon
+ami Juvenal Hodgson sur le chapitre de la rvlation. Vous ne manquez
+pas de ferveur, mais lui c'est un brasier ardent; s'il prend, pour
+sauver son ame, la moiti de la peine qu'il se donne pour la mienne,
+grande sera sa rcompense un jour venir. Je vous honore et vous
+remercie tous deux; mais ni l'un ni l'autre vous ne m'avez convaincu.
+
+Maintenant occupons-nous des notes. Outre celles que j'ai dj
+envoyes, j'enverrai encore les observations sur les remarques de ces
+messieurs de la _Revue d'dimbourg_ sur le grec moderne, une chanson
+albanaise en langue albanaise _et non pas grecque_, quelques
+chantillons de grec moderne, tirs du Nouveau-Testament, une scne de
+l'une des comdies de Goldoni, traduite, le prospectus du livre d'un
+ami, tout cela en romaque, outre leur _Pater Noster_; vous voyez qu'il
+y en aura assez pour ne pas dire trop. Avez-vous reu les _Noctes
+attic_? J'envoie de plus une note sur le Portugal. Hobhouse va bientt
+paratre aussi.
+
+
+
+
+LETTRE LXX.
+
+ M. DALLAS.
+
+Newstead-Abbey, 23 septembre 1811.
+
+
+_Lisboa_ est le mot portugais, et consquemment le meilleur.
+_Ulyssipont_ est pdantesque, et comme j'ai un peu plus haut _Hellas_ et
+_Eros_, cela aurait l'air d'une affectation de termes grecs, que je
+dsire viter. J'en ai dj une quantit effrayante dans mes notes,
+comme chantillons de la langue; ainsi donc il faut conserver _Lisboa_.
+Vous avez raison quant aux _Imitations d'Horace_, il ne faut pas
+qu'elles viennent avant le _Romaunt_; je sais bien que Cawthorn sera
+furieux; mais n'importe, arrtez toujours les _Imitations_, et puis vous
+essaierez si vous pouvez le remettre de bonne humeur, si vous pouvez.
+
+J'ai adopt, je crois, la plupart de vos suggestions; _Lisboa_ sera une
+exception pour prouver la rgle. J'ai envoy quantit de notes, et j'en
+enverrai encore; mais faites-les recopier, je vous prie, car le diable
+ne lirait pas mon criture. propos, je n'ai point envie de changer le
+neuvime vers de la pice intitule _Good Night_ (_Bonne Nuit_ ou _Bon
+Soir_). Je n'ai aucune raison de supposer que mon chien vaille mieux que
+ses confrres de l'espce humaine, et nous savons qu'_Argus_ est une
+fable. Le _Cosmopolite_ est une acquisition faite sur le continent. Je
+ne crois pas qu'on le trouve en Angleterre. C'est un petit volume
+amusant, plein de la gat et de la vivacit franaises. Je lis leur
+langue, quoique je ne la parle pas.
+
+Je veux tre en colre contre Murray. Son procd est un procd de
+libraire, cela sent l'arrire-boutique; et si le rsultat de
+l'exprience avait t tel qu'il le mritait, il y avait de quoi
+soulever tout Fleet-Street, et emprunter le bton du gant de l'glise
+de Saint-Dunstan pour immoler un homme qui abuse ainsi du dpt qu'on
+lui avait confi. Je lui ai crit, je vous jure, comme jamais auteur ne
+l'avait encore fait; j'espre que vous exagrerez encore mon
+ressentiment, jusqu' ce qu'il s'y montre sensible. Vous me dites
+toujours que vous avez beaucoup de choses m'crire, crivez-les; mais
+laissez de ct la mtaphysique. Nous ne nous entendrons jamais sur ce
+point-l. Je suis ennuy et endormi mon ordinaire. Je ne fais rien, et
+ce rien mme me fatigue. Adieu.
+
+
+
+
+LETTRE LXXI.
+
+ M. DALLAS.
+
+Newstead-Abbey, 11 octobre 1811.
+
+
+Je reviens de Lancs, et je me suis convaincu que ma proprit pourrait
+acqurir beaucoup de valeur; mais diverses circonstances m'empchent d'y
+donner tous les soins convenables. Je serai Londres pour affaires au
+commencement de novembre, et peut-tre Cambridge avant la fin de ce
+mois; dans tous les cas, je vous tiendrai au courant de tous mes
+mouvemens.
+
+Voici encore une mort qui vient m'affliger; j'ai perdu quelqu'un qui
+m'tait bien cher dans de meilleurs tems; mais j'ai presque oubli le
+got amer du chagrin, et j'ai t abreuv d'horreur jusqu' ce que je
+sois devenu compltement endurci. Je n'ai plus une larme aujourd'hui
+pour un vnement qui, il y a cinq ans, m'aurait abm de douleur. Il
+semblerait que je sois destin prouver ds ma jeunesse le plus grand
+malheur des vieillards. Mes amis tombent autour de moi, et je resterai
+comme un arbre seul et isol quoique le tems ne l'ait pas encore
+dessch: d'autres peuvent toujours trouver un refuge dans leur famille;
+mais je n'ai de ressources que dans mes propres rflexions, et elles ne
+m'offrent aucune consolation dans ce monde ou dans l'autre, si ce n'est
+le plaisir goste de survivre ceux qui valaient mieux que moi. En
+vrit je suis bien malheureux; vous me pardonnerez de m'excuser ainsi;
+car vous savez que je ne suis point port la sensibilit.
+
+Au lieu de vous fatiguer de mes affaires, je serais bien aise que vous
+me parlassiez de vos projets de retraite; vous ne voulez pas, je
+suppose, vous isoler entirement de la socit? Maintenant je connais un
+grand village, ou une petite ville, douze milles environ d'ici, o
+votre famille aurait l'avantage d'une socit fort agrable, et n'aurait
+pas craindre de se voir ennuyer par une affluence mercantile; o vous
+trouveriez des hommes de talent et d'opinions indpendantes, o j'ai
+quelques amis dont je serais fier de vous procurer la connaissance. Il y
+a en outre un caf et d'autres lieux publics o l'on peut se runir. Ma
+mre y a demeur pendant plusieurs annes, et je connais trs-bien tout
+Southwell; c'est le nom de cette petite rpublique. Enfin, vous ne serez
+pas fort loin de moi; et quoique je sois en gnral le plus mauvais
+compagnon possible pour des jeunes gens, cette objection ne saurait
+s'appliquer vous, que je pourrais voir frquemment. Vos dpenses aussi
+seront exactement celles qu'il vous conviendra de faire plus ou moins;
+mais il vous en coterait fort peu, pour vous procurer tous les plaisirs
+d'une vie de province. Vous pourriez tre aussi retir ou aussi rpandu
+que vous le voudriez, et dans un pays certainement aussi beau que les
+lacs du Cumberland, moins que vous n'ayez un dsir particulier
+d'entrer dans l'_cole pittoresque_[164].
+
+ [Note 164: Voyez, dans les _Potes anglais_, tome II des
+ _OEuvres de Byron_, page 378, une note sur les potes des
+ lacs.
+ (_N. du Tr._)]
+
+Cet Ionien de vos amis est-il Londres? Vous m'aviez promis de me
+procurer sa connaissance.
+
+Vous me dites que vous avez montr le manuscrit plusieurs personnes;
+cela n'est-il pas contraire nos conventions? Avertissez donc M. Murray
+de dfendre son garon de boutique d'appeler mon ouvrage _le
+Plerinage de l'enfant d'Harrow_ (_Child of Harrow's Pilgrimage_!!!)
+comme il l'a fait en parlant plusieurs de mes amis tonns, qui,
+cette occasion, ont crit pour s'informer de l'tat de mes facults
+intellectuelles, et certes il y avait de quoi. Je n'ai pas reu de
+nouvelles de Murray, qui j'avais adress une vigoureuse semonce.
+Faut-il que j'crive encore des notes? N'y en a-t-il pas assez? Il faut
+arrter Cawthorn dans l'impression des _Imitations d'Horace_; j'espre
+qu'il avance dans celle de l'_in-quarto_ de Hobhouse.
+
+Bon soir. Tout vous, etc., etc.
+
+Les vers suivans sont de la mme date que la lettre prcdente, et n'ont
+pas encore t imprims, c'est une rponse d'autres vers dans lesquels
+un ami l'exhortait bannir les soucis et se livrer la joie. On y
+verra avec quelle triste persvrance, mme sous le poids de malheurs
+rcens, il revient sans cesse au dsappointement qu'il a prouv dans
+ses premires affections comme la source principale de tous ses
+chagrins et de toutes ses erreurs passes et venir.
+
+Oh! bannissons les soucis! que telle soit toujours ta devise l'heure
+du plaisir! Peut-tre aussi la mienne, lorsque, dans de nocturnes
+orgies, je cherche ces dlices enivrantes, par lesquelles les fils du
+dsespoir tentent d'assoupir le coeur et de bannir les chagrins.
+
+Mais l'heure matinale des mditations, quand le prsent, le pass,
+l'avenir nous effraient de leurs sombres images, quand je reconnais que
+tout ce que j'aimais est chang ou n'est plus, ne viens pas irriter par
+ces maximes importunes les douleurs d'un homme dont chaque pense...
+Mais pourquoi en parler? tu sais que je ne suis plus ce que j'tais
+nagure; et surtout si tu tiens conserver une place dans un coeur qui
+ne fut jamais froid, je t'en conjure par toutes les puissances que les
+hommes rvrent, par tous les objets qui te sont chers, par ton bonheur
+ici-bas et tes esprances d'une autre vie, garde-toi, oh! garde-toi de
+jamais me parler d'amour.
+
+Il serait trop long de raconter, et sans utilit d'entendre la triste
+histoire d'un homme qui ddaigne les larmes; ce rcit ne rveillerait
+que peu de sympathie dans les coeurs vertueux; mais le mien a souffert
+plus qu'il ne convient un philosophe de l'avouer. J'ai vu ma fiance
+devenir l'pouse d'un autre, je l'ai vue assise ses cts; j'ai vu
+l'enfant que son sein a port sourire doucement comme faisait sa mre,
+lorsque jeunes tous deux nous nous regardions en souriant, innocens et
+purs comme cet enfant; j'ai vu ses yeux, chargs d'un froid ddain,
+chercher dcouvrir si j'prouvais quelque douleur secrte; et moi,
+j'ai bien jou mon rle: j'ai command mon visage de ne pas trahir les
+angoisses de mon coeur, je lui ai renvoy des regards aussi glacs que
+les siens; et pourtant, cette femme! je me sentais encore son esclave!
+J'ai bais d'un air d'indiffrence l'enfant qui aurait d tre le mien,
+et chacune de mes caresses n'a que trop prouv que le tems n'avait pas
+affaibli mon amour. Mais laissons ces tristes souvenirs: je ne veux plus
+gmir; je n'irai plus chercher quelque repos sur la rive orientale: le
+inonde convient bien au tumulte de mes penses; je reviendrai me jeter
+dans son tourbillon. Mais si dans un tems venir, quand les beaux jours
+d'Albion seront sur le dclin, tu entends parler d'un homme dont les
+crimes profonds sont dignes des poques les plus noires, d'un homme que
+ni l'amour ni la piti ne touchent, aussi insensible l'espoir de la
+clbrit qu'aux louanges des hommes vertueux; d'un homme qui, dans
+l'orgueil d'une inflexible ambition, ne reculera pas mme devant la
+crainte de verser le sang; d'un homme que l'histoire mettra au rang des
+anarchistes les plus violens du sicle; cet homme, tu le connatras,
+mais alors suspends ton jugement, et que l'horreur de ces _effets_ ne te
+fasse pas oublier quelle fut leur _cause_.
+
+Les pronostics qu'il tire dans ces dernires lignes sur sa carrire
+venir sont de nature, il faut l'avouer, exciter plus d'horreur que
+d'intrt, si bien d'autres exagrations du mme genre ne nous avaient
+appris ne nous point tonner quelque excs que nous le voyions
+pousser la rage de se calomnier lui-mme. On dirait qu'avec le gnie
+ncessaire pour peindre des personnages sauvages et sombres, il et
+aussi l'ambition d'tre lui-mme l'objet noir et sublime qu'il
+retraait, et qu' force de se plaire dessiner des crimes hroques,
+il s'efforait d'imaginer ce qu'il ne pouvait trouver dans son propre
+caractre, des sujets propres exercer ses pinceaux.............
+
+C'est vers ce tems, quand son ame tait douloureusement occupe de la
+mort d'un objet rel de ses affections, qu'il crivit ses diffrens
+pomes sur la mort d'un tre _imaginaire_, Thyrza. Quand nous
+rflchissons aux circonstances particulires sous l'influence
+desquelles son imagination produisit ces beaux vers, il n'est pas
+tonnant que de toutes ses pices pathtiques celles-ci soient la fois
+les plus touchantes et les plus pures; elles sont, pour ainsi dire,
+l'essence, l'esprit concentr de plusieurs douleurs, c'est le point o
+sont venues aboutir mille tristes penses venues de sources diffrentes,
+raffines, rchauffes dans leur passage travers son imagination, et
+formant comme un rservoir profond d'ides et de sentimens lugubres et
+solennels. En retraant les heures heureuses qu'il avait passes avec
+les amis qu'il venait de perdre, toute la tendresse ardente de sa
+jeunesse venait rchauffer son imagination et son coeur. Les jeux de
+l'cole avec les favoris de son enfance Wingfield et Tattersatt, les
+jours d't passs avec Long et ces soires romanesques qui s'taient
+coules dans la socit de son frre adoptif Eddlestone; tous les
+souvenirs de ces hommes, jeunes nagure, et morts maintenant, venaient
+se mler dans son esprit l'image de celle qui, quoique vivante, tait
+pour lui aussi bien perdue qu'eux, et rpandaient dans son ame ce
+sentiment gnral de tendresse et d'affection qu'il revtit d'un si
+brillant coloris dans ses pomes. Jamais l'amiti, quelque passionne
+qu'elle ft, n'aurait inspir des chagrins aussi profonds; jamais non
+plus l'amour, quelque pur qu'on le suppose, n'et pu retenir la passion
+dans des termes aussi chastes. C'est le mlange de deux affections dans
+sa mmoire et dans son imagination, qui donna ainsi naissance un objet
+idal, o les plus beaux traits de toutes deux se trouvaient combins,
+et lui inspira ces posies, les plus tristes et les plus tendres que
+puisse offrir le genre rotique, dans lesquelles nous trouvons toute la
+profondeur et toute l'intensit d'un sentiment rel peintes avec des
+couleurs que n'eut jamais la ralit.
+
+La lettre suivante fera connatre encore mieux l'tat de ses penses et
+ses occupations cette poque.
+
+
+
+
+LETTRE LXXII.
+
+ M. HOGDSON.
+
+Newstead-Abbey, 13 octobre 1811.
+
+
+Vous devez commencer me trouver un correspondant terriblement
+libral; mais comme mes lettres sont franches de port, vous excuserez
+leur frquence. J'ai rpondu en vers et en prose vos dernires
+lettres; et quoique je vous crive de nouveau, je ne sais pourquoi je le
+fais, ni ce que je pourrais vous mander que vous ne sachiez dj. Je
+deviens _nerveux_, combien vous allez rire! mais cela est vrai, je
+deviens rellement, malheureusement, ridiculement _nerveux_ comme une
+petite-matresse. Votre climat me tue; je ne puis ni lire, ni crire, ni
+m'amuser ou amuser qui que ce soit. Mes nuits et mes jours se passent
+sans repos; je n'ai presque jamais de socit, et quand j'en ai je
+m'empresse de la fuir. Dans le moment o je vous parle, j'ai ici trois
+dames, et je me suis sauv pour vous envoyer ce gribouillage. Je ne sais
+pas si je ne finirai point par tre fou, car je sens le manque de
+mthode dans l'arrangement de mes ides. Cela me tourmente trangement;
+mais cela a plutt l'air de la sottise que de la folie, comme le dirait
+factieusement Scrope Davies, qui a une singulire manire de consoler
+les gens. Il faut que j'essaie de votre compagnie, comme l'on essaie de
+la corne de cerf; une session de parlement m'irait assez bien: en un
+mot, je ne vois rien qui puisse m'empcher de conjuguer le malheureux
+verbe, _je m'ennuie_, etc.
+
+Quand serez-vous Cambridge? Vous m'avez, je crois, donn entendre
+que votre ami Bland est revenu de la Hollande. J'ai toujours eu le plus
+grand respect pour ses talens et pour tout ce que j'entends dire de son
+caractre personnel; je crois bien qu'il ne me connat pas, si ce n'est
+qu'il se rappelle nos rptitions dans la sixime _forme_, raison de
+deux vers chaque matin, et encore bien imparfaits. Je me le suis rappel
+en passant sur les caps Matapan, Saint-Angelo et son le de Clriga, et
+j'ai toujours regrett l'absence de l'Anthologie. Je suppose qu'il va
+traduire maintenant Vondel, le Shakspeare hollandais, et dans l'tat
+actuel _Gysbert van Amstel_ pourra facilement tre arrange pour notre
+thtre. Je prsume qu'il a vu le pome hollandais o l'amour de Pirame
+et Thisb est compar ... _la Pas__sion de Jsus-Christ_, ainsi que
+_l'amour de Lucifer pour ve_, et autres varits de la littrature des
+Pays-Bas. Sans doute vous me croirez fou de vous entretenir de pareilles
+bagatelles, mais elles sont en grande rputation sur les bords de tous
+les canaux, depuis Amsterdam jusqu' Alkmazar.
+
+Tout vous, etc.
+
+BYRON.
+
+Toutes mes posies sont entre les mains de leurs divers diteurs,
+except mes _Imitations d'Horace_, auxquelles j'ai joint quelques vers
+sauvages sur le Mthodisme et quelques notes froces sur les trois
+diteurs de l'din; mes _Imitations_, dis-je, sont en retard, et
+pourquoi? Je n'ai pas d'amis dans le monde qui puisse traduire
+suffisamment bien le latin d'_Horace_ et mon Anglais pour les ajuster
+ensemble au sortir de la presse, et corriger les preuves d'une manire
+un peu grammaticale. En sorte que si vous n'avez pas d'entrailles quand
+vous retournerez Londres, pour moi je suis trop loin pour le faire
+moi-mme; le monde se trouvera priv de cet ouvrage ineffable pendant je
+ne sais combien de semaines.
+
+_Le Plerinage de Childe Harold_ attendra jusqu' ce que celui de
+Murray soit fini. Il fait maintenant une tourne dans Middlesex, et
+son retour nous devons nous attendre des merveilles. Il veut en faire
+un _in-quarto_, c'est un abominable format peu propre la vente; mais
+l'ouvrage est effroyablement long, et il faut bien qu'on obisse son
+libraire...
+
+Ainsi vous allez prendre les ordres. Il faut que vous fassiez votre
+prix avec les _rviseurs ecclsiastiques_; ils vous accusent d'impit,
+et je crains que ce ne soit tort. Dmtrius _Poliorcte_ est ici avec
+_Gilpin Horner_. Nous n'avons pas besoin du peintre[165], car les
+portraits qu'il a faits d'inspiration se trouvent absolument semblables
+aux animaux. crivez-moi, et envoyez-moi votre _Chanson d'amour_; mais
+j'attends de vous _paulo majora_. Faites un effort pour briller avant
+d'tre diacre; essayez un peu d'un sec diteur.
+
+Tout vous, etc.
+
+BYRON.
+
+ [Note 165: Qu'il avait mand pour faire le portrait de son
+ ours et de son loup.]
+
+
+FIN DU TOME NEUVIME.
+
+
+IMPRIMERIE DE DONDEY-DUPR,
+Rue St.-Louis, n46, au Marais.
+
+
+
+
+
+
+
+
+End of the Project Gutenberg EBook of Oeuvres compltes de lord Byron,
+Volume 9, by George Gordon Byron
+
+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LORD BYRON ***
+
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+Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
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+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
+and the Foundation web page at http://www.pglaf.org.
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+Foundation
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+The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
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+Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
+number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at
+http://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
+permitted by U.S. federal laws and your state's laws.
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+The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
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+business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact
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+array of equipment including outdated equipment. Many small donations
+($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
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+The Foundation is committed to complying with the laws regulating
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+States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
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+have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
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+
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+.poem p.i30 {margin-left: 15em}
+
+
+-->
+</style>
+</head>
+<body>
+
+
+<pre>
+
+The Project Gutenberg EBook of Oeuvres complètes de lord Byron, Volume 9, by
+George Gordon Byron
+
+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
+re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
+with this eBook or online at www.gutenberg.org
+
+
+Title: Oeuvres complètes de lord Byron, Volume 9
+ comprenant ses mémoires publiés par Thomas Moore
+
+Author: George Gordon Byron
+
+Annotator: Thomas Moore
+
+Translator: Paris Paulin
+
+Release Date: September 23, 2009 [EBook #30067]
+
+Language: French
+
+Character set encoding: UTF-8
+
+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LORD BYRON ***
+
+
+
+
+Produced by Mireille Harmelin, Rénald Lévesque and the
+Online Distributed Proofreaders Europe at
+http://dp.rastko.net. This file was produced from images
+generously made available by the Bibliothèque nationale
+de France (BnF/Gallica)
+
+
+
+
+
+
+</pre>
+
+
+
+
+<br><br>
+
+<h2>ŒUVRES COMPLÈTES</h2>
+
+<h4>DE</h4>
+
+<h1>LORD BYRON,</h1>
+
+<h4>AVEC NOTES ET COMMENTAIRES,</h4>
+
+<h5>COMPRENANT</h5>
+
+<h3>SES MÉMOIRES PUBLIÉS PAR THOMAS MOORE,</h3>
+
+<h5>ET ORNÉES D'UN BEAU PORTRAIT DE L'AUTEUR.</h5>
+
+<p class="mid"><i>Traduction Nouvelle</i></p>
+
+<h3>PAR M. PAULIN PARIS,</h3>
+
+<h5>DE LA BIBLIOTHÈQUE DU ROI.</h5>
+
+<hr class="short">
+<h3>TOME NEUVIÈME.</h3>
+<hr class="short">
+
+<p class="mid"><i>Paris.</i><br>
+DONDEY-DUPRÉ PÈRE ET FILS, IMPR.-LIBR., ÉDITEURS,<br>
+RUE SAINT-LOUIS, N° 46, <br>
+ET RUE RICHELIEU, N° 47 <i>bis.</i></p>
+
+<hr class="short">
+
+<h4>1830.</h4>
+
+<br><br><br>
+
+
+
+<h3>LETTRES</h3>
+
+<h1>DE LORD BYRON,</h1>
+
+<h5>ET</h5>
+
+<h2>MÉMOIRES SUR SA VIE,</h2>
+
+<h4><span class="sc">Par Thomas MOORE</span>.</h4>
+<br><br><br>
+
+
+
+<br><hr><br>
+<h2><i>Préface du Traducteur</i>.</h2>
+<br>
+<hr class="short">
+<br><br>
+
+<p>Depuis la publication des deux premiers volumes de ces <i>Mémoires</i>, les
+journaux de la Grande-Bretagne ont ouvert leurs colonnes aux
+interminables réclamations des amis de lady Noël Byron, à lès en croire,
+injustement traitée dans le cours de cet ouvrage. La veuve de l'illustre
+poète a fait elle-même retentir ces organes insoucians du mensonge et de
+la vérité, des plaintes que <i>semblaient</i> lui arracher l'indiscrétion de
+l'éditeur, la perfidie de ses demi-confidences, et surtout le rôle
+affreux qu'il prêtait aux personnes dont elle était entourée à l'époque
+de la déplorable affaire de son divorce. Certes le public a dû voir avec
+étonnement les récriminations de lady Byron. Jusqu'alors, il accusait M.
+Moore d'une partialité peu généreuse en faveur des adversaires de
+l'illustre poète qui lui avait remis l'honorable soin de le défendre; et
+le dépositaire, peut-être infidèle, semblait avoir assez fait, sinon
+pour sa considération personnelle, du moins pour celle d'une famille à
+laquelle Lord Byron avait toujours attribué ses chagrins les plus
+cuisans. Voici la première lettre de lady Byron, publiée dans la
+<i>Litterary Gazette</i>, et reproduite quelques jours après dans le <i>Times</i>:</p>
+
+<p>«Déjà, une multitude d'écrits remplis de faits notoirement faux ont été
+livrés au public; j'ai dédaigné d'y répondre. Mais aujourd'hui il s'agit
+d'un ouvrage publié par un homme regardé comme l'ami, le confident de
+Lord Byron, et par conséquent comme un personnage dont les révélations
+sont fondées sur la meilleure autorité. Cependant les faits contenus
+dans cet ouvrage n'en sont pas moins erronés. On ne devrait jamais
+attirer l'attention du public sur les détails de la vie privée; mais
+quand cela arrive, les personnes victimes d'une telle indiscrétion ont
+le droit de repousser d'injurieuses attaques. M. Moore a donné au public
+ses propres impressions sur des événemens particuliers qui me touchent
+de fort près; et il en a parlé comme s'il eût eu la connaissance la plus
+parfaite de ce dont il parlait. La mort de Lord Byron me rend plus
+pénible encore l'obligation de revenir sur des circonstances qui me
+reportent à l'époque de mon mariage. Mon intention est donc de ne les
+faire connaître qu'autant qu'il le faudra pour parvenir au but que je me
+propose dans cette déclaration. Nul motif de justification personnelle
+ne m'anime, et je n'accuserai personne: mais la conduite de mes parens
+étant représentée sous un jour odieux dans certains passages extraits
+des lettres de Lord Byron et dans les remarques de son biographe, je me
+crois obligée de les défendre d'imputations que je <i>sais</i> être fausses.</p>
+
+
+
+<p>Voici les divers passages des lettres de Lord Byron dont je veux parler:</p>
+
+<p>Dans le second volume on a outragé la réputation de ma mère en disant:</p>
+
+<p>«Mon enfant est dans un état de santé florissant et prospère à ce qu'on
+me dit; mais je veux y voir par moi-même; je ne me sens nullement
+disposé à l'abandonner à la contagion de la société de sa grand'mère.»</p>
+
+<p>C'est à tort qu'on l'a accusée de s'être abaissée à employer des
+espions: «Une dame C. (espèce de factotum et <i>espion de lady Noël</i>) est
+regardée par des gens bien instruits comme la cause occulte de toutes
+nos dissensions domestiques.»</p>
+
+
+
+<p>Je cite aussi le passage où, après avoir voulu m'excuser moi-même, on
+ajoute immédiatement après: «Ses plus proches parens sont.......» Ici le
+mot laissé en blanc indique que l'expression était trop offensante pour
+être publiée.</p>
+
+<p>Ces passages tendent évidemment à jeter quelque défaveur sur mes parens,
+et peuvent faire croire que ce sont eux qui ont personnellement causé
+notre séparation, ou qu'ils l'ont provoquée par les espions officieux
+qu'ils ont employés.</p>
+
+<p>On peut induire aussi des passages suivans de la biographie, que mes
+parens ont du moins exercé une influence qui ne leur appartenait pas,
+afin de parvenir à leur but. «Ce fut peu de semaines après notre
+dernière entrevue (Lord Byron et M. Moore) que lady Byron prit la
+résolution de se séparer de son époux. Elle avait quitté Londres dans
+les derniers jours de janvier pour aller voir son père dans le comté de
+Leicester, et Lord Byron devait l'y rejoindre peu de tems après. Ils
+s'étaient quittés dans une union parfaite: en route, elle lui écrivit
+encore une lettre pleine de tendresse et de gaîté; mais à peine arrivée
+à Kirkby-Mallory, le père écrivit à Lord Byron pour lui apprendre que
+jamais il ne la reverrait.»</p>
+
+<p>En répondant à ce passage, j'éviterai autant qu'il me sera possible de
+parler de choses personnelles soit à Lord Byron, soit à moi-même. Je me
+borne à rétablir les faits. Je quittai Londres le 15 janvier 1816 pour
+me rendre à Kirkby-Mallory, résidence de mon père et de ma mère. Lord
+Byron m'avait signifié formellement dans sa lettre du 6 du même mois,
+qu'il désirait que je quittasse Londres aussitôt qu'il me paraîtrait
+convenable de le faire. Mais je ne pouvais me risquer à entreprendre ce
+voyage fatigant plus tôt que le 15. Avant mon départ, j'avais été
+vivement frappée de cette idée que Lord Byron était atteint de folie. Ce
+qui surtout m'avait donné cette opinion, c'étaient les confidences de
+ses plus proches amis, et de ses domestiques qui avaient eu plus que moi
+le loisir de l'observer pendant la dernière partie de notre séjour en
+ville. On avait même été jusqu'à me dire qu'il était à redouter qu'il ne
+se détruisit lui-même. D'accord avec sa famille, j'avais consulté le 8
+janvier le docteur Baillie, notre ami, sur cette maladie qu'on
+soupçonnait. Je lui racontai toutes les particularités venues à ma
+connaissance, et j'ajoutai que Lord Byron m'avait témoigné le désir de
+me voir quitter Londres. Le docteur saisît aussitôt cette idée, et pensa
+qu'en cas de quelque dérangement d'esprit, mon éloignement pouvait être
+fort utilement mis à profit. Le docteur Baillie ne pouvait avoir, à cet
+égard, d'opinion arrêtée, puisqu'il n'avait point approché
+personnellement Lord Byron. Il me recommanda d'éviter avec soin dans ma
+correspondance tout sujet de déplaisir ou de tristesse.</p>
+
+
+
+<p>Telles étaient donc mes pensées quand je quittai Londres, bien résolue
+de suivre les avis du médecin. Quelle qu'eût été la conduite de Lord
+Byron à mon égard depuis mon mariage, c'eût été une véritable inhumanité
+de montrer dans cette circonstance le moindre ressentiment. Le jour de
+mon départ, et encore à mon arrivée à Kirkby, le 16 janvier, j'écrivis à
+Lord Byron une lettre fort affectueuse, ainsi que j'en étais convenue
+avec M. Baillie. On a plus tard répandu ma dernière lettre, et on a
+voulu trouver là des preuves que j'avais cédé à des influences
+étrangères, quand ensuite j'abandonnai mon mari. On en a tiré la
+conséquence que j'avais quitté Lord Byron dans le plus parfait accord;
+que des sentimens incompatibles avec la moindre idée d'outrage m'avaient
+dicté ma dernière lettre, et que ma résolution n'avait subitement changé
+que quand je m'étais trouvée sous l'influence de mes parens. Ces
+assertions sont absolument dénuées de fondement: il n'y a point eu la
+moindre intervention étrangère.</p>
+
+<p>A mon arrivée à Kirkby-Mallery, mes parens ne se doutaient en rien des
+circonstances qui détruisaient toutes mes espérances de félicité; et
+quand je leur fis part de l'état d'esprit dans lequel se trouvait Lord
+Byron, ils firent tous leurs efforts pour me dissuader et le défendre.
+Ils assurèrent en outre à ceux de nos parens qui étaient avec lui à
+Londres qu'ils feraient tout ce qui dépendrait d'eux pour guérir sa
+maladie par les soins les plus attentifs, et qu'ils espéraient, si on
+pouvait le décider à venir les voir, obtenir les meilleurs résultats de
+leurs efforts. C'est dans ces intentions que ma mère écrivit le 17 à
+Lord Byron, en l'engageant à se rendre à Kirkby-Mallory. Elle l'avait
+toujours traité avec la plus affectueuse considération: son indulgence
+pour lui s'étendait jusqu'à ses moindres sentimens. Jamais, tant qu'elle
+vécut avec lui, il ne lui échappa une parole qui pût le blesser<a id="footnotetag1" name="footnotetag1"></a>
+<a href="#footnote1"><sup class="sml">1</sup></a>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote1"
+name="footnote1"><b>Note 1: </b></a><a href="#footnotetag1">
+(retour) </a> On peut, afin d'apprécier la véracité de lady Byron,
+ consulter, sur la <i>bienveillance</i> de sa mère pour notre
+ poète, le premier chant de <i>Don Juan</i> et les <i>Mémoires du
+ capitaine Medwin</i>.</blockquote>
+
+<p>Après notre séparation, les détails que me donnèrent des personnes qui
+vivaient dans son intimité ne firent que fortifier les doutes qui déjà
+s'étaient élevés dans mon esprit sur la réalité de son mal; les rapports
+des médecins étaient d'ailleurs loin d'établir le fait de l'aliénation
+mentale. Dans ces circonstances, je crus devoir déclarer à mes parens
+que, si je devais considérer la conduite passée de Lord Byron comme
+celle d'un homme dans son bon sens, rien ne pourrait m'engager à
+retourner auprès de lui. Mes parens et moi jugeâmes convenable de
+consulter les gens les plus capables de nous éclairer à cet égard. Ma
+mère se détermina donc à se rendre à Londres, pour cet objet, et afin
+d'y recueillir de plus amples informations sur ce qui avait pu faire
+supposer un dérangement d'esprit. Je lui avais donné procuration pour
+recueillir les opinions d'hommes de lois sur un mémoire que j'avais fait
+moi-même, bien que j'eusse alors des motifs de cacher une partie de
+l'affaire, même à mon père et à ma mère.</p>
+
+<p>Convaincue par ces recherches et par toute la conduite de Lord Byron,
+que les soupçons de folie conçus contre lui étaient tout-à-fait faux, je
+n'hésitai point à autoriser les mesures qui devaient lui ôter tout
+pouvoir sur moi. C'est d'après ma résolution, que mon père lui écrivit
+le 2 février pour lui proposer de nous séparer à l'amiable. Lord Byron
+repoussa d'abord cette proposition; mais quand on lui eut assuré que,
+s'il persistait dans son refus, il faudrait en venir aux lois, il
+consentit à signer l'acte de séparation. Je m'adressai au docteur
+Lushington, qui avait parfaitement connu tous les détails de cette
+affaire, pour qu'il voulût bien écrire tous ses souvenirs, et voici la
+lettre qu'il me répondit à ce sujet. Elle prouvera que ma mère ne put
+jamais avoir contre Lord Byron le moindre sentiment d'inimitié:</p>
+<br>
+<p><span class="sc">Ma chère lady Byron</span>,</p>
+
+<p>«Voici tout ce que ma mémoire peut me fournir sur le sujet dont vous
+m'entretenez dans votre lettre.</p>
+
+<p>«Lady Noël me consulta d'abord pour votre affaire pendant que vous étiez
+encore à la campagne. Ce qu'elle me dit alors suffisait pour justifier
+une séparation; mais cependant les choses ne me parurent pas tellement
+graves, qu'il fût indispensable d'en venir à ce point. Je crus même
+qu'une réconciliation avec Lord Byron n'était pas impossible, et je m'y
+serais très-volontiers employé. Je ne vis dans le récit de lady Noël, ni
+la moindre exagération, ni le plus léger désir d'empêcher un
+rapprochement: elle ne fit aucune objection quand j'en parlai. Lorsque
+vous revîntes en ville, quinze jours ou peut-être plus après ma première
+entrevue avec lady Noël, vous fûtes la première à m'informer de faits
+qui, je n'en doute pas, n'étaient à la connaissance ni de sir Ralph ni
+de lady Noël. Ces nouveaux renseignemens changèrent tout-à-fait mon
+opinion; la réconciliation me parut dès-lors impossible; je déclarai ce
+que je pensais, et j'ajoutai que, si jamais on revenait à cette idée de
+rapprochement, je ne m'en mêlerais absolument en rien, soit en restant
+dans les devoirs de ma profession, soit autrement.</p>
+
+<p>«Croyez-moi toujours votre très-affectionné,»<span class="rig"><br>
+<span class="sc">Étienne LUSHINGTON</span></span>.</p><br><br>
+
+<p>Je dois seulement ajouter ici que, si les informations sur lesquelles
+mes conseils légaux (feu sir Samuel Romilly et le docteur Lushington)
+ont formé leur opinion étaient fausses, c'est sur <i>moi seule</i> que
+devraient retomber tout l'odieux et toute la responsabilité.</p>
+
+<p>J'espère que les faits que je viens d'exposer ici suffiront pour
+disculper mon père et ma mère de toute participation à mon divorce. Ils
+ne l'ont ni causé, ni provoqué, ni conseillé; l'on ne peut les condamner
+pour avoir donné à leur fille l'abri et l'assistance qu'elle réclamait
+d'eux. Comme il n'y a point d'autres personnes de ma famille qui
+puissent défendre leur mémoire de l'insulte, je me vois forcée de rompre
+un silence que j'espérais garder toujours, et je demande à ceux qui
+liront la vie de Byron qu'ils pèsent avec impartialité le témoignage
+qu'on vient de m'arracher.</p>
+
+<p>Hanger-Hill, 19 février.<span class="rig"><br>
+<span class="sc">A.J. Noël BYRON</span>.</span></p><br><br>
+
+
+
+<p>Le lecteur, avide de détails sur les circonstances et les causes de
+cette fameuse séparation, n'en trouve que de bien insignifians dans la
+lettre que nous venons de citer. Que lady Byron ait demandé de sa propre
+inspiration, ou d'après les conseils de sa mère, l'acte du fatal
+divorce, c'est une circonstance assez peu intéressante en elle-même. La
+seule chose que l'on doit ici remarquer, c'est que lady Byron avait le
+malheur de méconnaître non-seulement le génie sublime, mais le bon sens
+et la raison de son mari. Elle l'avoue naïvement: il lui fallu le
+témoignage de tous ceux qui approchaient Lord Byron; il fallut la
+sentence formelle des médecins pour lui persuader que l'auteur de
+<i>Childe Harold</i> n'était pas un fou. Avouons-le: ce premier motif de
+divorce ne doit pas nous prévenir en faveur du second.</p>
+
+<p>La longue lettre de M. Campbell, insérée dans le <i>New Monthly Magazine</i>
+(avril 1830), offre moins d'intérêt encore que la précédente. Son
+étendue ne nous permet pas de la traduire en entier; ce ne serait pas,
+d'ailleurs, chose facile: jamais on n'a tant abusé de la facilité
+malheureuse qu'offre la langue anglaise de multiplier les mots et les
+phrases sonores sans exprimer d'idées et sans en suggérer au lecteur.</p>
+
+<p>L'illustre auteur des <i>Plaisirs de la Mémoire</i><a id="footnotetag2" name="footnotetag2"></a>
+<a href="#footnote2"><sup class="sml">2</sup></a>, au mérite duquel
+Byron a rendu si amplement justice, M. Campbell, commence par nous
+apprendre qu'il avait consenti, le mois précédent, à l'insertion, dans
+la <i>Revue</i> qu'il dirige, d'un article louangeur, sur les <i>mémoires</i>; que
+même, il en avait fait disparaître certains passages, où le critique
+reprochait à M. Moore une partialité coupable envers lady Byron. «Mais,
+ajoute-t-il, j'avais agi ainsi par suite de ma répugnance à blâmer <i>mon
+ami</i> M. Moore, et parce que je n'avais pas assez approfondi les passages
+du livre incriminés. En outre, je ne croyais pas <i>alors</i>, comme je le
+sais aujourd'hui, que lady Byron fût entièrement irréprochable dans
+l'affaire de la séparation.»</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote2"
+name="footnote2"><b>Note 2: </b></a><a href="#footnotetag2">
+(retour) </a> Voyez dans les <i>Poètes anglais et les Journalistes
+ écossais</i>, page 373 du deuxième vol. des œuvres complètes.</blockquote>
+
+<p>Comment! cette fameuse séparation date de quatorze ans, et voilà enfin
+la conviction de M. Campbell tout-à-coup formée, arrêtée, ou plutôt
+changée du tout au tout! que s'est-il donc passé pendant ce mois de
+mars? Le voici: M. Campbell a écrit à lady Byron, lui demandant pour
+<i>son instruction particulière</i> une appréciation de l'exactitude ou de
+l'inexactitude des faits avancés par M. Moore, et il en reçut la réponse
+qu'il publie <i>à ses périls</i>, parce qu'elle lui a paru importante, <i>et
+sans avoir eu le tems d'en demander la permission</i> à cette dame:</p>
+
+<br>
+<p><span class="sc">Mon cher M. Campbell</span>,</p>
+
+<p>«En prenant la plume dans l'intention de vous indiquer, pour votre
+<i>instruction particulière</i>, les passages du livre de M. Moore qui me
+concernent et que je crois susceptibles de contradiction, je les trouve
+encore bien plus nombreux que je n'avais d'abord supposé. Nier une
+assertion <i>çà et là</i>, ce serait implicitement reconnaître la vérité du
+reste. Si, au contraire, j'entreprenais de prouver toute la fausseté du
+point de vue sous lequel M. Moore présente les choses, je me verrais
+obligée à de certains détails, que dans les circonstances actuelles je
+ne puis dévoiler, d'après mes principes et mes sentimens. Peut-être, par
+un exemple, vous convaincrai-je mieux de la difficulté du cas: il n'est
+pas vrai que des embarras pécuniaires furent les causes qui troublèrent
+l'esprit<a id="footnotetag3" name="footnotetag3"></a>
+<a href="#footnote3"><sup class="sml">3</sup></a> de Lord Byron, et la principale raison des arrangemens qu'il
+prit à cette époque. Mais puis-je raisonnablement m'attendre que vous ou
+d'autres le croirez, à moins que je ne vous montre quelles ont été les
+causes en question?... et c'est ce que je ne puis faire.</p>
+
+<p>Je suis, etc.»<br>
+
+<span class="rig">E. <span class="sc">Noël</span> BYRON.</span></p><br><br>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote3"
+name="footnote3"><b>Note 3: </b></a><a href="#footnotetag3">
+(retour) </a> Encore <i>l'esprit de Lord Byron troublé</i>! mais vous
+ avez avoué que c'était une de vos chimères.</blockquote>
+
+<p>Là-dessus M. Campbell de s'écrier: «Excellente femme! honorée de tous
+ceux qui la connaissent, attaquée seulement par ceux qui ne la
+connaissent pas, je l'en croirai certainement sur son seul témoignage!»</p>
+
+<p>Certes, si une pareille lettre a suffi pour déterminer la conviction de
+M. Campbell, il est au moins douteux qu'elle produise le même effet sur
+l'esprit des lecteurs. Il ajoute, il est vrai, qu'il a recueilli un
+petit nombre de faits à d'autres sources authentiques, qui lui prouvent
+jusqu'à l'évidence l'innocence de cette dame, mais qu'il ne nous
+répétera pas pour ne pas offenser notre délicatesse. Or, n'est-ce pas se
+jouer un peu trop du public que de lui dire chaque jour: voilà la
+vérité, je la tiens enfin, la voilà... mais vous ne la saurez pas!</p>
+
+<p>M. Campbell nous représente ensuite lady Byron comme la femme forte, qui
+trouve dans sa propre conscience la sanction de sa conduite, et s'occupe
+peu de l'opinion du monde; à la bonne heure, mais alors pourquoi donc
+importuner de nouveau le public? pourquoi lui écrire par la voie des
+journaux, uniquement pour lui dire qu'on ne lui dira rien?</p>
+
+<p>L'esprit de Byron était essentiellement versatile; il n'est donc pas
+étonnant qu'il ait quelquefois cherché à excuser sa femme et à
+s'attribuer tous les torts d'une rupture qui fit le malheur de sa vie.
+M. Campbell reproche à M. Moore d'avoir affaibli l'effet de ces
+prétendus aveux, en y ajoutant ses propres réflexions, et en y opposant
+les passages de sa correspondance où son noble ami parle dans un sens
+tout-à-fait contraire. Il cite à cet égard la lettre CCXXXV du recueil:
+elle passera sous les yeux de nos lecteurs, et, nous sommes fâchés de le
+dire, ils pourront voir que M. Campbell en a singulièrement altéré et
+amplifié les termes.</p>
+
+<p>C'est un singulier argument en faveur de lady Byron que de dire: si elle
+n'avait pas eu de justes sujets de désirer une séparation, le docteur
+Lushington ne se serait pas chargé de sa cause. Dans une affaire, il y a
+toujours au moins un avocat de chaque côté: souvent tous les deux sont
+des hommes de talent; et nous devons en outre les supposer tous deux des
+hommes d'honneur et de bonne foi. Alors, que devient l'argument? Un peu
+plus loin se trouve un passage que je traduirai textuellement, parce
+qu'il est d'une naïveté qui ne serait pas déplacée dans une comédie:
+«C'est encore une erreur de M. Moore, et je pourrais le prouver au
+besoin, que de représenter miss Millbank comme engagée avec son futur
+époux dans un commerce épistolaire, au moment où il venait de solliciter
+inutilement sa main. Jamais elle ne proposa de correspondance; au
+contraire, ce fut lui qui, après avoir éprouvé un premier échec, lui
+écrivit qu'il allait quitter l'Angleterre et voyager pendant quelques
+années en Orient; qu'il partait le cœur plein de douleur, mais sans
+entretenir aucun ressentiment, et qu'il s'estimerait heureux qu'elle
+daignât lui faire dire verbalement qu'elle s'intéressait encore à son
+bonheur. Une personne aussi bien élevée que miss Millbank pouvait-elle
+faire autrement que de répondre poliment à un pareil message? Elle lui
+envoya donc une réponse pleine de confiance et d'affection, ce qui ne
+signifiait nullement qu'elle voulût l'encourager à renouveler ses offres
+de mariage. Il lui écrivit, depuis, une lettre extrêmement intéressante
+sur lui-même, sur ses vues personnelles, morales et religieuses, à
+laquelle c'eût été manquer de charité que de ne point répondre. Il s'en
+suivit une correspondance insensiblement plus fréquente, et bientôt elle
+s'attacha passionnément à lui.
+.............................................»</p>
+
+<p>Puisqu'après quatorze ans, passés dans l'attente, il paraît que nous
+sommes condamnés à ne rien savoir de certain sur cette fameuse affaire
+de la séparation, il faut bien en prendre notre parti et nous contenter
+de simples conjectures. Les adversaires les plus acharnés du noble poète
+sont obligés de convenir qu'il se montra toujours généreux, aimant et
+aimable; les partisans les plus ardens de sa veuve ne contestent ni sa
+fierté, ni sa froideur glaciale, ni ses prétentions ridicules à l'esprit
+et aux connaissances scientifiques. Lord Byron, qu'elle accuse, après sa
+mort, de torts qu'elle refuse de spécifier, et dont personne ne peut, en
+conséquence, justifier sa glorieuse mémoire, Lord Byron n'a jamais perdu
+un ami pendant la durée trop courte de son existence, il est au
+contraire parvenu à s'attacher sincèrement des hommes qui d'abord
+s'étaient déclarés ses ennemis; il fut un fils, sinon tendre, du moins
+attentif et respectueux envers une assez mauvaise mère; nous pouvons
+donc en conclure qu'il se fût montré bon mari, si l'épouse n'eût été
+encore plus insupportable que la mère.</p>
+
+<p>Les <i>Mémoires</i> que nous donnons aujourd'hui au public ne sont pas, au
+moins quant à cette première partie, ce que le monde littéraire avait
+droit d'attendre, et attendait en effet de M. Moore, écrivant la vie et
+publiant la correspondance de Lord Byron. Cependant ils ne laissent pas
+d'offrir le plus vif intérêt. Il en est du chantre de Childe Harold,
+comme de tous les hommes véritablement grands: sa mort nous a fait mieux
+apprécier son mérite, et le temps, loin de diminuer sa gloire, n'a fait
+qu'ajouter à la popularité de ses ouvrages immortels. On voudra
+connaître la vie d'un homme si étonnant, on voudra assister au
+développement graduel de ce puissant génie; et des détails qui, partout
+ailleurs, pourraient sembler puérils, prendront de l'intérêt à cause de
+celui auquel ils se rapportent. Il eût été à désirer sans doute que la
+position sociale de M. Moore, en lui imposant moins de ménagemens envers
+les vivans, lui eût permis de rendre plus de justice à l'illustre mort.
+Lié avec tous ceux qui tiennent le premier rang dans l'aristocratie et
+dans la littérature de la Grande-Bretagne, non seulement M. Moore n'a
+pas osé tout dire, mais encore il a souvent gauchi devant la vérité. Sa
+prose, toujours maniérée, devient presque inintelligible précisément
+dans les passages où nous aurions le plus désiré qu'il nous donnât une
+idée précise des hommes et des choses. Ceux qui ont lu, je ne dis pas
+ses œuvres poétiques, mais ses ouvrages en prose, seront fort étonnés du
+mince talent qu'il a déployé dans celui-ci; et personne ne reconnaîtra
+dans le pâle compilateur des <i>Mémoires de Lord Byron</i>, l'auteur si
+ingénieux, si léger et si profond à la fois des <i>Mémoires du célèbre
+chef irlandais, le capitaine Rock</i>.</p>
+
+
+
+<p>Au moment où nous songions à donner cette traduction, d'autres libraires
+en faisaient paraître une autre que recommandait le nom de son auteur.
+Madame Belloc l'avait, en effet, commencée avec le talent que tout le
+monde lui reconnaît; mais bientôt, pressée sans doute par son éditeur,
+elle a plutôt résumé que traduit le texte anglais, et son style s'est
+beaucoup ressenti de la précipitation de son travail. Ajoutons qu'elle
+n'a pas eu plus d'égards pour les lettres de Lord Byron que pour les
+commentaires un peu longs de son biographe; en sorte que l'on peut dire
+avec vérité qu'elle n'a réellement donné au public, ni la vie, ni la
+correspondance de Lord Byron.</p>
+
+<p>Pour nous, nous avons religieusement tout traduit, et nous nous sommes
+appliqué à rendre notre auteur dans les termes dont il se serait servi,
+s'il eût écrit en français. A peine nous sommes-nous permis de
+retrancher dans ce premier volume une ou deux notes absolument
+étrangères au sujet. Dans le second, nous serons forcé de supprimer près
+d'une demi-feuille d'impression, c'est-à-dire quelques lettres où le
+noble poète consulte un de ses amis sur la coupe de certains vers, sur
+le choix de certaines expressions anglaises; le lecteur sentira
+facilement que ces lettres eussent été presque impossibles à traduire,
+et que la lecture ne lui eût offert aucune espèce d'intérêt.</p>
+
+<br><hr class="full"><br>
+
+<h2>PRÉFACE</h2>
+
+<h4>DE L'ÉDITEUR ANGLAIS.</h4>
+
+<br><hr class="short"><br>
+
+<p>En publiant cet ouvrage, je n'aurais pu, je l'avoue, me défendre d'une
+grande défiance, en songeant à tout ce qui me manquait pour accomplir
+une pareille tâche, si je n'étais persuadé que le sujet lui-même et la
+variété des matériaux qu'il comporte doivent conserver une grande partie
+de leur intérêt, même dans les mains les plus inhabiles. Les motifs qui
+portèrent Lord Byron à fuir son pays sont bien déplorables sans doute,
+mais c'est à son éloignement de l'Angleterre, alors que son génie
+brillait du plus vif éclat, que nous devons toutes les lettres qui
+formeront la plus grande partie du troisième et du quatrième volume de
+cet ouvrage, et qui, nous n'en doutons pas, seront jugées pour
+l'intérêt, l'énergie et la variété, comparables à ce qui honore le plus
+notre littérature dans le même genre.</p>
+
+<p>On a dit de Pétrarque que sa correspondance et ses vers offraient
+«l'intérêt progressif d'un récit dans lequel le poète s'identifie
+toujours avec l'homme.» On peut appliquer, et plus justement encore, les
+mêmes expressions à Lord Byron, tant sa physionomie littéraire et son
+caractère personnel sont intimement liés. C'est même au point que
+priver ses ouvrages du commentaire instructif qu'en offrent sa
+correspondance et l'histoire de sa vie, ce serait commettre une égale
+injustice envers lui-même et envers le monde.</p>
+<br><br><br>
+
+<hr class="full">
+<h3><b>MÉMOIRES</b></h3>
+
+<h4>SUR LA VIE</h4>
+
+<h2>DE LORD BYRON.</h2>
+
+<br><hr class="short"><br>
+
+<p>On a dit de Lord Byron qu'il était plus fier de descendre de ces Byron
+qui accompagnèrent Guillaume-le-Conquérant en Angleterre, que d'avoir
+composé <i>Childe-Harold</i> et <i>Manfred</i>. Cette remarque n'est pas dénuée de
+tout fondement, l'orgueil de la naissance était certainement l'un des
+traits caractéristiques du noble poète; et d'ailleurs toute
+l'illustration que les années donnent à une famille, il pouvait
+justement la réclamer pour la sienne. Le nom de Ralph de Burun occupe,
+dès le tems de Guillaume-le-Conquérant, un rang distingué dans le
+<i>Doomsday-Book</i>, parmi les tenanciers du Nottinghamshire; et pendant les
+règnes suivans, nous voyons les descendans de ce Ralph, sous le titre de
+lords de Horestan-Castle<a id="footnotetag4" name="footnotetag4"></a>
+<a href="#footnote4"><sup class="sml">4</sup></a>, posséder, dans le Derbyshire, des
+propriétés considérables, auxquelles la terre de Rochdale, dans le duché
+de Lancastre, fut ajoutée au tems d'Édouard Ier. Telle était, dans ces
+premiers tems, la richesse territoriale de la famille, que le partage de
+ses biens, dans le seul Nottinghamshire, avait suffi pour fonder
+quelques-unes des premières maisons de la province.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote4"
+name="footnote4"><b>Note 4: </b></a><a href="#footnotetag4">
+(retour) </a> Il y avait, dit Thoroton, dans le parc de Horseley,
+ un château dont on peut voir encore quelques ruines; il
+ s'appelait Horestan-Castle, et était le principal manoir des
+ successeurs de Ralphe de Burun.<span class="rig">
+ (<i>Note de Moore</i>.)</span><br>
+</blockquote>
+
+<p>Mais son antiquité n'était pas la seule distinction qui recommandât à
+ses héritiers le nom de Byron; le mérite personnel et les hauts faits
+qui doivent former le premier ornement d'une généalogie, semblent avoir
+été le partage fréquent de ses ancêtres. Dans l'un de ses premiers
+poèmes, il fait allusion à la gloire de ses aïeux, et rappelle avec une
+vive satisfaction «ces fiers barons bardés de fer, qui brillaient parmi
+ceux qui conduisirent leurs vassaux européens dans les plaines de
+Palestine;» puis il ajoute: «Sous les remparts d'Ascalon périt John de
+Horiston; la mort a glacé la main de son ménestrel.» Cependant comme,
+autant que je l'ai pu découvrir, il n'est fait mention nulle part de
+quelqu'un de ses ancêtres qui se fût croisé, il est possible que sa
+seule autorité, en composant ces vers, fut la tradition qui se
+rapportait à certains groupes des vieilles boiseries de Newsteadt. Dans
+l'un de ces groupes profondément sculptés et se détachant du panneau, on
+peut reconnaître facilement un Sarrasin, ou un Maure avec une femme
+européenne, d'un côté, et de l'autre un soldat chrétien. Un deuxième
+groupe, placé dans l'une des chambres à coucher, représente une femme au
+centre, et de chaque côté la tête d'un Sarrasin, dont les yeux sont
+fixés avec intérêt sur elle. On ne sait rien de bien exact sur ces
+sculptures; mais la tradition est, m'a-t-on dit, qu'elles se rapportent
+à quelque aventure d'amour dans laquelle se trouvait engagé l'un des
+chevaliers croisés dont parle le jeune poète. Quant aux exploits les
+mieux prouvés, ou du moins les plus connus des Byron, il suffira de dire
+que sous Édouard III, au siége de Calais et dans les plaines mémorables,
+à diverses époques, de Créci, de Bosworth et de Marston Moor, leur nom
+se montre revêtu de la double illustration de rang et de mérite, dont se
+glorifiait leur plus jeune descendant, dans les vers que nous venons de
+citer.</p>
+
+<p>Ce fut sous le règne de Henri VIII, à l'époque de la suppression des
+monastères, que l'église et le prieuré de Newsteadt furent, avec les
+terres contiguës, ajoutés, par un don royal, aux autres domaines de la
+famille Byron<a id="footnotetag5" name="footnotetag5"></a>
+<a href="#footnote5"><sup class="sml">5</sup></a>. Le favori à qui furent données les dépouilles du
+monastère, était le petit neveu du vaillant guerrier qui combattit à
+Bosworth, aux côtés de Richemond, et que l'on distingue des chevaliers
+du même nom par le titre de sir John Byron <i>le Court, à la grande
+barbe</i>: son portrait était du petit nombre de ceux qui décoraient les
+murs de l'abbaye, quand elle appartenait au noble poète.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote5"
+name="footnote5"><b>Note 5: </b></a><a href="#footnotetag5">
+(retour) </a> Le prieuré de Newsteadt avait été fondé et dédie à
+ Dieu et à la Vierge, par Henri II; ses moines, chanoines
+ réguliers de l'ordre de St.-Augustin, étaient, à ce qu'il
+ paraît, les objets particuliers de la faveur royale, dans
+ leurs doubles intérêts spirituels et temporels. Pendant la
+ vie du cinquième Lord Byron, on trouva dans le lac de
+ Newsteadt, où l'on supposait que les moines avaient tenté de
+ le cacher, un grand aigle de cuivre; on le fit ouvrir, et
+ l'on découvrit dans l'intérieur une case secrète qui recelait
+ plusieurs vieilles chartes relatives aux droits et aux
+ privilèges de la fondation. A la vente des effets du vieux
+ Lord Byron, en 1776-1777, cet aigle avec trois candélabres,
+ trouvés à la même époque, furent achetés par un horloger de
+ Nottingham (celui-même qui avait trouvé les pièces dont nous
+ venons de parler), et ayant de ses mains passé dans celles de
+ sir Richard Kaye, prébendier de Southwell, ils forment à
+ présent un des ornemens les plus remarquables de la
+ cathédrale de cette ville. Un document curieux, trouvé,
+ dit-on, dans l'aigle, appartient aujourd'hui au colonel
+ Wildman; c'est un plein pardon, accordé par Henri II, de tous
+ les crimes possibles (et l'on en trouve désigné un assez long
+ catalogue) que les moines peuvent avoir commis avant le huit
+ décembre précédent. «<i>Murdris</i> per ipsos <i>post decimum nonum
+ diem</i> novembris ultimo præteritum perpetratis, si quæ
+ fuerint, <i>exceptis</i>.»</blockquote>
+
+<p>Au couronnement de Jacques Ier, nous trouvons un autre représentant de
+cette famille, le petit-fils de sir John Byron <i>le Court</i>, devenu
+l'objet de nouvelles faveurs royales et créé chevalier du Bain (<i>Knight
+of the Bath</i>). Une lettre de ce personnage, conservée dans <i>les
+Illustrations de Lodge</i>, nous apprend, que, malgré l'ostentation d'une
+apparente prospérité, cette ancienne famille avait déjà l'expérience des
+embarras pécuniaires. Dans cette pièce, après avoir parlé à son héritier
+du meilleur moyen de payer ses dettes, «je vous conseille donc,
+continue-t-il<a id="footnotetag6" name="footnotetag6"></a>
+<a href="#footnote6"><sup class="sml">6</sup></a>, aussitôt que vous aurez terminé, comme vous le devez,
+les funérailles de votre père, de régler et de réduire ce grand train de
+maison, et de ne garder de tous vos domestiques que quarante ou
+cinquante au plus. Dans mon opinion, vous feriez beaucoup mieux de vivre
+quelque tems dans le comté de Lancastre que dans celui de Nottingham; et
+cela, pour plusieurs raisons excellentes, qu'au lieu de vous écrire, je
+vous dirai à notre première entrevue.»</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote6"
+name="footnote6"><b>Note 6: </b></a><a href="#footnotetag6">
+(retour) </a>
+ Le comte de Shrewsbury.<span class="rig">
+ (<i>Note de Moore</i>.)</span><br></blockquote>
+
+<p>C'est du règne suivant, celui de Charles Ier, que date l'origine de la
+noblesse de la famille. En 1643, sir John Byron, arrière-petit-fils de
+celui qui avait obtenu le riche domaine de Newsteadt, fut créé baron
+Byron de Rochdale, dans le comté de Lancastre; et rarement de pareils
+titres furent concédés pour des services aussi réels et aussi honorables
+que ceux auxquels ce gentilhomme dut le sien. Presque à chaque page de
+l'histoire de nos guerres civiles, son nom se trouve lié aux diverses
+fortunes de son roi; toujours fidèle, persévérant et désintéressé dans
+sa conduite. «Sir John Byron, dit l'auteur des <i>Mémoires du colonel
+Hutchinson</i>, plus tard Lord Byron, et tous ses frères, hommes d'armes,
+actifs et vaillans de leurs personnes, étaient tous acquis passionnément
+au roi.» Dans une réponse que le colonel Hutchinson eut l'occasion de
+faire, étant gouverneur de Nottingham, à son cousin germain, sir Richard
+Byron, il accorde un glorieux tribut à la valeur et à la fidélité de la
+famille. Sir Richard ayant envoyé quelqu'un vers son parent pour
+l'engager à rendre le château, reçut pour réponse «que, sauf le cas où
+il trouverait dans son cœur quelque disposition à une trahison
+semblable, il devait se rappeler qu'il coulait dans ses veines assez du
+sang des Byron, pour qu'il eût horreur de trahir ou d'abandonner ce
+qu'il avait entrepris de défendre.»</p>
+
+<p>Tels sont quelques-uns des personnages distingués qui ont transmis à
+Byron leur nom illustré.</p>
+
+<p>Du côté maternel notre poète pouvait vanter ses ancêtres, à la noblesse
+desquels l'Écosse ne pouvait rien préférer, sa mère étant de la famille
+des Gordon de Gight, descendans de sir William Gordon, troisième fils du
+comte de Huntley, par la fille de Jacques Ier.</p>
+
+<p>Après les tems agités des guerres civiles, où se distinguèrent aussi
+plusieurs Byron, puisqu'à la fameuse bataille d'Edgehill on vit jusqu'à
+sept frères de ce nom, leur renommée semble assoupie pendant près d'un
+siècle. Mais vers l'année 1750, le naufrage et les souffrances du
+grand-père de notre poète, M. Byron, plus tard amiral, réveillèrent à un
+haut degré l'attention et l'intérêt du public. Quelque tems après, une
+autre sorte de célébrité, moins glorieuse il est vrai, devint le partage
+de deux autres membres de la famille: l'un grand-oncle, l'autre père de
+Lord Byron. Le premier, en 1765, subit un jugement devant la Chambre des
+Pairs, pour avoir tué en duel, ou plutôt au milieu d'une querelle, son
+parent et son voisin, M. Chaworth; le second ayant enlevé et conduit sur
+le continent la femme de lord Carmarthen, l'épousa dès que le marquis
+eut réussi à obtenir un divorce. Une fille fut le seul fruit de cette
+courte union: ce fut l'honorable Augusta Byron, aujourd'hui femme du
+colonel Leigh.</p>
+
+<p>En parcourant ainsi rapidement les premiers et les derniers ancêtres de
+Lord Byron, on ne peut s'empêcher de remarquer à quel point ce dernier
+réunissait en lui une partie des grandes et peut-être des mauvaises
+qualités remarquables dans plusieurs de ses aïeux! La générosité, la
+hardiesse, la grandeur d'ame des plus illustres; mais aussi les passions
+déréglées, la bizarrerie, le mépris de l'opinion publique, qui
+caractérisaient les autres.</p>
+
+<p>M. Byron, le père du poète, ayant perdu sa première femme en 1784, se
+remaria l'année suivante à miss Catherine Gordon, fille et unique
+héritière de George Gordon de Gight. Outre le domaine de Gight, qui
+pourtant était dans l'origine bien plus important qu'aujourd'hui, cette
+dame possédait en valeur pécuniaire, actions, etc., une fortune
+considérable; et l'opinion commune était que M. Byron ne lui avait fait
+la cour que pour s'affranchir de ses dettes.</p>
+
+<p>Un trait bien singulier que l'on raconte de miss Gordon, surtout si
+jusqu'alors elle n'avait jamais vu le capitaine Byron, prouve en même
+tems l'extrême vivacité et la véhémence des sentimens qu'elle avait déjà
+pour lui. Elle était au théâtre d'Edimbourg, un soir que le rôle
+d'<i>Isabella</i> était rempli par Mrs. Siddons; l'illusion que faisait cette
+grand actrice l'affecta au point de la faire tomber, avant la fin de la
+pièce, dans de violentes attaques de nerf. On l'emporta hors du théâtre,
+tandis qu'elle s'écriait à haute voix: «Oh! mon Byron, mon Byron!»</p>
+
+<p>A l'occasion de son mariage, un rimeur écossais fit paraître une ballade
+que l'on a dernièrement réimprimée dans une collection d'<i>anciennes
+chansons et ballades du nord de l'Écosse</i>.</p>
+
+<p>Comme elle porte la preuve de la réputation de fortune qu'avait la
+nouvelle épouse et de l'inconduite extravagante de son époux, on en
+pourra lire volontiers l'extrait suivant:</p>
+<br>
+<p class="mid">MISS GORDON DE GIGHT.</p>
+
+<p>Oh! où êtes-vous allée, jolie miss Gordon? où êtes-vous allée si
+gentille et si parée? Vous avez épousé, vous avez épousé John Byron,
+pour dissiper les terres de Gight.</p>
+
+<p>Ce jouvenceau est un mauvais sujet venu d'Angleterre; les Écossais ne
+connaissent pas sa famille; il entretient des maîtresses; son hôte
+l'importune et ne peut s'en faire payer. Oh! ce sera bientôt fait des
+terres de Gight.</p>
+
+<p>Oh! où êtes-vous allée, etc.</p>
+
+<p>Entendez-vous les coups de fusil, le bruit du tambourin, celui du cor
+dans les bois, de la cornemuse sous le vestibule, les aboiemens des
+chiens courans et des chiens d'arrêt. Avec tout ce bruit-là, ce sera
+bientôt fait des terres de Gight.</p>
+
+<p>Oh! où êtes-vous allée, etc.</p>
+<br>
+<p>Bientôt après le mariage, qui eut lieu, je crois, à Bath, M. Byron et sa
+femme se retirèrent dans leur terre d'Écosse, et il se passa peu de tems
+avant que les pronostics du faiseur de ballades ne se réalisassent. La
+malheureuse héritière mesura alors des yeux l'abîme de dettes qui devait
+engloutir sa fortune. Les créanciers de M. Byron se présentèrent sans
+perdre de tems. Argent comptant, actions de la Banque, droits de pêche,
+tout fut sacrifié pour les satisfaire; tout cela ne suffisant pas, il
+fallut grever la propriété d'une hypothèque assez considérable.</p>
+
+<p>Dans l'été de 1786, elle et son mari quittèrent l'Écosse pour la France;
+et l'année suivante il fallut vendre le domaine de Gight, toujours pour
+payer des dettes. La totalité du prix de la vente y passa, à l'exception
+d'une petite somme remise en main tierce, pour l'usage particulier de
+mistress Byron, qui se vit ainsi, dans le court espace de deux ans,
+réduite d'un état d'opulence à un revenu modique de 150 livres
+sterling<a id="footnotetag7" name="footnotetag7"></a>
+<a href="#footnote7"><sup class="sml">7</sup></a>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote7"
+name="footnote7"><b>Note 7: </b></a><a href="#footnotetag7">
+(retour) </a>
+ Les détails que je joins ici sur la fortune de
+ mistress Byron (la mère), avant son mariage, et la rapidité
+ avec laquelle cette même fortune fut dissipée bientôt après,
+ sont de la plus grande exactitude; j'ai tout lieu de le
+ croire, d'après l'authenticité de la source où je les ai
+ puisés.
+
+<p> «A l'époque de son mariage, miss Gordon possédait à peu près
+ 3,000 liv. st. en espèces, deux actions de la banque
+ d'Aberdeen, les domaines de Gight et de Monkshill, et le
+ privilège de deux pêcheries de saumons sur la Dee. Peu après
+ l'arrivée de M. et de mistress Byron en Écosse, il fut
+ évident que le premier avait contracté des dettes
+ considérables, et ses créanciers commencèrent des poursuites
+ légales pour arriver au recouvrement de leurs créances.
+ L'argent comptant fut immédiatement sacrifié pour les
+ satisfaire, les actions de la banque furent vendues à raison
+ de 600 liv. st. (elles en valent actuellement 5,000); on
+ abattit sur la terre de Gight et l'on vendit du bois, au
+ montant de 1,500 liv. st. On disposa de la ferme de Monkshill
+ et des pêcheries, formant un franc-fief, pour 480 liv. st. Ce
+ n'est pas tout, dans l'année même du mariage, on emprunta une
+ somme de 8,000 liv. st., pour laquelle mistress Byron donna
+ hypothèque sur son domaine de Gight.</p>
+
+<p> «En mars 1786, un contrat de mariage fut dressé selon la
+ <i>coutume</i> d'Écosse et signé par les parties. Dans le cours de
+ l'été de la même année, M. et mistress Byron quittèrent Gight
+ pour n'y plus revenir; le domaine fut vendu l'année suivante
+ à Lord Haddo moyennant 17,850 liv. st. La totalité de cette
+ somme fut employée à payer les dettes de M. Byron, excepté
+ une rente de 55 liv. sterl. 17 schellings 1 penny, douaire de
+ la grand'mère de mistress Byron, représentant un capital de
+ 1,128 liv. st., qui devait revenir à cette dernière à la mort
+ de son aïeule, et 3,000 qui devaient être déposées en mains
+ tierces pour l'usage particulier de mistress Byron, et qui
+ furent depuis placées chez M. Carsewell de Ratharllet, dans
+ le comté de Fife.»</p>
+
+<p> Une autre personne, bien informée, m'a raconté une
+ particularité singulière qui eut lieu avant la vente de la
+ terre, c'est que tous les ramiers de la maison de Gight
+ s'envolèrent de concert et se rendirent au colombier de Lord
+ Haddo; leur exemple fut suivi par une troupe de hérons qui
+ avaient fait leur nid depuis maintes années dans un bois
+ voisin d'un grand lac, appelé le <i>Hagberry-Pot</i>. On vint en
+ avertir Lord Haddo. «Laissez venir les oiseaux, répondit-il,
+ ne les effarouchez pas, la terre ne manquera pas de les
+ suivre.» Ce qui arriva effectivement.<span class="rig">
+ (<i>Note de Moore</i>.)</span></p>
+</blockquote>
+
+<p>Mistress Byron revint en Angleterre à la fin de 1787, et le 22 janvier
+suivant elle mit au monde à Londres, dans <i>Holle-street</i>, son premier et
+unique enfant, George Gordon Byron. Le nom de Gordon lui fut donné par
+suite d'une condition testamentaire imposée à quiconque épouserait
+l'héritière de Gight; l'enfant, à son baptême, eut pour parrains le duc
+de Gordon et le colonel Duff de Fetteresso.</p>
+
+<p>A propos de sa qualité de fils unique, Lord Byron, dans une des feuilles
+de son journal, rapporte quelques coïncidences curieuses du même fait
+dans sa famille, qui, pour un esprit disposé comme le sien à trouver
+partout du merveilleux dans tout ce qui avait rapport à lui-même,
+devaient paraître plus singulières et plus frappantes qu'elles ne le
+sont en effet: «J'ai pensé, dit-il, à une chose bizarre; ma fille, ma
+femme, ma sœur de père, ma mère, ma tante maternelle, la mère de ma
+sœur, ma fille naturelle et moi-même sommes ou étions tous fils ou
+filles uniques; la mère de ma sœur, lady Conyers, n'eut que ma sœur de
+son second mariage; elle-même était fille unique; mon père n'eut que moi
+de son second mariage avec ma mère, également fille unique. Une telle
+complication dans une seule famille est bien singulière, elle semble
+vraiment l'effet de la fatalité.» Ensuite il ajoute ces paroles
+caractéristiques: «Mais les plus fiers animaux ont le moins de petits,
+tels que les lions, les tigres et jusqu'aux éléphans, qui sont doux en
+comparaison des premiers.»</p>
+
+<p>De Londres mistress Byron se rendit avec son enfant en Écosse; et, en
+1790, elle fixa son séjour à Aberdeen, où le capitaine Byron vint
+bientôt la rejoindre. C'est là qu'ils vécurent ensemble quelque tems,
+logés en garni chez un nommé Anderson, dans <i>Queen-street</i>; mais leur
+union étant loin d'être parfaite, une séparation fut bientôt jugée
+nécessaire, et mistress Byron prit le parti d'aller loger, toujours en
+garni, à l'extrémité de la même rue<a id="footnotetag8" name="footnotetag8"></a>
+<a href="#footnote8"><sup class="sml">8</sup></a>. Malgré cette désunion, ils n'en
+continuèrent pas moins à se visiter de tems en tems, et même à prendre
+le thé l'un chez l'autre; mais les élémens de discorde se multiplièrent
+et finirent par amener leur séparation complète et définitive. Il
+arrivait toutefois fréquemment au mari, d'accoster la bonne et son fils
+dans leur promenade et d'exprimer un vif désir d'avoir l'enfant chez lui
+pour un ou deux jours. Mistress Byron était d'abord peu disposée à céder
+à ce vœu; mais la bonne lui représenta que <i>si le père avait l'enfant
+une seule nuit, il n'en voudrait pas davantage</i>, et cette réflexion la
+décida enfin à y consentir. L'événement justifia la prédiction de la
+bonne; quand elle vint le lendemain s'informer de son enfant, le
+capitaine Byron lui déclara qu'il avait assez de son jeune hôte, et
+qu'elle pouvait le reprendre tout de suite.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote8"
+name="footnote8"><b>Note 8: </b></a><a href="#footnotetag8">
+(retour) </a> Il semble que plusieurs fois elle changea de
+ domicile à Aberdeen; on désigne encore deux maisons où elle
+ aurait quelque tems logé, l'une dans <i>Virginia-street</i>, et
+ l'autre chez un M. Leslie, je crois, dans <i>Broad-street</i>.
+ <span class="rig"> (<i>Note de Moore</i>.)</span><br>
+</blockquote>
+
+<p>Il faut observer qu'à cette époque la fortune de mistress Byron ne lui
+permettait pas d'avoir plus d'une domestique; il n'est donc pas étonnant
+que l'enfant envoyé affronter l'épreuve d'une visite, sans la
+surveillance ordinaire de sa bonne, se soit montré un hôte difficile à
+gouverner.</p>
+
+<p>Du reste, que dès l'enfance son caractère fût violent, sournois et
+colère, il est impossible d'en douter; jusque dans ses petites jupes, il
+manifestait avec sa bonne ce même esprit d'impatience dont il donna dans
+la suite tant de preuves à ses critiques. Un jour elle le réprimanda
+vivement d'avoir sali ou déchiré un fourreau qu'on venait de lui mettre:
+ces reproches le firent entrer dans une de ces <i>rages silencieuses</i>,
+comme il les nomme lui-même; il prit le fourreau de ses deux mains, le
+mit en pièces, puis revint à une soudaine immobilité, défiant et son
+censeur et son ressentiment.</p>
+
+<p>Mais malgré cette petite scène et d'autres emportemens semblables,
+auxquels ne l'encourageait que trop l'exemple de sa mère (qui en
+agissait, dit-on, fréquemment de même avec ses bonnets et ses robes), il
+y avait dans ses inclinations, et le témoignage de ses bonnes, de ses
+maîtres et de tous ceux qui eurent alors des rapports avec lui est ici
+conforme, un mélange de douceur affectueuse et d'enjouement qui lui
+gagnait nécessairement les cœurs, et qui plus tard, comme dans ses plus
+tendres années, rendait son commerce facile pour ceux qui l'aimaient et
+le connaissaient assez pour user toujours à son égard de douceur et de
+fermeté. La gouvernante, dont nous avons déjà parlé, et la sœur de cette
+femme, May-Gray, qui la remplaça, prirent sur son esprit une influence à
+laquelle il ne résistait que bien rarement; tandis que sa mère, dont les
+caprices et les accès de tendresse et d'emportement diminuaient
+également le respect et l'affection de son enfant, ne dut jamais qu'à
+l'autorité de son titre de mère le faible pouvoir qu'elle eut sur lui.</p>
+
+<p>Par l'effet d'un accident qui, dit-on, arriva au moment de sa naissance,
+l'un de ses pieds fut détourné de sa position naturelle. Ce défaut,
+grâce surtout aux efforts que l'on fit pour y remédier, fut pour lui,
+pendant sa jeunesse, la source d'une foule de douleurs et d'ennuis. On
+voulut redresser ce membre d'après les expédiens alors en vogue, et sous
+la direction du célèbre John Hunter, qui même entretint à ce sujet une
+correspondance avec le docteur Livingstone d'Aberdeen. C'était à sa
+gouvernante qu'était confié le soin de lui mettre le soir ses
+machines-bandages; souvent alors, comme elle l'a raconté depuis, elle
+lui chantait ou lui racontait, pour mieux l'endormir, des histoires et
+des légendes auxquelles, comme la plupart des enfans, il prenait un
+grand plaisir. Elle lui apprit encore, dans cet âge si tendre, à répéter
+un grand nombre de psaumes, et le premier et le vingt-troisième furent
+ceux qu'il confia d'abord à sa mémoire. C'est un fait vraiment
+remarquable que, par les soins de cette respectable et pieuse personne,
+il acquit une connaissance plus parfaite des saintes Écritures, que ne
+l'ont en général les jeunes gens. Dans une lettre qu'il écrivit d'Italie
+à M. Murray, en 1821, après lui avoir demandé, par la première occasion,
+l'envoi d'une bible, il ajoute: «N'oubliez pas cela, car je suis un
+grand lecteur et admirateur de ces livres; je les avais parcourus tous
+avant l'âge de huit ans,--c'est-à-dire les livres de l'Ancien-Testament;
+quant au Nouveau, sa lecture me semblait une tâche, et celle de l'autre
+un plaisir. J'en parle d'après mes idées d'enfant, telles que je me les
+rappelle, et comme se présente encore à ma mémoire ce tems que je passai
+à Aberdeen en 1796.»</p>
+
+<p>La difformité de son pied était dès-lors un sujet qui l'affligeait
+beaucoup et sur lequel il se montrait très-irascible. Une personne de
+Glascow m'a rapporté que la gouvernante de sa femme et celle de Byron se
+voyaient souvent quand elles sortaient pour promener les enfans qui leur
+étaient confiés, et qu'un jour elle lui avait dit: «Quel bel enfant que
+ce Byron! et quel malheur qu'il ait un pareil pied!» L'enfant
+l'entendit, et soudain, outré de colère, il la frappa d'un petit fouet
+qu'il avait à la main, en s'écriant avec impatience: <i>Ne parlez pas de
+cela</i>. Quelquefois cependant, comme plus tard, il parlait avec
+indifférence et même plaisantait de son infirmité. Dans le voisinage se
+trouvait un autre enfant qui avait dans l'un de ses pieds un défaut
+semblable; Byron disait alors à cette occasion en riant: <i>Venez voir les
+deux petits garçons qui s'en vont dans Brood-street avec leurs deux
+pieds bots</i>.</p>
+
+<p>Parmi une foule d'exemples de vivacité et d'énergie, sa gouvernante
+citait le suivant. Un soir, elle l'avait conduit au théâtre, à la
+représentation de la <i>Femme colère corrigée</i> (<i>the taming of the
+Shrew</i>); il avait suivi la pièce pendant quelque tems avec un intérêt
+silencieux, mais à la scène entre Catherine et Pétruchio, quand les
+acteurs en furent à ces deux vers:</p>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p class="i8"> <span class="sc">Catherine</span>. Je sais que c'est la lune.</p>
+
+<p class="i8"> <span class="sc">Pétruchio</span>. Non, vous mentez, c'est le soleil bienfaisant.</p>
+</div></div>
+
+<p>Le petit Geordie (ainsi l'appelait-on), se levant de son siége, se mit à
+crier vivement: <i>Mais je vous dis, moi, que c'est la lune, monsieur</i>.</p>
+
+<p>Nous avons déjà parlé du séjour du capitaine Byron à Aberdeen; il revint
+encore y passer deux ou trois mois avant son départ définitif pour la
+France. Chaque fois, le principal objet de sa visite était de tirer
+encore, s'il le pouvait, quelque argent de la malheureuse femme qu'il
+avait réduite à la misère; et il y réussit si bien, que la dernière fois
+cette dame, gênée comme elle l'était, parvint à lui procurer les moyens
+de se rendre à Valenciennes<a id="footnotetag9" name="footnotetag9"></a>
+<a href="#footnote9"><sup class="sml">9</sup></a>, où il mourut l'année suivante (1791).
+Bien que sur la fin Mrs. Byron refusât de le voir, elle lui conserva
+toujours, dit-on, une vive affection; et à cette époque, quand la
+gouvernante venait à le rencontrer, elle ne manquait pas de s'informer
+auprès d'elle, avec la plus tendre sollicitude, de sa santé et de l'air
+de son visage. Quand elle apprit sa mort, sa douleur, suivant le récit
+de la même personne, tenait du désespoir, et ses cris perçans furent
+entendus jusque dans la rue. C'était vraiment une femme extrême dans
+toutes ses passions; sa douleur et sa tendresse partaient de son
+tempérament autant que d'une sensibilité réelle. Quoi qu'il en soit,
+déplorer la mort d'un pareil mari était, il faut l'avouer, faire preuve
+d'une générosité bien gratuite; d'autant plus que ne l'ayant épousée,
+comme il le disait tout haut, que pour sa fortune, et ayant bientôt
+dissipé le seul charme qu'elle eût à ses yeux, il avait la cruauté de
+lui reprocher fréquemment les inconvéniens de la pénurie, fruit de son
+extravagante prodigalité.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote9"
+name="footnote9"><b>Note 9: </b></a><a href="#footnotetag9">
+(retour) </a>
+ Mrs. Byron, dit quelqu'un que j'ai déjà cité,
+ s'était endettée de trois cents liv. st., par suite des
+ avances d'argent faites à M. Byron lors de ses deux visites à
+ Aberdeen, et par les frais d'ameublement de la chambre
+ qu'elle occupa après la mort de son mari, dans Brood-street.
+ Les intérêts de cette somme réduisirent son revenu à 139
+ liv.; toutefois elle sut vivre sans augmenter ses dettes, et
+ à la mort de sa grand'mère, ayant hérité des 1,122 liv.
+ réservées pour le douaire de cette dame, elle les acquitta
+ entièrement.</blockquote>
+
+<p>Le jeune Byron n'avait pas cinq ans accomplis quand on l'envoya à une
+école primaire, tenue à Aberdeen par M. Bowers<a id="footnotetag10" name="footnotetag10"></a>
+<a href="#footnote10"><sup class="sml">10</sup></a>. Il y resta, sauf
+quelques interruptions, durant l'espace de douze mois, comme l'atteste
+l'extrait suivant du registre journalier de l'école:</p>
+
+<p class="mid"><span class="sc">georges gordon byron</span>,<br>
+
+19 novembre 1792.<br>
+
+19 novembre 1793, reçu une guinée.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote10"
+name="footnote10"><b>Note 10: </b></a><a href="#footnotetag10">
+(retour) </a>
+ Dans <i>Long-acre</i>, l'instituteur actuel de cette
+ école est M. Davie Gronta, l'ingénieux éditeur d'une
+ <i>collection de batailles et monumens militaires</i>, et d'un
+ ouvrage fort utile intitulé: <i>Livre classique des poèmes
+ modernes</i>.</blockquote>
+
+<p>Le prix de cette école, pour la lecture seulement, n'était que de 5
+<i>shillings</i> par quartier; et ce fut certainement moins dans le but de
+hâter ses progrès que pour mieux échapper à sa turbulence que sa mère
+l'y envoya. Quant au résultat de ces premières études à Aberdeen, tant
+sous M. Bowers que sous différens autres instituteurs, il nous en offre
+lui-même le curieux document dans une sorte de journal commencé sous le
+titre de <i>mon Dictionnaire</i>, et qu'on retrouve dans l'un de ses
+manuscrits:</p>
+
+<p>«J'ai vécu dans cette ville plusieurs années de ma première jeunesse;
+mais depuis l'âge de dix ans je n'y suis pas retourné. A cinq ans, ou
+plus tôt même, on m'envoyait à l'école tenue par un M. Bowers, que l'on
+surnommait <i>Bodsy</i>, à cause de son air vif et éveillé. C'était une école
+à l'usage des deux sexes; j'y appris peu de chose, si ce n'est à répéter
+par cœur, à force de l'entendre, mais sans en retenir une lettre, la
+première leçon monosyllabique: <i>Dieu fit l'homme, il faut l'aimer</i>. La
+seule preuve que je donnais de mes progrès à la maison, c'était de
+répéter ces mots avec la plus grande volubilité; mais un jour, ayant
+tourné le feuillet, j'eus le malheur de redire encore la même chose, et
+cela fit découvrir les bornes étroites de mes jeunes talens: on me tira
+les oreilles (criante injustice, attendu que c'était par elles que
+j'avais appris ce que je savais), et l'on confia mes dispositions aux
+soins d'un nouveau précepteur; c'était un pieux et habile petit prêtre,
+nommé Ross, devenu plus tard, ministre de l'une des églises d'Écosse
+(celle d'<i>East</i>, je pense). Je fis sous lui d'étonnans progrès, et je me
+rappelle encore aujourd'hui ses manières douces et sa généreuse
+sollicitude. Dès que je pus lire, ma grande passion fut l'histoire, et
+surtout je me passionnai, pourquoi? je l'ignore, pour la bataille donnée
+près du lac Régille, dans l'histoire romaine, que l'on m'avait d'abord
+mise entre les mains. Il y a quatre ans, me trouvant sur les hauteurs de
+Tusculum, mes regards s'arrêtèrent sur le petit lac circulaire, jadis de
+Régille, et qui n'est plus qu'un point dans la perspective; alors je me
+souvins de mon jeune enthousiasme et de mon vieux instituteur. Plus tard
+j'eus pour maître un nommé Paterson, honnête jeune homme, mais
+très-sérieux et taciturne: c'était le fils de mon cordonnier; du reste
+fort instruit, comme le sont généralement les Écossais; c'était de plus
+un presbytérien rigide. Je commençai avec lui le latin, dans la
+grammaire de Ruddeman, et je continuai jusqu'au moment où l'on me mit à
+l'<i>école de grammaire</i>. Là je fis toutes mes classes jusqu'à la
+quatrième forme<a id="footnotetag11" name="footnotetag11"></a>
+<a href="#footnote11"><sup class="sml">11</sup></a>, époque de mon rappel en Angleterre, ma patrie, par
+la mort de mon oncle.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote11"
+name="footnote11"><b>Note 11: </b></a><a href="#footnotetag11">
+(retour) </a> Un collége régulier anglais se divise généralement
+ en six <i>formes</i>, quoiqu'un même professeur puisse être chargé
+ de deux à la fois. L'ordre des <i>formes</i> est inverse du nôtre;
+ ainsi (la rhétorique et la philosophie faisant partie de
+ l'enseignement spécial des universités), la sixièmes <i>forme</i>
+ correspondra à notre classe de seconde, et la première forme
+ à notre septième ou aux classes plus élémentaires encore.
+ <span class="rig"> (<i>Note du Traducteur</i>.)</span><br>
+</blockquote>
+
+<p>C'est à Aberdeen, et sur les belles exemples de M. Duncan, que j'acquis
+le beau point d'écriture que je ne lis pas moi-même sans difficulté. Je
+ne pense pas qu'il se mît beaucoup en peine de mes progrès. J'écrivais
+mieux alors que je n'ai jamais fait depuis; la hâte et l'agitation d'une
+et d'autre espèce ont fait de moi le plus parfait griffonneur qui jamais
+ait tenu une plume. Il pouvait y avoir à cette école de grammaire cent
+cinquante enfans de tout âge; elle était divisée en cinq classes, tenues
+par quatre maîtres, le principal se chargeant de la quatrième et de la
+cinquième forme, comme en Angleterre la cinquième et la sixième forme et
+les moniteurs ont toujours pour professeur le chef de l'école.»</p>
+
+<p>Parmi ses compagnons de classe, il en est de vivans qui se souviendront
+encore de lui<a id="footnotetag12" name="footnotetag12"></a>
+<a href="#footnote12"><sup class="sml">12</sup></a>, et l'impression qu'ils en ont conservée est que
+c'était un enfant vif et passionné, emporté, rancunier, mais affectueux
+et sociable à l'égard de ses camarades; hardi, singulièrement aventureux
+et toujours, comme l'un d'eux le répétait heureusement, toujours <i>plus
+prêt à donner qu'à recevoir des coups</i>. Entr'autres anecdotes à l'appui
+de ce caractère, on cite qu'une fois, revenant de l'école, il se trouva
+de compagnie avec un enfant qui l'avait auparavant insulté, sans en
+avoir été puni. Le petit Byron avait juré qu'il le lui paierait à la
+première occasion; en conséquence cette fois-ci, bien que plusieurs
+autres enfans prissent le parti de son adversaire, il parvint à lui
+donner une <i>volée complète</i>; et quand il arriva chez sa mère, tout
+essoufflé, la servante lui demanda ce qu'il avait fait. Il répondit,
+avec un mélange de rage et d'enjouement, qu'il venait d'acquitter une
+dette en rossant un enfant auquel il l'avait promis; qu'il était un
+Byron, et que jamais il ne fausserait sa devise: <i>Croys Byron</i>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote12"
+name="footnote12"><b>Note 12: </b></a><a href="#footnotetag12">
+(retour) </a> Le vieux portier du collége aussi se rappelle bien
+ le petit garçon à la jaquette rouge et au pantalon de nankin,
+ qu'il a si souvent chassé de la cour du collége.</blockquote>
+
+<p>Il est certain qu'il cherchait bien plus à se distinguer parmi ses
+camarades par sa supériorité dans tous les jeux et exercices violens,
+que par ses progrès à l'étude<a id="footnotetag13" name="footnotetag13"></a>
+<a href="#footnote13"><sup class="sml">13</sup></a>. Cependant il était plein d'ardeur dès
+qu'on parvenait à fixer son attention, ou qu'un genre d'étude venait à
+lui plaire. Il était en général parmi les derniers de sa classe, et ne
+semblait guère ambitieux de places plus honorables. Il est d'usage, je
+crois, dans cette pension, d'intervertir de tems en tems l'ordre des
+places et de mettre les plus faibles écoliers sur les bancs
+ordinairement réservés aux plus forts, sans doute dans la vue de mieux
+stimuler l'ardeur des uns et des autres. Dans ces occasions, et
+seulement alors, Byron était parfois à la tête de ses condisciples, et
+son professeur disait en le raillant; <i>Allons, George, vous ne tarderez
+pas à retourner à la queue</i><a id="footnotetag14" name="footnotetag14"></a>
+<a href="#footnote14"><sup class="sml">14</sup></a>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote13"
+name="footnote13"><b>Note 13: </b></a><a href="#footnotetag13">
+(retour) </a> C'était, dit l'un de ceux que j'ai consultés, un
+ bon joueur de billes, il les lançait plus loin que la plupart
+ des enfans; il excellait aussi aux <i>barres</i>, jeu qui exige
+ une grande agilité de jambes.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote14"
+name="footnote14"><b>Note 14: </b></a><a href="#footnotetag14">
+(retour) </a> Il paraît, d'après la liste trimestrielle tenue a
+ l'école de grammaire d'Aberdeen, dans laquelle le nom des
+ enfans se trouve placé suivant le rang qu'ils tenaient dans
+ leur classe; il paraît, dis-je, qu'en avril 1794, le nom de
+ Byron se trouvait le vingt-troisième sur une liste de
+ trente-huit enfans, dans la seconde forme. En avril 1798, il
+ lui arriva d'être le cinquième dans la quatrième classe,
+ composée de vingt-sept enfans, et de dépasser plusieurs de
+ ses condisciples qui l'avaient toujours devancé jusque-là.</blockquote>
+
+<p>Durant cette période, sa mère et lui eurent l'occasion de faire visite à
+plusieurs de leurs amis: ils passèrent quelque tems à Fetteresso,
+demeure de son parrain le colonel Duff (on s'y rappelle encore le
+plaisir que prenait l'enfant à jouer avec un vieux sommelier, bon
+vivant, nommé Ernest Fiddler). Ils s'arrêtèrent aussi à Banff, où
+résidaient quelques proches parens de mistress Byron.</p>
+
+<p>Il eut en 1796 une attaque de fièvre scarlatine, après laquelle sa mère
+l'envoya, pour changer d'air, dans les montagnes de l'Écosse
+(<i>highlands</i>); et ce fut alors, ou l'année suivante, qu'ils choisirent
+pour résidence une ferme dans le voisinage de Ballater. C'est un séjour
+recherché pendant l'été par ceux qui veulent reprendre leur santé ou
+leur enjouement; il est situé sur la rivière, à quarante milles environ
+d'Aberdeen. Bien que cette maison, où l'on montre encore avec orgueil le
+lit du jeune Byron, soit naturellement devenue un but de pélerinage pour
+les admirateurs du génie, elle est, ainsi que la vallée étroite et aride
+dans laquelle elle est bâtie, bien indigne de s'associer au souvenir
+d'un poète. A peu de distance de là, on peut vanter avec raison un
+paysage où se retrouvent tous les genres de beautés sauvages qui suivent
+le cours de la Dée à travers les montagnes. C'est là que les noirs
+sommets de <i>Lachin-y-Gair</i> s'élançaient en forme de tourelles aux yeux
+du poète futur; les vers qu'il consacra, plusieurs années après, au
+tableau de ces objets sublimes, montrent que déjà, malgré sa tendre
+jeunesse, il connaissait tous les genres de <i>gloire sourcilleuse</i> qui
+s'y rattachaient<a id="footnotetag15" name="footnotetag15"></a>
+<a href="#footnote15"><sup class="sml">15</sup></a>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote15"
+name="footnote15"><b>Note 15: </b></a><a href="#footnotetag15">
+(retour) </a> Les souvenirs exprimés dans cette pièce sont
+ charmans, mais il n'en est pas moins certain, d'après le
+ témoignage de sa gouvernante, qu'il alla tout au plus deux
+ fois sur cette montagne, située à quelques milles de leur
+ résidence ordinaire.</blockquote>
+
+<p>Ah! c'est là que mes pas s'égarèrent souvent dans mon enfance; mon
+chapeau était le bonnet à carreaux, mon manteau le <i>plaid</i> des
+montagnards; les souvenirs des chefs de <i>clans</i>, morts depuis long-tems,
+venaient s'offrir à mon esprit, quand, chaque jour, j'errais dans les
+clairières couvertes de pins. Je ne songeais pas à retourner au château,
+avant que la gloire du jour mourant n'eût fait place aux rayons brillans
+de l'étoile polaire, car mon imagination charmée aimait à se nourrir des
+traditions glorieuses que je recueillais de la bouche des habitans de la
+sombre Loch-na-Gar.</p>
+
+<p>On a plusieurs fois attribué la première étincelle de son génie poétique
+à la sévérité grandiose des scènes au milieu desquelles s'écoula son
+enfance; mais on pourrait se demander si jamais pareilles facultés
+furent l'effet d'un pareil accident. Que les charmes d'une nature
+pittoresque, nés principalement de notre imagination et de nos
+souvenirs, soient profondément sentis à un âge où l'imagination est à
+peine née, où les souvenirs sont rares, c'est ce qu'on concevra
+difficilement, tout en faisant la part d'un génie prématuré. L'éclat que
+le poète voit dans les aspects de la nature n'est pas autant dans les
+objets eux-mêmes que dans l'œil qui les contemple; et l'imagination doit
+entourer ses tableaux d'une sorte d'auréole avant de pouvoir leur
+emprunter quelque inspiration.</p>
+
+<p>A la vérité, comme matériaux susceptibles d'être mis en œuvre par la
+faculté poétique quand elle sera développée, ces merveilleuses
+impressions, recueillies dès l'enfance avec toute la vivacité,
+conservées avec toute la puissance de souvenir qui appartient au génie,
+peuvent bien former l'un des plus purs et des plus précieux alimens dont
+il se nourrira par la suite; mais cependant la source de ce charme est
+dans le sentiment poétique qui existait en lui et qui s'éveille alors.
+C'est l'imagination seule qui, agissant sur ses souvenirs, imprégnera
+pour lui, dans la suite, tout le passé de poésie.</p>
+
+<p>Il faut donc classer les impressions que Lord Byron reçut dans son
+enfance des scènes de la nature, avec les divers autres souvenirs qu'il
+conserva de la même période, comme de son innocence, de ses jeux, de ses
+espérances et de ses affections premières, tous souvenirs que le poète
+sait convertir à son usage, mais dont aucun ne fait le poète; pas plus
+que le miel (pour employer une comparaison de Byron lui-même) ne fait
+l'abeille qui le butine.</p>
+
+<p>Quand il arrive, comme ce fut le cas en Grèce pour Lord Byron, que les
+mêmes accidens de nature, sur lesquels la mémoire a réfléchi son charme,
+se reproduisent devant les yeux, entourés de circonstances nouvelles et
+inspiratrices, et de tous les accessoires qu'une imagination riche et
+vigoureuse peut leur prêter; alors, et le passé, et le présent, tout
+contribue à rendre l'enchantement complet. Or, jamais cœur ne fut mieux
+né pour réunir ces divers sentimens que celui de Lord Byron. Dans un
+poème écrit un ou deux ans avant sa mort<a id="footnotetag16" name="footnotetag16"></a>
+<a href="#footnote16"><sup class="sml">16</sup></a>, il fait honneur de sa
+passion pour les montagnes aux impressions de son séjour dans les
+<i>highlands</i>; et il attribue même le plaisir que lui fit éprouver
+l'aspect de l'Ida et du Parnasse, bien moins aux traditions classiques
+qu'aux souvenirs profonds que lui fournissaient son enfance et
+<i>Lachin-y-gair</i>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote16"
+name="footnote16"><b>Note 16: </b></a><a href="#footnotetag16">
+(retour) </a> L'Ile.</blockquote>
+
+
+
+<p>Celui dont les premiers regards se sont arrêtés sur les montagnes de
+l'Écosse, couronnées d'un bleu céleste, aimera à contempler toutes les
+cimes qui lui offriront une couleur analogue; il saluera, dans chaque
+mamelon, le visage connu d'un ami; à la vue d'une montagne, son ame
+s'épanouira, comme pour l'embrasser. Long-tems j'ai parcouru des pays
+qui n'étaient pas mon pays; j'ai adoré les Alpes, aimé les Apennins,
+révéré le Parnasse, admiré l'Ida cher à Jupiter, et l'Olympe qui s'élève
+majestueusement au-dessus de la mer. Mais ce n'était point le souvenir
+de leur gloire antique, ce n'était point la vue de leur beauté présente
+qui m'imposaient ces impressions profondes de respect et d'amour. Les
+ravissemens que l'enfant avait éprouvés survivaient à l'âge de
+l'enfance. Loch-na-Gar dominait avec l'Ida sur les champs de la Troade.
+Les souvenirs celtiques entouraient le mont Phrygien, et les eaux des
+cascades des <i>highlands</i> se mêlaient à la claire fontaine de Castalie.</p>
+
+
+
+<p>Dans une note jointe à ce morceau, nous le voyons faire le même
+anachronisme dans l'histoire de ses propres sentimens, et rapporter à
+son enfance elle-même cet amour des montagnes, qui n'était autre chose
+que le résultat du travail de son imagination se reportant au passé.
+«C'est, dit-il, de cette époque (celle de son séjour dans les
+<i>highlands</i>) que date mon amour des pays montagneux. Je n'oublierai
+jamais l'effet que produisit sur moi, quelques années plus tard, en
+Angleterre, la seule chose que j'eusse vue depuis long-tems qui
+ressemblât à des montagnes, quoiqu'en miniature; je veux parler des
+<i>Malvern-hills</i>. Lorsque je retournai à Cheltenham, je les regardais
+chaque soir, au coucher du soleil, avec une émotion que je ne pourrais
+décrire.» Son amour pour les courses solitaires et pour les excursions
+de toutes espèces<a id="footnotetag17" name="footnotetag17"></a>
+<a href="#footnote17"><sup class="sml">17</sup></a>, le conduisait souvent assez loin pour donner sur
+lui des inquiétudes sérieuses. Il lui arrivait à Aberdeen, toutes les
+fois qu'il en trouvait l'occasion, de s'esquiver, inaperçu, de la
+maison. Quelquefois il se dirigeait du côté de la mer; et un jour, après
+de longues et pénibles recherches, on trouva le petit aventurier se
+débattant au milieu d'une fondrière ou mare, d'où il n'aurait pu se
+tirer de lui-même.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote17"
+name="footnote17"><b>Note 17: </b></a><a href="#footnotetag17">
+(retour) </a> Cette phrase rend fort douteuse l'assurance donnée
+ par sa gouvernante (au rapport de Thomas Moore), que Byron
+ n'avait jamais vu que deux fois la montagne de
+ <i>Lachin-y-gair</i>, si voisine de l'habitation de sa mère.
+ <span class="rig"> (<i>N. du Tr.</i>)</span><br>
+</blockquote>
+
+<p>Dans le cours de l'une de ces excursions d'été le long de la Dée, il eut
+l'occasion de voir les sauvages beautés des <i>highlands</i>, mieux encore
+que dans les environs de leur résidence à Ballatrech. Sa mère l'avait
+conduit sur la route romantique d'<i>Invercauld</i>, jusqu'à la petite chute
+d'eau appelée <i>la vigne de la Dée</i>; sa passion pour les aventures fut
+alors sur le point de lui coûter la vie: comme il grimpait le long d'une
+pente inclinée sur cette cascade, une bruyère arrêta son pied bot et il
+tomba. Déjà même il roulait vers le précipice, quand la gouvernante eut
+la force et la présence d'esprit de le retenir, et de le ravir ainsi à
+une mort certaine.</p>
+
+<p>Il n'avait encore que huit ans: ce fut alors qu'un sentiment plus près
+de l'amour qu'on ne le supposerait possible dans un âge si tendre, prit,
+de son propre aveu, sur ses pensées, une puissance absolue, et prouva
+ainsi, de bonne heure, combien il était facile d'éveiller sa sensibilité
+sur ce point comme sur tous les autres<a id="footnotetag18" name="footnotetag18"></a>
+<a href="#footnote18"><sup class="sml">18</sup></a>. L'objet de son attachement
+était Marie Duff; et les passages d'un journal, tenu par lui en 1813,
+montrent avec quelle fraîcheur, après un intervalle de dix-sept ans, il
+se rappelait toutes les circonstances de cette première passion:</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote18"
+name="footnote18"><b>Note 18: </b></a><a href="#footnotetag18">
+(retour) </a> On sait que Dante n'avait que neuf ans quand, à la
+ <i>fête du Mai</i>, il vit pour la première fois Béatrix et en
+ devint amoureux. Alfieri lui-même, amant précoce, considère
+ une telle sensibilité prématurée comme le signe incontestable
+ d'une ame née pour les beaux-arts. «<i>Effetti</i>, dit-il en
+ décrivant ce qu'il éprouva lui-même lors de son premier
+ amour, <i>che poche persone intendono, e pochissime provano: ma
+ a quei soli pochissimi è concesso l' uscir della folla
+ volgare in tutte le umane arti</i>.» Canova disait ordinairement
+ qu'il se rappelait fort bien avoir été amoureux dès l'âge de
+ cinq ans.</blockquote>
+
+<p>«J'ai dernièrement, dit-il, beaucoup pensé à Marie Duff; il est bien
+étrange que j'aie pu me passionner aussi profondément pour cette jeune
+fille, à un âge où je ne pouvais connaître l'amour, ni ce que ce mot
+signifiait: et pourtant c'était bien de l'amour. Ma mère me raillait
+d'habitude sur cet attachement puéril; et plusieurs années après
+(j'avais alors seize ans), elle me dit un jour: <i>Byron, je reçois une
+lettre d'Edimbourg; miss Abercromby me mande que votre ancienne passion,
+Marie Duff, est mariée à un M. Co</i>..... Et quelle fut ma réponse? En
+vérité, je ne sais comment expliquer ce que je ressentis en ce moment;
+mais je faillis entrer en convulsion. Ma mère en fut tellement alarmée,
+que plus tard elle évita toujours de revenir sur ce sujet <i>avec
+moi</i>,--se contentant de le redire volontiers à chacune de ses
+connaissances. Maintenant que signifiait tout cela? Je ne l'avais pas
+vue depuis que, par suite d'un <i>faux pas</i> de sa mère, à Aberdeen, elle
+fut ramenée à Banff, auprès de son aïeule: nous étions tous deux de
+véritables enfans; j'avais dès-lors, et j'ai depuis éprouvé cinquante
+fois, d'autres sentimens tendres; cependant je me rappelle encore tout
+ce que nous nous disions l'un à l'autre, toutes nos caresses, ses
+traits, mon inquiétude, mes insomnies, mes instances auprès de la
+servante de ma mère pour qu'elle lui écrivît de ma part; ce qu'elle fit
+à la fin pour me tranquilliser. La pauvre Nancy pensait que j'étais fou;
+et comme je ne pouvais écrire une lettre moi-même, elle devint mon
+secrétaire. Je me rappelle aussi nos promenades, mon bonheur quand
+j'étais assis près de Marie dans l'appartement des enfans, à leur maison
+proche des <i>Plainstones</i> à Aberdeen. Alors, tandis que sa petite sœur
+jouait à la poupée, nous faisions l'amour à notre manière.</p>
+
+<p>«Comment diable tout cela arriva-t-il à un pareil âge? d'où cela
+provenait-il? Certainement, plusieurs années après, je n'avais pas
+encore l'idée de la distinction des sexes; et cependant mes tourmens et
+mon amour furent si violens, que je doute quelquefois si j'ai jamais été
+depuis réellement amoureux.</p>
+
+<p>«Qu'il en soit ce qu'on voudra, l'annonce de son mariage, plusieurs
+années après, fut pour moi un coup de foudre et fut sur le point de
+m'étouffer, au grand effroi de ma mère et à l'étonnement de tous les
+spectateurs qui refusaient d'y croire. C'est dans ma vie un phénomène
+(puisque je n'avais alors que huit ans), qui m'a souvent tourmenté et
+qui me tourmentera jusqu'à ma dernière heure; et récemment encore, je ne
+sais pas pourquoi, son souvenir (non pas l'amour lui-même) s'est
+représenté avec plus de force que jamais. Je serais bien étonné qu'elle
+eût gardé de moi la moindre souvenance, et qu'elle se rappelât comme
+elle plaignait sa petite sœur Hélène de ne pas avoir aussi un amoureux!
+Il est incroyable comme j'ai gardé d'elle une parfaite et charmante
+idée; de son front, de ses cheveux noirs, de ses yeux d'un brun clair,
+de ses vêtemens même: je serais vraiment fâché de la voir aujourd'hui;
+la réalité, toute belle qu'elle serait, détruirait ou du moins
+obscurcirait les traits de la charmante Péri que je contemplais alors en
+elle, et qui vit encore dans mon imagination après plus de seize années.
+J'ai maintenant vingt-cinq ans et quelques mois.....</p>
+
+<p>«Ma mère, je le suppose, raconta cette circonstance (l'effet qu'avait
+produit son mariage sur moi) aux Parkynses et certainement à la famille
+Pigot; elle le mentionna sans doute également à miss Abercromby, qui
+connaissait mon ancien penchant, et qui sans doute n'avait donné cette
+nouvelle qu'à mon intention..... Je l'en remercie! Comme ses
+commencemens, le terme de cette passion m'a souvent fait réfléchir;
+quant à l'exactitude des faits, d'autres les connaissent aussi bien que
+moi, et le souvenir que j'en conserve est encore plein de vie. Mais plus
+j'y songe, et plus je suis embarrassé d'assigner quelques causes à cette
+précocité d'affection.»</p>
+
+<p>Les chances qu'il avait de succéder au titre de ses ancêtres furent
+quelque tems tout-à-fait incertaines; car; en 1794, le cinquième lord
+Byron vivant avait encore un petit-fils. Sa mère cependant, dès sa
+naissance, avait caressé l'espoir qu'il serait non-seulement un lord,
+mais encore un grand homme. Une circonstance bizarre sur laquelle elle
+fondait cette espérance, c'est qu'il était boiteux; pourquoi? il serait
+difficile de le dire, si ce n'est peut-être qu'ayant un esprit des plus
+superstitieux, elle avait consulté quelque diseur de bonne aventure,
+qui, pour anoblir aux yeux d'une mère cette infirmité, l'avait rattachée
+à la destinée future de l'enfant.</p>
+
+<p>La mort du petit-fils du vieux lord, arrivée en Corse en 1794, brisa le
+seul obstacle qui se trouvait jusqu'alors placé entre le petit George et
+l'héritage immédiat de la pairie: l'importance sensible que cet
+événement leur donna fut sentie non-seulement par Mrs. Byron, mais aussi
+par le jeune baron futur de Newsteadt. Pendant l'hiver de 1797, sa mère
+lisait un jour par hasard un discours prononcé à la Chambre des
+Communes; un ami se trouvait présent, qui dit à l'enfant: «Nous aurons
+un jour ou l'autre le plaisir de lire aussi vos discours à la Chambre
+des Communes.» <i>J'espère que non</i>, répondit-il; <i>si vous en lisez
+quelqu'un de moi, ce sera à la Chambre des Lords</i>.</p>
+
+<p>Le titre dont il se félicitait ainsi ne lui fut que trop tôt dévolu.
+S'il avait pu demeurer encore pendant dix ans tout simplement George
+Byron, on ne peut douter que son caractère n'y eût gagné sous beaucoup
+de rapports. L'année suivante, son grand oncle, le cinquième lord Byron,
+mourut à l'abbaye de Newsteadt, ayant consommé les dernières années de
+sa vie dans un état d'isolement austère et presque sauvage.</p>
+
+<p>Le lendemain de l'accession du petit Byron à la pairie, on dit qu'il
+courut à sa mère et lui demanda <i>si elle apercevait quelque changement
+en lui depuis qu'il était lord, car il n'en trouvait lui-même aucun</i>.
+Réflexion ingénieuse et naturelle; l'enfant ne songeait pas encore que
+la simple addition d'une syllabe au-devant de son nom avait suffi pour
+opérer un changement complet et magique dans toutes ses relations
+futures avec la société.</p>
+
+<p>On peut se faire une idée de l'effet que produisit dès-lors sur lui cet
+événement, d'après l'agitation que, dit-on, il manifesta en s'entendant,
+pour la première fois, appeler dans l'école avec l'addition du titre de
+<i>dominus</i>. Incapable de faire la réponse habituelle, <i>adsum</i>, il resta
+silencieux au milieu de la surprise générale de ses camarades, et finit
+enfin par fondre en larmes.</p>
+
+<p>Le nuage qu'avait jeté, et sans cause, à plusieurs égards, sur le
+caractère du dernier lord Byron, sa malheureuse affaire avec M.
+Chaworth, avait encore été, dans la suite, obscurci par les effets
+naturels d'une vie insociable et bizarre. On fait encore dans le
+voisinage les récits les plus exagérés de sa cruauté envers lady Byron,
+avant leur séparation mutuelle, et l'on croit même que, dans l'un de ses
+accès de fureur, il avait été jusqu'à la précipiter dans l'étang de
+Newsteadt. Une autre fois, dit-on, ayant tué son cocher pour quelque
+désobéissance, il avait jeté le cadavre dans la voiture où se trouvait
+lady Byron, et montant aussitôt sur le siége, il avait lui-même conduit
+les chevaux. Ces histoires sont, à n'en pas douter, des fables
+grossières, comme la plupart de celles dont son illustre héritier fut
+plus tard la victime. Une femme au service du vieux lord, encore
+vivante, contredit ces deux récits comme autant d'inventions de la
+calomnie; elle suppose pourtant que la première est fondée sur les
+circonstances suivantes. Une jeune dame du nom de Booth se trouvait à
+Newsteadt en visite; un soir, on fit une partie de plaisir devant la
+façade de l'abbaye, et lord Byron, par accident, l'avait poussée dans le
+bassin qui reçoit la cascade: de là, sans doute, le conte dont nous
+avons parlé.</p>
+
+<p>Une fois séparé de lady Byron, l'isolement complet dans lequel il vécut
+réveilla toute la puissance d'imagination des habitans de l'endroit; nul
+fait atroce ou désespéré que les commères du village ne fussent
+disposées à lui imputer. Il y avait dans son triste jardin deux images
+grimaçantes de satyres, que bientôt l'effroi de ceux qui les entrevirent
+décora du nom de <i>diables du vieux lord</i>. On sait qu'il marchait
+toujours armé, et l'on rapporte que le dernier sir John Warren, son
+voisin, ayant été admis à dîner un jour avec lui, trouva sur la table
+une boîte à pistolets placée là comme partie ordinaire du service.</p>
+
+<p>Dans ses dernières années, les seuls compagnons de sa solitude, outre
+cette colonie de grillons qu'il s'amusait, dit-on, lui-même, à nourrir
+et à dresser<a id="footnotetag19" name="footnotetag19"></a>
+<a href="#footnote19"><sup class="sml">19</sup></a>, étaient le vieux Murray, plus tard valet favori de son
+successeur, et la domestique dont je viens de citer l'autorité. Cette
+dernière, d'après les fonctions auxquelles on suppose qu'elle avait été
+promue auprès de son noble maître, avait reçu généralement dans le pays
+le nom de <i>Lady Betty</i>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote19"
+name="footnote19"><b>Note 19: </b></a><a href="#footnotetag19">
+(retour) </a> Lord Byron avait l'habitude d'ajouter à ceci, sur
+ l'autorité de vieux domestiques, que le jour de la mort de
+ leur patron, ces grillons laissèrent tous de concert la
+ maison, et en si grand nombre, qu'il était impossible de
+ faire un pas dans le vestibule sans en écraser quelques-uns.</blockquote>
+
+<p>Quoiqu'il vécût dans sa solitude d'une manière sordide, il paraît qu'il
+éprouvait souvent le besoin d'argent; et l'un des torts les plus sérieux
+qu'il fit à sa propriété, fut la vente du domaine de Rochdale, dans le
+duché de Lancastre, dont le produit minéralogique passait pour
+très-important. Il savait bien, dit-on, à l'époque de la vente, qu'il
+n'avait pas le droit de donner un titre légal de possession, et il n'est
+pas croyable que ceux qui rachetèrent ignorassent l'irrégularité de la
+transaction; mais ils prévirent sans doute, comme en effet cela arriva,
+qu'avant d'être dépossédés de la propriété ils seraient à peu près
+indemnisés par le produit qu'ils en tireraient.</p>
+
+<p>On tenta, pendant la minorité du jeune lord, de rentrer dans le domaine
+de Rochdale, et, comme on le lira bientôt, ce fut avec un plein succès.
+Pour Newsteadt, les bâtimens et les dépendances menaçaient une ruine
+prochaine, et parmi les rares témoignages de la sollicitude ou de la
+dépense de son propriétaire, se trouvaient quelques masses de pierres
+réunies à grands frais, et quelques bâtimens, crénelés, élevés sur le
+bord du lac et dans l'épaisseur du bois. Les forts bâtis sur le lac
+étaient destinés à donner un aspect naval à ses ondes: souvent, quand il
+était en bonne humeur, il se plaisait à des combats simulés; ses
+bâtimens attaquaient la forteresse, qui à son tour les canonnait. Le
+plus grand de ses vaisseaux avait été construit pour lui dans l'un des
+ports de mer de l'est: on l'avait dirigé sur des roues vers la forêt de
+Newsteadt, comme pour accomplir l'une des prophéties de la mère Shipton,
+<i>que quand un vaisseau chargé de</i> ling <i>traverserait la forêt de
+Shervood, le domaine de Newsteadt sortirait de la famille Byron</i>. Dans
+le duché de Nottingham, <i>ling</i> répond au mot bruyère; et afin de
+justifier la mère Shipton et de dépiter le vieux lord, on dit que les
+paysans escortaient le vaisseau en y jetant sans cesse des touffes de
+bruyère.</p>
+
+<p>Cet homme singulier prenait évidemment fort peu de soin du sort de ses
+descendans; il n'avait entretenu aucun rapport avec son jeune héritier
+d'Écosse, et s'il lui arrivait d'en parler, ce qui était fort rare, ce
+n'était jamais que sous le nom <i>du petit enfant qui est à Aberdeen</i>.</p>
+
+<p>La mort de son grand oncle faisait de Lord Byron <i>le pupille de la
+chancellerie</i>, et le comte de Carlisle fut désigné pour être son tuteur.
+Il avait avec la famille quelques rapports de parenté, comme fils de la
+sœur du défunt lord. En 1798, pendant l'automne, Mrs. Byron et son fils,
+escortés de leur fidèle May Gray, quittèrent Aberdeen pour Newsteadt.
+Avant leur départ, ils avaient vendu le mobilier de l'humble appartement
+qu'ils occupaient, et le produit, à l'exception du linge et de la
+vaisselle que Mrs. Byron emporta, fut de 74 livres sterling 17 shillings
+7 pence.</p>
+
+<p>Le tems que Byron passa en Écosse, où sa mère avait d'ailleurs pris
+naissance, lui permettait de se considérer lui-même, comme il s'en est
+glorifié dans Don Juan, <i>à moitié Écossais par sa naissance, et
+entièrement par son éducation</i>.</p>
+
+<p>Nous avons déjà vu avec quelle vivacité il gardait le souvenir des
+montagnes qui, dans l'origine, avaient frappé ses yeux; les allusions
+qu'il y fait, dans le passage de Don Juan que je viens de citer, au pont
+romantique du Don et aux autres localités d'Aberdeen, montrent la même
+fidélité et le même entraînement de souvenir.</p>
+
+<br>
+
+<p>De dire comment <i>Auld-Lang-Syne</i> évoque devant moi l'Écosse en masse et
+dans tous ses détails, les Plaids écossais, les <i>Snoods</i> écossais, les
+montagnes bleues, les ondes claires, la Dee, le Don, le mur noir du pont
+de Balgounie, mes souvenirs d'enfant, en un mot le plus doux songe de ce
+qui me faisait alors rêver, enveloppé, comme les fils de Banco, de leurs
+manteaux funéraires;--d'expliquer ces allusions enfantines qui ramènent
+sous mes yeux ma douce enfance,--je ne m'en soucie pas, c'est un effet
+de <i>Auld-Lang-Syne</i>.</p>
+
+<br>
+
+<p>Puis il ajoute en note:</p>
+
+<br>
+
+<p>Le pont du Don, près de <i>la vieille ville</i> d'Aberdeen, avec son arche
+unique et ses eaux noirâtres et poissonneuses, me sont encore présens,
+comme si je les avais vus hier. Je me rappelle également, bien que je le
+cite mal peut-être, le terrible proverbe qui, dans ma jeunesse, me
+faisait craindre et pourtant désirer de le passer, parce que j'étais
+fils unique, au moins du côté de ma mère. Le voici tel que je m'en
+souviens, quoique je ne l'aie entendu ni lu depuis l'âge de neuf ans:</p>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p class="i14"> Brig of Balgounie, black's your wa'</p>
+<p class="i14"> Wi a wife's ae son, and a mear's ae foal</p>
+<p class="i14"> Down ye shall fa'.....</p>
+</div></div>
+
+<p>Pont de Balgounie, ton mur est noir, tu tomberas avec le fils unique
+d'une femme et le poulain unique d'une cavale.</p>
+
+<br>
+
+<p>Il eut toujours un véritable plaisir à rencontrer une personne
+d'Aberdeen: quand feu M. Scott, qui était né dans cette ville, lui
+rendit une visite à Venise, en 1819, il lui désigna surtout, en
+rappelant leurs habitudes d'enfance, une place nommée la niche de
+Wallace, où se trouve encore aujourd'hui une grossière statue de ce
+guerrier écossais. Cette sorte de souvenir ne le trouvait jamais
+insensible. A son premier voyage en Grèce, non-seulement l'aspect des
+montagnes, mais le jupon court des Albanais, tout, dit-il, le <i>reportait
+à Morven</i>. Dans sa dernière et fatale expédition, l'habit qu'il portait
+de préférence, à Céphalonie, était une veste de <i>tartane</i>.</p>
+
+<p>Mais quelque sincères et profondément senties que fussent les
+impressions qu'il gardait de l'Écosse, il lui arrivait quelquefois,
+comme pour toutes ses affections les plus aimables, de donner un démenti
+à son bon naturel; et lorsque la colère ou l'ironie l'excitait, de
+persuader et les autres et lui-même que toutes ses affections se
+portaient vers des objets directement opposés.</p>
+
+<p>Le fiel qu'il répandit à l'occasion de sa querelle avec la <i>Revue
+d'Édimbourg</i>, sur tout ce qu'il y avait d'Écossais, offre l'exemple de
+ce triomphe temporaire de ses passions. Dans tous les tems, le moindre
+soupçon de ridicule jeté sur l'Écosse ou ses habitans suffisait pour
+faire taire ses affectueux sentimens. Un de ses amis me raconta
+l'amusante colère dans laquelle le mit un jour une innocente jeune
+fille, pour avoir remarqué qu'il avait quelque chose de l'accent
+écossais: «Bon dieu! s'écria-t-il, j'espère bien que non; j'aimerais
+mieux voir tomber la maudite Écosse dans la mer que d'avoir l'accent
+écossais.»</p>
+
+<p>Mais on ajoutera peu de foi aux saillies de ce genre répandues dans ses
+écrits ou sa conversation, quand on les comparera aux preuves décisives
+qu'il a laissées de son attachement pour le pays où il passa son
+enfance. Et si, pour lui, ces impressions étaient ineffaçables, de
+l'autre il y a chez les citoyens d'Aberdeen, qui le regardent comme leur
+compatriote, une correspondance chaleureuse d'affection pour sa mémoire
+et pour son nom. Ils montrent encore aux voyageurs les diverses maisons
+où il résidait dans sa jeunesse; l'avoir vu seulement une fois, réveille
+en eux un souvenir d'orgueil, et le pont du Don, déjà beau en lui-même,
+est désormais revêtu, grâce à la mention qu'il en a faite dans son <i>Don
+Juan</i>, d'un nouveau charme. Il y a deux ou trois ans qu'on offrit une
+somme de cinq liv. st. à une personne d'Aberdeen en échange d'une lettre
+écrite par le capitaine Byron quelques jours avant sa mort; et au nombre
+des souvenirs du jeune poète, devenus autant de trésors pour ceux qui
+les possèdent, il en est un dont il n'aurait pu sans rire entendre
+parler, c'est tout simplement une vieille soucoupe de porcelaine dont il
+avait une fois mordu un large morceau dans un accès de colère.</p>
+
+<p>Ce fut dans l'été de 1798 que Lord Byron, alors dans sa onzième année,
+quitta l'Écosse avec sa mère et sa <i>bonne</i>, pour prendre possession de
+l'ancien domaine de ses ancêtres. Voici comme il parle de ce voyage dans
+une de ses dernières lettres:</p>
+
+<p>«Je me souviens de Loch-Leven comme si c'était d'hier; ce fut pourtant à
+l'époque de mon voyage d'Angleterre, en 1798, que je le vis.»</p>
+
+<p>Déjà ils touchaient à la barrière de Newsteadt, ils voyaient les bois de
+l'abbaye s'élancer comme pour les recevoir, quand Mrs. Byron, affectant
+de méconnaître l'endroit, demanda à la femme de la barrière à qui
+appartenait cette propriété. On lui répondit que le possesseur, Lord
+Byron, était mort depuis quelques mois. «Et quel est l'héritier? demanda
+la mère avec un orgueil satisfait.--On dit, répondit la femme, que c'est
+un petit enfant qui vit à Aberdeen.--Et le voici, dieu le bénisse!»
+s'écria la gouvernante, incapable de se contenir, et couvrant de baisers
+le jeune lord assis sur ses genoux.</p>
+
+<p>Une élévation si soudaine aurait eu sans doute, même dans des
+circonstances plus favorables pour lui, une influence dangereuse sur son
+caractère; le guide qui désormais allait conduire les pas du jeune Byron
+dans le monde ne pouvait être plus inhabile à lui en montrer les
+écueils. Sa mère, dépourvue de jugement et d'empire sur elle-même,
+employait à son égard, avec la même maladresse, et l'indulgence, et ce
+qui était pire encore, une violence dont l'enfant s'amusait. Ce
+sentiment exquis du ridicule qui, plus tard, le rendit si remarquable,
+et que dès-lors il possédait, l'emportait toujours sur la crainte que
+pouvait lui inspirer sa mère. Quand Mrs. Byron, femme petite et dont
+l'embonpoint embarrassait la marche, essayait, dans ses accès de colère,
+de l'atteindre afin de le punir, le petit diable, glorieux de sa
+légèreté, se plaisait à lui échapper sans cesse, courant autour de la
+chambre en dépit de sa jambe boiteuse, et riant à gorge déployée d'avoir
+pu rendre inutiles toutes ses menaces. Dans ses <i>Memoranda</i>, il a
+consigné quelques anecdotes de ces premiers tems, et bien qu'il n'y
+nomme jamais sa mère qu'avec respect, il est facile de voir que l'idée
+qu'il en avait conservée, du moins la plus caractéristique, était d'une
+nature pénible. L'un des passages les plus frappans de ces <i>Mémoires</i> se
+rapporte au chagrin profond qu'il ressentait de son infirmité; il décrit
+l'impression d'horreur et d'humiliation qui s'empara de lui quand sa
+mère, dans un accès de colère, l'appela, <i>vilain boiteux</i>. Comme il
+reproduit dans sa poésie, sous une forme ou l'autre, tous les sentimens
+profonds de sa vie, il ne faut pas être surpris d'y retrouver une
+expression de ce genre; nous voyons donc à l'ouverture de son drame, <i>le
+Difforme transformé</i>:</p>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p class="i14"><span class="sc">Berta</span>. Va-t'en, vilain bossu.</p>
+<p class="i14"><span class="sc">Arnold</span>. Ma mère, je suis né ainsi.</p>
+</div></div>
+
+<p>On peut se demander si l'origine du drame entier ne serait pas due à cet
+unique souvenir.</p>
+
+<p>Avec un pareil caractère dans la personne qui devait seule diriger ses
+premières années, on conçoit qu'il dut perdre tout le fruit des soins et
+de la sollicitude qu'un tuteur éclairé eût pu avoir pour lui. D'ailleurs
+Lord Carlisle, peu lié avec la famille, et n'ayant jamais eu l'occasion
+de connaître l'enfant, n'avait accepté qu'avec répugnance cette charge
+pénible; et comme ce titre le mettait surtout en rapport avec Mrs.
+Byron, il ne faut pas s'étonner qu'il ne désirât jamais pénétrer dans
+les détails de l'éducation de son pupille, plus qu'il n'y était
+rigoureusement obligé: ce qui l'en éloignait était la crainte de se
+trouver en opposition avec les habitudes violentes et capricieuses de la
+mère.</p>
+
+<p>D'un autre côté, si la réputation du dernier Lord eût été assez
+populaire pour piquer d'émulation son jeune successeur, peut-être
+l'envie salutaire de rivaliser avec les morts eût suppléé aux bons
+exemples des survivans, et nul esprit ne se serait plus facilement
+ouvert à cette louable émulation que celui de Byron. Mais
+malheureusement, comme nous venons de le dire, les circonstances étaient
+autres, et à la place d'un aussi désirable stimulant fut substituée une
+rivalité d'une espèce contraire. Les étranges anecdotes qui circulaient
+sur le feu Lord dans le pays où ses rudes et solitaires habitudes
+avaient laissé une trace d'effroi; ces anecdotes, dis-je, avaient frappé
+son imagination poétique, et réveillé dans son jeune esprit une espèce
+d'admiration pour des bizarreries qui lui semblaient un motif
+d'étonnement et de souvenir. On a même quelquefois supposé que ce fut le
+récit des bizarreries de son oncle, qui nourrit son imagination de ces
+sombres peintures et de ces figures idéales, qu'il sut par la suite
+revêtir de formes diverses et anoblies par son génie<a id="footnotetag20" name="footnotetag20"></a>
+<a href="#footnote20"><sup class="sml">20</sup></a>. Mais, quoi
+qu'il en soit, on peut conjecturer que, dans sa pénurie de meilleurs
+modèles, les singularités de son prédécesseur immédiat eurent une grande
+influence sur ses goûts et son imagination. Une habitude, entre autres,
+qu'il semblait devoir à cet esprit d'imitation, et qu'il conserva toute
+sa vie, fut celle d'avoir ordinairement auprès de lui une arme d'une
+espèce quelconque; même encore enfant, il portait toujours de petits
+pistolets chargés dans la poche de sa veste.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote20"
+name="footnote20"><b>Note 20: </b></a><a href="#footnotetag20">
+(retour) </a> Pourquoi donc accuser ces impressions, si les
+ effets en furent si admirables?
+ <span class="rig">(<i>N. du Tr.</i>)</span><br><br>
+</blockquote>
+
+<p>La querelle du dernier Lord avec M. Chaworth avait pu d'ailleurs, dès
+l'origine, lier d'une sorte de connexité, dans son esprit, le nom de sa
+famille et l'habitude des duels; peut-être aussi les mortifications que
+lui faisait dévorer, ou du moins craindre, à l'école, son infirmité
+physique, trouvèrent une sorte de consolation dans l'espoir qu'un jour
+les lois du combat singulier lui permettraient de lutter avec le plus
+fort, à armes égales.</p>
+
+<p>Aussitôt après leur départ d'Écosse, Mrs. Byron, dans l'espoir d'obtenir
+sa guérison, avait confié son fils aux soins d'un individu de Nottingham
+qui se chargeait de ces sortes de cures: cet homme, charlatan de son
+métier, se nommait Lavender; son procédé était de frotter d'abord
+d'huile pendant long-tems le pied malade, puis de le tordre violemment
+et de le tenir comprimé dans une machine de bois. Pour que l'enfant ne
+fût pas, durant cet intervalle, retardé dans ses études, un respectable
+professeur venait lui donner des leçons de latin. M. Rogers, c'était son
+nom, lisait avec lui des morceaux de Virgile et de Cicéron, et ses
+progrès lui parurent alors, malgré sa jeunesse, extrêmement sensibles:
+toutefois, dans le cours de ses leçons, il éprouvait fréquemment de
+violentes douleurs, à cause de la position de son pied; un jour, M.
+Rogers lui dit: «Milord, je ne puis vous voir en proie à une douleur
+comme celle que vous souffrez.--N'y songez pas, M. Rogers, répondit
+l'enfant, vous ne vous en apercevrez plus.»</p>
+
+<p>Cet homme distingué, qui ne parle jamais de son élève que dans les
+termes les plus affectueux, se souvient de plusieurs exemples de la
+plaisante malice avec laquelle il aimait à se venger de son bourreau, en
+mettant à découvert sa fastueuse ignorance. Un jour il avait placé au
+hasard, sur une feuille de papier, toutes les lettres de l'alphabet,
+mais toutefois en les disposant de manière à simuler des mots et des
+phrases; il mit le papier sous les yeux du docte personnage en lui
+demandant quelle langue c'était: «De l'italien,» répondit notre homme,
+incapable d'avouer de bonne foi son ignorance. On conçoit que cette
+réponse fut accueillie par la joie immodérée et les insultans éclats de
+rire de notre jeune satirique, charmé du succès de ce premier piége
+tendu au charlatanisme.</p>
+
+<p>C'est par une suite de la profonde impression qu'il conservait de tout
+ce qui l'entourait dans sa jeunesse, et qui semblait un des traits
+distinctifs de son caractère, que plusieurs années après, se trouvant
+dans les environs de Nottingham, il envoya une lettre à son vieux
+précepteur, remplie de sentimens affectueux. Il avait même chargé celui
+qui la portait de dire à M. Rogers, qu'à compter d'un certain endroit de
+Virgile, qu'il désignait, il pouvait encore réciter une vingtaine de
+vers qu'il se souvenait fort bien d'avoir expliqués avec lui tandis
+qu'il souffrait le plus.</p>
+
+<p>C'est dans ce tems, au rapport de sa gouvernante May Gray, que se
+manifestèrent en lui les premiers indices de dispositions poétiques.
+Voici à quel propos: une dame âgée, qui faisait de fréquentes visites à
+sa mère, s'était servie à son égard d'expressions fort insultantes; et
+ces affronts, il en conservait ordinairement un ressentiment implacable.
+Cette dame s'était formé des idées singulières relativement à notre ame:
+elle s'imaginait qu'elle s'arrêtait dans la lune comme pour y subir une
+épreuve préliminaire avant d'aller plus loin. Un jour, Byron ayant reçu,
+comme il paraît, une seconde injure du même genre, se présente en fureur
+devant sa gouvernante: «Eh bien, mon petit héros, lui dit-elle,
+qu'avez-vous donc?» L'enfant répondit que cette vieille l'avait mis dans
+une affreuse colère, qu'il ne pouvait plus la supporter, etc., etc.;
+puis soudain il répéta plusieurs fois les mauvais vers suivans, charmé
+d'avoir trouvé un moyen d'exhaler sa bile:</p>
+
+<p>Dans le comté de Nott, demeure à Swan-Green une vieille maudite, si
+jamais il en fut, et quand elle mourra (promptement je l'espère) elle
+croit sur-le-champ qu'elle ira dans la lune.</p>
+
+<p>Ces vers ont peut-être été rajustés après coup; et lui-même, comme on va
+le voir, date d'une année plus tard son premier essai poétique, mais
+l'anecdote n'en fait pas moins connaître son caractère; c'est ce qui m'a
+décidé à la conserver.</p>
+
+<p>Dans le même tems les faibles revenus de Mrs. Byron reçurent une
+augmentation fort opportune sans doute, mais dont j'ignore le motif. Ce
+fut une pension sur la liste civile de 300 liv. st. de rente; la lettre
+suivante est une copie de l'ordonnance royale rendue à ce sujet:</p>
+
+<p class="mid">GEORGES ROI.</p>
+
+<p>Il nous a plu accorder à Catherine Gordon, veuve Byron, une rente
+annuelle de 300 livres, à commencer au 5 juillet 1799, pour continuer
+durant notre plaisir. Nous voulons et il nous plaît, qu'en vertu de
+notre lettre générale du sceau privé, sous la date du 5 novembre 1760,
+des fonds de notre trésor ou de l'échiquier applicables au service de
+notre liste civile, vous payiez à ladite Catherine Gordon, veuve Byron,
+ou à son ordre, ladite rente, à commencer du 5 juillet 1799, pour lui
+être servie par quartier ou autrement, dès que l'échéance sera arrivée;
+la présente sera votre garantie.</p>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p> Le 2 octobre 1799; de notre règne la 39me.</p>
+
+<p> <i>Par ordre de sa majesté</i>,</p>
+
+<p class="rig"> Signé W. <span class="sc">Pitt</span>,</p><br>
+
+<p class="rig"> S. <span class="sc">Douglas</span>.</p><br>
+</div></div>
+
+<p>Peu satisfaite de l'opérateur de Nottingham, Mrs. Byron, pendant l'été
+de 1799, jugea convenable de conduire son enfant à Londres, où, d'après
+l'avis de Lord Carlisle, on le confia aux soins du docteur Baillie. Il
+était important de le placer dans une école paisible où l'on pût
+facilement lui faire suivre le régime que l'on adopterait pour sa
+guérison: on choisit à cet effet la maison de feu le docteur Glennie à
+Dulwich; et comme en outre on jugea à propos de lui donner une chambre à
+coucher séparée, le docteur Glennie avait fait placer un lit dans son
+propre cabinet pour son nouvel élève. Mrs. Byron, à son arrivée dans la
+ville après être restée peu de tems après lui à Newsteadt, prit un
+appartement à Sloane-terrace, et, sous la direction du docteur Baillie,
+on chargea l'un de messieurs Sheldrake de la construction d'une machine
+propre à redresser peu à peu la jambe de l'enfant<a id="footnotetag21" name="footnotetag21"></a>
+<a href="#footnote21"><sup class="sml">21</sup></a>. On lui prescrivit
+de la modération dans tous les exercices du corps, mais le docteur
+Glennie trouvait le précepte plus facile à donner qu'à faire exécuter,
+et bien que l'enfant fût assez tranquille dans les heures d'étude, dès
+que celle des jeux sonnait, il ne montrait pas moins d'<i>émulation</i> dans
+tous les exercices athlétiques que les enfans les plus robustes de
+l'école: «émulation,» ajoute le docteur Glennie, avec lequel j'ai eu
+quelques entretiens peu de tems avant sa mort, «que j'ai en général
+remarquée dans les jeunes enfans affectés de semblables défauts
+naturels<a id="footnotetag22" name="footnotetag22"></a>
+<a href="#footnote22"><sup class="sml">22</sup></a>.»</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote21"
+name="footnote21"><b>Note 21: </b></a><a href="#footnotetag21">
+(retour) </a> Dans une lettre adressée dernièrement par M.
+ Sheldrake à l'éditeur d'un journal médical, on établit que la
+ personne du même nom qui fut appelée à Dulwich auprès de Lord
+ Byron doit à une méprise cet honneur, et ne fit rien pour sa
+ guérison. L'auteur de la lettre ajoute qu'il fut lui-même
+ consulté par Lord Byron, quatre ou cinq années plus tard, et
+ bien qu'il n'ait pu alors entreprendre la guérison du pied à
+ cause du peu de docilité de son noble patient, il parvint
+ cependant à lui construire une sorte de soulier qui allégea
+ l'inconvénient de son infirmité.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote22"
+name="footnote22"><b>Note 22: </b></a><a href="#footnotetag22">
+(retour) </a> «Quoique, dit Alfieri en parlant de son tems
+ d'étude, je fusse le plus petit de tous les <i>grands</i> qui se
+ trouvaient au second appartement où j'étais descendu, c'était
+ précisément mon infériorité de taille, d'âge et de force, qui
+ m'engageait à me distinguer.</blockquote>
+
+<p>Comme le jeune écolier avait reçu les élémens de la langue latine
+suivant le système d'enseignement adopté à Aberdeen, il eut de la peine
+à revenir sur ses pas, et se trouva, comme cela arrive souvent, retardé
+dans ses études et embarrassé dans ses souvenirs, par la nécessité de se
+soumettre au mode d'enseignement suivi dans les écoles anglaises. «Je
+m'aperçus, dit le docteur Glennie, qu'il montra d'abord de l'ardeur et
+obtint des succès: il était gai, toujours de bonne humeur et chéri de
+ses camarades; il connaissait nos poètes et nos historiens bien mieux
+que les enfans de son âge, et dans mon cabinet il trouvait à sa
+disposition une foule de livres capables de flatter son goût et de
+satisfaire sa curiosité, entre autres une collection de poètes, depuis
+Chaucer jusqu'à Churchill, que je serais tenté de croire qu'il parcourut
+depuis le commencement jusqu'à la fin. Il avait encore à cet âge une
+connaissance étendue de la partie historique des saintes écritures; il
+aimait à m'en entretenir, surtout après nos exercices pieux du dimanche
+soir, et quand il lui arrivait de raisonner sur les faits racontés dans
+nos livres sacrés, il le faisait avec l'air d'être persuadé des vérités
+divines qu'ils renferment. Que les impressions de son enfance, dit
+encore la même personne, se soient conservées plus tard dans sa mémoire,
+malgré ses habitudes d'une vie irrégulière, c'est ce qu'on ne peut guère
+révoquer en doute après avoir lu ses ouvrages sans prévention, et je
+n'ai jamais pu m'ôter de la tête que, dans les étranges désordres qui
+malheureusement marquèrent sa carrière, il n'ait dû souvent trouver bien
+difficile de violer les excellens principes qu'il avait d'abord
+adoptés.»</p>
+
+<p>J'aurais dû mentionner, parmi les traits caractéristiques de sa
+jeunesse, et d'après le récit du mari de sa première gouvernante, qu'il
+montrait dès-lors, et dans toutes les occasions, un esprit investigateur
+en matières religieuses.</p>
+
+<p>Le docteur Glennie ne fut pas long-tems sans s'apercevoir que la mère
+était beaucoup plus difficile à conduire que l'enfant. Tout en
+professant la plus entière déférence pour les représentations de
+l'habile instituteur, quant à la nécessité de ne pas interrompre les
+études de son fils, Mrs. Byron n'avait ni assez de raison, ni assez
+d'empire sur elle-même, pour confirmer ses paroles par ses actions; en
+dépit des remontrances du docteur et des injonctions de Lord Carlisle,
+elle ne laissa pas d'intervenir dans les détails de l'instruction de son
+fils, et comme on pouvait l'attendre d'une mère tendre, impérieuse et
+passionnée. En vain lui représentait-on que dans toutes les
+connaissances élémentaires exigées d'un jeune homme que l'on destinait à
+l'une des grandes écoles publiques, Lord Byron était fort en arrière, et
+que pour suppléer à ce défaut il n'avait pas trop de tous ses instans;
+Mrs. Byron paraissait bien comprendre la justice de ces observations,
+mais elle s'embarrassait peu d'en profiter, et n'en continuait pas moins
+à déranger sans cesse le professeur et l'enfant. Peu satisfaite
+d'emmener son fils du samedi au lundi à <i>Sloane-terrace</i>, contre la
+volonté du docteur Glennie, elle le retenait fréquemment chez elle une
+semaine de plus; et pour ajouter encore à la distraction née de ces
+interruptions, elle réunissait autour de lui un cercle nombreux de
+jeunes amis, sans mettre dans ses choix beaucoup de sagacité. En
+pouvait-il être autrement? se demande le docteur Glennie. «Mrs. Byron
+était totalement étrangère à la société et aux manières anglaises; avec
+un extérieur peu prévenant, une intelligence assez bornée et un esprit
+singulièrement peu cultivé, elle avait conservé tous les préjugés nés
+des opinions et des habitudes du nord. Je ne pense donc pas faire la
+moindre injure à sa mémoire en déclarant que Mrs. Byron n'était pas
+précisément une Mrs. Lambert, ornée des facultés capables de redresser
+les torts de la fortune, et de former l'esprit et le caractère d'un
+jeune homme de bonne famille.»</p>
+
+<p>Plus d'une fois l'intervention de Lord Carlisle, dont il fallut alors
+invoquer l'autorité, avait mis quelque obstacle à cette indulgence
+inopportune. Grâce à un tel soutien, le docteur Glennie osa bien
+s'opposer à la sortie du samedi, dont on avait tant abusé; mais les
+scènes violentes auxquelles il était en butte à chaque nouveau refus
+auraient pu lasser la patience de tout autre professeur moins
+consciencieux et moins zélé. Mrs. Byron, dont les accès d'emportement
+n'étaient pas comme ceux de son fils, <i>des silencieuses rages</i>, se
+laissait souvent entraîner à des cris dont les écoliers et les valets
+recevaient la confidence. C'est au point que le docteur Glennie eut un
+jour le chagrin d'entendre un camarade de son noble élève lui dire:
+«Byron, ta mère est une sotte;» à quoi l'autre répondit gravement: «Je
+le sais bien.» Par suite de toutes ces violences et de ces
+incompatibilités de mœurs, Lord Carlisle finit par ne plus se mêler de
+son pupille, et l'instituteur ayant sollicité une autre fois le bénéfice
+de son intervention, il répondit: «Je ne veux plus rien avoir à démêler
+avec Mrs. Byron, tirez-vous-en comme vous pourrez avec elle.»</p>
+
+<p>Parmi les livres que l'enfant pouvait consulter dans le cabinet du
+docteur Glennie, était une brochure écrite par le frère d'un de ses
+meilleurs amis, et intitulée: <i>Relation du naufrage de la Junon sur la
+côte d'Arracan, en l'année 1795</i>; l'auteur avait été officier en second
+du vaisseau, et le récit qu'il avait envoyé à ses amis des souffrances
+de leur équipage leur avait paru assez touchant et assez extraordinaire
+pour être publié. La brochure ne flatta que faiblement, à ce qu'il
+paraît, l'opinion publique; mais elle était à Dulwich la lecture
+favorite des jeunes élèves, et l'impression qu'elle laissa sur l'esprit
+observateur de Byron contribua peut-être à lui suggérer le désir
+d'étudier toutes les relations de naufrages, afin de mieux retracer la
+grande et magnifique scène du même genre que l'on trouve dans <i>Don
+Juan</i>. Les passages suivans de la brochure ont été adoptés, comme on va
+le voir, avec de faibles changemens, par notre poète, sauf quelques
+incidens:</p>
+
+<p>«De ceux qui n'étaient pas immédiatement auprès de moi, je ne sais rien,
+si ce n'est par leurs cris. Quelques-uns résistaient long-tems et
+mouraient dans une agonie complète, mais ce n'était pas toujours ceux
+dont la faiblesse était plus sensible qui succombaient avec moins de
+peine, quoiqu'il en arrivât quelquefois ainsi. Je me rappelle
+particulièrement les exemples suivans: le valet de M. Wade, garçon fort
+et robuste, mourut instantanément et presque sans murmurer, tandis qu'un
+autre jeune homme du même âge, mais d'un extérieur moins robuste,
+résista beaucoup plus long-tems. La destinée de ces malheureux jeunes
+gens fut encore différente sous un autre rapport mémorable. Leurs pères
+à tous deux étaient dans les hunes à l'instant où leurs enfans
+commencèrent à être malades; le père du valet de M. Wade apprit avec
+indifférence l'état de son fils, <i>il ne pouvait rien faire pour lui, il
+l'abandonnait à son sort</i>. L'autre, quand il reçut la même nouvelle,
+descendit à la hâte, et, saisissant le moment favorable, se traîna le
+long du plat-bord jusqu'à son fils qui était dans les agrès de mizaine;
+cependant il ne restait plus que trois ou quatre planches du gaillard
+d'arrière, justement sur la galerie contiguë à l'autre; c'est là que le
+père infortuné transporta son fils et l'attacha à la rampe pour
+l'empêcher d'être emporté par les flots: quand le jeune homme était
+saisi d'un accès de vomissement, le père le soulevait et essuyait
+l'écume qui couvrait ses lèvres; s'il survenait une pluie d'orage, il
+lui ouvrait la bouche pour qu'il pût en recevoir les gouttes, ou bien
+les exprimait d'un linge où il les avait recueillies. C'est dans cette
+situation douloureuse qu'ils restèrent tous deux quatre ou cinq jours,
+après lesquels l'enfant expira. Le malheureux père, comme s'il n'eût pu
+croire à ce qu'il voyait, se mit à soulever le corps, à le regarder
+attentivement; et quand enfin il ne conserva plus aucun doute, il le
+regarda en silence jusqu'au moment où la mer l'emporta; alors,
+s'enveloppant dans une pièce de toile, il tomba à terre et ne se releva
+plus. Il doit cependant avoir vécu deux ou trois jours au-delà, comme
+nous le jugeâmes d'après les tremblemens convulsifs de ses jambes, quand
+une vague venait à le couvrir<a id="footnotetag23" name="footnotetag23"></a>
+<a href="#footnote23"><sup class="sml">23</sup></a>.»</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote23"
+name="footnote23"><b>Note 23: </b></a><a href="#footnotetag23">
+(retour) </a> Le passage suivant est la traduction qu'a tentée Lord Byron de
+ce touchant récit, et tous les lecteurs jugeront que c'est un des
+exemples dans lesquels la poésie est forcée de céder la palme à la
+prose. Il y a dans la dernière phrase de la relation originale un
+sublime que les artifices de la mesure et de la rime affaiblissent
+nécessairement, et que nuls vers, quelles que soient leurs beautés, ne
+sauraient exprimer avec moitié autant de force et de naturel.
+
+<p> 87. Dans cette déplorable troupe, il y avait deux pères et
+ avec eux les deux fils. L'un de ceux-ci paraissait le plus
+ robuste et le mieux portant; il mourut des premiers. À
+ l'instant de sa mort, son plus proche voisin en avertit le
+ père, qui dit, en jetant les yeux sur lui: «Je n'y puis rien,
+ la volonté de Dieu soit faite!» Et sans une larme ou soupir,
+ il vit jeter son corps à la mer.</p>
+
+<p> 88. Le second père avait un fils plus faible, aux joues
+ décolorées, au maintien délicat. Ce jeune homme résista
+ long-tems, et se roidit contre sa destinée avec une patiente
+ tranquillité d'esprit. Il parlait peu, et de tems en tems il
+ souriait pour alléger le poids des mortelles pensées qui
+ oppressaient d'autant plus le cœur de son père, qu'il voyait
+ son fils les supporter comme lui.</p>
+
+<p> 89. Penché sur son corps, le père ne levait pas les yeux de
+ dessus son visage; il essuyait l'écume qui couvrait ses
+ lèvres, et n'avait d'attention que pour lui. Quand la pluie
+ tant désirée vint enfin à tomber, et que les yeux de
+ l'enfant, déjà demi-voilés d'une membrane épaisse, vinrent à
+ briller et à remuer pour un instant, il exprima quelques
+ gouttes de pluie dans sa bouche expirante:--ce fut en vain.</p>
+
+<p> 90. L'enfant mourut.--Le père demeura long-tems attaché sur
+ son corps; mais enfin, quand la mort se montra à découvert,
+ et que le poids insensible pressé contre son cœur ne lui
+ donna plus de mouvement ni d'espérance, il ne le perdit pas
+ des yeux, jusqu'au moment où une vague impitoyable éloigna le
+ corps du lieu d'où il avait été jeté. Alors il tomba lui-même
+ roide et glacé, ne donnant d'autre signe de vie que
+ l'agitation convulsive de ses jambes.</p>
+
+<p> Le lecteur trouvera le récit de la perte de <i>la Junon</i> dans
+ la <i>Collection des naufrages et désastres maritimes</i>, à
+ laquelle Lord Byron eut habilement recours, pour y puiser les
+ connaissances techniques et les circonstances de sa belle
+ description.</p>
+</blockquote>
+
+<p>Ce fut sans doute pendant les vacances de cette année que sa jeune
+cousine, miss Parker, en faisant naître en lui une passion enfantine,
+eut la gloire de lui inspirer ses premiers essais poétiques; c'est à
+elle du moins qu'il attribué cet heureux effet. «Mes premiers essais
+poétiques, dit-il, remontent à 1800, c'était l'ébullition d'une belle
+passion pour ma cousine germaine, Marguerite Parker, fille et
+petite-fille des deux amiraux Parker, l'une des plus belles de ces
+jeunes filles qui, comme des fleurs, périssent dans leur printems. J'ai
+oublié depuis long-tems les vers; mais elle, il me serait difficile de
+l'oublier; ses yeux noirs, ses longs cils, son profil d'un style
+tout-à-fait grec! J'avais alors douze ans, elle était un peu plus âgée,
+peut-être d'un an. Elle mourut, un ou deux ans après, des suites d'une
+chute; elle s'était brisé l'épine du dos, et cet accident amena la
+consomption. Sa soeur <i>Augusta</i>, que quelques-uns regardaient comme plus
+belle encore, périt de la même maladie, et c'est même en lui prodiguant
+ses soins que Marguerite éprouva l'accident qui occasionna sa propre
+mort. Ma sœur m'a dit que quand elle alla la voir peu de tems avant sa
+fin, mon nom ayant été cité par hasard, le rouge monta à la figure de
+Marguerite, quoique la mort fut déjà dans ses yeux, au grand étonnement
+de ma sœur, qui, vivant avec sa grand'mère lady Holderness, et ne me
+voyant que rarement, pour raisons de famille, ne savait rien de notre
+attachement, et ne pouvait concevoir comment mon nom faisait un tel
+effet sur elle dans un tel moment. Je ne sus rien de sa maladie qu'après
+sa mort; j'étais à cette époque à Harrow ou dans la campagne. Quelques
+années après, j'essayai une élégie; elle était bien plate<a id="footnotetag24" name="footnotetag24"></a>
+<a href="#footnote24"><sup class="sml">24</sup></a>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote24"
+name="footnote24"><b>Note 24: </b></a><a href="#footnotetag24">
+(retour) </a> Cette élégie est la première de son volume non
+ publié.</blockquote>
+
+<p>«Je ne me rappelle rien d'égal à la beauté transparente de ma cousine,
+ou à la douceur de son caractère, pendant la courte période de notre
+intimité. <i>On l'eût dite faite d'un arc-en-ciel</i>: tout en elle était
+paix et beauté.</p>
+
+<p>«Ma passion eut sur moi ses effets habituels: je ne pouvais ni dormir,
+ni manger, ni reposer, bien que j'eusse toutes les raisons de croire
+qu'elle m'aimât. Mon tourment de chaque jour était de penser au tems qui
+devait s'écouler avant que je la revisse: c'était ordinairement douze
+heures. J'étais alors bien fou, et maintenant je ne suis guère plus
+sage.»</p>
+
+<p>Il y avait deux ans qu'il était sous la garde du docteur Glennie, quand
+sa mère, mécontente de la lenteur de ses progrès, lenteur dont elle
+pouvait, comme nous l'avons vu, s'accuser avant tous les autres, pressa
+tellement lord Carlisle de le faire passer dans une école publique, que
+celui-ci finit par accéder à ses vœux. «En conséquence, dit le docteur
+Glennie, il entra à Harrow aussi mal préparé qu'il est naturel de le
+supposer, après deux années d'instruction élémentaire, et
+continuellement dérangé par tout ce qui pouvait distraire son jeune
+esprit de l'école et de toute étude sérieuse.»</p>
+
+<p>Ce sage instituteur ne vit plus que rarement Lord Byron à compter de ce
+moment; mais à en juger par ce qu'en disent Mrs. Glennie et lui, il est
+clair qu'ils le suivirent toujours avec intérêt dans le reste de sa
+carrière; ils virent ses déviations, mais à travers le prisme flatteur
+d'une affection réelle; et dans ses aberrations les plus étranges, ils
+conservèrent la trace des belles qualités qu'ils avaient chéries et
+admirées dans son enfance. Au reste les affectueux sentimens du docteur
+Glennie furent mis à une rude épreuve, quand en 1817 il visita Genève,
+peu de tems après le départ de Lord Byron de cette ville, et au moment
+où sa réputation personnelle était frappée de la plus grande
+impopularité; ceux qui voyaient dans le docteur Glennie son ancien
+maître, ne manquaient pas d'accuser ce dernier de l'avoir mal élevé, ou,
+pour employer leurs propres expressions, de n'en avoir pas fait un
+meilleur sujet.</p>
+
+<p>Tandis que Lord Byron venait continuer à Londres son éducation, sa
+gouvernante May Gray quittait le service de sa mère et retournait dans
+son pays natal, où elle mourut il y a trois ans environ. Elle s'était
+mariée convenablement; et dans l'une de ses dernières maladies elle
+recevait les soins du docteur Ewing d'Aberdeen, qui, ayant toujours été
+admirateur enthousiaste de Lord Byron, éprouva autant de joie que de
+surprise de trouver une ancienne servante de son poète favori, dans une
+femme qu'il avait soignée plusieurs années. Comme on peut le supposer,
+il recueillait avec avidité de la bouche de sa malade toutes les
+particularités qu'elle pouvait se rappeler des premiers jours de sa
+seigneurie. Toutes ces communications, M. Ewing nous en a fait la
+confidence; c'est à lui que nous devons une partie des anecdotes que
+nous avons citées.</p>
+
+<p>Byron, au départ de May Gray, voulut lui donner un témoignage de sa
+reconnaissance pour les soins qu'elle avait eus de lui; il lui donna sa
+montre, la première qu'il eût eue en sa possession. La fidèle
+gouvernante conserva ce précieux souvenir jusqu'à sa mort, comme une
+sorte de trésor; et aussitôt après, son mari la donna au docteur Ewing,
+qui l'apprécia également comme une relique du génie. L'affectueux enfant
+lui avait aussi donné son portrait, grande miniature en pied peinte par
+Kay d'Édimbourg, en 1795. Il s'y trouve représenté tenant à la main un
+arc et des flèches, avec les plus beaux cheveux du monde tombant sur ses
+épaules. Ce morceau curieux est également passé dans la possession du
+docteur Ewing.</p>
+
+<p>Byron étendit les effets de sa reconnaissance à la sœur de cette femme,
+qui avait été sa première gouvernante. Il lui écrivit quelques années
+après son départ d'Écosse, et dans les termes les plus aimables; il
+s'informait de sa santé, et lui apprenait avec joie que son pied s'était
+assez bien redressé pour lui permettre de se servir de bottes
+ordinaires; «événement qu'il avait si long-tems désiré, et qui lui
+ferait sans doute à elle-même le plus vif plaisir.» Il accompagna sa
+mère à Cheltenham durant l'été de 1801, et le récit qu'il fait de ses
+propres sensations à cette époque nous montre à quel âge prématuré il
+était familier avec les impressions poétiques. Un enfant qui contemple
+avec émotion le soleil couchant sur les hauteurs, parce qu'il lui
+rappelle les montagnes où il a passé sa jeunesse, a déjà sans doute le
+cœur et l'imagination d'un poète. Ce fut pendant ce voyage à Cheltenham
+qu'une diseuse de bonne aventure, consultée par sa mère, fit sur lui une
+prédiction à laquelle il pensa quelque tems avec inquiétude. Mrs. Byron,
+dans sa première visite à cette femme (c'était, si je ne me trompe, la
+fameuse Mrs. Williams), s'était donnée pour une demoiselle; la sibylle
+toutefois ne s'y trompa point: elle déclara que celle qui la consultait
+était non-seulement mariée, mais la mère d'un fils boiteux; que ce fils
+était prédestiné, entre autres événemens qu'elle lisait dans les astres,
+à courir les dangers d'un empoisonnement avant sa majorité; qu'il serait
+deux fois marié, et la seconde fois à une étrangère.</p>
+
+<p>Après deux ans, le jeune Byron raconta ces particularités à la personne
+dont je tiens cette histoire, et il disait que l'idée de la première
+partie de la prédiction s'était souvent présentée à lui. Cependant la
+dernière partie semble avoir été plus près de se réaliser.</p>
+
+<p>Si on fait attention au caractère réservé de Byron dans sa jeunesse, et
+même jusqu'à un certain point dans toute sa vie, la transition d'un
+établissement paisible comme celui de Dulwich au fracas d'une grande
+école publique était assez difficile. Aussi trouvons-nous, d'après son
+propre témoignage, que, pendant les premiers dix-huit mois, <i>il haïssait
+Harrow</i>. Cependant son esprit actif et social finit par vaincre sa
+répugnance, et après avoir été, comme il le dit lui-même, <i>enfant fort
+impopulaire</i>, il parvint à se montrer le boute-en-train de tous les
+plaisirs et de toutes les espiégleries de l'école. Pour bien connaître
+ses dispositions et ses habitudes de ce tems-là, nous ne pouvons mieux
+faire que de nous en rapporter à la digne et respectable autorité du
+docteur Drury, qui était alors à la tête de l'école, et auquel Lord
+Byron a payé un tribut d'affection qui, semblable aux respectueux
+sentimens de Dryden pour le docteur Belly, uniront à jamais les deux
+noms du poète et de l'instituteur. Ce savant vénérable m'a fait passer
+le morceau suivant qui, malgré sa brièveté, présente d'importans détails
+sur l'impression que le jeune Lord fit alors sur lui.</p>
+
+<p>«Lord Byron avait treize ans et demi quand M. Hanson, son guide, vint le
+confier à mes soins. Il me fit remarquer que son éducation avait été
+négligée, et ajouta qu'il était mal préparé pour les études d'une école
+publique; mais qu'après tout il croyait à l'enfant de véritables
+dispositions. Aussitôt son départ, je pris dans mon cabinet le nouvel
+élève, et j'essayai de le faire parler, en m'informant de ses plaisirs,
+de ses habitudes, de ses amis dans son autre pension; mais je perdis
+presque entièrement mon tems, et je compris bientôt qu'on m'avait confié
+un jeune faon sauvage. Cependant il y avait de l'esprit dans ses yeux,
+et il fallait d'abord le lier d'amitié avec un enfant plus âgé, qui pût
+le familiariser avec les nouveaux objets qui l'entouraient et avec le
+système de la maison dont il allait faire partie. Mais ce qu'il apprit
+dans la conversation de son conducteur lui causa de la peine quand il
+sut que des élèves beaucoup plus jeunes que lui étaient bien plus
+avancés, et il se crut humilié de ne pouvoir rivaliser avec eux. Je m'en
+aperçus et m'empressai de le confier aux soins spéciaux de l'un des
+maîtres, comme répétiteur, en assurant l'enfant qu'il ne prendrait rang
+dans la classe qu'au moment où son travail lui permettrait de marcher
+avec ceux de son âge. Cette promesse lui plut, et dès-lors il fut plus à
+son aise avec ses camarades, car pendant un certain tems il gardait une
+sorte de timidité. Ses manières et son caractère me firent bientôt juger
+qu'il était plus facile de le conduire avec un fil de soie qu'avec un
+câble; et je me réglai sur ce principe. Après quelque séjour à Harrow,
+et comme son esprit commençait à se développer, lord Carlisle, son
+parent, exprima le désir de me voir; j'allai trouver sa seigneurie. Son
+but était de m'apprendre quels étaient les biens à venir de Byron; il me
+représenta ses espérances de fortune comme bornées, et voulut savoir
+quelle était sa capacité. Je ne fis pas d'observation sur ses premières
+confidences, et je répondis à sa question: <i>Il a des talens, milord, qui
+ajouteront de l'éclat à son rang</i>. En vérité!!! répondit sa seigneurie,
+avec un air de surprise qui n'indiquait pas, à mon avis, toute la
+satisfaction que j'en attendais. Quant à son talent pour l'art oratoire,
+voici la circonstance à laquelle vous faisiez allusion. Les hautes
+classes de l'école avaient composé de ces sortes de déclamations qui,
+après avoir été corrigées par les répétiteurs, étaient portées au
+professeur; alors ceux qui les avaient faites les répétaient, afin qu'on
+pût réformer leurs gestes et leur accent, avant qu'ils les prononçassent
+en public. Je fus, en cette occasion, enchanté de l'attitude, de la
+prononciation et des gestes de Lord Byron, non moins que de son travail
+en lui-même. Tous les jeunes orateurs ne manquaient pas de suivre à la
+lettre leur composition écrite: Lord Byron fit de même dans la première
+partie de son travail; mais à ma surprise, il s'écarta tout d'un coup de
+son manuscrit, et avec assez de hardiesse et de rapidité pour me faire
+craindre de le voir manquer de mémoire pour la conclusion. Mes alarmes
+n'étaient pas fondées, il fournit sa carrière sans hésitation et sans le
+moindre embarras. Je lui demandai, pourquoi il avait ainsi altéré sa
+composition; il me répondit qu'il n'y avait rien changé, et qu'il ne
+s'était pas aperçu qu'il s'en fût écarté le moins du monde. Je le crus,
+et d'après l'expérience que j'avais de sa manière d'être, je compris
+qu'étant plein de son sujet, il avait involontairement substitué des
+expressions et des couleurs plus vives à celles que sa plume avait
+tracées.»</p>
+
+<p>Le docteur Drury, en me communiquant ces détails, ajoute un fait qui
+atteste tout le cas que Lord Byron fit toujours des opinions de son
+vieux maître, même quand il fut au faîte de sa gloire.</p>
+
+<p>«Après ma retraite d'Harrow, je reçus de lui deux lettres pleines
+d'affection, et dans mes visites à Londres, à l'époque où ses ouvrages
+fascinaient les yeux du public, je lui demandai pourquoi il n'avait pas
+pensé à m'en faire tenir un seul, comme c'était son devoir. <i>C'est</i>, me
+dit-il, <i>parce que vous êtes le seul homme auquel je crains de les voir
+lire</i>. Puis, après un court intervalle, il ajouta: <i>Que pensez-vous du
+Corsaire</i>?»</p>
+
+<p>Maintenant je vais mettre sous les yeux du lecteur les diverses notes
+sur sa vie au collége, qu'il a consignées lui-même dans plusieurs livres
+de souvenirs. Il n'est pas besoin de dire qu'étant son ouvrage, elles
+présenteront sur ce tems les particularités les plus fidèles et les plus
+curieuses.</p>
+
+<p>«J'avais dix-huit ans, tout singulier que cela puisse paraître, avant
+d'avoir jamais lu une <i>revue</i>; mais étant à Harrow, mes connaissances,
+sur toute sorte de sujets nouveaux, étaient assez grandes pour faire
+supposer que je devais aux revues toute ma science, attendu qu'on ne me
+voyait jamais lisant, mais toujours badinant, jouant, ou occupé à
+quelque méchanceté. La vérité est que je lisais en mangeant, au lit et
+partout où nul ne lisait; et avant d'avoir cinq ans j'avais lu toutes
+sortes de livres, à l'exception d'une revue: cette exception est ce qui
+me l'a fait remarquer. Je me souviens qu'en 1804, Hunter et Curzon
+m'ayant confié l'idée qu'on avait de moi au collége à ce sujet, je les
+fis bien rire en leur demandant d'un air surpris: et qu'est-ce donc
+qu'une revue? Au reste, elles étaient alors moins répandues. Trois
+années plus tard je les connus beaucoup mieux: mais enfin j'en lus une
+pour la première fois en 1806.</p>
+
+<p>«J'ai déjà dit qu'on remarquait à l'école l'étendue et la variété de mes
+connaissances générales; mais n'ayant aucune activité sous les autres
+rapports, je pouvais bien faire d'une haleine trente ou quarante
+hexamètres grecs fidèles à la prosodie, Dieu sait comme! mais d'un
+travail soutenu j'en étais incapable. Mes dispositions étaient plutôt
+celles de l'orateur ou du guerrier que celles du poète; et c'était
+l'opinion du docteur Drury, mon grand patron et le principal du collége,
+d'après ma faconde, ma turbulence, mon organe, mon talent de gestes et
+de déclamation, que je deviendrais un jour grand orateur<a id="footnotetag25" name="footnotetag25"></a>
+<a href="#footnote25"><sup class="sml">25</sup></a>. Je me
+souviens que ma première déclamation le surprit, et qu'il m'en fit
+devant mes rivaux les plus vifs complimens à la première répétition, ce
+qui était étonnant, car il en était fort économe. Mes premiers vers de
+Harrow (j'entends vers anglais) furent la traduction d'un chœur du
+Prométhée d'Eschyles. M. Drury les reçut froidement; et personne ne
+prévoyait en moi, d'après eux, la moindre disposition poétique.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote25"
+name="footnote25"><b>Note 25: </b></a><a href="#footnotetag25">
+(retour) </a> Pour mieux développer son talent dans ce genre,
+ Byron ne manquait pas de choisir pour les jours de discours
+ les passages les plus véhémens, comme le discours de Zanga
+ sur le corps d'Alonzo et le monologue de Léar. Dans l'une de
+ ces occasions publiques, il était convenu qu'il prendrait le
+ rôle de Drancès, et le jeune Peel celui de Turnus; mais Lord
+ Byron changea tout d'un coup d'idée et préféra le rôle de
+ Latinus, craignant, comme on le supposa, d'inspirer quelque
+ allusion ridicule avec cette raillerie de Turnus: <i>Ventosa in
+ lingua, pedibusque fugacibus istis</i>.</blockquote>
+
+<p>«Peel, cet orateur et cet homme d'état (car il l'était, l'est et le
+sera), était de la même <i>forme</i> que moi; nous en tenions <i>la tête</i> tous
+deux, suivant l'expression reçue. Nous étions bien ensemble; mais son
+frère était mon ami intime. Maîtres et écoliers nous avions conçu de
+Peel les plus grandes espérances, et il ne les trompa pas.</p>
+
+<p>«Pour les connaissances classiques, il était de beaucoup au-dessus de
+moi; comme orateur et acteur; on m'estimait au moins son égal. Hors de
+l'école j'étais toujours en partie et lui jamais, tandis qu'en classe il
+savait toujours ses leçons et moi rarement; mais quand une fois je les
+savais, je les savais presque aussi bien. Du reste, en instruction
+générale, en histoire, etc., etc., je pense que je lui étais supérieur,
+aussi bien qu'à la plupart des enfans de mon âge.</p>
+
+<p>«La merveille du collége, de notre tems, était George Sinclair, fils de
+sir John; il faisait, à la lettre, les exercices de la moitié des
+écoliers, des vers à volonté et des amplifications presque malgré
+lui..... Il était de mes amis; comme nous nous trouvions dans la même
+division, il me demandait souvent de le laisser faire mes devoirs,
+faveur que je lui accordais toujours avec empressement quand ils étaient
+difficiles, ou quand j'avais à faire quelqu'autre chose, ce qui
+m'arrivait au moins une fois par heure. Du reste, son humeur était douce
+et la mienne querelleuse. Il m'arrivait souvent de me battre pour lui,
+ou de battre les autres à son intention, ou bien encore de le battre
+lui-même pour le forcer à battre les autres quand je jugeais qu'il le
+devait pour l'honneur de sa taille. D'autres fois nous parlions
+politique, sujet sur lequel il était très-fort. Nous nous aimions
+beaucoup, et je conserve encore des lettres qu'il m'a écrites de
+l'école<a id="footnotetag26" name="footnotetag26"></a>
+<a href="#footnote26"><sup class="sml">26</sup></a>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote26"
+name="footnote26"><b>Note 26: </b></a><a href="#footnotetag26">
+(retour) </a> Malheureusement ses réponses à M. Sinclair sont
+ perdues. Je tiens de ce dernier qu'il y en avait une, entre
+ autres, où Lord Byron développait toute l'ombrageuse
+ sensibilité de son caractère. Elle exprimait le ressentiment
+ d'une insulte imaginaire, et commençait par l'apostrophe
+ boudeuse de <i>monsieur</i>!</blockquote>
+
+<p>«Un autre prodige effrayant de savoir, de talent et d'espérance était
+Clayton; j'ignore ce qu'il est devenu, mais c'était réellement un génie.
+Les amitiés de collége, étaient pour moi de véritables <i>passions</i><a id="footnotetag27" name="footnotetag27"></a>
+<a href="#footnote27"><sup class="sml">27</sup></a>
+(car je n'ai jamais senti à demi), et je ne pense pas que j'en aie
+conservé une seule; mais il faut dire que plusieurs de ceux qui me les
+inspirèrent n'existent plus. Ma liaison avec lord Clare fut l'une des
+premières et des plus durables dont je me souvienne, l'éloignement ayant
+pu seul la refroidir. Jamais je n'entendis prononcer le nom de <i>Clare</i>
+sans un vif battement de cœur, et remarquez-le, j'écris encore
+aujourd'hui sous le charme de mes impressions de 1803, 1804 et 1805,
+etc., etc.»</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote27"
+name="footnote27"><b>Note 27: </b></a><a href="#footnotetag27">
+(retour) </a> Dans l'un de ses journaux, et sous la date de 1808,
+ je trouve le passage suivant de Marmontel, qui sans doute
+ l'avait frappé comme s'appliquant à l'enthousiasme de ses
+ premières liaisons. «L'amitié, qui dans le monde est à peine
+ un sentiment, est une passion dans les cloîtres.»
+ <span class="rig">(<i>Contes moraux</i>.)</span><br><br>
+</blockquote>
+
+<p>J'emprunte l'extrait suivant à un autre de ses <i>Souvenirs</i>.</p>
+
+<p>«À Harrow, je tenais bien ma place au coup de poing<a id="footnotetag28" name="footnotetag28"></a>
+<a href="#footnote28"><sup class="sml">28</sup></a>. Je crois me
+rappeler que je ne fus battu qu'une fois sur sept, et c'était avec
+H..... encore le drôle ne me battit que par l'intervention déloyale des
+gens de la maison où il mangeait, et où la scène se passait; je n'avais
+pas même de second. Je ne lui pardonnerai jamais, et je serais fâché de
+le rencontrer aujourd'hui, car certainement nous nous querellerions. Mes
+combats les plus mémorables furent avec Morgan, Rice, Raiesford et lord
+Jocelyn, mais nous restâmes toujours bons amis par la suite. J'étais un
+des enfans les moins aimés, cependant je finis par me faire respecter.
+J'ai gardé toutes mes amitiés de collége et toutes mes haines, si ce
+n'est relativement au docteur Butler, contre lequel je me révoltais, ce
+dont plus tard j'ai été fâché. Le docteur Drury, que je tourmentais
+aussi passablement, fut de tous mes amis le meilleur, le plus tendre, et
+j'ajouterai le plus sévère; je le regarde encore aujourd'hui comme un
+père.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote28"
+name="footnote28"><b>Note 28: </b></a><a href="#footnotetag28">
+(retour) </a> M. d'Israeli, dans son livre ingénieux <i>sur le
+ caractère des gens de lettres</i>, a émis l'opinion que l'un des
+ indices du génie dans les jeunes gens est le dégoût des jeux
+ et des exercices du corps. Il cite en preuve Beattie, qui
+ peint ainsi son ménestrel idéal:
+
+<p> «Il avait toujours fui le bruit, les réunions, les fatigues,
+ et ne se souciait pas de paraître dans la tumultueuse mêlée
+ des écoliers; mais les forêts avaient pour lui le plus grand
+ charme.»</p>
+
+<p> Son autorité la plus imposante est Milton, qui dit aussi de
+ lui-même:</p>
+
+<p> «Étant enfant, nul jeu d'enfant ne m'était agréable.»</p>
+
+<p> On ne peut appliquer ces règles générales, ni aux
+ dispositions ni au mérite des hommes de génie, si dans les
+ personnages cités par M. d'Israeli on reconnaît quelque
+ infirmité corporelle, et si dans plusieurs autres on peut
+ remarquer des goûts directement opposés. Une foule d'autres
+ poètes, comme Eschyles, Dante, Camoëns, se sont distingués à
+ la guerre, le plus turbulent des exercices; et si l'on est
+ obligé d'avouer qu'Horace fut mauvais cavalier, et que
+ Virgile ne savait pas jouer à la paume, on trouve d'un autre
+ côté que Dante fut aussi habile à la chasse qu'à l'escrime,
+ que Tasse sut également bien danser et manier le fleuret,
+ qu'Alfieri était bon cavalier, Klopstock bon patineur, Cowper
+ renommé dans sa jeunesse à la crosse et au ballon, et
+ qu'enfin Lord Byron excellait dans tous les exercices du
+ corps.</p></blockquote>
+
+<p>«P. Hunter, Curzon, Long et Tatersant furent les principaux objets de
+mon affection; je m'attachai encore à Clare, Dorset, C. Gordon, Debath,
+Claridge et J. Wingfield; ils étaient plus jeunes que moi, et je les
+gâtais par mon indulgence. Peut-être n'ai-je jamais aimé quelqu'un
+autant que le pauvre Wingfield, qui mourut à Coimbre en 1811, avant mon
+retour en Angleterre.»</p>
+
+<p>Un des plus frappans résultats de l'éducation en Angleterre c'est qu'on
+ne retrouve dans aucun pays autant d'exemples d'amitié vigoureuse formée
+dès l'enfance et conservée dans l'âge mûr, et que dans nulle autre
+contrée peut-être les sentimens d'affection pour la maison paternelle ne
+sont aussi rares ou du moins aussi faibles. Éloignés, comme ils le sont,
+des cercles de famille, dans un tems où leur cœur est le plus accessible
+aux sentimens affectueux, les enfans substituent naturellement aux liens
+de parenté ces amitiés de collége, qui, s'unissant ensuite aux scènes et
+aux événemens qui charmèrent leur jeunesse, conservent toujours sur eux
+la plus grande force. On peut observer des résultats tout-à-fait
+différens en Irlande, et je crois aussi en France, où le système
+d'éducation se lie mieux aux souvenirs domestiques. Là, la maison
+paternelle obtient une sorte de partage naturel et légitime dans le cœur
+des enfans; mais aussi les amitiés hors de ce cercle domestique sont en
+proportion moins vives et moins durables<a id="footnotetag29" name="footnotetag29"></a>
+<a href="#footnote29"><sup class="sml">29</sup></a>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote29"
+name="footnote29"><b>Note 29: </b></a><a href="#footnotetag29">
+(retour) </a>
+ À huit ou neuf ans, on met l'enfant à l'école, et
+ dès-lors il dévient étranger dans la maison où il est né;
+ l'affection de son père est interrompue pour lui, et les
+ sourires de sa mère, ses tendres avis, la sollicitude de ses
+ parens, ne sont plus devant ses yeux. D'année en année, il se
+ sent vers eux moins d'entraînement, et il finit par perdre
+ ses premiers sentimens au point de se trouver plus heureux
+ partout ailleurs que dans sa famille.
+ <span class="rig">(<i>Lettres de Cowper</i>.)</span><br>
+</blockquote>
+
+<p>Pour un jeune homme comme Byron, rempli des sentimens les plus
+passionnés, et ne trouvant dans la maison maternelle de sympathie
+qu'avec la portion la moins noble de sa nature, le petit univers de
+l'école devait nécessairement mettre en jeu ses affections, et leur
+donner une extension extrême. Voilà pourquoi les amitiés qu'il contracta
+au collége se ressentirent beaucoup de ce qu'il désigne lui-même comme
+des <i>passions</i>. C'est le vide de pareilles affections dans ses foyers,
+et leur vivacité parmi <i>la sociale réunion d'Ida</i>, qu'il décrit ainsi
+dans l'un de ses premiers poèmes<a id="footnotetag30" name="footnotetag30"></a>
+<a href="#footnote30"><sup class="sml">30</sup></a>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote30"
+name="footnote30"><b>Note 30: </b></a><a href="#footnotetag30">
+(retour) </a> Même avant ses liaisons de collége, il avait montré
+ la même sorte d'attachement romanesque pour un enfant de son
+ âge, fils d'un de ses fermiers de Newsteadt. Dans deux ou
+ trois de ses premiers poèmes il ne s'arrête pas moins sur
+ l'inégalité que sur la chaleur de cette amitié.
+
+<p> «Que la folie sourie, en voyant ton nom et le mien unis par
+ l'amitié; la vertu roturière a plus de droit à ce sentiment
+ que le vice anobli.</p>
+
+<p> «Bien que ton sort ne soit pas égal au mien, puisque ma
+ naissance m'appelle aux honneurs de la pairie, ne m'envie pas
+ cet éclat pompeux, un mérite modeste fait ton orgueil.</p>
+
+<p> «Nos ames du moins se rencontrent égales, ton humble
+ condition n'est point une disgrâce pour ma position élevée;
+ notre commerce n'en sera pas moins doux, puisque le mérite
+ remplace en toi la naissance.»</p>
+</blockquote>
+
+
+<p>N'y a-t-il point quelqu'autre cause qui rende ce mot d'enfance si cher à
+tout le monde? Ah! sûrement il y a une voix secrète qui nous dit tout
+bas que l'amitié sera doublement douce à celui qui est obligé de
+chercher des cœurs aimans, de les chercher hors du sein de sa famille,
+quand il ne peut les y trouver. Ces cœurs, chère <i>Ida</i><a id="footnotetag31" name="footnotetag31"></a>
+<a href="#footnote31"><sup class="sml">31</sup></a>, je les ai
+trouvés dans ton sein, tu as été pour moi une famille, un monde, un
+paradis.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote31"
+name="footnote31"><b>Note 31: </b></a><a href="#footnotetag31">
+(retour) </a> <i>Ida</i>, nom poétique de l'école d'Harrow.
+ (<i>N. du Tr.</i>)</blockquote>
+
+<p>Cette première publication est remplie des témoignages les plus touchans
+de ses amitiés de collége; il n'est pas jusqu'aux reproches qu'il
+adresse à l'un d'eux, à propos de quelques griefs, qui ne portent un
+caractère de tendresse.</p>
+
+<p>Vous saviez que mon ame, que mon cœur, que ma vie étaient à vous en cas
+de danger; vous saviez que les années et la distance ne m'avaient pas
+changé, que je n'existais que pour l'amour et l'amitié.</p>
+
+<p>Vous saviez... mais pourquoi revenir en vain sur le passé? les liens qui
+nous unissaient sont rompus. Peut-être ce souvenir vous arrachera-t-il
+un jour des larmes tardives; vous soupirerez alors en songeant à celui
+qui fut votre ami!</p>
+
+<p>La description suivante de ce qu'il éprouvait après avoir quitté Harrow,
+quand il retrouvait dans le monde quelqu'un de ses anciens camarades, se
+rapproche beaucoup de la scène qui eut lieu en Italie, quelques années
+seulement avant sa mort, quand à la vue de son cher lord Clare, après
+une longue séparation, il se sentit touché jusqu'aux larmes par les
+souvenirs qu'il réveillait en lui.</p>
+
+<p>..... Si par hasard quelque figure que je me rappelle bien, quelque
+ancien camarade de mon enfance vient, une honnête joie peinte sur la
+figure, réclamer en moi son ami; mes yeux, mon cœur, tout montre que je
+suis encore un enfant: la scène éblouissante, les groupes bruyans qui
+m'entourent disparaissent devant l'ami que je viens de retrouver.</p>
+
+<p>On a vu par les extraits de son <i>journal</i> que M. Peel était l'un de ses
+condisciples d'Harrow. La curieuse anecdote suivante, qui les concerne
+tous deux, m'a été rapportée par un ami de ce dernier, et je tâcherai de
+me rapprocher autant que possible des propres expressions du narrateur.</p>
+
+<p>Tandis que Lord Byron et M. Peel étaient à Harrow, un tyran<a id="footnotetag32" name="footnotetag32"></a>
+<a href="#footnote32"><sup class="sml">32</sup></a>, plus
+vieux de quelques années, réclama le droit de <i>basculer</i> le petit Peel,
+droit que Peel, à tort ou à raison, ne voulut pas reconnaître. Mais sa
+résistance fut vaine: le tyran non-seulement le fit fléchir, mais il
+résolut d'infliger une punition à l'esclave réfractaire. Il se mit donc
+en devoir de lui administrer une espèce de bastonnade sur la partie
+interne du bras, que durant l'opération il avait comprimé de deux
+cordes, avec un talent cruel, pour rendre la douleur plus vive. Tandis
+que les coups se succédaient rapidement et que le pauvre Peel n'en
+pouvait déjà plus, Byron aperçut et comprit de suite les tourmens de son
+ami; il savait bien qu'il n'était pas assez fort pour chercher querelle
+au tyran et que d'ailleurs il était dangereux de l'approcher; toutefois
+il s'avance vers la scène de l'action, et le visage rouge de colère, les
+yeux pleins de larmes et une voix que l'indignation et la terreur
+rendaient incertaine, il lui demanda humblement qu'il voulût bien lui
+dire combien de coups il entendait infliger. «Et que t'importe? petit
+drôle! répondit l'exécuteur.--C'est que si vous y consentiez, repartit
+Byron, en présentant son bras, j'en prendrais la moitié.» Il y a dans ce
+petit trait un mélange de simplicité et de grandeur vraiment héroïque;
+nous pouvons sourire à notre aise des amitiés d'enfance, mais il est
+rare que celles de l'âge mûr soient capables d'une générosité comparable
+à celle-ci.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote32"
+name="footnote32"><b>Note 32: </b></a><a href="#footnotetag32">
+(retour) </a> On appelle ainsi, dans les grands colléges
+ d'Angleterre, les élèves les plus anciens; ceux des dernières
+ classes sont désignés sous le nom d'esclaves. Il en était de
+ même à l'école polytechnique, il y a quelques années, et la
+ <i>bascule</i> était également une servitude qu'imposaient les
+ élèves de deuxième année à ceux de la première.
+ <span class="rib">(<i>N. du Tr.</i>)</span><br>
+</blockquote>
+
+<p>Parmi ses favoris d'école, on peut remarquer qu'un grand nombre étaient
+nobles, ou de familles nobles, tels que les lords Clare et Delaware, le
+duc de Dorset, et le jeune Wingfield. Une circonstance peut laisser
+croire que leur rang avait eu quelque part dans les motifs qui
+attirèrent Byron vers eux: un jour, celui de ses condisciples qui me
+raconta le fait, avait, en sa qualité de moniteur, mis lord Delaware sur
+sa liste de punition; Byron s'en étant aperçu, s'approcha de lui, en
+disant: «Wildman, je vois que vous avez mis Delaware sur votre liste; ne
+le faites pas frapper, je vous prie.--Pourquoi donc?--Je ne sais pas,
+mais enfin c'est mon collègue à la pairie.» Il est inutile d'ajouter que
+son intervention en pareil cas n'était rien moins qu'heureuse; car l'un
+des rares bienfaits de l'éducation publique est de faire tomber en
+quelque sorte ces distinctions artificielles, et de placer les jeunes
+plébéiens dans une égalité parfaite avec les pairs, bien que ces
+derniers puissent avoir leur revanche dans le monde.</p>
+
+<p>Il est vrai que, dans Lord Byron, le sentiment de sa supériorité
+nobiliaire était alors assez peu déguisé pour lui attirer fréquemment
+les moqueries de ses camarades; c'est, je crois, à Dulwich que son
+habitude de tirer orgueil de la prééminence qu'il trouvait dans un vieux
+baron anglais, sur tous les nouveaux pairs, lui fit donner le surnom de
+<i>vieux baron anglais</i>. Mais ce serait une erreur de croire que, soit à
+l'école, soit plus tard, il ait jamais été guidé par d'aristocratiques
+sympathies dans le choix de ses amis. Tout au contraire, suivant l'usage
+des hommes d'une extrême fierté, il préférait généralement pour <i>ses
+intimes</i>, ceux d'un rang inférieur au sien, et tels étaient presque tous
+ceux qu'il comptait à l'école parmi ses amis. D'un autre côté, ce qui le
+charmait le plus dans ses autres plus jeunes amis, c'était leur
+infériorité sous le rapport de l'âge et de la force. Elle lui permettait
+de se complaire encore dans son généreux orgueil, en prenant quand il le
+fallait, à leur égard, le rôle de protecteur.</p>
+
+<p>William Harness, qui était entré à Harrow à dix ans, tandis que Byron en
+avait quatorze, fut l'un de ceux qu'il aima le plus, par ce dernier
+motif, bien qu'il ait oublié d'en parler. Le jeune Harness, encore
+boiteux des suites d'un accident d'enfance, et à peine remis d'une
+maladie grave, était peu capable de surmonter les difficultés d'une
+école publique; Byron le vit un jour maltraité par un enfant beaucoup
+plus âgé et plus fort; il se hâta de prendre sa défense. Le lendemain,
+le petit enfant demeurait seul à l'écart; Byron vint encore à lui, et
+lui dit: «Harness, si quelqu'un te bat, dis-le-moi, et, si je puis, je
+le rosserai.» Il tint sa parole, et, dès ce moment, le protecteur et le
+protégé devinrent, malgré leur différence d'âge, des amis inséparables.
+Cependant leur amitié subit un refroidissement auquel Lord Byron, dans
+une lettre écrite après six ans, fait allusion avec tant de sensibilité,
+de franchise et de délicatesse, que je ne puis m'empêcher d'anticiper la
+date, et d'en donner ici un extrait.</p>
+
+<p>«Nous paraissons tous deux nous rappeler parfaitement, avec un mélange
+de plaisir et de regret, les jours que nous passions ensemble; et je
+vous jure bien sincèrement que je les compte au nombre des plus heureux
+de mes courts instans de bonheur. Maintenant je touche à ma majorité,
+c'est-à-dire que j'ai vingt ans et un mois; encore un an, et je
+parcourrai dans le monde ma carrière de folie. Alors j'avais quatorze
+ans: vous étiez presque le premier de mes amis d'Harrow, le premier
+certainement en estime, sinon en date; mais une assez longue absence
+d'Harrow, et de votre part de nouvelles liaisons, le contraste de votre
+conduite (décidément tout à votre avantage) et de ces habitudes
+turbulentes et querelleuses qui m'entraînèrent dans tous les genres de
+désordres, toutes ces circonstances se réunirent pour détruire une
+intimité que l'affection me pressait de continuer, et que la mémoire
+m'obligeait de regretter amèrement. Mais il n'est pas une particularité
+de cette époque, pas même une seule de nos conversations, qui ne reste
+encore aujourd'hui gravée dans mon esprit. Je n'en dirai pas davantage:
+cette assurance seule vous prouvera que si je n'y avais pas attaché de
+prix, je ne me souviendrais pas aussi bien de tout cela. Comme je me
+rappelle la lecture de vos <i>premiers essais</i>! Une autre circonstance que
+vous ignorez, c'est que les <i>premiers vers</i> que j'essayai de faire à
+Harrow vous étaient adressés, vous deviez les voir; mais Sinclair en
+avait gardé la copie quand nous allâmes en vacance, et à notre retour
+nous avions cessé d'être liés; ils furent détruits, et certes ce ne fut
+pas une grande perte. Par ce fait, vous pouvez juger de mes sentimens à
+un âge où l'on ne saurait être hypocrite.</p>
+
+<p>«Je me suis arrêté plus que je ne pensais sur ce sujet, et je finirai
+par où j'aurais dû commencer. Nous étions autrefois amis, nous l'avons
+même toujours été, car notre séparation fut l'effet du hasard et non du
+refroidissement. J'ignore où notre destinée doit nous conduire l'un et
+l'autre; mais si l'occasion et quelque penchant vous décident à jeter
+une pensée sur un écervelé de mon espèce, vous me trouverez toujours
+sincère, et jamais assez aveugle sur mes défauts pour envelopper les
+autres dans leurs conséquences. Voulez-vous m'écrire quelquefois? Je ne
+dis pas souvent; mais enfin, si nous nous retrouvons, j'espère que nous
+serons l'un pour l'autre ce que nous <i>devions</i> être et ce que nous
+<i>étions</i>.»</p>
+
+<p>Une autre preuve aussi forte de la vivacité de ses impressions de
+jeunesse, c'est, quand ses amis ont gardé un si petit nombre de ses
+anciennes lettres, le soin avec lequel il conserva toutes celles que lui
+adressèrent les principaux d'entr'eux, même les plus jeunes. Et si
+quelquefois ses correspondans oubliaient de dater leurs missives, sa
+fidèle mémoire, après plusieurs années d'intervalle, suppléait à leur
+oubli. Parmi ces souvenirs qu'il conservait si précieusement, il en est
+un qu'il serait injuste de ne pas citer, soit comme monument de
+l'énergie qui brillait au milieu de son langage enfantin, soit en
+mémoire des tendres et affectueux sentimens que leur lecture réveillait,
+comme on le verra plus tard, dans l'ame de Byron.</p>
+
+<p class="mid">À LORD BYRON, etc., etc.<br><span class="rig">
+
+Harrow-la-Montagne, 28 juillet 1805.</span><br></p>
+
+<p>«Puisque vous avez paru assez peu mon ami pour me <i>dire des noms</i> toutes
+les fois que vous me rencontriez ces jours derniers, je vous demande une
+explication, et je désire savoir si vous voulez que nous soyons aussi
+bons amis qu'auparavant. J'ai bien vu que ce mois-ci vous m'aviez
+absolument laissé là, sans doute pour vos nouvelles connaissances; mais
+il ne faut pas croire, parce que vous aurez dans la tête un caprice
+quelconque, que je reviendrai toujours à vous, comme certains autres le
+font, pour regagner votre amitié. Ne pensez pas que je sois votre ami
+par intérêt, et parce que vous êtes plus grand ou plus âgé que moi: non,
+cela n'est pas, et ne sera jamais. J'étais votre ami, et je ne le suis
+encore qu'à une condition: c'est qu'en me voyant vous ne me <i>direz plus
+des noms</i>. Vous avez bien vu, j'en suis sûr, que je n'aimais pas cela;
+pourquoi donc le faisiez-vous, si ce n'est parce que vous ne voulez plus
+être mon ami? et pourquoi le resterais-je, si vous me traitez mal? Je ne
+tiens à rien de pareil; vous pouvez bien laisser les autres m'attaquer,
+mais si vous vous moquez de moi, je serai bien plus malheureux.</p>
+
+<p>«Je ne suis pas un hypocrite, Byron, et je ne le serai jamais assez pour
+rester votre ami quand vous me <i>direz des noms</i>. Personne ne dira, j'en
+suis sûr, que je me sois abaissé pour regagner une amitié dont vous ne
+voulez plus. Pourquoi le ferais-je? ne suis-je pas votre égal? Quel
+intérêt y aurais-je? Quand vous me retrouverez dans le monde
+(c'est-à-dire si vous le voulez), vous ne pourrez m'avancer ou me
+protéger, ni moi vous. Je vous engage donc et vous demande, si vous
+tenez à mon amitié (ce qui n'est pas, à en juger par votre conduite), à
+ne pas me donner les noms que vous faites, ni à vous moquer de moi.
+Jusqu'alors il me sera impossible de vous nommer mon ami. Je vous serai
+obligé de me répondre de suite.</p>
+
+<p>«En attendant, je demeure votre...</p>
+
+<p class="mid">»Je ne puis dire votre ami.»</p>
+
+<p>Sur le dos de cette lettre était la note suivante, de la main de Byron:</p>
+
+<p>«Cette lettre et une seconde furent écrites à Harrow par mon <i>alors</i> et
+toujours cher ami Lord de ***, quand nous étions camarades d'études. Il
+me les adressa à la suite de je ne sais plus quel malentendu, le seul
+qui s'éleva jamais entre nous; il fut d'ailleurs de courte durée, et je
+ne conserve cette lettre que pour la lui rappeler quand je le verrai,
+afin que nous puissions rire au souvenir de l'insignifiance de notre
+première et dernière querelle.»<br>
+
+<span class="rig">BYRON.</span><br></p>
+
+<p>On retrouve dans une lettre du même enfant, écrite deux années plus
+tard<a id="footnotetag33" name="footnotetag33"></a>
+<a href="#footnote33"><sup class="sml">33</sup></a>, ces passages remarquables:</p>
+
+<p>«Votre dernière lettre m'a fait penser que vous étiez extrêmement piqué
+contre la plupart de vos amis, et même un peu contre moi, si je ne me
+trompe. Vous dites d'un côté: <i>Il n'est presque pas douteux que peu
+d'années ou de mois nous rendront aussi indifférens l'un à l'autre, que
+si nous n'avions pas passé ensemble une partie de notre vie</i>. En vérité,
+Byron, vous me faites injure, et je n'ai pas de doute, au moins je
+l'espère, que vous ne vous calomniiez vous-même.»</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote33"
+name="footnote33"><b>Note 33: </b></a><a href="#footnotetag33">
+(retour) </a> D'autres lettres encore offrent de curieuses
+ preuves de la sensibilité jalouse et passionnée de Byron.
+ Dans l'une d'elles, par exemple, nous voyons qu'il s'était
+ offensé que son jeune ami lui eût écrit <i>mon cher Byron</i> au
+ lieu de <i>mon très-cher</i>; et dans une autre, qu'il avait eu de
+ la jalousie de quelques expressions échappées à son ami, à
+ l'occasion du départ de Lord John Russell pour l'Espagne.
+ «Vous me dites, lui répond-on, que jamais vous ne me vîtes
+ agité comme quand j'écrivis ma dernière lettre; pensez-vous
+ que j'eusse tort? J'avais reçu une lettre de vous le samedi,
+ où vous me disiez que vous quittiez l'Angleterre au mois de
+ mars pour six ans; et le lundi John Russell partait pour
+ l'Espagne. Mais pouvez-vous imaginer que je fusse plus triste
+ au sujet de Lord Russell, qui s'en va pour quelques mois, et
+ de qui j'aurai constamment des nouvelles, que relativement à
+ vos six années de voyage au bout du monde, pendant lesquelles
+ j'entendrai à peine parler de vous, et qui peut-être
+ m'empêcheront de vous revoir jamais? J'éprouve une véritable
+ peine de ce que vous me dites, que je dois vous excuser si
+ vous êtes jaloux de me voir plus affecté du départ d'un ami
+ qui était près de vous que de celui qui était éloigné. Il est
+ impossible que vous ayez pu croire un moment que l'absence de
+ John m'affectât plus que la vôtre. Je finis donc sur ce
+ sujet.»</blockquote>
+
+<p>Malgré ces habitudes de jeux et de paresse qui semblaient l'indice d'une
+certaine absence d'idées et de réflexions, il y avait des momens où le
+jeune poète rentrait profondément en lui-même et se livrait à des
+méditations incompatibles avec l'enjouement et l'insouciance de son âge.
+On montre encore dans le cimetière d'Harrow une tombe élevée, d'où la
+vue plane sur Windsor; c'était l'endroit favori où l'on savait si bien
+qu'il aimait à s'arrêter, que les enfans l'appelaient <i>la tombe de
+Byron</i><a id="footnotetag34" name="footnotetag34"></a>
+<a href="#footnote34"><sup class="sml">34</sup></a>, et c'est là, dit-on, qu'il demeurait des heures entières
+abîmé dans ses pensées, ruminant dans la solitude ses premières
+inspirations sublimes et passionnées, et parfois, peut-être, entrevoyant
+déjà cet avenir de gloire qui lui inspirait, à peine âgé de quinze ans,
+ces vers remarquables:</p>
+
+<p><i>Mon nom seul sera mon épitaphe</i>. S'il ne suffit pour honorer ma cendre,
+qu'aucune autre gloire ne me soit accordée en récompense. On ne doit
+voir que ce nom, ce nom seul sur mon tombeau; illustré par lui, ou comme
+lui à jamais oublié.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote34"
+name="footnote34"><b>Note 34: </b></a><a href="#footnotetag34">
+(retour) </a> C'est à cette tombe que se rapporte ce passage des
+ <i>souvenirs d'enfance</i>, qui font partie de ses œuvres
+ inédites:
+
+<p> «Souvent, quand, oppressé de tristes pressentimens, je
+ m'asseyais incliné sur notre tombe favorite.»</p>
+</blockquote>
+
+<p>Il passa quelque tems à Bath avec sa mère, pendant l'automne de 1802,
+et, quoique bien jeune, il prit assez de part aux plaisirs de ces lieux.
+Il parut dans un bal masqué, donné par lady Riddel, sous le costume d'un
+jeune Turc; modèle anticipé, quant à la beauté et au costume, de son
+jeune Sélim de la <i>Fiancée d'Abydos</i>. Au moment d'entrer dans la maison,
+quelqu'un de la foule essaya d'arracher le diamant qui attachait le
+croissant de son turban, mais l'un de ceux qui l'accompagnaient
+s'aperçut à tems de cette tentative de vol. La dame qui m'apprit cette
+anecdote, et qui voyait beaucoup alors Mrs. Byron, a bien voulu ajouter
+à son récit les remarqués suivantes: «J'ai vu beaucoup Lord Byron à
+Bath; sa mère m'a invité souvent à prendre le thé avec elle; il était
+toujours fort plaisant et original; quand la conversation tombait sur
+ses amis absens, il montrait un léger penchant à la satire, auquel plus
+tard il s'abandonna, comme chacun sait, avec une liberté entière.»</p>
+
+<p>Nous touchons maintenant à un événement qui, d'après sa profonde
+conviction, exerça sur sa vie et son caractère une influence vive et
+durable.</p>
+
+<p>Ce fut en 1803, que son cœur, déjà deux fois éprouvé, comme nous l'avons
+vu, par d'enfantines impressions d'amour, conçut un attachement qui,
+jeune comme il était encore, domina ses facultés au point de colorer
+d'une teinte particulière le reste de ses jours. Que les passions
+malheureuses soient en général les plus durables, c'est une triste
+vérité qui, pour être confirmée, n'avait pas besoin de ce nouvel
+exemple; mais peut-être faut-il attribuer à la même circonstance
+l'innocence parfaite de cet attachement pour miss Chaworth, qui le
+distingua, sans jamais l'effacer de son cœur, de tous ceux qui le
+suivirent. Comme c'est le seul sentiment du même genre dont les détails
+puissent être suivis sans dangers, ou dont les résultats, bien que
+douloureux, puissent être racontés, nous pensons qu'on s'y arrêtera avec
+plaisir.</p>
+
+<p>Mrs. Byron, en partant de Bath, vint séjourner à Nottingham, Newsteadt
+étant en ce tems-là loué à lord Grey de Ruthen; et pendant les vacances
+de Harrow, son jeune fils vint l'y rejoindre. Tel était son attachement
+pour Newsteadt, que c'était même un plaisir pour lui d'être dans son
+voisinage; aussi, avant d'avoir fait la connaissance de lord Grey, il
+lui arrivait souvent de passer la nuit dans une petite maison contiguë à
+la grande porte et qu'on appelle encore à présent la hutte<a id="footnotetag35" name="footnotetag35"></a>
+<a href="#footnote35"><sup class="sml">35</sup></a>; mais
+bientôt des rapports d'amitié s'établirent entre son noble locataire et
+lui, et dès-lors il eut toujours à son service un appartement dans
+l'abbaye. Comme il avait, peu de tems auparavant, été présenté à Londres
+à la famille de miss Chaworth, qui, actuellement, résidait à Annesley,
+dans le voisinage immédiat de Newsteadt, il renouvela bientôt
+connaissance avec elle. La jeune héritière elle-même joignait à tous les
+avantages sociaux qui l'environnaient une grande beauté et les
+dispositions les plus aimables et les plus séduisantes.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote35"
+name="footnote35"><b>Note 35: </b></a><a href="#footnotetag35">
+(retour) </a> Je tiens ce fait de l'un des vieux domestiques de
+ Newsteadt, mais je ne dissimulerai pas que d'autres n'aient
+ révoqué en doute ces haltes nocturnes à <i>la hutte</i>.</blockquote>
+
+<p>Le jeune poète avait déjà remarqué ses charmes; mais ce fut seulement à
+l'époque où nous sommes arrivés, comme il était dans sa seizième année
+et miss Chaworth dans sa dix-huitième, qu'il semble en avoir été
+complètement ébloui. Six courtes semaines d'été, écoulées près d'elle,
+suffirent pour éveiller une passion qui dura toute sa vie.</p>
+
+<p>D'abord, bien qu'on lui offrît un lit à Annesley, il avait l'habitude de
+revenir chaque nuit à Newsteadt, et le motif qu'il alléguait était sa
+frayeur des tableaux de famille des Chaworth, qui, s'imaginait-il,
+l'avaient pris en grippe en souvenir du duel de son oncle, et se
+seraient détachés la nuit de leurs cadres pour le tourmenter. À la fin
+il dit gravement un soir à miss Chaworth et à sa cousine: «La dernière
+nuit, en m'en retournant, j'ai vu un <i>bogle</i>.» Comme ce dernier mot
+écossais était complètement inintelligible pour les jeunes dames, il
+leur fit entendre que c'était un revenant, et qu'il ne voulait pas ce
+soir-là retourner à Newsteadt. À compter de là, il coucha toujours à
+Annesley jusqu'à ce que ses visites furent interrompues par une courte
+excursion à Matlock et à Castleton, dans laquelle il eut le bonheur
+d'accompagner miss Chaworth et ses parens. Voici la curieuse notice que
+l'on trouve de ce voyage dans l'un de ses livres-journaux:</p>
+
+<p>«J'avais quinze ans quand il m'arriva, dans une caverne du duché de
+Derby, de traverser dans une barque, où deux personnes seulement
+pouvaient rester couchées, un ruisseau qui coulait sous une roche; cette
+dernière était tellement proche de l'eau, que nous fûmes obligés de
+faire pousser la barque par un conducteur enfumé, espèce de Caron, qui
+se tenait derrière, entièrement courbé dans l'eau. J'avais alors pour
+second M. A. C., dont j'avais été passionnément amoureux sans le lui
+dire, mais non pas sans qu'elle le découvrît. Je me rappelle mes
+sensations, mais je ne puis les décrire. Notre société se composait de
+Mrs. W., des deux miss W...s, de M. et Mrs. Cl...ke, de miss R. et de ma
+M. A. C. Hélas! pourquoi dire <i>ma</i>? Notre mariage aurait apaisé des
+haines qui avaient fait couler le sang de nos pères; il aurait réuni des
+propriétés vastes et riches; au moins aurait-il réuni un seul cœur et
+deux êtres assez bien assortis pour l'âge (elle avait deux ans de plus
+que moi), et... et... et... qu'en est-il résulté?»</p>
+
+<p>Miss Chaworth prenait ordinairement part aux danses du soir, à Matlock,
+tandis que son amant restait à la contempler, solitaire et mécontent. Il
+est possible que le dégoût qu'il exprima toujours pour ce genre de
+plaisir soit venu de quelque sentiment amer éprouvé dans sa jeunesse en
+voyant la <i>dame de son cœur</i> conduite par d'autres à la danse joyeuse
+dont lui-même était exclu. Un jour que la jeune héritière d'Annesley
+avait eu pour cavalier une personne qu'elle n'avait jamais vue, Byron
+lui dit, d'un air de dépit, quand elle vint reprendre sa place:
+«J'espère que vous aimez votre nouvel ami.» Ces paroles étaient à peine
+prononcées, qu'il se vit accosté par une dame écossaise, d'une tournure
+déplaisante, qui vint se recommander à lui comme cousine, et qui,
+mettant son orgueil à la torture à force de manières et d'expressions
+vulgaires, décida la belle miss Chaworth à lui dire à son tour à
+l'oreille: «J'espère que vous aimez votre nouvelle amie.» À Annesley, il
+passait la plus grande partie de son tems à faire des courses à cheval
+avec miss Chaworth et sa cousine, ou plongé dans une morne rêverie, les
+mains occupées de son mouchoir; ou bien tirant contre une porte qui
+donne sur la terrasse, et qui conserve encore les vestiges de ses
+balles. Mais son plus grand plaisir était de s'asseoir auprès de miss
+Chaworth lorsqu'elle faisait de la musique; son air favori était la
+jolie chanson galloise <i>Maryanne</i>, sans doute principalement à cause de
+son nom. Pendant tout ce tems, il avait la douleur de voir celle qu'il
+aimait, entièrement occupée d'un autre amour; et comme il le dit
+lui-même:</p>
+
+<p>«Ses soupirs n'étaient pas pour lui: pour elle il était un frère, mais
+rien de plus.»</p>
+
+<p>Il n'est pas même probable, si le cœur de miss Chaworth eût été libre,
+que Lord Byron eût été choisi par elle comme un objet d'attachement.
+Deux ans de plus donnent à une jeune fille une avance dans la vie,
+contre laquelle un homme ne peut pas lutter. Miss Chaworth ne voyait
+dans Byron qu'un collégien: ses manières étaient d'ailleurs alors dures
+et peu sociables; elles n'avaient, comme je l'ai entendu répéter vingt
+fois, rien de flatteur pour les jeunes filles de son âge. Si dans un
+moment d'illusion il s'était flatté d'inspirer quelque amour à la jeune
+miss, il dut être bientôt désabusé par une circonstance notée dans ses
+<i>Mémoires</i> comme l'une des plus douloureuses humiliations auxquelles son
+infirmité l'eût exposé. Il entendit un jour miss Chaworth dire à sa
+femme de chambre: «Pouvez-vous croire que je me soucie jamais de ce
+petit boiteux?» Ces mots, comme il l'a rappelé lui-même, furent un coup
+de foudre pour lui. Il était nuit fermée quand il les entendit; mais il
+sortit à l'instant de la maison, et, sans rien voir devant lui, il
+courut sans s'arrêter jusqu'à Newsteadt.</p>
+
+<p>La peinture qu'il a faite de cet amour, dans l'un de ses plus touchans
+poèmes, <i>le Songe</i>, montre comment le génie et la sensibilité peuvent
+élever les réalités de cette vie, et donner un lustre immortel aux
+objets et aux événemens les plus communs. Sous le nom de l'<i>antique
+oratoire</i>, la vieille salle d'Annesley rappellera long-tems à
+l'imagination la vierge et l'adolescent qui s'y trouvèrent une fois
+réunis; tandis que l'image du coursier de l'amant, bien que le type en
+ait été la race laborieuse et peu poétique des chevaux de Nottingham,
+ajoute encore aux charmes généraux de la scène, et jette sur le tableau
+une portion de la lumière que le génie seul peut à son gré répandre.</p>
+
+<p>Au reste, dès cet âge encore tendre, il paraît avoir eu assez
+d'expérience de la vie galante pour savoir comment les premiers trophées
+peuvent conduire en amour à de nouvelles conquêtes; il se glorifiait
+souvent, auprès de miss Chaworth, d'un nœud de cheveux que lui avait
+donné quelque beauté sensible (sans doute cette jolie cousine dont il
+parle avec tant de chaleur dans l'une des notes que nous avons citées).
+Déjà, et il ne l'ignorait pas, il avait la beauté qui, malgré quelque
+tendance à l'excessif embonpoint de sa mère, lui promettait cette
+expression particulière qui donnait à ses traits tant de finesse et tant
+de charme. Mais avec les fêtes de l'été finit le rêve de sa jeunesse: il
+ne vit plus qu'une fois miss Chaworth l'année suivante, et il lui dit un
+dernier adieu, comme il le racontait souvent, sur cette montagne près
+d'Annesley, qu'il a si bien décrite dans son poème du <i>Songe</i>, comme
+étant <i>couronnée d'un particulier diadême</i><a id="footnotetag36" name="footnotetag36"></a>
+<a href="#footnote36"><sup class="sml">36</sup></a>. Personne, à l'entendre,
+n'aurait pu deviner tout ce qu'il éprouvait, car sa contenance était
+calme et ses sentimens comprimés. «La première fois que je vous
+reverrai, lui dit-il en la quittant, vous serez sans doute Mrs.
+Chaworth<a id="footnotetag37" name="footnotetag37"></a>
+<a href="#footnote37"><sup class="sml">37</sup></a>?--Je l'espère;» telle fut sa réponse. C'était avant cette
+entrevue qu'il avait écrit au crayon, dans un volume des lettres de Mme
+de Maintenon, qui appartenait à la jeune miss, les vers suivans:</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote36"
+name="footnote36"><b>Note 36: </b></a><a href="#footnotetag36">
+(retour) </a> Parmi les vers inédits en ma possession, je trouve
+ les fragmens suivans, écrits quelque tems après cette époque:
+
+<p> «Collines d'Annesley, arides et nues, dans lesquelles s'égara
+ mon enfance imprudente, comme les tempêtes du nord grondent
+ et mugissent au-dessus de vos ombrages touffus! Aujourd'hui
+ les heures ne s'écoulent plus délicieusement dans ces
+ promenades chéries; le sourire de Marie ne fait plus de vous
+ un paradis pour moi.»</p></blockquote>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote37"
+name="footnote37"><b>Note 37: </b></a><a href="#footnotetag37">
+(retour) </a> Son mari prit en effet, pendant quelque tems, le
+ surnom de Chaworth.</blockquote>
+
+<p>Cesse, ô mémoire! de me tourmenter. Le présent est aujourd'hui décoloré
+pour moi: l'avenir ne m'offre plus d'espérances; et quant au passé, par
+pitié, cache-le-moi. Pourquoi ramener devant mes yeux ces images de ce
+que je ne reverrai pas? pourquoi me représenter ces délicieux instans à
+jamais évanouis? Le plaisir passé augmente la peine présente; le regret
+de ce qui n'est plus se joint à la douleur de ce qui est. Espérances,
+regrets, vous n'êtes plus que de vains mots: je ne demande plus qu'à
+vous oublier.</p>
+
+<p>L'année suivante, miss Chaworth épousa l'heureux rival de Byron. M. John
+Muster, l'un de ceux qui se trouvaient présens quand il en reçut la
+première nouvelle, raconte ainsi ce qui se passa alors en lui: «J'étais
+présent quand il apprit ce mariage, sa mère lui dit: <i>Byron, j'ai à vous
+apprendre une nouvelle.--Eh bien, qu'est-ce?--D'abord, tirez votre
+mouchoir, car vous en aurez besoin.--Quelle absurdité!--Prenez, dis-je,
+votre mouchoir</i> (il le fit pour lui plaire), <i>miss Chaworth est mariée</i>.
+À ces mots une expression singulière et impossible à décrire se peignit
+sur sa pâle figure; il remit violemment son mouchoir dans sa poche,
+puis, avec une affectation de froideur et de nonchalance: <i>Est-ce là
+tout?</i> dit-il.--<i>Comment, je m'attendais à vous voir accablé de
+douleur.</i> Il ne répondit rien, et bientôt après il ouvrit la
+conversation sur un autre sujet.»</p>
+
+<p>Sa vie d'Harrow présente les mêmes particularités. Pendant toute sa
+durée, comme il le dit lui-même, il était toujours jouant, se
+révoltant<a id="footnotetag38" name="footnotetag38"></a>
+<a href="#footnote38"><sup class="sml">38</sup></a>, <i>ramant</i> et se livrant à toute sorte d'espiègleries.
+L'esprit de révolte dont il parle ici (bien qu'il n'ait jamais été
+jusqu'à lui inspirer des actes de violence) se manifesta à l'occasion de
+la retraite du docteur Drury, quand, à la place vacante, se présentèrent
+les trois candidats, Mark Drury, Evans et Butler. Dans le premier
+mouvement auquel cette rivalité donna lieu parmi les écoliers, le jeune
+Wildman se montra à la tête du parti de Mark Drury, tandis que Byron
+avait commencé par rester neutre. Mais dans l'espérance de l'avoir pour
+allié, l'un des membres de la faction Drury dit à Wildman: «Byron, je le
+sais, ne se joindra pas à nous, parce qu'il ne veut jamais de la seconde
+place; mais vous pourriez, en lui donnant la première, vous l'assurer.»
+Wildman suivit cet avis, et Byron prit en effet le commandement de la
+faction.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote38"
+name="footnote38"><b>Note 38: </b></a><a href="#footnotetag38">
+(retour) </a> Gibbon, parlant des écoles publiques, dit: «La
+ scène comique d'une révolte de collége fait connaître, sous
+ leur véritable point de vue, les ministériels et les
+ indépendans de la génération nouvelle.» Mais de pareils
+ pronostics ne sont pas toujours sûrs; ainsi le doux et
+ paisible Addisson fut, étant au collége, chef d'un
+ soulèvement.</blockquote>
+
+<p>La violence qu'il mit dans son opposition au choix que l'on fit de
+Butler, et surtout la vive affection qui l'unissait au dernier maître,
+contribuèrent à aigrir les relations qu'il eut avec le nouveau directeur
+pendant le reste de son séjour à Harrow. Par malheur, Byron résidant
+dans les appartemens de Butler, les occasions de mésintelligence étaient
+on ne peut plus fréquentes. Un jour le jeune rebelle, dans un accès de
+défiance, arracha tous les grillages des fenêtres de la salle; et quand
+le docteur lui demanda le motif de cette violence, il répondit, avec un
+grand sang-froid: «Parce qu'ils obscurcissent la salle.» Une autre fois
+il lui avoua hardiment la haine qu'il avait contre lui. Ce fut long-tems
+la coutume que le maître, à la fin de chaque terme, invitât à dîner les
+élèves les plus âgés; et cette faveur, semblable aux invitations
+royales, était en général regardée comme un ordre. Lord Byron cependant
+y répondit par un refus; cela surprit beaucoup le docteur Butler, et, à
+la première occasion, il lui en demanda le motif devant les autres
+élèves: «Aviez-vous quelque autre engagement?--Non, monsieur.--Mais vous
+aviez donc une raison, Lord Byron?--J'en avais.--Et laquelle?--Parce que
+(répliqua le jeune pair avec une fierté composée) s'il vous arrivait de
+passer dans mon voisinage tandis que je serais à Newsteadt, je ne
+songerais certainement pas à vous inviter à dîner; en conséquence, je ne
+dois pas accepter une pareille invitation de votre part.» En général
+l'idée qu'avaient de lui ses professeurs à Harrow était celle d'un
+enfant paresseux, qui ne voulait jamais rien apprendre; et si l'on fait
+attention à ses habitudes ordinaires, on avouera que cette réputation
+n'était pas dépourvue de fondement. Il est impossible de jeter les yeux
+sur les livres dont il se servait, et qui sont couverts de translations
+interlignées, sans être frappé de l'absence de son attention. Les mots
+grecs les plus ordinaires ont leur traduction anglaise barbouillée à
+leur côté, et cette circonstance prouve bien qu'il ne les connaissait
+pas assez pour les traduire de mémoire. Ainsi, dans son Xénophon, nous
+trouvons νεοι, <i>jeunes</i>, σωμασιν, <i>corps</i>, ανθρωποις τοις αγαθοις, <i>bons hommes</i>, etc., etc.; et même, dans les
+volumes de pièces grecques qu'il vendit en partant à la bibliothèque du
+collége, nous remarquons, entre autres exemples, le mot usuel χρυσος flanqué de son synonyme anglais (or).</p>
+
+<p>Mais quelque faibles que fussent ses progrès dans les matières purement
+scolastiques auxquelles nous consacrons en pure perte une si précieuse
+portion de la vie<a id="footnotetag39" name="footnotetag39"></a>
+<a href="#footnote39"><sup class="sml">39</sup></a>, il n'en montrait pas moins des dispositions
+merveilleuses pour tous les genres variés d'instruction qui ne sont
+utiles que dans le monde. Né avec un esprit trop scrutateur et trop
+vagabond pour être facilement emprisonné dans des limites déterminées,
+il s'attachait à des sujets qui déjà intéressaient ses goûts virils, et
+que ne pouvait comprendre l'esprit purement pédantesque d'une école;
+mais ses accès irréguliers et violens de travail, dans cette direction,
+donnaient à son intelligence une impulsion bien plus haute que celle de
+ses condisciples les plus laborieux. La liste qu'il a faite de tous les
+ouvrages divers dont il avait à la hâte, et de son propre choix, dévoré
+les pages, avant d'atteindre sa quinzième année, est tellement
+considérable, qu'on a de la peine à y ajouter foi; et elle présente une
+telle masse de recherches, qu'elle pourrait défier les plus vieux
+<i>helluones librorum</i>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote39"
+name="footnote39"><b>Note 39: </b></a><a href="#footnotetag39">
+(retour) </a> Il est déplorable de songer à la perte de tems que
+ l'on fait subir aux enfans dans la plupart des colléges, en
+ les occupant pendant six ou sept ans à apprendre seulement
+ des mots, et encore d'une manière fort imparfaite.
+ <span class="rig">(<span class="sc">Cowley</span>, <i>Essai</i>.)</span><br>
+
+<p> Si un Chinois entendait parler de notre système d'éducation,
+ ne supposerait-il pas que nous destinons tous nos jeunes gens
+ à professer des langues mortes dans les pays étrangers, et
+ non pas à faire jamais usage de la nôtre?
+ <span class="rig">(<span class="sc">Locke</span>, <i>sur l'Éducation</i>.)</span></p><br>
+</blockquote>
+
+<p>Il ne faut pourtant pas croire, d'après l'étendue et l'activité de son
+esprit, que Byron pût de lui-même choisir une direction privilégiée;
+quel que soit, en effet, le plan d'instruction d'un jeune homme de
+talent dans les grandes écoles et dans les universités d'Angleterre, il
+ne suppléera pas complètement à ce qui lui manque sous le rapport
+intellectuel, et pourra même l'exposer à des écarts embarrassans et
+dangereux<a id="footnotetag40" name="footnotetag40"></a>
+<a href="#footnote40"><sup class="sml">40</sup></a>. Dans la difficulté ou même l'impossibilité absolue qu'il
+trouvera à combiner l'acquisition des connaissances pratiques avec les
+études de l'antiquité qui lui sont nécessaires pour obtenir les honneurs
+scolastiques, il devra choisir ou de porter toute son attention et ses
+vœux vers ce dernier objet, et alors il n'aura aucune idée de tout ce
+qui doit lui servir le plus dans le monde; ou d'adopter comme Lord Byron
+et d'autres personnages distingués le système contraire, et consentir à
+passer à l'école pour un élève incapable et paresseux, afin de se
+préparer des moyens de supériorité dans le monde.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote40"
+name="footnote40"><b>Note 40: </b></a><a href="#footnotetag40">
+(retour) </a> Un excellent écolier peut quitter les bancs de
+ Westminster ou d'Eton dans une ignorance complète du train de
+ vie et de la conversation du monde anglais, vers la fin du
+ dix-huitième siècle.
+ <span class="rig">(<span class="sc">Gibbon</span>.)</span><br>
+</blockquote>
+
+<p>Les <i>souvenirs</i> inscrits par le jeune poète dans ses livres d'école
+peuvent nous permettre de croire que dans un âge si tendre il prévoyait
+déjà vaguement que tout ce qui se rapportait à lui deviendrait par la
+suite un objet d'intérêt et de curiosité. La date de son entrée à
+Harrow<a id="footnotetag41" name="footnotetag41"></a>
+<a href="#footnote41"><sup class="sml">41</sup></a>, le nom des enfans qui furent ses moniteurs, la liste des
+chefs de classe parmi ses condisciples sous le docteur Drury<a id="footnotetag42" name="footnotetag42"></a>
+<a href="#footnote42"><sup class="sml">42</sup></a>, tout y
+est noté avec la dernière minutie, et comme pour former des points de
+retour pour l'histoire de sa vie. Un exemple touchant suffira pour
+montrer qu'il lui arriva plus d'une fois de s'arrêter à ces idées. Nous
+trouvons sur la première page de ses <i>Scriptores græci</i> la suivante note
+écrite à la main: «George Gordon Byron, vendredi 26 juin, a. d. 1805,
+trois heures trois quarts de l'après-midi, classe de troisième, Calvert
+moniteur, Tem, Wildman à ma gauche et Long à ma droite.
+Harrow-la-Montagne.» Et sur la même feuille se trouve le commentaire
+suivant, écrit cinq ans plus tard:</p>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p class="i14"> <i>Eheu fugaces, Posthume! Posthume!</i></p>
+<p class="i14"> <i>Labuntur anni</i>.</p>
+</div></div>
+
+<p>B., 9 janvier 1809.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote41"
+name="footnote41"><b>Note 41: </b></a><a href="#footnotetag41">
+(retour) </a>
+ Byron, Harrow-la-Montagne, dans le Middlesex,
+ <i>alumnus scholæ lyonensis privus, in anno domini</i> 1801,
+ <i>Ellison duce</i>.
+
+<p> Moniteur en 1801: Ellison, Royston, Hunxman, Rashleigh,
+ Rokeby, Leigh.</p>
+</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote42"
+name="footnote42"><b>Note 42: </b></a><a href="#footnotetag42">
+(retour) </a>
+ Chefs de classe de Drury, 1804: Byron, Drury,
+ Sinclair, Clare, Bolder, Annesley, Calvert, Strong, Acland,
+ Gordon, Drummond.</blockquote>
+
+<p>«Des quatre personnes dont les noms sont ici mentionnés, l'une est
+morte, une autre est dans un climat lointain: tous sont séparés: il n'y
+a pas cinq ans qu'ils étaient ensemble réunis dans la même classe; et
+nul encore n'aurait atteint sa vingt et unième année.»</p>
+
+<p>Il passa les vacances de 1804<a id="footnotetag43" name="footnotetag43"></a>
+<a href="#footnote43"><sup class="sml">43</sup></a> avec sa mère à Southwell: Mrs. Byron
+était venue s'y fixer pendant l'été de cette année, en quittant
+Nottingham, et elle avait choisi pour demeure la maison appelée
+Burgage-Manor. On conserve encore à Southwell, sous la date du 8 août
+1804, une note dans laquelle on annonce que le jeu est retenu <i>par Mrs.
+et Lord Byron</i>. La personne à qui appartenait la maison qu'ils
+habitaient était un rentier possesseur d'une assez belle bibliothèque;
+et le premier soin du jeune poète, comme il nous l'apprend, fut de la
+retourner complètement aussitôt après son arrivée à Southwell. L'un des
+livres qui l'occupèrent et l'intéressèrent davantage fut, et on le
+croira sans peine, la <i>Vie de lord Herbert de Cherbury</i>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote43"
+name="footnote43"><b>Note 43: </b></a><a href="#footnotetag43">
+(retour) </a> Pendant l'une des vacances de Harrow, il demeura
+ quelque tems dans la maison de l'abbé de Rouffigny, dans
+ Took's court, avec l'intention d'y étudier la langue
+ française; mais, au dire de l'abbé, il avait peu de goût pour
+ cette étude, et, au grand dépit du révérend maître, il
+ passait presque tout son tems à faire des armes, à boxer,
+ etc.</blockquote>
+
+<p>Il entra au mois d'octobre 1805 au collége de la Trinité à Cambridge.
+Voici comme il décrit les sentimens qu'il éprouva en quittant sa chère
+Ida:</p>
+
+<p>«Mon entrée au collége me fit un effet singulier et pénible. D'abord
+j'étais tellement affligé de quitter Harrow, bien que le tems en fût
+arrivé (ayant alors dix-sept ans), que pendant le dernier quartier que
+j'y passai, j'employais les heures, consacrées au sommeil à compter les
+jours que j'avais encore à y rester. J'avais toujours <i>détesté</i> Harrow
+jusqu'aux dix-huit derniers mois, mais dès ce moment je l'aimai. En
+second lieu je souhaitais d'aller à Oxford et non à Cambridge;
+troisièmement je me trouvais tellement isolé dans ce nouveau monde que
+je faillis en perdre la tête. Mes camarades n'étaient pourtant pas
+insociables: au contraire, ils avaient de la bonté, de la bienveillance,
+un rang, de la fortune, et une gaîté bien autre que la mienne. Je me
+joignais à eux, je dînais, je soupais, etc., dans leur compagnie; mais
+je ne sais comment j'éprouvais un sentiment le plus pénible, le plus
+mortel de ma vie, en pensant que je n'étais plus un enfant.»</p>
+
+<p>Il fut sans doute quelque tems à Cambridge en proie à cette espèce
+d'isolement; mais il n'était pas dans sa nature de rester long-tems sans
+aimer quelque chose, et l'amitié qu'il forma bientôt avec le jeune
+Eddleston, qui avait deux ans de moins que lui, surpassa même en
+vivacité romanesque toutes ses autres liaisons de collége. Les
+dispositions musicales de cet enfant furent l'occasion de leur intimité.
+Il était alors un des choristes de Cambridge, bien que par la suite il
+ait suivi une profession mercantile. Cette disconvenance de leur
+position respective n'était pas sans charme pour Byron: elle flattait en
+même tems son orgueil et son bon naturel, et établissait entre eux des
+rapports mutuels de protection d'un côté, de reconnaissance et de
+dévouement de l'autre; seuls rapports qui, suivant Bacon, soient la base
+du peu d'amitié qui reste encore sur la terre. Ce fut sur un don que lui
+avait fait Eddleston qu'il écrivit ces vers, intitulés <i>la Cornaline</i>,
+qui étaient imprimés dans son premier volume resté inédit; en voici une
+stance:</p>
+
+
+<p> Quelques-uns souriant des liens qui nous unissent, m'ont
+ souvent reproché ma faiblesse; ce don léger a cependant le
+ plus grand prix à mes yeux, car, j'en suis sûr, je le tiens de
+ quelqu'un qui m'aime.</p>
+<br>
+
+<p>Une autre liaison moins vive, commencée à Harrow, et continuée pendant
+sa première année de Cambridge, est ainsi mentionnée dans l'un de ses
+<i>journaux</i>:</p>
+
+<p>«Que mes pensées sont étranges! La lecture du chant de Milton, <i>belle
+Salvina</i>, m'a ramené, je ne sais comment ou pourquoi, aux jours les plus
+heureux peut-être de ma vie (toujours exceptés, de tems en tems,
+certains dimanches des deux derniers étés de Harrow). Je me retrouvais à
+Cambridge avec Edward Noël et Long, qui fut plus tard dans les gardes:
+Long, après avoir servi avec honneur dans l'expédition de Copenhague
+(qui laisse encore vivre deux ou trois mille goujats gras et bien
+payés), fut noyé en 1809, pendant son passage à Lisbonne avec son
+régiment dans le <i>Saint-George</i>, qui fut heurté la nuit par un autre
+vaisseau de transport. Nous étions des nageurs rivaux, également
+passionnés pour les chevaux, la lecture et les festins. Nous avions été
+ensemble à Harrow, mais <i>là</i> du moins il n'était pas un esprit aussi
+intraitable que le mien; j'étais toujours alors le premier à la paume,
+dans les révoltes, les batailles, les parties, et tous les genres de
+désordres; il était, lui, beaucoup plus calme et mieux civilisé. Mais à
+Cambridge, soit que mon caractère s'adoucît ou que le sien prît plus de
+roideur, il est certain que nous devînmes grands amis. La description du
+siége de Sabrina me rappelle nos mutuels exploits de plongeur. Bien que
+le Cam n'offre pas une onde vraiment <i>transparente</i>, et que l'endroit où
+nous nous jetions eût quatorze pieds de profondeur, nous avions toujours
+soin, afin de mieux prouver nos avantages, de lancer avant nous des
+œufs, des pièces de vaisselle et même des shillings. Il y avait entre
+autres, et je m'en souviens bien, dans le lit de la rivière où nous nous
+baignions le plus ordinairement, une souche d'arbre autour de laquelle
+j'aimais à me glisser et à m'étonner comment diable je me trouvais là.</p>
+
+<p>«Le soir nous faisions de la musique, car il était musicien et savait
+tirer un égal parti de la flûte et du violoncelle. Je faisais partie de
+l'assistance et, si je ne me trompe, notre boisson de prédilection était
+alors de l'eau de soude. Le jour nous courions à cheval, nous nous
+baignions, nous causions, ou parfois prenions un livre. Je me rappelle
+l'avidité avec laquelle nous parcourûmes le nouvel in-quarto de Moore
+(en 1806); le soir nous le lisions ensemble. Nous ne fûmes réunis qu'un
+été. Long entra dans les gardes l'année que je passai à Nottingham, au
+sortir du collége. Son amitié, et de ma part un violent et cependant pur
+amour, étaient alors le roman de l'époque la plus romanesque de ma
+vie ....................................................................<br>
+........................................................................
+.....................................................................</p>
+
+<p>«Je me souviens qu'au printems de 1809 H***<a id="footnotetag44" name="footnotetag44"></a>
+<a href="#footnote44"><sup class="sml">44</sup></a> me plaisantait de la
+tristesse que m'avait causée la mort de Long, et s'amusait à faire des
+épigrammes sur son nom, qui prêtait aux jeux de mots, tels que <i>long,
+court</i>, etc.; mais il eut bien le tems de s'en repentir à trois ans de
+là, quand notre ami mutuel, et surtout le sien, Charles Matthews, se
+noya également, et qu'il put lui-même sentir combien mon affliction
+avait été légitime. Pour moi, je ne rétorquai pas ces piquans jeux de
+mots; je sentais trop tout ce que je perdais dans Matthews, et, ne
+l'eussé-je pas senti, j'aurais encore respecté sa douleur.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote44"
+name="footnote44"><b>Note 44: </b></a><a href="#footnotetag44">
+(retour) </a> Sans doute Hobhouse.</blockquote>
+
+<p>«Le père de Long m'écrivit pour m'engager à faire l'épitaphe de son
+fils: je le promis, mais je n'eus pas la force de la composer. Il était
+de ces êtres bons et aimables qui ne demeurent guère dans ce monde, doué
+de tous les talens et de tous les avantages qui pouvaient mieux le faire
+regretter. Cependant, quoique bon compagnon, il avait parfois d'étranges
+accès de mélancolie; je me souviens qu'un jour, allant chez son oncle,
+je l'accompagnai jusqu'à la porte, c'était dans le haut ou le bas
+Grosvenor ou Brook street, je ne sais plus lequel, mais c'était sûrement
+dans une rue qui faisait suite à quelque place: il me dit que la nuit
+d'auparavant il avait pris un pistolet sans savoir ou regarder s'il
+était ou non chargé, et qu'il l'avait dirigé contre sa tête, laissant au
+hasard le soin de décider s'il partirait ou non. La lettre qu'il
+m'écrivit en passant du collége aux gardes, était encore aussi
+mélancolique qu'on pouvait le supposer en pareil cas: mais son maintien
+naturel ne révélait rien d'une pareille disposition; il était doux et
+prévenant, il avait même un grand penchant pour la gaîté. Nous étions
+fort liés à Harrow, et mainte fois nous y sommes retournés de Londres
+pour nous mieux livrer à nos souvenirs de collége.»</p>
+
+<p>Ces mémoires affectueux sont extraits d'un journal qu'il tenait à
+Ravenne pendant sa résidence dans cette ville, en 1821. Les
+circonstances pendant lesquelles ils étaient consignés, doivent nous les
+rendre encore plus touchans et plus remarquables. Il habitait une terre
+étrangère; il était même en rapport avec des conspirateurs étrangers,
+dont il cachait dans sa maison les armes au moment où il écrivait.
+Cependant il lui était possible de s'éloigner ainsi des scènes qui
+l'entouraient, et de reporter ses pensées sur le tems ancien, sur les
+amitiés perdues de son enfance. Un anglais, M. Wathen, qui le vit dans
+l'une des villes d'Italie, ayant eu l'occasion de mentionner, en lui
+parlant, qu'il avait eu des rapports d'amitié avec Long, le noble poète,
+dès ce moment, lui prodigua les témoignages d'une affection marquée. Il
+lui parlait fréquemment de Long et de ses bonnes qualités, jusqu'à ce
+que des pleurs, qu'il ne pouvait arrêter, lui couvrissent le visage.</p>
+
+<p>Il rejoignit sa mère à Southwell, suivant son habitude, durant l'été de
+1806, et c'est alors qu'il forma dans une société rare, mais choisie,
+quelques liens d'intimité dont on chérit encore avec orgueil le
+souvenir. Si l'on excepte le court intervalle qu'il passa, comme nous
+l'avons vu, dans la société de miss Chaworth, ce ne fut qu'à Southwell
+qu'il eut jamais l'occasion de profiter de la douce influence de la
+conversation des femmes et de comprendre que la sphère véritable de
+leurs vertus c'est leur intérieur. Il fut admis dans le cercle de
+l'aimable et spirituelle famille Pigot comme s'il en eût fait partie, et
+le jeune poète ne trouva pas seulement dans le révérend John Becher<a id="footnotetag45" name="footnotetag45"></a>
+<a href="#footnote45"><sup class="sml">45</sup></a>
+un critique fin et judicieux, mais un ami sincère. Il eut encore une ou
+deux autres familles, comme les Leacroft, les Houson, près desquelles
+ses talens et la vivacité de son esprit furent toujours bienvenus; et la
+timidité orgueilleuse qui, pendant sa minorité, l'avait éloigné de toute
+relation avec les gentilshommes du voisinage, semble avoir disparu dans
+la petite et agréable société de Southwell. L'une de ses amies les plus
+intimes à cette époque m'a fourni les détails suivans, sur la manière
+dont elle fit sa connaissance:</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote45"
+name="footnote45"><b>Note 45: </b></a><a href="#footnotetag45">
+(retour) </a> Citoyen qui depuis s'est distingué d'une manière
+ honorable par ses plans philanthropiques sur l'important
+ objet de l'amélioration du sort des pauvres.</blockquote>
+
+<p>«La première fois que je le vis, ce fut à une réunion chez sa mère; et
+telle était sa timidité, qu'il fallut l'envoyer chercher trois fois
+avant de le décider à venir dans le salon, pour jouer avec les autres
+jeunes gens. C'était un enfant gras et embarrassé, portant les cheveux
+peignés sur le front, et ressemblant parfaitement à la miniature que sa
+mère avait fait peindre par M. de Chambruland. Le lendemain matin, Mrs.
+Byron l'ayant conduit chez nous, il conserva son extérieur timide et
+réservé. La conversation tomba sur Chettenham, les amusemens et le
+théâtre de cette ville, etc. Je rappelai que j'avais vu le rôle de
+Gabriel Lackbrain parfaitement bien rempli. Quand sa mère partit, il la
+suivit en nous faisant une grande inclination; pour moi, rappelant
+encore la pièce dont nous venions de parler, je lui dis: Bonjour,
+<i>Gaby</i>. Ces mots l'animèrent aussitôt, sa belle bouche s'ouvrit par un
+éclat de rire, toute sa retenue s'évanouit pour toujours; et quand sa
+mère lui répéta: Eh bien, Byron, êtes-vous prêt? il répondit que non,
+qu'elle pouvait s'en aller, et qu'il désirait rester un peu plus
+long-tems. À compter de là, il venait nous voir à toutes les heures du
+jour, et se considérait chez nous parfaitement comme chez lui.»</p>
+
+<p>C'est à cette dame que fut adressée la première lettre de lui qui soit
+tombée entre mes mains; il correspondait en même tems avec plusieurs de
+ses amis d'Harrow, avec lord Clare, lord Powerscourt, M. William Peel,
+M. William Bankes, et d'autres encore. Mais on prévoyait peu alors
+l'intérêt général qui se rattacherait un jour à ces lettres d'écoliers,
+et en conséquence, comme j'ai déjà eu l'occasion de m'en affliger, il
+n'en existe plus qu'un très-petit nombre. La lettre dont j'ai parlé, à
+son amie de Southwell, ne contient rien de remarquable; mais, peut-être,
+par cette raison-là même, mérite-t-elle d'être insérée, comme servant à
+montrer, par sa comparaison avec les suivantes, combien son esprit
+acquit rapidement de la confiance en lui-même. Il y a véritablement dans
+ses premiers manuscrits un charme pour les yeux de la curiosité, qu'ils
+perdent nécessairement dans leur forme imprimée; ils attestent
+évidemment une éducation peu suivie; l'écriture en est informe et
+enfantine; on trouve même, çà et là, de grosses fautes d'orthographe
+sous la plume de celui qui, quelques années plus tard, devait s'élancer
+comme l'un des géans de la littérature anglaise.</p>
+
+<br><br>
+<h3>LETTRE PREMIÈRE.</h3>
+
+<h4>À MISS ***.</h4>
+
+<p class="rig">Burgage-Manor, 29 août 1804.</p><br><br>
+
+<p>«J'ai reçu les armes, ma chère miss, et je vous remercie beaucoup de la
+peine que vous avez prise. Il est impossible que je puisse y trouver le
+moindre défaut. La vue des peintures me charme pour deux raisons: la
+première, parce qu'elles serviront à orner mes livres, et la seconde
+parce qu'elles me prouvent que <i>vous</i> ne m'avez pas encore entièrement
+<i>oublié</i>. Cependant je suis fâché que vous ne reveniez pas plus tôt.
+Voilà déjà un siècle que vous êtes partie. Peut-être partirai-je pour
+Londres avant que vous en sortiez, mais je ne l'espère pas. Vous ne
+pensez plus à mon cordon de montre, à ma bourse; je désire pourtant bien
+les avoir. Votre petite lettre me fut remise par Harry, au spectacle, où
+j'accompagnais miss L*** et le docteur S***, et je reviens à l'instant
+pour vous répondre avant de me coucher. Si je suis à Southwell quand
+vous y viendrez, et je désire sincèrement que ce soit bientôt, car je
+regrette beaucoup votre absence, je me fais une fête de vous entendre
+chanter mon air favori <i>la vierge de Lodi</i>. Ma mère se joint à moi pour
+vous prier de nous rappeler à l'affection de Mrs. Pigot, et croyez-moi,
+ma chère miss, votre affectionné ami:<span class="rig">
+BYRON.</span><br></p>
+
+<p>«<i>P. S.</i> Si vous jugiez à propos de me répondre, je m'estimerais
+extrêmement heureux. Adieu.</p>
+
+<p>«2e <i>P. S.</i> Comme vous êtes, dites-vous, novice dans l'art de tricoter,
+j'espère que vous ne vous en occupez guère; allez lentement, mais
+sûrement. Adieu encore une fois.»</p>
+
+<p>Nous aurons souvent occasion de remarquer la constance que Lord Byron,
+d'ailleurs si versatile, manifesta toujours dans les goûts et les
+habitudes de sa jeunesse. La lettre que nous venons de citer rappelle
+deux de ses habitudes, qu'il conserva toute sa vie; savoir, son
+exactitude à répondre sur-le-champ aux lettres qu'il recevait, et sa
+passion pour la musique des plus simples ballades. L'un des chants qu'il
+avait alors le bon goût d'aimer le mieux était celui de <i>la Duenna</i>; et
+quelques-uns de ses contemporains de Harrow se rappellent encore la
+gaîté avec laquelle, lorsqu'il dînait au milieu de ses amis chez la
+fameuse mère Barnard, il entonnait ordinairement: <i>Ce vin est le soleil
+de notre table</i>. Son séjour à Southwell, pendant cet été, fut
+interrompu, vers le commencement d'août, par l'un de ces emportemens
+auxquels, dès son berceau, Mrs. Byron ne l'avait que trop accoutumé, et
+que lui-même, par son esprit intraitable, contribuait souvent à faire
+éclater. Dans les portraits qu'il trace de lui-même, le pinceau qu'il
+emploie est si noir qu'il faut, dans la suivante description de son
+caractère, extraite de ses <i>Mémoires</i>, faire une large part à
+l'exagération, comme l'exige son usage de <i>surcharger les ombres
+elles-mêmes</i>.</p>
+
+<p>«Du reste (il vient de mentionner son amour précoce pour Marie Duff), je
+ne différais en rien des autres enfans: je n'étais ni grand, ni petit;
+ni lourd, ni sémillant: j'étais de mon âge; ordinairement fort enjoué,
+excepté dans mes humeurs noires, car alors j'étais un vrai démon. Un
+jour, dans l'une de mes <i>rages silencieuses</i>, il fallut m'ôter un
+couteau que j'avais pris sur la table, pendant le dîner de Mrs. Byron
+(je dînais toujours avant elle), et dont j'allais me frapper la tête.
+Mais c'était à trois ou quatre ans de là, et peu de jours avant la mort
+du dernier lord Byron.</p>
+
+<p>«Mon naturel apparent a certainement gagné dans ces derniers tems; mais
+je frémis, et je regretterai jusqu'à ma dernière heure les conséquences
+funestes de ma violence et de mes passions. Un événement... mais peu
+importe... il en est d'autres auxquels il ne vaut guère mieux s'arrêter,
+et que pourtant je ferai connaître de préférence.</p>
+
+<p>«Mais je n'aime pas les parenthèses: mon naturel est maintenant plus
+retenu, rarement brusque; et quand il l'est, les suites n'en sont pas
+mortelles. C'est quand je me tais, et que je sens <i>pâlir</i> mon front et
+mes joues, que je ne me connais plus; et alors.... mais, à moins qu'il
+n'y ait sur le tapis une femme (je ne dis pas quelque, ou toutes
+femmes), je ne sors pas d'une apathie très-supportable.»</p>
+
+<p>On conçoit qu'avec un caractère de ce genre et les accès violens de Mrs.
+Byron, le choc devait être formidable. L'âge auquel était parvenu notre
+poète, alors que l'impatience du frein s'empare de la jeunesse, devait
+rendre ces occasions plus fréquentes. On rapporte comme une preuve de la
+conviction qu'ils avaient de leur mutuelle violence, qu'un jour, s'étant
+quittés à la suite d'une scène du même genre, on sut que tous deux
+s'étaient rendus en particulier, le soir même, chez l'apothicaire,
+demandant, avec une inquiétude alternative, si l'autre n'avait pas
+acheté du poison, et avertissant le droguiste de ne pas en donner dans
+le cas où il se présenterait.</p>
+
+<p>Toutefois le jeune Lord prenait rarement une part active dans ces
+orages. Aux éclats de sa mère il opposait un silence poli, et, par cela
+même, provocateur; s'inclinant avec l'apparence du plus profond respect
+à mesure que la voix maternelle augmentait d'intensité. Mais en général,
+quand il prévoyait une tempête, il cherchait son salut dans la fuite; et
+c'est à ce dernier expédient qu'il avait eu recours à l'époque où nous
+sommes arrivés. Mais auparavant une scène avait eu lieu entre lui et
+Mrs. Byron, dans laquelle la violence de cette dernière l'avait portée à
+des extrémités qui, malgré leur outrageuse inconvenance, n'étaient pas
+rares avec elle. Le poète Young, décrivant un caractère de cette espèce,
+dit:</p>
+
+
+<p>«Les tasses et les soucoupes tourbillonnent dans l'air, pour
+ avertir que la dame est mécontente.»</p>
+
+
+<p>En pareil cas, Mrs. Byron préférait les pelles et pincettes, et plus
+d'une fois elle les lança bruyamment sur son enfant fugitif. Cette
+dernière fois, il n'eut que le tems d'éviter l'atteinte de la première
+de ces armes, et de se réfugier à la hâte chez un de ses amis dans le
+voisinage; là, ayant concerté le plus sûr moyen de déjouer les
+poursuites, il ne tarda pas à s'enfuir à Londres. Les lettres que je
+vais transcrire furent adressées, immédiatement après son arrivée, à
+quelques amis de Southwell, dont la bienveillante intervention, dans
+cette circonstance, nous permet de croire qu'il n'avait pas à se
+reprocher les torts de cet esclandre. La première est adressée à M.
+Pigot, jeune homme de son âge, qui venait d'arriver, à l'occasion des
+vacances, d'Édimbourg, où il suivait alors ses études médicales.</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE II.</h3>
+
+<h4>À M. PIGOT.</h4>
+
+<p class="rig">Piccadilly, 9 août 1806.</p><br><br>
+
+<p><span class="sc">«Mon cher Pigot</span>,</p>
+
+
+<p>«Mille remercîmens pour votre piquant récit des derniers procédés de mon
+<i>aimable Alecto</i>, qui maintenant enfin commence à voir les suites de sa
+folie. Je viens de recevoir une épître pénitentiaire, à laquelle j'ai
+répondu modérément, avec une sorte de promesse de revenir dans une
+quinzaine: ce que toutefois, entre nous, je ne compte pas faire. Son
+<i>charmant ramage</i> doit avoir ravi ses auditeurs; car ses hautes notes
+sont parfaitement musicales: elles doivent faire un très-bel effet
+pendant un beau clair de lune. Si j'avais été l'un des spectateurs, rien
+ne m'aurait fait plus de plaisir; mais figurer dans la pièce comme l'un
+des acteurs, saint Dominique m'en préserve! Sérieusement, j'ai de
+grandes obligations à votre mère; et vous, ainsi que toute votre
+famille, méritez tous mes remercîmens pour avoir si bien contribué à mon
+évasion des mains de Mrs. Byron <i>furiosa</i>.</p>
+
+<p>«Oh! que n'ai-je la plume d'Arioste pour reproduire en style d'épopée
+les <i>cris</i> de cette <i>terrible soirée</i>, ou plutôt laissez-moi invoquer
+l'ombre du Dante, car il n'y a que l'auteur de l'enfer qui puisse
+convenablement répondre à un tel projet. Mais peut-être, à défaut de la
+plume, pouvons-nous recourir au pinceau. Quel groupe! Mrs. Byron, figure
+principale; vous, emplissant vos oreilles de coton comme le seul remède
+à une surdité totale; Mrs. *** s'efforçant vainement de calmer la rage
+de la lionne privée de son nourrisson, et enfin Élisabeth et Wousky,
+prodigieux à raconter! tous deux spoliés de leur partie de langue, et
+formant le dernier plan avec leur muette surprise. Comment S. B. a-t-il
+appris tout cela? Quelles <i>pointes</i> il a dû faire sur un aussi bouffon
+sujet! Apprenez-moi tout cela dans votre suivante, et comment vous vous
+êtes excusé auprès de A. Sans doute vous êtes maintenant las de
+déchiffrer mes caractères hiéroglyphiques, et comme Tony Lumpkil<a id="footnotetag46" name="footnotetag46"></a>
+<a href="#footnote46"><sup class="sml">46</sup></a>,
+vous me traitez de main maudite et sautillante. Je ne doute pas que tout
+Southwell ne soit scandalisé. À propos, comment va ma nonne aux yeux
+bleus, la belle ***? Est-elle <i>enveloppée dans la noire tunique de la
+douleur</i>? Je resterai ici au moins huit à dix jours, vous recevrez mon
+adresse avant mon départ; mais je ne sais encore laquelle. Il faut que
+Mrs. Byron ignore ma retraite; vous pouvez lui offrir mes complimens et
+lui protester que toutes poursuites seraient inutiles, attendu que je me
+suis mis en mesure de gagner Portsmouth à la première nouvelle de son
+départ de Southwell. Vous pouvez ajouter que je suis maintenant à la
+campagne, chez un ami, où je resterai une quinzaine.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote46"
+name="footnote46"><b>Note 46: </b></a><a href="#footnotetag46">
+(retour) </a> Dans la comédie de la Coquette (<i>She stoops to
+ Conquer</i>.)</blockquote>
+
+<p>«Je viens de barbouiller (je ne dis pas écrire) une feuille de papier
+double, et j'attends en réponse un <i>énorme budget</i>. Sans doute les dames
+de Southwell condamnent l'exemple dangereux que j'ai donné; elles
+tremblent que leurs bambins ne leur obéissent plus et ne quittent au
+moindre dépit leurs tendres mamans. Adieu. Quand vous commencerez vos
+lettres, rayez, s'il vous plaît, la <i>seigneurie</i>, et mettez à la place
+Byron. Croyez-moi votre, etc.»<span class="rig">
+BYRON.</span><br></p>
+
+<p>On va voir par la lettre suivante que la <i>lionne</i> n'était pas en arrière
+de son fils pour l'énergie et la résolution, et qu'aussitôt après la
+fuite de ce dernier elle avait envoyé après lui.</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE III.</h3>
+
+<h4>À MISS PIGOT.</h4>
+
+<p class="rig">Londres, 10 août 1806.</p><br><br>
+
+<p><span class="sc">Ma chère Brigitte</span>,</p>
+
+<p>«J'ai déjà ennuyé votre frère de plus de griffonnage qu'il n'en pourra
+déchiffrer; c'est à vous maintenant que je donne la pénible charge de
+parcourir cette deuxième épître. Vous avez vu par la première, que je
+n'avais pas, en l'écrivant, la moindre fâcheuse idée de l'arrivée de
+Mrs. Byron; il n'en est plus de même: la vue d'un billet de la <i>cause
+illustre</i> de mon <i>décampement soudain</i> vient d'enlever <i>le rubis naturel
+de mes joues</i>, et de blanchir subitement ma déplorable figure. Le
+foudroyant avis de son arrivée (maudite soit son activité!) est
+cependant moins terrible que vous ne l'imaginez, sans doute, du
+tempérament volcanique de sa <i>seigneurie</i>. Il se termine par l'assurance
+flatteuse de l'impossibilité dans laquelle elle se trouve de faire
+présentement un pas, grâce à la fatigue du voyage, aux mauvaises routes,
+mille fois bénies, et aux quadrupèdes rétifs de la poste royale. Comme
+je ne me sens aucun entraînement à recevoir la chasse en plaine, je
+ferai de nécessité vertu; et puisque, semblable à Macbeth, <i>ils mont lié
+au poteau, je ne puis fuir</i>, j'imiterai ce courageux tyran, et, comme
+l'ours, je combattrai de pied ferme. Je puis à présent engager la lutte
+avec moins de désavantage, ayant tiré l'ennemi de ses retranchemens,
+bien qu'au hasard de me faire casser la tête, comme le modèle auquel je
+viens de me comparer. Quoi qu'il en soit, <i>frappe, Macduff, et maudit
+qui le premier criera: Assez!</i></p>
+
+<p>»Je resterai dans la ville encore au moins une semaine, et j'espère
+avant ce tems recevoir de vos nouvelles. Je suppose que l'imprimeur vous
+a donné les résultats de ma <i>Métromanie</i>. Ayez soin de lire au premier
+vers: «Les vents soufflent <i>longuement</i>,» au lieu de <i>rondement</i>, comme
+l'a copié, par méprise, ce butor de Ridge, ce qui rend absurde toute la
+strophe. <i>Addio</i>. Maintenant je vais me préparer au choc de mon <i>Hydre</i>.</p>
+
+<p>»Tout à vous.»</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE IV.</h3>
+
+<h4>À M. PIGOT.</h4>
+
+<p class="rig">Londres, dimanche à minuit, 10 août 1806.</p><br><br>
+
+<p><span class="sc">Cher Pigot</span>,</p>
+
+<p>«Cet effrayant paquet va sans doute vous épouvanter; mais ce soir ayant
+une heure de loisir, je l'ai employé à écrire les stances ci-incluses,
+que je vous prie d'envoyer à Ridge pour qu'il les imprime <i>à part</i> de
+mes autres poèmes; car vous sentirez qu'il serait inconvenant de les
+offrir aux dames, et que par conséquent aucune femme ne doit les voir
+dans votre famille. Mille pardons de la peine que je vous donne cette
+fois-ci et tant d'autres.</p>
+
+<p>»Votre dévoué.»</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE V.</h3>
+
+<h4>À M. PIGOT.</h4>
+
+<p class="rig">Piccadilly, 16 août 1806.</p><br><br>
+
+<p>«Je ne puis pas dire précisément comme César, <i>veni, vidi, vici</i>:
+pourtant je pourrais m'appliquer la part la plus importante de sa lettre
+laconique; car bien que Mrs. Byron ait prit la peine de <i>venir</i> et de
+voir, votre humble serviteur a vaincu. Après un engagement sérieux de
+quelques heures, dans lequel la vivacité du feu de l'ennemi nous a fait
+éprouver une perte considérable, nous avons fini par l'obliger à se
+retirer en désordre, abandonnant son artillerie, son train et quelques
+prisonniers: cette victoire est décisive pour la campagne actuelle.
+Parlons maintenant plus clairement: Mrs. Byron va repartir, mais je me
+dirige moi-même, avec tous mes lauriers, vers Worthing, sur la côte de
+Sussex; et c'est là que vous m'adresserez (poste restante) votre
+première lettre. Le deuxième carillon de vers que j'enferme sous cette
+enveloppe vous donnera sans doute une haute idée des vertus prolifiques
+de ma muse; mais il y a plusieurs années que je les ai composés, et
+c'est par hasard que je les ai retrouvés mardi, au milieu de vieux
+papiers. Je les ai aussitôt recopiés, avec la date qui leur appartient,
+et je désire qu'on les imprime avec le reste de la famille. Je
+m'attendais bien à vous voir, sur les derniers venus, les mêmes
+sentimens que moi; mais comme les <i>faits</i> étaient réels, il était
+impossible de rien changer à leur allure. Je ne resterai pas à Worthing
+plus de trois semaines, et il serait possible que vous me vissiez à
+Southwell vers le milieu de septembre..............................
+....................................................<br>
+.............................................................................................................................................................</p>
+
+<p>»Voulez-vous prier Ridge de suspendre l'impression de mes poésies
+jusqu'à nouvel avis de ma part? j'ai résolu de leur donner une forme
+entièrement nouvelle: cette suspension ne regarde pas les deux dernières
+pièces que j'ai jointes à mes lettres pour vous. Excusez le vide de
+cette lettre, ma tête est dans ce moment-ci un chaos d'idées absurdes,
+d'affaires, de plans et de préparatifs.</p>
+
+<p>»J'attends une réponse avec impatience; rien, dans ce moment, veuillez
+le croire, ne me ferait plus de plaisir qu'une lettre de vous.»</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE VI.</h3>
+
+<h4>À M. PIGOT.</h4>
+
+<p class="rig">Londres, 18 août 1806.</p><br><br>
+
+<p>«Je suis précisément sur le point de partir pour Worthing, et je vous
+écris uniquement pour vous prier de faire partir sur-le-champ ce
+paresseux drôle de Charles avec mes chevaux. Dites-lui que je suis fort
+mécontent de ne l'avoir pas encore vu, ni reçu avis de la cause de son
+retard, surtout lui ayant fourni l'argent nécessaire pour son voyage.
+Qu'il ait soin de ne pas remettre d'un jour son départ, sous aucun
+prétexte; et, si pour obéir aux <i>caprices</i> de Mrs. Byron (qui, je le
+présume, continue toujours à tourmenter sa petite monarchie), il jugeait
+à propos de ne pas suivre mes ordres positifs, il ne doit plus à
+l'avenir se considérer comme à mon service. Il m'apportera la note du
+chirurgien, et je l'acquitterai dès que je l'aurai reçue. Je ne puis non
+plus concevoir qu'il n'ait pas averti Frank du triste état de mes
+chevaux. Cher Pigot, pardonnez-moi ces brusques confidences, vous devez
+les attribuer à la mauvaise conduite de ce <i>précieux maraud</i>, qui, au
+lieu de suivre mes ordres, promène sa paresse dans les rues de ce
+pandémonium politique, Nottingham. Rappelez-moi à votre famille et aux
+Leacroft, et croyez-moi, etc.</p>
+
+<p>»<i>P. S.</i> Je vous charge du soin désagréable de presser son voyage, en
+dépit même des ordres de Mrs. Byron: il devra d'abord se rendre à
+Londres, et de là à Worthing, sans retard: C'est à Londres qu'il faut
+envoyer tout ce que j'ai laissé; vous y adresserez également mes
+poésies, sans même en réserver une copie pour vous et votre sœur,
+attendu que je veux leur donner une tout autre forme. Quand elles seront
+prêtes, vous en aurez les prémices. Il ne faut pas, sous aucun prétexte,
+que Mrs. Byron les <i>voie</i> ou les touche. Adieu.»</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE VII.</h3>
+
+<h4>À M. PIGOT.</h4>
+
+<p class="rig">Little-Hampton, 26 août 1806.</p><br><br>
+
+<p>«J'ai reçu ce matin votre lettre, qu'il m'a fallu envoyer chercher à
+Worthing, que je viens de quitter pour cet endroit, situé à huit milles
+du premier, et sur la même côte. Vous serez sans doute content de
+recevoir cette lettre, quand vous y aurez vu que je suis plus riche de
+trente mille livres qu'à notre départ: je viens de recevoir de mon
+avocat l'avis du gain d'une cause aux assises de Lancastre<a id="footnotetag47" name="footnotetag47"></a>
+<a href="#footnote47"><sup class="sml">47</sup></a>, par
+lequel je me trouve gratifié de cette somme pour le tems de ma majorité.
+Mrs. Byron est, sans doute, instruite de ce surcroît de propriété, mais
+elle n'en connaît pas la <i>valeur</i> exacte, et il serait bon qu'elle
+continuât à l'ignorer, car sa conduite, dès qu'elle reçoit quelque
+nouvelle favorable, est, s'il est possible, plus ridicule que sa
+détestable habitude de s'affecter des plus légers contre-tems. Vous lui
+ferez mes complimens, et lui direz qu'une seule chose peut prolonger mon
+absence, c'est l'arrêt qu'elle a mis sur les effets de mon domestique: à
+moins qu'elle ne les fasse immédiatement partir pour Piccadilly, avec
+ceux qui m'appartiennent, et qu'elle a si long-tems retenus, elle ne
+verra pas de sitôt ma radieuse figure illuminer son obscure demeure;
+mais si elle les envoie, je reviendrai probablement avant deux ans, à
+partir de la date de cette épître.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote47"
+name="footnote47"><b>Note 47: </b></a><a href="#footnotetag47">
+(retour) </a> Dans un procès entrepris pour rentrer dans la
+ propriété de Rochdale.</blockquote>
+
+<p>«Votre compliment poétique est une précieuse récompense de mes préludes;
+vous êtes du petit nombre des favoris d'Apollon qui cultivent toutes les
+sciences auxquelles préside votre divinité. Je désire que vous adressiez
+de suite mes poésies à mon hôtel, à Londres; j'y veux faire plusieurs
+changemens et quelques additions: il faut envoyer toutes les copies que
+vous en aurez; décidé, comme je suis, à perfectionner le tout, et à vous
+les représenter dans toute leur gloire. Vous les avez, je l'espère,
+retirées des mains de ce <i>triple Upas</i>, de cet antipode des arts, Mrs.
+Byron. Entre nous, vous pouvez compter me voir bientôt. Adieu. Tout à
+vous.»</p>
+
+<p>On peut voir par ces lettres que Lord Byron songeait déjà à préparer
+l'impression de ses poésies. L'idée de les publier s'offrit à lui, pour
+la première fois, dans une maisonnette qu'il avait adoptée pour demeure
+pendant ses visites à Southwell. Miss Pigot, qui auparavant ignorait son
+goût pour la versification, lisait un jour devant lui les poésies de
+Burns; tout-à-coup le jeune Byron lui dit que lui aussi était parfois
+poète, et qu'il allait lui écrire quelques vers de ceux qu'il pouvait se
+rappeler. Aussitôt il écrivit au crayon ceux qui commencent par
+<i>j'espérais vivement être uni à toi</i>, qui se trouvent imprimés, mais
+seulement dans le volume qui n'a pas été publié; il lui récita encore
+les vers dont j'ai déjà parlé, <i>dans la salle, quand la voix de mes
+pères</i>, etc., pièce si remarquable par la prédiction qu'elle contient de
+son illustration future.</p>
+
+<p>Depuis ce moment; il fut tout au désir de se voir imprimé; cependant son
+ambition se bornait encore à faire circuler parmi ses amis un petit
+volume. Celui qui eut l'honneur de recevoir son premier manuscrit fut
+Ridge, libraire à Newark; et, durant l'impression, le jeune auteur
+continuait à lui envoyer de nouvelles pièces avec tout l'empressement et
+toute la rapidité qu'il mit toujours dans ses autres compositions.</p>
+
+<p>Il ne fut pas long-tems sans revenir à Southwell, comme il l'avait
+annoncé dans la dernière lettre que nous avons donnée; il en repartit
+encore au bout d'une ou deux semaines, pour accompagner son jeune ami
+Pigot jusqu'à Harrowgate. Nous empruntons les extraits suivans à une
+lettre écrite dans le même tems, par ce dernier, à sa sœur. «Il y a
+encore beaucoup de monde à Harrowgate, aujourd'hui vendredi; nous avons
+un bal, je songe à y paraître pendant une heure, bien que je ne sois
+guère curieux de figures inconnues. Lord Byron, vous le savez, est
+encore plus timide que moi; cependant je ferai ce soir un effort...
+Comment vont nos rôles de théâtre? Lord Byron sait tout le sien, et moi
+la plus grande partie du mien: il est certain qu'il le joue d'une
+manière inimitable; il <i>poétise</i> en ce moment, et depuis que nous sommes
+arrivés il a fait quelques vers vraiment jolis<a id="footnotetag48" name="footnotetag48"></a>
+<a href="#footnote48"><sup class="sml">48</sup></a>. Il a la bonté de
+tout faire pour m'amuser autant que possible, mais il n'est pas dans mon
+naturel d'être heureux hors de la société des femmes ou de l'étude... Il
+y a dans les environs plusieurs promenades agréables; je les ai
+parcourues avec Boatswain, qui fait, ainsi que Brighton<a id="footnotetag49" name="footnotetag49"></a>
+<a href="#footnote49"><sup class="sml">49</sup></a>,
+l'admiration universelle. Vous lirez cela à Mrs. Byron, car c'est un peu
+dans le style de <i>Tony Lumpkin</i>. Lord Byron veut que je lui garde un peu
+de place; c'est pourquoi, croyez-moi avec le respect dû à tous les
+comédiens élus, etc., etc.»</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote48"
+name="footnote48"><b>Note 48: </b></a><a href="#footnotetag48">
+(retour) </a> La pièce <i>à une belle Quaker</i>, de son premier
+ volume, fut écrite à Harrowgate.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote49"
+name="footnote49"><b>Note 49: </b></a><a href="#footnotetag49">
+(retour) </a> Cheval de Lord Byron; il en avait encore un autre
+ alors appelé Sultan.</blockquote>
+
+<p>À cette note étaient joints les mots suivans de Lord Byron.</p>
+
+<p>«<span class="sc">Ma chère Brigitte</span>,</p>
+
+<p>«Je descends un instant de mon Pégase, ce qui m'empêche d'avoir
+long-tems recours à la vile prose dans l'épître que j'adresse à votre
+<i>beauté</i>. Vous regrettez, dans une lettre précédente, que mes poésies ne
+soient pas plus étendues; je vous apprends donc, pour votre
+satisfaction, qu'elles sont maintenant presque doublées, soit par la
+découverte de quelques pièces regardées comme perdues, soit par l'effet
+de nouvelles inspirations. Nous nous reverrons mercredi prochain;
+jusqu'alors, croyez-moi votre affectionné,<br><span class="rig">
+BYRON.</span></p><br>
+
+<p>»<i>P. S.</i> Votre frère Jean est possédé d'une manie poétique, il rime
+maintenant à raison de trois lignes par heure; ce que c'est que
+l'inspiration! Adieu.»</p>
+
+<p>Grâce à la personne qui était alors le compagnon, l'ami intime de Lord
+Byron, et qui maintenant exerce sa profession avec tout le succès que
+méritent ses talens distingués, j'ai été initié dans quelques autres
+particularités de leur commune visite à Harrowgate: on me permettra
+d'employer, pour en faire part, ses propres expressions:</p>
+
+<p>«Vous me demandez de rappeler quelques anecdotes du tems que nous
+passâmes ensemble à Harrowgate, pendant l'été de 1806, et à notre retour
+du collége, lui de Cambridge, moi d'Édimbourg; mais tant d'années se
+sont écoulées depuis, que je n'entrevois plus ce voyage que comme un
+songe lointain. Nous partîmes, je m'en souviens bien, dans la voiture de
+Lord Byron, traînée par des chevaux de poste: il avait fait partir son
+<i>groom</i> avec deux chevaux de selle et un superbe et féroce boul-dogue
+appelé Nelson. Quant à Boatswain<a id="footnotetag50" name="footnotetag50"></a>
+<a href="#footnote50"><sup class="sml">50</sup></a>, il nous suivait, à côté de Frank,
+sur le coffre de la voiture. Le boul-dogue Nelson portait une muselière;
+mais cependant quelquefois il entrait dans notre appartement sans cette
+précaution, à mon grand ennui, bien que lui et son maître fussent
+enchantés de mettre tout en désordre dans la salle. Il y avait toujours
+un fonds de jalousie haineuse entre ce Nelson et Boatswain; et chaque
+fois que celui-ci rencontrait l'autre dans la chambre, ils en venaient
+aussitôt aux prises. Alors Byron, moi-même, Frank et tous ceux qui se
+trouvaient là, travaillions de toutes nos forces à les séparer: ce que
+nous n'obtenions guère qu'en leur jetant dans la gueule la pelle et les
+pincettes. Mais un jour Nelson s'échappa par malheur de la salle,
+démuselé; il s'élança dans l'écurie, se jeta au cou d'un cheval, et ce
+fut inutilement qu'on voulut lui faire lâcher prise. Les valets
+d'écurie, alarmés, coururent chercher Frank, qui prenant un pistolet de
+Wogdon, que son maître tenait toujours chargé dans sa chambre, le tira
+dans la tête du pauvre Nelson. Lord Byron en eut le plus grand regret.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote50"
+name="footnote50"><b>Note 50: </b></a><a href="#footnotetag50">
+(retour) </a> Chien favori pour lequel Lord Byron fit dans la
+ suite la fameuse épitaphe.</blockquote>
+
+<p>«Nous habitions l'<i>hôtel de la Couronne</i>, au bas de Harrowgate. Nous
+dînions toujours dans la salle commune, mais aussitôt après nous nous
+retirions, car Byron n'aimait guère à boire plus que moi. Nous vivions
+retirés et faisions peu de connaissances, car il était <i>vraiment</i>
+timide, ce qu'on prenait pour de l'orgueil quand on ne le connaissait
+pas. Nous rencontrâmes par hasard le professeur Hailstone de Cambridge,
+ce qui parut lui faire grand plaisir. Le professeur habitait le haut
+Harrowgate; nous allâmes le prendre un soir pour aller au spectacle, et
+une autre fois Lord Byron lui envoya son équipage pour le conduire à un
+certain bal de Granby. Cet empressement à faire un accueil à l'un de ses
+professeurs prouve, en dépit de son penchant à critiquer l'éducation
+universitaire et à exagérer les défauts de la vieille discipline à
+laquelle on soumet les sous-gradués, qu'il avait cependant l'habitude de
+témoigner son respect aux personnes qui l'exerçaient. Je l'ai toujours
+entendu parler avec les plus grands éloges de Hailstone, aussi bien que
+de Bishop, Mansel du collége de la Trinité, et d'autres encore dont j'ai
+oublié le nom.</p>
+
+<p>»Peu de gens appréciaient Lord Byron, mais je sais que son cœur était
+naturellement bienveillant et sensible, et qu'il n'avait pas le plus
+petit mélange de méchanceté dans le caractère<a id="footnotetag51" name="footnotetag51"></a>
+<a href="#footnote51"><sup class="sml">51</sup></a>.»</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote51"
+name="footnote51"><b>Note 51: </b></a><a href="#footnotetag51">
+(retour) </a> Lord Byron et le docteur Pigot s'écrivirent encore
+ pendant quelque tems, mais ils ne se virent plus jamais à
+ compter de leur départ de Harrowgate, l'automne suivant.</blockquote>
+
+<p>On voit, par ses lettres de Harrowgate, qu'il songeait à organiser un
+théâtre; il s'en occupa aussitôt après son retour à Southwell, et ce fut
+pour lui une source infinie de plaisirs. On peut juger, par le fragment
+d'une lettre adressée à son compagnon, avec quelle impatience toutes les
+personnes chargées d'un rôle attendaient son retour:</p>
+
+<p>«Dites à Lord Byron, si quelque accident retardait son retour, que sa
+mère souhaite qu'il lui écrive; et combien elle serait malheureuse s'il
+ne se montrait pas au jour fixé. M. Wil. Banks a écrit à Mrs. H. pour
+lui offrir le rôle de <i>Henry Woodville</i>. M. et Mrs. *** n'approuvent pas
+que leur fils soit l'un des acteurs; mais je crois qu'il ne persistera
+pas moins. M. G. W. dit que, pour ne pas faire manquer la partie, il
+prendrait plutôt, pour nous obliger, un emploi, comme de chanter, de
+danser, ou enfin quelque autre chose. Il n'y a rien à faire jusqu'au
+retour de Lord Byron, et réellement il ne faut pas qu'il revienne plus
+tard que mercredi ou jeudi.»</p>
+
+<p>Nous avons déjà vu qu'à Harrow, le seul point qui le distinguât de ses
+condisciples était son talent pour la déclamation. Il revient avec une
+évidente satisfaction sur ses succès de collége et sur la part qu'il
+prenait à ces représentations de Southwell:</p>
+
+<p>«J'étais, dans ma jeunesse, considéré comme un bon acteur, outre les
+exercices de Harrow, dans lesquels je brillais. Je remplis, en 1806,
+pendant trois soirées consécutives, sur quelques théâtres particuliers
+de Southwell, le rôle de Penruddock, dans <i>la Roue de Fortune</i>, et celui
+de Tristram Fickle dans la farce de <i>la Girouette</i>, par Allingham. J'y
+recueillis les plus vifs applaudissemens. Le prologue, fait à l'occasion
+de notre réunion comique, était de ma composition. Quant aux autres
+acteurs, c'étaient de jeunes dames et des personnes du voisinage. Notre
+auditoire bienveillant parut complètement satisfait de nous.»</p>
+
+<p>Peut-être ici ne sera-t-il pas inutile de remarquer qu'en remplissant
+deux rôles opposés avec un égal succès, le jeune poète développait
+dès-lors cet amour et cette puissance de contraste qui, plus tard, le
+signalèrent dans le monde et sur un plus grand théâtre sous des aspects
+si divers. La morosité de Penruddock et la causticité de Tristram sont
+en effet deux types auxquels semblent se rapporter toutes les
+singularités de son caractère postérieur.</p>
+
+<p>Ces représentations forment une ère mémorable à Southwell; elles eurent
+lieu sur la fin de septembre, dans la maison de M. Leacroft, dont
+l'antichambre fut, pour cet effet, transformée en salle de spectacle, et
+dont la famille remplissait quelques-uns des plus beaux rôles. Le
+prologue, que l'on peut lire dans ses <i>Heures d'oisiveté</i>, fut composé
+par Lord Byron, en voiture et sur la route d'Harrowgate. En montant dans
+la chaise, à Chesterfield, il dit à son compagnon de voyage: «Pigot, je
+vais tramer un prologue pour notre représentation,» et avant de gagner
+Mansfield il avait achevé son travail, n'ayant qu'une seule fois
+interrompu sa versifiante rêverie pour demander la prononciation précise
+du mot français <i>début</i>; quand on la lui dit, il s'écria avec
+l'enthousiasme de Byshe: «Bien! ce sera pour rimer avec <i>new</i>.»</p>
+
+<p>L'épilogue fut dans cette occasion composé par M. Becher; c'était, pour
+donner à Lord Byron l'occasion de développer ses talens comiques, une
+réunion de gais portraits de toutes les personnes qui avaient pris part
+à cette représentation. Mais on avait eu, dans les coulisses, quelque
+indice de ce projet; soudain la crainte du ridicule répandit l'alarme
+chez tous les acteurs, et, pour les rassurer, l'auteur se vit obligé de
+promettre que, si après la répétition ils venaient à en condamner les
+traits, il le retirerait de bonne grâce. Cependant Lord Byron et lui
+convinrent de répéter les vers devant leurs camarades, dans un ton aussi
+innocent et aussi inoffensif que possible, réservant pour le soir de la
+représentation le jeu de pantomime qui faisait tout le sel de la
+plaisanterie. L'effet désiré fut produit; tous les acteurs satisfaits
+témoignèrent leur étonnement de ce qu'on avait pu soupçonner
+l'inconvenance d'un ouvrage aussi estimable. Mais leur surprise fut
+d'une nature tout-à-fait différente, quand ils entendirent, le
+lendemain, les bruyans éclats de rire de l'auditoire; et quand ils
+virent le tour que leur avait joué Lord Byron, ils n'eurent d'autre
+ressource que de joindre leurs rires à ceux que l'imitation de leurs
+traits excitait dans l'assemblée.</p>
+
+<p>Ce fut au mois de novembre que le petit volume de poésies, dont il
+s'occupait depuis quelque tems, fut lancé dans le cercle étroit auquel
+il était destiné. M. Becher en reçut le premier exemplaire<a id="footnotetag52" name="footnotetag52"></a>
+<a href="#footnote52"><sup class="sml">52</sup></a>.
+L'ascendant que son amour pour la poésie, son esprit juste et sociable,
+lui donnaient dans ce tems sur Lord Byron, lui permettait fréquemment de
+diriger le goût de son jeune ami, autant en matière de conduite que de
+littérature. Je citerai un exemple de la puissance de cet ascendant; il
+prouvera que le caractère de Byron était loin d'être intraitable, et que
+s'il avait eu plus souvent le bonheur de tomber dans des mains <i>habiles
+à toucher cet instrument</i>, elles en eussent tiré une expression douce
+aussi bien qu'énergique.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote52"
+name="footnote52"><b>Note 52: </b></a><a href="#footnotetag52">
+(retour) </a> Il ne reste de cette édition in quarto, composée
+ d'un petit nombre de feuilles, que deux ou trois copies.</blockquote>
+
+<p>À l'instant de marquer ainsi sa place dans la littérature légère du
+jour, il était naturel que Lord Byron revînt avec plaisir sur les
+ouvrages qui semblaient le plus en harmonie avec sa jeunesse et son
+caractère. On dit que ses livres favoris étaient alors le Camoëns de
+lord Strangford et les poèmes de Little<a id="footnotetag53" name="footnotetag53"></a>
+<a href="#footnote53"><sup class="sml">53</sup></a>; souvent son respectable ami
+lui avait justement reproché ce goût particulier; il lui représentait
+avec raison (du moins quant au dernier de ces deux auteurs), combien il
+lui était facile de trouver dans les vieilles illustrations littéraires
+de l'Angleterre de plus sûrs modèles de pensées et de style. Au lieu de
+perdre son tems sur les productions éphémères de ses contemporains, que
+n'étudiait-il les pages de Milton et de Shakspeare, et surtout que ne
+songeait-il à élever son imagination et son jugement par la
+contemplation des plus sublimes beautés de la Bible? Mais quant à ce
+dernier point, M. Becher reconnut que Lord Byron avait prévenu depuis
+long-tems ses avis, et qu'il avait une profonde connaissance des beautés
+de l'Écriture sainte. Cette circonstance fortifie encore le compte rendu
+par son premier maître, le docteur Glennie, de ses grands progrès dans
+les livres sacrés lorsqu'il n'était encore qu'un enfant.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote53"
+name="footnote53"><b>Note 53: </b></a><a href="#footnotetag53">
+(retour) </a> On sait que Thomas Moore s'était caché sous ce nom
+ dans ses premières poésies érotiques.
+ <span class="rig">(<i>Note du Tr.</i>)</span><br>
+</blockquote>
+
+<p>M. Becher, comme je l'ai dit, reçut le premier exemplaire de son livre;
+en le parcourant, et parmi plusieurs pièces dignes d'admiration, d'éloge
+ou de critique, il trouva un poème dans lequel le jeune auteur avait
+répandu une indécence de coloris, que ne pouvait pas même rendre
+excusable sa grande jeunesse. Aussitôt, et pour lui exprimer son opinion
+d'une manière plus courtoise, il fit et adressa à Lord Byron sur ce
+sujet une supplique rimée à laquelle le noble poète fit sur-le-champ une
+réponse également en vers; il y joignit une note en prose pour lui dire
+qu'il sentait parfaitement la justice de sa critique amicale, et qu'en
+conséquence plutôt que de laisser circuler le poème en question, il en
+retirerait toutes les copies qu'il avait pu déjà distribuer, et
+annullerait l'impression entière. Ce sacrifice fut fait le soir même; Mr
+Becher vit brûler toutes les copies de cette édition, à l'exception de
+celle qu'il avait reçue, et une autre qui, envoyée à Édimbourg, ne fut
+pas rendue.</p>
+
+<p>Ce trait du jeune poète parle assez haut en sa faveur; cette docilité
+ingénue, cette sensibilité, attestent un naturel capable de respecter et
+d'aimer tout ce qu'il y a de respectable au monde. Les sentimens qui lui
+dictèrent, vers ce tems, la lettre suivante, ne portent pas un caractère
+moins aimable; il est impossible de la parcourir sans reconnaître dans
+l'écrivain une noble candeur et une véritable sincérité.</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE VIII.</h3>
+
+<h4>AU COMTE DE CLARE.</h4>
+
+<p class="rig">Southwell Nottes, 6 février 1807.</p><br><br>
+
+<p><span class="sc">Mon très-cher Clare</span>,</p>
+
+<p>«Si je voulais justifier ou du moins pallier ma négligence, vous
+pourriez dire qu'au lieu d'une lettre vous avez reçu un placet surchargé
+de prières à fin de pardon; j'aime mieux en un seul mot avouer mes
+crimes, et me confier à votre affection et à votre générosité plutôt
+qu'à mes protestations. Ma santé n'est pas entièrement rétablie:
+cependant je suis hors de tout danger, et j'ai repris toutes mes forces,
+si ce n'est celles de l'esprit fort susceptibles par elles-mêmes
+d'affaiblissement. Vous serez étonné d'apprendre que j'aie dernièrement
+écrit à Delaware pour lui expliquer (autant que possible sans
+compromettre quelques-uns de <i>mes vieux</i> amis) les motifs de ma conduite
+à son égard pendant ma dernière résidence à Harrow (il y a deux ans de
+cela), laquelle, si vous vous rappelez, était extrêmement <i>en
+cavalier</i><a id="footnotetag54" name="footnotetag54"></a>
+<a href="#footnote54"><sup class="sml">54</sup></a>. Depuis j'ai découvert qu'il avait été injustement traité
+et par ceux qui avaient accusé ses procédés et par moi-même qui avais
+cru leur suggestion. En conséquence, je lui ai fait toutes les
+réparations possibles en expliquant ma méprise, sans toutefois grande
+espérance de le persuader: véritablement je n'attendais pas de réponse,
+tout en désirant qu'elle m'arrivât pour la forme; elle ne l'est pas
+encore, et sans doute elle ne viendra pas. Mais j'éprouve du bien-aise
+intérieurement de mon procédé, assez humiliant d'ailleurs pour les gens
+de ma nature; et je n'aurais pu dormir tranquille avec l'idée d'avoir,
+<i>même involontairement</i>, fait injure à quelqu'un. J'ai, autant qu'il
+m'était possible, réparé cette injure, et là doit se terminer l'affaire.
+Que nous revenions ou non à notre ancienne intimité, c'est une chose
+d'ailleurs fort secondaire.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote54"
+name="footnote54"><b>Note 54: </b></a><a href="#footnotetag54">
+(retour) </a> On voit que Lord Byron, peu familiarisé avec la
+ langue française, prend ici l'expression <i>en cavalier</i>, pour
+ synonyme de celle de <i>cavalière</i>.</blockquote>
+
+<p>»Je viens de passer le tems au milieu de soins divers; j'ai fait
+condamner à <i>l'exportation</i> un domestique<a id="footnotetag55" name="footnotetag55"></a>
+<a href="#footnote55"><sup class="sml">55</sup></a> qui me volait, chose en
+elle-même fort désagréable; j'ai joué sur un théâtre de société; j'ai
+publié un volume de poésies (à la demande et à l'unique usage de mes
+amis); j'ai fait l'amour; j'ai pris médecine. Ces deux derniers
+amusemens n'ont pas eu <i>dans le monde</i> un excellent effet; d'un côté mes
+attentions se partagèrent entre tant de belles <i>demoiselles</i>, et de
+l'autre les drogues qu'on me fit avaler étaient d'une vertu si
+compliquée, qu'entre Vénus et Esculape je me suis trouvé mortellement
+harassé. J'ai pourtant assez de loisir pour consacrer quelques heures
+aux souvenirs du passé, pour regretter l'amitié et en même tems profiter
+de l'occasion favorable pour vous assurer combien je suis et serai
+toujours, mon très-cher Clare, votre sincère et parfaitement dévoué,<span class="rig">
+BYRON.</span></p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote55"
+name="footnote55"><b>Note 55: </b></a><a href="#footnotetag55">
+(retour) </a> Son valet Frank.</blockquote>
+
+<p>Comme il se croyait obligé de remplacer les exemplaires de son livre
+qu'il avait redemandés, et en même tems de lever l'espèce de stigmate
+dont on aurait pu flétrir son talent avorté, il s'occupa promptement de
+préparer une seconde édition, et ce travail ne fut terminé qu'au bout de
+six semaines. Mais au commencement de janvier nous le voyons en adresser
+un exemplaire à son ami d'Édimbourg, le docteur Pigot.</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE IX.</h3>
+
+<h4>À M. PIGOT.</h4>
+
+<p class="rig">Southwell, 13 janvier 1807.</p><br><br>
+
+<p>«Je devrais commencer par un million d'excuses; mais la variété de mes
+travaux en vers et en prose servira, je l'espère, à justifier ma
+négligence. Vous recevrez avec cette lettre un volume de tous mes
+<i>Juvenilia</i>, publiés depuis votre départ: leur nombre est beaucoup plus
+grand que dans l'exemplaire en votre possession, lequel je vous supplie
+d'anéantir, celui que je vous envoie étant beaucoup plus complet. Ces
+<i>maudits</i> vers à ma pauvre Marie<a id="footnotetag56" name="footnotetag56"></a>
+<a href="#footnote56"><sup class="sml">56</sup></a> ont été une source de
+mécontentemens auprès des dames d'un <i>certain âge</i>. Je ne les ai pas
+insérés dans cette édition, parce que je leur dois d'avoir été traité de
+<i>pécheur déhonté</i>, enfin d'un nouveau <i>Moore</i>, par votre cher
+<a id="footnotetag57" name="footnotetag57"></a>
+<a href="#footnote57"><sup class="sml">57</sup></a>... Je
+pense qu'on a en général accueilli favorablement ce volume, et sans
+doute l'âge de son auteur préviendra la sévérité des juges.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote56"
+name="footnote56"><b>Note 56: </b></a><a href="#footnotetag56">
+(retour) </a> Il ne faut pas confondre cette Marie avec miss
+ Chaworth ou Marie d'Aberdeen; tout ce que j'en puis dire,
+ c'est qu'elle avait dans le monde une position humble, sinon
+ équivoque; qu'elle avait de longs, de brillans cheveux
+ blonds, dont Byron aimait à montrer à ses amis une tresse
+ aussi bien que le portrait de celle qui les lui avait donnés;
+ et qu'enfin c'est à elle que furent adressés les vers des
+ <i>Heures d'oisiveté</i>, intitulés: <i>À Marie, en recevant son
+ portrait</i>.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote57"
+name="footnote57"><b>Note 57: </b></a><a href="#footnotetag57">
+(retour) </a> Le <i>respectable</i> M. Becher, sans doute.
+<span class="rig">(<i>N. du Tr.</i>)</span><br>
+</blockquote>
+
+<p>»Les aventures de ma vie de seize à dix-neuf ans, et la dissipation au
+milieu de laquelle je me suis trouvé à Londres, ont donné à mes idées
+une teinte voluptueuse; mais d'ailleurs les inspirations que j'ai eues
+ne comportaient guère un autre coloris. Ce volume <i>est singulièrement</i>
+correct et miraculeusement chaste. À propos, en parlant d'amour....</p>
+
+<p>»Si vous pouvez trouver le tems de répondre à ce pot-pourri indigeste de
+sottises, vous ne doutez pas du plaisir qu'en recevra votre, etc.»</p>
+
+<p>L'un de ses amis de collége, M. William Bankes, ayant vu, par hasard, un
+exemplaire du livre, lui avait adressé une lettre où se trouvait exposée
+l'opinion qu'il s'en formait. Voici la réponse de lord Byron:</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE X.</h3>
+
+<h4>À M. WILLIAMS BANKES.</h4>
+
+<p class="rig">Southwell, 6 mars 1807.</p><br><br>
+
+<p><span class="sc">Cher Bankes</span>,</p>
+
+<p>«Votre critique m'est précieuse à plusieurs titres: d'abord c'est la
+seule où la flatterie ait fort peu de part, ensuite je suis <i>affadi</i> par
+les complimens insipides. J'ai meilleure opinion de votre jugement et de
+votre mérite que de votre sensibilité. Recevez mes vifs remercîmens pour
+la sincérité d'un jugement qui, pour être entièrement inattendu, n'en
+sera pas moins bienvenu. Pour ce qui est d'un examen plus exact, il est
+inutile de vous rappeler combien peu de nos <i>meilleurs</i> poèmes
+soutiendraient l'épreuve d'une minutieuse critique de mots. On ne peut
+donc guère attendre d'un enfant (et la plupart de ces vers furent
+composés il y a déjà long-tems) une grande perfection de sujet ou de
+style. Plusieurs pièces furent écrites sous l'influence d'un grand
+abattement d'esprit, d'une indisposition grave; de là, le tour sombre
+des idées. Nous sommes d'accord dans l'opinion que les poésies érotiques
+sont les moins irréprochables; elles n'en furent pas moins agréables aux
+divinités sur l'autel desquelles je les déposai; c'est tout ce que je
+voulais.</p>
+
+<p>»Le portrait de Pomposus fut dessiné à Harrow, après une <i>longue
+séance</i>; cela garantit la ressemblance ou plutôt la caricature. C'est
+<i>votre</i> ami, <i>il ne fut jamais le mien</i>; il est donc à propos de m'en
+taire. Les rimes sur le collége ne contiennent pas de personnalités; on
+peut en voir dans l'une des notes, mais je ne pouvais la supprimer. Je
+ne doute pas qu'elles ne servent de prétexte au blâme, juste punition de
+mon impiété filiale envers une <i>alma mater</i> aussi excellente. Je ne vous
+envoie pas mon livre dans la crainte de <i>nous</i> placer, vous dans la
+situation de Gilblas, moi dans celle de l'archevêque de Grenade: au
+risque des chances de l'épreuve, je désire laisser à votre arrêt toute
+son indépendance. Si je vous avais adressé mon <i>libellus</i> avant votre
+lettre, j'aurais semblé vouloir acheter un compliment, et je n'hésite
+pas à dire que j'avais plus d'impatience de voir votre critique malgré
+sa sévérité, que d'entendre un million de louangeurs. Le même jour je
+reçus les félicitations de Mackenzie, le célèbre auteur de l'<i>Homme
+sensible</i>; laquelle, de <i>votre</i> approbation ou de la <i>sienne</i>, me flatta
+le plus? c'est ce que je ne puis décider. Vous recevrez mes <i>Juvenilia</i>,
+tous ceux, du moins, qui ont été publiés. J'ai en manuscrit un gros
+volume que je pourrai, par la suite, donner à part; à présent, je n'ai
+ni le tems ni la volonté de le livrer à l'impression. Le printems, je
+retournerai à la Trinité pour enlever mes effets, et vous dire un
+dernier adieu; mes <i>pleurs</i>, dans cette circonstance, n'augmenteront
+guère le courant du <i>Cam</i>. Je mettrai à profit désormais vos remarques,
+malgré leur causticité ou leur amertume pour un palais gâté par les
+<i>adulations sucrées</i>. Johnson a démontré qu'il n'y avait point de
+poésies parfaites, mais il faudrait un Hercule pour travailler à
+corriger les miennes. Franchement, je ne les avais pas revues depuis
+l'époque où je les composai; et si je les ai publiées, ce n'a été qu'à
+la prière de mes amis; mais on m'a tant parlé du <i>genus irritabile
+vatum</i>, que nous n'aurons jamais, sur ce sujet, de querelle, la
+réputation de poète n'étant nullement le <i>but</i> de mes vœux.</p>
+
+<p>»Adieu. Tout à vous,»<br><span class="rig">
+
+BYRON.</span><br></p>
+
+<p>Cette lettre fut suivie d'une autre, au même M. Bankes, sur le même
+sujet; il n'en reste malheureusement que les fragmens suivans:</p>
+
+<p>«Pour ma part, j'ai bien souffert de la mort de mes deux meilleurs amis,
+les seuls êtres que j'eusse jamais aimés (les femmes exceptées); me
+voici réduit à être un animal solitaire, passablement misérable, et je
+me sens assez cosmopolite pour ne plus me soucier le moins du monde du
+lieu que j'habiterai, l'Angleterre ou le Kamtschatka. Je ne puis montrer
+une déférence plus grande pour vos corrections qu'en les adoptant de
+suite; je les suivrai dans l'édition suivante. Je suis fâché que vos
+remarques ne soient pas plus fréquentes, convaincu de tout l'avantage
+que j'en pourrais également retirer. J'ai, depuis ma dernière lettre,
+reçu d'Édimbourg deux jugemens trop flatteurs tous les deux pour que je
+puisse les répéter: l'un est de lord Woodhouselee, le premier et le plus
+<i>volumineux</i> des littérateurs écossais (son dernier ouvrage est une <i>Vie
+de lord Kaymes</i>); le second est de Mackenzie, qui m'envoyait pour la
+seconde fois son sentiment, mais plus développé. Je ne les connais
+personnellement l'un ni l'autre, et je n'ai jamais sollicité leur avis à
+ce sujet: leurs éloges sont volontaires; c'est un ami chez qui ils
+avaient lu mes vers qui me les a transmis.</p>
+
+<p>«Contre mes premières intentions, je m'occupe en ce moment de la
+publication d'une nouvelle édition; les sujets d'amour seront retranchés
+et remplacés par d'autres; le tout, considérablement augmenté, paraîtra
+vers la fin de mai. C'est une épreuve hasardeuse; mais le défaut
+d'occupations plus graves, les encouragemens que j'ai reçus, ma vanité
+personnelle, tout me porte à la tenter, mais non sans de <i>vives
+palpitations</i>. Le livre sera lu dans ce pays, du moins par curiosité...»
+Le reste manque.</p>
+
+<p>Voici la lettre modeste qu'il joignit à l'exemplaire qu'il présenta à M.
+Falkner, propriétaire de la maison qu'occupait sa mère.</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE XI.</h3>
+
+<h4>À M. FALKNER.</h4>
+
+<p><span class="sc">Monsieur</span>,</p>
+
+<p>«Le volume qui accompagne cette lettre vous aurait déjà été présenté, si
+l'indisposition de miss Falkner ne m'eût pas fait craindre de rendre
+inconvenante l'offre de pareilles bagatelles. Vous y verrez quelques
+fautes d'impression que je n'ai pas eu le tems de corriger: vous avez
+donc une tâche pénible, celle d'apercevoir et les fautes de l'auteur et
+celles dont il n'est pas coupable. De pareils <i>juvenilia</i> ne peuvent
+espérer une approbation sérieuse, mais j'ose espérer, pour la même
+raison, qu'ils échapperont à la sévérité d'une critique intempestive,
+quoique peut-être non méritée.</p>
+
+<p>»Ces poésies furent composées dans des tems et des circonstances
+diverses; elles n'ont été publiées que pour un cercle d'amis
+bienveillans. Vous pouvez m'en croire, monsieur: si elles procurent le
+plus léger plaisir à vous et à mes autres <i>familiers</i> lecteurs, j'aurai
+recueilli tous les lauriers que je souhaite pour la tête de votre tout
+dévoué,<span class="rig"><br>
+BYRON.</span><br><br></p>
+
+<p>»<i>P. S.</i> Miss Falkner est, je l'espère, en pleine convalescence.»</p>
+
+<p>Malgré cette déclaration peu ambitieuse du jeune auteur, il avait en lui
+quelque chose qui l'empêchait de s'arrêter; et la réputation qu'il
+s'était faite dans un cercle limité l'avait rendu plus avide de courir
+les chances d'une plus vaste lice. Les cent copies de cette première
+édition étaient à peine distribuées, qu'il revint avec une nouvelle
+activité chez son imprimeur, et c'est ainsi que parurent les <i>Heures de
+loisir</i>; il y joignit plusieurs pièces nouvellement composées, il en
+retrancha une vingtaine de celles que renfermait son premier volume. Il
+est difficile d'expliquer cette sévérité, la plupart des vers éliminés
+étant aussi beaux, sinon meilleurs que les autres.</p>
+
+<p>Il y a dans l'une des pièces réimprimées parmi les <i>Heures de loisir</i>
+quelques corrections et additions assez curieuses, en ce qu'on peut les
+attribuer aux sentimens connus du poète sur l'illustration de naissance.
+L'<i>Épitaphe d'un ami</i> semble, d'après les vers que je vais citer, avoir
+été d'abord composée pour déplorer la mort de ce même jeune fermier
+auquel il avait auparavant adressé quelques vers affectueux reproduits
+plus haut:</p>
+
+<p>Quoique ton lot soit humble, puisque tu es né dans une chaumière; et que
+ton nom ne soit point orné de titres, ta simple amitié m'était bien plus
+chère que toutes les joies que peuvent donner la richesse, la réputation
+et les amis du grand monde.</p>
+
+<p>Dans la nouvelle forme de cette épitaphe, non-seulement il supprima ce
+passage, mais tous ceux qui rappelaient encore l'humble rang de son
+jeune ami. Le premier des vers ajoutés:</p>
+
+<p class="mid">Et quoique ton père déplore l'extinction de sa race,</p>
+
+<p>semble destiné à rappeler l'idée d'une haute position sociale, toute
+différente de celle que présentait l'épitaphe primitive. L'autre pièce,
+évidemment adressée au même enfant, et rappelant en termes équivalens
+l'obscurité de sa condition, ne se retrouve pas davantage dans les
+<i>Heures de loisir</i>. Qu'en approchant de l'âge viril il sentît mieux
+l'élévation de son rang, on peut le supposer, et ne voir qu'une suite de
+ces sentimens dans le soin qu'il mit à cacher ses premières amitiés de
+village.</p>
+
+<p>Ses visites à Southwell n'ayant plus été, après ce tems, que rares et
+passagères, je saisis l'occasion de rappeler quelques traits variés de
+ses habitudes et de son genre de vie à la même époque. Dans les premiers
+instans de son séjour, sa timidité était excessive, mais elle disparut à
+mesure qu'il se lia davantage avec les jeunes gens; il finit même par se
+trouver à la plupart des assemblées et des festins, et par être mortifié
+quand il n'était pas invité à quelque <i>rout</i>. Toutefois il conservait
+encore son horreur des nouvelles figures; et s'il voyait des étrangers
+approcher de la maison de Mrs. Pigot, quand il s'y trouvait, il eût
+volontiers, pour les éviter, sauté par la fenêtre. Cette réserve
+naturelle, jointe à une dose assez forte d'orgueil, l'éloignait des
+gentilshommes du voisinage, auxquels, plus d'une fois, il lui arriva de
+ne pas rendre leur visite: à l'égard de quelques-uns, sous prétexte que
+leurs femmes n'étaient pas allées voir sa mère; de quelques autres,
+parce qu'ils avaient trop tardé à le voir lui-même: mais la vraie raison
+de ce dédain, c'est qu'il ne voulait pas faire connaissance avec des
+voisins plus opulens que lui, et qu'il aimait à les mortifier par la
+supériorité de son rang, comme il l'était lui-même par celle de leur
+fortune. Son ami M. Becher lui faisait de fréquens reproches de cet
+esprit insociable; et un jour Lord Byron lui répondit par des vers qui
+expriment parfaitement la hauteur avec laquelle son génie volcanique
+considérait déjà le monde; et comme le volume où se trouvent ces vers
+est devenu fort rare, je ne puis résister au désir d'en donner les
+passages suivans:</p>
+
+<p>Mon cher Becher, vous me dites de me mêler à la société des hommes: je
+ne saurais nier que votre avis ne soit bon; mais la retraite convient
+mieux à mon caractère, je ne veux pas descendre jusqu'à un monde que je
+méprise.</p>
+
+<p>Si le sénat ou les camps m'appelaient, l'ambition pourrait me faire
+sortir de mon heureux repos; et quand la jeunesse, ce tems d'épreuve,
+sera passé, peut-être je m'efforcerai d'illustrer mon nom.</p>
+
+<p>Le feu caché dans les flancs caverneux de l'Etna couve long-tems et
+fermente en secret, à la fin un volume effroyable de flammes et de fumée
+révèle son existence; alors il n'y a point de torrens qui puissent
+l'éteindre, point de barrières qui puissent l'arrêter.</p>
+
+<p>Oh! tel est le désir de gloire qui dévore mon cœur, qui m'ordonne de
+vivre pour être loué un jour de la postérité. Oh! si je pouvais comme le
+phénix prendre mon essor avec des ailes de feu, avec lui je serais
+content de mourir au milieu des flammes.</p>
+
+<p>Pour une vie comme celle de Fox, pour une mort comme celle de Chatham,
+quelles censures, quels dangers, quelles haines ne braverais-je pas?
+Leur vie ne s'est point terminée avec leur dernier souffle, leur gloire
+anime et vivifie le silence de leur tombeau.</p>
+
+<p>Comme sa mère, il était toujours en retard pour se lever et se mettre au
+lit; il conserva même toute sa vie cette habitude. La nuit fut toujours
+aussi son heure favorite de travail, et sa première visite, le jour
+suivant, était ordinairement pour la belle amie qui lui servait de
+copiste, et à laquelle il portait les fruits de sa précédente veille;
+puis il se rendait chez son ami, M. Becher; de là dans une ou deux
+autres maisons, puis le reste du jour était consacré à ses exercices
+favoris; le soir, il passait le tems dans la famille Pigot, soit en
+conversation, soit à entendre miss Pigot toucher le piano et chanter une
+série d'airs qu'il admirait<a id="footnotetag58" name="footnotetag58"></a>
+<a href="#footnote58"><sup class="sml">58</sup></a>. <i>La Vierge de Lodi</i>, avec les paroles:
+<i>Mon cœur palpite d'amour</i>, et cet autre: <i>Quand le tems, qui ravit nos
+années</i>, étaient, à ce qu'il paraît, ses airs favoris. Il s'était fait
+dès-lors une douce habitude de cette existence régulière, qui le
+ramenait périodiquement aux mêmes occupations, et qu'il adopta pendant
+presque tout le tems de son séjour à l'étranger.</p>
+
+<p>D'un autre côté, les exercices auxquels il demandait quelques
+distractions, dans de moins heureux jours, lui offraient alors des
+plaisirs sans mélange. La plus grande partie de son tems se passait à
+nager, jouer aux barres, tirer au blanc et courir à cheval<a id="footnotetag59" name="footnotetag59"></a>
+<a href="#footnote59"><sup class="sml">59</sup></a>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote58"
+name="footnote58"><b>Note 58: </b></a><a href="#footnotetag58">
+(retour) </a> Il aima toujours la musique, mais il ne sut jamais
+ bien exécuter. «Il est bien singulier, disait-il un jour à la
+ même dame, que je chante beaucoup mieux avec votre
+ accompagnement qu'avec tout autre.--C'est, répondit-elle, que
+ je joue selon votre manière de chanter.» C'est là en effet
+ tout le secret d'un habile accompagnateur.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote59"
+name="footnote59"><b>Note 59: </b></a><a href="#footnotetag59">
+(retour) </a> Un autre de ses jeux favoris était <i>la balle à
+ crosser</i>; et l'on ne pouvait s'empêcher d'admirer la célérité
+ de sa course à ce dernier exercice, en dépit de son pied
+ boiteux. «Lord Byron, dit miss... dans une lettre à son
+ frère, datée de Southwell, vient de passer devant la fenêtre,
+ la batte sur l'épaule, pour aller <i>crosser</i> suivant sa chère
+ habitude.»</blockquote>
+
+<p>Il n'était pas fort expert dans ce dernier art, et l'on cite comme un
+exemple de son peu d'habitude des chevaux, qu'en voyant un jour passer
+deux, sous ses fenêtres, il s'écria: «Les beaux chevaux! je voudrais les
+acheter.--Comment! ce sont les vôtres, milord,» répondit son valet. Ceux
+qui l'avaient connu au tems où nous sommes, s'étonnaient beaucoup
+d'entendre plus tard parler de son adresse à monter à cheval; et la
+vérité, je suis du moins porté à le croire, est que jamais il ne fut un
+excellent écuyer.</p>
+
+<p>Nous avons déjà vu, d'après ses propres paroles, qu'il excellait à nager
+et à plonger. Une dame de Southwell possède, entre autres précieux
+objets qui lui ont appartenu, un dé qu'il vint un matin lui emprunter au
+moment d'aller se baigner dans la Greet: en présence du frère de cette
+dame, il l'avait jeté et retiré trois fois du fond de la rivière. Son
+habitude de s'exercer au tir fut un jour un sujet d'alarme pour une
+jeune et fort jolie personne, miss H., qui était du grand nombre des
+beautés qui enflammaient à Southwell son imagination. On trouve
+l'introduction suivante à la tête d'une pièce de vers imprimée dans le
+volume non publié; «L'auteur déchargeant un jour ses pistolets dans un
+jardin, deux dames, qui passaient près du but, furent alarmées par le
+bruit d'une balle sifflant à leurs oreilles: c'est à l'une d'elles que
+furent adressées, le lendemain, les stances suivantes.»</p>
+
+<p>Telle était sa passion pour les armes de toute espèce, qu'il gardait
+ordinairement près de son lit une petite épée avec laquelle il s'amusait
+le matin à s'escrimer dans ses rideaux. Ce lit fut, à la vente des
+meubles de Mrs. Byron, acquis par une personne qui, voulant donner de
+l'intérêt aux trous des draperies, les supposait percées par l'épée dont
+le dernier lord Byron avait tué M. Chaworth, et que son héritier gardait
+toujours près de son lit en souvenir. C'est ainsi que la fiction vient
+souvent grossir les faits; l'épée en question était une arme innocente
+et vierge que lord Byron empruntait à l'un de ses voisins durant son
+séjour à Southwell.</p>
+
+<p>Les détails que nous avons déjà donnés sur son excursion à Harrowgate,
+peuvent faire juger de sa passion pour les chiens, autre goût qu'il
+conserva toute sa vie; il a immortalisé dans ses vers Boatswain, son
+dogue favori, auprès duquel il avait formé le projet solennel d'être
+enseveli. On raconte de cet animal quelques traits non-seulement
+d'intelligence, mais encore d'une générosité qui devait nécessairement
+exciter l'intérêt d'un maître comme Byron; j'en citerai un exemple en me
+rapprochant autant que possible du récit qui m'en fut fait. Mrs. Byron
+avait un chien terrier, appelé Gilpin, avec lequel Boatswain était
+toujours en querelle, saisissant toutes les occasions de l'attaquer et
+le mordant avec tant de rage qu'on craignait beaucoup qu'il ne finît par
+le tuer. Pour le soustraire à ce sort, Mrs. Byron envoya Gilpin à un
+fermier de Newstead, et Boatswain de son côté, quand lord Byron retourna
+à Cambridge, fut, jusqu'au retour de son maître, confié aux soins d'un
+valet, ainsi que deux autres dogues. Un matin le domestique conçut une
+vive alarme de la disparition de Boatswain; il n'en put avoir de
+nouvelles de la journée. Mais vers le soir, le chien revint accompagné
+de Gilpin qu'il s'empressa de conduire au feu de la cuisine en
+l'accablant de toutes les démonstrations de la joie la plus vive. Le
+fait est qu'il était allé à Newstead pour le découvrir, et qu'il l'avait
+ramené. Depuis ce tems ils vécurent en bonne intelligence; Boatswain
+protégeant toujours son nouvel ami contre les insultes des autres chiens
+(tâche que le naturel querelleur de Gilpin empêchait bien d'être une
+sinécure) et s'empressant d'accourir à la première voix de détresse du
+petit terrier.</p>
+
+<p>La tendance à la superstition est assez naturelle aux hommes doués d'un
+caractère poétique. Lord Byron n'en était pas exempt, et dès son enfance
+l'exemple de sa mère avait contribué à donner à son esprit cette
+faiblesse. Mrs. Byron croyait aveuglément aux merveilles de la seconde
+vue; et les récits étranges qu'elle faisait de cette faculté
+mystérieuse, étonnèrent mainte fois ses amis anglais doués d'une foi
+moins robuste. On verra que même bien plus tard, et à la mort de son ami
+Shelley, l'idée des apparitions dont sa mère l'avait nourri, n'avait pas
+perdu sur lui tout son empire. On peut citer comme un exemple d'une
+superstition moins lugubre, une petite anecdote qui me fut racontée par
+une de ses amies de Southwell. Cette dame avait un grain de collier en
+agate traversé d'un fil de laiton, et qu'elle gardait toujours dans sa
+boîte à ouvrage. Un jour, Lord Byron lui ayant dit ce que c'était, elle
+lui répondit qu'on le lui avait donné comme un talisman, et que le
+charme la préserverait de l'amour tant qu'il serait en sa possession.
+«Alors donnez-le-moi, s'écria-t-il vivement, c'est là précisément ce que
+je cherchais.» La jeune dame refusa; mais bientôt après son agate avait
+disparu. Elle le taxa d'avoir commis le vol; mais en l'avouant de bonne
+grâce, il protesta que jamais elle ne reverrait son amulette.</p>
+
+<p>Il laissa derrière lui à Southwell, comme partout où il fit jamais
+quelque résidence, les preuves les plus affectueuses de bienfaisance et
+de bonté de cœur... «Jamais, dit une personne qu'il voyait beaucoup à
+cette époque, ses yeux ne furent frappés d'un seul objet de détresse
+sans qu'il contribuât à l'adoucir.» Parmi de nombreux traits de cette
+nature, je choisis le suivant comme une preuve moins de sa générosité
+que de l'intérêt que présente l'incident en lui-même par sa liaison avec
+le nom de Byron. Étant encore écolier, il lui arriva de se trouver à
+Southwell dans une boutique de libraire, quand une pauvre femme vint
+pour y acheter une Bible; le prix qu'on la lui fit fut de 8 shellings.
+«Ah! mon cher Monsieur, s'écria-t-elle, je ne puis pas y mettre un
+pareil prix; je ne croyais pas qu'elle pût m'en coûter la moitié.» La
+femme alors s'éloigna avec un air désappointé, quand le jeune Byron, la
+rappelant, lui fit présent de la Bible.</p>
+
+<p>Il eut toujours un grand soin de sa personne et de sa toilette, de
+l'arrangement de ses cheveux, enfin de tout ce qui pouvait relever la
+beauté dont la nature l'avait doué. Même dans un âge fort tendre, il
+témoignait le désir de plaire à ce sexe qui ne devait pas cesser d'être
+l'étoile polaire de sa destinée. La crainte d'un embonpoint excessif,
+auquel il avait des dispositions naturelles, l'avait engagé, dès son
+arrivée à Cambridge, à adopter un système d'abstinence et de violent
+exercice, et de faire un fréquent usage des bains chauds. Mais un point
+remplissait sa vie d'amertume, le frappait comme une malédiction au
+milieu des joies de la jeunesse et de ses espérances de gloire et de
+bonheur: le croira-t-on? c'était la légère difformité de son pied. Un
+jour M. Becher, le voyant plus abattu qu'à l'ordinaire, s'efforçait de
+l'égayer et de le ranimer en lui représentant sous les plus brillantes
+couleurs, les nombreux avantages dont la Providence l'avait comblé,
+entre autres celui d'un esprit qui le plaçait au-dessus du reste des
+hommes. «Ah! mon cher ami, répondit Byron avec une expression
+douloureuse, si cela (en se frappant le front de la main) m'élève
+au-dessus des autres hommes, ceci (en indiquant son pied) me ravale bien
+au-dessous d'eux.»</p>
+
+<p>Quelquefois il semblait que sa susceptibilité lui persuadât qu'il était
+dans le monde la seule personne affligée d'une pareille infirmité. Quand
+M. Bailey, qui se faisait alors remarquer comme écolier, aussi bien que
+plus tard comme voyageur, entra à Cambridge après avoir été le
+condisciple de Lord Byron à Aberdeen, le jeune Lord avait pris tant
+d'embonpoint, que M. Bailey eut long-tems de la peine à le reconnaître.
+«Il est assez singulier, lui dit alors Byron, que vous ne vous souveniez
+pas de moi; je croyais que la nature m'avait gratifié d'un signe qui
+devait toujours me faire reconnaître.»</p>
+
+<p>Mais ce défaut était aussi bien un motif d'émulation pour lui qu'une
+source de regret et de honte. Dans tout ce qui exigeait du courage
+personnel ou de la vivacité, il semblait animé, par le stigmate que la
+nature lui avait infligé, d'un désir plus vif de surpasser tous ceux
+auxquels elle avait accordé de plus <i>parfaites proportions</i>. C'est là,
+je n'en doute pas, ce qui lui donnait aussi tant d'ardeur dans la
+poursuite des intrigues amoureuses. Plus d'une fois l'espoir d'étonner
+quelque jour le monde par les exploits d'un capitaine et d'un héros
+venait se mêler dans ses rêves à la perspective du laurier poétique.
+«Tôt ou tard, disait-il souvent quand il était enfant, je lèverai un
+corps de troupes; les soldats seront habillés de noir, et monteront des
+chevaux noirs; on les appellera, les <i>Byrons noirs</i>, et vous entendrez
+parler de leurs prodiges de valeur.»</p>
+
+<p>J'ai déjà parlé de l'ardeur extrême avec laquelle, pendant son séjour à
+Harrow, il se livrait à tous les genres d'études, à la seule exception
+de ceux qu'exigeait la discipline de l'école. Les jours de fête ne
+faisaient pas trêve à la soif de connaissances qui le dévorait, et, pour
+être le moins possible distrait de ses heures de travail, il avait pris
+l'habitude chez sa mère de lire tout le tems du dîner<a id="footnotetag60" name="footnotetag60"></a>
+<a href="#footnote60"><sup class="sml">60</sup></a>. Dans un
+esprit aussi mobile que le sien, tout ce qui était nouveau, grave ou
+frivole, lourd ou divertissant, ne manquait jamais de trouver un écho,
+et je n'ai pas de peine à concevoir la joie qu'il témoignait un jour en
+montrant à l'une de ses amies qui me l'a raconté, un exemplaire des
+Contes de ma Mère l'Oie, qu'il avait acheté le matin chez un
+bouquiniste, et qu'il venait de lire à son dîner.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote60"
+name="footnote60"><b>Note 60: </b></a><a href="#footnotetag60">
+(retour) </a> Burns avait aussi l'habitude de lire à table, comme
+ nous l'apprend M. Lockhart dans la vie de ce poète.</blockquote>
+
+<p>Maintenant nous allons extraire d'un <i>Memorandum</i>, commencé par lui
+cette année et tracé sans ordre et à la hâte, la liste de tous les
+livres qu'il avait déjà parcourus dans tous les genres, à une époque où
+la plupart de ses condisciples n'avaient encore étudié que leurs thèmes
+et leurs versions. Ce document ne peut manquer d'intéresser; et quand on
+considère que le lecteur de tant de livres possédait en même tems la
+mémoire la plus heureuse, on peut douter que parmi les jeunes gens les
+mieux élevés, parmi les plus brillans émules des honneurs scolastiques,
+on en trouvât un seul qui eût acquis au même âge une aussi grande
+variété de connaissances utiles.</p>
+<br>
+<h3>LISTE DES HISTORIENS</h3>
+
+ <h5>DONT J'AI PARCOURU LES OUVRAGES EN DIFFÉRENTES LANGUES.</h5>
+
+ <hr class="short">
+
+<p><span class="sc">Histoire d'Angleterre</span>.--Hume, Rapin, Henry, Smollet, Tindal, Belsham,
+Bisset, Adolphus, Holinshed, les Chroniques de Froissart (ces dernières
+appartiennent proprement à la France).</p>
+
+<p><span class="sc">Écosse</span>.--Buchanan, Hector, Boethius, tous deux en latin.</p>
+
+<p><span class="sc">Irlande</span>.--Gordon.</p>
+
+<p><span class="sc">Rome</span>.--Hooke, chute et décadence par Gibbon; Histoire ancienne de Rollin
+(renfermant celle des Carthaginois, etc.); de plus, Tite-Live, Tacite,
+Eutrope, Cornélius Nepos, Cesar, Arrien, Salluste.</p>
+
+<p><span class="sc">Grèce</span>.--La Grèce de Mitford, le Philippe de Leland, Plutarque,
+Antiquités de Potter, Xenophon, Thucydide, Herodote.</p>
+
+<p><span class="sc">France</span>.--Mezerai, Voltaire.</p>
+
+<p><span class="sc">Espagne</span>.--Je dois ce que je sais de l'ancienne histoire d'Espagne
+principalement à un livre appelé l'Atlas, maintenant oublié. J'ai pris
+quelque teinture de son histoire moderne, depuis les intrigues
+d'Alberoni jusqu'au Prince de la paix, dans les ouvrages qui traitaient
+de la politique européenne.</p>
+
+<p><span class="sc">Portugal</span>.--Ses révolutions par Vertot, comme aussi, du même historien,
+la relation du siége de Rhodes: elle est de son invention, les faits
+réels sont tout-à-fait différens. On en peut dire autant de ses
+chevaliers de Malte.</p>
+
+<p><span class="sc">Turquie</span>.--J'ai lu Knolles, sir Paul Ricaut et le prince Cantemir; en
+outre une histoire anonyme plus moderne. Je sais tous les événemens de
+l'histoire des Ottomans, depuis Tangralopi et Othman Ier jusqu'à la paix
+de Passarowitz, en 1718; la bataille de Cutzka, en 1739, et le traité de
+1790 entre la Russie et la Porte.</p>
+
+<p><span class="sc">Russie</span>.--La vie de Catherine II de Tooke, le czar Pierre de Voltaire.</p>
+
+<p><span class="sc">Suède</span>.--Le Charles XII de Voltaire et celui de Norberg, selon moi le
+meilleur des deux. Une traduction de la guerre de trente ans de
+Schiller, qui renferme les exploits de Gustave-Adolphe; puis la vie du
+même prince par Harte. J'ai lu aussi quelque part un vie de Gustave
+Vasa, le libérateur de la Suède, mais j'ai oublié le nom de l'auteur.</p>
+
+<p><span class="sc">Prusse</span>.--J'ai vu au moins vingt vies de Frédéric II, le seul prince
+mémorable dans les annales de la Prusse; ses propres ouvrages, ceux de
+Gillies et de Thibault sont loin d'être amusans; le dernier est peu
+estimable, mais circonstancié.</p>
+
+<p><span class="sc">Danemarck</span>.--J'en sais peu de chose; j'ai quelque teinture de l'histoire
+naturelle de la Norwége, aucune de sa chronologie.</p>
+
+<p><span class="sc">Allemagne</span>.--J'ai lu de longues histoires de la maison de Souabe, de
+Venceslas, de Rodolphe de Hapsbourg et de ses descendans autrichiens aux
+grosses lèvres.</p>
+
+<p><span class="sc">Suisse</span>.--Ah! Guillaume-Tell et la bataille de Morgarten, où le duc de
+Bourgogne fut tué!</p>
+
+<p><span class="sc">Italie</span>.--Davila, Guicciardini, les Guelfes et les Gibelins, la bataille
+de Pavie, Mazaniello, les révolutions de Naples, etc.</p>
+
+<p><span class="sc">Indostan</span>.--Orme et Cambridge.</p>
+
+<p><span class="sc">Amérique</span>.--Robertson, la guerre d'Amérique par Andrews.</p>
+
+<p><span class="sc">Afrique</span>.--Rien que des voyageurs, comme Mungo-Park, Bruce.</p>
+
+<h3>BIOGRAPHIE.</h3>
+
+<p>Charles-Quint de Robertson, César, Salluste (Catilina et Jugurtha), les
+vies de Marlborough, du prince Eugène, de Tékéli, de Bonnard, de
+Bonaparte, de tous les poètes anglais, par Johnson et Anderson; les
+Confessions de Rousseau, la vie de Cromwell, le Plutarque anglais, le
+Nepos anglais, les vies des amiraux par Campbell, de Charles XII, du
+czar Pierre, de Catherine II, de Henri lord Kaimes, de Marmontel, de sir
+William Jones, par Teignmouth; la vie de Newton, de Bélisaire, et de
+mille autres qui ne méritent pas qu'on en fasse mention.</p>
+
+<h3>LÉGISLATION.</h3>
+
+<p>Blackstone, Montesquieu.</p>
+
+<h3>PHILOSOPHIE.</h3>
+
+<p>Paley, Locke, Bacon, Hume, Berkeley, Drummond, Beattie et Bolingbroke.
+Je déteste Hobbes.</p>
+
+<h3>GÉOGRAPHIE.</h3>
+
+<p>Strabon, Cellarius, Adams, Pinkerton et Guthrie.</p>
+
+<h3>POÉSIE.</h3>
+
+<p>Tous les classiques anglais et la plupart des poètes vivans, Scott,
+Southey, etc.; quelques poètes français dans l'original: le Cid est ma
+pièce favorite. Peu d'italiens; des grecs et des latins sans nombre: à
+l'avenir je ne m'occuperai plus de ces derniers. J'ai fait de nombreuses
+traductions de ces deux langues, vers et prose.</p>
+
+<h3>ÉLOQUENCE.</h3>
+
+<p>Démosthène, Cicéron, Quintilien, Sheridan, la Chironomie d'Austin, et
+les débats du parlement, depuis la révolution, jusqu'en 1742.</p>
+
+<h3>THÉOLOGIE.</h3>
+
+<p>Blair, Porteus, Tillotson, Hooker, tous fort ennuyeux. J'abhorre les
+livres de dévotion, quoique je révère et que j'aime Dieu, sans admettre
+les idées blasphématrices des sectaires, ni croire à leurs absurdes et
+damnables hérésies, à leurs mystères et aux trente-neuf articles.</p>
+
+<h3>MÉLANGES.</h3>
+
+<p>Le spectateur, le rôdeur; le monde, etc., etc., des romans par milliers.</p>
+
+<p>C'est de mémoire que j'ai fait l'énumération de tous ces livres: je me
+souviens de les avoir lus, et j'en pourrais à l'occasion citer plus d'un
+passage. J'ai, sans doute, omis quelques noms dans mon catalogue. J'en
+avais lu la majeure partie avant quinze ans. Depuis que j'ai quitté
+Harrow, je suis devenu paresseux et fat, en griffonnant des rimes et
+faisant la cour aux femmes.<br><span class="rig">
+
+B., 30 novembre 1807.</span><br></p>
+
+<p>J'ai aussi lu, et je regrette aujourd'hui plus de quatre mille romans, y
+compris les œuvres de Cervantes, Fielding, Smollet, Richardson,
+Mackenzie, Sterne, Rabelais, Rousseau, etc., etc. Le livre, à mon avis,
+le plus utile pour celui qui veut avoir l'air d'être fort instruit sans
+grande peine, c'est la physiologie de la tristesse par Burton: c'est le
+recueil de citations et d'anecdotes le plus curieux et le plus amusant
+que j'aie parcouru; mais le lecteur superficiel doit le lire avec
+attention, ou bien la confusion des sujets le rebutera facilement. S'il
+a la patience d'aller jusqu'à la fin, il aura mieux profité pour ses
+conversations littéraires, que s'il avait parcouru vingt autres ouvrages
+que j'ai également lus, du moins en anglais.</p>
+
+<p>C'est à cette étude précoce et variée des écrivains anglais que Lord
+Byron dut la facilité avec laquelle il savait employer toutes les
+ressources de sa langue maternelle: c'est elle qui, le lançant dans les
+champs de la littérature, armé de pied en cap, lui permit de revêtir ses
+poétiques inspirations d'un style parfaitement digne d'elles. En
+général, ce n'est pas l'absence d'idées ou de coloris qui arrête les
+premiers pas des écrivains, c'est l'embarras de trouver des expressions
+pour ce qu'ils conçoivent, c'est l'inexpérience de l'instrument dont se
+rend maître l'homme de génie; en un mot, de leur langue maternelle.
+C'est un fait assez singulier, que les trois exemples les plus frappans
+de précocité littéraire, c'est-à-dire Pope, Congrève et Chatterton,
+devaient tous trois à eux-mêmes leur éducation<a id="footnotetag61" name="footnotetag61"></a>
+<a href="#footnote61"><sup class="sml">61</sup></a>; et que c'est par
+suite de leurs goûts naturels, affranchis des pédantesques directions de
+l'école, qu'ils découvrirent dans le génie de la langue anglaise ces
+précieuses beautés dont ils surent faire un si parfait usage<a id="footnotetag62" name="footnotetag62"></a>
+<a href="#footnote62"><sup class="sml">62</sup></a>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote61"
+name="footnote61"><b>Note 61: </b></a><a href="#footnotetag61">
+(retour) </a> «Je lisais de moi-même, dit Pope, car la lecture
+ était une véritable passion chez moi; j'allais çà et là au
+ gré de mon imagination, et, comme un enfant qui va prendre
+ des fleurs dans les champs, dans les bois, partout où il en
+ voit sur sa route. Je regarde encore aujourd'hui ces cinq ou
+ six années comme les plus heureuses de ma vie.»
+
+<p> Il paraît aussi qu'il n'ignorait pas les avantages de cette
+ manière d'étudier indépendante: «M. Pope, dit Spins, croyait
+ avoir gagné sous quelques rapports à n'avoir pas eu
+ d'éducation régulière. Il avait l'habitude de chercher dans
+ ce qu'il étudiait un sens, quand nous n'y voyons encore que
+ des mots.»</p></blockquote>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote62"
+name="footnote62"><b>Note 62: </b></a><a href="#footnotetag62">
+(retour) </a> Chatterton écrivit, avant l'âge de douze ans, un
+ catalogue, dans le genre de celui de Byron, de tous les
+ livres qu'il avait déjà lus; ils s'élevaient à soixante-dix,
+ et la plupart roulaient sur des matières d'histoire ou de
+ théologie.</blockquote>
+
+<p>On peut, dans le fond, ajouter à ces trois exemples celui de Lord Byron,
+puisque, malgré son nom d'écolier, il n'étudia pas sur les bancs de
+l'école, dans le tems employé par ses camarades, à remuer curieusement
+la cendre de l'antiquité; il se contentait de remonter à la source
+fraîche et vive de son propre idiome<a id="footnotetag63" name="footnotetag63"></a>
+<a href="#footnote63"><sup class="sml">63</sup></a>, et d'y puiser cette richesse
+et cette variété de style qui, dès l'âge de vingt-deux ans, placèrent
+ses ouvrages parmi les monumens les plus précieux de la force et de la
+douceur de la langue anglaise.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote63"
+name="footnote63"><b>Note 63: </b></a><a href="#footnotetag63">
+(retour) </a> La pureté que les Grecs mettaient dans leur style a
+ été attribuée peut-être avec justice à leur habitude de
+ n'étudier que leur propre langue. «S'ils devinrent savans,
+ dit Ferguson, ce ne fut qu'en étudiant ce qu'eux-mêmes
+ avaient composé.»</blockquote>
+
+<p>Dans le même livre où l'on retrouve les souvenirs de ses études, que
+nous venons de citer, Byron avait écrit également de mémoire une liste
+des divers poètes qui s'étaient distingués dans leur langue respective.
+Après avoir cité ceux de l'Europe ancienne et moderne, voici comme il
+poursuit son catalogue pour les autres contrées:</p>
+
+<p><span class="sc">Arabie</span>.--Mahomet, dont le Coran contient des passages d'une poésie bien
+plus sublime que celle des auteurs européens.</p>
+
+<p><span class="sc">Perse</span>.--Ferdousi, auteur du Shah-Nameh; l'Iliade des Persans; Sadi et
+Hafiz, l'immortel Hafiz, l'Anacréon de l'Orient. Ce dernier est respecté
+par les Persans, bien autrement que nous ne respectons aucun poète
+ancien ou moderne; ils vont en pélerinage à Shiraz pour y honorer sa
+mémoire sur son tombeau: à ce monument est attaché un magnifique
+exemplaire de ses œuvres.</p>
+
+<p><span class="sc">Amérique</span>.--Cet hémisphère a déjà produit un poète épique, c'est Barlow,
+auteur de la Colombiade; il ne faut pas le comparer aux ouvrages des
+nations plus polies.</p>
+
+<p><span class="sc">Islande, Danemarck, Norwége</span>.--Ces régions étaient fameuses pour leurs
+Scaldes. Parmi ces derniers on distinguait Lodburg; son chant de mort
+respire des sentimens féroces, mais c'est un genre de poésie généreuse
+et passionnée.</p>
+
+<p><span class="sc">L'Indostan</span> n'a pas de grands poètes connus; du moins le sanscrit l'est
+si mal en Europe, que nous ignorons ce que le tems peut avoir épargné
+dans leur littérature.</p>
+
+<p><span class="sc">L'empire Birman</span>.--Les habitans aiment passionnément la poésie; mais on
+ne connaît pas leurs poètes.</p>
+
+<p><span class="sc">Chine</span>.--Je n'ai jamais entendu parler en fait de poète chinois que de
+l'empereur Kien-Long et de son Ode au thé. Quel malheur que le
+philosophe Confucius n'ait pas rédigé en vers ses admirables préceptes
+de morale!</p>
+
+<p><span class="sc">Afrique</span>.--Quelques chants de ce pays sont plaintifs, et leurs paroles
+simples et touchantes; mais j'ignore s'il faut compter ces informes
+essais parmi les poèmes, comme les chants des bardes ou des scaldes.</p>
+
+<p>J'ai écrit cette courte liste de poètes entièrement de mémoire, et sans
+le secours d'aucun livre; il a donc pu s'y glisser quelques erreurs,
+mais elles doivent être de peu d'importance. J'ai parcouru les ouvrages
+des Européens et quelques-uns de ceux de l'Asie, soit en original, soit
+à l'aide de traduction. Je n'ai cité que les meilleurs dans ma liste des
+poètes anglais; il eût été aussi inutile que fatigant d'énumérer ceux
+d'un moindre mérite. Peut-être cependant pourrait-on dans un catalogue
+cosmopolite ajouter encore Gray, Goldsmith et Collins; quant aux autres
+depuis Chaucer jusqu'à Churchill, ce sont <i>voces prætereaque nihil</i>,
+quelquefois nommés, rarement lus et jamais avec profit. Je regarde
+Chaucer, en dépit des éloges qu'on lui a prodigués, comme méprisable et
+licencieux; il ne doit son renom qu'à son antiquité, et sous ce
+rapport-là même, on devrait plutôt se rappeler Pierce Plowman ou Thomas
+d'Ercildoune. Je me suis gardé de citer des poètes vivans de
+l'Angleterre; il n'en est pas un qui ne survive à ses ouvrages. Le goût
+est perdu chez nous; encore un siècle, et nous aurons disparu, notre
+empire, notre littérature et notre nom, des annales du genre humain.<br><br><span class="rig">
+30 novembre 1807, BYRON.</span><br></p>
+
+<p>Il se trouve, parmi les papiers que je possède de lui, plusieurs petits
+poèmes (en tout environ six cents vers) qu'il écrivit en ce tems-là,
+mais qu'il n'a jamais fait imprimer, parce qu'il les avait composés la
+plupart après la publication de ses <i>Heures de loisir</i>. Le plus grand
+nombre d'entre eux ne se recommande guère que par son nom, mais
+quelques-uns, grâce aux sentimens et aux circonstances qui les
+inspirent, seront lus ici avec plaisir. La première fois qu'il entra
+dans Newsteadt, il planta dans un coin de terre un jeune chêne dont il
+croyait l'existence attachée à la sienne. Après six ou sept ans, quand
+il revint au même endroit, il trouva le chêne étouffé sous les mauvaises
+herbes, et presque desséché. C'était au moment où Lord Grey de Ruthen
+quittait l'abbaye; il fit alors l'un de ces poèmes composés de cinq
+stances, et dont on pourra juger par les passages suivans:</p>
+
+<p>Jeune chêne, quand je te plantai profondément en terre, j'espérais que
+tes jours seraient plus longs que les miens, que tes branches
+jetteraient une ombre noire autour de toi, et que le lierre entourerait
+ton tronc comme un manteau.</p>
+
+<p>Telles étaient mes espérances dans les années de l'enfance, quand je te
+plantai avec orgueil sur la terre de mes aïeux. Ces jours sont passés et
+je t'arrose de mes larmes; les mauvaises herbes qui t'entourent ne
+peuvent voiler aux yeux ton triste dépérissement.</p>
+
+<p>Je t'ai quitté, mon pauvre chêne, et depuis cette heure fatale un
+étranger est le maître du château, etc., etc.</p>
+
+<p>Le sujet des vers qui suivent est assez éclairci par la note qu'il a
+placée en tête. Quoiqu'ils aient un air pénible et affecté, ils me
+paraissent dignes d'être conservés comme un témoignage des sentimens
+tendres et romanesques qu'il avait contractés pour ses amis de collége.</p>
+
+<p>«Il y a quelques années, étant à Harrow, un ami de l'auteur avait gravé
+leurs deux noms dans un endroit écarté; il y avait même ajouté quelques
+mots de souvenirs. Plus tard, à l'occasion de quelque injure réelle ou
+imaginaire, l'auteur, avant de laisser Harrow, avait effacé ce fragile
+souvenir. Voici les stances qu'il écrivit à leur place, quand il revit
+Harrow, en 1807:</p>
+
+<p>Ici naguère les souvenirs de l'amitié attiraient les yeux de l'étranger;
+ils étaient simples, ils étaient peu nombreux les mots qui les
+exprimaient, et cependant la colère les a effacés.</p>
+
+<p>Elle trancha profondément dans l'arbre, mais elle n'effaça pas
+entièrement les caractères; ils étaient si simples, que l'amitié
+revenant regarda long-tems, jusqu'à ce qu'aidée de la mémoire, elle
+rétablit les mots.</p>
+
+<p>Le repentir les traça de nouveau, le pardon y joignit son nom aimable;
+l'inscription reparut si belle que l'amitié la crut toujours la même.</p>
+
+<p>Le souvenir serait beau encore; mais, hélas! en dépit de l'espérance et
+des larmes de l'amitié, l'orgueil s'est jeté à la traverse, et a pour
+toujours effacé et l'inscription et le sentiment qu'elle exprimait.</p>
+
+<p>Les mêmes sentimens d'amitié idéale distinguent un autre de ses poèmes,
+dans lequel il a pris pour épigraphe cette ingénieuse devise française:
+<i>l'amitié est l'amour sans ailes</i>. Chacune des neuf stances est terminée
+par les mêmes mots; nous citerons les trois suivantes:</p>
+
+<p>Pourquoi gémirais-je tristement de ce que ma jeunesse est passée? Je
+puis encore compter des jours heureux; la faculté d'aimer n'est pas
+encore morte en moi. En revenant sur mes premières années, un souvenir
+durable, une vérité éternelle m'apporte une céleste consolation;
+souffles légers des vents, redites-la aux lieux où mon cœur s'émut pour
+la première fois!</p>
+
+<p><i>L'amitié, c'est l'amour sans ailes</i>!</p>
+
+<p>Demeure de mes aïeux, ton clocher lointain me rappelle toutes ces scènes
+joyeuses; mon sein brûle comme autrefois; je redeviens enfant par la
+pensée. Ton bouquet d'ormeaux, ta colline verdoyante, chacun de tes
+sentiers, me ravissent encore. Chaque fleur exhale un double parfum. Il
+me semble encore, au milieu de nos doux entretiens, entendre chacun de
+mes compagnons s'écrier:</p>
+
+<p>L'amitié, c'est l'amour sans ailes!</p>
+
+<p>Mon cher Lycus, pourquoi pleures-tu? Retiens tes larmes prêtes à tomber;
+l'affection peut dormir quelque tems, mais, sois-en sûr, elle se
+réveillera! Quand nous nous retrouverons, pense, ami, pense combien elle
+sera douce cette réunion si long-tems désirée! Mon ame bondit de bonheur
+à cet espoir; quand deux jeunes cœurs sont si pleins d'affection,
+l'absence, ami, ne peut que redire:</p>
+
+<p> L'amitié, c'est l'amour sans ailes!</p>
+
+<p>Quant aux vers suivans, je ne puis dire positivement qu'ils se
+rattachent à quelque circonstance réelle. On peut même dire qu'habitué à
+revenir sur toutes les anecdotes de sa jeunesse, il n'eut pas manqué,
+dans la suite, de rappeler un fait aussi remarquable, s'il n'eût pas été
+imaginaire. Or, ni dans sa conversation, ni dans ses écrits, je ne
+trouve qu'il y ait fait une seule fois allusion<a id="footnotetag64" name="footnotetag64"></a>
+<a href="#footnote64"><sup class="sml">64</sup></a>. D'un autre côté,
+toutes ses poésies, sauf les embellissemens dont les entourait son
+imagination, étaient l'expression si fidèle de ses sentimens et de sa
+vie, qu'on ne peut guère s'empêcher de supposer une sorte de fondement
+réel à un poème plein d'une sensibilité aussi pénétrante:</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote64"
+name="footnote64"><b>Note 64: </b></a><a href="#footnotetag64">
+(retour) </a> Voici la seule particularité qui puisse, et encore
+ de fort loin, se lier au sujet de ce poème. Un an ou deux
+ avant la date qui s'y trouve placée, il écrivit de Harrow à
+ sa mère (comme je le sais d'une personne qui tenait elle-même
+ le fait de Mrs. Byron), pour lui dire qu'il avait éprouvé
+ dernièrement beaucoup d'ennui à l'occasion d'une jeune femme,
+ maîtresse de son ami Curzon, qui venait de mourir. Cette
+ femme, se trouvant alors sur le point de devenir mère, avait
+ déclaré que Lord Byron était le père de son enfant. Byron
+ assurait positivement sa mère qu'il n'en était rien; mais,
+ persuadé comme il l'était, que l'enfant appartenait à Curzon,
+ il souhaitait qu'on en prît tout le soin possible, et priait
+ en conséquence sa mère d'avoir la bonté de se charger de lui.
+ Une telle demande pouvait fort bien exciter l'humeur d'une
+ femme plus douce que Mrs. Byron; cependant elle répondit à
+ son fils qu'elle accueillerait volontiers l'enfant dès qu'il
+ serait né, et qu'elle ferait pour lui tout ce qu'il désirait.
+ Par bonheur, l'enfant mourut en voyant le jour.</blockquote>
+<br>
+<p class="mid">À MON FILS.</p>
+
+
+<p>Ces tresses blondes, ces yeux bleus, dont l'éclat rappelle ceux de ta
+mère; ces lèvres de roses, ces joues à fossettes, ce sourire, qui
+captivent le cœur, retracent d'anciennes scènes de bonheur, et touchent
+le cœur de ton père, ô mon enfant!</p>
+
+<p>Et tu ne peux prononcer le nom de ton père; ah, William! si son nom
+était le tien, alors sa conscience ne lui adresserait plus de reproches:
+mais écartons ces tristes idées; les soins que je prendrai de toi me
+rendront la paix intérieure; l'ombre de ta mère sourira dans sa joie, et
+pardonnera le passé, ô mon enfant!</p>
+
+<p>Le gazon a recouvert son humble tombe, et une étrangère t'a présenté son
+sein. Le préjugé peut rire dédaigneusement de ta naissance, et ne
+t'accorder qu'à peine un nom sur la terre; mais il ne saurait détruire
+une seule de tes espérances: le cœur de ton père est à toi, ô mon
+enfant!</p>
+
+<p>Eh bien! laisse un monde sans entrailles se récrier; dois-je pour lui
+plaire étouffer la voix puissante de la nature? Non, que les moralistes
+me désapprouvent s'ils le veulent, tu seras toujours pour moi le bien
+cher enfant de l'amour, beau chérubin, gage de jeunesse et de joie! un
+père veille sur ton berceau, ô mon enfant!</p>
+
+<p>Ô quel charme, avant que l'âge n'ait ridé mon front, avant que d'avoir
+épuisé à moitié la coupe de la vie, de contempler à la fois en toi, un
+frère et un fils, et d'employer le reste de mes jours à réparer mon
+injustice envers toi, ô mon enfant!</p>
+
+<p>Quoique ton père imprudent soit bien jeune encore, sa jeunesse
+n'éteindra pas en lui le feu de l'amour paternel. Et quand même tu me
+serais moins cher, tant que l'image d'Hélène revivra en toi, ce cœur,
+plein de son souvenir du bonheur passé, n'en abandonnera jamais le gage,
+ô mon enfant!<span class="rig"><br>
+B.--1807<a id="footnotetag65" name="footnotetag65"></a>
+<a href="#footnote65"><sup class="sml">65</sup></a>.</span><br><br></p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote65"
+name="footnote65"><b>Note 65: </b></a><a href="#footnotetag65">
+(retour) </a> Dans cet usage de dater ses premiers poèmes, il
+ suivait l'exemple de Milton, qui, dit Johnson, en datant ses
+ premiers ouvrages, comme lui en avait donné l'exemple le
+ savant Politien, semblait recommander à la postérité la
+ précocité de ses inspirations. Le suivant badinage, également
+ écrit en 1807, n'a jamais été imprimé; il est intraduisible;
+ nous le donnerons en anglais:
+
+<p class="mid"> EPITAPH</p>
+
+<p class="mid"> ON JOHN ADAMS, OF SOUTHWELL, A CARRIER,</p>
+
+<p class="mid"> WHO DIED OF DRUNKENNESS.</p>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p class="i14"> John Adams lies here, of the parish of Southwell,</p>
+<p class="i14"> A carrier, who carried his can to his mouth well;</p>
+<p class="i14"> He carried so much, and he carried so fast,</p>
+<p class="i14"> For, the liquor he drank being too much for one,</p>
+<p class="i14"> He could not carry off, so he's now carri-on.</p>
+
+<p class="rig"> B., sept. 1807.<br></p>
+</div></div><br>
+</blockquote>
+
+<p>Mais le plus remarquable de ses poèmes est d'une date antérieure à
+toutes celles que je viens de donner, ayant été écrit en décembre 1806,
+quand il n'avait pas encore dix-neuf ans. Il contient sa profession de
+foi religieuse à cette époque, et nous montre combien son esprit lutta
+de bonne heure entre le doute et la piété:</p>
+
+<p class="mid">PRIÈRE DE LA NATURE.</p>
+
+<p>Père de la lumière! grand Dieu du ciel! entends-tu les accens du
+désespoir? Des fautes comme celles de l'homme peuvent-elles être jamais
+pardonnées? Le vice peut-il expier des crimes par des prières? Père de
+la lumière, j'élève vers toi mes accens! Tu le vois, mon ame est noircie
+de souillures; toi qui peux observer la chute du plus petit oiseau,
+détourne de moi la mort du péché.</p>
+
+<p>Je ne cherche point de sectes inconnues; oh! montre-moi le sentier de la
+vérité! Je reconnais ta toute-puissance redoutable, épargne les fautes
+de ma jeunesse en les corrigeant. Que les dévots élèvent, s'ils le
+veulent, des temples obscurs; que la superstition en salue humblement
+les portiques; que, pour étendre et affermir leur empire funeste, les
+prêtres inventent des rites mystiques et mensongers. L'homme
+bornera-t-il le domaine de son créateur à ces dômes gothiques qui
+surmontent des amas de pierres à moitié détruites? Ton temple est la
+face du jour; la terre, l'océan, le ciel te forment un trône sans
+limites.</p>
+
+<p>L'homme condamnera-t-il sa propre race aux tourmens de l'enfer, à moins
+qu'ils ne fléchissent le genou devant de vaines pompes? Nous dira-t-il
+que, pour un seul qui a failli, tous doivent périr confusément dans la
+tempête? Chacun prétendra-t-il gagner les cieux, et cependant condamner
+son frère à la mort éternelle, parce que son ame s'est ouverte à des
+espérances différentes, ou qu'il a suivi des doctrines moins sévères?
+Iront-ils, aux moyens de croyances qu'ils ne sauraient expliquer,
+décider d'avance tes grâces et tes châtimens? Des reptiles rampans sur
+la terre connaîtront-ils les desseins de leur grand créateur?</p>
+
+<p>Ces hommes qui n'ont vécu que pour eux-mêmes, qui ont passé leurs années
+dans des crimes renouvelés chaque jour, trouveront-ils dans leur foi une
+compensation à leurs forfaits, et vivront-ils au-delà des limites du
+tems?</p>
+
+<p>Ô mon père! je ne cherche les lois d'aucun prophète; tes lois, à toi,
+apparaissent dans les ouvrages de la nature. Je suis, je l'avoue, faible
+et corrompu, et cependant je te prierai, car tu m'entendras! Toi qui
+guides l'étoile errante à travers les royaumes infinis de l'éther, qui
+calmes la guerre des élémens, et dont j'aperçois la main d'un pôle à
+l'autre pôle; toi qui, dans ta sagesse, m'as placé ici-bas, et qui peux
+m'en retirer quand telle sera ta volonté; tant que je serai sur cette
+terre périssable, étends sur moi ta main protectrice. C'est à toi, à
+toi, mon Dieu, que j'adresse mes prières; quelque bonheur ou quelque
+malheur qui m'arrive, qu'à ta volonté je m'élève ou m'abaisse, je me
+confie en ta protection: si, quand cette poussière sera rendue à la
+poussière, mon ame parcourt les airs sur des ailes rapides, comme
+j'adorerai ton nom glorieux! mais si cet esprit passager partage avec le
+corps le repos éternel de la tombe, tant qu'il me restera un souffle de
+vie, j'élèverai vers toi ma prière, quoique condamné à ne jamais quitter
+la demeure des morts. C'est à toi que j'adresse mes dernières
+inspirations, plein de reconnaissance pour tes bienfaits passés, et
+espérant, ô mon Dieu, que cette vie errante se réunira enfin à ton
+essence.</p>
+
+<p>Dans un autre poème, et qu'il écrivit avec la triste conviction qu'il
+allait bientôt mourir, nous retrouvons une prière exprimant à peu près
+les mêmes opinions. Après avoir dit adieu à toutes les scènes favorites
+de sa jeunesse<a id="footnotetag66" name="footnotetag66"></a>
+<a href="#footnote66"><sup class="sml">66</sup></a>, voici comme il continue:</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote66"
+name="footnote66"><b>Note 66: </b></a><a href="#footnotetag66">
+(retour) </a> Annesley n'est pas oublié en cette occasion:
+
+<p> «Oublierai-je la scène toujours présente à ma pensée? Les
+ rochers s'élèvent et les rivières serpentent entre moi et les
+ lieux que notre amour embellissait, et cependant, Marie, ta
+ beauté m'apparaît fraîche encore, comme un délicieux songe
+ d'amour, etc., etc.»</p></blockquote>
+
+<p>Oublie ce monde, ô mon ame agitée, tourne tes pensées vers le ciel; tu y
+dirigeras bientôt ta course, si tes erreurs sont oubliées. Loin des
+bigots et des sectaires, incline-toi devant le trône du Tout-Puissant,
+adresse-lui ta tremblante prière. Il est clément et juste, il ne
+rejettera pas la prière de l'enfant de la poussière, quoiqu'il soit le
+moindre objet de ses soins. Père de la lumière, j'élève vers toi mes
+accens! Tu le vois, mon ame est pleine de souillures; toi qui peux
+observer la chute du plus petit oiseau, détourne de moi la mort du
+péché. Toi qui peux guider l'étoile errante, qui calmes la guerre des
+élémens, qui as pour manteau les cieux immenses, pardonne mes pensées,
+mes paroles, mes crimes; et puisque je dois bientôt cesser de vivre;
+apprends-moi comment je dois mourir.</p>
+
+<p>Nous avons vu par une lettre précédente qu'il avait eu à se féliciter de
+l'issue d'un procès jugé au tribunal de Lancastre, et relatif à la terre
+de Rochdale. Dans une note que nous allons reproduire, et qu'il écrivit
+à l'un de ses amis de Southwell à l'occasion d'un second triomphe dans
+la même cause, on verra qu'il s'en exagérait beaucoup les résultats
+probables.</p>
+
+<p class="rig">9 février 1807.</p><br>
+
+<p><span class="sc">Mon cher</span>,</p>
+
+<p>«J'ai le plaisir de vous annoncer que j'ai gagné une seconde fois la
+cause de Rochdale, qui me fait valoir soixante mille livres de plus.</p>
+
+<p>Tout à vous.»<br><span class="rig">
+BYRON.</span><br><br>
+
+<p>Au mois d'avril suivant il était encore à Southwell, et c'est de là
+qu'il écrivit au docteur Pigot, alors à Édimbourg<a id="footnotetag67" name="footnotetag67"></a>
+<a href="#footnote67"><sup class="sml">67</sup></a>:</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote67"
+name="footnote67"><b>Note 67: </b></a><a href="#footnotetag67">
+(retour) </a> Il paraît, d'après un passage d'une lettre de miss
+ Pigot à son frère, que Lord Byron chargea ce dernier de
+ remettre une copie de ses poèmes à M. Mackenzie, l'auteur de
+ l'<i>Homme sensible</i>: «Je suis ravie que M. Mackenzie ait vu
+ une copie des poèmes de Lord Byron, et qu'il en ait jugé
+ aussi favorablement. Lord Byron en est enchanté.»
+
+<p> Dans une autre lettre, l'aimable écrivain dit encore: «Lord
+ Byron me charge de vous dire qu'il ne vous écrit pas parce
+ que son édition n'est pas aussi avancée qu'il l'avait espéré.
+ Je lui dis qu'il faut aussi peu de chose pour l'affecter qu'à
+ une femme.»</p></blockquote>
+
+<p class="rig">Southwell, avril 1807.</p><br>
+
+<p><span class="sc">Mon cher Pigot</span>,</p>
+
+<p>«Permettez-moi de vous féliciter du succès de votre premier examen;
+<i>courage</i>, mon ami. Le titre de docteur fera merveille auprès des dames.
+Je serai probablement à Essex ou à Londres quand vous arriverez en ce
+lieu maudit, où je suis encore retenu par l'impression de mes vers.</p>
+
+<p>«Adieu, croyez-moi toujours bien sincèrement votre<br><span class="rig">
+BYRON.</span></p><br>
+
+<p>«<i>P. S.</i> Depuis notre séparation, grâce à de violens exercices, la
+<i>plupart</i> physiques, et aux bains chauds, j'ai réduit mon embonpoint de
+cent soixante-quatorze livres à cent quarante-un; total vingt-sept
+livres de perte. <i>Bravo</i>! qu'en dites-vous?»</p>
+
+<p>Je dois à la complaisance de la dame qui correspondait alors avec Byron
+l'avantage de pouvoir initier le lecteur dans les sentimens et les
+travaux de notre poète pendant le reste de cette année. Ces lettres ont,
+sans doute, un caractère enfantin<a id="footnotetag68" name="footnotetag68"></a>
+<a href="#footnote68"><sup class="sml">68</sup></a>, et la plupart des plaisanteries
+qu'on y trouve naissent plutôt de jeux de mots que de pensées
+saillantes; mais je les estime cependant fort curieuses, et par la
+lumière qu'elles répandent sur cette époque de sa vie, et par le tableau
+animé des craintes et des espérances qu'il avait relativement à sa
+gloire future. La première de ces lettres ne porte pas de date, elle
+semble avoir été écrite avant son départ de Southwell; les autres, comme
+on le verra, sont datées de Cambridge et de Londres.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote68"
+name="footnote68"><b>Note 68: </b></a><a href="#footnotetag68">
+(retour) </a> En effet, il n'était encore qu'un enfant sous tous
+ les rapports dans ce tems-la. «Lundi prochain (dit miss
+ Pigot) est notre grande foire. Lord Byron l'attend avec le
+ même plaisir que le petit Henri, et se promet de paraître à
+ cheval dans la foulée; mais je pense qu'il changera de
+ résolution.»</blockquote>
+<br><br>
+<h3>LETTRE XII.</h3>
+
+<h4>À MISS PIGOT.</h4>
+
+<p class="rig">11 juin 1807.</p><br><br>
+
+<p><span class="sc">Ma chère reine Bess</span><a id="footnotetag69" name="footnotetag69"></a>
+<a href="#footnote69"><sup class="sml">69</sup></a>,</p>
+
+<p>«<i>Sauvage</i> doit être immortel; ce n'est pas un généreux boul-dogue, mais
+c'est le plus joli roquet que j'aie encore vu, et il fera parfaitement
+l'affaire. Dans ses accès de tendresse, il a déjà mordu les doigts et
+dérangé la gravité du vieux Boatswain, qui en est encore fort ému. Je
+désire savoir ce qu'il coûte, les frais qu'il a occasionnés, etc., etc.,
+afin de pouvoir indemniser M. G... Je ne puis que le remercier de la
+peine qu'il a prise, lui adresser un long discours et conclure avec 1,
+2, 3, 4, 5, 6, 7<a id="footnotetag70" name="footnotetag70"></a>
+<a href="#footnote70"><sup class="sml">70</sup></a>; mais je suis hors d'état de faire tout cela par
+moi-même, ainsi je vous <i>députe</i> en qualité de légat, car il ne faut pas
+parler d'<i>ambassadeur</i>, relativement au <i>pape</i>, comme c'est le cas ici
+sans doute, puisque tout ce que je vous ai dit est à propos de
+<i>bulle</i><a id="footnotetag71" name="footnotetag71"></a>
+<a href="#footnote71"><sup class="sml">71</sup></a>.</p>
+
+<p>«Tout à vous.<br><span class="rig">
+
+BYRON.<br></span></p>
+
+<p>«<i>P. S.</i> Je vous écris de mon lit.»</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote69"
+name="footnote69"><b>Note 69: </b></a><a href="#footnotetag69">
+(retour) </a> Diminutif d'Élisabeth. Byron, en l'appelant reine,
+ fait allusion à la reine Élisabeth.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote70"
+name="footnote70"><b>Note 70: </b></a><a href="#footnotetag70">
+(retour) </a> Cette phrase s'explique par son habitude, quand il
+ lui arrivait de ne pas trouver les expressions de la pensée
+ qu'il voulait exprimer, de prononcer les chiffres 1, 2, 3, 4,
+ 5, 6, 7.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote71"
+name="footnote71"><b>Note 71: </b></a><a href="#footnotetag71">
+(retour) </a> Bull-dog ou boul-dogue. On comprendra facilement le
+ jeu de mois.</blockquote>
+<br><br>
+<h3>LETTRE XIII.</h3>
+
+<h4>À LA MÊME.</h4>
+
+<p class="rig">Cambridge, 30 juin 1807.</p><br><br>
+
+<p>«Mieux vaut tard que jamais, c'est un proverbe dont vous connaissez
+l'origine, et, comme son application est ici toute naturelle, vous me
+pardonnerez de lui avoir donné dans ma lettre une place aussi honorable.
+Je me trouve ici presque suranné; mes anciens amis, excepté un fort
+petit nombre, sont tous partis, et je me dispose à les suivre, mais je
+reste jusqu'à lundi pour assister à trois oratorios, deux concerts, une
+foire et un bal. Je me trouve non-seulement <i>plus maigre</i>, mais d'un
+pouce plus <i>grand</i> qu'à mon dernier voyage. Je me suis vu obligé de
+redire à chacun mon <i>nom</i>, personne n'ayant le moindre souvenir de ma
+figure ni de ma personne. Il n'est pas jusqu'au héros de ma <i>Cornaline</i>
+(qui, dans ce moment, se trouve placé vis-à-vis, lisant un volume de mes
+poésies), qui n'ait passé devant moi dans les promenades du collége sans
+me reconnaître, et qui n'ait été frappé du changement total qui s'était
+opéré en moi, etc., etc. Les uns me trouvent mieux, les autres plus mal;
+mais tous s'accordent à dire que je suis maigri, plus même que je ne le
+désire. J'ai perdu deux livres d'embonpoint depuis mon départ de votre
+maudit, détestable et détesté séjour de scandale<a id="footnotetag72" name="footnotetag72"></a>
+<a href="#footnote72"><sup class="sml">72</sup></a>, dont, à
+l'exception de vous-même et de John Becher, je voudrais voir toute la
+race consignée dans les gouffres de l'Achéron, lequel fleuve j'aimerais
+mieux visiter en personne que de salir mes sandales dans la vile
+poussière de Southwell. À parler sérieusement, si la légèreté de ma
+bourse ne me force pas à rejoindre Mrs. Byron, vous ne me reverrez plus.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote72"
+name="footnote72"><b>Note 72: </b></a><a href="#footnotetag72">
+(retour) </a> Malgré les injures, d'ailleurs plutôt badines que
+ sérieuses, qu'il lance dans le cours de ses lettres contre
+ Southwell, il apprit plus tard à se convaincre que les heures
+ qu'il y avait passées étaient les plus heureuses de sa vie.
+ Dans une lettre qu'écrivit, il n'y a pas long-tems, à son
+ valet Fletcher, une dame qui l'avait intimement connu à
+ Southwell, on trouve le passage suivant: «Votre bon, votre
+ pauvre maître m'appelait toujours <i>l'antique piété</i>, quand je
+ m'avisais de lui faire des remontrances. Lors de sa dernière
+ visite, il me dit: <i>Eh bien! ma bonne amie, je ne serai
+ jamais aussi heureux qu'à Southwell</i>.» On verra plus loin,
+ dans une lettre à M. Dallas, ce qu'il pensait réellement de
+ cette ville et de ses agrémens comme lieu de résidence.</blockquote>
+
+<p>«Je pars lundi pour Londres; je quitte Cambridge sans beaucoup de peine,
+notre société étant dispersée, et le musicien que je protégeais ayant
+quitté sa place dans le chœur pour entrer dans une grande maison de
+commerce de la capitale. Je vous ai dit, sans doute, qu'il était
+exactement, et à une heure près, plus jeune que moi de deux années. Je
+l'ai trouvé fort grandi, et surtout enchanté de revoir son premier
+<i>patron</i>. Il est presque de ma taille, très-maigre, d'une belle figure,
+des yeux noirs, des cheveux clairs: vous connaissez déjà l'idée que j'ai
+de son esprit; j'espère bien n'avoir jamais sujet d'en changer. On me
+croit ici généralement indisposé: l'université est fort gaie dans ce
+moment; elle donne des fêtes de tous les genres. Hier j'ai soupé dehors,
+mais je n'ai rien mangé; satisfait d'une bouteille de Bordeaux, je me
+suis couché à deux heures pour me lever à huit. J'ai pris le parti de me
+lever de bonne heure, cette habitude me convient parfaitement. Je reçois
+beaucoup de politesses des maîtres et des élèves; mais ils me regardent
+avec un peu de défiance: ils se soucient peu des <i>lardons</i>; le moyen de
+déplaire c'est de dire la vérité.</p>
+
+<p>«Écrivez-moi, dites-moi comment se partent les habitans de votre
+<i>ménagerie</i>, si mon édition se place, si mes chiens grognent. À propos,
+mon boul-dogue est décédé; <i>la chair du chien comme celle de l'homme
+n'est que de l'herbe</i>. Répondez-moi à Cambridge; si j'en suis parti, on
+m'enverra votre lettre. Voici de tristes nouvelles qui arrivent: les
+Russes sont vainqueurs; triste troupe qui ne mange que de l'<i>huile</i>, et
+par conséquent devait fondre devant un <i>feu soutenu</i>. Je ne suis pas à
+mon aise dans mon costume universitaire, je n'en ai pas l'usage. Je suis
+monté sur une fenêtre à Sainte-Marie pour mieux entendre un <i>oratorio</i>;
+mais au milieu du chant du <i>Messie</i>, je me suis laissé tomber, déchirant
+ma superbe robe de soie noire, et endommageant une fort belle paire de
+culottes. Mémoire, prendre garde de ne jamais tomber d'une fenêtre
+d'église pendant le service. Adieu, ma chère Élisabeth, ne me rappelez à
+personne, oubliez les gens de Southwell; en être oublié, voilà tout ce
+que je désire.»</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE XIV.</h3>
+
+<h4>À MISS PIGOT.</h4>
+
+<p class="rig">Cambridge, collége de la Trinité, 5 juillet 1807.</p><br><br>
+
+<p>«Depuis ma dernière lettre, je me suis décidé à rester encore une année
+à Granta (Cambridge); mes appartemens y sont meublés dans le dernier
+style. Plusieurs vieux amis me sont revenus, et leur nombre s'est
+augmenté de nouvelles connaissances; mon inclination est donc pour le
+collége, et j'y retournerai en octobre si je vis encore. Ma vie est ici
+une suite continuelle de plaisirs; je vais dans le même jour à vingt
+différens endroits; j'ai des invitations pour dîner plus que le tems de
+mon séjour ne me permet d'en accepter. Je viens de prendre la plume, une
+bouteille de Bordeaux dans la tête et des larmes dans les yeux, car je
+viens de quitter ma Cornaline<a id="footnotetag73" name="footnotetag73"></a>
+<a href="#footnote73"><sup class="sml">73</sup></a> qui était venue passer la soirée avec
+moi; comme c'était notre dernière entrevue, j'avais manqué aux
+invitations que l'on m'avait faites pour consacrer à l'amitié les heures
+du <i>sabbat</i>. Maintenant nous voilà séparés, Edleston et moi: ma tête est
+un chaos d'ennuis et d'espérances. Demain je partirai pour Londres; vous
+m'écrirez à Albemarle-street, hôtel Gordon, où j'habiterai pendant mon
+séjour dans la capitale.</p>
+
+<p>«Je suis ravi d'apprendre que vous vous intéressiez à mon <i>protégé</i>; il
+a été mon <i>très-constant associé</i> depuis le mois d'octobre 1805, époque
+de mon entrée au collége Trinité. Sa voix fut la première à me frapper,
+sa figure m'attacha à lui, ses manières me le firent aimer pour la vie.
+Il entre dans une maison de commerce en ville vers le mois d'octobre, et
+tout porte à croire que je ne le reverrai pas avant l'époque de ma
+majorité, quand je pourrai lui donner à choisir ou d'une place d'associé
+dans sa maison, ou de venir demeurer avec moi. Je pense que, dans ses
+idées actuelles, il préférerait le dernier parti; mais d'ici là il
+pourra bien changer d'avis: dans tous les cas ce sera comme il
+l'entendra. Il est certain que c'est l'être que j'aime le plus au monde,
+et que ni le tems ni l'absence ne pourront changer en rien mes sentimens
+d'ailleurs si mobiles. Bref, nous ferions honte à lady E... Butler et
+miss Ponsonby, nous étonnerions Oreste et Pilade; et vienne l'occasion
+d'une catastrophe comme celle de Nisus et Euryale, nous l'emporterons
+sur David et Jonathan. Peut-être a-t-il pour moi encore plus d'affection
+que je n'en ai pour lui. Pendant tout mon tems de Cambridge, nous nous
+sommes vus tous les jours, été et hiver, sans éprouver un moment
+d'ennui, et nous séparant toujours avec une peine incroyable. Vous nous
+verrez un jour ensemble, je l'espère; c'est le seul homme que j'estime,
+bien que ce ne soit pas le seul que j'aime<a id="footnotetag74" name="footnotetag74"></a>
+<a href="#footnote74"><sup class="sml">74</sup></a>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote73"
+name="footnote73"><b>Note 73: </b></a><a href="#footnotetag73">
+(retour) </a> C'est-à-dire celui auquel il avait donné la fameuse
+ cornaline.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote74"
+name="footnote74"><b>Note 74: </b></a><a href="#footnotetag74">
+(retour) </a> Il faut placer ici les autres détails de cette
+ amitié exaltée. Le jeune Edleston mourut en 1811 de
+ consomption. Voici la lettre que Byron adressa à la mère de
+ miss Pigot; elle prouvera quelle fut alors sa douleur, et
+ quelle fidélité il gardait à la mémoire de cet ami de
+ collége:<br>
+
+<span class="rig"> Cambridge, 28 octobre 1811.</span><br><br><br>
+
+<p> <span class="sc">Ma chère dame</span>,</p>
+
+<p> «Je vous écris pour une demande pénible, et cependant il
+ m'est impossible de faire autrement. Vous vous souvenez d'une
+ cornaline que j'avais confiée à miss Élisabeth, il y a
+ quelques années, que réellement je lui avais donnée;
+ maintenant je viens lui faire la plus égoïste et la plus
+ inconvenante prière. Celui qui me l'avait donnée, dans sa
+ première jeunesse, est <i>mort</i>; et bien que je ne l'eusse pas
+ revu depuis long-tems, c'est le seul souvenir qui me reste de
+ cette personne à laquelle je m'intéressais très-vivement.
+ Elle a donc acquis par cet événement une valeur que j'aurais
+ bien souhaité ne jamais lui supposer. Si donc miss Betty l'a
+ conservée jusqu'à présent, elle m'excusera, je l'espère, si
+ je la supplie de me la renvoyer à Londres, à
+ Saint-James-street, n° 8; je la remplacerai par quelque autre
+ souvenir qui lui sera également précieux. Elle eut toujours
+ la bonté de s'intéresser au sort de celui dont je viens de
+ parler; dites-lui que le <i>donneur</i> de la cornaline mourut au
+ mois de mai dernier, à l'âge de vingt-un ans, et que sa mort
+ est la sixième d'amis ou de parens que j'aie eu à supporter
+ dans l'espace de quatre mois.</p>
+
+<p> «Croyez-moi bien sincèrement, ma chère dame,<br><span class="rig">
+BYRON.</span><br></p>
+
+<p> «<i>P. S.</i> Je pars demain pour Londres.»</p>
+
+<p> La cornaline fut aussitôt renvoyée à Lord Byron, qui
+ rappelait encore quelque tems après qu'il l'avait laissée à
+ miss Pigot comme un dépôt et non pas comme un don.</p></blockquote>
+
+<p>«Le marquis de Tavistock est arrivé hier; j'ai soupé avec lui chez son
+tuteur, qui est un whig délibéré. L'opposition est ici en nombre, et
+lord Huntingdon, le duc de Leinster, etc., etc., doivent encore nous
+joindre en octobre; ainsi tout sera admirable. Le tems de la musique est
+passé; mais voici un nouvel accident: j'ai renversé une <i>nacelle</i> à
+beurre sur la robe d'une dame; j'ai changé de couleur; les spectateurs
+de rire et moi de les maudire. À propos, aveu pénible! je me suis
+<i>grisé</i> tous les jours, et je n'ai pas encore fini; cependant je ne
+mange rien que du poisson, du potage et des végétaux; je ne me porte
+donc pas plus mal. Les sots malins que ces Cantabres<a id="footnotetag75" name="footnotetag75"></a>
+<a href="#footnote75"><sup class="sml">75</sup></a>! Mémoire.
+Projet de réforme pour janvier. Cette ville offre une monotonie de
+distractions continuelles; je l'aime, et déteste Southwell. Ridge a-t-il
+bien vendu? Quelles dames ont acheté?... J'ai vu à Sainte-Marie une
+jeune fille, vrai portrait d'Anne... J'ai cru que c'était elle... et
+pour mon malheur; car la dame s'arrêta, ainsi le fis-je; je rougis,
+ainsi ne fit-elle pas, ce qui était fort mal; je voudrais dans les
+femmes plus de modestie. En parlant de femmes, Fanni, mon chien terrier,
+me revient à l'esprit; comment se porte-t-il? J'ai attrapé un mal de
+tête, je vais me mettre au lit et demain haut le pied de bonne heure
+pour me mettre en route. Mon protégé déjeunera avec moi, mais je n'ai
+pas d'appétit quand je pars, si ce n'est de Southwell. Mémoire. <i>Je hais
+Southwell</i>.</p>
+
+<p>«Tout à vous.»</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote75"
+name="footnote75"><b>Note 75: </b></a><a href="#footnotetag75">
+(retour) </a> Les habitans de Cambridge.</blockquote>
+<br><br>
+<h3>LETTRE XV.</h3>
+
+<h4>À LA MÊME.</h4>
+
+<p class="rig">Hôtel Gordon, 13 juillet 1807.</p><br><br>
+
+<p>«Vous m'écrivez des lettres parfaites.--Fi des autres correspondans, et
+de leurs fades excuses <i>de n'avoir rien à vous apprendre</i>! Vous m'avez
+envoyé une délicieuse <i>brochure</i>; ici je me trouve dans un continuel
+tourbillon de distractions fort agréables après tout, et, chose
+singulière, je maigris à vue d'œil, pesant maintenant bien moins de cent
+trente livres. Je séjournerai ici un mois, peut-être six semaines; je
+ferai une apparition dans le comté d'Essex, et comme une faveur je
+viendrai briller à Southwell dans toute ma gloire; mais rien jamais ne
+pourra me forcer à y résider. Je suis décidé à retourner en octobre à
+Cambridge; ou nous y serons d'une gaîté folle, ou je décampe de
+l'université. Il m'est arrivé à Cambridge quelque chose
+d'extraordinaire. J'ai trouvé une jeune fille qui ressemblait à ***, au
+point que la plus minutieuse inspection pouvait seule m'empêcher de la
+prendre pour cette dernière. Je me repens de ne pas lui avoir demandé si
+elle était jamais allée à Harrow.</p>
+
+<p>«Que diable prétend donc Ridge? cinquante exemplaires en quinze jours,
+et avant les annonces, n'est-ce pas assez vendre? Je sais que plusieurs
+libraires de Londres en ont, et que Crosby en a envoyé aux <i>eaux</i> les
+plus fréquentées. En dit-on à Southwell du bien ou du mal?... J'aurais
+voulu que Boatswain eût <i>avalé</i> Damon. Comment se porte Bran? Par les
+dieux, il faut que Bran devienne un <i>comte du saint empire romain</i>...</p>
+
+<p>«Les nouvelles de Londres ne peuvent guère vous intéresser; vous dont
+toute la vie a été campagnarde vous vous souciez peu des routs, des
+parties, des bals, des luttes, des cartes, des crim. con.<a id="footnotetag76" name="footnotetag76"></a>
+<a href="#footnote76"><sup class="sml">76</sup></a>,
+discussions des chambres, politique, bals masqués, industrie,
+institution d'Argyle-Street, courses nautiques, amourettes et loteries,
+Brook et Bonaparte, chanteurs d'opéras et oratorios, vins, femmes,
+figures de cire, girouettes, tout cela ne s'accorde guère avec vos idées
+rétrécies de décorum et vos autres expressions sucrées qui ne se
+trouvent plus dans notre vocabulaire.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote76"
+name="footnote76"><b>Note 76: </b></a><a href="#footnotetag76">
+(retour) </a> Abréviation des mots <i>criminelles conversations</i>,
+ qui servent à désigner les actions en adultère, viols,
+ attentats à la pudeur, etc., etc.</blockquote>
+
+<p>«Oh! Southwell! Southwell! combien je me félicite de t'avoir abandonné,
+et combien je maudis les lourdes heures écoulées plusieurs mois durant,
+au milieu des Mohawk qui habitent tes kraals! Toutefois une chose me
+console, c'est, grâce à toi, d'avoir dépouillé assez de mon ancienne
+graisse pour me permettre de glisser dans une <i>peau d'anguille</i>, et de
+lutter avec les plus sveltes beaux des tems modernes. Mais je suis fâché
+de le dire, la mode actuelle semble exiger de l'embonpoint, et l'on
+m'assure qu'il s'en faut de quatorze livres que je sois à la mode. Il
+n'en est pas moins vrai qu'au lieu d'engraisser je diminue, ce qui est
+extraordinaire, attendu qu'à Londres on ne peut songer à des exercices
+violens. J'attribue ce phénomène à la presse que nous éprouvons dans nos
+réunions du soir. Je reçois ce matin même 14, une lettre de Ridge; la
+mienne était commencée d'avant-hier: il m'écrit que mon livre se débite
+aussi bien qu'on peut le désirer; que les soixante-quinze exemplaires
+envoyés à Londres sont épuisés, et qu'on lui en demande, le jour même
+qu'il m'écrivait, cinquante de plus: on n'a pourtant pas encore fait la
+moitié des annonces. Adieu.</p>
+
+<p>«<i>P. S.</i> Lord Carlisle, en recevant mes œuvres, m'a fait tenir une
+lettre assez satisfaisante avant d'avoir ouvert le livre: depuis je n'en
+ai pas entendu parler. Je ne connais pas l'opinion qu'il en a formée, et
+je m'en soucie fort peu. S'il fait la moindre insolence je l'encadrerai
+avec Butler<a id="footnotetag77" name="footnotetag77"></a>
+<a href="#footnote77"><sup class="sml">77</sup></a> et les autres de sa force. Le pauvre homme! il est dans
+le duché d'York et fort malade; il me dit qu'il n'a pas eu le tems de me
+lire, mais qu'il a jugé convenable de m'annoncer de suite qu'il avait
+reçu mon envoi. Peut-être le comte ne veut-il <i>pas souffrir de frère
+auprès de son trône</i><a id="footnotetag78" name="footnotetag78"></a>
+<a href="#footnote78"><sup class="sml">78</sup></a>.--<i>S'il en est ainsi</i>, je saurai bien briser
+<i>le sceptre dans ses mains</i>.--</p>
+
+<p>«Adieu.»<br><span class="rig">
+BYRON.</span><br></p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote77"
+name="footnote77"><b>Note 77: </b></a><a href="#footnotetag77">
+(retour) </a> Byron a inséré parmi ses poèmes imprimés, sans
+ avoir été publiés, quelques vers sur le docteur Butler, qu'il
+ n'a pas reproduits dans les <i>Heures d'oisiveté</i>; il y avait
+ ajouté une note moins amère, dans laquelle il expliquait ses
+ motifs de rancune.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote78"
+name="footnote78"><b>Note 78: </b></a><a href="#footnotetag78">
+(retour) </a> Citation qui présente une allusion à la coutume du
+ Grand-Seigneur, de faire étrangler ses frères en montant sur
+ le trône.</blockquote>
+<br><br>
+<h3>LETTRE XVI.</h3>
+
+<h4>À LA MÊME.</h4>
+
+<p class="rig">2 août 1807.</p><br><br>
+
+<p>«Londres commence à dégorger ce qu'elle contenait.--La ville est
+déserte,--et mes occupations devenant moins nombreuses, je puis
+griffonner à loisir. Dans quinze jours je partirai pour répondre à une
+invitation de campagne, mais j'espère bien recevoir d'ici-là deux
+lettres de vous. Ridge <i>n'écoule</i> pas rapidement dans Nottes.--Je le
+crois facilement; mais dans la capitale la chose se passe d'une manière
+bien plus flatteuse, et sans doute on peut se passer de l'assentiment
+des littérateurs de province, quand on a d'ailleurs obtenu l'éloge des
+revues, l'admiration des duchesses et la reconnaissance intéressée des
+libraires de la capitale. J'ai actuellement sous les yeux une revue
+intitulée: <i>Récréations littéraires</i>; mes poésies y sont vantées bien
+au-delà de leur mérite. Je ne connais pas mon juge, mais je lui trouve
+beaucoup de discernement, et à moi un talent <i>d'enfer</i>. Sa critique me
+plaît surtout en ce qu'elle est fort longue, et en ce qu'elle a
+justement la dose de sévérité nécessaire pour donner à ses éloges un
+agréable relief. Je hais, vous le savez, les complimens communs et
+insipides. Si vous voulez voir cet article, cherchez le troisième numéro
+des <i>Récréations littéraires</i> du mois dernier.</p>
+
+<p>«Je n'ai pas, je vous le répète, la plus légère idée de celui qui l'a
+fait: il est imprimé dans un recueil périodique; et bien qu'on ait
+inséré dans le même ouvrage un morceau de ma composition (l'<i>Examen de
+Wordsworth</i><a id="footnotetag79" name="footnotetag79"></a>
+<a href="#footnote79"><sup class="sml">79</sup></a>), je ne connais aucun de ceux qui s'intéressent à cette
+publication, pas même l'éditeur, dont le nom n'est pas parvenu jusqu'à
+moi. Mon cousin, lord Alexandre Gordon, m'a dit que la <i>Grâce</i> de
+Gordon, sa mère, l'avait engagé à présenter ma <i>poétique</i> seigneurie à
+son <i>altesse</i>, attendu qu'elle avait acheté mon livre, qu'elle l'avait
+prodigieusement admiré, comme le reste de la haute société, et qu'elle
+voulait faire connaissance avec l'auteur. Malheureusement j'avais une
+invitation pour quelques jours dans les environs, et la duchesse était à
+la veille de partir pour l'Écosse; j'ai donc remis à l'hiver prochain ma
+présentation, et alors je pourrai donner à la dame, dont il ne
+m'appartient pas de contester l'excellent goût, une idée de ma sublime
+et très-édifiante conversation. En ce moment elle est dans les <i>hautes
+terres</i>, et Alexandre lui-même est parti depuis quelques jours pour ce
+séjour béni des vents <i>noirs</i> et <i>tumultueux</i>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote79"
+name="footnote79"><b>Note 79: </b></a><a href="#footnotetag79">
+(retour) </a> On ne doit remarquer ce coup d'essai de Lord Byron
+ dans les <i>revues</i> (plus tard, comme on le verra, il reparut
+ une ou deux fois dans la même lice, d'ailleurs si peu
+ poétique), qu'en rappelant l'aisance avec laquelle il sut se
+ plier au ton et à la phraséologie de ces tribunaux infimes de
+ la littérature; par exemple: «Les volumes que nous avons sous
+ les yeux sont de l'auteur des <i>Ballades lyriques</i>, collection
+ à laquelle on a prodigué, et non pas sans raison, de grands
+ éloges. Le caractère du talent de M. Wordsworth est la
+ simplicité unie à l'abondance: les vers pèchent quelquefois
+ du côté de l'harmonie, mais ils ont de la force; ils
+ s'adressent d'une manière irrésistible à l'imagination et à
+ tous nos sentimens naturels. Peut-être ces derniers ouvrages
+ n'égalent-ils pas les premières publications du même auteur;
+ mais on retrouve encore une véritable élégance dans une foule
+ de pièces, etc.» Si dans ce tems-là M. Wordsworth jeta les
+ yeux sur cet article, il ne prévit pas sans doute que
+ l'auteur d'une pareille prose rivaliserait, à quelque tems de
+ là, avec <i>lui-même</i> dans la lice poétique.</blockquote>
+
+<p>«Crosby, mon éditeur de Londres, a placé sa seconde <i>commande</i>. Il en a
+redemandé, du moins si je l'en crois, une troisième à Ridge. Sur tous
+les étalages de librairie, je vois mon <i>propre nom</i>; je ne dis rien,
+mais je jouis en secret de ma célébrité. Le dernier critique qui se soit
+occupé de moi, m'a engagé avec bienveillance à renoncer à mon projet de
+ne plus rien écrire; et, en <i>sa qualité d'ami des lettres</i>, il m'a
+conjuré de <i>gratifier bientôt</i> le public de quelque nouvel ouvrage. Qui
+diable ne voudrait être poète, c'est-à-dire, si tous les critiques
+avaient la même politesse? Au reste, je paierai peut-être cher ces
+aimables faveurs préliminaires; mais, dans ce cas-là, j'aurai mon tour;
+et, tant bien que mal, je n'en ai pas moins écrit, dans mes instans de
+loisir et après deux heures du matin, trois cent quatre-vingts vers
+blancs sur la bataille de Bosworth. J'avais heureusement pu consulter le
+livre de Hutton. Je ferai huit ou dix chants sur ce sujet, et je l'aurai
+terminé à la fin de l'année; mais les circonstances décideront si je
+ferai imprimer ou non ce poème. Voilà bien assez d'<i>égoïsme</i>: mes
+lauriers m'ont tourné la cervelle; mais sans doute la caustique
+assiduité des critiques à venir, me ramènera à des sentimens plus
+modestes.</p>
+
+<p>«Southwell est une place maudite; j'en ai fini avec elle, du moins
+suivant toutes les probabilités: à l'exception de vous, je ne porte pas
+la moindre estime à une seule ame de son enceinte; vous étiez la seule
+compagnie raisonnable, et franchement j'ai toujours eu pour vous plus de
+considération que pour les grues dont je partageais souvent les
+ridicules, par bonté d'ame. Vous vous êtes donné pour moi et pour mes
+manuscrits plus de peine que ne l'eussent fait tous ces mannequins
+réunis. Croyez-moi, je n'ai pas, dans le cercle de péchés où je vis en
+ce moment, oublié votre excellent naturel, et un jour j'espère bien vous
+prouver toute la reconnaissance que j'en conserve. Adieu. Tout à vous,
+etc.</p>
+
+<p>«<i>P. S.</i> Rappelez-moi au docteur P...»</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE XVII.</h3>
+
+<h4>À LA MÊME.</h4>
+
+<p class="rig">Londres, 11 août 1807.</p><br><br>
+
+<p>«Je pars lundi <i>pour les hautes terres</i><a id="footnotetag80" name="footnotetag80"></a>
+<a href="#footnote80"><sup class="sml">80</sup></a>; un de mes amis
+m'accompagnera dans ma voiture jusqu'à Édimbourg; c'est là que nous
+quitterons notre équipage pour prendre un <i>tamdem</i> (sorte de cabriolet),
+qui nous conduira au milieu des défilés de l'ouest jusqu'à Inverary.
+Nous achèterons alors des échasses afin de pénétrer dans les endroits
+défendus aux moyens de transport ordinaires. Quand nous serons sur les
+côtes, nous entrerons dans un vaisseau pour visiter les lieux les plus
+remarquables des îles Hebrides, et si le tems nous le permet, nous irons
+jusqu'en Islande à trois cents milles seulement de l'extrémité
+septentrionale de l'Écosse afin de saluer l'<i>Hécla</i>. Ne divulguez pas ce
+dernier projet, ma tendre <i>maman</i> imaginerait que nous voyageons pour
+découvrir de nouvelles terres, et ferait entendre comme d'habitude un
+maternel cri d'alarme.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote80"
+name="footnote80"><b>Note 80: </b></a><a href="#footnotetag80">
+(retour) </a> Ce plan, qu'il n'exécuta jamais, avait été résolu
+ avant son départ de Southwell; voici comme il en est parlé
+ dans une lettre de miss Pigot à son frère: «Comment
+ pouvez-vous demander si Lord Byron ira cet été dans les
+ <i>hautes terres</i> (ou <i>Highlands</i>) d'Écosse? Ignorez-vous donc
+ qu'il n'a pas la même idée dix minutes de suite? Je lui dis
+ qu'il est aussi inconstant que les vents et aussi mobile que
+ les vagues.»</blockquote>
+
+<p>«J'ai nagé dans la Tamise la semaine dernière entre les deux ponts de
+Westminster et de Blackfriars, ce qui fait, en y comprenant les
+différent détours obligés, une distance de trois milles. Vous voyez que
+je suis préparé complètement à un naufrage sur mer.</p>
+
+<p>«J'ai l'intention de réunir toutes les traditions Erses, les poèmes,
+etc., etc., de les traduire ou du moins d'étendre assez le sujet pour
+faire un volume qui paraîtra au printems prochain sous le titre de <i>la
+Harpe montagnarde</i> ou quelque autre titre aussi pittoresque. J'ai
+terminé le premier livre de la bataille de Bosworth; un second est
+commencé, ce sera l'affaire de trois ou quatre ans, et sans doute il ne
+sera jamais fini. Que penseriez-vous de quelques stances sur le mont
+Hecla? Du moins elles seraient écrites sous le <i>feu</i>. Comment va
+l'immortel Bran? et ce phénix des bêtes canines, le superbe Boatswain?
+Je viens d'acheter un boul-dogue de race, digne d'être le coadjuteur des
+précédentes divinités; son nom est Smut. <i>Oh! zéphirs, portez-le sur vos
+ailes embaumées</i>. Écrivez-moi avant mon départ, je vous en conjure par
+la cinquième côte de votre grand-père. Ridge est content de la vente, et
+cela me console du peu de succès du livre en province. La vogue a été
+complète à Londres: il y a peu de jours que Carpantier, l'éditeur de
+Moore, m'a dit qu'on avait vendu tout ce qu'on avait envoyé, et qu'on ne
+pouvait satisfaire aux dernières demandes parce qu'on n'en avait plus.
+Le duc d'York, la marquise de Headfort, la duchesse de Gordon, etc., se
+sont trouvés au nombre des acheteurs, et l'opinion de Crosby est que la
+circulation sera plus rapide encore dans l'hiver. L'été est une saison
+nulle pour le commerce, tant il y a peu de monde à Londres, et cependant
+ils sont extrêmement contens. Je passerai tout près de vous dans le
+cours de mon voyage, mais je ne pourrai aller vous voir. Ne le dites pas
+à Mrs. Byron, elle croit que je prends une autre route. Si donc vous
+avez une lettre, mettez-la à la boutique de Ridge, où je m'arrêterai, ou
+bien adressez-la, poste restante, à Newark, vers six ou huit heures du
+soir. Si votre frère veut bien se trouver là, je serai diablement ravi
+de le voir; il pourra repartir le soir même, ou bien souper avec nous,
+et retourner le lendemain matin. Je loge aux Armes de Kingston.</p>
+
+<p>«Adieu. Tout à vous.»<br><span class="rig">
+BYRON.</span></p><br><br>
+
+<h3>LETTRE XVIII.</h3>
+
+<h4>À LA MÊME.</h4>
+
+<p class="rig">Collége de la Trinité, Cambridge, 25 octobre 1807.</p><br><br>
+
+<p><span class="sc">Ma chère Élisabeth</span>,</p>
+
+<p>«Fatigué d'être resté au jeu ces deux derniers jours jusqu'à quatre
+heures du matin<a id="footnotetag81" name="footnotetag81"></a>
+<a href="#footnote81"><sup class="sml">81</sup></a>, je prends la plume pour m'informer de la santé de
+votre altesse et de toutes les autres connaissances féminines que j'ai
+laissées dans votre métropole archiépiscopale. Je mérite, je le sais, de
+grands reproches pour ma négligence; mais ne faisant que courir à cheval
+de long en large dans la province depuis trois mois, comment aurais-je
+pu remplir les devoirs d'une exacte correspondance? Enfin me voilà
+retenu pour six semaines, et je vous écris aussi <i>maigre</i> que jamais,
+n'ayant pas depuis ma diminution regagné une once, et n'en étant que de
+meilleure humeur; mais, quoi qu'il en soit, Southwell était un séjour
+détestable. J'en suis dehors, grâce à Saint-Dominique. Depuis ce tems,
+je m'en suis deux fois rapproché de huit milles, mais sans pouvoir me
+décider à venir étouffer dans sa lourde atmosphère. Cambridge est de son
+côté assez maudite; c'est un vil chaos de bruit et d'ivrognerie; le jeu,
+le bourgogne, la chasse, les mathématiques et Newmarket, les orgies et
+les courses de chevaux, voilà tout ce qu'on y fait et tout ce qu'on y
+trouve; mais comparé à l'éternelle insipidité de Southwell, c'est un
+vrai paradis. Est-il rien de plus misérable que de ne faire qu'accroître
+tous les jours le nombre de ses amours, de ses ennemis et de ses vers?</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote81"
+name="footnote81"><b>Note 81: </b></a><a href="#footnotetag81">
+(retour) </a> On trouvera ici, comme dans plusieurs autres
+ lettres de sa jeunesse, cette espèce d'ostentation
+ d'inconduite, travers assez commun à cet âge, alors
+ qu'aspirant à la virilité, nous nous imaginons qu'il peut y
+ avoir de la force à se précipiter dans le désordre.
+ Malheureusement cette ambition puérile de paraître plus
+ mauvais qu'il n'était, demeura invétérée dans l'esprit de
+ Lord Byron long-tems après qu'elle s'est évanouie chez les
+ autres; son esprit ne faisait même que s'en débarrasser
+ lorsqu'il termina ses jours.</blockquote>
+
+<p>Au mois de janvier prochain (mais cela est seulement entre nous, n'en
+dites rien, je vous prie, car mon persécuteur maternel jetterait bien
+vite sur mes projets sa tomahawk); je me mettrai en mer pour quatre ou
+cinq mois avec mon cousin le capitaine Bettesworth, qui commande <i>la
+Tartare</i>, la plus belle frégate de la marine. J'ai déjà vu bien des
+scènes, je veux étudier celles de la mer. Tout porte à croire que nous
+irons dans la Méditerranée ou aux Indes occidentales, ou bien enfin...
+au diable, et s'il y a quelque possibilité de me faire présenter à ce
+dernier, Bettesworth le fera; c'est un brave compagnon qui n'a encore
+reçu que vingt-quatre blessures en différens lieux, et qui possède une
+lettre du dernier lord Nelson, avouant que Bettesworth est le seul
+officier de marine qui ait reçu plus de blessures que lui-même.</p>
+
+<p>«J'ai maintenant un nouvel et le plus bel ami du monde, c'est un ours
+apprivoisé; quand je le montrai pour la première fois, on me demanda ce
+que je prétendais en faire, et moi de répondre que c'était un nouveau
+candidat au grade. Sherard vous expliquera ce mot, si vous avez de la
+peine à le comprendre. Ma réponse ne fit pas fortune. Nous avons ici une
+foule de réunions; ce soir, par exemple, je soupe avec un assortiment
+complet d'écuyers, joueurs, boxeurs, auteurs, ecclésiastiques et poètes.
+C'est, comme vous le voyez, un précieux mélange; mais ils s'accordent
+bien ensemble, et pour moi je suis un composé de chacun d'eux, à
+l'exception des écuyers. Hier, j'ai encore été démonté de cheval.</p>
+
+<p>«Remerciez, en mon nom, votre frère pour son traité. J'ai écrit deux
+cent quatorze pages d'un roman, un poème de trois cent quatre-vingts
+vers, que l'on publiera dans quelques semaines sans mon nom, et avec des
+notes; cinq cent soixante vers de la bataille de Bosworth et deux cent
+cinquante d'un autre poème, sans compter une demi-douzaine de pièces
+fugitives. Le poème que l'on va publier est une satire<a id="footnotetag82" name="footnotetag82"></a>
+<a href="#footnote82"><sup class="sml">82</sup></a>. À propos,
+j'ai été porté dans les cieux par la Revue critique<a id="footnotetag83" name="footnotetag83"></a>
+<a href="#footnote83"><sup class="sml">83</sup></a> et vivement
+insulté dans une autre publication<a id="footnotetag84" name="footnotetag84"></a>
+<a href="#footnote84"><sup class="sml">84</sup></a>. Le tout, me dit-on, est pour le
+mieux pour la vente du livre; cela occupe l'attention, et empêche mon
+livre d'être oublié; d'ailleurs, dans tous les tems, n'a-t-on pas
+censuré les plus grands hommes? pourquoi les derniers seraient-ils plus
+heureux? Je supporte donc mon sort en philosophe: il est bizarre que
+deux critiques opposées aient paru le même jour; et que sur cinq pages
+d'injures, mon censeur, à l'appui de son opinion, ne cite que <i>deux
+vers</i> de différens poèmes. Maintenant la vraie manière de <i>tuer un
+homme</i>, est de citer de longs passages et de les faire paraître
+absurdes, car une simple allégation n'est pas une preuve. D'un autre
+côté, il y a sept pages d'éloges, et c'est plus que ma <i>modestie</i> ne
+peut en supporter à ce sujet.</p>
+
+<p><i>P. S.</i> Écrivez, écrivez, écrivez!!!</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote82"
+name="footnote82"><b>Note 82: </b></a><a href="#footnotetag82">
+(retour) </a> Ce poème, qu'il augmenta depuis, était <i>les Bardes
+ anglais et les Reviseurs écossais</i>. Il semblerait d'après
+ cela que l'idée de cette satire lui soit venue quelque tems
+ avant la publication de l'article de la <i>Revue d'Édimbourg</i>.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote83"
+name="footnote83"><b>Note 83: </b></a><a href="#footnotetag83">
+(retour) </a> En septembre 1807. Cette <i>Revue</i>, en prononçant sur
+ la carrière future du jeune auteur, se montra meilleur
+ prophète que le grand oracle du nord. L'écrivain, en citant
+ l'élégie sur l'abbaye de Newsteadt, disait: «Nous ne pouvons
+ que saluer avec une sorte d'enthousiasme prophétique
+ l'espérance renfermée dans la stance suivante:
+
+<p> «Heureusement ton soleil peut encore échauffer ton front de
+ ses rayons les plus brûlans, etc., etc.»</p></blockquote>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote84"
+name="footnote84"><b>Note 84: </b></a><a href="#footnotetag84">
+(retour) </a> Dans le premier numéro d'un ouvrage mensuel, appelé
+ <i>le Satirique</i>, dans lequel furent insérées, par la suite,
+ quelques invectives contre sa personne.</blockquote>
+
+<p>Ce fut au commencement de l'année suivante que Lord Byron forma une
+liaison avec M. Dallas, allié de sa famille par les femmes. Ce M. Dallas
+est l'auteur de quelques romans qui jouirent d'une certaine réputation
+lorsqu'ils parurent, et aussi d'une sorte de <i>Mémoires</i> du noble poète,
+publiés immédiatement après sa mort. Comme ils sont principalement
+fondés sur sa correspondance originale, ce sont aussi les plus
+authentiques et les plus dignes de foi qui aient encore été publiés.
+Dans les lettres que Lord Byron adresse à ce <i>gentleman</i>, parmi un grand
+nombre de détails curieux, sous le point de vue littéraire, nous en
+trouvons de bien plus importans sous celui qui nous occupe en ce moment;
+je veux dire quelques détails propres à faire connaître les opinions que
+Lord Byron professait alors sur la morale et la religion, opinions qui
+eurent une si grande influence sur sa réputation et sa conduite.</p>
+
+<p>Ce n'est que bien rarement que l'irréligion et le scepticisme trouvent
+accès dans un jeune cœur. Cette disposition naturelle à se confier en
+l'avenir, qui fait le charme de cette période de la vie, la rend
+naturellement la saison de la foi et de l'espérance. Alors sont encore
+fraîches dans l'esprit ces impressions d'une première éducation
+religieuse, qui, dans les esprits même les plus prompts à mettre en
+question la foi de leurs pères, ne cèdent que lentement aux
+envahissemens du doute, et, en même tems, étendent le bienfait de leur
+répression morale sur cette partie de la vie où l'on reconnaît qu'elle
+est le plus nécessaire. Si, comme les incrédules le reconnaissent
+eux-mêmes, l'absence du frein religieux dégage l'homme d'une
+responsabilité qui lui serait utile dans tous les tems; il en est
+surtout ainsi dans la jeunesse, l'âge des tentations, l'âge où les
+passions sont déjà assez portées par elles-mêmes à se donner toute
+latitude sans que l'irréligion vienne encore ajouter à leur licence. Il
+est donc heureux que, par suite des raisons que nous venons d'indiquer,
+le scepticisme et l'incrédulité ne pénètrent généralement dans les ames
+qu'à une époque de la vie où le caractère, déjà formé, est moins
+susceptible d'être détérioré par leur influence funeste. Quand
+l'incrédulité est le résultat erroné de la pensée et du raisonnement,
+elle aura quelque chose de la froideur des sources qui l'ont fait
+naître; elle ne sera qu'un sujet de spéculation; elle n'aura que peu de
+pouvoir à porter l'homme vers le mal, comme, à la même époque de la vie,
+la foi la plus orthodoxe n'en a trop souvent que peu pour le conduire
+vers le bien.</p>
+
+<p>Tandis que, de cette manière, les mœurs de l'incrédule lui-même sont
+préservées des conséquences funestes que de telles doctrines eussent pu
+entraîner à un âge plus tendre; par une raison analogue, le danger de la
+communication de ces mêmes idées à d'autres, se trouve singulièrement
+diminué. Cette même vanité, cette même audace qui ont dicté les opinions
+du jeune sceptique, le conduiront aussi probablement à les révéler, à
+les proclamer tout haut, sans s'occuper de l'effet que son exemple peut
+avoir sur ceux qui l'entourent, ou de l'odieux qu'une telle confession
+ne saurait manquer de jeter irréparablement sur lui-même; mais, dans un
+âge plus avancé, on examine ces conséquences avec plus de réflexion.</p>
+
+<p>L'incrédule, s'il a quelque considération pour le bonheur des autres, y
+regardera à deux fois, avant de chasser de leur cœur une espérance dont
+lui-même sent si vivement l'absence et le prix. S'il n'a d'égards que
+pour lui-même, il hésitera naturellement encore à promulguer des
+doctrines que, dans aucun siècle, les hommes n'ont impunément
+professées. Dans l'un ou l'autre cas, il y a donc grande probabilité
+qu'il gardera le silence; car, en supposant que la philanthropie ne
+l'éloignât pas du projet de convertir les autres, la prudence du moins
+pourra l'empêcher de faire de lui-même un martyr.</p>
+
+<p>Malheureusement Lord Byron fut encore en ceci une exception à la règle
+générale. Chez lui le ver rongeur se montra au matin de la jeunesse, au
+moment où ses ravages devaient être le plus funestes. Au malheur réel
+d'être incrédule à quelque âge que ce soit, il ajouta le malheur plus
+rare d'être incrédule avant d'avoir quitté les bancs de l'école. Et la
+précocité qui mit, de si bonne heure, en jeu ses passions et son génie,
+le fit aussi parvenir, avant l'âge, au plus affreux des résultats de la
+raison humaine. À cette époque de la vie, où un caractère comme le sien
+avait surtout besoin du frein des croyances religieuses, ce frein lui
+manquait déjà presque entièrement.</p>
+
+<p>Nous avons vu dans les deux prières à la Divinité que j'ai extraites de
+ses poésies non publiées, et mieux encore dans le résumé de ses études,
+à quel âge son esprit ardent avait déjà secoué le joug de tous les
+systèmes et de toutes les sectes. Toutefois, dans ces prières
+elles-mêmes, il y a une ferveur d'adoration, au milieu de l'éloignement
+des croyances reçues, qui peut montrer tout ce qu'il y avait
+naturellement de piété dans son cœur (et il y en a beaucoup dans le cœur
+des vrais poètes). S'il avait eu alors pour guides et pour appuis des
+hommes capables de nourrir et d'entretenir ces heureuses dispositions,
+il eût évité cette licence, ce dévergondage d'opinions, auxquels il se
+livra dans la suite. Son scepticisme, s'il n'eût pas été entièrement
+détruit, eût pu se changer en un doute modeste, qui, loin d'être opposé
+à l'esprit religieux, le préserve de l'orgueil et lui inspire la charité
+pour les erreurs des autres. S'il n'avait pas lui-même pris sur les
+matières religieuses des idées claires et solides, il eût du moins
+appris à ne pas obscurcir et ébranler celles de ses semblables. Mais il
+eut le malheur de n'avoir point près de lui un sage mentor. Après avoir
+quitté Southwell, il ne restait près de lui ni parent ni ami, vers qui
+il pût lever les yeux avec respect. Il fut jeté seul dans le monde, avec
+ses passions et son orgueil, pour s'abandonner à l'affreuse découverte
+qu'il croyait avoir faite de la non-existence d'une vie à venir, et aux
+droits dès-lors absolus que le présent a sur nous. Par une autre
+fatalité, celui de ses camarades de collége pour lequel il professa de
+son vivant le plus d'admiration et d'attachement, et dont il déplora la
+perte avec la tendresse d'un frère, Matthews se trouva aussi sceptique
+que lui-même, si ce n'est davantage encore. Les parens de ce jeune
+homme, dont la carrière, si elle n'eût été sitôt arrêtée par la mort,
+paraissait, d'après les promesses de sa jeunesse, devoir être si
+brillante, conçurent l'idée de publier ses Mémoires, et s'adressèrent,
+en conséquence, à Byron et à ses autres amis, pour en obtenir des
+matériaux. La lettre suivante, à laquelle cette demande donna lieu,
+outre qu'elle renferme plusieurs anecdotes amusantes sur son ami, nous
+donne des détails si intéressans sur sa vie domestique à cette époque,
+que nous n'hésitons pas à interrompre l'ordre chronologique pour
+l'insérer ici.</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE XIX.</h3>
+
+<h4>À M. MURRAY.</h4>
+
+<p class="rig">Ravenne, 12 novembre 1820.</p><br><br>
+
+<p>«Ce que vous me dites de feu Charles Skinner Matthews, a réveillé tous
+mes anciens souvenirs; mais il m'a été impossible d'approuver
+l'intention qu'a son frère de donner une notice sur sa vie, quand bien
+même les événemens qui la remplirent auraient eu assez d'importance pour
+justifier la publication d'anecdotes d'un intérêt aussi restreint.
+Néanmoins, c'était un homme bien extraordinaire, et qui aurait acquis
+une grande illustration. Nul n'obtint jamais de plus brillans succès
+dans tout ce qu'il voulut essayer. Il était trop indolent sans doute;
+mais quand il lui arrivait de faire un effort, il dépassait aussitôt de
+bien loin tous ses rivaux. Ses victoires se trouveront enregistrées à
+Cambridge, particulièrement celle sur Downing, qui fut aisément
+remportée, quoique vivement et chaudement contestée. Hobhouse était son
+intime ami; il vous donnera plus de documens sur lui que personne.
+William Bankes aussi le connaissait intimement; mais pour moi je me
+rappelle moins ses grandes facultés académiques que ses bizarreries.
+Nous nous sommes trouvés réunis à l'une des époques les moins riantes de
+ma vie. Quand, en 1805, j'entrai au collége de la Trinité, âgé de
+dix-sept ans et demi, j'étais malheureux et jusqu'à un certain point
+insociable. Désolé de quitter Harrow, où j'avais fini par me plaire
+pendant les deux années précédentes; désolé d'aller à Cambridge et non
+pas à Oxford (parce qu'il ne se trouvait pas de place vacante à
+Christ-Church); désolé de quelques contrariétés domestiques de différens
+genres, j'étais en conséquence aussi indomptable qu'un loup dont on a
+rompu la voie. Aussi, bien que je connusse Matthews, et que je le
+rencontrasse souvent chez Bankes, mon aumônier, mon professeur et mon
+patron, chez Rhodes, chez Milness, chez Price, chez Dick, chez
+Macnamara, Farrell, Galley Knight, et autres connaissances du même tems,
+cependant je n'étais intime ni avec lui ni avec qui que ce fût, excepté
+mon ancien camarade d'école Edward Long, avec qui je passais les
+journées à monter à cheval et à nager, et Williams Bankes, qui avait
+assez de douceur dans le caractère pour tolérer mes férocités.</p>
+
+<p>Ce fut en 1807 seulement, quand, pour prendre mes <i>degrés</i> je fus
+retourné à Cambridge, que j'avais auparavant quitté pendant plus d'un
+an, que je devins l'un des amis intimes de Matthews. Ce fut par
+l'entremise de M. ***, qui, après m'avoir détesté pendant deux ans,
+comme il le dit lui-même, parce que je portais un chapeau blanc, une
+redingote grise, et que je montais un cheval gris, m'avait pris en
+affection parce que je faisais des vers. J'avais déjà vécu assez
+long-tems avec eux, et je m'étais assez souvent enivré dans leur
+compagnie; mais tout-à-coup nous devînmes réellement amis un beau matin;
+Matthews cependant ne résidait pas à cette époque au collége; je le
+rencontrais principalement, et de tems en tems, à des époques
+incertaines, à Cambridge. H... pendant ce tems-là, faisait de grandes
+choses, et fondait le club des whigs de Cambridge, qu'il paraît avoir
+oublié, et la <i>société amicale</i>, qui fut dissoute en conséquence des
+querelles perpétuelles des membres qui la composaient. Il se rendait
+très-populaire parmi nous autres jeunes gens et très-formidable à tous
+les maîtres particuliers, à tous les professeurs et principaux de
+colléges. Williams B... était parti; car tant qu'il avait été là, c'est
+lui qui dirigeait toute l'université et qui était le protecteur-né de
+tous les mauvais tours.</p>
+
+<p>«À force de nous rencontrer à Londres et ailleurs, Matthews et moi
+devînmes grands amis; il n'était pas très-doux de caractère, ni moi non
+plus; mais avec un peu de tact, il était encore maniable. Je le
+regardais comme un homme si supérieur, que je ne demandais pas mieux que
+de sacrifier quelque chose à ses humeurs, qui souvent m'amusaient tout
+en me mettant en colère. On n'a jamais su ce que sont devenus ses
+papiers à l'époque de sa mort, et certainement il en avait beaucoup. Je
+le dis ici par forme de parenthèse, de peur de l'oublier; il écrivait
+remarquablement bien en latin et en anglais.</p>
+
+<p>«Nous nous rendîmes ensemble à Newsteadt, où j'avais une fameuse cave,
+et où je m'étais procuré de chez un costumier des habillemens de
+<i>moines</i>. Nous étions sept ou huit de notre compagnie, sans compter un
+ou deux voisins qui nous faisaient visite dans l'occasion. Nous restions
+fort tard dans la nuit, habillés de nos robes de frères, buvant du
+bourgogne, du bordeaux, du champagne, et que sais-je encore, dans une
+coupe faite d'un crâne humain, et quelques autres verres de toute
+espèce; faisant mille bouffonneries dans toute la maison, sans quitter
+un instant notre attirail monacal. Matthews m'avait baptisé du nom
+d'Abbé, et quand il était de bonne humeur, il ne m'en donna pas d'autre
+jusqu'au moment de sa mort. L'harmonie de nos touchantes réunions fut au
+bout de quelques jours tant soit peu interrompue, par la menace que fit
+Matthews de jeter <i>l'intrépide</i> V... (nous l'avions appelé ainsi parce
+qu'il avait gagné deux courses, l'une à pied, d'Ipswich à Londres,
+l'autre à cheval, de Brighthelmstone à Londres), de jeter, dis-je,
+l'intrépide V... par la fenêtre, à la suite d'une soirée de
+plaisanterie, qui se termina par cette <i>épigramme</i>. V... vint à moi, et
+me dit que le respect et la considération qu'il me devait, comme maître
+de la maison, ne lui permettaient pas d'appeler en duel aucun de mes
+hôtes, mais que le lendemain matin il se retirerait. Ce fut en vain que
+je lui représentai que la fenêtre n'était pas très-élevée et que le
+gazon au-dessous était d'une douceur toute particulière: il s'en alla.</p>
+
+<p>«Matthews et moi, nous avions fait le voyage de Cambridge à Londres,
+parlant, pendant toute la route, sur le même sujet. Quand nous fûmes
+arrivés à Longhborough, je ne sais quel hasard nous en fit écarter un
+moment; Matthews s'en indigna; non, dit-il, ne quittons pas notre
+conversation, finissons comme nous avons commencé; continuons jusqu'au
+bout du voyage, et il se mit en effet à continuer, trouvant le moyen
+d'être toujours amusant jusqu'au bout. Il avait auparavant, durant mon
+absence de Cambridge, occupé mes appartemens dans le collége de la
+Trinité. En l'y installant, mon répétiteur Jones lui avait dit, avec son
+ton ridicule ordinaire: «M. Matthews, je vous recommande sérieusement de
+prendre garde d'endommager aucun des meubles, car Lord Byron, monsieur,
+est un jeune homme de passions tumultueuses.» Matthews fut ravi de cette
+allocution; et, qui que ce fût qui vînt le visiter, il ne manquait pas
+de leur recommander de ne toucher la porte elle-même qu'avec une grande
+précaution, et alors il leur répétait l'exhortation de Jones dans les
+mêmes termes et absolument du même ton; il y avait une grande glace dans
+une chambre, ce qui lui suggéra cette remarque, qu'il avait cru d'abord
+que ses amis devenaient singulièrement assidus à venir <i>le voir</i>; mais
+qu'il avait bientôt découvert qu'ils ne venaient que pour se voir
+eux-mêmes. La phrase de Jones de <i>passions tumultueuses</i> et l'ensemble
+de la scène l'avaient mis de si bonne humeur, que je crois en vérité que
+c'est à cette circonstance que j'ai dû une partie de ses bonnes grâces.</p>
+
+<p>«Quand nous étions à Newstead, il arriva qu'un jour, avant dîner,
+quelqu'un lui salit, par mégarde, un de ses bas de soie blancs, et
+naturellement voulut lui en faire des excuses. Monsieur, répondit
+Matthews, il peut vous paraître fort agréable, à vous qui avez une
+grande quantité de bas de soie, de salir ceux d'autrui; mais pour moi
+qui n'ai que cette seule et unique paire, que j'ai mise pour faire
+honneur à l'Abbé ici présent, rien ne peut excuser le tort que me fait
+votre manque d'attention, sans parler des frais de blanchissage. Il
+avait presqu'en toute occasion le même ton de plaisanterie sardonique.
+Une espèce de sauvage Irlandais, nommé F**, commençant à dire quelque
+chose à un grand souper, à Cambridge, Matthews se mit à crier d'une voix
+de tonnerre: Silence! et alors montrant F** du doigt, il ajouta ces
+paroles d'oracle: <i>L'ourson est doué de raison</i>. On peut aisément
+supposer qu'en entendant ce compliment, le pauvre <i>ourson</i> perdit le peu
+de raison qui pouvait lui être échu en partage. Quand H... publia son
+premier volume de poésies, intitulé <i>Mélanges</i>, tout ce qu'il put en
+tirer, c'est que la préface était absolument dans la manière de Walsh.
+H... crut d'abord que c'était un compliment, mais nous ne sûmes jamais à
+quoi nous en tenir là-dessus, car tout ce que l'on connaît de Walsh,
+c'est son ode au roi Williams, et l'épithète que lui donne Pope, le
+savant Walsh. Quand notre troupe quitta Newstead pour Londres, H... et
+Matthews qui étaient à cette époque les meilleurs amis du monde,
+convinrent de faire ensemble la route à pied. Ils se querellèrent à
+moitié route, et achevèrent ainsi leur voyage, passant et repassant l'un
+devant l'autre sans se dire un seul mot. Quand Matthews arriva à
+Highgate, il avait dépensé tout son argent, excepté trois pences et demi
+(7 sous) qu'il résolut d'employer aussi à une pinte de bière; il la
+buvait à la porte d'une taverne, quand H... passa devant lui pour la
+dernière fois, toujours sans lui parler. Ils se réconcilièrent depuis à
+Londres.</p>
+
+<p>«L'escrime était une des passions de Matthews, il était aussi très-fort
+au pugilat, mais il avait généralement le dessous dans les combats
+sérieux et au poing nu; quant à la natation, il nageait bien, mais avec
+efforts et travail, et se tenant le corps trop hors de l'eau; en sorte
+que Scrope, Davies et moi-même, qui étions en quelque sorte ses rivaux,
+nous lui disions souvent qu'il se noierait s'il rencontrait jamais
+quelque endroit difficile. Il se noya en effet; mais, à coup sûr, Scrope
+et moi eussions bien désiré que le doyen eût vécu, et que notre
+prédiction se fût trouvée mensongère.</p>
+
+<p>«Sa tête était extraordinairement belle, et ressemblait beaucoup à celle
+de Pope dans sa jeunesse.</p>
+
+<p>«Son frère Henry, si Henry est bien le nom de celui de <i>King's college</i>,
+rappelle fortement sa voix, ses traits et sa manière de rire. Sa passion
+pour boxer était si grande, qu'il voulait absolument que je le misse aux
+prises avec Dogherty, pour lequel j'avais parié contre Tom Belcher, et
+je les vis s'essayer ensemble dans ma chambre avec les gants. Comme il
+paraissait y tenir opiniâtrement, j'aurais parié, pour lui plaire, en
+faveur de Dogherty; mais le combat n'eut pas lieu. Bien entendu que
+c'eût été un combat particulier dans une chambre particulière.</p>
+
+<p>«Un certain jour que le tems ne lui permettait pas de retourner
+s'habiller chez lui, un ami, M. Basley, je crois, l'équipa d'une chemise
+et d'une cravate extrêmement à la mode, mais tant soit peu exagérée. Il
+se rendit à l'opéra, et prit place dans <i>Top's Alley</i>. Pendant
+l'entr'acte, entre l'opéra et les ballets, une de ses connaissances vint
+s'asseoir près de lui, et le salua. «Faites le tour, dit Matthews,
+faites le tour. Pourquoi ferais-je le tour? dit l'autre, vous n'avez
+qu'à tourner la tête, je suis tout près de vous. C'est précisément ce
+que je ne peux pas faire, répondit Matthews; ne voyez-vous pas l'état
+dans lequel je suis?» montrant du doigt son col de chemise savamment
+empesé, et son inflexible cravate. Et il se tint là pendant tout le
+spectacle, sa tête conservant toujours la même position perpendiculaire.</p>
+
+<p>«Un soir après avoir dîné ensemble, comme nous allions à l'opéra, je me
+trouvai avoir un billet disponible, comme souscripteur à une loge, et
+j'en fis présent à Matthews. «Voilà, dit-il quelque tems après à
+Hobhouse, un procédé <i>courtois</i> de la part de l'Abbé: un autre ne se
+serait jamais avisé de penser que je pouvais faire meilleur emploi d'une
+demi-guinée que de la jeter à un portier de spectacle; mais lui,
+non-seulement il m'invite à dîner, mais il me donne encore un billet
+d'opéra.» Ce n'était qu'une de ses singularités, car nul n'était plus
+libéral, plus grand que lui dans toutes ses manières. Il nous donna, à
+Hobhouse et moi, avant notre départ pour Constantinople, un festin
+magnifique, auquel nous fîmes amplement honneur. Une de ses idées était
+d'aller dîner dans toutes sortes de lieux étranges. Quelqu'un le
+découvrit un jour dans je ne sais quelle obscure taverne du Strand; et
+que croyez-vous qui l'y attirait? c'est qu'il payait, je crois, un
+shilling pour dîner le <i>chapeau sur la tête</i>. Il appelait cela sa
+<i>maison à chapeau</i>, et de vanter les avantages qu'il avait à prendre ses
+repas la tête couverte.</p>
+
+<p>«Quand sir Henri Smith fut chassé de Cambridge, à la suite d'une rixe
+avec un marchand nommé <i>Hiron</i>, Matthews s'en consola en allant chaque
+soir crier sous la fenêtre de celui-ci: «Hélas! à quel péril s'expose
+l'homme qui se joue avec <i>hat Hiron</i><a id="footnotetag85" name="footnotetag85"></a>
+<a href="#footnote85"><sup class="sml">85</sup></a>!» Il était aussi de cette bande
+de libertins irréligieux qui se faisaient un plaisir d'aller troubler le
+sommeil de Lort Mansel (dernièrement évêque de Bristol), qui alors
+habitait le collége de la Trinité. Quand celui-ci paraissait à sa
+fenêtre, écumant de colère et s'écriant: «Je vous connais, messieurs, je
+vous connais,» ils avaient coutume de lui répondre: «Nous t'en
+conjurons, oh <i>Lort</i>! écoute-nous, bon Lort, délivre-nous<a id="footnotetag86" name="footnotetag86"></a>
+<a href="#footnote86"><sup class="sml">86</sup></a>!» (Lort
+était son nom de baptême.) Comme il était très-libre dans ses manières
+d'envisager toutes sortes de sujets, quoiqu'il ne fût ni dissolu ni
+déréglé dans sa conduite, et que je n'avais pas moins d'indépendance
+dans les idées, notre conversation et notre correspondance alarmaient
+quelquefois vivement Hobhouse...»</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote85"
+name="footnote85"><b>Note 85: </b></a><a href="#footnotetag85">
+(retour) </a> Il est impossible de traduire en français le jeu de
+ mots qui se trouve ici dans le texte: <i>hat Hiron</i> signifiant
+ le <i>bouillant Hiron</i>, et <i>hat iron</i> signifiant <i>un fer
+ chaud</i>.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote86"
+name="footnote86"><b>Note 86: </b></a><a href="#footnotetag86">
+(retour) </a> Ces paroles sont extraites textuellement de la
+ liturgie anglicane, et présentent encore un jeu de mots:
+ <i>Lord, délivrez-nous; libera nos, Domine.</i></blockquote>
+
+<p>Comme déjà avant sa liaison avec M. Matthews, Lord Byron avait commencé
+à s'enfoncer dans l'abîme du scepticisme, il serait injuste d'attribuer
+au premier dans les opinions de son ami plus de part qu'il n'a dû en
+résulter de l'influence naturelle de l'exemple et de la sympathie;
+influence qui, éprouvée également des deux côtés, rendait en grande
+partie réciproque la contagion de leurs doctrines. Outre cette
+communauté de sentimens sur de tels sujets, ils étaient tous deux
+tourmentés par le goût dangereux de la satire. Les hommes les plus pieux
+même ne peuvent pas toujours résister à cette disposition d'esprit qui
+nous entraîne presque malgré nous à déverser du ridicule sur tout ce
+qu'il y a de plus saint et de plus grave. Il n'est donc pas étonnant que
+dans une telle société, les opinions du noble poète aient pris avec plus
+de rapidité une direction vers laquelle elles tendaient naturellement;
+et quoique l'on ne puisse pas dire qu'il ait eu alors des doctrines bien
+arrêtées, puisque ni à cette époque ni à aucune autre de sa vie il ne se
+montra incrédule décidé, il apprit sans doute à sentir moins fortement
+l'horreur du scepticisme, et à y mêler de la légèreté et de
+l'amour-propre. Dès le commencement de sa correspondance avec M. Dallas,
+nous le voyons proclamer ses sentimens sur tous les sujets de cette
+nature, avec une légèreté et un aplomb bien différens du ton avec lequel
+il présentait autrefois ses doutes. Cela même forme un contraste
+frappant avec cette tristesse fiévreuse d'un cœur désolé de perdre ses
+illusions, qui respire dans chaque vers des prières qu'il avait tracées
+moins d'un an auparavant.</p>
+
+<p>Il ne faut pas cependant oublier ici sa propension à exagérer tout ce
+qu'il pouvait y avoir de mauvais en lui. Dans sa première lettre à M.
+Dallas, nous voyons un exemple de cette étrange ambition, complètement
+opposée à l'hypocrisie, qui le porta à rechercher plutôt qu'à éviter la
+réputation de libertin, et à présenter sans cesse sous le jour le plus
+défavorable son caractère et sa conduite. Son nouveau correspondant lui
+faisant compliment sur les sentimens de morale et de charité qui
+respiraient dans l'un de ses poèmes, avait ajouté que cela lui avait
+rappelé les ouvrages d'un autre noble auteur, qui était non-seulement
+grand poète, grand orateur et grand historien, mais encore l'un des plus
+profonds raisonneurs qui aient établi la vérité de cette religion, dont
+le pardon des offenses est l'un des premiers principes; (le grand et le
+bon lord Littleton, dont la réputation ne périra jamais.) Son fils,
+ajoutait M. Dallas, auquel il avait transmis son génie, mais non ses
+vertus, a brillé un moment pour disparaître bientôt comme un météore
+passager, et avec lui son titre s'est éteint. C'est à cette lettre que
+Lord Byron fit la réponse suivante:</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE XX.</h3>
+
+<h4>À M. DALLAS.</h4>
+
+<p class="rig">Hôtel Dorant, Albemarle-street, 20 janvier 1808.</p><br><br>
+
+<p><span class="sc">Monsieur</span>,</p>
+
+<p>«Votre lettre ne m'est parvenue que ce matin, probablement parce qu'elle
+m'était adressée à Nottingham, où je n'ai pas résidé depuis le mois de
+juin dernier; comme elle est datée du 6 courant, je vous prie d'excuser
+le retard de ma réponse.</p>
+
+<p>«Si, comme vous dites, le petit volume dont vous parlez a fait quelque
+plaisir à l'auteur de <i>Perceval</i> et d'<i>Aubrey</i>, je suis plus que
+récompensé par cet éloge. Quoique nos censeurs périodiques se soient
+montrés d'une indulgence peu commune, je confesse que l'approbation d'un
+homme d'un génie aussi reconnu est encore bien plus flatteuse pour moi;
+mais je perdrais, je le crains, tous droits au titre d'homme candide, si
+je ne refusais pas des éloges que je ne mérite point. Je suis fâché
+d'ajouter que ce serait ici le cas.</p>
+
+<p>«Mes ouvrages doivent parler pour eux-mêmes; ils doivent se soutenir ou
+tomber suivant leur mérite ou leur démérite; et sous le rapport
+littéraire je suis fier de l'opinion favorable que vous voulez bien m'en
+exprimer. Mais j'ai malheureusement si peu de prétentions au titre
+d'homme vertueux, que je ne puis accepter les complimens que vous me
+faites à cet égard, bien que je m'estimasse heureux de les mériter. Un
+passage de votre lettre m'a singulièrement frappé: vous y parlez des
+deux lords Littleton comme chacun d'eux le mérite respectivement; vous
+serez surpris d'apprendre que la personne qui vous écrit en ce moment, a
+été souvent comparée au second. Je n'ignore pas que par cet aveu, je me
+perds moi-même dans votre estime; mais c'est une circonstance que votre
+observation rend si remarquable, que je ne puis m'empêcher de rapporter
+ce fait. Les événemens de ma courte vie ont été d'une nature si
+singulière, que bien que cet orgueil que l'on appelle ordinairement
+honneur, m'ait toujours empêché, et doive, je l'espère, m'empêcher
+toujours de disgracier mon nom par aucune action lâche ou vile, j'ai
+déjà été considéré comme un adepte du libertinage et un disciple de
+l'incrédulité. Jusqu'à quel point la justice peut-elle avoir dicté cette
+accusation? je ne prétends pas l'examiner ici, mais je dirai que comme
+le <i>gentleman</i><a id="footnotetag87" name="footnotetag87"></a>
+<a href="#footnote87"><sup class="sml">87</sup></a>
+ auquel mes religieux amis, dans la ferveur de leur
+charité, m'ont déjà dévoué, on me fait plus mauvais que je ne suis en
+effet. Quoi qu'il en soit, pour me laisser là moi-même, le plus mauvais
+sujet que je puisse traiter, et pour en revenir à mes poésies, je ne
+puis assez vous exprimer mes remercîmens, et j'espère avoir quelque jour
+l'occasion de vous en présenter personnellement l'hommage. Une seconde
+édition est maintenant sous presse avec quelques additions et des
+retranchemens considérables; vous me permettrez de vous en offrir un
+exemplaire. Le <i>Critical</i>, le <i>Monthly</i> et l'<i>Anti-Jacobin Review</i> ont
+été très-indulgens, mais l'<i>Eclectic</i> a prononcé une furieuse
+philippique, non contre le livre, mais contre l'auteur, où vous
+trouverez tout ce que je viens de vous dire avancé par un ecclésiastique
+qui a écrit cet article.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote87"
+name="footnote87"><b>Note 87: </b></a><a href="#footnotetag87">
+(retour) </a> <i>Le Diable</i>.</blockquote>
+
+<p>«Je connaissais depuis long-tems votre nom et vos rapports avec notre
+famille; j'espère faire bientôt une connaissance personnelle avec vous:
+vous trouverez en moi un excellent composé d'un <i>Brainless</i> et d'un
+<i>Stanhope</i><a id="footnotetag88" name="footnotetag88"></a>
+<a href="#footnote88"><sup class="sml">88</sup></a>
+. Je crains que vous ne puissiez déchiffrer cette lettre,
+car ma main est presque aussi mauvaise que ma réputation; mais je vais
+signer, aussi lisiblement qu'il me sera possible, Votre obligé et
+obéissant serviteur,»<br><span class="rig">
+BYRON.</span></p><br>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote88"
+name="footnote88"><b>Note 88: </b></a><a href="#footnotetag88">
+(retour) </a> Personnages du roman intitulé: <i>Percival</i>
+ (<i>Perceval</i>).<span class="rig">
+ (<i>Note de Moore</i>.)</span><br>
+</blockquote>
+
+<p>Il y a ici évidemment une sorte d'orgueil de la part de Byron à
+s'assimiler au débauché lord Littleton. De peur que ce qu'on connaissait
+d'irrégulier dans sa vie ne suffit pas pour justifier cette prétention,
+il fait, avec un air de mystère, suivant sa coutume, allusion à des
+événemens inconnus qui pourraient lui donner droit à ce paralèle<a id="footnotetag89" name="footnotetag89"></a>
+<a href="#footnote89"><sup class="sml">89</sup></a>. M.
+Dallas qui, à ce qu'il paraît, ne s'attendait pas à voir recevoir ainsi
+ses complimens, se tira de ce mauvais pas en renvoyant à la <i>candeur</i> du
+jeune Lord les éloges dont celui-ci s'était montré si peu reconnaissant
+quand ils étaient adressés à ses mœurs, et ajoutait que, d'après
+l'intention exprimée par Lord Byron dans sa préface, d'abandonner le
+culte des muses pour suivre une autre carrière, il le croyait en ce
+moment occupé aux études qui forment le sénateur et l'homme d'état;
+qu'il se l'était représenté comme membre de quelque université,
+s'exerçant à l'art de penser et de parler, et amassant un trésor de
+connaissances en histoire et en droit. C'est dans la réponse à cette
+lettre que se trouve l'exposition des opinions du noble poète à laquelle
+j'ai fait allusion plus haut.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote89"
+name="footnote89"><b>Note 89: </b></a><a href="#footnotetag89">
+(retour) </a> Cet appel à l'imagination de son correspondant ne
+ fut pas tout-à-fait sans effet: «Je pensai, dit M. Dallas,
+ que ces lettres, <i>quoique évidemment fondées sur quelques
+ circonstances de sa vie antérieure</i>, étaient plutôt un jeu
+ d'esprit qu'un portrait ressemblant.<span class="rig">
+ (<i>Note de Moore</i>.)</span><br></blockquote>
+<br><br>
+<h3>LETTRE XXI.</h3>
+
+<h4>À M. DALLAS.</h4>
+
+<p class="rig">Hôtel Dorant, 21 janvier 1808.</p><br><br>
+
+<p><span class="sc">Monsieur</span>,</p>
+
+<p>«Dans quelque tems que vos loisirs et votre disposition d'esprit vous
+permettent de me favoriser d'une visite, je serai sensiblement flatté de
+faire une connaissance personnelle avec quelqu'un dont l'esprit m'était
+déjà connu depuis long-tems par ses ouvrages.</p>
+
+<p>«Votre conjecture est fondée en ce sens que je suis membre de
+l'université de Cambridge, où je vais à la fin de ce quartier prendre le
+grade de <i>Master artium</i><a id="footnotetag90" name="footnotetag90"></a>
+<a href="#footnote90"><sup class="sml">90</sup></a>; mais si le raisonnement, l'éloquence, la
+vertu étaient l'objet que je poursuis, <i>Granta</i><a id="footnotetag91" name="footnotetag91"></a>
+<a href="#footnote91"><sup class="sml">91</sup></a> n'est point leur
+métropole; le pays où elle est située n'est point un Eldorado, bien
+moins encore une Eutopie. L'intelligence de ses enfans est aussi
+stagnante que les eaux de sa <i>Cam</i><a id="footnotetag92" name="footnotetag92"></a>
+<a href="#footnote92"><sup class="sml">92</sup></a>; ils ont en vue dans leurs
+travaux non l'église du Christ, mais l'église la plus prochaine qui leur
+donnerait un bénéfice.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote90"
+name="footnote90"><b>Note 90: </b></a><a href="#footnotetag90">
+(retour) </a> <i>Maître-ès-arts</i> (A. M.), second grade dans les
+ universités anglaises, correspondant exactement à celui de
+ licencié.
+
+<p> Une université anglaise se compose d'étudians non gradués
+ (<i>under graduates</i>), de bacheliers, de maîtres-ès-arts et de
+ docteurs. Ces grades ne correspondent pas absolument aux
+ nôtres, en ce sens qu'il n'y a de bachelier que <i>ès-lettres</i>
+ (<i>artium bachelors</i>, A. B.), bien que pour obtenir ce titre,
+ il faille subir des examens sur les sciences et la théologie.</p>
+
+<p> La licence et le doctorat s'obtiennent par un certain nombre
+ d'années de résidence et le paiement de certains droits qui
+ varient suivant que l'impétrant est noble ou roturier. Il n'y
+ a également que des licenciés-ès-lettres (<i>artium masters</i>).</p>
+
+<p> Quant au doctorat, au contraire, il n'y a point de
+ docteurs-ès-lettres, mais seulement des docteurs en théologie
+ (<i>doctores divinitatis</i>, D. D.), et des docteurs en droit
+ (<i>doctores legis</i>, D. L.). Bien que l'on appelle les médecins
+ du nom de docteur, il n'y a point de grades en médecine, non
+ plus que dans les sciences, et leurs diplômes sont plutôt des
+ permissions d'exercer que des titres universitaires.<span class="rig">
+ (<i>N. du Tr.</i>)</span></p></blockquote>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote91"
+name="footnote91"><b>Note 91: </b></a><a href="#footnotetag91">
+(retour) </a> Nom poétique de l'université de Cambridge.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote92"
+name="footnote92"><b>Note 92: </b></a><a href="#footnotetag92">
+(retour) </a> Rivière qui passe à Cambridge et lui donne son
+ nom.</blockquote>
+
+<p>«Quant à mes connaissances, je puis dire sans hyperbole qu'elles sont
+passablement étendues en histoire; peu de nations existent ou ont existé
+dont je ne connaisse plus ou moins les annales, depuis Hérodote jusqu'à
+Gibbon. Quant aux auteurs grecs et latins, je les connais autant que la
+plupart des écoliers qui leur ont consacré treize années d'études. Quant
+aux lois du pays, je les connais juste assez pour ne pas <i>enfreindre les
+statuts</i>, pour me servir de l'expression des braconniers. J'avais étudié
+l'<i>Esprit des lois</i> et <i>le Droit des gens</i>; mais quand je vis celui-ci
+violé chaque mois, je cessai de m'en occuper comme d'une connaissance
+sans utilité. Quant à la géographie, j'ai vu plus de pays sur la carte,
+que je ne désirerais en traverser à pied. J'ai vu assez de mathématiques
+pour me donner mal à la tête sans éclaircir mes idées. De philosophie,
+d'astronomie et de métaphysique, j'en ai appris plus que je n'en
+comprends<a id="footnotetag93" name="footnotetag93"></a>
+<a href="#footnote93"><sup class="sml">93</sup></a>; pour du sens commun, j'en ai acquis si peu que je me
+propose de fonder un prix <i>byronnien</i> dans chacune de nos universités
+pour le premier qui en découvrira quelques traits en moi; quoique l'on
+craigne bien que la découverte de la quadrature du cercle ne doive
+précéder celle-là.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote93"
+name="footnote93"><b>Note 93: </b></a><a href="#footnotetag93">(retour) </a> Byron paraît se rappeler ici la manière spirituelle
+ dont Voltaire nous peint l'érudition de Zadig: «Il savait de
+ la métaphysique ce que l'on en a su dans tous les âges...
+ c'est-à-dire fort peu de chose, etc.»</blockquote>
+
+<p>«Je me suis cru autrefois philosophe. Je débitais avec beaucoup de
+décorum bon nombre d'absurdités, défiant la douleur et prêchant
+l'égalité d'humeur. Pendant quelque tems cela réussit fort bien, car
+personne ne souffrait pour moi que mes amis, et ne perdait patience que
+mes auditeurs; à la fin une chute de cheval me convainquit que la
+douleur physique était un mal, et cet argument, le pire de tous, changea
+à la fois mon système et mon humeur; en sorte que je quittai Zenon pour
+Aristippe, et m'imaginai que c'est le plaisir qui constitue réellement
+le καλον<a id="footnotetag94" name="footnotetag94"></a>
+<a href="#footnote94"><sup class="sml">94</sup></a>. En morale, je préfère Confucius aux dix
+commandemens, et Socrate à Saint-Paul, quoique les deux derniers
+s'accordent dans leur opinion du mariage. En religion, je suis pour
+l'émancipation catholique, mais je ne reconnais pas le pape, et j'ai
+refusé de recevoir le sacrement parce que je ne comprends pas comment
+manger du pain et boire du vin de la main du vicaire terrestre peut
+faire de moi l'héritier du royaume des cieux. Je regarde la vertu en
+général, et chaque vertu en particulier, comme une disposition de l'ame;
+chacune d'elles me semble une manière de sentir et non un principe<a id="footnotetag95" name="footnotetag95"></a>
+<a href="#footnote95"><sup class="sml">95</sup></a>.
+Je crois que la vérité est le premier attribut de la divinité, et que la
+mort est un sommeil éternel, au moins pour le corps. Vous avez là un
+résumé des sentimens de ce <i>libertin</i> de George Lord Byron, et, jusqu'à
+ce que je me pourvoie d'un nouvel habit, vous voyez que je suis
+passablement mal vêtu.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote94"
+name="footnote94"><b>Note 94: </b></a><a href="#footnotetag94">
+(retour) </a> Το καλον, le beau.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote95"
+name="footnote95"><b>Note 95: </b></a><a href="#footnotetag95">
+(retour) </a> C'est là la doctrine de Hume, qui résout toute
+ vertu en un sentiment. Voyez son ouvrage intitulé:
+ <i>Recherches sur les principes moraux</i> (<i>Enquiry concerning
+ the principles of morals</i>).</blockquote>
+
+<p>«Je suis, etc.»</p>
+
+<p>Quoique telle fût sans doute à cette époque la tournure générale de ses
+opinions, il faut se rappeler, avant d'ajouter trop d'importance à cette
+profession de ses sentimens, d'abord qu'il ne résista jamais à la
+tentation de montrer son esprit aux dépens de sa réputation, ensuite
+qu'il écrivait ici à une personne bien intentionnée, sans doute, mais en
+même tems à l'un de ces officieux, de ces donneurs d'avis, toujours
+contens d'eux-mêmes, que Byron s'est fait dans tous les tems un plaisir
+d'étonner et de mystifier. Les tours qu'il joua étant enfant au
+charlatan du Nottinghamshire, Lavender, n'étaient que les premiers d'une
+longue série de mystifications qu'il fit toute sa vie aux nombreux
+charlatans que sa célébrité et son humeur sociable attiraient autour de
+lui.</p>
+
+<p>Les termes dans lesquels il parle de l'université, dans cette lettre,
+sont parfaitement d'accord avec plusieurs passages des <i>Heures
+d'oisiveté</i> et de sa première satire. On voit que s'il se rappelait
+Harrow avec plus d'affection que de respect peut-être, Cambridge n'avait
+pu lui inspirer ni l'un ni l'autre de ces deux sentimens. Ce dégoût
+qu'il avait conservé pour sa <i>mère nourrice</i>, il le partageait en commun
+avec la plupart des noms les plus illustres de la littérature anglaise.
+«Si grande était la haine de Milton pour Cambridge, dit Warton, qu'il
+avait même conçu un dégoût pour l'aspect du pays et pour les campagnes
+d'alentour.» Voici comme le poète Gray parle de la même université:
+«Certainement c'est de cette ville, aujourd'hui Cambridge, mais
+autrefois connue sous le nom de Babylone, que le prophète parle, quand
+il dit: Les animaux sauvages du désert y habiteront, leurs demeures
+seront pleines de tristes créatures, les hiboux y bâtiront nids et les
+satyres y danseront.» Gibbon nous a transmis le souvenir amer qu'il
+conservait de l'université d'Oxford, et le froid mépris avec lequel
+Locke se vengea de l'hypocrisie qui régnait dans cet asile de la
+science, est encore plus remarquable<a id="footnotetag96" name="footnotetag96"></a>
+<a href="#footnote96"><sup class="sml">96</sup></a>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote96"
+name="footnote96"><b>Note 96: </b></a><a href="#footnotetag96">
+(retour) </a> Voyez sa lettre à Anthony Collins, 1703-4, où il
+ parle de ces fortes têtes qui jetaient feu et flamme contre
+ son livre, parce qu'il était de nature à nuire à l'industrie
+ locale, qu'à cette époque on appelait la <i>tonte de cochon</i>.</blockquote>
+
+<p>On peut penser que les souvenirs pénibles que quelques poètes ont
+conservés de leur vie de collége ont leur origine dans cette antipathie
+pour les entraves de la discipline, antipathie que l'on observe assez
+souvent comme un des traits caractéristiques de génie: c'est comme une
+sorte d'instinct ou de préservatif, s'il est vrai (comme quelques-uns
+l'ont dit) qu'une éducation classique nuise à la fraîcheur et à
+l'élasticité de l'imagination. Un écrivain, membre du clergé, et par
+conséquent peu suspect de vouloir déprécier les études académiques,
+non-seulement pose cette question: «Les formes ordinaires de notre
+système d'éducation ne sont-elles pas plus nuisibles qu'utiles aux vrais
+poètes?» mais encore il paraît fortement pencher pour une solution
+affirmative. Pour exemple à l'appui de son opinion, il choisit le
+classique Addisson qui, dans quelques essais originaux d'un genre sévère
+ou allégorique, paraît n'avoir pas été dépourvu des talens qui révèlent
+un esprit supérieur, talens qui furent tellement comprimés et énervés
+par son étude constante et superstitieuse des classiques anciens, que
+dans le fait il est demeuré un poète très-ordinaire.</p>
+
+<p>C'est sans doute sous l'impression de l'influence maligne de
+l'atmosphère scholastique sur le génie, que Milton, en parlant de
+Cambridge, s'écrie: «C'est un lieu où les disciples de Phébus ne
+sauraient vivre,» et que Lord Byron, répétant en vers une pensée déjà
+exprimée dans la lettre à M. Dallas, que nous venons de citer, dit: «Son
+Hélicon est plus pesant et plus fangeux encore que sa rivière de Cam.»</p>
+
+<p>Dryden, qui, comme Milton, avait reçu quelque châtiment déshonorant<a id="footnotetag97" name="footnotetag97"></a>
+<a href="#footnote97"><sup class="sml">97</sup></a>
+à Cambridge, paraît avoir conservé peu de respect pour son <i>alma mater</i>;
+et les vers dans lesquels il loue l'université d'Oxford aux dépens de la
+sienne<a id="footnotetag98" name="footnotetag98"></a>
+<a href="#footnote98"><sup class="sml">98</sup></a>, lui ont été probablement dictés moins par une admiration
+véritable de l'une que par le désir de dénigrer l'autre.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote97"
+name="footnote97"><b>Note 97: </b></a><a href="#footnotetag97">
+(retour) </a> Milton a reçu le fouet à l'université de Cambridge;
+ c'est, dit-on, le dernier qui ait été soumis à cette punition
+ dégoûtante, qui, bien que tombée en désuétude, n'en fait pas
+ moins partie des moyens de répression indiqués dans les
+ réglemens.<span class="rig">
+ (<i>N. du. Tr.</i>)</span></blockquote>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote98"
+name="footnote98"><b>Note 98: </b></a><a href="#footnotetag98">
+(retour) </a> Voyez <i>prologue à l'université d'Oxford</i>.</blockquote>
+
+<p>Ce n'est pas seulement le génie qui se rebelle contre la discipline des
+écoles; le goût, naturellement moins impérieux, et dont l'objet avoué
+est de cultiver les études classiques, se montre quelquefois rétif au
+gouvernement pédantesque qu'on veut lui imposer. Ce ne fut qu'après
+avoir été déchargé de l'obligation de lire Virgile comme une tâche, que
+Gray se sentit capable d'apprécier et de goûter les beautés de ce poète.
+Byron, jusques à la fin, s'efforça de vaincre un préjugé de la même
+nature contre Horace, dont le nom s'associait toujours dans son esprit
+au souvenir des ennuis de l'école.</p>
+
+<p>Quoique le tems ait accoutumé mon esprit à méditer sur ce que j'avais
+appris alors, telle est la force du préjugé né de l'impatience qu'ils
+m'ont fait éprouver dans mes premiers ans, que, perdant pour moi
+l'attrait de la nouveauté, les auteurs dont j'aurais peut-être cherché
+la lecture avec avidité, si j'avais été libre dans mes choix,
+m'inspirent toujours une sorte de dégoût, et que ce que je détestais
+alors je l'abhorre encore aujourd'hui. Adieu donc, Horace, que je
+détestais tant, c'est ma faute et non la tienne. C'est un grand malheur
+d'entendre les mots dont tu t'es servi pour exprimer tes idées
+poétiques, sans être en âge d'apprécier ces mêmes idées, et de
+comprendre tes vers, trop tôt pour pouvoir jamais les aimer. (<i>Childe
+Harold</i>, chant <span class="sc">iv</span>.)</p>
+
+<p>Aux grands poètes qui nous ont laissé un témoignage de leur
+désapprobation du système anglais d'éducation il faut ajouter les noms
+distingués de Cowley, Addisson et Cowper. Tandis que parmi les exemples
+qui, comme ceux de Milton et de Dryden, démontrent l'espèce de raison
+inverse qui peut exister entre les <i>honneurs</i> du collége et le génie, il
+ne faut pas oublier ceux de Swift, Goldsmith et Churchill, qui ne furent
+jugés que de médiocres écoliers dans les universités dont ils honorent
+aujourd'hui les annales. À la suite de cette longue série de poètes qui
+ont quitté les universités, entachés d'une note déshonorante et pleins
+de sentimens haineux contre elles, nous ajoutons des noms tels que ceux
+de Shakspeare, de Pope, de Gay, de Thomson, de Burns, Chatterton, etc.,
+qui tous ont atteint leur degré de gloire respective sans avoir passé
+par aucun collége. Nous verrons que le plus grand nombre de nos poètes
+n'a rien dû à cette influence puissante que les universités sont censées
+exercer sur le développement du génie, dans les pays qui en sont
+pourvus.</p>
+
+<p>Les lettres suivantes, écrites à cette époque, contiennent quelques
+particularités qui peut-être ne seront pas sans intérêt pour le lecteur.</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE XXII.</h3>
+
+<h4>À M. HENRY DRURY.</h4>
+
+<p class="rig">Hôtel Dorant, 13 janvier 1808.</p><br><br>
+
+<p><span class="sc">Mon cher Monsieur</span>,</p>
+
+<p>«La stupidité de mes domestiques ou du portier, en ne vous disant pas de
+monter dans mon appartement, où je vous aurais rejoint à l'instant, m'a
+privé du plaisir de vous voir hier matin. J'espérais vous rencontrer le
+soir dans quelque lieu public, mon étoile ne l'a pas permis; c'est ainsi
+qu'elle me refuse les faveurs, et généralement les faveurs qui me
+seraient le plus agréables. Vous eussiez été, je crois, fort étonné en
+me revoyant; j'ai perdu 50 liv. depuis notre dernière entrevue; je
+pesais alors 181 liv., je n'en pèse plus maintenant que 130. Je me suis
+débarrassé de mon <i>superflu</i>, au moyen de l'exercice violent et de
+l'abstinence.
+.............................................................................................................................................
+.......................................................................................................................................................</p>
+
+<p>«Si vos occupations à Harrow vous permettaient de venir en ville d'ici
+au premier février, je m'estimerais heureux de vous recevoir dans
+Albemarle-street. Si je ne puis pas avoir cet avantage, je tâcherai
+d'aller vous voir une après-midi à Harrow, tout en tremblant que votre
+cave ne contribue pas beaucoup à ma guérison. Quant à mon digne
+précepteur, le docteur Butler, notre rencontre chez vous n'empêcherait
+pas ces <i>petites douceurs</i> que nous étions dans l'habitude de nous
+prodiguer mutuellement. Nous ne nous sommes parlé qu'une fois depuis mon
+départ de Harrow, 1805, et dans cette occasion il dit poliment à
+Tatersall que je n'étais pas un compagnon convenable pour ses élèves.
+C'était avant ma première <i>échauffourée</i> poétique; et, en bonne prose,
+si j'avais été plus vieux de quelques années, j'aurais gardé le silence
+sur ses perfections; mais j'étais couché sur le dos quand j'écrivis ou
+plutôt quand je dictai ces folies d'écolier. Je ne m'attendais pas à en
+revenir jamais; mon médecin avait reçu les honoraires de seizième
+visite, et moi j'en étais à sa seizième ordonnance; je ne pouvais
+quitter la terre sans laisser à Butler un souvenir de constant
+attachement, en retour de tous ses bons offices. J'avais intention de
+descendre à Harrow en juillet; mais pensant que ma visite, immédiatement
+après la publication, pourrait être interprétée comme une insulte, je
+dirigeai mes pas ailleurs; j'avais, de plus, appris que plusieurs des
+élèves s'étaient procuré mon opuscule, et cela, bien certainement,
+contre mes intentions; car je n'en ai pas donné une seule copie avant le
+mois d'octobre, époque à laquelle, cédant à des instances réitérées, je
+ne pus en refuser une à un jeune homme qui depuis a quitté l'école. Vous
+me pardonnerez de vous entretenir si longuement sur ce sujet; vous
+l'aviez abordé, dès-lors une explication devient nécessaire. Je
+n'essaierai point de me justifier, <i>hic murus aheneus esto, nil conscire
+sibi</i>, etc., comme lord Baltimor lors de son jugement pour un rapt. Je
+suis demeuré assez long-tems au collége de la Trinité pour avoir oublié
+la fin du vers; mais si je ne finis pas ma citation, je finirai du moins
+ma lettre, en vous priant de me croire, avec autant d'affection que de
+reconnaissance, votre, etc.</p>
+
+<p>«<i>P. S.</i> Je n'abuserai pas de vos loisirs en sollicitant la faveur d'une
+réponse, de peur que vous ne disiez, comme dit Butler à Tatersall,
+auquel j'avais adressé une lettre assez imprudente, à l'occasion du
+propos dont j'ai parlé plus haut: «Je voudrais l'entraîner dans une
+correspondance avec moi.»</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE XXIII.</h3>
+
+<h4>À M. HARNESS.</h4>
+
+<p class="rig">Hôtel Dorant, Albemarle-street, 11 février 1808.</p><br><br>
+
+<p><span class="sc">Mon cher Harness</span>,</p>
+
+<p>«Comme je n'ai pas eu occasion de vous les exprimer verbalement,
+j'espère que vous voudrez bien recevoir mes remercîmens écrits, pour
+l'opinion flatteuse que vous avez bien voulu exprimer au mois de
+novembre dernier, sur quelques-unes des productions de ma pauvre muse.
+Au plaisir que j'éprouve à me voir loué par un ancien camarade d'école
+se joint le besoin de vous rendre justice, car j'avais entendu
+l'histoire avec quelques légères variantes. En vérité, quand nous nous
+rencontrâmes ce matin, Wingfield ne m'avait pas encore détrompé, mais il
+vous dira que je n'ai témoigné aucun ressentiment en citant le jugement
+qu'on vous prêtait, quoique je ne sois pas fâché d'avoir découvert la
+vérité. Peut-être vous vous rappelez à peine qu'il y a quelques années
+nous avons été liés d'une amitié trop courte, mais bien vive. Pourquoi
+cette amitié n'a-t-elle pas duré plus long-tems? je n'en sais rien. J'ai
+encore en ma possession un souvenir de vous, qui m'empêchera toujours de
+l'oublier. Je me souviens aussi d'avoir été favorisé de la lecture de
+plusieurs de vos compositions. Il est plusieurs autres circonstances que
+je pourrais vous rappeler, si je ne craignais de fatiguer votre mémoire;
+mais je vous prie de croire à la sincérité de mes regrets quant à la
+courte durée de mon amitié, et aux espérances que je nourris de la voir
+se renouveler, etc.»<br><span class="rig">
+BYRON.</span><br></p>
+
+<p>J'ai déjà parlé de l'amitié qui unit de bonne heure ce <i>gentleman</i> et
+Lord Byron, aussi bien que de la froideur qui lui succéda. L'extrait
+suivant d'une lettre dont M. Harness voulut bien m'honorer, en mettant à
+ma disposition celle de son noble correspondant, expliquera les
+circonstances qui amenèrent à cette époque leur réconciliation. Le
+tribut d'éloges qu'il paie dans les dernières phrases à la mémoire de
+Lord Byron, ne paraîtra pas moins honorable pour lui-même que pour son
+ami.</p>
+
+<p>«Bientôt après, notre liaison se refroidit, comme le dit Byron dans la
+première des lettres ci-jointes, et nous ne nous parlâmes plus durant la
+dernière année qu'il passa à Harrow, ni jusqu'après la publication de
+ses <i>Heures d'Oisiveté</i>; il était alors à Cambridge, et moi encore à
+l'école, mais dans une des <i>formes</i> les plus avancées. Il arriva que
+dans une amplification anglaise je citai quelque chose de son ouvrage,
+et je le fis avec éloge. On rapporta à Byron que j'avais au contraire
+parlé en mauvaise part et de l'ouvrage et de l'auteur, pour m'attirer
+les bonnes grâces de notre maître le docteur Butler, contre lequel un de
+ses poèmes renfermait une satire. Wingfield, depuis lord Power's court,
+notre ami commun, le désabusa de son erreur, et ce fut là l'occasion de
+la première lettre de ce recueil. Notre commerce se renouvela, et
+continua de ce moment jusqu'à celui où il quitta l'Angleterre; quelques
+torts que Lord Byron puisse avoir eu envers d'autres, sa conduite envers
+moi a toujours été uniformément affectueuse. J'ai eu à me reprocher bien
+des négligences, bien des petites choses envers lui; mais je ne puis me
+rappeler, pendant tout le cours de notre liaison, aucun exemple de
+caprice, aucun manque d'amitié de sa part.»</p>
+
+<p>Au printems de cette année 1808, parut, dans la <i>Revue et Édimbourg</i>, la
+fameuse critique sur les <i>Heures d'Oisiveté</i>. Qu'il eût d'avance quelque
+idée de ce qui se préparait contre lui de ce côté, c'est ce que rend
+évident la lettre suivante à son ami M. Becher.</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE XXIV.</h3>
+
+<h4>À M. BECHER.</h4>
+
+<p class="rig">Hôtel Dorant, 26 février 1808.</p><br><br>
+
+<p><span class="sc">Mon cher Becher</span>,</p>
+
+<p>«... Passons à Apollon: je suis charmé que vous me continuiez votre
+indulgence, et que le public veuille bien approuver mes essais. Je suis
+devenu un personnage si important, qu'une violente attaque se prépare
+contre moi dans le prochain numéro de la <i>Revue d'Édimbourg</i>. Je sais
+cela d'un ami qui a vu la copie et l'épreuve de cette critique. Vous
+n'ignorez pas que le système de ces messieurs est de tout désapprouver.
+Ils ne louent personne, et ni le public ni les auteurs ne s'attendent à
+trouver dans leur feuille rien qui ressemble à des éloges. Il y a ici
+cependant quelque chose de remarquable, attendu qu'ils font profession
+de ne donner de jugement que sur des ouvrages dignes de l'attention
+publique. Vous verrez cet article quand il paraîtra: il est, m'a-t-on
+dit, de la plus extrême sévérité; mais pour moi, j'en suis prévenu; et
+pour vous, j'espère que vous ne vous en offenserez pas.</p>
+
+<p>»Dites à Mrs. Byron de ne pas se chagriner pour cela, et de s'attendre
+aux plus grandes hostilités de leur part. Cela ne me peut faire aucun
+tort, ainsi j'espère qu'elle ne s'en tourmentera pas trop. Ces messieurs
+manquent leur but en injuriant indifféremment tout le monde; ils ne
+louent jamais que les partisans de Lord Holland et compagnie; ce n'est
+rien d'être critiqué et insulté, quand Southey, Moore, Lauderdale,
+Strangford et Payne Knight partagent le même sort.</p>
+
+<p>»J'en suis fâché, mais il faut retrancher les <i>Souvenirs d'Enfance</i> dans
+la première édition. J'ai changé conformément à vos avis, les
+<i>allusions</i> trop <i>personnelles</i> dans la sixième stance de ma dernière
+ode.</p>
+
+<p>»Et maintenant, mon cher Becher, il me reste à vous offrir mes
+remercîmens pour tout l'intérêt que vous avez bien voulu prendre à moi
+et à mes mauvaises rimes. Croyez que je ferai toujours grand cas de vous
+et de vos amis: je suis bien sincèrement, etc., etc.»</p>
+
+<p>Bientôt après cette lettre, parut l'article redouté, article qui, s'il
+ne renferme pas beaucoup d'esprit en lui-même, eut du moins le mérite
+incontestable d'exciter l'esprit des autres; jamais en effet article
+dicté par la plus juste critique n'obtint la célébrité que celui-ci dut
+à son injustice elle-même. Aussi long-tems qu'on gardera le souvenir de
+la courte mais glorieuse carrière qu'a parcourue le génie de Byron, on
+ne saurait oublier l'odieuse critique qui lui donna son premier élan.</p>
+
+<p>Il n'est que juste cependant de remarquer, sans prétendre justifier en
+rien le ton méprisant qui règne dans cette critique, que les premiers
+vers de Lord Byron, tout gracieux et tendres qu'ils sont, étaient peu
+propres à faire attendre ces miracles brillans de poésie dont, par la
+suite, il enchanta le monde étonné. Si les vers composés dans sa
+jeunesse ont un charme particulier à nos yeux, c'est que nous les lisons
+pour ainsi dire à la lueur de la gloire immortelle qu'il acquit dans la
+suite.</p>
+
+<p>Il est cependant un point de vue sous lequel ces productions offrent un
+intérêt profond et instructif. Images fidèles de son caractère pendant
+cette période de sa vie, elles nous permettent de juger ce qu'il était
+par lui-même avant que des désappointemens eussent jeté de l'amertume
+dans son esprit ardent, et donné de l'activité aux défauts qui se
+rencontraient dans son naturel énergique. En le suivant dans toutes ces
+effusions de son jeune génie, nous le voyons se peindre des mêmes traits
+dont chaque anecdote de son enfance nous avait déjà fait la confidence:
+orgueilleux, entreprenant, colère, plein de ressentiment de la moindre
+injustice, plus encore dans la cause des autres que dans la sienne, et
+cependant, malgré son impétuosité, doux et facile sous la main de ceux à
+qui l'affection donnait le droit de le guider. Lui-même n'a que
+faiblement rendu justice à cette disposition aimante que l'on aperçoit à
+chaque page de ce volume; sa jeunesse tout entière, dès sa plus tendre
+enfance, n'est qu'une série d'attachemens les plus passionnés, de ces
+épanchemens de l'ame dans l'amitié et dans l'amour, que l'on éprouve
+rarement, et auxquels les autres répondent plus rarement encore, et qui,
+repoussés et refoulés vers le cœur, ne sauraient manquer de se tourner
+en amertume.</p>
+
+<p>L'on reconnaît aussi dans quelques-uns de ses poèmes non publiés, même à
+travers les nuages dont le doute commence à les couvrir, les sentimens
+de piété auxquels une ame comme la sienne ne pouvait demeurer étrangère,
+mais qui, détournés de leur canal légitime, trouvent bientôt dans le
+culte poétique de la nature une sorte de compensation à celui de la
+religion dont la superstition les éloigne. Quant à tous ces traits de
+caractère que nous trouvons çà et là répandus dans ses premiers poèmes,
+nous le voyons jeter dans l'avenir un coup-d'œil tantôt plein d'un noble
+orgueil, tantôt plein de tristesse, comme s'il sentait déjà en lui les
+élémens de quelque chose de grand, mais qu'il doutât que la destinée lui
+permît d'en développer jamais le germe. Il n'est pas étonnant qu'ayant
+présente à la pensée toute sa noble carrière, nous contemplions ses
+premiers essais sous l'influence d'une gloire qui ne leur est pas
+propre, mais qui est comme le reflet de celle qu'il acquit dans la
+suite; et alors, dans notre indignation contre l'aveuglement stupide du
+critique, nous oublions qu'il n'a point écrit sous le charme dont se
+revêt aujourd'hui pour nous tout ce qui se rattache de loin ou de près
+au poète.</p>
+
+<p>Pour bien comprendre l'effet que cette critique produisit sur lui, il
+faut d'abord se faire une juste idée de ce que la plupart des poètes
+éprouveraient en se voyant en butte à une telle attaque, et puis avouer
+que Byron avec son caractère et sa sensibilité devait en ressentir
+l'amertume dix fois plus qu'aucun autre. Nous avons vu avec quelle
+anxiété fiévreuse il attendait le jugement des revues inférieures; et la
+joie qu'il montra de se voir louer par des journalistes moins connus,
+peut nous faire juger combien son cœur a dû saigner sous les coups
+dédaigneux de ceux qui, à cette époque, tenaient le sceptre de la
+critique. Un ami qu'il trouva dans le premier moment d'émotion, après la
+lecture de l'article, s'empressa de lui demander s'il venait de recevoir
+un cartel, ne sachant comment expliquer autrement la colère et
+l'indignation qui se peignaient dans ses yeux. Il serait en effet
+difficile pour le sculpteur ou pour le peintre d'imaginer un sujet d'une
+beauté plus effrayante que la belle figure du jeune poète au moment de
+cette crise, où toute son énergie se déployait: son orgueil avait été
+piqué au vif et son ambition humiliée; mais ce sentiment terrible ne
+dura qu'un moment: la réaction de son esprit, le besoin de repousser
+l'attaque, lui révélèrent à lui-même tout son génie; et la douleur et la
+honte de l'injure se turent dans son cœur devant la noble certitude de
+la vengeance.</p>
+
+<p>Entre autres effets moins poétiques de l'article de la <i>Revue</i> sur son
+esprit, il disait souvent que le jour qu'il le lut, il but pour sa part
+après dîner trois bouteilles de vin de Bordeaux, et que rien ne le
+soulagea jusqu'à ce qu'il eût donné en vers carrière à son imagination;
+mais qu'après les vingt premiers, il se trouva beaucoup mieux; en effet,
+son premier soin, après que la satire eut paru, fut, comme avant qu'elle
+ne vît le jour, d'alléger autant qu'il le pourrait l'effet qu'elle
+devait produire sur sa mère, qui, n'ayant pas le même génie, le même
+sentiment d'une prompte et juste vengeance, devait souffrir cruellement
+de cette attaque contre sa réputation, et s'en indigna, en effet,
+beaucoup plus que bientôt il ne le fit lui-même. Mais on verra mieux
+dans la lettre suivante l'état de son esprit dans ce moment critique.</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE XXV.</h3>
+
+<h4>À M. BECHER.</h4>
+
+<p class="rig">Hôtel Dorant, 28 mars 1808.</p><br><br>
+
+<p>«J'ai reçu dernièrement de Ridge un exemplaire de la nouvelle édition,
+et il est bien tems que je vous remercie de la peine que vous avez prise
+de la surveiller: je le fais bien sincèrement, et je regrette seulement
+que Ridge ne vous ait pas secondé autant que je l'aurais désiré, au
+moins quant au papier, à la reliure, etc., etc., de mon exemplaire;
+peut-être ceux destinés au public sont-ils plus satisfaisans sous tous
+ces rapports.</p>
+
+<p>»Vous avez nécessairement vu <i>la Revue d'Édimbourg</i>. Je regrette que
+Mrs. Byron ait pris la chose si fort à cœur. Pour ma part, <i>ces petites
+boulettes de papier</i> m'ont appris à voir le feu en face; et comme, somme
+toute, j'ai eu assez de bonheur, mon repos ni mon appétit n'en ont point
+été altérés. Pratt <i>le glaneur</i>, l'auteur, le poète, etc., etc., m'a
+adressé une longue épître en vers sur ce sujet, en forme de consolation;
+mais comme elle est assez mal faite, je ne vous l'enverrai pas, quoique
+son nom eût pu lui mériter cet honneur. Ces messieurs de la <i>Revue
+d'Édimbourg</i> n'ont pas bien rempli leur tâche, c'est du moins l'avis de
+plusieurs hommes de lettres; je pense que je pourrais écrire sur
+moi-même une critique plus mordante que toutes celles qui ont été
+publiées jusqu'ici. Ainsi, au lieu de la remarque assez méchante, mais
+sans esprit, sur Macpherson, j'aurais dit si j'avais été à leur place:
+«Hélas! cette pièce ne fait que prouver la vérité de l'assertion du
+docteur Johnson, que beaucoup d'hommes, de femmes et <i>d'enfans</i>
+pourraient écrire des poésies comme celles d'Ossian.»</p>
+
+<p>»Je suis maigre, et prends beaucoup d'exercice. J'espère vous voir ce
+printems ou cet été. On dit que lord Ruthen quitte Newstead en avril...
+Aussitôt qu'il l'aura quitté pour toujours, je vous serais infiniment
+obligé d'y faire un tour à cheval, d'examiner la propriété et de me
+donner franchement votre opinion sur le meilleur parti à prendre quant à
+la maison. Entre nous, je suis diablement enfoncé; mes dettes, tout
+compris, s'élèveront à neuf ou dix mille livres sterling avant l'époque
+de ma majorité. Mais j'ai des raisons de penser que je me trouverai
+cependant plus riche que l'on ne le croit généralement. Je n'ai que peu
+d'espoir de conserver Newstead; mais Hanson, mon agent, me dit que ma
+propriété dans le Lancashire vaut trois fois plus. Je crois que nous la
+recouvrerons, et que la partie adverse ne refuse de la rendre, que dans
+l'espoir de prolonger l'affaire jusqu'à ma majorité; ils veulent sans
+doute alors proposer quelques arrangemens, supposant que je préférerai
+alors une somme d'argent comptant à une réversion. Pour Newstead, je
+puis le vendre, peut-être ne le ferai-je pas; nous aurons le tems d'en
+parler plus tard. Je viendrai en mai ou en juin...</p>
+
+<p>»Votre bien affectionné.»</p>
+
+<p>Le genre de vie qu'il menait à cette époque, partagé entre les
+dissipations de Londres et celles de Cambridge, sans maison à lui, sans
+un seul parent qu'il pût visiter, n'était pas propre à le rendre content
+de lui-même ou des autres. N'ayant en tout de volonté à consulter que la
+sienne<a id="footnotetag99" name="footnotetag99"></a>
+<a href="#footnote99"><sup class="sml">99</sup></a>, les plaisirs même auxquels il était le plus naturellement
+porté, perdirent de bonne heure tout leur charme pour lui, parce qu'ils
+manquaient de ce qui fait l'assaisonnement de toutes nos jouissances, la
+rareté et la difficulté. J'ai déjà extrait d'un de ses <i>souvenirs</i>, un
+passage où il décrit ce qu'il éprouva en se rendant à Cambridge pour la
+première fois, et dit: «Qu'une des sensations les plus pénibles de sa
+vie fut de voir qu'il n'était plus un enfant! Depuis ce moment,
+ajoute-t-il, je commençai à m'estimer vieux, et dans mon estime l'âge
+n'est pas estimable. Je pris mes <i>degrés</i> dans le vice avec beaucoup de
+promptitude; mais le vice n'était pas de mon goût, car mes premières
+passions, quoique extrêmement violentes, étaient concentrées, et
+n'aimaient point à se répandre au-dehors ni à se partager. J'aurais pu
+quitter ou perdre le monde entier avec ou pour ce que j'aimais; mais
+bien que mon tempérament fût de feu, je ne pouvais prendre part au
+libertinage commun de cette ville à cette époque; et cependant ce dégoût
+lui-même, qui laissait mon cœur inoccupé, me jeta dans des excès
+peut-être plus fatals que ceux dont je m'éloignais, en fixant sur une
+seule personne (à la fois) les passions qui, répandues sur plusieurs,
+n'eussent fait de mal qu'à moi-même.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote99"
+name="footnote99"><b>Note 99: </b></a><a href="#footnotetag99">
+(retour) </a> Notre vie entière dépend singulièrement des trois
+ ou quatre premières années pendant lesquelles nous n'avons
+ pas eu d'autres maîtres que nous-mêmes.
+ <span class="rig">(<span class="sc">Cowper</span>.)</span><br>
+</blockquote>
+
+<p>D'après les raisons que nous venons d'en donner, les écarts auxquels il
+se livrait à cette époque étaient bien moins nombreux et bien moins
+grossiers que ceux de la plupart de ses condisciples; cependant, soit à
+cause de la véhémence que leur donnait leur concentration, sur un seul
+objet, ou plutôt de cet étrange orgueil qui l'a toujours porté à
+afficher ses erreurs, il arrivait qu'une seule de ses folies faisait
+plus de bruit que mille de celles des autres; nous en avons un exemple à
+peu près à l'époque dont nous parlons, et à laquelle je serais porté à
+croire que se rapportent les allusions mystérieuses que nous venons de
+citer. Un amour, si l'on peut honorer de ce nom une intrigue passagère
+que d'autres eussent bientôt oubliée ou auraient eu la prudence de
+cacher, fut changé par lui en une liaison publique et d'une certaine
+durée. Il fit loger avec lui à Brompton la personne qui le lui avait
+inspiré, et l'emmena ensuite à Brighton déguisée en homme. Elle se
+promenait ordinairement à cheval avec lui, et il la présentait comme son
+jeune frère. Feu P.... qui se trouvait à Brighton à cette époque, et qui
+soupçonnait la vraie nature de leurs rapports, dit un jour au prétendu
+cavalier: «Quel joli cheval vous montez!--Oui, répondit celui-ci, en
+faisant une faute grossière de langue, c'est mon frère qui me l'a
+donn<i>a</i> (<i>it was</i> gave <i>me by my brother</i>).»</p>
+
+<p>Beattie nous dit de son poète idéal: «Il ne trouvait ni plaisir ni
+orgueil dans les exercices de force ou d'agilité.» Bien différens
+étaient les goûts de notre poète réel; et parmi les exercices auxquels
+il se livrait, il faut compter d'abord les moins romantiques de tous
+peut-être, celui de boxer et de prendre part au combat du coq. Ce goût
+lui fit rechercher de bonne heure la connaissance du plus célèbre
+professeur de cet art, M. Jackson, pour lequel il conserva, toute sa
+vie, la plus grande considération. Un de ses derniers ouvrages contient
+un tribut affectueux d'éloges, non-seulement pour les talens de cet
+ornement, de cette gloire du pugilat, mais encore de ses qualités
+sociales. Pendant le séjour que Byron fit cette année à Brighton,
+Jackson fut un de ses visiteurs les plus assidus, les frais de la
+voiture du professeur, pour l'<i>allée</i> et le <i>retour</i>, étant toujours à
+la charge de son noble élève. Il honora aussi de sa familiarité
+d'Egville le maître de ballet et Gimaldi; il envoya, dit-on, à ce
+dernier, le jour de son bénéfice, un présent de cent guinées. M. Jackson
+ayant eu l'obligeance de me donner copie du petit nombre de lettres
+qu'il a conservées parmi un bien plus grand nombre que Lord Byron lui
+avait adressées, j'en insérerai ici une ou deux qui portent la date de
+cette année. Quoique les sujets dont elles traitent soient de peu
+d'importance en eux-mêmes, elles donneront peut-être des habitudes et de
+la vie actuelle du jeune poète une idée plus complète qu'on ne pourrait
+tirer de correspondances d'un genre plus relevé. Elles montreront au
+moins combien les premiers goûts et les premiers passe-tems de l'auteur
+de Childe-Harold étaient peu romanesques. Si nous les rapprochons des
+occupations et des amusemens moins romantiques encore de la jeunesse de
+Shakspeare, nous verrons combien le principe vital du génie, peut, sans
+s'affaiblir, traverser l'atmosphère, même, en apparence, la plus
+hétérogène et la plus contraire à sa nature.</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE XXVI.</h3>
+
+<h4>À M. JACKSON.</h4>
+
+<p class="rig">Newstead-Abbey, 18 septembre 1808.</p><br><br>
+
+<p><span class="sc">Mon cher Jack</span>,</p>
+
+<p>«Je voudrais que vous me fissiez savoir ce que Jekyll a fait à
+Snoane-Square, n° 40, concernant le <i>pony</i> que j'ai renvoyé comme
+vicieux.</p>
+
+<p>«Je désire aussi que vous passiez chez Louch, à Brompton, pour lui
+demander quelle diable d'idée il a eue de m'envoyer une lettre si
+insolente à Brighton. Dites-lui bien en même tems que je ne prétends pas
+du tout accepter le compte ridicule qu'il me présente pour de prétendues
+détériorations.</p>
+
+<p>«Ambroise a agi de la manière la plus scandaleuse dans l'affaire du
+<i>pony</i>. Vous pouvez dire à Jekyll que s'il ne me rend pas l'argent, je
+mettrai l'affaire entre les mains de mon homme de loi. Vingt-cinq
+guinées sont un fort bon prix pour un <i>pony</i>; et parbleu! dût-il m'en
+coûter 500 liv. st., je ferai un exemple de M. Jekyll, et cela
+immédiatement, à moins qu'il ne rende l'argent.</p>
+
+<p>Croyez-moi, mon cher Jack, etc.</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE XXVII</h3>
+
+<h4>À M. JACKSON.</h4>
+
+<p class="rig">Newstead-Abbey, 4 octobre 1808.</p><br><br>
+
+<p><span class="sc">Mon cher Jack</span>,</p>
+
+<p>«Si ce M. Jekyll n'est pas un gentleman, vous ferez avec lui le marché
+le plus avantageux qu'il vous sera possible; mais si c'est un gentleman,
+informez-m'en, car alors j'en agirai d'une tout autre manière. S'il ne
+l'est pas, tirez de lui le plus d'argent que vous pourrez, car j'ai trop
+d'affaires sur les bras pour commencer un procès. En outre, cet Ambroise
+devrait rendre l'argent; mais j'en ai fini avec lui. Vous pouvez payer
+L... avec la balance, et vous disposerez des bidets, etc., pour le
+mieux.</p>
+
+<p>»J'aurais grand plaisir à vous voir ici; mais la maison est en
+réparation et pleine d'ouvriers. J'espère toutefois avoir cet avantage
+avant peu de mois. Si vous voyez Baldwabster, rappelez-moi, je vous
+prie, à son souvenir, et dites-lui que j'ai regretté la perte de Sydney,
+qui a péri, je le crains, dans ma garenne, car nous ne l'avons pas vu
+depuis quinze jours.</p>
+
+<p>»Adieu, etc.»</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE XXVIII.</h3>
+
+<h4>À M. JACKSON.</h4>
+
+<p class="rig">Newstead-Abbey, 12 décembre 1808.</p><br><br>
+
+<p><span class="sc">Mon cher Jack</span>,</p>
+
+<p>«Achetez le lévrier à quelque prix que ce soit, et autant d'autres de la
+même race que vous pourrez vous en procurer, mâles ou femelles.</p>
+
+<p>«Dites à d'Egville que je lui renverrai son costume, et que je lui suis
+fort obligé du patron. Je suis fâché de vous donner tant de peines; mais
+je n'avais pas idée qu'il fût si difficile de se procurer les animaux en
+question; mon manoir sera terminé dans quelques semaines, et si vous
+pouvez me faire une visite à Noël, je serai charmé de vous voir.</p>
+
+<p>«Croyez-moi votre, etc.»</p>
+
+<p>Le costume dont il s'agit ici était sans doute nécessaire pour un
+théâtre de société qu'il montait à cette époque à Newstead, et sur
+lequel nous trouverons d'autres détails dans la lettre suivante,
+adressée à M. Becher.</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE XXIX.</h3>
+
+<h4>À M. BECHER.</h4>
+
+<p class="rig">Newstead-Abbey, 14 septembre 1808.</p><br><br>
+
+<p><span class="sc">Mon cher Becher</span>,</p>
+
+<p>«Je vous suis fort obligé des informations que vous me donnez, et j'en
+ferai mon profit. Je vais monter ici une comédie, le vestibule nous fera
+une salle admirable. J'ai déjà distribué les rôles, et puis me passer de
+dames, ayant quelques jeunes amis qui feront d'assez bons substituts, à
+défaut de femmes. Nous n'avons besoin que de trois hommes, outre M.
+Hobhouse et moi-même, pour la pièce dont nous avons fait choix. Ce sera
+la Vengeance (<i>the Revenge</i>). Dites, je vous prie, au charpentier
+Michalson de venir me parler immédiatement, et faites-moi savoir quel
+jour vous pourrez venir dîner et passer la soirée avec moi.</p>
+
+<p>»Croyez-moi, etc., etc.»</p>
+
+<p>Ce fut dans l'automne de cette année, comme l'indiquent les lettres
+précédentes, qu'il fixa pour la première fois sa résidence à l'abbaye de
+Newstead. La maison, quand il la reçut des mains de lord Grey de Ruthen,
+était dans le dernier état de dégradation; il se mit aussitôt à réparer
+et à meubler quelques appartemens pour en rendre l'habitation plus
+commode, non à lui-même, mais à sa mère. Dans une de ses lettres à Mrs.
+Byron, publiée par M. Dallas, voici comme il explique ses vues et ses
+intentions à ce sujet.</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE XXX.</h3>
+
+<h4>À L'HONORABLE<a id="footnotetag100" name="footnotetag100"></a>
+<a href="#footnote100"><sup class="sml">100</sup></a> MISTRESS BYRON.</h4>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote100"
+name="footnote100"><b>Note 100: </b></a><a href="#footnotetag100">
+(retour) </a> Lord Byron donne toujours le titre d'<i>honorable</i> à
+ sa mère, quoiqu'elle n'y eût aucun droit.</blockquote>
+
+<p class="rig">Newstead-Abbey, 7 octobre 1808.</p><br><br>
+
+<p><span class="sc">Chère Madame</span>,</p>
+
+<p>«Je n'ai point de lits à présent pour les H... ni pour aucun autre; ils
+couchent maintenant à Mansfield. Je ne sache point que je ressemble à
+J.-J. Rousseau. Je n'ai nulle ambition de ressembler à si illustre fou;
+mais ce que je sais, c'est que je vivrai à ma manière, et le plus
+solitairement qu'il me sera possible. Dès que mes appartemens seront
+prêts, je serai charmé de vous voir; jusque-là cela serait inconvenant
+et incommode pour tous deux; vous ne sauriez vous opposer
+raisonnablement à ce que je rende mon manoir habitable, malgré mon
+départ pour la Perse en mars ou au plus tard en mai. Vous serez
+propriétaire jusqu'à mon retour; et en cas d'accident, car j'ai déjà
+préparé mon testament pour le moment où j'aurai vingt-un ans, j'ai eu
+soin que la maison et le manoir vous restassent votre vie durant, outre
+une pension suffisante. Ainsi vous voyez que ce n'est pas l'égoïsme qui
+mes porte à faire des réparations et des embellissemens. Comme j'ai un
+ami ici, nous irons au bal de l'Hôpital. Le 12, nous prendrons le thé
+avec Mrs. Byron à huit heures, et nous espérons vous voir au bal. Si
+cette dame a la bonté de nous réserver deux chambres pour nous habiller,
+elle nous obligera infiniment. Que nous soyons au bal à dix ou onze
+heures, c'est tout ce qu'il faut, et nous retournerons à Newstead entre
+trois et quatre.</p>
+
+<p>»Adieu. Je suis bien sincèrement votre, etc.»</p>
+
+<p>L'idée entretenue par Mrs. Byron d'une ressemblance entre son fils et
+Rousseau était surtout fondée sur ses habitudes solitaires, dans
+lesquelles il montrait de si bonne heure du penchant à suivre ce
+philosophe, penchant qui prit de la force à mesure qu'il avança en âge.
+Dans un de ses <i>souvenirs</i>, auquel j'ai déjà beaucoup emprunté<a id="footnotetag101" name="footnotetag101"></a>
+<a href="#footnote101"><sup class="sml">101</sup></a>, il
+met en question la justesse de cette comparaison entre Rousseau et lui,
+et nous donne comme à l'ordinaire, en style très-animé, quelques idées
+de son caractère et de ses habitudes.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote101"
+name="footnote101"><b>Note 101: </b></a><a href="#footnotetag101">
+(retour) </a> Ce journal est intitulé par lui-même: <i>Pensées
+ détachées</i>.</blockquote>
+
+<p>«Avant que je n'eusse vingt ans, ma mère voulait absolument que je
+ressemblasse à Rousseau, madame de Staël en disait autant en 1813, et il
+y a quelque chose de cela dans la <i>Revue d'Édimbourg</i>, dans l'article
+critique sur le quatrième chant de Childe-Harold. Pour ma part, je ne
+puis voir aucun point de ressemblance: il écrivait en prose et moi en
+vers; c'était un homme du peuple, et moi de l'aristocratie; il était
+philosophe, et je ne le suis point; il publia son premier ouvrage à
+quarante ans, et moi à seize: son premier essai lui attira les
+applaudissemens universels, le mien m'attira tout le contraire: il
+épousa sa gouvernante, je n'ai pas pu vivre avec ma femme<a id="footnotetag102" name="footnotetag102"></a>
+<a href="#footnote102"><sup class="sml">102</sup></a>: il
+pensait que tout le monde conspirait contre sa personne, moi c'est mon
+petit monde qui croit que je conspire contre lui, si j'en peux juger par
+les injures que me prodiguent la presse et les coteries. Il aimait la
+botanique, j'aime les fleurs, les herbes et les arbres, mais je ne sais
+rien de leur histoire. Il a composé de la musique, je n'en connais que
+ce que l'oreille me permet de saisir. Je n'ai jamais pu rien apprendre
+par l'étude, pas même une langue: tout ce que je sais, je le dois à la
+routine, à l'oreille et à la mémoire, qu'il avait mauvaise, et que j'ai
+ou plutôt j'avais excellente, demandez plutôt au poète Hodgson, bon juge
+en cette matière, car il en a lui-même une étonnante. Il écrivait avec
+hésitation et travail, moi j'écris rapidement et presque toujours sans
+efforts. Il ne sut jamais monter à cheval, nager ni faire des armes, moi
+je suis un excellent nageur, un décent, si ce n'est un brillant
+cavalier, m'étant enfoncé une côte au manége à l'âge de dix-huit ans. Je
+maniais assez bien les armes, particulièrement l'espadon des
+montagnards; je n'étais pas non plus un mauvais boxeur, quand je pouvais
+conserver mon sang-froid, ce qui était difficile, mais ce que je me suis
+toujours efforcé de faire depuis que (avec les gants) je renversai M.
+Purling, et lui démis la rotule, en 1806, dans la salle d'Angelo et
+Jackson. J'étais aussi assez fort à la balle crossée et l'un des onze
+champions de Harrow, qui soutinrent un défi, en 1805, contre Éton. En
+outre, le genre de vie de Rousseau, son pays, ses mœurs, l'ensemble de
+son caractère, offrent avec moi de si grandes différences, que je ne
+puis comprendre comment une telle comparaison a pu être faite trois
+fois, et toujours d'une manière si remarquable. J'oubliais encore de
+dire qu'il avait la vue courte, et que jusqu'ici la mienne a été tout le
+contraire, au point qu'au plus grand théâtre de Bologne, je distinguai
+certain buste et lus certaines inscriptions sur le bord de la scène,
+bien que placé dans la loge la plus éloignée et la plus sombre.
+Quoiqu'il y eût dans cette même loge plusieurs personnes jeunes et y
+voyant bien, elles ne pouvaient reconnaître une seule lettre, et crurent
+d'abord que c'était une plaisanterie, quoique je ne fusse jamais entré
+dans ce théâtre auparavant. Somme toute, je crois avoir raison de
+trouver la comparaison mal fondée. Je ne le dis pas par humeur, car
+Rousseau était un grand homme, et la chose, si elle était vraie, serait
+assez flatteuse; mais je ne trouve point de plaisir dans une pure
+chimère.»</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote102"
+name="footnote102"><b>Note 102: </b></a><a href="#footnotetag102">
+(retour) </a> <i>He married his house-keeper; I could not keep
+ house with my wife</i>.</blockquote>
+
+<p>Dans une autre lettre à sa mère, quelques semaines après la précédente,
+il développe ses plans sur Newstead et ses voyages projetés.</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE XXXI.</h3>
+
+<h4>À MRS. BYRON.</h4>
+
+<p class="rig">Newstead-Abbey, 2 novembre 1808.</p><br><br>
+
+<p><span class="sc">Ma chère mère</span>,</p>
+
+<p>«Nous oublierons, s'il vous plaît, ce que vous me dîtes dans votre
+dernière; je ne désire point me le rappeler. Quand nos chambres seront
+prêtes, je serai charmé de vous recevoir; et surtout je serais fâché de
+vous voir douter, en ce moment, de ma sincérité. C'est plus pour vous
+que pour moi que je meuble la maison; je vous y installerai avant mon
+départ pour les Indes, qui aura lieu, je crois, dans le courant de mars,
+s'il ne survient quelque obstacle particulier. Je fais arranger en ce
+moment le salon vert, la chambre à coucher rouge, et à l'étage au-dessus
+quelques chambres d'amis. Tout cela sera bientôt prêt, ou du moins je
+l'espère ainsi.</p>
+
+<p>«Je vous prierais de vous informer auprès du major Watson, qui a résidé
+long-tems dans les Indes, quels sont les objets dont il est le plus
+nécessaire d'être pourvu. J'ai déjà fait écrire par l'un de mes amis au
+professeur d'Arabe, à Cambridge, pour quelques renseignemens que je
+désire vivement me procurer. Il me sera aisé d'obtenir du gouvernement
+des lettres pour les ambassadeurs, les consuls, etc., et aussi pour les
+gouverneurs de Calcutta et de Madras. Je placerai mes propriétés et mon
+testament entre les mains de plusieurs personnes de confiance dont vous
+serez certainement l'une. Je n'ai reçu aucune nouvelle de H...; quand
+j'en aurai, je m'empresserai de vous en faire part.</p>
+
+<p>»Après tout, vous avouerez que mon projet n'est pas mauvais; si je ne
+voyage pas maintenant, je ne voyagerai jamais, et les hommes le
+devraient toujours faire un jour ou l'autre. Je n'ai rien qui me
+retienne maintenant dans mon pays; point de femme, point de sœurs à
+pourvoir, point de frères, etc. Je prendrai soin de vos intérêts; et, à
+mon retour, il sera possible que je me décide à suivre la carrière de la
+politique. Quelques années consacrées à connaître d'autres pays, ne me
+nuiront pas si j'embrasse ce parti. Tant que nous ne voyons que notre
+propre nation; nous ne jouons pas franc jeu avec l'espèce humaine. C'est
+par l'expérience personnelle, et non par des livres, que nous devrions
+juger les peuples étrangers. Il n'y a rien de tel que de voir par
+soi-même, et de ne s'en rapporter qu'à ce qu'on a vu.</p>
+
+<p>»Votre, etc.»</p>
+
+<p>Dans le mois de novembre de cette année, il perdit son chien favori
+Boatswain. Le pauvre animal fut tout à coup saisi d'un accès de rage; au
+commencement, Lord Byron soupçonnait si peu la nature de la maladie,
+qu'il lui arriva plusieurs fois d'essuyer avec sa main nue l'écume qui
+sortait de la bouche du chien au moment de ses attaques. Dans une lettre
+à son ami, M. Hodgson<a id="footnotetag103" name="footnotetag103"></a>
+<a href="#footnote103"><sup class="sml">103</sup></a>, il annonce ainsi cet événement: «Boatswain
+est mort! il a expiré dans un état de rage complète, après avoir
+beaucoup souffert, mais conservant jusqu'à la fin toute la douceur de
+son naturel, et sans jamais essayer de faire le moindre mal à ceux qui
+l'entouraient. J'ai maintenant tout perdu, hors le vieux Murray.»</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote103"
+name="footnote103"><b>Note 103: </b></a><a href="#footnotetag103">
+(retour) </a> Le révérend Francis Hodgson, auteur d'une
+ excellente traduction de Juvenal et de plusieurs autres
+ ouvrages estimés: il fut long-tems en correspondance avec
+ Lord Byron, et je lui dois plusieurs lettres intéressantes de
+ son noble ami; je les donnerai dans le cours des pages
+ suivantes.</blockquote>
+
+<p>Le monument qu'il éleva à ce chien, le plus remarquable en son genre,
+depuis le tombeau du chien de Salamine, forme encore l'un des plus beaux
+ornemens de Newstead. Les vers pleins de misanthropie qu'il y fit graver
+se retrouvent dans son recueil de poésies, et sont précédés de
+l'inscription que voici:</p>
+
+<p>«Près de ce lieu sont déposés les restes d'un être qui posséda la beauté
+sans orgueil, la force sans insolence, le courage sans férocité; en un
+mot, toutes les vertus de l'homme sans ses vices. Cet éloge, qui serait
+une basse flatterie s'il était inscrit sur des cendres humaines, n'est
+qu'un juste tribut à la mémoire de Boatswain, chien qui, né à
+Terre-Neuve, au mois de mai 1803, est mort, à Newstead-Abbey, le 18
+novembre 1808.»</p>
+
+<p>Le poète Pope, à peu près au même âge que l'auteur de cette inscription,
+fait de même l'éloge de son chien, aux dépens de l'espèce humaine, et
+ajoute que l'histoire nous offre plus d'exemples de la fidélité des
+chiens que de celle des hommes. Lord Byron, parlant de son favori, dit,
+avec plus de tristesse et d'amertume encore: «Ces pierres ont été
+élevées pour couvrir les restes d'un ami; je n'en ai jamais eu qu'un, et
+c'est ici qu'il repose.» Il semble, en effet, qu'à cette époque sa
+mélancolie fît de rapides progrès. Dans une autre lettre à M. Hodgson,
+il dit: «Vous savez que, d'après Smollet, le rire est le signe
+caractéristique d'un animal raisonnable; je le crois aussi;
+malheureusement mes dispositions naturelles ne s'accordent pas toujours
+avec mon opinion à cet égard.»</p>
+
+<p>Murray, le vieux serviteur dont il parle plus haut, comme le seul
+individu fidèle qui lui reste, avait été long-tems domestique du vieux
+lord, et était traité par le jeune poète avec une affection que la
+vieillesse inspire rarement, surtout dans une condition dépendante.
+«J'ai vu souvent, dit l'un des plus constans visiteurs de Newstead, Lord
+Byron à la fin du repas, emplir un grand verre de Madère, et le passer
+par-dessus son épaule à Joe Murray, qui se tenait derrière sa chaise, en
+lui disant avec un air d'affection qui animait toute sa physionomie:
+«Tiens, bois, mon vieux camarade!»</p>
+
+<p>Nous retrouvons dans un passage d'une autre de ses lettres à M. Hodgson
+un exemple de ce ton d'indifférence avec lequel il parlait quelquefois
+de la difformité de son pied. Ce <i>gentleman</i> ayant dit, en plaisantant,
+que quelques vers des <i>Heures d'oisiveté</i> étaient calculés pour porter
+les écoliers à la révolte, Lord Byron répondit: «Si mes chants ont
+produit les glorieux effets que vous dites, je serai un Tyrtée complet,
+quoique, et je suis fâché de le dire, je ressemble plutôt à ce poète
+célèbre, dans ma personne que dans mes ouvrages.» Quelquefois aussi il
+supportait avec la meilleure humeur du monde une allusion faite par
+d'autres à cette infirmité, quand il supposait qu'on n'avait pas eu
+l'intention de l'offenser. Un jour, dans une compagnie nombreuse et
+<i>mélangée</i>, une personne sans éducation lui demanda tout haut: «Eh bien,
+Milord, comment va votre pied?--Je vous remercie, Monsieur, répondit
+Byron du ton le plus poli, comme à l'ordinaire, et absolument de même.»</p>
+
+<p>L'extrait suivant, relatif à un ecclésiastique des amis de sa
+Seigneurie, est encore tiré d'une de ses lettres à M. Hodgson, et de la
+même année:</p>
+
+<p>«J'écrivis, il y a quelques semaines, à N***, le priant de recevoir
+comme élève le fils d'un citoyen de Londres, que je connais beaucoup.
+Les attentions toutes particulières dont la famille m'avait comblé
+pendant mon séjour parmi eux m'engagèrent à cette démarche. Maintenant,
+faites attention à ce qui va suivre, comme quelqu'un l'a dit d'une
+manière si sublime. Ce même jour arrive une épître signée N***, ne
+contenant pas un seul mot relatif à la pension et à l'éducation, mais
+une pétition en faveur de Robert Gregson, le fameux boxeur, actuellement
+en prison pour quelques malheureuses livres sterling, et menacé d'avoir
+pour dernier asile le <i>Banc du Roy</i>. Si cette lettre m'était venue de
+quelques-unes de mes accointances <i>laïques</i>, ou enfin de toute autre
+personne que celle dont parle la signature, je ne m'en étonnerais pas.
+Si N*** est sérieux, je félicite le pugilat sur l'acquisition d'un tel
+patron, et me trouverais heureux d'avancer quelque somme que ce soit
+pour la délivrance du captif Gregson. Mais avant que d'écrire à N*** sur
+ce sujet, je veux certainement avoir un certificat du fait signé de vous
+ou de quelque respectable propriétaire. Quand je dis le <i>fait</i>, c'est le
+fait de la lettre en tant qu'écrite par N***; car je n'ai aucun doute de
+l'exactitude de ce qu'elle contient. La lettre est actuellement devant
+moi, et je la garde pour vous la faire lire.»</p>
+
+<p>Il passa cet automne à Newstead s'occupant principalement à revoir et à
+augmenter sa satire. Pour s'assurer lui-même de son mérite en la lisant
+et relisant tout imprimée<a id="footnotetag104" name="footnotetag104"></a>
+<a href="#footnote104"><sup class="sml">104</sup></a>, il avait fait tirer plusieurs épreuves
+du manuscrit, par son premier éditeur, à Newark. Il est assez
+remarquable qu'excité comme il l'était par l'attaque des journalistes,
+doué comme il l'était de la faculté d'écrire avec tant de rapidité, il
+ait laissé écouler un si grand laps de tems entre l'agression et la
+vengeance; mais il paraît qu'il avait pleinement apprécié toute
+l'importance du premier pas qu'il ferait dans la littérature après cette
+attaque. Il sentait que toutes ses chances de grandeur future
+dépendaient de l'effort qu'il allait faire; en conséquence, il
+rassemblait tranquillement toutes ses forces. Parmi ses préparatifs pour
+la tâche qu'il se proposait, on doit remarquer une étude profonde des
+écrits de Pope. Je ne doute point qu'on ne doive dater de cette époque
+l'admiration enthousiaste qu'il conserva toujours pour ce grand poète,
+admiration qui, après deux ou trois tentatives, éteignit en lui toute
+espérance de prééminence dans la même carrière, et le força à chercher
+la gloire par des chemins plus ouverts à la concurrence.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote104"
+name="footnote104"><b>Note 104: </b></a><a href="#footnotetag104">
+(retour) </a> On dit que Wieland avait coutume de faire imprimer
+ ses ouvrages pour les corriger, et qu'il tirait de grands
+ avantages de cette méthode, qui paraît n'être pas du tout
+ extraordinaire en Allemagne.</blockquote>
+
+<p>La tournure misanthropique que des affections trompées et des espérances
+frustrées avaient, à cette époque, donnée à son esprit, lui rendait
+facile le genre de la satire; cependant il est évident que cette
+amertume existait bien plus dans son imagination que dans son cœur; et
+l'entraînement qu'il éprouvait à faire la guerre au monde venait moins
+du plaisir de porter des coups çà et là, que du sentiment de sa
+puissance qui se révélait alors à lui-même, et qui le plaçait plus haut
+qu'auparavant dans sa propre estime. La vérité est que la grande
+facilité avec laquelle, comme on le verra bientôt, il passe de l'éloge à
+la censure ou de la censure à l'éloge, prouve combien étaient passagères
+et incohérentes les impressions qui, dans beaucoup de cas, semblent
+avoir dicté ses jugemens. Quoique cette circonstance ôte à quelques
+égards, du poids à ses éloges, elle l'absout en même tems du trop
+d'aigreur qui se trouve dans ses critiques.</p>
+
+<p>Sa majorité (1809) fut célébrée à Newstead par autant de réjouissances
+que purent le permettre la médiocrité de sa fortune et l'exiguïté du
+nombre de ses amis; outre le <i>bœuf</i> rôti de fondation, il y eut un bal
+donné en cette occasion. La seule particularité dont se souvienne le
+vieux domestique qui m'en a parlé, c'est que M. Hanson, l'agent du Lord,
+était au nombre des danseurs. Quant à la manière dont Byron lui-même
+célébra ce grand jour, je trouve dans une lettre écrite de Gênes, en
+1822, les détails suivans qui pourront ne pas paraître sans intérêt.
+«Vous ai-je jamais dit que le jour de ma majorité, je fis mon dîner
+d'œufs avec du lard et une bouteille d'ale? Pour une fois en passant,
+c'est ce que j'aime le mieux à manger et à boire; mais comme ni l'un ni
+l'autre ne conviennent à mon estomac, c'est une petite jouissance que je
+ne me permets que dans les grandes occasions, tous les quatre ou cinq
+ans environ.» On se procura à un intérêt énorme par l'entremise des
+usuriers, l'argent nécessaire pour son début dans le monde, et la
+nécessité de le rembourser fut long-tems un fardeau pour lui.</p>
+
+<p>Ce ne fut qu'au commencement de cette année qu'il apporta à Londres sa
+satire toute prête, à ce qu'il croyait lui-même, pour l'impression; mais
+malheureusement avant que l'ouvrage ne fût imprimé, sa bile trouva de
+nouveaux alimens dans la négligence avec laquelle il se crut traité par
+son tuteur lord Carlisle. Les relations qui avaient précédemment existé
+entre ce seigneur et son pupille n'avaient jamais été de nature à faire
+naître beaucoup d'amitié entre eux, et c'est au caractère et à
+l'influence de Mrs. Byron qu'appartient surtout le blâme d'avoir
+augmenté, si ce n'est d'avoir causé leur éloignement. Lord Byron sentit
+vivement, comme nous le voyons dans une de ses lettres, la froideur avec
+laquelle lord Carlisle avait reçu la dédicace de son premier volume.
+Toutefois cédant à des considérations prudentes, non-seulement il avait
+dissimulé son déplaisir, mais il avait dans sa satire (telle qu'elle
+devait d'abord paraître) introduit le compliment suivant à son tuteur:</p>
+
+<p>«Il n'en est qu'un seul auquel Apollon daigne encore sourire, et dans
+Carlisle il couronne un nouveau Roscommon.»</p>
+
+<p>Cet éloge, si généreusement accordé, ne conserva pas sa place dans le
+poème. Pendant le tems qui s'écoula entre la composition et
+l'impression, Lord Byron, espérant naturellement que son tuteur
+s'offrirait de lui-même à l'introduire dans la chambre des pairs le jour
+où il devait y paraître la première fois, lui écrivit pour lui rappeler
+qu'il serait majeur au commencement de la session. Au lieu de la
+politesse à laquelle il s'attendait, il ne reçut pour toute réponse
+qu'une note cérémonieuse, lui indiquant la manière formelle de procéder
+dans de telles occasions. Il n'est donc pas étonnant que, disposé comme
+il l'était par les circonstances précédentes à ne pas supposer à son
+tuteur des intentions bien favorables pour lui, et se voyant ainsi
+refusé au moment où l'appui d'un parent si proche lui eût été si utile,
+son ame, naturellement si <i>impressionnable</i>, se soit ouverte au plaisir
+de la vengeance. Cette indignation, une fois excitée, ne trouva qu'un
+moyen trop facile de s'exhaler. Les vers louangeurs que je viens de
+citer furent effacés, et sa satire fut publiée avec ceux que nous y
+voyons contre lord Carlisle. Si ces vers flattèrent délicieusement
+d'abord son désir de vengeance, telle était la facilité naturelle de son
+caractère, qu'il ne tarda pas à se repentir de les avoir écrits<a id="footnotetag105" name="footnotetag105"></a>
+<a href="#footnote105"><sup class="sml">105</sup></a>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote105"
+name="footnote105"><b>Note 105: </b></a><a href="#footnotetag105">
+(retour) </a> Voyez les vers sur la mort du major Howard, fils
+ de lord Carlisle, tué à Waterloo:
+
+<p> «Des lyres plus harmonieuses que la mienne ont redit leur
+ louange; mais parmi cette troupe de héros, il en est un que
+ je voudrais choisir, soit parce que je suis allié de sa
+ famille, soit parce que j'ai eu quelques torts envers son
+ père.»
+ <span class="rig">(<span class="sc">Childe Harold</span>, chant III.)</span><br></p>
+</blockquote>
+
+<p>Pendant l'impression de son poème, il l'augmenta de plus de cent vers,
+et y fit plusieurs changemens, dont deux ou trois peuvent être cités
+comme preuves de la promptitude avec laquelle il recevait les
+impressions et les influences qui l'ont rendu si variable dans ses
+manières de sentir et de juger. Dans sa satire, telle qu'il l'avait
+composée d'abord, se trouvaient les deux vers suivans:</p>
+
+<p>Quoique des imprimeurs condescendent à souiller leurs presses des odes
+de Smythe et des chants épiques de Hoyle.</p>
+
+<p>Il se repentit, au moment de la publication, de l'injustice de ces deux
+vers (injustes également pour les deux auteurs qui y sont cités), du
+moins quant à l'une de ces deux victimes. Il prit dans sa satire
+imprimée un ton tout-à-fait différent. Le nom du professeur Smythe y est
+cité avec honneur, comme il le méritait, et accouplé à celui de M.
+Hodgson, l'un des plus estimables amis du poète:</p>
+
+<p>Oh! obscur asile d'une race vandale, à la fois honneur et disgrâce des
+sciences, si plongé dans la routine de l'ennuyeuse inutilité, qu'à peine
+les noms de Smythe et d'Hodgson seront capables de réhabiliter le tien!</p>
+
+<p>Voici un autre exemple de son extrême mobilité. Le manuscrit original de
+la satire contenait ce vers:</p>
+
+<p>Je laisse la topographie à ce fat de Gell.</p>
+
+<p>Pendant le tems de l'impression il fit connaissance avec sir Williams
+Gell. Alors, sans effort, par le changement d'une seule épithète, il
+convertit sa satire en éloge: il écrivit pour la postérité:</p>
+
+<p>Je laisse la topographie au <i>classique</i> Gell<a id="footnotetag106" name="footnotetag106"></a>
+<a href="#footnote106"><sup class="sml">106</sup></a>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote106"
+name="footnote106"><b>Note 106: </b></a><a href="#footnotetag106">
+(retour) </a> Dans la cinquième édition de cette satire,
+ supprimée par l'auteur en 1812, il changea de nouveau
+ d'opinion sur ce professeur, et en altéra l'expression ainsi:
+ «Je laisse la topographie au <i>rapide</i> Gell.» Expliquons la
+ raison de ce nouveau changement par la note suivante:
+ «<i>Rapide</i>; en effet, il a <i>topographisé</i> et <i>typographisé</i> en
+ trois jours les états du roi Priam. Je l'avais appelé
+ classique avant que je n'eusse vu la <i>Troade</i>, et maintenant
+ je me garderai bien de lui accorder une qualification à
+ laquelle il a si peu de droits.»</blockquote>
+
+<p>Parmi les passages ajoutés au moment de l'impression, il faut remarquer
+les vers contre la licence de l'opéra, «qu'ainsi donc l'Ausonie, etc.,»
+que le jeune poète écrivit un soir au sortir du théâtre, et envoya
+aussitôt à M. Dallas pour les insérer dans sa satire. Une autre de ces
+additions fut le juste tribut d'éloge payé à MM. Crabbe et Rogers, éloge
+d'autant plus désintéressé et d'autant plus exact, qu'à cette époque il
+n'avait vu ni l'une ni l'autre de ces deux personnes distinguées, et
+qu'il conserva toute sa vie l'opinion qu'il avait exprimée sur leur
+mérite. Il devint depuis ami intime de l'auteur des <i>Plaisirs de la
+mémoire</i>; mais il n'eut jamais le bonheur de former aucune liaison avec
+celui qu'il désigna si bien sous le nom de <i>peintre le plus sombre et le
+plus vrai de la nature</i>. Mon respectable ami et voisin, M. Crabbe, m'a
+dit qu'une fois ils passèrent un jour ou deux dans le même hôtel, sans
+le savoir, et qu'ils ont dû souvent se rencontrer, soit en entrant dans
+la maison, soit en sortant.</p>
+
+<p>Presque de deux jours l'un, M. Dallas, qui s'était chargé de surveiller
+l'impression, recevait de nouveaux matériaux pour l'enrichir; l'esprit
+de l'auteur une fois excité sur un sujet quelconque ne savait plus
+maîtriser la surabondance de ses idées. Dans l'un de ses courts billets
+à M. Dallas, il lui dit: «Dépêchez-vous vite d'imprimer, ou je vous
+inonderai de vers.» Il en fut de même pour ses publications
+subséquentes, aussi long-tems du moins qu'il fut à portée de son
+imprimeur, alimentant jusqu'au dernier moment la presse d'idées neuves
+et fécondes qui lui étaient fournies par la lecture de ce qu'il avait
+écrit auparavant. Il semblerait, en effet, d'après l'extrême facilité et
+l'extrême rapidité dont il ajouta à presque tous ses ouvrages leurs plus
+beaux passages, tandis qu'ils étaient entre les mains de l'imprimeur,
+que l'action même de se faire imprimer aiguillonnât son imagination, et
+que le torrent de ses idées prît plus de vie, de fraîcheur, en arrivant,
+pour ainsi dire, à son embouchure.</p>
+
+<p>Parmi les passages pathétiques dont il orna son poème fut celui que lui
+suggéra la mort déplorable de lord Falkland. C'était un officier de
+marine, brave, mais débauché, dont il avait fait connaissance dans le
+monde, et qui fut, au commencement de mars, tué dans un duel par M.
+Powell. Les stances touchantes qu'il lui a consacrées dans sa satire
+prouvent assez combien cet événement l'avait vivement frappé. «Je
+connaissais beaucoup le feu lord Falkland. Le mardi soir je l'avais vu
+faire lui-même les honneurs de sa table hospitalière; le mercredi matin,
+je vis étendu devant moi ce corps qu'animaient naguère le courage, la
+sensibilité, et tant de nobles passions!» Il ne s'en tint pas à des
+paroles pour prouver sa sympathie dans cette occasion. Ce malheureux
+jeune homme laissait derrière lui une famille qui avait besoin pour son
+soulagement d'autre chose qu'une stérile compassion, et Lord Byron,
+malgré la gêne qu'il éprouvait lui-même à cette époque, trouva moyen de
+venir généreusement et délicatement au secours de la veuve et des enfans
+de son ami. Dans la lettre suivante à Mrs. Byron, il en parle entre
+autres sujets importans avec une sensibilité éloignée de toute
+ostentation, qui lui fait le plus grand honneur.</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE XXXII.</h3>
+
+<h4>À MRS. BYRON.</h4>
+
+<p class="rig">Saint-James-street, n° 8, 4 mars 1809.</p><br><br>
+
+<p><span class="sc">Ma chère Mère</span>,</p>
+
+<p>«Ma dernière lettre fut écrite dans un grand abattement d'esprit causé
+par la mort de ce pauvre Falkland, qui a laissé sans un schelling sa
+femme et ses enfans. Je me suis efforcé de venir à leur secours. Dieu
+sait que je n'ai pas pu le faire comme je l'aurais désiré, gêné comme je
+le suis, et accablé de tant de dettes.</p>
+
+<p>»Vous avez parfaitement raison; il faut que Newstead et moi nous nous
+soutenions, ou tombions ensemble. J'y ai vécu, j'y ai attaché mon cœur,
+et jamais besoin d'argent présent ou à venir ne pourra me porter à
+vendre la moindre parcelle de notre héritage. J'ai un amour-propre qui
+me donnera la force de supporter bien des embarras pécuniaires: j'aurai
+peut-être à endurer bien des privations; mais quand on m'offrirait en
+échange de Newstead la première fortune de l'Angleterre, je rejetterais
+la proposition. N'ayez pas d'inquiétude à ce sujet; M. H*** en parle
+comme un homme d'affaires; mais je sens comme un homme d'honneur, et je
+ne vendrai pas Newstead.</p>
+
+<p>»J'entrerai à la chambre des pairs dès que l'on aura reçu certains
+certificats pour lesquels on a écrit à Carhais, dans le Cornouaille, et
+je ferai parler de moi: il faut que je brille dès le commencement, ou
+tout est perdu. Il faut me garder le secret sur ma satire pendant un
+mois, après cela vous serez libre d'en parler absolument comme vous le
+voudrez. Lord Carlisle en a usé avec moi d'une manière infâme, en
+refusant de donner au chancelier aucun détail sur ma famille. Je l'ai
+<i>sanglé</i> comme il faut dans mes vers, et peut-être sa Seigneurie se
+repentira-t-elle de n'avoir pas montré une humeur plus conciliante. On
+dit que cela se vendra; je l'espère, car le libraire s'est bien conduit
+jusqu'ici, c'est-à-dire que l'édition a été bien soignée. Croyez-moi,
+etc.</p>
+
+<p>»<i>P. S.</i> Vous aurez hypothèque sur une des fermes.»</p>
+
+<p>Le certificat dont il est ici question comme attendu de la principauté
+de Cornouaille était les preuves du mariage entre l'amiral Byron et miss
+Trevanion, mariage célébré, à ce qu'il paraît, dans une chapelle
+particulière, à Carhais, et dont, en conséquence, il était difficile de
+se procurer une attestation légale. Le délai nécessaire pour obtenir ces
+papiers, et le refus peu gracieux de lord Carlisle de donner aucune
+explication sur sa famille, furent les obstacles qui l'empêchèrent
+long-tems de prendre sa place à la chambre. Les preuves nécessaires
+ayant été à la fin fournies, il se présenta, le 13 mars, dans un état
+d'isolement auquel aucun jeune homme d'un rang aussi élevé ne s'était
+jamais vu réduit en pareille occasion. N'ayant pas un seul individu de
+sa classe pour l'introduire comme un ami, ou l'accueillir comme une
+connaissance, ce fut au hasard seul qu'il dut d'être accompagné jusqu'à
+la barre de la chambre par un parent très-éloigné, et qui lui était
+complètement inconnu un peu plus d'un an auparavant. Ce parent fut M.
+Dallas, et les détails qu'il nous a donnés de cette scène entière sont
+trop frappans pour que nous y changions un seul mot.</p>
+
+<p>«La satire fut publiée vers le milieu de mars, quelques jours après
+qu'il eut pris sa place à la chambre des Pairs, ce qu'il fit le 13 du
+même mois. Je descendais ce jour-là de James's-Street, sans intention de
+lui faire visite; mais voyant son cabriolet à la porte, j'entrai. Sa
+figure plus pâle qu'à l'ordinaire montrait que son esprit était agité et
+qu'il pensait au noble seigneur sous les auspices duquel il avait
+toujours cru faire son entrée à la Chambre. Je suis bien aise, me
+dit-il, de vous voir; je vais prendre ma place à la Chambre, peut-être
+voudrez-vous bien m'accompagner. Je me hâtai de lui exprimer combien
+j'étais disposé à le faire, lui cachant en même tems le chagrin que
+j'éprouvais en voyant un jeune homme qui, par sa naissance, sa fortune
+et ses talens, appartenait à la première classe de la société, assez
+négligé, assez isolé dans le monde, pour qu'il n'y eût pas un seul
+membre du sénat dont il allait faire partie, auquel il pût s'adresser
+pour y être introduit d'une manière convenable. Je vis qu'il sentait
+vivement sa situation, et je partageais son indignation.</p>
+
+<p>»Après avoir parlé quelque tems de la satire dont les dernières feuilles
+étaient alors sous presse, j'accompagnai Lord Byron à la Chambre. Il fut
+reçu dans l'une des antichambres par quelques officiers de service, avec
+lesquels il s'entendit sur les frais qu'il avait à payer. L'un d'eux
+alla avertir le lord chancelier, et revint bientôt avec ordre
+d'introduire le récipiendaire. Il y avait peu de membres présens, et
+lord Eldon s'occupait d'affaires ordinaires ou peu importantes. Quand
+Lord Byron entra, il me parut encore plus pâle qu'avant; on lisait sur
+sa figure l'indignation jointe à la mortification; mais parvenu à la
+dominer, il passa devant la <i>balle de laine</i><a id="footnotetag107" name="footnotetag107"></a>
+<a href="#footnote107"><sup class="sml">107</sup></a> sans regarder autour
+de lui, et s'avança vers la table où l'officier chargé de cette fonction
+lui fit entendre le serment d'usage. Cette formalité remplie, le
+chancelier, quittant son siége, fit quelques pas vers lui en souriant et
+lui présentant la main pour le féliciter de la manière la plus amicale.
+Quoique je n'entendisse pas ses paroles, je vis bien qu'il lui adressait
+quelques complimens. Ce fut autant de perdu; Lord Byron fit un salut
+cérémonieux, et plaça à peine l'extrémité du bout de ses doigts dans les
+mains du chancelier. Celui-ci ne prolongea pas des félicitations aussi
+mal reçues; mais il retourna à sa place, tandis que Lord Byron alla
+négligemment s'asseoir quelques minutes sur l'un des bancs restés vides
+à la gauche du trône, et qu'occupent ordinairement les lords de
+l'opposition. Quand il vint me rejoindre, je lui fis part de mes
+observations; il me répondit: Si j'avais répondu à son serrement de
+main, il m'aurait tout de suite compté comme acquis à son parti. Je ne
+veux rien avoir à faire ni avec les uns ni avec les autres; j'ai pris
+mon rang; je veux maintenant quitter l'Angleterre. Nous retournâmes à
+Saint-James's-Street, mais il ne recouvra pas sa bonne humeur.»</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote107"
+name="footnote107"><b>Note 107: </b></a><a href="#footnotetag107">
+(retour) </a> Nom du fauteuil du chancelier, et qui est pris
+ souvent par métaphore pour la dignité de chancelier. C'est
+ ainsi que l'on dit être assis sur <i>la balle de laine</i>, comme
+ chez nous être assis sur les <i>fleurs de lis</i>.</blockquote>
+
+<p>Au récit d'une cérémonie si désagréable pour un esprit fier comme le
+sien, et si peu de nature à diminuer les idées misanthropiques qui déjà
+prenaient sur lui tant d'empire, j'ajouterai d'après l'un de ses propres
+<i>souvenirs</i>, les détails qu'il nous a lui-même laissés sur sa courte
+conversation avec le lord chancelier:</p>
+
+<p>«Quand j'eus atteint mes vingt-un ans, la nécessité de me procurer
+certains certificats de naissance et de mariage m'empêcha pendant
+plusieurs semaines de prendre rang dans la Chambre. Après que ces
+difficultés eurent été levées, et que j'eus prêté serment, le lord
+chancelier s'excusa auprès de moi de ce délai, observant que le maintien
+de ces formes voulues était une partie de son devoir. Je lui répondis
+qu'il ne me devait point d'excuse, et comme il n'avait pas, en effet,
+montré beaucoup d'empressement, j'ajoutai: Votre seigneurie est
+exactement comme le <i>Petit Poucet</i> (on donnait à cette époque la pièce
+de ce nom), vous avez fait votre <i>devoir</i>, mais vous n'avez fait rien de
+plus.»</p>
+
+<p>Quelques jours après parut la satire, et l'un des premiers exemplaires
+fut adressé à M. Harness, son ami, avec la lettre suivante:</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE XXXIII.</h3>
+
+<h4>À M. HARNESS.</h4>
+
+<p class="rig">Saint-James's-Street, 18 mars 1809.</p><br><br>
+
+<p>«Vous ne me deviez pas d'excuses; si vous avez le tems d'écrire, et si
+vous y êtes disposé, tant mieux; Le Seigneur nous rend reconnaissans
+pour les faveurs que nous recevons. Quand, au contraire, je n'entends
+pas parler de vous, je me console en pensant que vous êtes plus
+agréablement occupé.</p>
+
+<p>»Je vous envoie par le même courrier une certaine satire nouvellement
+publiée; et en retour de trois shillings et six pences qu'il m'en coûte,
+je vous prie, si vous venez à en deviner l'auteur, de tenir son nom
+secret, du moins quant à présent. Londres est plein de l'affaire du
+duc<a id="footnotetag108" name="footnotetag108"></a>
+<a href="#footnote108"><sup class="sml">108</sup></a>. La Chambre des communes s'en est occupée pendant les trois
+dernières soirées, et n'a cependant encore rien décidé. Je ne sais pas
+si la chose sera portée devant notre Chambre, à moins que ce ne soit
+sous forme d'accusation. Si elle y paraît d'une manière qui permette la
+discussion, je serai peut-être tenté de dire quelque chose à ce sujet.
+Je suis bien aise d'apprendre que vous aimez Cambridge, premièrement
+parce que vous savoir heureux ne peut qu'être infiniment agréable à
+quelqu'un qui vous désire toutes les joies possibles de ce monde
+sublunaire, et secondement, parce que j'admire la moralité de ce
+sentiment. L'<i>alma mater</i> a été pour moi une <i>injusta noverca</i>, et cette
+vieille folle ne m'a donné mon degré de <i>master artium</i> que parce
+qu'elle n'a pu l'éviter. Vous savez quelle farce un noble candidat est
+obligé de jouer.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote108"
+name="footnote108"><b>Note 108: </b></a><a href="#footnotetag108">
+(retour) </a> Probablement l'affaire du duc d'York, accusé
+ d'avoir vendu ou laissé vendre des commissions dans l'armée
+ d'une manière illégale.</blockquote>
+
+<p>«Je compte partir pour mes voyages, si je puis, au printems, et avant
+cette époque je fais une collection des portraits de ceux de mes
+camarades d'école avec lesquels j'étais le plus lié. J'en ai déjà
+quelques-uns, et j'ai besoin du vôtre, sans lequel la galerie ne serait
+pas complète. J'ai employé l'un des premiers peintres de miniature de
+l'époque, et ce à mes dépens bien entendu, car je n'ai jamais souffert
+que mes connaissances fussent induites à la moindre dépense pour
+satisfaire quelqu'une de mes fantaisies. Cette observation pourra
+paraître indélicate; mais quand je vous dirai qu'un de nos amis avait
+d'abord refusé de poser dans la persuasion qu'il lui faudrait délier les
+cordons de sa bourse, vous conviendrez qu'il est nécessaire de bien
+établir d'abord ces préliminaires; pour éviter le retour d'une semblable
+méprise, je viendrai vous voir quand il en sera tems, et je vous ménerai
+chez le peintre. Ce sera une espèce de taxe que je léverai pendant une
+semaine sur votre patience; mais excusez-moi, je vous prie, et songez
+que cette ressemblance sera peut-être le seul souvenir qui me restera un
+jour de notre ancienne amitié et de notre liaison actuelle. Cette idée
+paraît assez folle maintenant; mais dans quelques années, quand
+quelques-uns d'entre nous seront morts, que d'autres seront séparés par
+des circonstances inévitables, ce sera une sorte de satisfaction de
+conserver, dans les portraits de ceux qui survivront, l'image de ce que
+nous étions naguère, et de contempler dans les portraits de ceux qui
+seront morts tout ce qui nous restera du jugement, de la sensibilité et
+de l'ensemble de tant de nobles qualités. Mais tout ceci doit être assez
+ennuyeux pour vous; ainsi bon soir, et pour finir mon chapitre ou plutôt
+mon homélie, croyez-moi, mon cher Harness, votre très-affectionné, etc.,
+etc.»</p>
+
+<p>Dans cette idée romanesque de rassembler et de conserver les portraits
+de ses anciens amis de classe, on voit le travail naturel d'un cœur
+ardent et désappointé qui, à mesure que l'avenir commence à s'obscurcir
+autour de lui, se rattache avec empressement au souvenir du passé, et
+qui, désespérant de trouver de nouveaux et de fidèles amis, ne songe
+plus qu'à conserver tout ce qu'il pourra des anciens. Mais, en ce moment
+même, sa sensibilité eut à soutenir un de ces terribles échecs auxquels
+des ames comme la sienne, fort au-dessus de la trempe ordinaire, ne sont
+que trop fréquemment exposées. Ce fut de la part d'un des amis qu'il
+estimait le plus qu'il reçut, au moment où il quittait l'Angleterre,
+cette preuve d'indifférence dont il se plaint et s'indigne dans une note
+du second chant de <i>Childe-Harold</i>, la mettant en contraste avec la
+fidélité et l'affection que venait de lui montrer son domestique turc
+Derwish. M. Dallas décrit ainsi l'émotion où il le vit à l'occasion de
+ce même manque d'affection:</p>
+
+<p>«Je le trouvai étouffant d'indignation. Le croirez-vous? me dit-il; je
+viens à l'instant de rencontrer N***, je l'ai prié de venir passer une
+heure avec moi; il m'a refusé; et quelle raison pensez-vous qu'il m'ait
+donnée? Il était engagé à aller courir les boutiques avec sa mère et
+quelques autres dames, et il sait que je pars demain pour être absent
+pendant plusieurs années, et peut-être pour ne revenir jamais! Amitié!
+je ne pense pas qu'excepté vous, votre famille et peut-être ma mère, je
+laisse derrière moi un seul être qui se soucie de ce que je pourrai
+devenir.»</p>
+
+<p>D'après cette phrase déjà citée d'une lettre à Mrs. Byron, «il faut que
+je fasse quelque chose bientôt dans la Chambre,» et d'après une autre
+expression plus explicite encore, contenue dans une lettre à M. Harness,
+il paraîtrait qu'il songeait sérieusement, à cette époque, à entrer de
+suite dans la carrière des affaires politiques que sa qualité de pair
+héréditaire semblait ouvrir naturellement devant lui. Mais quelles
+qu'aient été d'abord les impulsions de son ambition vers ce point, il y
+renonça bientôt. S'il eût été allié de quelques familles qui eussent
+tenu un rang distingué dans le monde politique, son envie de dominer,
+secondée par de tels exemples et de telles sympathies, l'eût porté sans
+doute à chercher la gloire au milieu des guerres de parti; peut-être
+c'eût été alors son lot de donner un exemple remarquable de ce
+changement par lequel un homme cesse d'être un grand poète pour devenir
+un grand politique. Heureusement, toutefois pour le monde, car c'est une
+question si ce fut un bonheur pour lui-même, il était décidé que ce
+serait dans l'empire plus brillant de la poésie qu'il devait dominer. En
+effet, l'isolement de toute société dans lequel il se trouvait à cette
+époque, étant privé de ces affections et de ces protections dont un
+jeune homme est ordinairement entouré lors de ses débuts, cet isolement,
+dis-je, devait le décourager de suivre une carrière où les chances de
+succès dépendent surtout des avantages qui ne sont pas en nous-mêmes.
+Loin donc de prendre une part active aux travaux de ses nobles
+collègues, il paraît qu'il regardait comme ennuyeux et mortifiant d'y
+assister comme spectateur. Quelques jours après son admission, il se
+retira dans sa retraite de Newstead-Abbey, pour y savourer l'amertume
+d'une expérience prématurée, ou pour y méditer d'avance sur les scènes
+et les aventures auxquelles son esprit ardent devait trouver à
+l'étranger un champ plus libre que dans sa patrie.</p>
+
+<p>Peu de tems s'écoula cependant avant qu'il ne fût rappelé à Londres par
+le succès de sa satire, dont le prompt débit rendait une seconde édition
+nécessaire. Son agent zélé, M. Dallas, avait pris soin de lui
+transmettre, dans sa solitude, tout ce qu'il avait pu recueillir
+d'opinions favorables à son ouvrage. Il n'est pas sans intérêt de voir
+par quels degrés on arrive d'abord à la réputation, et de trouver dans
+l'approbation d'autorités telles que Pratt et les écrivains des Revues,
+la première récompense et les premiers encouragemens d'un Byron.</p>
+
+<p>«Vous êtes déjà, lui écrivait-il, assez généralement connu pour
+l'auteur. Cawthorn m'en a parlé dans ce sens, et j'en ai eu par moi-même
+une preuve chez Hatchard, libraire de la reine. J'entrai pour lui
+demander la satire; il me répondit qu'il en avait vendu un grand nombre
+d'exemplaires, qu'il ne lui en restait pas un, qu'il allait en
+redemander davantage, ce que je vis depuis qu'il avait fait. Je lui
+demandai quel était l'auteur. Il me répondit qu'on la croyait de Lord
+Byron. J'insistai pour savoir si c'était son opinion, à lui-même. Il me
+répondit que oui, et que ce qui le lui faisait croire, c'est qu'une dame
+de distinction était venue, sans hésitation, lui demander la satire de
+Lord Byron. Il m'apprit aussi qu'il avait demandé à M. Giffard, qui
+vient souvent dans sa boutique, si la satire était de vous; celui-ci nia
+absolument qu'il en connût l'auteur; mais il parla avec grand éloge de
+l'ouvrage, et dit qu'on lui en avait envoyé un exemplaire. Hatchard m'a
+assuré que tous ceux qui fréquentent son cabinet de lecture l'admirent
+beaucoup. Cawthorn m'a dit qu'on en faisait généralement un très-grand
+cas, non-seulement parmi ses propres pratiques, mais encore parmi toutes
+celles de ses confrères. Je suis allé plusieurs fois exprès chez mon
+éditeur, et je l'ai toujours entendu beaucoup vanter. Pratt l'a lue
+dernièrement à haute voix dans les salons, Phillip à un cercle d'hommes
+de lettres: tous l'ont unanimement louée. L'<i>Anti-Jacobin</i> et le
+<i>Gentleman's Magazine</i> ont déjà embouché pour vous la trompette de la
+renommée. Vous verrez votre satire dans les autres revues le mois
+prochain, et probablement elle sera maltraitée dans quelques-unes,
+suivant les rapports que les propriétaires ou les éditeurs peuvent avoir
+avec ceux que vous y avez flagellés.»</p>
+
+<p>À son arrivée à Londres, vers la fin d'avril, il trouva la première
+édition de sa satire presque épuisée; il se mit aussitôt en devoir d'en
+préparer une seconde, à laquelle il résolut de mettre son nom. Les
+additions qu'il fit alors à son ouvrage sont considérables, il ajouta
+entre autres près de cent vers qui devinrent les premiers<a id="footnotetag109" name="footnotetag109"></a>
+<a href="#footnote109"><sup class="sml">109</sup></a>, et ce ne
+fut guère qu'au milieu du mois suivant que la nouvelle édition fut prête
+à imprimer. Pendant son dernier séjour à la campagne, il était convenu
+avec son ami Hobhouse qu'ils quitteraient l'Angleterre au commencement
+de juin, et il désirait voir les épreuves de son volume avant que de
+partir.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote109"
+name="footnote109"><b>Note 109: </b></a><a href="#footnotetag109">
+(retour) </a> La première édition commençait au vers:
+
+<p class="mid"> «Il fut un tems, avant que de nos jours dégénérés.»
+</p>
+</blockquote>
+
+<p>Cette seconde édition est suivie d'un post-scriptum en prose que M.
+Dallas, et c'est une preuve de jugement et de goût, supplia en vain le
+poète de retrancher. Il est fort à regretter que Byron ne se soit point
+rendu à ses sages avis; car il règne, dans cette malheureuse page, un
+ton de bravache, que l'on est toujours peiné de voir adopté par un homme
+vraiment brave. En voici un échantillon: «On dira peut-être que je
+quitte l'Angleterre, parce que j'y ai insulté des personnes d'esprit et
+d'honneur; mais je reviendrai, et elles pourront entretenir jusque-là
+leurs ressentimens. Ceux qui me connaissent peuvent affirmer que les
+motifs qui me font voyager, sont loin d'être des craintes littéraires ou
+personnelles, et ceux qui ne me connaissent pas pourront en être
+convaincus un jour. Depuis la publication de cet opuscule, mon nom n'a
+pas été au secret, j'ai presque constamment habité Londres, prêt à
+rendre raison de ce que j'ai écrit, et m'attendant chaque jour à
+recevoir quelque petit cartel; mais, hélas! les tems de la chevalerie
+sont passés, ou, pour parler comme le vulgaire, il n'y a plus de courage
+aujourd'hui.»</p>
+
+<p>Quelques torts que l'auteur ait pu avoir dans cette satire, peu de
+personnes la jugeraient plus sévèrement aujourd'hui, qu'il ne la jugea
+lui-même neuf ans après l'avoir composée, au moment où il venait de
+quitter l'Angleterre pour n'y jamais revenir. M. Murray possède
+l'exemplaire que Byron lut alors; et les notes qu'il griffonna en marge,
+et au bas des pages, méritent d'être traduites ici; sur la première on
+lit:</p>
+
+<p>«La reliure de ce volume est beaucoup trop belle pour ce qu'il contient.</p>
+
+<p>»C'est la propriété d'un autre, voilà la seule raison qui me retient de
+jeter au feu ce misérable monument de colère déplacée et de critique
+aveugle.»</p>
+
+<p>En marge de ce passage: «De se laisser égarer par le cœur de Jeffrey, ou
+la tête béotienne de Lamb,» est écrit: «Cela n'est pas juste; la tête et
+le cœur de ces messieurs, ne sont pas du tout tels qu'ils ont été ici
+représentés.» En travers de tout le sévère passage contre MM. Wordsworth
+et Coleridge, il a griffonné <i>injuste</i>. Pour l'attaque terrible contre
+M. Bowles, le commentaire est: «Tout ce morceau sur Bowles est trop
+sauvage.» À la marge des vers qui commencent par «salut à l'immortel
+Jeffrey,» est écrit, «trop féroce... C'est de la folie toute pure;» et
+plus bas, à propos des vers: «Quelqu'un se rappelle-t-il ce jour
+désastreux, etc.,» il ajoute, «tout cela est mauvais, parce que c'est
+trop personnel.»</p>
+
+<p>Quelquefois cependant, loin de casser ses premiers jugemens, il semble
+disposé à les confirmer et rendre plus sévères. Ainsi, en marge du
+passage relatif à certain auteur de certaines épopées obscures (Cottle),
+il dit: «C'est bien,» ajoutant au bas de la page: «J'ai vu quelques
+lettres de ce drôle à une pauvre dame poète,» dont il attaque les
+productions (productions dont cette brave femme n'était nullement
+enflée), d'un ton si grossier et si tranchant, que je ne regretterais
+pas les coups de fouet que je lui ai donnés, quand même ils eussent été
+injustes, ce qui n'est pas, car en vérité <i>c'est un grand âne</i>. En marge
+des vers si forts contre Clarke, collaborateur du <i>Magazine</i> appelé le
+<i>satiriste</i>, se trouve cette remarque: «Assez bien; il la méritait, et
+cela n'est pas trop mal exprimé.»</p>
+
+<p>Tout le paragraphe commençant par <i>Illustre Lord Holland</i>, a pour note
+«mauvais, et, en outre, manquant de vérité.» Les vers contre Lord
+Carlisle lui paraissent mauvais aussi, la provocation n'était pas
+suffisante pour justifier tant d'acrimonie. Dans une autre note
+concernant le même seigneur, il dit: «Beaucoup trop sauvage, quel qu'en
+ait pu être le fondement.» Il dit de Rosa Maltida (la fille du célèbre
+juif K...), «elle a depuis épousé le Morning-Post, mariage extrêmement
+bien assorti.» Aux vers commençant par «Quand quelque jeune homme
+d'espérance, habitant une échoppe, etc.,» il a joint un note qui n'est
+pas sans intérêt: «Tout ceci était dirigé contre le pauvre Blackett, il
+était alors <i>patronisé</i> par A. I. B.<a id="footnotetag110" name="footnotetag110"></a>
+<a href="#footnote110"><sup class="sml">110</sup></a>. Je l'ignorais, sans quoi je
+n'eusse pas écrit tout ceci, ou du moins, je ne le crois pas.»</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote110"
+name="footnote110"><b>Note 110: </b></a><a href="#footnotetag110">
+(retour) </a> Lady Byron, alors miss Milbank.</blockquote>
+
+<p>En regard de l'éloge de M. Crabbe, il a écrit: «Je considère Crabbe et
+Coleridge comme les deux plus remarquables poètes de notre tems, sous le
+rapport de l'invention et du pathétique.» Sur l'un de ses propres vers:</p>
+
+<p class="mid">Et la gloire comme le Phénix au milieu des flammes, etc.
+</p>
+
+<p>il s'écrie: «Le diable emporte le Phénix! comment a-t-il fait pour venir
+se fourrer là?» Et il conclut ses remarques de détails par l'observation
+suivante, sur l'ensemble de la pièce:</p>
+
+<p>«Je désirerais bien sincèrement que la majeure partie de cette satire
+n'eût jamais été écrite, non seulement à cause de l'injustice des
+jugemens qui y sont portés sur quelques ouvrages et quelques personnes,
+mais parce que je ne saurais approuver le ton qui y règne en général, et
+l'esprit qui l'a dictée.<br>
+<span class="rig">«BYRON.--Diodati-Genève, 14 juillet 1816.»</span><br></p>
+
+<p>En même tems qu'il préparait sa nouvelle édition, il faisait gaîment les
+honneurs de Newstead à une troupe de jeunes amis de collége, qu'à la
+veille de quitter l'Angleterre pour si long-tems il avait réunis autour
+de lui, comme pour une fête d'adieux. La lettre suivante, de l'un des
+convives, Charles Skinner Matthews; quoiqu'elle ne parle pas autant de
+son hôte illustre que nous eussions pu le désirer, plaira sans doute au
+lecteur comme une peinture prise au moment même, et qui réfléchit bien
+le caractère de Byron à cette époque.</p>
+
+<p class="mid">LETTRE DE C.S. MATTHEWS, ÉCUYER,</p>
+
+<p class="mid">À MISS ***.</p>
+
+<p class="rig">Londres, 22 mai 1809.</p><br>
+
+<p><span class="sc">Ma chère miss</span> ***,</p>
+
+<p>«Il faut d'abord que je vous donne quelques détails sur le lieu
+singulier que je viens de quitter.</p>
+
+<p>»Newstead-Abbey est située à 136 milles de Londres, et à 4 de Mansfield.
+C'est un si beau morceau d'architecture que je ne serais pas étonné
+qu'on en trouvât la description, et peut-être la gravure, dans les
+<i>monumens</i> gothiques de Grose. Elle est en la possession des ancêtres du
+propriétaire actuel depuis l'époque de la dissolution des monastères,
+mais le bâtiment lui-même est d'une date bien plus reculée. Quoique
+tombant en ruines, c'est encore une abbaye complète, et la plus grande
+partie de l'édifice est encore debout et dans le même état que le jour
+où il fut construit. Il y a deux rangées de cloîtres, avec un grand
+nombre de chambres et de cellules, qui, bien qu'inhabitées et
+inhabitables, pourraient facilement être remises en état; beaucoup des
+anciennes chambres servent encore, entre autres une grande salle dallée.
+Il ne reste plus qu'un côté de l'église de l'abbaye; l'ancienne cuisine
+et une longue file de bâtimens attenans n'offrent plus qu'un amas de
+décombres. Une salle magnifique de 70 pieds de long sur 23 de large,
+unit les anciennes constructions aux bâtimens modernes; mais toutes les
+parties de la maison sont dans un grand état de délabrement et
+d'abandon, excepté celles que le seigneur actuel vient de faire
+arranger.</p>
+
+<p>»La maison et les jardins sont entièrement entourés d'une muraille
+crénelée. Devant l'entrée principale se trouve un grand lac, flanqué çà
+et là de bâtimens fortifiés, dominés par une tour placée à l'autre
+extrémité. Imaginez-vous, tout autour, des collines nues et arides, la
+vue ne découvrant qu'à peine deux ou trois méchans arbres rabougris, à
+plusieurs milles de distance, et vous aurez une idée de Newstead. Le
+dernier lord étant brouillé avec son fils, auquel le domaine était
+assuré par substitution, voulut au moins, par esprit de vengeance, qu'il
+ne lui arrivât que dans le plus mauvais état possible. En conséquence il
+négligea les constructions, et fit un tel abattage de tous les arbres,
+qu'il réduisit bientôt une propriété naguère <i>boisée</i> à l'état de
+désolation et de nudité que je viens de décrire. Toutefois, son fils
+mourut avant lui, et, tout cet étalage de colère manqua ainsi son effet.</p>
+
+<p>»En voilà assez sur le domaine; j'ai multiplié les détails sans ordre et
+sans liaison, pour qu'ils ressemblassent mieux au sujet. Mais si ce lieu
+vous paraît étrange, la manière dont on y vit ne l'est pas moins, je
+vous assure. Montez avec moi les degrés qui mènent au vestibule, que je
+vous présente à Milord et à ses hôtes. Prenez garde, souvenez-vous de
+n'y venir qu'en plein jour, et de bien ouvrir vos yeux, car si vous
+alliez vous tromper, si vous tourniez trop à droite en montant les
+degrés, vous vous feriez empoigner par un ours, et si vous alliez trop à
+gauche, ce serait encore pire, vous vous trouveriez nez à nez avec un
+loup. Parvenu à la porte, vous n'êtes pas hors de danger, car le
+vestibule étant en mauvais état, et ayant grand besoin de réparation, il
+y a probablement à l'autre extrémité une foule de visiteurs qui
+s'exercent à tirer au blanc, de manière que si vous entrez sans donner,
+de loin et à haute voix, avis de votre approche, vous n'aurez échappé à
+l'ours et au loup que pour tomber sous les balles des joyeux moines de
+Newstead.</p>
+
+<p>«Nous étions quatre, sans compter Lord Byron, et notre compagnie
+s'augmentait de tems en tems d'un curé du voisinage. Quant à notre
+manière de vivre, voici quel était généralement l'ordre du jour: pour le
+déjeuner, point d'heure fixe, chacun le prenait à sa convenance, et la
+table demeurait servie jusqu'à ce que chacun de nous eût fini; il est
+vrai de dire que si quelqu'un de nous eût désiré déjeuner d'aussi <i>bonne
+heure</i> que dix heures, il lui eût fallu une grande chance pour trouver
+aucun des domestiques debout. Nous nous levions, terme moyen, à une
+heure. Moi, qui me levais généralement entre onze heures et midi,
+j'étais toujours, même malade, le premier levé, et je passais pour un
+miracle de diligence et d'activité. Souvent deux heures sonnaient avant
+que nous n'eussions fini de déjeuner. Alors, pour amuser notre journée,
+nous avions la lecture, l'escrime, le bâton de volée, ou le jeu de
+volant dans le grand salon, le tir au pistolet dans le vestibule; la
+promenade à pied, à cheval, en bateau sur le lac, la partie de paume, ou
+quelque partie avec l'ours et le loup que nous nous plaisions à
+tourmenter. Entre sept et huit heures, nous nous mettions à table pour
+dîner, et nous y restions jusqu'à une, deux et trois heures du matin. Je
+laisse à deviner quel était notre plaisir pendant cette longue séance.</p>
+
+<p>»Je ne dois pas passer sous silence l'usage de faire passer à la ronde,
+au moment du dessert, un crâne humain, rempli de vin de Bourgogne. Après
+nous être rassasiés de viandes choisies et des meilleurs vins de France,
+nous nous rendions dans le salon pour prendre le thé; là, suivant son
+goût, chacun se livrait à la lecture ou à quelque conversation
+instructive; et, après les <i>Sandwiches</i>, etc., chacun se retirait dans
+sa chambre à coucher. Une collection de robes de moines, avec tout ce
+qui s'en suit, crosses, rosaires, tonsures, etc., donnait plus de
+variété à nos physionomies et à nos plaisirs.</p>
+
+<p>»Vous pouvez juger combien je fus contrarié de me trouver malade presque
+pendant la première moitié du tems que je passai à Newstead. Mais je fus
+conduit à des réflexions bien différentes de celles du docteur Swift,
+qui quitta sans cérémonie aucune la maison de Pope, et lui écrivit
+ensuite qu'il était impossible à deux amis malades de vivre ensemble;
+mon pauvre corps tremblant et affaibli se trouvait si mal de la robuste
+et bruyante santé de mes compagnons, que je désirais de tout mon cœur
+voir chacun dans la maison, aussi malade que moi.</p>
+
+<p>»Je revins à pied avec un autre des convives; nous faisions à peu près
+vingt-cinq milles par jour, mais nous restâmes environ une semaine en
+route, parce que nous fûmes retenus par les pluies.</p>
+
+<p>»Je terminerai ici le récit d'une excursion qui m'a fait mieux connaître
+le pays. Où croyez-vous que j'aille maintenant? À Constantinople! Du
+moins on m'a proposé ce petit voyage. Lord Byron et un autre de mes amis
+partent le mois prochain, et m'ont demandé de les accompagner; mais
+c'est un projet un peu important, et qui vaut bien la peine d'y
+réfléchir à deux fois... Adieu, etc.»<br>
+
+<span class="rig">C.S. MATTHEWS.</span><br></p>
+
+<p>Après avoir ainsi mis la dernière main à sa nouvelle édition, sans
+attendre les nouveaux honneurs qui se préparaient pour lui, Lord Byron
+quitta Londres le 11 juin, et, quinze jours après, mit à la voile pour
+Lisbonne.</p>
+
+<p>Quelque grands que fussent les progrès que son talent eût faits sous
+l'influence de la colère qu'il avait prise pour muse, il est, dans la
+satire dont nous venons de parler, bien loin de la hauteur qu'il
+atteignit dans la suite. Il est remarquable en effet que, lié comme son
+génie paraît l'avoir été avec son caractère, le développement de ce
+dernier ait précédé de si long-tems toute la maturité des ressources de
+l'autre. La nature, en développant de bonne heure en lui une faculté de
+sentir si forte et si multiple, semblait lui avoir désigné ce qu'elle
+attendait de lui, avant qu'il pût la comprendre. Ce ne fut que lentement
+et après de longues méditations, qu'il découvrit en lui-même tous ces
+matériaux de poésie, que son caractère de feu enfantait, pour ainsi
+dire, à son insu. Toute vigoureuse que soit sa satire, on y voit peu de
+choses qui puissent donner un avant-goût des merveilles qui l'ont
+suivie. Son esprit avait reçu l'éveil, mais il n'en avait pas encore
+sondé la profondeur; et le fiel qu'il y répand, ne part pas encore du
+fond de son cœur comme celui qu'il jeta dans la suite à la face du genre
+humain. Ses innombrables facultés, ses passions que son ame avait
+nourries si long-tems, n'avaient pas encore trouvé d'organe digne
+d'elles. Le sombre, le grandiose, le tendre de sa nature, n'avaient pas
+encore de voix, jusqu'à ce qu'enfin son puissant génie se réveilla avec
+le sentiment de toute sa force.</p>
+
+<p>En s'arrêtant, dans sa satire aussi bien que dans ses premières poésies,
+à écrire d'après des modèles reçus, il montra combien peu il avait
+encore exploré ses propres ressources, et découvert les marques
+distinctives qui devaient à jamais illustrer son nom. Quelque hardi et
+quelque énergique que fût en général son caractère, il avait bien peu de
+confiance dans ses forces intellectuelles. Ce ne fut que par degrés
+insensibles qu'il acquit la conscience de ce qu'il pouvait faire; et il
+ne fut pas moins étonné que le public de découvrir dans son ame une
+aussi riche mine de génie. C'est par suite de la même lenteur à
+s'apprécier, que, dans la suite, arrivé à l'apogée de sa gloire, il
+douta long-tems qu'il pût réussir dans aucun ouvrage qui ne demandât que
+de l'esprit et de la gaîté, jusqu'à ce que l'heureux essai qu'il en fit
+dans Beppo, dissipa sa méfiance, et ouvrit une nouvelle carrière de
+triomphes à son génie immense et versatile.</p>
+
+<p>À quelque distance que ses premières productions soient de celles qui
+les ont suivies, il y a dans sa satire une vivacité de pensées, une
+vigueur et un courage qui, joints à la justice de sa cause, ne pouvaient
+manquer de lui valoir la sympathie publique, et d'attacher immédiatement
+beaucoup de célébrité à son nom. Malgré le ton général de hardiesse et
+d'indifférence qui règne dans sa satire, on y voit de tems en tems
+quelques allusions à son sort et à son caractère, dont le pathétique
+semble assurer la vérité, et qui étaient de nature à piquer vivement la
+curiosité et l'intérêt. Je vais citer deux ou trois de ces passages,
+comme montrant bien l'état de son ame à cette époque. Voici comme il
+peint sa jeunesse exposée sans protection aux tentations d'un monde
+corrompu et corrupteur: «Moi-même, le plus insouciant d'une troupe
+insouciante, qui ai juste assez de bon sens pour connaître ce qui est
+juste, et faire ce qui ne l'est pas, abandonné à moi-même à l'âge où le
+bouclier de la raison est encore mal assuré, pour chercher mon chemin au
+travers de la foule innombrable des passions; moi que tous les genres de
+plaisir ont attiré et repoussé tour à tour, moi-même je me sens forcé
+d'élever la voix; je suis forcé de sentir que de telles scènes, que de
+tels hommes sont contraires au bien public. Quand même quelqu'ami me
+dirait d'un ton de censeur: En quoi vaux-tu mieux que les autres, fou
+que tu es? Quand même chacun de mes anciens camarades de débauche
+sourirait et crierait au miracle, de me voir devenu moraliste...»</p>
+
+<p>Mais le passage suivant, quoique écrit à la hâte, montre bien plus
+encore ce cœur ulcéré que l'on retrouve dans toutes ses compositions
+subséquentes:</p>
+
+<p>«Il fut un tems qu'un mot désagréable ne serait jamais tombé de mes
+lèvres qui semblent aujourd'hui pleines de fiel; ni fous ni folies
+n'auraient pu me forcer à mépriser le plus vil des insectes que je
+voyais ramper devant mes yeux. Mais aujourd'hui je suis bien endurci, je
+suis bien changé de ce que j'étais dans ma jeunesse. J'ai appris à
+penser et à dire sévèrement la vérité; j'ai appris à me moquer des
+décrets emphatiques de nos critiques et à les briser eux-mêmes sur la
+roue qu'ils m'avaient préparée. J'ai appris à repousser du pied la verge
+que l'on voulait me faire baiser...»</p>
+
+<p>Nous avons indiqué dans les pages précédentes quelques-unes des causes
+qui amenèrent ce changement de son caractère. Outre son propre
+témoignage, il en est plusieurs autres qui prouvent qu'il n'avait
+naturellement pas de fiel. Dans son enfance, bien qu'il se montrât
+quelquefois colère et entêté, chacun reconnaissait sa douceur et sa
+bonté envers ceux qui se montraient eux-mêmes bons et doux à son égard;
+et ceux qui l'ont connu alors s'accordent à le d'un caractère affectueux
+et gai.</p>
+
+<p>De toutes ces qualités naturelles la plus saillante, en effet, semble
+avoir été un profond besoin d'aimer. Une disposition à former des
+attachemens durables et un désir ardent d'être payé de retour, ont été
+le songe et le tourment de sa vie. Nous avons vu avec quel enthousiasme
+passionné il se livra à ses amitiés de collége. L'amour délirant et
+malheureux qui suivit fut, si je puis m'exprimer ainsi, l'agonie, sans
+être la mort, de ce désir insatiable qui dura toute sa vie, remplit sa
+poésie de tout ce que l'ame a de plus tendre, prêta l'éclat de ses
+couleurs, même à ces nœuds indignes que la vanité et la passion lui
+firent former dans la suite, et lui dicta encore ces stances qu'il
+écrivait quelques mois avant sa mort:</p>
+
+<p>Il est tems que ce cœur cesse d'être ému, puisqu'il a cessé d'émouvoir
+les autres, et cependant, quoique je ne puisse plus être aimé, j'ai
+besoin d'aimer encore!</p>
+
+<p>En supposant même les circonstances les plus favorables, ce serait
+encore une question de savoir si, avec des dispositions telles que
+celles que nous venons de décrire, il eût pu éviter d'être à la fin
+désappointé, ou s'il eût jamais pu trouver où reposer son imagination et
+ses désirs; mais Lord Byron rencontra les désappointemens dès les
+premiers pas qu'il fit dans le sentier de la vie. Sa mère, vers laquelle
+il tourna naturellement et avec ardeur ses premières affections, ou le
+repoussa rudement, ou s'en joua par caprice. Parlant de ses premières
+années avec un de ses amis, à Gênes, peu de tems avant son départ pour
+la Grèce, il datait la première sensation de peine ou d'humiliation
+qu'il eût jamais connue, de la froideur avec laquelle sa mère recevait
+ses caresses dans son enfance et de ses fréquentes et malicieuses
+allusions à son infirmité.</p>
+
+<p>Sa jeunesse fut aussi privée de l'affection sympathique d'une sœur; il
+n'eut d'abord avec la sienne que des rapports extrêmement rares. Si son
+besoin d'aimer avait trouvé où s'épancher dans sa famille, peut-être le
+torrent de ses sensations se serait-il trouvé plus au niveau de ce monde
+qu'il avait à traverser. Ainsi il eût évité ces chutes rapides et
+tumultueuses auxquelles il fut bientôt exposé pour s'être trop tôt élevé
+à toute sa crue. Le manque d'objets sur lesquels son attachement pût se
+porter dans la maison paternelle ne laissa à son cœur d'autres
+ressources que ces affections enfantines qu'il forma à l'école; quand
+celles-ci furent interrompues par son passage à Cambridge, il se
+retrouva de nouveau isolé et abandonné au vague de ses désirs. Bientôt
+survint son malheureux attachement pour miss Chaworth, auquel, plus qu'à
+toute autre cause, il attribuait lui-même le funeste changement qui
+s'opéra dans son caractère.</p>
+
+<p>«Je doute quelquefois, dit-il dans ses <i>Pensées détachées</i>, si, après
+tout, un genre de vie tranquille et sans agitation eût pu me convenir,
+et pourtant je regrette quelquefois de n'en avoir pas un tel. Mes
+premiers rêves, comme presque tous ceux des enfans, furent des rêves
+guerriers; peu après ils furent tous d'amour et de solitude, jusqu'à ce
+que mon malheureux attachement pour Maria Chaworth commença lorsque
+j'avais à peine quinze ans, et continua long-tems quoique soigneusement
+caché. Ce fut ce qui me rejeta de nouveau seul sur une vaste... vaste
+mer. Je me rappelle qu'en 1804, je rencontrai ma sœur chez le général
+Harcourt dans Portland-Place. J'étais moi-même alors, tel qu'elle
+m'avait toujours vu jusque-là. Quand nous nous rencontrâmes ensuite en
+1805 (elle me l'a dit depuis), mon caractère et mes manières étaient
+tellement changés que l'on me reconnaissait à peine. Je ne m'apercevais
+pas alors de cette altération; mais j'y crois, et je pourrais en rendre
+raison.» J'ai déjà raconté la manière dont il prit congé de miss
+Chaworth avant son mariage. Une fois après cet événement, il la revit,
+et ce fut pour la dernière, lorsqu'il fut invité par M. Chaworth à dîner
+à Annesley, peu de tems avant son départ d'Angleterre. Le peu d'années
+qui s'étaient écoulées depuis leur dernière entrevue avaient apporté un
+changement considérable dans les manières et l'extérieur du jeune poète.
+L'informe et gros écolier était devenu un jeune homme gracieux et bien
+pris dans sa taille. Ces émotions et ces passions qui rehaussent d'abord
+et détruisent ensuite la beauté, n'avaient encore produit sur ses traits
+que leur effet favorable; et quoiqu'il eût eu peu d'occasions de
+fréquenter la bonne société, ses manières avaient acquis cette douceur
+et cet aplomb qui caractérisent l'homme bien élevé. Son empire sur
+lui-même fut bientôt mis à l'épreuve quand on apporta dans l'appartement
+la petite fille de sa belle hôtesse. La vue de cet enfant lui fit
+éprouver un saisissement dont il ne fut pas maître, ce ne fut qu'avec
+effort qu'il parvint à dissimuler sa profonde émotion, et c'est à ce
+qu'il éprouva dans ce moment que nous devons ces stances touchantes: «Eh
+bien! tu es heureuse, etc.<a id="footnotetag111" name="footnotetag111"></a>
+<a href="#footnote111"><sup class="sml">111</sup></a>,» qui ont paru dans un recueil de
+<i>Mélanges</i>, publié par l'un de ses amis, et que l'on retrouve maintenant
+dans la collection générale de ses œuvres. Sous l'influence du même
+sentiment il composa deux autres pièces à cette même époque; mais comme
+elles ne se trouvent que dans les <i>Mélanges</i> que je viens de citer, et
+que ce recueil n'est plus dans le commerce, je crois qu'on ne me saura
+pas mauvais gré d'en citer ici quelques stances:</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote111"
+name="footnote111"><b>Note 111: </b></a><a href="#footnotetag111">
+(retour) </a> Datées sur le manuscrit original, 2 novembre
+ 1808.</blockquote>
+
+<p class="mid">ADIEUX A UNE DAME<a id="footnotetag112" name="footnotetag112"></a>
+<a href="#footnote112"><sup class="sml">112</sup></a>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote112"
+name="footnote112"><b>Note 112: </b></a><a href="#footnotetag112">
+(retour) </a> Intitulés dans le manuscrit original: À Mrs. ***,
+ qui me demandait mes raisons pour quitter l'Angleterre au
+ printems, et datés du 2 décembre 1808.</blockquote>
+
+<p>Quand, chassé des bosquets d'Éden, l'homme s'arrêta quelques instans sur
+le seuil, chaque scène lui rappelait les heures écoulées, et lui faisait
+maudire son avenir.</p>
+
+<p>Mais errant à travers de lointains climats, il apprit à porter le poids
+de son chagrin; il ne fit plus que donner un soupir au souvenir du tems
+passé, et trouva du soulagement au milieu de scènes plus agitées.</p>
+
+<p>Ainsi, Marie, doit-il en être de moi; je ne dois plus revoir tes
+charmes, car quand je m'arrête près de toi, mon cœur soupire pour tout
+ce bonheur qu'il a connu autrefois, etc.</p>
+
+<p>L'autre poème respire tout entier la tendresse; mais je n'en donnerai
+que les stances qui me paraissent les plus saillantes:</p>
+
+<p class="mid">STANCES À ***, <span class="sc">en quittant l'Angleterre</span>.</p>
+
+<p>C'en est fait! la barque abandonne au souffle du vent ses voiles
+blanches, qui soufflent autour du mât et s'entr'ouvrent aux efforts de
+la brise bruyante! Et il faut que je quitte ce pays, parce que je n'en
+puis aimer qu'une...</p>
+
+<p>Comme un oiseau privé de sa compagne, mon cœur déchiré se livre à la
+douleur: en vain je cherche autour de moi, je ne puis rencontrer un
+sourire ami, une figure qui me plaise, et même au milieu des troupes les
+plus nombreuses, je suis toujours seul, parce que je n'en puis aimer
+qu'une.</p>
+
+<p>Je franchirai les flots blanchissans, j'irai chercher une patrie à
+l'étranger; je ne saurais trouver de repos nulle part, jusqu'à ce que
+j'aie oublié les traits de cette belle infidèle; je ne puis me
+soustraire à mes sombres pensées, mais je puis aimer toujours, et
+toujours je n'en puis aimer qu'une...</p>
+
+<p>Je pars... mais en quelque lieu que j'aille, aucun œil ne se mouillera
+pour moi de larmes, aucun cœur ne sympathisera à mes peines; toi-même,
+qui as détruit toutes mes espérances, tu ne m'accorderas pas un soupir,
+quoique je n'en aime qu'une.</p>
+
+<p>Le souvenir de chacune de ces scènes passées, la pensée de ce que nous
+sommes, de ce que nous avons été, abîmerait de douleurs des cœurs plus
+faibles! Mais, hélas! le mien a supporté le choc, il bat encore comme il
+avait commencé, et n'en aime jamais réellement qu'une.</p>
+
+<p>Qu'elle peut être cette belle, si tendrement aimée? c'est ce que le
+vulgaire ne doit pas savoir; pourquoi ce jeune amour fut-il malheureux?
+tu le sais, et moi j'en gémis; et bien peu de ceux qui vivent sur cette
+terre n'ont aimé si long-tems, et n'en ont aimé qu'une.</p>
+
+<p>J'ai essayé les fers d'une autre, tout aussi belle peut-être; j'aurais
+donné beaucoup pour l'aimer autant que toi, mais un charme insurmontable
+empêchait mon cœur déchiré de rien sentir que pour une.</p>
+
+<p>Il me serait doux de te revoir au moment du départ, de te bénir en te
+disant adieu; cependant je ne voudrais pas demander à tes beaux yeux des
+larmes pour celui qui va errer sur les vastes mers. Il a perdu sa
+patrie, ses espérances, sa jeunesse, et toutefois il aime encore, et
+n'en aime qu'une.</p>
+
+<p>Tandis que son cœur aimant était ainsi trompé dans ses espérances de
+retour, il était au moins autant mortifié et désappointé dans un autre
+instinct de sa nature, le désir d'acquérir des distinctions et de
+dominer. Le peu de rapports entre sa fortune et son rang fut de bonne
+heure pour lui une source d'embarras et d'humiliations; et la haute
+opinion qu'il avait des avantages d'une naissance illustre ne faisait
+qu'ajouter à l'amertume de cette inégalité. Cependant l'ambition lui
+suggéra bientôt qu'il y avait d'autres et de plus nobles voies pour
+arriver aux distinctions. Il sentit avec orgueil qu'il pourrait un jour
+obtenir celles que le talent ne doit qu'à lui-même. Il n'était pas
+extraordinaire non plus que, comptant sur l'indulgence que l'on accorde
+ordinairement à la jeunesse, il espérât faire impunément le premier pas
+dans le sentier de la gloire. Mais là, comme dans tous les autres objets
+que son cœur s'était proposés, il ne rencontra que le désappointement et
+la mortification. Au lieu d'éprouver ces égards, si ce n'est cette
+indulgence avec laquelle les critiques accueillent ordinairement de
+jeunes débutans, il se trouva tout à coup victime d'une sévérité sans
+borne, sévérité que l'on ne déploie que rarement contre les plus vieux
+pécheurs dans le monde littéraire. Ainsi, son cœur, qui venait
+d'éprouver toute la douleur d'un amour malheureux, se vit encore frustré
+de ces ressources et de ces consolations qu'il avait cherchées dans
+l'exercice de ses facultés intellectuelles.</p>
+
+<p>Tandis qu'il éprouvait ainsi de bonne heure des peines de plus d'un
+genre, son imagination reçut encore l'influence funeste de plaisirs trop
+prématurés. Bientôt se dissipa ce charme dont la jeunesse aime à
+embellir un monde qu'elle ne connaît pas. Ses passions avaient dès le
+commencement anticipé l'avenir, et le vide qu'elles laissèrent bientôt
+dans son ame fut, de son propre aveu, l'une des principales causes de
+cette mélancolie qui forma depuis l'une des marques distinctives de son
+caractère.</p>
+
+<p>«Mes passions, dit-il dans ses <i>Pensés détachées</i>, se développèrent de
+très-bonne heure, de si bonne heure que bien peu voudraient me croire,
+si j'en citais la date et les circonstances: peut-être l'une des causes
+de cette mélancolie anticipée de mes pensées fut que j'avais anticipé la
+vie. Mes premiers poèmes sont pleins de pensées qui semblent appartenir
+à un âge dix ans plus vieux que celui auquel ils furent écrits; je ne
+veux point parler de leur mérite, mais de l'expérience qu'on y remarque.
+Les deux premiers chants de <i>Childe Harold</i> furent terminés, quand je
+n'avais que vingt-deux ans, et on les croirait écrits par un homme plus
+âgé que je ne le serai probablement jamais.»</p>
+
+<p>Quoique la première phrase de cet extrait se rapporte à une époque de
+beaucoup antérieure, elle nous donnera occasion de remarquer que,
+quelque irrégulière qu'ait été sa vie durant les deux ou trois années
+qui précédèrent le moment de ses voyages, l'idée que plusieurs ont eue
+qu'il faisait dans <i>Childe Harold</i> allusion aux débauches et aux orgies
+de Newstead, est, comme beaucoup d'autres accusations contre lui, fondée
+sur son propre témoignage, étrangement exagéré. Il représente, il est
+vrai, la maison de son représentant poétique comme un <i>dôme monastique
+condamné à de vils usages</i>, et ajoute: «Où la superstition tenait jadis
+son antre les filles de Paphos venaient chanter et sourire.» M. Dallas
+se livrant au même esprit d'exagération, dit, en parlant des préparatifs
+du jeune poète: «Déjà rassasié de plaisirs et dégoûté de la compagnie de
+ceux qui n'avaient point d'autres ressources, il avait résolu de
+maîtriser ses passions, et avait congédié ses harems.» La vérité est que
+l'exiguïté des moyens pécuniaires de Lord Byron eût suffi seule pour le
+détourner de ce luxe oriental. Son genre de vie à Newstead était simple
+et peu coûteux. Ses compagnons, quoique amis du plaisir, avaient des
+goûts et des caractères trop réfléchis pour s'accommoder d'une débauche
+vulgaire. Quant à ses prétendus <i>harems</i>, il paraît qu'une ou deux
+<i>subintroductæ</i>, comme les moines les auraient appelées, et encore
+prises parmi les domestiques de la maison, sont tout ce que la médisance
+a jamais pu citer à l'appui de cette calomnie.</p>
+
+<p>Il nous dit lui-même, dans le journal que je viens de citer, que le jeu
+était au nombre de ses folies à cette époque.</p>
+
+<p>«J'ai, dit-il, idée que les joueurs sont aussi heureux que bien d'autres
+gens, parce qu'ils sont toujours <i>excités</i>. Les femmes, le vin, la
+gloire, la table rassasient quelquefois; mais chaque coup de carte ou de
+dé tient le joueur éveillé, outre que l'on peut jouer dix fois plus
+long-tems qu'on ne peut faire toute autre chose. Étant jeune, j'étais
+passionné pour le jeu, c'est-à-dire pour le hasard; car je déteste tous
+les jeux de cartes, même le pharaon. Quand le maccao fut inventé, je ne
+voulus pas l'adopter; car je regrettais le bruit du cornet et des dés et
+cette glorieuse incertitude, non-seulement d'une chance bonne ou
+mauvaise, mais même d'une chance quelconque; car il faut souvent jeter
+les dés plusieurs fois avant d'obtenir un résultat. J'ai gagné jusqu'à
+quatorze coups de suite, et enlevé tout l'argent qui se trouvait sur la
+table; mais je n'avais ni sang-froid, ni jugement, ni calcul: c'était
+l'émotion qui faisait tout mon plaisir. Après tout, j'ai cessé à tems,
+sans avoir ni beaucoup gagné ni beaucoup perdu. Depuis l'âge de vingt-un
+ans j'ai très peu joué, et jamais au-delà de cent, deux cents ou trois
+cents guinées.»</p>
+
+<p>Il fait allusion à cette folie et à quelques autres dans le billet
+suivant.</p>
+
+<p class="mid">À M. WILLIAMS BANKES.<br>
+
+<span class="rig">Vendredi, minuit.</span></p><br>
+
+<p><span class="sc">Mon cher Bankes</span>,</p>
+
+<p>«Je reçois à l'instant votre petit mot; croyez que je suis désespéré de
+n'en avoir pas eu plus tôt connaissance; une demi-heure de conversation
+avec vous m'eût été plus agréable que le vin, le jeu et toutes les
+autres manières à la mode de passer une soirée chez soi ou en ville. Je
+suis réellement très-fâché d'être sorti avant l'arrivée de votre
+missive; à l'avenir écrivez-moi avant six heures, et soyez sûr que,
+quels que soient mes engagemens, je les mettrai de côté. Croyez-moi avec
+cette déférence que j'ai eue dès mon enfance pour vos talens, et une
+meilleure opinion de votre cœur,</p>
+
+<p>»Votre, etc.»<br><span class="rig">
+BYRON.</span><br></p>
+
+<p>Parmi les causes, si ce n'est plutôt parmi les résultats de cette
+disposition à la mélancolie qui tenait à son caractère, il ne faut pas
+oublier ce scepticisme en fait de matières religieuses, qui, comme nous
+l'avons vu, jetait déjà quelque chose de sombre sur les pensées de son
+enfance, et qui se rembrunit de plus en plus à l'époque dont je parle en
+ce moment. En général, nous voyons les jeunes gens trop ardemment
+occupés des plaisirs que ce monde donne ou promet, pour s'occuper bien
+sérieusement des mystères du monde à venir. Mais avec lui le cas était
+malheureusement tout contraire: comme philosophe et comme ami du
+plaisir, il avait acquis trop tôt la plus déplorable expérience. Être,
+comme il le supposait, parvenu à la dernière limite des plaisirs de ce
+monde, et ne voir au-delà que nuages et obscurité, tel était le sort
+funeste auquel un caractère et des passions prématurées semblaient
+condamner Lord Byron.</p>
+
+<p>Quand, à l'âge de vingt-cinq ans, Pope se plaignait d'être fatigué du
+monde, Swift lui répondit qu'il n'avait point encore assez agi, assez
+souffert dans le monde pour en être fatigué. Mais quelle différence
+entre la jeunesse de Pope et celle de Byron! Ce que le premier n'avait
+qu'anticipé par la pensée, le second le connut dans la plus triste
+réalité. À l'âge où l'un commençait à peine à jeter un coup d'œil sur
+l'océan de la vie, l'autre y avait plongé, et en avait sondé toutes les
+profondeurs. Swift lui-même dut aux désappointemens et aux injustices
+qu'il éprouva de bonne heure cette amertume qui ne le quitta jamais, et
+présente bien plus d'analogie avec le sort de notre poète, non-seulement
+pour les attaques cruelles auxquelles il se trouva jeune en butte, que
+pour l'effet qu'elles produisirent sur son caractère<a id="footnotetag113" name="footnotetag113"></a>
+<a href="#footnote113"><sup class="sml">113</sup></a>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote113"
+name="footnote113"><b>Note 113: </b></a><a href="#footnotetag113">
+(retour) </a> Il y a du moins un grand point de rapprochement
+ dans la disposition d'esprit que Johnson attribue à Swift:
+ «Le soupçon d'irréligion, dit-il, qui plana sur la tête de
+ Swift, vint en grande partie de son horreur pour
+ l'hypocrisie: <i>au lieu de chercher à paraître meilleur, il
+ prenait plaisir à paraître pire qu'il n'était en effet</i>.»
+ <span class="rig"> (<i>Note de Moore</i>.)</span><br>
+</blockquote>
+
+<p>La jeunesse est naturellement portée à se donner des airs d'une
+mélancolie romantique, à imiter un air triste et sombre que les années
+n'ont pas encore pu amener. Je ne veux pas nier que quelque chose de ce
+genre ne soit venu augmenter et nourrir les dispositions peu riantes de
+notre jeune poète. Il avait dans son cabinet d'étude un certain nombre
+de crânes humains bien polis et rangés avec une symétrie qui semblerait
+indiquer plutôt l'envie de s'entourer d'idées sombres que de les éviter.
+Peut-être est-ce aussi une imitation de l'usage que Young fit, dit-on,
+d'un crâne, circonstance qui nous ferait douter de la sincérité de sa
+mélancolie à cette époque, si nous n'en retrouvions les traces évidentes
+dans le reste de ses écrits et dans sa vie tout entière.</p>
+
+<p>Telle est, d'après son propre témoignage et celui des autres, la
+disposition d'esprit et de cœur dans laquelle Byron partit pour son
+voyage indéfini, à la suite du changement le plus grand qu'un homme ait
+jamais peut-être éprouvé dans sa manière de voir et de sentir. Le refus
+de lord Carlisle d'agir comme son patron, et la position humiliante dans
+laquelle ce refus le plaça, complétèrent les mortifications que déjà
+bien d'autres causes lui avaient fait éprouver. Trompé dans ses
+espérances en amour et en amitié, il trouva une sorte de vengeance et de
+consolation à douter qu'il existât en effet de tels sentimens. Les
+échecs qu'il avait essuyés étaient assez capables d'irriter et de
+blesser qui que ce soit; il ajouta encore à ce qu'ils avaient de pénible
+par le caractère irritable et impatient dont il les reçut. Ce que
+d'autres auraient reçu avec résignation comme autant de malheurs le
+révolta comme autant d'affronts et d'injustices, et la véhémence de
+cette réaction produisit un changement complet dans tout son caractère.
+Alors, comme dans les révolutions, tout ce qu'il y avait de mauvais et
+d'irrégulier dans son naturel surgit à la surface, et domina en même
+tems que tout ce qu'il y avait de plus énergique et de plus grand. Ses
+vertus et ses qualités naturelles ajoutèrent elles-mêmes à la violence
+de ce changement. Cette même ardeur qu'il avait mise dans ses amitiés et
+dans ses amours fournit de nouveaux alimens à son indignation et à son
+mépris. La vivacité et la tournure originale de son esprit ouvrirent un
+autre canal au fiel dont il était rempli; et cette haine de
+l'hypocrisie, qu'il avait déjà montrée en exagérant les erreurs de sa
+jeunesse, le porta, par horreur de toute fausse prétention à la vertu, à
+une autre prétention encore plus dangereuse, celle d'afficher des vices
+et de s'en faire gloire.</p>
+
+<p>La lettre suivante, qu'il écrivit à sa mère peu de jours avant que de
+mettre à la voile, donne quelques détails sur les personnes qui
+composaient sa suite. Robert Rushton, dont il y parle avec tant
+d'intérêt, est le jeune enfant qu'il introduisit dans le premier chant
+de <i>Childe Harold</i>, en qualité de son page.</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE XXXIV.</h3>
+
+<h4>À MRS. BYRON.</h4>
+
+<p class="rig">Falmouth, 22 juin 1809.</p><br><br>
+
+<p><span class="sc">Ma chère mère</span>,</p>
+
+<p>«Nous aurons mis à la voile, probablement avant que cette lettre ne vous
+soit parvenue. Fletcher m'a tant tourmenté, que je l'ai gardé à mon
+service; mais s'il ne se conduit pas bien à l'étranger, je le renverrai
+par un transport. J'ai un domestique allemand, qui a déjà été en Perse
+avec M. Wilbraham, et qui m'a été fortement recommandé par le docteur
+Butler de Harrow; si vous l'ajoutez à Robert et William, vous aurez tout
+le personnel dont se compose ma suite. J'ai des lettres de
+recommandation en abondance; je vous écrirai de tous les ports où nous
+toucherons; mais si mes lettres viennent à s'égarer, il ne faut pas vous
+en alarmer. Le continent marche bien; une insurrection a éclaté dans
+Paris; les Autrichiens sont en train de battre Bonaparte, et les
+Tyroliens se sont soulevés.</p>
+
+<p>«Voici mon portrait à l'huile pour être renvoyé le plus tôt possible à
+Newstead. Je voudrais bien que les demoiselles P... eussent quelque
+chose de mieux à faire que d'emporter mes miniatures à Nottingham pour
+les copier. Puisque c'est fait maintenant, vous pourriez leur offrir de
+copier aussi les autres portraits, auxquels je tiens beaucoup plus qu'au
+mien. Quant aux finances, je suis ruiné, du moins jusqu'à ce que
+Rochdale soit vendu; si cela ne tourne pas bien, j'entrerai au service
+de l'Autriche ou de la Russie, peut-être même à celui de la Turquie, si
+leurs manières me conviennent. Le monde est devant moi; je quitte
+l'Angleterre sans regret et sans aucun désir de rien revoir de ce
+qu'elle contient, excepté <i>vous-même</i> et votre résidence actuelle.</p>
+
+<p>»<i>P. S.</i> Dites, je vous prie, à M. Rushton que son fils se porte bien et
+va bien; il en est de même de Murray; en vérité, je ne l'ai jamais vu
+mieux: il sera de retour dans un mois. Au nombre de mes regrets je
+devrais compter celui de me séparer de ce fidèle serviteur; son grand
+âge me privera peut-être du plaisir de le revoir jamais. Pour Robert, je
+l'emmène; je l'aime, parce que, comme moi, il paraît être un animal sans
+amis en ce monde.»</p>
+
+<p>Ceux qui se rappellent la description poétique qu'il fait de l'état de
+son ame au moment de quitter l'Angleterre, pourront trouver étranges et
+choquantes la gaîté et la légèreté qui règnent dans les lettres que je
+vais transcrire ici. Mais dans un caractère comme celui de Lord Byron,
+ces éclats de vivacité extérieure ne sont pas du tout incompatibles avec
+un cœur intimement et profondément ulcéré<a id="footnotetag114" name="footnotetag114"></a>
+<a href="#footnote114"><sup class="sml">114</sup></a>, et le ton de gaîté et de
+bonne humeur qu'il y affecte ne rend que plus frappant le sentiment
+d'abandon et d'isolement qu'il y laisse quelquefois percer.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote114"
+name="footnote114"><b>Note 114: </b></a><a href="#footnotetag114">
+(retour) </a> On sait que le poète Cowper composa son
+ chef-d'œuvre de gaîté, <i>John Gilpin</i>, pendant une de ses
+ crises d'abattement mortel, et il dit lui-même: «Tout étrange
+ que cela puisse paraître, les ouvrages les plus bouffons que
+ j'aie écrits, le furent dans un moment de tristesse affreuse,
+ et peut-être ne les eussé-je jamais écrits sans cette même
+ tristesse.»<br>
+ <span class="rig">(<i>Note de Moore</i>.)</span><br>
+</blockquote>
+<br><br>
+<h3>LETTRE XXXV.</h3>
+
+<h4>À M. HENRY DRURY.</h4>
+
+<p class="rig">Falmouth, 25 juin 1809.</p><br><br>
+
+<p><span class="sc">Mon cher Drury</span>,</p>
+
+<p>«Nous partons demain par le paquebot de Lisbonne; nous avons été retenus
+jusqu'ici par le manque de vent et d'autres circonstances. Tout étant
+maintenant pour le mieux, demain soir à cette heure-ci nous serons
+embarqués sur ce vaste monde des eaux. Le paquebot de Malte ne devant
+pas partir pendant quelques semaines, nous avons résolu d'aller par
+Lisbonne, afin de voir le Portugal; de là par Cadix et Gibraltar, et
+puis nous reprenons notre première route, Malte et Constantinople, si
+tant est que le capitaine Kidd, notre brave commandant, entende bien la
+navigation, et nous conduise suivant la carte.</p>
+
+<p>»Voulez-vous avoir la bonté de dire au docteur Butler<a id="footnotetag115" name="footnotetag115"></a>
+<a href="#footnote115"><sup class="sml">115</sup></a>, qu'à sa
+recommandation j'ai pris à mon service un Prussien, Friese, la perle des
+domestiques? Il s'est trouvé parmi les adorateurs du feu en Perse, a vu
+Persépolis et tout ce qui s'en suit.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote115"
+name="footnote115"><b>Note 115: </b></a><a href="#footnotetag115">
+(retour) </a> En se réconciliant avec le docteur Butler, au
+ moment de son départ, Byron donna une nouvelle preuve de la
+ bonté de son caractère, irritable sans doute, mais étranger à
+ toute idée de haine ou de rancune. Il avait préparé des
+ corrections pour une nouvelle édition de ses <i>Heures
+ d'oisiveté</i>, où il remplaçait les épigrammes contre ce
+ professeur, par son éloge et l'aveu des torts qu'il se
+ reprochait envers lui.<br>
+ <span class="rig"> (<i>Note de Moore</i>.)</span><br>
+</blockquote>
+
+<p>»Hobhouse a fait de formidables préparatifs pour publier ses voyages au
+retour; un cent de plumes, deux gallons d'encre<a id="footnotetag116" name="footnotetag116"></a>
+<a href="#footnote116"><sup class="sml">116</sup></a>, plusieurs livres
+blancs, etc., tout cela pour le plus grand avantage d'un public éclairé.
+J'ai renoncé à rien écrire pour mon propre compte, mais j'ai promis de
+lui fournir un ou deux chapitres de mœurs, etc., etc.</p>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p> Le coq chante, il faut partir; je ne saurais vous en dire davantage.</p>
+
+<p class="rig"> (<i>Ghost of Gaffer Thumb</i>.)<br></p><br>
+</div></div>
+
+<p>«Adieu, croyez-moi, etc., etc.»</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote116"
+name="footnote116"><b>Note 116: </b></a><a href="#footnotetag116">
+(retour) </a> Un peu moins de dix pintes de Paris.
+<span class="rig"> (<i>N. du Tr.</i>)</span><br>
+</blockquote>
+
+<br><br>
+<h3>LETTRE XXXVI.</h3>
+
+<h4>À M. HODGSON.</h4>
+
+<p class="rig">Falmouth, 25 juin 1809.</p><br><br>
+
+<p><span class="sc">Mon cher Hodgson</span>,</p>
+
+<p>«Avant que la présente ne vous parvienne, Hobhouse, deux femmes
+d'officiers, trois enfans, deux filles de chambre, deux subalternes pour
+la troupe, trois seigneurs portugais et leurs domestiques, enfin
+moi-même, en tout dix-neuf ames, nous aurons mis à la voile pour
+Lisbonne, sous la conduite du noble capitaine Kidd, aussi brave marin
+qu'aucun qui ait jamais passé en contrebande un quartaut de spiritueux.</p>
+
+<p>»Nous allons à Lisbonne d'abord, parce que le paquebot de Malte est déjà
+parti, voyez-vous? De Lisbonne à Gibraltar, Malte, Constantinople <i>et
+cœtera</i>, comme dit éloquemment l'orateur Henley, quand il mit en danger
+l'église <i>et cœtera</i>.</p>
+
+<p>»Cette ville de Falmouth, comme vous le devinez presque déjà, n'est pas
+située fort loin de la mer. Elle est défendue de ce côté par deux
+châteaux, Saint-Maws et Pendennis, extrêmement bien calculés pour
+tourmenter tout le monde, excepté l'ennemi. Saint-Maws a pour garnison
+un individu très-valide, âgé seulement de quatre-vingts ans; c'est du
+reste un homme veuf. C'est à lui qu'est dévolu le commandement absolu et
+la direction de six pièces de siége, les moins dirigeables possible,
+admirablement adaptées pour la destruction de Pendennis qui est une
+autre tour de même force sur l'autre côté du canal. Nous avons visité
+Saint-Maws; pour Pendennis, on ne nous l'a laissé voir qu'à distance,
+parce qu'on nous soupçonnait, Hobhouse et moi, d'avoir déjà pris
+Saint-Maws par un coup de main.</p>
+
+<p>»La ville contient beaucoup de quakers et de poisson salé; les huîtres y
+ont un goût de cuivre, parce que le pays est plein de mines; les femmes
+(bénie soit pour cela la corporation!) sont fouettées derrière une
+charrette quand elles se permettent de voler en petit ou en grand; et
+c'est ce qui est arrivé hier vers midi à une personne du beau sexe. Elle
+était entêtée et a envoyé le maire à tous les diables...</p>
+
+<p>»Hodgson! rappelez-moi au souvenir de Drury, et rappelez-moi à votre
+propre souvenir... quand vous serez ivre; je ne suis pas digne d'occuper
+les pensers d'un homme à jeun. Ayez l'œil à ma satire chez Cawthorn,
+dans Cockspur-Street...</p>
+
+<p>»J'ignore quand je pourrai vous écrire de nouveau, car cela dépend de
+notre expérimenté capitaine, le brave Kidd, et «des vents orageux qui
+<i>ne</i> soufflent <i>pas</i> dans cette saison.» Je quitte l'Angleterre sans
+regret; j'y retournerai sans plaisir. Je suis comme Adam, le premier
+pécheur condamné à la déportation; mais je n'ai pas d'Ève, et je n'ai
+pas mangé de pomme, si ce n'est des pommes sures et sauvages. Ainsi
+finit mon premier chapitre.</p>
+
+<p>»Adieu. Tout à vous, etc.»</p>
+
+<p>Dans cette lettre étaient renfermées les strophes suivantes, dont nous
+regrettons de ne pouvoir rendre toute la gaîté et le naturel:</p>
+
+<p>En rade de Falmouth, 30 juin 1809.</p>
+
+<p>1. Hourra! Hodgson, nous voilà partis; l'embargo est à la fin levé: une
+brise favorable agite les voiles, et les frappe contre le mât, au-dessus
+duquel le pavillon de partance déploie ses orbes onduleux. Attention! le
+coup de canon est tiré. Les cris des femmes effrayées et les juremens
+des matelots nous avertissent que le moment est venu. Voici monter à
+bord un coquin de douanier; il faut tout ouvrir, tout montrer, malles,
+caisses, etc. Malgré tant de bruit et de fracas, il faut que le plus
+petit trou à rats soit visité, avant qu'on ne nous permette de partir à
+bord du paquebot de Lisbonne.</p>
+
+<p>2. Nos matelots détachent les amarres; tout le monde aux rames. Le
+bagage descend de dessus le quai; nous sommes impatiens. En avant,
+poussez loin du rivage. «Prenez garde! cette caisse renferme des
+liquides. Arrêtez le bateau, je me sens malade: oh! mon Dieu!»--«Malade!
+madame; le diable m'emporte, vous le serez bien davantage quand vous
+aurez été seulement une heure à bord.» Hommes, femmes, maîtres et
+valets, maîtresses et servantes, pressés les uns contre les autres comme
+des bâtons de cire, crient, se démènent et s'agitent. Que de bruit, que
+de fracas avant que nous n'atteignions le paquebot de Lisbonne!</p>
+
+<p>3. Enfin nous l'avons atteint! Voilà le capitaine, le brave Kidd, qui
+commande son équipage. Les passagers sont parqués dans leur logement,
+les uns pour y grogner, les autres pour y vomir tout à leur aise. «Holà
+hé! appelez-vous cela une chambre? Cela n'a pas trois pieds carrés; il
+n'y aurait pas de quoi contenir la reine Mab<a id="footnotetag117" name="footnotetag117"></a>
+<a href="#footnote117"><sup class="sml">117</sup></a>. Qui diable peut loger
+là-dedans?»--«Qui, monsieur? beaucoup de monde. Vingt seigneurs à la
+fois ont rempli mon navire.»--«Vraiment! Jésus mon Dieu, comme vous nous
+pressez! Plût à Dieu que vos vingt seigneurs y fussent encore! j'aurais
+échappé à la chaleur et au bruit qui règnent à bord de ce beau navire,
+le paquebot de Lisbonne.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote117"
+name="footnote117"><b>Note 117: </b></a><a href="#footnotetag117">
+(retour) </a> <i>Queen mab</i>; voyez, dans Shakspeare, la charmante
+ description de cette petite reine des fées et de son petit
+ équipage.</blockquote>
+
+<p>4. «Fletcher! Murray! Rob<a id="footnotetag118" name="footnotetag118"></a>
+<a href="#footnote118"><sup class="sml">118</sup></a>! où êtes-vous? étendus sur le pont comme
+des bûches! Un coup de main, vous, joli matelot; voilà un bout de corde
+pour fouetter ces chiens-là.» Hobhouse murmure des juremens affreux en
+roulant le long de l'écoutille; il vomit alternativement des vers et son
+déjeuner, et nous envoie tous à tous les diables. «Voilà une stance sur
+la maison de Bragance... Au secours!»--«Un couplet?»--«Non, une tasse
+d'eau chaude.»--«Qu'est-ce qu'il y a?»--«Diable! mon foie me vient sur
+le bord des lèvres! Je ne survivrai jamais au bruit et au fracas de ce
+navire brutal, le paquebot de Lisbonne.»</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote118"
+name="footnote118"><b>Note 118: </b></a><a href="#footnotetag118">
+(retour) </a> Abréviation pour Robert.</blockquote>
+
+<p>5. Enfin, nous voilà en route pour la Turquie; Dieu sait quand nous en
+reviendrons! Les vents violens et les sombres tempêtes peuvent en un
+moment briser notre vaisseau. Mais puisque, de l'avis des philosophes,
+la vie n'est qu'une plaisanterie, le mieux est encore de rire. Rions
+donc, comme je fais maintenant; rions de tout, des grandes et des
+petites choses. Bien portans ou malades, à la mer ou sur terre, tant que
+nous avons de quoi boire abondamment, rions. Que diable! peut-on se
+soucier d'autre chose? Holà hé! de bon vin! qui voudrait s'en laisser
+manquer, même à bord du paquebot de Lisbonne?<br>
+<span class="rig">BYRON.</span><br></p>
+
+<p>Le 2 juillet, le navire mit à la voile de Falmouth; et après une
+heureuse traversée de quatre jours et demi, nos voyageurs arrivèrent à
+Lisbonne, et se logèrent dans cette ville.</p>
+
+<p>Lord Byron citait souvent une étrange anecdote que le capitaine Kidd,
+commandant du paquebot, lui avait racontée pendant la traversée. Cet
+officier lui dit qu'une nuit, étant endormi, il fut réveillé par le
+poids de quelque chose de lourd sur son estomac, et qu'à l'aide d'une
+petite clarté qui régnait dans sa chambre, il reconnut distinctement le
+corps de son frère qui, à cette époque, servait aux grandes Indes dans
+la marine royale, revêtu de son uniforme et couché en travers sur son
+lit. Pensant que c'était une illusion de ses sens, il ferma les yeux, et
+essaya de dormir. Mais la même pression se fit encore sentir, et chaque
+fois qu'il se hasarda à ouvrir les yeux, il vit la même figure couchée
+en travers sur lui dans la même position. Pour ajouter encore à ce que
+cet événement avait de merveilleux, en étendant la main pour toucher ce
+fantôme, il sentît que l'uniforme dont il paraissait couvert était tout
+dégouttant d'eau. À l'arrivée d'un de ses camarades qu'il appela au
+secours, l'apparition s'évanouit; mais quelques mois après, il reçut
+l'accablante nouvelle que son frère était mort cette nuit-là même, noyé
+dans les mers des Indes. Le capitaine Kidd n'avait pas le plus léger
+doute sur la réalité de cette apparition surnaturelle.</p>
+
+<p>Les lettres suivantes de Lord Byron à son ami Hodgson, quoique écrites
+avec une gaîté et une légèreté d'écolier, donneront quelque idée de
+l'impression que lui fit son séjour à Lisbonne. De telles lettres, qui
+contrastent si fortement avec les nobles stances sur le Portugal, qui se
+trouvent dans le <i>Childe Harold</i>, montreront combien son imagination
+était versatile, et sous combien d'aspects différens il pouvait
+envisager les mêmes choses suivant les différentes dispositions d'esprit
+où il était.</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE XXXVII.</h3>
+
+<h4>À M. HODGSON.</h4>
+
+<p class="rig">Lisbonne, 16 juillet 1809.</p><br><br>
+
+<p><span class="sc">Mon cher Hodgson</span>,</p>
+
+<p>«Jusqu'ici nous avons poursuivi notre route; nous avons vu des choses
+magnifiques, des palais, des couvens; mais comme tout cela se trouvera
+écrit au large dans le premier volume de voyages de mon ami Hobhouse, je
+ne veux point anticiper, ni le voler, en fraudant le plus petit détail,
+et vous le communiquant ainsi d'une manière clandestine dans une lettre.
+Tout ce que je puis me permettre de vous dire, c'est que le village de
+Cintra, dans l'Estramadoure, est peut-être le plus beau village du
+monde...............................................</p>
+
+<p>»Je suis très-heureux ici, parce que j'aime les oranges, et que je parle
+mauvais latin aux moines, qui le comprennent d'autant mieux, qu'il est
+plus semblable au leur. Et puis je vais en société (avec mes pistolets
+de poche). Et puis je nage dans le Tage, que j'ai traversé d'un seul
+coup. Et puis je monte à cheval sur un âne ou sur une mule. Et puis j'ai
+attrapé la diarrhée, et j'ai été piqué par les mosquites: mais qu'est-ce
+que cela fait? on ne doit point chercher ses aises quand on fait une
+partie de plaisir.</p>
+
+<p>«Quand les Portugais font les méchans, je dis <i>caracho</i>! le grand juron
+des fashionables de ce pays-ci, et qui remplace parfaitement notre
+<i>damnation</i>. Quand je suis mécontent de mon voisin, je l'appelle <i>combro
+de merda</i>; avec ces deux phrases et une troisième, <i>cobra burro</i>, qui
+signifie: procurez-moi un âne, je suis universellement reconnu pour un
+homme de distinction, et qui parle fort bien toutes les langues. Quelle
+joyeuse vie nous menons, nous autres voyageurs!... si nous avions la
+nourriture et le vêtement. Mais sérieusement, et par malheur trop
+sérieusement parlant, tout au monde est préférable à l'Angleterre; et
+jusqu'ici je m'amuse beaucoup de mon voyage.</p>
+
+<p>»Demain, nous partons pour faire à cheval plus de quatre cents milles en
+poste, jusqu'à Gibraltar, où nous nous embarquerons pour Mélite et
+Byzance. Une lettre me parviendrait à Malte, ou me serait envoyée si
+j'étais absent. Embrassez, je vous prie, les Drury, les Dwyer, et tous
+les Éphésiens que vous rencontrerez. J'écris en ce moment avec le crayon
+qui m'a été donné par Butler, ce qui rend ma mauvaise main pire encore.
+Excusez mon <i>illisibilité</i>...</p>
+
+<p>»Hodgson! envoyez-moi les nouvelles, les morts et les défaites, les
+crimes capitaux et les malheurs de mes amis. Donnez-moi quelques détails
+sur les sujets littéraires, les controverses et les critiques; tout cela
+me sera agréable: <i>Suave mari magno</i>, etc. En parlant de cela, j'ai été
+malade à la mer et de la mer. Adieu...</p>
+
+<p>»Votre affectionné, etc.»</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE XXXVIII.</h3>
+
+<h4>À M. HODGSON.</h4>
+
+<p class="rig">Gibraltar, 6 août 1809.</p><br><br>
+
+<p>«Je viens d'arriver dans cette ville après un voyage de près de cinq
+cents milles, à travers le Portugal et une partie de l'Espagne. Nous
+allâmes à cheval de Lisbonne à Séville et à Cadix, et de là nous
+montâmes à bord de la frégate <i>l'Hypérion</i> pour nous rendre ici. Les
+chevaux sont excellens, nous faisions soixante-dix milles par jour. Des
+œufs, du vin, des lits bien durs, sont toutes les commodités qu'offre la
+route; mais sous un climat aussi brûlant, c'est bien assez. Ma santé est
+meilleure qu'en Angleterre.</p>
+
+<p>»Séville est une belle ville, et la Sierra Moréna est une montagne bien
+digne de ce nom; mais le diable emporte les descriptions! elles sont
+toujours ennuyeuses. Cadix! délicieuse Cadix! c'est le plus beau point
+de la terre..., et la beauté de ses rues et de ses bâtimens ne le cède
+qu'à l'amabilité de ses habitans. Car, préjugé national à part, je dois
+avouer que les femmes de Cadix sont aussi supérieures en beauté aux
+femmes anglaises, que les Espagnols sont inférieurs aux Anglais pour
+toutes les qualités qui donnent de la dignité au nom d'homme... Au
+moment où je commençais à faire quelques connaissances dans la ville, je
+fus obligé d'en partir.</p>
+
+<p>»Vous n'attendez pas de moi une longue lettre après une telle course à
+cheval, «sur ces rosses d'Asie à l'embonpoint hypocrite.» En parlant
+d'Asie, cela me fait penser à l'Afrique, qui n'est qu'à cinq milles de
+ma demeure actuelle; j'y veux aller me promener avant de partir pour
+Constantinople...</p>
+
+<p>«Cadix est une vraie Cythère; beaucoup de grands d'Espagne s'y sont
+réfugiés, après avoir quitté Madrid à la suite des troubles: c'est, je
+crois, la plus jolie ville et la plus propre de l'Europe. Londres est
+sale en comparaison... Les Espagnoles se ressemblent toutes; leur
+éducation est la même. La femme d'un duc est comme la femme d'un paysan
+sous le rapport de l'instruction; et pour les manières, la femme d'un
+paysan a les mêmes que la duchesse. Certainement elles sont séduisantes;
+mais elles n'ont qu'une idée dans la tête, et l'unique affaire de toute
+leur vie est l'intrigue...</p>
+
+<p>«J'ai vu sir John Carr à Séville et à Cadix; et comme le barbier de
+Swift, je l'ai supplié de ne me point faire figurer dans son journal.
+Rappelez-moi, je vous prie, au souvenir des Drury et des Davies et de
+tous ceux de ce genre-là qui sont encore en vie<a id="footnotetag119" name="footnotetag119"></a>
+<a href="#footnote119"><sup class="sml">119</sup></a>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote119"
+name="footnote119"><b>Note 119: </b></a><a href="#footnotetag119">
+(retour) </a> Des recommandations de ce genre, dit M. Hodgson,
+ dans une note au bas de la copie de cette lettre, se trouvent
+ à chaque pas dans sa correspondance. Il ne se contentait pas
+ de s'informer de la santé de ses amis et de leur donner cette
+ marque de souvenir. Si l'on pouvait savoir tout ce qu'il a
+ fait pour ses nombreux amis, certes il paraîtrait bien digne
+ d'en avoir eu. Pour moi, je me fais un plaisir de reconnaître
+ avec les sentimens de la plus vive gratitude, qu'il est venu
+ généreusement et bien à propos à mon secours; et si mon
+ pauvre ami Bland vivait encore, il rendrait aussi de grand
+ cœur le même hommage à la mémoire de Byron, quoique, après
+ tout, je sois de tous les hommes celui qui lui doit le plus
+ de reconnaissance.<br>
+ <span class="rig">(<i>Note de Moore</i>.)</span><br>
+</blockquote>
+
+<p>Envoyez-moi une lettre et des nouvelles à Malte. Ma première sera datée
+du Caucase ou de la montagne de Sion. Je repasserai en Espagne avant de
+me rendre en Angleterre, car je suis amoureux de ce pays. Adieu, etc.»</p>
+
+<p>Dans une lettre à Mrs. Byron, datée de Gibraltar, quelques jours après,
+il répète les mêmes détails sur son voyage, mais un peu plus étendus.
+«Pour faire compensation, dit-il, à la saleté de Lisbonne et de ses
+habitans, le village de Cintra, situé à quinze milles environ de cette
+capitale, est peut-être, sous tous les rapports, le plus délicieux de
+l'Europe; il renferme des beautés de toute espèce, naturelles et
+artificielles. Des palais et des jardins s'élevant au milieu des
+rochers, des cataractes et des précipices; des couvens sur des hauteurs
+prodigieuses. Dans le lointain la vue de la mer et du Tage, et, en
+outre, quoique ce ne soit qu'une circonstance bien secondaire, ce
+village est remarquable comme étant le lieu où fut signée la fameuse
+<i>convention</i> de sir H*** D**<a id="footnotetag120" name="footnotetag120"></a>
+<a href="#footnote120"><sup class="sml">120</sup></a>. Il réunit l'apparence sauvage et
+pittoresque des montagnes de l'Écosse avec la verdure et la fécondité du
+midi de la France. Près de là est le palais de Mafra, l'orgueil des
+Portugais, et qui serait admiré dans tous les pays du monde sous le
+rapport de la magnificence, mais non sous celui de l'élégance. Un
+couvent y est annexé; les moines sont assez polis, et entendent le
+latin, de sorte que nous eûmes ensemble une longue conversation. Ils ont
+une belle bibliothèque, et me demandèrent si <i>les Anglais</i> avaient <i>des
+livres</i> dans leur pays.»</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote120"
+name="footnote120"><b>Note 120: </b></a><a href="#footnotetag120">
+(retour) </a> Le colonel Napier, dans une note à son excellente
+ <i>Histoire de la guerre de la Péninsule</i>, relève l'erreur dans
+ laquelle Byron est tombé avec plusieurs autres; la convention
+ dont il s'agit ayant été signée à trente milles de
+ Cintra.--Voy. <i>Childe Harold</i>, chant Ier.<br>
+ <span class="rig">(<i>Note de Moore</i>.)</span><br>
+</blockquote>
+
+<p>Il raconte ensuite dans la même lettre une aventure qui lui arriva à
+Séville, et qui peut donner une juste idée de lui-même et du pays où il
+se trouvait:</p>
+
+<p>«Nous logeâmes dans la maison de deux dames espagnoles non mariées, qui
+possèdent six maisons à Séville, et me donnèrent un curieux modèle des
+manières espagnoles. Ce sont des dames de qualité: l'aînée est une fort
+belle femme; la seconde est agréable, mais elle n'est pas d'un port
+aussi avantageux que dona Josepha. La liberté de manières qui est
+générale ici m'étonna d'abord beaucoup; dans la suite de mes
+observations, j'eus lieu de remarquer que la réserve n'est pas le
+caractère dominant des Espagnoles, qui, en général, sont très-bien, avec
+de grands yeux noirs et de fort belles formes. L'aînée honora votre fils
+indigne d'une attention toute particulière, elle m'embrassa au moment de
+mon départ (je n'y avais demeuré que trois jours). Elle coupa une boucle
+de mes cheveux, et me fit cadeau d'une tresse des siens de trois pieds
+de long, que je vous envoie, et que je vous prie de vouloir bien me
+garder jusqu'à mon retour. Ses mots d'adieu furent: <i>Adios, tu hermoso!
+me gustas mucho</i>. «Adieu! beau cavalier, tu me plais beaucoup.» Elle
+m'offrit une partie de son propre appartement, que ma vertu ne me permit
+pas d'accepter; elle rit beaucoup, me dit que j'avais quelque amante en
+Angleterre, et ajouta qu'elle allait se marier à un officier de l'armée
+espagnole.»</p>
+
+<p>Parmi les beautés espagnoles, qui avaient excité en masse son
+imagination, il paraît qu'une dame était au moment de fixer plus
+particulièrement son attention:</p>
+
+<p>«Cadix, la délicieuse Cadix, est la plus agréable ville que j'aie encore
+vue; elle est bien différente de nos villes anglaises, excepté sous le
+rapport de la propreté; elle est aussi propre que Londres, mais pleine
+des plus belles femmes de l'Espagne; les belles de Cadix sont pour
+l'Espagne ce que sont les belles du Lancashire pour l'Angleterre.
+Précisément au moment où je venais d'être présenté à la grandesse, et
+que je commençais à l'aimer, je me suis vu obligé de quitter Cadix pour
+cet affreux Gibraltar; mais avant de rentrer en Angleterre, j'y veux
+faire une autre visite.</p>
+
+<p>»La veille de mon départ, j'étais à l'opéra dans la loge de l'amiral ***
+avec sa femme et sa fille. Elle est très-jolie dans le genre espagnol,
+qui, à mon avis, n'est pas inférieur au genre anglais pour la beauté
+proprement dite, et qui est bien plus séduisant. De longs cheveux noirs,
+des yeux noirs et languissans, un teint olive-claire et des formes plus
+gracieuses, quand elles sont animées par le mouvement, que n'en peut
+concevoir un Anglais, habitué à l'air nonchalant et apathique de ses
+belles compatriotes; ajoutez à cela la mise à la fois la plus décente et
+du meilleur goût, qui rend une beauté espagnole tout-à-fait
+irrésistible.</p>
+
+<p>»Mademoiselle *** et son jeune frère comprenaient un peu le français,
+et, après avoir témoigné ses regrets que je ne susse pas l'espagnol,
+elle me proposa de m'enseigner cette langue. Je ne pus répondre que par
+un profond salut, regrettant de quitter Cadix trop promptement pour
+faire tous les progrès qui eussent naturellement suivi mes études sous
+une si charmante directrice. Je me tenais debout, sur le derrière de la
+loge, qui ressemble assez à nos loges d'opéra (le théâtre est vaste,
+bien décoré, et la musique admirable), comme le font généralement les
+Anglais pour ne pas incommoder les dames qui sont devant, quand la belle
+espagnole déplaça une vieille femme, tante ou duègne, et m'ordonna de
+venir m'asseoir à côté d'elle, à une distance honnête de la maman. Le
+spectacle terminé, je m'étais éclipsé, et je traversais le passage avec
+plusieurs hommes, quand la dame, tournant la tête par hasard, m'appela,
+et j'eus l'honneur de la conduire jusqu'à la maison de l'amiral. J'ai
+reçu une invitation pour l'époque de mon retour à Cadix, et j'en
+profiterai certainement si je repasse par l'Espagne, en revenant
+d'Asie.»</p>
+
+<p>C'est à ces aventures, ou plutôt à ces commencemens d'aventures, qu'il
+fait allusion dans la première partie de ses <i>Souvenirs</i>; et c'est de la
+plus jeune de ses belles hôtesses de Séville qu'il dit qu'il devint
+amoureux, à l'aide d'un dictionnaire.</p>
+
+<p>«Pendant quelque tems, dit-il, je réussis très-bien dans mes études de
+langue et dans mon amour<a id="footnotetag121" name="footnotetag121"></a>
+<a href="#footnote121"><sup class="sml">121</sup></a>, jusqu'à ce que la dame prit une fantaisie
+pour une bague que je portais, et s'opiniâtra à ce que je la lui
+donnasse comme un gage de ma sincérité. Cela était impossible, et je lui
+déclarai que tout ce que je possédais était à son service, excepté cette
+bague dont j'avais fait vœu de ne pas me séparer. La jeune Espagnole se
+fâcha, son amant ne tarda pas à se fâcher aussi, et l'affaire se termina
+par une froide séparation. Bientôt après je mis à la voile pour Malte,
+où je perdis à la fois et mon cœur et ma bague.»</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote121"
+name="footnote121"><b>Note 121: </b></a><a href="#footnotetag121">
+(retour) </a> Nous trouvons une allusion à cet incident dans
+ <i>Don Juan</i>:
+
+<p> «Il est agréable d'apprendre une langue étrangère des yeux et
+ des lèvres d'une femme... c'est-à-dire quand la maîtresse et
+ l'écolier sont jeunes tous les deux, comme il m'arriva à moi,
+ etc.»</p></blockquote>
+
+<p>Dans une lettre sur Gibraltar que nous venons de citer, il ajoute: «Je
+vais demain en Afrique, qui n'est qu'à six milles de cette forteresse.
+Mon premier séjour après sera Cagliari, en Sardaigne, où je serai
+présenté à sa majesté. J'ai un superbe uniforme pour habit de cour,
+indispensable à un voyageur.» Toutefois il ne mit pas à exécution son
+projet de visiter l'Afrique. Après un court séjour à Gibraltar, où il
+dîna une fois avec lady Westmoreland, et une autre avec le général
+Castaños, il partit de Malte, par le paquebot, le 19 août. Il avait
+renvoyé en Angleterre Joe Murray et le jeune Rushton, la santé de ce
+dernier ne lui permettant pas de l'accompagner plus long-tems.</p>
+
+<p>«Je vous prie, dit-il à sa mère, ayez toutes sortes de bontés pour cet
+enfant; car c'est mon grand favori<a id="footnotetag122" name="footnotetag122"></a>
+<a href="#footnote122"><sup class="sml">122</sup></a>.»</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote122"
+name="footnote122"><b>Note 122: </b></a><a href="#footnotetag122">
+(retour) </a>
+ Voici le <i>post-scriptum</i> de cette lettre:
+
+<p> «Ainsi lord G... est marié à une paysanne! c'est fort bien!
+ Si je me marie, je vous amènerai une sultane, avec une
+ demi-douzaine de villes pour dot; et pour vous réconcilier
+ avec une belle-fille ottomane, elle vous donnera un boisseau
+ de perles, pas plus grosses que des œufs d'autruche et pas
+ plus petites que des noix.»</p></blockquote>
+
+<p>Il écrivit aussi une lettre au père de cet enfant, qui donne une si
+bonne idée de la bonté et de la sensibilité de son ame, que j'ai grand
+plaisir à l'insérer ici.</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE XXXIX.</h3>
+
+<h4>À M. RUSHTON.</h4>
+
+<p class="rig">Gibraltar, 15 août 1809.</p><br><br>
+
+<p><span class="sc">M. Rushton</span>,</p>
+
+<p>«J'ai envoyé Robert en Angleterre avec M. Murray, parce que le pays que
+je vais traverser est dans une condition peu sûre, particulièrement pour
+un enfant aussi jeune. Je vous permets de garder vingt-cinq livres
+sterling par an pour son éducation, si je ne reviens pas avant cette
+époque, et je désire qu'il soit toujours considéré comme étant à mon
+service. Prenez-en le plus grand soin; qu'il soit envoyé à l'école. Dans
+le cas où je viendrais à mourir, j'ai eu soin dans mon testament de lui
+assurer une existence indépendante. Il s'est conduit extrêmement bien,
+et a beaucoup voyagé, en égard au peu de tems qu'a duré son absence.
+Vous déduirez les frais de son éducation de votre fermage.»<br>
+<span class="rig">BYRON.</span><br></p>
+
+<p>Ce fut le sort de Byron, pendant toute sa vie, de trouver partout où il
+alla des personnes qui, par leur caractère extraordinaire, ou les
+circonstances dans lesquelles elles s'étaient trouvées, étaient toutes
+disposées à sympathiser avec lui. C'est à cette attraction qui se
+trouvait en lui pour tout ce qui était étrange et <i>excentrique</i>, qu'il
+dut, à la fois, les plus agréables, comme aussi les plus pénibles
+liaisons qu'il ait formées dans sa vie. C'est dans la première classe
+que nous devrons ranger le commerce qu'il entretint avec une dame,
+pendant le court séjour qu'il fit à Malte. C'est cette même dame qu'il a
+désignée, dans le <i>Childe Harold</i>, sous le nom de Florence, et dont il
+parle ainsi à sa mère dans une lettre datée de Malte:</p>
+
+<p>«Cette lettre est confiée aux soins d'une femme bien extraordinaire dont
+vous avez déjà sans doute entendu parler, Mrs. Spenser Smith, sur la
+délivrance de laquelle le marquis de Salvo a publié une brochure, il y a
+quelques années. Elle a depuis éprouvé un naufrage, et sa vie a été, dès
+le commencement, fertile en incidens si extraordinaires, que, dans un
+roman, ils paraîtraient improbables. Elle est née à Constantinople, où
+son père, le baron H***, était consul d'Autriche. Elle fut mariée
+malheureusement, et cependant jamais sa réputation n'a souffert la plus
+légère atteinte. Elle a excité la vengeance de Bonaparte en prenant part
+à quelque conspiration, a vu plusieurs fois sa vie en danger; et n'a pas
+encore vingt-cinq ans. Elle est ici, se disposant à rejoindre son mari
+en Angleterre. L'approche des Français l'a forcée à s'embarquer sur un
+vaisseau de guerre, et à quitter précipitamment Trieste, où elle était
+allée faire une visite à sa mère. Depuis son arrivée je n'ai presque pas
+eu d'autre compagnie. Je l'ai trouvée très-agréable, très-bien élevée et
+extrêmement originale. Bonaparte est encore en ce moment si fort irrité
+contre elle, que sa vie serait peut-être en danger si on la faisait
+prisonnière une seconde fois.»</p>
+
+<p>Le ton dont notre poète lui parle dans <i>Childe Harold</i>, parfaitement
+d'accord avec ce qu'il vient d'en dire plus haut, respire l'admiration
+et l'intérêt, mais sans indiquer un sentiment plus vif.</p>
+
+<p>Aimable Florence! si ce cœur insouciant et flétri pouvait jamais être à
+une autre, il serait à toi; mais entraîné par toutes les vagues qui se
+succèdent, je n'ose pas brûler sur ton autel un indigne parfum, ou
+demander à ton âme chérie une seule pensée pour moi.</p>
+
+<p>C'est ainsi que raisonna Harold quand il jeta les yeux sur ceux de
+Florence; il y puisa une admiration profonde, mais nul autre sentiment,
+etc., etc.</p>
+
+<p>Dans un homme comme Byron, qui, en même tems qu'il a fait passer dans
+ses poésies bien des événemens de sa vie, a mis aussi tant de poésie
+dans son existence, il n'est pas toujours facile, en cherchant à
+analyser ses sentimens, de distinguer ceux qui furent réels d'avec ceux
+qui n'étaient qu'imaginaires. Par exemple la description qu'il nous
+donne ici de la froideur et de l'insensibilité avec lesquelles il
+contemplait même les charmes de cette séduisante personne est bien peu
+d'accord avec l'anecdote que je viens de citer d'après ses Mémoires,
+avec beaucoup de passages de ses lettres postérieures, mais surtout avec
+l'un de ses petits poèmes les plus gracieux, qu'il désigne comme adressé
+à cette même dame, pendant un orage, lorsque notre poète se rendait à
+Zitza.</p>
+
+<p>Malgré ces témoignages qui semblent se contredire, je serais assez porté
+à croire que la peinture qu'il nous fait de l'état de son cœur au
+commencement de <i>Childe Harold</i> est la seule vraie. L'idée qu'il était
+amoureux ne lui sera venue qu'après, quand l'image de la belle Florence
+se sera, pour ainsi dire, idéalisée dans son imagination, et qu'elle
+aura embelli d'un reflet d'amour le souvenir des heures agréables qu'ils
+avaient passées ensemble dans les îles de Calypso. On se rappellera
+qu'il attribue lui-même aux cœurs qui se sont livrés de bonne heure aux
+passions, et qui de bonne heure aussi en ont été désabusés, la froideur
+et le calme avec lesquels il contempla des appas même aussi séduisans
+que ceux de l'aimable Florence. Il y a toute raison de croire que telle
+était alors l'espèce de dégoût avec lequel il voyait tous les objets
+réels d'amour et de passion; et quoique son imagination pût toujours se
+créer des idoles, il continua, à son retour en Angleterre, de professer
+la même indifférence pour les plaisirs qu'il avait autrefois recherchés
+avec tant d'ardeur. Nul anachorète ne saurait en effet se vanter de plus
+d'apathie qu'il n'en montra à cette époque pour toutes les séductions de
+ce genre. Mais à vingt-trois ans, il est triste de ne devoir qu'à la
+satiété et au dégoût ce calme contre toutes les tentations: ce sont là
+de tristes auxiliaires de la vertu, et c'est une tranquillité achetée
+bien cher.</p>
+
+<p>Pendant son séjour à Malte, il fut, à la suite de quelque malentendu de
+peu d'importance, au moment de se battre en duel avec un officier de
+l'état-major du général Oakes. Il fait de fréquentes allusions à cet
+incident dans les lettres que nous lirons bientôt, et j'ai souvent
+entendu la personne qui lui servait de second, parler avec grand éloge
+du courage et du mâle sang-froid qu'il déploya dans toute cette affaire.
+Elle devait se vider de très-bonne heure; son ami fut obligé de
+l'arracher à un sommeil profond. Arrivés au lieu du rendez-vous, sur le
+bord de la mer, ils ne virent pas venir leurs adversaires, par suite de
+quelque erreur involontaire. Quoique ses bagages fussent déjà à bord du
+brick qui devait le transporter en Albanie, Lord Byron résolut
+d'attendre au moins encore une heure; et pendant à peu près tout ce
+tems, son ami et lui se promenèrent le long du rivage. À la fin ils
+virent venir à eux un officier envoyé par son adversaire, qui
+non-seulement l'excusa de ce retard, mais encore leur donna toutes les
+explications qu'ils pouvaient désirer sur ce qui avait fait le sujet
+même de la querelle.</p>
+
+<p>Le brick de guerre à bord duquel ils s'étaient embarqués, ayant ordre
+d'escorter une flotte de petits vaisseaux marchands à Patras et à
+Prévésa, ils restèrent deux ou trois jours à l'ancre en rade de cette
+première ville. Enfin ils arrivèrent à leur destination, et, après avoir
+vu en passant un coucher du soleil à Missolonghi, ils débarquèrent, le
+27 septembre, à Prévésa.</p>
+
+<p>Ceux qui pourraient désirer des détails sur le voyage de Lord Byron en
+Albanie, et ceux qu'il fit ensuite dans différentes parties de l'empire
+ottoman, en compagnie avec M. Hobhouse, les trouveront dans la relation
+qu'en a publiée ce dernier. Cet ouvrage, très-intéressant par lui-même,
+sous tous les rapports, le devient bien davantage par cette
+considération que nous y voyons Lord Byron comme présent à chaque page,
+et que nous y accompagnons, pour ainsi dire, ses premiers pas dans un
+pays au nom duquel il a pour jamais rattaché le sien. Comme j'ai entre
+les mains des lettres du noble poète à sa mère et quelques-unes plus
+curieuses encore qui, publiées pour la première fois, me mettent en état
+de donner ses propres descriptions et ses propres esquisses, je me
+contenterai, après avoir ainsi indiqué d'une manière générale le voyage
+de M. Hobhouse, d'en extraire quelques notes pour jeter plus de clarté
+sur la correspondance de son ami.</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE XL.</h3>
+
+<h4>À MRS. BYRON.</h4>
+
+<p class="rig">Prévésa, 12 novembre 1809.</p><br><br>
+
+<p><span class="sc">Ma chère mère</span>,</p>
+
+<p>«Voici quelque tems que je suis en Turquie; la ville que j'habite est
+sur la côte; mais j'ai déjà traversé l'intérieur de la province
+d'Albanie, en allant faire visite au pacha. J'ai quitté Malte, le 21
+septembre, à bord du brick de mer <i>le Spider</i> (l'Araignée), et je suis
+arrivé en huit jours à Prévésa. Déjà je suis allé environ cent cinquante
+milles plus loin, à Tebelen, maison de campagne de Sa Hautesse, où je
+suis resté trois jours. Le pacha se nomme Ali; on le regarde comme un
+homme de grands talens; il gouverne toute l'Albanie (l'ancienne
+Illyrie), l'Épire et une partie de la Macédoine. Son fils Vely-Pacha,
+pour lequel il m'a donné des lettres, gouverne la Morée, et a beaucoup
+d'influence en Égypte; en un mot, c'est un des plus puissans personnages
+de l'empire Ottoman. Quand, après un voyage de trois jours dans un pays
+montagneux et plein des beautés les plus pittoresques, j'arrivai à
+Janina, on me dit qu'Ali-Pacha avait quitté cette capitale, et qu'il
+était en Illyrie avec son armée, assiégeant Ibrahim-Pacha dans la
+forteresse de Bérat. Il avait appris qu'un Anglais de distinction était
+arrivé dans ses états, et avait laissé au commandant de Janina l'ordre
+de me fournir une maison, et de me procurer <i>gratis</i> tout ce qui me
+serait nécessaire. En conséquence, encore que l'on m'ait permis de faire
+quelques présens aux esclaves, etc., on n'a pas voulu me laisser payer
+la moindre chose de ce qui était entré dans la maison pour notre usage.</p>
+
+<p>»Je fis un tour dans la campagne sur les chevaux du vizir, et visitai
+ses palais, ainsi que ceux de ses petits-fils; ils sont magnifiques,
+mais trop chargés d'ornemens d'or et de soie. J'allai ensuite à travers
+les montagnes jusqu'à Zitza, village qui renferme un monastère grec où
+je couchai au retour. C'est la plus belle situation que j'aie jamais
+vue, en exceptant toujours Cintra en Portugal. Notre voyage fut beaucoup
+allongé par les torrens tombés des montagnes, et qui interceptaient les
+routes. Je n'oublierai jamais la scène singulière qui s'offrit à mes
+regards, quand j'entrai à Tebelen vers les cinq heures du soir, au
+moment du coucher du soleil. Elle me rappela, avec quelque changement de
+costume, bien entendu, la description que donne Scott, dans son <i>Lay</i>,
+du château de Branksome et du système féodal. Les Albanais avec leur
+habillement, le plus magnifique du monde, leur long jupon blanc, leur
+manteau broché d'or, leur veste et leur gilet de velours cramoisi lacé
+en or, leurs pistolets et leurs poignards montés en argent; les Tartares
+avec leurs hauts bonnets, les Turcs dans leurs turbans et leurs vastes
+pelisses, les soldats et les esclaves noirs avec leurs chevaux; les
+premiers groupés dans une grande galerie ouverte qui fait partie de la
+façade, les autres placés dans une sorte de cloître au-dessous; deux
+cents chevaux harnachés et prêts à être montés au moindre signal, des
+courriers allant et venant avec des dépêches, le bruit des timbales, des
+enfans qui crient l'heure, du haut du minaret, joint à la singularité du
+bâtiment lui-même, forment un coup-d'œil nouveau et délicieux pour
+l'étranger. Je fus conduit dans un fort bel appartement et le secrétaire
+du vizir vint s'informer de l'état de ma santé à la mode turque.</p>
+
+<p>«Le lendemain je fus présenté à Ali-Pacha. J'étais vêtu d'un uniforme
+d'officier d'état-major en grande tenue, avec un sabre magnifique, etc.
+Le vizir me reçut dans une grande pièce, pavée en marbre; une fontaine
+lançait de l'eau au milieu, et tout autour de la chambre étaient rangées
+des ottomanes couvertes d'une étoffe écarlate. Il me reçut debout,
+politesse extraordinaire pour un musulman, et me fit asseoir à sa
+droite. J'ai un Grec pour interprète; mais dans cette occasion ce fut un
+médecin d'Ali qui entend le latin, qui m'en servit. Sa première question
+fut, pourquoi j'avais quitté mon pays si jeune? Les Turcs n'ont pas
+l'idée qu'on puisse voyager pour son amusement. Il me dit ensuite que le
+ministre anglais, le capitaine Leake, l'avait prévenu que j'étais d'une
+grande famille, et me chargea de présenter ses respects à sa mère,
+commission dont je m'acquitte en ce moment. Il dit encore qu'il était
+sûr que j'étais noble, parce que j'avais les oreilles petites, les
+cheveux bouclés, les mains petites et blanches<a id="footnotetag123" name="footnotetag123"></a>
+<a href="#footnote123"><sup class="sml">123</sup></a>, et témoigna qu'il
+était content de ma figure et de mon costume. Il me dit de le regarder
+comme un père tant que je serais en Turquie, et qu'il veillerait sur moi
+comme sur son fils. Il me pria de le venir voir souvent, et surtout le
+soir quand il serait de loisir; on servit du café et des pipes; après
+quoi je terminai ma première visite, que je renouvelai trois fois. Il
+est singulier que les Turcs, qui n'ont pas de dignités héréditaires et
+peu de grandes familles, excepté les sultans, aient tant d'égards pour
+la naissance, car j'observai que ma généalogie m'en valait plus que mon
+titre de pair d'Angleterre<a id="footnotetag124" name="footnotetag124"></a>
+<a href="#footnote124"><sup class="sml">124</sup></a>...</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote123"
+name="footnote123"><b>Note 123: </b></a><a href="#footnotetag123">
+(retour) </a> Lord Byron avait autant que le pacha l'opinion que
+ la forme de la main peut indiquer la naissance; voyez dans
+ <i>Don Juan</i>, sa note sur le vers:
+
+<p class="mid">
+ <i>Though on more</i> thorough-bred <i>or fairer fingers</i>.</p>
+</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote124"
+name="footnote124"><b>Note 124: </b></a><a href="#footnotetag124">
+(retour) </a> Lors du voyage du docteur Holland en Albanie,
+ Ali-Pacha se rappelait parfaitement Lord Byron; il en parla
+ avec intérêt, et apprit avec plaisir qu'il avait donné, dans
+ un de ses ouvrages (<i>Childe Harold</i>), une description
+ poétique de l'Albanie, qui avait été fort goûtée en
+ Angleterre, et que son ami Hobhouse se disposait à publier
+ son voyage dans le même pays.</blockquote>
+
+<p>»J'ai vu aujourd'hui les restes de la ville d'Actium, près de laquelle
+Antoine perdit le monde dans une petite baie, où deux frégates
+manœuvreraient à peine aujourd'hui; un mur demi-renversé est l'unique
+vestige qui marque ce lieu célèbre. De l'autre côté du golfe se voient
+les ruines de Nicopolis, bâtie par Auguste en l'honneur de sa victoire.
+Hier soir, j'ai assisté à une noce grecque, mais je n'ai ni assez de
+tems, ni assez de place pour en donner la description, non plus que de
+mille autres choses.</p>
+
+<p>»Je vais demain, avec une escorte de cinquante hommes, à Patras dans la
+Morée, et de là à Athènes où je passerai l'hiver. Il y a deux jours,
+j'ai failli périr avec un vaisseau de guerre turc, par l'ignorance du
+capitaine et de l'équipage, quoique la tempête ne fût pas violente.
+Fletcher appelait sa femme, les Grecs appelaient leurs saints, les
+Musulmans appelaient Alla; le capitaine descendit dans la chambre, et
+nous dit tout en pleurs de nous recommander à Dieu. Les voiles étaient
+déchirées, la grande vergue rompue, le vent <i>fraîchissait</i>, la nuit
+arrivait; nous n'avions plus que deux chances devant nous, d'arriver à
+Corfou, qui est au pouvoir des Français, ou de descendre dans le liquide
+tombeau, comme Fletcher le disait pathétiquement. Je fis ce que je pus
+pour consoler celui-ci; mais le trouvant incorrigible, je m'enveloppai
+dans ma capote albanaise (immense manteau), et je me couchai tout de mon
+long sur le pont pour y attendre tout ce qui pourrait arriver de
+pire<a id="footnotetag125" name="footnotetag125"></a>
+<a href="#footnote125"><sup class="sml">125</sup></a>. J'ai appris dans mes voyages à avoir de la philosophie; et
+quand je n'en aurais pas eu, de quoi m'eût-il servi ici de me lamenter
+et de me plaindre? Heureusement le vent mollit, et ne nous porta qu'à
+Souli sur le continent, où nous débarquâmes, et avec l'aide des naturels
+nous retournâmes à Prévésa. Je ne me confierai plus dorénavant à des
+matelots turcs, quoique le pacha ait mis à mes ordres une de ses propres
+galiotes pour me porter à Patras. En conséquence, je vais jusqu'à
+Missolonghi par terre, et de là je n'aurai qu'un petit golfe à traverser
+pour arriver à Patras. La première lettre de Fletcher sera pleine de
+merveilles; nous avons, une nuit, été perdus pendant neuf heures dans
+les montagnes, et depuis nous avons manqué de nous noyer. Dans les deux
+cas, Fletcher avait entièrement perdu la tête; la première fois par la
+peur, la famine et les bandits; la seconde par la peur seule. Ses yeux
+ont été un peu malades, je ne sais si c'est un effet des éclairs ou des
+pleurs qu'il a versés. Quand vous m'écrirez, adressez-moi vos lettres
+chez M. Strane, consul d'Angleterre, à Patras en Morée.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote125"
+name="footnote125"><b>Note 125: </b></a><a href="#footnotetag125">
+(retour) </a> J'ai entendu les compagnons de voyage de Byron
+ parler du sang-froid et du courage qu'il montra dans cette
+ occasion, d'une manière plus remarquable encore. Voyant qu'à
+ cause de son infirmité il ne pouvait être d'aucune utilité
+ pour l'exécution des manœuvres que leur position demandait,
+ non-seulement il est vrai qu'il s'enveloppa dans son manteau
+ et se coucha tranquillement, comme il le dit, mais ce qu'il
+ n'ajoute pas, c'est que, quand le danger fut passé, on
+ s'aperçut qu'il était profondément endormi.<br>
+ <span class="rig">(<i>Note de Moore</i>.)</span><br>
+</blockquote>
+
+<p>»J'aurais beaucoup d'incidens à vous raconter, qui, je crois, vous
+amuseraient; mais ils font confusion dans ma tête, comme ils en
+feraient, je crois, sur le papier, et je ne saurais du tout les mettre
+en ordre. J'aime beaucoup les Albanais; ils ne sont pas tous turcs,
+quelques-uns sont chrétiens; mais la différence de leur religion n'en
+met aucune dans leurs mœurs et dans leur conduite; on les regarde comme
+les meilleures troupes au service de la Turquie. Pendant ma route, j'ai
+passé deux jours en allant, et trois en revenant, dans une caserne à
+Salone; et jamais je n'ai trouvé de soldats plus supportables, quoique
+j'aie été dans les garnisons de Gibraltar et de Malte, et que j'aie vu
+bon nombre de troupes espagnoles, françaises, siciliennes et anglaises.
+On ne m'a rien volé, et j'ai toujours été le bienvenu à partager leurs
+vivres et leur lait. Il n'y a pas une semaine, qu'un chef albanais
+(chaque village a son chef qui est appelé primat), après nous avoir aidé
+à sortir de la galère turque, lors de notre malheur, nous nourrit et
+nous logea, moi et ma suite, composée de Fletcher, un Grec, deux
+Athéniens, un prêtre grec, et mon compagnon, M. Hobhouse, et refusa de
+recevoir autre chose qu'un certificat de la bonne réception qu'il nous
+avait faite. Comme je le pressais de prendre au moins quelques sequins,
+«non, répondit-il, je veux que vous m'aimiez, et non pas que vous me
+payiez.» Ce sont là ses propres paroles.</p>
+
+<p>»Vous ne sauriez croire quelle est la valeur de l'argent dans ce
+pays-ci. Je n'avais rien à payer d'après les ordres du visir, mais
+depuis j'ai toujours eu seize chevaux, et généralement six ou sept
+hommes à mon service; et je n'ai pas dépensé la moitié de ce qu'il m'en
+a coûté pour passer trois semaines à Malte, quoique le gouverneur, sir
+A. Ball, m'ait donné une maison gratis, et que je n'eusse qu'un seul
+domestique. Je serais bien aise que H... fît des remises régulières, car
+je n'ai pas intention de rester à perpétuité dans cette province; qu'il
+m'écrive chez M. Strane, consul d'Angleterre à Patras. Le fait est que
+la fertilité des plaines est extraordinaire, les espèces fort rares, ce
+qui explique que tout y soit à bon marché. Je vais à Athènes pour y
+apprendre le grec moderne, qui diffère beaucoup du grec ancien, quoique
+les racines en soient les mêmes. Je n'ai pas envie de retourner en
+Angleterre; et je ne le ferai que si j'y suis forcé, comme, par exemple,
+si H... me négligeait. Je n'entrerai pas cependant en Asie avant un an
+ou deux, car j'ai bien des choses à voir en Grèce, et peut-être
+passerai-je en Afrique, ou du moins dans la partie Égyptienne.</p>
+
+<p>»Fletcher, comme tous les Anglais, est fort mécontent, cependant il est
+un peu réconcilié avec la Turquie, depuis que le pacha lui a fait
+présent de quatre-vingts piastres, qui, eu égard à la valeur de l'argent
+ici, équivalent presque à dix guinées anglaises. Il n'a rien eu à
+souffrir, si ce n'est du chaud, du froid et de la vermine, fléaux de
+tous ceux qui couchent dans les chaumières, dans des gorges de
+montagnes, dans les pays froids, et dont j'ai eu ma part comme lui; mais
+il n'est pas brave et a peur des voleurs et des tempêtes. Il n'y a
+personne en Angleterre au souvenir de qui je désire me recommander, et
+dont je veuille avoir des nouvelles. Je voudrais seulement recevoir une
+lettre de vous, et une ou deux de H... sur l'état de mes affaires;
+dites-lui de m'écrire. Pour moi, je vous écrirai quand je pourrai, et
+vous prie de me croire votre affectionné fils,»<br>
+
+<span class="rig">BYRON.</span><br></p>
+
+<p>Vers le milieu de novembre, notre jeune voyageur quitta Prévésa et se
+dirigea vers la Morée, à travers l'Acarnanie et l'Étolie, accompagné de
+son escorte de cinquante Albanais.</p>
+
+<p>En conséquence il prit une bande d'hommes sûrs pour traverser les vastes
+forêts de l'Acarnanie, hommes nés pour la guerre, et dont les rudes
+travaux ont rembruni le teint, jusqu'à ce qu'il aperçut les flots
+blanchissans de l'Achéloüs, et qu'il vit de l'autre côté les plaines
+fertiles de l'Étolie.<br>
+<span class="rig">(<i>Childe Harold</i>, ch. II.)</span><br></p>
+
+<p>Sa description d'une scène de nuit à Utraikey, petite place située dans
+l'une des baies du golfe d'Arta, est sans doute restée gravée dans la
+mémoire de nos lecteurs. Le plaisir que leur a causé la sauvage beauté
+de cette peinture ne sera point diminué quand nous leur aurons fait
+connaître, d'après le récit de M. Hobhouse, les circonstances réelles
+sur lesquelles elle est fondée:</p>
+
+<p>«Le soir, les portes étaient fermées, et l'on faisait les préparatifs
+nécessaires pour nourrir nos Albanais. On tuait un bouc, on le faisait
+rôtir tout entier; quatre feux étaient allumés dans la cour, autour
+desquels les soldats s'asseyaient en quatre troupes différentes. Après
+avoir bu et mangé, la plupart d'entre eux, tandis que nous et les chefs
+étions assis sur le gazon, s'assemblèrent autour du plus grand feu, et
+là se mirent à danser en rond sans autre musique que leurs propres
+chansons, mais en déployant une énergie étonnante. Toutes ces chansons
+se rapportaient à quelques exploits de voleurs fameux. L'une d'elles,
+qui les occupa plus d'une heure, commençait ainsi: «Quand nous partîmes
+de Parga, nous étions soixante: puis venait le refrain:</p>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p class="i20"> Tous voleurs à Parga,</p>
+<p class="i20"> Tous voleurs à Parga.</p>
+<br>
+<p class="i20"> Κλεφτεις ποτε Παργα,</p>
+<p class="i20"> Κλεφτεις ποτε Παργα.</p>
+</div></div>
+
+<p>»Quand ils mugissaient cette strophe, ils tournaient en rond autour du
+feu, tombaient sur leurs genoux, rebondissaient, et puis tournaient de
+nouveau en répétant le même refrain. Le bruissement des vagues sur la
+rive caillouteuse où nous étions assis remplissait les intervalles du
+chant d'une musique peut-être moins monotone et certainement plus douce.
+La nuit était très-sombre; mais au reflet des feux nous apercevions un
+peu les bois, les rochers et le lac, qui, avec l'apparence sauvage des
+danseurs, offraient une scène qui n'eût pas été perdue entre les mains
+d'un artiste organisé comme l'auteur des <i>Mystères d'Udolphe</i>.»</p>
+
+<p>Après avoir traversé l'Acarnanie, nos voyageurs passèrent l'Acheloüs, et
+arrivèrent, le 21 novembre, à Missolonghi. Ici il est impossible de ne
+pas nous arrêter, et de ne pas songer d'avance à cette triste visite
+qu'il y fit quinze ans après, quand, au milieu de sa carrière, et dans
+toute la plénitude de sa réputation, il vint donner sa vie pour la cause
+de ce pays qu'il traversait alors comme un simple et jeune étranger. Si
+quelque esprit lui eût alors révélé ce qui devait arriver dans cet
+intervalle; s'il lui avait montré, d'un côté, les triomphes qui
+l'attendaient, le pouvoir que son génie varié obtiendrait sur les cœurs
+pour les élever ou les abaisser, pour les éclairer ou les rendre plus
+sombres; et s'il eût placé d'un autre côté les inconvéniens attachés à
+ce don funeste: la fatigue et le dégoût que l'imagination donne à l'ame;
+les ravages de ce feu intérieur qui dévore celui qui le possède, tandis
+qu'il éblouit les autres; l'envie que tant de grandeur excite parmi les
+autres hommes; la vengeance qu'ils tirent de celui qui les force à
+regarder si haut pour l'admirer; on peut se le demander, eût-il accepté
+la gloire à de telles conditions? N'aurait-il pas senti, au contraire,
+que c'était l'acheter à trop haut prix, et que cet état de guerre
+continuel contre le monde entier pendant sa vie ne serait que faiblement
+récompensé par une immortalité que ce même monde serait obligé de lui
+accorder après son trépas?</p>
+
+<p>À Missolonghi, il renvoya tous ses Albanais, à l'exception d'un seul,
+nommé Dervish, qu'il prit à son service, et qui demeura avec lui pendant
+tout le tems qu'il fut en Orient, avec Basile, le domestique que lui
+avait donné Ali-Pacha. Après avoir habité près de quinze jours à Patras,
+il se dirigea sur Vostitza. En approchant de cette ville, le sommet
+neigeux du Parnasse, s'élevant comme une tour de l'autre côté du golfe,
+s'offrit pour la première fois à ses yeux. Deux jours après, dans les
+bosquets sacrés de Delphes, il écrivit les stances que cette vue lui
+avait inspirées, et qui commencent ainsi:</p>
+
+<p>Ô toi, Parnasse! que je vois maintenant, non comme l'imagination te
+présente souvent dans les songes du poète endormi, etc.</p>
+
+<p>C'est vers cette époque que, se promenant à cheval, au pied du Parnasse,
+il vit dans les airs voler une troupe considérable d'aigles, phénomène
+qui semble avoir frappé son imagination d'une sorte de superstition
+poétique; car il y fait plus d'une fois allusion dans son journal. «Me
+rendant à la fontaine de Delphes (Castri), en 1809, je vis une troupe de
+douze aigles, et j'acceptai le présage, bien que Hobhouse soutînt,
+probablement par plaisanterie, que c'étaient des vautours. J'avais la
+veille composé les vers sur le Parnasse, dans <i>Childe Harold</i>; en voyant
+ces oiseaux, j'espérai qu'Apollon avait agréé mon hommage. Du moins,
+j'ai eu le nom et la réputation de poète dans l'âge réellement poétique
+de la vie, de vingt à trente. Si cela continuera, c'est une autre
+question.»</p>
+
+<p>Dans son journal, en racontant son départ de Patras, il cite une
+anecdote qui fera honneur à son humanité aux yeux de tous ceux qui ne
+seront point chasseurs. «Le dernier oiseau sur lequel j'ai tiré fut un
+aiglon, sur le bord du golfe de Lépante, près Vostitza. Il n'était que
+blessé, et je voulus le sauver; son œil était si brillant! Mais il
+languit et mourut en peu de jours. Je n'ai jamais essayé depuis et
+jamais je n'essaierai de tuer un autre oiseau.»</p>
+
+<p>Peu de choses étonnent autant les voyageurs en Grèce que l'extrême
+petitesse de ces pays qui ont occupé si long-tems les cent bouches de la
+renommée. «On pourrait, dit M. Hobhouse, sans trop presser son cheval,
+aller de Livadie à Thèbes et revenir entre le déjeuner et le dîner, et,
+sans bagage, faire facilement, en deux jours, le tour de la Béotie.»
+Après avoir visité en très-peu de tems les fontaines de Mémoire et
+d'Oubli, à Livadie, et les retraites d'Apollon Isménien, à Thèbes, nos
+voyageurs tournèrent enfin leurs pas vers Athènes, l'objet de leurs
+rêves poétiques, traversèrent le mont Cythéron, et arrivèrent en vue des
+ruines de Philé, la veille de Noël 1809.</p>
+
+<p>Quoique le poète nous ait laissé dans ses vers le témoignage immortel de
+l'enthousiasme avec lequel il contempla les scènes qui s'offrirent alors
+à ses regards, il n'est pas difficile de concevoir que, pour des
+observateurs superficiels, il put paraître spectateur insensible de
+mille choses qui jettent le voyageur ordinaire en extase, du moins en
+paroles. Il professa toute sa vie le plus souverain mépris pour tout ce
+qui est affecté, soit en matière de goût, soit en matière de morale;
+souvent il déguisa le sentiment vrai de son admiration sous un dehors
+d'indifférence et de moquerie par haine pour le charlatanisme de ceux
+qu'il voyait s'extasier à froid et sans rien ressentir réellement. Il
+faut avouer aussi qu'il étendait à des sentimens vrais, mais pour
+lesquels il n'éprouvait pas de sympathie, le dégoût que lui inspiraient
+ceux qui n'étaient qu'affectés; ainsi il ne comprit jamais le mérite et
+les jouissances d'un antiquaire ou d'un amateur d'objets d'art. «Je ne
+fais point de collections, dit-il dans une note de <i>Childe Harold</i>, et
+je ne les admire pas du tout.» Il ne faisait aucun cas des antiquités, à
+moins qu'elles ne se rattachassent à quelques grands noms ou à quelques
+grands événemens. Pour les objets d'art, il se contentait d'admirer leur
+effet général, sans se piquer d'aucune connaissance des détails. C'était
+à la nature, dans ses scènes solitaires de grandeur et de beauté, ou,
+comme à Athènes, brillante d'un éclat toujours le même au milieu des
+ruines de la gloire et des arts, qu'il payait sans restriction l'hommage
+de son ame ardente. Dans le petit nombre de notes sur les voyages qu'il
+a jointes à <i>Childe Harold</i>, l'on voit qu'il aime beaucoup mieux
+s'occuper des sites et du pittoresque qu'offrent les lieux qu'il a
+visités que des souvenirs classiques ou historiques qui peuvent s'y
+rattacher. En prose ou en vers, il revient à la vallée de Zitza avec
+plus de plaisir qu'à Delphes ou aux rives de la Troade; et ce qui le
+frappe le plus vivement dans la plaine d'Athènes, c'est que «la vue y
+est plus belle encore qu'à Cintra ou à Istamboul.» Où la nature
+pouvait-elle en effet avoir plus de droit à son adoration que dans ces
+contrées où il la voyait briller d'une beauté toujours jeune, toujours
+la même au milieu des ruines de ce que l'homme avait jugé le plus digne
+de durée? «Les institutions humaines périssent, dit Harris; mais la
+nature ne change pas.» Lord Byron a paraphrasé cette pensée<a id="footnotetag126" name="footnotetag126"></a>
+<a href="#footnote126"><sup class="sml">126</sup></a>, en
+l'embellissant:</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote126"
+name="footnote126"><b>Note 126: </b></a><a href="#footnotetag126">
+(retour) </a> Le passage renferme la substance de toute la
+ strophe:
+
+<p> «Malgré les diverses fortunes d'Athènes, considérée comme
+ cité, l'Attique est encore fameuse pour ses oliviers, et
+ l'Hymète pour son miel. Les institutions humaines périssent,
+ mais la nature ne change pas.»<br>
+ <span class="rig">(<i>Recherches philologiques</i>.)</span><br></p>
+
+<p> Je me rappelle que je fis un jour remarquer à Lord Byron
+ cette coïncidence, mais il m'assura qu'il n'avait jamais lu
+ cet ouvrage d'Harris.</p></blockquote>
+
+<p>Cependant ton ciel est aussi bleu, tes rochers aussi sauvages, tes
+bosquets aussi agréables, tes prairies aussi verdoyantes, ton olive
+aussi mûre, que quand tu florissais sous la protection de Minerve!
+L'Hymète offre encore aux hommes les trésors de son miel divin; libre
+voyageuse errante dans les plaines de l'air, l'abeille construit
+toujours gaîment sur tes montagnes sa forteresse parfumée. Apollon dore
+toujours de ses feux tes longs étés, et sous ses rayons brillent
+toujours les marbres de Mendeli! Les arts, la gloire, la liberté, tout
+passe, tout périt, excepté la nature, elle est toujours belle.<br>
+
+<span class="rig">(<i>Childe Harold</i>, ch. II.)</span><br></p>
+
+<p>Cette première visite à Athènes dura deux ou trois mois, pendant
+lesquels il ne laissa pas passer un seul jour sans consacrer quelques
+heures à parcourir les grands monumens du génie ancien, et sans évoquer,
+pour ainsi dire, du milieu de leurs ruines l'esprit des siècles écoulés.
+Il faisait aussi des excursions fréquentes dans différentes parties de
+l'Attique. Un jour qu'il visitait le cap Colonne, il fut au moment
+d'être enlevé par un parti de Maniotes cachés sous le rocher de Minerve
+Sunias. Ces pirates, à ce que lui raconta depuis un Grec qui alors était
+leur prisonnier, n'osèrent l'attaquer, persuadés que les deux Albanais
+qu'ils voyaient à ses côtés, n'étaient qu'une partie d'une escorte plus
+respectable laissée à portée de venir promptement à son secours.</p>
+
+<p>Outre le pouvoir magique de ses souvenirs et de son paysage, la ville de
+Minerve possédait un attrait d'une autre sorte pour notre poète, auquel,
+en quelque lieu qu'il portât ses pas, son cœur ou plutôt son imagination
+n'était que trop sensible. On dit que sa jolie romance: «Jeune vierge
+d'Athènes, avant que nous nous séparions,» fut adressée à la fille aînée
+de la dame grecque chez laquelle il était logé, et il est assez probable
+que la belle Athénienne ait été maîtresse de son imagination au moment
+où il composa ces vers. Théodora Macri, son hôtesse, était la veuve d'un
+vice-consul d'Angleterre; son principal revenu provenait de la location
+aux étrangers, et surtout aux voyageurs anglais, des appartemens
+qu'occupèrent alors Lord Byron et son ami; ce dernier nous en donne la
+description suivante: «Notre logement consistait en un salon et deux
+chambres à coucher, donnant sur une cour où se trouvaient cinq ou six
+citronniers, d'où l'on tira le fruit qui assaisonna notre pilau et les
+autres mets nationaux servis sur notre table frugale.»</p>
+
+<p>La renommée d'un poète illustre ne s'attache pas seulement à sa personne
+et à ses écrits, une partie se reflète sur tout ce qui a eu avec lui un
+rapport même éloigné. Non-seulement elle ennoblit les objets de ses
+amitiés, de ses amours et de ses goûts; mais les lieux même où il a
+vécu, où il a séjourné, acquièrent une célébrité qui ne s'efface pas
+aisément. La jeune fille d'Athènes, quand elle prêtait innocemment
+l'oreille aux complimens du jeune Anglais, ne se doutait guère qu'il dût
+rendre son nom et sa maison si célèbres, qu'à leur retour de Grèce, les
+voyageurs ne trouveraient rien de plus intéressant à donner à leurs
+lecteurs que les détails suivans sur elle et sa famille:</p>
+
+<p>«Nous rencontrâmes, dit M. Hobhouse, à la porte notre valet qui était
+allé devant pour nous chercher des logemens, et nous conduisit chez
+Théodora Macri, la veuve du vice-consul, où nous sommes actuellement.
+Cette dame a trois filles fort jolies; l'aînée est vraiment une beauté;
+c'est elle, dit-on, qui inspira à Lord Byron cette fameuse romance:</p>
+
+<p>Jeune vierge d'Athènes, avant que nous nous séparions, rends-moi,
+rends-moi mon cœur, etc., etc.</p>
+
+<p>»À Orchomènes, où était le temple des Grâces, je fus près de m'écrier:
+Où les grâces se sont-elles enfuies? Je ne m'attendais pas à les
+retrouver ici. Et cependant voici venir l'une avec des coupes dorées et
+du café, et l'autre avec un livre. Ce livre est un registre de noms, et
+il en est quelques-uns que la renommée est habituée à prononcer. Parmi
+eux se trouve celui de Lord Byron, lié aux vers que je vais transcrire:</p>
+
+<p>La noble Albion voit en souriant partir son fils pour aller visiter le
+berceau des arts; son but est noble; belle est l'entreprise; il vient à
+Athènes, et... écrit son nom.</p>
+
+<p>»En forme de contrepoids, Lord Byron écrivit au-dessous:</p>
+
+<p>Ce poète modeste, comme beaucoup de poètes inconnus, rimaille sur nos
+noms et cache le sien; mais quel qu'il soit, pour ne rien dire de pis,
+son nom lui ferait plus d'honneur que ses vers.</p>
+
+<p>»En écrivant ces mots, <i>les trois Grâces athéniennes</i>, j'ai, je n'en
+doute pas, fait naître votre curiosité et enflammé votre imagination, et
+je ne dois pas compter sur votre attention que je ne vous en aie donné
+quelque portrait. Leur appartement est justement en face du nôtre; et si
+vous pouviez les voir comme nous les voyons en ce moment à travers les
+plantes aromatiques qui se balancent doucement sur notre fenêtre, vous
+laisseriez votre cœur à Athènes.</p>
+
+<p>»Thérésa, la vierge d'Athènes, Katinka et Mariana sont de taille
+moyenne. Chacune d'elles porte sur le sommet de la tête une petite
+calotte albanaise de couleur rouge, surmontée d'une tassette bleue, qui
+s'étend et se rattache par le bas comme une étoile. Au bord de cette
+calotte est un mouchoir de couleurs variées roulé autour des tempes. La
+plus jeune porte ses cheveux détachés tombant sur les épaules presque
+jusqu'à la ceinture, et mêlés suivant l'usage avec des tresses de soie.
+Les cheveux des deux aînées sont le plus souvent attachés et retenus
+sous le mouchoir. Leur vêtement de dessus est une pelisse bordée de
+fourrures, tombant lâche jusqu'à la cheville; dessous est un mouchoir de
+mousseline qui couvre le sein et se termine à la taille qui est courte.
+En dessous est une robe de soie ou de mousseline rayée, s'élargissant un
+peu au-dessus de la ceinture, et retombant sur le devant d'une manière
+gracieuse et négligée; des bas blancs et des pantoufles jaunes
+complètent le costume. Les deux aînées ont les yeux et les cheveux
+noirs, le visage ovale, le teint un peu pâle et les dents d'une
+blancheur éblouissante. Leurs joues sont arrondies, leur nez droit avec
+quelque chose d'aquilin. La plus jeune, Mariana, est très-blonde; sa
+figure n'est pas aussi joliment arrondie, mais a une expression plus
+gaie que celle de ses sœurs, qui ont l'air assez pensif, excepté quand
+la conversation prend une tournure animée. Leur taille est élégante,
+leurs manières distinguées et susceptibles de plaire dans tous les pays
+possibles. Leur conversation est fort agréable, et leur esprit paraît
+plus cultivé que ne l'est généralement celui des dames grecques. Avec de
+tels avantages, il serait bien étonnant qu'elles n'attirassent pas
+l'attention des voyageurs qui visitent occasionnellement Athènes. Elles
+s'asseoient à la manière orientale, le corps légèrement incliné, les
+jambes ramassées sous elles sur le divan et sans souliers. Elles
+s'occupent à coudre, à jouer du tambour de basque et à lire.</p>
+
+<p>»J'ai dit que j'avais vu ces beautés grecques à travers les balancemens
+des plantes aromatiques qui décorent leurs fenêtres; peut-être cela
+pourrait-il vous donner une trop haute idée de leur position. Votre
+imagination vous représente peut-être déjà leurs maisons pleines de tous
+les attributs du luxe oriental. Les coupes d'or ont pu aussi opérer
+quelque enchantement sur vos idées. Avouez-le; ne vous représentez-vous
+pas--</p>
+
+<p>Les portes demi-ouvertes donnant sur de longues galeries où l'on ne
+saurait décrire tout ce que l'œil rencontre d'élégance et de grandeur;
+l'orgueil de la Turquie et de la Perse: des coussins jetés sur des
+coussins, des tapis sur des tapis, d'immenses ottomanes, des oreillers
+innombrables pour relever la tête, de manière que chaque appartement
+paraît un lit grand et moëlleux?</p>
+
+<p>»Vous verrez bientôt pourquoi j'ai différé jusqu'à ce moment; apprenez
+que les plantes aromatiques dont je viens de vous parler ne sont ni plus
+ni moins que quelques pauvres géraniums et quelques baumes grecs, et que
+la chambre dans laquelle se tiennent ces dames est presque dégarnie de
+meubles, que les murs n'en ont été ni peints ni décorés par une main
+habile. Que serait-il advenu de mes grâces, si je vous avais dit plus
+tôt qu'une seule chambre est tout le logement qu'elles possèdent, à
+l'exception d'un petit cabinet et d'une petite cuisine? Vous voyez
+combien j'ai pris soin que la première impression leur fût avantageuse;
+non qu'elles ne méritent toute espèce d'éloges, mais parce qu'il est
+dans la nature auguste et fière de l'homme de faire peu de cas du mérite
+et même de la beauté, si ces avantages ne sont pas relevés d'un peu de
+pompe mondaine. Maintenant je vais vous communiquer un secret, mais
+confidentiellement et à voix basse.</p>
+
+<p>»Ces dames, depuis la mort du vice-consul leur père, n'ont pas d'autres
+ressources pour exister que de louer à des étrangers la chambre et le
+cabinet que nous occupons dans ce moment; mais quoiqu'elles soient si
+pauvres, leur vertu n'est pas moins remarquable que leur beauté.</p>
+
+<p>»Et toutes les richesses de l'Orient ou tous les vers flatteurs du
+premier poète de l'Angleterre ne pourraient les rendre aussi réellement
+dignes d'amour et d'admiration<a id="footnotetag127" name="footnotetag127"></a>
+<a href="#footnote127"><sup class="sml">127</sup></a>
+.»</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote127"
+name="footnote127"><b>Note 127: </b></a><a href="#footnotetag127">
+(retour) </a> <i>Voyages en Italie, en Grèce</i>, etc., par H. W.
+ Williams.</blockquote>
+
+<p>Dix semaines s'étaient rapidement passées, quand l'offre inattendue d'un
+passage à bord d'une corvette anglaise détermina nos voyageurs à se
+préparer immédiatement au départ; et le 5 mars, ils quittèrent Athènes,
+quoique avec beaucoup de regret. «Après avoir passé, dit encore M.
+Hobhouse, par la porte qui conduit au Pyrée, nous lançâmes nos chevaux
+au galop dans le bois d'oliviers sur la route de Salamine, espérant par
+notre précipitation étourdir un peu la douleur du départ. Nous ne
+pouvions nous empêcher de regarder derrière nous en nous rendant au
+rivage, et nous continuâmes de fixer les yeux sur le point où à travers
+la clairière du bois, nous avions entrevu pour la dernière fois le
+temple de Thésée et les ruines du Parthénon; nous continuâmes ainsi
+plusieurs minutes après que la ville et l'Acropolis eurent entièrement
+disparu à notre vue.»</p>
+
+<p>À Smyrne, Lord Byron se logea dans la maison du consul général, et y
+demeura jusqu'au 11 avril, excepté deux ou trois jours qu'il employa à
+visiter les ruines d'Éphèse. Ce fut à cette époque qu'il termina les
+deux premiers chants de <i>Childe Harold</i>, comme on le voit par une note
+écrite de sa main sur le manuscrit original de ce poème: «Commencé le 31
+octobre 1809, à Janina en Albanie; fini le second chant, à Smyrne, le 28
+mars 1810.--<span class="sc">Byron</span>.»</p>
+
+<p>La seule lettre un peu intéressante, datée de Smyrne, que je puisse
+offrir au lecteur, est la suivante:</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE XLI.</h3>
+
+<h4>À MRS. BYRON.</h4>
+
+<p class="rig">Smyrne, 19 mars 1810.</p><br><br>
+
+<p><span class="sc">Ma chère Mère</span>,</p>
+
+<p>«Je ne puis pas vous écrire une longue lettre; mais comme je crois que
+vous ne serez pas fâchée de savoir où j'en suis de mes voyages, je vous
+prie d'accepter le peu de détails que je puis vous donner. J'ai traversé
+la plus grande partie de la Grèce, outre l'Épire, etc.; j'ai résidé dix
+semaines à Athènes, et je me rends maintenant à Constantinople par la
+route d'Asie. Je viens de visiter les ruines d'Éphèse, à une journée de
+Smyrne. J'espère que vous avez reçu une longue lettre que je vous ai
+écrite d'Albanie, où je vous donnais quelques détails sur la réception
+que m'a faite le pacha de cette province.</p>
+
+<p>»C'est en arrivant à Constantinople que je déciderai si je dois aller
+jusqu'en Perse, ou revenir sur mes pas. Je ne prendrai ce dernier parti
+que si je ne puis l'éviter. Mais je n'entends pas parler de M. H..., et
+je n'ai reçu de vous qu'une seule lettre. J'aurai besoin de fonds, soit
+que j'avance ou que je revienne. Je lui ai écrit plusieurs fois, pour
+qu'il ne prétende pas, pour s'excuser, qu'il ne connaissait pas ma
+situation. Je ne puis encore vous rien dire sur quoi que ce soit; le
+tems et l'occasion me manquent, car la frégate repart immédiatement. Il
+est vrai que plus je vais, plus ma paresse augmente; et mon aversion
+pour tout commerce épistolaire s'accroît de jour en jour. Je n'ai écrit
+à personne qu'à vous et à M. H..., et c'est moins par inclination que
+par devoir et par nécessité.</p>
+
+<p>»F*** est fort dégoûté par les fatigues, quoiqu'il n'en ait point enduré
+que je n'aie partagées. C'est une pauvre créature. Les domestiques
+anglais sont en vérité de détestables voyageurs. J'ai avec lui deux
+soldats albanais et un interprète grec, tous parfaits dans leur genre.
+La Grèce est délicieuse, surtout dans les environs d'Athènes. Partout
+des cieux sans nuages et des paysages charmans. Mais je dois remettre à
+notre première entrevue tout récit de mes aventures. Je ne tiens pas de
+journal, mais mon ami H... ne cesse d'écrire. Prenez soin, je vous prie,
+de Murray et de Robert, et dites à ce dernier qu'il est fort heureux
+pour lui qu'il ne m'ait pas accompagné en Turquie. N'attribuez cette
+lettre qu'au désir de vous assurer que je suis sain et sauf, et
+croyez-moi, etc.»<br>
+
+<span class="rig">BYRON.</span><br></p>
+
+<p>Le 11 avril, il partit de Smyrne sur la frégate <i>la Salsette</i>, qui avait
+reçu l'ordre de se rendre à Constantinople, pour ramener l'ambassadeur,
+M. Adair, en Angleterre; et après avoir exploré les ruines de la Troade,
+il arriva aux Dardanelles au commencement du mois suivant. Il écrivit
+les lettres qu'on va lire, à ses amis, MM. Drury et Hodgson, pendant que
+la frégate était à l'ancre dans ce détroit.</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE XLII.</h3>
+
+<h4>À M. DRURY.</h4>
+
+<p class="rig">A bord de la <i>Salsette</i>, 3 mai 1810.</p><br><br>
+
+<p><span class="sc">Mon cher Drury</span>,</p>
+
+<p>«Lorsque je quittai l'Angleterre, il y a bientôt un an, vous me priâtes
+de vous écrire. C'est ce que je me propose de faire. J'ai traversé le
+Portugal et le midi de l'Espagne, visité la Sardaigne, la Sicile, Malte,
+et de là j'ai poussé jusqu'en Turquie, où je suis encore à rôder.
+Débarqué d'abord en Albanie, l'Épire d'autrefois, j'ai pénétré jusqu'au
+mont Tomarit, parfaitement accueilli par le gouverneur, Ali-Pacha; et,
+après avoir parcouru l'Illyrie, la Chaonie, etc., j'ai traversé le golfe
+d'Actium avec une garde de cinquante Albanais, et passé l'Achéloüs pour
+me rendre en Étolie par l'Acarnanie.</p>
+
+<p>»Après un court séjour en Morée, nous avons traversé le golfe de
+Lépante, pris terre au pied du Parnasse, vu tout ce qui reste de
+Delphes, et continué ainsi jusqu'à Thèbes et Athènes, dans la dernière
+desquelles nous avons passé deux mois et demi.</p>
+
+<p>»Le vaisseau de S. M. <i>le Pylade</i> nous a transportés à Smyrne; mais nous
+avions auparavant étudié la topographie de l'Attique, sans oublier
+Marathon et le promontoire de Sunium. Après Smyrne, notre second relai
+fut la Troade, que nous visitâmes tandis que le navire était à l'ancre,
+où il resta pendant quinze jours, vis-à-vis la tombe d'Antiloque.
+Maintenant nous voilà dans les Dardanelles, en attendant le vent pour
+nous rendre à Constantinople.</p>
+
+<p>»Ce matin, j'ai parcouru à la nage le trajet de Sestos à Abydos. La
+distance directe n'est pas de plus d'un mille; mais, en raison du
+courant, la traversée n'est pas sans danger; il y en a même assez pour
+que je doute que l'affection conjugale de Léandre n'ait pas été un peu
+refroidie par le passage.</p>
+
+<p>»Je l'essayai il y a huit jours, mais je n'y pus réussir, à cause du
+vent du Nord et de l'étonnante rapidité du courant, quoique j'aie
+toujours été, depuis mon enfance, un rude nageur. Mais ce matin, par un
+tems plus calme, j'y suis parvenu, et j'ai traversé le <i>large
+Hellespont</i> en une heure dix minutes.</p>
+
+<p>»Eh bien, mon cher monsieur, j'ai quitté mon foyer, et visité quelques
+parties de l'Afrique et de l'Asie, outre une raisonnable portion de
+l'Europe. J'ai vécu avec des généraux et des amiraux, des princes et des
+pachas, des gouverneurs et des <i>ingouvernables</i>; mais je n'ai ni tems ni
+papier pour m'étendre. Je suis bien aise de vous dire que je conserve
+pour vous des souvenirs d'amitié, et que je vis dans l'espérance de vous
+revoir un jour; et si je vous écris aussi brièvement que possible,
+attribuez-le à tout autre cause qu'à l'oubli.</p>
+
+<p>»Vous connaissez trop bien la Grèce ancienne et moderne pour qu'il soit
+besoin de vous la décrire. J'ai, il est vrai, mieux vu l'Albanie
+qu'aucun autre Anglais, que je sache, excepté un M. Leake; car c'est un
+pays que l'on visite rarement, à cause du caractère farouche des
+<i>natifs</i>; il offre cependant plus de beautés pittoresques que les
+contrées classiques de la Grèce, malgré toutes les merveilleuses beautés
+de ces dernières, surtout vers Delphes et le cap Colonne en Attique.
+Elles sont loin néanmoins d'égaler certaines parties de l'Illyrie et de
+l'Épire, où des lieux sans nom et des rivières oubliées sur la carte et
+un jour peut-être mieux appréciées, obtiendront des peintres et des
+poètes la préférence sur les rigoles desséchées de l'Ilyssus, et les
+fondrières de la Béotie.</p>
+
+<p>»La Troade offre un champ vaste aux faiseurs de conjectures et aux
+tireurs de bécassines; un bon chasseur et un savant ingénieux peuvent
+sur ce terrain exercer avec grand avantage leurs jambes et leur
+entendement; ou, s'ils préfèrent aller à cheval, ils peuvent s'y tromper
+de route, comme cela m'est arrivé, et s'embourber dans un maudit
+marécage formé par le Scamandre, qui serpente deçà et delà comme si les
+vierges troyennes allaient encore lui apporter leur tribut accoutumé. Il
+n'existe aujourd'hui d'autres vestiges de Troie, ou de ses destructeurs,
+que les tertres qui renferment, à ce que l'on suppose, les squelettes
+d'Achille, d'Antiloque, d'Ajax, etc. Mais le mont Ida lève encore son
+front superbe; quoique les bergers de nos jours ne ressemblent guère à
+Ganymède. Mais à quoi bon vous parler plus long-tems de choses qui sont
+décrites tout au long dans le <i>book of Gell</i>? Et H*** n'a-t-il pas écrit
+un journal? Quant à moi, je n'en tiens pas; car j'ai renoncé à tout
+griffonnage. Je ne vois pas grande différence entre les Turcs et nous,
+si ce n'est qu'ils n'ont pas de <i>culottes</i>, et que nous en avons; qu'ils
+portent des habits longs, et nous des habits courts; qu'ils parlent peu,
+et nous beaucoup. Ce sont des gens fort raisonnables. Ali-Pacha m'a dit
+qu'il était sûr que j'étais né dans un rang élevé, par ce que j'ai les
+oreilles et les mains petites et des cheveux bouclés. Je vous dirai, en
+passant, que je parle passablement le romaïque ou grec moderne: il ne
+diffère pas des anciens dialectes autant que vous pourriez le penser;
+mais la prononciation en est diamétralement opposée. Quant à la poésie,
+si elle n'est rimée, ils n'en ont pas la moindre idée.</p>
+
+<p>»J'aime les Grecs. Ce sont des fripons adroits qui ont tous les vices
+des Turcs, sans avoir leur courage. Quelques-uns cependant sont braves:
+tous sont beaux, et ressemblent beaucoup au buste d'Alcibiade. Les
+femmes sont un peu moins belles. Je sais jurer en turc; mais, excepté un
+effroyable jurement et les mots qui signifient entremetteur, pain et
+eau, je connais peu le vocabulaire de cette langue. Ils sont extrêmement
+polis envers les étrangers de tout rang, pourvu qu'ils soient
+convenablement protégés; et comme j'ai deux domestiques et deux soldats,
+nous faisons grand fracas. Nous avons parfois couru risque d'être
+dévalisés, et une fois de faire naufrage; mais nous nous en sommes tirés
+le mieux du monde.</p>
+
+<p>»À Malte, j'ai été fort épris d'une femme mariée, et j'ai provoqué un
+aide-de-camp du général ***, grossier personnage, qui s'était offensé de
+quelque chose, je n'ai jamais bien su de quoi; mais il donna des
+explications, fit des excuses, la dame s'embarqua pour Cadix, et
+j'échappai ainsi à l'accusation de meurtre et d'adultère. J'ai envoyé
+quelques détails sur l'Espagne à notre ami Hodgson; mais depuis ce
+tems-là je n'ai écrit à personne, excepté quelques billets à des parens
+et à des gens de loi, pour m'en débarrasser. Je me propose de rompre
+tout commerce, à mon retour, avec plusieurs de mes meilleurs amis, que
+je regarde au moins comme tels, et de gronder toute ma vie. Mais
+j'espère, avant de me faire tout-à-fait cynique, rire encore de bon cœur
+avec vous, embrasser Dwyer, et trinquer avec Hodgson.</p>
+
+<p>»Dites au docteur Butler que je me sers en ce moment de la plume d'or
+qu'il me donna avant mon départ: c'est pour cela que ma pancarte est
+moins lisible qu'à l'ordinaire. J'ai été à Athènes, et j'ai vu des
+gerbes de ces roseaux à écrire dont il refusa de me donner quelques-uns,
+parce que le topographe Gell les avait apportés de l'Attique. Mais vous
+n'aurez pas de descriptions, non; vous voudrez bien vous contenter de
+quelques détails jusqu'à mon retour. Mais alors nous ouvrirons toutes
+les écluses de la conversation. Je suis sur une frégate de trente-six,
+qui va chercher Rob Adair à Constantinople: c'est lui qui aura l'honneur
+de vous porter cette lettre.</p>
+
+<p>»Ainsi donc le livre de H***<a id="footnotetag128" name="footnotetag128"></a>
+<a href="#footnote128"><sup class="sml">128</sup></a> a pris son essor avec quelques
+sentimentales chansonnettes de ma façon, pour remplir le volume. Quel
+succès a-t-il, eh? et où diable en est la seconde édition de ma satire
+avec les additions, et mon nom au bas du titre, et les vers nouveaux
+cloués à la fin, et un nouvel exorde, et je ne sais quoi encore, le tout
+sorti tout chaud de mon atelier avant que j'eusse franchi la Manche? La
+Méditerranée et l'Atlantique étendent leurs flots entre la critique et
+moi; et les mugissemens de l'Hellespont couvrent le bruit des foudres de
+la <i>Revue hyperboréenne</i>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote128"
+name="footnote128"><b>Note 128: </b></a><a href="#footnotetag128">
+(retour) </a> Les mélanges auxquels j'ai renvoyé plusieurs
+ fois.</blockquote>
+
+<p>«Rappelez-moi au souvenir de Claridge, s'il n'est pas rentré au collége,
+et présentez à Hodgson les assurances de ma haute considération. Vous
+allez me demander ce que je me propose de faire; et je vais vous
+répondre que je n'en sais rien. Il est possible que je m'en retourne
+dans quelques mois; mais j'ai des desseins et des projets pour le tems
+qui suivra mon séjour à Constantinople. Cependant Hobhouse sera
+probablement de retour en septembre.</p>
+
+<p>«Le 2 juillet, il y aura un an que nous sommes partis d'Albion,
+<i>oblitusque meoruni obliviscendus et illis</i>. J'étais las de mon pays, et
+fort peu prévenu en faveur de tout autre; mais <i>je traîne ma chaîne sans
+l'alonger, en changeant de lieu</i>. Je suis comme le joyeux meunier qui ne
+se souciait de personne, et dont personne ne se souciait. À mes yeux
+tout pays en vaut à peu près un autre. Je fume, j'ouvre de grands yeux
+pour mieux voir les montagnes, et je relève ma moustache avec une fière
+indépendance. Nulle privation ne m'afflige, et les moustiques qui
+martyrisent le corps maladif de H*** ne font, par bonheur, aucun effet
+sur le mien, parce que je vis avec plus de tempérance.</p>
+
+<p>»Dans mon catalogue j'ai oublié Éphèse, que j'ai visitée pendant mon
+séjour à Smyrne; mais le temple est presque entièrement détruit, et il
+serait bien superflu que saint Paul se donnât la peine d'adresser de
+nouvelles épîtres à la race actuelle des Éphésiens, qui ont converti en
+mosquée une vaste église construite entièrement en marbre; et je ne me
+suis pas aperçu que l'édifice en fît plus mauvaise figure.</p>
+
+<p>»Mon papier est rempli, mon encre est épuisée; bon soir! Si vous
+m'adressez une lettre à Malte, on me la fera parvenir quelque part que
+je sois. H*** vous fait ses complimens. Il soupire pour sa poésie, au
+moins pour en avoir quelques nouvelles. J'oubliais presque de vous dire
+que je meurs d'amour pour trois jeunes Athéniennes qui sont sœurs. Je
+logeais dans la même maison qu'elles. Ces divinités se nomment Thérésa,
+Mariana et Katinka<a id="footnotetag129" name="footnotetag129"></a>
+<a href="#footnote129"><sup class="sml">129</sup></a>: aucune des trois n'a encore quinze ans.</p>
+
+<p>»Votre τατεινοτατος δουλος<a id="footnotetag130" name="footnotetag130"></a>
+<a href="#footnote130"><sup class="sml">130</sup></a>.»<br>
+
+<span class="rig">BYRON.</span><br></p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote129"
+name="footnote129"><b>Note 129: </b></a><a href="#footnotetag129">
+(retour) </a> Il a adopté ce nom dans la description du sérail,
+ ch. VI, de <i>Don Juan</i>. Ce fut, si j'ai bonne mémoire, en
+ faisant la cour à une de ces jeunes filles qu'il lui donna
+ une marque d'amour fort en usage dans le levant, en se
+ faisant, avec son poignard, une blessure à la poitrine. La
+ jeune Athénienne, à ce qu'il m'a raconté, conserva tout son
+ sang-froid durant cette opération, qu'elle regardait comme un
+ juste tribut offert à sa beauté; mais elle n'en fut pas plus
+ disposée à lui être favorable.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote130"
+name="footnote130"><b>Note 130: </b></a><a href="#footnotetag130">
+(retour) </a> Très-humble serviteur.</blockquote>
+<br><br>
+<h3>LETTRE XLIII.</h3>
+
+<h4>À M. HOGDSON.</h4>
+
+<p class="mid">À bord de la <i>Salsette</i>, détroit des Dardanelles, à la hauteur d'Abydos,
+le 5 mai 1810.</p>
+
+<p>«Je suis en route pour Constantinople, après avoir parcouru la Grèce,
+l'Épire, etc., et une partie de l'Asie Mineure, voyage dont je viens de
+communiquer quelques particularités à H. Drury, notre ami et notre hôte.
+Je m'abstiendrai donc de vous les répéter; mais comme vous serez
+peut-être bien aise d'apprendre que je me porte bien, etc., je saisis
+l'occasion du retour de notre ambassadeur pour vous adresser le peu de
+lignes que j'ai le tems d'écrire à la hâte. Nous avons éprouvé quelques
+inconvéniens et couru quelques périls, mais il ne nous est rien arrivé
+d'assez intéressant pour vous en entretenir, à moins que vous ne jugiez
+digne de votre attention le trajet de Sestos à Abydos, que j'ai fait à
+la nage, il y a deux jours. Si vous y joignez quelques alertes données
+par les voleurs, la crainte d'un naufrage sur une galère turque, il y a
+six mois, ma visite à un pacha, ma passion pour une femme mariée, à
+Malte, un défi à un officier, mes amours avec trois jeunes Athéniennes,
+avec une profusion de bouffonneries, et de beaux points de vue, vous
+connaîtrez tous les événemens qui, depuis mon départ d'Espagne, ont
+marqué ce voyage.</p>
+
+<p>»H*** fait des vers et écrit son journal; moi, je regarde et ne fais
+rien; à moins qu'on ne considère la distraction de fumer comme un
+amusement actif. Les Turcs surveillent trop leurs femmes pour qu'il soit
+possible de les observer beaucoup. Mais j'ai vécu avec bon nombre de
+Grecs, dont je connais le dialecte tout autant qu'il m'est nécessaire
+pour converser un peu. J'ai fait aussi parmi les Turcs quelques
+connaissances, en hommes. Quant à la société des femmes, il n'y faut pas
+penser. J'ai été fort bien reçu par les gouverneurs et les pachas, et je
+n'ai pas la moindre raison de me plaindre. Hobhouse quelque jour vous
+racontera toutes nos aventures. Si j'en essayais le récit, ni mon papier
+ni votre patience ne pourraient y suffire.</p>
+
+<p>»Personne, si ce n'est vous, ne m'a écrit depuis que j'ai quitté
+l'Angleterre; il est vrai que je ne l'avais pas demandé. J'excepte mes
+parens, qui m'écrivent tout aussi souvent que je le désire. Je ne sais
+rien de l'ouvrage d'Hobhouse, sinon qu'il a paru. C'est plus que je n'en
+sais de ma seconde édition; et certainement, à une pareille distance, je
+ne m'en inquiète que médiocrement........................... J'espère
+que vos publications et celles de Bland s'écoulent avec rapidité.</p>
+
+<p>»Je ne puis vous parler d'une manière certaine de l'époque de mon
+retour; mais je regarde comme probable que Hobhouse me précédera. Nous
+sommes absens depuis près d'un an. Je désirerais en employer au moins un
+autre à mes observations dans ces climats toujours verts; cependant je
+crains que des affaires, et des affaires litigieuses, qui sont bien ce
+qu'il y a de pire au monde, ne me rappellent avant ce tems, si ce n'est
+même beaucoup plus tôt. S'il en est ainsi, je vous en préviendrai.</p>
+
+<p>»J'espère que vous remarquerez en moi quelques changemens, je ne veux
+pas dire au physique, mais au moral; car je commence à m'apercevoir que
+sans la vertu ce monde maudit n'est pas tenable. Je suis passablement
+dégoûté du vice, que j'ai étudié dans ses plus agréables variétés, et je
+me propose, à mon retour, de rompre avec tous mes débauchés d'amis, de
+renoncer au vin, aux inclinations charnelles, et de me livrer à la
+politique et au décorum. Je suis sérieux, cynique et assez bien disposé
+à faire de la morale; mais heureusement pour vous, l'homélie dont vous
+étiez menacé est coupée court par le mauvais état de ma plume et le
+manque de papier.</p>
+
+<p>»Bonjour. Si vous m'écrivez, adressez vos lettres à Malte, d'où l'on me
+les fera parvenir. Ne me rappelez au souvenir de personne; mais
+croyez-moi bien sincèrement votre, etc.»<br>
+<span class="rig">BYRON.</span><br></p>
+
+<p>Arrivé à Constantinople le 14 mai, il adressa à Mrs. Byron quatre ou
+cinq lettres, et dans presque toutes il parle du succès avec lequel il a
+traversé l'Hellespont à la nage. L'excessive vanité qu'il tirait de
+cette prouesse classique (dont il a fort au long lui-même détaillé les
+particularités) peut être mise au nombre des preuves de cet enfantillage
+de caractère qui l'accompagna jusque dans un âge plus mûr, et qui, tout
+en embarrassant ceux qui jugeaient de loin sa conduite, n'était pas,
+pour ceux qui vivaient dans son intimité, une de ses singularités les
+moins intéressantes. Onze ans encore après cette époque, si quelque
+sceptique voyageur se hasardait à mettre en doute la possibilité de
+l'exploit de Léandre, Lord Byron, avec cette susceptibilité sur son
+courage personnel, qu'il conservait depuis son enfance, se lançait dans
+la discussion avec une nouvelle chaleur, et citait deux ou trois autres
+exemples de ce qu'il avait fait comme nageur, pour confirmer ses
+premières assertions<a id="footnotetag131" name="footnotetag131"></a>
+<a href="#footnote131"><sup class="sml">131</sup></a>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote131"
+name="footnote131"><b>Note 131: </b></a><a href="#footnotetag131">
+(retour) </a> Il citait entre autres son passage du Tage en
+ 1809, que M. Hobhouse a décrit de la manière suivante:
+
+<p> «Mon compagnon de voyage avait déjà précédemment exécuté une
+ traversée plus périlleuse, quoique moins célèbre; car je me
+ rappelle qu'à l'époque où nous étions en Portugal, il nagea
+ depuis le vieux Lisbonne jusqu'au château de Belem; et comme
+ il avait à lutter contre la marée et le courant opposé du
+ fleuve, le vent étant fort vif, il lui fallut près de deux
+ heures pour aller d'un bord à l'autre. Il ne resta dans l'eau
+ qu'une heure et dix minutes, en nageant de Sestos à Abydos.
+ En 1808, il faillit se noyer à Brighton, en se baignant avec
+ M. L. Stanhope, son ami. M. Hobhouse et d'autres spectateurs
+ envoyèrent à eux des bateliers, qui s'attachèrent des cordes
+ autour du corps, et qui réussirent enfin à retirer Lord Byron
+ et M. Stanhope de la lame, et leur sauvèrent ainsi la vie.»</p></blockquote>
+
+<p>Dans une de ses lettres à sa mère, datée de Constantinople, le 24 mai,
+il revient sur ce notable exploit, et se représente comme l'humble
+imitateur de Léandre; et pourtant, ajoute-t-il, je n'avais pas de Héro
+pour m'accueillir sur l'autre rive. Puis il continue ainsi:</p>
+
+<p>«Lorsque notre ambassadeur obtiendra son audience de congé, je
+l'accompagnerai pour voir le sultan, après quoi je retournerai
+probablement en Grèce. Je n'ai rien reçu de M. Hanson, si ce n'est une
+traite, mais sans aucune lettre de ce juridique gentleman. Si vous avez
+besoin de fonds, servez-vous, je vous prie, des miens, tant qu'il y en
+aura, sans aucune réserve; et dans la crainte que cela ne suffise pas,
+j'inviterai M. Hanson, dans ma prochaine lettre, à vous avancer toutes
+les sommes qui pourraient vous être nécessaires. Je m'en remets à votre
+discrétion pour juger de ce que vous pouvez convenablement demander
+d'après l'état actuel de mes affaires. J'ai déjà visité les lieux les
+plus intéressans de la Turquie d'Europe et de l'Asie Mineure; mais je
+n'irai pas plus loin avant d'avoir reçu des nouvelles d'Angleterre. En
+attendant je compte sur des rentrées toutes les fois que les occasions
+de m'en faire parvenir se présenteront; et je passerai l'été au milieu
+de mes amis, les Grecs de la Morée.»</p>
+
+<p>Alors il ajoute avec cette bienveillante sollicitude dont il ne
+s'écartait jamais envers les domestiques qu'il préférait: «Prenez soin,
+je vous prie, de mon jeune Robert et du vieux Murray. Il est heureux
+qu'ils s'en soient retournés; ni la jeunesse de l'un ni les années de
+l'autre n'auraient pu s'accommoder aux changemens de climat et à la
+fatigue du voyage.»</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE XLIV.</h3>
+
+<h4>À M. HENRY DRURY.</h4>
+
+<p class="rig">Constantinople, 17 juin 1810.</p><br><br>
+
+<p>«Quoique ma dernière lettre soit d'une date bien récente, je reviens à
+la charge pour vous féliciter de la naissance de votre enfant; une
+lettre d'Hodgson m'a informé de cet événement dont je me réjouis avec
+vous.</p>
+
+<p>»Je suis à peine de retour d'une expédition, par le Bosphore, à la mer
+Noire et aux Symplegades Cyanéennes. J'ai gravi jusqu'à la cime de ces
+dernières en m'exposant à autant de dangers qu'en aient jamais bravé les
+Argonautes dans leur lougre. Vous rappelez-vous le commencement des
+lamentations de la nourrice dans Médée? je vous en adresse la traduction
+que j'ai faite au somme de ces montagnes:</p>
+
+<p>Oh! plût au ciel qu'un bon embargo eût retenu le navire <i>Argo</i> dans le
+port, et qu'en restant toujours dans les chantiers de Grèce il n'eût
+jamais dépassé les roches d'Azur! mais, hélas! je crains que son voyage
+ne soit la cause de quelque méchef pour ma chère miss Médée<a id="footnotetag132" name="footnotetag132"></a>
+<a href="#footnote132"><sup class="sml">132</sup></a>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote132"
+name="footnote132"><b>Note 132: </b></a><a href="#footnotetag132">
+(retour) </a>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p class="i16"> Oh! how I wish that an embargo</p>
+<p class="i16"> Had kept in port the good ship <i>Argo</i></p>
+<p class="i16"> Who, still unlaunch'd from Grecian docks</p>
+<p class="i16"> Had never pass'd the Azure rocks!</p>
+<p class="i16"> But now I fear her trip will be a</p>
+<p class="i16"> Damn'd business for my miss Medea, etc.</p>
+</div></div>
+</blockquote>
+
+<p>»Peu s'en est fallu qu'il n'en fût ainsi pour moi.</p>
+
+<p>Car si je n'avais pas eu ce sublime passage dans la tête, je n'aurais
+jamais songé à grimper sur les susdites roches, où j'ai failli me rompre
+les os pour le plus grand honneur de l'antiquité.</p>
+
+<p>»Ainsi donc je me suis assis sur les Cyanées, j'ai nagé de Sestos à
+Abydos (comme je vous l'ai pompeusement annoncé dans ma dernière), et
+après avoir de nouveau traversé la Morée, je m'embarquerai pour
+Sainte-Maure, et j'irai faire le saut de Leucade. Si je survis à cette
+épreuve, je vous rejoindrai probablement en Angleterre. H..., qui vous
+remettra cette lettre, s'y rend en droite ligne; et comme ses voyages
+lui sortent par tous les pores, je n'anticiperai pas sur ses récits:
+seulement je vous prie de ne pas croire un mot de tout ce qu'il vous
+dira, mais de me réserver votre attention si vous avez quelque désir
+d'apprendre la vérité.</p>
+
+<p>«Je vais retourner à Athènes, et de là passer en Morée; mais la durée de
+mon séjour dépend tellement de mon caprice que je n'ai rien de probable
+à vous en dire. Mon absence date déjà d'un an; elle peut se prolonger
+d'un autre, mais je suis comme du vif-argent, et je ne peux rien
+affirmer. Nous sommes tous en ce moment fort occupés à ne rien faire.
+Nous avons tout vu, excepté les mosquées que nous devons visiter mardi
+prochain au moyen d'un firman. H... pourra vous les décrire ainsi que
+divers autres objets curieux, à condition que c'est à <i>moi</i> qu'on
+s'adressera pour constater sa véracité, et je me réserve de contredire
+tous les détails auxquels il attache le plus d'importance. Mais s'il se
+lance parfois dans le bel esprit, je vous permets de l'applaudir, parce
+qu'il en aura nécessairement dérobé les traits les plus brillans à son
+compagnon de pélerinage. Dites à Davies que ses meilleures plaisanteries
+ont été fort heureusement reproduites par H... sur plus d'un vaisseau de
+Sa Majesté; mais ajoutez aussi que j'ai toujours soin de les rétablir au
+nom du légitime possesseur; d'où il suit que lui, Davies, n'est pas
+moins célèbre sur mer que sur terre, et règne sans rivaux aussi bien
+dans la cabine qu'à la taverne du <i>cocotier</i>.</p>
+
+<p>»Ainsi donc Hodgson a publié de nouvelles poésies. Je désirerais qu'il
+pût m'envoyer son <i>Sir Edgar</i> et l'<i>Anthologie de Bland</i>, à Malte, d'où
+on me les ferait parvenir. Dans ma dernière; que vous avez reçue,
+j'espère, je traçais l'esquisse du terrain que nous avons parcouru. Si
+cette dépêche ne vous est pas parvenue, la langue d'H... est bien à
+votre service. Rappelez-moi au souvenir de Dwyer, qui me doit onze
+guinées. Dites-lui de les faire remettre à mon banquier à Gibraltar ou à
+Constantinople. Il me les a, je crois, déjà payées une fois; mais cela
+ne fait rien à l'affaire, attendu que c'était une rente annuelle.</p>
+
+<p>»Tâchez, je vous prie, de m'écrire. J'ai fréquemment reçu des nouvelles
+d'Hodgson. Malte est mon bureau de poste. Je compte vous revoir vers la
+prochaine réunion de Montem<a id="footnotetag133" name="footnotetag133"></a>
+<a href="#footnote133"><sup class="sml">133</sup></a>; vous vous souvenez sûrement de celle
+de l'an dernier; j'espère qu'il en sera de même cette année; mais après
+avoir traversé <i>le vaste Hellespont</i>, je fais <i>fi</i> de Datchett<a id="footnotetag134" name="footnotetag134"></a>
+<a href="#footnote134"><sup class="sml">134</sup></a>. Bon
+soir. Je suis bien sincèrement, etc.»<br>
+
+<span class="rig">BYRON.</span><br></p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote133"
+name="footnote133"><b>Note 133: </b></a><a href="#footnotetag133">
+(retour) </a> Réunion annuelle des élèves du collége
+ d'Eton-Montem, suivie d'une collecte dont le produit est
+ destiné à placer à l'université de Cambridge ou d'Oxford le
+ sujet le plus distingué d'entre eux.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote134"
+name="footnote134"><b>Note 134: </b></a><a href="#footnotetag134">
+(retour) </a> Allusion à une circonstance où il traversa la
+ Tamise à la nage, avec M. Drury, après le Montem, afin de
+ savoir combien de fois ils pourraient la traverser et la
+ retraverser sans toucher terre. Dans cette lutte, qui eut
+ lieu le soir, après souper, et lorsque tous deux étaient
+ échauffés par le vin, Lord Byron eut l'avantage.</blockquote>
+
+<p>Environ dix jours après la date de cette lettre, nous en trouvons une
+autre adressée à Mrs. Byron, laquelle, au milieu de plusieurs
+répétitions de faits déjà détaillés dans sa correspondance précédente,
+contient aussi un bon nombre de passages qui méritent d'en être
+extraits.</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE XLV.</h3>
+
+<h4>À MRS. BYRON.</h4>
+
+<p><span class="sc">Chère mère</span>,</p>
+
+<p>«M. Hobhouse, qui vous fera parvenir ou vous remettra cette lettre, et
+qui part pour retourner en Angleterre, pourra vous mettre au courant de
+nos divers changement de résidence; quant à moi, je suis fort incertain
+sur l'époque de mon retour. Il ira probablement dans le Nottingham un
+jour ou l'autre; mais Fletcher, que je renvoie parce qu'il m'embarrasse
+(les domestiques anglais sont de tristes voyageurs), Fletcher le
+remplacera par <i>interim</i>, et vous racontera nos voyages qui ont embrassé
+passablement d'espace.<br>............................................................................................................................................</p>
+
+<p>»Je me rappelle que Mahmoud-Pacha, petit-fils d'Ali, pacha de Yanina
+(petit gaillard de dix ans, qui avait de grands yeux noirs, que nos
+dames paieraient bien cher, et ces traits réguliers qui distinguent la
+race turque), me demanda comment il se faisait que je me fusse mis à
+voyager si jeune, et sans avoir personne pour prendre soin de moi. Le
+petit bonhomme m'adressa cette question avec toute la gravité d'un homme
+de soixante ans.</p>
+
+<p>»Je ne peux pas aujourd'hui vous écrire bien longuement; je n'ai que le
+tems de vous dire que j'ai éprouvé bien des fatigues, mais jamais un
+moment d'ennui. La seule chose que je redoute, c'est de contracter le
+goût d'une vie errante, à la bohémienne, qui me rendra mon foyer
+insupportable. C'est, me dit-on, ce qui arrive fort souvent aux gens qui
+ont pris l'habitude des voyages; et, dans le fait, je commence à m'en
+apercevoir. Le 3 mai, j'ai passé à la nage de Sestos à Abydos. Vous
+connaissez l'histoire de Léandre; mais moi, je n'avais pas de Héro pour
+me recevoir sur la rive.<br>.................................................................................................................................................................</p>
+
+<p>«J'ai visité, en vertu d'un firman, toutes les principales mosquées. Il
+est rare qu'on accorde cette faveur à des infidèles; mais le départ de
+l'ambassadeur nous l'a fait obtenir. J'ai remonté par le Bosphore jusque
+dans la mer Noire, en faisant le tour des murs de la ville; et en
+vérité, j'en connais mieux l'aspect que celui de Londres. J'espère que,
+par quelque soirée d'hiver, je vous amuserai en vous en faisant la
+description; pour le moment, je vous prie de m'excuser si je m'en
+dispense. Je ne puis écrire de longues lettres en juin. Je retourne
+passer l'été en Grèce.<br>.....................................................................................................................................................................</p>
+
+<p>»C'est une pauvre créature que Fletcher; il lui faudrait mille
+commodités dont je sais fort bien me passer. Il est furieusement las de
+ses voyages, et vous ferez bien de ne pas trop croire ce qu'il vous
+racontera de ce pays-ci. Il soupire après la bière, et l'oisiveté, et sa
+femme, et le diable sait quoi en outre. Pour mon compte, je n'ai éprouvé
+ni <i>désappointement</i> ni dégoût. J'ai vécu avec des hommes du plus haut
+comme du plus bas rang; j'ai passé des journées dans le palais d'un
+pacha, et plus d'une nuit dans une étable; partout j'ai trouvé un peuple
+inoffensif et bienveillant. J'ai passé aussi quelque tems avec les Grecs
+les plus distingués de la Morée et de la Livadie; et quoiqu'ils ne
+vaillent pas les Turcs, j'en fais plus de cas que des Espagnols, qui, à
+leur tour, l'emportent sur les Portugais.</p>
+
+<p>»Vous trouverez dans les voyageurs mainte description de Constantinople;
+mais lady Wortley-Montague est tombée dans une étrange erreur, quand
+elle a dit que Saint-Paul ferait une singulière figure à coté de
+Sainte-Sophie. J'ai vu ces deux édifices, et j'en ai examiné avec
+beaucoup d'attention l'intérieur et l'extérieur. Sainte-Sophie, sans
+aucun doute, est le plus intéressant des deux, et par son immense
+antiquité, et parce que tous les empereurs grecs depuis Justinien y ont
+été couronnés, que plusieurs y ont été assassinés sur les marches mêmes
+de l'autel, et aussi parce que les sultans turcs s'y rendent
+régulièrement. Mais elle n'est ni aussi belle ni aussi grande que
+quelques autres mosquées, telles que celle de Soleyman, etc., et on ne
+peut la mettre en parallèle avec Saint Paul (j'en parle peut-être comme
+un cockney<a id="footnotetag135" name="footnotetag135"></a>
+<a href="#footnote135"><sup class="sml">135</sup></a>). Néanmoins je préfère la cathédrale gothique de
+Séville, à Saint-Paul, à Sainte-Sophie et à tous les édifices religieux
+que j'aie jamais vus.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote135"
+name="footnote135"><b>Note 135: </b></a><a href="#footnotetag135">
+(retour) </a> Sorte de sobriquet par lequel on désigne, en
+ Angleterre, les natifs de Londres.</blockquote>
+
+<p>»Les murs du sérail ressemblent à ceux des jardins de Newstead, un peu
+plus élevés cependant, et à peu près dans le même état de conservation.
+Mais la promenade en longeant les murs de la ville du côté de la terre,
+est d'une beauté remarquable. Figurez-vous quatre milles d'un triple
+rang d'immenses créneaux tapissés de lierre, surmontés de deux cent
+dix-huit tours, et de l'autre côté de la route, les sépultures turques
+(qui sont les lieux les plus charmans de la terre) ombragées par
+d'énormes cyprès.</p>
+
+<p>J'ai contemplé les ruines d'Athènes, d'Éphèse et de Delphes; j'ai
+traversé une grande partie de la Turquie, plusieurs autres contrées de
+l'Europe et quelques-unes de l'Asie; mais nul ouvrage de la nature ou de
+l'art ne produisit jamais sur moi autant d'impression que le point de
+vue qui se développe de chaque côté des Sept Tours jusqu'à l'extrémité
+de la Corne d'Or.</p>
+
+<p>»Parlons maintenant de l'Angleterre. J'apprends avec plaisir le succès
+des <i>Bardes anglais</i>, etc. Vous n'avez pu manquer d'observer les
+nombreuses additions que j'ai faites à l'édition nouvelle.</p>
+
+<p>»Avez-vous reçu mon portrait par Sanders, peintre à Londres, Vigo-Lane?
+Il était terminé et payé long-tems avant mon départ. Il me semble que
+vous aimez prodigieusement la lecture des <i>Magazines</i>; où déterrez-vous
+tant de nouvelles, de citations, etc.? Quoique je me trouve heureux
+d'avoir pu prendre mon rang à la Chambre sans le secours de lord
+Carlisle, je n'avais pas de ménagemens à garder envers un homme qui a
+refusé, dans cette circonstance, d'intervenir comme mon parent; et j'ai
+rompu sans retour avec lui, quoique je regrette d'affliger Mrs. Leigh.
+Pauvre femme! j'espère qu'elle est heureuse.</p>
+
+<p>»Mon avis est que M. B... doit épouser miss R... Notre premier devoir
+est de ne pas faire le mal; mais, hélas! cela n'est pas possible: le
+second est de le réparer, si nous en avons le pouvoir. Cette jeune fille
+est son égale; si elle ne l'était pas, une somme d'argent et l'entretien
+assuré à l'enfant feraient une sorte de compensation, quoique bien
+insuffisante; mais dans l'état des choses, son devoir est de l'épouser.
+Je ne veux pas de galans séducteurs sur mes domaines, et je n'accorderai
+pas à mes fermiers un privilége dont je m'abstiens moi-même, celui de
+débaucher les filles des uns et des autres. J'ai, Dieu le sait, bien des
+excès à me reprocher; mais comme j'ai pris la résolution de me réformer,
+et que je ne m'en suis pas écarté depuis quelque tems, je compte que ce
+Lothario suivra mon exemple, et commencera par rendre la jeune personne
+à la société; sinon, par la barbe de mon père! je jure qu'il s'en
+repentira.</p>
+
+<p>»Je vous prie de vous intéresser à Robert, à qui mon absence sera bien
+pénible. Le pauvre garçon! c'est bien malgré lui qu'il s'en est
+retourné.</p>
+
+<p>»J'espère que vous êtes bien portante et heureuse. J'aurai grand plaisir
+à recevoir de vos nouvelles.</p>
+
+<p>»Croyez-moi bien sincèrement, etc.<br>
+
+<span class="rig">BYRON.</span><br></p>
+
+<p>»<i>P. S.</i> Comment se porte Joe Murray? Je rouvre ma lettre pour vous dire
+que Fletcher m'ayant demandé de m'accompagner en Morée, je l'emmène avec
+moi, quoique je vous aie annoncé le contraire.»</p>
+
+<p>Le lecteur n'aura pas manqué, je l'espère, de remarquer la fin de cette
+lettre. L'énergie des sentimens moraux qui y sont exprimés si
+naturellement, semble le sûr garant d'un cœur dont le fond était pur,
+quoique les passions en eussent terni la surface. Quelques années plus
+tard, quand il eut contracté l'habitude de cette raillerie amère, dont,
+par malheur, il se plaisait à diriger les traits contre sa sensibilité
+et contre celle des autres, je ne sais, quoiqu'il fût encore animé des
+mêmes sentimens louables, si la fausse honte de passer pour vouloir se
+faire une réputation de vertu, n'en aurait pas arrêté la franche et
+honnête manifestation.</p>
+
+<p>L'extrait suivant, tiré d'une communication adressée à un recueil
+mensuel très-estimé, par un voyageur qui, à cette époque, rencontra Lord
+Byron à Constantinople, me paraît être assez authentique pour que je le
+présente, sans hésiter, à mes lecteurs.</p>
+
+<p>«Nous fûmes interrompus dans notre discussion par l'entrée d'un
+étranger, qu'au premier coup-d'œil je crus reconnaître pour un Anglais,
+mais qui devait n'être arrivé que depuis peu à Constantinople. Il était
+vêtu d'un habit écarlate, richement brodé en or, dans le genre de
+l'uniforme des aides-de-camp en Angleterre, avec deux grosses
+épaulettes. Sa figure annonçait environ vingt-deux ans. Ses traits,
+d'une délicatesse remarquable, lui auraient donné une apparence
+féminine, sans l'expression toute virile de ses beaux yeux bleus. En
+entrant dans la boutique intérieure, il ôta son chapeau militaire orné
+d'un panache, et découvrit une forêt de cheveux bruns bouclés qui
+relevaient encore la beauté peu commune de son visage. L'ensemble de son
+extérieur me fit une telle impression, qu'elle est toujours depuis
+restée profondément gravée dans ma mémoire; et quoique ce soit un
+souvenir de quinze ans, ce laps de tems n'en a pas altéré la vivacité.
+Il était accompagné d'un janissaire attaché à l'ambassade anglaise et
+d'un homme qui, par état, servait de <i>Cicerone</i> aux étrangers. Ces
+circonstances, jointes à ce qu'il boitait très-visiblement, me
+convainquirent à l'instant que c'était Lord Byron. J'avais déjà entendu
+parler de Sa Seigneurie et de son arrivée récente sur la frégate <i>la
+Salsette</i>, qui s'était détachée de la station de Smyrne pour venir
+prendre et emmener M. Adair, notre ambassadeur près de la Porte. Lord
+Byron avait auparavant voyagé en Épire et dans l'Asie Mineure avec son
+ami M. Hobhouse, et était devenu grand fumeur de tabac. Il s'était fait
+conduire à cette boutique dans le dessein d'y acheter quelques pipes.
+L'italien assez mauvais dont il se servait en parlant à son cicerone, et
+le turc encore plus imparfait de celui-ci, ne permettaient guère au
+marchand de comprendre facilement ce qu'ils désiraient; et comme
+l'étranger en paraissait contrarié, je lui adressai la parole en
+anglais, et m'offris à lui servir d'interprète. Quand il m'eut ainsi
+reconnu pour un Anglais, Lord Byron me serra cordialement la main, et
+m'assura, avec quelque chaleur, du grand plaisir qu'il éprouvait
+toujours lorsqu'il rencontrait un compatriote en pays étranger. Ses
+emplettes et les miennes étant terminées, nous sortîmes ensemble, et
+parcourûmes les rues, dans plusieurs desquelles j'eus le plaisir de
+diriger son attention vers quelques-unes des curiosités les plus
+remarquables de Constantinople. Les circonstances particulières qui nous
+avaient amenés à faire connaissance, firent naître entre nous, dès le
+premier jour, un certain degré d'intimité que très-probablement deux ou
+trois années de fréquentation n'auraient pas produit en Angleterre. Je
+prononçai souvent son nom en lui parlant, mais il ne lui vint pas à
+l'esprit de me demander comment j'avais pu l'apprendre, ni de s'informer
+du mien. Il n'avait pas encore jeté les fondemens de cette célébrité
+littéraire qu'il a acquise dans la suite; on ne le connaissait, au
+contraire, que comme auteur des <i>Heures d'oisiveté</i>; et la sévérité avec
+laquelle les rédacteurs de <i>la Revue d'Édimbourg</i> avaient critiqué cette
+production, était encore présente au souvenir de tout lecteur anglais.
+On ne pouvait donc pas supposer qu'en recherchant sa connaissance je
+fusse poussé par aucun de ces motifs de vanité auxquels tant d'autres
+ont cédé depuis. Mais il était tout naturel qu'après notre rencontre
+fortuite et tout ce qui s'était passé entre nous à cette occasion, je
+priasse l'un des secrétaires de l'ambassade de me présenter à lui dans
+les formes, un jour de la même semaine, que nous dînions ensemble chez
+l'ambassadeur. Sa Seigneurie assura qu'elle se souvenait parfaitement de
+moi; mais ce fut avec une extrême froideur, et immédiatement après elle
+me tourna le dos. Ce procédé sans cérémonie qui contrastait d'une
+manière si prononcée avec les circonstances précédentes, me parut si
+étrange qu'il me fut impossible de me l'expliquer, et que je me sentis
+en même tems fort disposé à beaucoup rabattre de l'opinion favorable que
+son apparente franchise m'avait fait concevoir à notre première
+entrevue. Ce ne fut donc pas sans surprise que, quelques jours après, je
+le vis dans la rue s'avancer vers moi avec un sourire plein de
+bienveillance. Il m'aborda familièrement, et me dit en me tendant la
+main: «Je suis ennemi déclaré de l'étiquette anglaise, surtout hors
+d'Angleterre; et quand je fais une nouvelle connaissance, c'est sans
+attendre les formalités d'une présentation. Si vous n'avez rien à faire,
+et que vous soyez disposé à une autre promenade, votre société me fera
+beaucoup de plaisir.» Il mit dans sa manière d'agir cette irrésistible
+attraction dont ceux qui ont eu le bonheur d'être admis dans son
+intimité ont pu seuls éprouver la puissance dans ses momens de bonne
+humeur, et j'acceptai avec empressement sa proposition. Nous visitâmes
+de nouveau les curiosités les plus remarquables de la capitale, que je
+ne décrirai point ici pour ne pas répéter les détails pleins
+d'exactitude et de précision que des centaines de voyageurs en ont déjà
+donnés; mais Sa Seigneurie se trouva fort <i>désappointée</i> par le peu
+d'intérêt qu'elles présentaient. Il loua les beautés pittoresques de la
+ville et des paysages qui l'environnent, et me parut d'avis que, cela
+excepté, rien n'était digne d'attirer l'attention d'un observateur. Il
+parla des Turcs de manière à faire supposer qu'il avait fait un long
+séjour parmi eux, et termina ses réflexions par ces mots: «Les Grecs,
+tôt ou tard, s'insurgeront contre eux; mais s'ils ne se hâtent pas,
+j'espère que Bonaparte viendra chasser cette inutile canaille<a id="footnotetag136" name="footnotetag136"></a>
+<a href="#footnote136"><sup class="sml">136</sup></a>.»</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote136"
+name="footnote136"><b>Note 136: </b></a><a href="#footnotetag136">
+(retour) </a> <i>New Monthly Magazine</i>.</blockquote>
+
+<p>Pendant sa résidence à Constantinople, le ministre d'Angleterre, M.
+Adair, se trouvant presque toujours indisposé, ne le vit que
+très-rarement. Il le pressa cependant avec instance de venir loger au
+palais de l'ambassade; mais Lord Byron, qui préférait la liberté dont il
+jouissait dans une simple hôtellerie, refusa ses offres hospitalières.</p>
+
+<p>Lors de l'audience de congé accordée à l'ambassadeur par le sultan, le
+noble poète, pour y assister, se mêla au cortége de M. Adair, non sans
+avoir témoigné, relativement à la place qu'il occuperait dans la marche,
+une anxiété bien caractéristique de sa jalouse susceptibilité toutes les
+fois qu'il s'agissait de son rang. En vain l'ambassadeur l'assura-t-il
+qu'on ne pouvait pas lui assigner une place particulière; que les Turcs,
+dans leurs dispositions relatives au cérémonial, ne tenaient compte que
+des personnes attachées à l'ambassade, et qu'ils négligeaient ou
+ignoraient les distinctions de préséance accordées chez nous à la
+noblesse. Enfin voyant que le jeune pair ne se laissait pas convaincre
+par ces raisons, M. Adair fut obligé d'en appeler à une autorité qui
+passait pour infaillible en matière d'étiquette; c'était le vieux
+internonce d'Autriche. Lord Byron l'ayant consulté sur ce point, et le
+trouvant entièrement d'accord avec le ministre d'Angleterre, déclara
+qu'il était parfaitement satisfait.</p>
+
+<p>Le 14 juillet, son compagnon de voyage et lui partirent de
+Constantinople, à bord de la frégate <i>la Salsette</i>; M. Hobhouse dans le
+dessein d'accompagner l'ambassadeur en Angleterre, et Lord Byron pour
+visiter de nouveau sa chère Grèce. M. Adair crut remarquer à cette
+époque qu'il était plongé dans un profond abattement d'esprit, et je
+trouve que M. Bruce, qui le rencontra plus tard à Athènes, en porta le
+même jugement. On m'a raconté, comme ayant eu lieu pendant cette
+traversée, une circonstance fort remarquable. En se promenant sur le
+pont, il aperçut un petit yataghan ou poignard turc, qu'on avait laissé
+sur un banc. Il le prit, le tira du fourreau, et après en avoir quelques
+instans examiné la lame, on l'entendit qui disait à demi-voix:
+«J'aimerais à savoir ce que ressent un homme après avoir commis un
+meurtre!» On peut, je crois, dans ce surprenant propos, découvrir le
+germe de ses poèmes futurs du <i>Giaour</i> et de <i>Lara</i>. C'est cet ardent
+désir de soumettre à l'examen les opérations mystérieuses des passions,
+qui, secondé par son imagination, lui en donna enfin le pouvoir; et
+peut-être trouverait-on que les émotions qui produisirent ces paroles
+n'étaient que la première manifestation de cette faculté qui lui valut
+plus tard, à juste titre, le surnom de <i>Scrutateur des abymes du
+cœur</i><a id="footnotetag137" name="footnotetag137"></a>
+<a href="#footnote137"><sup class="sml">137</sup></a>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote137"
+name="footnote137"><b>Note 137: </b></a><a href="#footnotetag137">
+(retour) </a> <i>Searcher of dark bosoms</i>.</blockquote>
+
+<p>En approchant de l'île de Zéa, il demanda à être mis à terre. En
+conséquence, après qu'il eut fait ses adieux à son ami, on le débarqua
+sur cette petite île avec ses deux Albanais, un Tartare et un domestique
+anglais. Il a décrit lui-même dans un de ses manuscrits, les sentimens
+de fierté solitaire avec lesquels, debout sur le rivage, il regarda le
+vaisseau s'éloigner à pleines voiles, le laissant seul sur une terre
+étrangère.</p>
+
+<p>Quelques jours après, il adressa d'Athènes la lettre suivante à Mrs.
+Byron:</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE XLVI.</h3>
+
+<h4>À MRS. BYRON.</h4>
+
+<p class="rig">Athènes, 15 juillet 1810.</p><br><br>
+
+<p><span class="sc">Chère Mère</span>,</p>
+
+<p>«Je suis arrivé de Constantinople ici en quatre jours, ce que l'on
+considère comme une traversée extrêmement rapide, surtout dans cette
+saison de l'année. Vous autres habitans du nord, vous ne pouvez pas vous
+faire une idée de ce que c'est que l'été en Grèce; et pourtant un vrai
+tems de gelée en comparaison des étés de Malte et de Gibraltar, sous les
+ombrages desquels je me suis reposé l'année dernière, après un petit
+mouvement de galop de quatre cents milles, sans interruption, à travers
+l'Espagne et le Portugal. La date de ma lettre vous apprend que je suis
+de nouveau à Athènes, ville que je préfère, tout bien considéré, à
+toutes celles que je connais....</p>
+
+<p>«Pour première excursion, je pars demain pour la Morée, où je compte
+passer un mois ou deux, puis revenir prendre ici mes quartiers d'hiver,
+à moins que je ne change mes plans, à la vérité, fort variables, comme
+vous pouvez bien le supposer, mais dont aucun ne me dirige vers
+l'Angleterre.</p>
+
+<p>«Le marquis de Sligo, mon ancien camarade de collége, est ici, et désire
+m'accompagner en Morée. Ainsi nous partirons ensemble. Lord Sligo
+continuera ensuite sa route vers la capitale, et Lord Byron, après avoir
+examiné toutes les curiosités de ce canton, vous instruira de ce qu'il
+se propose de faire, car c'est un point sur lequel ses idées ne sont
+pas, pour le moment, parfaitement arrêtées. Malte est mon bureau de
+poste perpétuel; c'est de là que mes lettres sont dirigées vers tous les
+points de la terre habitable: remarquez en passant que j'ai déjà vu
+l'Asie, l'Afrique, le levant de l'Europe, et tiré le meilleur parti de
+mon tems, sans avoir pour cela examiné trop à la hâte les lieux les plus
+intéressans de l'ancien monde. F..., après avoir été grillé, rôti, cuit
+dans son jus; après avoir servi de pâture à toutes sortes d'insectes
+rampans, commence à philosopher; il se réforme et se résigne, et promet
+d'être à son retour un des ornemens de sa paroisse et un personnage fort
+saillant dans la généalogie des Fl.... qui tiennent, à mon avis, des
+Goths par leurs talens, des Grecs par leur pénétration, et des anciens
+Saxons par leur énorme appétit. Il me demande la permission d'envoyer
+une demi-douzaine de soupirs à Sally, son épousée, et s'émerveille, mais
+non pas moi, de ce que ses lettres, d'une écriture et d'une orthographe
+détestables, ne sont jamais parvenues en Angleterre. Au demeurant, ce
+n'est pas une grande perte que celle de ses lettres ou des miennes qui
+n'ont guère d'autre mérite que de vous apprendre, comme celle-ci, que
+nous nous portons bien, et chaudement, Dieu sait! Ne comptez pas, en
+cette saison, sur de longues lettres; car elles sont, je vous assure,
+écrites à la sueur de mon front. Il est passablement singulier que M.
+H.... ne m'ait pas adressé une syllabe depuis mon départ. Comme toutes
+vos lettres me sont parvenues ainsi que beaucoup d'autres, je conjecture
+que l'homme de loi est fâché ou qu'il a trop d'affaires.</p>
+
+<p>«J'espère que vous vous plaisez à Newstead, et que vous vivez en bonne
+intelligence avec vos voisins, quoique vous soyez un vrai dragon, comme
+vous savez; ne voilà-t-il pas une épithète bien respectueuse? Je vous
+prie d'avoir grand soin de mes livres, ainsi que de plusieurs boîtes
+remplies de papiers qui sont entre les mains de Joseph; et, s'il vous
+plaît, laissez-moi quelques bouteilles de champagne à boire, car je suis
+terriblement altéré. Je n'insiste pourtant sur ce dernier point
+qu'autant qu'il vous arrangera. Je suppose que vous avez une pleine
+maison de commères bien bavardes et bien médisantes. Avez-vous reçu mon
+portrait à l'huile par Sanders, de Londres? Il est payé depuis seize
+mois, pourquoi ne vous le faites-vous pas remettre? Ma suite, composée
+de deux Turcs, deux Grecs, un Luthérien et de l'équivoque Fletcher, fait
+un tel vacarme que je suis bien aise de finir en vous assurant que je
+suis, etc.»<br>
+<span class="rig">BYRON.</span><br></p>
+
+<p>Un jour ou deux après la date de cette lettre, il partit d'Athènes avec
+le marquis de Sligo. Après avoir voyagé de compagnie jusqu'à Corinthe,
+ils prirent chacun une direction différente; lord Sligo pour visiter la
+capitale de la Morée, et Lord Byron pour se rendre à Patras, où il
+avait, comme on le verra dans la lettre suivante, quelques affaires à
+régler avec le consul anglais, M. Strané.</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE XLVII.</h3>
+
+<h4>A MRS. BYRON.</h4>
+
+<p class="rig">Patras, 30 juillet 1810.</p><br><br>
+
+<p><span class="sc">Chère Madame</span>,</p>
+
+<p>«En quatre jours, avec un vent favorable, la frégate m'a transporté de
+Constantinople à l'île de Céos, où j'ai pris un bateau pour me rendre à
+Athènes. J'ai rencontré dans cette ville mon ami le marquis de Sligo qui
+m'a témoigné le désir de voyager avec moi jusqu'à Corinthe. Là, nous
+nous sommes séparés, lui pour aller à Tripolitza, et moi pour me rendre
+à Patras, où j'avais quelques affaires à régler avec le consul M.
+Strané, de la maison duquel je vous écris. Il m'a rendu tous les
+services possibles depuis que j'ai quitté Malte pour me rendre à
+Constantinople, d'où je vous ai écrit deux ou trois fois. J'irai dans
+quelques jours faire une visite au pacha de Tripolitza, puis je ferai le
+tour de la Morée, et je retournerai à Athènes, où j'ai fixé mon
+quartier-général. Nous éprouvons ici de violentes chaleurs. En
+Angleterre, quand le thermomètre s'élève à 98 degrés<a id="footnotetag138" name="footnotetag138"></a>
+<a href="#footnote138"><sup class="sml">138</sup></a>, vous êtes
+tout en feu; l'autre jour, tandis que j'allais d'Athènes à Mégare, il
+marquait 125 degrés: cependant je n'en suis pas incommodé. J'ai, comme
+cela doit être, le teint fort bruni; mais je vis avec une grande
+tempérance, et je ne me suis jamais mieux porté.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote138"
+name="footnote138"><b>Note 138: </b></a><a href="#footnotetag138">
+(retour) </a> De Fahrenheit.</blockquote>
+
+<p>»Avant de quitter Constantinople, j'ai vu le sultan (avec M. Adair) et
+l'intérieur des mosquées, ce qui n'arrive que bien rarement aux
+voyageurs. M. Hobhouse est parti pour l'Angleterre; quant à moi, je ne
+me sens pas pressé d'en faire autant. Je n'ai rien de particulier à
+faire savoir dans votre pays, si ce n'est l'extrême surprise que me
+cause le silence de M. H... Je désire aussi qu'il m'adresse
+régulièrement des fonds. Je suppose qu'on a pris des arrangemens en ce
+qui regarde Wymondham et Rochdale. Adressez vos lettres à Malte ou à M.
+Strané, consul-général, à Patras, Morée. Vous vous plaignez de mon
+silence; mais je vous ai écrit vingt ou trente fois dans le courant de
+l'année dernière: jamais moins de deux fois par mois, et souvent
+davantage. Si mes lettres ne vous parviennent pas, il ne faut pas
+conclure qu'on nous a dévorés, ou que ce pays-ci est désolé par la
+guerre, la peste ou la famine: ne croyez pas non plus tous les bruits
+absurdes qui ne manquent sûrement pas de circuler dans le
+Nottinghamshire comme c'est l'usage. Je suis fort bien ici, ni plus ni
+moins heureux qu'à mon ordinaire; si ce n'est que je suis fort aise de
+me retrouver seul, car je commençais à me lasser de mon compagnon de
+voyage; non pas que j'eusse à m'en plaindre, mais parce que je suis
+naturellement porté vers la solitude, et que cette disposition prend de
+jour en jour plus de force. Si je le désirais, je ne manquerais pas de
+compagnons de voyage, il s'en présente tous les jours. L'un veut
+m'emmener en Égypte, l'autre en Asie, dont j'ai vu tout ce que j'en veux
+voir. Je connais déjà la plus grande partie de la Grèce, de sorte que je
+me contenterai de retourner aux lieux que j'ai déjà parcourus, de
+contempler mes mers et mes montagnes, seules connaissances dont j'aie
+jamais tiré quelque utilité.</p>
+
+<p>»J'ai une suite fort présentable; elle se compose d'un Tartare, de deux
+Albanais, d'un interprète et de Fletcher; mais dans ce pays-ci on en est
+quitte à peu de frais. Adair m'a fait un accueil merveilleux, et dans le
+fait je n'ai à me plaindre de personne. L'hospitalité ici est
+nécessaire, car on n'y voit point d'hôtelleries. J'ai logé chez des
+Grecs, des Turcs, des Italiens, des Anglais; aujourd'hui dans un palais,
+demain dans une étable; un jour avec le pacha, le suivant avec le
+berger. Je continuerai à vous écrire brièvement, mais fréquemment, et je
+suis toujours heureux d'apprendre de vos nouvelles; mais vous remplissez
+votre papier d'extraits de journaux, comme si ceux d'Angleterre ne se
+trouvaient pas dans tous les lieux du monde. J'en ai une douzaine, en ce
+moment, devant moi. Je vous prie de veiller à ce qu'on ait soin de mes
+livres, et de me croire, chère mère, etc.»</p>
+
+<p>Il paraît qu'il passa la plus grande partie des deux mois suivans à
+parcourir la Morée<a id="footnotetag139" name="footnotetag139"></a>
+<a href="#footnote139"><sup class="sml">139</sup></a>; et dans plusieurs lettres il parle avec
+beaucoup de satisfaction de la réception très-distinguée que lui fit
+Véli-Pacha, fils d'Ali.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote139"
+name="footnote139"><b>Note 139: </b></a><a href="#footnotetag139">
+(retour) </a> Dans une note de l'avertissement qui précède son
+ <i>Siége de Corinthe</i>, il dit: «Je visitai ces trois villes
+ (Tripolitza, Napoli et Argos) en 1810-11; et durant mes
+ diverses excursions dans le pays, depuis mon arrivée en 1809,
+ je traversai l'Isthme huit fois en passant de l'Attique en
+ Morée, par les montagnes, ou dans l'autre direction, lorsque
+ j'allais du golfe d'Athènes à celui de Lépante.»</blockquote>
+
+<p>À son retour à Patras, il fut saisi d'une maladie, dont il raconte les
+particularités dans la lettre suivante adressée à M. Hodgson; elles
+sont, à beaucoup d'égards, si conformes à celles de la maladie fatale
+qui l'enleva, quatorze ans plus tard, presque aux mêmes lieux, que,
+malgré la gaîté du récit, il est difficile de le lire sans être
+douloureusement affecté.</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE XLVIII.</h3>
+
+<h4>À M. HODGSON.</h4>
+
+<p class="rig">Patras (Morée), 3 octobre 1810.</p><br><br>
+
+<p>«Comme je suis à peine délivré du médecin et de la fièvre, qui m'ont
+retenu cinq jours au lit, je vous prie de ne pas compter sur beaucoup
+d'<i>allegrezza</i> dans cette lettre. Il règne ici une maladie endémique
+qui, lorsque le vent vient du golfe de Corinthe (comme il arrive cinq
+mois sur six), attaque grands et petits, et fait de terribles ravages
+parmi les voyageurs étrangers. Il y a, de plus, deux médecins, dont l'un
+est plein de confiance dans son génie naturel, car il n'a jamais étudié,
+et dont l'autre a pour tous titres une campagne de dix-huit mois contre
+les malades d'Otrante, qu'il a faite dans sa jeunesse avec de grands
+résultats.</p>
+
+<p>»Lorsque je tombai malade, je protestai contre les tentatives de <i>ces</i>
+deux assassins; mais que peut faire pour sa défense un pauvre diable
+affaibli, dévoré par la fièvre, et inondé de potions. Malgré moi et mes
+dents, je vis le consul anglais, mon Tartare, mes Albanais, mon
+interprète se réunir pour me livrer au médecin, à l'aide duquel ils
+m'ont, trois jours durant, émétisé et clystérisé jusqu'à ne me laisser
+que le souffle. C'est dans cet état que j'ai fait mon épitaphe. Tenez,
+la voici:</p>
+
+<p>«La jeunesse, la nature et la pitié des dieux combattirent long-tems
+pour tenir ma lampe allumée; mais le redoutable Romanelli triompha de
+leurs efforts, et son souffle en éteignit la flamme tremblante<a id="footnotetag140" name="footnotetag140"></a>
+<a href="#footnote140"><sup class="sml">140</sup></a>.»</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote140"
+name="footnote140"><b>Note 140: </b></a><a href="#footnotetag140">
+(retour) </a>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p class="i14"> Youth, nature, and relenting jove,</p>
+<p class="i14"> To keep my lamp in strongly strove;</p>
+<p class="i14"> But Romanelli was so stout,</p>
+<p class="i14"> He beat all three, and blew it out.</p>
+</div></div>
+</blockquote>
+
+<p>»Cependant la nature et les dieux, piqués de mon peu de foi dans leur
+pouvoir, ont à la fin triomphé tout de bon de Romanelli, et je vis
+encore, bien à votre service, quoique ma faiblesse soit extrême.</p>
+
+<p>»Depuis que j'ai quitté Constantinople, j'ai parcouru la Morée et visité
+Véli-Pacha, qui m'a rendu de grands honneurs, et donné un fort joli
+étalon. H*** est sûrement en Angleterre à l'heure où je vous écris; je
+l'ai chargé d'une dépêche pour votre poétique individu. Il m'écrit de
+Malte, et me demande mon journal, en cas que j'en tienne un. Si j'en
+faisais un, il l'aurait. Je lui ai adressé en réponse une épître de
+consolations et d'exhortations, où je le prie de réduire de trois schl.
+et six pences le prix de sa prochaine publication, vu qu'une demi-guinée
+est un trop haut prix pour toute autre chose qu'un billet d'Opéra.</p>
+
+<p>»Quant à l'Angleterre, je n'en ai pas eu de nouvelles depuis bien
+long-tems. Toutes les personnes qui prennent quelque intérêt à ce qui me
+regarde sont, je crois, endormies, et vous êtes mon seul correspondant,
+à l'exception des gens d'affaires. Je n'ai réellement pas d'amis au
+monde, quoique ce monde soit peuplé de mes anciens condisciples, qui s'y
+promènent revêtus de curieux déguisemens, en officiers des gardes, en
+hommes de loi, en ecclésiastiques, en hommes à la mode, et autres habits
+de caractères; aussi fais-je mes adieux à tous ces messieurs si
+affairés, dont pas un ne daigne m'écrire. Au fait, je ne les en ai pas
+priés; et me voilà ici, pauvre voyageur et philosophe un peu païen, qui,
+après avoir parcouru la plus grande partie du Levant et vu force terres
+et mers, dont on pourrait tirer fort bon parti, ne vaux, après tout,
+guère mieux qu'avant de me mettre en route. Que Dieu me soit en aide!</p>
+
+<p>»Il y a aujourd'hui même quinze mois que je suis parti, et je pense que
+mes intérêts me rappelleront bientôt en Angleterre; mais je vous en
+donnerai régulièrement avis de Malte. Hobhouse vous donnera tous les
+renseignemens possibles, si vous êtes curieux de connaître nos
+aventures. J'ai lu quelques vieilles gazettes anglaises qui vont
+jusqu'au 15 mai. J'y vois l'annonce de la <i>Dame du Lac</i>. Il va sans dire
+que l'auteur ne s'est pas départi de sa manière, qui rappelle l'ancienne
+ballade, et que le poème est bon. Tout balancé, Scott n'a pas de rivaux;
+le but de tout griffonnage est d'amuser, et certainement il y réussit.
+Je brûle de lire son nouvel ouvrage.</p>
+
+<p>»Et que deviennent <i>sir Edgard</i> et votre ami Bland? Je suppose que vous
+êtes engagé dans quelque chicane littéraire. Le seul parti à prendre,
+c'est de regarder du haut en bas tous les confrères de l'écritoire. Je
+suppose bien que vous ne m'accorderez pas le titre d'auteur; mais je
+vous dédaigne tous, coquins que vous êtes! comptez là-dessus.</p>
+
+<p>»Vous ne connaissez pas D...s, n'est-ce pas? Il avait une farce prête à
+être jouée quand je partis d'Angleterre, et me pria d'en faire le
+prologue: ce que je lui promis; mais mon départ fut si précipité que je
+n'en écrivis pas le premier couplet. Je n'ose m'informer de sa pièce, de
+peur d'apprendre qu'elle est tombée. Que Dieu me pardonne d'employer un
+tel mot! mais le parterre, mon cher monsieur, le parterre, vous le
+savez, se permet de ces tours-là, en dépit du mérite. C'est une
+circonstance fort curieuse qui me rappelle cette farce. Quand Drury-Lane
+fut brûlé de fond en comble, accident qui fit perdre à Shéridan et à son
+fils le peu de schellings qui leur restassent, que fait mon ami D...s?
+Avant que l'incendie soit éteint, il écrit à Tom Shéridan, directeur du
+combustible établissement, pour lui demander si cette farce n'a pas
+servi d'aliment aux flammes, avec environ deux mille autres manuscrits
+non jouables qui naturellement furent en grand péril, sinon entièrement
+consumés. Eh bien! n'est-ce pas là un trait caractéristique? Les
+passions de Pope ne sont rien en comparaison. Tandis que le pauvre
+directeur, tout bouleversé, déplorait la perte d'un édifice qui ne
+valait pas moins de trois cent mille livres sterling, avec quelque vingt
+mille autres que pouvaient avoir coûté les chiffons et le clinquant des
+costumes, les éléphans de <i>Barbe bleue</i> et le reste, voici venir un
+billet d'un endiablé d'auteur qui le rend responsable de deux actes et
+quelques scènes de sa farce!</p>
+
+<p>»Mon cher H..., rappelez à Drury que je lui souhaite mille prospérités,
+et priez Scrope Davies de me conserver son amitié. J'appelle de mes vœux
+le jour où je vous reverrai à Newstead, et où le champagne égaiera
+encore nos soirées: cet espoir me réjouit l'ame. Je n'ai laissé passer
+aucune occasion sans vous écrire; j'attends donc des réponses aussi
+régulières que celles de la Liturgie, et quelque peu plus longues. Comme
+il est impossible à un homme dans son bon sens de compter sur d'heureux
+jours, espérons au moins que nous en verrons de joyeux, ce qui y
+ressemble le plus en apparence, quoiqu'il n'en soit rien en réalité.</p>
+
+<p>»C'est dans cette attente que je suis, etc.»</p>
+
+<p>Faible et fort amaigri par suite de sa maladie à Patras, un jour, après
+son retour à Athènes, debout devant une glace, il dit à lord Sligo:
+«Comme je suis pâle! j'aimerais, je crois, à mourir de
+consomption.--Pourquoi de consomption? demanda son ami.--Parce qu'alors,
+répondit-il, toutes les femmes diraient: Voyez ce pauvre Byron, comme il
+a l'air intéressant en mourant!»</p>
+
+<p>Dans cette anecdote que, toute frivole qu'elle est, le narrateur citait
+comme une preuve du sentiment que le poète avait de sa propre beauté, on
+peut aussi trouver la trace de son habitude de tout rapporter à ce sexe
+qu'il affectait de mépriser, et qui cependant exerçait une puissante
+influence sur le cours et la teinte de toutes ses pensées.</p>
+
+<p>Il parlait souvent de sa mère à lord Sligo avec des sentimens qui
+s'éloignaient bien peu de l'aversion. «Quelque jour, lui dit-il, je vous
+expliquerai la cause de cette disposition de mon cœur.» Peu de tems
+après, un jour qu'ils se baignaient ensemble dans le golfe de Lépante,
+il rappela cette promesse, et montrant sa jambe et son pied nus. «Voyez,
+s'écria-t-il, c'est à ses absurdes faiblesses à l'époque de ma naissance
+que je dois cette difformité, et pourtant, d'aussi loin que je puisse me
+souvenir, elle n'a jamais cessé de me la reprocher. Même encore peu de
+jours avant notre dernière séparation, au moment où j'allais quitter
+l'Angleterre, elle prononça contre moi une imprécation dans un de ses
+accès de colère, et souhaita que je pusse devenir aussi difforme
+d'esprit que de corps!»</p>
+
+<p>L'expression de sa physionomie et de ses gestes ne peuvent être bien
+conçus que par ceux qui l'ont vu quelquefois dans un pareil état
+d'excitation.</p>
+
+<p>Habitué à manifester sans réserve ses sentimens et ses pensées, il ne
+déguisait pas davantage le peu de prix qu'il attachait à ces débris des
+arts antiques, qu'il voyait si ardemment recherchés par tous ses
+classiques compagnons de voyage. Lord Sligo se proposait d'employer
+quelque argent à faire faire des fouilles pour chercher des antiquités.
+Lord Byron, en lui offrant de surveiller ces travaux, et de tenir la
+main à ce que cet argent reçût une destination légitime, lui dit: «Vous
+pouvez être bien tranquille en vous en rapportant à moi, je ne suis pas
+<i>dilettante</i>. Tous vos connaisseurs sont des voleurs; mais je fais trop
+peu de cas de ces sortes de choses pour en dérober jamais.»</p>
+
+<p>Il observa plus sévèrement encore, pendant ses voyages, le régime qu'il
+avait adopté pour se faire maigrir, et qu'il avait commencé à suivre
+avant de quitter l'Angleterre. À Athènes, il prenait, dans ce dessein,
+des bains chauds trois fois la semaine; sa boisson habituelle était un
+mélange d'eau et de vinaigre, et il mangeait rarement autre chose qu'un
+peu de riz.</p>
+
+<p>Au nombre des personnes qu'il vit le plus à cette époque, outre lord
+Sligo, se trouvaient lady Hester Stanhope et M. Bruce; et même l'un des
+premiers objets qui s'offrirent aux yeux de ces voyageurs distingués, au
+moment où ils approchaient des côtes de l'Attique, fut Lord Byron se
+jouant dans son élément favori au pied des rochers du cap Colonne. Ils
+furent ensuite présentés les uns aux autres par lord Sligo; et ce fut,
+je crois, à sa table que, dans le cours de leur première entrevue, lady
+Hester, avec cette vive éloquence qui la rend si remarquable, fit
+chaudement la guerre au poète à propos de l'opinion peu favorable à
+l'intelligence des femmes, qu'elle lui supposait. Peu disposé, quand
+même il en eût été capable, à défendre une pareille hérésie contre une
+personne qui, par elle-même, en était la plus irrésistible réfutation,
+Lord Byron n'eut d'autre ressource contre les argumens de sa belle
+antagoniste, que le silence de l'assentiment. Lady Hester sut
+naturellement gré d'une pareille retenue de la part d'un homme de sa
+condition, et ils se lièrent, dès ce moment, de l'amitié la plus
+sincère. En rappelant dans ses <i>Memoranda</i> quelques souvenirs de cette
+époque, après avoir raconté qu'il fut, à Sunium, surpris au bain par une
+société anglaise, il ajoute: «Ce fut le commencement de la plus agréable
+connaissance que j'aie faite en Grèce...» Puis il continue en protestant
+à M. Bruce, si jamais ces pages tombent sous ses yeux, qu'il se
+souvenait encore avec plaisir des jours qu'ils avaient passés ensemble à
+Athènes.</p>
+
+<p>Pendant son séjour en Grèce à cette époque, nous le voyons former une de
+ces amitiés singulières (si l'on peut prononcer ce beau nom en pareille
+circonstance), dont j'ai cité déjà deux ou trois exemples en traçant
+l'histoire de sa jeunesse, et dont le charme principal à ses yeux semble
+avoir consisté dans le plaisir d'être protecteur, et celui de faire
+naître des sentimens de reconnaissance. Un jeune Grec, nommé Nicolo
+Giraud, fils d'une dame veuve, chez laquelle logeait l'artiste Lusieri,
+fut celui qu'il adopta de cette manière, sans doute par suite d'idées
+semblables à celles qui avaient inspiré ses premiers attachemens pour le
+jeune paysan de Newstead, et pour le jeune chantre de Cambridge. Il
+paraît avoir porté à ce jeune homme un intérêt très-vif, et l'on peut
+dire fraternel; c'est au point que, non-seulement il lui fit accepter,
+en le quittant à Malte, une somme considérable, mais encore il lui donna
+dans la suite, comme le lecteur le verra, une preuve plus durable de sa
+générosité.</p>
+
+<p>Quoiqu'il fît de tems à autre des excursions en Attique et en Morée, il
+avait fixé son quartier-général à Athènes, où il logeait dans un couvent
+de franciscains; et dans les intervalles d'une tournée à l'autre, il
+s'occupait à recueillir des matériaux pour ces notes sur la situation de
+la Grèce moderne, dont il a fait suivre le second chant de <i>Childe
+Harold</i>. Ce fut aussi dans cette retraite qu'il composa, comme pour
+braver le <i>Genius loci</i>, ses imitations d'Horace. Cette satire, qui
+retrace d'un bout à l'autre des scènes de la vie de Londres, porte pour
+date: «Athènes, couvent des Capucines, 12 mars 1811.»</p>
+
+<p>Dans le petit nombre de lettres qu'il écrivit encore à sa mère, je ne
+choisirai que les deux suivantes.</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE XLIX.</h3>
+
+<h4>À MRS. BYRON.</h4>
+
+<p class="rig">Athènes, 14 janvier 1811.</p><br><br>
+
+<p><span class="sc">Chère Madame</span>,</p>
+
+<p>«Je saisis, suivant mon usage, une occasion d'écrire brièvement, mais
+fréquemment; l'arrivée des lettres, à défaut de communications
+régulières, étant fort incertaine... J'ai dernièrement fait plusieurs
+tournées de quelque cent ou deux cents milles en Morée et dans
+l'Attique, etc. J'ai terminé aussi ma grande excursion par la Troade et
+Constantinople, etc., et suis maintenant revenu encore une fois à
+Athènes. Je crois vous avoir écrit plusieurs fois qu'à l'imitation de
+Léandre (quoique sans sa dame), j'avais traversé l'Hellespont de Sestos
+à Abydos. Fletcher, que j'ai renvoyé en Angleterre avec des papiers,
+vous instruira de cette circonstance et de quelques autres. Je n'aurai
+pas, je crois, à me plaindre beaucoup de son absence, connaissant
+passablement l'italien et le grec moderne; j'étudie cette dernière
+langue avec un maître, et j'en sais tout ce qu'un homme raisonnable peut
+désirer pour converser et donner des ordres. En outre, les lamentations
+perpétuelles de Fletcher sur la privation de bœuf et de bière, son
+mépris stupide pour tout ce qui est étranger, son incapacité
+insurmontable pour apprendre le moindre mot d'aucune langue, le
+rendaient une charge, suivant l'usage de tous les autres domestiques
+anglais. Je vous assure que l'ennui de parler pour lui, les consolations
+dont il avait besoin (beaucoup plus que moi-même), les pilaus (mets turc
+composé de riz et de viande) qu'il ne pouvait manger, les vins qu'il ne
+pouvait boire, les lits dans lesquels il ne pouvait dormir, et la longue
+liste des calamités, telles que les faux pas des chevaux, le manque de
+thé!!! qui l'assaillaient sans cesse, l'auraient rendu un objet
+continuel de plaisanteries pour les spectateurs et d'embarras pour son
+maître. Après tout, l'homme est assez honnête et assez capable dans un
+pays chrétien; mais en Turquie, Dieu me pardonne! mes soldats albanais,
+mes Tartares et mes janissaires travaillaient pour lui et pour nous
+aussi, ainsi que mon ami Hobhouse peut le certifier.</p>
+
+<p>»Il est probable que je reviendrai en Angleterre au printems; mais pour
+l'exécution de ce projet, il me faut des remises. Mes propres fonds
+m'auraient très-bien suffi; mais j'ai été obligé d'aider un ami qui me
+paiera, j'en suis certain; et en attendant je n'ai pas le sou.
+Maintenant je ne me soucie pas d'entreprendre un voyage d'hiver, même
+quand je serais fatigué de voyager; et je suis tellement convaincu des
+avantages que l'on recueille à observer l'espèce humaine au lieu de lire
+ce que l'on en écrit, et des fâcheux effets de rester chez soi, en proie
+aux préjugés étroits d'un insulaire, que je pense qu'il devrait exister
+parmi nous une loi qui envoyât pour un tems les jeunes gens à
+l'étranger, chez le petit nombre d'alliés que nos guerres nous ont
+laissés.</p>
+
+<p>»Ici je vis et je converse avec des Français, des Italiens, des
+Allemands, des Danois, des Grecs, des Turcs, des Américains, etc., etc.,
+etc.; et sans perdre de vue mon pays, je puis juger des manières des
+autres. Quand je reconnais la supériorité de l'Angleterre (sur le compte
+de laquelle, soit dit en passant, nous nous abusons en bien des choses),
+j'en suis satisfait; et lorsque je la trouve inférieure, je m'éclaire au
+moins sous ce rapport. J'aurais pu continuer un siècle à être enfumé
+dans vos villes, ou à humer le brouillard dans vos campagnes, sans
+apprendre cette vérité, et sans rien acquérir chez moi de plus utile ou
+de plus agréable. Je ne tiens point de journal, et n'ai point
+l'intention de griffonner mes voyages. J'ai fini avec le métier
+d'auteur; et si, dans ma dernière production, j'ai prouvé aux critiques
+ou au monde que j'étais quelque chose de plus que ce qu'ils supposaient,
+je suis satisfait, et ne hasarderai point <i>cette réputation</i> par un
+futur effort. Il est vrai que j'ai quelques autres productions en
+portefeuille; mais je les laisse pour ceux qui me survivront. Si on les
+juge dignes de la publication, elles serviront à éterniser ma mémoire,
+lorsque moi-même j'aurai cessé d'avoir un souvenir. J'ai pris ici un
+artiste bavarois qui prend pour moi quelques vues d'Athènes, etc. Cela
+vaudra mieux que du griffonnage, maladie dont j'espère être guéri. À mon
+retour, j'espère mener une vie tranquille et retirée; mais Dieu sait
+mieux que nous ce qu'il nous faut, et agit en conséquence, au moins à ce
+que l'on dit. Je n'ai point d'objection à faire à cela, après tout,
+n'ayant pas raison de me plaindre de mon lot. Je suis cependant
+convaincu que les hommes se font eux-mêmes plus de mal que le diable ne
+pourrait jamais leur en faire. J'espère que cette lettre vous trouvera
+en bonne santé, et autant heureuse que nous pouvons l'être. Vous
+apprendrez au moins avec plaisir qu'il en est ainsi pour moi, et que je
+suis à jamais votre...»</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE L.</h3>
+
+<h4>À MRS. BYRON.</h4>
+
+<p class="rig">Athènes, 28 février 1811.</p><br><br>
+
+<p><span class="sc">Chère Madame</span>,</p>
+
+<p>«Comme j'ai reçu un firman pour l'Égypte, etc., je partirai pour ce pays
+dans le courant du printems, et je vous prie de mander à M. H... qu'il
+est nécessaire de me faire parvenir des fonds. Au sujet de Newstead, je
+réponds, comme auparavant, non. S'il faut vendre, vendez Rochdale.
+Fletcher sera arrivé à cette époque avec mes lettres relatives à cet
+objet. Je vous dirai d'abord franchement que je n'aime pas les placemens
+de fonds. Si, par quelque circonstance particulière, j'étais amené à
+adopter une telle résolution, j'irais, à tout événement, passer ma vie à
+l'étranger: le seul lien qui m'attache à l'Angleterre est Newstead; et
+ce lien une fois rompu, ni mon intérêt ni mes inclinations ne
+m'appelleraient dans le Nord. La médiocrité dans votre pays est
+l'opulence en Orient, tant est grande la différence qui existe dans la
+valeur monétaire et l'abondance des objets nécessaires à la vie. Je me
+sens tellement un citoyen du monde, que le pays où je pourrai jouir d'un
+climat délicieux et de toutes les recherches du luxe, à un prix moindre
+que celui de la vie ordinaire de collége en Angleterre, sera toujours
+une patrie pour moi. Telles sont en effet les côtes de l'Archipel. Voici
+donc l'alternative:--Si je garde Newstead, je reviens; si je le vends,
+je reste à l'étranger. Je n'ai reçu d'autres lettres de vous que celles
+de juin, mais j'ai écrit plusieurs fois; et, comme à l'ordinaire, je
+continuerai d'après le même plan.</p>
+
+<p>»Croyez-moi à jamais votre, etc.<br>
+
+<span class="rig">BYRON.</span><br></p>
+
+<p>»<i>P. S.</i> Je vous verrai probablement dans le cours de l'automne; mais je
+ne puis réellement, à une telle distance, vous désigner aucun mois en
+particulier.»</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE LI.</h3>
+
+<h4>À M. HODGSON.</h4>
+
+<p class="mid">À bord de la frégate <i>la Volage</i><a id="footnotetag141" name="footnotetag141"></a>
+<a href="#footnote141"><sup class="sml">141</sup></a>, 29 juin 1811.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote141"
+name="footnote141"><b>Note 141: </b></a><a href="#footnotetag141">
+(retour) </a> Le voyage d'Égypte, que, par la lettre précédente,
+ il semble avoir projeté, fut abandonné, probablement à défaut
+ des fonds qu'il attendait; et, le 3 de juin, il mit à la
+ voile de Malte pour l'Angleterre, sur la frégate <i>la Volage</i>,
+ ayant, pendant son court séjour à Malte, éprouvé une violente
+ attaque de fièvre tierce. D'après les lettres mélancoliques
+ qui suivent, on peut se faire une idée des sentimens avec
+ lesquels il revenait dans sa patrie.</blockquote>
+
+<p>«Dans huit jours, avec un bon vent, nous serons à Portsmouth; et, le 2
+de juillet, se termineront (jour pour jour) deux années d'un voyage
+duquel je reviens avec aussi peu d'émotion qu'à mon départ. Je pense
+pourtant que j'ai eu plus de peine à quitter la Grèce que l'Angleterre,
+pays que je suis impatient de revoir par la seule raison que je suis las
+d'un si long voyage.</p>
+
+<p>»En vérité, mon avenir n'offre rien de très-agréable. Embarrassé dans
+mes affaires particulières, indifférent au public, solitaire semis avoir
+le désir de la société, le corps affaibli par des fièvres successives,
+mais l'esprit, je l'espère, non encore abattu, je retourne <i>au logis</i>
+sans une espérance, et presque sans un désir. La première chose qu'il me
+faudra braver, sera un homme de loi; la seconde un créancier, puis des
+charbonniers, des fermiers, des arpenteurs, et toutes les agréables
+conséquences d'un domaine en désordre et de mines de charbon contestées.
+En un mot, je suis malade et chagrin; et, lorsque j'aurai un peu réparé
+mes irréparables affaires, je décamperai ou vers l'Espagne pour y
+guerroyer, ou encore une fois vers l'Orient, où je puis au moins avoir
+des cieux sans nuages et un refuge contre les impertinens.</p>
+
+<p>»Je compte vous rencontrer ou vous voir à la ville ou à Newstead, toutes
+les fois que vous pourrez y venir sans vous déranger. Je suppose que,
+comme d'habitude, vous faites de l'amour et de la poésie. Ce mari de
+H... Drury ne m'a jamais écrit, quoique je lui aie adressé plus d'une
+lettre; mais je jurerais que le pauvre homme a de la famille, et que par
+conséquent tous ses soins sont concentrés dans son cercle.</p>
+
+<p>Car des enfans causent de nouvelles dépenses, et Dicky est maintenant en
+âge d'aller à l'école.<br>
+
+<span class="rig">(<span class="sc">Warton</span>.)</span><br></p>
+
+<p>»Si vous le voyez, dites-lui que je lui apporte une lettre de Tucker, un
+de ses amis, chirurgien de l'armée, qui m'a soigné et est un très-digne
+homme, quoiqu'il aime trop les mots de son métier. J'arriverais trop
+tard pour le jour des exercices oratoires, ou je serais probablement
+descendu à Harrow.<br>........................................................................................
+........................................................</p>
+
+<p>»J'ai beaucoup regretté en Grèce d'avoir omis d'emporter
+l'<i>Anthologie</i>.--Je veux dire celle de Bland et de
+Mirivale. ....................................................................................................................................................</p>
+
+<p>»Qu'est devenu sir Edgar? Et les imitations et les traductions, où en
+sont-elles? Je suppose que vous n'avez pas l'intention d'abandonner si
+aisément le public, mais que vous l'attaquerez avec un in-quarto. Quant
+à moi, je suis excédé des fats de la poésie et des bavardages, «et je
+laisserai tout le domaine Castalien» à Bufo ou à tout autre. Mais vous
+êtes un homme sentimental et sensible, et vous rimerez jusqu'à la fin du
+chapitre. Quoi qu'il en soit, j'ai écrit quelque quatre mille vers d'un
+genre ou d'un autre, sur mes voyages.</p>
+
+<p>»Je n'ai pas besoin de vous répéter que je serais heureux de vous voir.
+J'arriverai à Londres vers le 8, à l'hôtel de Dorant, rue d'Albemarle,
+et mes affaires m'appelleront quelques jours après dans le Nottingham
+supérieur, et de là à Rochdale.</p>
+
+<p>»Je suis, ici et là, votre, etc.»</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE LII.</h3>
+
+<h4>À MRS. BYRON.</h4>
+
+<p class="mid">À bord de la frégate <i>la Volage</i>, 25 juin 1811.</p>
+
+<p><span class="sc">Chère Mère</span>,</p>
+
+<p>«Cette lettre, qui vous sera envoyée à notre arrivée à Portsmouth,
+probablement vers le 4 de juillet, a été commencée à peu près
+vingt-trois jours après notre départ de Malte. Le 2 de juillet, jour
+pour jour, j'aurai été deux ans absent de l'Angleterre, et j'y reviens
+en grande partie avec les mêmes sentimens qui me dominaient à mon
+départ; savoir, l'indifférence. Mais cette apathie ne s'étend
+certainement pas jusqu'à vous, ainsi que je vous le prouverai par tous
+les moyens en mon pouvoir. Vous serez assez bonne pour faire préparer
+mon appartement à Newstead; mais que rien ne vous dérange, et surtout
+que ce ne soit pas moi. Ne me considérez que comme une visite ordinaire.
+Je dois seulement vous informer que, depuis long-tems, je me suis
+astreint à une diète végétale complète, et que le poisson ni la viande
+n'entrent dans mon régime. Je compte donc sur une provision considérable
+de pommes de terre, d'herbes et de biscuit. Je ne bois point de vin.
+J'ai avec moi deux domestiques, hommes de moyen âge, et tous deux Grecs.
+Mon intention est de me rendre d'abord à Londres pour voir M. H..., et
+de passer de là à Newstead, en allant à Rochdale. Je n'ai d'autre prière
+à vous faire que celle de ne point oublier mon régime, qu'il m'est
+très-nécessaire d'observer. Je suis en bonne santé, comme je l'ai
+généralement été, à l'exception de deux accès de fièvre dont je fus
+promptement débarrassé.</p>
+
+<p>»Mes projets dépendront tellement des circonstances, que je ne me
+hasarderai point à énoncer une opinion à ce sujet. Mon avenir n'est pas
+flatteur; mais je suppose que nous lutterons toute notre vie, comme nos
+voisins. En vérité, d'après les dernières informations de H..., j'ai
+quelque crainte de trouver Newstead démantelé par MM. Brothers, etc.:
+H... semble déterminé à me forcer à le vendre; mais il sera trompé dans
+son espoir. Je pense que je ne serai pas obsédé de visiteurs; mais s'il
+en était autrement, vous devrez les recevoir, car je suis résolu à ne
+laisser violer ma retraite par personne. Vous savez que je n'ai jamais
+beaucoup aimé la société; je l'aime encore moins qu'auparavant. Je vous
+apporte un schall et une quantité d'essence de roses. Il faudra que
+j'entre tout cela par contrebande, s'il est possible. J'espère trouver
+ma bibliothèque en assez bon ordre.</p>
+
+<p>»Fletcher est sans doute arrivé. Je distrairai le moulin, de la ferme de
+M. B***; son fils est un trop brillant séducteur pour hériter des deux
+objets, et j'y placerai Fletcher, qui m'a servi fidèlement, et dont
+l'épouse est une bonne femme. Il est, en outre, nécessaire de tempérer
+l'ardeur du jeune M. B***, ou il peuplera la paroisse de bâtards. En un
+mot, s'il avait séduit une laitière, il aurait pu trouver quelque
+excuse; mais la fille est son égale, et, dans la haute comme dans la
+basse classe, en circonstance semblable, la réparation est de droit;
+mais je n'interviendrai qu'en démembrant (comme Bonaparte) le royaume de
+M. B***, afin d'en ériger une partie en principauté pour le
+feld-maréchal Fletcher. J'espère que vous gouvernez d'une main prudente
+mon petit empire et sa triste charge de dette nationale. Pour rompre la
+métaphore, permettez-moi de me dire votre, etc.</p>
+
+<p>»<i>P. S.</i> Cette lettre était écrite pour être envoyée de Portsmouth;
+mais, à notre arrivée, l'escadre a reçu l'ordre de se rendre à Nore.
+C'est de là que partira ma lettre. Je n'ai point fait cet envoi plus
+tôt, parce que j'ai supposé que vous pourriez éprouver des inquiétudes,
+l'intervalle mentionné dans la lettre étant plus long que celui qui
+devait exister entre notre arrivée au port et ma venue à Newstead.»</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE LIII.</h3>
+
+<h4>À M. HENRY DRURY.</h4>
+
+<p class="mid">À bord de la frégate <i>la Volage</i>, à la hauteur d'Ouessant, 17 juillet
+1811.</p>
+
+<p><span class="sc">Mon cher Drury</span>,</p>
+
+<p>«Après deux ans et quelques jours d'absence (le 2), j'approche de votre
+patrie. L'extérieur de ma lettre vous indiquera le jour de mon arrivée.
+Maintenant nous sommes agréablement retenus, par un calme plat, près du
+port de Brest. Je n'en ai jamais été si près depuis que j'ai quitté
+Duck-Puddle.<br> ........................................................................................................................................</p>
+
+<p>»Nous sommes partis de Malte depuis trente-quatre jours, et nous avons
+eu une traversée fort ennuyeuse. Vous me verrez ou entendrez parler de
+moi bientôt après la réception de cette lettre, puisque je dois passer
+par Londres, afin de réparer mes irréparables affaires. De là il me faut
+aller dans le Nottinghamshire, y lever des rentes; ensuite dans le
+Lancashire, y vendre des mines de charbon; et revenir à Londres payer
+des dettes; car il semble que je n'aurai jamais ni charbon ni repos que
+je n'aille à Rochdale en personne.</p>
+
+<p>»Je rapporte quelques marbres pour Hobhouse, pour moi quatre anciens
+crânes athéniens<a id="footnotetag142" name="footnotetag142"></a>
+<a href="#footnote142"><sup class="sml">142</sup></a>, tirés de sarcophages, une fiole de ciguë
+attique<a id="footnotetag143" name="footnotetag143"></a>
+<a href="#footnote143"><sup class="sml">143</sup></a>, quatre tortues vivantes, un lièvre (mort dans la
+traversée), deux domestiques grecs, vivans, l'un Athénien, l'autre
+Yaniote, lesquels ne peuvent parler que le romaïque ou l'italien, et
+<i>moi-même</i>, comme le dit finement Moses dans le <i>Vicaire de Wakefield</i>,
+et je puis le dire à son exemple, car j'ai aussi peu de raison de me
+vanter de mon expédition que lui de la sienne à la foire.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote142"
+name="footnote142"><b>Note 142: </b></a><a href="#footnotetag142">
+(retour) </a> Donnés par la suite à sir Walter Scott.</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote143"
+name="footnote143"><b>Note 143: </b></a><a href="#footnotetag143">
+(retour) </a> Possédée aujourd'hui par M. Murray.</blockquote>
+
+<p>»Je vous écrivis des rochers Cyanéens, pour vous dire que j'avais
+traversé la mer à la nage de Sestos à Abydos. Avez-vous reçu ma
+lettre?... Je suppose qu'Hodgson est, à l'heure qu'il est, enfoncé dans
+l'étude. Que n'aurait-il pas donné pour avoir vu, comme moi, le
+véritable Parnasse, où je fis tort à l'évêque de Chrissa d'un livre de
+géographie? Mais je n'appelle cela qu'un plagiat, en ce que cette action
+fut commise à une heure de chemin de Delphes.»</p>
+
+<p>Maintenant que nous avons ramené le jeune voyageur en Angleterre, il
+peut être intéressant, avant de le suivre dans les scènes qui
+l'attendaient chez lui, de considérer à quel point le caractère général
+de son esprit et de son humeur avait été modifié par la série de voyages
+et d'aventures dans lesquels il avait été engagé pendant les deux années
+qui venaient de s'écouler. Il serait difficile d'imaginer une vie moins
+poétique et moins romanesque que celle qu'il avait menée avant son
+départ pour ses voyages. Dans sa jeunesse, il est vrai, il avait vécu et
+erré parmi des scènes bien capables, selon les idées ordinaires, de
+former les premiers germes du sentiment poétique. Mais bien que le poète
+ait pu se nourrir plus tard de ces brillans souvenirs, il est plus que
+douteux, comme on l'a déjà fait observer, qu'il ait été formé par eux.
+S'il était vrai qu'une jeunesse passée au milieu des scènes de montagnes
+fût si favorable au développement des talens d'imagination, les Gallois
+parmi nous, et les Suisses à l'étranger, devraient briller plus qu'ils
+ne le font de nos jours par leurs conceptions poétiques. Mais, en
+accordant même que la mémoire des premières excursions de Byron ait eu
+quelque part dans la direction de ses idées, l'effet réel de cette
+influence, quelle qu'elle fût, cessa avec son enfance, et la vie qu'il
+mena ensuite, durant son séjour au collége d'Harrow, fut ce que
+naturellement la vie d'un écolier si rêveur et si entreprenant devait
+être, tout autre chose que poétique. Pour un soldat ou un aventurier,
+l'éducation qu'il reçut alors eût été parfaite. Ses exercices
+athlétiques, ses combats, son amour pour les entreprises hasardeuses,
+donnèrent les indices d'un esprit fait pour la carrière la plus
+orageuse; mais ces dispositions paraissaient, de toutes, les moins
+favorables aux études méditatives de la poésie; et bien qu'elles
+promissent de le rendre plus tard un sujet d'inspiration pour les
+poètes, elles ne donnaient assurément que très-peu d'espérance de le
+voir jamais lui-même briller au premier rang parmi eux.</p>
+
+<p>Ses habitudes à l'université étaient encore moins intellectuelles et
+moins littéraires. Dès son enfance, il avait lu beaucoup et avec ardeur,
+quoique sans méthode; mais cette application même de son esprit,
+irrégulière et sans direction comme elle était, il l'avait en grande
+partie abandonnée après son départ d'Harrow; et au nombre des
+occupations qui se partageaient son tems à l'académie, les jeux de
+hasard, l'escrime, les soins à donner à son ours et à ses boul-dogues
+furent au moins les plus innocentes, si elles ne furent pas les plus
+favorites. Pendant son séjour à Londres, on ne le voit pas davantage
+cultiver son intelligence, ou rechercher des amusemens plus délicats.
+N'ayant aucune ressource de société privée par le manque absolu d'amis
+et de parens, il était réduit dans cette ville à fréquenter les oisifs
+de café; et pour ceux qui se rappellent ce qu'étaient à cette époque les
+cafés de Limmer et Stevens, les deux maisons qu'il visitait de
+préférence, il est inutile de dire que, quel que fût d'ailleurs le
+mérite de ces établissemens, ils n'étaient rien moins que des écoles
+convenables au développement d'un caractère poétique.</p>
+
+<p>Mais quelque incompatible qu'une telle vie pût être avec les habitudes
+de contemplation qui seules pouvaient éveiller et fortifier les hautes
+facultés qu'il avait déjà montrées, cependant, sous un autre point de
+vue, le tems qu'il perdit alors en apparence fut, dans la suite, mis à
+profit d'une manière incontestable. En l'initiant ainsi peu à peu à la
+connaissance des variétés de l'esprit humain, en lui donnant l'aperçu
+exact des détails de la société dans leurs formes les moins
+artificielles; enfin, en le mêlant si jeune avec le monde, ses affaires
+et ses plaisirs, la vie qu'il menait à Londres contribua certainement à
+former cette combinaison extraordinaire, qu'on admira plus tard en lui,
+de l'imagination et de la connaissance du monde, de l'héroïque et du
+plaisant, des aperçus les plus fins et les plus minutieux de la vie
+réelle avec les conceptions les plus élevées et les plus sublimes de la
+grandeur idéale.</p>
+
+<p>Une autre disposition dominante de son esprit plus mûr et de ses écrits
+dut peut-être sa naissance aux mêmes causes. Dans cette expérience
+anticipée du monde que lui donnait son contact précoce avec la foule, il
+n'est guère probable qu'un grand nombre des caractères les plus dignes
+de l'espèce humaine aient frappé ses regards. Il n'est que trop
+probable, au contraire, que les individus les plus légers et les moins
+estimables des deux sexes durent être au nombre de ses modèles, et que
+c'est d'après eux, à un âge où les impressions se gravent le plus
+fortement, que ses premiers jugemens sur la nature humaine furent
+formés. De là probablement ces aperçus méprisans et dégradans pour
+l'humanité, qu'il était dans l'usage d'allier au tribut plus noble qu'il
+payait à la beauté et à la majesté de la nature en général. De là le
+contraste qui apparaît entre les productions de son imagination et
+celles de son expérience; entre ces rêves pleins de beauté et de douceur
+que l'une créait à sa volonté, et l'amertume, sombre et désolante qui
+débordait de tous côtés lorsqu'il ne consultait plus que l'autre.</p>
+
+<p>Malgré le peu d'espérance que donnait sa jeunesse de la haute destinée
+qui l'attendait, elle présentait déjà un caractère singulier de la
+puissance de son imagination; je veux parler de cet amour de la solitude
+qui, de bonne heure, indique ces goûts d'étude et d'observation de
+soi-même par lesquelles seules «les carrières de diamans» du génie sont
+exploitées et mises au grand jour. Dans son enfance à Harrow, il avait
+fortement montré cette disposition; on le connaissait au collége comme
+je l'ai déjà dit, pour aimer à s'éloigner de ses camarades, et à
+s'asseoir seul sur une tombe dans le cimetière, s'abandonnant ainsi à la
+rêverie pendant des heures entières. À mesure que son esprit révéla ses
+ressources, ce sentiment domina en lui; et quand ses voyages à
+l'étranger n'auraient servi qu'à le détacher des distractions de la
+société pour le mettre en état, solitaire célèbre, de communiquer avec
+son propre esprit, cela eût été un grand pas de fait vers l'expansion
+complète de ses facultés. Ce fut réellement alors qu'il commença à se
+sentir capable de se livrer au détachement que l'étude de soi-même
+exige, et qu'il put jouir de cette liberté, indépendante du mélange des
+pensées d'autrui, et qui seule laisse l'esprit contemplatif maître de
+ses propres idées. Dans la solitude de ses nuits sur mer, dans ses
+excursions isolées à travers la Grèce, il jouit d'assez de loisir et de
+solitude pour s'observer lui-même, et là s'apercevoir des premiers
+«éclairs de son glorieux génie.» Un de ses principaux plaisirs, ainsi
+qu'il en fait mention dans ses <i>Memoranda</i>, était, lorsqu'il se baignait
+dans quelque lieu retiré, de s'asseoir, au-dessus de la mer, sur des
+rochers élevés, et là de rester des heures entières à contempler les
+cieux et les eaux<a id="footnotetag144" name="footnotetag144"></a>
+<a href="#footnote144"><sup class="sml">144</sup></a>, et à se perdre dans cette sorte de vague rêverie
+qui, quoique sans forme arrêtée, et sans but pour le moment, se
+répandait ensuite, dans ses écrits, en peintures énergiques et
+brillantes qui vivront à jamais.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote144"
+name="footnote144"><b>Note 144: </b></a><a href="#footnotetag144">
+(retour) </a> Il fait allusion à cette passion dans ces belles
+ stances:
+
+<p> «S'asseoir sur les rochers, contempler la mer, etc.»</p>
+
+<p> Alfieri, avant que son génie ne se fût complètement
+ développé, ainsi qu'il nous le dit, avait l'habitude de
+ passer des heures dans une sorte d'état de rêverie, à
+ contempler l'Océan: «Après le spectacle, un de mes amusemens
+ à Marseille était de me baigner presque tous les soirs dans
+ la mer. J'avais trouvé un petit endroit fort agréable, sur
+ une langue de terre placée à droite hors du port; où, en
+ m'asseyant sur le sable, le dos appuyé contre un petit rocher
+ qui empêchait qu'on ne pût me voir du côté de la terre, je
+ n'avais plus devant moi que le ciel et la mer. Entre ces deux
+ immensités, qu'embellissaient les rayons d'un soleil
+ couchant, je passai, en rêvant, des heures délicieuses; et
+ là, je serais devenu poète, si j'avais su écrire dans une
+ langue quelconque.»</p></blockquote>
+
+<p>S'il n'eût pas été livré à ces doutes et à cette défiance qui entourent
+les premiers pas du génie, les sentimens qu'il devait éprouver et ses
+découvertes dans un nouveau domaine d'intelligence, auraient dû
+convertir les heures solitaires du jeune voyageur en un rêve de bonheur.
+Mais on verra que dans ces momens même, il se défiait de sa propre
+force, et qu'il ne se doutait nullement de la hauteur à laquelle
+s'élèverait l'esprit qu'il évoquait alors. Il devint tellement épris de
+ces rêveries solitaires, que la société même de son compagnon de voyage,
+malgré la sympathie de ses goûts avec les siens, devint pour lui une
+chaîne et un fardeau; et ce ne fut que lorsqu'il se trouva seul, sur le
+rivage d'une petite île de la mer Égée, que son génie respira librement.
+Si l'on voulait une preuve plus forte de sa passion profonde pour
+l'isolement, nous la trouverions, quelques années après, dans ses
+propres écrits, lorsqu'il avoue que, dans la compagnie de la femme qu'il
+aima le plus, il se surprit souvent soupirant après la solitude.</p>
+
+<p>Ce ne fut pas seulement en lui procurant la retraite dont il avait
+besoin pour faire éclore dans le silence ses facultés admirables, que
+les voyages contribuèrent puissamment à la formation de son caractère
+poétique; dès son enfance même, il avait contemplé l'Orient avec des
+yeux romanesques. La lecture qu'il fit, avant l'âge de dix ans, de
+l'histoire des Turcs, par Rycaut, avait pris un fort ascendant sur son
+esprit, et il avait lu avec avidité tous les livres sur l'Orient qu'il
+avait pu rencontrer<a id="footnotetag145" name="footnotetag145"></a>
+<a href="#footnote145"><sup class="sml">145</sup></a>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote145"
+name="footnote145"><b>Note 145: </b></a><a href="#footnotetag145">
+(retour) </a> Quelques mois avant sa mort, dans une conversation
+ avec Mavrocordato, à Missolonghi, Lord Byron dit: «L'histoire
+ turque fut un des premiers livres qui procura du plaisir à ma
+ jeunesse; et je pense que cette lecture eut beaucoup
+ d'influence sur les désirs que j'eus ensuite de visiter le
+ Levant, et donna peut-être à ma poésie cette teinte orientale
+ que l'on y remarque.»<br>
+
+<span class="rig"> (<i>Récit du comte Gamba</i>.)</span><br>
+
+<p> Dans la dernière édition de l'ouvrage du docteur Israeli, sur
+ le <i>caractère littéraire</i>, on trouve quelques notes
+ marginales assez curieuses, écrites par Lord Byron dans un
+ exemplaire de cet ouvrage qui lui appartenait. Parmi ces
+ notes est l'énumération suivante des écrivains qui, outre
+ Rycaut, avaient attiré son attention sur l'Orient de si bonne
+ heure.</p>
+
+<p> «Knolles, Cantemir, de Tott, lady M.W. Montague, la
+ traduction d'Hawkin de l'<i>Histoire des Turcs</i> par Mignot, les
+ <i>Mille et Une Nuits</i>, tous les voyages, toutes les histoires,
+ tous les livres sur l'Orient que je pouvais trouver, je les
+ avais lus, ainsi que Rycaut, avant l'âge de dix ans. Je pense
+ que je lus les <i>Mille et Une Nuits</i> en premier lieu; après
+ cela je préférai le récit des combats de mer, le roman de
+ <i>Don Quichotte</i> et ceux de Smollett, particulièrement
+ <i>Roderic Random</i>, et j'étais passionné pour l'histoire
+ romaine. Lorsque j'étais enfant, je ne pus jamais lire sans
+ dégoût un livre de poésie.»</p></blockquote>
+
+<p>Il s'ensuit qu'en visitant ces contrées il ne fit que réaliser les rêves
+de sa jeunesse, et ce retour de ses pensées vers ce tems d'innocence
+donna à leur cours une fraîcheur et une pureté dont elles avaient manqué
+depuis long-tems. Sans le charme de ces souvenirs, l'attrait de la
+nouveauté était la moindre chose que lui présentaient les scènes
+nouvelles à travers lesquelles il passait. De doux souvenirs du passé,
+et peu d'hommes les ont retenus aussi vivement, se mêlaient aux
+impressions des objets présens à ses yeux; et comme, dans les montagnes
+d'Écosse, il avait souvent traversé, en imagination, les pays musulmans,
+ainsi la même faculté le transportait des montagnes sauvages de
+l'Albanie à celles de Monroy.</p>
+
+<p>Tandis qu'il trouvait à chaque pas des inspirations poétiques, il y
+avait aussi dans ce prompt changement de place et de scène, dans cette
+diversité d'hommes et d'usages qui l'entouraient, dans l'espérance
+continuelle d'aventures nouvelles, et d'entreprises extraordinaires, une
+succession et une variété d'<i>excitation</i> toujours renouvelée, qui
+mettaient non-seulement en action, mais rendaient plus vigoureuse toute
+l'énergie de son caractère. Ainsi qu'il décrit lui-même sa manière de
+vivre, c'était aujourd'hui dans un palais, demain dans une étable; un
+jour avec le pacha, l'autre avec le berger. C'est ainsi qu'il trouva
+toujours à exercer son esprit observateur, et que les impressions se
+multiplièrent sur son imagination. Déjà initié à quelques-unes des
+privations et des peines de la vie, pouvant juger par-là des rigueurs de
+l'adversité, il apprit à agrandir le cercle de ses sympathies, plus
+qu'il n'est ordinaire dans le rang élevé auquel il appartenait, et il
+s'habitua à cette trempe vigoureuse et mâle de pensée qui est si
+profondément gravée dans tous ses écrits. Nous ne devons pas oublier, au
+nombre de ces salutaires effets de ses voyages, les nobles inspirations
+du danger qu'il éprouva plus d'une fois, ayant été placé, tant sur terre
+que sur mer, dans des situations bien calculées pour éveiller ces
+sentimens d'énergie que des périls envisagés de sang-froid ne manquent
+jamais de faire naître.</p>
+
+<p>Le vif intérêt, qu'en dépit de sa philosophie apparente à cet égard,
+dans <i>Childe Harold</i>, il prenait à tout ce qui se rattache à la vie
+militaire, trouva des occasions fréquentes de satisfaction,
+non-seulement à bord des vaisseaux de guerre anglais sur lesquels il
+s'embarqua, mais aussi dans ses divers rapports avec les soldats du
+pays. À Salora, place isolée sur le golfe d'Arta, il passa une fois deux
+ou trois jours logé dans une misérable baraque. Pendant tout ce tems il
+vécut familièrement avec les soldats. Ces guerriers farouches, que l'on
+pourrait presque appeler des brigands, assis autour du jeune poète, et
+examinant avec une sauvage admiration son fusil de Manton<a id="footnotetag146" name="footnotetag146"></a>
+<a href="#footnote146"><sup class="sml">146</sup></a> et son
+épée anglaise, présentaient chaque soir une scène curieuse dont le
+tableau pourrait offrir un contraste, malheureusement trop affligeant,
+avec ce qui se passa quand le poète, devenu l'un de leurs capitaines,
+mourut sur cette même terre avec des Souliotes pour gardes et la Grèce
+entière pour cortége de deuil.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote146"
+name="footnote146"><b>Note 146: </b></a><a href="#footnotetag146">
+(retour) </a> «Il plut beaucoup le jour suivant, et nous
+ passâmes encore cette soirée avec nos soldats. Leur
+ capitaine, Elmas, essaya un beau fusil de Manton<a id="footnotetag146a" name="footnotetag146a"></a>
+<a href="#footnote146a"><sup class="sml">146a</sup></a>,
+ appartenant à mon ami; et comme il touchait le but à chaque
+ coup, il y prit grand plaisir: <i>Hobhouse's Journey</i>, etc.»</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote146a"
+name="footnote146a"><b>Note 146a: </b></a><a href="#footnotetag146a">
+(retour) </a> Nom d'un arquebusier.</blockquote>
+
+<p>Il est vrai qu'au milieu des émotions réveillées par cette variété
+d'objets, son esprit était toujours plongé dans cette mélancolie qu'il
+avait apportée de son pays natal. Il fit sur M. Adair et sur M. Bruce,
+comme je l'ai déjà dit, l'effet d'un homme en proie à un profond
+abattement; et ce fut aussi l'opinion du colonel Leake, qui, à cette
+époque, était notre résident à Joannina<a id="footnotetag147" name="footnotetag147"></a>
+<a href="#footnote147"><sup class="sml">147</sup></a>. Mais cette mélancolie
+même, malgré son opiniâtreté, dut certainement parvenir, sous
+l'influence énergique et salutaire de sa vie errante, à un degré
+d'élévation qu'elle n'aurait jamais pu atteindre au milieu des
+contrariétés qui l'obligeaient à se replier sur elle-même. S'il n'eût
+pas voyagé, peut-être serait-il devenu un satirique grondeur; mais à
+mesure que ses yeux embrassaient un plus vaste horizon, tous les
+sentimens de son cœur se développèrent dans la même proportion; et cette
+tristesse innée, en se combinant avec les effusions de son génie, devint
+une des principales causes de leur énergie et de leur grandeur. Quelle
+pensée sublime, en effet, s'éleva jamais dans l'ame, sans que la
+mélancolie, quoique ignorée peut-être, y ait eu quelque part?</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote147"
+name="footnote147"><b>Note 147: </b></a><a href="#footnotetag147">
+(retour) </a> Il faut se rappeler que ces deux personnes le
+ virent le plus souvent dans des circonstances où l'étiquette
+ des présentations devait, par suite de sa froide réserve,
+ porter au plus haut degré la tristesse de ses pensées. Son
+ compagnon de voyage parle de lui bien différemment. Dans le
+ récit d'une courte excursion à Négrepont, M. Hobhouse, qui ne
+ put l'y accompagner, exprime avec force le vide que lui fait
+ éprouver l'absence d'un ami qui joignait à la vivacité
+ d'observation et à des remarques piquantes, cette bonne
+ humeur communicative, qui réveille l'attention au milieu des
+ fatigues et rend les dangers moins terribles. Lord Byron,
+ dans quelques vers des imitations d'Horace, adressés
+ évidemment à M. Hobhouse, se rend la même justice, en ce qui
+ regarde sa sociabilité, mais il donne une idée plus nette de
+ la tournure d'esprit qui en était la source:
+
+<p> «Cher Moschus, avec toi j'espère encore passer de longues
+ heures, riant de la folie des hommes, si nous ne pouvons
+ sourire à leurs traits d'esprit. Oui, je veux, ami, quitter
+ pour toi ma cellule de cynique, et adopter la devise de
+ Swift: Vivent les badinages! etc.»</p></blockquote>
+
+<p>Les lettres qu'il écrivit pendant la traversée, à son retour en
+Angleterre, nous ont appris combien alors les dispositions de son ame
+étaient loin d'être gaies et ses espérances d'être flatteuses; sans
+contredit, eût-il été doué de la plus grande confiance, les contrariétés
+qui l'attendaient dans sa patrie étaient bien suffisantes pour attrister
+ses prévisions et comprimer son élasticité d'esprit. «Être heureux chez
+soi, dit Johnson, c'est là en définitive, le but de toute ambition, la
+fin où tendent nos travaux et nos entreprises.» Mais Lord Byron n'avait
+pas de <i>chez soi</i>, rien du moins qui méritât ce nom si séduisant. Ce
+bonheur de faire partie d'une famille bien unie dont les prières
+l'auraient suivi dans ses voyages, dont l'attention aurait avidement
+écouté ses récits à son retour, il ne le connut jamais, quoique la
+nature lui eût donné un cœur digne de l'apprécier. Privé de tout ce qui
+soutient et encourage, il eut à lutter contre tout ce qui désole et
+humilie. À l'horreur d'un intérieur sans affections vint se joindre le
+fardeau d'une position sociale sans ressources suffisantes, et il
+éprouva ainsi tous les embarras de la vie domestique, sans jouir des
+charmes qui les compensent. Pendant son absence, on avait laissé tomber
+ses affaires dans une confusion plus grande encore, que leur tendance
+naturelle ne donnait lieu de le craindre. On avait, l'année précédente,
+exécuté une saisie à Newstead, pour une somme de quinze cents liv. st.,
+due à MM. Brothers, tapissiers, et nous croyons devoir rapporter un
+trait du vieux Joë Murray dans cette circonstance. C'était un terrible
+crève-cœur pour ce vieux et fidèle serviteur, jaloux de l'antique
+honneur des Byron, de voir l'annonce de la vente placardée sur la porte
+de l'abbaye. Mais redoutant assez la loi pour ne pas arracher l'affiche,
+il se décida, pour s'en dédommager, à la couvrir d'une large feuille de
+papier brun qu'il colla par dessus.</p>
+
+<p>Malgré la résolution, si récemment exprimée par Lord Byron, d'abandonner
+pour jamais le métier d'auteur, et de laisser à d'autres <i>tout l'empire
+Castalien</i>, nous le trouvons, à peine débarqué en Angleterre,
+très-activement occupé de préparer la publication de quelques-uns des
+poèmes qu'il avait composés dans ses voyages. Il y mettait même tant
+d'empressement qu'il avait déjà, dans une lettre écrite en mer, annoncé
+à M. Dallas, qu'on pourrait de suite les mettre sous presse. Je vais
+placer ici sous les yeux du lecteur les parties les plus essentielles de
+cette lettre qui, d'après sa date, aurait dû précéder quelques-unes de
+celles que nous avons déjà données.</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE LIV.</h3>
+
+<h4>À M. DALLAS.</h4>
+
+<p class="mid">À bord de la frégate <i>la Volage</i>, 28 juin 1811.</p>
+
+<p>«Après une absence de deux ans (jour pour jour, le 2 de juillet, avant
+lequel nous n'arriverons pas à Portsmouth), me voilà revenant en
+Angleterre...</p>
+
+<p>»J'y reviens avec peu d'espoir de bonheur domestique, et une
+constitution un peu ébranlée par une ou deux atteintes fort vives de
+fièvre; mais avec une ame qui n'est point abattue. Mes affaires, à ce
+qu'il paraît, sont terriblement embrouillées, et je vais avoir
+d'interminables difficultés à régler avec les gens de loi, les
+charbonniers, les fermiers et les créanciers. Or, pour un homme qui
+redoute les embarras, autant qu'il redoute un évêque, c'est un sérieux
+sujet d'inquiétude.</p>
+
+<p>»Ma satire, à ce que je crois, est à sa quatrième édition; ce n'est pas
+un succès tout-à-fait médiocre; il n'a cependant rien d'exagéré pour une
+production qui, en raison du sujet qu'elle traite, ne peut intéresser
+long-tems, et doit, par conséquent, avoir un succès immédiat, où n'en
+avoir aucun. Aujourd'hui que je pense et agis avec plus de modération,
+je regrette de l'avoir écrite, quoiqu'il soit probable que je la
+trouverai oubliée par tout le monde, moins ceux qu'elle a offensés.</p>
+
+<p>»Votre protégé et celui de Pratt, le cordonnier Blackett est donc mort,
+malgré ses vers! Cette mort est probablement une de celles qui sauvent
+un homme de la damnation. C'est parmi vous que le pauvre diable s'est
+perdu. Sans ses patrons, il serait peut-être aujourd'hui en fort bonne
+posture, faisant des souliers, non des vers; mais vous avez voulu en
+faire un immortel, coûte que coûte. Je dis cela dans la supposition que
+ce sont la poésie, le patronage et les liqueurs fortes qui l'ont tué. Si
+vous êtes à Londres au commencement ou vers le commencement de juillet,
+vous me trouverez à l'hôtel Dorant, Albemarle-Street, où je serai charmé
+de vous voir. J'ai une imitation de l'art poétique d'Horace, que
+Cawthorn pourra imprimer de suite; mais que cela ne vous effraie pas, je
+n'ai pas l'intention de vous en fatiguer. Vous savez bien que je ne lis
+jamais mes vers aux personnes qui me viennent voir. Je partirai de
+Londres après un séjour fort court, pour me rendre dans le
+Nottinghamshire et de là à Rochdale.</p>
+
+<p>»Votre, etc.»</p>
+
+<p>Dès que Lord Byron fut arrivé à Londres, M. Dallas se rendit près de
+lui. «Le 15 juillet, dit ce gentleman, j'eus le plaisir de lui serrer la
+main, à l'hôtel Reddish, Saint-James's-Street: je trouvai que son aspect
+démentait ce qu'il m'avait dit de sa santé, et son air n'annonçait ni
+mélancolie, ni mécontentement d'être de retour. Il m'entretint, avec
+beaucoup de feu, de ses voyages; mais il m'assura qu'il n'avait jamais
+eu l'idée de les écrire. Il me dit qu'à son avis la satire était son
+fort; qu'il s'en tenait à ce genre, et qu'il avait composé pendant ses
+divers séjours une paraphrase de l'art poétique d'Horace, qui serait un
+excellent supplément aux <i>Bardes anglais et critiques écossais</i>. Il
+semblait espérer que sa réputation s'en accroîtrait, et j'entrepris d'en
+surveiller la publication, comme je l'avais fait pour la satire. J'avais
+mal choisi l'instant de ma visite, et nous eûmes à peine le tems de nous
+entretenir sans être interrompus. Il m'engagea donc à venir le lendemain
+déjeûner avec lui.»</p>
+
+<p>Dans l'intervalle, M. Dallas parcourut cette paraphrase que Lord Byron
+lui avait permis d'emporter dans ce dessein, et son <i>désappointement</i>,
+comme il le dit lui-même, fut cruel, en découvrant qu'un voyage de deux
+ans dans les contrées inspiratrices de l'Orient, n'avait pas produit
+plus de richesses poétiques. À leur rendez-vous du lendemain, quoiqu'il
+s'abstînt de déprécier cet ouvrage, il ne put s'empêcher, comme il nous
+l'apprend lui-même, d'exprimer à son noble ami quelque surprise de ce
+qu'il n'avait composé rien de plus pendant son absence. «Alors,
+continue-t-il, Lord Byron me dit qu'il avait en diverses occasions écrit
+de courts poèmes, outre une grande quantité de stances, du rhythme de
+Spencer, relatives aux pays qu'il avait parcourus. «Mais, dit-il, elles
+ne sont pas dignes de votre attention; vous pouvez cependant les
+emporter toutes, si cela vous fait plaisir.» C'est ainsi que j'obtins le
+pélerinage de <i>Childe Harold</i>: il le tira d'un coffret avec beaucoup
+d'autres poésies. Il me dit qu'elles n'avaient été lues que par une
+seule personne qui y avait trouvé peu de choses à louer et beaucoup à
+critiquer; que c'était son avis, et qu'il était sûr que ce serait aussi
+le mien; que néanmoins, quoi qu'il en fût, elles étaient bien à mon
+service; mais qu'il était urgent de presser la publication des
+<i>Imitations d'Horace</i>, ce dont je l'assurai que je m'occupais.»</p>
+
+<p>M. Dallas ne tarda pas à découvrir tout le prix du trésor qui lui était
+ainsi confié. Dès le même soir, il écrivit à son noble ami: «Vous avez
+composé l'un des plus délicieux poèmes que j'aie jamais lus. Si je vous
+disais cela pour vous flatter, je mériterais moins votre amitié que
+votre mépris. <i>Childe Harold</i> m'a tellement captivé, que je n'ai pu en
+quitter la lecture. Je répondrais sur ma tête qu'il ajoutera beaucoup à
+votre réputation comme poète, et qu'il vous fera un honneur infini, si
+vous daignez accorder quelque attention à mes avis, etc.»</p>
+
+<p>Malgré ces justes éloges, et l'écho secret qu'ils durent trouver dans un
+cœur si sensible au moindre murmure de la renommée, il se passa quelque
+tems avant que la répugnance opiniâtre de Lord Byron à la publication de
+<i>Childe Harold</i> pût être surmontée.</p>
+
+<p>«Quoique jusqu'alors, dit M. Dallas, il eût écouté mes avis et mes
+conseils, et qu'il fût naturel de croire qu'il céderait à des éloges si
+prononcés, je fus surpris de voir qu'il se défiait encore de mon
+jugement sur le mérite de <i>Childe Harold</i>. «C'était, disait-il, tout ce
+qu'on voudrait, excepté de la poésie; un critique fort capable l'avait
+blâmé; n'avais-je pas vu moi-même les annotations en marge du
+manuscrit?» Enfin il revenait toujours de préférence aux paraphrases de
+l'art poétique, et le manuscrit en fut remis à Cawthorn, éditeur de la
+satire, pour qu'il le publiât sans aucun retard. Je ne quittai pourtant
+pas encore la partie. Avant de sortir de chez lui, je revins à la
+charge, et je lui dis que j'étais si convaincu du mérite de <i>Childe
+Harold</i>, que s'il me l'avait donné, je l'aurais certainement publié,
+pourvu qu'il voulût consentir à un petit nombre de changemens et de
+correction.»</p>
+
+<p>Parmi les nombreux exemples cités en littérature du jugement erroné que
+quelques auteurs ont porté sur leurs propres ouvrages, on peut regarder
+comme l'un des plus inexplicables cette préférence que Lord Byron
+accordait à une production si peu digne de son génie, sur un poème qui
+offre autant de beautés originales que les premiers chants de <i>Childe
+Harold</i><a id="footnotetag148" name="footnotetag148"></a>
+<a href="#footnote148"><sup class="sml">148</sup></a>. «Il en est, dit Swift, des hommes comme des terrains, qui
+recèlent quelquefois une mine d'or, dont le propriétaire ignore
+l'existence.» Mais cette mine, Lord Byron l'avait découverte, sans se
+douter, à ce qu'on pourrait croire, de toute sa valeur. J'ai déjà eu
+occasion de remarquer que, dans le tems même où il composait <i>Childe
+Harold</i>, il est douteux qu'il connût pleinement la puissance nouvelle et
+de sentimens et de pensées qui venait de s'élever dans son âme, et cette
+observation est confirmée par l'étrange appréciation de son ouvrage que
+nous lui voyons adopter.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote148"
+name="footnote148"><b>Note 148: </b></a><a href="#footnotetag148">
+(retour) </a> On doit moins s'étonner de ce que quelques auteurs
+ se méprennent sur le mérite de leurs ouvrages, quand on voit
+ que des générations entières sont quelquefois tombées dans la
+ même erreur. Les sonnets de Pétrarque furent considérés par
+ les savans de son tems comme dignes tout au plus des
+ chanteurs de ballades qui les faisaient entendre dans les
+ rues; tandis que son poème épique de l'Afrique, dont
+ l'existence est à peine connue de nos jours, était recherché
+ de toutes parts, et que le moindre fragment en était vivement
+ sollicité près de l'auteur, pour être placé dans les
+ bibliothèques des savans.</blockquote>
+
+<p>On pourrait croire en effet que malgré l'impulsion qui avait fait faire
+des pas si rapides à son imagination, son jugement, plus lent à se
+développer, était bien loin de la maturité, et que le jugement de
+soi-même, le plus difficile de tous, lui était encore refusé.</p>
+
+<p>D'un autre côté, si l'on considère la déférence que, surtout à cette
+époque, il était porté à accorder aux opinions de ceux avec lesquels il
+vivait, il serait peut-être plus juste d'attribuer cette fausse
+appréciation à sa défiance de son propre jugement, qu'à aucune
+insuffisance. On ne peut expliquer que par l'ignorance de son énergie
+intellectuelle ses égards et sa complaisante admiration pour ses anciens
+condisciples, qui presque tous l'avaient dépassé durant ses études, et
+dont quelques-uns, dans ce tems-là même, étaient ses rivaux en poésie.
+L'exemple qu'il recevait de ces jeunes écrivains étant, comme leur goût,
+principalement fondé sur l'imitation des modèles consacrés, leur
+autorité, aussi long-tems qu'il s'y soumit, dut jusqu'à un certain point
+le détourner de s'engager franchement dans une route nouvelle et
+originale. Il est assez probable que quelques souvenirs de cette
+première direction, joints à un léger penchant pour les réminiscences
+classiques<a id="footnotetag149" name="footnotetag149"></a>
+<a href="#footnote149"><sup class="sml">149</sup></a>, contribuèrent à déterminer sa préférence pour la
+paraphrase d'Horace. On peut croire au moins qu'ils furent suffisans
+pour le décider à se contenter, pour le présent, de la gloire qu'il
+avait acquise en suivant les routes tracées, au lieu de se lancer dans
+une carrière qu'il n'avait pas encore explorée. Nous avons vu que le
+noble auteur avant de confier à M. Dallas les deux premiers chants de
+<i>Childe Harold</i>, en avait soumis le manuscrit à l'examen d'un ami, le
+premier et le seul, à ce qu'il paraît, qui en eût pris connaissance à
+cette époque. M. Dallas n'a pas nommé ce critique si scrupuleux; mais le
+ton tranchant de censure, dont sont empreintes ses remarques, aurait été
+capable, à quelque époque que ce fût, de dénaturer le jugement d'un
+auteur qui, plusieurs années après, dans tout l'éclat de sa gloire,
+avouait que le blâme du dernier des hommes lui causait plus de chagrin
+qu'il n'éprouvait de plaisir à recevoir les applaudissemens des plus
+hauts personnages.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote149"
+name="footnote149"><b>Note 149: </b></a><a href="#footnotetag149">
+(retour) </a> Gray, dominé par une semblable prédilection,
+ préféra long-tems ses poèmes latins à ceux qui lui ont
+ assigné un rang si élevé dans la littérature anglaise.
+ «Devons-nous, dit Mason, attribuer cette méprise à ce qu'il
+ avait été élevé à Eton, ou à quelque autre cause? Il est
+ certain que lorsque je fis sa connaissance, il semblait
+ attacher à ses poésies latines beaucoup plus de prix qu'à
+ celles qu'il avait composées dans sa langue natale.»</blockquote>
+
+<p>Quoiqu'il soit facile de reconnaître dans toutes les productions de son
+âge mûr, des traces de sa supériorité, nous croyons cependant qu'on
+ajouterait peu à sa célébrité en publiant dans son entier cette
+paraphrase d'Horace, qui se compose de près de huit cents vers. Mais
+j'en choisirai quelques passages capables de donner une idée de ses
+beautés, comme de ses défauts, afin de mettre le lecteur à même de se
+former une opinion sur une composition que l'auteur, par une erreur ou
+un caprice de jugement, sans exemple peut-être dans les annales de la
+littérature, préféra long-tems aux sublimes méditations de <i>Childe
+Harold</i>.</p>
+
+<p>Le début du poème, si on le compare à l'original, est assez ingénieux:</p>
+
+<p>Qui ne rirait si Lawrence, s'engageant à couvrir sa précieuse toile du
+portrait flatté du premier venu, abusait assez de son art pour que la
+nature effarouchée vît nos bons bourgeois prendre sous son pinceau la
+forme des centaures? Ou si quelque barbouilleur, par amour de
+l'extraordinaire, ou pour hâter la vente, s'avisait de joindre à une
+fille d'honneur la queue d'une sirène? Ou si le trivial Dubost (comme on
+l'a vu naguère), possédé de la fureur de peindre, dégradait les
+créatures, images de la divinité? Toute la politesse qui défend de se
+moquer des sots en leur présence, ne pourrait réprimer les éclats de
+rire de leurs amis. Crois-moi, Moschus, rien ne ressemble plus à ces
+tableaux que le livre qui, plus décousu que les rêves d'un malade,
+présente à nos regards une foule de figures incomplètes, poétiques
+cauchemars, qui n'ont ni pieds ni tête.</p>
+
+<p>Ce qui suit est un des meilleurs morceaux écrits dans un genre plus
+grave:</p>
+
+<p>De nos jours, les mots nouveaux sont en honneur, si on les ente
+adroitement sur quelque gallicisme: pourrions-nous refuser à la muse
+plus habile de Dryden et de Pope, ce que Chaucer et Spencer tentèrent
+avec succès? Si vous pouvez créer que ne le faites-vous, à l'exemple de
+William Pitt et de Walter-Scott, qui par le secours, l'un de ses vers,
+l'autre de ses poumons, ont enrichi les dialectes mal joints de notre
+île? Il est et il sera toujours légitime de proposer des réformes en
+littérature, comme au parlement.</p>
+
+<p>De même que les forêts couvrent par degrés la terre de leurs feuilles,
+ainsi se fanent des expressions qui ont plu dans leur nouveauté. Le même
+destin est réservé à l'homme, et à tout ce qui se rattache à lui. Ses
+ouvrages, ses mots s'effacent et ne servent plus qu'à fixer une date.
+Quoique, à un signe des monarques, et à la voix du commerce, des fleuves
+impétueux deviennent de tranquilles canaux; quoique des marais desséchés
+et assainis soient sillonnés par la charrue et portent de jaunes
+moissons; quoique des ports creusés sur nos rivages protégent les
+vaisseaux contre les tempêtes de l'antique Océan, tout, tout doit périr.
+Mais, survivant au naufrage général, l'amour des lettres préserve à demi
+les souvenirs du passé.</p>
+
+<p>Je ne cite ce qui suit qu'à cause de la note qui y est jointe:</p>
+
+<p>Les premiers vers satiriques naquirent du spleen de quelque égoïste. En
+doutez-vous? Voyez Dryden, Pope, et le doyen de Saint-Patrick<a id="footnotetag150" name="footnotetag150"></a>
+<a href="#footnote150"><sup class="sml">150</sup></a>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote150"
+name="footnote150"><b>Note 150: </b></a><a href="#footnotetag150">
+(retour) </a> <i>Mac-Flecknoe</i>, la <i>Dunciade</i> et toutes les
+ ballades satiriques de Swift. Quels que soient leurs autres
+ ouvrages, ceux-ci furent le résultat de sentimens personnels
+ et de récriminations violentes contre d'indignes rivaux; et
+ quoique le mérite littéraire de ces satires fasse honneur aux
+ talens poétiques des auteurs, leur virulence déshonore
+ certainement leur caractère.</blockquote>
+
+<p>Les vers blancs, aujourd'hui, par un commun accord, sont presque
+inséparables de la tragédie. Quoique les fureurs d'Almanzor
+s'exprimassent en vers rimés, au tems de Dryden, nous ne voyons pas les
+héros des pièces nouvelles en affubler leurs emportemens; et la modeste
+comédie, abandonnant tout-à-fait les vers, nous offre en humble prose
+ses gentillesses et ses quolibets. Ce n'est pas que nos Beaumont et nos
+<i>ben</i> aient plus mauvaise grâce, ou perdent rien de leur mérite, pour
+avoir composé en vers; mais c'est ainsi que Thalie aime à se montrer.
+Pauvre fille! que l'on siffle quelques vingt fois par an.</p>
+
+<p>On trouve dans les vers suivans, sur Milton, plus de poésie que dans
+aucun autre passage de la paraphrase:</p>
+
+<p>Ô muse! s'écrie-t-il, réveille de plus sublimes accords! Et, s'il vous
+plaît, que pensez-vous voir éclore de son cerveau enflammé? En un clin
+d'œil, il tombe aussi bas que Southey dont les montagnes épiques ne
+manquent jamais d'accoucher d'une souris! Ce n'était pas ainsi que jadis
+votre puissant devancier tirait de doux accens de sa lyre inimitable:
+d'une voix mélodieuse comme les soupirs de la harpe éolienne, il nous
+parle de la première désobéissance de l'homme et du fruit défendu; mais
+à mesure que son sujet s'élève, son chant fait retentir les échos de la
+terre et des cieux.</p>
+
+<p>On pourra remarquer quelques traits piquans dans les esquisses
+suivantes:</p>
+
+<p>Enfin il touche à l'adolescence! On ne le forcera plus à gémir sur les
+vers diaboliques<a id="footnotetag151" name="footnotetag151"></a>
+<a href="#footnote151"><sup class="sml">151</sup></a> de Virgile, et sur ceux qu'on lui donne à faire.
+Les prières l'ennuient, la lecture est trop sérieuse; il vole de T...ll
+à Fordham (malheureux T...ll, condamné à d'éternels soucis par les
+apprentis boxeurs et les ours). Que peuvent des tuteurs, des devoirs,
+des convenances, en présence d'une meute, de chevaux de chasse et de la
+plaine de Newmarket? Rude avec ses aînés, hautain avec ses égaux, poli
+envers des escrocs, prodigue de richesses........... persiflé, pillé,
+dupé, il passe le tems de ses cours sans rien faire; évite peut-être
+l'expulsion, et se retire M. A. (Maître-ès-arts)! Et l'on proclame sa
+nouvelle dignité dans les clubs et les tripots, dont nul habitué
+n'arriva jamais plus haut.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote151"
+name="footnote151"><b>Note 151: </b></a><a href="#footnotetag151">
+(retour) </a> Harvey, qui fit connaître la circulation du sang,
+ avait coutume, dans ses transports d'admiration, de jeter
+ loin de lui son <i>Virgile</i>, en disant que le livre avait un
+ diable familier. Un personnage tel que celui que je décris,
+ jetterait probablement aussi le livre; mais il désirerait
+ plutôt que le diable s'en emparât, non pas en haine du poète,
+ mais par une horreur bien fondée des hexamètres. Car,
+ vraiment, la fastidieuse étude des <i>longues</i> et des <i>brèves</i>
+ suffit pour qu'un homme prenne la poésie en aversion pendant
+ sa vie entière; et peut-être en cela n'est-ce pas un
+ désavantage.</blockquote>
+
+<p>Lancé dans le monde, et devenu moins ardent, il singe l'égoïste prudence
+de son père; prend une femme, pour sa dot; choisit ses amis pour leur
+rang; achète des terres, et se vante d'être trop prudent pour se fier à
+la banque. Il prend place au sénat; procrée un héritier, et l'envoie à
+Harrow, car il y fut lui-même. Muet, quoi qu'il vote, à moins qu'il ne
+joigne sa voix aux acclamations favorables au ministère; s'il parle de
+son fils: C'est un compère adroit, qu'il espère bien voir un jour
+arriver à la pairie!</p>
+
+<p>La vieillesse s'avance; l'âge paralyse ses membres; il quitte la scène,
+ou la scène le quitte; il entasse des richesses; s'afflige à chaque
+penny qu'il faut dépenser, et l'avarice s'empare de toutes les pensées
+qui ne sont pas à l'ambition. Il compte les cent pour cent, et sourit;
+ou vainement s'irrite, en considérant ses trésors entamés pour payer les
+dettes du jeune Hopeful; il pèse bien et sagement ce qu'il faut acheter
+ou vendre; habile à tout faire, excepté à mourir! grondeur, morose,
+radoteur difficile à contenter, louant tous les tems, excepté le
+présent; infirme, querelleur, délaissé et presque oublié, il meurt sans
+qu'on le pleure; on l'enterre; qu'il pourrisse!</p>
+
+<p>Plus loin, parlant de l'opéra, voilà comment il s'exprime:</p>
+
+<p>Là se rend l'alerte boutiquier, dont l'oreille est mise à la torture par
+l'orchestre qu'il veut entendre pour son argent. Une fausse honte, et
+non la sympathie, l'empêche seule de ronfler; ses angoisses redoublent
+quand il croit du bon ton de crier: Encore! Écrasé par la foule dans
+Fop's alley, coudoyé par les élégans, gêné par son chapeau, tremblant
+pour ses orteils, sa soirée est un combat, et il ne goûte quelque repos
+que quand enfin le rideau tombe, et lui donne un peu de relâche qui
+l'enchante. Devinez-vous pourquoi il se résigne à souffrir tout cela et
+plus encore? C'est qu'il lui en coûte cher, et qu'il est forcé de se
+parer!</p>
+
+<p>Les derniers vers du passage suivant retracent plaisamment ce mélange de
+gaîté et d'amertume qui, parfois, animait la conversation de l'auteur. À
+tel point même, que ceux qui l'ont connu pourraient presque s'imaginer
+qu'ils l'entendent parler:</p>
+
+<p>Mais rien n'est sans défaut, et chacun sait que les violons et les
+harpes perdent souvent le ton, et que les meilleurs chanteurs, au moment
+où ils voudraient réunir tous leurs moyens, ne font entendre que des
+accens criards; les chiens perdent la trace du gibier, la pierre refuse
+l'étincelle, et les fusils à deux coups (que le diable les emporte!)
+manquent le but<a id="footnotetag152" name="footnotetag152"></a>
+<a href="#footnote152"><sup class="sml">152</sup></a>!</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote152"
+name="footnote152"><b>Note 152: </b></a><a href="#footnotetag152">
+(retour) </a> Comme M. Pope a pris la liberté d'envoyer Homère à
+ tous les diables, malgré tout ce qu'il lui devait, quand il a
+ dit: «Et Homère (que le diable l'emporte, etc.)» Il est
+ présumable que, par licence poétique, on peut en faire
+ autant, en vers, de tout homme et de toute chose; et en cas
+ d'accident, je désire qu'on me permette de me prévaloir de
+ cet illustre précédent.</blockquote>
+
+<p>Un dernier passage, avec la note plaisante qui y est jointe, complétera
+le nombre des morceaux que je veux citer comme les meilleurs.</p>
+
+<p>Est-ce assez? Non: écrivez donc et imprimez bien vite. Si le dernier
+arrivé est dévolu à Satan, qui voudrait arriver le dernier? Ils
+assiégent les presses, ils publient en toute hâte, ils escaladent le
+comptoir et quittent leurs échoppes: de belles demoiselles de province,
+des hommes de haut renom, quoi donc! des baronnets même, ont noirci
+d'encre leur main guerrière. La pauvreté ne les arrête pas; c'est
+Pollion qui nous joua ce tour; de son tems Phébus commença à trouver
+crédit chez les banquiers. Ce ne sont pas seulement les vivans; les
+morts même nous débitent leurs sottises aussi couramment que jadis
+chantait la tête d'Orphée! Sifflés de leur vivant, ils obtiennent un
+succès posthume; tirés de la poussière où ils étaient ensevelis quand
+ils vivaient. Les revues réveillent le souvenir de leurs épidémiques
+délits, de ces livres témoins muets du martyre auquel les condamne la
+rage de rimer: Hélas! Que de chagrins va nous causer tel barbouilleur
+que citèrent souvent le <i>Morning Post</i> et le <i>Monthly Magazine</i>! dans
+ces recueils sont ensevelis ses premiers chefs-d'œuvre; mais bientôt la
+presse gémit, et il en sort un épais in-quarto! Laissez donc, vous qui
+êtes sages, laissez les succès mendiés de la lyre aux baronnets ou aux
+lords possédés du démon des vers, ou à ces crépins de village,
+ménestrels jumeaux ivres de poétique bière! Prêtez l'oreille à ces
+accords d'une mélodie narcotique: ce sont les savetiers lauréats qui
+chantent les louanges de Capel Lofft<a id="footnotetag153" name="footnotetag153"></a>
+<a href="#footnote153"><sup class="sml">153</sup></a>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote153"
+name="footnote153"><b>Note 153: </b></a><a href="#footnotetag153">
+(retour) </a> Ce gentleman bien intentionné a gâté quelques
+ excellens cordonniers, et contribué à la ruine poétique de
+ plus d'un pauvre industrieux. Nathaniel Bloomfield et son
+ frère Bobby ont mis tout le Sommersetshire en train de
+ chanter; et cette maladie ne s'est pas bornée à envahir un
+ seul comté. Pratt aussi, qui fut jadis plus sage, a été
+ atteint de la contagion du patronage, et a attiré dans le
+ piége de la poésie un pauvre diable nommé Blackett; mais il
+ mourut pendant l'opération, laissant au dépourvu un enfant et
+ deux volumes de fragmens. La petite fille, si elle n'a pas
+ d'inclinations poétiques et ne se transforme pas en Sapho
+ cordonnière, s'en tirera peut-être; mais les tragédies sont
+ aussi rachitiques que si elles étaient la progéniture d'un
+ comte ou de quelque coureur de prix académiques. Les patrons
+ du pauvre homme sont certainement responsables de sa fin
+ tragique, et ce devrait être un délit punissable par les
+ lois. Mais c'est là ce qu'ils ont fait de moins coupable;
+ car, par un raffinement de barbarie, ils ont couvert le
+ défunt d'un ridicule posthume, en imprimant ce qu'il aurait
+ eu le bon sens de ne jamais faire imprimer lui-même. Certes,
+ ces remueurs de débris sont punissables par le statut contre
+ <i>les hommes de la résurrection</i>. Quelle différence y a-t-il,
+ en effet, entre exposer un pauvre idiot, après sa mort, dans
+ un amphithéâtre de chirurgie, et l'étaler dans une boutique
+ de libraire? Est-il plus mal d'exhumer ses os que ses bévues?
+ Ne vaut-il pas mieux attacher son corps au gibet, sur une
+ bruyère, que d'emprisonner son ame dans un in-octavo? «Nous
+ savons ce que nous sommes, mais nous ignorons ce que nous
+ pouvons devenir;» et il faut espérer que nous ne saurons
+ jamais si un homme qui a traversé la vie avec une sorte
+ d'éclat, est destiné à n'être qu'un charlatan de l'autre côté
+ du Styx, et à devenir, comme le pauvre Joe Blackett, le
+ plastron des railleries du purgatoire. Le prétexte de cette
+ publication est d'assurer un sort à l'enfant. Mais aucun des
+ amis et des tentateurs de ce <i>sutor ultrà crepidam</i> ne
+ pouvait-il donc faire une bonne action sans enferrer Pratt
+ dans une biographie, et lui faire encore diviser sa dédicace
+ en tant de minces portions? À la duchesse une telle; la
+ très-honorable celle-ci, et mistress et miss celle-là; ces
+ volumes sont, etc., etc. Eh mais, c'est distribuer «le doux
+ lait de la dédicace» par petits verres. Il n'y en a qu'une
+ chopine, et il le partage entre douze personnes. Ah! Pratt,
+ n'avais-tu donc pas quelques éloges en réserve? As-tu pu
+ croire que six familles de distinction se contenteraient de
+ si peu? Il y a un enfant, un livre et une dédicace: que
+ n'envoies-tu la petite fille à la duchesse, les volumes à
+ l'épicier, et la dédicace à tous les diables?</blockquote>
+
+<p>Ces extraits choisis, qui comprennent un peu plus du huitième du poème
+entier, suffiront pour donner au lecteur une idée du reste, dont la plus
+grande partie est fort inférieure, et descend parfois au niveau de la
+versification la plus triviale.</p>
+
+<p>Quand on examine la destinée des hommes, il est assez curieux d'observer
+combien de fois un premier pas a décidé du sort de toute la vie. Si Lord
+Byron, à cette époque, eût persisté dans son premier projet de publier
+ce poème au lieu de <i>Childe Harold</i>, il est plus que probable que le
+monde aurait compté un grand poète de moins<a id="footnotetag154" name="footnotetag154"></a>
+<a href="#footnote154"><sup class="sml">154</sup></a>
+. La paraphrase, qui est
+à tous égards si inférieure à sa première satire, et qui tombe même, en
+quelques endroits, au-dessous de ce qu'ont écrit les versificateurs du
+dernier rang, n'aurait pu manquer d'éprouver une chute complète. Ses
+premiers adversaires auraient repris tous leurs avantages; et dans
+l'amertume de sa mortification, il aurait peut-être jeté <i>Childe Harold</i>
+au feu; ou s'il eût retrouvé assez de courage pour publier ce poème, son
+succès même, quoique suffisant pour le réhabiliter aux yeux du public et
+aux siens, n'aurait jamais excité cette explosion d'enthousiasme, cette
+subite manifestation de l'admiration générale, qui l'accueillirent
+lorsqu'il apparut au monde avec toute l'illusion de son retour récent de
+la terre natale de la poésie, et au milieu desquelles il marcha d'un pas
+ferme et sûr à de nouveaux triomphes, dont le dernier était toujours le
+plus éclatant.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote154"
+name="footnote154"><b>Note 154: </b></a><a href="#footnotetag154">
+(retour) </a> Le passage suivant de son journal montrera qu'il
+ attribuait lui-même tout à la fortune: «Comme Sylla, j'ai
+ toujours cru que tout dépendait de la fortune, et rien de
+ nous-mêmes. Je ne me rappelle ni une pensée ni une action
+ dignes de mon approbation ou de celle d'autrui, que je ne
+ doive attribuer à la bonne déesse fortune.»</blockquote>
+
+<p>Le jugement plus sûr de ses amis détourna heureusement ce danger, et il
+consentit enfin à la publication immédiate de <i>Childe Harold</i>; mais il
+ne cessa pas d'exprimer des doutes sur son mérite, et son inquiétude sur
+l'accueil qu'on lui ferait dans le monde.</p>
+
+<p>«Je fis tout mon possible, dit son conseiller, pour relever cet ouvrage
+dans son opinion, et j'y réussis; mais il variait beaucoup dans ses
+idées à cet égard, et il ne fut satisfait que lorsque le monde eut enfin
+prononcé sur son mérite. Il me répétait sans cesse que j'allais le jeter
+dans de grands embarras avec ses anciens ennemis; que la <i>Revue
+d'Édimbourg</i> saisirait avec joie l'occasion de l'humilier; qu'il ne
+voulait pas que son nom parût. Je le priai d'abandonner tout à ma
+direction, et que je répondais que ce poème imposerait silence à tous
+ses ennemis.»</p>
+
+<p>La question de la publication étant alors décidée, il s'éleva quelques
+doutes et quelques difficultés relativement à l'éditeur. Quoique Lord
+Byron eût confié à Cawthorn ses <i>Imitations d'Horace</i>, qu'il regardait
+comme son plus beau titre, il paraît qu'il ne le trouva pas assez haut
+placé dans sa profession pour assurer le succès ou la vogue à l'ouvrage
+dont les chances lui semblaient plus incertaines. Il n'avait pas oublié
+que MM. Longman avaient autrefois refusé de publier ses <i>Bardes
+anglais</i>, et il exigea positivement de M. Dallas qu'il n'offrît pas le
+manuscrit à cette maison. On s'adressa d'abord à M. Miller,
+d'Albemarle-Street; mais, effrayé de la sévérité avec laquelle lord
+Elgin était traité dans ce poème, M. Miller, qui était l'éditeur et le
+libraire de ce seigneur, refusa de s'en charger. Le poète était si
+soigneux de sa réputation, que cette circonstance, quelque insignifiante
+qu'elle fût, commença à réveiller ses premières terreurs; et s'il se fût
+présenté de nouvelles difficultés, il ne faut pas douter qu'il ne fût
+revenu à son ancien projet. Mais on ne tarda pas à trouver une personne
+qui tint à honneur d'entreprendre cette publication. M. Murray, qui
+demeurait alors dans Fleet-Street, ayant, quelque tems auparavant,
+exprimé le désir d'être autorisé à faire paraître quelque production de
+Lord Byron, ce fut à lui que M. Dallas confia le manuscrit de <i>Childe
+Harold</i>. Ainsi commencèrent entre ce gentleman et le poète des relations
+qui durèrent, à quelques interruptions près, aussi long-tems que la vie
+de l'un, et devinrent pour l'autre une source abondante d'honneur et de
+richesse.</p>
+
+<p>Au milieu des occupations que lui donnaient ses projets littéraires et
+quelques affaires litigieuses à terminer avec ses agens, Lord Byron fut
+soudain rappelé à Newstead par la nouvelle d'un événement qui semble
+l'avoir affligé beaucoup plus qu'on ne pouvait s'y attendre d'après
+l'état des choses. Mrs. Byron, dont l'embonpoint excessif menaçait
+toujours de rendre les maladies dangereuses, s'était trouvée indisposée
+depuis quelques jours, mais sans que sa position fût alarmante, et il ne
+paraît pas que son état fût capable d'inspirer des craintes quand il lui
+avait écrit le billet suivant:</p>
+
+<p class="rig">Hôtel Reddish, Londres, 23 juillet 1811.<br></p><br>
+
+<p><span class="sc">Chère Madame</span>,</p>
+
+<p>«M. H... me retient seul encore pour signer quelques baux, et j'aurai
+soin de vous prévenir de mon départ. C'est bien malgré moi que je reste
+ici. Je vous ferai une courte visite en me dirigeant vers le Lancashire
+pour l'affaire de Rochdale. Vous me donnerez votre avis..., etc.</p>
+
+<p>»<i>P. S.</i> Je vous prie de considérer Newstead comme votre maison, et non
+la mienne, et de ne regarder mon passage que comme une simple visite.»</p>
+
+<p>Quand il était parti pour ses voyages, elle avait conçu une sorte d'idée
+superstitieuse qu'elle ne le reverrait plus; et lorsqu'il revint sain et
+sauf, et qu'il lui écrivit pour la prévenir qu'il se rendrait bientôt
+près d'elle, à Newstead, elle dit à sa femme de chambre: «Si j'allais
+mourir avant l'arrivée de Byron, comme ce serait étrange!» Et ce fut
+réellement ce qui arriva. À la fin de juillet sa maladie devint plus
+menaçante; et sa vie, dit-on, se termina d'une manière tristement
+caractéristique, s'il est vrai que ce fut un accès de colère excité par
+la lecture d'un mémoire du tapissier, qui causa sa mort. Lord Byron,
+comme cela devait être, fut promptement informé de l'attaque. Mais,
+malgré son départ précipité, il arriva trop tard; elle avait rendu le
+dernier soupir.</p>
+
+<p>Il écrivit la lettre suivante sur la route:</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE LV.</h3>
+
+<h4>AU DOCTEUR PIGOT.</h4>
+
+<p class="rig">Newport-Pagnell, 2 août 1811.</p><br><br>
+
+<p><span class="sc">Mon cher docteur</span>,</p>
+
+<p>«Ma pauvre mère est morte hier! et je suis parti de Londres pour aller
+accompagner ce qui reste d'elle, à la sépulture de famille. J'ai appris
+sa maladie un jour, et sa mort le lendemain. Grâce à Dieu, ses derniers
+momens ont été fort tranquilles. On m'assure qu'elle a peu souffert, et
+qu'elle ne connaissait pas le danger de sa position. Je reconnais
+aujourd'hui toute la vérité de l'observation de M. Gray: «Que nous ne
+pouvons avoir qu'une mère.» Qu'elle repose en paix! J'ai à vous
+remercier de vos témoignages d'intérêt; et comme dans six semaines je
+dois aller dans le Lancashire pour affaires, je pousserai jusqu'à
+Liverpool et Chester; du moins je tâcherai.</p>
+
+<p>»Si cela peut vous être agréable, je vous dirai qu'au mois de novembre
+prochain l'éditeur du <i>Fouet</i> (<i>the Scourge</i>) sera jugé pour deux
+libelles différens sur feu Mrs. Byron et moi-même, la mort de ma mère ne
+changeant rien à la chose. Comme il est coupable d'une violation de
+privilége, dans une insertion aussi sotte que mal fondée, il sera
+poursuivi avec la dernière rigueur.</p>
+
+<p>»Je vous donne ce détail, parce que je sais que vous vous intéressez à
+l'affaire, laquelle est maintenant entre les mains du procureur-général.</p>
+
+<p>»Je resterai la plus grande partie de ce mois à Newstead, où je serais
+charmé de recevoir de vos nouvelles, d'autant plus que j'en ai été privé
+pendant les deux années qu'a duré mon voyage d'Orient.</p>
+
+<p>»Je suis, mon cher Pigot, etc.»<br>
+
+<span class="rig">BYRON.</span><br></p>
+
+<p>Le lecteur aura sans doute remarqué que le ton général de la
+correspondance du noble poète avec sa mère est celui d'un fils qui
+accomplit strictement et consciencieusement ce qu'il regarde comme son
+devoir, mais sans aucun mélange de cordialité ou d'affection. Le titre
+même de <i>madame</i> qu'il lui donne presque toujours, auquel il ne
+substitue que rarement le nom plus doux de <i>mère</i>, est en lui-même une
+preuve suffisante de la nature des sentimens qu'il avait pour elle.
+Qu'ils aient été tels, l'on ne peut ni s'en étonner, ni l'en blâmer;
+mais que, malgré le malheureux caractère de sa mère, qui lui aliénait
+son cœur, il ait continué à consulter ses désirs, à s'occuper de son
+bien-être, comme on le voit non-seulement dans ses lettres, mais encore
+dans le soin qu'il avait pris de disposer le domaine de Newstead pour
+son usage presque exclusif, c'est ce qui lui fait singulièrement
+honneur, et ce qui devient même plus méritoire, car l'affection nous
+fait un plaisir personnel des soins que nous prodiguons à ceux qui en
+sont l'objet.</p>
+
+<p>Mais, quoique sa mère fut ainsi devenue, de son vivant, presque
+étrangère à son cœur, la mort lui rendit la place qu'elle devait
+naturellement y occuper. Soit par un retour de sa première tendresse;
+soit par la puissance du tombeau, qui fait oublier tant de choses! soit
+par la perspective du vide qu'elle allait laisser dans sa vie, il est
+certain qu'il sentit amèrement sa mort, si ce n'est profondément. La
+nuit qui suivit son arrivée à Newstead, la garde de Mrs. Byron, passant
+devant la porte de la chambre où reposait le cadavre de cette dame,
+entendit un bruit comme de quelqu'un qui soupirait péniblement, et, en
+entrant, fut fort étonnée de trouver Lord Byron près du lit, assis dans
+une obscurité profonde. Comme elle lui représentait la faiblesse qu'il y
+avait à s'abandonner ainsi à la douleur, il fondit en larmes, et
+s'écria: «Ho! Mrs. By, je n'avais qu'une amie dans le monde, et elle est
+morte!»</p>
+
+<p>Tandis qu'il renfermait ainsi dans le silence et dans l'obscurité ses
+pensées réelles, il y avait dans d'autres parties de sa conduite plus
+exposées aux regards un degré de singularité et d'indécorum qui, aux
+yeux d'observateurs superficiels, devait faire révoquer en doute la
+sensibilité de son naturel. Le matin des funérailles, après avoir refusé
+d'accompagner lui-même le corps, il se tint debout à la porte de
+l'Abbaye jusqu'à ce que tout le cortége fut passé; alors, se tournant
+vers le jeune Rushton, il lui ordonna d'aller chercher des gants à
+boxer, et se mit à s'exercer avec cet enfant, comme à son ordinaire. Il
+fut silencieux et distrait pendant tout le tems; et comme par un effort
+pour se soustraire aux pensées qui l'agitaient, Rushton crut
+s'apercevoir qu'il mettait une violence inaccoutumée dans les coups
+qu'il lui portait. Mais à la fin, l'effort devenant trop grand pour lui,
+il jeta précipitamment les gants, et se retira dans sa chambre.</p>
+
+<p>Nous avons assez parlé de Mrs. Byron dans cet ouvrage pour mettre
+pleinement le lecteur en état de se former une opinion tant sur le
+caractère de cette dame que sur le degré d'influence qu'il dut avoir sur
+celui de son fils. L'homme le plus extraordinaire de notre tems<a id="footnotetag155" name="footnotetag155"></a>
+<a href="#footnote155"><sup class="sml">155</sup></a>,
+qui se croyait principalement redevable à l'éducation qu'il reçut de sa
+mère, de l'élévation sans exemple à laquelle il arriva dans la suite, a
+dit plusieurs fois que «la bonne ou mauvaise conduite d'un enfant dépend
+entièrement de sa mère.» Quant à l'influence que peuvent avoir eue les
+caprices et la violence de sa mère sur les défauts qui se mêlèrent aux
+belles qualités de Lord Byron, sur ses impulsions incertaines et
+opiniâtres, sur son aversion pour toute espèce de frein, sur l'amertume
+qu'il mit quelquefois dans sa haine, et sur la précipitation de ses
+ressentimens, c'est une question pour la solution de laquelle les
+matériaux ne manquent pas dans ces pages, et que chacun décidera suivant
+qu'il accordera plus ou moins de force et de pouvoir à ces causes dans
+la formation d'un caractère.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote155"
+name="footnote155"><b>Note 155: </b></a><a href="#footnotetag155">
+(retour) </a> Napoléon.</blockquote>
+
+<p>Malgré le traitement peu judicieux et presque grossier qu'elle lui fit
+subir, il n'est pas douteux qu'elle n'aimât son fils, mais par boutades,
+et comme il convenait seulement à un naturel tel que le sien; il est
+moins douteux encore qu'elle n'en fût fière, et ne plaçât en lui de
+grandes espérances pour l'avenir. On peut juger de son anxiété pour le
+succès de ses premiers essais littéraires, par les peines que prit Byron
+pour la tranquilliser lors de l'apparition de l'article de la <i>Revue
+d'Édimbourg</i>, où il était si mal traité. À mesure que sa renommée
+s'augmenta et devint plus brillante, elle se confirma de plus en plus
+dans les idées que, par une sorte de superstition, elle avait formées
+dès son enfance, de sa grandeur et de sa gloire à venir. Elle épiait
+avec inquiétude toutes les publications où son nom était même simplement
+mentionné; elle avait réuni en un volume qu'a vu l'un de mes amis tout
+ce qui avait paru sur sa satire et ses premiers poèmes. Le volume était
+couvert à la marge d'observations qui lui étaient propres, pleines de
+plus de sens et d'habileté que nous ne lui en aurions supposé, d'après
+ce que nous connaissions en général de son caractère et de sa manière
+d'être.</p>
+
+<p>Parmi les autres traits de sa conduite, où l'on pourrait remarquer le
+désir d'environner sa mère de respect, on peut remarquer qu'étant enfant
+il insistait pour être appelé «Georges Byron Gordon,» donnant ainsi la
+préférence au nom maternel, et qu'il continua toujours à lui écrire: «À
+l'honorable Mrs. Byron,» quoiqu'il sût bien qu'elle n'avait aucune
+espèce de droit à ce titre honorifique. Il ne paraît pas non plus que
+dans sa conduite générale envers elle il ait jamais manqué d'affection
+et de déférence, on y remarquait seulement quelquefois plus de
+familiarité que n'en comportent nos idées de respect filial. Ainsi quand
+ils étaient bien ensemble, il ne l'appelait jamais autrement que «Kitty
+Gordon;» et je me rappelle avoir vu un témoin de la scène me décrire
+l'air dramatique et malin dont un jour, à Southwell, quand ils étaient
+dans le fort de leur rage théâtrale, il ouvrit brusquement les portes du
+salon pour la faire entrer, en disant: «Entrez, honorable Kitty Gordon.»</p>
+
+<p>L'orgueil de la naissance était un sentiment commun à la mère et au
+fils, souvent même c'était un sujet de rivalité entre eux; il leur était
+difficile d'accorder leurs prétentions anglaises et écossaises au plus
+haut lignage respectif. Dans une lettre écrite d'Italie; il dit à propos
+de quelque anecdote qu'il tenait de sa mère: «Ma mère, qui était fière
+comme un diable de descendre des Stuart, en ligne droite des <i>vieux
+Gordon</i>, et non des <i>Sexton Gordon</i>, comme elle appelait dédaigneusement
+la branche ducale, ne manquait pas de me faire remarquer, chaque fois
+qu'elle me racontait cette histoire, combien <i>ses</i> Gordon l'emportaient
+sur les Byron anglais, malgré notre origine normande, et notre nom
+toujours porté par un héritier mâle, tandis que celui des Gordon était
+tombé à une femme, dans la personne de ma mère.»</p>
+
+<p>Si, pour peindre fortement les émotions pénibles, il faut les avoir
+éprouvées, ou, en d'autres termes, si, pour que le poète soit grand,
+l'homme doit avoir souffert, Lord Byron, il faut l'avouer, paya son beau
+talent de bonne heure et bien cher. Quelque peu nombreuses que fussent
+les affections de Byron, soit en dedans, soit en dehors du cercle de sa
+parenté, il les vit dans un court espace de tems presque toutes brisées
+par la mort<a id="footnotetag156" name="footnotetag156"></a>
+<a href="#footnote156"><sup class="sml">156</sup></a>. Outre la perte de sa mère, il eut à déplorer, dans
+l'espace de quelques semaines, la mort prématurée de deux ou trois de
+ses meilleurs amis. «Dans le court espace d'un mois,» dit-il dans une
+note de <i>Childe Harold</i>, «j'ai perdu celle qui m'avait donné
+l'existence, et la plupart de ceux qui me rendaient cette existence
+tolérable.» Parmi eux nous devons compter le jeune Wingfield, que nous
+avons vu en tête de la liste de ses favoris, à Harrow, et qui mourut de
+la fièvre à Coimbre; et Matthews, l'objet de son admiration et de son
+idolâtrie à l'université, qui se noya en se baignant dans la Cam.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote156"
+name="footnote156"><b>Note 156: </b></a><a href="#footnotetag156">
+(retour) </a> Dans une lettre écrite deux ou trois mois après la
+ mort de sa mère, il ne compte pas moins de six personnes de
+ ses parens ou de ses amis que la mort lui avait enlevées
+ depuis le mois de mai jusqu'à la fin d'août.<br>
+ <span class="rig"> (<i>Note de Moore</i>.)</span><br>
+</blockquote>
+
+<p>La lettre suivante, écrite immédiatement après ce dernier événement, est
+tellement pleine d'une douloureuse sensibilité, que la lecture en est
+presque pénible.</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE LVI.</h3>
+
+<h4>À M. SCROPE DAVIES.</h4>
+
+<p class="rig">Newstead-Abbey, 7 août 1811.</p><br><br>
+
+<p><span class="sc">Mon cher Davies</span>,</p>
+
+<p>«Il y a quelque malédiction sur moi et les miens. Le cadavre de ma mère
+est encore dans la maison, et voilà qu'un de mes meilleurs amis se noie
+dans un fossé! Je ne sais que dire, que penser ou que faire. J'avais
+reçu une lettre de lui avant-hier. Mon cher Scrope, si vous avez un
+moment de libre, je vous en conjure, venez me voir, j'ai besoin d'un
+ami. La dernière lettre de Matthews était datée de vendredi, et samedi
+il n'était plus! Qui pouvait-on comparer à Matthews pour les talens?
+Comme nous étions tous petits auprès de lui! Vous ne me rendez que
+justice en disant que j'aurais volontiers risqué ma chétive existence
+pour sauver la sienne. J'avais intention de lui écrire ce soir même,
+pour l'inviter, comme je vous invite, mon bien, bon ami, à me venir
+voir. Que Dieu pardonne à... son apathie! Quelle sera la douleur de
+notre pauvre Hobhouse! Ses lettres ne parlent que de Matthews. Venez,
+Scrope, je suis presque dans le désespoir; me voilà presque seul dans le
+monde! Je n'avais que vous, Hobhouse et Matthews; laissez-moi jouir de
+la société des survivans aussi long-tems que je le puis. Pauvre
+Matthews! Dans sa lettre de vendredi, il me parlait de son intention de
+se présenter pour l'élection de Cambridge et d'un voyage qu'il devait
+faire bientôt à Londres. Écrivez-moi ou venez, mais venez plutôt si vous
+le pouvez; l'un ou l'autre, ou tous les deux.</p>
+
+<p>»Pour toujours, votre, etc.»</p>
+
+<p>J'ai déjà eu occasion de parler de ce jeune homme remarquable<a id="footnotetag157" name="footnotetag157"></a>
+<a href="#footnote157"><sup class="sml">157</sup></a>; mais
+le rang qu'il occupa dans les affections de Byron, justifiera sans doute
+un hommage à sa mémoire un peu plus détaillé.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote157"
+name="footnote157"><b>Note 157: </b></a><a href="#footnotetag157">
+(retour) </a> Charles Skinner Matthews était le troisième fils
+ de feu John Matthews, esq. de Belmont, dans le Herefordshire,
+ représentant de ce comté au parlement de 1802 à 1806. Il
+ avait pour frères l'auteur du <i>Journal d'un Invalide</i> (<i>Diary
+ of an Invalid</i>), qui mourut aussi fort jeune, et le
+ prébendier actuel d'Hereford, le révérend Arthur Matthews,
+ qui, par ses talens naturels et ses connaissances acquises,
+ soutient dignement la réputation de son nom.
+
+<p> Le père de cette famille accomplie était lui-même un homme de
+ fort grands talens, et auteur de plusieurs poèmes anonymes;
+ l'un d'eux, la <i>Parodie de l'Héloïse de Pope</i>, a été
+ faussement attribué à feu M. le professeur Porson; qui le
+ récitait souvent, et qui en a même donné une édition.</p></blockquote>
+
+<p>Rarement, peut-être on a vu réunis à la fois autant de jeunes gens de
+mérite et d'espérance qu'il s'en trouva à Cambridge dans la société dont
+Byron faisait partie. Le nom de quelques-uns d'entre eux, MM. Hobhouse
+et William Bankes, par exemple, est devenu célèbre dans le monde
+littéraire et savant. Il en est un autre, M. Scrope Davies, dont les
+talens n'ont encore, au grand regret de ses amis, brillé que dans sa
+conversation, d'ailleurs fort remarquable. Parmi tous ces jeunes gens
+pleins de talens et de connaissances, en y comprenant Byron lui-même,
+dont le génie était à cette époque <i>un monde non encore découvert</i>, la
+supériorité dans presque tous les genres paraît, du consentement de
+tous, avoir incontestablement appartenu à Matthews. Cet hommage unanime,
+si nous considérons le mérite des personnes qui le lui rendaient, doit
+donner une très-haute idée des dispositions et même des talens qu'il
+montrait à cette époque. On ne peut songer sans intérêt et sans douleur
+à ce qu'il serait probablement devenu un jour si la mort ne l'eût pas
+frappé sitôt. La supériorité intellectuelle, non accompagnée des
+qualités aimables du cœur, n'eût pas suffi pour obtenir cet éloge
+unanime; mais le jeune Matthews, en dépit de quelques légères aspérités
+de caractère, de quelques originalités qu'il commençait à faire
+disparaître, paraît avoir été l'un de ces individus rares, qui
+commandent notre affection en même tems que nos respects, et qui nous
+soulagent de l'admiration que nous ne saurions leur refuser, par l'amour
+qu'ils savent nous inspirer.</p>
+
+<p>J'ai déjà parlé de ses opinions religieuses, et, de leur malheureuse
+conformité avec celles de Lord Byron; ardent, comme son noble ami, à la
+recherche de la vérité, comme lui il s'égara dans sa poursuite, et tous
+deux prirent pour elle cette fausse lumière qui lui ressemble. Qu'il
+soit jamais allé plus loin que Lord Byron dans son scepticisme, que son
+esprit ingénieux ait jamais admis <i>la croyance incroyable de
+l'athéisme</i>, c'est, malgré le témoignage écrit de notre poète, c'est ce
+que je vois nier par tous ceux de ses amis qui avouent ses autres
+erreurs en les déplorant. Je ne me serais même pas permis d'examiner
+quelles ont été les opinions d'un homme qui, ne les ayant jamais
+affichées, ne les a pas rendues du domaine public, si l'idée fausse
+qu'on avait adoptée à ce sujet, d'après l'autorité de Lord Byron, ne
+m'eût pas fait considérer comme un acte de justice, envers tous deux, de
+repousser cette imputation.</p>
+
+<p>On se rappellera que, dans ses lettres écrites à sa mère, avant son
+départ pour ses voyages, Lord Byron parle quelquefois d'un testament
+qu'il avait intention de laisser entre les mains de ses exécuteurs. Quel
+qu'ait été le contenu de cette pièce, il paraît que, quinze jours après
+la mort de sa mère, il crut devoir faire de nouvelles dispositions, et
+adressa la lettre suivante, avec ses instructions à cet effet, à feu M.
+Bolton, procureur à Nottingham. J'ai refusé long-tems de croire qu'il
+eût jamais donné sérieusement et en forme les ordres que l'on va voir,
+pour son propre enterrement; mais les documens ci-joints mettent hors de
+doute cette preuve remarquable de la singularité de son caractère.</p>
+
+<p class="mid">À M. BOLTON.</p>
+
+<p class="rig">Newstead-Abbey, 12 août 1811.</p><br><br>
+
+<p><span class="sc">Monsieur</span>,</p>
+
+<p>«Je vous envoie ci-joint une copie des clauses principales du testament
+que j'ai dessein de faire, que je vous prie de vouloir bien faire
+grossoyer le plus tôt possible, de la manière la plus claire et la plus
+formelle. Les changemens que vous y remarquerez sont principalement par
+suite de la mort de Mrs. Byron. Je vous serais obligé de le tenir prêt
+dans peu de tems, et j'ai l'honneur d'être, monsieur,</p>
+
+<p>»Votre très-humble et très-obéissant serviteur,»<br>
+
+<span class="rig">BYRON.</span><br></p><br>
+
+<p class="mid">NOTES POUR UN TESTAMENT À GROSSOYER IMMÉDIATEMENT.</p>
+
+<p class="rig">Newstead-Abbey, 12 août 1811.</p><br><br>
+
+<p>«Le domaine de Newstead à substituer, après certaines déductions, à
+George Anson Byron, héritier légitime du titre, ou à la personne
+quelconque qui s'en trouvera héritière légitime au décès de Lord Byron.
+La propriété de Rochdale à vendre en tout ou en partie, suivant le
+chiffre des dettes et legs du présent Lord Byron.</p>
+
+<p>»À Nicolo Giraud, d'Athènes, sujet français, mais né en Grèce, la somme
+de 7,000 livres sterl. pour être payée, à l'époque de sa majorité, audit
+Nicolo Giraud, habitant Athènes et Malte en 1810, et ce sur la vente de
+telles parties de Rochdale, Newstead et autres propriétés, suivant que
+besoin sera.</p>
+
+<p>»À William Fletcher, Joseph Murray et Démétrius Zograffo<a id="footnotetag158" name="footnotetag158"></a>
+<a href="#footnote158"><sup class="sml">158</sup></a>, natif de
+Grèce, domestiques, la somme de 50 livres sterl. pendant leur vie. De
+plus, audit William Fletcher, le moulin de Newstead, à condition qu'il
+en paiera la rente, mais sans être soumis au caprice du propriétaire. À
+Robert Rushton, la somme de 50 livres sterling de rente viagère; plus,
+une autre somme de 1,000 liv. sterl. le jour qu'il atteindra l'âge de
+vingt-cinq ans.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote158"
+name="footnote158"><b>Note 158: </b></a><a href="#footnotetag158">
+(retour) </a> Si les gazettes ne mentent pas, ce qu'elles font
+ généralement, Démétrius Zograffo, d'Athènes, est à la tête de
+ l'insurrection de ce pays. Il a été mon domestique pendant
+ les années 1809, 1810, 1811 et 1812, avec quelques
+ interruptions, car je le laissai en Grèce quand je passai à
+ Constantinople; il m'accompagna en Angleterre, en 1811, et
+ retourna dans son pays au printems de l'année suivante. C'est
+ un homme habile, quoiqu'il n'eût pas l'air entreprenant; mais
+ ce sont les circonstances qui nous font ce que nous sommes.
+ Ses deux fils, alors au berceau, s'appelaient Miltiade et
+ Alcibiade; puisse le présage être favorable!<br>
+ <span class="rig">(<i>Journal autographe de Byron</i>.)</span><br>
+</blockquote>
+
+<p>»À John Hanson, esq., la somme de 2,000 liv. sterling.</p>
+
+<p>»Ce qui pourra être dû à S.B. Davies, esq., devra lui être payé dès
+qu'il en aura fourni la note.</p>
+
+<p>»Le corps de Lord Byron sera enseveli dans le caveau du château de
+Newstead, sans aucune cérémonie ou service funèbre, et sans aucune
+inscription, si ce n'est celle de son nom et de son âge. Les restes de
+son chien ne seront pas pour cela enlevés du dit caveau.</p>
+
+<p>»Ma bibliothèque et mes meubles de toute espèce sont légués à mes amis
+et exécuteurs John Carn Hobbouse et S.B. Davies. En cas de décès des
+susdits, je nomme pour mes exécuteurs le révérend J. Becher, de
+Southwell, Nottinghamshire, et R. C. Dallas, Esq. de Montake Surrey.</p>
+
+<p>»Le produit de la vente de Wymondham dans le Norfolkshire, et des
+propriétés de la feue Mrs. Byron en Écosse, sera employé au paiement de
+mes dettes et de mes legs.»</p>
+
+<p>En envoyant une copie du testament rédigé d'après les instructions de
+Lord Byron, le procureur avait accompagné quelques-unes des clauses de
+questions marginales, appelant l'attention de son noble client sur
+certaines choses qui lui semblaient impropres ou douteuses. Comme les
+courtes, mais énergiques réponses de Byron, sont parfaitement empreintes
+de l'originalité de son caractère, nous allons donner ici quelques-unes
+de ces clauses avec les questions et les réponses qui s'y rapportent.</p>
+
+<p>«Ceci est la dernière volonté et le testament de moi, le très-honorable
+Georges-Gordon Lord Byron, Baron Byron de Rochdale, dans le comté de
+Lancaster. Je veux que mon corps soit enterré dans le caveau du jardin
+de Newstead, sans aucune cérémonie, ni aucun service funèbre quelconque.
+Qu'on ne place aucune inscription sur mon tombeau, sauf une tablette
+portant mon nom et mon âge. Je veux de plus qu'on ne retire pas du dit
+caveau les restes de mon chien fidèle. Je me confie à l'affection de mes
+exécuteurs pour l'accomplissement de cette volonté, à laquelle je tiens
+d'une manière toute particulière.»</p>
+
+<p>»--On demande à Lord Byron s'il ne vaudrait pas mieux supprimer
+entièrement cette clause relative aux funérailles. La substance pourrait
+en être renfermée dans une lettre de Sa Seigneurie à ses exécuteurs, et
+jointe au testament, lequel porterait alors que les funérailles auraient
+lieu en la manière que Sa Seigneurie l'aurait ordonné par une lettre <i>ad
+hoc</i>, ou, à défaut d'une telle lettre, à la discrétion de ses
+exécuteurs.»</p>
+
+<p>»--Il faut que cela reste.»<br>
+
+<span class="rig">BYRON.</span><br></p>
+
+<p>»Je veux, et j'ordonne formellement que toutes les sommes que ledit S.
+B. Davies pourrait avoir à répéter sur moi, soient payées intégralement,
+aussitôt que possible, après mon décès, dès qu'il aura prouvé la nature
+et le montant de la dette (par témoins ou autrement, à la satisfaction
+de mes exécuteurs ci-dessus nommés)<a id="footnotetag159" name="footnotetag159"></a>
+<a href="#footnote159"><sup class="sml">159</sup></a>.»</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote159"
+name="footnote159"><b>Note 159: </b></a><a href="#footnotetag159">
+(retour) </a> Les mots placés ici entre deux traits avaient été
+ biffés à la plume par Lord Byron.</blockquote>
+
+<p>»--Si M. Davies a quelques comptes non réglés avec Lord Byron, cette
+circonstance est une raison de ne le point nommer exécuteur; chaque
+exécuteur étant en état de se payer par ses propres mains sans consulter
+ses co-exécuteurs.»</p>
+
+<p>»--Tant mieux... Si la chose est possible, qu'il soit l'un des
+exécuteurs.»<br>
+
+<span class="rig">BYRON.</span><br></p>
+
+<p>Les deux lettres suivantes contiennent de nouvelles instructions sur le
+même sujet.</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE LVIII.</h3>
+
+<h4>À M. BOLTON.</h4>
+
+<p class="rig">Newstead-Abbey, 16 août 1811.</p><br><br>
+
+<p><span class="sc">Monsieur</span>,</p>
+
+<p>«J'ai répondu en marge à vos questions<a id="footnotetag160" name="footnotetag160"></a>
+<a href="#footnote160"><sup class="sml">160</sup></a>. Mon intention est que l'on
+accorde à M. Davies tout ce qu'il croira devoir répéter, et de plus
+qu'il soit l'un de mes exécuteurs. Je désire que le testament soit, s'il
+est possible, écrit de manière à prévenir toute espèce de discussion
+après ma mort, et c'est ce sur quoi je m'en repose sur vous comme homme
+de loi et homme d'honneur.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote160"
+name="footnote160"><b>Note 160: </b></a><a href="#footnotetag160">
+(retour) </a> En énumérant dans cette clause le nom et la
+ demeure des exécuteurs, le procureur avait laissé des blancs
+ pour les noms de baptême des exécuteurs; Lord Byron les ayant
+ tous remplis, excepté celui ou ceux de M. Dallas, écrivit en
+ marge: «J'ai oublié le nom de baptême de Dallas... il n'y a
+ qu'à le retrancher.»</blockquote>
+
+<p>»Quant à la manière simple dont je veux qu'on dispose de ma <i>carcasse</i>,
+je veux que l'on s'y conforme absolument; cela aura, du moins,
+l'avantage de sauver bien du trouble et de la dépense. En outre, ce qui
+est de peu de conséquence pour moi, mais qui pourra calmer la conscience
+des survivans, le jardin est <i>terre consacrée</i>. Cet article est copié
+mot à mot de mon premier testament, et les changemens opérés dans
+d'autres sont la suite de la mort de Mrs. Byron.</p>
+
+<p>»J'ai l'honneur d'être votre très-humble et très-obéissant serviteur,»<br>
+
+<span class="rig">BYRON.</span><br></p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE LVIII.</h3>
+
+<h4>À M. BOLTON.</h4>
+
+<p class="rig">Newstead-Abbey, 20 août 1811.</p><br><br>
+
+<p><span class="sc">Monsieur</span>,</p>
+
+<p>«Les témoins seront pris parmi mes fermiers, et je serai charmé de vous
+recevoir le premier jour qui vous sera convenable. J'ai oublié de
+mentionner qu'il faut spécifier par codicille, ou autrement, que mon
+corps ne devra, sous aucun prétexte, être enlevé de la place où je yeux
+qu'il soit déposé. Que si quelqu'un de mes successeurs au titre, soit
+par bigoterie, soit autrement, voulait déranger ma carcasse, un tel
+procédé devra être suivi de la perte du domaine, qui, dans ce cas,
+serait dévolu à ma sœur l'honorable Augusta Leigh ou à ses ayant-cause,
+aux mêmes conditions.</p>
+
+<p>«»J'ai l'honneur d'être, Monsieur, etc.»<br>
+
+<span class="rig">BYRON.</span><br></p>
+
+<p>En conséquence de cette dernière lettre, une condition provisionnelle
+fut insérée dans le testament. Il y fut aussi, le 28 du même mois,
+ajouté un codicille par lequel il révoque la donation précédemment faite
+de «ses meubles meublans, bibliothèque, tableaux, sabres, montres,
+argenterie, linge, bijoux, etc., et autres effets mobiliers, excepté
+l'argent et les valeurs en portefeuille, qui se trouveraient dans la
+maison et propriété de Newstead au jour de son décès, et lègue le tout
+(excepté le vin et les autres spiritueux) à ses amis lesdits J. C.
+Hobhouse, J. B. Davies et Francis Hodgson, ses exécuteurs, etc. Il lègue
+le vin et les liqueurs spiritueuses qui se trouveront dans les caves et
+autres parties de Newstead, à son ami ledit J. Becher, pour son usage
+particulier. Priant collectivement et individuellement les susnommés de
+vouloir bien accepter leur dit legs respectif, comme un gage de son
+amitié.»</p>
+
+<p>On ne saurait se défendre d'un intérêt douloureux à la lecture des
+lettres suivantes, écrites lorsque ses dernières pertes étaient encore
+toutes récentes.</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE LIX.</h3>
+
+<h4>À M. DALLAS.</h4>
+
+<p class="rig">Newstead-Abbey, 12 août 1811.</p><br><br>
+
+<p>«Que la paix soit avec les morts! Le regret ne saurait les réveiller.
+Après avoir donné un soupir à ceux qui ont quitté cette vie,
+reprenons-en les ennuyeuses occupations, dans la certitude où nous
+sommes que nous aussi nous aurons un jour notre repos. Outre celle qui
+m'avait donné l'existence, j'ai perdu la plus grande partie de ceux qui
+me la rendaient supportable. Le meilleur ami de mon ami Hobhouse,
+Matthews, homme d'un rare mérite, l'ornement de notre petit cercle, a
+péri misérablement dans les eaux fangeuses de la Cam, toujours fatales
+au génie. Mon pauvre camarade d'école, Wingfield, est mort à Coimbre. En
+voilà trois dans l'espace d'un mois; j'avais reçu des nouvelles de tous
+trois, mais je n'en ai pas vu un seul. Matthews m'avait écrit le jour
+même de sa mort: quoique je regrette vivement sa perte, je suis bien
+plus tourmenté pour Hobhouse, je crains bien qu'il n'en perde la raison;
+depuis cet événement, les lettres qu'il m'a écrites sont pleines
+d'incohérences. Mais allons..., nous passerons un jour ou un autre comme
+tout le reste... Le monde est trop plein de ces sortes de choses, et
+notre chagrin même est égoïste.</p>
+
+<p>»J'ai reçu une lettre de vous, à laquelle mes dernières occupations
+m'ont empêché de répondre, ainsi qu'il aurait convenu. J'espère que vos
+parens et vos amis ne seront pas de sitôt séparés. Je serai charmé de
+recevoir une lettre de vous: parlez-moi d'affaires, de sujets communs,
+de quelque chose ou de rien, de tout ce que vous voudrez, excepté de la
+mort; j'en ai plus que je n'en puis supporter. C'est une chose
+étonnante: je regarde sans émotion les quatre crânes que j'ai toujours
+sous les yeux dans mon cabinet d'étude, et je ne puis, même par la
+pensée, dépouiller de leur enveloppe charnue les traits de ceux que j'ai
+connus, sans éprouver une horrible sensation; mais les vers n'y font pas
+tant de cérémonie! Sûrement les Romains avaient raison de brûler leurs
+morts.</p>
+
+<p>»Je serai charmé de recevoir de vos nouvelles, et suis votre, etc.»<br>
+
+<span class="rig">BYRON.</span><br></p>
+
+<br><br>
+<h3>LETTRE LX.</h3>
+
+<h4>À M. HODGSON.</h4>
+
+<p class="rig">Newstead-Abbey, 22 août 1811.</p><br><br>
+
+<p>«Vous avez sans doute appris la mort soudaine de ma mère, celle de
+Matthews, celle de Wingfield que je n'ai sue d'une manière bien positive
+qu'au moment où je quittais Londres, encore refusais-je d'y croire; tout
+cela fait un horrible vide dans mes affections. Ces coups se sont
+succédé si rapidement, que je suis comme stupéfait du choc. Quoique je
+mange, que je boive, que je parle, que je rie même quelquefois, j'ai
+peine à me persuader que je sois éveillé; chaque matin j'acquiers la
+triste conviction que tout cela n'est que trop réel. Mais, brisons là,
+les morts sont en repos, et seuls ils y sont.</p>
+
+<p>»Vous partagerez la douleur de ce pauvre Hobhouse: Matthews était le
+dieu de son idolâtrie; et si l'intelligence peut élever un homme
+au-dessus de ses semblables, nul ne pouvait lui refuser cette
+prééminence. Je le connaissais très-intimement, et l'estimais en
+proportion; mais je retombe encore... Allons, parlons de la vie et des
+vivans.</p>
+
+<p>«Si vous vous sentiez disposé à venir ici, vous y trouveriez «du bœuf,
+du feu de charbon de terre» et du vin qui n'est pas sans quelque mérite.
+Si vous y trouverez les deux autres nécessités d'un Anglais, suivant
+Otway, je ne saurais en répondre, mais probablement une des deux.
+Faites-moi savoir quand je pourrai vous attendre, afin que je vous
+tienne au courant de mes allées et de mes venues.....</p>
+
+<p>«Davies est venu ici; il m'a invité à passer une semaine à Cambridge
+dans le mois d'octobre, de sorte que nous pourrions d'aventure nous
+rencontrer le verre à la main. Sa gaîté contre laquelle la mort ne peut
+rien, m'a rendu bien service; mais après tout, nos éclats de rire
+n'étaient pas francs.</p>
+
+<p>«Vous m'écrirez? Je suis seul, voilà la première fois que la solitude
+m'est pénible. Votre anxiété, à propos de la critique sur le livre de
+***, est amusante; comme elle est anonyme, elle est de peu de
+conséquence. Je voudrais qu'elle eût amené un peu plus de confusion, car
+j'aime les malices littéraires. Ne faites-vous rien? N'écrivez-vous
+rien? N'imprimez-vous rien? Pourquoi ne continuez-vous pas votre satire
+sur le méthodisme? Ce sujet, en supposant même que le public fût aveugle
+sur le mérite littéraire, ferait merveille. Outre que pour un homme qui
+se destine au diaconat, il n'y aurait pas de mal de prouver son
+orthodoxie, sérieusement parlé, je désirerais vivement vous voir mieux
+apprécié. Je dis <i>sérieusement</i>, parce qu'étant auteur moi-même, on
+pourrait soupçonner mon humanité. Croyez-moi, pour toujours, mon cher
+Hodgson, votre, etc.»</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE LXI.</h3>
+
+<h4>A M. DALLAS.</h4>
+
+<p class="rig">Newstead, 21 août 1811.</p><br><br>
+
+<p>«Votre lettre me fait honneur de plus de sensibilité que je n'en
+possède; quoique je me trouve suffisamment malheureux, je suis cependant
+sujet à une sorte de joie hystérique, ou plutôt de rire sans gaîté, dont
+je ne puis me rendre compte, et que je ne saurais surmonter; et
+cependant je ne m'en sens pas soulagé: une personne indifférente me
+croirait dans les meilleures dispositions du monde. «Il faut oublier
+toutes ces choses,» et avoir recours à toutes nos jouissances
+d'égoïstes, ou plutôt à notre égoïsme, source de nos jouissances. Je ne
+crois pas retourner à Londres immédiatement; j'accepterai donc sans
+cérémonie ce que vous m'avez obligeamment offert, votre médiation entre
+Murray et moi. Je ne crois pas qu'il soit convenable d'y mettre mon nom.
+Observez que ma maudite satire sera cause que les critiques anglais et
+écossais vont se déchaîner sur le <i>Pélerinage</i>. Mais n'importe; si
+Murray insiste, et que vous soyez d'accord avec lui, j'en aurai le
+courage. Que le titre porte donc: «Par l'auteur des <i>Poètes anglais et
+des Journalistes écossais</i>.» Mes remarques sur la langue romaïque, qui
+devaient accompagner mes <i>Imitations d'Horace</i>, se joindront tout
+naturellement à cet ouvrage, avec lequel elles ont plus de rapport,
+ainsi que les petits poèmes que j'ai maintenant en portefeuille, et
+quelques autres déjà publiés dans les <i>Mélanges</i>. J'ai trouvé dans les
+papiers de ma pauvre mère toutes mes lettres de l'Orient, et en
+particulier une assez longue sur l'Albanie; j'en pourrai, au besoin,
+tirer le sujet d'une note ou deux. Comme je n'avais point de journal,
+ces lettres écrites sur les lieux sont tout ce que je puis désirer de
+mieux. Nous en reparlerons quand tout le reste sera définitivement
+arrangé.</p>
+
+<p>«Murray a-t-il montré l'ouvrage à quelqu'un? Il en est bien le maître;
+mais je ne veux pas de suffrages mendiés ou surpris. Il y a
+naturellement certaines petites choses que je voudrais changer.
+Peut-être ferait-on aussi bien de retrancher deux stances bouffonnes sur
+le dimanche à Londres. Je dois singulièrement éviter d'identifier mon
+caractère avec celui de <i>Childe Harold</i>, et c'est en vérité une seconde
+objection pour l'impression de mon nom sur le titre. Quand vous serez
+convenu du tems, du format, du caractère, etc., faites-moi l'honneur
+d'une réponse. Je vous donne une peine infinie, et que tous mes
+remercîmens ne sauraient jamais reconnaître. J'avais mis en tête du
+manuscrit une sorte d'apologie en prose de mon scepticisme; mais comme,
+toute réflexion faite, je trouve qu'elle a plutôt l'air d'une attaque
+que d'une défense, je crois qu'il serait peut-être mieux de la
+retrancher.... Voyez, et jugez. Je crains que Murray ne se fasse quelque
+mauvaise affaire avec les dévots; je ne puis qu'y faire; je souhaite
+cependant qu'il s'en tire pour le mieux. Quant à moi, «j'ai été abreuvé
+de critiques, et j'en ai eu tout mon soûl,» et je ne pense pas que «le
+plus épouvantable traité» puisse mouvoir et faire hérisser sur ma tête
+«ma toison de cheveux», jusqu'à ce que «la forêt de Birnam vienne au
+château de Dunsinane<a id="footnotetag161" name="footnotetag161"></a>
+<a href="#footnote161"><sup class="sml">161</sup></a>». Je continuerai à vous écrire de tems en
+tems, et j'espère que vous me rendrez lettre pour lettre. Comment Pratt
+se tire-t-il des œuvres posthumes de Joe Blackett? Vous avez tué ce
+pauvre homme-là entre vous, en dépit de votre ami l'Ionien et de moi qui
+voulions le sauver des griffes de Pratt. Poésie, pauvreté pendant la
+vie, oubli après la mort! Cruel patronage! de ruiner un homme, en
+l'arrachant à son état. Mais enfin c'est un merveilleux sujet de
+souscription et de biographie; et Pratt, qui tire le meilleur parti de
+ses dédicaces, a déjà dédié son livre à cinq grandes familles au moins.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote161"
+name="footnote161"><b>Note 161: </b></a><a href="#footnotetag161">
+(retour) </a> Imitation burlesque du <i>Macbeth</i> de Shakspeare.
+<span class="rig">(<i>N. du Tr.</i>)</span><br>
+</blockquote>
+
+<p>«Je suis fâché que vous n'aimiez pas Harry White; avec beaucoup de
+jargon religieux qui, par parenthèse, l'a tué, quoique sincère, comme
+vous avez tué Joe Blackett, certes il y avait en lui de la poésie et du
+génie. Je ne dis pas cela pour ma comparaison et mes rimes; mais il
+était incontestablement au-dessus de tous les Bloomfields, les
+Blacketts, et tous ces autres savetiers que Lofft et Pratt ont enlevés
+ou enlèveront à leur état pour les faire entrer au service de la presse.
+Vous excuserez tout le décousu de cette lettre; j'écris je ne sais quoi
+pour me dérober à moi-même. Hobhouse est parti pour l'Irlande. M. Davies
+est passé par ici en se rendant à Harrowgate.</p>
+
+<p>»Vous ne connaissiez pas Matthews; c'était un homme d'un talent
+extraordinaire; il en a fait preuve à Cambridge, en gagnant, sur les
+plus habiles candidats, plus de prix et de <i>fellowships</i> qu'aucun gradué
+ne l'ait encore fait, de mémoire d'homme. Mais c'était un athée bien
+décidé et bien connu pour tel; car il proclamait ses principes dans
+toutes les sociétés. Je le connaissais beaucoup; sa mort laisse dans mon
+cœur un vide qui ne sera pas aisément rempli: pour Hobhouse, il ne s'en
+consolera jamais. Écrivez-moi, et croyez-moi, etc.»</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE LXII.</h3>
+
+<h4>À M. MURRAY.</h4>
+
+<p class="rig">Newstead-Abbey, 23 août 1811.</p><br><br>
+
+<p><span class="sc">Monsieur</span>,</p>
+
+<p>«Un chagrin domestique, la mort d'un parent très-proche, m'a jusqu'ici
+empêché d'entrer en correspondance avec vous sur ce qui fait le sujet de
+cette lettre. Mon ami, M. Dallas, a mis entre vos mains le manuscrit
+d'un poème écrit par moi en Grèce, et me dit que vous n'avez point
+d'objections contre sa publication; mais il m'apprend aussi que vous
+désireriez soumettre l'ouvrage à M. Gifford. Certes, nul ne désirerait
+plus que moi profiter des observations dont il pourrait peut-être
+m'honorer; mais il y a dans une démarche de ce genre une sorte de quête
+d'éloges qui répugne à mon orgueil, ou de quelque autre nom qu'il vous
+plaise d'appeler le sentiment qui me force à m'y refuser. Non-seulement
+M. Gifford est le premier de nos poètes satiriques, mais il est encore
+l'éditeur de nos principales <i>Revues</i>, et comme tel, l'homme du monde
+dont je voudrais le moins avoir l'air de prévenir la critique par de
+petits moyens, quoique en effet je la redoute beaucoup. Vous voudrez
+donc bien garder le manuscrit entre vos mains, ou s'il faut absolument
+qu'il soit montré à quelqu'un, envoyez-le à un autre. Quoique je ne sois
+pas très-patient de la censure, je serais, comme un autre, charmé de
+recevoir le peu d'éloges que mes vers peuvent mériter; mais à coup sûr
+je ne veux pas les extorquer par d'humbles sollicitations, et en faisant
+passer mon manuscrit à la ronde. Je suis persuadé qu'avec un peu de
+réflexion vous verrez que je n'ai pas tort.</p>
+
+<p>«Si vous vous déterminez à publier, j'ai aussi quelques petits poèmes
+inédits, quelques notes, et une courte dissertation sur la littérature
+grecque moderne, écrite à Athènes, qui pourront être places à la fin du
+volume. Si la pièce dont il s'agit ici venait à réussir, j'ai intention
+de publier plus tard un choix de mon premier recueil, ma satire, une
+autre de la même longueur, et quelques autres petites choses; le tout
+joint au manuscrit que vous avez maintenant entre les mains pourrait
+former deux volumes. Nous aurons le tems d'en reparler. Je vous serais
+obligé de me faire connaître la détermination que vous aurez prise.</p>
+
+<p>«Je suis, monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur,»<br>
+
+<span class="rig">BYRON.</span><br></p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE LXIII.</h3>
+
+<h4>A M. DALLAS.</h4>
+
+<p class="rig">Newstead-Abbey, 25 août 1811.</p><br><br>
+
+<p>«Comme heureusement j'ai mon franc-couvert<a id="footnotetag162" name="footnotetag162"></a>
+<a href="#footnote162"><sup class="sml">162</sup></a>, je ne me fais point
+scrupule de vous accabler de griffonnage; depuis dix jours je vous ai
+envoyé de véritables paquets. Je suis ici comme un ermite; je ne crois
+pas que mon agent puisse m'accompagner à Rochdale avant la seconde
+semaine de septembre, délai qui me contrarie fort; car je voudrais que
+cette affaire fût finie, et serais bien aise de me livrer à quelque
+occupation. Je vous envoie des exordes, des annotations, etc., pour
+notre futur in-quarto, si tant est qu'in-quarto il doive y avoir. J'ai
+aussi écrit à M. Murray, lui exposant les raisons qui me font ne pas
+consentir à ce qu'il envoie mon manuscrit à Juvénal<a id="footnotetag163" name="footnotetag163"></a>
+<a href="#footnote163"><sup class="sml">163</sup></a>, mais lui
+permettant de le montrer à quelque autre personne du métier qu'il pourra
+lui être agréable. Hobhouse est sous presse, de manière que, lui en
+prose, et moi en vers, nous tirons passablement à vue sur la patience et
+le papier-monnaie du public. Ce n'est pas tout; mes <i>Imitations
+d'Horace</i> attendent leur tour pour s'imprimer chez Cawthorn, mais je
+suis encore incertain sur le <i>quand</i> et le <i>comment</i>, le simple ou le
+double, le présent et le futur. Il faut que vous excusiez tout ce
+bavardage; car dans ce manoir isolé je n'ai rien à dire, si ce n'est de
+moi-même, et je serais charmé de pouvoir parler de....., ou penser à
+quelque autre chose que ce soit.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote162"
+name="footnote162"><b>Note 162: </b></a><a href="#footnotetag162">
+(retour) </a> Pendant la durée des sessions, les membres des
+ deux chambres ont leur couvert libre, tant pour les lettres
+ qu'ils écrivent que pour celles qu'ils reçoivent.<br>
+ <span class="rog">(<i>N. du Tr.</i>)</span><br>
+</blockquote>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote163"
+name="footnote163"><b>Note 163: </b></a><a href="#footnotetag163">
+(retour) </a> M. Gifford.</blockquote>
+
+<p>«Qu'est-ce que vous allez faire? Pensez-vous à percher dans le
+Cumberland, comme vous en aviez l'idée, quand j'étais dans la métropole!
+Si vous avez le goût de la retraite, que ne prenez-vous «la chaumière de
+l'amitié» de miss ***, dernière résidence du savetier Joe Blackett, de
+la mort duquel vous et les autres répondrez un jour? «Sa fille
+orpheline» (pathétique Pratt!) ne saurait manquer de devenir une Sapho
+cordonnière. N'avez-vous pas de remords? Je crois que l'élégante épître
+à miss Dallas devrait être gravée sur le cénotaphe que miss *** veut
+consacrer à sa mémoire.</p>
+
+<p>«Les journaux semblent désappointés de ce que Sa Majesté ne meurt pas et
+s'occupe à quelque chose de mieux. Je présume que tout est fini
+maintenant. Si le parlement reprend ses séances en octobre, je me
+rendrai à Londres pour y assister. Je suis aussi invité à Cambridge pour
+le commencement de ce mois, mais il faut d'abord que j'aille faire une
+course à Rochdale. Maintenant que Matthews est mort et que Hobhouse est
+en Irlande, à l'exception de celui qui m'y appelle, à peine me
+reste-t-il un ami à Cambridge pour me venir prendre la main à mon
+arrivée. A vingt-trois ans, me voilà resté presque seul, que sera-ce
+donc à soixante-dix! Il est vrai que je suis jeune et que je puis
+commencer de nouvelles liaisons; mais avec qui me rappellerai-je ces
+scènes joyeuses de la première partie de la vie? C'est une chose
+étrange, combien peu de mes amis sont morts d'une mort tranquille! je
+veux dire dans leur lit. Une vie tranquille est de bien plus grande
+conséquence. Mais on aime mieux se quereller et se heurter que
+<i>bailler</i>. Ce mot m'avertit qu'il est tems de vous débarrasser de votre
+bien affectionné, etc.</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE LXIV.</h3>
+
+<h4>A M. DALLAS.</h4>
+
+<p class="rig">Newstead-Abbey, 27 août 1811.</p><br><br>
+
+<p>«J'étais si sincère dans ma note sur feu Charles Matthews, et je me sens
+si totalement incapable de rendre justice à ses talens, que le passage
+doit subsister par la raison même que vous alléguez pour me le faire
+supprimer. Tous les hommes que j'ai connus ne sont que des pygmées
+auprès de lui. C'était un géant intellectuel. Il est vrai que j'aimais
+Wingfield plus encore: c'était mon plus ancien camarade et le plus cher,
+un de ces hommes peu nombreux qu'on ne saurait jamais se repentir
+d'avoir aimés; mais sous le rapport de la capacité... Ah! vous ne
+connaissiez pas Matthews!</p>
+
+<p>«<i>Childe Harold</i> peut attendre, et ce sera tant mieux; les livres n'en
+sont jamais plus mauvais pour avoir été retardés dans leur publication.
+Ainsi, vous avez chez vous notre héritier, Georges Anson Byron, et sa
+sœur. .........................................................................................................................................</p>
+
+<p>«Dites tout ce que vous voudrez, mais vous êtes l'un des <i>meurtriers</i> de
+Blackett, et cependant vous ne voulez pas avouer le génie d'Harry White.
+Mettant à part sa bigoterie, il mérite certainement d'être placé près de
+Chatterton. Il est étonnant combien peu il était connu! et, à Cambridge,
+personne ne pensait à lui, ne parlait de lui, jusqu'à ce que la mort
+l'ait rendu indifférent à sa gloire posthume. Pour ma part, j'eusse été
+fier d'être lié avec lui; ses préjugés mêmes étaient respectables. Il y
+a à Granta un poète épique en herbe, un M. Townsend, protégé du feu duc
+de Cumberland. Avez-vous jamais entendu parler de son <i>Armageddon</i>? Je
+crois que son plan (pour l'homme, je ne le connais pas) a quelque chose
+de sublime; bien que dans vos idées, à vous autres Nazaréens, il y ait
+trop de hardiesse à vouloir créer à l'avance <i>Le Dernier Jour</i>. Cela a
+l'air de vouloir dire au Seigneur ce qu'il doit faire, et pourrait
+rappeler à quelque lecteur malévole ce vers:</p>
+
+<p class="mid">Des sots se précipitent où les anges ne marchent qu'en
+ tremblant.</p>
+
+<p>»Je ne veux point lui faire de chicanes, d'autres lui en feront, et il
+pourrait bien voir après ses talons tous les agneaux de Jacob Behmen.
+Quoi qu'il en soit, j'espère qu'il s'en tirera à son honneur, encore
+qu'il doive rencontrer Milton en son chemin.</p>
+
+<p>ȃcrivez-moi, je suis fou de bavardages; saluez pour moi Ju..., et
+donnez pour moi une poignée de main à Georges; mais prenez garde, il a
+une vilaine patte marine.</p>
+
+<p>»<i>P. S.</i> J'inviterais volontiers Georges à venir ici, mais je ne sais
+comment l'amuser; j'ai vendu tous mes chevaux à mon départ d'Angleterre,
+et je n'ai pas encore eu le tems de les remplacer. Cependant, s'il veut
+venir chasser en septembre, il sera le bienvenu, mais il faudra qu'il
+apporte un fusil; j'ai donné tous les miens à Ali Pacha, et à d'autres
+Turcs. J'ai des chiens, un garde, beaucoup de gibier, un grand domaine,
+un lac, un bateau, un logement et du bon vin à son service.»</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE LXV.</h3>
+
+<h4>À M. MURRAY.</h4>
+
+<p class="rig">Newstead-Abbey, 5 septembre 1811.</p><br><br>
+
+<p><span class="sc">Monsieur</span>,</p>
+
+<p>«Il paraît que le tems est passé où, comme le disait le docteur Johnson,
+un homme était sûr d'apprendre la vérité de son libraire; vous m'avez
+fait tant de complimens qu'à moins d'être le dernier écrivassier du
+monde, je devrais m'en tenir pour offensé. Mais puisque je les accepte
+ces complimens tels qu'ils sont, il est bien juste que j'aie aussi
+beaucoup d'égards pour vos objections, d'autant plus que je les crois
+fondées. Quant aux parties politique et métaphysique, je crains de n'y
+pouvoir rien changer; j'ai de grandes autorités pour justifier mes
+erreurs sur ce point, car l'<i>Énéide</i> elle-même était un poème
+<i>politique</i> et écrit dans un but <i>politique</i>. Quant à mes malheureuses
+opinions sur des sujets plus importans, j'ai été trop sincère en les
+émettant pour songer à chanter la palinodie. J'ai dit ce que j'avais vu
+pour ce qui touche les affaires d'Espagne, et je crois que l'honnête
+John Bull commence à revenir de l'ivresse où l'avait plongé la retraite
+de Masséna, conséquence ordinaire de <i>succès extraordinaires</i>. Vous
+voyez donc que je ne puis altérer les pensées; mais si dans l'expression
+et la forme des vers, il y a quelque chose que vous désiriez changer, je
+puis rajuster des rimes, et retourner des stances autant qu'il vous
+plaira. Quant aux <i>Orthodoxes</i>, espérons qu'ils achèteront l'ouvrage
+pour en dire du mal, alors vous leur pardonnerez l'intention en faveur
+du résultat immédiat. Vous savez que rien de ce qui sort de ma plume ne
+saurait être épargné, pour plusieurs bonnes raisons; ainsi donc, encore
+que cet ouvrage soit d'une nature tout-à-fait différente du premier,
+nous ne devons pas nous livrer à de trop belles espérances.</p>
+
+<p>»Vous ne m'avez point fait de réponse à ma question; dites-moi
+franchement, avez-vous montré le manuscrit à quelqu'un de votre corps?
+J'ai envoyé une stance d'introduction à M. Dallas pour vous être remise,
+et sans laquelle le poème commençait d'une manière trop brusque. Il vaut
+mieux numéroter les stances en chiffres romains. J'ai des <i>Recherches
+sur la littérature grecque moderne</i> et quelques autres petits poèmes qui
+se placeront à la fin. Je les ai ici, et je vous les enverrai en tems
+opportun. Si M. Dallas a perdu la stance et la note qui y était annexée,
+écrivez-le-moi, et je vous les enverrai directement. Vous me dites
+d'ajouter deux chants, mais je dois visiter mes <i>charbonniers</i> du
+Lancashire, le 15 courant, et c'est une occupation si anti-poétique que
+je n'ai pas besoin de vous en dire davantage.</p>
+
+<p>»Je suis, Monsieur, votre très-obéissant, etc.»</p>
+
+<p>Les manuscrits de ces deux poèmes ayant été, bien contre sa volonté,
+montrés à M. Gifford, voici l'opinion de ce gentleman, rapportée par M.
+Dallas: «Il a parlé très-avantageusement de votre satire; mais quant à
+votre poème (<i>Childe Harold</i>), non-seulement il a dit que c'était ce que
+vous aviez écrit de mieux, mais il le prétend au moins égal à quoi que
+ce soit qu'on ait publié depuis le commencement de ce siècle.»</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE LXVI.</h3>
+
+<h4>À M. DALLAS.</h4>
+
+<p class="rig">Newstead-Abbey, 7 septembre 1811.</p><br><br>
+
+<p><span class="sc">Monsieur</span>,</p>
+
+<p>«Comme Gifford a toujours été pour moi mon <i>magnus Apollo</i>, des éloges
+tels que ceux que vous mentionnez me sont naturellement plus précieux
+que <i>tout l'or vanté de Bolcara</i>, que <i>toutes les pierres précieuses de
+Samarkand</i>. Mais je suis fâché que le manuscrit lui ait été montré, et
+je l'avais écrit à Murray, croyant qu'il en était tems encore.</p>
+
+<p>»Pour répondre à votre objection sur l'expression de <i>ligne centrale</i>,
+je vous dirai seulement qu'avant que Childe Harold quittât l'Angleterre,
+son intention arrêtée était de traverser la Perse et de revenir par les
+Indes, ce qu'il n'aurait pu faire sans passer la ligne équinoxiale.</p>
+
+<p>»Quant aux autres erreurs dont vous parlez, il faudra que je les corrige
+au fur et à mesure pendant l'impression. Je me sens très-honoré du désir
+qu'ont bien voulu exprimer des personnes aussi distinguées de me voir
+continuer mon poème; mais pour cela, il faut que je retourne en Grèce et
+en Asie; il me faut un soleil plus chaud et un ciel sans nuages; on ne
+saurait décrire de telles scènes au coin d'un feu de charbon de terre.
+J'avais projeté un chant additionnel quand j'étais dans la Troade et à
+Constantinople, et, si je revoyais ces lieux-là, je pourrais continuer:
+mais au milieu des circonstances et des sensations actuelles je n'ai ni
+harpe, ni cœur, ni voix pour aller en avant. Je sens que vous avez tous
+raison quant à la partie métaphysique; mais je sens aussi que je suis
+sincère, et que si je ne devais écrire que <i>ad captandum vulgus</i>, autant
+vaudrait publier tout de suite un <i>Magazine</i> ou filer langoureusement
+des chansonnettes pour le
+Wauxhall.<br>......................................................................................................................................................</p>
+
+<p>»Mon ouvrage réussira comme il pourra. Je sais que j'ai tout contre moi,
+des poètes irrités et des préjugés; mais si le poème est <i>un poème</i>, il
+surmontera ces obstacles, <i>sinon</i> il mérite son sort. J'ai lu l'ode de
+votre ami; ce ne serait pas lui faire grand compliment de lui dire
+qu'elle est bien supérieure à celle de S***, sur le même sujet. C'est
+évidemment l'ouvrage d'un homme de goût et d'un poète, et cependant je
+ne pourrais dire qu'elle soit tout-à-fait égale à ce qu'on avait droit
+d'attendre de l'auteur des <i>Horæ Ionicæ</i>. Je vous en remercie, et c'est
+plus que je n'en voudrais dire d'aucune autre des odes qu'on nous donne
+aujourd'hui. Je suis bien sensible aux vœux que vous formez pour moi, et
+j'en ai grand besoin. Ma vie entière a été en opposition aux convenances
+sociales pour ne pas dire à la décence. Mes affaires sont embarrassées,
+mes amis sont morts ou loin de moi, et mon existence n'est plus qu'un
+désert aride. Dans Matthews j'ai perdu un guide, un philosophe, un ami;
+dans Wingfield un ami seulement, mais un ami que j'aurais désiré
+accompagner dans son long voyage.</p>
+
+<p>»Matthews était, en effet, un homme extraordinaire; jamais un étranger
+n'aurait pu concevoir un tel génie; le cachet de l'immortalité était
+empreint sur tout ce qu'il disait, sur tout ce qu'il faisait: et
+maintenant que reste-t-il de lui? Quand nous voyons de ces hommes
+disparaître, de ces hommes qui semblaient avoir été créés pour montrer
+tout ce que le créateur pourrait faire de ses créatures; quand nous les
+voyons réduits en poussière avant que le tems n'ait mûri leur génie qui
+eût pu être l'orgueil de la postérité, que devons-nous en conclure? Pour
+ma part, ma raison s'y perd. Il était beaucoup pour moi, il était tout
+pour Hobhouse. Mon pauvre Hobhouse idolâtrait Matthews. Moi je l'aimais
+moitié moins que je ne le respectais; j'étais tellement convaincu de sa
+supériorité infinie, que quoique je ne lui portasse pas envie, je
+restais devant lui dans une sorte d'admiration stupéfaite. Lui,
+Hobhouse, Davis et moi nous formions un petit cercle à Cambridge et
+ailleurs. Davis est un homme d'esprit et un homme du monde; il ressent
+la perte que nous avons faite, autant qu'un homme de ce caractère peut
+la ressentir; mais il n'en est pas aussi affecté qu'Hobhouse. Davis, qui
+n'est point écrivain, nous a toujours battus dans une guerre de mots;
+son talent de conversation nous amusait en même tems qu'il nous
+imposait. Hobhouse et moi, avions toujours le dessous contre les deux
+autres, et Matthews lui-même était obligé de céder devant la vivacité
+toute puissante de Davis. Mais je vous parle là d'hommes et de jeunes
+gens, comme si tout cela était de nature à vous intéresser.</p>
+
+<p>»J'attends le retour de mon agent vers le 14, pour me rendre avec lui
+dans le Lancashire, où tout le monde me dit que j'ai une propriété qui
+n'est pas à dédaigner, consistant en mines de charbon de terre, etc. Mon
+intention est d'accepter ensuite une invitation, à Cambridge, en
+octobre, et peut-être irai-je jusqu'à Londres. J'ai quatre invitations
+pour quatre villes différentes; mais il faut que je me dévoue tout
+entier aux affaires. Je suis complètement seul, comme le prouvent assez
+ces lettres longues et ennuyeuses. En relisant votre lettre, je vois que
+l'ode est de l'auteur; faites-lui, je vous prie, accepter mes
+complimens. Sa muse méritait un sujet plus noble. Vous m'écrirez, je
+l'espère, comme à l'ordinaire.</p>
+
+<p>»Je vous souhaite le bon soir, et suis, etc.»</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE LXVII.</h3>
+
+<h4>À M. MURRAY.</h4>
+
+<p class="rig">Newstead-Abbey, 14 septembre 1811.</p><br><br>
+
+<p><span class="sc">Monsieur</span>,</p>
+
+<p>«Depuis votre dernière lettre j'ai appris de M. Dallas que, contre mon
+intention, ainsi qu'il le savait bien, et que vous le savez vous-même,
+d'après une lettre que je vous avais écrite tout entière à ce sujet, mon
+manuscrit avait été soumis à la lecture de M. Gifford. Quelques
+événemens domestiques récens, dont vous avez sans doute connaissance,
+m'empêchèrent de vous envoyer ma lettre plus tôt. Je ne pouvais
+m'imaginer, en effet, que vous seriez si pressé de jeter mes productions
+entre les mains d'un étranger, qui pouvait n'être pas plus satisfait de
+les recevoir, que l'auteur de les voir offrir d'une telle manière et à
+un tel homme.</p>
+
+<p>»Mon adresse, quand j'aurai quitté Newstead, sera à Rochdale,
+Lancashire; mais je n'ai pas encore fixé le jour de mon départ, j'aurai
+soin de vous en tenir averti.</p>
+
+<p>»Vous m'avez mis dans une situation bien ridicule; mais enfin cela est
+passé, nous n'en parlerons pas davantage. Vous paraissez désirer
+quelques changemens; s'ils n'ont rien à voir avec la politique ou la
+religion, je m'y prêterai avec le plus grand plaisir du monde.</p>
+
+<p>»Je suis, Monsieur, etc.»</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE LXVIII.</h3>
+
+<h4>À M. DALLAS.</h4>
+
+<p class="rig">Newstead-Abbey, 17 septembre 1811.</p><br><br>
+
+<p>«Je vous excuse facilement de ne m'avoir point écrit, car j'espère que
+vous avez quelque chose de mieux à faire. De votre côté, vous devez me
+pardonner de vous importuner si souvent, car, pour le moment, je n'ai
+rien à faire qui puisse vous sauver l'ennui de ma correspondance.</p>
+
+<p>»Je ne puis me fixer à rien, et, à l'exception d'un grand exercice
+physique, mes jours se passent dans une indolence uniforme et une
+oisiveté insipide. J'ai long-tems attendu, et j'attends encore mon
+agent; quand il viendra, j'aurai assez de quoi m'occuper d'affaires peu
+agréables, je vous assure. Avant de partir pour Rochdale, je vous dirai
+comment vous devez m'écrire, ce sera probablement poste restante. J'ai
+reçu de Murray une seconde épreuve que je l'ai prié de vous montrer,
+afin que vous voyiez si quelque chose ne me serait pas échappé avant que
+l'imprimeur ne jette les fondemens d'une colonne d'<i>errata</i>.</p>
+
+<p>»Je suis maintenant presque seul, n'ayant avec moi qu'une vieille
+connaissance, un vieux camarade d'école, si <i>vieux</i>, en effet, que nous
+n'avons presque plus rien de <i>nouveau</i> à nous dire sur aucun sujet, et
+que nous bâillons l'un devant l'autre dans une sorte de <i>quiétude
+inquiète</i>. Je n'entends pas parler de Cawthorn ou du capitaine Hobhouse
+et de leur <i>in-quarto</i>. Dieu prenne pitié du genre humain! Nous fondons
+sur lui, comme Cerbère, avec notre triple publication. Pour moi-même,
+pris isolément, je me contente de me faire comparer à Janus.</p>
+
+<p>»Je ne suis pas du tout satisfait que Murray ait montré le manuscrit; et
+je suis certain que Gifford doit penser là-dessus, comme moi-même. Ses
+éloges ne signifient absolument rien; que pouvait-il dire? Il ne pouvait
+pas cracher à la figure de quelqu'un qui l'avait loué de toutes les
+manières possibles. Je dois l'avouer, je donnerais tout au monde pour
+qu'il fût bien convaincu que je ne suis pour rien dans cette misérable
+affaire. Plus j'y pense, plus cela me tourmente; ainsi le meilleur est
+de n'en plus parler. C'est déjà assez d'être un écrivassier, sans avoir
+recours à de si petits moyens pour extorquer des éloges ou prévenir la
+censure. C'est aller au-devant d'un jugement, c'est mendier, se mettre à
+genoux devant un homme, c'est l'aduler... Diable, diable, diable! et
+tout cela sans mon consentement, et en opposition à ma volonté formelle!
+Je voudrais que Murray eût été attaché au <i>cou de Payne</i>, quand il sauta
+dans le canal de Padington; dites-lui donc que c'est un réceptacle
+convenable pour des éditeurs. Puisque vous pensez à vous fixer à la
+campagne, pourquoi ne pas essayer de Nottingham? Je crois qu'il y a là
+plusieurs maisons qui vous conviendraient parfaitement, et puis vous
+seriez plus près de la métropole; mais nous en reparlerons.</p>
+
+<p>»Je suis, etc.»</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE LXIX.</h3>
+
+<h4>À M. DALLAS.</h4>
+
+<p class="rig">Newstead-Abbey, 21 septembre 1811.</p><br><br>
+
+<p>«J'ai montré le cas que je fais de vos observations en me conformant à
+presque toutes; j'ai aussi fait, par moi-même, plusieurs corrections sur
+la première épreuve. Écrivez-moi, je vous prie; quand j'irai à Lanes, je
+vous le ferai savoir. Vous voilà sur mon dos maintenant, ainsi que mon
+ami Juvenal Hodgson sur le chapitre de la révélation. Vous ne manquez
+pas de ferveur, mais lui c'est un brasier ardent; s'il prend, pour
+sauver son ame, la moitié de la peine qu'il se donne pour la mienne,
+grande sera sa récompense un jour à venir. Je vous honore et vous
+remercie tous deux; mais ni l'un ni l'autre vous ne m'avez convaincu.</p>
+
+<p>»Maintenant occupons-nous des notes. Outre celles que j'ai déjà
+envoyées, j'enverrai encore les observations sur les remarques de ces
+messieurs de la <i>Revue d'Édimbourg</i> sur le grec moderne, une chanson
+albanaise en langue albanaise <i>et non pas grecque</i>, quelques
+échantillons de grec moderne, tirés du Nouveau-Testament, une scène de
+l'une des comédies de Goldoni, traduite, le prospectus du livre d'un
+ami, tout cela en romaïque, outre leur <i>Pater Noster</i>; vous voyez qu'il
+y en aura assez pour ne pas dire trop. Avez-vous reçu les <i>Noctes
+atticæ</i>? J'envoie de plus une note sur le Portugal. Hobhouse va bientôt
+paraître aussi.»</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE LXX.</h3>
+
+<h4>À M. DALLAS.</h4>
+
+<p class="rig">Newstead-Abbey, 23 septembre 1811.</p><br><br>
+
+<p>«<i>Lisboa</i> est le mot portugais, et conséquemment le meilleur.
+<i>Ulyssipont</i> est pédantesque, et comme j'ai un peu plus haut <i>Hellas</i> et
+<i>Eros</i>, cela aurait l'air d'une affectation de termes grecs, que je
+désire éviter. J'en ai déjà une quantité effrayante dans mes notes,
+comme échantillons de la langue; ainsi donc il faut conserver <i>Lisboa</i>.
+Vous avez raison quant aux <i>Imitations d'Horace</i>, il ne faut pas
+qu'elles viennent avant le <i>Romaunt</i>; je sais bien que Cawthorn sera
+furieux; mais n'importe, arrêtez toujours les <i>Imitations</i>, et puis vous
+essaierez si vous pouvez le remettre de bonne humeur, si vous pouvez.</p>
+
+<p>»J'ai adopté, je crois, la plupart de vos suggestions; <i>Lisboa</i> sera une
+exception pour prouver la règle. J'ai envoyé quantité de notes, et j'en
+enverrai encore; mais faites-les recopier, je vous prie, car le diable
+ne lirait pas mon écriture. À propos, je n'ai point envie de changer le
+neuvième vers de la pièce intitulée <i>Good Night</i> (<i>Bonne Nuit</i> ou <i>Bon
+Soir</i>). Je n'ai aucune raison de supposer que mon chien vaille mieux que
+ses confrères de l'espèce humaine, et nous savons qu'<i>Argus</i> est une
+fable. Le <i>Cosmopolite</i> est une acquisition faite sur le continent. Je
+ne crois pas qu'on le trouve en Angleterre. C'est un petit volume
+amusant, plein de la gaîté et de la vivacité françaises. Je lis leur
+langue, quoique je ne la parle pas.</p>
+
+<p>»Je veux être en colère contre Murray. Son procédé est un procédé de
+libraire, cela sent l'arrière-boutique; et si le résultat de
+l'expérience avait été tel qu'il le méritait, il y avait de quoi
+soulever tout Fleet-Street, et emprunter le bâton du géant de l'église
+de Saint-Dunstan pour immoler un homme qui abuse ainsi du dépôt qu'on
+lui avait confié. Je lui ai écrit, je vous jure, comme jamais auteur ne
+l'avait encore fait; j'espère que vous exagérerez encore mon
+ressentiment, jusqu'à ce qu'il s'y montre sensible. Vous me dites
+toujours que vous avez beaucoup de choses à m'écrire, écrivez-les; mais
+laissez de côté la métaphysique. Nous ne nous entendrons jamais sur ce
+point-là. Je suis ennuyé et endormi à mon ordinaire. Je ne fais rien, et
+ce rien même me fatigue. Adieu.»</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE LXXI.</h3>
+
+<h4>À M. DALLAS.</h4>
+
+<p class="rig">Newstead-Abbey, 11 octobre 1811.</p><br><br>
+
+<p>«Je reviens de Lancs, et je me suis convaincu que ma propriété pourrait
+acquérir beaucoup de valeur; mais diverses circonstances m'empêchent d'y
+donner tous les soins convenables. Je serai à Londres pour affaires au
+commencement de novembre, et peut-être à Cambridge avant la fin de ce
+mois; dans tous les cas, je vous tiendrai au courant de tous mes
+mouvemens.</p>
+
+<p>»Voici encore une mort qui vient m'affliger; j'ai perdu quelqu'un qui
+m'était bien cher dans de meilleurs tems; mais j'ai presque oublié le
+goût amer du chagrin, et j'ai été abreuvé d'horreur jusqu'à ce que je
+sois devenu complètement endurci. Je n'ai plus une larme aujourd'hui
+pour un événement qui, il y a cinq ans, m'aurait abîmé de douleur. Il
+semblerait que je sois destiné à éprouver dès ma jeunesse le plus grand
+malheur des vieillards. Mes amis tombent autour de moi, et je resterai
+comme un arbre seul et isolé quoique le tems ne l'ait pas encore
+desséché: d'autres peuvent toujours trouver un refuge dans leur famille;
+mais je n'ai de ressources que dans mes propres réflexions, et elles ne
+m'offrent aucune consolation dans ce monde ou dans l'autre, si ce n'est
+le plaisir égoïste de survivre à ceux qui valaient mieux que moi. En
+vérité je suis bien malheureux; vous me pardonnerez de m'excuser ainsi;
+car vous savez que je ne suis point porté à la sensibilité.</p>
+
+<p>»Au lieu de vous fatiguer de mes affaires, je serais bien aise que vous
+me parlassiez de vos projets de retraite; vous ne voulez pas, je
+suppose, vous isoler entièrement de la société? Maintenant je connais un
+grand village, ou une petite ville, à douze milles environ d'ici, où
+votre famille aurait l'avantage d'une société fort agréable, et n'aurait
+pas à craindre de se voir ennuyer par une affluence mercantile; où vous
+trouveriez des hommes de talent et d'opinions indépendantes, où j'ai
+quelques amis dont je serais fier de vous procurer la connaissance. Il y
+a en outre un café et d'autres lieux publics où l'on peut se réunir. Ma
+mère y a demeuré pendant plusieurs années, et je connais très-bien tout
+Southwell; c'est le nom de cette petite république. Enfin, vous ne serez
+pas fort loin de moi; et quoique je sois en général le plus mauvais
+compagnon possible pour des jeunes gens, cette objection ne saurait
+s'appliquer à vous, que je pourrais voir fréquemment. Vos dépenses aussi
+seront exactement celles qu'il vous conviendra de faire plus ou moins;
+mais il vous en coûterait fort peu, pour vous procurer tous les plaisirs
+d'une vie de province. Vous pourriez être aussi retiré ou aussi répandu
+que vous le voudriez, et dans un pays certainement aussi beau que les
+lacs du Cumberland, à moins que vous n'ayez un désir particulier
+d'entrer dans l'<i>école pittoresque</i><a id="footnotetag164" name="footnotetag164"></a>
+<a href="#footnote164"><sup class="sml">164</sup></a>.</p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote164"
+name="footnote164"><b>Note 164: </b></a><a href="#footnotetag164">
+(retour) </a> Voyez, dans les <i>Poètes anglais</i>, tome II des
+ <i>Œuvres de Byron</i>, page 378, une note sur les poètes des
+ lacs.<br>
+ <span class="rig"> (<i>N. du Tr.</i>)</span><br>
+</blockquote>
+
+<p>»Cet Ionien de vos amis est-il à Londres? Vous m'aviez promis de me
+procurer sa connaissance.</p>
+
+<p>Vous me dites que vous avez montré le manuscrit à plusieurs personnes;
+cela n'est-il pas contraire à nos conventions? Avertissez donc M. Murray
+de défendre à son garçon de boutique d'appeler mon ouvrage <i>le
+Pélerinage de l'enfant d'Harrow</i> (<i>Child of Harrow's Pilgrimage</i>!!!)
+comme il l'a fait en parlant à plusieurs de mes amis étonnés, qui, à
+cette occasion, ont écrit pour s'informer de l'état de mes facultés
+intellectuelles, et certes il y avait de quoi. Je n'ai pas reçu de
+nouvelles de Murray, à qui j'avais adressé une vigoureuse semonce.
+Faut-il que j'écrive encore des notes? N'y en a-t-il pas assez? Il faut
+arrêter Cawthorn dans l'impression des <i>Imitations d'Horace</i>; j'espère
+qu'il avance dans celle de l'<i>in-quarto</i> de Hobhouse.</p>
+
+<p>»Bon soir. Tout à vous, etc., etc.»</p>
+
+<p>Les vers suivans sont de la même date que la lettre précédente, et n'ont
+pas encore été imprimés, c'est une réponse à d'autres vers dans lesquels
+un ami l'exhortait à bannir les soucis et à se livrer à la joie. On y
+verra avec quelle triste persévérance, même sous le poids de malheurs
+récens, il revient sans cesse au désappointement qu'il a éprouvé dans
+ses premières affections comme à la source principale de tous ses
+chagrins et de toutes ses erreurs passées et à venir.</p>
+
+<p>Oh! bannissons les soucis! que telle soit toujours ta devise à l'heure
+du plaisir! Peut-être aussi la mienne, lorsque, dans de nocturnes
+orgies, je cherche ces délices enivrantes, par lesquelles les fils du
+désespoir tentent d'assoupir le cœur et de bannir les chagrins.</p>
+
+<p>Mais à l'heure matinale des méditations, quand le présent, le passé,
+l'avenir nous effraient de leurs sombres images, quand je reconnais que
+tout ce que j'aimais est changé ou n'est plus, ne viens pas irriter par
+ces maximes importunes les douleurs d'un homme dont chaque pensée...
+Mais pourquoi en parler? tu sais que je ne suis plus ce que j'étais
+naguère; et surtout si tu tiens à conserver une place dans un cœur qui
+ne fut jamais froid, je t'en conjure par toutes les puissances que les
+hommes révèrent, par tous les objets qui te sont chers, par ton bonheur
+ici-bas et tes espérances d'une autre vie, garde-toi, oh! garde-toi de
+jamais me parler d'amour.</p>
+
+<p>Il serait trop long de raconter, et sans utilité d'entendre la triste
+histoire d'un homme qui dédaigne les larmes; ce récit ne réveillerait
+que peu de sympathie dans les cœurs vertueux; mais le mien a souffert
+plus qu'il ne convient à un philosophe de l'avouer. J'ai vu ma fiancée
+devenir l'épouse d'un autre, je l'ai vue assise à ses côtés; j'ai vu
+l'enfant que son sein a porté sourire doucement comme faisait sa mère,
+lorsque jeunes tous deux nous nous regardions en souriant, innocens et
+purs comme cet enfant; j'ai vu ses yeux, chargés d'un froid dédain,
+chercher à découvrir si j'éprouvais quelque douleur secrète; et moi,
+j'ai bien joué mon rôle: j'ai commandé à mon visage de ne pas trahir les
+angoisses de mon cœur, je lui ai renvoyé des regards aussi glacés que
+les siens; et pourtant, cette femme! je me sentais encore son esclave!
+J'ai baisé d'un air d'indifférence l'enfant qui aurait dû être le mien,
+et chacune de mes caresses n'a que trop prouvé que le tems n'avait pas
+affaibli mon amour. Mais laissons ces tristes souvenirs: je ne veux plus
+gémir; je n'irai plus chercher quelque repos sur la rive orientale: le
+inonde convient bien au tumulte de mes pensées; je reviendrai me jeter
+dans son tourbillon. Mais si dans un tems à venir, quand les beaux jours
+d'Albion seront sur le déclin, tu entends parler d'un homme dont les
+crimes profonds sont dignes des époques les plus noires, d'un homme que
+ni l'amour ni la pitié ne touchent, aussi insensible à l'espoir de la
+célébrité qu'aux louanges des hommes vertueux; d'un homme qui, dans
+l'orgueil d'une inflexible ambition, ne reculera pas même devant la
+crainte de verser le sang; d'un homme que l'histoire mettra au rang des
+anarchistes les plus violens du siècle; cet homme, tu le connaîtras,
+mais alors suspends ton jugement, et que l'horreur de ces <i>effets</i> ne te
+fasse pas oublier quelle fut leur <i>cause</i>.</p>
+
+<p>Les pronostics qu'il tire dans ces dernières lignes sur sa carrière à
+venir sont de nature, il faut l'avouer, à exciter plus d'horreur que
+d'intérêt, si bien d'autres exagérations du même genre ne nous avaient
+appris à ne nous point étonner à quelque excès que nous le voyions
+pousser la rage de se calomnier lui-même. On dirait qu'avec le génie
+nécessaire pour peindre des personnages sauvages et sombres, il eût
+aussi l'ambition d'être lui-même l'objet noir et sublime qu'il
+retraçait, et qu'à force de se plaire à dessiner des crimes héroïques,
+il s'efforçait d'imaginer ce qu'il ne pouvait trouver dans son propre
+caractère, des sujets propres à exercer ses pinceaux.............</p>
+
+<p>C'est vers ce tems, quand son ame était douloureusement occupée de la
+mort d'un objet réel de ses affections, qu'il écrivit ses différens
+poèmes sur la mort d'un être <i>imaginaire</i>, Thyrza. Quand nous
+réfléchissons aux circonstances particulières sous l'influence
+desquelles son imagination produisit ces beaux vers, il n'est pas
+étonnant que de toutes ses pièces pathétiques celles-ci soient à la fois
+les plus touchantes et les plus pures; elles sont, pour ainsi dire,
+l'essence, l'esprit concentré de plusieurs douleurs, c'est le point où
+sont venues aboutir mille tristes pensées venues de sources différentes,
+raffinées, réchauffées dans leur passage à travers son imagination, et
+formant comme un réservoir profond d'idées et de sentimens lugubres et
+solennels. En retraçant les heures heureuses qu'il avait passées avec
+les amis qu'il venait de perdre, toute la tendresse ardente de sa
+jeunesse venait réchauffer son imagination et son cœur. Les jeux de
+l'école avec les favoris de son enfance Wingfield et Tattersatt, les
+jours d'été passés avec Long et ces soirées romanesques qui s'étaient
+écoulées dans la société de son frère adoptif Eddlestone; tous les
+souvenirs de ces hommes, jeunes naguère, et morts maintenant, venaient
+se mêler dans son esprit à l'image de celle qui, quoique vivante, était
+pour lui aussi bien perdue qu'eux, et répandaient dans son ame ce
+sentiment général de tendresse et d'affection qu'il revêtit d'un si
+brillant coloris dans ses poèmes. Jamais l'amitié, quelque passionnée
+qu'elle fût, n'aurait inspiré des chagrins aussi profonds; jamais non
+plus l'amour, quelque pur qu'on le suppose, n'eût pu retenir la passion
+dans des termes aussi chastes. C'est le mélange de deux affections dans
+sa mémoire et dans son imagination, qui donna ainsi naissance à un objet
+idéal, où les plus beaux traits de toutes deux se trouvaient combinés,
+et lui inspira ces poésies, les plus tristes et les plus tendres que
+puisse offrir le genre érotique, dans lesquelles nous trouvons toute la
+profondeur et toute l'intensité d'un sentiment réel peintes avec des
+couleurs que n'eut jamais la réalité.</p>
+
+<p>La lettre suivante fera connaître encore mieux l'état de ses pensées et
+ses occupations à cette époque.</p>
+<br><br>
+<h3>LETTRE LXXII.</h3>
+
+<h4>À M. HOGDSON.</h4>
+
+<p class="rig">Newstead-Abbey, 13 octobre 1811.</p><br><br>
+
+<p>«Vous devez commencer à me trouver un correspondant terriblement
+libéral; mais comme mes lettres sont franches de port, vous excuserez
+leur fréquence. J'ai répondu en vers et en prose à vos dernières
+lettres; et quoique je vous écrive de nouveau, je ne sais pourquoi je le
+fais, ni ce que je pourrais vous mander que vous ne sachiez déjà. Je
+deviens <i>nerveux</i>, combien vous allez rire! mais cela est vrai, je
+deviens réellement, malheureusement, ridiculement <i>nerveux</i> comme une
+petite-maîtresse. Votre climat me tue; je ne puis ni lire, ni écrire, ni
+m'amuser ou amuser qui que ce soit. Mes nuits et mes jours se passent
+sans repos; je n'ai presque jamais de société, et quand j'en ai je
+m'empresse de la fuir. Dans le moment où je vous parle, j'ai ici trois
+dames, et je me suis sauvé pour vous envoyer ce gribouillage. Je ne sais
+pas si je ne finirai point par être fou, car je sens le manque de
+méthode dans l'arrangement de mes idées. Cela me tourmente étrangement;
+mais cela a plutôt l'air de la sottise que de la folie, comme le dirait
+facétieusement Scrope Davies, qui a une singulière manière de consoler
+les gens. Il faut que j'essaie de votre compagnie, comme l'on essaie de
+la corne de cerf; une session de parlement m'irait assez bien: en un
+mot, je ne vois rien qui puisse m'empêcher de conjuguer le malheureux
+verbe, <i>je m'ennuie</i>, etc.</p>
+
+<p>»Quand serez-vous à Cambridge? Vous m'avez, je crois, donné à entendre
+que votre ami Bland est revenu de la Hollande. J'ai toujours eu le plus
+grand respect pour ses talens et pour tout ce que j'entends dire de son
+caractère personnel; je crois bien qu'il ne me connaît pas, si ce n'est
+qu'il se rappelle nos répétitions dans la sixième <i>forme</i>, à raison de
+deux vers chaque matin, et encore bien imparfaits. Je me le suis rappelé
+en passant sur les caps Matapan, Saint-Angelo et son île de Clériga, et
+j'ai toujours regretté l'absence de l'Anthologie. Je suppose qu'il va
+traduire maintenant Vondel, le Shakspeare hollandais, et dans l'état
+actuel <i>Gysbert van Amstel</i> pourra facilement être arrangée pour notre
+théâtre. Je présume qu'il a vu le poème hollandais où l'amour de Pirame
+et Thisbé est comparé à... <i>la Pas</i><i>sion de Jésus-Christ</i>, ainsi que
+<i>l'amour de Lucifer pour Ève</i>, et autres variétés de la littérature des
+Pays-Bas. Sans doute vous me croirez fou de vous entretenir de pareilles
+bagatelles, mais elles sont en grande réputation sur les bords de tous
+les canaux, depuis Amsterdam jusqu'à Alkmazar.</p>
+
+<p>»Tout à vous, etc.<br>
+
+<span class="rig">BYRON.</span><br></p>
+
+<p>»Toutes mes poésies sont entre les mains de leurs divers éditeurs,
+excepté mes <i>Imitations d'Horace</i>, auxquelles j'ai joint quelques vers
+sauvages sur le Méthodisme et quelques notes féroces sur les trois
+éditeurs de l'Édin; mes <i>Imitations</i>, dis-je, sont en retard, et
+pourquoi? Je n'ai pas d'amis dans le monde qui puisse traduire
+suffisamment bien le latin d'<i>Horace</i> et mon Anglais pour les ajuster
+ensemble au sortir de la presse, et corriger les épreuves d'une manière
+un peu grammaticale. En sorte que si vous n'avez pas d'entrailles quand
+vous retournerez à Londres, pour moi je suis trop loin pour le faire
+moi-même; le monde se trouvera privé de cet ouvrage ineffable pendant je
+ne sais combien de semaines.</p>
+
+<p>»<i>Le Pélerinage de Childe Harold</i> attendra jusqu'à ce que celui de
+Murray soit fini. Il fait maintenant une tournée dans Middlesex, et à
+son retour nous devons nous attendre à des merveilles. Il veut en faire
+un <i>in-quarto</i>, c'est un abominable format peu propre à la vente; mais
+l'ouvrage est effroyablement long, et il faut bien qu'on obéisse à son
+libraire...</p>
+
+<p>»Ainsi vous allez prendre les ordres. Il faut que vous fassiez votre
+prix avec les <i>réviseurs ecclésiastiques</i>; ils vous accusent d'impiété,
+et je crains que ce ne soit à tort. Démétrius <i>Poliorcète</i> est ici avec
+<i>Gilpin Horner</i>. Nous n'avons pas besoin du peintre<a id="footnotetag165" name="footnotetag165"></a>
+<a href="#footnote165"><sup class="sml">165</sup></a>, car les
+portraits qu'il a faits d'inspiration se trouvent absolument semblables
+aux animaux. Écrivez-moi, et envoyez-moi votre <i>Chanson d'amour</i>; mais
+j'attends de vous <i>paulo majora</i>. Faites un effort pour briller avant
+d'être diacre; essayez un peu d'un sec éditeur.</p>
+
+<p>»Tout à vous, etc.»<br>
+
+<span class="rig">BYRON.</span><br></p>
+
+<blockquote class="footnote"><a id="footnote165"
+name="footnote165"><b>Note 165: </b></a><a href="#footnotetag165">
+(retour) </a> Qu'il avait mandé pour faire le portrait de son
+ ours et de son loup.</blockquote>
+
+<p>FIN DU TOME NEUVIÈME.</p>
+<br>
+<p class="sml">IMPRIMERIE DE DONDEY-DUPRÉ,<br>
+
+Rue St.-Louis, n°46, au Marais.</p>
+
+
+
+
+
+
+
+
+<pre>
+
+
+
+
+
+End of the Project Gutenberg EBook of Oeuvres complètes de lord Byron
+ Volume 9, by George Gordon Byron
+
+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LORD BYRON ***
+
+***** This file should be named 30067-h.htm or 30067-h.zip *****
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+de France (BnF/Gallica)
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+will be renamed.
+
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+(and you!) can copy and distribute it in the United States without
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+and help preserve free future access to Project Gutenberg-tm electronic
+works. See paragraph 1.E below.
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+or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection of Project
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+Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
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+including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists
+because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
+people in all walks of life.
+
+Volunteers and financial support to provide volunteers with the
+assistance they need, are critical to reaching Project Gutenberg-tm's
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+remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
+Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
+and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
+To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
+and the Foundation web page at http://www.pglaf.org.
+
+
+Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive
+Foundation
+
+The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
+501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
+state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
+Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
+number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at
+http://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
+permitted by U.S. federal laws and your state's laws.
+
+The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
+Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered
+throughout numerous locations. Its business office is located at
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+business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact
+information can be found at the Foundation's web site and official
+page at http://pglaf.org
+
+For additional contact information:
+ Dr. Gregory B. Newby
+ Chief Executive and Director
+ gbnewby@pglaf.org
+
+
+Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation
+
+Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
+spread public support and donations to carry out its mission of
+increasing the number of public domain and licensed works that can be
+freely distributed in machine readable form accessible by the widest
+array of equipment including outdated equipment. Many small donations
+($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
+status with the IRS.
+
+The Foundation is committed to complying with the laws regulating
+charities and charitable donations in all 50 states of the United
+States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
+considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
+with these requirements. We do not solicit donations in locations
+where we have not received written confirmation of compliance. To
+SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
+particular state visit http://pglaf.org
+
+While we cannot and do not solicit contributions from states where we
+have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
+against accepting unsolicited donations from donors in such states who
+approach us with offers to donate.
+
+International donations are gratefully accepted, but we cannot make
+any statements concerning tax treatment of donations received from
+outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
+
+Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
+methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
+ways including checks, online payments and credit card donations.
+To donate, please visit: http://pglaf.org/donate
+
+
+Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic
+works.
+
+Professor Michael S. Hart is the originator of the Project Gutenberg-tm
+concept of a library of electronic works that could be freely shared
+with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project
+Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.
+
+
+Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
+editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
+unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily
+keep eBooks in compliance with any particular paper edition.
+
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+Most people start at our Web site which has the main PG search facility:
+
+ http://www.gutenberg.org
+
+This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
+including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
+Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
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