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| author | Roger Frank <rfrank@pglaf.org> | 2025-10-15 02:38:58 -0700 |
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You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org + + +Title: Le poëme de Myrza - Hamlet + +Author: George Sand + +Release Date: April 27, 2009 [EBook #28623] + +Language: French + +Character set encoding: ISO-8859-1 + +*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LE POËME DE MYRZA - HAMLET *** + + + + +Produced by Carlo Traverso, Rénald Lévesque and the Online +Distributed Proofreading Team at https://www.pgdp.net (This +file was produced from images generously made available +by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at +http://gallica.bnf.fr) + + + + + + + + + +LE POËME DE MYRZA + + +Durant les quatre ou cinq siècles au milieu desquels est jeté le grand +événement de la vie du Christ, l'intelligence humaine fut en proie aux +douleurs et aux déchirements de l'enfantement. Les hommes supérieurs de +la civilisation, sentant la nécessité d'un renouvellement total dans les +idées et dans la conduite des nations, furent éclairés de ces lueurs +divines dont Jésus fut le centre et le foyer. Les sectes se formèrent +autour de sa courte et sublime apparition, comme des rayons plus ou +moins chauds de son astre. Il y eut des caraïtes, des saducéens et des +esséniens, des manichéens et des gnostiques, des épicuriens, des +stoïciens et des cyniques, des philosophes et des prophètes, des devins +et des astrologues, des solitaires et des martyrs: les uns partant du +spiritualisme de Jésus, comme Origène et Manès; les autres essayant d'y +aller, sur les pas de Platon et de Pythagore; tous escortant l'Évangile, +soit devant, soit derrière, et travaillant par leur dévouement ou leur +résistance à consolider son triomphe. + +Dans cette confusion de croyances, dans ce conflit de rêves, de travaux +fiévreux de la pensée, de divinations maladives et de vertiges sublimes, +une nouvelle forme fut donnée à certains esprits, une forme agréable, +élastique, qui seule convenait aux esprits éclairés et aux caractères +faciles: cette disposition de l'esprit humain qui domine dans tous les +temps de dépravation, et chez toutes les nations très-civilisées, nous +l'appellerons, pour nous servir d'une expression moderne, _éclectisme_, +quoique cette dénomination n'ait pas eu dans tout temps le même sens; +nous nous en tenons à celui qu'elle implique aujourd'hui, pour qualifier +la situation morale des hommes qui n'appartenaient à aucune religion au +temps dont il est question ici. + +Parmi ces éclectiques, on vit des hommes d'un caractère et d'un esprit +tout opposés, des hommes graves et des hommes frivoles, des savants et +des femmes; car cette doctrine, qui consistait dans l'absence de toute +règle, accueillit toute sorte de pédantisme et toute sorte de poésie. +Les rhéteurs s'y remplissaient l'estomac d'arguments, et les poëtes s'y +gonflaient le cerveau de métaphores. L'Inde et la Chaldée, Homère et +Moïse, tout était bon à ces esprits avides et curieux de nouveautés, +indifférents en face des solutions: heureux caractères qui, Dieu merci, +fleurirent toujours ici-bas au milieu de nos lourdes polémiques. Grands +diseurs de sentences, sincères admirateurs de la vertu et de la foi, le +tout par amour du beau et par estime de la sagesse, vrais épicuriens +dans la pratique de la vie, prophètes élégants et joyeux, bardes +demi-bibliques et demi-païens, intelligences saisissantes, fines, +éclairées, pleines de crédulités poétiques et de scepticisme modeste; en +un mot, ce que sont aujourd'hui nos véritables artistes. + +Le petit poëme qu'on va lire fut récité, en vers hébraïques, sous un +portique de Césarée, par une femme nommée Myrza, laquelle était une des +prophétesses de ce temps-là, espèce mixte entre la bohémienne et la +sibylle, poëte en jupons comme il en existe encore, mais d'un caractère +hardi et tranché qui s'est perdu dans le monde, aventurière sans patrie, +sans famille et sans dieux, grande liseuse de romans et de psaumes, +initiée successivement par ses amants et ses confesseurs aux diverses +religions qui s'arrachaient lambeau par lambeau l'empire de l'esprit +humain. Cette femme était belle, quoique n'appartenant plus à la +première jeunesse; elle jouait habilement le luth et la cithare, et, +changeant de rhythme, de croyance et de langage selon les pays qu'elle +parcourait, elle traversait les querelles philosophiques et religieuses +de son siècle, semant partout quelques fleurs de poésie, et laissant sur +ses traces un étrange et vague parfum d'amour, de sainteté et de folie; +bonne personne du reste, que les princes faisaient asseoir par curiosité +à leur table, et que le peuple écoutait avec admiration sur la place +publique. Voici son poëme tel que, de traduction en traduction, il a pu +arriver jusqu'à nous. Nous osons parfaitement le livrer aux savants, aux +poëtes et aux chrétiens de ce temps-ci, sachant le bon marché que notre +siècle panthéiste fait de toutes choses, et la complaisance que son +ennui lui inspire pour toutes sortes de rêves. + + + + +I. + + +En ce temps-là, longtemps avant le commencement des jours que les hommes +ont essayé de compter, Dieu appela devant lui quatre Esprits, qui +parcouraient d'un vol capricieux les plaines de l'espace: Allez, leur +dit-il, prenez-vous par la main, marchez ensemble, et travaillez de +concert. + +Ils obéirent, et, ne se quittant plus, présidèrent chacun à une des +oeuvres de Dieu; et un nouvel astre parut dans l'éther: cet astre est la +terre que nous habitons aujourd'hui, et ces quatre Esprits sont les +éléments qui la composent. + +Mais deux de ces Esprits, se sentant plus puissants, firent la guerre +aux deux autres. + +L'eau et le feu ravagèrent la terre, et l'air fut tantôt infecté des +vapeurs humides des marais, et tantôt embrasé des feux d'un soleil +dévorant. + +Et pendant un nombre de siècles que l'homme ne sait pas, mais qui sont +dans l'éternité de Dieu moins qu'une heure dans la vie de l'homme, notre +globe bondit dans l'immensité, comme une cavale sauvage, sans guide et +sans frein; sa course ne fut réglée que par le caprice des Esprits à qui +Dieu l'avait abandonné; tantôt, emporté d'un essor fougueux, il +s'approcha du soleil jusqu'à s'y brûler; tantôt il s'endormit +languissant et morne, loin des rayons vivifiants que chaque printemps +nous ramène. Il y eut des jours d'une année et des nuits d'un siècle. Le +globe n'ayant pas encore arrêté sa forme, les froides régions +qu'habitent le Calédonien et le Scandinave furent calcinées par des étés +brûlants. Les contrées où la chaleur bronze les hommes se couvrirent de +glaciers incommensurables. L'Esprit du feu descendit dans le sein de la +terre; on eût dit qu'un démon enfonçait ses ongles et ses dents dans les +entrailles du globe: des rugissements sourds s'échappaient des rochers +ébranlés, et la terre s'agitait comme une femme dans les convulsions de +l'enfantement. Quelquefois le monstre, en se retournant dans le ventre +de sa mère, sapait les fondements d'une montagne, et creusait sous les +vallées des voûtes sans appui. La montagne et la vallée disparaissaient +ensemble, et des lacs de bitume s'étendaient en bouillonnant sur les +débris amoncelés; une fumée âcre et fétide empoisonnait l'atmosphère; +les plantes se desséchaient, et l'eau, appelée par le feu, ravageait à +son tour le flanc déchiré de sa soeur. + +[Illustration: Que le peuple écoutait sur la place publique.] + +Enfin le feu s'ouvrit un passage à travers le roc et l'argile, et se +répandit au dehors comme un fleuve débordé. La mer, brisant ses digues +de la veille, fit chaque jour de nouvelles invasions, et chaque jour +déserta ses nouveaux rivages comme un lit trop étroit. On voyait, dans +l'espace d'une nuit, s'élever des montagnes de fange ou de cendre, que +le soleil et le vent façonnaient à leur gré; des ravins se creusaient +tels que la vie d'un homme voyageant le jour et la nuit n'eût pas suffi +pour en trouver le fond; des météores gigantesques erraient sur les eaux +comme des soleils détachés de la voûte céleste, et les vagues de l'océan +roulaient sur les sommets que les nuages enveloppent aujourd'hui bien +loin au-dessus de la demeure des hommes. + +Dans cette lutte, la terre et l'eau, jalouses l'une de l'autre, se +mirent à créer des plantes et des animaux qui à leur tour se firent la +guerre entre eux; des lianes immenses essayèrent d'arrêter le cours des +fleuves, mais les fleuves enfantèrent des polypes monstrueux, qui +saisirent les lianes dans leurs bras vivants, et leur étreinte fut +telle, que des myriades de races d'animaux s'y arrêtèrent et y périrent; +et de tous ces débris se forma le sol que nous foulons aujourd'hui, et +sous lequel a disparu l'ancien monde. + +Cependant à toutes ces existences d'un jour succédaient d'autres +existences; les races se perdaient et se renouvelaient; la matière +inépuisable se reproduisait sous mille formes. Du sein des mers +sortaient les baleines semblables à des îles, et les léviathans hideux +rampant sur le sable avec des crocodiles de vingt bras, ses. Nul ne sait +le nombre et la forme des espèces tombées en poussière; l'imagination de +l'homme ne saurait les reconstruire; si elle le pouvait, l'homme +mourrait d'épouvante à la seule idée de les voir. L'abeille fut +peut-être la soeur de l'éléphant; peut-être une race d'insectes, +aujourd'hui perdue, détruisit celle du mammouth, que l'homme appelle le +colosse de la création. Dans ces marécages qui couvraient des continents +entiers, il dut naître des serpents qui, en se déroulant, faisaient le +tour du globe, et les aigles de ces montagnes, infranchissables pour nos +gazelles abâtardies, enlevaient dans leurs serres des rhinocéros de cent +coudées. En même temps que les dragons ailés arrivaient des nuages de +l'orient, les licornes indomptables descendaient de l'occident, et quand +une troisième race de monstres, poussée par le vent du sud, avait dévoré +les deux autres, elle périssait gorgée de nourriture, et l'odeur de la +corruption appelait l'hyène du nord, des vautours plus grands que +l'hyène, et des fourmis plus grandes que les vautours; et sur ces +montagnes de cadavres, parmi ces lacs de sang livide, au milieu de ces +bêtes immondes, dévorées et dévorantes, des arbres sans nom élevaient +jusqu'aux nues la profusion de leurs rameaux splendides, et des roses +plus belles et plus grandes que les filles des hommes ne le furent +jamais, exhalaient des parfums dont s'enivraient les esprits de la +terre, couverts de robes diaprées, aujourd'hui réduits à la taille du +papillon, et aux trois grains d'or de l'étamine de nos fleurs. + +[Illustration: L'ange du sommeil l'appela.] + +Ces volcans, ces déluges, ces cataclysmes, cet ouvrage informe du temps +et de la matière, les saintes Écritures l'appellent l'âge du chaos. Or, +tandis que les quatre Esprits se livraient à la guerre, il arriva qu'ils +passèrent près du char de Dieu, et, frappés de terreur, ils +s'arrêtèrent. Dieu les appela et leur dit: Qu'avez-vous fait? Pourquoi +ce monde que je vous ai confié marche-t-il comme s'il était ivre? +Avez-vous bu la coupe de l'orgueil? Prétendez-vous faire les oeuvres de +l'Éternel? Un esprit plus puissant que vous va se lever à ma voix; il +vous enchaînera, et vous forcera de vivre en paix. + +L'Éternel passa; et quand les quatre Esprits virent s'effacer dans +l'espace le cercle de feu que traçaient les roues de son char, ils +reprirent courage, et, se regardant, ils se dirent: Pourquoi ne +résisterions-nous pas à l'Éternel? Ne sommes-nous pas éternels, nous +aussi? Il nous a créés, mais il ne peut nous détruire, car il nous a +dit: Vous n'aurez pas de fin. L'Éternel ne peut reprendre sa parole. Il +nous a donné ce monde. Mais c'est nous qui l'avons couvert de plantes et +d'animaux. Nous aussi, nous sommes créateurs. Unissons-nous, armons nos +volcans en guerre. Que l'océan gronde, que la lave bouillonne, que la +foudre sillonne les airs, et vienne l'Éternel pour nous donner des lois! + +En parlant ainsi, ils cessèrent de se haïr; et, abaissant leur vol sur +les montagnes les plus élevées de la terre: Nous allons, dirent-ils, +entasser ces monts les uns sur les autres, et nous atteindrons ainsi à +la demeure de Dieu. Nous le renverserons, et nous régnerons sur tous les +mondes. + +Mais comme ils commençaient leur travail insensé, un ange envoyé par le +Seigneur versa sur eux la coupe du mépris, et, saisis de torpeur, ils +s'endormirent comme des hommes pris de vin. + +Et quand ils se réveillèrent, ils virent sur la mousse un être inconnu, +plus beau qu'eux, quoique délicat et frêle. Sa tête n'était pas +flamboyante, et son corps n'était pas couvert d'une armure d'écailles de +serpent; le ver à soie semblait avoir filé l'or de sa chevelure, et sa +peau était lisse et blanche comme le tissu des lis. + +Les Esprits étonnés l'entourèrent pour le contempler, s'émerveillant de +sa beauté, et se demandant l'un à l'autre si c'était là un esprit ou un +corps. Cependant cette créature dormait paisiblement sur la mousse, et +les fleurs se penchaient sur elle comme pour l'admirer; les oiseaux et +les insectes voltigeaient autour d'elle, n'osant becqueter ses lèvres de +pourpre, et formant un rideau d'ailes doucement agitées entre son visage +et le soleil du matin, qui semblait jaloux aussi de le regarder. Alors +l'Esprit des eaux:--Quel est celui-ci? et qui de nous l'a produit à +l'insu des autres? Si c'est de la terre qu'il est sorti, d'où vient que +les vapeurs de mes rives n'en savent rien? et où est le feu qui l'a +fécondé? Est-ce une plante, pour qu'il soit sans plumes, et sans +fourrure, et sans écaille? Et si c'est une plante, d'où vient que je +n'ai point arrosé son germe, d'où vient que l'air n'a pas aidé sa tige à +s'élever et son calice à se colorer? Si c'est une créature, où est son +créateur? Si c'est un esprit, de quel droit vient-il s'établir dans +notre empire, et comment souffrons-nous qu'il s'y repose? Enchaînons le, +et que la bouche des volcans se referme derrière lui, car il faut qu'il +aille au fond de la terre et qu'il n'en sorte plus. + +L'Esprit de la terre répondit: Ceci est un corps, car le sommeil +l'engourdit et le gouverne comme les animaux; ce n'est pas une plante, +car il respire et semble destiné au mouvement comme l'oiseau ou le +quadrupède: cependant il n'a point d'ailes, et ne saurait voler; il n'a +pas les défenses du sanglier, ni les ongles du tigre pour combattre, ni +même l'écaille de la tortue pour s'abriter. C'est un animal faible, que +le moindre de nos animaux pourrait empêcher de se reproduire et +d'exister. Et puisque aucun de nous ne l'a créé, il faut que ce soit +l'Éternel qui, par dérision, l'ait fait éclore, afin de nous surprendre +et de nous effrayer; mais il suffira du froid pour lui donner la mort. + +--Ne nous en inquiétons point, dirent les autres, il est en notre +pouvoir, éveillons-le, et voyons comme il marche et comme il se nourrit. +Puisqu'il n'a ni ailes, ni nageoires, ni arme d'aucune espèce, pour +s'ouvrir un chemin et se construire une demeure, il ne saurait vivre +dans aucun élément. + +Et les quatre Esprits de révolte se mirent à railler et à mépriser +l'oeuvre du Dieu tout-puissant. + +Alors cet être nouveau s'éveilla, et, à leur grande surprise, il ne se +mit ni à fuir, ni à ramper comme les serpents, ni à marcher comme les +quadrupèdes; il se dressa sur ses pieds, et sa tête se trouvant tournée +vers le ciel, il éleva son regard, et les Esprits de révolte virent, +dans sa prunelle, étinceler un feu divin. Quel est, dirent-ils, +celui-ci, qui ne rampe, ni ne vole, et qui a un rayon du soleil dans les +yeux? Va-t-il monter vers le ciel comme une fumée? et d'où vient qu'avec +un corps si chétif il est plus beau que le plus beau des anges du +ciel?--Alors ils furent saisis de crainte, et l'interrogèrent en +tremblant. + +Mais celle créature ne les entendit pas; on eût dit que ses yeux ne +pouvaient distinguer leur forme, car elle ne leur donna aucun signe +d'attention, et ne répondit rien à leurs questions. + +Ils se réjouirent donc de nouveau, en disant: Cette bête n'a ni le sens +de l'ouïe, ni le sens de la vue; elle ne saurait faire entendre aucun +cri, elle est plus stupide que les autres bêtes. Celles-ci ne nous +comprennent pas et ne nous voient pas non plus; mais l'instinct les +avertit de notre présence; et un tressaillement secret s'empare du plus +petit oiseau, lorsque le volcan gronde, ou lorsque l'orage s'approche; +l'ours et le chien s'enfuient en hurlant, le dauphin s'éloigne des +rivages, et le dragon se réfugie sur les arbres les plus élevés des +forêts; mais cette bête n'a pas de sens, et les polypes seuls suffiront +pour la dévorer. + +Alors la créature inconnue éleva la voix, une voix plus douce que celle +des oiseaux les plus mélodieux, et elle chanta un cantique d'actions de +grâces au Seigneur, dans une langue que les Esprits de révolte ne +comprirent pas. + +Et leur colère fut grande, car ils se crurent insultés par cette langue +mystérieuse, et ces accents d'amour et de ferveur remplirent leur sein +de haine et de rage. Ils voulurent saisir leur ennemi; mais l'ennemi, ne +daignant pas les voir, se prosterna devant l'Éternel, puis se releva +avec un front rempli d'allégresse, et se mit à descendre vers la vallée, +sans cesser d'être debout, et posant ses pieds sur le bord des abîmes +avec autant d'adresse et de tranquillité que l'antilope ou le renard. +Comme les pierres et les épines offensaient sa peau, il cueillit des +herbes et des feuilles, et se fit une chaussure avec tant de promptitude +et d'industrie, que les Esprits de révolte prirent plaisir à le +regarder. + +Cependant, à mesure que la créature de Dieu marchait, la terre semblait +devenir plus riante, et la nature se parait de mille grâces nouvelles. +Les plantes exhalaient de plus doux parfums, et la créature, comme +saisie d'un amour universel, se courbait, respirait les fleurs, se +penchait sur les cailloux transparents, souriait aux oiseaux, aux +arbres, aux vents du matin. Et le vent caressait mollement sa poitrine; +les oiseaux la suivaient avec des chants de joie; les papillons venaient +se poser sur les fleurs qu'elle leur présentait; les arbres se +courbaient vers elle et lui offraient leurs fruits à l'envi l'un de +l'autre. Elle mangeait les fruits, et, loin de dévorer avidement comme +les bêtes, semblait savourer avec délices les sucs parfumés de l'orange +et de la grenade. Une biche, suivie de son faon, vint à elle, et lui +offrit son lait qu'elle recueillit dans une conque de nacre, qu'elle +porta joyeusement à ses lèvres en caressant la biche; puis elle présenta +la coquille au faon, qui but après elle, et qui la suivit, ainsi que sa +mère. + +Les Esprits suivaient en silence, et ne concevaient rien à ce qu'ils +voyaient; enfin ils se réveillèrent de leur stupeur et dirent: C'est +assez nous laisser insulter par une oeuvre de ténèbres et d'ignorance; +ce vain fantôme d'ange a un corps et se repaît comme les bêtes; il doit +être, comme elles, sujet à la mort et à la pourriture. Si la biche et +son faon, si l'oiseau et l'insecte, si l'arbre et son fruit, si l'herbe +et la brise se soumettent à lui, voici venir le léopard et la panthère +qui vont le déchirer. + +Mais le léopard passa sans toucher à la créature de Dieu, et la +panthère, l'ayant regardée un instant avec méfiance, vint offrir son dos +souple et doux à la main caressante de son nouveau maître. + +--Voici le serpent qui va le couvrir de morsures empoisonnées, dirent +les Esprits de haine. Le serpent dormait sur le sable. La créature +divine l'appela dans cette langue inconnue qu'elle avait parlée à +l'Éternel, et le serpent, déroulant ses anneaux, vint mettre sa tête +humiliée sous le pied du maître, qui se détourna sans lui faire ni mal +ni injure. L'éléphant s'approchant, les Esprits espérèrent qu'il les +débarrasserait de l'étranger, mais l'éléphant, ayant pris des fruits +dans sa main, le suivit, obéissant à sa parole, et cueillant à son tour +les fruits et les fleurs sur les branches les plus élevées pour les lui +offrir avec sa trompe. Le chameau arriva, et, pliant les genoux, offrit +son dos à l'étranger, et le porta dans la vallée. Alors les Esprits, +transportés de colère, s'assemblèrent sur une cime élevée; ils réunirent +leurs efforts pour créer un monstre qui surpassât en laideur, en force +et en cruauté les monstres les plus hideux qu'eût produits la terre. +Mais comme le Seigneur, qui jusqu'alors avait habité avec eux, s'était +retiré, ils ne purent rien créer d'abord. Enfin, après beaucoup de +conjurations adressées aux éléments qu'ils croyaient gouverner, ils +firent sortir de terre un dragon redoutable, et le forcèrent avec des +menaces de marcher contre la créature de Dieu. Mais celle-ci, le voyant +venir, monta sur le cheval, appela l'hippopotame, le taureau, et tous +les animaux forts de la terre et de la mer, et les oiseaux forts du +ciel, et tous se rangèrent autour d'elle comme une armée. Le cheval +bondit d'orgueil sous son maître, et le porta comme un roi à la +rencontre de l'ennemi. Alors le dragon épouvanté revint vers ceux qui +l'avaient envoyé, et leur dit:--Vous voyez ce qui arrive; toutes les +créatures se rangent sous sa loi, celui-ci est le roi de la terre, et +l'esprit de Dieu est en lui.--Et le dragon étendant ses ailes, l'Esprit +de ténèbres qui était en lui s'envola, et sa dépouille restant par +terre, l'étranger la ramassa, la regarda, et s'en fit un vêtement pour +traverser les régions froides. + +Car elle continua sa course vers le nord, et parcourut le monde entier, +se construisant partout des chariots avec les arbres des forêts et les +métaux de la terre; mangeant de tous les fruits; se faisant aimer et +servir par toutes les créatures; traversant les fleuves à la nage, ou +sur des nacelles que son adresse improvisait; s'habituant à tous les +climats; prenant son sommeil à l'ombre des forêts, à l'abri dans les +grottes, ou dans des tentes de feuillage qu'elle dressait au coucher du +soleil; sachant tirer le feu d'un caillou ou d'une branche sèche, et +partout louant l'Éternel, chantant ses bienfaits, et implorant son +appui. + +Quand cet être singulier eut fait le tour de la terre et s'y fut +installé comme dans son domaine, les Esprits de révolte, enchaînés +jusque-là par la curiosité, résolurent de détruire ce qu'ils croyaient +être leur ouvrage, et de bouleverser le globe, afin d'anéantir leur +ennemi avec lui.--Ouvre une crevasse sous ses pieds, dirent-ils à la +terre, et dévore-le dans la gueule béante de tes abîmes.--Mais la terre +refusa d'obéir, et répondit: Celui-ci est l'envoyé de Dieu, le roi de la +création. Ils dirent au volcan de l'envelopper d'un lac de feu et de +faire pleuvoir sur lui des pierres embrasées; mais le volcan refusa, et +répondit comme la terre. La mer refusa d'inonder, et l'air de laisser +passer la foudre. Alors les Esprits virent qu'ils n'avaient plus de +pouvoir, et, feignant de se soumettre à l'envoyé de Dieu, ils +s'offrirent au Seigneur pour être les ministres de son favori. Mais +Dieu, connaissant leur dessein, répondit: La mer ne sortira plus de ses +bornes, la terre ne quittera plus la voie que je lui ai tracée dans +l'espace, le soleil ne s'éteindra plus, l'air ne sera plus infecté de +miasmes fétides; vous serez enchaînés à jamais, et vous obéirez en +esclaves, non pas à mon envoyé, mais à l'ordre que je vous assigne, et +qui est ma parole, la loi éternelle de l'univers. Quant à celui-ci, que +vous ne connaissez pas, c'est mon oeuvre, et je l'ai faite en souriant +pour vous railler et vous montrer que par vous-mêmes vous ne pouvez +rien. Je lui ai donné les besoins des animaux, un corps frêle, sans +défense et sans vêtement; je l'ai mise nue sur la terre. Et vous voyez +qu'en un jour elle a eu des chaussures, des vêtements, des esclaves, de +quoi pourvoir à tous ses besoins, et régner sur la force sans posséder +la force. Vous n'avez pas compris où était sa puissance, et voyant +qu'elle n'avait les avantages naturels d'aucun animal, vous vous êtes +demandé comment elle savait gouverner l'instinct de tous les animaux et +leur commander. C'est que j'ai mis en elle une étincelle de mon esprit, +et qu'elle est à la fois corps et intelligence, matière et lumière. +Allez, et que le monde soit son héritage. Elle ne vous commandera pas, +car elle pourrait, comme vous, s'enivrer d'orgueil et succomber à son +tour. Allez, et sachez le nom du plus beau de mes anges, c'est l'homme. + + + + +II + + +La terre devint donc l'apanage de l'homme: il n'avait ni ailes d'or, ni +auréole de lumière; il ne pouvait contempler les splendeurs du +tabernacle de Jéhovah; mais la part d'intelligence qu'il avait reçue +était si grande, qu'il savait toutes les merveilles de l'univers sans +les avoir jamais vues, et qu'il aimait Dieu et le servait mieux que les +Séraphins brûlants qui environnent son trône. Son âme voyait ce que les +yeux de son corps ne pouvaient apercevoir. Il devinait par la réflexion +les plus profonds mystères de la nature, et sa pensée était plus rapide +que l'éclair. + +Ce que voyant, les Esprits jaloux se disaient entre eux: Dieu a fait +pour celui-ci plus que pour nous tous. Le plus petit insecte, il est +vrai, s'élève plus haut que lui dans l'air qu'il respire; mais le plus +puissant des Archanges ne saurait monter aussi hardiment et aussi vite +dans l'éther de l'immensité que l'esprit de l'homme par sa volonté. + +Et Dieu, se complaisant dans son ouvrage, créa beaucoup d'autres hommes +semblables au premier, et en couvrit la face de la terre, en leur +disant: La terre est à vous, cultivez-la, et vivez de ses fruits. +Gouvernez les animaux; les espèces ne périront plus, la terre ne sera +plus ravagée, les plantes et les animaux se reproduiront toujours, et +vous, vous ne mourrez point. + +Les hommes vivaient ensemble, et ils étaient heureux; ils ne +connaissaient pas le mal, et ils étaient purs, sans avoir la vanité de +savoir qu'ils l'étaient; car ils l'étaient tous également, et ils ne +s'imaginaient point que la source de leur grandeur fût en eux-mêmes. Ils +adoraient le Seigneur, et se servaient de ses dons avec frugalité. Ils +respectaient la vie des animaux, et n'employaient leur dépouille à leur +usage que lorsque les animaux mouraient selon les lois de la nature. Ils +considéraient les bêtes comme des productions choisies de la matière, +qui, étant douées de sensibilité et d'une sorte de volonté, avaient des +droits sacrés à leur protection. Les bêtes ne s'enfuyaient pas à leur +approche, et comme le chien obéit encore aujourd'hui à son maître et +comprend ses ordres, le lion, le castor et tous les autres animaux +comprenaient le geste, le regard et l'autorité de l'homme; ils +l'aidaient à bâtir des maisons, des temples, à exécuter des migrations +sur les continents, à cultiver la terre, à travailler les métaux et à +les façonner, non en vile monnaie ou en armes cruelles, mais en +instruments de travail et en ornements pour les temples. + +Or, tout était commun parmi les hommes, le travail et les fruits de la +terre. Ils se regardaient tous comme vivant sous la volonté de Dieu, +chargés de veiller à l'équilibre de cette nature dont ils étaient rois; +ils s'occupaient sans cesse à réparer les ravages des précédents +cataclysmes, à dessécher les marais fétides qui corrompaient l'air et +engendraient trop de reptiles et d'insectes, à ouvrir des canaux pour +l'écoulement des lacs et des étangs, à rassembler en troupeaux les +animaux trop nombreux sur certains points du globe, et à les conduire +vers d'autres régions désertes, à distribuer de même la végétation selon +les climats qui lui convenaient; car, avant l'homme, la matière, livrée +à sa vorace faculté de produire, s'épuisait sans cesse, et, renaissant +de ses propres débris, offrait partout des ruines auprès des créations +nouvelles. Cet homme, que les Esprits des terribles éléments avaient +pris d'abord pour un souffle débile dans le corps d'une bête avortée, +devint donc, sans autre magie et sans autre prestige que sa patience et +son industrie, plus puissant que les éléments eux-mêmes. La terre fut +bientôt un jardin si beau et si fécond, que les anges du ciel venaient +s'y promener, et ne pouvant converser directement avec les hommes, parce +que Dieu l'avait défendu, ils chantaient doucement dans les brises et +dans les flots, et les hommes les voyaient alors en songe avec les yeux +de l'âme. + +Mais il arriva que, la terre étant pacifiée et embellie, et l'ordre des +saisons réglé, le travail devint moins actif. Les hommes eurent plus de +temps à donner à la prière et à la méditation: leur nombre n'augmentait +pas et ne diminuait pas; il avait été calculé par l'Eternel, pour opérer +les grands travaux, qui se terminaient maintenant, et l'esprit humain +commençait à souffrir de sa propre force, et à désirer quelque chose au +delà de ce qu'il possédait. Les hommes voulaient, pour faire cesser leur +inquiétude, que Dieu leur accordât un don; mais ils ne savaient lequel, +car ils ne souffraient que parce qu'ils ne manquaient plus de rien. + +Leur sommeil devint moins paisible; durant les belles nuits d'été, ils +s'asseyaient par groupes sur les hauteurs, et au lieu de contempler avec +bonheur, comme autrefois, le cours des astres et la beauté de la voûte +céleste, ils soupiraient tristement, et dans leurs cantiques éplorés ils +demandaient à Dieu de faire cesser leur ennui. + +Alors il y en eut qui dirent:--Les bêtes souffrent les maladies du +corps, et elles meurent; les hommes ne sont pas soumis aux maux de la +chair, et ne meurent pas. Bénissons Dieu. Mais l'esprit de l'homme +souffre une douleur dont il ne sait pas le remède. Demandons à Dieu +qu'il nous ôte la réflexion, et nous laisse seulement l'intelligence +nécessaire pour commander aux animaux. + +Mais cet avis fut combattu par quelques-uns, qui considéraient la +richesse de leur intelligence comme ce qu'ils avaient de plus précieux +au monde. + +Il y en eut alors d'autres qui s'avisèrent d'un désir plus noble, et +dirent:--Nous avons comparé le sommeil paisible des bêtes aux +aspirations de nos veilles brûlantes, et nous avons découvert les causes +de nos ennuis; dépêchons les oiseaux en messagers aux hommes de tous les +pays. Et quand la foule, accourue de toutes parts, se fut réunie autour +de ces sages, debout sous le portique des temples, ils parlèrent ainsi: + +--Le malheur de l'homme ne vient pas d'une cause accidentelle; cette +cause est son organisation défectueuse et le triste destin qu'il +accomplit dans l'univers. C'est un être borné dans ses jouissances, +quoique infini dans ses désirs. Il souffre, et ne sait comment se +guérir: cela est injuste, car les animaux connaissent la plante qui doit +leur rendre l'appétit lorsqu'ils l'ont perdu, et l'âme de l'homme ne +peut embrasser le but de ses vagues désirs. Mais ce n'est pas le seul +avantage que les bêtes aient sur nous. Elles sont divisées en sexes +différents; c'est pourquoi elles se cherchent, se rapprochent et +s'unissent dans une extase qui les élève au-dessus d'elles-mêmes, et qui +nous est inconnue. Le charme qui les attire est si puissant, qu'il n'est +aucune caresse, aucune menace de l'homme, aucun attrait de la +gourmandise, aucune injonction de la faim qui les empêche de courir au +fond des bois et des vallées à la suite les unes des autres. Le tigre ou +le lion enfermé loin de sa compagne se couche en rugissant, et semble +renoncer à la vie, car il refuse toute nourriture. Le cheval séparé de +la cavale, le taureau de la génisse, au temps de leurs amours, +deviennent indociles, et brisent les chariots. Tous devinent l'approche +de leur compagne: le loup sent venir la louve du fond des forêts +ténébreuses, le chien hurle et tressaille à l'arrivée de la lice sans la +voir ni l'entendre; l'oiseau sait se frayer une route au travers des +plaines immenses de l'air pour aller rejoindre sa compagne: il n'a vu +qu'un point noir vers l'horizon, et pourtant il ne se trompe pas; l'ibis +ne court point après la grue, ni le chardonneret après la mésange. Qui +donc leur enseigne ces merveilleux instincts qui ne sont pas donnés à +l'homme? C'est l'amour qu'ils ont pour un sexe différent du leur. + +Quant à nous, nous ne connaissons pas ces sublimes extases, ces +transports de joie et ces caresses enivrantes: nous aimons à converser +ensemble, à partager nos repas; mais cette amitié n'est pas assez +puissante pour que la séparation soit désespérée, ni pour que le +battement du coeur nous annonce l'approche de l'ami absent. Nous n'avons +que des peines légères et des joies tièdes. Dieu seul, Dieu notre +immortel principe, nous ravit d'une joie inaccoutumée; mais pouvons-nous +toujours penser à lui? Sa grandeur, que nous adorons, nous défend-elle +de comparer notre destinée à celle des autres créatures, et de leur +envier les biens que nous n'avons pas? + +D'autres hommes se levèrent à leur tour, et dirent:--Les bêtes ont +encore un avantage que nous n'avons pas. Elles se reproduisent +d'elles-mêmes, elles donnent la vie à des créatures de leur espèce, qui +sont leur chair et leur sang. Il y a plusieurs siècles, avant que la +terre fût tranquille et féconde, la reproduction nous semblait une tâche +pénible, un sceau de misère imprimé à la matière. Nous avions compassion +de la jument obligée de porter son fruit dans son flanc durant le cours +de plusieurs lunes, de la perdrix forcée de couver patiemment ses oeufs +et de les féconder par la chaleur de son sein. Nous pensions que l'homme +avait assez de cultiver la terre et de protéger les animaux; que Dieu, +dans sa sagesse, l'avait dispensé du rude travail de la génération, et +lui avait donné l'immortalité, la jeunesse et la santé éternelle, pour +marquer sa royauté sur la terre. Mais aujourd'hui nos grands travaux +sont accomplis. Les animaux, libres et paisibles sous notre domination, +s'aiment avec plus de bonheur encore, et nous voyons en eux des joies et +des forces que nous n'avons pas. Nous admirons le soin avec lequel +l'hirondelle nourrit sa compagne accroupie sur ses oeufs, nous admirons +surtout la mère qui décrit de grands cercles dans les cieux pour +attraper une pauvre mouche, dont elle se prive afin de l'apporter à ses +enfants, car les oiseaux à cette époque sont maigres et malades; mais le +gazouillement de leurs oisillons semble les réjouir plus que toutes les +graines d'un champ, et plus encore peut-être que les caresses de +l'amour. Les plus faibles créatures acquièrent alors une folle audace +pour la défense de ce qu'elles ont de plus cher: la brebis défend son +agneau contre le loup, et la poule, cachant ses poussins sous son aile, +glousse avec colère quand le renard approche; c'est elle qui meurt la +première, et l'ennemi est forcé de passer sur son cadavre pour s'emparer +de la famille abandonnée. + +Tout cela n'est-il pas digne d'admiration? et s'il y a des fatigues et +des douleurs attachées à ces devoirs, n'y a-t-il pas des ravissements et +des émotions qui les rachètent? Quand ce ne serait que pour chasser +l'ennui que nous éprouvons, ne devrions-nous pas les demander à Dieu? + +Quand ceux-là eurent dit, il y en eut d'autres qui +répondirent:--Avez-vous songé à ce que vous proposez? Si l'homme se +reproduisait sans cesser d'être immortel, la terre ne pourrait bientôt +lui suffire. Voulez-vous accepter la maladie, la vieillesse et la mort +en échange des biens et des maux dont vous parlez? Lequel de nous peut +concevoir l'idée de mourir? N'est-ce pas demander à Dieu qu'il fasse de +nous la dernière créature du monde? Lequel de nous voudra renoncer à +être ange? + +--Nous ne sommes pas des anges, reprirent les premiers. Les anges que +nous voyons dans nos rêves ont des ailes pour parcourir l'immensité, et +quoiqu'ils se révèlent à nous sous une forme à peu près semblable à la +nôtre, cette forme n'est pas saisissable; nous ne pouvons les retenir au +matin, lorsqu'ils s'éloignent; nous embrassons le vide, ils nous +échappent comme notre ombre au soleil. Ils n'ont de commun avec nous que +l'esprit, lequel n'est que la moitié de nous-mêmes. Nous appartenons à +la terre où notre corps est à jamais fixé. Si nous sommes condamnés à la +misère d'exister corporellement, pouvons-nous sans injustice être privés +des avantages accordés aux autres animaux? Pourquoi serions-nous +imparfaits et déshérités du bonheur qui leur est échu? + +Ces différents avis excitèrent dans l'esprit des hommes une douloureuse +inquiétude. Les uns pensaient qu'en effet la partie physique était +incomplète chez eux; les autres répondaient que l'immortalité, l'absence +de maladie et de caducité, étaient des compensations suffisantes à cette +absence de sexe. + +Et, en effet, rien n'était plus suave et plus paisible en ce temps-là +que le sort de l'homme. N'éprouvant que des besoins immédiatement +satisfaits par la fécondité de la terre et la liberté commune, la faim, +la soif et le sommeil étaient pour lui une source de jouissance douce et +jamais de douleur. La privation était inconnue; aucun despotisme social +n'imposait les corvées et la fatigue; il n'y avait ni larmes, ni +jalousies, ni injustices, ni violences. Rien n'était un sujet de +rivalité ou de contestation. L'abondance régnait avec l'amitié et la +bienveillance. + +Mais cette secrète inquiétude, qui est la cause de toutes les grandeurs +et de toutes les misères de l'esprit, tourmentait presque également ceux +qui désiraient un changement dans leur sort et ceux qui le redoutaient. + +Alors les hommes firent de grandes prières dans les temples, et ils +invoquèrent Dieu afin qu'il daignât se manifester. + +Mais l'Eternel garda le silence; car il veut que les hommes et les anges +soient librement placés entre l'erreur et la vérité. Autrement l'ange et +l'homme seraient Dieu. + + + + +III. + + +Mais comme le coeur de l'homme était humble et doux en ce temps-là, la +sagesse éternelle fut touchée; car les hommes ne disaient pas:--Il nous +faut cela, fais-le; mais ils disaient:--Tu sais ce qui nous convient, +sois béni;--et ils souffraient sans blasphémer. + +La Sagesse, la Miséricorde et la Nécessité, les trois essences infinies +du Dieu vivant, tinrent conseil dans le sein de l'Eternel; et comme il +fallait que l'homme connût l'amour ou la mort, la matière ne pouvant +s'augmenter indéfiniment, l'Esprit saint dit par la bouche de la +Sagesse: + +«Livrons l'homme aux chances de sa destinée; que sa vie sur la terre +soit éphémère et douloureuse, qu'il connaisse le bien et le mal, et +qu'entre les deux il soit libre de choisir.» + +Alors le Verbe de miséricorde ajouta: «Que dans la douleur il ait pour +remède l'espérance, et dans le bonheur pour loi la charité.» + +Jéhovah envoya donc ses anges sur la terre en leur disant: «Qu'il soit +fait à chaque homme selon son désir.» + +Et l'ange étant entré la nuit dans la demeure des hommes, et au nom de +l'Eternel ayant interrogé leurs pensées, il n'en trouva qu'un seul qui +désirât l'amour au point d'accepter la mort sans crainte. C'était un de +ceux qui n'avaient jamais rien demandé au Seigneur. Il vivait retiré sur +une montagne, occupé le soir à contempler les étoiles, et le jour à +nourrir les chevrettes et les chamois. C'était une âme forte et un des +plus beaux parmi les anges terrestres. + +L'ange du sommeil l'appela, et lui dit comme aux autres hommes:--Fils de +Dieu, demandes-tu la fille de Dieu? Et cet homme, au lieu de répondre en +frissonnant comme les autres: Que la volonté de Dieu soit faite, +s'écria, en se soulevant sur sa couche:--Où est la fille de Dieu? L'ange +lui répondit:--Sors de ta demeure, tu la trouveras au bord de la source, +elle vient vers toi, elle vient du sein de Dieu. + +Alors l'ange disparut, et l'homme, s'étant levé plein de surprise, se +sentit accablé d'une grande tristesse; car il pensa que c'était un vain +songe, et que la fille de Dieu n'était pas au bord de la source. + +Cependant il se leva et sortit de sa demeure, et il trouva la fille de +Dieu qui marchait vers lui, mais qui, le voyant venir, s'arrêta +tremblante au bord de la source. + +Et comme la source était sombre, et qu'il distinguait à peine une forme +vague, il lui dit:--Etes-vous la fille de Dieu?--Oui, répondit-elle, et +je cherche le fils de Dieu. + +--Je suis le fils de Dieu, reprit l'homme, vous êtes ma soeur et mon +amour. Que venez-vous m'annoncer de la part de Dieu? + +--Rien, répondit la femme, car Dieu ne m'a rien enseigné, et je ne sais +pourquoi il m'envoie. Il y a un instant que j'existe; j'ai entendu une +voix qui m'a dit: «Fille de Dieu, va sur la terre, et tu trouveras le +fils de Dieu qui t'attend.» J'ai reconnu que c'était la voix de +l'Eternel, et je suis venue. + +L'homme lui dit:--Suis-moi, car tu es le don de Dieu, et tout ce qui +m'appartient t'appartient. + +Il marcha devant elle, et elle le suivit jusqu'à la porte de sa demeure, +qui était faite de bois de cèdre et recouverte d'écorce de palmier. Il y +avait un lit de mousse fraîche; l'homme cueillit les fleurs d'un rosier +qui tapissait le seuil, et, les effeuillant sur sa couche, il y fit +asseoir la femme en lui disant:--L'Eternel soit béni. + +Et, allumant une torche de mélèze, il la regarda, et la trouva si belle +qu'il pleura, et il ne sut quelle rosée tombait de ses yeux, car +jusque-là l'homme n'avait jamais pleuré. + +Et l'homme connut la femme dans les pleurs et dans la joie. + +Quand l'étoile du matin vint à pâlir sur la mer, l'homme s'éveilla, il +ne faisait pas encore jour dans sa demeure. Se souvenant de ce qui lui +était arrivé, il n'osait point tâter sa couche, car il craignait d'avoir +fait un rêve, et il attendit le jour, désirant et redoutant ce qu'il +attendait. + +Mais la femme, qui s'était éveillée, lui parla, et sa voix fut plus +douce à l'homme que celle de l'alouette qui venait chanter sur sa +fenêtre au lever de l'aube. + +Mais aussitôt il se mit à verser des pleurs d'amertume et de désolation. + +Ce que voyant, elle pleura aussi, et lui dit:--Pourquoi pleures-tu? + +--C'est, dit l'homme, que je t'ai, et que bientôt je ne t'aurai plus, +car il faut que je meure; c'est à ce prix que je t'ai reçue de +l'Eternel. Avant de te voir, je ne m'inquiétais pas de mourir; la +faiblesse et la peur sont entrées en moi avec l'amour. Car tu vaux mieux +que la vie, et pourtant je te perdrai avec elle. + +La femme cessa de pleurer, et, avec un sourire qui fit passer dans le +coeur de l'homme une espérance inconnue, elle lui dit:--Si tu dois +mourir, je mourrai aussi, et j'aime mieux un seul jour avec toi que +l'éternité sans toi. + +Cette parole de la femme endormit la douleur de l'homme. Il courut +chercher des fruits et du lait pour la nourrir, et des fleurs pour la +parer. Et, dans le jour, quand il se remit au travail, il planta de +nouveaux arbres fruitiers, en songeant au surcroît de besoins que la +présence d'un nouvel être apportait dans sa retraite, sans songer qu'un +arbre serait moins prompt à grandir que lui et la femme à mourir. + +Cependant le souci avait pénétré chez lui avec la femme. La pensée de la +mort empoisonnait toutes ses joies. Il priait Dieu avec plus de crainte +que d'amour; les moindres bruits de la nuit l'effrayaient, et, au lieu +d'écouter avec une religieuse admiration les murmures des grandes mers, +il tressaillait sur son lit, comme si la voix des éléments eût pleuré à +son oreille, comme si les oiseaux de la tempête lui eussent apporté des +nouvelles funèbres. La femme était plus courageuse ou plus imprévoyante. +Ses faibles membres se fatiguaient vite, et, quand son époux trouvait +dans le travail une excitation douloureuse, elle s'étendait nonchalante +sur les fleurs de la montagne, et s'endormait dans une sainte langueur +en murmurant des paroles de bénédiction pour son époux et pour son Dieu. + +Elle ne savait rien des choses de la terre où elle venait d'être jetée; +elle trouvait partout de la joie, et ne s'effrayait de rien. La brièveté +de la vie, si terrible pour l'homme, lui semblait un bienfait de la +Providence. L'homme la contemplait chaque jour avec une surprise et une +admiration nouvelles. Il la regardait comme supérieure à lui, malgré sa +faiblesse, et souvent il lui disait:--Tu n'es pas ma soeur, tu n'es pas +ma femme, tu es un ange que Dieu m'a envoyé pour me consoler, et qu'il +me reprendra peut-être dans quelques jours, car il est impossible que tu +meures. Une si belle création ne peut pas être anéantie. Promets-moi +que, si tu me vois mourir, tu retourneras aux cieux pour n'appartenir à +personne après moi. + +Et elle promettait en souriant tout ce qu'il voulait, car elle ne savait +pas si elle était immortelle, elle ne s'en inquiétait pas, pourvu que +son époux lui répétât sans cesse qu'il l'aimait plus que sa vie. + +Or, ils vivaient sur une montagne élevée, loin des lieux habités par les +autres hommes; car l'époux de la femme, tourmenté de crainte, avait +transporté sa demeure et ses troupeaux dans le désert, afin de mieux +cacher le trésor qui faisait son bonheur et ses angoisses.--Je ne +comprends pas, lui disait-il, le sentiment que vous m'avez inspiré pour +mes frères. Je les chérissais avant de vous connaître, et, malgré mon +goût pour la solitude, j'aurais tout partagé volontiers avec eux. Quand +je descendais dans la vallée aux jours de fête, leur vue réjouissait mon +âme, et je priais avec plus de ferveur prosterné au milieu d'eux dans le +temple. Aujourd'hui leur approche m'est odieuse, et quand je les vois de +loin je me cache, de peur qu'ils ne m'abordent et ne cherchent à +pénétrer aux lieux où vous êtes. A la seule idée qu'un de mes frères +pourrait vous apercevoir, je frissonne comme si l'heure de ma mort était +venue. L'autre jour j'ai vu près d'ici la trace d'un pied humain sur le +sable, et j'aurais voulu être un rocher pour attendre au bord du sentier +l'audacieux qui pouvait revenir, et l'écraser à son passage. Mais, +hélas! ajoutait-il, les autres hommes sont immortels, et seul je puis +craindre la chute d'un rocher. Si je tombais dans un précipice, vous +descendriez dans la vallée pour être nourrie et protégée par un autre +homme, et vous m'auriez bientôt oublié; car il n'est pas un de ces +immortels qui ne fît le sacrifice de son immortalité pour vous posséder. +C'est pourquoi, malgré mon amour pour vous, je ne puis m'empêcher de +désirer que la mort vous atteigne aussi tôt que moi. + +Et la femme lui répondait:--Si tu tombais dans un ravin, je m'y +jetterais après toi; et si Dieu me refusait la mort, je mutilerais mon +corps et je détruirais ma beauté pour ne pas plaire à un autre. + +Lorsque la femme mit au monde son premier-né, il lui sembla que sa mort +était proche, car elle sentait de grandes douleurs; et comme son époux +criait avec angoisses vers le Seigneur, elle lui dit:--Ne pleurez point +et réjouissez-vous, car mon corps se brise, et mon âme est heureuse de +ce qui m'arrive; je sens que je ne suis pas immortelle, et que je ne +resterai pas sans vous sur la terre. + +L'époux de la femme fut rencontré dans les montagnes par quelques-uns de +ses frères, et ceux-ci virent qu'il était pâle et maigri, et qu'une +singulière inquiétude était répandue sur sa figure. Ils racontèrent ce +qu'ils avaient vu; et comme jusque-là les fatigues et l'ennui n'avaient +point été assez rudes à l'esprit de l'homme pour que son corps +indestructible pût en recevoir une telle altération, chacun s'étonna de +ce qu'il entendait de la bouche de ces témoins, comme s'ils eussent +annoncé l'apparition d'une nouvelle race dans le monde, ou une +perturbation dans l'ordre de la nature. + +Plusieurs, entraînés par la curiosité, s'enfoncèrent dans les montagnes +pour chercher leur frère; mais il avait si bien caché sa demeure +derrière les lianes des forêts et les pics des rochers, qu'il se passa +plusieurs années avant qu'on la découvrît. Enfin il fut rencontré, et +ceux qui le virent s'écrièrent:--Homme, quel mal as-tu fait pour être +ainsi vieilli et malade comme les animaux périssables? Il répondit:--Je +ne ressemble pas à mes frères, mais je n'ai fait aucun mal, et Dieu m'a +visité et révélé plusieurs secrets que je vous enseignerai. Il parlait +ainsi pour donner le change à leur curiosité, et pendant la nuit il +essaya de transporter sa famille dans un lieu encore plus inaccessible. +Mais le jour le surprit avant qu'il fût parvenu à sa nouvelle retraite, +et il fut rencontré avec sa femme montée sur un âne sauvage, et ses +enfants, dont le plus jeune était dans ses bras. + +A cette vue, les voyageurs se prosternèrent; la femme leur parut si +belle qu'ils la prirent pour un ange; et, malgré la résistance de +l'époux, ils l'entraînèrent dans la vallée, la firent entrer dans le +temple, et, lui élevant un autel, ils l'adorèrent. Ce fut la première +idolâtrie. + +L'époux espérait que le respect les empêcherait de convoiter cette +femme; mais elle, craignant d'offenser le Seigneur, brisa les liens de +fleurs dont on l'avait enlacée, et tomba dans les bras de son époux en +s'écriant:--Je ne suis point une divinité, mais une esclave de Dieu, une +créature périssable et faible, la femme et la soeur de cet homme. Je lui +appartiens, parce que Dieu m'a envoyée vers lui; si vous essayez de m'en +séparer, je me briserai la tête contre cet autel, et vous me verrez +mourir, car je suis mortelle, et mon époux l'est aussi. + +A ces mots, les voyageurs éprouvèrent une émotion inconnue, et furent +saisis d'une sympathie étrange pour ces deux infortunés; comme ils +étaient bons et justes, ils respectèrent la fidélité de la femme. Ils la +contemplèrent avec admiration, prirent ses enfants dans leurs bras, et, +ravis de leur beauté délicate et de leurs naïves paroles, ils se mirent +à les aimer. + +Alors le peuple immortel, tombant à genoux, s'écria:--O Dieu, ôte-nous +l'immortalité, et donne à chacun de nous une femme comme celle-ci; nous +aimerons ses enfants, et nous travaillerons pour notre famille jusqu'à +l'heure où tu nous enverras la mort; nous te bénirons tous les jours si +tu exauces notre voeu. + +La voûte du temple fut enlevée par une main invisible, un escalier +ardent, dont chaque marche était une nuance de l'arc-en-ciel, parut se +dérouler jusqu'à la terre. Du sommet invisible de cet escalier, on vit +descendre des formes vagues et lumineuses, qui peu à peu se dessinèrent +en se rapprochant; des choeurs de femmes plus belles que toutes les +fleurs de la terre et toutes les étoiles des cieux remplirent le +sanctuaire en chantant; un ange était venu s'abattre sur le dernier +degré, et à chaque femme qui le franchissait, il appelait un homme qu'il +choisissait selon les desseins de Dieu, et mettait la main de l'époux +dans la sienne. + +Quelques hommes, cependant, voulurent conserver leur immortalité. Mais +l'amour de la femme était si enivrant et si précieux, qu'ils ne purent +résister au désir de le goûter, et qu'ils essayèrent de séduire les +femmes de leurs frères. Mais ils moururent de mort violente; Dieu les +châtia, afin que le premier crime commis sur la terre n'eût point +d'imitateurs. + +Pendant longtemps, malgré les souffrances de cette race éphémère, l'âge +d'or régna parmi les hommes, et la fidélité fut observée entre les +époux. + +Mais peu à peu le principe divin et immortel qui avait animé les +premiers hommes s'affaiblissant de génération en génération, l'adultère, +la haine, la jalousie, la violence, le meurtre et tous les maux de la +race présente se répandirent dans l'humanité; Dieu fut obligé de voiler +sa face et de rappeler à lui ses anges. La Providence devint de plus en +plus mystérieuse et muette, la terre moins féconde, l'homme plus débile, +et sa conscience plus voilée et plus incertaine. Les sociétés +inventèrent, pour se maintenir, des lois qui hâtèrent leur chute; la +vertu devint difficile et se réfugia dans quelques âmes choisies. Mais +Dieu infligea pour châtiment éternel à cette race perverse le besoin +d'aimer. A mesure que les lois plus absurdes ou plus cruelles +multipliaient l'adultère, l'instinct de mutuelle fidélité devenait de +jour en jour plus impérieux: aujourd'hui encore il fait le tourment et +le regret des coeurs les plus corrompus. Les courtisanes se retirent au +désert pour pleurer l'amour qu'elles n'ont plus droit d'attendre de +l'homme, et la demandent à Dieu. Les libertins se désolent dans la +débauche et appellent avec des sanglots furieux une femme chaste et +fidèle qu'ils ne peuvent trouver. L'homme a oublié son immortalité; il +s'est consolé de ne plus être l'égal des anges, mais il ne se consolera +jamais d'avoir perdu l'amour, l'amour qui avait amené la mort par la +main, et si beau qu'il avait obtenu grâce pour la laideur de cette soeur +terrible: il ne sera guéri qu'en le retrouvant. Car, écoutez les Juifs: +ils disent que la femme a apporté en dot le péché et la mort, mais ils +disent aussi qu'au dernier jour elle écrasera la tête du serpent, qui +est le génie du mal.... + +Comme Myrza achevait les derniers versets de son poëme, des prophètes +austères, qui l'avaient entendue, dirent au peuple assemblé autour +d'elle:--Lapidez cette femme impie; elle insulte à la vraie religion et +à toutes les religions, en confondant sous la forme allégorique les +dogmes et les principes de toutes les genèses. Elle joue sur les cordes +de son luth avec les choses les plus saintes, et la poésie qu'elle +chante est un poison subtil qui égare les hommes. Ramassez des pierres +et lapidez cette femme de mauvaise vie, qui ose venir ici prêcher les +vertus qu'elle a foulées aux pieds; lapidez-la, car ses lèvres souillées +profanent les noms de divinité et de chasteté. + +Mais le peuple refusa de lapider Myrza.--La vertu, répondit un vieux +prêtre d'Esculape, est comme la science: elle est toujours belle, utile +et sainte, quelle que soit la bouche qui l'annonce, et nous tirons des +plantes les plus humbles que chaque jour le passant foule sur les +chemins un baume précieux pour les blessures. Laissez partir cette +sibylle; elle vient souvent ici, nous la connaissons et nous l'aimons. +Ses fictions nous plaisent, à nous, vieux adorateurs des puissants dieux +de l'Olympe, et les jeunes partisans des religions nouvelles y trouvent +un fonds de saine morale et de douce philosophie. Nous l'écoutons en +souriant, et nos femmes lui font d'innocents présents de jeunes agneaux +et de robes de laine sans tache. Qu'elle parle et qu'elle revienne, nous +ne la maudissons point; et si ses voies sont mauvaises, que Minerve les +redresse et l'accompagne. + +--Mais nous parlons au nom de la vertu, reprirent les prophètes; nous +avons fait serment de ne jamais connaître un embrassement féminin..... + +--Hier, interrompit une femme, d'autres prophètes nous engageaient, au +nom de je sais quel nouveau dieu, à nous abandonner à notre appétit; et +la veille, d'autres nous disaient d'être esclaves d'un seul maître: les +uns fixent la chasteté d'une femme au nombre de sept maris, les autres +veulent qu'elle n'en ait point, nous ne savons plus à qui entendre. Mais +ce que dit cette Myrza nous plaît: elle nous amuse et ne nous enseigne +point. Que ses fautes soient oubliées, et qu'elle soit vêtue d'une robe +de pourpre, pour être conduite au temple du Destin, qui est le dieu des +dieux. + +Et comme les disciples des prophètes furieux s'acharnaient à la maudire, +et ramassaient de la boue et des pierres, le peuple prit parti pour +elle, et voulut la porter en triomphe. Mais elle se dégagea, et, montant +sur le dromadaire qui l'avait amenée, elle dit à ce peuple en le +quittant:--Laissez-moi partir, et si ces hommes vous disent quelque +chose de bon, écoutez-le, et recueillez-le de quelque part qu'il vienne. +Pour moi, je vous ai dit ma foi, c'est l'amour. Et voyez pourtant que je +suis seule, que j'arrive seule, et que je pars seule.... Alors Myrza +répandit beaucoup de larmes, puis elle ajouta:--Comprenez-vous mes +pleurs, et savez-vous où je vais? + +Et elle s'en alla par la route qui mène au désert de Thébaïde. + +GEORGE SAND. + + + + +HAMLET. + + +O Hamlet, dis-nous le secret de ta douleur immense, et pourquoi nous +nous sentons vibrer autour de toi, comme autant d'échos de ta plainte +mystérieuse? Est-ce seulement qu'on a assassiné ton père, et que tu ne +te sens pas la force de le venger? C'est là une destinée tragique, mais +exceptionnelle et bizarre, qui se peint seulement à notre imagination et +qui ne remuerait guère nos coeurs, s'il n'y avait pas en toi autre chose +qu'un souvenir, une vision et un serment. Hamlet le danois[1], que nous +importe à nous, hommes d'aujourd'hui, le crime d'une reine, le meurtre +d'un roi, et la colère d'un prince dépossédé? Nous avons vu bien +d'autres drames de sang que ce drame imaginaire où ton prestige nous +entraîne. Quel mystère de poignante sympathie le poëte qui t'a donné +l'être, a-t-il donc enfermé dans ton sein et comme attaché à ton nom? + +[Note 1: This is I. Hamlet the dane!...] + +Création sublime, n'est-ce donc pas que tu résumes en toi toutes les +souffrances d'une âme pure jetée au milieu de la corruption et condamnée +à lutter contre le mal qui l'étreint et la brise? Il n'y a pas d'autre +fatalité dans ta vie, Hamlet, et ton délire n'a pas d'autre cause. +Jeune, tendre et confiant, l'âme ouverte à l'amour et à l'amitié, la +découverte du crime commis dans ta maison vient bouleverser toutes tes +affections, toutes tes croyances. Tu pleurais un mort chéri, et tu +t'étonnais de le pleurer seul. Un vague soupçon planait à peine sur ton +esprit: tout à coup ce soupçon devient certitude; une vision déchirante, +un songe peut-être, t'a éclairé, et dès lors, frappé de vertige, tu sens +ta raison ébranlée, et ta vie n'est plus qu'un accès de délire amer et +sombre. + +Car tu es fou, Hamlet, et tu ne mens pas quand tu dis: + + _His madness is poor Hamlet's ennemy._ + +On ne se joue pas impunément avec la folie, et, d'ailleurs, le choix de +ton rôle de fou atteste que tu es dominé par la préoccupation, +l'angoisse et la terreur de la démence. Tu ne feins pas à la manière de +Brutus, car tu n'es pas l'austère Brutus. Amoureux et poëte, rêveur +tendre et studieux écolier, tu n'as rien de cette nature implacable et +patiente du conspirateur. Pauvre Hamlet, ton âme est trop fière et trop +aimante pour supporter la douleur et couver la vengeance. Te voilà forcé +de haïr les hommes, toi qui naquis pour les aimer, et dès ce premier +choc te voilà brisé sans retour. C'est l'horreur du crime, le mépris du +mensonge et l'effroi du mal, qui mettent tous les éléments de ton être +en guerre les uns contre les autres. Oh! qui ne te plaindrait d'être +ainsi détourné de tes voies et lancé sur une pente fatale! + +L'harmonie de tes facultés est bien amèrement troublée, ô victime de +l'iniquité! Aux heures où tu philosophes sur la vie et sur la mort, sur +le mystère de la tombe et la peur de l'inconnu, tu sembles avoir +retrouvé toutes les lumières de ton intelligence: mais c'est à ces +heures-là même que nous devinons le mieux ton désastre, ce désastre +moral dont tu ne peux plus mesurer l'étendue, et qui se voile en vain +sous de brillantes et solennelles paroles. Plus que jamais divisé contre +toi-même, peut-on dire que, dans ces moments de rêverie où ton âme +quitte la terre, tu t'appartiennes réellement? Non, car alors le +souvenir de tes maux et de tes excès est comme effacé de ta mémoire +affaiblie, et la moitié de ton âme est paralysée. Lorsque tu te demandes +ce que c'est qu'_être ou n'être pas, mourir ou dormir... ou rêver!..._ +tu ne vois pas Ophélia agenouillée près de toi; et lorsque tu songes au +destin d'Alexandre et au néant de la gloire, en soulevant le crâne +d'Yorick, tu ne te souviens pas du meurtre que tu as commis, et de ton +amante que tu as rendue folle. Tu n'as même pas songé à t'enquérir de +son sort; tu ne te doutes pas que c'est sa fosse que tu regardes +creuser. Il est donc des heures où ton pauvre coeur est mort, et alors +ton intelligence se perd dans des abstractions où tu n'as pas la notion +distincte de ton propre malheur. Est-ce un état de raison que celui où +le cerveau fonctionne dans l'oubli absolu des déchirements du coeur? +L'homme n'est-il pas décomplété quand il ne peut plus penser et sentir +que séparément et tour à tour? + +Qu'on ne nous dise donc plus que tu n'es pas fou, car tu serais odieux, +et nous sentons si bien au contraire que tu ne t'appartiens plus, que ta +violence et ta cruauté nous font plus souffrir que toi-même. + +Le noble Hamlet brise la frêle Ophélia en brisant l'amour dans son +propre sein, et il ne comprend pas qu'il la tue. Il ne la reconnaît que +dans son linceul, et ses regrets disent sa surprise et son repentir. Le +noble Hamlet brise l'orgueil impuni de sa mère, et son propre coeur se +brise de remords et de pitié en accomplissant ce devoir effroyable. Le +noble Hamlet raille et insulte Laërte, et bientôt il s'accuse et se +repent devant lui, mais sans paraître se rendre compte du mal qu'il lui +a fait, et en lui disant: «Le ciel m'est témoin que je vous ai toujours +aimé.» Partout Hamlet est noble et bon, mais aussi partout Hamlet est +hors de lui et gouverné par la démence, démence rêveuse et accablante +quand il est seul ou avec Horatio, démence furieuse et méprisante quand +il est en contact avec les sots et les méchants de ce monde. + +La folie est toujours ou si repoussante, ou si navrante, que nous en +détournons les yeux avec effroi. La pauvre Ophélia elle-même, si pure, +si douce et si belle, n'a le don de nous intéresser qu'un instant, après +que sa raison l'a abandonnée. Son délire est trop complet, bien +qu'inoffensif. Ce n'est là qu'une douleur toute personnelle. D'où vient +donc, ô triste Hamlet, que ta folie, à toi, nous attache et nous +passionne du commencement à la fin? C'est à cause que ta douleur est la +nôtre à tous, et c'est cela qui la fait si humaine et si vraie. C'est ce +dessèchement qui se fait en toi de toutes les sources de la vie, +l'amour, la confiance, la franchise et la bonté. C'est ce déplorable +adieu que tu es forcé de dire à la paix de la conscience et aux +instincts de ta tendresse. C'est cette nécessité de devenir ombrageux, +hautain, violent, ironique, vindicatif et cruel. C'est cette fatalité +qui arme contre ton semblable ta main loyale et brave. C'est cet amour +même du vrai et du juste qui te condamne à devenir stupide ou méchant; +et, ne pouvant être ni l'un ni l'autre, tu te sens devenir fou: + + _They fool me to the top of my bent +They compell me to play the fool till I can endure to do it no longer._ + +Hélas! cette amertume de ta vie, ce désespoir tour à tour furieux et +morne se résument en un cri intérieur dont le retentissement se fait en +nous tous, et qui peut se traduire ainsi: Mon Dieu, pourquoi des +méchants parmi nous? Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi le mal dans ton +oeuvre? + +Oui, te voilà tout entier, Hamlet, dans ce cri de l'humanité révoltée +contre elle-même. Voilà le secret de tes larmes, de tes fureurs et de +tes épouvantes. Voilà le secret de notre pitié, de notre tendresse et de +notre effroi pour ton mal. Lequel de nous oserait dire, quand il +contemple l'étendue de ce mal auquel la terre est livrée, qu'il sera +plus fort, plus juste et plus patient que toi? Lequel de nous, quand il +s'égare aux abstractions de la métaphysique, ou, quand il s'abandonne +aux entraînements de la réalité, aux jouissances de l'esprit, aux +amusements de la jeunesse, aux espérances de l'amour, oserait s'assurer +qu'il n'est pas un fou, un esprit débile et troublé en qui le souvenir +de l'inévitable fatalité s'efface trop aisément, en qui le moi égoïste +ou frivole étouffe le sentiment de la vérité et le culte de la sagesse? +Soit que nous cherchions dans les livres la cause du malheur et de +l'impuissance de l'homme, soit que nous demandions ce secret fatal à la +rêverie, soit que nous tâchions de nous y soustraire par +l'étourdissement du plaisir, nous sommes toujours des infirmes de corps +et d'esprit, dominés par d'insondables mystères, épouvantés avec excès, +oublieux avec ivresse, poltrons ou fanfarons, prompts à épuiser la coupe +de nos joies, prompts à nous lasser de la recherche du vrai, et tristes +surtout, toujours tristes! + +Pleure, Hamlet, pleure! Il n'y a vraiment que des sujets de larmes +ici-bas! Tremble aussi; car il n'est rien de si effrayant que notre +destinée en ce monde. Tue et meurs, détruis et disparais: c'est le sort +de l'homme. Depuis le berceau jusqu'à la tombe, depuis Adam jusqu'à toi, +Hamlet, depuis tes jours jusqu'aux nôtres, la voix de la terre est un +éternel sanglot qui se perd dans l'éternel silence des cieux. + +GEORGE SAND. + + + + + + + + +End of Project Gutenberg's Le poëme de Myrza - Hamlet, by George Sand + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LE POËME DE MYRZA - HAMLET *** + +***** This file should be named 28623-8.txt or 28623-8.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + https://www.gutenberg.org/2/8/6/2/28623/ + +Produced by Carlo Traverso, Rénald Lévesque and the Online +Distributed Proofreading Team at https://www.pgdp.net (This +file was produced from images generously made available +by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at +http://gallica.bnf.fr) + + +Updated editions will replace the previous one--the old editions +will be renamed. + +Creating the works from public domain print editions means that no +one owns a United States copyright in these works, so the Foundation +(and you!) can copy and distribute it in the United States without +permission and without paying copyright royalties. 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You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org + + +Title: Le poëme de Myrza - Hamlet + +Author: George Sand + +Release Date: April 27, 2009 [EBook #28623] + +Language: French + +Character set encoding: ISO-8859-1 + +*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LE POËME DE MYRZA - HAMLET *** + + + + +Produced by Carlo Traverso, Rénald Lévesque and the Online +Distributed Proofreading Team at https://www.pgdp.net (This +file was produced from images generously made available +by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at +http://gallica.bnf.fr) + + + + + + +</pre> + + + + +<br><br> + + + + + +<h1>LE POËME DE MYRZA</h1> + +<br><br> + +<p>Durant les quatre ou cinq siècles au milieu desquels +est jeté le grand événement de la vie du Christ, l'intelligence +humaine fut en proie aux douleurs et aux déchirements +de l'enfantement. Les hommes supérieurs de +la civilisation, sentant la nécessité d'un renouvellement +total dans les idées et dans la conduite des nations, +furent éclairés de ces lueurs divines dont Jésus fut le +centre et le foyer. Les sectes se formèrent autour de sa +courte et sublime apparition, comme des rayons plus ou +moins chauds de son astre. Il y eut des caraïtes, des +saducéens et des esséniens, des manichéens et des gnostiques, +des épicuriens, des stoïciens et des cyniques, +des philosophes et des prophètes, des devins et des astrologues, +des solitaires et des martyrs: les uns partant +du spiritualisme de Jésus, comme Origène et Manès; les +autres essayant d'y aller, sur les pas de Platon et de +Pythagore; tous escortant l'Évangile, soit devant, soit +derrière, et travaillant par leur dévouement ou leur +résistance à consolider son triomphe.</p> + +<p>Dans cette confusion de croyances, dans ce conflit de +rêves, de travaux fiévreux de la pensée, de divinations +maladives et de vertiges sublimes, une nouvelle forme +fut donnée à certains esprits, une forme agréable, élastique, +qui seule convenait aux esprits éclairés et aux +caractères faciles: cette disposition de l'esprit humain +qui domine dans tous les temps de dépravation, et chez +toutes les nations très-civilisées, nous l'appellerons, pour +nous servir d'une expression moderne, <i>éclectisme</i>, quoique +cette dénomination n'ait pas eu dans tout temps le +même sens; nous nous en tenons à celui qu'elle implique +aujourd'hui, pour qualifier la situation morale +des hommes qui n'appartenaient à aucune religion au +temps dont il est question ici.</p> + +<p>Parmi ces éclectiques, on vit des hommes d'un caractère +et d'un esprit tout opposés, des hommes graves et +des hommes frivoles, des savants et des femmes; car +cette doctrine, qui consistait dans l'absence de toute +règle, accueillit toute sorte de pédantisme et toute sorte +de poésie. Les rhéteurs s'y remplissaient l'estomac d'arguments, +et les poëtes s'y gonflaient le cerveau de métaphores. +L'Inde et la Chaldée, Homère et Moïse, tout +était bon à ces esprits avides et curieux de nouveautés, +indifférents en face des solutions: heureux caractères +qui, Dieu merci, fleurirent toujours ici-bas au milieu de +nos lourdes polémiques. Grands diseurs de sentences, +sincères admirateurs de la vertu et de la foi, le tout par +amour du beau et par estime de la sagesse, vrais épicuriens +dans la pratique de la vie, prophètes élégants et +joyeux, bardes demi-bibliques et demi-païens, intelligences +saisissantes, fines, éclairées, pleines de crédulités +poétiques et de scepticisme modeste; en un mot, ce +que sont aujourd'hui nos véritables artistes.</p> + +<p>Le petit poëme qu'on va lire fut récité, en vers hébraïques, +sous un portique de Césarée, par une femme +nommée Myrza, laquelle était une des prophétesses de +ce temps-là, espèce mixte entre la bohémienne et la sibylle, +poëte en jupons comme il en existe encore, mais +d'un caractère hardi et tranché qui s'est perdu dans le +monde, aventurière sans patrie, sans famille et sans +dieux, grande liseuse de romans et de psaumes, initiée +successivement par ses amants et ses confesseurs aux +diverses religions qui s'arrachaient lambeau par lambeau +l'empire de l'esprit humain. Cette femme était belle, +quoique n'appartenant plus à la première jeunesse; elle +jouait habilement le luth et la cithare, et, changeant +de rhythme, de croyance et de langage selon les pays +qu'elle parcourait, elle traversait les querelles philosophiques +et religieuses de son siècle, semant partout +quelques fleurs de poésie, et laissant sur ses traces un +étrange et vague parfum d'amour, de sainteté et de +folie; bonne personne du reste, que les princes faisaient +asseoir par curiosité à leur table, et que le peuple écoutait +avec admiration sur la place publique. Voici son +poëme tel que, de traduction en traduction, il a pu arriver +jusqu'à nous. Nous osons parfaitement le livrer aux +savants, aux poëtes et aux chrétiens de ce temps-ci, +sachant le bon marché que notre siècle panthéiste fait de +toutes choses, et la complaisance que son ennui lui +inspire pour toutes sortes de rêves.</p> +<br> +<h3>I.</h3> + +<p>En ce temps-là, longtemps avant le commencement +des jours que les hommes ont essayé de compter, Dieu +appela devant lui quatre Esprits, qui parcouraient d'un +vol capricieux les plaines de l'espace: Allez, leur dit-il, +prenez-vous par la main, marchez ensemble, et travaillez +de concert.</p> + +<p>Ils obéirent, et, ne se quittant plus, présidèrent +chacun à une des oeuvres de Dieu; et un nouvel astre +parut dans l'éther: cet astre est la terre que nous habitons +aujourd'hui, et ces quatre Esprits sont les éléments +qui la composent.</p> + +<p>Mais deux de ces Esprits, se sentant plus puissants, +firent la guerre aux deux autres.</p> + +<p>L'eau et le feu ravagèrent la terre, et l'air fut tantôt +infecté des vapeurs humides des marais, et tantôt embrasé +des feux d'un soleil dévorant.</p> + +<p>Et pendant un nombre de siècles que l'homme ne sait +pas, mais qui sont dans l'éternité de Dieu moins qu'une +heure dans la vie de l'homme, notre globe bondit +dans l'immensité, comme une cavale sauvage, sans +guide et sans frein; sa course ne fut réglée que par le +caprice des Esprits à qui Dieu l'avait abandonné; tantôt, +emporté d'un essor fougueux, il s'approcha du soleil jusqu'à +s'y brûler; tantôt il s'endormit languissant et morne, +loin des rayons vivifiants que chaque printemps nous +ramène. Il y eut des jours d'une année et des nuits d'un +siècle. Le globe n'ayant pas encore arrêté sa forme, les +froides régions qu'habitent le Calédonien et le Scandinave +furent calcinées par des étés brûlants. Les contrées +où la chaleur bronze les hommes se couvrirent de +glaciers incommensurables. L'Esprit du feu descendit dans +le sein de la terre; on eût dit qu'un démon enfonçait ses +ongles et ses dents dans les entrailles du globe: des +rugissements sourds s'échappaient des rochers ébranlés, +et la terre s'agitait comme une femme dans les convulsions +de l'enfantement. Quelquefois le monstre, en se +retournant dans le ventre de sa mère, sapait les fondements +d'une montagne, et creusait sous les vallées des +voûtes sans appui. La montagne et la vallée disparaissaient +ensemble, et des lacs de bitume s'étendaient en +bouillonnant sur les débris amoncelés; une fumée âcre +et fétide empoisonnait l'atmosphère; les plantes se desséchaient, +et l'eau, appelée par le feu, ravageait à son +tour le flanc déchiré de sa soeur.</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/001.png"><br> +Que le peuple écoutait sur la place publique.</p> + +<p>Enfin le feu s'ouvrit un passage à travers le roc et +l'argile, et se répandit au dehors comme un fleuve débordé. +La mer, brisant ses digues de la veille, fit chaque +jour de nouvelles invasions, et chaque jour déserta +ses nouveaux rivages comme un lit trop étroit. On voyait, +dans l'espace d'une nuit, s'élever des montagnes de +fange ou de cendre, que le soleil et le vent façonnaient +à leur gré; des ravins se creusaient tels que la vie d'un +homme voyageant le jour et la nuit n'eût pas suffi pour +en trouver le fond; des météores gigantesques erraient +sur les eaux comme des soleils détachés de la voûte céleste, +et les vagues de l'océan roulaient sur les sommets +que les nuages enveloppent aujourd'hui bien loin au-dessus +de la demeure des hommes.</p> + +<p>Dans cette lutte, la terre et l'eau, jalouses l'une de +l'autre, se mirent à créer des plantes et des animaux qui +à leur tour se firent la guerre entre eux; des lianes immenses +essayèrent d'arrêter le cours des fleuves, mais les +fleuves enfantèrent des polypes monstrueux, qui saisirent +les lianes dans leurs bras vivants, et leur étreinte fut +telle, que des myriades de races d'animaux s'y arrêtèrent +et y périrent; et de tous ces débris se forma le sol que +nous foulons aujourd'hui, et sous lequel a disparu +l'ancien monde.</p> + +<p>Cependant à toutes ces existences d'un jour succédaient +d'autres existences; les races se perdaient et se +renouvelaient; la matière inépuisable se reproduisait +sous mille formes. Du sein des mers sortaient les baleines +semblables à des îles, et les léviathans hideux +rampant sur le sable avec des crocodiles de vingt bras, +ses. Nul ne sait le nombre et la forme des espèces tombées +en poussière; l'imagination de l'homme ne saurait +les reconstruire; si elle le pouvait, l'homme mourrait +d'épouvante à la seule idée de les voir. L'abeille fut +peut-être la soeur de l'éléphant; peut-être une race +d'insectes, aujourd'hui perdue, détruisit celle du mammouth, +que l'homme appelle le colosse de la création. +Dans ces marécages qui couvraient des continents entiers, +il dut naître des serpents qui, en se déroulant, +faisaient le tour du globe, et les aigles de ces montagnes, +infranchissables pour nos gazelles abâtardies, enlevaient +dans leurs serres des rhinocéros de cent coudées. +En même temps que les dragons ailés arrivaient +des nuages de l'orient, les licornes indomptables descendaient +de l'occident, et quand une troisième race de +monstres, poussée par le vent du sud, avait dévoré les +deux autres, elle périssait gorgée de nourriture, et +l'odeur de la corruption appelait l'hyène du nord, des +vautours plus grands que l'hyène, et des fourmis plus +grandes que les vautours; et sur ces montagnes de cadavres, +parmi ces lacs de sang livide, au milieu de ces +bêtes immondes, dévorées et dévorantes, des arbres +sans nom élevaient jusqu'aux nues la profusion de leurs +rameaux splendides, et des roses plus belles et plus +grandes que les filles des hommes ne le furent jamais, +exhalaient des parfums dont s'enivraient les esprits de +la terre, couverts de robes diaprées, aujourd'hui réduits +à la taille du papillon, et aux trois grains d'or de l'étamine +de nos fleurs.</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/002.png"><br> + L'ange du sommeil l'appela.</p> + +<p>Ces volcans, ces déluges, ces cataclysmes, cet ouvrage +informe du temps et de la matière, les saintes +Écritures l'appellent l'âge du chaos. Or, tandis que les +quatre Esprits se livraient à la guerre, il arriva qu'ils +passèrent près du char de Dieu, et, frappés de terreur, +ils s'arrêtèrent. Dieu les appela et leur dit: Qu'avez-vous +fait? Pourquoi ce monde que je vous ai confié +marche-t-il comme s'il était ivre? Avez-vous bu la coupe +de l'orgueil? Prétendez-vous faire les oeuvres de l'Éternel? +Un esprit plus puissant que vous va se lever à ma voix; il +vous enchaînera, et vous forcera de vivre en paix.</p> + +<p>L'Éternel passa; et quand les quatre Esprits virent +s'effacer dans l'espace le cercle de feu que traçaient les +roues de son char, ils reprirent courage, et, se regardant, +ils se dirent: Pourquoi ne résisterions-nous pas à +l'Éternel? Ne sommes-nous pas éternels, nous aussi? Il +nous a créés, mais il ne peut nous détruire, car il nous a +dit: Vous n'aurez pas de fin. L'Éternel ne peut reprendre +sa parole. Il nous a donné ce monde. Mais c'est nous +qui l'avons couvert de plantes et d'animaux. Nous aussi, +nous sommes créateurs. Unissons-nous, armons nos +volcans en guerre. Que l'océan gronde, que la lave +bouillonne, que la foudre sillonne les airs, et vienne +l'Éternel pour nous donner des lois!</p> + +<p>En parlant ainsi, ils cessèrent de se haïr; et, abaissant +leur vol sur les montagnes les plus élevées de la +terre: Nous allons, dirent-ils, entasser ces monts les +uns sur les autres, et nous atteindrons ainsi à la demeure +de Dieu. Nous le renverserons, et nous régnerons sur +tous les mondes.</p> + +<p>Mais comme ils commençaient leur travail insensé, +un ange envoyé par le Seigneur versa sur eux la coupe +du mépris, et, saisis de torpeur, ils s'endormirent +comme des hommes pris de vin.</p> + +<p>Et quand ils se réveillèrent, ils virent sur la mousse +un être inconnu, plus beau qu'eux, quoique délicat et +frêle. Sa tête n'était pas flamboyante, et son corps n'était +pas couvert d'une armure d'écailles de serpent; le ver à +soie semblait avoir filé l'or de sa chevelure, et sa peau +était lisse et blanche comme le tissu des lis.</p> + +<p>Les Esprits étonnés l'entourèrent pour le contempler, +s'émerveillant de sa beauté, et se demandant l'un à +l'autre si c'était là un esprit ou un corps. Cependant +cette créature dormait paisiblement sur la mousse, et +les fleurs se penchaient sur elle comme pour l'admirer; +les oiseaux et les insectes voltigeaient autour d'elle, +n'osant becqueter ses lèvres de pourpre, et formant un +rideau d'ailes doucement agitées entre son visage et le +soleil du matin, qui semblait jaloux aussi de le regarder. +Alors l'Esprit des eaux:--Quel est celui-ci? et qui de +nous l'a produit à l'insu des autres? Si c'est de la terre +qu'il est sorti, d'où vient que les vapeurs de mes rives +n'en savent rien? et où est le feu qui l'a fécondé? Est-ce +une plante, pour qu'il soit sans plumes, et sans fourrure, +et sans écaille? Et si c'est une plante, d'où vient que +je n'ai point arrosé son germe, d'où vient que l'air n'a +pas aidé sa tige à s'élever et son calice à se colorer? Si +c'est une créature, où est son créateur? Si c'est un esprit, +de quel droit vient-il s'établir dans notre empire, +et comment souffrons-nous qu'il s'y repose? Enchaînons le, +et que la bouche des volcans se referme derrière +lui, car il faut qu'il aille au fond de la terre et qu'il n'en +sorte plus.</p> + +<p>L'Esprit de la terre répondit: Ceci est un corps, car +le sommeil l'engourdit et le gouverne comme les animaux; +ce n'est pas une plante, car il respire et semble +destiné au mouvement comme l'oiseau ou le quadrupède: +cependant il n'a point d'ailes, et ne saurait voler; +il n'a pas les défenses du sanglier, ni les ongles du tigre +pour combattre, ni même l'écaille de la tortue pour +s'abriter. C'est un animal faible, que le moindre de nos +animaux pourrait empêcher de se reproduire et d'exister. +Et puisque aucun de nous ne l'a créé, il faut que ce soit +l'Éternel qui, par dérision, l'ait fait éclore, afin de nous +surprendre et de nous effrayer; mais il suffira du froid +pour lui donner la mort.</p> + +<p>--Ne nous en inquiétons point, dirent les autres, il est +en notre pouvoir, éveillons-le, et voyons comme il +marche et comme il se nourrit. Puisqu'il n'a ni ailes, +ni nageoires, ni arme d'aucune espèce, pour s'ouvrir +un chemin et se construire une demeure, il ne saurait +vivre dans aucun élément.</p> + +<p>Et les quatre Esprits de révolte se mirent à railler et +à mépriser l'oeuvre du Dieu tout-puissant.</p> + +<p>Alors cet être nouveau s'éveilla, et, à leur grande +surprise, il ne se mit ni à fuir, ni à ramper comme les +serpents, ni à marcher comme les quadrupèdes; il se +dressa sur ses pieds, et sa tête se trouvant tournée vers +le ciel, il éleva son regard, et les Esprits de révolte +virent, dans sa prunelle, étinceler un feu divin. Quel +est, dirent-ils, celui-ci, qui ne rampe, ni ne vole, et +qui a un rayon du soleil dans les yeux? Va-t-il monter +vers le ciel comme une fumée? et d'où vient qu'avec +un corps si chétif il est plus beau que le plus beau des +anges du ciel?--Alors ils furent saisis de crainte, et +l'interrogèrent en tremblant.</p> + +<p>Mais celle créature ne les entendit pas; on eût dit +que ses yeux ne pouvaient distinguer leur forme, car +elle ne leur donna aucun signe d'attention, et ne répondit +rien à leurs questions.</p> + +<p>Ils se réjouirent donc de nouveau, en disant: Cette +bête n'a ni le sens de l'ouïe, ni le sens de la vue; elle +ne saurait faire entendre aucun cri, elle est plus stupide +que les autres bêtes. Celles-ci ne nous comprennent +pas et ne nous voient pas non plus; mais l'instinct les +avertit de notre présence; et un tressaillement secret +s'empare du plus petit oiseau, lorsque le volcan gronde, +ou lorsque l'orage s'approche; l'ours et le chien s'enfuient +en hurlant, le dauphin s'éloigne des rivages, et +le dragon se réfugie sur les arbres les plus élevés des +forêts; mais cette bête n'a pas de sens, et les polypes +seuls suffiront pour la dévorer.</p> + +<p>Alors la créature inconnue éleva la voix, une voix plus +douce que celle des oiseaux les plus mélodieux, et elle +chanta un cantique d'actions de grâces au Seigneur, dans +une langue que les Esprits de révolte ne comprirent pas.</p> + +<p>Et leur colère fut grande, car ils se crurent insultés +par cette langue mystérieuse, et ces accents d'amour et +de ferveur remplirent leur sein de haine et de rage. Ils +voulurent saisir leur ennemi; mais l'ennemi, ne daignant +pas les voir, se prosterna devant l'Éternel, puis +se releva avec un front rempli d'allégresse, et se mit à +descendre vers la vallée, sans cesser d'être debout, et +posant ses pieds sur le bord des abîmes avec autant d'adresse +et de tranquillité que l'antilope ou le renard. +Comme les pierres et les épines offensaient sa peau, il +cueillit des herbes et des feuilles, et se fit une chaussure +avec tant de promptitude et d'industrie, que les +Esprits de révolte prirent plaisir à le regarder.</p> + +<p>Cependant, à mesure que la créature de Dieu marchait, +la terre semblait devenir plus riante, et la nature +se parait de mille grâces nouvelles. Les plantes exhalaient +de plus doux parfums, et la créature, comme +saisie d'un amour universel, se courbait, respirait les +fleurs, se penchait sur les cailloux transparents, souriait +aux oiseaux, aux arbres, aux vents du matin. Et +le vent caressait mollement sa poitrine; les oiseaux la +suivaient avec des chants de joie; les papillons venaient +se poser sur les fleurs qu'elle leur présentait; les arbres +se courbaient vers elle et lui offraient leurs fruits à +l'envi l'un de l'autre. Elle mangeait les fruits, et, loin de +dévorer avidement comme les bêtes, semblait savourer +avec délices les sucs parfumés de l'orange et de la grenade. +Une biche, suivie de son faon, vint à elle, et lui offrit +son lait qu'elle recueillit dans une conque de nacre, +qu'elle porta joyeusement à ses lèvres en caressant la +biche; puis elle présenta la coquille au faon, qui but +après elle, et qui la suivit, ainsi que sa mère.</p> + +<p>Les Esprits suivaient en silence, et ne concevaient +rien à ce qu'ils voyaient; enfin ils se réveillèrent de leur +stupeur et dirent: C'est assez nous laisser insulter par +une oeuvre de ténèbres et d'ignorance; ce vain fantôme +d'ange a un corps et se repaît comme les bêtes; il doit +être, comme elles, sujet à la mort et à la pourriture. Si +la biche et son faon, si l'oiseau et l'insecte, si l'arbre et +son fruit, si l'herbe et la brise se soumettent à lui, voici +venir le léopard et la panthère qui vont le déchirer.</p> + +<p>Mais le léopard passa sans toucher à la créature de +Dieu, et la panthère, l'ayant regardée un instant avec +méfiance, vint offrir son dos souple et doux à la main +caressante de son nouveau maître.</p> + +<p>--Voici le serpent qui va le couvrir de morsures empoisonnées, +dirent les Esprits de haine. Le serpent dormait +sur le sable. La créature divine l'appela dans cette +langue inconnue qu'elle avait parlée à l'Éternel, et le +serpent, déroulant ses anneaux, vint mettre sa tête humiliée +sous le pied du maître, qui se détourna sans lui +faire ni mal ni injure. L'éléphant s'approchant, les Esprits +espérèrent qu'il les débarrasserait de l'étranger, +mais l'éléphant, ayant pris des fruits dans sa main, le +suivit, obéissant à sa parole, et cueillant à son tour les +fruits et les fleurs sur les branches les plus élevées pour +les lui offrir avec sa trompe. Le chameau arriva, et, +pliant les genoux, offrit son dos à l'étranger, et le porta +dans la vallée. Alors les Esprits, transportés de colère, +s'assemblèrent sur une cime élevée; ils réunirent leurs +efforts pour créer un monstre qui surpassât en laideur, +en force et en cruauté les monstres les plus hideux +qu'eût produits la terre. Mais comme le Seigneur, qui +jusqu'alors avait habité avec eux, s'était retiré, ils ne +purent rien créer d'abord. Enfin, après beaucoup de conjurations +adressées aux éléments qu'ils croyaient gouverner, +ils firent sortir de terre un dragon redoutable, +et le forcèrent avec des menaces de marcher contre la +créature de Dieu. Mais celle-ci, le voyant venir, monta +sur le cheval, appela l'hippopotame, le taureau, et tous +les animaux forts de la terre et de la mer, et les oiseaux +forts du ciel, et tous se rangèrent autour d'elle comme +une armée. Le cheval bondit d'orgueil sous son maître, +et le porta comme un roi à la rencontre de l'ennemi. +Alors le dragon épouvanté revint vers ceux qui l'avaient +envoyé, et leur dit:--Vous voyez ce qui arrive; toutes +les créatures se rangent sous sa loi, celui-ci est le roi de +la terre, et l'esprit de Dieu est en lui.--Et le dragon +étendant ses ailes, l'Esprit de ténèbres qui était en lui +s'envola, et sa dépouille restant par terre, l'étranger la +ramassa, la regarda, et s'en fit un vêtement pour traverser +les régions froides.</p> + +<p>Car elle continua sa course vers le nord, et parcourut +le monde entier, se construisant partout des chariots +avec les arbres des forêts et les métaux de la terre; mangeant +de tous les fruits; se faisant aimer et servir par +toutes les créatures; traversant les fleuves à la nage, ou +sur des nacelles que son adresse improvisait; s'habituant +à tous les climats; prenant son sommeil à l'ombre des +forêts, à l'abri dans les grottes, ou dans des tentes de +feuillage qu'elle dressait au coucher du soleil; sachant +tirer le feu d'un caillou ou d'une branche sèche, et partout +louant l'Éternel, chantant ses bienfaits, et implorant +son appui.</p> + +<p>Quand cet être singulier eut fait le tour de la terre et +s'y fut installé comme dans son domaine, les Esprits de +révolte, enchaînés jusque-là par la curiosité, résolurent +de détruire ce qu'ils croyaient être leur ouvrage, et de +bouleverser le globe, afin d'anéantir leur ennemi avec +lui.--Ouvre une crevasse sous ses pieds, dirent-ils à la +terre, et dévore-le dans la gueule béante de tes abîmes.--Mais +la terre refusa d'obéir, et répondit: Celui-ci est +l'envoyé de Dieu, le roi de la création. Ils dirent au volcan +de l'envelopper d'un lac de feu et de faire pleuvoir +sur lui des pierres embrasées; mais le volcan refusa, et +répondit comme la terre. La mer refusa d'inonder, et +l'air de laisser passer la foudre. Alors les Esprits virent +qu'ils n'avaient plus de pouvoir, et, feignant de se soumettre +à l'envoyé de Dieu, ils s'offrirent au Seigneur +pour être les ministres de son favori. Mais Dieu, connaissant +leur dessein, répondit: La mer ne sortira plus +de ses bornes, la terre ne quittera plus la voie que je lui +ai tracée dans l'espace, le soleil ne s'éteindra plus, l'air +ne sera plus infecté de miasmes fétides; vous serez +enchaînés à jamais, et vous obéirez en esclaves, non +pas à mon envoyé, mais à l'ordre que je vous assigne, +et qui est ma parole, la loi éternelle de l'univers. +Quant à celui-ci, que vous ne connaissez pas, c'est mon +oeuvre, et je l'ai faite en souriant pour vous railler et +vous montrer que par vous-mêmes vous ne pouvez rien. +Je lui ai donné les besoins des animaux, un corps frêle, +sans défense et sans vêtement; je l'ai mise nue sur la +terre. Et vous voyez qu'en un jour elle a eu des chaussures, +des vêtements, des esclaves, de quoi pourvoir à +tous ses besoins, et régner sur la force sans posséder la +force. Vous n'avez pas compris où était sa puissance, et +voyant qu'elle n'avait les avantages naturels d'aucun +animal, vous vous êtes demandé comment elle savait +gouverner l'instinct de tous les animaux et leur commander. +C'est que j'ai mis en elle une étincelle de mon +esprit, et qu'elle est à la fois corps et intelligence, matière +et lumière. Allez, et que le monde soit son héritage. +Elle ne vous commandera pas, car elle pourrait, +comme vous, s'enivrer d'orgueil et succomber à son tour. +Allez, et sachez le nom du plus beau de mes anges, c'est +l'homme.</p> +<br> +<h3>II</h3> + +<p>La terre devint donc l'apanage de l'homme: il n'avait +ni ailes d'or, ni auréole de lumière; il ne pouvait contempler +les splendeurs du tabernacle de Jéhovah; mais +la part d'intelligence qu'il avait reçue était si grande, +qu'il savait toutes les merveilles de l'univers sans les +avoir jamais vues, et qu'il aimait Dieu et le servait mieux +que les Séraphins brûlants qui environnent son trône. +Son âme voyait ce que les yeux de son corps ne pouvaient +apercevoir. Il devinait par la réflexion les plus +profonds mystères de la nature, et sa pensée était plus +rapide que l'éclair.</p> + +<p>Ce que voyant, les Esprits jaloux se disaient entre +eux: Dieu a fait pour celui-ci plus que pour nous tous. +Le plus petit insecte, il est vrai, s'élève plus haut que +lui dans l'air qu'il respire; mais le plus puissant des +Archanges ne saurait monter aussi hardiment et aussi +vite dans l'éther de l'immensité que l'esprit de l'homme +par sa volonté.</p> + +<p>Et Dieu, se complaisant dans son ouvrage, créa beaucoup +d'autres hommes semblables au premier, et en +couvrit la face de la terre, en leur disant: La terre est à +vous, cultivez-la, et vivez de ses fruits. Gouvernez les +animaux; les espèces ne périront plus, la terre ne sera +plus ravagée, les plantes et les animaux se reproduiront +toujours, et vous, vous ne mourrez point.</p> + +<p>Les hommes vivaient ensemble, et ils étaient heureux; +ils ne connaissaient pas le mal, et ils étaient purs, sans +avoir la vanité de savoir qu'ils l'étaient; car ils l'étaient +tous également, et ils ne s'imaginaient point que la source +de leur grandeur fût en eux-mêmes. Ils adoraient le +Seigneur, et se servaient de ses dons avec frugalité. Ils +respectaient la vie des animaux, et n'employaient leur +dépouille à leur usage que lorsque les animaux mouraient +selon les lois de la nature. Ils considéraient les +bêtes comme des productions choisies de la matière, +qui, étant douées de sensibilité et d'une sorte de volonté, +avaient des droits sacrés à leur protection. Les bêtes ne +s'enfuyaient pas à leur approche, et comme le chien +obéit encore aujourd'hui à son maître et comprend ses +ordres, le lion, le castor et tous les autres animaux comprenaient +le geste, le regard et l'autorité de l'homme; ils +l'aidaient à bâtir des maisons, des temples, à exécuter +des migrations sur les continents, à cultiver la terre, à +travailler les métaux et à les façonner, non en vile monnaie +ou en armes cruelles, mais en instruments de travail +et en ornements pour les temples.</p> + +<p>Or, tout était commun parmi les hommes, le travail et +les fruits de la terre. Ils se regardaient tous comme +vivant sous la volonté de Dieu, chargés de veiller à l'équilibre +de cette nature dont ils étaient rois; ils s'occupaient +sans cesse à réparer les ravages des précédents +cataclysmes, à dessécher les marais fétides qui corrompaient +l'air et engendraient trop de reptiles et d'insectes, +à ouvrir des canaux pour l'écoulement des lacs et +des étangs, à rassembler en troupeaux les animaux trop +nombreux sur certains points du globe, et à les conduire +vers d'autres régions désertes, à distribuer de +même la végétation selon les climats qui lui convenaient; +car, avant l'homme, la matière, livrée à sa vorace faculté +de produire, s'épuisait sans cesse, et, renaissant de ses +propres débris, offrait partout des ruines auprès des +créations nouvelles. Cet homme, que les Esprits des terribles +éléments avaient pris d'abord pour un souffle +débile dans le corps d'une bête avortée, devint donc, +sans autre magie et sans autre prestige que sa patience +et son industrie, plus puissant que les éléments eux-mêmes. +La terre fut bientôt un jardin si beau et si fécond, +que les anges du ciel venaient s'y promener, et +ne pouvant converser directement avec les hommes, +parce que Dieu l'avait défendu, ils chantaient doucement +dans les brises et dans les flots, et les hommes les +voyaient alors en songe avec les yeux de l'âme.</p> + +<p>Mais il arriva que, la terre étant pacifiée et embellie, +et l'ordre des saisons réglé, le travail devint moins actif. +Les hommes eurent plus de temps à donner à la prière +et à la méditation: leur nombre n'augmentait pas et ne +diminuait pas; il avait été calculé par l'Eternel, pour +opérer les grands travaux, qui se terminaient maintenant, +et l'esprit humain commençait à souffrir de sa +propre force, et à désirer quelque chose au delà de ce +qu'il possédait. Les hommes voulaient, pour faire cesser +leur inquiétude, que Dieu leur accordât un don; mais +ils ne savaient lequel, car ils ne souffraient que parce +qu'ils ne manquaient plus de rien.</p> + +<p>Leur sommeil devint moins paisible; durant les belles +nuits d'été, ils s'asseyaient par groupes sur les hauteurs, +et au lieu de contempler avec bonheur, comme autrefois, +le cours des astres et la beauté de la voûte céleste, +ils soupiraient tristement, et dans leurs cantiques éplorés +ils demandaient à Dieu de faire cesser leur ennui.</p> + +<p>Alors il y en eut qui dirent:--Les bêtes souffrent les +maladies du corps, et elles meurent; les hommes ne +sont pas soumis aux maux de la chair, et ne meurent +pas. Bénissons Dieu. Mais l'esprit de l'homme souffre +une douleur dont il ne sait pas le remède. Demandons à +Dieu qu'il nous ôte la réflexion, et nous laisse seulement +l'intelligence nécessaire pour commander aux animaux.</p> + +<p>Mais cet avis fut combattu par quelques-uns, qui +considéraient la richesse de leur intelligence comme ce +qu'ils avaient de plus précieux au monde.</p> + +<p>Il y en eut alors d'autres qui s'avisèrent d'un désir +plus noble, et dirent:--Nous avons comparé le sommeil +paisible des bêtes aux aspirations de nos veilles +brûlantes, et nous avons découvert les causes de nos +ennuis; dépêchons les oiseaux en messagers aux hommes +de tous les pays. Et quand la foule, accourue de toutes +parts, se fut réunie autour de ces sages, debout sous le +portique des temples, ils parlèrent ainsi:</p> + +<p>--Le malheur de l'homme ne vient pas d'une cause +accidentelle; cette cause est son organisation défectueuse +et le triste destin qu'il accomplit dans l'univers. C'est +un être borné dans ses jouissances, quoique infini dans +ses désirs. Il souffre, et ne sait comment se guérir: cela +est injuste, car les animaux connaissent la plante qui +doit leur rendre l'appétit lorsqu'ils l'ont perdu, et l'âme +de l'homme ne peut embrasser le but de ses vagues désirs. +Mais ce n'est pas le seul avantage que les bêtes +aient sur nous. Elles sont divisées en sexes différents; +c'est pourquoi elles se cherchent, se rapprochent et +s'unissent dans une extase qui les élève au-dessus d'elles-mêmes, +et qui nous est inconnue. Le charme qui les +attire est si puissant, qu'il n'est aucune caresse, aucune +menace de l'homme, aucun attrait de la gourmandise, +aucune injonction de la faim qui les empêche de courir +au fond des bois et des vallées à la suite les unes des autres. +Le tigre ou le lion enfermé loin de sa compagne se +couche en rugissant, et semble renoncer à la vie, car il +refuse toute nourriture. Le cheval séparé de la cavale, +le taureau de la génisse, au temps de leurs amours, +deviennent indociles, et brisent les chariots. Tous devinent +l'approche de leur compagne: le loup sent venir la +louve du fond des forêts ténébreuses, le chien hurle et +tressaille à l'arrivée de la lice sans la voir ni l'entendre; +l'oiseau sait se frayer une route au travers des plaines +immenses de l'air pour aller rejoindre sa compagne: il +n'a vu qu'un point noir vers l'horizon, et pourtant il ne +se trompe pas; l'ibis ne court point après la grue, ni le +chardonneret après la mésange. Qui donc leur enseigne +ces merveilleux instincts qui ne sont pas donnés à +l'homme? C'est l'amour qu'ils ont pour un sexe différent +du leur.</p> + +<p>Quant à nous, nous ne connaissons pas ces sublimes +extases, ces transports de joie et ces caresses enivrantes: +nous aimons à converser ensemble, à partager nos +repas; mais cette amitié n'est pas assez puissante pour +que la séparation soit désespérée, ni pour que le battement +du coeur nous annonce l'approche de l'ami absent. +Nous n'avons que des peines légères et des joies tièdes. +Dieu seul, Dieu notre immortel principe, nous ravit +d'une joie inaccoutumée; mais pouvons-nous toujours +penser à lui? Sa grandeur, que nous adorons, nous +défend-elle de comparer notre destinée à celle des autres +créatures, et de leur envier les biens que nous n'avons pas?</p> + +<p>D'autres hommes se levèrent à leur tour, et dirent:--Les +bêtes ont encore un avantage que nous n'avons +pas. Elles se reproduisent d'elles-mêmes, elles donnent +la vie à des créatures de leur espèce, qui sont leur chair +et leur sang. Il y a plusieurs siècles, avant que la terre +fût tranquille et féconde, la reproduction nous semblait +une tâche pénible, un sceau de misère imprimé à la +matière. Nous avions compassion de la jument obligée +de porter son fruit dans son flanc durant le cours de +plusieurs lunes, de la perdrix forcée de couver patiemment +ses oeufs et de les féconder par la chaleur de son +sein. Nous pensions que l'homme avait assez de cultiver +la terre et de protéger les animaux; que Dieu, dans sa +sagesse, l'avait dispensé du rude travail de la génération, +et lui avait donné l'immortalité, la jeunesse et la +santé éternelle, pour marquer sa royauté sur la terre. +Mais aujourd'hui nos grands travaux sont accomplis. +Les animaux, libres et paisibles sous notre domination, +s'aiment avec plus de bonheur encore, et nous voyons +en eux des joies et des forces que nous n'avons pas. +Nous admirons le soin avec lequel l'hirondelle nourrit +sa compagne accroupie sur ses oeufs, nous admirons +surtout la mère qui décrit de grands cercles dans les +cieux pour attraper une pauvre mouche, dont elle se +prive afin de l'apporter à ses enfants, car les oiseaux à +cette époque sont maigres et malades; mais le gazouillement +de leurs oisillons semble les réjouir plus que toutes +les graines d'un champ, et plus encore peut-être que +les caresses de l'amour. Les plus faibles créatures acquièrent +alors une folle audace pour la défense de ce +qu'elles ont de plus cher: la brebis défend son agneau +contre le loup, et la poule, cachant ses poussins sous +son aile, glousse avec colère quand le renard approche; +c'est elle qui meurt la première, et l'ennemi est forcé +de passer sur son cadavre pour s'emparer de la famille +abandonnée.</p> + +<p>Tout cela n'est-il pas digne d'admiration? et s'il y a +des fatigues et des douleurs attachées à ces devoirs, n'y +a-t-il pas des ravissements et des émotions qui les rachètent? +Quand ce ne serait que pour chasser l'ennui que +nous éprouvons, ne devrions-nous pas les demander à +Dieu?</p> + +<p>Quand ceux-là eurent dit, il y en eut d'autres qui +répondirent:--Avez-vous songé à ce que vous proposez? +Si l'homme se reproduisait sans cesser d'être immortel, +la terre ne pourrait bientôt lui suffire. Voulez-vous +accepter la maladie, la vieillesse et la mort en +échange des biens et des maux dont vous parlez? Lequel +de nous peut concevoir l'idée de mourir? N'est-ce +pas demander à Dieu qu'il fasse de nous la dernière +créature du monde? Lequel de nous voudra renoncer à +être ange?</p> + +<p>--Nous ne sommes pas des anges, reprirent les premiers. +Les anges que nous voyons dans nos rêves ont +des ailes pour parcourir l'immensité, et quoiqu'ils se +révèlent à nous sous une forme à peu près semblable à +la nôtre, cette forme n'est pas saisissable; nous ne pouvons +les retenir au matin, lorsqu'ils s'éloignent; nous +embrassons le vide, ils nous échappent comme notre +ombre au soleil. Ils n'ont de commun avec nous que +l'esprit, lequel n'est que la moitié de nous-mêmes. Nous +appartenons à la terre où notre corps est à jamais fixé. +Si nous sommes condamnés à la misère d'exister corporellement, +pouvons-nous sans injustice être privés +des avantages accordés aux autres animaux? Pourquoi +serions-nous imparfaits et déshérités du bonheur qui leur +est échu?</p> + +<p>Ces différents avis excitèrent dans l'esprit des hommes +une douloureuse inquiétude. Les uns pensaient qu'en +effet la partie physique était incomplète chez eux; les +autres répondaient que l'immortalité, l'absence de maladie +et de caducité, étaient des compensations suffisantes +à cette absence de sexe.</p> + +<p>Et, en effet, rien n'était plus suave et plus paisible +en ce temps-là que le sort de l'homme. N'éprouvant +que des besoins immédiatement satisfaits par la fécondité +de la terre et la liberté commune, la faim, la soif +et le sommeil étaient pour lui une source de jouissance +douce et jamais de douleur. La privation était inconnue; +aucun despotisme social n'imposait les corvées et la fatigue; +il n'y avait ni larmes, ni jalousies, ni injustices, +ni violences. Rien n'était un sujet de rivalité ou de contestation. +L'abondance régnait avec l'amitié et la bienveillance.</p> + +<p>Mais cette secrète inquiétude, qui est la cause de +toutes les grandeurs et de toutes les misères de l'esprit, +tourmentait presque également ceux qui désiraient un +changement dans leur sort et ceux qui le redoutaient.</p> + +<p>Alors les hommes firent de grandes prières dans les +temples, et ils invoquèrent Dieu afin qu'il daignât se +manifester.</p> + +<p>Mais l'Eternel garda le silence; car il veut que les +hommes et les anges soient librement placés entre l'erreur +et la vérité. Autrement l'ange et l'homme seraient +Dieu.</p> +<br> +<h3>III.</h3> + +<p>Mais comme le coeur de l'homme était humble et doux +en ce temps-là, la sagesse éternelle fut touchée; car les +hommes ne disaient pas:--Il nous faut cela, fais-le; +mais ils disaient:--Tu sais ce qui nous convient, sois +béni;--et ils souffraient sans blasphémer.</p> + +<p>La Sagesse, la Miséricorde et la Nécessité, les trois +essences infinies du Dieu vivant, tinrent conseil dans le +sein de l'Eternel; et comme il fallait que l'homme connût +l'amour ou la mort, la matière ne pouvant s'augmenter +indéfiniment, l'Esprit saint dit par la bouche de la Sagesse:</p> + +<p>«Livrons l'homme aux chances de sa destinée; que +sa vie sur la terre soit éphémère et douloureuse, qu'il +connaisse le bien et le mal, et qu'entre les deux il soit +libre de choisir.»</p> + +<p>Alors le Verbe de miséricorde ajouta: «Que dans la +douleur il ait pour remède l'espérance, et dans le bonheur +pour loi la charité.»</p> + +<p>Jéhovah envoya donc ses anges sur la terre en leur +disant: «Qu'il soit fait à chaque homme selon son désir.»</p> + +<p>Et l'ange étant entré la nuit dans la demeure des +hommes, et au nom de l'Eternel ayant interrogé leurs +pensées, il n'en trouva qu'un seul qui désirât l'amour +au point d'accepter la mort sans crainte. C'était un de +ceux qui n'avaient jamais rien demandé au Seigneur. +Il vivait retiré sur une montagne, occupé le soir à contempler +les étoiles, et le jour à nourrir les chevrettes +et les chamois. C'était une âme forte et un des plus beaux +parmi les anges terrestres.</p> + +<p>L'ange du sommeil l'appela, et lui dit comme aux +autres hommes:--Fils de Dieu, demandes-tu la fille +de Dieu? Et cet homme, au lieu de répondre en frissonnant +comme les autres: Que la volonté de Dieu soit +faite, s'écria, en se soulevant sur sa couche:--Où est +la fille de Dieu? L'ange lui répondit:--Sors de ta demeure, +tu la trouveras au bord de la source, elle vient +vers toi, elle vient du sein de Dieu.</p> + +<p>Alors l'ange disparut, et l'homme, s'étant levé plein +de surprise, se sentit accablé d'une grande tristesse; +car il pensa que c'était un vain songe, et que la fille de +Dieu n'était pas au bord de la source.</p> + +<p>Cependant il se leva et sortit de sa demeure, et il +trouva la fille de Dieu qui marchait vers lui, mais qui, +le voyant venir, s'arrêta tremblante au bord de la +source.</p> + +<p>Et comme la source était sombre, et qu'il distinguait +à peine une forme vague, il lui dit:--Etes-vous la fille +de Dieu?--Oui, répondit-elle, et je cherche le fils de +Dieu.</p> + +<p>--Je suis le fils de Dieu, reprit l'homme, vous êtes +ma soeur et mon amour. Que venez-vous m'annoncer de +la part de Dieu?</p> + +<p>--Rien, répondit la femme, car Dieu ne m'a rien +enseigné, et je ne sais pourquoi il m'envoie. Il y a un +instant que j'existe; j'ai entendu une voix qui m'a dit: +«Fille de Dieu, va sur la terre, et tu trouveras le fils +de Dieu qui t'attend.» J'ai reconnu que c'était la voix +de l'Eternel, et je suis venue.</p> + +<p>L'homme lui dit:--Suis-moi, car tu es le don de +Dieu, et tout ce qui m'appartient t'appartient.</p> + +<p>Il marcha devant elle, et elle le suivit jusqu'à la porte +de sa demeure, qui était faite de bois de cèdre et recouverte +d'écorce de palmier. Il y avait un lit de mousse +fraîche; l'homme cueillit les fleurs d'un rosier qui tapissait +le seuil, et, les effeuillant sur sa couche, il y fit +asseoir la femme en lui disant:--L'Eternel soit béni.</p> + +<p>Et, allumant une torche de mélèze, il la regarda, et +la trouva si belle qu'il pleura, et il ne sut quelle rosée +tombait de ses yeux, car jusque-là l'homme n'avait jamais +pleuré.</p> + +<p>Et l'homme connut la femme dans les pleurs et dans +la joie.</p> + +<p>Quand l'étoile du matin vint à pâlir sur la mer, +l'homme s'éveilla, il ne faisait pas encore jour dans sa +demeure. Se souvenant de ce qui lui était arrivé, il +n'osait point tâter sa couche, car il craignait d'avoir fait +un rêve, et il attendit le jour, désirant et redoutant ce +qu'il attendait.</p> + +<p>Mais la femme, qui s'était éveillée, lui parla, et sa +voix fut plus douce à l'homme que celle de l'alouette qui +venait chanter sur sa fenêtre au lever de l'aube.</p> + +<p>Mais aussitôt il se mit à verser des pleurs d'amertume +et de désolation.</p> + +<p>Ce que voyant, elle pleura aussi, et lui dit:--Pourquoi +pleures-tu?</p> + +<p>--C'est, dit l'homme, que je t'ai, et que bientôt je +ne t'aurai plus, car il faut que je meure; c'est à ce prix +que je t'ai reçue de l'Eternel. Avant de te voir, je ne +m'inquiétais pas de mourir; la faiblesse et la peur sont +entrées en moi avec l'amour. Car tu vaux mieux que la +vie, et pourtant je te perdrai avec elle.</p> + +<p>La femme cessa de pleurer, et, avec un sourire qui +fit passer dans le coeur de l'homme une espérance inconnue, +elle lui dit:--Si tu dois mourir, je mourrai +aussi, et j'aime mieux un seul jour avec toi que l'éternité +sans toi.</p> + +<p>Cette parole de la femme endormit la douleur de +l'homme. Il courut chercher des fruits et du lait pour la +nourrir, et des fleurs pour la parer. Et, dans le jour, +quand il se remit au travail, il planta de nouveaux arbres +fruitiers, en songeant au surcroît de besoins que la présence +d'un nouvel être apportait dans sa retraite, sans +songer qu'un arbre serait moins prompt à grandir que +lui et la femme à mourir.</p> + +<p>Cependant le souci avait pénétré chez lui avec la +femme. La pensée de la mort empoisonnait toutes ses +joies. Il priait Dieu avec plus de crainte que d'amour; +les moindres bruits de la nuit l'effrayaient, et, au lieu +d'écouter avec une religieuse admiration les murmures +des grandes mers, il tressaillait sur son lit, comme si la +voix des éléments eût pleuré à son oreille, comme si les +oiseaux de la tempête lui eussent apporté des nouvelles +funèbres. La femme était plus courageuse ou plus imprévoyante. +Ses faibles membres se fatiguaient vite, et, +quand son époux trouvait dans le travail une excitation +douloureuse, elle s'étendait nonchalante sur les fleurs de +la montagne, et s'endormait dans une sainte langueur en +murmurant des paroles de bénédiction pour son époux et +pour son Dieu.</p> + +<p>Elle ne savait rien des choses de la terre où elle venait +d'être jetée; elle trouvait partout de la joie, et ne +s'effrayait de rien. La brièveté de la vie, si terrible pour +l'homme, lui semblait un bienfait de la Providence. +L'homme la contemplait chaque jour avec une surprise +et une admiration nouvelles. Il la regardait comme supérieure +à lui, malgré sa faiblesse, et souvent il lui disait:--Tu +n'es pas ma soeur, tu n'es pas ma femme, tu es +un ange que Dieu m'a envoyé pour me consoler, et qu'il +me reprendra peut-être dans quelques jours, car il est +impossible que tu meures. Une si belle création ne peut +pas être anéantie. Promets-moi que, si tu me vois mourir, +tu retourneras aux cieux pour n'appartenir à personne +après moi.</p> + +<p>Et elle promettait en souriant tout ce qu'il voulait, car +elle ne savait pas si elle était immortelle, elle ne s'en inquiétait +pas, pourvu que son époux lui répétât sans cesse +qu'il l'aimait plus que sa vie.</p> + +<p>Or, ils vivaient sur une montagne élevée, loin des +lieux habités par les autres hommes; car l'époux de la +femme, tourmenté de crainte, avait transporté sa demeure +et ses troupeaux dans le désert, afin de mieux +cacher le trésor qui faisait son bonheur et ses angoisses.--Je +ne comprends pas, lui disait-il, le sentiment que +vous m'avez inspiré pour mes frères. Je les chérissais +avant de vous connaître, et, malgré mon goût pour la +solitude, j'aurais tout partagé volontiers avec eux. Quand +je descendais dans la vallée aux jours de fête, leur vue +réjouissait mon âme, et je priais avec plus de ferveur +prosterné au milieu d'eux dans le temple. Aujourd'hui +leur approche m'est odieuse, et quand je les vois de loin +je me cache, de peur qu'ils ne m'abordent et ne cherchent +à pénétrer aux lieux où vous êtes. A la seule idée +qu'un de mes frères pourrait vous apercevoir, je frissonne +comme si l'heure de ma mort était venue. L'autre jour +j'ai vu près d'ici la trace d'un pied humain sur le sable, +et j'aurais voulu être un rocher pour attendre au bord du +sentier l'audacieux qui pouvait revenir, et l'écraser à son +passage. Mais, hélas! ajoutait-il, les autres hommes sont +immortels, et seul je puis craindre la chute d'un rocher. +Si je tombais dans un précipice, vous descendriez dans +la vallée pour être nourrie et protégée par un autre +homme, et vous m'auriez bientôt oublié; car il n'est pas +un de ces immortels qui ne fît le sacrifice de son immortalité +pour vous posséder. C'est pourquoi, malgré mon +amour pour vous, je ne puis m'empêcher de désirer que +la mort vous atteigne aussi tôt que moi.</p> + +<p>Et la femme lui répondait:--Si tu tombais dans un +ravin, je m'y jetterais après toi; et si Dieu me refusait la +mort, je mutilerais mon corps et je détruirais ma beauté +pour ne pas plaire à un autre.</p> + +<p>Lorsque la femme mit au monde son premier-né, il +lui sembla que sa mort était proche, car elle sentait de +grandes douleurs; et comme son époux criait avec angoisses +vers le Seigneur, elle lui dit:--Ne pleurez point +et réjouissez-vous, car mon corps se brise, et mon âme +est heureuse de ce qui m'arrive; je sens que je ne suis +pas immortelle, et que je ne resterai pas sans vous sur +la terre.</p> + +<p>L'époux de la femme fut rencontré dans les montagnes +par quelques-uns de ses frères, et ceux-ci virent qu'il +était pâle et maigri, et qu'une singulière inquiétude était +répandue sur sa figure. Ils racontèrent ce qu'ils avaient +vu; et comme jusque-là les fatigues et l'ennui n'avaient +point été assez rudes à l'esprit de l'homme pour que son +corps indestructible pût en recevoir une telle altération, +chacun s'étonna de ce qu'il entendait de la bouche de ces +témoins, comme s'ils eussent annoncé l'apparition d'une +nouvelle race dans le monde, ou une perturbation dans +l'ordre de la nature.</p> + +<p>Plusieurs, entraînés par la curiosité, s'enfoncèrent +dans les montagnes pour chercher leur frère; mais il +avait si bien caché sa demeure derrière les lianes des +forêts et les pics des rochers, qu'il se passa plusieurs +années avant qu'on la découvrît. Enfin il fut rencontré, et +ceux qui le virent s'écrièrent:--Homme, quel mal as-tu +fait pour être ainsi vieilli et malade comme les animaux +périssables? Il répondit:--Je ne ressemble pas à mes +frères, mais je n'ai fait aucun mal, et Dieu m'a visité et +révélé plusieurs secrets que je vous enseignerai. Il parlait +ainsi pour donner le change à leur curiosité, et pendant +la nuit il essaya de transporter sa famille dans un lieu +encore plus inaccessible. Mais le jour le surprit avant +qu'il fût parvenu à sa nouvelle retraite, et il fut rencontré +avec sa femme montée sur un âne sauvage, et ses enfants, +dont le plus jeune était dans ses bras.</p> + +<p>A cette vue, les voyageurs se prosternèrent; la femme +leur parut si belle qu'ils la prirent pour un ange; et, +malgré la résistance de l'époux, ils l'entraînèrent dans +la vallée, la firent entrer dans le temple, et, lui élevant +un autel, ils l'adorèrent. Ce fut la première idolâtrie.</p> + +<p>L'époux espérait que le respect les empêcherait de +convoiter cette femme; mais elle, craignant d'offenser +le Seigneur, brisa les liens de fleurs dont on l'avait enlacée, +et tomba dans les bras de son époux en s'écriant:--Je +ne suis point une divinité, mais une esclave de +Dieu, une créature périssable et faible, la femme et la +soeur de cet homme. Je lui appartiens, parce que Dieu +m'a envoyée vers lui; si vous essayez de m'en séparer, +je me briserai la tête contre cet autel, et vous me verrez +mourir, car je suis mortelle, et mon époux l'est aussi.</p> + +<p>A ces mots, les voyageurs éprouvèrent une émotion +inconnue, et furent saisis d'une sympathie étrange pour +ces deux infortunés; comme ils étaient bons et justes, +ils respectèrent la fidélité de la femme. Ils la contemplèrent +avec admiration, prirent ses enfants dans leurs +bras, et, ravis de leur beauté délicate et de leurs naïves +paroles, ils se mirent à les aimer.</p> + +<p>Alors le peuple immortel, tombant à genoux, s'écria:--O +Dieu, ôte-nous l'immortalité, et donne à chacun +de nous une femme comme celle-ci; nous aimerons ses +enfants, et nous travaillerons pour notre famille jusqu'à +l'heure où tu nous enverras la mort; nous te bénirons +tous les jours si tu exauces notre voeu.</p> + +<p>La voûte du temple fut enlevée par une main invisible, +un escalier ardent, dont chaque marche était une nuance +de l'arc-en-ciel, parut se dérouler jusqu'à la terre. Du sommet +invisible de cet escalier, on vit descendre des formes +vagues et lumineuses, qui peu à peu se dessinèrent en +se rapprochant; des choeurs de femmes plus belles que +toutes les fleurs de la terre et toutes les étoiles des cieux +remplirent le sanctuaire en chantant; un ange était +venu s'abattre sur le dernier degré, et à chaque femme +qui le franchissait, il appelait un homme qu'il choisissait +selon les desseins de Dieu, et mettait la main de l'époux +dans la sienne.</p> + +<p>Quelques hommes, cependant, voulurent conserver +leur immortalité. Mais l'amour de la femme était si enivrant +et si précieux, qu'ils ne purent résister au désir +de le goûter, et qu'ils essayèrent de séduire les femmes +de leurs frères. Mais ils moururent de mort violente; +Dieu les châtia, afin que le premier crime commis sur +la terre n'eût point d'imitateurs.</p> + +<p>Pendant longtemps, malgré les souffrances de cette +race éphémère, l'âge d'or régna parmi les hommes, et +la fidélité fut observée entre les époux.</p> + +<p>Mais peu à peu le principe divin et immortel qui avait +animé les premiers hommes s'affaiblissant de génération +en génération, l'adultère, la haine, la jalousie, la violence, +le meurtre et tous les maux de la race présente +se répandirent dans l'humanité; Dieu fut obligé de voiler +sa face et de rappeler à lui ses anges. La Providence devint +de plus en plus mystérieuse et muette, la terre +moins féconde, l'homme plus débile, et sa conscience +plus voilée et plus incertaine. Les sociétés inventèrent, +pour se maintenir, des lois qui hâtèrent leur chute; la +vertu devint difficile et se réfugia dans quelques âmes +choisies. Mais Dieu infligea pour châtiment éternel à cette +race perverse le besoin d'aimer. A mesure que les lois +plus absurdes ou plus cruelles multipliaient l'adultère, +l'instinct de mutuelle fidélité devenait de jour en jour +plus impérieux: aujourd'hui encore il fait le tourment +et le regret des coeurs les plus corrompus. Les courtisanes +se retirent au désert pour pleurer l'amour qu'elles +n'ont plus droit d'attendre de l'homme, et la demandent +à Dieu. Les libertins se désolent dans la débauche et +appellent avec des sanglots furieux une femme chaste et +fidèle qu'ils ne peuvent trouver. L'homme a oublié son +immortalité; il s'est consolé de ne plus être l'égal des +anges, mais il ne se consolera jamais d'avoir perdu +l'amour, l'amour qui avait amené la mort par la main, et +si beau qu'il avait obtenu grâce pour la laideur de cette +soeur terrible: il ne sera guéri qu'en le retrouvant. Car, +écoutez les Juifs: ils disent que la femme a apporté en +dot le péché et la mort, mais ils disent aussi qu'au dernier +jour elle écrasera la tête du serpent, qui est le génie +du mal....</p> + +<p>Comme Myrza achevait les derniers versets de son +poëme, des prophètes austères, qui l'avaient entendue, +dirent au peuple assemblé autour d'elle:--Lapidez cette +femme impie; elle insulte à la vraie religion et à toutes +les religions, en confondant sous la forme allégorique les +dogmes et les principes de toutes les genèses. Elle joue +sur les cordes de son luth avec les choses les plus saintes, +et la poésie qu'elle chante est un poison subtil qui égare +les hommes. Ramassez des pierres et lapidez cette +femme de mauvaise vie, qui ose venir ici prêcher les +vertus qu'elle a foulées aux pieds; lapidez-la, car ses +lèvres souillées profanent les noms de divinité et de +chasteté.</p> + +<p>Mais le peuple refusa de lapider Myrza.--La vertu, +répondit un vieux prêtre d'Esculape, est comme la +science: elle est toujours belle, utile et sainte, quelle +que soit la bouche qui l'annonce, et nous tirons des +plantes les plus humbles que chaque jour le passant foule +sur les chemins un baume précieux pour les blessures. +Laissez partir cette sibylle; elle vient souvent ici, nous la +connaissons et nous l'aimons. Ses fictions nous plaisent, à +nous, vieux adorateurs des puissants dieux de l'Olympe, +et les jeunes partisans des religions nouvelles y trouvent +un fonds de saine morale et de douce philosophie. +Nous l'écoutons en souriant, et nos femmes lui font +d'innocents présents de jeunes agneaux et de robes de +laine sans tache. Qu'elle parle et qu'elle revienne, nous +ne la maudissons point; et si ses voies sont mauvaises, +que Minerve les redresse et l'accompagne.</p> + +<p>--Mais nous parlons au nom de la vertu, reprirent les +prophètes; nous avons fait serment de ne jamais connaître +un embrassement féminin.....</p> + +<p>--Hier, interrompit une femme, d'autres prophètes +nous engageaient, au nom de je sais quel nouveau dieu, +à nous abandonner à notre appétit; et la veille, d'autres +nous disaient d'être esclaves d'un seul maître: les uns +fixent la chasteté d'une femme au nombre de sept maris, +les autres veulent qu'elle n'en ait point, nous ne savons +plus à qui entendre. Mais ce que dit cette Myrza +nous plaît: elle nous amuse et ne nous enseigne point. +Que ses fautes soient oubliées, et qu'elle soit vêtue d'une +robe de pourpre, pour être conduite au temple du Destin, +qui est le dieu des dieux.</p> + +<p>Et comme les disciples des prophètes furieux s'acharnaient +à la maudire, et ramassaient de la boue et des +pierres, le peuple prit parti pour elle, et voulut la porter +en triomphe. Mais elle se dégagea, et, montant sur le +dromadaire qui l'avait amenée, elle dit à ce peuple en +le quittant:--Laissez-moi partir, et si ces hommes vous +disent quelque chose de bon, écoutez-le, et recueillez-le +de quelque part qu'il vienne. Pour moi, je vous ai dit +ma foi, c'est l'amour. Et voyez pourtant que je suis +seule, que j'arrive seule, et que je pars seule.... Alors +Myrza répandit beaucoup de larmes, puis elle ajouta:--Comprenez-vous +mes pleurs, et savez-vous où je +vais?</p> + +<p>Et elle s'en alla par la route qui mène au désert de +Thébaïde. + +<span class="rig">GEORGE SAND.</span></p> +<br><br><br> + +<h1>HAMLET.</h1> + +<p>O Hamlet, dis-nous le secret de ta douleur immense, et +pourquoi nous nous sentons vibrer autour de toi, comme +autant d'échos de ta plainte mystérieuse? Est-ce seulement +qu'on a assassiné ton père, et que tu ne te sens pas +la force de le venger? C'est là une destinée tragique, mais +exceptionnelle et bizarre, qui se peint seulement à notre +imagination et qui ne remuerait guère nos coeurs, s'il n'y +avait pas en toi autre chose qu'un souvenir, une vision +et un serment. Hamlet le danois<a id="footnotetag1" name="footnotetag1"></a> +<a href="#footnote1"><sup class="sml">1</sup></a>, que nous importe à +nous, hommes d'aujourd'hui, le crime d'une reine, le +meurtre d'un roi, et la colère d'un prince dépossédé? Nous +avons vu bien d'autres drames de sang que ce drame +imaginaire où ton prestige nous entraîne. Quel mystère +de poignante sympathie le poëte qui t'a donné l'être, a-t-il +donc enfermé dans ton sein et comme attaché à ton nom?</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote1" +name="footnote1"><b>Note 1: </b></a><a href="#footnotetag1"> +(retour) </a> This is I. Hamlet the dane!...</blockquote> + +<p>Création sublime, n'est-ce donc pas que tu résumes en +toi toutes les souffrances d'une âme pure jetée au milieu +de la corruption et condamnée à lutter contre le mal qui +l'étreint et la brise? Il n'y a pas d'autre fatalité dans ta +vie, Hamlet, et ton délire n'a pas d'autre cause. Jeune, +tendre et confiant, l'âme ouverte à l'amour et à l'amitié, +la découverte du crime commis dans ta maison vient bouleverser +toutes tes affections, toutes tes croyances. Tu +pleurais un mort chéri, et tu t'étonnais de le pleurer seul. +Un vague soupçon planait à peine sur ton esprit: tout à +coup ce soupçon devient certitude; une vision déchirante, +un songe peut-être, t'a éclairé, et dès lors, frappé de vertige, +tu sens ta raison ébranlée, et ta vie n'est plus qu'un +accès de délire amer et sombre.</p> + +<p>Car tu es fou, Hamlet, et tu ne mens pas quand tu dis:</p> + +<p class="mid"><i>His madness is poor Hamlet's ennemy.</i></p> + +<p>On ne se joue pas impunément avec la folie, et, d'ailleurs, +le choix de ton rôle de fou atteste que tu es dominé +par la préoccupation, l'angoisse et la terreur de la démence. +Tu ne feins pas à la manière de Brutus, car tu +n'es pas l'austère Brutus. Amoureux et poëte, rêveur +tendre et studieux écolier, tu n'as rien de cette nature +implacable et patiente du conspirateur. Pauvre Hamlet, +ton âme est trop fière et trop aimante pour supporter la +douleur et couver la vengeance. Te voilà forcé de haïr les +hommes, toi qui naquis pour les aimer, et dès ce premier +choc te voilà brisé sans retour. C'est l'horreur du crime, +le mépris du mensonge et l'effroi du mal, qui mettent +tous les éléments de ton être en guerre les uns contre les +autres. Oh! qui ne te plaindrait d'être ainsi détourné de +tes voies et lancé sur une pente fatale!</p> + +<p>L'harmonie de tes facultés est bien amèrement troublée, +ô victime de l'iniquité! Aux heures où tu philosophes +sur la vie et sur la mort, sur le mystère de la tombe et +la peur de l'inconnu, tu sembles avoir retrouvé toutes les +lumières de ton intelligence: mais c'est à ces heures-là +même que nous devinons le mieux ton désastre, ce désastre +moral dont tu ne peux plus mesurer l'étendue, et +qui se voile en vain sous de brillantes et solennelles +paroles. Plus que jamais divisé contre toi-même, peut-on +dire que, dans ces moments de rêverie où ton âme quitte +la terre, tu t'appartiennes réellement? Non, car alors le +souvenir de tes maux et de tes excès est comme effacé de +ta mémoire affaiblie, et la moitié de ton âme est paralysée. +Lorsque tu te demandes ce que c'est qu'<i>être ou +n'être pas, mourir ou dormir... ou rêver!...</i> tu ne vois +pas Ophélia agenouillée près de toi; et lorsque tu songes +au destin d'Alexandre et au néant de la gloire, en soulevant +le crâne d'Yorick, tu ne te souviens pas du meurtre +que tu as commis, et de ton amante que tu as rendue +folle. Tu n'as même pas songé à t'enquérir de son sort; +tu ne te doutes pas que c'est sa fosse que tu regardes +creuser. Il est donc des heures où ton pauvre coeur est +mort, et alors ton intelligence se perd dans des abstractions +où tu n'as pas la notion distincte de ton propre malheur. +Est-ce un état de raison que celui où le cerveau +fonctionne dans l'oubli absolu des déchirements du coeur? +L'homme n'est-il pas décomplété quand il ne peut plus +penser et sentir que séparément et tour à tour?</p> + +<p>Qu'on ne nous dise donc plus que tu n'es pas fou, car +tu serais odieux, et nous sentons si bien au contraire que +tu ne t'appartiens plus, que ta violence et ta cruauté +nous font plus souffrir que toi-même.</p> + +<p>Le noble Hamlet brise la frêle Ophélia en brisant l'amour +dans son propre sein, et il ne comprend pas qu'il +la tue. Il ne la reconnaît que dans son linceul, et ses regrets +disent sa surprise et son repentir. Le noble Hamlet +brise l'orgueil impuni de sa mère, et son propre coeur se +brise de remords et de pitié en accomplissant ce devoir +effroyable. Le noble Hamlet raille et insulte Laërte, et +bientôt il s'accuse et se repent devant lui, mais sans paraître +se rendre compte du mal qu'il lui a fait, et en lui +disant: «Le ciel m'est témoin que je vous ai toujours +aimé.» Partout Hamlet est noble et bon, mais aussi partout +Hamlet est hors de lui et gouverné par la démence, +démence rêveuse et accablante quand il est seul ou avec +Horatio, démence furieuse et méprisante quand il est en +contact avec les sots et les méchants de ce monde.</p> + +<p>La folie est toujours ou si repoussante, ou si navrante, +que nous en détournons les yeux avec effroi. La pauvre +Ophélia elle-même, si pure, si douce et si belle, n'a le +don de nous intéresser qu'un instant, après que sa raison +l'a abandonnée. Son délire est trop complet, bien qu'inoffensif. +Ce n'est là qu'une douleur toute personnelle. D'où +vient donc, ô triste Hamlet, que ta folie, à toi, nous attache +et nous passionne du commencement à la fin? C'est +à cause que ta douleur est la nôtre à tous, et c'est cela +qui la fait si humaine et si vraie. C'est ce dessèchement +qui se fait en toi de toutes les sources de la vie, l'amour, +la confiance, la franchise et la bonté. C'est ce déplorable +adieu que tu es forcé de dire à la paix de la conscience +et aux instincts de ta tendresse. C'est cette nécessité de +devenir ombrageux, hautain, violent, ironique, vindicatif +et cruel. C'est cette fatalité qui arme contre ton semblable +ta main loyale et brave. C'est cet amour même du vrai et du +juste qui te condamne à devenir stupide ou méchant; et, ne +pouvant être ni l'un ni l'autre, tu te sens devenir fou:</p> + +<p class="mid"> + <i>They fool me to the top of my bent<br> +They compell me to play the fool till I can endure to do it no longer.</i> +</p> + +<p>Hélas! cette amertume de ta vie, ce désespoir tour à +tour furieux et morne se résument en un cri intérieur +dont le retentissement se fait en nous tous, et qui peut +se traduire ainsi: Mon Dieu, pourquoi des méchants +parmi nous? Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi le mal dans +ton oeuvre?</p> + +<p>Oui, te voilà tout entier, Hamlet, dans ce cri de l'humanité +révoltée contre elle-même. Voilà le secret de tes +larmes, de tes fureurs et de tes épouvantes. Voilà le secret +de notre pitié, de notre tendresse et de notre effroi +pour ton mal. Lequel de nous oserait dire, quand il contemple +l'étendue de ce mal auquel la terre est livrée, qu'il +sera plus fort, plus juste et plus patient que toi? Lequel +de nous, quand il s'égare aux abstractions de la métaphysique, +ou, quand il s'abandonne aux entraînements de la +réalité, aux jouissances de l'esprit, aux amusements de +la jeunesse, aux espérances de l'amour, oserait s'assurer +qu'il n'est pas un fou, un esprit débile et troublé en qui +le souvenir de l'inévitable fatalité s'efface trop aisément, +en qui le moi égoïste ou frivole étouffe le sentiment de la +vérité et le culte de la sagesse? Soit que nous cherchions +dans les livres la cause du malheur et de l'impuissance +de l'homme, soit que nous demandions ce secret fatal à +la rêverie, soit que nous tâchions de nous y soustraire +par l'étourdissement du plaisir, nous sommes toujours +des infirmes de corps et d'esprit, dominés par d'insondables +mystères, épouvantés avec excès, oublieux avec +ivresse, poltrons ou fanfarons, prompts à épuiser la coupe +de nos joies, prompts à nous lasser de la recherche du +vrai, et tristes surtout, toujours tristes!</p> + +<p>Pleure, Hamlet, pleure! Il n'y a vraiment que des sujets +de larmes ici-bas! Tremble aussi; car il n'est rien de si +effrayant que notre destinée en ce monde. Tue et meurs, +détruis et disparais: c'est le sort de l'homme. Depuis le +berceau jusqu'à la tombe, depuis Adam jusqu'à toi, +Hamlet, depuis tes jours jusqu'aux nôtres, la voix de la +terre est un éternel sanglot qui se perd dans l'éternel +silence des cieux.<span class="rig">GEORGE SAND.</span></p> + + + + + + + + +<br><br> + + + + + + + + + + +<pre> + + + + + +End of Project Gutenberg's Le poëme de Myrza - Hamlet, by George Sand + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LE POËME DE MYRZA - HAMLET *** + +***** This file should be named 28623-h.htm or 28623-h.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + https://www.gutenberg.org/2/8/6/2/28623/ + +Produced by Carlo Traverso, Rénald Lévesque and the Online +Distributed Proofreading Team at https://www.pgdp.net (This +file was produced from images generously made available +by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at +http://gallica.bnf.fr) + + +Updated editions will replace the previous one--the old editions +will be renamed. + +Creating the works from public domain print editions means that no +one owns a United States copyright in these works, so the Foundation +(and you!) can copy and distribute it in the United States without +permission and without paying copyright royalties. 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It exists +because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from +people in all walks of life. + +Volunteers and financial support to provide volunteers with the +assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg-tm's +goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will +remain freely available for generations to come. In 2001, the Project +Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure +and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations. +To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation +and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 +and the Foundation web page at https://www.pglaf.org. + + +Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive +Foundation + +The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit +501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the +state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal +Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification +number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at +https://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent +permitted by U.S. federal laws and your state's laws. + +The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S. +Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered +throughout numerous locations. Its business office is located at +809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email +business@pglaf.org. 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