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+The Project Gutenberg EBook of L'oiseau blanc, by Denis Diderot
+
+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
+re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
+with this eBook or online at www.gutenberg.org
+
+
+Title: L'oiseau blanc
+ conte bleu
+
+Author: Denis Diderot
+
+Editor: Jules Assézat
+
+Release Date: April 25, 2009 [EBook #28605]
+
+Language: French
+
+Character set encoding: ISO-8859-1
+
+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'OISEAU BLANC ***
+
+
+
+
+Produced by Laurent Vogel and the Online Distributed
+Proofreading Team at https://www.pgdp.net (This file was
+produced from images generously made available by the
+Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at
+http://gallica.bnf.fr)
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+[Extrait des OEuvres complètes de Diderot, éditées par Jules Assézat,
+tome quatrième, Paris, Garnier Frères, 1875.]
+
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+
+L'OISEAU BLANC
+
+CONTE BLEU
+
+(Écrit vers 1748.--Publié en 1798.)
+
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+
+Ce conte est de la même époque que les _Bijoux indiscrets_. Les mêmes
+personnages s'y retrouvent, mais la licence y est beaucoup moindre. Il
+resta inconnu jusqu'à la publication qu'en fit Naigeon dans son édition
+des _OEuvres_ de Diderot en 1798. C'était lui que cherchait M. Berrier,
+le lieutenant de police, quand Mme Diderot lui répondit qu'elle ne
+connaissait de son mari «ni pigeon noir, ni pigeon blanc,» et que
+d'ailleurs elle ne le croyait pas capable d'attaquer le roi, comme on
+l'en accusait à l'occasion de ce conte. On jugera si la femme du
+philosophe avait raison. Pour nous, il ne nous paraît y avoir là, comme
+dans les _Bijoux_, que des rapprochements trop vagues entre Mangogul et
+Louis XV, pour permettre de soutenir une opinion qui rendrait criminels
+tous les romans du XVIIIe siècle aussi bien que toutes les féeries du
+XIXe. Il faut toujours qu'il arrive un moment, dans l'histoire des
+peuples, où, la civilisation se répandant, le principe d'autorité se
+montre sous son vrai jour. On s'aperçoit alors que les rois sont des
+hommes, et quand une fois tout le monde le sait, les écrivains qui le
+disent, ne faisant plus que broder un lieu commun, n'ont ni mérite ni
+démérite: ils n'ont qu'un peu plus ou un peu moins d'esprit.
+
+Nous pensons n'avoir pas besoin d'expliquer au lecteur l'allégorie de
+_l'Oiseau blanc_; ils l'apercevront, sans aucun doute, avant la Sultane.
+
+
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+
+L'OISEAU BLANC
+
+CONTE BLEU
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+
+
+
+PREMIÈRE SOIRÉE.
+
+
+La favorite se couchait de bonne heure et s'endormait fort tard. Pour
+hâter le moment de son sommeil, on lui chatouillait la plante des pieds
+et on lui faisait des contes; et pour ménager l'imagination et la
+poitrine des conteurs, cette fonction était partagée entre quatre
+personnes, deux émirs et deux femmes. Ces quatre improvisateurs
+poursuivaient successivement le même récit aux ordres de la favorite. Sa
+tête était mollement posée sur son oreiller, ses membres étendus dans
+son lit et ses pieds confiés à sa chatouilleuse, lorsqu'elle dit:
+«Commencez;» et ce fut la première de ses femmes qui débuta par ce qui
+suit.
+
+LA PREMIÈRE FEMME.
+
+Ah! ma soeur, le bel oiseau! Quoi! vous ne le voyez pas entre les deux
+branches de ce palmier passer son bec entre ses plumes et parer ses
+ailes et sa queue? Approchons doucement; peut-être qu'en l'appelant il
+viendra; car il a l'air apprivoisé, «Oiseau mon coeur, oiseau mon petit
+roi, venez, ne craignez rien; vous êtes trop beau pour qu'on vous fasse
+du mal. Venez; une cage charmante vous attend; ou si vous préférez la
+liberté, vous serez libre.»
+
+L'oiseau était trop galant pour se refuser aux agaceries de deux jeunes
+et jolies personnes. Il prit son vol et descendit légèrement sur le sein
+de celle qui l'avait appelé. Agariste, c'était son nom, lui passant sur
+la tête une main qu'elle laissait glisser le long de ses ailes, disait à
+sa compagne: «Ah! ma soeur, qu'il est charmant! Que son plumage est
+doux! qu'il est lisse et poli! Mais il a le bec et les pattes couleur de
+rose et les yeux d'un noir admirable!»
+
+LA SULTANE.
+
+Quelles étaient ces deux femmes?
+
+LA PREMIÈRE FEMME.
+
+Deux de ces vierges que les Chinois renferment dans des cloîtres.
+
+LA SULTANE.
+
+Je ne croyais pas qu'il y eût des couvents à la Chine.
+
+LA PREMIÈRE FEMME.
+
+Ni moi non plus. Ces vierges couraient un grand péril à cesser de l'être
+sans permission. S'il arrivait à quelqu'une de se conduire
+maladroitement, on la jetait pour le reste de sa vie dans une caverne
+obscure, où elle était abandonnée à des génies souterrains. Il n'y avait
+qu'un moyen d'échapper à ce supplice, c'était de contrefaire la folle ou
+de l'être. Alors les Chinois qui, comme nous et les Musulmans, ont un
+respect infini pour les fous, les exposaient à la vénération des peuples
+sur un lit en baldaquin, et, dans les grandes fêtes, les promenaient
+dans les rues au son de petites clochettes et de je ne sais quels
+tambourins à la mode, dont on m'a dit que le son était fort harmonieux.
+
+LA SULTANE.
+
+Continuez; fort bien, madame. Je me sens envie de bâiller.
+
+LA SECONDE FEMME.
+
+Voilà donc l'oiseau blanc dans le temple de la grande guenon couleur de
+feu.
+
+LA SULTANE.
+
+Et qu'est-ce que cette guenon?
+
+LA SECONDE FEMME.
+
+Une vieille Pagode très-encensée, la patronne de la maison. D'aussi loin
+que les vierges compagnes d'Agariste l'aperçurent avec son bel oiseau
+sur le poing, elles accourent, l'entourent et lui font mille questions à
+la fois. Cependant l'oiseau, s'élevant subitement dans les airs, se met
+à planer sur elles; son ombre les couvre, et elles en conçoivent des
+mouvements singuliers. Agariste et Mélisse éprouvent les premières les
+merveilleux effets de son influence. Un feu divin, une ardeur sacrée
+s'allument dans leur coeur; je ne sais quels épanchements lumineux et
+subtils passent dans leur esprit, y fermentent et, de deux idiotes
+qu'elles étaient, en font les filles les plus spirituelles et les plus
+éveillées qu'il y eût à la Chine: elles combinent leurs idées, les
+comparent, se les communiquent et y mettent insensiblement de la force
+et de la justesse.
+
+LA SULTANE.
+
+En furent-elles plus heureuses?
+
+LA SECONDE FEMME.
+
+Je l'ignore. Un matin, l'oiseau blanc se mit à chanter, mais d'une façon
+si mélodieuse, que toutes les vierges en tombèrent en extase. La
+supérieure, qui jusqu'à ce moment avait fait l'esprit fort et dédaigné
+l'oiseau, tourna les yeux, se renversa sur ses carreaux et s'écria d'une
+voix entrecoupée: «Ah! je n'en puis plus!... je me meurs!... je n'en
+puis plus!... Oiseau charmant, oiseau divin, encore un petit air.»
+
+LA SULTANE.
+
+Je vois cette scène; et je crois que l'oiseau blanc avait grande envie
+de rire en voyant une centaine de filles sur le côté, l'esprit et
+l'ajustement en désordre, l'oeil égaré, la respiration haute et
+balbutiant d'une voix éteinte des oraisons affectueuses à leur grande
+guenon couleur de feu. Je voudrais bien savoir ce qu'il en arriva.
+
+LA SECONDE FEMME.
+
+Ce qu'il en arriva? Un prodige, un des plus étonnants prodiges dont il
+soit fait mention dans les annales du monde.
+
+LA SULTANE.
+
+Premier émir, continuez.
+
+LE PREMIER ÉMIR.
+
+Il en naquit nombre de petits esprits, sans que la virginité de ces
+filles en souffrît.
+
+LA SULTANE.
+
+Allons donc, émir, vous vous moquez. Je veux bien qu'on me fasse des
+contes; mais je ne veux pas qu'on me les fasse aussi ridicules.
+
+LE PREMIER ÉMIR.
+
+Songez donc, madame, que c'étaient des esprits.
+
+LA SULTANE.
+
+Vous avez raison; je n'y pensais pas. Ah! oui, des esprits!
+
+ * * * * *
+
+La sultane prononça ces derniers mots en bâillant.
+
+LE PREMIER ÉMIR.
+
+On avertit la supérieure de ce prodige. Les prêtres furent assemblés; on
+raisonna beaucoup sur la naissance des petits esprits: après de longues
+altercations sur le parti qu'il y avait à prendre, il fut décidé qu'on
+interrogerait la grande guenon. Aussitôt les tambourins et les
+clochettes annoncent au peuple la cérémonie. Les portes du temple sont
+ouvertes, les parfums allumés, les victimes offertes; mais la cause du
+sacrifice ignorée. Il eût été difficile de persuader aux fidèles que
+l'oiseau était père des petits esprits.
+
+LA SULTANE.
+
+Je vois, émir, que vous ne savez pas encore combien les peuples sont
+bêtes.
+
+LE PREMIER ÉMIR.
+
+Après une heure et demie de génuflexions, d'encensements et d'autres
+singeries, la grande guenon se gratta l'oreille et se mit à débiter de
+la mauvaise prose qu'on prit pour de la poésie céleste:
+
+ Pour conserver l'odeur de pucelage
+ Dont ce lieu saint fut toujours parfumé,
+ Que loin d'ici le galant emplumé
+ Aille chanter et chercher une cage.
+ Vierges, contre ce coup armez-vous de courage;
+ Vous resterez encor vierges, ou peu s'en faut:
+ Vos coeurs, aux doux accents de son tendre ramage,
+ Ne s'ouvriront pas davantage:
+ Telle est la volonté d'en haut.
+ Et toi qu'il honora de son premier hommage,
+ Qui lui fis de mon temple un séjour enchanté,
+ Modère la douleur dont ton âme est émue;
+ L'oiseau blanc a pour toi suffisamment chanté.
+ Agariste, il est temps qu'il cherche Vérité,
+ Qu'il échappe au pouvoir du mensonge, et qu'il mue.
+
+LA SULTANE.
+
+Mademoiselle, vous avez, ce soir, le toucher dur et vous me chatouillez
+trop fort. Doucement, doucement... fort bien, comme cela... ah! que vous
+me faites plaisir! Demain, sans différer, le brevet de la pension que je
+vous ai promise sera signé.
+
+LE PREMIER ÉMIR.
+
+On ne fut pas fort instruit par cet oracle: aussi donna-t-il lieu à une
+infinité de conjectures plus impertinentes les unes que les autres,
+comme c'est le privilége des oracles. «_Qu'il cherche Vérité_, disait
+l'une; c'est apparemment le nom de quelque colombe étrangère à laquelle
+il est destiné.--_Qu'il échappe au mensonge_, disait une autre, _et
+qu'il mue_. Qu'il mue! ma soeur; est-ce qu'il muera? C'est pourtant
+dommage, il a les plumes si belles!» aussi toutes reprenaient: «Ma soeur
+Agariste l'a tant fait chanter! tant fait chanter!»
+
+Après qu'on eut achevé de brouiller l'oracle à force de l'éclaircir, la
+prêtresse ordonna, par provision, que l'oiseau libertin serait renfermé,
+de crainte qu'il ne perfectionnât ce qu'il avait si heureusement
+commencé et qu'il ne multipliât son espèce à l'infini. Il y eut quelque
+opposition de la part des jeunes recluses; mais les vieilles tinrent
+ferme, et l'oiseau fut relégué au fond d'un dortoir, où il passait les
+jours dans un ennui cruel. Pour les nuits, toujours quelque vierge
+compatissante venait sur la pointe du pied le consoler de son exil.
+Cependant elles lui parurent bientôt aussi longues que les journées.
+Toujours les mêmes visages! _toujours les mêmes vierges!_
+
+LA SULTANE.
+
+Votre oiseau blanc est trop difficile. Que lui fallait-il donc?
+
+LE PREMIER ÉMIR.
+
+Avec tout l'esprit qu'il avait inspiré à ces recluses, ce n'étaient que
+des bégueules fort ennuyeuses: point d'airs, point de manége, point de
+vivacité prétendue, point d'étourderies concertées. Au lieu de cela, des
+soupirs, des langueurs, des fadeurs éternelles et d'un ton d'oraison à
+faire mal au coeur. Tout bien considéré, l'oiseau blanc conclut en
+lui-même qu'il était temps de suivre son destin et de prendre son vol;
+ce qu'il exécuta après avoir encore un peu délibéré. On dit qu'il lui
+revint quelques scrupules sur des serments qu'il avait faits à Agariste
+et à quelques autres. Je ne sais ce qui en est.
+
+LA SULTANE.
+
+Ni moi non plus. Mais il est certain que les scrupules ne tiennent point
+contre le dégoût, et que si les serments ne coûtent guère à faire aux
+infidèles, ils leur coûtent encore moins à rompre.
+
+ * * * * *
+
+À la suite de cette réflexion, la sultane articula très-distinctement
+son troisième bâillement, le signe de son sommeil ou de son ennui, et
+l'ordre de se retirer; ce qui s'exécuta avec le moins de bruit qu'il fut
+possible.
+
+
+
+
+SECONDE SOIRÉE.
+
+
+La sultane dit à sa chatouilleuse: Retenez bien ce mouvement-là, c'est
+le vrai. Mademoiselle, voilà le brevet de votre pension; le sultan la
+doublera, à la condition qu'au sortir de chez moi vous irez lui rendre
+le même service; je ne m'y oppose point, mais point du tout... Voyez si
+cela vous convient... Second émir, à vous. Si je m'en souviens, voilà
+votre oiseau blanc traversant les airs, et s'éloignant d'autant plus
+vite, qu'il s'était flatté d'échapper à ses remords, en mettant un grand
+intervalle entre lui et les objets qui les causaient. Il était tard
+quand il partit; où arriva-t-il?
+
+LE SECOND ÉMIR.
+
+Chez l'empereur des Indes, qui prenait le frais dans ses jardins, et se
+promenait sur le soir avec ses femmes et ses eunuques. Il s'abattit sur
+le turban du monarque, ce que l'on prit à bon augure, et ce fut bien
+fait; car quoique ce sultan n'eût point de gendre, il ne tarda pas à
+devenir grand'père. La princesse Lively, c'est ainsi que s'appelait la
+fille du grand Kinkinka, nom qu'on traduirait à peu près dans notre
+langue par gentillesse ou vivacité, s'écria qu'elle n'avait jamais rien
+vu de si beau. Et lui se disait en lui-même: «Quel teint! quels yeux!
+que sa taille est légère! Les vierges de la guenon couleur de feu ne
+m'ont point offert de charmes à comparer à ceux-ci.»
+
+LA SULTANE.
+
+Ils sont tous comme cela. Je serai la plus belle aux yeux de Mangogul
+jusqu'à ce qu'il me quitte.
+
+LE SECOND ÉMIR.
+
+Il n'y eut jamais de jambes aussi fines, ni de pieds aussi mignons.
+
+LA CHATOUILLEUSE.
+
+Votre oiseau en exceptera, s'il lui plaît, ceux que je chatouille.
+
+LE SECOND ÉMIR.
+
+Lively portait des jupons courts; et l'oiseau blanc pouvait aisément
+apercevoir les beautés dont il faisait l'éloge du haut du turban sur
+lequel il était perché.
+
+LA SULTANE.
+
+Je gage qu'il eut à peine achevé ce monologue, qu'il abandonna le lieu
+d'où il faisait ses judicieuses observations, pour se placer sur le sein
+de la princesse.
+
+LE SECOND ÉMIR.
+
+Sultane, il est vrai.
+
+LA SULTANE.
+
+Est-ce que vous ne pourriez pas éviter ces lieux communs?
+
+LE SECOND ÉMIR.
+
+Non, sultane; c'est le moyen le plus sûr de vous endormir.
+
+LA SULTANE.
+
+Vous avez raison.
+
+LE SECOND ÉMIR.
+
+Cette familiarité de l'oiseau déplut à un eunuque noir, qui s'avisa de
+dire qu'il fallait couper le cou à l'oiseau, et l'apprêter pour le dîner
+de la princesse.
+
+LA SULTANE.
+
+Elle eût fait un mauvais repas: après sa fatigue chez les vierges et sur
+la route, il devait être maigre.
+
+LE SECOND ÉMIR.
+
+Lively tira sa mule, et en donna un coup sur le nez de l'eunuque, qui en
+demeura aplati.
+
+LA SULTANE.
+
+Et voilà l'origine des nez plats; ils descendent de la mule de Lively et
+de son sot eunuque.
+
+LE SECOND ÉMIR.
+
+Lively se fit apporter un panier, y renferma l'oiseau, et l'envoya
+coucher. Il en avait besoin, car il se mourait de lassitude et d'amour.
+Il dormit, mais d'un sommeil troublé: il rêva qu'on lui tordait le cou,
+qu'on le plumait, et il en poussa des cris qui réveillèrent Lively; car
+le panier était placé sur sa table de nuit, et elle avait le sommeil
+léger. Elle sonna; ses femmes arrivèrent; on tira l'oiseau de son
+dortoir. La princesse jugea, au trémoussement de ses ailes, qu'il avait
+eu de la frayeur. Elle le prit sur son sein, le baisa, et se mit en
+devoir de le rassurer par les caresses les plus tendres et les plus
+jolis noms. L'oiseau se tint sur la poitrine de la princesse, malgré
+l'envie qui le pressait.
+
+LA SULTANE.
+
+Il avait déjà le caractère des vrais amants.
+
+LE SECOND ÉMIR.
+
+Il était timide et embarrassé de sa personne: il se contenta d'étendre
+ses ailes, d'en couvrir et presser une fort jolie gorge.
+
+LA SULTANE.
+
+Quoi! il ne hasarda pas d'approcher son bec des lèvres de Lively?
+
+LE SECOND ÉMIR.
+
+Cette témérité lui réussit. «Mais comment donc! s'écria la princesse; il
+est entreprenant!...» Cependant l'oiseau usait du privilége de son
+espèce, et la pigeonnait avec ardeur, au grand étonnement de ses femmes
+qui s'en tenaient les côtés. Cette image de la volupté fit soupirer
+Lively: l'héritier de l'empire du Japon devait être incessamment son
+époux; Kinkinka en avait parlé; on attendait de jour en jour les
+ambassadeurs qui devaient en faire la demande, et qui ne venaient point.
+On apprit enfin que le prince Génistan, ce qui signifie dans la langue
+du pays le prince Esprit, avait disparu sans qu'on sût ni pourquoi ni
+comment; et la triste Lively en fut réduite à verser quelques larmes, et
+à souhaiter qu'il se retrouvât.
+
+Tandis qu'elle se consolait avec l'oiseau blanc, faute de mieux,
+l'empereur du Japon, à qui l'éclipse de son fils avait tourné la tête,
+faisait arracher la moustache à son gouverneur, et ordonnait des
+perquisitions; mais il était arrêté que de longtemps Génistan ne
+reparaîtrait au Japon. S'il employait bien son temps dans les lieux de
+sa retraite, l'oiseau blanc ne perdait pas le sien auprès de la
+princesse; il obtenait tous les jours de nouvelles caresses: on pressait
+le moment de l'entendre chanter, car on avait conçu la plus haute
+opinion de son ramage; l'oiseau s'en aperçut, et la princesse fut
+satisfaite. Aux premiers accents de l'oiseau...
+
+LA SULTANE.
+
+Arrêtez, émir... Lively se renversa sur une pile de carreaux, exposant à
+ses regards des charmes qu'il ne parcourut point sans partager son
+égarement. Il n'en revint que pour chanter une seconde fois, et
+augmenter l'évanouissement de la princesse, qui durerait encore si
+l'oiseau ne s'était avisé de battre des ailes et de lui faire de l'air.
+Lively se trouva si bien de son ramage, que sa première pensée fut de le
+prier de chanter souvent: ce qu'elle obtint sans peine; elle ne fut même
+que trop bien obéie: l'oiseau chanta tant pour elle, qu'il s'enroua; et
+c'est de là que vient aux pigeons leur voix enrhumée et rauque. Émir,
+n'est-ce pas cela?... Et vous, madame, continuez.
+
+LA PREMIÈRE FEMME.
+
+Ce fut un malheur pour l'oiseau, car quand on a de la voix on est fâché
+de la perdre; mais il était menacé d'un malheur plus grand: la
+princesse, un matin à son réveil, trouva un petit esprit à ses côtés;
+elle appela ses femmes, les interrogea sur le nouveau-né: Qui est-il?
+d'où vient-il? qui l'a placé là? Toutes protestèrent qu'elles n'en
+savaient rien. Dans ces entrefaites arriva Kinkinka; à son aspect les
+femmes de la princesse disparurent; et l'empereur, demeuré seul avec sa
+fille, lui demanda, d'un ton à la faire trembler, qui était le mortel
+assez osé pour être parvenu jusqu'à elle; et, sans attendre sa réponse,
+il court à la fenêtre, l'ouvre, et saisissant le petit esprit par
+l'aile, il allait le précipiter dans un canal qui baignait les murs de
+son palais, lorsqu'un tourbillon de lumière se répandit dans
+l'appartement, éblouit les yeux du monarque, et le petit esprit
+s'échappa. Kinkinka, revenu de sa surprise, mais non de sa fureur,
+courait dans son palais en criant comme un fou qu'il en aurait raison;
+que sa fille ne serait pas impunément déshonorée; pardieu; qu'il en
+aurait raison... L'oiseau blanc savait mieux que personne si l'empereur
+avait tort ou raison d'être fâché; mais il n'osa parler, dans la crainte
+d'attirer quelque chagrin à la princesse; il se contenta de se livrer à
+une frayeur qui lui fit tomber les longues plumes des ailes et de la
+queue; ce qui lui donna un air ébouriffé.
+
+LA SULTANE.
+
+Et Lively cessa de se soucier de lui, lorsqu'il eut cessé d'être beau;
+et comme il avait perdu à son service une partie de son ramage, elle dit
+un jour à sa toilette: «Qu'on m'ôte cet oiseau-là; il est devenu laid à
+faire horreur, il chante faux; il n'est plus bon à rien...» À vous,
+madame seconde, continuez.
+
+LA SECONDE FEMME.
+
+Cet arrêt se répandit bientôt dans le palais; l'eunuque crut qu'il était
+temps de profiter de la disgrâce de l'oiseau, et de venger celle de son
+nez; il démontra à la princesse, par toutes les règles de la nouvelle
+cuisine, que l'oiseau blanc serait un manger délicieux; et Lively, après
+s'être un peu défendue pour la forme, consentit qu'on le mît à la
+basilique. L'oiseau blanc outré, comme on le pense bien, pour peu qu'on
+se mette à sa place, s'élança au visage de la princesse, lui détacha
+quelques coups de bec sur la tête, renversa les flacons, cassa les pots,
+et partit.
+
+LA SULTANE.
+
+Lively et son cuisinier en furent dans un dépit inconcevable.
+«L'insolent!» disait l'une; l'autre: «Ç'aurait été un mets admirable!»
+
+LA SECONDE FEMME.
+
+Tandis que le cuisinier rengaînait son couteau qu'il avait inutilement
+aiguisé, et que les femmes de la princesse s'occupaient à lui frotter la
+tête avec de l'eau des brames, l'oiseau gagnait les champs, peu
+satisfait de sa vengeance, et ne se consolant de l'ingratitude de Lively
+que par l'espérance de lui plaire un jour sous sa forme naturelle, et de
+ne la point aimer. Voici donc les raisonnements qu'il faisait dans sa
+tête d'oiseau: «J'ai de l'esprit. Quand je cesserai d'être oiseau, je
+serai fait à peindre. Il y a cent à parier contre un qu'elle sera folle
+de moi; c'est où je l'attends; chacun aura son tour. L'ingrate! la
+perfide! J'ai tremblé pour elle jusqu'à en perdre les plumes; j'ai
+chanté pour elle jusqu'à en perdre la voix, et par ses ordres un
+cuisinier s'emparait de moi, on me tordait le cou, et je serais
+maintenant à la basilique! Quelle récompense! Et je la trouverais encore
+charmante? Non, non, cette noirceur efface à mes yeux tous ses charmes.
+Qu'elle est laide! que je la hais!»
+
+ * * * * *
+
+Ici la sultane se mit à rire en bâillant pour la première fois.
+
+LA SECONDE FEMME.
+
+On voit par ce monologue que, quoique l'oiseau blanc fût amoureux de la
+princesse, il ne voulait point du tout être mis à la basilique pour
+elle, et qu'il eût tout sacrifié pour celle qu'il aimait, excepté la
+vie.
+
+LA SULTANE.
+
+Et qu'il avait la sincérité d'en convenir. À vous, premier émir.
+
+LE PREMIER ÉMIR.
+
+L'oiseau blanc allait sans cesse. Son dessein était de gagner le pays de
+la fée Vérité. Mais qui lui montrera la route? qui lui servira de guide?
+On y arrive par une infinité de chemins; mais tous sont difficiles à
+tenir; et ceux même qui en ont fait plusieurs fois le voyage, n'en
+connaissent parfaitement aucun. Il lui fallait donc attendre du hasard
+des éclaircissements, et il n'aurait pas été en cela plus malheureux que
+le reste des voyageurs, si son désenchantement n'eût pas dépendu de la
+rencontre de la fée; rencontre difficile, qu'on doit plus communément à
+une sorte d'instinct dont peu d'êtres sont doués, qu'aux plus profondes
+méditations.
+
+LA SULTANE.
+
+Et puis, ne m'avez-vous pas dit qu'il était prince?
+
+LE PREMIER ÉMIR.
+
+Non, madame; nous ne savons encore ce qu'il est, ni ce qu'il sera: ce
+n'est encore qu'un oiseau. L'oiseau suivit son instinct. Les ténèbres ne
+l'effrayèrent point; il vola pendant la nuit; et le crépuscule
+commençait à poindre, lorsqu'il se trouva sur la cabane d'un berger qui
+conduisait aux champs son troupeau, en jouant sur son chalumeau des airs
+simples et champêtres, qu'il n'interrompait que pour tenir à une jeune
+paysanne, qui l'accompagnait en filant son lin, quelques propos tendres
+et naïfs, où la nature et la passion se montraient toutes nues:
+
+«Zirphé, tu t'es levée de grand matin.
+
+--Et si, je me suis endormie fort tard.
+
+--Et pourquoi t'es-tu endormie si tard?
+
+--C'est que je pensais à mon père, à ma mère et à toi.
+
+--Est-ce que tu crains quelque opposition de la part de tes parents?
+
+--Que sais-je?
+
+--Veux-tu que je leur parle?
+
+--Si je le veux! en peux-tu douter?
+
+--S'ils me refusaient?
+
+--J'en mourrais de peine.»
+
+LA SULTANE.
+
+L'oiseau n'est pas loin du pays de Vérité. On y touche partout où la
+corruption n'a pas encore donné aux sentiments du coeur un langage
+maniéré.
+
+LE PREMIER ÉMIR.
+
+À peine l'oiseau blanc eut-il frappé les yeux du berger, que celui-ci
+médita d'en faire un présent à sa bergère; c'est ce que l'oiseau comprit
+à merveille aux précautions qu'on prenait pour le surprendre.
+
+LA SULTANE.
+
+Que votre oiseau dissolu n'aille pas faire un petit esprit à cette jeune
+innocente; entendez-vous?
+
+LE PREMIER ÉMIR.
+
+S'imaginant qu'il pourrait avoir de ces gens des nouvelles de Vérité, il
+se laissa attraper, et fit bien. Il l'entendit nommer dès les premiers
+jours qu'il vécut avec eux; ils n'avaient qu'elle sur leurs lèvres;
+c'était leur divinité, et ils ne craignaient rien tant que de
+l'offenser; mais comme il y avait beaucoup plus de sentiment que de
+lumière dans le culte qu'ils lui rendaient, il conçut d'abord que les
+meilleurs amis de la fée n'étaient pas ceux qui connaissaient le mieux
+son séjour, et que ceux qui l'entouraient l'en entretiendraient tant
+qu'il voudrait, mais ne lui enseigneraient pas les moyens de la trouver.
+Il s'éloigna des bergers, enchanté de l'innocence de leur vie, de la
+simplicité de leurs moeurs, de la naïveté de leurs discours; et pensant
+qu'ils ne devaient peut-être tous ces avantages qu'au crépuscule éternel
+qui régnait sur leurs campagnes, et qui, confondant à leurs yeux les
+objets, les empêchait de leur attacher des valeurs imaginaires, ou du
+moins d'en exagérer la valeur réelle.
+
+ * * * * *
+
+Ici la sultane poussa un léger soupir, et l'émir ayant cessé de parler,
+elle lui dit d'une voix faible:
+
+«Continuez, je ne dors pas encore.»
+
+LE PREMIER ÉMIR.
+
+Chemin faisant, il se jeta dans une volière, dont les habitants
+l'accueillirent fort mal. Ils s'attroupent autour de lui, et remarquant
+dans son ramage et son plumage quelque différence avec les leurs, ils
+tombent sur lui à grands coups de bec, et le maltraitent cruellement. «Ô
+Vérité, s'écria-t-il alors, est-ce ainsi que l'on encourage et que l'on
+récompense ceux qui t'aiment, et qui s'occupent à te chercher?» Il se
+tira comme il put des pattes de ces oiseaux idiots et méchants, et
+comprit que la difficulté des chemins avait moins allongé son voyage que
+l'intolérance des passants...
+
+ * * * * *
+
+L'émir en était là, incertain si la sultane veillait ou dormait; car on
+n'entendait entre ses rideaux que le bruit d'une respiration et d'une
+expiration alternatives. Pour s'en assurer, on fit signe à la
+chatouilleuse de suspendre sa fonction. Le silence de la sultane
+continuant, on en conclut qu'elle dormait, et chacun se retira sur la
+pointe du pied.
+
+
+
+
+TROISIÈME SOIRÉE.
+
+
+C'était une étiquette des soirées de la sultane, que le conteur de la
+veille ne poursuivait point le récit du lendemain. C'était donc au
+second émir à parler; ce qu'il fit après que la sultane eut remarqué que
+rien n'appelait le sommeil plus rapidement que le souvenir des premières
+années de la vie, ou la prière à Brama, ou les idées philosophiques.
+
+«Si vous voulez que je dorme promptement, dit-elle au second émir,
+suivez les traces du premier émir, et faites-moi de la philosophie.»
+
+LE SECOND ÉMIR.
+
+Un soir que l'oiseau blanc se promenait le long d'une prairie, moins
+occupé de ses desseins et de la recherche de Vérité, que de la beauté et
+du silence des lieux, il aperçut tout à coup une lueur qui brillait et
+s'éteignait par intervalles sur une colline assez élevée. Il y dirigea
+son vol. La lumière augmentait à mesure qu'il approchait, et bientôt il
+se trouva à la hauteur d'un palais brillant, singulièrement remarquable
+par l'éclat et la solidité de ses murs, la grandeur de ses fenêtres et
+la petitesse de ses portes. Il vit peu de monde dans les appartements,
+beaucoup de simplicité dans l'ameublement, d'espace en espace des
+girandoles sur des guéridons, et des glaces de tout côté. À l'instant il
+reconnut son ancienne demeure, les lieux où il avait passé les premiers
+et les plus beaux jours de sa vie, et il en pleura de joie; mais son
+attendrissement redoubla, lorsque, achevant de parcourir le palais, il
+découvrit la fée Vérité, retirée dans le fond d'une alcôve, où, les yeux
+attachés sur un globe et le compas à la main, elle travaillait à
+constater la vérité d'un fameux système.
+
+LA SULTANE.
+
+Un prince élevé sous les yeux de Vérité! Émir, êtes-vous bien sûr de ce
+que vous dites là? Cela n'est pas assez absurde pour faire rire, et cela
+l'est trop pour être cru.
+
+LE SECOND ÉMIR.
+
+L'oiseau blanc vola comme un petit fou sur l'épaule de la fée, qui
+d'abord ne le remarqua pas; mais ses battements d'ailes furent si
+rapides, ses caresses si vives et ses cris si redoublés, qu'elle sortit
+de sa méditation et reconnut son élève; car rien n'est si pénétrant que
+la fée.
+
+LA SULTANE.
+
+Un prince qui persiste dans son goût pour la vérité! en voilà bien d'une
+autre! Peu s'en faut que je ne vous impose silence; cependant continuez.
+
+LE SECOND ÉMIR.
+
+À l'instant Vérité le toucha de sa baguette; ses plumes tombèrent; et
+l'oiseau blanc reprit sa forme naturelle, mais à une condition que la
+fée lui annonça: c'est qu'il redeviendrait pigeon jusqu'à ce qu'il fût
+arrivé chez son père; de crainte que s'il rencontrait le génie Rousch
+(ce qui signifie, dans la langue du pays, Menteur), son plus cruel
+ennemi, il n'en fût encore maltraité. Vérité lui fit ensuite des
+questions auxquelles le prince Génistan, qui n'est plus oiseau, satisfit
+par des réponses telles qu'il les fallait à la fée, claires et précises:
+il lui raconta ses aventures; il insista particulièrement sur son séjour
+dans le temple de la guenon couleur de feu; la fée le soupçonna
+d'ajouter à son récit quelques circonstances qui lui manquaient pour
+être tout à fait plaisant, et d'en retrancher d'autres qui l'auraient
+déparé; mais comme elle avait de l'indulgence pour ces faussetés
+innocentes...
+
+LA SULTANE.
+
+Innocentes! Émir, cela vous plaît à dire. C'est à l'aide de cet art
+funeste, que d'une bagatelle on en fait une aventure malhonnête,
+indécente, déshonorante... Taisez-vous, taisez-vous; au lieu de
+m'endormir, comme c'est votre devoir, me voilà éveillée pour jusqu'à
+demain; et vous, madame première, continuez.
+
+LA PREMIÈRE FEMME.
+
+La fée rit beaucoup des petits esprits qu'il avait laissés là. «Et cette
+belle princesse qui vous a pensé faire mettre à la basilique? lui
+dit-elle ironiquement.
+
+--Ah! l'ingrate, s'écria-t-il, la cruelle! qu'on ne m'en parle jamais.
+
+--Je vous entends, reprit Vérité, vous l'aimez à la folie.»
+
+Cette réflexion fut si lumineuse pour le prince, qu'il convint
+sur-le-champ qu'il aimait.
+
+«Mais que prétendez-vous faire de ce goût? lui demanda Vérité.
+
+--Je ne sais, lui répondit Génistan; un mariage peut-être.
+
+--Un mariage! reprit la fée; tant pis! Je vous avais, je crois, trouvé
+un parti plus sortable.
+
+--Et ce parti, demanda le prince, quel est-il?
+
+--C'est, dit la fée, une personne qui a peu de naissance, qui est d'un
+certain âge, et dont la figure sévère ne plaît pas au premier coup
+d'oeil, mais qui a le coeur bon, l'esprit ferme et la conversation
+très-solide. Elle appartenait à un jeune philosophe qui a fait fortune à
+force de ramper sous les grands, et qui l'a abandonnée: depuis ce temps,
+je cherche quelqu'un qui veuille d'elle, et je vous l'avais destinée.
+
+--Pourrait-on savoir de vous, répondit le prince, le nom de cette
+délaissée?
+
+--_Polychresta_, dit la fée, ou toute bonne, ou bonne à tout; cela n'est
+pas brillant; vous trouverez là peu de titres, peu d'argent, mais des
+millions en fonds de terre, et cela raccommodera vos affaires, que les
+dissipations de votre père et les vôtres ont fort dérangées.
+
+--Très-assurément, madame, répondit le prince, vous n'y pensez pas:
+cette figure, cet âge, cette allure-là ne me vont point, et il ne sera
+pas dit que le fils du très-puissant empereur du Japon ait pris pour
+femme une princesse de je ne sais où; encore, s'il était question d'une
+maîtresse, on n'y regarderait pas de si près...»
+
+LA SULTANE.
+
+On en change quand on en est las.
+
+LA PREMIÈRE FEMME.
+
+«... Quant à mes affaires, j'ai des moyens aussi courts et plus honnêtes
+d'y pourvoir. J'emprunterai, madame; le Japon, avant que je devinsse
+oiseau, était rempli de gens admirables qui prêtaient à vingt-cinq pour
+cent par mois tout ce qu'on voulait.
+
+--Et ces gens admirables, ajouta Vérité, finiront par vous marier avec
+Polychresta.
+
+--Ah! je vous jure par vous-même, lui dit le prince, que cela ne sera
+jamais; et puis votre Polychresta voudrait qu'on lui fît des enfants du
+matin au soir, et je ne sache rien de si crapuleux que cette vie-là.
+
+--Quelles idées! dit la fée; vous passez pour avoir du sens; je voudrais
+bien savoir à quoi vous l'employez.
+
+--À ne point faire de sots mariages, répondit le prince.
+
+--Voilà des mépris bien déplacés, lui dit sérieusement Vérité:
+Polychresta est un peu ma parente; je la connais, je l'aime; et vous ne
+pouvez vous dispenser de la voir.
+
+--Madame, répondit le prince, vous pourriez me proposer une visite plus
+amusante; et s'il faut que je vous obéisse, je ne vous réponds pas que
+je n'aie la contenance la plus maussade.
+
+--Et moi, je vous réponds, dit Vérité, que ce ne sera pas la faute de
+Polychresta: voyez-la, je vous en prie, et croyez que vous l'estimerez,
+si vous vous en donnez le temps.
+
+--Pour de l'estime et du respect; je lui en accorderai d'avance tant
+qu'il vous plaira; mais je vous répéterai toujours qu'il ne sera pas dit
+que je me sois entêté de la délaissée d'un petit philosophe; ce serait
+d'une platitude, d'un ridicule à n'en jamais revenir.
+
+--Eh! monsieur, lui dit Vérité, qui vous propose de vous en entêter?
+Épousez-la seulement; c'est tout ce qu'on vous demande.
+
+--Mais attendez, reprit le prince, j'imagine un moyen d'arranger toutes
+choses. Il faut que j'aie Lively, cela est décidé; je ne saurais m'en
+passer: si vous pouviez la résoudre à n'être que ma maîtresse, je ferais
+ma femme de Polychresta, et nous serions tous contents.»
+
+La fée, quoique naturellement sérieuse, ne put s'empêcher de rire de
+l'expédient du prince. «Vous êtes jeune, lui dit-elle, et je vous excuse
+de préférer Lively.
+
+--Ah! elle me sera plus nécessaire encore quand je serai vieux.
+
+--Vous vous trompez, lui dit la fée, Lively vous importunera souvent
+quand vous serez sur le retour; mais Polychresta sera de tous les temps.
+
+--Et voilà justement, reprit le prince, pourquoi je les veux toutes
+deux: Lively m'amusera dans mon printemps, et Polychresta me consolera
+dans ma vieillesse.»
+
+LA SULTANE.
+
+Ah! ma bonne, vous êtes délicieuse; je ne connais pas d'insomnie qui
+tienne là contre: vous filez une conversation et l'assoupissement avec
+un art qui vous est propre; personne ne sait appesantir les paupières
+comme vous; chaque mot que vous dites est un petit poids que vous leur
+attachez; et, quatre minutes de plus, je crois que je ne me serais
+réveillée de ma vie. Continuez.
+
+LA PREMIÈRE FEMME.
+
+Après cette conversation, qui n'avait pas laissé de durer, comme la
+sultane l'a sensément remarqué, le prince se retira dans son ancien
+appartement; il passa plusieurs jours encore avec la fée, qui lui donna
+de bons avis, dont il lui promit de se souvenir dans l'occasion, et
+qu'il n'avait presque pas écoutés. Ensuite il redevint pigeon à son
+grand regret; la fée le prit sur le poing, et l'élança dans les airs
+sans cérémonie; il partit à tire-d'aile pour le Japon, où il arriva en
+fort peu de temps, quoiqu'il y eût assez loin.
+
+LA SULTANE.
+
+Il n'en coûte pas autant pour s'éloigner de Vérité, que pour la
+rencontrer.
+
+LA PREMIÈRE FEMME.
+
+La fée, qui sentait que le prince aurait plus besoin d'elle que jamais,
+à présent qu'il était à la cour, se hâta de finir la solution d'un
+problème fort difficile et fort inutile...
+
+LA SULTANE.
+
+Car nos connaissances les plus certaines ne sont pas toujours les plus
+avantageuses.
+
+LA PREMIÈRE FEMME.
+
+... Le suivit de près, et l'atteignit au haut d'un observatoire, où il
+s'était reposé.
+
+LA SULTANE.
+
+Et qui n'était pas celui de Paris.
+
+LA PREMIÈRE FEMME.
+
+Elle lui tendit le poing. L'oiseau ne balança pas à descendre; et ils
+achevèrent ensemble le voyage.
+
+LA SULTANE.
+
+À vous, madame seconde.
+
+LA SECONDE FEMME.
+
+L'empereur japonais fut charmé de l'arrivée de la fée Vérité, qu'il
+avait perdue de vue depuis l'âge de quatorze ans. «Et qu'est-ce que cet
+oiseau? lui demanda-t-il d'abord; car il aimait les oiseaux à la folie:
+de tout temps il avait eu des volières; et son plaisir, même à l'âge de
+quatre-vingts ans, était de faire couver des linottes.
+
+--Cet oiseau, répondit Vérité, c'est votre fils.
+
+--Mon fils! s'écria le sultan; mon fils, un gros pigeon pattu! Ah! fée
+divine, que vous ai-je fait pour l'avoir si platement métamorphosé?
+
+--Ce n'est rien, répondit la fée.
+
+--Comment, ventrebleu! ce n'est rien! reprit le sultan; et que diable
+voulez-vous que je fasse d'un pigeon? Encore s'il était d'une rare
+espèce, singulièrement panaché: mais point du tout, c'est un pigeon
+comme tous les pigeons du monde, un pigeon blanc. Ah! fée merveilleuse,
+faites tout ce qu'il vous plaira, des gens durs, savants, arrogants,
+caustiques et brutaux; mais pour des pigeons, ne vous en mêlez pas.
+
+--Ce n'est pas moi, dit la fée, qui ai joué ce tour à votre fils;
+cependant je vais vous le restituer.
+
+--Tant mieux, répondit le sultan: car, quoique mes sujets aient souvent
+obéi à des oisons, des paons, des vautours et des grues, je ne sais
+s'ils auraient accepté l'administration d'un pigeon.»
+
+Tandis que le sultan faisait en quatre mots l'histoire du ministère
+japonais, la fée souffla sur l'oiseau blanc; et il redevint le prince
+Génistan. Ces prodiges s'opéraient dans le cabinet de Zambador, son
+père; les courtisans, presque tous amis du génie Rousch (dans la langue
+du pays, Menteur), furent fâchés de revoir le prince; mais aucun n'osa
+se montrer mécontent, et tout se passa bien.
+
+Zambador était fort curieux d'apprendre de quelle manière son fils était
+devenu pigeon. Le prince se prépara à le satisfaire, et dit ce qui suit:
+
+«Vous souvient-il, très-respectable sultan, que quand l'impératrice, ma
+mère, eut quarante ans, vous la reléguâtes dans un vieux palais
+abandonné, sur les bords de la mer, sous prétexte qu'elle ne pouvait
+plus avoir d'enfants; qu'il fallait assurer la succession au trône, et
+qu'il était à propos qu'elle priât les Pagodes, en qui elle avait
+toujours eu grande dévotion, de vous en envoyer avec la nouvelle épouse
+que vous vous proposiez de prendre? La bonne dame ne donna point dans
+vos raisons, et ne pria pas; elle ne crut pas devoir hasarder la
+réputation dont elle jouissait, d'obtenir d'en haut de la pluie, du beau
+temps, des enfants, des melons, tout ce qu'elle demandait: elle craignit
+qu'on ne dît qu'il ne lui restait de crédit, ni sur la terre, ni dans
+les cieux; car elle savait bien que, si elle n'était plus assez jeune
+pour vous, vous seriez trop vieux pour une autre.
+
+--Mon fils, dit Zambador, vous êtes un étourdi; vous parlez comme votre
+mère, qui n'eut jamais le sens commun. Savez-vous que tandis que vous
+couriez les champs avec vos plumes, j'ai fait ici des enfants?»
+
+LA SULTANE.
+
+Cela pouvait n'être pas exactement vrai; mais quand de petits princes
+sont au monde, c'est le point principal; qu'ils soient de leur père ou
+d'un autre, les grands-pères en sont toujours fort contents.
+
+LA SECONDE FEMME.
+
+Le prince répara sa faute, et dit à son père qu'il était charmé qu'il
+fût toujours en bonne santé; puis il ajouta: «Prenez donc la peine de
+vous rappeler ce qui se passa à la cour de Tongut. Lorsque vous m'y
+envoyâtes avec le titre d'ambassadeur, demander pour vous la princesse
+Lirila, ce qui signifie dans la langue du pays, l'Indolente ou
+l'Assoupie, vous m'en voulûtes assez mal à propos, de ce que ne trouvant
+pas Lirila digne de vous, je la pris pour moi. Mais écoutez maintenant
+comme la chose arriva.
+
+«Quelques jours après ma demande, je rendis à Lirila une visite, pendant
+laquelle je la trouvai moins assoupie qu'à l'ordinaire. On l'avait
+coiffée d'une certaine façon avec des rubans couleur de rose, qui
+relevaient un peu la pâleur de son teint. Des rideaux cramoisis, tirés
+avec art, jetaient sur son visage un soupçon de vie; on eût dit qu'elle
+sortait des mains d'un célèbre peintre de notre académie. Elle n'avait
+pas la contenance plus émue, ni le geste plus animé; mais elle ne bâilla
+pas quatre fois en une heure. On aurait pu la prendre, à sa nonchalance,
+à sa lassitude vraie ou fausse, pour une épousée de la veille.»
+
+LA SULTANE.
+
+Madame ne pourrait-elle pas aller un peu plus vite, et penser qu'elle
+n'est pas la princesse Lirila?
+
+ * * * * *
+
+Ce mot de la sultane désola les deux femmes et les deux émirs: ils
+étaient tous quatre attendus en rendez-vous; et Mirzoza, qui le savait,
+souriait entre ses rideaux de leur impatience.
+
+LA SECONDE FEMME.
+
+«Il devait y avoir bal; et c'était l'étiquette de la cour de Tongut, que
+celui qui l'ouvrait se trouvât chez sa dame au moins cinq heures avant
+qu'il commençât. Voilà, seigneur, ce qui me fit aller chez la princesse
+Lirila de si bonne heure.»
+
+LA SULTANE.
+
+La fée Vérité n'était-elle pas à cette séance du prince et de son père?
+
+LA SECONDE FEMME.
+
+Oui, madame.
+
+LA SULTANE.
+
+Je ne lui ai pas encore entendu dire un mot.
+
+LA SECONDE FEMME.
+
+C'est qu'elle parle peu en présence des souverains.
+
+LA SULTANE.
+
+Continuez.
+
+LA SECONDE FEMME.
+
+«J'eus donc une fort longue conversation avec elle, pendant laquelle
+elle articula un assez grand nombre de monosyllabes très-distinctement
+et presque sans effort, ce qui ne lui était jamais arrivé de sa vie.
+L'heure du bal vint. Je l'ouvris avec elle, c'est-à-dire que la
+princesse commença avec moi une révérence qui n'aurait point eu de fin,
+par la lenteur avec laquelle elle pliait, lorsque ses quatre écuyers de
+quartier s'approchèrent, la prirent sous les bras, et m'aidèrent à la
+relever et à la remettre à sa place.»
+
+ * * * * *
+
+Ici la chatouilleuse, qui avait peut-être aussi quelque arrangement,
+s'arrêta, et la maligne sultane lui dit: «Je ne vous conseille pas,
+mademoiselle, de vous lasser si vite: cet endroit m'intéresse à un point
+surprenant; je n'en fermerai pas l'oeil de la nuit. Seconde, continuez.»
+
+LA SECONDE FEMME.
+
+«Je crus qu'il était de la décence de l'entretenir de votre amour et du
+bonheur que vous vous promettiez à la posséder. Je m'étais étendu sur ce
+texte tout à mon aise, lorsqu'elle me demanda quel âge vous pouviez
+avoir. C'était, à ce qu'on m'a rapporté, une des plus longues questions
+qu'elle eût encore faites. Je lui répondis que je vous croyais soixante
+ans.
+
+--Vous en avez bien menti, dit Zambador à son fils; je n'en avais pas
+alors plus de cinquante-neuf.»
+
+Le prince s'inclina et continua, sans répliquer, l'histoire de son
+ambassade. «À ce mot, dit-il, Lirila soupira; et je continuai à lui
+faire votre cour avec un zèle vraiment filial; car je vous observerai
+qu'elle était nonchalamment étalée, qu'elle avait les yeux fermés, et
+que je lui parlais presque convaincu qu'elle dormait, lorsqu'il lui
+échappa une autre question. Elle dit, éveillée, ou en rêve, je ne sais
+lequel des deux: «--Est-il jaloux?...
+
+«--Madame, lui répondis-je, mon père se respecte trop et ses femmes,
+pour se livrer à de vils soupçons.»
+
+--Voilà qui est bien répondu, dit Zambador. La première Pagode vacante,
+j'y nommerai votre précepteur.
+
+«--Mais, continua le prince, lorsqu'il s'avise de s'alarmer, bien ou mal
+à propos, sur la conduite de quelqu'une de ses femmes, il en use on ne
+peut mieux. On leur prépare un bain chaud; on les saigne des quatre
+membres; elles s'en vont tout doucement faire l'amour en l'autre monde,
+et il n'y paraît plus.»
+
+--Cela est assez bien dit, reprit Zambador; mais il valait encore mieux
+se taire. Et comment la princesse prit-elle mon procédé?
+
+--Je ne sais, répondit le prince; elle fit une mine...»
+
+Zambador en fit une autre, et le prince continua.
+
+«J'interprétai la mine de Lirila; c'était un embarras qu'on avait
+souvent avec une femme paresseuse de parler, et je crus qu'il convenait
+de la rassurer.
+
+--Vous crûtes bien, ajouta Zambador.
+
+--Je lui dis donc que ce n'était point votre habitude; et que, depuis
+quarante-cinq ans que vous aviez dépêché la première, pour un coup
+d'éventail qu'elle avait donné sur la main d'un de vos chambellans, vous
+n'en étiez qu'à la dix-huit ou dix-neuvième.
+
+--Ah! mon fils, dit Zambador au prince, ne vous faites pas géomètre; car
+vous êtes bien le plus mauvais calculateur que je connaisse.»
+
+Puis s'adressant à la fée: «Madame, ajouta-t-il, vous deviez, ce me
+semble, lui apprendre un peu d'arithmétique; c'était votre affaire; je
+ne sais pourquoi vous n'en avez rien fait.»
+
+LA SULTANE.
+
+Je me doute que la fée représenta à Zambador qu'on ne savait jamais bien
+ce qu'on n'apprenait pas par goût; et que Génistan son fils avait
+marqué, dès sa plus tendre enfance, une aversion insurmontable pour les
+sciences abstraites.
+
+LA SECONDE FEMME.
+
+«Lirila ne vous dit-elle plus rien? demanda Zambador à son fils.
+
+--Pardonnez-moi, seigneur, répondit le prince. Elle me demanda si ma
+mère était morte. «--Madame, lui répondis-je, elle jouit encore du jour
+et de la tranquillité dans un vieux château abandonné sur les rives de
+la mer, où elle sollicite du ciel, pour mon père et pour vous, une
+nombreuse postérité; et il faut espérer que vous irez un jour partager
+les délices de sa solitude, sans qu'il vous arrive aucun fâcheux
+accident; car mon père est le meilleur homme du monde; et à cela près
+qu'il fait baigner et saigner ses femmes pour un coup d'éventail, il les
+aime tendrement, et il est fort galant. Madame, ajoutai-je tout de
+suite, venez embellir la cour du Japon; les plaisirs les plus délicats
+vous y attendent: vous y verrez la plus belle ménagerie; on vous y
+donnera des combats de taureaux; et je ne doute point qu'à votre arrivée
+il n'y ait un rhinocéros mis à mort, avec un hourvari fort récréatif.»
+
+«Il prit, en cet endroit, à la princesse, un bâillement. Ah! seigneur,
+quel bâillement! Vous n'en fîtes jamais un plus étendu dans aucune de
+vos audiences. Cela signifiait à ce que j'imaginai, que nos amusements
+n'étaient pas de son goût; et je lui témoignai qu'on s'empresserait à
+lui en inventer d'autres.
+
+«--Y a-t-il loin? demanda la princesse.
+
+«--Non, madame, lui répondis-je. Une chaise des plus commodes que
+Falkemberg ait jamais faites, vous y portera, jour et nuit, en moins de
+trois mois.
+
+«--Je n'aime point les voyages, dit Lirila en se retournant, et l'idée
+de votre chaise de poste me brise. Si vous me parliez un peu de vous,
+cela me délasserait peut-être. Il y a si longtemps que vous m'entretenez
+de votre père, qui a soixante ans, et qui est à mille lieues!...»
+
+«La princesse s'interrompit deux ou trois fois en prononçant cette
+énorme phrase; et l'on répandit que votre chaise l'avait furieusement
+secouée pour en faire sortir tant de mots à la fois. Pour surcroît de
+fatigue, en les disant, Lirila avait encore pris la peine de me
+regarder. Je crois, seigneur, vous avoir prévenu que c'était une de ces
+femmes qu'il fallait sans cesse deviner. Je conçus donc qu'elle ne
+pensait plus à vous, et qu'il fallait profiter de l'instant qu'elle
+avait encore à penser à moi; car Lirila s'était rarement occupée une
+heure de suite d'un même objet.»
+
+LA SULTANE.
+
+Cela est charmant! premier émir, continuez.
+
+Le premier émir dit qu'il n'avait jamais eu moins d'imagination que ce
+soir; qu'il était distrait sans savoir pourquoi; qu'il souffrait un peu
+de la poitrine, et qu'il suppliait la sultane de lui permettre de se
+retirer. La sultane lui répondit qu'il valait mieux, pour son
+indisposition, qu'il restât; et elle ordonna au second émir de suivre le
+récit.
+
+LE SECOND ÉMIR.
+
+«Le bal finit. On porta la princesse dans son appartement, où j'eus
+l'honneur de l'accompagner. On la posa tout de son long sur un grand
+canapé. Ses femmes s'en emparèrent, la tournèrent, retournèrent, et
+déshabillèrent à peu près avec les mêmes cérémonies de leur part et la
+même indolence de la part de Lirila, que si l'une eût été morte, et que
+si les autres l'eussent ensevelie. Cela fait, elles disparurent. Je me
+jetai aussitôt à ses pieds, et lui dis de l'air le plus attendri et du
+ton le plus touchant qu'il me fut possible de prendre:
+
+«Madame, je sens tout ce que je vous dois et à mon père, et je ne me
+suis jamais flatté d'obtenir de vous quelque préférence; mais il y a si
+loin d'ici au Japon, et je ressemble si fort à mon père!
+
+«--Vrai? dit la princesse.
+
+«--Très-vrai, répondis-je; et à cela près que je n'ai pas ses années, et
+qu'en vous aimant il ne risquerait pas la couronne et la vie, vous vous
+y méprendriez.
+
+«--Je ne voudrais pourtant pas vous prendre l'un pour l'autre à ce prix.
+Je serais bien aise de vous avoir, vous, et qu'il ne vous en coûtât
+rien.»
+
+«Pendant cette conversation, une des mains de Lirila, entraînée par son
+propre poids, m'était tombée sur les yeux; elle m'incommodait là: je
+crus donc pouvoir la déplacer sans offenser la princesse, et je ne me
+trompai pas. J'imaginai que nous nous entendions: point du tout, je
+m'entendais tout seul. Lirila dormait. Heureusement on m'avait appris
+que c'était sa manière d'approuver. Je fis donc comme si elle eût
+veillé; je l'épousai jusqu'au bout, et toujours en votre nom.
+
+--Ah! traître, dit le sultan.
+
+--Ah! seigneur, dit le prince, vous m'arrêtez dans le plus bel endroit,
+au moment où j'avançais vos affaires de toute ma force.
+
+--Avance, avance, ajouta le sultan; tu fais de belles choses.»
+
+Génistan, qui craignait que son père ne se fâchât tout de bon, lui
+représenta qu'il pouvait entrer dans tous ces détails sans danger; et
+lui les écouter sans humeur, puisqu'il ne se souciait plus de Lirila.
+
+--Mon fils, dit Zambador, vous avez raison; achevez votre aventure, et
+tâchez de réveiller votre assoupie.
+
+«Seigneur, continua le prince, je fis de mon mieux; mais ce fut
+inutilement. Je me retirai après des efforts inouïs; car s'il n'y a pas
+de pires sourds que ceux qui ne veulent pas entendre...»
+
+LA SULTANE.
+
+Il n'y a pas de pires endormies que celles qui ne veulent pas
+s'éveiller, ni de pires éveillées que celles qui ne veulent pas
+s'endormir.
+
+LE SECOND ÉMIR.
+
+«Cela est surprenant, dit le sultan; car on a tant de raisons pour
+veiller en pareil cas!
+
+--Lirila, dit le prince, s'embarrassait bien de ces raisons!
+J'interprétai son sommeil comme un consentement de préparer son voyage.
+On se constitua dans des dépenses dont elle ne daigna pas seulement
+s'informer; et nous ne sûmes qu'elle restait qu'au moment de partir,
+lorsqu'on eut mis les chevaux à cette admirable voiture que vous nous
+envoyâtes. Alors, Lirila, ne sachant pas bien positivement ce qu'il lui
+fallait, me tint à peu près ce discours:
+
+«Prince, je crois que vous pouvez aller seul, et que je reste.
+
+«--Et pourquoi donc, madame? lui demandai-je.
+
+«--Pourquoi? Mais c'est qu'il me semble que je ne veux ni de vous, ni de
+votre père.
+
+«--Mais, madame, d'où naît votre répugnance? Il me semble, à moi, que
+vous pourriez vous trouver mal d'un autre.
+
+«--Tant pis pour lui; je me trouve bien ici.
+
+«--Restez-y donc, madame...»
+
+«Et je partis sans prendre mon audience de congé de l'empereur, qui s'en
+formalisa beaucoup, comme vous savez. Je revins ici vous rendre compte
+de mon ambassade, vous courroucer de ce que je ne vous avais pas amené
+une sotte épouse, et obtenir l'exil pour la récompense de mes services.
+
+--Mon fils, mon fils, dit sérieusement Zambador au prince, vous ne me
+révélâtes pas tout alors, et vous fîtes sagement.»
+
+ * * * * *
+
+La sultane dit à sa chatouilleuse:
+
+«Assez.»
+
+Les émirs et ses femmes lui proposèrent obligeamment de continuer, si
+cela lui convenait.
+
+«Vous mériteriez bien, leur dit-elle, que je vous prisse au mot; mais
+j'ai joui assez longtemps de votre impatience. Assez. Et vous, premier
+émir, songez à ménager pour demain votre poitrine; car je ne veux rien
+perdre, et votre tâche sera double. Quelle heure est-il?
+
+--Deux heures du matin.
+
+--J'ai fait durer ma méchanceté plus longtemps que je ne voulais. Allez,
+allez vite.
+
+
+
+
+QUATRIÈME SOIRÉE.
+
+
+LA SULTANE.
+
+Je trouve mon lit mal fait... Où en étions-nous?... Est-ce toujours le
+prince qui raconte?
+
+--Oui, madame.
+
+--Et que dit-il?
+
+LA PREMIÈRE FEMME.
+
+Il dit: «Je ne sus d'abord où je me retirerais. Après quelques
+réflexions sur mon ignorance, car je n'avais jamais donné dans ces
+harangues où l'on me félicitait de mon profond savoir, il me prit envie
+de renouer connaissance avec Vérité, chez laquelle j'avais passé mes
+premières années. Je partis dans le dessein de la trouver; et comme je
+n'étais occupé d'aucune passion qui m'éloignât de son séjour, je n'eus
+presque aucune peine à la rencontrer. Je voyageai cette fois dans des
+dispositions d'âme plus favorables que la première. Les femmes de votre
+cour, seigneur, et la princesse Lirila ne me donnèrent pas les mêmes
+distractions que les jeunes vierges de la guenon couleur de feu.»
+
+LA SULTANE.
+
+Je crois, en effet, que l'image d'une jolie femme est mauvaise compagnie
+pour qui cherche Vérité.
+
+LA PREMIÈRE FEMME.
+
+«J'avais entièrement oublié les usages de la cour de cette fée, lorsque
+j'y arrivai; et je fus tout étonné de n'y voir que des gens presque nus.
+Les riches vêtements dont je m'étais précautionné m'auraient été tout à
+fait inutiles, peut-être même déshonoré, si la fée m'eût laissé libre
+sur mes actions. Ce n'étaient ici, et au Tongut, que des magnificences.
+Chez la fée Vérité, tout était, au contraire, d'une extrême simplicité:
+des tables d'acajou, des boisures unies, des glaces sans bordures, des
+porcelaines toutes blanches, presque pas un meuble nouveau.
+
+«Lorsqu'on m'introduisit, la fée était vêtue d'une gaze légère, qu'elle
+prenait toujours pour les nouveaux venus, mais qu'elle quittait à mesure
+qu'on se familiarisait avec elle. La chaise longue sur laquelle elle
+reposait n'aurait pas été assez bonne pour la bourgeoise la plus
+raisonnable; elle était d'un bleu foncé, relevée par des carreaux de
+Perse, fond blanc. Je fus surpris de ce peu de parure. On me dit que la
+fée n'en prenait presque jamais davantage, à moins qu'elle n'assistât à
+quelque cérémonie publique, ou qu'un grand intérêt ne la contraignît de
+se déguiser, comme lorsqu'il fallait paraître devant les grands. Toutes
+ces occasions lui déplaisaient, parce qu'elle ne manquait guère d'y
+perdre de sa beauté. Elle avait surtout une aversion insurmontable pour
+le rouge, les plumes, les aigrettes et les mouches. Les pierreries la
+rendaient méconnaissable. Elle ne se parait jamais qu'à regret.
+
+«Elle avait à ses côtés une nièce qui s'appelait Azéma, ou, dans la
+langue du pays, Candeur. Cette nièce avait d'assez beaux yeux, la
+physionomie douce, et par-dessus cela, le teint de la plus grande
+blancheur. Cependant elle ne plaisait pas: elle avait toujours un air si
+fade, si insipide, si décent, qu'on ne pouvait l'envisager sans se
+sentir peu à peu gagner d'ennui. Sa tante aurait bien voulu la marier,
+et même avec moi; car elle avait vingt-deux ans passés, temps où l'on
+doit épouser ou jamais. Mais pour être son neveu, il aurait fallu courir
+sur les brisées du génie Rousch, qui en était éperdu.
+
+«Rousch était le plus vilain, le plus dangereux, le plus ignoble des
+génies. Il était mince, il avait le teint basané, la figure commune,
+l'air sournois, les yeux renfoncés et couverts, les lèvres épaisses,
+l'accent gascon, les cheveux crépus, la bouche grande et les dents
+doubles.»
+
+LA SULTANE.
+
+Ne m'avez-vous pas dit que Rousch signifiait, dans la langue du pays,
+Menteur?
+
+LA PREMIÈRE FEMME.
+
+Je crois qu'oui.
+
+«Rousch était très-méchante langue. Pour de l'esprit, il en voulait
+avoir. Il était fat, petit-maître, insolent avec les femmes, lâche avec
+les hommes, grand parleur, ayant beaucoup de mémoire et n'en ayant pas
+encore assez, ignorant les bonnes choses, la tête pleine de frivolités,
+faisant des nouvelles, apprêtant des contes, imaginant des aventures
+scandaleuses, qu'il nous débitait comme des vérités. Nous donnions là
+dedans; il riait sous cape, et nous prenait pour des imbéciles, lui,
+pour un esprit supérieur.»
+
+LA SULTANE.
+
+Ne fut-ce pas ce même personnage qui inventa le grand art de persifler?
+Si cela n'est pas, laissez-le-moi croire.
+
+LA PREMIÈRE FEMME.
+
+«La fée me paraissait plus digne d'attention que sa nièce. Je commençais
+à me faire à son air austère et sérieux. Elle avait des charmes, mais on
+n'en était pas toujours touché. Elle ne changeait point, mais on était
+journalier avec elle. Ce qui me rebutait quelquefois, c'était une
+sécheresse excessive. Son visage seulement conservait quelque sorte
+d'embonpoint. Sa taille était ordinaire. Elle avait l'air noble, la
+démarche grave et composée, les yeux pénétrants et petits, quelque chose
+d'intéressant dans la physionomie, la bouche grande, les dents belles,
+les cheveux de toutes sortes de couleurs. On remarquait dans ses traits
+je ne sais quoi d'antique qui ne plaisait pas à tout le monde. Elle ne
+manquait pas d'esprit. Pour des connaissances, personne n'en avait
+davantage et de plus sûres. Elle ne laissait rien entrer dans sa tête,
+sans l'avoir bien examiné. Du reste, sans enjouement et sans aménité,
+aimant la promenade, la philosophie, la solitude et la table; écrivant
+durement; ayant tout vu, tout lu, tout entendu, tout retenu, excepté
+l'histoire et les voyages; faisant ses délices des ouvrages de caractère
+et de moeurs, pourvu que la religion n'y fût point mêlée. Il était
+défendu de parler en sa présence de son dieu, de sa maîtresse et de son
+roi. Les mathématiques étaient presque son unique étude. La musique ne
+lui déplaisait pas, surtout l'italienne. Elle avait peu de goût pour la
+poésie. Elle aimait les enfants à la folie; aussi lui en envoyait-on de
+toutes parts; mais elle ne les gardait pas longtemps: à peine
+avaient-ils l'âge de raison, que Rousch et ses partisans nombreux les
+lui débauchaient.»
+
+LA SULTANE.
+
+La fée n'était-elle pas là, lorsque Génistan en parlait ainsi?
+
+LA PREMIÈRE FEMME.
+
+Oui, madame.
+
+LA SULTANE.
+
+Comment prit-elle ce portrait, qui n'était pas flatté?
+
+LA PREMIÈRE FEMME.
+
+Elle s'avança vers lui, l'embrassa tendrement; et le prince continua.
+
+«Je fus du nombre de ceux que Rousch entreprit; mais j'aimais la fée et
+j'en étais aimé. Le moyen de lui plaire, en me liant avec le seul génie
+qu'elle eût en aversion! Je m'appliquai donc à éloigner Rousch. Il en
+fut piqué. Azéma, sur laquelle il avait des vues, s'avisa d'en avoir sur
+moi; et voilà Rousch furieux. C'était bien à tort, car je n'avais pas le
+moindre dessein qui pût l'alarmer. La tante eut beau me vanter la bonté
+de son esprit et la douceur de son caractère, je répondis aux éloges de
+l'une et aux agaceries insinuantes de sa nièce, qu'Azéma ferait
+assurément le bonheur de son époux, mais que je ne pouvais faire le
+sien; et il n'en fut plus question. Cependant Rousch ne me le pardonna
+pas davantage. Il se promit une vengeance proportionnée à l'injure qu'il
+prétendait avoir reçue. Il médita d'abord de se battre; mais après y
+avoir un peu réfléchi, il trouva qu'il n'en avait pas le courage. Il
+aima mieux recourir à son art. Il redoubla de rage contre Vérité, et se
+mit à la défigurer d'une si étrange manière, que je ne pus l'aimer ce
+jour-là. À l'entendre, c'était une pédante, une ennemie des plaisirs et
+du bonheur; que sais-je encore? Je parus froid à la fée; j'abrégeai les
+longs entretiens que j'avais coutume d'avoir avec elle: je ne sais même
+si je n'eus pas une mauvaise honte de l'attachement scrupuleux que je
+lui avais voué. Cependant je la revis le lendemain, mais d'un air
+embarrassé. La fée m'avait deviné; elle me demanda comment je l'avais
+trouvée la veille.
+
+«--Madame, lui répondis-je, on ne peut pas mieux. Vous êtes charmante en
+tout temps; mais hier vous étiez à ravir.
+
+«--Ah! mon fils, me répondit la fée, Rousch vous a séduit. Quel dommage,
+et que votre changement m'afflige! Prince, vous m'abandonnez.
+
+«Je fus sensible à ce reproche; et me jetant entre les bras de la fée
+(elle les tenait toujours ouverts à ceux qui revenaient sincèrement à
+elle), je la conjurai de ne me pas faire un crime d'un discours que la
+politesse m'avait dicté.»
+
+LA SULTANE.
+
+La politesse! Est-ce qu'il ne savait pas que c'était une des proches
+parentes et des bonnes amies de Rousch?
+
+LA PREMIÈRE FEMME.
+
+Pardonnez-moi, madame, la fée le lui avait dit plus d'une fois: aussi
+Génistan, se jetant à ses genoux, lui jura-t-il de ne plus ménager
+Rousch et sa parente à ses dépens, dût-il rester muet, et passer ou pour
+grossier ou pour sot. La fée le reçut en grâce, et lui conta les tours
+sanglants que Rousch s'amusait à lui jouer. «Tantôt, lui dit-elle, il me
+rend vieille et surannée, tantôt jeune et difforme; quelquefois il
+m'enjolive à tel point, qu'il ne me reste rien de ma dignité, et qu'on
+me prendrait pour une bouffonne; d'autres fois il me prête un air
+sauvage et rechigné. En un mot, sous quelque forme qu'il me présente, je
+suis estropiée. Il me fait un oeil bleu, et l'autre noir; les sourcils
+bruns et les cheveux blonds; mais il a beau me déguiser, les bons yeux
+me reconnaissent.»
+
+LA SULTANE.
+
+Les dieux n'ont laissé à Rousch qu'un moment d'une illusion qui cesse
+toujours à sa honte.
+
+LA PREMIÈRE FEMME.
+
+«Madame, dit le prince en se tournant du côté de la fée, me parlait
+ainsi lorsqu'on lui annonça le prince Lubrelu, ou, dans la langue du
+pays, Brouillon; et la princesse Serpilla, ou, dans la langue du pays,
+Rusée. C'étaient deux élèves qu'on lui envoyait. «Ah! dit la fée en
+fronçant le sourcil, que veut-on que je fasse de ces gens-là?» Elle les
+reçut assez froidement, et sans demander des nouvelles de leurs
+parents.»
+
+LA SULTANE.
+
+À vous, madame seconde.
+
+LA SECONDE FEMME.
+
+«Lubrelu salua la fée fort étourdiment. Il était assez joli garçon, mais
+louche et bègue. Il parlait beaucoup et sans suite, n'était d'accord
+avec lui-même, que quand il n'y pensait pas; grand disputeur, souvent il
+prenait les raisons de son sentiment pour des objections; sourd d'une
+oreille, quelquefois il entendait mal et répondait bien, ou entendait
+bien et répondait mal. Dès le même soir, il fut ami de Rousch.
+
+«Pour Serpilla, elle était petite, maigre et noire; elle contrefaisait
+la vue basse; elle avait le nez retroussé, le visage chiffonné, les
+coins de la bouche relevés: si elle méditait une méchanceté, elle en
+tirait en bas le coin gauche; c'était un tic. Son menton était pointu,
+ses sourcils bruns et prolongés vers les tempes; ses mains noires et
+sèches, mais elle ne quittait jamais ses gants. Elle parlait peu,
+pensait beaucoup, examinait tout, ne faisait aucune démarche, ne tenait
+aucun propos sans dessein; jouait toute sorte de personnages,
+l'étourdie, la distraite, la niaise, et n'avait jamais plus d'esprit que
+quand on était tenté de la prendre pour une idiote.
+
+«Azéma lui déplut d'abord; et elle s'occupa, dès le premier jour, à la
+tourner en ridicule, et à lui tendre des panneaux dans lesquels la bonne
+créature donnait tête baissée. Elle lui faisait voir une infinité de
+choses qui n'étaient point et ne pouvaient être. Elle se mit en tête de
+lui persuader que Génistan, moi, pour qui elle se sentait du goût, je
+l'aimais, elle Azéma, à la folie, mais que je n'osais le lui déclarer.
+
+«--Pourquoi, lui demandait Azéma, se taire opiniâtrément comme il fait?
+S'il n'a que des vues honnêtes, que ne parle-t-il à ma tante?...
+
+«--Princesse, lui répondait Serpilla, vous ne connaissez pas encore les
+amants délicats. S'adresser à votre tante, ce serait s'assurer de votre
+personne sans avoir pressenti votre coeur. Vous pouvez compter que le
+prince périra plutôt de chagrin que de hasarder une démarche qui
+pourrait vous déplaire...
+
+«--Ah! reprit Azéma, pour cela je ne veux pas qu'il périsse; je ne veux
+pas même qu'il souffre...
+
+«--Cependant cela est, et cela durera, si vous n'y mettez pas ordre...
+
+«--Mais comment faut-il que je m'y prenne? Je suis si neuve et si gauche
+à tout...
+
+«--Je le regarderais tendrement lorsqu'il viendrait chez ma tante; s'il
+lui arrivait de me donner la main, je la serrerais de distraction; je
+jetterais un mot, et puis un autre...
+
+«--En vérité, j'ai peur d'avoir fait tout cela sans y penser...
+
+«--Si cela est, il faut avouer que ce Génistan est un cruel homme. Je
+n'y vois plus qu'un remède...
+
+«--Et quel est-il?...
+
+«--Ho! non, je ne vous le dirai pas...
+
+«--Et pourquoi?...
+
+«--C'est que si je vous le disais, vous le confieriez peut-être à votre
+tante...
+
+«--Ne craignez rien; vous ne sauriez croire combien je suis discrète...
+
+«--Eh bien! j'écrirais...
+
+«--Si c'est là votre secret, n'en parlons plus; je n'oserais jamais m'en
+servir...
+
+«--N'en parlons plus, comme vous dites. Il me semble qu'il fait beau et
+qu'un tour de promenade vous dissiperait...
+
+«--Très-volontiers; nous rencontrerons peut-être le prince Génistan...
+
+«--Le prince a renoncé à tout amusement. S'il se promène, c'est dans des
+lieux écartés et solitaires. Je ne sais où le conduira cette triste vie.
+S'il en mourait pourtant, c'est vous qui en seriez la cause...
+
+«--Mais je ne veux pas qu'il meure, je vous l'ai déjà dit...
+
+«--Écrivez-lui donc...
+
+«--Je n'oserais; et puis je ne sais que lui écrire...
+
+«--Que ne m'en chargez-vous? Vous me connaissez un peu, et vous ne me
+croyez pas, sans doute, aussi maladroite que je le parais. J'arrangerai
+les choses avec toute la décence imaginable. La lettre sera anonyme. Si
+la déclaration réussit, c'est vous qui l'aurez faite; si elle échoue, ce
+sera moi...
+
+«--Vous êtes bien bonne...»
+
+LA SULTANE.
+
+Cette Serpilla est une dangereuse créature, et la simple Azéma n'en
+savait pas assez pour sentir ce piége. La lettre fut-elle écrite?
+
+LA SECONDE FEMME.
+
+Le prince dit que oui.
+
+LA SULTANE.
+
+Fut-elle répondue?
+
+LA SECONDE FEMME.
+
+Le prince dit que non.
+
+LA SULTANE.
+
+Et pourquoi?
+
+LA SECONDE FEMME.
+
+«Je n'avais garde, dit le prince, de me fier à Serpilla, et cela sous
+les yeux de la fée, qui nous aurait devinés d'abord, et qui ne m'aurait
+jamais pardonné cette intrigue. Azéma fut désolée de mon silence, mais
+elle ne se plaignit pas. Sa méchante amie se fit un mérite auprès d'elle
+de la démarche hardie qu'elle avait faite pour la servir, et Azéma l'en
+remercia sincèrement. Rousch ne fut pas si scrupuleux que moi; on dit
+qu'il tira parti de Serpilla. Ce qu'il y a de vrai, c'est qu'on remarqua
+de la liaison entre eux, et qu'ils formèrent avec Lubrelu une espèce de
+triumvirat qui mit en fort peu de temps la cour de la fée sens dessus
+dessous. On s'évitait, on ne se parlait plus; c'étaient des caquets et
+des tracasseries sans fin; on se boudait sans savoir pourquoi, et la fée
+en était de fort mauvaise humeur.»
+
+LA SULTANE.
+
+C'est, en vérité, comme ici; et je croirais volontiers que ce triumvirat
+subsiste dans toutes les cours.
+
+LA SECONDE FEMME.
+
+«La fée fit publier pour la centième fois les anciennes lois contre la
+calomnie; elle défendit de hasarder des conjectures sur la réputation
+d'un ennemi, même sur celle d'un méchant notoire, sous peine d'être
+banni de sa cour; elle redoubla de sévérité; et s'il nous arrivait
+quelquefois de médire, elle nous arrêtait tout court, et nous demandait
+brusquement: «Est-ce à vous que le fait est arrivé? Ce que vous
+racontez, l'avez-vous vu?» Elle était rarement satisfaite de nos
+réponses. Elle m'interdit une fois sa présence pendant quatre jours,
+pour avoir assuré une aventure arrivée au Tongut tandis que j'y étais,
+mais à laquelle je n'avais eu aucune part, et que je n'avais apprise que
+par le bruit public.
+
+«Malgré les défenses de Vérité, Lubrelu avait toutes les peines du monde
+à se contenir. Il lui échappait à tout moment des choses peu mesurées
+qui offensaient moins de sa part que d'un autre, parce qu'il y avait,
+disait-on, dans son fait plus de sottise et d'étourderie que de
+méchanceté: il croyait parler sans conséquence, en disant hautement que
+j'étais bien avec la tante, et passablement avec la nièce; qu'il y avait
+entre nous un arrangement le mieux entendu, et que le jour j'appartenais
+à Azéma, et la nuit à Vérité.
+
+«Rousch, qui était présent, lui répondit qu'il lui abandonnait la
+vieille fée pour en disposer à sa fantaisie, mais qu'il prétendait qu'on
+s'écoutât quand on parlait d'Azéma. S'écouter, c'est ce que Lubrelu
+n'avait fait de sa vie; il répondit à Rousch par une pirouette, et lui
+laissa murmurer entre ses dents qu'il était épris d'Azéma; que personne
+ne l'ignorait; qu'il en était aimé; qu'il méditait depuis longtemps de
+l'épouser; et que, quoiqu'il eût commencé avec elle par où les autres
+finissent, il n'en était pas moins amoureux.
+
+«Lubrelu ne perdit pas ces derniers mots, qu'il redit le lendemain à
+Azéma, y ajoutant quelques absurdités fort atroces. Azéma en fut
+affligée, et s'en alla, en pleurant, se plaindre à sa tante, et la prier
+de l'envoyer pour quelque temps chez la fée Zirphelle, ou, dans la
+langue du pays, Discrète, son autre tante: Vérité y consentit. On tint
+le départ secret, et Azéma disparut sans que Rousch en sût rien. Il fit
+du bruit quand il l'apprit; mais Azéma était déjà bien loin: il courut
+après elle, ne la rejoignit point, et revint une fois plus hideux, me
+soupçonnant d'avoir enlevé ses amours, et bien résolu de m'en faire
+repentir. Ses menaces ne m'effrayèrent point; je n'ignorais pas que sa
+puissance était limitée, et qu'il ne me nuirait jamais que de concert
+avec le génie Nucton, ou comme qui dirait Sournois, qui résidait à mille
+lieues et plus du palais de Vérité. Mais qui l'eût cru? Rousch disparut
+un matin, et l'on sut qu'il était allé consulter Nucton sur les moyens
+de se venger.
+
+«Il n'était pas à un quart de lieue, qu'on entendit un grand fracas dans
+les avant-cours; on crut que c'était Rousch qui revenait: point du tout,
+c'était une de ses amies et des parentes de Lubrelu, que le hasard avait
+jetée dans cette contrée; on l'appelait Trocilla, comme qui dirait
+Bizarre. Sa manie était de courir sans savoir où elle allait; pourvu
+qu'elle ne suivît pas la grande route, elle était contente: aussi
+apprîmes-nous qu'elle s'était engagée dans des chemins de traverse où
+son équipage avait été mis en pièces, et qu'elle arrivait sur une mule
+rétive, crottée, déchirée, dans un désordre à faire mourir de rire.
+
+«On lui donna un appartement: il y en avait toujours de reste chez
+Vérité; elle se reposait en attendant ses gens, qu'elle maudissait, et
+qui ne demeuraient pas en reste avec elle. Ils arrivèrent enfin. On tira
+ses femmes d'une berline en souricière; c'étaient trois espèces de
+boiteuses: l'une boitait à droite, l'autre à gauche, la troisième des
+deux côtés. Trocilla, qui les examinait d'une croisée, trouvait leur
+allure si ridicule, qu'elle en riait à gorge déployée, comme si
+l'étrange spectacle de ces trois boiteuses, qui se hâtaient de venir,
+eût été nouveau pour elle. Tandis qu'un cocher en scaramouche et un
+valet en arlequin dételaient de la voiture deux chevaux, l'un blanc et
+l'autre noir, Trocilla était à sa toilette, qui commença sur les cinq
+heures du soir, et qui finit à peine à huit, qu'elle se présenta chez la
+fée Vérité.
+
+«Je n'ai rien vu de si extravagant que sa parure, et sa personne attira
+mon attention et celle de tout le monde.»
+
+LA SULTANE.
+
+C'est le privilége de la singularité plus encore que de la beauté. Les
+hommes se livrent plus promptement à ce qui les surprend qu'à ce qu'ils
+admireraient.
+
+ * * * * *
+
+La sultane prononça cette réflexion sensée d'un ton faible et entrecoupé
+qui annonçait l'approche du sommeil.
+
+LA SECONDE FEMME.
+
+«Trocilla était plutôt grande que petite, mal proportionnée: c'étaient
+de longues jambes au bout de longues cuisses, qui lui donnaient l'air
+d'une sauterelle, surtout quand elle était assise: point de taille; un
+bras potelé, et l'autre sec; une main laide et difforme, et l'autre
+jolie; un pied petit et délicat dans une grande mule rembourrée, un
+autre pied grand et mal fait, enchâssé dans une petite mule; mais cela
+n'y faisait rien: par ce moyen, elle avait deux mules égales. Son épaule
+droite était un peu plus haute que la gauche; à la vérité, un corps et
+l'éducation avaient affaibli ce défaut: elle avait des couleurs et point
+de teint; un oeil bleu et un oeil gris; le nez long et pointu; la bouche
+charmante quand elle riait; mais par malheur pour ceux qui
+l'approchaient, elle avait des journées tristes sans savoir pourquoi,
+car elle ne voulait pas que ce fût des vapeurs ou des nerfs.
+
+«Elle avait une robe de satin couleur de rose, avec des parures
+violettes; une simarre de velours bleu, garnie de crêpe; un noeud de
+diamants, d'où pendait une riche dévote, dans un temps où l'on n'en
+portait plus; une girandole de très-beaux brillants à l'oreille droite,
+et une perle d'orient à la gauche; une plume verte dans sa coiffure,
+dont un des côtés était en papillon, et l'autre en battant l'oeil, avec
+un énorme éventail à la main.
+
+«Voilà l'ajustement sous lequel nous apparut Trocilla.»
+
+LA SULTANE.
+
+La perle à l'oreille gauche est de trop.
+
+LA SECONDE FEMME.
+
+«Elle salua Vérité sans la regarder, s'étendit indécemment sur une
+sultane, tira de sa poche une lorgnette, dont elle ne se servit point,
+jeta à travers une conversation fort sérieuse trois ou quatre mots
+déplacés et plaisants, se moqua d'elle et du reste de la compagnie, et
+se retira.»
+
+LA SULTANE.
+
+Je vous conseille de l'imiter. Après la nuit dernière, je crois que vous
+pourriez avoir besoin de repos. Bonsoir, messieurs; mesdames, bonsoir;
+car je crois que vous allez vous coucher.
+
+
+
+
+CINQUIÈME SOIRÉE.
+
+
+Ce soir, Mangogul avait ordonné qu'on laissât la porte de l'appartement
+ouverte; et lorsque Mirzoza fut couchée, il profita du bruit que firent
+les improvisateurs en s'arrangeant autour de son lit, pour entrer sans
+qu'elle s'en doutât: il était placé debout, les coudes appuyés sur la
+chaise de la seconde femme et sur celle du premier émir, lorsque la
+sultane demanda à celui-ci si sa poitrine lui permettait de la
+dédommager du silence qu'il gardait depuis deux jours. L'émir lui
+répondit qu'il ferait de son mieux, et commença comme il suit:
+
+LE PREMIER ÉMIR.
+
+«Je pris pour elle ce qu'on appelle une fantaisie.»
+
+LA SULTANE.
+
+Ce _je_, c'est le prince Génistan; et cet _elle_, c'est apparemment
+Trocilla.
+
+LE PREMIER ÉMIR.
+
+Oui, madame.
+
+LA SULTANE.
+
+Ah, les hommes! les hommes!... Je les crois encore plus fous que nous.
+
+LE PREMIER ÉMIR.
+
+Madame en excepte sûrement le sultan.
+
+LA SULTANE.
+
+Continuez.
+
+LE PREMIER ÉMIR.
+
+«L'occasion de l'instruire de mes sentiments n'était pas difficile à
+trouver; mais il fallait se cacher de Vérité. Un jour que la fée était
+profondément occupée, la crainte de la distraire me servit de prétexte,
+et j'allai faire ma cour à Trocilla, qui me reçut bien. J'y retournai le
+lendemain, et elle me fit froid d'abord. Sa mauvaise humeur cessa
+lorsqu'elle s'aperçut que je ne m'empressais nullement à la dissiper;
+elle railla la religion, les prêtres et les dévotes; traita la modestie,
+la pudeur et les principales vertus de son sexe, de freins imaginés par
+les sottes; et je crus victoire gagnée: point de préjugés à combattre,
+point de scrupules à lever; je ne désirais qu'une seconde entrevue pour
+être heureux; encore ne fallait-il pas qu'elle fût longue, de peur
+d'avoir du temps de reste, et de ne savoir qu'en faire. J'eus un autre
+jour l'occasion de la reconduire dans son appartement: chemin faisant,
+je lui demandai la permission d'y rester un moment; elle me fut
+accordée. Aussitôt je me mis en devoir de lui dire des choses tendres et
+galantes autant qu'il m'en vint: que je l'avais aimée depuis que j'avais
+eu le bonheur de la voir; que c'était un de ces coups de sympathie
+auxquels jusqu'alors j'avais ajouté peu de foi, et qu'il fallait que ma
+passion fût bien violente, puisque j'osais la lui déclarer la seconde
+fois que je jouissais de son entretien: elle m'écouta attentivement;
+puis tout à coup éclatant de rire, elle se leva et appela toutes ses
+femmes, qui accoururent, et qu'elle renvoya. Je la priai de se remettre
+d'une surprise à laquelle ses charmes ne l'exposaient pas sans doute
+pour la première fois. Vous avez raison, me répondit-elle: on m'a aimée,
+on me l'a dit, et je devrais y être faite; mais il m'est toujours
+nouveau de voir des hommes, parce qu'ils sont aimables, prétendre qu'on
+leur sacrifiera l'honneur, la réputation, les moeurs, la modestie, la
+pudeur, et la plupart des vertus qui font l'ornement de notre sexe; car
+il paraît bien à leurs procédés et à ceux des femmes, que c'est à ces
+bagatelles que se réduisent les désirs des uns et les bontés des autres.
+Et continuant d'un ton moins naturel encore et plus pathétique: Non,
+s'écria-t-elle, il n'y a plus de décence; les liaisons ont dégénéré en
+un libertinage épouvantable; la pudeur est ignorée sur la surface de la
+terre: aussi les dieux se sont-ils vengés; et presque tous les
+hommes...»
+
+LA SULTANE.
+
+Sont devenus faux ou indiscrets.
+
+LE PREMIER ÉMIR.
+
+Madame en excepte sans doute le sultan.
+
+LA SULTANE.
+
+Continuez.
+
+LE PREMIER ÉMIR.
+
+«Je fus un peu déconcerté de ce sermon, auquel je ne m'attendais guère;
+et j'allais lui rappeler ses maximes de la veille, lorsqu'elle m'épargna
+ce propos ridicule, en me priant de me retirer, de crainte qu'on n'en
+tînt de méchants sur sa conduite. J'obéis, bien résolu d'abandonner
+Trocilla à toutes ses bizarreries, et de ne la revoir jamais. Mais
+j'avais plu; et dès le lendemain elle m'agaça, me dit des mots fort doux
+et assez suivis; et je me laissai entraîner.»
+
+LA SULTANE.
+
+Vous n'êtes que des marionnettes.
+
+LE PREMIER ÉMIR.
+
+Madame en excepte sans doute le sultan.
+
+LA SULTANE.
+
+Émir, respectez le sultan; respectez-moi, et continuez.
+
+LE PREMIER ÉMIR.
+
+«Je me rendis dans son appartement à l'heure marquée; je crus la trouver
+seule. Point du tout, elle s'occupait à prendre une leçon d'anglais, qui
+avait déjà duré fort longtemps, et que ma présence n'abrégea point. Nous
+y serions encore tous les trois, si le maître d'anglais, qui ne manquait
+pas d'intelligence, n'eût eu pitié de moi. Mais il était écrit que mon
+supplice serait plus long. Trocilla me reçut comme un homme tombé des
+nues, me laissa debout, ne me dit presque pas un mot; et sans m'accorder
+le temps de lui parler, sonna et se fit apporter une vielle, dont elle
+se mit à jouer précisément comme quand on est seul, et qu'on s'ennuie.»
+
+ * * * * *
+
+Ici le sultan ne put s'empêcher de rire; la sultane dit: «En effet,
+cette scène est assez ridicule.» Et l'émir reprit son récit.
+
+LE PREMIER ÉMIR.
+
+«Je lui laissai tâtonner une musette, un menuet; et elle allait
+commencer un maudit air à la mode, qui n'aurait point eu de fin, lorsque
+je pris la liberté de lui arrêter les mains.
+
+«Ah! vous voilà, me dit-elle, et que faites-vous ici à l'heure qu'il
+est?
+
+«--C'est par vos ordres, madame, lui répondis-je, que je m'y suis rendu;
+et il y a près de deux heures que j'attends que vous vous aperceviez que
+j'y suis...
+
+«--Est-il bien vrai?...
+
+«--Pour peu que vous en doutassiez, votre maître d'anglais vous
+l'assurerait...
+
+«--Vous l'avez donc entendu donner leçon? C'est un habile homme; qu'en
+pensez-vous? Et ma vielle, je commence à m'en tirer assez bien. Mais,
+asseyez-vous, je me sens en main, et je vais vous jouer des contredanses
+du dernier bal, qui vous réjouiront...
+
+«--Madame, lui répondis-je, faites-moi la grâce de m'entendre. À
+présent, ce ne sont point des airs de vielle que je viens chercher ici;
+quittez pour un moment votre instrument, et daignez m'écouter...
+
+«--Mais vous êtes extraordinaire, me dit Trocilla; vous ne savez pas ce
+que vous refusez. J'allais vous jouer, ce soir, comme un ange...
+
+«--Madame, lui répliquai-je, si je vous gêne, je vais me retirer...
+
+«--Non, restez, monsieur. Et qui vous dit que vous me gênez?...
+
+«--Quittez donc ce maudit instrument, ou je le brise...
+
+«--Brisez, mon cher; brisez: aussi bien j'en suis dégoûtée.»
+
+«Je détachai la ceinture de la vielle, non sans serrer doucement la
+taille de la vielleuse. Trocilla était assise sur un tabouret; cette
+situation n'était pas commode.»
+
+LA SULTANE.
+
+Émir, supposez que je dors, et continuez.
+
+LE PREMIER ÉMIR.
+
+«Je la pris par sa main jolie, que je baisai plusieurs fois, en la
+conduisant vers une chaise longue, sur laquelle je la poussai doucement;
+elle s'y laissa aller sans façon; et me voilà assis à côté d'elle, lui
+baisant encore la main, et lui protestant d'une voix émue que je
+l'adorais.»
+
+ * * * * *
+
+De distraction le sultan s'écria: «Adore donc, maudite bête!»
+Heureusement, la sultane, ou ne l'entendit pas, ou feignit de ne pas
+l'entendre.
+
+LE PREMIER ÉMIR.
+
+«Trocilla me crut apparemment, car elle me passa son autre main sur les
+yeux, et l'arrêta sur ma bouche. Je la regardai dans ce moment, et je la
+trouvai charmante. Son souris, son badinage, le son de sa voix, tout
+excitait en moi des désirs. Elle me tenait de petits propos d'enfants,
+qui achevaient de me tourner la tête. Bientôt je n'y fus plus. Je me
+penchai sur sa gorge. Je ne sais trop ce que mes mains devinrent.
+Trocilla paraissait éprouver le même trouble; et nous touchions à
+l'instant du bonheur, lorsque nous sortîmes, elle et moi, de cette
+situation voluptueuse, par une extravagance inouïe. Trocilla me repoussa
+fortement; et se mettant à pleurer, mais à pleurer à chaudes larmes:
+
+«Ah! cher Zulric, s'écria-t-elle; tendre et fidèle amant, que
+deviendrais-tu, si tu savais à quel point je t'oublie?»
+
+«Ses larmes et ses soupirs redoublèrent; c'était à me faire craindre
+qu'elle ne suffoquât.
+
+«Retirez-vous, monsieur; je vous hais, je vous déteste. Vous m'avez fait
+manquer à mes serments, et tromper l'homme unique à qui je suis engagée
+par les liens les plus solennels; vous n'en serez pas plus heureux, et
+j'en mourrai de douleur.»
+
+«Ces dernières paroles, et les larmes abondantes qui les suivirent, me
+persuadèrent que le quart d'heure était passé. Je me retirai, bien
+résolu de le faire renaître. J'envoyai le lendemain chez Trocilla, et
+j'appris de sa part qu'elle avait bien reposé et qu'elle m'attendait
+pour prendre le thé. Je partis sur-le-champ, et j'eus le bonheur de la
+trouver encore au lit.
+
+«Venez, prince, dit-elle; asseyez-vous près de moi. J'ai conçu pour vous
+des sentiments dont il faut absolument que je vous instruise. Il y va de
+mon bonheur, et peut-être de ma vie. Tâchez donc de ne pas abuser de ma
+sincérité. Je vous aime, mais de l'amour le plus tendre et le plus
+violent. Avec le mérite que vous avez, il ne doit pas être nouveau pour
+vous d'être prévenu. Ah! si je rencontre dans votre coeur la même
+tendresse que vous avez fait naître dans le mien, que je vais être
+heureuse! Parlez, prince, ne me suis-je point trompée lorsque je me suis
+flattée de quelque retour? M'aimez-vous?
+
+«--Ah, madame, si je vous aime! Ne vous l'ai-je pas assuré cent fois?
+
+«--Serait-il bien possible!
+
+«--Rien n'est plus vrai.
+
+«--Je le crois, puisque vous me le dites; mais je veux mourir, si je
+m'en souviens. Vraiment, je suis enchantée de ce que vous m'apprenez là.
+Je vous conviens donc beaucoup, beaucoup?
+
+«--Autant qu'à qui que ce soit au monde.
+
+«--Eh bien, mon cher, reprit-elle en me serrant la main entre la sienne
+et son genou, personne ne me convient comme toi. Tu es charmant, divin,
+amusant au possible, et nous allons nous aimer comme des fous. On disait
+que Vindemill, Illoo, Girgil, avaient de l'esprit. J'ai un peu connu ces
+personnages-là, et je te puis assurer que ce n'était rien, moins que
+rien.»
+
+«Trocilla ne laissait pas que d'avoir rencontré bien des gens d'esprit,
+quoiqu'elle n'en accordât qu'à elle et à son amant.
+
+«À présent, madame, je puis donc me flatter, lui dis-je, que vous ne
+vous souviendrez plus de Zulric ni d'aucun autre?
+
+«--Que parlez-vous de Zulric? reprit-elle. C'est un petit sot qui s'est
+imaginé qu'il n'y avait qu'à faire le langoureux auprès d'une femme et à
+l'excéder de protestations pour la subjuguer. C'est de ces gens prêts à
+mourir cent fois pour vous, et dont une misérable petite complaisance
+vous débarrasse; mais vous, ce n'est pas cela; et quelque répugnance que
+vous ayez pour les hiboux, je gage que vous la vaincriez, si j'avais
+attaché mes faveurs aux caresses que vous feriez au mien.»
+
+«Seigneur, dit Génistan à son père, les autres femmes ont un serin, une
+perruche, un singe, un doguin. Trocilla en était, elle, pour les
+hiboux... Oui, seigneur, pour les hiboux!... De tous les oiseaux, c'est
+le seul que je n'ai pu souffrir. Trocilla en avait un qu'elle ne
+montrait qu'à ses meilleurs amis.»
+
+LA SULTANE.
+
+Que beaucoup de gens avaient vu.
+
+LE PREMIER ÉMIR.
+
+«Et qu'on me présenta sur-le-champ. «Voyez mon petit hibou me dit-elle;
+il est charmant, n'est-ce pas? Ce toquet blanc à la housarde, qu'on lui
+a placé sur l'oreille, lui fait à ravir. C'est une invention de mes
+boiteuses. Ce sont des femmes admirables. Mais vous ne me dites rien de
+mon petit hibou?
+
+«--Madame, lui répondis-je, vous auriez pu, je crois, prendre du goût
+pour un autre animal. Il n'y a que vous aux Indes, à la Chine, au Japon,
+qui se soit avisée d'avoir un hibou en toquet.
+
+«--Vous vous trompez, me répondit-elle: c'est l'animal à la mode; et de
+quel pays débarquez-vous donc? Ici tout le monde a son hibou, vous
+dis-je, et il n'est pas permis de s'en passer. Promettez-moi donc
+d'avoir le vôtre incessamment; je sens que je ne puis vous aimer sans
+cela.»
+
+«Je lui promis tout ce qu'elle voulut, et je la pressai d'abréger mon
+impatience.»
+
+LA SULTANE.
+
+Je crois, émir, qu'il est à propos que je me rendorme. Me voilà
+rendormie; continuez.
+
+LA PREMIÈRE FEMME.
+
+«Elle y consentit, mais à la condition que j'aurais un hibou.
+
+«Ah! plutôt quatre, madame,» lui répondis-je.
+
+«À l'instant elle me reçut les bras ouverts. Je fus exposé aux
+emportements de la femme du monde qui aimait le moins; j'y répondis avec
+toute l'impétuosité d'un homme qui ne voulait pas laisser à Trocilla le
+temps de se refroidir.
+
+«Vous aurez un hibou, me disait-elle d'une voix entrecoupée: prince,
+vous me le promettez.
+
+«--Oui, madame, lui répondis-je, dans un instant où l'on est dispensé de
+connaître toute la force de ses promesses: je vous le jure par mon amour
+et par le vôtre.»
+
+«À ces mots, Trocilla se tut, et moi aussi. Il y avait près d'une
+demi-heure que nous étions ensemble, lorsqu'elle me dit froidement de la
+laisser dormir et de me retirer. Si je n'avais pas su à quoi m'en tenir,
+je m'en serais pris à moi-même de cette indifférence subite; mais je
+n'avais rien à me reprocher, ni elle non plus. Je pris donc le parti de
+lui obéir, et même plus scrupuleusement peut-être qu'elle ne s'y
+attendait. Je revins à Vérité, qui me parut plus belle que jamais.»
+
+LA SULTANE.
+
+C'est la vraie consolation dans les disgrâces, et on ne lui trouve
+jamais tant de charmes que quand on est malheureux.
+
+LA SECONDE FEMME.
+
+«Toutes ces choses s'étaient passées, lorsque Rousch reparut: il avait
+vu Nucton, et ils avaient concerté de me faire rentrer cent pieds sous
+terre; c'était leur expression. La pauvre Azéma, dont ils avaient
+découvert la retraite, avait déjà éprouvé les cruels effets de leur
+haine. Rousch lui avait soufflé sur le visage une poudre qui l'avait
+rendue toute noire. Dans cet état elle n'osait se montrer; elle vivait
+donc renfermée, détestant à chaque moment Rousch et arrosant sans cesse
+de ses larmes un miroir qui lui peignait toute sa laideur, et qu'elle ne
+pouvait quitter. Sa tante apprit son malheur, la plaignit et vint à son
+secours. Elle essaya de laver le visage de sa triste nièce; mais elle y
+perdit ses peines. Noire elle était, noire elle resta: ce qui détermina
+la fée à la transformer en colombe et à lui restituer sa première
+blancheur sous une autre forme.
+
+«Vérité, de retour chez Azéma, songea à me garantir des embûches de
+Rousch. Pour cet effet, elle me fit partir incognito. Mais admirez les
+caprices des femmes et surtout de Trocilla; elle ne me sut pas plus tôt
+éloigné d'elle, qu'elle songea à s'approcher de moi. Elle s'informa de
+la route que j'avais prise, et me suivit. Rousch, instruit de notre
+aventure, connaissant assez bien son monde, et particulièrement
+Trocilla, ne douta point qu'il ne parvînt au lieu de ma retraite, en
+marchant sur ses traces. Sa conjecture fut heureuse; et, un matin, nous
+nous trouvâmes tous trois en déshabillé dans un même jardin.
+
+«La présence de Trocilla me consola un peu de celle de Rousch. Je fus
+flatté d'avoir fait faire quatre cent cinquante lieues à une femme de
+son caractère; et je me déterminai à la revoir. Ce n'était pas le moyen
+d'éviter Rousch; car Trocilla et Rousch se connaissaient de longue main,
+et ils avaient toujours été passablement ensemble. C'était de concert
+avec elle qu'il ébauchait tous ces récits scandaleux. Il inventait le
+fond; elle mettait de l'originalité dans les détails, d'où il arrivait
+qu'on les écoutait avec plaisir, qu'on les répétait partout, qu'on
+paraissait y croire, mais qu'on n'y croyait pas.»
+
+LA SULTANE.
+
+Il y a quelquefois tant de finesse dans votre conte, que je serais
+tentée de le croire allégorique.
+
+LE PREMIER ÉMIR.
+
+«Un soir qu'une des boiteuses de Trocilla m'introduisait chez sa
+maîtresse par un escalier dérobé, j'allai donner rudement de la tête
+contre celle de Rousch, qui s'esquivait par le même escalier. Nous fûmes
+l'un et l'autre renversés par la violence du choc. Rousch me reconnut au
+cri que je poussai. «Malheureux, s'écria-t-il, que le destin a conduit
+ici, tremble. Tu vas enfin éprouver ma colère.» À l'instant il prononça
+quelques mots inintelligibles, et je sentis mes cuisses rentrer en
+elles-mêmes, se raccourcir et se fléchir en sens contraire, mes ongles
+s'allonger et se recourber, mes mains disparaître, mes bras et le reste
+de mon corps se revêtir de plumes. Je voulus crier, et je ne pus tirer
+de mon gosier qu'un son rauque et lugubre. Je le redis plusieurs fois;
+et les appartements en retentirent et le répétèrent. Trocilla accourut
+au ramage, qui lui parut plaisant; elle m'appela: «Petit, petit.» Mais
+je n'osai pas me confier à une femme qui n'avait de fantaisie que pour
+les hiboux. Je pris mon vol par une fenêtre, résolu de gagner le séjour
+de Vérité et de me faire désenchanter; mais je ne pus jamais reprendre
+le chemin de son séjour. Plus j'allais, plus je m'égarais. Ce serait
+abuser de votre patience que de vous raconter le reste de mes voyages et
+mes erreurs. D'ailleurs tout voyageur est sujet à mentir. J'aurais peur
+de succomber à la tentation, et j'aime mieux que ce soit Vérité qui vous
+achève elle-même mes aventures.»
+
+LA SULTANE.
+
+Ce sera la première fois qu'elle se mêlera de voyage.
+
+LE PREMIER ÉMIR.
+
+«Mais il faut bien qu'elle fasse quelque chose pour vous et pour moi qui
+l'aimais de si bonne amitié et qui avons tant fait pour elle, dit
+Génistan à son père.»
+
+LA SULTANE.
+
+Ce conte est ancien, puisqu'il est du temps où les rois aimaient la
+vérité.
+
+LE PREMIER ÉMIR.
+
+Génistan s'arrêta; Vérité prit la parole; et, comme elle poussait
+l'exactitude dans les récits jusqu'au dernier scrupule, elle dépêcha en
+quatre mots ce que nous aurions eu de la peine à écrire en vingt pages.
+
+«J'aurais voulu, ajouta-t-elle, en le débarrassant de ses plumes, lui
+ôter une fantaisie qu'il a prise sous cet habit. Il s'est entêté d'une
+des filles de Kinkinka.
+
+--Celle, dit le sultan, qui avait permis qu'on le mît à la crapaudine.
+
+--Vous voulez dire à la basilique. Elle-même.
+
+--Mais il est fou. Celle qui fait aussi peu de cas de la vie de son
+amant se jouera de l'honneur de son mari. Mon fils veut donc être... Je
+serais pourtant bien aise que nous commençassions à nous donner
+nous-mêmes des successeurs. Il y a assez longtemps que d'autres s'en
+mêlent. Madame, vous qui savez tout, pourriez-vous nous dire comment il
+faudrait s'y prendre?
+
+--Il n'y a point de remède au passé, répondit Vérité; mais je vous
+réponds de l'avenir si vous donnez le prince à Polychresta. Rien ne sera
+ni si fidèle ni si fécond, et je vous réponds d'une légion de
+petits-fils, et tous de Génistan.
+
+--Qui empêche donc, ajouta le sultan, qu'on en fasse la demande?
+
+--Un petit obstacle: c'est que si Polychresta vous convient fort, elle
+ne convient point à votre fils. Il ne peut la souffrir; il la trouve
+bourgeoise, sensée, ennuyeuse, et je ne sais quoi encore...
+
+--Il l'a donc vue?...
+
+--Jamais. Votre fils est un homme d'esprit; et quel esprit y aurait-il,
+s'il vous plaît, à aimer ou haïr une femme après l'avoir vue? C'est
+comme font tous les sots...
+
+--Parbleu, dit le sultan, mon fils l'entendra comme il voudra; mais
+j'avais connu sa mère avant que de la prendre; et si, je ne suis pas un
+sot...
+
+--Je serais fort d'avis, dit la fée, que votre fils quittât pour cette
+fois seulement un certain tour original qui lui sied, pour prendre votre
+bonhomie, et qu'il vît Polychresta avant que de la dédaigner; mais ce
+n'est pas une petite affaire que de l'amener là. Il faudrait que vous
+interposassiez votre autorité...
+
+--Ho, dit le sultan, s'il ne s'agit que de tirer ma grosse voix, je la
+tirerai. Vous allez voir.»
+
+Aussitôt il fit appeler son fils; et prenant l'air majestueux qu'il
+attrapait fort bien quand on l'en avertissait:
+
+«Monsieur, dit-il à son fils, je veux, j'entends, je prétends, j'ordonne
+que vous voyiez la princesse Polychresta lundi; qu'elle vous plaise
+mardi; que vous l'épousiez mercredi: ou elle sera ma femme jeudi...
+
+--Mais, mon père...
+
+--Point de réponse, s'il vous plaît. Polychresta sera jeudi votre femme
+ou la mienne. Voilà qui est dit; et qu'on ne m'en parle pas davantage.»
+
+Le prince, qui n'avait jamais offensé son père par un excès de respect,
+allait s'étendre en remontrances, malgré l'ordre précis de les
+supprimer; mais le sultan lui ferma la bouche d'un _obéissez_, lui
+tourna le dos et lui laissa exhaler toute son humeur contre la fée.
+
+«Madame, lui dit-il, je voudrais bien savoir pourquoi vous vous mêlez,
+avec une opiniâtreté incroyable, de la chose du monde que vous entendez
+le moins. Est-ce à vous, qui ne savez ni exagérer l'esprit, la figure,
+la naissance, la fortune, les talents, ni pallier les défauts, à faire
+des mariages? Il faut que vous ayez une furieuse prévention pour votre
+amie, si vous avez imaginé qu'elle plairait sur un portrait de votre
+main. Vous qui n'ignorez aucun proverbe, vous auriez pu vous rappeler
+celui qui dit de ne point courir sur les brisées d'autrui. De tout temps
+les mariages ont été du ressort de Rousch. Laissez-le faire; il s'y
+prendra mieux que vous; et il serait du dernier ridicule qu'un aussi
+saugrenu que celui que vous proposez se consommât sans sa médiation.
+Mais vous n'y réussirez ni vous ni lui. Je verrai votre Polychresta,
+puisqu'on le veut; mais parbleu, je ne la regarde ni ne lui parle; et la
+manière dont votre légère amie s'y prendra pour vaincre ma taciturnité
+et m'intéresser sera curieuse. Vous pouvez, madame, vous féliciter
+d'avance d'une entrevue où nous ferons tous les trois des rôles fort
+amusants.»
+
+ * * * * *
+
+Le premier émir allait continuer lorsque Mangogul fit signe aux femmes,
+aux émirs et à la chatouilleuse de sortir.
+
+ * * * * *
+
+«Pourquoi donc vous en aller de si bonne heure? dit la sultane.
+
+--C'est, répondit le sultan, que j'en ai assez de leur métaphysique, et
+que je serais bien aise de traiter avec vous de choses un peu plus
+substantielles.
+
+--Ah! ah! vous êtes là!
+
+--Oui, madame.
+
+--Y a-t-il longtemps?
+
+--Ah! très-longtemps.
+
+--Premier émir, vous m'avez tendu deux ou trois piéges dont je ne
+renverrai pas la vengeance au dernier jugement de Brama.
+
+--L'émir est sorti, et nous sommes seuls. Parlez, madame; permettez-vous
+que je reste?
+
+--Est-ce que vous avez besoin de ma permission pour cela?
+
+--Non, mais je serais flatté que vous me l'accordassiez.
+
+--Restez donc.»
+
+
+
+
+SIXIÈME SOIRÉE.
+
+
+La sultane dit à sa chatouilleuse: «Mademoiselle, approchez-vous et
+arrangez mon oreiller: il est trop bas... Fort bien... Madame seconde,
+continuez. Je prévois que ce qui doit suivre sera plus de votre district
+que de celui du second émir. S'il prenait en fantaisie à Mangogul
+d'assister une seconde fois à nos entretiens, vous tousserez deux fois.
+Et commencez.»
+
+LA SECONDE FEMME.
+
+Tout ce qui n'avait point cet éclat qui frappe d'abord déplaisait
+souverainement à Génistan. Sa vivacité naturelle ne lui permettait ni
+d'approfondir le mérite réel ni de le distinguer des agréments
+superficiels. C'était un défaut national dont la fée n'avait pu le
+corriger, mais dont elle se flatta de prévenir les effets: elle prévit
+que, si Polychresta restait dans ses atours négligés, le prince, qui
+avait malheureusement contracté à la cour de son père et à celle du
+Tongut le ridicule de la grande parure, avec ce ton qui change tous les
+six mois, la prendrait à coup sûr pour une provinciale mise de mauvais
+goût et de la conversation la plus insipide. Pour obvier à cet
+inconvénient, Vérité fit avertir Polychresta qu'elle avait à lui parler.
+Elle vint. «Vous soupirez, lui dit la fée, et depuis longtemps, pour le
+fils de Zambador: je lui ai parlé de vous; mais il m'a paru peu disposé
+à ce que nous désirons de lui. Il s'est entêté dans ses voyages d'une
+jeune folle qui n'est pas sans mérite, mais avec laquelle il ne fera que
+des sottises: je voudrais bien que vous travaillassiez à lui arracher
+cette fantaisie; vous le pourriez en aidant un peu à la nature et en
+vous pliant au goût du prince et aux avis d'une bonne amie: par exemple,
+vous avez là les plus beaux yeux du monde; mais ils sont trop modestes;
+au lieu de les tenir toujours baissés, il faudrait les relever et leur
+donner du jeu: c'est la chose la plus facile. Cette bouche est petite,
+mais elle est sérieuse; je l'aimerais mieux riante. J'abhorre le rouge;
+mais je le tolère lorsqu'il s'agit d'engager un homme aimable. Vous
+ordonnerez donc à vos femmes d'en avoir. On abattra, s'il vous plaît,
+cette forêt de cheveux qui rétrécit votre front; et vous quitterez vos
+cornettes: les femmes n'en portent que la nuit. Pour ces fourrures,
+elles ne sont plus de saison; mais demain je vous enverrai une personne
+qui vous conseillera là-dessus, et dont je compte que vous suivrez les
+conseils, quelque ridicules que vous puissiez les trouver.» Polychresta
+allait représenter à la fée qu'elle ne se résoudrait jamais à se
+métamorphoser de la tête aux pieds, et qu'il ne lui convenait pas de
+faire la petite folle; mais Vérité, lui posant un doigt sur les lèvres,
+lui commanda de se parer et de ne rien négliger pour captiver le prince.
+
+Le lendemain matin, la fée Churchille, ou, dans la langue du pays,
+Coquette, arriva avec tout l'appareil d'une grande toilette. Une
+corbeille, doublée de satin bleu, renfermait la parure la plus galante
+et du goût le plus sûr; les diamants, l'éventail, les gants, les fleurs,
+tout y était, jusqu'à la chaussure: c'était les plus jolies petites
+mules qu'on eût jamais brodées. La toilette fut déployée en un tour de
+main, et toutes les petites boîtes arrangées et ouvertes: on commença
+par lui égaliser les dents, ce qui lui fit grand mal; on lui appliqua
+deux couches de rouge; on lui plaça sur la tempe gauche une grande
+mouche à la reine; de petites furent dispersées avec choix sur le reste
+du visage: ce qui acheva cette partie essentielle de son ajustement.
+J'oubliais de dire qu'on lui peignit les sourcils et qu'on lui en
+arracha une partie, parce qu'elle en avait trop. On répondit aux
+plaintes qui lui échappèrent dans cette opération, que les sourcils
+épais étaient de mauvais ton. On ne lui en laissa donc que ce qu'il lui
+en fallait pour lui donner un air enfantin; elle supporta cette espèce
+de martyre avec un héroïsme digne d'une autre femme et de l'amant
+qu'elle voulait captiver. Churchille y mit elle-même la main, et épuisa
+toute la profondeur de son savoir pour attraper ce je ne sais quoi, si
+favorable à la physionomie: elle y réussit; mais ce ne fut qu'après
+l'avoir manqué cinq ou six fois. On parvint enfin à lui mettre des
+diamants. Churchille fut d'avis de les ménager, de crainte que la
+quantité n'offusquât l'éclat naturel de la princesse: pour les femmes,
+elles lui en auraient volontiers placé jusqu'aux genoux, si on les avait
+laissées faire. Puis on la laça. On lui posa un panier d'une étendue
+immense, ce qui la choqua beaucoup: elle en demanda un plus petit. «Eh!
+fi donc, lui répondit Churchille; pour peu qu'on en rabattît, vous
+auriez l'air d'une marchande en habit de noces, et sans rouge on vous
+prendrait pour pis. Il fallut donc en passer par là: on continua de
+l'habiller, et quand elle le fut, elle se regarda dans une glace: jamais
+elle n'avait été si bien, et jamais elle ne s'était trouvée aussi mal.
+Elle en reçut des compliments. Vérité lui dit, avec sa sincérité
+ordinaire, que dans ses atours elle lui plaisait moins, mais qu'elle en
+plairait davantage à Génistan; qu'elle effacerait Lively dans son
+souvenir, et qu'elle pouvait s'attendre, pour le lendemain, à un sonnet,
+à un madrigal; car, ajouta-t-elle, il fait assez joliment des vers,
+malgré toutes les précautions que j'ai prises pour le détourner de ce
+frivole exercice.
+
+La fée donna l'après-dînée un concert de musettes, de vielles et de
+flûtes. Génistan y fut invité: on plaça avantageusement Polychresta,
+c'est-à-dire qu'elle n'eut point de lustre au-dessus de sa tête, pour
+que l'ombre de l'orbite ne lui renfonçât pas les yeux. On laissa à côté
+d'elle une place pour le prince, qui vint tard; car son impatience
+n'était pas de voir sa déesse de campagne: c'est ainsi qu'il appelait
+Polychresta. Il parut enfin et salua, avec ses grâces et son air
+distrait, la fée et le reste de l'assemblée. Vérité le présenta à sa
+protégée, qui le reçut d'un air timide et embarrassé, en lui faisant de
+très-profondes révérences. Cependant le prince la parcourait avec une
+attention à la déconcerter: il s'assit auprès d'elle et lui adressa des
+choses fines; Polychresta lui en répondit de sensées, et le prince
+conçut une idée avantageuse de son caractère, avec beaucoup
+d'éloignement pour sa société; «eh! laissez là le sens commun, ayez de
+la gentillesse et de l'enjouement; voilà l'essentiel avec de vieux
+louis, disait un bon gentilhomme...»
+
+LA SULTANE.
+
+Dont le château tombait en ruine.
+
+LA SECONDE FEMME.
+
+Quoique les revenus du prince fussent en très-mauvais ordre, il était
+trop jeune pour goûter ces maximes: c'était Lively qu'il lui fallait,
+avec ses agréments et ses minauderies; il se la représentait jouant au
+volant ou à colin-maillard, se faisant des bosses au front, qui ne
+l'empêchaient pas de folâtrer et de rire; et il achevait d'en raffoler.
+Que fera-t-il d'une bégueule d'un sérieux à glacer, qui ne parle jamais
+qu'à propos, et qui fait tout avec poids et mesure?
+
+Après le concert, il y eut un feu d'artifice qui fut suivi d'un repas
+somptueux: le prince fut toujours placé à côté de Polychresta; il eut de
+la politesse, mais il ne sentit rien. La fée lui demanda le lendemain ce
+qu'il pensait de son amie. Génistan répondit qu'il la trouvait digne de
+toute son estime, et qu'il avait conçu pour elle un très-profond
+respect. «J'aimerais mieux, reprit Vérité, un autre sentiment. Cependant
+il est bien doux de faire le bonheur d'une femme vertueuse et douée
+d'excellentes qualités.
+
+--Ah! madame, reprit le prince, si vous aviez vu Lively! qu'elle est
+aimable!
+
+--Je vois, dit Vérité, que vous n'avez que cette petite folle en tête,
+qui n'est point du tout ce qu'il vous faut.»
+
+LA SULTANE.
+
+Dans une maison, grande ou petite, il faut que l'un des deux au moins
+ait le sens commun.
+
+LA SECONDE FEMME.
+
+Le prince voulut répliquer et justifier son éloignement pour
+Polychresta; mais la fée, prenant un ton d'autorité, lui ordonna de lui
+rendre des soins, et lui répéta qu'il l'aimerait s'il voulait s'en
+donner le temps. D'un autre côté elle suggéra à son amie de prendre
+quelque chose sur elle et de ne rien épargner pour plaire au prince.
+Polychresta essaya, mais inutilement: un trop grand obstacle s'opposait
+à ses désirs; elle comptait trente-deux ans, et Génistan n'en avait que
+vingt-cinq: aussi disait-il que les vieilles femmes étaient toutes
+ennuyeuses: quoique la fée fût très-antique, ce propos ne l'offensait
+pas.
+
+LA SULTANE.
+
+Elle possédait seule le secret de paraître jeune.
+
+LA SECONDE FEMME.
+
+Le prince obéit aux ordres de la fée; c'était toujours le parti qu'il
+prenait, pour peu qu'il eût le temps de la réflexion. Il vit
+Polychresta; il se plut même chez elle.
+
+LA SULTANE.
+
+Toutes les fois qu'il avait fait des pertes au jeu, ou qu'il boudait
+quelqu'une de ses maîtresses.
+
+LA SECONDE FEMME.
+
+À la longue, il s'en fit une amie; il goûta son caractère; il sentit la
+force de son esprit; il retint ses propos; il les cita, et bientôt
+Polychresta n'eut plus contre elle que son air décent, son maintien
+réservé et je ne sais quelle ressemblance de famille avec Azéma, qu'il
+ne se rappelait jamais sans bâiller. Les services qu'elle lui rendit
+dans des occasions importantes achevèrent de vaincre ses répugnances. La
+fée, qui n'abandonnait point son projet de vue, revint à la charge. Dans
+ces entrefaites on annonça au prince que plusieurs seigneurs étrangers,
+à qui il avait fait des billets d'honneur pendant sa disgrâce, en
+sollicitaient le payement, et il épousa.
+
+Il porta à l'autel un front soucieux; il se souvint de Lively, et il en
+soupira. Polychresta s'en aperçut; elle lui en fit des reproches, mais
+si doux, si honnêtes, si modérés, qu'il ne put s'empêcher d'en verser
+des larmes et de l'embrasser.
+
+LA SULTANE.
+
+Je les plains l'un et l'autre.
+
+LA SECONDE FEMME.
+
+«Je n'ai point de goût pour Polychresta, disait-il en lui-même; mais
+j'en suis fortement aimé: il n'y a point de femme au monde que j'estime
+autant qu'elle, sans en excepter Lively. Voilà donc l'objet dont je suis
+désespéré de devenir l'époux! La fée a raison; oui, elle a raison: il
+faut que je sois fou! Les femmes de son mérite sont-elles donc si
+communes pour s'affliger d'en posséder une? D'ailleurs elle a des
+charmes qui seront même durables: à soixante ans elle aura de la bonne
+mine. Je ne puis me persuader qu'elle radote jamais; car je lui trouve
+plus de sens et plus de lumières qu'il n'en faut pour la provision et
+pour la vie d'une douzaine d'autres. Avec tout cela, je souffre. D'où
+vient cette cruelle indocilité de mon coeur? Coeur fou, coeur
+extravagant, je te dompterai.»
+
+Ce soliloque, appuyé de quelques propositions faites au prince de la
+part de Polychresta, le forcèrent, sinon à l'aimer, du moins à vivre
+bien avec elle.
+
+LA SULTANE.
+
+Ces propositions, je gagerais bien que je les sais. Continuez.
+
+LA SECONDE FEMME.
+
+«Prince, lui dit-elle un jour, peu de temps après leur mariage, les lois
+de l'empire défendent la pluralité des femmes; mais les grands princes
+sont au-dessus des lois.»
+
+LA SULTANE.
+
+Voilà ce que je n'aurais pas dit, moi.
+
+LA SECONDE FEMME.
+
+«Je consentirais sans peine à partager votre tendresse avec Lively.»
+
+LA SULTANE.
+
+Fort bien cela.
+
+LA SECONDE FEMME.
+
+«Mais plus de voyage chez Trocilla.»
+
+LA SULTANE.
+
+À merveille.
+
+LA SECONDE FEMME.
+
+«Des femmes de sens ne doivent-elles pas être bien flattées des
+sentiments qu'on leur adresse, lorsqu'on en porte de semblables chez une
+dissolue qui n'a jamais aimé, qui n'a rien dans le coeur, et qui
+pourrait vous précipiter dans des travers nuisibles à mon bonheur, au
+vôtre, à celui de vos sujets? Qui vous a dit que cette impérieuse folle
+ne s'arrogera pas le choix de vos ministres et de vos généraux? qui vous
+a dit qu'un moment de complaisance inconsidérée ne coûtera pas la vie à
+cinquante mille de vos sujets, et l'honneur à votre nation? J'ignore les
+intentions de Lively; mais je vous déclare que les miennes sont de
+n'avoir aucune intimité avec un homme qui peut se livrer à Trocilla et à
+ses hiboux.»
+
+LA SULTANE.
+
+Ce discours de Polychresta m'enchante.
+
+LA SECONDE FEMME.
+
+Le prince était disposé à sacrifier Trocilla, pourvu qu'on lui accordât
+Lively.
+
+LA SULTANE.
+
+Notre lot est d'aimer le souverain, d'adoucir le fardeau du sceptre, et
+de lui faire des enfants. J'ai quelquefois demandé des places au sultan
+pour mes amis, jamais aucune qui tînt à l'honneur ou au salut de
+l'empire. J'en atteste le sultan. J'ai sauvé la vie à quelques
+malheureux; jusqu'à présent je n'ai point eu à m'en repentir.
+
+LA SECONDE FEMME.
+
+Génistan proposa donc l'avis de sa nouvelle épousée au conseil, où il
+passa d'un consentement unanime. Il ne s'agissait plus que d'être
+autorisé par les prêtres, qui partageaient avec les ministres le
+gouvernement de l'empire, depuis la caducité de Zambador. Il se tint
+plusieurs synodes, où l'on ne décida rien. Enfin, après bien des
+délibérations, on annonça au prince qu'il pourrait en sûreté de
+conscience avoir deux femmes, en vertu de quelques exemples consacrés
+dans les livres saints, et d'une dispense de la loi, qui ne lui
+coûterait que cent mille écus.
+
+Génistan partit lui-même pour la Chine, et revit Lively plus aimable que
+jamais. Il l'obtint de son père, et revint avec elle au Japon.
+Polychresta ne fut point jalouse de son empressement pour sa rivale, et
+le prince fut si touché de sa modération, qu'elle devint dès ce moment
+son unique confidente. Il eut d'elle un grand nombre d'enfants, qui tous
+vinrent à bien. Il n'en fut pas de même de Lively: elle n'en put amener
+que deux à sept mois.
+
+Vérité demeura à la cour pendant plusieurs années; mais lorsque la mort
+de Zambador eut transmis le sceptre entre les mains de son fils, elle se
+vit peu à peu négligée, importune, regardée de mauvais oeil, et elle se
+retira, emmenant avec elle un fils que le prince avait eu de
+Polychresta, et une fille que Lively lui avait donnée.
+
+Trocilla fut entièrement oubliée et Génistan, partageant son temps entre
+les affaires et les plaisirs, jouissait du vrai bonheur d'un souverain,
+de celui qu'il procurait à ses sujets, lorsqu'il survint une aventure
+qui surprit étrangement la cour et la nation.
+
+ * * * * *
+
+Ici la sultane ordonna au premier émir de continuer; mais l'émir ayant
+toussé deux fois avant de commencer, Mirzoza comprit que le sultan
+venait d'entrer. «Assez,» dit-elle; et l'assemblée se retira.
+
+
+
+
+SEPTIÈME SOIRÉE.
+
+
+LE PREMIER ÉMIR.
+
+Un jour on avertit le sultan Génistan qu'une troupe de jeunes gens des
+deux sexes, qui portaient des ailes blanches sur le dos, demandaient à
+lui être présentés. Ils étaient au nombre de cinquante-deux, et ils
+avaient à leur tête une espèce de député. On introduisit cet homme dans
+la salle du trône, avec son escorte ailée. Ils firent tous à l'empereur
+une profonde révérence, le député en portant la main à son turban, les
+enfants en s'inclinant et trémoussant des ailes, et le député, prenant
+la parole, dit:
+
+«Très-invincible sultan, vous souvient-il des jours où, persécuté par un
+mauvais génie, vous traversâtes d'un vol rapide des contrées immenses,
+arrivâtes dans la Chine sous la forme d'un pigeon, et daignâtes vous
+abattre sur le temple de la guenon couleur de feu, où vous trouvâtes des
+volières dignes d'un oiseau de votre importance? Vous voyez,
+très-prolifique seigneur, dans cette brillante jeunesse les fruits de
+vos amours et les merveilleux effets de votre ramage. Les ailes blanches
+dont leurs épaules sont décorées ne peuvent vous laisser de doute sur
+leur sublime origine, et ils viennent réclamer à votre cour le rang qui
+leur est dû.»
+
+Génistan écouta la harangue du député avec attention. Ses entrailles
+s'émurent, et il reconnut ses enfants. Pour leur donner quelque
+ressemblance avec ceux de Polychresta, il leur fit aussitôt couper les
+ailes. «Qu'on me montre, dit-il ensuite, celui dont la princesse Lively
+fut mère.
+
+--Prince, lui répondit le député, c'est le seul qui manque; et votre
+famille serait complète, si la fée Coribella, ou dans la langue du pays,
+Turbulente, marraine de celui que vous demandez, ne l'avait enlevé dans
+un tourbillon de lumière, comme vous en fûtes vous-même le témoin
+oculaire, lorsque le grand Kinkinka le secouant par une aile, était sur
+le point de lui ôter la vie.»
+
+Le prince fut mécontent de ce qu'on avait laissé un de ses enfants en si
+mauvaises mains. «Ah! prince, ajouta le député, la fée l'a rendu tout
+joli; il a des mutineries tout à fait amusantes. Il veut tout ce qu'il
+voit; il crie à désespérer ses gouvernantes, jusqu'à ce qu'il soit
+satisfait; il casse, il brise, il mord, il égratigne; la fée a défendu
+qu'on le contredît sur quoi que ce soit.»
+
+Ici le député se mit à sourire.
+
+«De quoi souriez-vous? lui dit le prince.
+
+--D'une de ses espiègleries.
+
+--Quelle est-elle?
+
+--Un soir, qu'on était sur le point de servir, il lui prit en fantaisie
+de pisser dans les plats; et on le laissa faire. Le moment suivant, il
+voulut que sa marraine lui montrât son derrière, et il fallut le
+contenter. Il ne s'en tint pas là...»
+
+LA SULTANE.
+
+Le moment suivant, il voulut qu'elle le montrât à tout le monde.
+
+LE PREMIER ÉMIR.
+
+C'est ce que le député ajouta. «Allez, vieux fou, lui repartit le
+prince; vous ne savez ce que vous dites. Cet enfant est menacé de n'être
+qu'un écervelé, et d'en avoir l'obligation à sa marraine. Il vaudrait
+encore mieux qu'il fût chez sa grand'mère. Je vous ordonne, sur votre
+longue barbe, que je vous ferai couper jusqu'au vif, de le retenir la
+première fois que Coribella l'enverra chez nos vierges, qui achèveraient
+de le gâter.»
+
+Cela dit, l'audience finit; le député fut congédié et les enfants
+distribués en différents appartements du palais. Mais à peine Lively
+fut-elle instruite de leur arrivée et de l'absence de son fils, qu'elle
+en poussa des cris à tourner la tête à tous ceux qui l'approchaient. Il
+fallut du temps pour l'apaiser; et l'on n'y réussit que par l'espérance
+qu'on lui donna qu'il reviendrait. Dès ce jour, le prince ajouta aux
+soins de l'empire et aux devoirs d'époux ceux de père.
+
+Lorsqu'il sortait du conseil, la tête remplie des affaires d'État, il
+allait chercher de la dissipation chez Lively. Il paraissait à peine,
+qu'elle était dans ses bras. Sa conversation légère et badine l'amusait
+beaucoup. Son enjouement et ses caresses lui dérobaient des journées
+entières, et lui faisaient oublier l'univers. Il ne s'en séparait jamais
+qu'à regret. Il prenait auprès d'elle des dispositions à la
+bienfaisance; et l'on peut dire qu'elle avait fait accorder un grand
+nombre de grâces, sans en avoir peut-être sollicité aucune. Pour
+Polychresta, c'était à ses yeux une femme très-respectable, qui
+l'ennuyait souvent, et qu'il voyait plus volontiers dans son conseil que
+dans ses petits appartements. Avait-il quelque affaire importante à
+terminer, il allait puiser chez elle les lumières, la sagesse, la force,
+qui lui manquaient. Elle prévoyait tout. Elle envisageait tous les sens
+d'une action; et l'on convient qu'elle faisait autant au moins pour la
+gloire du prince, que Lively pour ses plaisirs. Elle ne cessa jamais
+d'aimer son époux, et de lui marquer sa tendresse par des attentions
+délicates.
+
+Lively fut un peu soupçonnée d'infidélité; elle exigeait de Génistan des
+complaisances excessives; elle se livrait au plaisir avec emportement;
+elle avait les passions violentes; elle imaginait et prétendait que tout
+se prêtât à ses imaginations; il fallait presque toujours la deviner.
+Elle disait un jour que les dieux auraient pu se dispenser de donner aux
+hommes les organes de la parole, s'ils avaient eu un peu de pénétration
+et beaucoup d'amour; qu'on se serait compris à merveille sans mot dire,
+au lieu qu'on parle quelquefois des heures entières sans s'entendre;
+qu'il n'y eût eu que le langage des actions, qui est rarement équivoque;
+qu'on eût jugé du caractère par les procédés, et des procédés par le
+caractère; de manière que personne n'eût raisonné mal à propos. Quand
+ses idées étaient justes, elles étaient admirables, parce qu'elles
+réunissaient au mérite de la justesse celui de la singularité. Sa
+pétulance ne l'empêchait pas d'apercevoir: elle n'était pas incapable de
+réflexion. Elle avait de la promptitude et du sens. L'opposition la plus
+légère la révoltait. Elle se conduisait précisément comme si tout eût
+été fait pour elle. Elle chicanait quelquefois le prince sur les moments
+qu'il accordait aux affaires, et ne pouvait lui passer ceux qu'il
+donnait à Polychresta. Elle lui demandait à quoi il s'occupait avec son
+insipide; combien il avait bâillé de fois à ses côtés; si elle lui
+répétait les mathématiques.
+
+«Cette femme est de très-bon conseil, lui répondait le prince! et il
+serait à souhaiter, pour le bien de mes sujets, que je la visse plus
+souvent.
+
+--Vous verrez, ajoutait Lively, que c'est par vénération pour ses
+qualités que vous lui faites régulièrement des enfants tous les neuf
+mois.
+
+--Non, lui répliquait Génistan; mais c'est pour la tranquillité de
+l'État. Vous ne conduisez rien à terme; il faut bien que Polychresta
+répare vos fautes ou les miennes.»
+
+À ces propos, Lively éclatait de rire, et se mettait à contrefaire
+Polychresta. Elle demandait à Génistan quel air elle avait quand on la
+caressait. «Ah! prince, ajoutait-elle, ou je n'y entends rien, ou votre
+grave statue doit être une fort sotte jouissance.
+
+--Encore un coup, lui répliquait le prince, je vous dis que je ne songe
+avec elle qu'au bien de l'État.
+
+--Et avec moi, reprenait Lively, à quoi songez-vous?
+
+--À vous-même et à mes plaisirs.»
+
+À ces questions, elle en ajoutait de plus embarrassantes. Le prince y
+satisfaisait de son mieux; mais un moyen de s'en tirer qui lui
+réussissait toujours, c'était de lui proposer de nouveaux plaisirs. On
+le prenait au mot, et les querelles finissaient. Elle avait des talents
+qu'elle avait acquis presque sans étude. Elle apprenait avec une grande
+facilité, mais elle ne retenait presque rien. Il faut avouer que si les
+femmes aimables sont rares, elles sont aussi bien difficiles à captiver.
+La légèreté était la seule chose qu'on pût reprocher à Lively. Le prince
+en devint jaloux, et la pria de fermer son appartement.
+
+LA SULTANE.
+
+La gêner, c'était travailler sûrement à lui déplaire.
+
+LE PREMIER ÉMIR.
+
+Aussi ai-je lu, dans des mémoires secrets, qu'un frère très-aimable de
+Génistan négligeait les défenses de l'empereur, trompait la vigilance
+des eunuques, se glissait chez Lively et se chargeait d'égayer sa
+retraite. Il fallait qu'il en fût éperdument amoureux, car il ne
+risquait rien moins que la vie dans ce commerce, qu'heureusement pour
+lui, le prince ignora.
+
+LA SULTANE.
+
+Tant qu'il fut aimé.
+
+LE PREMIER ÉMIR.
+
+Il est vrai que, quand elle ne s'en soucia plus...
+
+LA SULTANE.
+
+C'est-à-dire, au bout d'un mois.
+
+LE PREMIER ÉMIR.
+
+Elle révéla tout au sultan.
+
+LA SULTANE.
+
+Tout, émir, tout! Vos mémoires sont infidèles. Soyez sûr que la
+confidence de Lively n'alla que jusqu'où les femmes la poussent
+ordinairement, et que Génistan devina le reste.
+
+LE PREMIER ÉMIR.
+
+Il entra dans une colère terrible contre son frère; il donna des ordres
+pour qu'il fût arrêté; mais son frère, prévenu, échappa au ressentiment
+de l'empereur par une prompte retraite.
+
+LA SULTANE.
+
+Second émir, continuez.
+
+LE SECOND ÉMIR.
+
+Ce fut alors que le député ramena à la cour l'enfant que le prince avait
+eu de Lively, et qui avait passé ses premières années chez la fée, sa
+marraine, Coribella. C'était bien le plus méchant enfant qui eût jamais
+désespéré ses parents. Génistan son père ne s'était point trompé sur
+l'éducation qu'il avait reçue. On n'épargna rien pour le corriger; mais
+le pli était pris, et l'on n'en vint point à bout. Il avait à peine
+dix-huit ans, qu'il s'échappa de la cour de l'empereur, et se mit à
+parcourir les royaumes, laissant partout des traces de son extravagance.
+Il finit malheureusement. C'était la bravoure même. Au sortir d'un
+souper, où la débauche avait été poussée à l'excès, deux jeunes
+seigneurs se prirent de querelle. Il se mêla de leur différend, plus que
+ces écervelés ne le désiraient, se trouva dans la nécessité de se battre
+contre ceux entre lesquels il s'était constitué médiateur, et reçut deux
+coups d'épée dont il mourut.
+
+LA SULTANE.
+
+À vous, madame première.
+
+LA PREMIÈRE FEMME.
+
+De deux soeurs qu'il avait, l'une fut mariée au génie Rolcan, ce qui
+signifie, dans la langue du pays, Fanfaron. Quant aux autres enfants
+issus du temple de la guenon couleur de feu, on eut beau leur couper les
+ailes, les plumes leur revinrent toujours. On n'a jamais rien vu, et on
+ne verra jamais rien de si joli. Les mâles se tournèrent tous du côté
+des arts, et remplirent le Japon d'hommes excellents en tout genre.
+Leurs neveux furent poëtes, peintres, musiciens, sculpteurs,
+architectes. Les filles étaient si aimables que leurs époux les prirent
+sans dot.
+
+LA SULTANE.
+
+Alors on croyait apparemment qu'il fallait d'un côté une grande fortune
+pour compenser un grand mérite. Le temps en est bien loin. À vous,
+madame seconde.
+
+LA SECONDE FEMME.
+
+Ce fut un des fils de Polychresta qui succéda à l'empire. Ses frères
+devinrent de grands orateurs, de profonds politiques, de savants
+géomètres, d'habiles astronomes, et suivirent, du consentement de leurs
+parents, leur goût naturel, car les talents alors ne dégradaient point
+au Japon.
+
+LA SULTANE.
+
+Continuez, madame seconde.
+
+LA SECONDE FEMME.
+
+Divine fut l'autre fille de Lively. Génistan l'avait eue de cette
+aimable et singulière princesse, dans l'âge de maturité. Elle
+rassemblait tant de qualités, que les fées en devinrent jalouses. Elles
+ne purent souffrir qu'une mortelle les égalât. Elles lui envoyèrent les
+pâles couleurs, dont elle mourut avant qu'on eût trouvé quelqu'un digne
+d'être son médecin.
+
+LA SULTANE.
+
+Continuez, premier émir.
+
+LE PREMIER ÉMIR.
+
+Il y eut aussi, dans la famille, des héros. L'histoire du Japon parle
+d'un dont la mémoire est encore en vénération, et dont on voit le
+portrait sur les tabatières, les écrans, les paravents, toutes les fois
+que la nation est mécontente du prince régnant: c'est ainsi qu'elle se
+permet de s'en plaindre. Il reconquit le trône usurpé sur ses ancêtres.
+La race ne tarda pas à s'éteindre; tout dégénéra, et l'on sait à peine
+aujourd'hui en quel temps Génistan et Polychresta ont régné. Il ne reste
+d'eux qu'une tradition contestée. On parle de leur âge, comme nous
+parlons de l'âge d'or. Il passe pour le temps des fables.
+
+LA SULTANE.
+
+Je ne suis pas mécontente de votre conte; je ne crois pas avoir eu
+depuis longtemps un sommeil aussi facile, aussi doux, aussi long. Je
+vous en suis infiniment obligée.
+
+Elle ajouta un petit mot agréable pour sa chatouilleuse, et les renvoya.
+
+En entrant chez elle, la première de ses femmes trouva une superbe
+cassolette du Japon.
+
+La seconde, deux bracelets, sur l'un desquels étaient les portraits du
+sultan et de la sultane.
+
+La chatouilleuse, plusieurs pièces d'étoffe d'un goût excellent.
+
+Le lendemain matin, elle envoya au premier émir un cimeterre magnifique,
+avec un turban qu'elle avait travaillé de ses mains.
+
+La récompense du second fut une esclave d'une rare beauté, sur laquelle
+la sultane avait remarqué que cet émir attachait souvent ses regards.
+
+
+
+
+
+End of the Project Gutenberg EBook of L'oiseau blanc, by Denis Diderot
+
+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'OISEAU BLANC ***
+
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+This and all associated files of various formats will be found in:
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+Produced by Laurent Vogel and the Online Distributed
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+produced from images generously made available by the
+Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at
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+one owns a United States copyright in these works, so the Foundation
+(and you!) can copy and distribute it in the United States without
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+set forth in the General Terms of Use part of this license, apply to
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+Gutenberg is a registered trademark, and may not be used if you
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+do not charge anything for copies of this eBook, complying with the
+rules is very easy. You may use this eBook for nearly any purpose
+such as creation of derivative works, reports, performances and
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+redistribution.
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+Gutenberg-tm electronic works if you follow the terms of this agreement
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+the applicable state law. The invalidity or unenforceability of any
+provision of this agreement shall not void the remaining provisions.
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+trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone
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+with this agreement, and any volunteers associated with the production,
+promotion and distribution of Project Gutenberg-tm electronic works,
+harmless from all liability, costs and expenses, including legal fees,
+that arise directly or indirectly from any of the following which you do
+or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm
+work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any
+Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause.
+
+
+Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm
+
+Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
+electronic works in formats readable by the widest variety of computers
+including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists
+because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
+people in all walks of life.
+
+Volunteers and financial support to provide volunteers with the
+assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg-tm's
+goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
+remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
+Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
+and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
+To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
+and the Foundation web page at https://www.pglaf.org.
+
+
+Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive
+Foundation
+
+The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
+501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
+state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
+Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
+number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at
+https://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
+permitted by U.S. federal laws and your state's laws.
+
+The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
+Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered
+throughout numerous locations. Its business office is located at
+809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email
+business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact
+information can be found at the Foundation's web site and official
+page at https://pglaf.org
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+For additional contact information:
+ Dr. Gregory B. Newby
+ Chief Executive and Director
+ gbnewby@pglaf.org
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+
+Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation
+
+Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
+spread public support and donations to carry out its mission of
+increasing the number of public domain and licensed works that can be
+freely distributed in machine readable form accessible by the widest
+array of equipment including outdated equipment. Many small donations
+($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
+status with the IRS.
+
+The Foundation is committed to complying with the laws regulating
+charities and charitable donations in all 50 states of the United
+States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
+considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
+with these requirements. We do not solicit donations in locations
+where we have not received written confirmation of compliance. To
+SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
+particular state visit https://pglaf.org
+
+While we cannot and do not solicit contributions from states where we
+have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
+against accepting unsolicited donations from donors in such states who
+approach us with offers to donate.
+
+International donations are gratefully accepted, but we cannot make
+any statements concerning tax treatment of donations received from
+outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
+
+Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
+methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
+ways including including checks, online payments and credit card
+donations. To donate, please visit: https://pglaf.org/donate
+
+
+Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic
+works.
+
+Professor Michael S. Hart was the originator of the Project Gutenberg-tm
+concept of a library of electronic works that could be freely shared
+with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project
+Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.
+
+
+Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
+editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
+unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily
+keep eBooks in compliance with any particular paper edition.
+
+
+Most people start at our Web site which has the main PG search facility:
+
+ https://www.gutenberg.org
+
+This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
+including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
+Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
+subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.
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+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
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+with this eBook or online at www.gutenberg.org
+
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+Title: L'oiseau blanc
+ conte bleu
+
+Author: Denis Diderot
+
+Editor: Jules Assézat
+
+Release Date: April 25, 2009 [EBook #28605]
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+Language: French
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+
+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'OISEAU BLANC ***
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+Produced by Laurent Vogel and the Online Distributed
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+
+
+
+
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+
+<p class="c">[Extrait des &OElig;uvres complètes de Diderot, éditées par Jules Assézat, tome quatrième, Paris, Garnier Frères, 1875.]</p>
+
+
+
+
+<h1>L'OISEAU BLANC</h1>
+
+<p class="c"><big>CONTE BLEU</big></p>
+
+<p class="c">(Écrit vers 1748.&mdash;Publié en 1798.)</p>
+
+
+
+
+<p class="h">Ce conte est de la même époque que les <i>Bijoux indiscrets</i>. Les
+mêmes personnages s'y retrouvent, mais la licence y est beaucoup
+moindre. Il resta inconnu jusqu'à la publication qu'en fit Naigeon dans
+son édition des <i>&OElig;uvres</i> de Diderot en 1798. C'était lui que cherchait
+M. Berrier, le lieutenant de police, quand M<sup>me</sup> Diderot lui répondit
+qu'elle ne connaissait de son mari «ni pigeon noir, ni pigeon blanc,» et
+que d'ailleurs elle ne le croyait pas capable d'attaquer le roi, comme on
+l'en accusait à l'occasion de ce conte. On jugera si la femme du philosophe
+avait raison. Pour nous, il ne nous paraît y avoir là, comme dans
+les <i>Bijoux</i>, que des rapprochements trop vagues entre Mangogul et
+Louis XV, pour permettre de soutenir une opinion qui rendrait criminels
+tous les romans du <small>XVIII</small><sup>e</sup> siècle aussi bien que toutes les féeries du <small>XIX</small><sup>e</sup>.
+Il faut toujours qu'il arrive un moment, dans l'histoire des peuples, où,
+la civilisation se répandant, le principe d'autorité se montre sous son
+vrai jour. On s'aperçoit alors que les rois sont des hommes, et quand
+une fois tout le monde le sait, les écrivains qui le disent, ne faisant plus
+que broder un lieu commun, n'ont ni mérite ni démérite: ils n'ont
+qu'un peu plus ou un peu moins d'esprit.
+</p>
+<p>Nous pensons n'avoir pas besoin d'expliquer au lecteur l'allégorie de
+<i>l'Oiseau blanc</i>; ils l'apercevront, sans aucun doute, avant la Sultane.</p>
+
+
+
+
+<p class="hc"><big>L'OISEAU BLANC</big>
+</p>
+<p class="c"><b>CONTE BLEU</b></p>
+
+
+<h2>TABLE.</h2>
+
+
+<ul>
+<li><a href="#s1">Première soirée</a></li>
+<li><a href="#s2">Deuxième soirée</a></li>
+<li><a href="#s3">Troisième soirée</a></li>
+<li><a href="#s4">Quatrième soirée</a></li>
+<li><a href="#s5">Cinquième soirée</a></li>
+<li><a href="#s6">Sixième soirée</a></li>
+<li><a href="#s7">Septième soirée</a></li>
+</ul>
+
+<h2><a name="s1" id="s1"></a>PREMIÈRE SOIRÉE.</h2>
+
+
+<p>La favorite se couchait de bonne heure et s'endormait fort
+tard. Pour hâter le moment de son sommeil, on lui chatouillait
+la plante des pieds et on lui faisait des contes; et pour
+ménager l'imagination et la poitrine des conteurs, cette fonction
+était partagée entre quatre personnes, deux émirs et deux
+femmes. Ces quatre improvisateurs poursuivaient successivement
+le même récit aux ordres de la favorite. Sa tête était
+mollement posée sur son oreiller, ses membres étendus dans
+son lit et ses pieds confiés à sa chatouilleuse, lorsqu'elle dit:
+«Commencez;» et ce fut la première de ses femmes qui débuta
+par ce qui suit.</p>
+
+<p class="a"><small>LA PREMIÈRE FEMME.</small>
+</p>
+<p>Ah! ma s&oelig;ur, le bel oiseau! Quoi! vous ne le voyez pas
+entre les deux branches de ce palmier passer son bec entre ses
+plumes et parer ses ailes et sa queue? Approchons doucement;
+peut-être qu'en l'appelant il viendra; car il a l'air apprivoisé,
+«Oiseau mon c&oelig;ur, oiseau mon petit roi, venez, ne craignez
+rien; vous êtes trop beau pour qu'on vous fasse du mal. Venez;
+une cage charmante vous attend; ou si vous préférez la liberté,
+vous serez libre.»</p>
+
+<p>L'oiseau était trop galant pour se refuser aux agaceries de
+deux jeunes et jolies personnes. Il prit son vol et descendit
+légèrement sur le sein de celle qui l'avait appelé. Agariste,
+c'était son nom, lui passant sur la tête une main qu'elle laissait
+glisser le long de ses ailes, disait à sa compagne: «Ah! ma
+s&oelig;ur, qu'il est charmant! Que son plumage est doux! qu'il est
+lisse et poli! Mais il a le bec et les pattes couleur de rose et les
+yeux d'un noir admirable!»</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>Quelles étaient ces deux femmes?</p>
+
+<p class="a"><small>LA PREMIÈRE FEMME.</small>
+</p>
+<p>Deux de ces vierges que les Chinois renferment dans des
+cloîtres.</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>Je ne croyais pas qu'il y eût des couvents à la Chine.</p>
+
+<p class="a"><small>LA PREMIÈRE FEMME.</small>
+</p>
+<p>Ni moi non plus. Ces vierges couraient un grand péril à
+cesser de l'être sans permission. S'il arrivait à quelqu'une de se
+conduire maladroitement, on la jetait pour le reste de sa vie
+dans une caverne obscure, où elle était abandonnée à des génies
+souterrains. Il n'y avait qu'un moyen d'échapper à ce supplice,
+c'était de contrefaire la folle ou de l'être. Alors les Chinois qui,
+comme nous et les Musulmans, ont un respect infini pour les
+fous, les exposaient à la vénération des peuples sur un lit en
+baldaquin, et, dans les grandes fêtes, les promenaient dans les
+rues au son de petites clochettes et de je ne sais quels tambourins
+à la mode, dont on m'a dit que le son était fort harmonieux.</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>Continuez; fort bien, madame. Je me sens envie de bâiller.</p>
+
+<p class="a"><small>LA SECONDE FEMME.</small>
+</p>
+<p>Voilà donc l'oiseau blanc dans le temple de la grande guenon
+couleur de feu.</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>Et qu'est-ce que cette guenon?</p>
+
+<p class="a"><small>LA SECONDE FEMME.</small>
+</p>
+<p>Une vieille Pagode très-encensée, la patronne de la maison.
+D'aussi loin que les vierges compagnes d'Agariste l'aperçurent
+avec son bel oiseau sur le poing, elles accourent, l'entourent et
+lui font mille questions à la fois. Cependant l'oiseau, s'élevant
+subitement dans les airs, se met à planer sur elles; son ombre
+les couvre, et elles en conçoivent des mouvements singuliers.
+Agariste et Mélisse éprouvent les premières les merveilleux
+effets de son influence. Un feu divin, une ardeur sacrée s'allument
+dans leur c&oelig;ur; je ne sais quels épanchements lumineux
+et subtils passent dans leur esprit, y fermentent et, de deux
+idiotes qu'elles étaient, en font les filles les plus spirituelles et
+les plus éveillées qu'il y eût à la Chine: elles combinent leurs
+idées, les comparent, se les communiquent et y mettent insensiblement
+de la force et de la justesse.</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>En furent-elles plus heureuses?</p>
+
+<p class="a"><small>LA SECONDE FEMME.</small>
+</p>
+<p>Je l'ignore. Un matin, l'oiseau blanc se mit à chanter, mais
+d'une façon si mélodieuse, que toutes les vierges en tombèrent
+en extase. La supérieure, qui jusqu'à ce moment avait fait
+l'esprit fort et dédaigné l'oiseau, tourna les yeux, se renversa
+sur ses carreaux et s'écria d'une voix entrecoupée: «Ah! je n'en
+puis plus!... je me meurs!... je n'en puis plus!... Oiseau charmant,
+oiseau divin, encore un petit air.»</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>Je vois cette scène; et je crois que l'oiseau blanc avait
+grande envie de rire en voyant une centaine de filles sur le
+côté, l'esprit et l'ajustement en désordre, l'&oelig;il égaré, la respiration
+haute et balbutiant d'une voix éteinte des oraisons affectueuses
+à leur grande guenon couleur de feu. Je voudrais bien
+savoir ce qu'il en arriva.</p>
+
+<p class="a"><small>LA SECONDE FEMME.</small>
+</p>
+<p>Ce qu'il en arriva? Un prodige, un des plus étonnants prodiges
+dont il soit fait mention dans les annales du monde.</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>Premier émir, continuez.</p>
+
+<p class="a"><small>LE PREMIER ÉMIR.</small>
+</p>
+<p>Il en naquit nombre de petits esprits, sans que la virginité
+de ces filles en souffrît.</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>Allons donc, émir, vous vous moquez. Je veux bien qu'on
+me fasse des contes; mais je ne veux pas qu'on me les fasse
+aussi ridicules.</p>
+
+<p class="a"><small>LE PREMIER ÉMIR.</small>
+</p>
+<p>Songez donc, madame, que c'étaient des esprits.</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>Vous avez raison; je n'y pensais pas. Ah! oui, des esprits!</p>
+
+<p class="tb">La sultane prononça ces derniers mots en bâillant.
+</p>
+<p class="a"><small>LE PREMIER ÉMIR.</small>
+</p>
+<p>On avertit la supérieure de ce prodige. Les prêtres furent
+assemblés; on raisonna beaucoup sur la naissance des petits
+esprits: après de longues altercations sur le parti qu'il y avait
+à prendre, il fut décidé qu'on interrogerait la grande guenon.
+Aussitôt les tambourins et les clochettes annoncent au peuple la
+cérémonie. Les portes du temple sont ouvertes, les parfums
+allumés, les victimes offertes; mais la cause du sacrifice ignorée.
+Il eût été difficile de persuader aux fidèles que l'oiseau était
+père des petits esprits.</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>Je vois, émir, que vous ne savez pas encore combien les
+peuples sont bêtes.</p>
+
+<p class="a"><small>LE PREMIER ÉMIR.</small>
+</p>
+<p>Après une heure et demie de génuflexions, d'encensements
+et d'autres singeries, la grande guenon se gratta l'oreille et se
+mit à débiter de la mauvaise prose qu'on prit pour de la poésie
+céleste:</p>
+
+<div class="poem">
+ <div class="stanza">
+ <span class="i1">Pour conserver l'odeur de pucelage</span><br>
+ <span class="i1">Dont ce lieu saint fut toujours parfumé,</span><br>
+ <span class="i1">Que loin d'ici le galant emplumé</span><br>
+ <span class="i1">Aille chanter et chercher une cage.</span><br>
+ <span class="i0">Vierges, contre ce coup armez-vous de courage;</span><br>
+ <span class="i0">Vous resterez encor vierges, ou peu s'en faut:</span><br>
+ <span class="i0">Vos c&oelig;urs, aux doux accents de son tendre ramage,</span><br>
+ <span class="i3">Ne s'ouvriront pas davantage:</span><br>
+ <span class="i3">Telle est la volonté d'en haut.</span><br>
+ <span class="i0">Et toi qu'il honora de son premier hommage,</span><br>
+ <span class="i0">Qui lui fis de mon temple un séjour enchanté,</span><br>
+ <span class="i0">Modère la douleur dont ton âme est émue;</span><br>
+ <span class="i0">L'oiseau blanc a pour toi suffisamment chanté.</span><br>
+ <span class="i0">Agariste, il est temps qu'il cherche Vérité,</span><br>
+ <span class="i0">Qu'il échappe au pouvoir du mensonge, et qu'il mue.</span><br>
+ <br>
+ </div>
+</div>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>Mademoiselle, vous avez, ce soir, le toucher dur et vous me
+chatouillez trop fort. Doucement, doucement... fort bien, comme
+cela... ah! que vous me faites plaisir! Demain, sans différer,
+le brevet de la pension que je vous ai promise sera signé.</p>
+
+<p class="a"><small>LE PREMIER ÉMIR.</small>
+</p>
+<p>On ne fut pas fort instruit par cet oracle: aussi donna-t-il
+lieu à une infinité de conjectures plus impertinentes les unes
+que les autres, comme c'est le privilége des oracles. «<i>Qu'il cherche
+Vérité</i>, disait l'une; c'est apparemment le nom de quelque
+colombe étrangère à laquelle il est destiné.&mdash;<i>Qu'il échappe au
+mensonge</i>, disait une autre, <i>et qu'il mue</i>. Qu'il mue! ma s&oelig;ur;
+est-ce qu'il muera? C'est pourtant dommage, il a les plumes si
+belles!» aussi toutes reprenaient: «Ma s&oelig;ur Agariste l'a tant
+fait chanter! tant fait chanter!»</p>
+
+<p>Après qu'on eut achevé de brouiller l'oracle à force de
+l'éclaircir, la prêtresse ordonna, par provision, que l'oiseau
+libertin serait renfermé, de crainte qu'il ne perfectionnât ce
+qu'il avait si heureusement commencé et qu'il ne multipliât son
+espèce à l'infini. Il y eut quelque opposition de la part des
+jeunes recluses; mais les vieilles tinrent ferme, et l'oiseau fut
+relégué au fond d'un dortoir, où il passait les jours dans un
+ennui cruel. Pour les nuits, toujours quelque vierge compatissante
+venait sur la pointe du pied le consoler de son exil. Cependant
+elles lui parurent bientôt aussi longues que les journées.
+Toujours les mêmes visages! <i>toujours les mêmes vierges!</i></p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>Votre oiseau blanc est trop difficile. Que lui fallait-il donc?</p>
+
+<p class="a"><small>LE PREMIER ÉMIR.</small>
+</p>
+<p>Avec tout l'esprit qu'il avait inspiré à ces recluses, ce
+n'étaient que des bégueules fort ennuyeuses: point d'airs,
+point de manége, point de vivacité prétendue, point d'étourderies
+concertées. Au lieu de cela, des soupirs, des langueurs,
+des fadeurs éternelles et d'un ton d'oraison à faire mal au c&oelig;ur.
+Tout bien considéré, l'oiseau blanc conclut en lui-même qu'il
+était temps de suivre son destin et de prendre son vol; ce qu'il
+exécuta après avoir encore un peu délibéré. On dit qu'il lui revint
+quelques scrupules sur des serments qu'il avait faits à Agariste
+et à quelques autres. Je ne sais ce qui en est.</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>Ni moi non plus. Mais il est certain que les scrupules ne
+tiennent point contre le dégoût, et que si les serments ne coûtent
+guère à faire aux infidèles, ils leur coûtent encore moins à
+rompre.</p>
+
+<p class="tb">À la suite de cette réflexion, la sultane articula très-distinctement
+son troisième bâillement, le signe de son sommeil ou de
+son ennui, et l'ordre de se retirer; ce qui s'exécuta avec le
+moins de bruit qu'il fut possible.
+</p>
+
+
+
+<h2><a name="s2" id="s2"></a>SECONDE SOIRÉE.</h2>
+
+
+<p>La sultane dit à sa chatouilleuse: Retenez bien ce mouvement-là,
+c'est le vrai. Mademoiselle, voilà le brevet de votre
+pension; le sultan la doublera, à la condition qu'au sortir de
+chez moi vous irez lui rendre le même service; je ne m'y oppose
+point, mais point du tout... Voyez si cela vous convient... Second
+émir, à vous. Si je m'en souviens, voilà votre oiseau blanc traversant
+les airs, et s'éloignant d'autant plus vite, qu'il s'était
+flatté d'échapper à ses remords, en mettant un grand intervalle
+entre lui et les objets qui les causaient. Il était tard quand il
+partit; où arriva-t-il?</p>
+
+<p class="a"><small>LE SECOND ÉMIR.</small>
+</p>
+<p>Chez l'empereur des Indes, qui prenait le frais dans ses
+jardins, et se promenait sur le soir avec ses femmes et ses
+eunuques. Il s'abattit sur le turban du monarque, ce que l'on
+prit à bon augure, et ce fut bien fait; car quoique ce sultan n'eût
+point de gendre, il ne tarda pas à devenir grand'père. La princesse
+Lively, c'est ainsi que s'appelait la fille du grand Kinkinka, nom
+qu'on traduirait à peu près dans notre langue par gentillesse ou
+vivacité, s'écria qu'elle n'avait jamais rien vu de si beau. Et lui
+se disait en lui-même: «Quel teint! quels yeux! que sa taille est
+légère! Les vierges de la guenon couleur de feu ne m'ont point
+offert de charmes à comparer à ceux-ci.»</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>Ils sont tous comme cela. Je serai la plus belle aux yeux de
+Mangogul jusqu'à ce qu'il me quitte.</p>
+
+<p class="a"><small>LE SECOND ÉMIR.</small>
+</p>
+<p>Il n'y eut jamais de jambes aussi fines, ni de pieds aussi
+mignons.</p>
+
+<p class="a"><small>LA CHATOUILLEUSE.</small>
+</p>
+<p>Votre oiseau en exceptera, s'il lui plaît, ceux que je chatouille.</p>
+
+<p class="a"><small>LE SECOND ÉMIR.</small>
+</p>
+<p>Lively portait des jupons courts; et l'oiseau blanc pouvait
+aisément apercevoir les beautés dont il faisait l'éloge du haut
+du turban sur lequel il était perché.</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>Je gage qu'il eut à peine achevé ce monologue, qu'il abandonna
+le lieu d'où il faisait ses judicieuses observations, pour
+se placer sur le sein de la princesse.</p>
+
+<p class="a"><small>LE SECOND ÉMIR.</small>
+</p>
+<p>Sultane, il est vrai.</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>Est-ce que vous ne pourriez pas éviter ces lieux communs?</p>
+
+<p class="a"><small>LE SECOND ÉMIR.</small>
+</p>
+<p>Non, sultane; c'est le moyen le plus sûr de vous endormir.</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>Vous avez raison.</p>
+
+<p class="a"><small>LE SECOND ÉMIR.</small>
+</p>
+<p>Cette familiarité de l'oiseau déplut à un eunuque noir, qui
+s'avisa de dire qu'il fallait couper le cou à l'oiseau, et l'apprêter
+pour le dîner de la princesse.</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>Elle eût fait un mauvais repas: après sa fatigue chez les
+vierges et sur la route, il devait être maigre.</p>
+
+<p class="a"><small>LE SECOND ÉMIR.</small>
+</p>
+<p>Lively tira sa mule, et en donna un coup sur le nez de
+l'eunuque, qui en demeura aplati.</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>Et voilà l'origine des nez plats; ils descendent de la mule
+de Lively et de son sot eunuque.</p>
+
+<p class="a"><small>LE SECOND ÉMIR.</small>
+</p>
+<p>Lively se fit apporter un panier, y renferma l'oiseau, et
+l'envoya coucher. Il en avait besoin, car il se mourait de lassitude
+et d'amour. Il dormit, mais d'un sommeil troublé: il rêva
+qu'on lui tordait le cou, qu'on le plumait, et il en poussa des
+cris qui réveillèrent Lively; car le panier était placé sur sa table
+de nuit, et elle avait le sommeil léger. Elle sonna; ses femmes
+arrivèrent; on tira l'oiseau de son dortoir. La princesse jugea,
+au trémoussement de ses ailes, qu'il avait eu de la frayeur. Elle
+le prit sur son sein, le baisa, et se mit en devoir de le rassurer
+par les caresses les plus tendres et les plus jolis noms. L'oiseau
+se tint sur la poitrine de la princesse, malgré l'envie qui le
+pressait.</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>Il avait déjà le caractère des vrais amants.</p>
+
+<p class="a"><small>LE SECOND ÉMIR.</small>
+</p>
+<p>Il était timide et embarrassé de sa personne: il se contenta
+d'étendre ses ailes, d'en couvrir et presser une fort jolie gorge.</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>Quoi! il ne hasarda pas d'approcher son bec des lèvres de
+Lively?</p>
+
+<p class="a"><small>LE SECOND ÉMIR.</small>
+</p>
+<p>Cette témérité lui réussit. «Mais comment donc! s'écria la
+princesse; il est entreprenant!...» Cependant l'oiseau usait du
+privilége de son espèce, et la pigeonnait avec ardeur, au grand
+étonnement de ses femmes qui s'en tenaient les côtés. Cette
+image de la volupté fit soupirer Lively: l'héritier de l'empire
+du Japon devait être incessamment son époux; Kinkinka en avait
+parlé; on attendait de jour en jour les ambassadeurs qui devaient
+en faire la demande, et qui ne venaient point. On apprit enfin
+que le prince Génistan, ce qui signifie dans la langue du pays
+le prince Esprit, avait disparu sans qu'on sût ni pourquoi ni
+comment; et la triste Lively en fut réduite à verser quelques
+larmes, et à souhaiter qu'il se retrouvât.</p>
+
+<p>Tandis qu'elle se consolait avec l'oiseau blanc, faute de
+mieux, l'empereur du Japon, à qui l'éclipse de son fils avait
+tourné la tête, faisait arracher la moustache à son gouverneur,
+et ordonnait des perquisitions; mais il était arrêté que de longtemps
+Génistan ne reparaîtrait au Japon. S'il employait bien son
+temps dans les lieux de sa retraite, l'oiseau blanc ne perdait
+pas le sien auprès de la princesse; il obtenait tous les jours de
+nouvelles caresses: on pressait le moment de l'entendre chanter,
+car on avait conçu la plus haute opinion de son ramage; l'oiseau
+s'en aperçut, et la princesse fut satisfaite. Aux premiers accents
+de l'oiseau...</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>Arrêtez, émir... Lively se renversa sur une pile de carreaux,
+exposant à ses regards des charmes qu'il ne parcourut point
+sans partager son égarement. Il n'en revint que pour chanter
+une seconde fois, et augmenter l'évanouissement de la princesse,
+qui durerait encore si l'oiseau ne s'était avisé de battre
+des ailes et de lui faire de l'air. Lively se trouva si bien de son
+ramage, que sa première pensée fut de le prier de chanter souvent:
+ce qu'elle obtint sans peine; elle ne fut même que trop
+bien obéie: l'oiseau chanta tant pour elle, qu'il s'enroua; et
+c'est de là que vient aux pigeons leur voix enrhumée et rauque.
+Émir, n'est-ce pas cela?... Et vous, madame, continuez.</p>
+
+<p class="a"><small>LA PREMIÈRE FEMME.</small>
+</p>
+<p>Ce fut un malheur pour l'oiseau, car quand on a de la voix
+on est fâché de la perdre; mais il était menacé d'un malheur
+plus grand: la princesse, un matin à son réveil, trouva un petit
+esprit à ses côtés; elle appela ses femmes, les interrogea sur le
+nouveau-né: Qui est-il? d'où vient-il? qui l'a placé là? Toutes
+protestèrent qu'elles n'en savaient rien. Dans ces entrefaites
+arriva Kinkinka; à son aspect les femmes de la princesse disparurent;
+et l'empereur, demeuré seul avec sa fille, lui demanda,
+d'un ton à la faire trembler, qui était le mortel assez osé pour
+être parvenu jusqu'à elle; et, sans attendre sa réponse, il court
+à la fenêtre, l'ouvre, et saisissant le petit esprit par l'aile, il
+allait le précipiter dans un canal qui baignait les murs de son
+palais, lorsqu'un tourbillon de lumière se répandit dans l'appartement,
+éblouit les yeux du monarque, et le petit esprit s'échappa.
+Kinkinka, revenu de sa surprise, mais non de sa fureur, courait
+dans son palais en criant comme un fou qu'il en aurait raison;
+que sa fille ne serait pas impunément déshonorée; pardieu;
+qu'il en aurait raison... L'oiseau blanc savait mieux que personne
+si l'empereur avait tort ou raison d'être fâché; mais il n'osa
+parler, dans la crainte d'attirer quelque chagrin à la princesse;
+il se contenta de se livrer à une frayeur qui lui fit tomber les
+longues plumes des ailes et de la queue; ce qui lui donna un
+air ébouriffé.</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>Et Lively cessa de se soucier de lui, lorsqu'il eut cessé d'être
+beau; et comme il avait perdu à son service une partie de son
+ramage, elle dit un jour à sa toilette: «Qu'on m'ôte cet oiseau-là;
+il est devenu laid à faire horreur, il chante faux; il n'est plus
+bon à rien...» À vous, madame seconde, continuez.</p>
+
+<p class="a"><small>LA SECONDE FEMME.</small>
+</p>
+<p>Cet arrêt se répandit bientôt dans le palais; l'eunuque crut
+qu'il était temps de profiter de la disgrâce de l'oiseau, et de
+venger celle de son nez; il démontra à la princesse, par toutes
+les règles de la nouvelle cuisine, que l'oiseau blanc serait un
+manger délicieux; et Lively, après s'être un peu défendue pour
+la forme, consentit qu'on le mît à la basilique. L'oiseau blanc
+outré, comme on le pense bien, pour peu qu'on se mette à sa
+place, s'élança au visage de la princesse, lui détacha quelques
+coups de bec sur la tête, renversa les flacons, cassa les pots, et
+partit.</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>Lively et son cuisinier en furent dans un dépit inconcevable.
+«L'insolent!» disait l'une; l'autre: «Ç'aurait été un mets
+admirable!»</p>
+
+<p class="a"><small>LA SECONDE FEMME.</small>
+</p>
+<p>Tandis que le cuisinier rengaînait son couteau qu'il avait
+inutilement aiguisé, et que les femmes de la princesse s'occupaient
+à lui frotter la tête avec de l'eau des brames, l'oiseau
+gagnait les champs, peu satisfait de sa vengeance, et ne se consolant
+de l'ingratitude de Lively que par l'espérance de lui plaire
+un jour sous sa forme naturelle, et de ne la point aimer. Voici
+donc les raisonnements qu'il faisait dans sa tête d'oiseau: «J'ai
+de l'esprit. Quand je cesserai d'être oiseau, je serai fait à
+peindre. Il y a cent à parier contre un qu'elle sera folle de moi;
+c'est où je l'attends; chacun aura son tour. L'ingrate! la perfide!
+J'ai tremblé pour elle jusqu'à en perdre les plumes; j'ai
+chanté pour elle jusqu'à en perdre la voix, et par ses ordres un
+cuisinier s'emparait de moi, on me tordait le cou, et je serais
+maintenant à la basilique! Quelle récompense! Et je la trouverais
+encore charmante? Non, non, cette noirceur efface à mes yeux
+tous ses charmes. Qu'elle est laide! que je la hais!»</p>
+
+<p class="tb">Ici la sultane se mit à rire en bâillant pour la première fois.
+</p>
+<p class="a"><small>LA SECONDE FEMME.</small>
+</p>
+<p>On voit par ce monologue que, quoique l'oiseau blanc fût
+amoureux de la princesse, il ne voulait point du tout être mis
+à la basilique pour elle, et qu'il eût tout sacrifié pour celle qu'il
+aimait, excepté la vie.</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>Et qu'il avait la sincérité d'en convenir. À vous, premier
+émir.</p>
+
+<p class="a"><small>LE PREMIER ÉMIR.</small>
+</p>
+<p>L'oiseau blanc allait sans cesse. Son dessein était de gagner
+le pays de la fée Vérité. Mais qui lui montrera la route? qui
+lui servira de guide? On y arrive par une infinité de chemins;
+mais tous sont difficiles à tenir; et ceux même qui en ont fait
+plusieurs fois le voyage, n'en connaissent parfaitement aucun.
+Il lui fallait donc attendre du hasard des éclaircissements, et il
+n'aurait pas été en cela plus malheureux que le reste des voyageurs,
+si son désenchantement n'eût pas dépendu de la rencontre
+de la fée; rencontre difficile, qu'on doit plus communément à
+une sorte d'instinct dont peu d'êtres sont doués, qu'aux plus
+profondes méditations.</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>Et puis, ne m'avez-vous pas dit qu'il était prince?</p>
+
+<p class="a"><small>LE PREMIER ÉMIR.</small>
+</p>
+<p>Non, madame; nous ne savons encore ce qu'il est, ni ce qu'il
+sera: ce n'est encore qu'un oiseau. L'oiseau suivit son instinct.
+Les ténèbres ne l'effrayèrent point; il vola pendant la nuit; et
+le crépuscule commençait à poindre, lorsqu'il se trouva sur la
+cabane d'un berger qui conduisait aux champs son troupeau,
+en jouant sur son chalumeau des airs simples et champêtres,
+qu'il n'interrompait que pour tenir à une jeune paysanne, qui
+l'accompagnait en filant son lin, quelques propos tendres et
+naïfs, où la nature et la passion se montraient toutes nues:</p>
+
+<p>«Zirphé, tu t'es levée de grand matin.</p>
+
+<p>&mdash;Et si, je me suis endormie fort tard.</p>
+
+<p>&mdash;Et pourquoi t'es-tu endormie si tard?</p>
+
+<p>&mdash;C'est que je pensais à mon père, à ma mère et à toi.</p>
+
+<p>&mdash;Est-ce que tu crains quelque opposition de la part de tes
+parents?</p>
+
+<p>&mdash;Que sais-je?</p>
+
+<p>&mdash;Veux-tu que je leur parle?</p>
+
+<p>&mdash;Si je le veux! en peux-tu douter?</p>
+
+<p>&mdash;S'ils me refusaient?</p>
+
+<p>&mdash;J'en mourrais de peine.»</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>L'oiseau n'est pas loin du pays de Vérité. On y touche partout
+où la corruption n'a pas encore donné aux sentiments du
+c&oelig;ur un langage maniéré.</p>
+
+<p class="a"><small>LE PREMIER ÉMIR.</small>
+</p>
+<p>À peine l'oiseau blanc eut-il frappé les yeux du berger, que
+celui-ci médita d'en faire un présent à sa bergère; c'est ce que
+l'oiseau comprit à merveille aux précautions qu'on prenait pour
+le surprendre.</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>Que votre oiseau dissolu n'aille pas faire un petit esprit à
+cette jeune innocente; entendez-vous?</p>
+
+<p class="a"><small>LE PREMIER ÉMIR.</small>
+</p>
+<p>S'imaginant qu'il pourrait avoir de ces gens des nouvelles
+de Vérité, il se laissa attraper, et fit bien. Il l'entendit nommer
+dès les premiers jours qu'il vécut avec eux; ils n'avaient qu'elle
+sur leurs lèvres; c'était leur divinité, et ils ne craignaient rien
+tant que de l'offenser; mais comme il y avait beaucoup plus de
+sentiment que de lumière dans le culte qu'ils lui rendaient, il
+conçut d'abord que les meilleurs amis de la fée n'étaient pas
+ceux qui connaissaient le mieux son séjour, et que ceux qui l'entouraient
+l'en entretiendraient tant qu'il voudrait, mais ne lui
+enseigneraient pas les moyens de la trouver. Il s'éloigna des bergers,
+enchanté de l'innocence de leur vie, de la simplicité de
+leurs m&oelig;urs, de la naïveté de leurs discours; et pensant qu'ils
+ne devaient peut-être tous ces avantages qu'au crépuscule éternel
+qui régnait sur leurs campagnes, et qui, confondant à leurs
+yeux les objets, les empêchait de leur attacher des valeurs imaginaires,
+ou du moins d'en exagérer la valeur réelle.</p>
+
+<p class="tb">Ici la sultane poussa un léger soupir, et l'émir ayant cessé
+de parler, elle lui dit d'une voix faible:
+</p>
+<p>«Continuez, je ne dors pas encore.»</p>
+
+<p class="a"><small>LE PREMIER ÉMIR.</small>
+</p>
+<p>Chemin faisant, il se jeta dans une volière, dont les habitants
+l'accueillirent fort mal. Ils s'attroupent autour de lui, et
+remarquant dans son ramage et son plumage quelque différence
+avec les leurs, ils tombent sur lui à grands coups de bec, et le
+maltraitent cruellement. «Ô Vérité, s'écria-t-il alors, est-ce ainsi
+que l'on encourage et que l'on récompense ceux qui t'aiment, et
+qui s'occupent à te chercher?» Il se tira comme il put des pattes
+de ces oiseaux idiots et méchants, et comprit que la difficulté
+des chemins avait moins allongé son voyage que l'intolérance
+des passants...</p>
+
+<p class="tb">L'émir en était là, incertain si la sultane veillait ou dormait;
+car on n'entendait entre ses rideaux que le bruit d'une respiration
+et d'une expiration alternatives. Pour s'en assurer, on fit
+signe à la chatouilleuse de suspendre sa fonction. Le silence de
+la sultane continuant, on en conclut qu'elle dormait, et chacun
+se retira sur la pointe du pied.
+</p>
+
+
+
+<h2><a name="s3" id="s3"></a>TROISIÈME SOIRÉE.</h2>
+
+
+<p>C'était une étiquette des soirées de la sultane, que le conteur
+de la veille ne poursuivait point le récit du lendemain. C'était
+donc au second émir à parler; ce qu'il fit après que la sultane
+eut remarqué que rien n'appelait le sommeil plus rapidement
+que le souvenir des premières années de la vie, ou la prière à
+Brama, ou les idées philosophiques.</p>
+
+<p>«Si vous voulez que je dorme promptement, dit-elle au
+second émir, suivez les traces du premier émir, et faites-moi de
+la philosophie.»</p>
+
+<p class="a"><small>LE SECOND ÉMIR.</small>
+</p>
+<p>Un soir que l'oiseau blanc se promenait le long d'une prairie,
+moins occupé de ses desseins et de la recherche de Vérité, que
+de la beauté et du silence des lieux, il aperçut tout à coup une
+lueur qui brillait et s'éteignait par intervalles sur une colline
+assez élevée. Il y dirigea son vol. La lumière augmentait à
+mesure qu'il approchait, et bientôt il se trouva à la hauteur d'un
+palais brillant, singulièrement remarquable par l'éclat et la solidité
+de ses murs, la grandeur de ses fenêtres et la petitesse de
+ses portes. Il vit peu de monde dans les appartements, beaucoup
+de simplicité dans l'ameublement, d'espace en espace des girandoles
+sur des guéridons, et des glaces de tout côté. À l'instant
+il reconnut son ancienne demeure, les lieux où il avait passé les
+premiers et les plus beaux jours de sa vie, et il en pleura de
+joie; mais son attendrissement redoubla, lorsque, achevant de
+parcourir le palais, il découvrit la fée Vérité, retirée dans le fond
+d'une alcôve, où, les yeux attachés sur un globe et le compas à
+la main, elle travaillait à constater la vérité d'un fameux système.</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>Un prince élevé sous les yeux de Vérité! Émir, êtes-vous
+bien sûr de ce que vous dites là? Cela n'est pas assez absurde
+pour faire rire, et cela l'est trop pour être cru.</p>
+
+<p class="a"><small>LE SECOND ÉMIR.</small>
+</p>
+<p>L'oiseau blanc vola comme un petit fou sur l'épaule de la
+fée, qui d'abord ne le remarqua pas; mais ses battements d'ailes
+furent si rapides, ses caresses si vives et ses cris si redoublés,
+qu'elle sortit de sa méditation et reconnut son élève; car rien
+n'est si pénétrant que la fée.</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>Un prince qui persiste dans son goût pour la vérité! en voilà
+bien d'une autre! Peu s'en faut que je ne vous impose silence;
+cependant continuez.</p>
+
+<p class="a"><small>LE SECOND ÉMIR.</small>
+</p>
+<p>À l'instant Vérité le toucha de sa baguette; ses plumes tombèrent;
+et l'oiseau blanc reprit sa forme naturelle, mais à une
+condition que la fée lui annonça: c'est qu'il redeviendrait
+pigeon jusqu'à ce qu'il fût arrivé chez son père; de crainte que
+s'il rencontrait le génie Rousch (ce qui signifie, dans la langue
+du pays, Menteur), son plus cruel ennemi, il n'en fût encore
+maltraité. Vérité lui fit ensuite des questions auxquelles le
+prince Génistan, qui n'est plus oiseau, satisfit par des réponses
+telles qu'il les fallait à la fée, claires et précises: il lui raconta
+ses aventures; il insista particulièrement sur son séjour dans
+le temple de la guenon couleur de feu; la fée le soupçonna
+d'ajouter à son récit quelques circonstances qui lui manquaient
+pour être tout à fait plaisant, et d'en retrancher d'autres qui
+l'auraient déparé; mais comme elle avait de l'indulgence pour
+ces faussetés innocentes...</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>Innocentes! Émir, cela vous plaît à dire. C'est à l'aide de cet
+art funeste, que d'une bagatelle on en fait une aventure malhonnête,
+indécente, déshonorante... Taisez-vous, taisez-vous;
+au lieu de m'endormir, comme c'est votre devoir, me voilà
+éveillée pour jusqu'à demain; et vous, madame première, continuez.</p>
+
+<p class="a"><small>LA PREMIÈRE FEMME.</small>
+</p>
+<p>La fée rit beaucoup des petits esprits qu'il avait laissés là.
+«Et cette belle princesse qui vous a pensé faire mettre à la basilique?
+lui dit-elle ironiquement.</p>
+
+<p>&mdash;Ah! l'ingrate, s'écria-t-il, la cruelle! qu'on ne m'en parle
+jamais.</p>
+
+<p>&mdash;Je vous entends, reprit Vérité, vous l'aimez à la folie.»</p>
+
+<p>Cette réflexion fut si lumineuse pour le prince, qu'il convint
+sur-le-champ qu'il aimait.</p>
+
+<p>«Mais que prétendez-vous faire de ce goût? lui demanda
+Vérité.</p>
+
+<p>&mdash;Je ne sais, lui répondit Génistan; un mariage peut-être.</p>
+
+<p>&mdash;Un mariage! reprit la fée; tant pis! Je vous avais, je
+crois, trouvé un parti plus sortable.</p>
+
+<p>&mdash;Et ce parti, demanda le prince, quel est-il?</p>
+
+<p>&mdash;C'est, dit la fée, une personne qui a peu de naissance,
+qui est d'un certain âge, et dont la figure sévère ne plaît pas au
+premier coup d'&oelig;il, mais qui a le c&oelig;ur bon, l'esprit ferme et la
+conversation très-solide. Elle appartenait à un jeune philosophe
+qui a fait fortune à force de ramper sous les grands, et qui l'a
+abandonnée: depuis ce temps, je cherche quelqu'un qui veuille
+d'elle, et je vous l'avais destinée.</p>
+
+<p>&mdash;Pourrait-on savoir de vous, répondit le prince, le nom
+de cette délaissée?</p>
+
+<p>&mdash;<i>Polychresta</i>, dit la fée, ou toute bonne, ou bonne à tout;
+cela n'est pas brillant; vous trouverez là peu de titres, peu d'argent,
+mais des millions en fonds de terre, et cela raccommodera
+vos affaires, que les dissipations de votre père et les vôtres ont
+fort dérangées.</p>
+
+<p>&mdash;Très-assurément, madame, répondit le prince, vous n'y
+pensez pas: cette figure, cet âge, cette allure-là ne me vont
+point, et il ne sera pas dit que le fils du très-puissant empereur
+du Japon ait pris pour femme une princesse de je ne sais où;
+encore, s'il était question d'une maîtresse, on n'y regarderait
+pas de si près...»</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>On en change quand on en est las.</p>
+
+<p class="a"><small>LA PREMIÈRE FEMME.</small>
+</p>
+<p>«... Quant à mes affaires, j'ai des moyens aussi courts et
+plus honnêtes d'y pourvoir. J'emprunterai, madame; le Japon,
+avant que je devinsse oiseau, était rempli de gens admirables
+qui prêtaient à vingt-cinq pour cent par mois tout ce qu'on
+voulait.</p>
+
+<p>&mdash;Et ces gens admirables, ajouta Vérité, finiront par vous
+marier avec Polychresta.</p>
+
+<p>&mdash;Ah! je vous jure par vous-même, lui dit le prince, que
+cela ne sera jamais; et puis votre Polychresta voudrait qu'on lui
+fît des enfants du matin au soir, et je ne sache rien de si crapuleux
+que cette vie-là.</p>
+
+<p>&mdash;Quelles idées! dit la fée; vous passez pour avoir du sens;
+je voudrais bien savoir à quoi vous l'employez.</p>
+
+<p>&mdash;À ne point faire de sots mariages, répondit le prince.</p>
+
+<p>&mdash;Voilà des mépris bien déplacés, lui dit sérieusement
+Vérité: Polychresta est un peu ma parente; je la connais, je
+l'aime; et vous ne pouvez vous dispenser de la voir.</p>
+
+<p>&mdash;Madame, répondit le prince, vous pourriez me proposer
+une visite plus amusante; et s'il faut que je vous obéisse, je ne
+vous réponds pas que je n'aie la contenance la plus maussade.</p>
+
+<p>&mdash;Et moi, je vous réponds, dit Vérité, que ce ne sera pas
+la faute de Polychresta: voyez-la, je vous en prie, et croyez que
+vous l'estimerez, si vous vous en donnez le temps.</p>
+
+<p>&mdash;Pour de l'estime et du respect; je lui en accorderai d'avance
+tant qu'il vous plaira; mais je vous répéterai toujours qu'il
+ne sera pas dit que je me sois entêté de la délaissée d'un petit
+philosophe; ce serait d'une platitude, d'un ridicule à n'en
+jamais revenir.</p>
+
+<p>&mdash;Eh! monsieur, lui dit Vérité, qui vous propose de vous
+en entêter? Épousez-la seulement; c'est tout ce qu'on vous
+demande.</p>
+
+<p>&mdash;Mais attendez, reprit le prince, j'imagine un moyen d'arranger
+toutes choses. Il faut que j'aie Lively, cela est décidé; je
+ne saurais m'en passer: si vous pouviez la résoudre à n'être
+que ma maîtresse, je ferais ma femme de Polychresta, et nous
+serions tous contents.»</p>
+
+<p>La fée, quoique naturellement sérieuse, ne put s'empêcher
+de rire de l'expédient du prince. «Vous êtes jeune, lui dit-elle,
+et je vous excuse de préférer Lively.</p>
+
+<p>&mdash;Ah! elle me sera plus nécessaire encore quand je serai
+vieux.</p>
+
+<p>&mdash;Vous vous trompez, lui dit la fée, Lively vous importunera
+souvent quand vous serez sur le retour; mais Polychresta
+sera de tous les temps.</p>
+
+<p>&mdash;Et voilà justement, reprit le prince, pourquoi je les veux
+toutes deux: Lively m'amusera dans mon printemps, et Polychresta
+me consolera dans ma vieillesse.»</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>Ah! ma bonne, vous êtes délicieuse; je ne connais pas d'insomnie
+qui tienne là contre: vous filez une conversation et l'assoupissement
+avec un art qui vous est propre; personne ne sait
+appesantir les paupières comme vous; chaque mot que vous dites
+est un petit poids que vous leur attachez; et, quatre minutes de
+plus, je crois que je ne me serais réveillée de ma vie. Continuez.</p>
+
+<p class="a"><small>LA PREMIÈRE FEMME.</small>
+</p>
+<p>Après cette conversation, qui n'avait pas laissé de durer,
+comme la sultane l'a sensément remarqué, le prince se retira
+dans son ancien appartement; il passa plusieurs jours encore
+avec la fée, qui lui donna de bons avis, dont il lui promit de se
+souvenir dans l'occasion, et qu'il n'avait presque pas écoutés.
+Ensuite il redevint pigeon à son grand regret; la fée le prit sur
+le poing, et l'élança dans les airs sans cérémonie; il partit à
+tire-d'aile pour le Japon, où il arriva en fort peu de temps,
+quoiqu'il y eût assez loin.</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>Il n'en coûte pas autant pour s'éloigner de Vérité, que pour
+la rencontrer.</p>
+
+<p class="a"><small>LA PREMIÈRE FEMME.</small>
+</p>
+<p>La fée, qui sentait que le prince aurait plus besoin d'elle
+que jamais, à présent qu'il était à la cour, se hâta de finir la
+solution d'un problème fort difficile et fort inutile...</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>Car nos connaissances les plus certaines ne sont pas toujours
+les plus avantageuses.</p>
+
+<p class="a"><small>LA PREMIÈRE FEMME.</small>
+</p>
+<p>... Le suivit de près, et l'atteignit au haut d'un observatoire,
+où il s'était reposé.</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>Et qui n'était pas celui de Paris.</p>
+
+<p class="a"><small>LA PREMIÈRE FEMME.</small>
+</p>
+<p>Elle lui tendit le poing. L'oiseau ne balança pas à descendre;
+et ils achevèrent ensemble le voyage.</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>À vous, madame seconde.</p>
+
+<p class="a"><small>LA SECONDE FEMME.</small>
+</p>
+<p>L'empereur japonais fut charmé de l'arrivée de la fée Vérité,
+qu'il avait perdue de vue depuis l'âge de quatorze ans. «Et
+qu'est-ce que cet oiseau? lui demanda-t-il d'abord; car il aimait
+les oiseaux à la folie: de tout temps il avait eu des volières;
+et son plaisir, même à l'âge de quatre-vingts ans, était de faire
+couver des linottes.</p>
+
+<p>&mdash;Cet oiseau, répondit Vérité, c'est votre fils.</p>
+
+<p>&mdash;Mon fils! s'écria le sultan; mon fils, un gros pigeon
+pattu! Ah! fée divine, que vous ai-je fait pour l'avoir si platement
+métamorphosé?</p>
+
+<p>&mdash;Ce n'est rien, répondit la fée.</p>
+
+<p>&mdash;Comment, ventrebleu! ce n'est rien! reprit le sultan; et
+que diable voulez-vous que je fasse d'un pigeon? Encore s'il
+était d'une rare espèce, singulièrement panaché: mais point
+du tout, c'est un pigeon comme tous les pigeons du monde, un
+pigeon blanc. Ah! fée merveilleuse, faites tout ce qu'il vous
+plaira, des gens durs, savants, arrogants, caustiques et brutaux;
+mais pour des pigeons, ne vous en mêlez pas.</p>
+
+<p>&mdash;Ce n'est pas moi, dit la fée, qui ai joué ce tour à votre
+fils; cependant je vais vous le restituer.</p>
+
+<p>&mdash;Tant mieux, répondit le sultan: car, quoique mes sujets
+aient souvent obéi à des oisons, des paons, des vautours et des
+grues, je ne sais s'ils auraient accepté l'administration d'un
+pigeon.»</p>
+
+<p>Tandis que le sultan faisait en quatre mots l'histoire du
+ministère japonais, la fée souffla sur l'oiseau blanc; et il redevint
+le prince Génistan. Ces prodiges s'opéraient dans le cabinet de
+Zambador, son père; les courtisans, presque tous amis du génie
+Rousch (dans la langue du pays, Menteur), furent fâchés de
+revoir le prince; mais aucun n'osa se montrer mécontent, et
+tout se passa bien.</p>
+
+<p>Zambador était fort curieux d'apprendre de quelle manière
+son fils était devenu pigeon. Le prince se prépara à le satisfaire,
+et dit ce qui suit:</p>
+
+<p>«Vous souvient-il, très-respectable sultan, que quand l'impératrice,
+ma mère, eut quarante ans, vous la reléguâtes dans un
+vieux palais abandonné, sur les bords de la mer, sous prétexte
+qu'elle ne pouvait plus avoir d'enfants; qu'il fallait assurer la
+succession au trône, et qu'il était à propos qu'elle priât les
+Pagodes, en qui elle avait toujours eu grande dévotion, de vous
+en envoyer avec la nouvelle épouse que vous vous proposiez de
+prendre? La bonne dame ne donna point dans vos raisons, et
+ne pria pas; elle ne crut pas devoir hasarder la réputation dont
+elle jouissait, d'obtenir d'en haut de la pluie, du beau temps,
+des enfants, des melons, tout ce qu'elle demandait: elle craignit
+qu'on ne dît qu'il ne lui restait de crédit, ni sur la terre, ni
+dans les cieux; car elle savait bien que, si elle n'était plus assez
+jeune pour vous, vous seriez trop vieux pour une autre.</p>
+
+<p>&mdash;Mon fils, dit Zambador, vous êtes un étourdi; vous parlez
+comme votre mère, qui n'eut jamais le sens commun. Savez-vous
+que tandis que vous couriez les champs avec vos plumes,
+j'ai fait ici des enfants?»</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>Cela pouvait n'être pas exactement vrai; mais quand de
+petits princes sont au monde, c'est le point principal; qu'ils
+soient de leur père ou d'un autre, les grands-pères en sont
+toujours fort contents.</p>
+
+<p class="a"><small>LA SECONDE FEMME.</small>
+</p>
+<p>Le prince répara sa faute, et dit à son père qu'il était charmé
+qu'il fût toujours en bonne santé; puis il ajouta: «Prenez donc
+la peine de vous rappeler ce qui se passa à la cour de Tongut.
+Lorsque vous m'y envoyâtes avec le titre d'ambassadeur, demander
+pour vous la princesse Lirila, ce qui signifie dans la
+langue du pays, l'Indolente ou l'Assoupie, vous m'en voulûtes
+assez mal à propos, de ce que ne trouvant pas Lirila digne de
+vous, je la pris pour moi. Mais écoutez maintenant comme la
+chose arriva.</p>
+
+<p>«Quelques jours après ma demande, je rendis à Lirila une
+visite, pendant laquelle je la trouvai moins assoupie qu'à l'ordinaire.
+On l'avait coiffée d'une certaine façon avec des rubans couleur
+de rose, qui relevaient un peu la pâleur de son teint. Des
+rideaux cramoisis, tirés avec art, jetaient sur son visage un
+soupçon de vie; on eût dit qu'elle sortait des mains d'un célèbre
+peintre de notre académie. Elle n'avait pas la contenance plus
+émue, ni le geste plus animé; mais elle ne bâilla pas quatre
+fois en une heure. On aurait pu la prendre, à sa nonchalance, à
+sa lassitude vraie ou fausse, pour une épousée de la veille.»</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>Madame ne pourrait-elle pas aller un peu plus vite, et
+penser qu'elle n'est pas la princesse Lirila?</p>
+
+<p class="tb">Ce mot de la sultane désola les deux femmes et les deux
+émirs: ils étaient tous quatre attendus en rendez-vous; et Mirzoza,
+qui le savait, souriait entre ses rideaux de leur impatience.
+</p>
+<p class="a"><small>LA SECONDE FEMME.</small>
+</p>
+<p>«Il devait y avoir bal; et c'était l'étiquette de la cour de
+Tongut, que celui qui l'ouvrait se trouvât chez sa dame au moins
+cinq heures avant qu'il commençât. Voilà, seigneur, ce qui me
+fit aller chez la princesse Lirila de si bonne heure.»</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>La fée Vérité n'était-elle pas à cette séance du prince et de
+son père?</p>
+
+<p class="a"><small>LA SECONDE FEMME.</small>
+</p>
+<p>Oui, madame.</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>Je ne lui ai pas encore entendu dire un mot.</p>
+
+<p class="a"><small>LA SECONDE FEMME.</small>
+</p>
+<p>C'est qu'elle parle peu en présence des souverains.</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>Continuez.</p>
+
+<p class="a"><small>LA SECONDE FEMME.</small>
+</p>
+<p>«J'eus donc une fort longue conversation avec elle, pendant
+laquelle elle articula un assez grand nombre de monosyllabes
+très-distinctement et presque sans effort, ce qui ne lui était
+jamais arrivé de sa vie. L'heure du bal vint. Je l'ouvris avec
+elle, c'est-à-dire que la princesse commença avec moi une
+révérence qui n'aurait point eu de fin, par la lenteur avec
+laquelle elle pliait, lorsque ses quatre écuyers de quartier s'approchèrent,
+la prirent sous les bras, et m'aidèrent à la relever
+et à la remettre à sa place.»</p>
+
+<p class="tb">Ici la chatouilleuse, qui avait peut-être aussi quelque arrangement,
+s'arrêta, et la maligne sultane lui dit: «Je ne vous
+conseille pas, mademoiselle, de vous lasser si vite: cet endroit
+m'intéresse à un point surprenant; je n'en fermerai pas l'&oelig;il
+de la nuit. Seconde, continuez.»
+</p>
+<p class="a"><small>LA SECONDE FEMME.</small>
+</p>
+<p>«Je crus qu'il était de la décence de l'entretenir de votre
+amour et du bonheur que vous vous promettiez à la posséder.
+Je m'étais étendu sur ce texte tout à mon aise, lorsqu'elle me
+demanda quel âge vous pouviez avoir. C'était, à ce qu'on m'a
+rapporté, une des plus longues questions qu'elle eût encore
+faites. Je lui répondis que je vous croyais soixante ans.</p>
+
+<p>&mdash;Vous en avez bien menti, dit Zambador à son fils; je
+n'en avais pas alors plus de cinquante-neuf.»</p>
+
+<p>Le prince s'inclina et continua, sans répliquer, l'histoire de
+son ambassade. «À ce mot, dit-il, Lirila soupira; et je continuai
+à lui faire votre cour avec un zèle vraiment filial; car je
+vous observerai qu'elle était nonchalamment étalée, qu'elle avait
+les yeux fermés, et que je lui parlais presque convaincu qu'elle
+dormait, lorsqu'il lui échappa une autre question. Elle dit,
+éveillée, ou en rêve, je ne sais lequel des deux: «&mdash;Est-il
+jaloux?...</p>
+
+<p>«&mdash;Madame, lui répondis-je, mon père se respecte trop et
+ses femmes, pour se livrer à de vils soupçons.»</p>
+
+<p>&mdash;Voilà qui est bien répondu, dit Zambador. La première
+Pagode vacante, j'y nommerai votre précepteur.</p>
+
+<p>«&mdash;Mais, continua le prince, lorsqu'il s'avise de s'alarmer,
+bien ou mal à propos, sur la conduite de quelqu'une de ses
+femmes, il en use on ne peut mieux. On leur prépare un bain
+chaud; on les saigne des quatre membres; elles s'en vont tout
+doucement faire l'amour en l'autre monde, et il n'y paraît plus.»</p>
+
+<p>&mdash;Cela est assez bien dit, reprit Zambador; mais il valait
+encore mieux se taire. Et comment la princesse prit-elle mon
+procédé?</p>
+
+<p>&mdash;Je ne sais, répondit le prince; elle fit une mine...»</p>
+
+<p>Zambador en fit une autre, et le prince continua.</p>
+
+<p>«J'interprétai la mine de Lirila; c'était un embarras qu'on
+avait souvent avec une femme paresseuse de parler, et je crus
+qu'il convenait de la rassurer.</p>
+
+<p>&mdash;Vous crûtes bien, ajouta Zambador.</p>
+
+<p>&mdash;Je lui dis donc que ce n'était point votre habitude; et
+que, depuis quarante-cinq ans que vous aviez dépêché la première,
+pour un coup d'éventail qu'elle avait donné sur la main
+d'un de vos chambellans, vous n'en étiez qu'à la dix-huit ou
+dix-neuvième.</p>
+
+<p>&mdash;Ah! mon fils, dit Zambador au prince, ne vous faites
+pas géomètre; car vous êtes bien le plus mauvais calculateur
+que je connaisse.»</p>
+
+<p>Puis s'adressant à la fée: «Madame, ajouta-t-il, vous deviez,
+ce me semble, lui apprendre un peu d'arithmétique; c'était
+votre affaire; je ne sais pourquoi vous n'en avez rien fait.»</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>Je me doute que la fée représenta à Zambador qu'on ne
+savait jamais bien ce qu'on n'apprenait pas par goût; et que
+Génistan son fils avait marqué, dès sa plus tendre enfance, une
+aversion insurmontable pour les sciences abstraites.</p>
+
+<p class="a"><small>LA SECONDE FEMME.</small>
+</p>
+<p>«Lirila ne vous dit-elle plus rien? demanda Zambador à
+son fils.</p>
+
+<p>&mdash;Pardonnez-moi, seigneur, répondit le prince. Elle me
+demanda si ma mère était morte. «&mdash;Madame, lui répondis-je,
+elle jouit encore du jour et de la tranquillité dans un vieux
+château abandonné sur les rives de la mer, où elle sollicite
+du ciel, pour mon père et pour vous, une nombreuse postérité;
+et il faut espérer que vous irez un jour partager les
+délices de sa solitude, sans qu'il vous arrive aucun fâcheux
+accident; car mon père est le meilleur homme du monde; et
+à cela près qu'il fait baigner et saigner ses femmes pour un
+coup d'éventail, il les aime tendrement, et il est fort galant.
+Madame, ajoutai-je tout de suite, venez embellir la cour du
+Japon; les plaisirs les plus délicats vous y attendent: vous y
+verrez la plus belle ménagerie; on vous y donnera des combats
+de taureaux; et je ne doute point qu'à votre arrivée il n'y
+ait un rhinocéros mis à mort, avec un hourvari fort récréatif.»</p>
+
+<p>«Il prit, en cet endroit, à la princesse, un bâillement. Ah!
+seigneur, quel bâillement! Vous n'en fîtes jamais un plus
+étendu dans aucune de vos audiences. Cela signifiait à ce que
+j'imaginai, que nos amusements n'étaient pas de son goût; et
+je lui témoignai qu'on s'empresserait à lui en inventer d'autres.</p>
+
+<p>«&mdash;Y a-t-il loin? demanda la princesse.</p>
+
+<p>«&mdash;Non, madame, lui répondis-je. Une chaise des plus
+commodes que Falkemberg ait jamais faites, vous y portera,
+jour et nuit, en moins de trois mois.</p>
+
+<p>«&mdash;Je n'aime point les voyages, dit Lirila en se retournant,
+et l'idée de votre chaise de poste me brise. Si vous me parliez
+un peu de vous, cela me délasserait peut-être. Il y a si longtemps
+que vous m'entretenez de votre père, qui a soixante
+ans, et qui est à mille lieues!...»</p>
+
+<p>«La princesse s'interrompit deux ou trois fois en prononçant
+cette énorme phrase; et l'on répandit que votre chaise l'avait
+furieusement secouée pour en faire sortir tant de mots à la fois.
+Pour surcroît de fatigue, en les disant, Lirila avait encore pris la
+peine de me regarder. Je crois, seigneur, vous avoir prévenu que
+c'était une de ces femmes qu'il fallait sans cesse deviner. Je
+conçus donc qu'elle ne pensait plus à vous, et qu'il fallait profiter
+de l'instant qu'elle avait encore à penser à moi; car Lirila s'était
+rarement occupée une heure de suite d'un même objet.»</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>Cela est charmant! premier émir, continuez.</p>
+
+<p>Le premier émir dit qu'il n'avait jamais eu moins d'imagination
+que ce soir; qu'il était distrait sans savoir pourquoi;
+qu'il souffrait un peu de la poitrine, et qu'il suppliait la sultane
+de lui permettre de se retirer. La sultane lui répondit qu'il
+valait mieux, pour son indisposition, qu'il restât; et elle ordonna
+au second émir de suivre le récit.</p>
+
+<p class="a"><small>LE SECOND ÉMIR.</small>
+</p>
+<p>«Le bal finit. On porta la princesse dans son appartement,
+où j'eus l'honneur de l'accompagner. On la posa tout de son
+long sur un grand canapé. Ses femmes s'en emparèrent, la
+tournèrent, retournèrent, et déshabillèrent à peu près avec les
+mêmes cérémonies de leur part et la même indolence de la
+part de Lirila, que si l'une eût été morte, et que si les autres
+l'eussent ensevelie. Cela fait, elles disparurent. Je me jetai aussitôt
+à ses pieds, et lui dis de l'air le plus attendri et du ton
+le plus touchant qu'il me fut possible de prendre:</p>
+
+<p>«Madame, je sens tout ce que je vous dois et à mon père,
+et je ne me suis jamais flatté d'obtenir de vous quelque préférence;
+mais il y a si loin d'ici au Japon, et je ressemble si
+fort à mon père!</p>
+
+<p>«&mdash;Vrai? dit la princesse.</p>
+
+<p>«&mdash;Très-vrai, répondis-je; et à cela près que je n'ai pas ses
+années, et qu'en vous aimant il ne risquerait pas la couronne
+et la vie, vous vous y méprendriez.</p>
+
+<p>«&mdash;Je ne voudrais pourtant pas vous prendre l'un pour
+l'autre à ce prix. Je serais bien aise de vous avoir, vous, et
+qu'il ne vous en coûtât rien.»</p>
+
+<p>«Pendant cette conversation, une des mains de Lirila,
+entraînée par son propre poids, m'était tombée sur les yeux;
+elle m'incommodait là: je crus donc pouvoir la déplacer sans
+offenser la princesse, et je ne me trompai pas. J'imaginai que
+nous nous entendions: point du tout, je m'entendais tout seul.
+Lirila dormait. Heureusement on m'avait appris que c'était sa
+manière d'approuver. Je fis donc comme si elle eût veillé; je
+l'épousai jusqu'au bout, et toujours en votre nom.</p>
+
+<p>&mdash;Ah! traître, dit le sultan.</p>
+
+<p>&mdash;Ah! seigneur, dit le prince, vous m'arrêtez dans le plus
+bel endroit, au moment où j'avançais vos affaires de toute ma
+force.</p>
+
+<p>&mdash;Avance, avance, ajouta le sultan; tu fais de belles
+choses.»</p>
+
+<p>Génistan, qui craignait que son père ne se fâchât tout de
+bon, lui représenta qu'il pouvait entrer dans tous ces détails
+sans danger; et lui les écouter sans humeur, puisqu'il ne se
+souciait plus de Lirila.</p>
+
+<p>&mdash;Mon fils, dit Zambador, vous avez raison; achevez votre
+aventure, et tâchez de réveiller votre assoupie.</p>
+
+<p>«Seigneur, continua le prince, je fis de mon mieux; mais
+ce fut inutilement. Je me retirai après des efforts inouïs; car
+s'il n'y a pas de pires sourds que ceux qui ne veulent pas
+entendre...»</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>Il n'y a pas de pires endormies que celles qui ne veulent
+pas s'éveiller, ni de pires éveillées que celles qui ne veulent pas
+s'endormir.</p>
+
+<p class="a"><small>LE SECOND ÉMIR.</small>
+</p>
+<p>«Cela est surprenant, dit le sultan; car on a tant de raisons
+pour veiller en pareil cas!</p>
+
+<p>&mdash;Lirila, dit le prince, s'embarrassait bien de ces raisons!
+J'interprétai son sommeil comme un consentement de préparer
+son voyage. On se constitua dans des dépenses dont elle ne daigna
+pas seulement s'informer; et nous ne sûmes qu'elle restait
+qu'au moment de partir, lorsqu'on eut mis les chevaux à cette
+admirable voiture que vous nous envoyâtes. Alors, Lirila, ne
+sachant pas bien positivement ce qu'il lui fallait, me tint à peu
+près ce discours:</p>
+
+<p>«Prince, je crois que vous pouvez aller seul, et que je reste.</p>
+
+<p>«&mdash;Et pourquoi donc, madame? lui demandai-je.</p>
+
+<p>«&mdash;Pourquoi? Mais c'est qu'il me semble que je ne veux ni
+de vous, ni de votre père.</p>
+
+<p>«&mdash;Mais, madame, d'où naît votre répugnance? Il me
+semble, à moi, que vous pourriez vous trouver mal d'un autre.</p>
+
+<p>«&mdash;Tant pis pour lui; je me trouve bien ici.</p>
+
+<p>«&mdash;Restez-y donc, madame...»</p>
+
+<p>«Et je partis sans prendre mon audience de congé de l'empereur,
+qui s'en formalisa beaucoup, comme vous savez. Je
+revins ici vous rendre compte de mon ambassade, vous courroucer
+de ce que je ne vous avais pas amené une sotte épouse,
+et obtenir l'exil pour la récompense de mes services.</p>
+
+<p>&mdash;Mon fils, mon fils, dit sérieusement Zambador au prince,
+vous ne me révélâtes pas tout alors, et vous fîtes sagement.»</p>
+
+<p class="tb">La sultane dit à sa chatouilleuse:
+</p>
+<p>«Assez.»</p>
+
+<p>Les émirs et ses femmes lui proposèrent obligeamment de
+continuer, si cela lui convenait.</p>
+
+<p>«Vous mériteriez bien, leur dit-elle, que je vous prisse au
+mot; mais j'ai joui assez longtemps de votre impatience. Assez.
+Et vous, premier émir, songez à ménager pour demain votre
+poitrine; car je ne veux rien perdre, et votre tâche sera double.
+Quelle heure est-il?</p>
+
+<p>&mdash;Deux heures du matin.</p>
+
+<p>&mdash;J'ai fait durer ma méchanceté plus longtemps que je ne
+voulais. Allez, allez vite.</p>
+
+
+
+
+<h2><a name="s4" id="s4"></a>QUATRIÈME SOIRÉE.</h2>
+
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>Je trouve mon lit mal fait... Où en étions-nous?... Est-ce toujours
+le prince qui raconte?</p>
+
+<p>&mdash;Oui, madame.</p>
+
+<p>&mdash;Et que dit-il?</p>
+
+<p class="a"><small>LA PREMIÈRE FEMME.</small>
+</p>
+<p>Il dit: «Je ne sus d'abord où je me retirerais. Après quelques
+réflexions sur mon ignorance, car je n'avais jamais donné
+dans ces harangues où l'on me félicitait de mon profond savoir,
+il me prit envie de renouer connaissance avec Vérité, chez
+laquelle j'avais passé mes premières années. Je partis dans le
+dessein de la trouver; et comme je n'étais occupé d'aucune
+passion qui m'éloignât de son séjour, je n'eus presque aucune
+peine à la rencontrer. Je voyageai cette fois dans des dispositions
+d'âme plus favorables que la première. Les femmes de votre
+cour, seigneur, et la princesse Lirila ne me donnèrent pas les
+mêmes distractions que les jeunes vierges de la guenon couleur
+de feu.»</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>Je crois, en effet, que l'image d'une jolie femme est mauvaise
+compagnie pour qui cherche Vérité.</p>
+
+<p class="a"><small>LA PREMIÈRE FEMME.</small>
+</p>
+<p>«J'avais entièrement oublié les usages de la cour de cette
+fée, lorsque j'y arrivai; et je fus tout étonné de n'y voir que
+des gens presque nus. Les riches vêtements dont je m'étais
+précautionné m'auraient été tout à fait inutiles, peut-être même
+déshonoré, si la fée m'eût laissé libre sur mes actions. Ce
+n'étaient ici, et au Tongut, que des magnificences. Chez la fée
+Vérité, tout était, au contraire, d'une extrême simplicité: des
+tables d'acajou, des boisures unies, des glaces sans bordures,
+des porcelaines toutes blanches, presque pas un meuble nouveau.</p>
+
+<p>«Lorsqu'on m'introduisit, la fée était vêtue d'une gaze
+légère, qu'elle prenait toujours pour les nouveaux venus, mais
+qu'elle quittait à mesure qu'on se familiarisait avec elle. La
+chaise longue sur laquelle elle reposait n'aurait pas été assez
+bonne pour la bourgeoise la plus raisonnable; elle était d'un
+bleu foncé, relevée par des carreaux de Perse, fond blanc. Je fus
+surpris de ce peu de parure. On me dit que la fée n'en prenait
+presque jamais davantage, à moins qu'elle n'assistât à quelque
+cérémonie publique, ou qu'un grand intérêt ne la contraignît
+de se déguiser, comme lorsqu'il fallait paraître devant les
+grands. Toutes ces occasions lui déplaisaient, parce qu'elle ne
+manquait guère d'y perdre de sa beauté. Elle avait surtout une
+aversion insurmontable pour le rouge, les plumes, les aigrettes
+et les mouches. Les pierreries la rendaient méconnaissable. Elle
+ne se parait jamais qu'à regret.</p>
+
+<p>«Elle avait à ses côtés une nièce qui s'appelait Azéma, ou,
+dans la langue du pays, Candeur. Cette nièce avait d'assez beaux
+yeux, la physionomie douce, et par-dessus cela, le teint de la
+plus grande blancheur. Cependant elle ne plaisait pas: elle
+avait toujours un air si fade, si insipide, si décent, qu'on ne
+pouvait l'envisager sans se sentir peu à peu gagner d'ennui. Sa
+tante aurait bien voulu la marier, et même avec moi; car elle
+avait vingt-deux ans passés, temps où l'on doit épouser ou
+jamais. Mais pour être son neveu, il aurait fallu courir sur les
+brisées du génie Rousch, qui en était éperdu.</p>
+
+<p>«Rousch était le plus vilain, le plus dangereux, le plus ignoble
+des génies. Il était mince, il avait le teint basané, la figure
+commune, l'air sournois, les yeux renfoncés et couverts, les
+lèvres épaisses, l'accent gascon, les cheveux crépus, la bouche
+grande et les dents doubles.»</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>Ne m'avez-vous pas dit que Rousch signifiait, dans la langue
+du pays, Menteur?</p>
+
+<p class="a"><small>LA PREMIÈRE FEMME.</small>
+</p>
+<p>Je crois qu'oui.</p>
+
+<p>«Rousch était très-méchante langue. Pour de l'esprit, il en
+voulait avoir. Il était fat, petit-maître, insolent avec les femmes,
+lâche avec les hommes, grand parleur, ayant beaucoup de mémoire
+et n'en ayant pas encore assez, ignorant les bonnes choses,
+la tête pleine de frivolités, faisant des nouvelles, apprêtant des
+contes, imaginant des aventures scandaleuses, qu'il nous débitait
+comme des vérités. Nous donnions là dedans; il riait sous cape,
+et nous prenait pour des imbéciles, lui, pour un esprit supérieur.»</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>Ne fut-ce pas ce même personnage qui inventa le grand art
+de persifler? Si cela n'est pas, laissez-le-moi croire.</p>
+
+<p class="a"><small>LA PREMIÈRE FEMME.</small>
+</p>
+<p>«La fée me paraissait plus digne d'attention que sa nièce.
+Je commençais à me faire à son air austère et sérieux. Elle avait
+des charmes, mais on n'en était pas toujours touché. Elle ne
+changeait point, mais on était journalier avec elle. Ce qui me
+rebutait quelquefois, c'était une sécheresse excessive. Son visage
+seulement conservait quelque sorte d'embonpoint. Sa taille était
+ordinaire. Elle avait l'air noble, la démarche grave et composée,
+les yeux pénétrants et petits, quelque chose d'intéressant dans la
+physionomie, la bouche grande, les dents belles, les cheveux de
+toutes sortes de couleurs. On remarquait dans ses traits je ne sais
+quoi d'antique qui ne plaisait pas à tout le monde. Elle ne manquait
+pas d'esprit. Pour des connaissances, personne n'en avait davantage
+et de plus sûres. Elle ne laissait rien entrer dans sa tête, sans
+l'avoir bien examiné. Du reste, sans enjouement et sans aménité,
+aimant la promenade, la philosophie, la solitude et la table; écrivant
+durement; ayant tout vu, tout lu, tout entendu, tout
+retenu, excepté l'histoire et les voyages; faisant ses délices des
+ouvrages de caractère et de m&oelig;urs, pourvu que la religion n'y
+fût point mêlée. Il était défendu de parler en sa présence de
+son dieu, de sa maîtresse et de son roi. Les mathématiques
+étaient presque son unique étude. La musique ne lui déplaisait
+pas, surtout l'italienne. Elle avait peu de goût pour la poésie.
+Elle aimait les enfants à la folie; aussi lui en envoyait-on de
+toutes parts; mais elle ne les gardait pas longtemps: à peine
+avaient-ils l'âge de raison, que Rousch et ses partisans nombreux
+les lui débauchaient.»</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>La fée n'était-elle pas là, lorsque Génistan en parlait ainsi?</p>
+
+<p class="a"><small>LA PREMIÈRE FEMME.</small>
+</p>
+<p>Oui, madame.</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>Comment prit-elle ce portrait, qui n'était pas flatté?</p>
+
+<p class="a"><small>LA PREMIÈRE FEMME.</small>
+</p>
+<p>Elle s'avança vers lui, l'embrassa tendrement; et le prince
+continua.</p>
+
+<p>«Je fus du nombre de ceux que Rousch entreprit; mais
+j'aimais la fée et j'en étais aimé. Le moyen de lui plaire, en me
+liant avec le seul génie qu'elle eût en aversion! Je m'appliquai
+donc à éloigner Rousch. Il en fut piqué. Azéma, sur laquelle il
+avait des vues, s'avisa d'en avoir sur moi; et voilà Rousch
+furieux. C'était bien à tort, car je n'avais pas le moindre dessein
+qui pût l'alarmer. La tante eut beau me vanter la bonté de
+son esprit et la douceur de son caractère, je répondis aux éloges
+de l'une et aux agaceries insinuantes de sa nièce, qu'Azéma
+ferait assurément le bonheur de son époux, mais que je ne pouvais
+faire le sien; et il n'en fut plus question. Cependant Rousch
+ne me le pardonna pas davantage. Il se promit une vengeance
+proportionnée à l'injure qu'il prétendait avoir reçue. Il médita
+d'abord de se battre; mais après y avoir un peu réfléchi, il
+trouva qu'il n'en avait pas le courage. Il aima mieux recourir
+à son art. Il redoubla de rage contre Vérité, et se mit à la défigurer
+d'une si étrange manière, que je ne pus l'aimer ce jour-là.
+À l'entendre, c'était une pédante, une ennemie des plaisirs et du
+bonheur; que sais-je encore? Je parus froid à la fée; j'abrégeai
+les longs entretiens que j'avais coutume d'avoir avec elle: je ne
+sais même si je n'eus pas une mauvaise honte de l'attachement
+scrupuleux que je lui avais voué. Cependant je la revis le lendemain,
+mais d'un air embarrassé. La fée m'avait deviné; elle
+me demanda comment je l'avais trouvée la veille.</p>
+
+<p>«&mdash;Madame, lui répondis-je, on ne peut pas mieux. Vous
+êtes charmante en tout temps; mais hier vous étiez à
+ravir.</p>
+
+<p>«&mdash;Ah! mon fils, me répondit la fée, Rousch vous a séduit.
+Quel dommage, et que votre changement m'afflige! Prince,
+vous m'abandonnez.</p>
+
+<p>«Je fus sensible à ce reproche; et me jetant entre les bras
+de la fée (elle les tenait toujours ouverts à ceux qui revenaient
+sincèrement à elle), je la conjurai de ne me pas faire un crime
+d'un discours que la politesse m'avait dicté.»</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>La politesse! Est-ce qu'il ne savait pas que c'était une des
+proches parentes et des bonnes amies de Rousch?</p>
+
+<p class="a"><small>LA PREMIÈRE FEMME.</small>
+</p>
+<p>Pardonnez-moi, madame, la fée le lui avait dit plus d'une
+fois: aussi Génistan, se jetant à ses genoux, lui jura-t-il de ne
+plus ménager Rousch et sa parente à ses dépens, dût-il rester
+muet, et passer ou pour grossier ou pour sot. La fée le reçut en
+grâce, et lui conta les tours sanglants que Rousch s'amusait à
+lui jouer. «Tantôt, lui dit-elle, il me rend vieille et surannée,
+tantôt jeune et difforme; quelquefois il m'enjolive à tel point,
+qu'il ne me reste rien de ma dignité, et qu'on me prendrait pour
+une bouffonne; d'autres fois il me prête un air sauvage et rechigné.
+En un mot, sous quelque forme qu'il me présente, je suis
+estropiée. Il me fait un &oelig;il bleu, et l'autre noir; les sourcils
+bruns et les cheveux blonds; mais il a beau me déguiser, les
+bons yeux me reconnaissent.»</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>Les dieux n'ont laissé à Rousch qu'un moment d'une illusion
+qui cesse toujours à sa honte.</p>
+
+<p class="a"><small>LA PREMIÈRE FEMME.</small>
+</p>
+<p>«Madame, dit le prince en se tournant du côté de la fée, me
+parlait ainsi lorsqu'on lui annonça le prince Lubrelu, ou, dans
+la langue du pays, Brouillon; et la princesse Serpilla, ou, dans
+la langue du pays, Rusée. C'étaient deux élèves qu'on lui
+envoyait. «Ah! dit la fée en fronçant le sourcil, que veut-on
+que je fasse de ces gens-là?» Elle les reçut assez froidement,
+et sans demander des nouvelles de leurs parents.»</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>À vous, madame seconde.</p>
+
+<p class="a"><small>LA SECONDE FEMME.</small>
+</p>
+<p>«Lubrelu salua la fée fort étourdiment. Il était assez joli
+garçon, mais louche et bègue. Il parlait beaucoup et sans suite,
+n'était d'accord avec lui-même, que quand il n'y pensait pas;
+grand disputeur, souvent il prenait les raisons de son sentiment
+pour des objections; sourd d'une oreille, quelquefois il entendait
+mal et répondait bien, ou entendait bien et répondait mal.
+Dès le même soir, il fut ami de Rousch.</p>
+
+<p>«Pour Serpilla, elle était petite, maigre et noire; elle contrefaisait
+la vue basse; elle avait le nez retroussé, le visage chiffonné,
+les coins de la bouche relevés: si elle méditait une
+méchanceté, elle en tirait en bas le coin gauche; c'était un tic.
+Son menton était pointu, ses sourcils bruns et prolongés vers les
+tempes; ses mains noires et sèches, mais elle ne quittait jamais
+ses gants. Elle parlait peu, pensait beaucoup, examinait tout,
+ne faisait aucune démarche, ne tenait aucun propos sans dessein;
+jouait toute sorte de personnages, l'étourdie, la distraite,
+la niaise, et n'avait jamais plus d'esprit que quand on était tenté
+de la prendre pour une idiote.</p>
+
+<p>«Azéma lui déplut d'abord; et elle s'occupa, dès le premier
+jour, à la tourner en ridicule, et à lui tendre des panneaux dans
+lesquels la bonne créature donnait tête baissée. Elle lui faisait
+voir une infinité de choses qui n'étaient point et ne pouvaient
+être. Elle se mit en tête de lui persuader que Génistan, moi,
+pour qui elle se sentait du goût, je l'aimais, elle Azéma, à la
+folie, mais que je n'osais le lui déclarer.</p>
+
+<p>«&mdash;Pourquoi, lui demandait Azéma, se taire opiniâtrément
+comme il fait? S'il n'a que des vues honnêtes, que ne parle-t-il
+à ma tante?...</p>
+
+<p>«&mdash;Princesse, lui répondait Serpilla, vous ne connaissez pas
+encore les amants délicats. S'adresser à votre tante, ce serait
+s'assurer de votre personne sans avoir pressenti votre c&oelig;ur.
+Vous pouvez compter que le prince périra plutôt de chagrin
+que de hasarder une démarche qui pourrait vous déplaire...</p>
+
+<p>«&mdash;Ah! reprit Azéma, pour cela je ne veux pas qu'il périsse;
+je ne veux pas même qu'il souffre...</p>
+
+<p>«&mdash;Cependant cela est, et cela durera, si vous n'y mettez
+pas ordre...</p>
+
+<p>«&mdash;Mais comment faut-il que je m'y prenne? Je suis si neuve
+et si gauche à tout...</p>
+
+<p>«&mdash;Je le regarderais tendrement lorsqu'il viendrait chez ma
+tante; s'il lui arrivait de me donner la main, je la serrerais
+de distraction; je jetterais un mot, et puis un autre...</p>
+
+<p>«&mdash;En vérité, j'ai peur d'avoir fait tout cela sans y penser...</p>
+
+<p>«&mdash;Si cela est, il faut avouer que ce Génistan est un cruel
+homme. Je n'y vois plus qu'un remède...</p>
+
+<p>«&mdash;Et quel est-il?...</p>
+
+<p>«&mdash;Ho! non, je ne vous le dirai pas...</p>
+
+<p>«&mdash;Et pourquoi?...</p>
+
+<p>«&mdash;C'est que si je vous le disais, vous le confieriez peut-être
+à votre tante...</p>
+
+<p>«&mdash;Ne craignez rien; vous ne sauriez croire combien je
+suis discrète...</p>
+
+<p>«&mdash;Eh bien! j'écrirais...</p>
+
+<p>«&mdash;Si c'est là votre secret, n'en parlons plus; je n'oserais
+jamais m'en servir...</p>
+
+<p>«&mdash;N'en parlons plus, comme vous dites. Il me semble qu'il
+fait beau et qu'un tour de promenade vous dissiperait...</p>
+
+<p>«&mdash;Très-volontiers; nous rencontrerons peut-être le prince
+Génistan...</p>
+
+<p>«&mdash;Le prince a renoncé à tout amusement. S'il se promène,
+c'est dans des lieux écartés et solitaires. Je ne sais où le conduira
+cette triste vie. S'il en mourait pourtant, c'est vous qui
+en seriez la cause...</p>
+
+<p>«&mdash;Mais je ne veux pas qu'il meure, je vous l'ai déjà dit...</p>
+
+<p>«&mdash;Écrivez-lui donc...</p>
+
+<p>«&mdash;Je n'oserais; et puis je ne sais que lui écrire...</p>
+
+<p>«&mdash;Que ne m'en chargez-vous? Vous me connaissez un peu,
+et vous ne me croyez pas, sans doute, aussi maladroite que
+je le parais. J'arrangerai les choses avec toute la décence
+imaginable. La lettre sera anonyme. Si la déclaration réussit,
+c'est vous qui l'aurez faite; si elle échoue, ce sera moi...</p>
+
+<p>«&mdash;Vous êtes bien bonne...»</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>Cette Serpilla est une dangereuse créature, et la simple
+Azéma n'en savait pas assez pour sentir ce piége. La lettre fut-elle
+écrite?</p>
+
+<p class="a"><small>LA SECONDE FEMME.</small>
+</p>
+<p>Le prince dit que oui.</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>Fut-elle répondue?</p>
+
+<p class="a"><small>LA SECONDE FEMME.</small>
+</p>
+<p>Le prince dit que non.</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>Et pourquoi?</p>
+
+<p class="a"><small>LA SECONDE FEMME.</small>
+</p>
+<p>«Je n'avais garde, dit le prince, de me fier à Serpilla, et cela
+sous les yeux de la fée, qui nous aurait devinés d'abord, et qui
+ne m'aurait jamais pardonné cette intrigue. Azéma fut désolée
+de mon silence, mais elle ne se plaignit pas. Sa méchante amie
+se fit un mérite auprès d'elle de la démarche hardie qu'elle
+avait faite pour la servir, et Azéma l'en remercia sincèrement.
+Rousch ne fut pas si scrupuleux que moi; on dit qu'il tira parti
+de Serpilla. Ce qu'il y a de vrai, c'est qu'on remarqua de la
+liaison entre eux, et qu'ils formèrent avec Lubrelu une espèce
+de triumvirat qui mit en fort peu de temps la cour de la fée
+sens dessus dessous. On s'évitait, on ne se parlait plus; c'étaient
+des caquets et des tracasseries sans fin; on se boudait sans
+savoir pourquoi, et la fée en était de fort mauvaise humeur.»</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>C'est, en vérité, comme ici; et je croirais volontiers que ce
+triumvirat subsiste dans toutes les cours.</p>
+
+<p class="a"><small>LA SECONDE FEMME.</small>
+</p>
+<p>«La fée fit publier pour la centième fois les anciennes lois
+contre la calomnie; elle défendit de hasarder des conjectures
+sur la réputation d'un ennemi, même sur celle d'un méchant
+notoire, sous peine d'être banni de sa cour; elle redoubla de
+sévérité; et s'il nous arrivait quelquefois de médire, elle nous
+arrêtait tout court, et nous demandait brusquement: «Est-ce à
+vous que le fait est arrivé? Ce que vous racontez, l'avez-vous
+vu?» Elle était rarement satisfaite de nos réponses. Elle m'interdit
+une fois sa présence pendant quatre jours, pour avoir
+assuré une aventure arrivée au Tongut tandis que j'y étais,
+mais à laquelle je n'avais eu aucune part, et que je n'avais
+apprise que par le bruit public.</p>
+
+<p>«Malgré les défenses de Vérité, Lubrelu avait toutes les
+peines du monde à se contenir. Il lui échappait à tout moment
+des choses peu mesurées qui offensaient moins de sa part que
+d'un autre, parce qu'il y avait, disait-on, dans son fait plus de
+sottise et d'étourderie que de méchanceté: il croyait parler sans
+conséquence, en disant hautement que j'étais bien avec la tante,
+et passablement avec la nièce; qu'il y avait entre nous un
+arrangement le mieux entendu, et que le jour j'appartenais à
+Azéma, et la nuit à Vérité.</p>
+
+<p>«Rousch, qui était présent, lui répondit qu'il lui abandonnait
+la vieille fée pour en disposer à sa fantaisie, mais qu'il prétendait
+qu'on s'écoutât quand on parlait d'Azéma. S'écouter, c'est
+ce que Lubrelu n'avait fait de sa vie; il répondit à Rousch par
+une pirouette, et lui laissa murmurer entre ses dents qu'il était
+épris d'Azéma; que personne ne l'ignorait; qu'il en était aimé;
+qu'il méditait depuis longtemps de l'épouser; et que, quoiqu'il
+eût commencé avec elle par où les autres finissent, il n'en était
+pas moins amoureux.</p>
+
+<p>«Lubrelu ne perdit pas ces derniers mots, qu'il redit le lendemain
+à Azéma, y ajoutant quelques absurdités fort atroces.
+Azéma en fut affligée, et s'en alla, en pleurant, se plaindre à sa
+tante, et la prier de l'envoyer pour quelque temps chez la fée
+Zirphelle, ou, dans la langue du pays, Discrète, son autre tante:
+Vérité y consentit. On tint le départ secret, et Azéma disparut
+sans que Rousch en sût rien. Il fit du bruit quand il l'apprit;
+mais Azéma était déjà bien loin: il courut après elle, ne la
+rejoignit point, et revint une fois plus hideux, me soupçonnant
+d'avoir enlevé ses amours, et bien résolu de m'en faire repentir.
+Ses menaces ne m'effrayèrent point; je n'ignorais pas que sa
+puissance était limitée, et qu'il ne me nuirait jamais que de
+concert avec le génie Nucton, ou comme qui dirait Sournois,
+qui résidait à mille lieues et plus du palais de Vérité. Mais qui
+l'eût cru? Rousch disparut un matin, et l'on sut qu'il était allé
+consulter Nucton sur les moyens de se venger.</p>
+
+<p>«Il n'était pas à un quart de lieue, qu'on entendit un grand
+fracas dans les avant-cours; on crut que c'était Rousch qui
+revenait: point du tout, c'était une de ses amies et des parentes
+de Lubrelu, que le hasard avait jetée dans cette contrée; on
+l'appelait Trocilla, comme qui dirait Bizarre. Sa manie était de
+courir sans savoir où elle allait; pourvu qu'elle ne suivît pas la
+grande route, elle était contente: aussi apprîmes-nous qu'elle
+s'était engagée dans des chemins de traverse où son équipage
+avait été mis en pièces, et qu'elle arrivait sur une mule rétive,
+crottée, déchirée, dans un désordre à faire mourir de rire.</p>
+
+<p>«On lui donna un appartement: il y en avait toujours de
+reste chez Vérité; elle se reposait en attendant ses gens, qu'elle
+maudissait, et qui ne demeuraient pas en reste avec elle. Ils
+arrivèrent enfin. On tira ses femmes d'une berline en souricière;
+c'étaient trois espèces de boiteuses: l'une boitait à droite, l'autre
+à gauche, la troisième des deux côtés. Trocilla, qui les examinait
+d'une croisée, trouvait leur allure si ridicule, qu'elle en
+riait à gorge déployée, comme si l'étrange spectacle de ces trois
+boiteuses, qui se hâtaient de venir, eût été nouveau pour elle.
+Tandis qu'un cocher en scaramouche et un valet en arlequin
+dételaient de la voiture deux chevaux, l'un blanc et l'autre
+noir, Trocilla était à sa toilette, qui commença sur les cinq
+heures du soir, et qui finit à peine à huit, qu'elle se présenta
+chez la fée Vérité.</p>
+
+<p>«Je n'ai rien vu de si extravagant que sa parure, et sa personne
+attira mon attention et celle de tout le monde.»</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>C'est le privilége de la singularité plus encore que de la
+beauté. Les hommes se livrent plus promptement à ce qui les
+surprend qu'à ce qu'ils admireraient.</p>
+
+<p class="tb">La sultane prononça cette réflexion sensée d'un ton faible et
+entrecoupé qui annonçait l'approche du sommeil.
+</p>
+<p class="a"><small>LA SECONDE FEMME.</small>
+</p>
+<p>«Trocilla était plutôt grande que petite, mal proportionnée:
+c'étaient de longues jambes au bout de longues cuisses, qui lui
+donnaient l'air d'une sauterelle, surtout quand elle était assise:
+point de taille; un bras potelé, et l'autre sec; une main laide
+et difforme, et l'autre jolie; un pied petit et délicat dans une
+grande mule rembourrée, un autre pied grand et mal fait,
+enchâssé dans une petite mule; mais cela n'y faisait rien: par
+ce moyen, elle avait deux mules égales. Son épaule droite était
+un peu plus haute que la gauche; à la vérité, un corps et l'éducation
+avaient affaibli ce défaut: elle avait des couleurs et point
+de teint; un &oelig;il bleu et un &oelig;il gris; le nez long et pointu; la
+bouche charmante quand elle riait; mais par malheur pour ceux
+qui l'approchaient, elle avait des journées tristes sans savoir
+pourquoi, car elle ne voulait pas que ce fût des vapeurs ou des
+nerfs.</p>
+
+<p>«Elle avait une robe de satin couleur de rose, avec des
+parures violettes; une simarre de velours bleu, garnie de crêpe;
+un n&oelig;ud de diamants, d'où pendait une riche dévote, dans un
+temps où l'on n'en portait plus; une girandole de très-beaux
+brillants à l'oreille droite, et une perle d'orient à la gauche;
+une plume verte dans sa coiffure, dont un des côtés était en
+papillon, et l'autre en battant l'&oelig;il, avec un énorme éventail à
+la main.</p>
+
+<p>«Voilà l'ajustement sous lequel nous apparut Trocilla.»</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>La perle à l'oreille gauche est de trop.</p>
+
+<p class="a"><small>LA SECONDE FEMME.</small>
+</p>
+<p>«Elle salua Vérité sans la regarder, s'étendit indécemment
+sur une sultane, tira de sa poche une lorgnette, dont elle ne se
+servit point, jeta à travers une conversation fort sérieuse trois
+ou quatre mots déplacés et plaisants, se moqua d'elle et du
+reste de la compagnie, et se retira.»</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>Je vous conseille de l'imiter. Après la nuit dernière, je crois
+que vous pourriez avoir besoin de repos. Bonsoir, messieurs;
+mesdames, bonsoir; car je crois que vous allez vous coucher.</p>
+
+
+
+
+<h2><a name="s5" id="s5"></a>CINQUIÈME SOIRÉE.</h2>
+
+
+<p>Ce soir, Mangogul avait ordonné qu'on laissât la porte de
+l'appartement ouverte; et lorsque Mirzoza fut couchée, il profita
+du bruit que firent les improvisateurs en s'arrangeant autour
+de son lit, pour entrer sans qu'elle s'en doutât: il était placé
+debout, les coudes appuyés sur la chaise de la seconde femme
+et sur celle du premier émir, lorsque la sultane demanda à
+celui-ci si sa poitrine lui permettait de la dédommager du
+silence qu'il gardait depuis deux jours. L'émir lui répondit qu'il
+ferait de son mieux, et commença comme il suit:</p>
+
+<p class="a"><small>LE PREMIER ÉMIR.</small>
+</p>
+<p>«Je pris pour elle ce qu'on appelle une fantaisie.»</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>Ce <i>je</i>, c'est le prince Génistan; et cet <i>elle</i>, c'est apparemment
+Trocilla.</p>
+
+<p class="a"><small>LE PREMIER ÉMIR.</small>
+</p>
+<p>Oui, madame.</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>Ah, les hommes! les hommes!... Je les crois encore plus
+fous que nous.</p>
+
+<p class="a"><small>LE PREMIER ÉMIR.</small>
+</p>
+<p>Madame en excepte sûrement le sultan.</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>Continuez.</p>
+
+<p class="a"><small>LE PREMIER ÉMIR.</small>
+</p>
+<p>«L'occasion de l'instruire de mes sentiments n'était pas difficile
+à trouver; mais il fallait se cacher de Vérité. Un jour que
+la fée était profondément occupée, la crainte de la distraire me
+servit de prétexte, et j'allai faire ma cour à Trocilla, qui me
+reçut bien. J'y retournai le lendemain, et elle me fit froid
+d'abord. Sa mauvaise humeur cessa lorsqu'elle s'aperçut que je
+ne m'empressais nullement à la dissiper; elle railla la religion,
+les prêtres et les dévotes; traita la modestie, la pudeur et les
+principales vertus de son sexe, de freins imaginés par les sottes;
+et je crus victoire gagnée: point de préjugés à combattre, point
+de scrupules à lever; je ne désirais qu'une seconde entrevue
+pour être heureux; encore ne fallait-il pas qu'elle fût longue,
+de peur d'avoir du temps de reste, et de ne savoir qu'en faire.
+J'eus un autre jour l'occasion de la reconduire dans son appartement:
+chemin faisant, je lui demandai la permission d'y rester
+un moment; elle me fut accordée. Aussitôt je me mis en
+devoir de lui dire des choses tendres et galantes autant qu'il
+m'en vint: que je l'avais aimée depuis que j'avais eu le bonheur
+de la voir; que c'était un de ces coups de sympathie auxquels
+jusqu'alors j'avais ajouté peu de foi, et qu'il fallait que ma passion
+fût bien violente, puisque j'osais la lui déclarer la seconde
+fois que je jouissais de son entretien: elle m'écouta attentivement;
+puis tout à coup éclatant de rire, elle se leva et appela
+toutes ses femmes, qui accoururent, et qu'elle renvoya. Je la
+priai de se remettre d'une surprise à laquelle ses charmes ne
+l'exposaient pas sans doute pour la première fois. Vous avez
+raison, me répondit-elle: on m'a aimée, on me l'a dit, et je
+devrais y être faite; mais il m'est toujours nouveau de voir des
+hommes, parce qu'ils sont aimables, prétendre qu'on leur sacrifiera
+l'honneur, la réputation, les m&oelig;urs, la modestie, la pudeur,
+et la plupart des vertus qui font l'ornement de notre sexe; car
+il paraît bien à leurs procédés et à ceux des femmes, que c'est
+à ces bagatelles que se réduisent les désirs des uns et les bontés
+des autres. Et continuant d'un ton moins naturel encore et plus
+pathétique: Non, s'écria-t-elle, il n'y a plus de décence; les
+liaisons ont dégénéré en un libertinage épouvantable; la pudeur
+est ignorée sur la surface de la terre: aussi les dieux se sont-ils
+vengés; et presque tous les hommes...»</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>Sont devenus faux ou indiscrets.</p>
+
+<p class="a"><small>LE PREMIER ÉMIR.</small>
+</p>
+<p>Madame en excepte sans doute le sultan.</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>Continuez.</p>
+
+<p class="a"><small>LE PREMIER ÉMIR.</small>
+</p>
+<p>«Je fus un peu déconcerté de ce sermon, auquel je ne m'attendais
+guère; et j'allais lui rappeler ses maximes de la veille,
+lorsqu'elle m'épargna ce propos ridicule, en me priant de me
+retirer, de crainte qu'on n'en tînt de méchants sur sa conduite.
+J'obéis, bien résolu d'abandonner Trocilla à toutes ses bizarreries,
+et de ne la revoir jamais. Mais j'avais plu; et dès le
+lendemain elle m'agaça, me dit des mots fort doux et assez
+suivis; et je me laissai entraîner.»</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>Vous n'êtes que des marionnettes.</p>
+
+<p class="a"><small>LE PREMIER ÉMIR.</small>
+</p>
+<p>Madame en excepte sans doute le sultan.</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>Émir, respectez le sultan; respectez-moi, et continuez.</p>
+
+<p class="a"><small>LE PREMIER ÉMIR.</small>
+</p>
+<p>«Je me rendis dans son appartement à l'heure marquée; je
+crus la trouver seule. Point du tout, elle s'occupait à prendre
+une leçon d'anglais, qui avait déjà duré fort longtemps, et que
+ma présence n'abrégea point. Nous y serions encore tous les
+trois, si le maître d'anglais, qui ne manquait pas d'intelligence,
+n'eût eu pitié de moi. Mais il était écrit que mon supplice serait
+plus long. Trocilla me reçut comme un homme tombé des nues,
+me laissa debout, ne me dit presque pas un mot; et sans m'accorder
+le temps de lui parler, sonna et se fit apporter une
+vielle, dont elle se mit à jouer précisément comme quand on
+est seul, et qu'on s'ennuie.»</p>
+
+<p class="tb">Ici le sultan ne put s'empêcher de rire; la sultane dit:
+«En effet, cette scène est assez ridicule.» Et l'émir reprit son
+récit.
+</p>
+<p class="a"><small>LE PREMIER ÉMIR.</small>
+</p>
+<p>«Je lui laissai tâtonner une musette, un menuet; et elle
+allait commencer un maudit air à la mode, qui n'aurait
+point eu de fin, lorsque je pris la liberté de lui arrêter les
+mains.</p>
+
+<p>«Ah! vous voilà, me dit-elle, et que faites-vous ici à
+l'heure qu'il est?</p>
+
+<p>«&mdash;C'est par vos ordres, madame, lui répondis-je, que je
+m'y suis rendu; et il y a près de deux heures que j'attends
+que vous vous aperceviez que j'y suis...</p>
+
+<p>«&mdash;Est-il bien vrai?...</p>
+
+<p>«&mdash;Pour peu que vous en doutassiez, votre maître d'anglais
+vous l'assurerait...</p>
+
+<p>«&mdash;Vous l'avez donc entendu donner leçon? C'est un habile
+homme; qu'en pensez-vous? Et ma vielle, je commence à m'en
+tirer assez bien. Mais, asseyez-vous, je me sens en main, et je
+vais vous jouer des contredanses du dernier bal, qui vous
+réjouiront...</p>
+
+<p>«&mdash;Madame, lui répondis-je, faites-moi la grâce de m'entendre.
+À présent, ce ne sont point des airs de vielle que je
+viens chercher ici; quittez pour un moment votre instrument,
+et daignez m'écouter...</p>
+
+<p>«&mdash;Mais vous êtes extraordinaire, me dit Trocilla; vous ne
+savez pas ce que vous refusez. J'allais vous jouer, ce soir,
+comme un ange...</p>
+
+<p>«&mdash;Madame, lui répliquai-je, si je vous gêne, je vais me
+retirer...</p>
+
+<p>«&mdash;Non, restez, monsieur. Et qui vous dit que vous me
+gênez?...</p>
+
+<p>«&mdash;Quittez donc ce maudit instrument, ou je le brise...</p>
+
+<p>«&mdash;Brisez, mon cher; brisez: aussi bien j'en suis dégoûtée.»</p>
+
+<p>«Je détachai la ceinture de la vielle, non sans serrer doucement
+la taille de la vielleuse. Trocilla était assise sur un tabouret;
+cette situation n'était pas commode.»</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>Émir, supposez que je dors, et continuez.</p>
+
+<p class="a"><small>LE PREMIER ÉMIR.</small>
+</p>
+<p>«Je la pris par sa main jolie, que je baisai plusieurs fois, en
+la conduisant vers une chaise longue, sur laquelle je la poussai
+doucement; elle s'y laissa aller sans façon; et me voilà assis à
+côté d'elle, lui baisant encore la main, et lui protestant d'une
+voix émue que je l'adorais.»</p>
+
+<p class="tb">De distraction le sultan s'écria: «Adore donc, maudite
+bête!» Heureusement, la sultane, ou ne l'entendit pas, ou
+feignit de ne pas l'entendre.
+</p>
+<p class="a"><small>LE PREMIER ÉMIR.</small>
+</p>
+<p>«Trocilla me crut apparemment, car elle me passa son autre
+main sur les yeux, et l'arrêta sur ma bouche. Je la regardai
+dans ce moment, et je la trouvai charmante. Son souris, son
+badinage, le son de sa voix, tout excitait en moi des désirs.
+Elle me tenait de petits propos d'enfants, qui achevaient de me
+tourner la tête. Bientôt je n'y fus plus. Je me penchai sur sa
+gorge. Je ne sais trop ce que mes mains devinrent. Trocilla
+paraissait éprouver le même trouble; et nous touchions à
+l'instant du bonheur, lorsque nous sortîmes, elle et moi, de
+cette situation voluptueuse, par une extravagance inouïe. Trocilla
+me repoussa fortement; et se mettant à pleurer, mais à
+pleurer à chaudes larmes:</p>
+
+<p>«Ah! cher Zulric, s'écria-t-elle; tendre et fidèle amant,
+que deviendrais-tu, si tu savais à quel point je t'oublie?»</p>
+
+<p>«Ses larmes et ses soupirs redoublèrent; c'était à me faire
+craindre qu'elle ne suffoquât.</p>
+
+<p>«Retirez-vous, monsieur; je vous hais, je vous déteste.
+Vous m'avez fait manquer à mes serments, et tromper l'homme
+unique à qui je suis engagée par les liens les plus solennels;
+vous n'en serez pas plus heureux, et j'en mourrai de
+douleur.»</p>
+
+<p>«Ces dernières paroles, et les larmes abondantes qui les suivirent,
+me persuadèrent que le quart d'heure était passé. Je
+me retirai, bien résolu de le faire renaître. J'envoyai le
+lendemain chez Trocilla, et j'appris de sa part qu'elle avait
+bien reposé et qu'elle m'attendait pour prendre le thé. Je
+partis sur-le-champ, et j'eus le bonheur de la trouver encore
+au lit.</p>
+
+<p>«Venez, prince, dit-elle; asseyez-vous près de moi. J'ai
+conçu pour vous des sentiments dont il faut absolument que je
+vous instruise. Il y va de mon bonheur, et peut-être de ma vie.
+Tâchez donc de ne pas abuser de ma sincérité. Je vous aime,
+mais de l'amour le plus tendre et le plus violent. Avec le mérite
+que vous avez, il ne doit pas être nouveau pour vous d'être
+prévenu. Ah! si je rencontre dans votre c&oelig;ur la même tendresse
+que vous avez fait naître dans le mien, que je vais être
+heureuse! Parlez, prince, ne me suis-je point trompée lorsque
+je me suis flattée de quelque retour? M'aimez-vous?</p>
+
+<p>«&mdash;Ah, madame, si je vous aime! Ne vous l'ai-je pas assuré
+cent fois?</p>
+
+<p>«&mdash;Serait-il bien possible!</p>
+
+<p>«&mdash;Rien n'est plus vrai.</p>
+
+<p>«&mdash;Je le crois, puisque vous me le dites; mais je veux
+mourir, si je m'en souviens. Vraiment, je suis enchantée de
+ce que vous m'apprenez là. Je vous conviens donc beaucoup,
+beaucoup?</p>
+
+<p>«&mdash;Autant qu'à qui que ce soit au monde.</p>
+
+<p>«&mdash;Eh bien, mon cher, reprit-elle en me serrant la main
+entre la sienne et son genou, personne ne me convient comme
+toi. Tu es charmant, divin, amusant au possible, et nous
+allons nous aimer comme des fous. On disait que Vindemill,
+Illoo, Girgil, avaient de l'esprit. J'ai un peu connu ces personnages-là,
+et je te puis assurer que ce n'était rien, moins
+que rien.»</p>
+
+<p>«Trocilla ne laissait pas que d'avoir rencontré bien des
+gens d'esprit, quoiqu'elle n'en accordât qu'à elle et à son
+amant.</p>
+
+<p>«À présent, madame, je puis donc me flatter, lui dis-je,
+que vous ne vous souviendrez plus de Zulric ni d'aucun
+autre?</p>
+
+<p>«&mdash;Que parlez-vous de Zulric? reprit-elle. C'est un petit sot
+qui s'est imaginé qu'il n'y avait qu'à faire le langoureux auprès
+d'une femme et à l'excéder de protestations pour la subjuguer.
+C'est de ces gens prêts à mourir cent fois pour vous, et dont
+une misérable petite complaisance vous débarrasse; mais
+vous, ce n'est pas cela; et quelque répugnance que vous ayez
+pour les hiboux, je gage que vous la vaincriez, si j'avais
+attaché mes faveurs aux caresses que vous feriez au mien.»</p>
+
+<p>«Seigneur, dit Génistan à son père, les autres femmes ont
+un serin, une perruche, un singe, un doguin. Trocilla en était,
+elle, pour les hiboux... Oui, seigneur, pour les hiboux!... De
+tous les oiseaux, c'est le seul que je n'ai pu souffrir. Trocilla
+en avait un qu'elle ne montrait qu'à ses meilleurs amis.»</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>Que beaucoup de gens avaient vu.</p>
+
+<p class="a"><small>LE PREMIER ÉMIR.</small>
+</p>
+<p>«Et qu'on me présenta sur-le-champ. «Voyez mon petit hibou
+me dit-elle; il est charmant, n'est-ce pas? Ce toquet blanc à la
+housarde, qu'on lui a placé sur l'oreille, lui fait à ravir. C'est
+une invention de mes boiteuses. Ce sont des femmes admirables.
+Mais vous ne me dites rien de mon petit hibou?</p>
+
+<p>«&mdash;Madame, lui répondis-je, vous auriez pu, je crois,
+prendre du goût pour un autre animal. Il n'y a que vous aux
+Indes, à la Chine, au Japon, qui se soit avisée d'avoir un
+hibou en toquet.</p>
+
+<p>«&mdash;Vous vous trompez, me répondit-elle: c'est l'animal à
+la mode; et de quel pays débarquez-vous donc? Ici tout le
+monde a son hibou, vous dis-je, et il n'est pas permis de
+s'en passer. Promettez-moi donc d'avoir le vôtre incessamment;
+je sens que je ne puis vous aimer sans cela.»</p>
+
+<p>«Je lui promis tout ce qu'elle voulut, et je la pressai d'abréger
+mon impatience.»</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>Je crois, émir, qu'il est à propos que je me rendorme. Me
+voilà rendormie; continuez.</p>
+
+<p class="a"><small>LA PREMIÈRE FEMME.</small>
+</p>
+<p>«Elle y consentit, mais à la condition que j'aurais un
+hibou.</p>
+
+<p>«Ah! plutôt quatre, madame,» lui répondis-je.</p>
+
+<p>«À l'instant elle me reçut les bras ouverts. Je fus exposé aux
+emportements de la femme du monde qui aimait le moins; j'y
+répondis avec toute l'impétuosité d'un homme qui ne voulait
+pas laisser à Trocilla le temps de se refroidir.</p>
+
+<p>«Vous aurez un hibou, me disait-elle d'une voix entrecoupée:
+prince, vous me le promettez.</p>
+
+<p>«&mdash;Oui, madame, lui répondis-je, dans un instant où l'on est
+dispensé de connaître toute la force de ses promesses: je vous le
+jure par mon amour et par le vôtre.»</p>
+
+<p>«À ces mots, Trocilla se tut, et moi aussi. Il y avait près
+d'une demi-heure que nous étions ensemble, lorsqu'elle me dit
+froidement de la laisser dormir et de me retirer. Si je n'avais
+pas su à quoi m'en tenir, je m'en serais pris à moi-même de
+cette indifférence subite; mais je n'avais rien à me reprocher,
+ni elle non plus. Je pris donc le parti de lui obéir, et même
+plus scrupuleusement peut-être qu'elle ne s'y attendait. Je
+revins à Vérité, qui me parut plus belle que jamais.»</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>C'est la vraie consolation dans les disgrâces, et on ne
+lui trouve jamais tant de charmes que quand on est malheureux.</p>
+
+<p class="a"><small>LA SECONDE FEMME.</small>
+</p>
+<p>«Toutes ces choses s'étaient passées, lorsque Rousch reparut:
+il avait vu Nucton, et ils avaient concerté de me faire rentrer
+cent pieds sous terre; c'était leur expression. La pauvre Azéma,
+dont ils avaient découvert la retraite, avait déjà éprouvé les
+cruels effets de leur haine. Rousch lui avait soufflé sur le visage
+une poudre qui l'avait rendue toute noire. Dans cet état elle
+n'osait se montrer; elle vivait donc renfermée, détestant à chaque
+moment Rousch et arrosant sans cesse de ses larmes un
+miroir qui lui peignait toute sa laideur, et qu'elle ne pouvait
+quitter. Sa tante apprit son malheur, la plaignit et vint à son
+secours. Elle essaya de laver le visage de sa triste nièce; mais
+elle y perdit ses peines. Noire elle était, noire elle resta: ce qui
+détermina la fée à la transformer en colombe et à lui restituer
+sa première blancheur sous une autre forme.</p>
+
+<p>«Vérité, de retour chez Azéma, songea à me garantir des
+embûches de Rousch. Pour cet effet, elle me fit partir incognito.
+Mais admirez les caprices des femmes et surtout de Trocilla;
+elle ne me sut pas plus tôt éloigné d'elle, qu'elle songea à
+s'approcher de moi. Elle s'informa de la route que j'avais prise,
+et me suivit. Rousch, instruit de notre aventure, connaissant
+assez bien son monde, et particulièrement Trocilla, ne douta
+point qu'il ne parvînt au lieu de ma retraite, en marchant sur
+ses traces. Sa conjecture fut heureuse; et, un matin, nous nous
+trouvâmes tous trois en déshabillé dans un même jardin.</p>
+
+<p>«La présence de Trocilla me consola un peu de celle de
+Rousch. Je fus flatté d'avoir fait faire quatre cent cinquante
+lieues à une femme de son caractère; et je me déterminai à la
+revoir. Ce n'était pas le moyen d'éviter Rousch; car Trocilla et
+Rousch se connaissaient de longue main, et ils avaient toujours
+été passablement ensemble. C'était de concert avec elle qu'il
+ébauchait tous ces récits scandaleux. Il inventait le fond; elle
+mettait de l'originalité dans les détails, d'où il arrivait qu'on
+les écoutait avec plaisir, qu'on les répétait partout, qu'on paraissait
+y croire, mais qu'on n'y croyait pas.»</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>Il y a quelquefois tant de finesse dans votre conte, que je
+serais tentée de le croire allégorique.</p>
+
+<p class="a"><small>LE PREMIER ÉMIR.</small>
+</p>
+<p>«Un soir qu'une des boiteuses de Trocilla m'introduisait chez
+sa maîtresse par un escalier dérobé, j'allai donner rudement de
+la tête contre celle de Rousch, qui s'esquivait par le même escalier.
+Nous fûmes l'un et l'autre renversés par la violence du
+choc. Rousch me reconnut au cri que je poussai. «Malheureux,
+s'écria-t-il, que le destin a conduit ici, tremble. Tu vas enfin
+éprouver ma colère.» À l'instant il prononça quelques mots
+inintelligibles, et je sentis mes cuisses rentrer en elles-mêmes, se
+raccourcir et se fléchir en sens contraire, mes ongles s'allonger
+et se recourber, mes mains disparaître, mes bras et le reste de
+mon corps se revêtir de plumes. Je voulus crier, et je ne pus
+tirer de mon gosier qu'un son rauque et lugubre. Je le redis
+plusieurs fois; et les appartements en retentirent et le répétèrent.
+Trocilla accourut au ramage, qui lui parut plaisant; elle m'appela:
+«Petit, petit.» Mais je n'osai pas me confier à une femme
+qui n'avait de fantaisie que pour les hiboux. Je pris mon vol par
+une fenêtre, résolu de gagner le séjour de Vérité et de me faire
+désenchanter; mais je ne pus jamais reprendre le chemin de
+son séjour. Plus j'allais, plus je m'égarais. Ce serait abuser de
+votre patience que de vous raconter le reste de mes voyages et
+mes erreurs. D'ailleurs tout voyageur est sujet à mentir. J'aurais
+peur de succomber à la tentation, et j'aime mieux que ce
+soit Vérité qui vous achève elle-même mes aventures.»</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>Ce sera la première fois qu'elle se mêlera de voyage.</p>
+
+<p class="a"><small>LE PREMIER ÉMIR.</small>
+</p>
+<p>«Mais il faut bien qu'elle fasse quelque chose pour vous et
+pour moi qui l'aimais de si bonne amitié et qui avons tant fait
+pour elle, dit Génistan à son père.»</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>Ce conte est ancien, puisqu'il est du temps où les rois
+aimaient la vérité.</p>
+
+<p class="a"><small>LE PREMIER ÉMIR.</small>
+</p>
+<p>Génistan s'arrêta; Vérité prit la parole; et, comme elle poussait
+l'exactitude dans les récits jusqu'au dernier scrupule, elle
+dépêcha en quatre mots ce que nous aurions eu de la peine à
+écrire en vingt pages.</p>
+
+<p>«J'aurais voulu, ajouta-t-elle, en le débarrassant de ses
+plumes, lui ôter une fantaisie qu'il a prise sous cet habit. Il s'est
+entêté d'une des filles de Kinkinka.</p>
+
+<p>&mdash;Celle, dit le sultan, qui avait permis qu'on le mît à la
+crapaudine.</p>
+
+<p>&mdash;Vous voulez dire à la basilique. Elle-même.</p>
+
+<p>&mdash;Mais il est fou. Celle qui fait aussi peu de cas de la vie
+de son amant se jouera de l'honneur de son mari. Mon fils veut
+donc être... Je serais pourtant bien aise que nous commençassions
+à nous donner nous-mêmes des successeurs. Il y a assez longtemps
+que d'autres s'en mêlent. Madame, vous qui savez tout,
+pourriez-vous nous dire comment il faudrait s'y prendre?</p>
+
+<p>&mdash;Il n'y a point de remède au passé, répondit Vérité; mais
+je vous réponds de l'avenir si vous donnez le prince à Polychresta.
+Rien ne sera ni si fidèle ni si fécond, et je vous réponds
+d'une légion de petits-fils, et tous de Génistan.</p>
+
+<p>&mdash;Qui empêche donc, ajouta le sultan, qu'on en fasse la
+demande?</p>
+
+<p>&mdash;Un petit obstacle: c'est que si Polychresta vous convient
+fort, elle ne convient point à votre fils. Il ne peut la souffrir; il
+la trouve bourgeoise, sensée, ennuyeuse, et je ne sais quoi
+encore...</p>
+
+<p>&mdash;Il l'a donc vue?...</p>
+
+<p>&mdash;Jamais. Votre fils est un homme d'esprit; et quel esprit
+y aurait-il, s'il vous plaît, à aimer ou haïr une femme après
+l'avoir vue? C'est comme font tous les sots...</p>
+
+<p>&mdash;Parbleu, dit le sultan, mon fils l'entendra comme il voudra;
+mais j'avais connu sa mère avant que de la prendre; et si,
+je ne suis pas un sot...</p>
+
+<p>&mdash;Je serais fort d'avis, dit la fée, que votre fils quittât
+pour cette fois seulement un certain tour original qui lui sied,
+pour prendre votre bonhomie, et qu'il vît Polychresta avant
+que de la dédaigner; mais ce n'est pas une petite affaire
+que de l'amener là. Il faudrait que vous interposassiez votre
+autorité...</p>
+
+<p>&mdash;Ho, dit le sultan, s'il ne s'agit que de tirer ma grosse
+voix, je la tirerai. Vous allez voir.»</p>
+
+<p>Aussitôt il fit appeler son fils; et prenant l'air majestueux
+qu'il attrapait fort bien quand on l'en avertissait:</p>
+
+<p>«Monsieur, dit-il à son fils, je veux, j'entends, je prétends,
+j'ordonne que vous voyiez la princesse Polychresta lundi; qu'elle
+vous plaise mardi; que vous l'épousiez mercredi: ou elle sera
+ma femme jeudi...</p>
+
+<p>&mdash;Mais, mon père...</p>
+
+<p>&mdash;Point de réponse, s'il vous plaît. Polychresta sera jeudi
+votre femme ou la mienne. Voilà qui est dit; et qu'on ne m'en
+parle pas davantage.»</p>
+
+<p>Le prince, qui n'avait jamais offensé son père par un excès
+de respect, allait s'étendre en remontrances, malgré l'ordre
+précis de les supprimer; mais le sultan lui ferma la bouche
+d'un <i>obéissez</i>, lui tourna le dos et lui laissa exhaler toute son
+humeur contre la fée.</p>
+
+<p>«Madame, lui dit-il, je voudrais bien savoir pourquoi vous
+vous mêlez, avec une opiniâtreté incroyable, de la chose du
+monde que vous entendez le moins. Est-ce à vous, qui ne savez
+ni exagérer l'esprit, la figure, la naissance, la fortune, les
+talents, ni pallier les défauts, à faire des mariages? Il faut que
+vous ayez une furieuse prévention pour votre amie, si vous
+avez imaginé qu'elle plairait sur un portrait de votre main.
+Vous qui n'ignorez aucun proverbe, vous auriez pu vous rappeler
+celui qui dit de ne point courir sur les brisées d'autrui.
+De tout temps les mariages ont été du ressort de Rousch. Laissez-le
+faire; il s'y prendra mieux que vous; et il serait du
+dernier ridicule qu'un aussi saugrenu que celui que vous proposez
+se consommât sans sa médiation. Mais vous n'y réussirez
+ni vous ni lui. Je verrai votre Polychresta, puisqu'on le veut;
+mais parbleu, je ne la regarde ni ne lui parle; et la manière
+dont votre légère amie s'y prendra pour vaincre ma taciturnité
+et m'intéresser sera curieuse. Vous pouvez, madame, vous
+féliciter d'avance d'une entrevue où nous ferons tous les trois
+des rôles fort amusants.»</p>
+
+<p class="tb">Le premier émir allait continuer lorsque Mangogul fit
+signe aux femmes, aux émirs et à la chatouilleuse de
+sortir.
+</p>
+<p class="tb">«Pourquoi donc vous en aller de si bonne heure? dit la
+sultane.
+</p>
+<p>&mdash;C'est, répondit le sultan, que j'en ai assez de leur métaphysique,
+et que je serais bien aise de traiter avec vous de
+choses un peu plus substantielles.</p>
+
+<p>&mdash;Ah! ah! vous êtes là!</p>
+
+<p>&mdash;Oui, madame.</p>
+
+<p>&mdash;Y a-t-il longtemps?</p>
+
+<p>&mdash;Ah! très-longtemps.</p>
+
+<p>&mdash;Premier émir, vous m'avez tendu deux ou trois piéges
+dont je ne renverrai pas la vengeance au dernier jugement de
+Brama.</p>
+
+<p>&mdash;L'émir est sorti, et nous sommes seuls. Parlez, madame;
+permettez-vous que je reste?</p>
+
+<p>&mdash;Est-ce que vous avez besoin de ma permission pour
+cela?</p>
+
+<p>&mdash;Non, mais je serais flatté que vous me l'accordassiez.</p>
+
+<p>&mdash;Restez donc.»</p>
+
+
+
+
+<h2><a name="s6" id="s6"></a>SIXIÈME SOIRÉE.</h2>
+
+
+<p>La sultane dit à sa chatouilleuse: «Mademoiselle, approchez-vous
+et arrangez mon oreiller: il est trop bas... Fort
+bien... Madame seconde, continuez. Je prévois que ce qui doit
+suivre sera plus de votre district que de celui du second émir.
+S'il prenait en fantaisie à Mangogul d'assister une seconde fois
+à nos entretiens, vous tousserez deux fois. Et commencez.»</p>
+
+<p class="a"><small>LA SECONDE FEMME.</small>
+</p>
+<p>Tout ce qui n'avait point cet éclat qui frappe d'abord déplaisait
+souverainement à Génistan. Sa vivacité naturelle ne lui
+permettait ni d'approfondir le mérite réel ni de le distinguer
+des agréments superficiels. C'était un défaut national dont la fée
+n'avait pu le corriger, mais dont elle se flatta de prévenir les
+effets: elle prévit que, si Polychresta restait dans ses atours
+négligés, le prince, qui avait malheureusement contracté à la
+cour de son père et à celle du Tongut le ridicule de la grande
+parure, avec ce ton qui change tous les six mois, la prendrait
+à coup sûr pour une provinciale mise de mauvais goût et de la
+conversation la plus insipide. Pour obvier à cet inconvénient,
+Vérité fit avertir Polychresta qu'elle avait à lui parler. Elle vint.
+«Vous soupirez, lui dit la fée, et depuis longtemps, pour le fils
+de Zambador: je lui ai parlé de vous; mais il m'a paru peu
+disposé à ce que nous désirons de lui. Il s'est entêté dans ses
+voyages d'une jeune folle qui n'est pas sans mérite, mais avec
+laquelle il ne fera que des sottises: je voudrais bien que vous
+travaillassiez à lui arracher cette fantaisie; vous le pourriez en
+aidant un peu à la nature et en vous pliant au goût du prince
+et aux avis d'une bonne amie: par exemple, vous avez là les
+plus beaux yeux du monde; mais ils sont trop modestes; au
+lieu de les tenir toujours baissés, il faudrait les relever et leur
+donner du jeu: c'est la chose la plus facile. Cette bouche est
+petite, mais elle est sérieuse; je l'aimerais mieux riante. J'abhorre
+le rouge; mais je le tolère lorsqu'il s'agit d'engager un
+homme aimable. Vous ordonnerez donc à vos femmes d'en avoir.
+On abattra, s'il vous plaît, cette forêt de cheveux qui rétrécit
+votre front; et vous quitterez vos cornettes: les femmes n'en
+portent que la nuit. Pour ces fourrures, elles ne sont plus de
+saison; mais demain je vous enverrai une personne qui vous
+conseillera là-dessus, et dont je compte que vous suivrez les
+conseils, quelque ridicules que vous puissiez les trouver.» Polychresta
+allait représenter à la fée qu'elle ne se résoudrait jamais
+à se métamorphoser de la tête aux pieds, et qu'il ne lui convenait
+pas de faire la petite folle; mais Vérité, lui posant un
+doigt sur les lèvres, lui commanda de se parer et de ne rien
+négliger pour captiver le prince.</p>
+
+<p>Le lendemain matin, la fée Churchille, ou, dans la langue du
+pays, Coquette, arriva avec tout l'appareil d'une grande toilette.
+Une corbeille, doublée de satin bleu, renfermait la parure la plus
+galante et du goût le plus sûr; les diamants, l'éventail, les
+gants, les fleurs, tout y était, jusqu'à la chaussure: c'était les
+plus jolies petites mules qu'on eût jamais brodées. La toilette
+fut déployée en un tour de main, et toutes les petites boîtes
+arrangées et ouvertes: on commença par lui égaliser les dents,
+ce qui lui fit grand mal; on lui appliqua deux couches de rouge;
+on lui plaça sur la tempe gauche une grande mouche à la reine;
+de petites furent dispersées avec choix sur le reste du visage:
+ce qui acheva cette partie essentielle de son ajustement. J'oubliais
+de dire qu'on lui peignit les sourcils et qu'on lui en arracha une
+partie, parce qu'elle en avait trop. On répondit aux plaintes qui
+lui échappèrent dans cette opération, que les sourcils épais
+étaient de mauvais ton. On ne lui en laissa donc que ce qu'il lui
+en fallait pour lui donner un air enfantin; elle supporta cette
+espèce de martyre avec un héroïsme digne d'une autre femme
+et de l'amant qu'elle voulait captiver. Churchille y mit elle-même
+la main, et épuisa toute la profondeur de son savoir pour
+attraper ce je ne sais quoi, si favorable à la physionomie: elle y
+réussit; mais ce ne fut qu'après l'avoir manqué cinq ou six fois.
+On parvint enfin à lui mettre des diamants. Churchille fut d'avis
+de les ménager, de crainte que la quantité n'offusquât l'éclat
+naturel de la princesse: pour les femmes, elles lui en auraient
+volontiers placé jusqu'aux genoux, si on les avait laissées faire.
+Puis on la laça. On lui posa un panier d'une étendue immense,
+ce qui la choqua beaucoup: elle en demanda un plus petit. «Eh!
+fi donc, lui répondit Churchille; pour peu qu'on en rabattît,
+vous auriez l'air d'une marchande en habit de noces, et sans
+rouge on vous prendrait pour pis. Il fallut donc en passer par
+là: on continua de l'habiller, et quand elle le fut, elle se regarda
+dans une glace: jamais elle n'avait été si bien, et jamais elle ne
+s'était trouvée aussi mal. Elle en reçut des compliments. Vérité
+lui dit, avec sa sincérité ordinaire, que dans ses atours elle lui
+plaisait moins, mais qu'elle en plairait davantage à Génistan;
+qu'elle effacerait Lively dans son souvenir, et qu'elle pouvait
+s'attendre, pour le lendemain, à un sonnet, à un madrigal; car,
+ajouta-t-elle, il fait assez joliment des vers, malgré toutes les
+précautions que j'ai prises pour le détourner de ce frivole exercice.</p>
+
+<p>La fée donna l'après-dînée un concert de musettes, de
+vielles et de flûtes. Génistan y fut invité: on plaça avantageusement
+Polychresta, c'est-à-dire qu'elle n'eut point de lustre
+au-dessus de sa tête, pour que l'ombre de l'orbite ne lui renfonçât
+pas les yeux. On laissa à côté d'elle une place pour le
+prince, qui vint tard; car son impatience n'était pas de voir sa
+déesse de campagne: c'est ainsi qu'il appelait Polychresta. Il
+parut enfin et salua, avec ses grâces et son air distrait, la fée et
+le reste de l'assemblée. Vérité le présenta à sa protégée, qui le
+reçut d'un air timide et embarrassé, en lui faisant de très-profondes
+révérences. Cependant le prince la parcourait avec une
+attention à la déconcerter: il s'assit auprès d'elle et lui adressa
+des choses fines; Polychresta lui en répondit de sensées, et le
+prince conçut une idée avantageuse de son caractère, avec beaucoup
+d'éloignement pour sa société; «eh! laissez là le sens
+commun, ayez de la gentillesse et de l'enjouement; voilà l'essentiel
+avec de vieux louis, disait un bon gentilhomme...»</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>Dont le château tombait en ruine.</p>
+
+<p class="a"><small>LA SECONDE FEMME.</small>
+</p>
+<p>Quoique les revenus du prince fussent en très-mauvais ordre,
+il était trop jeune pour goûter ces maximes: c'était Lively qu'il
+lui fallait, avec ses agréments et ses minauderies; il se la représentait
+jouant au volant ou à colin-maillard, se faisant des
+bosses au front, qui ne l'empêchaient pas de folâtrer et de rire;
+et il achevait d'en raffoler. Que fera-t-il d'une bégueule d'un
+sérieux à glacer, qui ne parle jamais qu'à propos, et qui fait tout
+avec poids et mesure?</p>
+
+<p>Après le concert, il y eut un feu d'artifice qui fut suivi d'un
+repas somptueux: le prince fut toujours placé à côté de Polychresta;
+il eut de la politesse, mais il ne sentit rien. La fée lui
+demanda le lendemain ce qu'il pensait de son amie. Génistan
+répondit qu'il la trouvait digne de toute son estime, et qu'il avait
+conçu pour elle un très-profond respect. «J'aimerais mieux,
+reprit Vérité, un autre sentiment. Cependant il est bien doux
+de faire le bonheur d'une femme vertueuse et douée d'excellentes
+qualités.</p>
+
+<p>&mdash;Ah! madame, reprit le prince, si vous aviez vu Lively!
+qu'elle est aimable!</p>
+
+<p>&mdash;Je vois, dit Vérité, que vous n'avez que cette petite folle
+en tête, qui n'est point du tout ce qu'il vous faut.»</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>Dans une maison, grande ou petite, il faut que l'un des deux
+au moins ait le sens commun.</p>
+
+<p class="a"><small>LA SECONDE FEMME.</small>
+</p>
+<p>Le prince voulut répliquer et justifier son éloignement pour
+Polychresta; mais la fée, prenant un ton d'autorité, lui ordonna
+de lui rendre des soins, et lui répéta qu'il l'aimerait s'il
+voulait s'en donner le temps. D'un autre côté elle suggéra à
+son amie de prendre quelque chose sur elle et de ne rien
+épargner pour plaire au prince. Polychresta essaya, mais
+inutilement: un trop grand obstacle s'opposait à ses désirs;
+elle comptait trente-deux ans, et Génistan n'en avait que vingt-cinq:
+aussi disait-il que les vieilles femmes étaient toutes
+ennuyeuses: quoique la fée fût très-antique, ce propos ne
+l'offensait pas.</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>Elle possédait seule le secret de paraître jeune.</p>
+
+<p class="a"><small>LA SECONDE FEMME.</small>
+</p>
+<p>Le prince obéit aux ordres de la fée; c'était toujours le parti
+qu'il prenait, pour peu qu'il eût le temps de la réflexion. Il vit
+Polychresta; il se plut même chez elle.</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>Toutes les fois qu'il avait fait des pertes au jeu, ou qu'il
+boudait quelqu'une de ses maîtresses.</p>
+
+<p class="a"><small>LA SECONDE FEMME.</small>
+</p>
+<p>À la longue, il s'en fit une amie; il goûta son caractère; il
+sentit la force de son esprit; il retint ses propos; il les cita, et
+bientôt Polychresta n'eut plus contre elle que son air décent,
+son maintien réservé et je ne sais quelle ressemblance de
+famille avec Azéma, qu'il ne se rappelait jamais sans bâiller.
+Les services qu'elle lui rendit dans des occasions importantes
+achevèrent de vaincre ses répugnances. La fée, qui n'abandonnait
+point son projet de vue, revint à la charge. Dans ces entrefaites
+on annonça au prince que plusieurs seigneurs étrangers,
+à qui il avait fait des billets d'honneur pendant sa disgrâce, en
+sollicitaient le payement, et il épousa.</p>
+
+<p>Il porta à l'autel un front soucieux; il se souvint de Lively,
+et il en soupira. Polychresta s'en aperçut; elle lui en fit des
+reproches, mais si doux, si honnêtes, si modérés, qu'il ne
+put s'empêcher d'en verser des larmes et de l'embrasser.</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>Je les plains l'un et l'autre.</p>
+
+<p class="a"><small>LA SECONDE FEMME.</small>
+</p>
+<p>«Je n'ai point de goût pour Polychresta, disait-il en lui-même;
+mais j'en suis fortement aimé: il n'y a point de femme
+au monde que j'estime autant qu'elle, sans en excepter Lively.
+Voilà donc l'objet dont je suis désespéré de devenir l'époux!
+La fée a raison; oui, elle a raison: il faut que je sois fou! Les
+femmes de son mérite sont-elles donc si communes pour s'affliger
+d'en posséder une? D'ailleurs elle a des charmes qui seront
+même durables: à soixante ans elle aura de la bonne mine. Je
+ne puis me persuader qu'elle radote jamais; car je lui trouve
+plus de sens et plus de lumières qu'il n'en faut pour la provision
+et pour la vie d'une douzaine d'autres. Avec tout cela, je
+souffre. D'où vient cette cruelle indocilité de mon c&oelig;ur? C&oelig;ur
+fou, c&oelig;ur extravagant, je te dompterai.»</p>
+
+<p>Ce soliloque, appuyé de quelques propositions faites au
+prince de la part de Polychresta, le forcèrent, sinon à l'aimer,
+du moins à vivre bien avec elle.</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>Ces propositions, je gagerais bien que je les sais. Continuez.</p>
+
+<p class="a"><small>LA SECONDE FEMME.</small>
+</p>
+<p>«Prince, lui dit-elle un jour, peu de temps après leur mariage,
+les lois de l'empire défendent la pluralité des femmes;
+mais les grands princes sont au-dessus des lois.»</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>Voilà ce que je n'aurais pas dit, moi.</p>
+
+<p class="a"><small>LA SECONDE FEMME.</small>
+</p>
+<p>«Je consentirais sans peine à partager votre tendresse avec
+Lively.»</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>Fort bien cela.</p>
+
+<p class="a"><small>LA SECONDE FEMME.</small>
+</p>
+<p>«Mais plus de voyage chez Trocilla.»</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>À merveille.</p>
+
+<p class="a"><small>LA SECONDE FEMME.</small>
+</p>
+<p>«Des femmes de sens ne doivent-elles pas être bien flattées
+des sentiments qu'on leur adresse, lorsqu'on en porte de semblables
+chez une dissolue qui n'a jamais aimé, qui n'a rien dans
+le c&oelig;ur, et qui pourrait vous précipiter dans des travers nuisibles
+à mon bonheur, au vôtre, à celui de vos sujets? Qui vous
+a dit que cette impérieuse folle ne s'arrogera pas le choix de
+vos ministres et de vos généraux? qui vous a dit qu'un moment
+de complaisance inconsidérée ne coûtera pas la vie à cinquante
+mille de vos sujets, et l'honneur à votre nation? J'ignore les
+intentions de Lively; mais je vous déclare que les miennes sont
+de n'avoir aucune intimité avec un homme qui peut se livrer à
+Trocilla et à ses hiboux.»</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>Ce discours de Polychresta m'enchante.</p>
+
+<p class="a"><small>LA SECONDE FEMME.</small>
+</p>
+<p>Le prince était disposé à sacrifier Trocilla, pourvu qu'on lui
+accordât Lively.</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>Notre lot est d'aimer le souverain, d'adoucir le fardeau du
+sceptre, et de lui faire des enfants. J'ai quelquefois demandé
+des places au sultan pour mes amis, jamais aucune qui tînt à
+l'honneur ou au salut de l'empire. J'en atteste le sultan. J'ai
+sauvé la vie à quelques malheureux; jusqu'à présent je n'ai
+point eu à m'en repentir.</p>
+
+<p class="a"><small>LA SECONDE FEMME.</small>
+</p>
+<p>Génistan proposa donc l'avis de sa nouvelle épousée au conseil,
+où il passa d'un consentement unanime. Il ne s'agissait
+plus que d'être autorisé par les prêtres, qui partageaient avec
+les ministres le gouvernement de l'empire, depuis la caducité
+de Zambador. Il se tint plusieurs synodes, où l'on ne décida
+rien. Enfin, après bien des délibérations, on annonça au prince
+qu'il pourrait en sûreté de conscience avoir deux femmes, en
+vertu de quelques exemples consacrés dans les livres saints, et
+d'une dispense de la loi, qui ne lui coûterait que cent mille
+écus.</p>
+
+<p>Génistan partit lui-même pour la Chine, et revit Lively plus
+aimable que jamais. Il l'obtint de son père, et revint avec elle
+au Japon. Polychresta ne fut point jalouse de son empressement
+pour sa rivale, et le prince fut si touché de sa modération,
+qu'elle devint dès ce moment son unique confidente. Il
+eut d'elle un grand nombre d'enfants, qui tous vinrent à bien.
+Il n'en fut pas de même de Lively: elle n'en put amener que
+deux à sept mois.</p>
+
+<p>Vérité demeura à la cour pendant plusieurs années; mais
+lorsque la mort de Zambador eut transmis le sceptre entre les
+mains de son fils, elle se vit peu à peu négligée, importune,
+regardée de mauvais &oelig;il, et elle se retira, emmenant avec elle
+un fils que le prince avait eu de Polychresta, et une fille que
+Lively lui avait donnée.</p>
+
+<p>Trocilla fut entièrement oubliée et Génistan, partageant
+son temps entre les affaires et les plaisirs, jouissait du vrai
+bonheur d'un souverain, de celui qu'il procurait à ses sujets,
+lorsqu'il survint une aventure qui surprit étrangement la cour
+et la nation.</p>
+
+<p class="tb">Ici la sultane ordonna au premier émir de continuer; mais
+l'émir ayant toussé deux fois avant de commencer, Mirzoza
+comprit que le sultan venait d'entrer. «Assez,» dit-elle; et
+l'assemblée se retira.
+</p>
+
+
+
+<h2><a name="s7" id="s7"></a>SEPTIÈME SOIRÉE.</h2>
+
+
+<p class="a"><small>LE PREMIER ÉMIR.</small>
+</p>
+<p>Un jour on avertit le sultan Génistan qu'une troupe de
+jeunes gens des deux sexes, qui portaient des ailes blanches
+sur le dos, demandaient à lui être présentés. Ils étaient au
+nombre de cinquante-deux, et ils avaient à leur tête une espèce
+de député. On introduisit cet homme dans la salle du trône,
+avec son escorte ailée. Ils firent tous à l'empereur une profonde
+révérence, le député en portant la main à son turban, les enfants
+en s'inclinant et trémoussant des ailes, et le député, prenant la
+parole, dit:</p>
+
+<p>«Très-invincible sultan, vous souvient-il des jours où, persécuté
+par un mauvais génie, vous traversâtes d'un vol rapide
+des contrées immenses, arrivâtes dans la Chine sous la forme
+d'un pigeon, et daignâtes vous abattre sur le temple de la guenon
+couleur de feu, où vous trouvâtes des volières dignes d'un
+oiseau de votre importance? Vous voyez, très-prolifique seigneur,
+dans cette brillante jeunesse les fruits de vos amours
+et les merveilleux effets de votre ramage. Les ailes blanches
+dont leurs épaules sont décorées ne peuvent vous laisser de
+doute sur leur sublime origine, et ils viennent réclamer à votre
+cour le rang qui leur est dû.»</p>
+
+<p>Génistan écouta la harangue du député avec attention. Ses
+entrailles s'émurent, et il reconnut ses enfants. Pour leur donner
+quelque ressemblance avec ceux de Polychresta, il leur fit
+aussitôt couper les ailes. «Qu'on me montre, dit-il ensuite,
+celui dont la princesse Lively fut mère.</p>
+
+<p>&mdash;Prince, lui répondit le député, c'est le seul qui manque;
+et votre famille serait complète, si la fée Coribella, ou dans la
+langue du pays, Turbulente, marraine de celui que vous demandez,
+ne l'avait enlevé dans un tourbillon de lumière, comme
+vous en fûtes vous-même le témoin oculaire, lorsque le grand
+Kinkinka le secouant par une aile, était sur le point de lui ôter
+la vie.»</p>
+
+<p>Le prince fut mécontent de ce qu'on avait laissé un de ses
+enfants en si mauvaises mains. «Ah! prince, ajouta le député,
+la fée l'a rendu tout joli; il a des mutineries tout à fait amusantes.
+Il veut tout ce qu'il voit; il crie à désespérer ses gouvernantes,
+jusqu'à ce qu'il soit satisfait; il casse, il brise, il mord, il
+égratigne; la fée a défendu qu'on le contredît sur quoi que ce
+soit.»</p>
+
+<p>Ici le député se mit à sourire.</p>
+
+<p>«De quoi souriez-vous? lui dit le prince.</p>
+
+<p>&mdash;D'une de ses espiègleries.</p>
+
+<p>&mdash;Quelle est-elle?</p>
+
+<p>&mdash;Un soir, qu'on était sur le point de servir, il lui prit en
+fantaisie de pisser dans les plats; et on le laissa faire. Le moment
+suivant, il voulut que sa marraine lui montrât son derrière,
+et il fallut le contenter. Il ne s'en tint pas là...»</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>Le moment suivant, il voulut qu'elle le montrât à tout le
+monde.</p>
+
+<p class="a"><small>LE PREMIER ÉMIR.</small>
+</p>
+<p>C'est ce que le député ajouta. «Allez, vieux fou, lui repartit
+le prince; vous ne savez ce que vous dites. Cet enfant est
+menacé de n'être qu'un écervelé, et d'en avoir l'obligation à
+sa marraine. Il vaudrait encore mieux qu'il fût chez sa grand'mère.
+Je vous ordonne, sur votre longue barbe, que je vous
+ferai couper jusqu'au vif, de le retenir la première fois que
+Coribella l'enverra chez nos vierges, qui achèveraient de le
+gâter.»</p>
+
+<p>Cela dit, l'audience finit; le député fut congédié et les
+enfants distribués en différents appartements du palais. Mais à
+peine Lively fut-elle instruite de leur arrivée et de l'absence de
+son fils, qu'elle en poussa des cris à tourner la tête à tous ceux
+qui l'approchaient. Il fallut du temps pour l'apaiser; et l'on n'y
+réussit que par l'espérance qu'on lui donna qu'il reviendrait.
+Dès ce jour, le prince ajouta aux soins de l'empire et aux devoirs
+d'époux ceux de père.</p>
+
+<p>Lorsqu'il sortait du conseil, la tête remplie des affaires
+d'État, il allait chercher de la dissipation chez Lively. Il paraissait
+à peine, qu'elle était dans ses bras. Sa conversation légère
+et badine l'amusait beaucoup. Son enjouement et ses caresses
+lui dérobaient des journées entières, et lui faisaient oublier l'univers.
+Il ne s'en séparait jamais qu'à regret. Il prenait auprès
+d'elle des dispositions à la bienfaisance; et l'on peut dire qu'elle
+avait fait accorder un grand nombre de grâces, sans en avoir
+peut-être sollicité aucune. Pour Polychresta, c'était à ses yeux
+une femme très-respectable, qui l'ennuyait souvent, et qu'il
+voyait plus volontiers dans son conseil que dans ses petits
+appartements. Avait-il quelque affaire importante à terminer, il
+allait puiser chez elle les lumières, la sagesse, la force, qui lui
+manquaient. Elle prévoyait tout. Elle envisageait tous les sens
+d'une action; et l'on convient qu'elle faisait autant au moins
+pour la gloire du prince, que Lively pour ses plaisirs. Elle ne
+cessa jamais d'aimer son époux, et de lui marquer sa tendresse
+par des attentions délicates.</p>
+
+<p>Lively fut un peu soupçonnée d'infidélité; elle exigeait de
+Génistan des complaisances excessives; elle se livrait au plaisir
+avec emportement; elle avait les passions violentes; elle imaginait
+et prétendait que tout se prêtât à ses imaginations; il fallait
+presque toujours la deviner. Elle disait un jour que les dieux
+auraient pu se dispenser de donner aux hommes les organes de
+la parole, s'ils avaient eu un peu de pénétration et beaucoup
+d'amour; qu'on se serait compris à merveille sans mot dire, au
+lieu qu'on parle quelquefois des heures entières sans s'entendre;
+qu'il n'y eût eu que le langage des actions, qui est rarement
+équivoque; qu'on eût jugé du caractère par les procédés, et des
+procédés par le caractère; de manière que personne n'eût raisonné
+mal à propos. Quand ses idées étaient justes, elles étaient
+admirables, parce qu'elles réunissaient au mérite de la justesse
+celui de la singularité. Sa pétulance ne l'empêchait pas d'apercevoir:
+elle n'était pas incapable de réflexion. Elle avait de la
+promptitude et du sens. L'opposition la plus légère la révoltait.
+Elle se conduisait précisément comme si tout eût été fait pour
+elle. Elle chicanait quelquefois le prince sur les moments qu'il
+accordait aux affaires, et ne pouvait lui passer ceux qu'il donnait
+à Polychresta. Elle lui demandait à quoi il s'occupait avec son
+insipide; combien il avait bâillé de fois à ses côtés; si elle lui
+répétait les mathématiques.</p>
+
+<p>«Cette femme est de très-bon conseil, lui répondait le
+prince! et il serait à souhaiter, pour le bien de mes sujets, que
+je la visse plus souvent.</p>
+
+<p>&mdash;Vous verrez, ajoutait Lively, que c'est par vénération pour
+ses qualités que vous lui faites régulièrement des enfants tous
+les neuf mois.</p>
+
+<p>&mdash;Non, lui répliquait Génistan; mais c'est pour la tranquillité
+de l'État. Vous ne conduisez rien à terme; il faut bien
+que Polychresta répare vos fautes ou les miennes.»</p>
+
+<p>À ces propos, Lively éclatait de rire, et se mettait à contrefaire
+Polychresta. Elle demandait à Génistan quel air elle avait
+quand on la caressait. «Ah! prince, ajoutait-elle, ou je n'y
+entends rien, ou votre grave statue doit être une fort sotte jouissance.</p>
+
+<p>&mdash;Encore un coup, lui répliquait le prince, je vous dis que
+je ne songe avec elle qu'au bien de l'État.</p>
+
+<p>&mdash;Et avec moi, reprenait Lively, à quoi songez-vous?</p>
+
+<p>&mdash;À vous-même et à mes plaisirs.»</p>
+
+<p>À ces questions, elle en ajoutait de plus embarrassantes. Le
+prince y satisfaisait de son mieux; mais un moyen de s'en tirer qui
+lui réussissait toujours, c'était de lui proposer de nouveaux plaisirs.
+On le prenait au mot, et les querelles finissaient. Elle avait
+des talents qu'elle avait acquis presque sans étude. Elle apprenait
+avec une grande facilité, mais elle ne retenait presque rien.
+Il faut avouer que si les femmes aimables sont rares, elles sont
+aussi bien difficiles à captiver. La légèreté était la seule chose
+qu'on pût reprocher à Lively. Le prince en devint jaloux, et la
+pria de fermer son appartement.</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>La gêner, c'était travailler sûrement à lui déplaire.</p>
+
+<p class="a"><small>LE PREMIER ÉMIR.</small>
+</p>
+<p>Aussi ai-je lu, dans des mémoires secrets, qu'un frère très-aimable
+de Génistan négligeait les défenses de l'empereur, trompait
+la vigilance des eunuques, se glissait chez Lively et se
+chargeait d'égayer sa retraite. Il fallait qu'il en fût éperdument
+amoureux, car il ne risquait rien moins que la vie dans ce commerce,
+qu'heureusement pour lui, le prince ignora.</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>Tant qu'il fut aimé.</p>
+
+<p class="a"><small>LE PREMIER ÉMIR.</small>
+</p>
+<p>Il est vrai que, quand elle ne s'en soucia plus...</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>C'est-à-dire, au bout d'un mois.</p>
+
+<p class="a"><small>LE PREMIER ÉMIR.</small>
+</p>
+<p>Elle révéla tout au sultan.</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>Tout, émir, tout! Vos mémoires sont infidèles. Soyez sûr que
+la confidence de Lively n'alla que jusqu'où les femmes la poussent
+ordinairement, et que Génistan devina le reste.</p>
+
+<p class="a"><small>LE PREMIER ÉMIR.</small>
+</p>
+<p>Il entra dans une colère terrible contre son frère; il donna
+des ordres pour qu'il fût arrêté; mais son frère, prévenu,
+échappa au ressentiment de l'empereur par une prompte retraite.</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>Second émir, continuez.</p>
+
+<p class="a"><small>LE SECOND ÉMIR.</small>
+</p>
+<p>Ce fut alors que le député ramena à la cour l'enfant que le
+prince avait eu de Lively, et qui avait passé ses premières années
+chez la fée, sa marraine, Coribella. C'était bien le plus méchant
+enfant qui eût jamais désespéré ses parents. Génistan son père
+ne s'était point trompé sur l'éducation qu'il avait reçue. On
+n'épargna rien pour le corriger; mais le pli était pris, et l'on n'en
+vint point à bout. Il avait à peine dix-huit ans, qu'il s'échappa
+de la cour de l'empereur, et se mit à parcourir les royaumes,
+laissant partout des traces de son extravagance. Il finit malheureusement.
+C'était la bravoure même. Au sortir d'un souper, où
+la débauche avait été poussée à l'excès, deux jeunes seigneurs
+se prirent de querelle. Il se mêla de leur différend, plus que
+ces écervelés ne le désiraient, se trouva dans la nécessité de se
+battre contre ceux entre lesquels il s'était constitué médiateur, et
+reçut deux coups d'épée dont il mourut.</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>À vous, madame première.</p>
+
+<p class="a"><small>LA PREMIÈRE FEMME.</small>
+</p>
+<p>De deux s&oelig;urs qu'il avait, l'une fut mariée au génie Rolcan,
+ce qui signifie, dans la langue du pays, Fanfaron. Quant aux
+autres enfants issus du temple de la guenon couleur de feu, on
+eut beau leur couper les ailes, les plumes leur revinrent toujours.
+On n'a jamais rien vu, et on ne verra jamais rien de si
+joli. Les mâles se tournèrent tous du côté des arts, et remplirent
+le Japon d'hommes excellents en tout genre. Leurs neveux
+furent poëtes, peintres, musiciens, sculpteurs, architectes. Les
+filles étaient si aimables que leurs époux les prirent sans dot.</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>Alors on croyait apparemment qu'il fallait d'un côté une
+grande fortune pour compenser un grand mérite. Le temps en
+est bien loin. À vous, madame seconde.</p>
+
+<p class="a"><small>LA SECONDE FEMME.</small>
+</p>
+<p>Ce fut un des fils de Polychresta qui succéda à l'empire. Ses
+frères devinrent de grands orateurs, de profonds politiques, de
+savants géomètres, d'habiles astronomes, et suivirent, du consentement
+de leurs parents, leur goût naturel, car les talents
+alors ne dégradaient point au Japon.</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>Continuez, madame seconde.</p>
+
+<p class="a"><small>LA SECONDE FEMME.</small>
+</p>
+<p>Divine fut l'autre fille de Lively. Génistan l'avait eue de cette
+aimable et singulière princesse, dans l'âge de maturité. Elle
+rassemblait tant de qualités, que les fées en devinrent jalouses.
+Elles ne purent souffrir qu'une mortelle les égalât. Elles lui
+envoyèrent les pâles couleurs, dont elle mourut avant qu'on eût
+trouvé quelqu'un digne d'être son médecin.</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>Continuez, premier émir.</p>
+
+<p class="a"><small>LE PREMIER ÉMIR.</small>
+</p>
+<p>Il y eut aussi, dans la famille, des héros. L'histoire du Japon
+parle d'un dont la mémoire est encore en vénération, et dont
+on voit le portrait sur les tabatières, les écrans, les paravents,
+toutes les fois que la nation est mécontente du prince régnant:
+c'est ainsi qu'elle se permet de s'en plaindre. Il reconquit le
+trône usurpé sur ses ancêtres. La race ne tarda pas à
+s'éteindre; tout dégénéra, et l'on sait à peine aujourd'hui en
+quel temps Génistan et Polychresta ont régné. Il ne reste d'eux
+qu'une tradition contestée. On parle de leur âge, comme nous
+parlons de l'âge d'or. Il passe pour le temps des fables.</p>
+
+<p class="a"><small>LA SULTANE.</small>
+</p>
+<p>Je ne suis pas mécontente de votre conte; je ne crois pas
+avoir eu depuis longtemps un sommeil aussi facile, aussi doux,
+aussi long. Je vous en suis infiniment obligée.</p>
+
+<p>Elle ajouta un petit mot agréable pour sa chatouilleuse, et
+les renvoya.</p>
+
+<p>En entrant chez elle, la première de ses femmes trouva une
+superbe cassolette du Japon.</p>
+
+<p>La seconde, deux bracelets, sur l'un desquels étaient les
+portraits du sultan et de la sultane.</p>
+
+<p>La chatouilleuse, plusieurs pièces d'étoffe d'un goût excellent.</p>
+
+<p>Le lendemain matin, elle envoya au premier émir un cimeterre
+magnifique, avec un turban qu'elle avait travaillé de ses
+mains.</p>
+
+<p>La récompense du second fut une esclave d'une rare beauté,
+sur laquelle la sultane avait remarqué que cet émir attachait
+souvent ses regards.</p>
+
+
+
+
+
+
+
+
+<pre>
+
+
+
+
+
+End of the Project Gutenberg EBook of L'oiseau blanc, by Denis Diderot
+
+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'OISEAU BLANC ***
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+
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+
+Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
+electronic works in formats readable by the widest variety of computers
+including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists
+because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
+people in all walks of life.
+
+Volunteers and financial support to provide volunteers with the
+assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg-tm's
+goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
+remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
+Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
+and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
+To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
+and the Foundation web page at https://www.pglaf.org.
+
+
+Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive
+Foundation
+
+The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
+501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
+state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
+Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
+number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at
+https://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
+permitted by U.S. federal laws and your state's laws.
+
+The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
+Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered
+throughout numerous locations. Its business office is located at
+809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email
+business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact
+information can be found at the Foundation's web site and official
+page at https://pglaf.org
+
+For additional contact information:
+ Dr. Gregory B. Newby
+ Chief Executive and Director
+ gbnewby@pglaf.org
+
+
+Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation
+
+Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
+spread public support and donations to carry out its mission of
+increasing the number of public domain and licensed works that can be
+freely distributed in machine readable form accessible by the widest
+array of equipment including outdated equipment. Many small donations
+($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
+status with the IRS.
+
+The Foundation is committed to complying with the laws regulating
+charities and charitable donations in all 50 states of the United
+States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
+considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
+with these requirements. We do not solicit donations in locations
+where we have not received written confirmation of compliance. To
+SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
+particular state visit https://pglaf.org
+
+While we cannot and do not solicit contributions from states where we
+have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
+against accepting unsolicited donations from donors in such states who
+approach us with offers to donate.
+
+International donations are gratefully accepted, but we cannot make
+any statements concerning tax treatment of donations received from
+outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
+
+Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
+methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
+ways including including checks, online payments and credit card
+donations. To donate, please visit: https://pglaf.org/donate
+
+
+Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic
+works.
+
+Professor Michael S. Hart was the originator of the Project Gutenberg-tm
+concept of a library of electronic works that could be freely shared
+with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project
+Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.
+
+
+Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
+editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
+unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily
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+
+
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+
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+
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