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diff --git a/.gitattributes b/.gitattributes new file mode 100644 index 0000000..6833f05 --- /dev/null +++ b/.gitattributes @@ -0,0 +1,3 @@ +* text=auto +*.txt text +*.md text diff --git a/27936-8.txt b/27936-8.txt new file mode 100644 index 0000000..8e5fa59 --- /dev/null +++ b/27936-8.txt @@ -0,0 +1,2978 @@ +The Project Gutenberg EBook of Histoire des nombres et de la numération +mécanique, by Jacomy-Régnier + +This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with +almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org + + +Title: Histoire des nombres et de la numération mécanique + +Author: Jacomy-Régnier + +Release Date: January 30, 2009 [EBook #27936] + +Language: French + +Character set encoding: ISO-8859-1 + +*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK HISTOIRE DES NOMBRES *** + + + + +Produced by Laurent Vogel and the Online Distributed +Proofreading Team at https://www.pgdp.net (This book was +produced from scanned images of public domain material +from the Google Print project.) + + + + + + + + +HISTOIRE DES NOMBRES ET DE LA NUMÉRATION MÉCANIQUE + +PAR JACOMY-RÉGNIER. + + +PARIS + +IMPRIMERIE ET LIBRAIRIE CENTRALES DE NAPOLÉON CHAIX ET Cie. + +RUE BERGÈRE, 20. + +1855 + + + + +I + + +Nés au sein d'une civilisation héritière de toutes les richesses +morales, intellectuelles et matérielles dont les siècles se sont +transmis le dépôt, dépôt incessamment accru par le travail de chacun +d'eux, nous jouissons de tout ce qui nous entoure avec une insouciance +qui est une véritable ingratitude, ou avec un orgueil qui est une +injustice flagrante. Qui de nous, en lisant l'histoire des Gaulois et +des Francs, ne s'est cru doué d'une intelligence supérieure à celle de +ces vieux aïeux? Qui de nous, en lisant les récits des voyageurs qui ont +visité des peuples restés étrangers à la marche du progrès humain à +travers les âges, n'a pris en pitié la faiblesse d'esprit de ces peuples +et ne les a supposés d'une nature inférieure à la nôtre? + + * * * * * + +Nous estimons, avec raison, que l'homme qui est quelque chose par +lui-même est infiniment plus digne de considération que celui qui a reçu +tout faits et son nom et sa fortune. Si nous étions conséquents avec +nous-mêmes, nous tiendrions compte, avant de nous placer au-dessus de +nos pères et des peuples encore barbares, nous tiendrions compte, +disons-nous, des matériaux, des instruments, des forces que nous avons +reçus gratuitement, qui ne sont pas notre oeuvre, et qui ont manqué à +nos pères, comme ils manquent aux peuples pour lesquels nous avons de si +superbes dédains. + +Ces matériaux, ces instruments, ces forces, nous paraissent les choses +les plus simples du monde; les ayant trouvées toutes faites nous ne nous +sommes jamais demandé si leur découverte n'a pas dû exiger des efforts +de génie dignes d'être admirés; ayant ainsi toujours joui des travaux +exécutés par nos devanciers dans le cours des siècles, sans chercher à +en apprécier la valeur, nous semblons croire que tout ce que nous voyons +a toujours été tel que nous l'avons trouvé en naissant. + +Combien nous serions plus justes envers le passé, si, faisant un +instant, par la pensée, table rase de tout ce qui nous entoure, et nous +efforçant d'oublier les mille notions et connaissances que nous avons +puisées au sein de notre civilisation, nous nous supposions ramenés au +point de départ des premières sociétés! Combien nous parlerions avec +plus de modestie des conquêtes que notre intelligence ajoute chaque jour +à celles que les siècles nous ont léguées, si nous nous rendions bien +compte de la nature de ces conquêtes, et si surtout nous voulions bien +nous dire que nous ne les faisons qu'avec le secours d'armes qui ne sont +pas notre ouvrage! + + * * * * * + +Ayant trouvé existants et portés au plus haut degré de perfection tous +les arts nécessaires, l'art de nous nourrir, l'art de nous vêtir, l'art +de nous loger, l'art de nous défendre, etc., et n'ayant plus d'autre +souci que celui de multiplier nos jouissances, est-il donc bien étonnant +que nous ayons eu, nous aussi, quelques heureuses inspirations, et que +nos luttes, soit contre la matière, soit contre l'inconnu, n'aient pas +été moins fécondes que celles des siècles pour lesquels le travail de +l'esprit était, comme pour le nôtre, un besoin? + +Une seule chose serait étonnante: c'est que, rien ne nous manquant, ni +la matière, ni les instruments, ni la science, nous eussions remué tout +cela pendant un demi-siècle, sans pouvoir en faire sortir quelques +créations dignes de recommander notre mémoire à nos neveux. + +Nous sommes fiers de tout ce qui nous entoure, et quand nous avons +comparé, non pas précisément notre littérature et nos sciences, mais nos +arts divers avec ceux des âges antérieurs, nous croyons avoir, en effet, +le droit de placer notre siècle au-dessus de ceux qui l'ont précédé. +Orgueil illégitime, prétention usurpatrice! Les seules choses dont il +nous soit permis de nous glorifier sont celles que nous avons ajoutées +aux richesses qui nous viennent du passé. + +Ce sont sans doute de merveilleuses manifestations de nos forces +intellectuelles que les nombreuses applications que nous avons faites de +la vapeur, de la lumière, de l'électricité; mais l'ardeur avec laquelle +nous nous sommes précipités vers les travaux qui ont pour principal +objet le bien-être matériel mérite-t-elle bien d'être louée sans +restriction, et n'est-il pas permis de craindre que nous ne payions d'un +prix trop élevé nos rapides triomphes sur le temps et sur l'espace? +Enivrés de ces triomphes, n'épuisons-nous pas, pour les multiplier et +les rendre plus brillants, des forces que réclament des besoins d'un +autre ordre? + +Il faudrait être aveugle pour ne pas voir que, dans une société qui ne +semble plus avoir d'admiration que pour des conquêtes toutes +matérielles, le goût des études qui fortifient les esprits et élèvent +les âmes doit nécessairement s'affaiblir. + +À d'autres que nous donc de ne voir que par son beau côté le gigantesque +tournoi des Champs-Élysées; les merveilles industrielles et artistiques +de notre Exposition universelle ne nous feront point oublier que la +société a d'autres besoins que ceux qui peuvent être satisfaits par les +créations étalées dans le palais de l'Industrie. + + * * * * * + +Si l'homme ne vivait que par les sens, si le bien-être humain, si le +bien-être social ne consistaient que dans la possession des objets +propres à charmer les yeux, à flatter l'odorat, à procurer des +jouissances au palais et à l'oreille, la vue des galeries de +l'Exposition universelle nous apprendrait que tous les secrets, que tous +les raffinements du bien-être sont aujourd'hui trouvés. Mais l'homme a +une autre vie que celle des sens: il vit par l'esprit, il vit par le +coeur, il vit par l'âme; toutes ces vies ont leurs besoins, leurs +exigences, et nous ne voyons au palais de l'Industrie rien qui puisse +les satisfaire. Bien loin de là: c'est aux dépens de toutes ces vies, +c'est aux dépens de ce qui est dû à ces vies qu'ont été créées toutes +ces merveilles de l'industrie et de l'art matérialiste. + +Nous tromperions-nous par hasard?... Non, nous ne nous trompons point; +notre plainte n'est qu'une constatation de l'évidence. Interrogeons, en +effet, une à une toutes les nations qui sont venues là pour se disputer +les palmes du génie industriel et de l'art sensualiste; demandons-leur +quelle est aujourd'hui leur ambition, vers quelle direction elles +cherchent à pousser les esprits, quels efforts, quels travaux elles +encouragent de préférence, de quels progrès elles se montrent le plus +fières, quels hommes elles placent au premier rang dans leur estime? + +De bonne foi, entre toutes les nations représentées au palais de +l'Industrie, s'en trouve-t-il une seule qui oserait nier ses tendances +matérialistes? En est-il une seule qui oserait nous dire qu'elle +aimerait mieux avoir les premiers poëtes, les premiers philosophes, les +premiers moralistes du monde, que de tenir le premier rang dans notre +palais de l'Industrie? En est-il une seule qui oserait prétendre que +chez elle, l'homme qui se sert de son intelligence pour faire pénétrer +dans les coeurs les sentiments nobles et généreux reçoit autant +d'encouragements que celui qui se dévoue au perfectionnement des choses +matérielles? Non, aucune de ces nations n'a le droit de dire qu'elle +fait pour les idées qui sont les bases de la civilisation autant que +pour les choses qui n'en sont que l'ornement; non, disons-nous, aucune +de ces nations ne paraît comprendre que toutes ces magnifiques oeuvres +de leurs mains sont le résultat d'inspirations puisées à des sources qui +ont besoin d'être alimentées et que leur insouciance laisse tarir. + +Ce sujet nous mènerait trop loin: revenons à un ordre d'idées qui se +rapproche davantage du sujet que nous avons à traiter. + + * * * * * + +Les seules choses dont nous ayons le droit d'être fiers, disions-nous, +avant de protester comme nous venons de le faire contre les tendances +antispiritualistes auxquelles nous nous abandonnons, ce sont celles que +nous avons ajoutées aux richesses qui nous viennent du passé. Nous nous +glorifierions au delà de nos mérites, si nous prenions pour terme de +comparaison de nos oeuvres, soit celles des âges pendant lesquels +l'homme travaillait avec les seules forces de sa raison individuelle, +soit celles des âges qui, quoique déjà riches des trésors de science et +d'expérience laissés par leurs prédécesseurs, n'ont cependant pas marqué +leur passage dans le temps par des créations aussi heureuses que les +nôtres. + +Nous trouverons des limites à notre orgueil dans notre propre raison, si +nous voulons bien remarquer, d'abord, que, pour accomplir nos oeuvres, +nous avons eu à notre disposition toutes les forces d'un passé plus long +et, par conséquent, plus riche en science et en expérience que celui de +nos aînés, et ensuite que les relations qui se sont établies entre les +différents peuples de la terre ont presque complétement changé les +conditions des progrès matériels dans le monde. Autrefois, il y a à +peine quarante à cinquante ans, chaque frontière était un voile qui +dérobait à une nation ce qui se faisait chez sa voisine, chaque mer, +chaque bras de mer était un abîme à travers lequel ne passaient que bien +rarement quelques lambeaux des mystères que l'on gardait anxieusement +d'un côté comme de l'autre de ces abîmes. Alors chaque peuple ne +travaillait qu'à l'aide de ses propres forces; l'intelligence humaine +était encore mutilée, agissait encore isolément, voulons-nous dire. + + * * * * * + +Cette mutilation, cet isolement ont cessé d'exister. Il y a toujours des +frontières qui séparent les peuples, mais il n'y a plus de voiles +dressés le long de ces frontières; il y a toujours des mers et des bras +de mer dont les flots se brisent sur des rivages habités par des peuples +dont les intérêts n'ont pas cessé d'être en lutte; mais ces mers et ces +bras de mer ne servent plus à protéger les secrets du génie industriel +des nations. Le génie industriel, depuis que les peuples civilisés se +sont entendus pour reconnaître ses droits, s'est fait cosmopolite et +parcourt le monde, travaillant au grand jour, ses brevets à la main. + +Encore une fois donc, si nous voulons comparer nos oeuvres avec celles +de nos devanciers, commençons par comparer les ressources dont ils +disposaient avec celles qui sont dans nos mains. L'équité la plus +vulgaire l'exige; notre glorification serait ridicule, si elle se +fondait sur un principe qui ne comprendrait pas la réserve que nous +venons d'indiquer. + + * * * * * + +Il est incontestable que, depuis l'existence des lois qui, presque +partout, protégent la propriété industrielle des étrangers autant que +celle des nationaux, le génie humain, appliqué aux choses matérielles, +travaille avec toutes ses forces réunies en faisceau, pour ainsi dire, +et il est évident, par conséquent, que ces forces ainsi coalisées +doivent être plus puissantes, plus fécondes en résultats que ne +pouvaient l'être les forces isolées des individus et des peuples, +lorsque chacun, peuples et individus, était contraint, pour sauvegarder +ses droits d'inventeur et de perfectionneur, d'envelopper ses procédés +et ses moyens de travail dans les ombres du mystère. + +L'équité nous indique une autre réserve à faire en faveur de nos aînés, +réserve essentielle, que nous avons à peine fait entrevoir un peu plus +haut. Avant notre âge, les travaux industriels furent assurément bien +plus encouragés, bien plus honorés, qu'on ne le suppose généralement; +cependant il est vrai de dire que, pendant tous les siècles antérieurs +et même pendant les premières années de ce siècle, l'industrie n'était +pas regardée comme la bienfaitrice par excellence de l'humanité et comme +la manifestation la plus glorieuse du génie des peuples. Les hautes +sciences, la grande littérature, la poésie, les beaux-arts, tenaient +alors dans l'estime des nations la place que leur avaient accordée sans +difficulté toutes les civilisations antiques. + +Il résultait de cette prééminence obtenue par les hautes sciences, par +la haute littérature, par la poésie, par les beaux-arts, que +généralement tout homme qui aspirait à se faire une place d'honneur dans +la société, et qui se sentait animé d'une force intellectuelle capable +de répondre à ses aspirations, appliquait ses facultés aux choses qui +devaient le faire arriver à la gloire, bien plus qu'à celles qui ne +conduisent ordinairement qu'à la fortune; aux choses qui ont fait les +grands siècles bien plus qu'à celles qui ont produit les grandes +décadences. + +Que celui qui douterait que les grandes décadences des civilisations +soient sorties de l'étouffement des travaux spiritualistes par les arts +industriels encouragés d'une manière exclusive, veuille bien se souvenir +que la vieille Asie tomba des splendides sommets d'où elle dominait le +monde antique, aussitôt que les arts industriels furent devenus sa +principale passion; que la vieille Grèce ne commença à fléchir sous le +poids de son grand nom et ne le laissa tomber sous les pieds des +conquérants qu'après qu'elle eut transporté aux industries asiatiques +les encouragements qu'elle réservait auparavant pour ses sages, ses +savants, ses poëtes et ses guerriers; que le colosse romain ne commença +à vaciller sur ses bases qu'après que les Asiatiques et les Grecs furent +parvenus à rendre les descendants des Cincinnatus et des Scipion +amoureux de leurs arts et rivaux de leur habileté. + +Les forces intellectuelles de notre société étant attirées vers les arts +industriels ainsi qu'elles le sont, ces arts ont une marche magnifique; +cette marche est plus rapide, plus vigoureuse qu'on ne la vit jamais; +mais encore une fois, jamais on ne vit un siècle faire, pour favoriser +leurs progrès, des sacrifices pareils à ceux que nous faisons. Ces +sacrifices sont tels, que le passé ne présentant rien de pareil, nous ne +savons véritablement si nous devons admirer nos succès industriels ou +les trouver tout simplement naturels. + +Autre réserve: Est-ce que nous ne regardons pas un peu trop comme +entièrement nôtres des quantités de choses qui ne nous appartiennent pas +entièrement? Est-ce qu'il n'est pas, tant dans l'ordre scientifique que +dans l'ordre matériel, certains principes vus ou entrevus par le passé +et que nous avons seulement développés et appliqués; certaines créations +matérielles indiquées ou ébauchées par le passé et que nous n'avons eu +qu'à réaliser plus hardiment, qu'à perfectionner? + +Invoquons un dernier fait contre nos prétentions orgueilleuses. N'est-il +pas vrai que, sans nous inquiéter de savoir d'où sont sorties toutes les +créations nouvelles qui nous entourent, nous en sommes aussi fiers que +si elles appartenaient à nous seuls? N'est-il pas vrai que nous nous +admirons dans toutes ces créations, absolument comme si elles étaient +l'oeuvre exclusive de notre génie? + +Oui, tout cela est vrai, et ce qui ne l'est pas moins, c'est que ces +créations ne nous appartiennent pas toutes; c'est que tous les peuples +civilisés en revendiquent leur part, et n'admettent nullement que nous +ayons le droit de dire: «Le siècle, c'est nous.» + +Étrange inconséquence! en même temps que nous voudrions ainsi usurper au +profit de notre pays des gloires qui ne lui appartiennent pas, nous +faisons des efforts déplorables pour obscurcir presque toutes celles qui +lui appartiennent. + +Nous nous qualifions parfois du titre d'Athéniens de la civilisation +moderne. Comme les citoyens d'Athènes, en effet, nous avons une +répulsion innée pour les gloires vivantes et ne tolérons que les gloires +posthumes; comme eux, nous ne voulons pas des gloires qui portent un +nom; nous n'admettons que les gloires anonymes, que les gloires qui +portent le nom collectif du pays, comme si nous espérions, les auteurs +des grandes et belles choses qui l'honorent étant inconnus, être +soupçonnés nous-mêmes de les avoir faites; mais notre ressemblance avec +les Athéniens s'arrête là. + +Les Athéniens, quand ils envoyaient en exil les hommes qui avaient élevé +trop haut leurs noms au milieu d'eux, ne faisaient que proclamer la +supériorité de ces hommes. L'ostracisme était un hommage rendu au +mérite, au génie, et non une négation du mérite et du génie: +l'ostracisme était de l'envie; mais c'était une envie qui s'avouait et +non de l'envie hypocrite et lâche. L'envie hypocrite et lâche, c'est la +nôtre, la nôtre qui procède par l'étouffement dans l'ombre, contre +quiconque s'annonce comme devant dépasser notre mesure; la nôtre qui a +trouvé le secret de rendre le silence plus puissant que la négation, +plus cruel que la proscription. + + * * * * * + +Autant nous paraissons portés à empêcher les choses véritablement +grandes ou belles de se produire au milieu de nous, autant nous nous +montrons favorables aux créations d'un ordre secondaire et dont la durée +doit être passagère. La différence de ces deux accueils explique nos +merveilleux succès dans les productions futiles et nous apprend pourquoi +nous sommes comparativement moins heureux sous le rapport des grandes +initiatives. + +Que nous fait la gloire revêtue du manteau qui brave l'usure du temps, +quand nous avons pour nous la gloire qui dédaignerait de porter le soir +la robe dont elle était toute fière le matin? Va donc demander ton pain +à l'exil, Philippe de Girard; deviens donc fou de misère, Sauvage; +subissez donc le sort que vous vous faites sciemment, chercheurs des +grandes pensées et des grandes choses! Est-ce que vous n'avez pas vu, +est-ce que vous ne voyez pas quelle destinée peut faire aux hommes de +génie une société qui dore si splendidement l'existence de ses amuseurs +de toutes les sortes? + +Ils le voient, ils le savent, et cependant la vue des souffrances qui +les attendent n'a rien qui les effraie, les sublimes fous à qui le génie +a dit: «Suis-moi contre ces difficultés qui ont stérilement fatigué les +siècles; suis-moi dans le combat que je vais livrer contre l'inconnu.» + +En vain la raison leur dit: «Avant d'obéir aux appels du génie, +commencez par vous assurer le pain de chaque jour;» ils n'entendent que +la voix qui leur dit: «Je vous conduirai vers la gloire, suivez-moi.» + +Perfidie et mensonge! Non, ô génie, tu ne conduis pas à la gloire celui +qui te suit sans avoir les mains chargées d'or. Sous ton inspiration +j'écrirai un bon livre; est-ce toi qui me l'imprimeras et qui paieras +les annonces qui m'en procureront le débit? J'inventerai une +merveilleuse machine, grâce à toi, souffle sacré; mais que ferai-je des +plans de ma machine? Est-ce toi qui me la construiras et en mettras la +valeur en évidence? + +Qu'ils sont nombreux les pauvres fous qui, s'abandonnant aux +entraînements mystérieux qui les portent vers les créations grandes et +belles, ne comprennent pas qu'en négligeant d'assurer avant tout leur +existence matérielle, ils se condamnent presque infailliblement à +travailler d'une manière stérile et pour eux-mêmes et pour la société! + +La fortune ne donne pas le génie, sans doute; mais elle permet à celui +qui en est doué de le mettre en évidence et de forcer l'insouciance +comme l'envie à rendre hommage à ses oeuvres. + +Est-ce là ce que se dit, il y environ trente-quatre ans, un ancien +employé supérieur de l'administration des armées sous l'Empire, M. +Thomas, de Colmar, en voyant le froid accueil que trouvait auprès des +dispensateurs de la gloire la grande découverte qu'il venait de faire? +Nous l'ignorons; mais nous voyons du moins qu'il a agi comme s'il +s'était tenu ce langage. + + + + +II + + +C'était vers 1821. Ayant toujours vécu au milieu des chiffres, nul ne +savait mieux que lui combien les chiffres fatiguent les forces de +l'intelligence. La grande ère de la mécanique s'ouvrait; dans chaque +industrie, on commençait à demander à des bras de fer ou de bois +d'exécuter les travaux qui avaient été faits jusque-là par les mains +intelligentes de l'homme.--Pourquoi, se demanda M. Thomas, de Colmar, +n'essaierais-je pas de construire une machine qui exécute toutes les +opérations de l'arithmétique, comme d'autres ont imaginé des engins qui +scient et rabotent, qui filent et tissent, etc.? Et aussitôt, voilà +l'imagination du hardi Alsacien en travail. L'oeuvre n'était pas aussi +facile à faire qu'il l'avait pensé. Il s'adressa pour avoir des conseils +à un très-savant académicien. + + * * * * * + +--Mon cher ami, lui dit celui-ci, cherchez la quadrature du cercle ou le +mouvement perpétuel, si vous avez du temps à perdre; mais ne dites à +personne que vous voulez construire une machine qui puisse exécuter tous +les calculs de l'arithmétique, si vous ne voulez pas que l'on rie de +vous. + +--Pourquoi rirait-on de moi? demanda M. Thomas. + +--Pourquoi l'on rirait de vous, mon ami? L'on rirait de vous, parce que +la recherche d'une machine comme celle dont vous me parlez... que +dis-je? bien moins ambitieuse que celle que vous voulez inventer, a +fatigué un nombre infini de génies dans tous les temps et chez tous les +peuples, et n'a jamais abouti qu'à des échecs éclatants. Et vous +voudriez que l'on ne trouvât pas excessivement présomptueuse votre +tentative contre des difficultés qu'ont vainement essayé de vaincre, +dans les temps anciens, Thalès, Pythagore, Archimède; plus tard, les +grands mathématiciens arabes; et, dans les derniers âges, Pascal, +Perrault, Leibnitz, d'Alembert et un nombre considérable d'autres +puissants esprits? Croyez-moi donc: appliquez votre intelligence à des +travaux moins chimériques que celui qui a commencé à tourmenter votre +imagination. + +--Eh quoi, répondit M. Thomas au savant académicien, après avoir mis en +relief, comme vous venez de le faire, l'honneur que me vaudrait ma +machine, vous voudriez que j'eusse une autre ambition que celle de le +mériter? + +Le ton résolu sur lequel fut faite cette réponse rendait toute +observation inutile. L'académicien se contenta d'adresser un sourire +d'affectueuse pitié à M. Thomas, qui trois mois après avait exécuté son +arithmomètre, s'était assuré, par la prise d'un brevet d'invention, la +propriété de sa découverte, et presque en même temps présentait à la +Société d'encouragement sa machine véritablement merveilleuse. + + * * * * * + +Elle fut renvoyée à l'examen d'une commission composée de Francoeur et +Bréguet. Le rapport fut fait au nom du comité des arts mécaniques par +Francoeur, qui, après avoir fait mention des machines à calculer +antérieurement construites, s'exprimait ainsi: «Le défaut de toutes ces +inventions est de ne se prêter qu'à des calculs très-simples; dès qu'il +s'agit de multiplier, il faut convertir l'opération en une suite +d'additions: ainsi pour obtenir 7 fois 648, on est obligé d'ajouter +d'abord 648 à lui-même, puis la somme à 648, celle-ci encore à 648, +etc., jusqu'à ce que 648 ait été pris 7 fois. À quelle longueur ne +faut-il pas se soumettre lorsque le multiplicateur a deux ou trois +chiffres! Toutes ces machines sont donc aujourd'hui tombées dans +l'oubli, et on ne les regarde que comme des conceptions plus ou moins +ingénieuses. + +»Celle de M. Thomas ne ressemble nullement aux autres, elle donne de +suite les résultats du calcul, sans tâtonnement, et n'est faite à +l'imitation d'aucune des premières. Il est certain que M. Thomas n'avait +pas connaissance de celles-ci lorsqu'il imagina la sienne, et qu'il n'a +pu s'aider des travaux de ses prédécesseurs. Il a même employé et +abandonné plusieurs mécanismes qui ne remplissaient pas assez bien leur +objet, avant de s'arrêter à celui qu'on voit dans la machine pour +laquelle il sollicite le suffrage de la Société d'encouragement. + +»La machine de M. Thomas sert à faire non-seulement toutes les additions +et soustractions, mais encore les multiplications et divisions des +nombres entiers ou affectés de fractions décimales. Lorsque, par +exemple, on veut multiplier 648 par 7, on place les indicateurs du +multiplicande sur les chiffres 6, 4 et 8, et celui du multiplicateur sur +7, on tire un cordon et on lit le produit 4,536 sur la tablette de +l'instrument. + +»La division n'étant que l'inverse de la multiplication, on conçoit +qu'elle s'exécute avec la même aisance et par le même moyen. + +»La plus grande difficulté qu'on rencontre dans l'invention de ces +instruments, difficulté contre laquelle le génie même de Pascal a échoué +et qui jusqu'ici a si fort restreint l'usage de ces machines à calculer, +c'est de faire porter les retenues sur les chiffres à gauche. Le +mécanisme par lequel M. Thomas opère ce passage des retenues est +extrêmement ingénieux; ce report se fait de lui-même, sans qu'on y +songe. Pour multiplier 648 par 7, l'opérateur tire le cordon, sans +s'embarrasser s'il y a ou non des chiffres à retenir, sans même savoir +ce que c'est, et il lit de suite 4,536. + +»Il est impossible de combiner mieux les agents de l'instrument qui vous +est présenté et de surmonter plus heureusement les embarras de +l'instrument. + +»Ainsi, à considérer cette machine sous le rapport du mérite +d'invention, et sous celui de la difficulté vaincue, vous ne balancerez +pas à lui accorder votre suffrage. + +»Il n'y a aucune comparaison à faire entre cette invention et les règles +à calculer. Comme ces dernières sont basées sur le système des +logarithmes, les additions et soustractions sont impossibles avec ces +règles; et comme ces deux opérations se mêlent à chaque instant aux +autres dans les affaires de commerce, les tables de logarithmes n'y +peuvent servir avec avantage. En outre, ces règles à calculer n'ont une +précision que de trois chiffres, tandis que la machine de M. Thomas +opère sur un nombre de chiffres indéfini, avec une exactitude parfaite.» + +Conformément aux conclusions du rapport, la Société d'encouragement +approuva la machine de M. Thomas, en fit graver le mécanisme pour son +_Bulletin_, où fut aussi inséré le rapport de M. Francoeur; mais ce fut +là la seule récompense qu'obtint alors l'inventeur de l'arithmomètre, +pour une découverte qui semblait devoir placer immédiatement son nom au +nombre de ceux que le monde entier connaît. + + * * * * * + +La Société d'encouragement, en voyant que l'arithmomètre n'avait pas +produit dans l'opinion publique l'étonnement, la sensation qui +d'ordinaire accueille les découvertes de la nature de celle de M. +Thomas, comprit bientôt qu'elle n'avait pas été elle-même assez juste, +en se contentant de donner sa complète approbation à l'arithmomètre. +Aussi, lorsque, quelques mois après, la belle planche dessinée et gravée +par Leblanc et reproduisant la machine de M. Thomas dans tous ses +détails, parut dans le _Bulletin_, fut-elle accompagnée par M. Hoyau +d'un commentaire où se trouvent des passages qui valent des médailles +d'or: + +«Si l'on pouvait, disait M. Hoyau, assigner des bornes à nos facultés +intellectuelles, il semblerait que tant de moyens déjà découverts pour +calculer mécaniquement ont épuisé les recherches de ce genre et qu'il ne +reste plus rien à faire après les savants célèbres de tous les pays qui +se sont occupés de cet objet. + +»Cependant M. le chevalier Thomas, de Colmar, est parvenu à vaincre +toutes les difficultés et à composer une machine au moyen de laquelle on +peut faire les quatre opérations de l'arithmétique. + +»Cette invention nous paraît devoir être rangée au nombre de ces +découvertes qui font honneur à ceux qui les conçoivent et sont +glorieuses pour l'époque qui les produit.» + + * * * * * + +Ces éloges, les félicitations de quelques visiteurs, voilà tout ce que +valut à M. Thomas, de Colmar, l'invention de l'arithmomètre. Il en +attendait mieux: une semblable découverte valait de la gloire, de la +célébrité, du moins; car qui dira que le bonheur d'avoir aussi +complétement triomphé que venait de le faire M. Thomas des difficultés +qui avaient tenu en arrêt le génie de tous les siècles, fût suffisamment +récompensé par l'approbation de la Société d'encouragement? + +La plupart des inventeurs, lorsque le public ne fait pas à leurs +découvertes l'accueil sur lequel ils avaient compté, ne savent +ordinairement faire que deux choses: d'abord accuser leur siècle +d'injustice ou d'ignorance; et ensuite se livrer au découragement et +regretter le temps qu'ils ont perdu à vouloir être utiles à leur pays. + + * * * * * + +M. Thomas, de Colmar, supporta très-philosophiquement la déception qu'il +venait d'éprouver. Se souvenant sans doute de la lenteur que la machine +à vapeur avait mise à faire son chemin, il trouva tout simple que le +public ne se montrât pas plus prompt à comprendre la valeur de son +arithmomètre qu'il ne l'avait été à comprendre celle de la machine qui a +si profondément modifié toutes les lois du travail matériel. + +Et pourquoi, au surplus, le public mériterait-il d'être accusé +d'injustice, lorsqu'il ne fait pas à toutes les inventions l'accueil que +quelques-unes méritent véritablement? Pourquoi, dès qu'il entend parler +de découvertes qui étonnent son intelligence, devrait-il battre des +mains et échanger son argent contre la merveilleuse machine, contre +l'admirable recette, contre le prodige de la chimie ou de la mécanique +qu'on lui annonce, au nom des sociétés savantes? Est-ce que ces sociétés +sont infaillibles et n'ont jamais préconisé que des inventions dignes de +l'être? Est-ce que, sur la parole de ces sociétés, le public n'a pas +souvent fait des expériences ruineuses, des achats qui lui ont laissé +des regrets? + +Le public est défiant; mais est-il injuste? non, il ne l'est pas. Les +déceptions que de nombreuses nouveautés lui ont fait éprouver légitiment +surabondamment sa défiance. Il lui en a trop coûté d'avoir tant de fois +cru sans voir; ne nous étonnons pas qu'il veuille quelquefois voir avant +de croire. + + * * * * * + +C'est en se faisant ces réflexions à lui-même que M. Thomas arriva à se +dire: «Pour populariser une machine comme la mienne, il faut de +l'argent, beaucoup d'argent; je dois donc commencer par devenir riche, +si je veux que mon arithmomètre devienne un instrument usuel dans le +monde savant et financier, dans le monde commerçant et industriel.» + +C'est à partir de ce moment que M. Thomas, de Colmar, qui, jusque-là, +n'avait eu qu'une grande passion véritable, l'étude des sciences +exactes, et qu'un délassement de prédilection, la mécanique, replia son +intelligence vers les combinaisons financières, dont il ne s'était déjà +occupé que pour se distraire, pour ainsi dire, mais qui lui avaient +pourtant valu de beaux succès, puisque, dès ce moment (1822), il avait +déjà été nommé président honoraire de la Société d'assurance contre +l'incendie _le Phénix_, qu'il avait fondée en 1819. + +Nous ne suivrons pas ici M. Thomas, de Colmar, dans les travaux +financiers qui lui ont si bien réussi. Qu'il nous suffise de dire que la +haute fortune à laquelle il a élevé la Compagnie du _Soleil_, l'une de +ses fondations les plus connues, suppose de sa part une force de volonté +incroyable, aux yeux de quiconque connaît les phases qu'a traversées +cette Compagnie, aujourd'hui l'une des plus puissantes et des plus +justement accréditées de la France. + + * * * * * + +M. Thomas paraissait tellement absorbé par les soins administratifs que +réclamait sa grande Société d'abord, et par ceux qu'il lui fallut, plus +tard, donner à la Compagnie _l'Aigle_, qu'il avait fondée pour l'un de +ses fils, que personne, assurément, ne soupçonnait qu'il songeât encore +à son arithmomètre. + +Et pourtant l'arithmomètre était la passion bien-aimée de sa pensée, le +rêve favori de ses veilles. Cette passion, ce rêve, le suivaient +partout, au milieu des affaires, comme au milieu des fêtes; et jamais, +pendant trente ans, pas une journée, pour ainsi dire, ne se passa sans +qu'il visitât, de corps ou d'esprit, le recoin mystérieux où la chère +machine était cachée aux regards les plus amis. Aujourd'hui il fallait +ajouter ceci, demain retrancher cela, et le surlendemain défaire tout ce +qui avait été fait la veille et l'avant-veille, pour chercher une +simplification plus grande. + +Pour obtenir cette simplification, l'inventeur de l'arithmomètre a +dépensé plus de 300,000 francs.--«C'est, de toutes les jouissances, +celle qui m'a coûté le moins, dit-il, si je compare ses douceurs à +celles de tous les autres plaisirs que je me suis donnés.» + +Trente années de travail, plus de 300,000 francs dépensés pour +retrancher cinq à six petites pièces d'une machine qu'un enfant de +quatre ans porterait dans ses mains comme un jouet! Est-ce que +l'arithmomètre de 1822 ne remplissait pas les mêmes fonctions que +l'arithmomètre de 1855? + +Les deux arithmomètres remplissent les mêmes fonctions; mais le premier +avait des complications que le second n'a pas; le premier est l'oeuvre +d'un mécanicien extraordinairement ingénieux; le second est l'oeuvre +d'un homme de génie. + +Avec de l'imagination et de la persévérance, il est facile d'exécuter, à +l'aide de machines compliquées, quelques effets qui semblent ne pouvoir +être produits que par l'intelligence réfléchie; mais il n'appartient +qu'au génie de produire, par des moyens simples, des effets d'une +complication et d'une variété infinies. + + * * * * * + +Tel est l'arithmomètre de 1855. + +Notre Exposition universelle a beau être riche en oeuvres empreintes du +sceau du génie; nous n'en voyons pas une seule, nous défions qu'on nous +en indique une seule qui porte ce sceau d'une manière plus éclatante, +d'une manière aussi éclatante que l'arithmomètre. + +Ce n'est plus ici de la matière qui produit des effets matériels; c'est +de la matière qui pense, pour ainsi dire, qui réfléchit, qui combine, +qui calcule, qui fait toutes les opérations les plus difficiles, les +plus compliquées de l'arithmétique, avec une infaillibilité, avec une +rapidité, avec une science qui défient tous les calculateurs, tous les +académiciens du monde entier. + +Mais, avant d'aller plus loin, voyons si l'invention de M. Thomas, de +Colmar, n'est pas, sous le rapport de la difficulté vaincue, l'une des +oeuvres les plus étonnantes que nous connaissions. + + * * * * * + +Le matérialisme ne veut pas de la difficulté vaincue; il ne tient compte +que de la valeur utilitaire des inventions. Nous procédons tout +autrement, nous. En présence d'une découverte quelconque, nous nous +sentons plutôt porté à chercher quels efforts d'intelligence elle a dû +coûter, qu'à nous demander quels services elle peut rendre. Pourquoi +agissons-nous ainsi? Nous agissons ainsi, parce que c'est la difficulté +vaincue qui glorifie l'esprit humain; parce que c'est la difficulté +vaincue qui nous apprend ce que vaut et ce que peut l'intelligence +humaine, et quelle est, par conséquent, notre grandeur et notre noblesse +dans la création. Matérialistes qui refusez de tenir compte des +difficultés vaincues, apprenez-moi donc, je vous prie, quelle est +l'utilité matérielle de la découverte de Galilée: «la terre tourne;» +l'utilité matérielle de la loi de la pesanteur, trouvée par Newton; +l'utilité matérielle de la méthode de Leverrier pour aller au-devant +d'un astre caché dans les profondeurs du ciel. Difficultés vaincues que +tout cela, et rien de plus: rien de plus, excepté plus d'honneur pour +l'esprit humain. + +Nous verrons plus loin que l'invention de M. Thomas est autre chose +qu'une difficulté vaincue. En attendant, ne la considérons que sous ce +dernier point de vue; et, pour cela, remontons à l'origine historique de +l'arithmétique. + + * * * * * + +L'origine de l'arithmétique, base de toutes les autres sciences, comme +tout le monde en convient, se perd dans la nuit des temps, ainsi que +celle de tous les arts nécessaires. Attribuer l'invention de ses +principales règles aux Indiens, comme le font quelques écrivains, ou aux +Chaldéens, comme d'autres le font, parce que ce peuple en avait besoin +pour ses études astronomiques, ou aux Égyptiens, qui ne pouvaient s'en +passer pour leurs travaux géométriques, ou bien aux Phéniciens, parce +que leur commerce les exigeait, c'est ne rien dire de sérieux. + +Le besoin et l'intérêt, ces deux grands mobiles de l'industrie humaine, +durent, dès l'origine des sociétés, donner naissance à l'arithmétique, +qui ne s'est assurément pas formée d'un premier jet, mais pièce à pièce, +règle à règle, etc. Les historiens, qui nous ont raconté si longuement +l'histoire de la géométrie, de l'astronomie et de plusieurs autres +parties de la science, ne nous ont presque rien dit de l'arithmétique +des anciens. Leur silence, sous ce rapport, est si grand que l'on est +obligé de recourir à des déductions à demi hypothétiques pour affirmer +que Platon et Euclide connaissaient les quatre règles et savaient +extraire les racines carrées et cubiques. Procédaient-ils, dans leurs +calculs, comme nous, ou bien prenaient-ils des voies plus longues? Rien +de précis n'existe sur ce sujet. + +Il est tout naturel que les doigts aient été les premiers auxiliaires de +la mémoire dans l'enfance de l'art de calculer. La raison ne nous le +dirait pas, que nous en trouverions encore la preuve dans l'habitude +qu'ont eue tous les peuples, moins les anciens Chinois et une peuplade +obscure dont parle Aristote, de distribuer leurs nombres en périodes +composées chacune de dix unités. En principe, le calcul décimal est donc +aussi vieux que le monde, et notre honneur se borne à l'avoir appliqué à +tout ce que nous appelons poids, étendue, etc. + +De même que l'homme se servit d'abord de ses doigts pour retenir, +assembler et combiner les nombres, de même aussi il trouva en lui-même +ses premières unités de mesures. C'est ainsi que chez tous les peuples +nous trouvons, sous divers noms, le pas, la coudée, le pied, le pouce, +le doigt, la main, l'empan, la brasse, etc. + + * * * * * + +Les premiers signes de la numération ont partout précédé ceux de +l'écriture. Les Latins, comme les Grecs, nous ont appris d'une manière +formelle quels furent ces premiers signes de la numération, quels furent +ces aînés de nos chiffres. Ces signes furent de petits cailloux. Chez +les Grecs, comme chez les Latins, comme chez nous, faire une opération +de nombres s'appelle calculer, c'est-à-dire compter des cailloux. Les +Latins disaient: «_Calculos ponere_, _calculos subducere_, etc.» Les +Grecs disaient: «_Pséphizein_,» compter avec des cailloux. (_Pséphos_, +qui veut dire petite pierre, caillou, signifiait aussi, par extension, +suffrage.) Les suffrages se donnaient en Grèce avec des cailloux ou des +petits coquillages, comme on le sait par l'histoire de l'ostracisme et +par la racine de ce dernier mot lui-même. + +Comme, chez les Grecs, on avait réuni des petits coquillages d'un poids +égal pour servir dans les assemblées où le peuple avait voix +délibérative, on pesait quelquefois ces signes de suffrages, au lieu de +les compter. Chez les Romains, on avait songé un instant à faire +fabriquer par les potiers de terre de petites billes en terre cuite pour +servir à l'expression des suffrages. À l'exemple des Grecs, on pesait +ces billes au lieu de les compter; mais ce système ayant donné lieu à +quelques abus, on renonça au pesage pour reprendre l'addition. + + * * * * * + +Tout le monde connaît les tailles des boulangers; ces petits morceaux de +bois furent les premiers livres de commerce de nos premiers parents, +leurs premiers livres généalogiques et historiques peut-être. Nous +voyons ces petits bâtons arithmétiques chez les Assyriens, chez les +Égyptiens, chez les Scythes, chez les Thraces, dans l'Inde, dans la +Chine; on les a retrouvés, au moment de la découverte de l'Amérique, +chez les Péruviens comme chez les Mexicains; dans les découvertes plus +récentes, on les a rencontrés encore chez plusieurs peuples sauvages. + +N'allons pas si loin dans le temps et abstenons-nous de traverser les +mers pour retrouver ces tailles numériques. Dans presque toutes nos +provinces, quel est le livre-mémoire du paysan illettré, de l'artisan +illettré? C'est le bâton assyrien, égyptien, mexicain, etc., entaillé +d'un côté pour le doit et de l'autre pour l'avoir, ayant une partie +réservée pour les dates et une autre pour les signes rappelant les noms +propres, etc. + +L'emploi du bâton à signes numériques ne vint évidemment qu'après celui +des cailloux numérateurs; car les petits cailloux se trouvaient partout +naturellement sous la main des premiers hommes, tandis que les entailles +faites sur un bâton annoncent la possession d'un instrument tranchant, +qui suppose lui-même l'existence d'une civilisation en marche depuis +assez longtemps. + +Les Assyriens et les Égyptiens, après s'être d'abord servis des bâtons +entaillés comme aide-mémoire, essayèrent de s'en faire des machines à +calcul. Nous ignorons comment ils disposaient les petites baguettes +arithmétiques dont les anciens historiens nous parlent; mais nous savons +que la manoeuvre de ces baguettes leur permettait de faire leurs calculs +avec une rapidité qui fit toujours le désespoir des Grecs, qui ne purent +réussir à surprendre leur secret. + + * * * * * + +Rectifions, en passant, la signification du mot _sage_, _philosophe_, +noms par lesquels on désigne les premiers savants de la Grèce, les Grecs +qui allaient étudier en Égypte et en Asie les sciences et les arts qui +florissaient dans ces contrées. On croit généralement, d'après le sens +que nous attachons aujourd'hui à ces mots, d'après le sens que la Grèce +elle-même y attacha vers sa période la plus florissante, que les sages, +que les philosophes grecs, qui allaient se faire les disciples des +prêtres de Memphis et des mages de la Chaldée, avaient surtout pour but +d'étudier les sciences morales et législatives de l'Égypte et de l'Asie. +Cette croyance est une grande erreur: ces Grecs voyageurs ne +négligeaient sans doute pas entièrement l'étude des lois et de la +philosophie des pays qu'ils visitaient; mais ce qu'ils allaient chercher +surtout, et sur les rives du Nil et sur celles du Tigre et de +l'Euphrate, et jusque sur celles de l'Indus et du Gange, c'étaient les +sciences mathématiques et physiques. + +_Felix qui potuit rerum cognoscere causas!_ + + * * * * * + +Les choses et leurs causes, voilà ce qu'ils ambitionnaient de connaître. +Que l'on scrute, par exemple, les livres, la vie de tous ces vieux Grecs +que nous appelons des philosophes: Phérécyde, Thalès, Pythagore, +Callisthène, Anaxagore, Anaximandre, Parménide, Héraclite, Empédocle, +Épicure, Leucippe, Dioclès, Démocrite, Alcméon, Chrysippe, Anaximène, +Cléanthe, Aristote lui-même, etc. (et nous avons pris ces noms au +hasard, selon qu'ils nous sont venus à la mémoire); que, disons-nous, +l'on scrute la valeur scientifique de ces noms, et l'on verra que tous +ces hommes ont brillé comme physiciens, comme naturalistes, comme +astronomes, comme mathématiciens, bien plus que comme philosophes, dans +le sens que nous attachons à ce mot. Platon, le divin Platon lui-même, +montre dans tous ses écrits qu'il avait au moins autant profité des +leçons du physicien Héraclite que de celles de Socrate. On sait, au +surplus, qu'il avait donné la géométrie pour base à sa doctrine et mis +sur la porte de son école, l'Académie, une inscription par laquelle il +en refusait l'entrée à ceux qui ignoraient cette science. Il l'avait en +si haute estime qu'il pensait que Dieu s'en occupait sans cesse, et +c'est pour cela qu'il l'appelait l'éternel géomètre. + + * * * * * + +S'il est donc vrai de dire que les premières périodes dites +philosophiques de la Grèce furent principalement remplies par l'étude +des sciences qui exigent l'emploi continuel du calcul, il est +indubitable que les Grecs durent faire des efforts incessants pour +perfectionner leur arithmétique. Des commentateurs des mathématiciens +grecs ont prétendu, non sans quelque vraisemblance, que le jeu dont on +attribue l'invention à Palamède, le jeu des échecs, selon les uns, du +trictrac, selon d'autres, n'était qu'une machine à calcul. Thalès, qui +avait appris aux Égyptiens à mesurer la hauteur des pyramides par la +longueur de leur ombre, et qui avait inventé plusieurs combinaisons de +règles en bois, soit pour prendre la distance des astres, soit pour +faire des opérations géodésiques, paraît aussi avoir été l'inventeur +d'un casier arithmétique dont les combinaisons nous sont inconnues. Le +perfectionnement de ce casier arithmétique préoccupa d'une manière toute +particulière l'intelligence de Pythagore, dont on connaît la +prédilection pour les nombres. Nous ignorons quels résultats obtinrent +les tentatives de ce grand homme. Nous savons seulement que l'abaque, ou +table de multiplication qui porte son nom, est un débris, ou, si l'on +veut, une réminiscence de son casier. Nous ne mentionnerons ici que pour +mémoire le fameux crible d'Ératosthène, bibliothécaire d'Alexandrie, qui +permet de trouver si commodément les nombres premiers, dont la recherche +est curieuse en elle-même, indépendamment de son utilité dans la théorie +des solutions. + +Les anciens comme les modernes ont traité avec une railleuse pitié +l'opinion de Pythagore sur les vertus mystérieuses de certains nombres. +Des commentateurs plus sages pensent que, ce philosophe et ses premiers +disciples n'ayant rien écrit, on a pris dans un sens trop littéral un +langage allégorique dont le sens était perdu. + +Quoi qu'il en soit, les mathématiciens grecs se trouvaient humiliés de +ne pouvoir retrouver, à l'aide de son abaque, le casier arithmétique +qu'il avait imaginé, et faisaient, pour le reconstruire, des efforts que +l'histoire nous montre toujours incessants, mais toujours stériles +aussi. + + * * * * * + +C'est en se livrant à ce travail de réinvention que Nicomaque arriva à +trouver une étonnante propriété des nombres qu'il ne cherchait pas: nous +voulons parler des progressions arithmétiques. + +Ce Nicomaque vivait 250 ans avant notre ère. En cherchant à combiner des +nombres sur des tablettes, de manière à pouvoir abréger mécaniquement +les opérations de l'arithmétique, il trouva le nombre polygone. (On +appelle ainsi la somme d'une progression arithmétique qui commence par +1, et dont les unités peuvent être rangées en figures géométriques.) Il +ne connut pas les avantages de sa découverte, qui fut prise pour une +remarque stérile. + + * * * * * + +Un siècle après, Archimède vint. Les nombres furent sa première étude; +ses tentatives pour simplifier l'arithmétique, pour en faire un art +mécanique, furent les travaux qui lui révélèrent la nature de son génie. +C'est en cherchant à construire une machine devant atteindre le même but +que celles dont Pythagore et Nicomaque avaient eu l'idée, qu'il se +sentit entraîné vers l'étude des sciences mécaniques, qu'il devait +enrichir de découvertes si magnifiques. + +Les tablettes sur lesquelles Nicomaque avait déposé le principe dont il +n'avait pas su apprécier la valeur féconde, furent pour Archimède un +trait de lumière. Le calcul polygonal lui révéla l'art de la progression +des nombres, et cette découverte le consola de n'avoir pas réussi dans +sa recherche d'une machine arithmétique. + +L'enthousiasme avec lequel il parla à ses amis de la magnifique loi +qu'il venait de trouver ne fit sur eux qu'une faible impression; ils lui +dirent qu'ils ne croyaient pas à l'existence d'une méthode arithmétique +qui permît d'exprimer en nombres une quantité composée d'une infinité de +parties. L'un d'eux crut même le mettre dans un grand embarras en lui +demandant s'il évaluerait le nombre des grains de sable qui sont au bord +de la mer. Archimède lui répondit que non-seulement il exprimerait le +nombre des grains de sable qui sont au bord de la mer, mais encore celui +des grains dont on pourrait remplir tout l'espace compris entre la terre +et les étoiles fixes; et il prouva ce qu'il avançait, en faisant voir +que le cinquantième terme d'une progression décuple croissante +satisfaisait à son engagement. + +Il fit plus: afin de ne laisser sur ce sujet aucune ressource à +l'imagination la plus féconde, il imagina un corpuscule dix mille fois +plus petit qu'un grain de sable; il l'appela grain de pavot, et en forma +sa première mesure. Le grain de pavot pris cinq fois fit un grain +d'orge, ou sa seconde mesure, et avec ces mesures, le grand homme +établit une suite de nombres qui se perdent dans l'infini. + + * * * * * + +On connaît la petite historiette racontée par Alsephadi, auteur arabe, +d'un roi indien qui, voulant récompenser magnifiquement Sessa, qui avait +inventé, pour le distraire, le jeu que d'autres attribuent à Palamède, +le jeu des échecs, l'invita à demander tout ce qu'il pourrait désirer. +Sessa demanda seulement autant de grains de blé qu'il y a de cases dans +l'échiquier, en doublant à chaque case, c'est-à-dire 64 fois. + +Le roi se scandalisa d'une demande qui semblait si peu digne de sa +munificence. Sessa insista, et le roi ordonna qu'on le satisfît. On +n'était pas arrivé au quart du nombre des cases, qu'on fut effrayé de la +quantité de blé qu'on avait déjà; un peu plus loin, on trouva que le blé +du monde entier n'aurait pas suffi pour répondre à l'exigence de Sessa. + +Cette singulière demande a suffi pour rendre immortel le nom de Sessa, +et l'on trouvera sans doute que c'est là de l'immortalité obtenue à bon +marché, si l'on sait que ce même Sessa avait longtemps enseigné les +mathématiques à Alexandrie, où l'ouvrage d'Archimède, _De numero +arenae_, était certes bien connu. + + * * * * * + +Le génie des anciens, qui fut si heureux dans presque toutes les autres +sciences, comme nous le voyons par la grandeur de leurs monuments, qui +supposent une connaissance profonde de la plupart de celles que nous +possédons nous-mêmes, ce génie ne se révéla que d'une manière +extrêmement modeste pour ce qui regarde l'arithmétique. + + * * * * * + +Nous ne savons pas assez comprendre combien l'invention de l'alphabet +est au-dessus de toutes les découvertes que l'homme a pu faire. Cette +invention est fort ancienne chez la plupart des peuples; et ce qu'il y a +de plus remarquable, c'est qu'elle se fit de prime-abord avec de tels +caractères de simplicité, de perfection, que tous les siècles se la sont +successivement transmise sans y rien ajouter, sans en rien retrancher. + +Mais si les civilisations historiques possédaient, pour la langue +proprement dite, des alphabets aussi parfaits que les nôtres, elles +étaient loin d'avoir, pour exprimer les nombres, des caractères aussi +simples que ceux que nous possédons. Les Orientaux, les Assyriens, les +Hébreux, les Grecs, n'avaient pour signes de numération que les lettres +de leur alphabet; les neuf premières marquaient les unités, les neuf +suivantes les dizaines, et les autres, enfin, les centaines. Les signes +exclusivement numériques étaient à peu près nuls; un point ou petit +trait à la suite des lettres leur donnait seul leur valeur numérique. +Dès que le nombre s'élevait dans des proportions un peu considérables, +il fallait employer une quantité de lettres dont la lecture elle-même +exigeait un calcul. + +On dit que les Romains imitèrent les Grecs et se servirent aussi de leur +alphabet pour exprimer les nombres. Telle n'est pas notre opinion. Les +signes numériques romains I, V, X, L, C, D, M ne ressemblent aux +caractères alphabétiques que par hasard; ils ne viennent pas de +l'alphabet, ils sont nés des petites lignes que l'homme primitif dut +tracer sur la pierre, sur le bois, quand il commença à soulager sa +mémoire par des signes matériels. + +Dans le principe, les Romains n'eurent que trois chiffres: I, pour +exprimer les unités; X, pour exprimer les dizaines; [, qui devint plus +tard C, pour exprimer les centaines. V, ou cinq, n'exprima ce nombre que +comme étant une moitié de dix, X, et fut employé assez tard. De même, +plus tard, on se servit de L pour exprimer cinquante ou moitié de cent, +[ ou C. Avant de se servir de M pour exprimer mille, on employait le +signe (I) ou ( I ); pour exprimer cinq cents, on prit la moitié du signe +(I), mille, c'est-à-dire CI, qui devint bientôt D. + +Les caractères romains, qui étaient encore plus compliqués que les +caractères grecs, rendaient les opérations de l'arithmétique +très-difficiles, ainsi que l'on peut s'en rendre compte en essayant la +plus simple opération avec ces caractères. Aussi les Romains ne se +distinguèrent-ils nullement comme mathématiciens. Lorsque +l'administration des finances de l'État eut pris de larges +développements, ainsi que le commerce, on fut obligé de recourir à des +calculateurs grecs, qui devinrent, pour ainsi dire, les maîtres de la +fortune publique et des fortunes privées, Rome manquant d'hommes +capables pour contrôler leurs chiffres. + +Les abus que quelques-uns d'entre eux commirent furent cause que l'on +força ces étrangers à enseigner leur science aux citoyens romains. Le +trésor se chargea du traitement de ces professeurs, qui furent installés +dans un vaste édifice dont l'unique ameublement se composait de longues +tables, couvertes de sable, et munies de petites baguettes pour écrire +les chiffres, et de rouleaux pour niveler le sable, à mesure que les +opérations numériques se renouvelaient. Cet emploi économique du sable, +pour enseigner l'arithmétique, avait fait donner aux professeurs grecs +le nom d'_arenarii_, nom qui fut en si grand honneur pendant toute la +durée de l'empire. C'est parmi ces _arénaires_ qu'étaient ordinairement +choisis les hauts fonctionnaires du département des finances. + + * * * * * + +Mais ce n'est pas à Rome que la vraie science s'était réfugiée en +abandonnant la Grèce. C'est dans quelques villes de l'Asie centrale et +de l'Égypte qu'elle s'était choisi des asiles. Alexandrie fut le plus +célèbre. C'est là que Diophante, en cherchant à simplifier, à rendre +mécaniques les opérations arithmétiques, trouva la méthode qui l'a fait +regarder par plusieurs comme le vrai inventeur de l'algèbre. Cette +méthode, c'est celle de l'analyse indéterminée, dont nous avons fait des +applications si curieuses et si utiles, soit dans l'arithmétique pure, +soit dans l'algèbre et dans la géométrie transcendante. On sait que +cette arithmétique universelle de Diophante fut commentée par la célèbre +Hypathia, et fut la source où l'Arabe Mohammed-ben-Musa puisa son +algèbre. + +Les mathématiques étaient dans l'état le plus florissant, depuis +l'Égypte jusqu'aux Indes, lorsque Mahomet et ses successeurs +commencèrent à exercer dans tout l'Orient les immenses dévastations qui +ont voué leurs noms à l'éternelle exécration des siècles. + + * * * * * + +On suppose généralement que les fanatiques compagnons des califes +n'étaient qu'un misérable assemblage de tribus barbares, complétement +étrangères aux sciences et aux arts civilisateurs. C'est là une erreur +contre laquelle la saine critique a depuis longtemps protesté. Les +sciences mathématiques, entre autres, étaient aussi familières aux +Arabes qu'aux Égyptiens et aux habitants de l'Asie occidentale. +L'incendie de la grande bibliothèque d'Alexandrie, eût-il véritablement +été ordonné par Omar, au lieu d'être un simple accident de guerre, +puisque cet événement eut lieu au moment où la ville fut emportée +d'assaut, il faudrait voir dans cet ordre, non la volonté d'anéantir les +monuments des sciences proprement dites, mais celle de faire disparaître +les livres des philosophes, des théologiens, les livres, en un mot, qui +pouvaient contenir des principes contraires à ceux de l'absurde Coran. + +Lorsque les diverses nations que les premiers califes avaient réunies +sous un étendard commun se furent fatiguées à ravager l'Asie et +l'Afrique, et ne virent plus devant elles de but matériel digne de leur +activité immédiate, elles se ressouvinrent des sciences et des arts, +dont elles n'avaient oublié ni les principes ni la langue pendant les +longs travaux de la guerre. + +Il est à peine besoin de rappeler que c'est à ces compagnons des +califes, qui ne méritent le nom d'Arabes que parce que l'Arabie fournit +le noyau de l'agglomération guerrière qui se fit en quelques années une +si large place dans le monde, il est à peine besoin de rappeler, +disons-nous, que c'est aux Arabes que nous devons la connaissance et +peut-être la conservation des ouvrages d'Aristote, d'Euclide, de +Ptolémée, de Galien, d'Apollonius, de l'ouvrage d'Archimède, _De humido +insidentibus_, etc., etc. + +L'astronomie fut d'abord la science que les Arabes s'efforcèrent de +faire refleurir; le besoin d'avoir des mesures exactes du temps dirigea +ensuite leurs études vers la mécanique. Pour se faire une idée des +succès qu'ils avaient obtenus dans cette dernière science, il suffit de +dire un mot de la fameuse clepsydre que le savant calife Haroun, +petit-fils du non moins savant calife Almanzor, envoya en présent à +notre roi Charlemagne en 799. Cette clepsydre ou horloge d'eau était +d'un mécanisme véritablement merveilleux, s'il faut s'en rapporter à la +description qu'en ont donnée plusieurs auteurs. + +Sur le cadran de cette horloge étaient pratiquées douze portes, qui +marquaient la division des heures; chacune d'elles s'ouvrait à l'heure +qu'elle indiquait pour donner passage à de petites boules tombant sur un +timbre d'airain frappant les heures. Elles demeuraient ouvertes jusqu'à +la douzième heure, et alors douze petits cavaliers sortaient ensemble, +faisaient le tour du cadran, refermaient les portes, etc., etc. + +Les Arabes ne se servirent longtemps que de caractères grecs pour +exprimer les nombres, et ils comprenaient, comme l'avaient compris tous +les anciens mathématiciens, qu'un bon alphabet manquait encore à la +science des nombres. On suppose qu'ils n'inventèrent les chiffres que +vers la fin du VIIIe siècle. + +Après avoir réduit la langue des nombres à dix signes, ils essayèrent, à +l'aide de diverses combinaisons, de faire mécaniquement les principales +opérations de l'arithmétique; mais ils paraissent avoir échoué dans ces +tentatives. On suppose cependant que le célèbre Alfraganus, qui écrivit +des éléments d'astronomie autrefois classiques, même dans l'Occident, et +est auteur des _Traités sur les horloges solaires et sur l'astrolabe_, +conservés en manuscrits dans quelques bibliothèques, avait réussi à +composer une machine à calcul. L'emploi d'une machine de ce genre, en +effet, paraît seule pouvoir expliquer la rapidité avec laquelle il +faisait les calculs les plus longs et les plus compliqués. C'est cette +rapidité à faire les calculs qui l'avait fait surnommer _le +calculateur_. + +Quoi qu'il en soit, ce furent les récits merveilleux que l'on faisait de +la science des Arabes dans l'art de combiner les nombres qui nous +valurent l'inestimable importation des chiffres. + + * * * * * + +Gerbert, avant d'être moine, archevêque de Reims, chancelier de France +et pape sous le nom de Silvestre II, avait gardé, sur les montagnes +d'Auvergne, les troupeaux de son père. Le jeune pâtre, qui dépassa le +génie de son siècle, au point que la masse de ses contemporains lui +donna le nom de nécromancien, ne songeait qu'à se livrer aux +distractions de son âge, lorsque lui vinrent tour à tour l'idée de son +horloge à poids et l'idée de son orgue hydraulique, inventions qui +seules auraient suffi pour immortaliser son nom. + +Pendant que ses compagnons se contentaient de souffler dans leurs +chalumeaux, formés de l'écorce des jeunes rameaux, il avait, lui, trouvé +le moyen de se servir de l'eau d'une fontaine pour produire le vent qui +devait faire rendre des sons variés aux siens. + +Le soleil était son horloge, lorsqu'il brillait sur l'horizon; mais +quand le jour était sombre, il arrivait parfois au jeune pâtre de se +tromper sur l'heure où il devait conduire son troupeau à l'abreuvoir et +sur celle où il devait le ramener à l'étable. + +Les réprimandes paternelles que lui attiraient ces erreurs mirent en +travail l'imagination de l'enfant des montagnes, et quelques jours après +il avait fabriqué avec son petit couteau une ingénieuse combinaison de +cordelettes, d'axes et de poids qui lui mesurait le temps avec une +exactitude satisfaisante, et devenait le point de départ de la savante +horloge qu'il devait construire plus tard à Magdebourg. + +Géraud de Saint-Céré, prieur des bénédictins d'Aurillac, entendit parler +des merveilleux jouets, fut curieux de les connaître, et pressentit en +les voyant, la haute destinée à laquelle était réservé leur jeune +auteur. + +Accueilli dans la célèbre abbaye fondée par saint Géraud, Gerbert fit de +si rapides progrès dans toutes les sciences, que, quelques années après, +ses supérieurs, jugeant qu'ils ne pourraient plus rien lui apprendre, +lui permirent d'aller suivre en Espagne les leçons de quelques +professeurs dont la célébrité était alors universelle. + +Recommandé à Borel, comte de Barcelone, il étudia dans cette ville les +mathématiques pendant quinze ou dix-huit mois. Là, comme à Aurillac, le +disciple était bientôt devenu plus savant que ses maîtres, et pourtant +sa soif de tout connaître était aussi ardente que jamais. + +On ne parlait en Espagne qu'avec une admiration profonde de la science +des docteurs musulmans, qui donnaient des leçons publiques à Cordoue et +à Séville. Malheureusement, le séjour de ces villes était alors interdit +aux étrangers. Le jeune bénédictin français ne tint aucun compte des +dangers dont on le menaçait. Il quitta momentanément son habit de +religieux, couvrit sa tête d'un turban, et suivit tour à tour les cours +des universités de Séville et de Cordoue avec tant d'ardeur qu'au bout +d'une année, en 968, il revint à Barcelone, l'esprit rempli de toute la +science des docteurs arabes. + +On nous pardonnera ces détails si l'on songe que c'est de ce dangereux +voyage que Gerbert rapporta les chiffres. + +On ne commente pas de semblables conquêtes. + + * * * * * + +Gerbert, non content d'avoir fait à l'Europe un aussi magnifique +présent, se livra aux plus incessantes recherches pour rendre ce présent +plus précieux encore. Il avait donné les chiffres et révélé l'art de les +combiner, une plume à la main, le travail de l'esprit aidant; il eut +l'ambition d'épargner à l'esprit le soin de faire ces combinaisons, et +voulut confier à une machine le soin de les faire. Il savait que les +Arabes avaient échoué dans toutes les tentatives qu'ils avaient faites +pour créer une machine à calcul; mais les insuccès de ses maîtres +stimulaient son ardeur, bien loin de le rendre timide dans ses efforts. + +Le désir impatient d'arriver à la découverte de l'introuvable machine le +porta, pendant son séjour à Rome, à devenir apprenti tourneur. Il lui +semblait que tout lui deviendrait possible, lorsqu'il pourrait façonner +de ses propres mains ses cylindres, ses poulies, ses roues à dents, +etc., etc. + +Espérances vaines! Son habileté dans l'art du tourneur ne lui servit que +pour la construction de ses sphères, de son horloge, et pour le +percement des tubes dont il avait besoin pour ses observations +astronomiques et pour ses orgues hydrauliques. + +Nous ignorons comment étaient combinées les diverses machines à calcul +que Gerbert essaya de construire. Cependant il est très-supposable que +sa _rhytmomachie_ et son _abacus_ étaient des éléments qui devaient +intervenir dans les machines dont il avait à coeur d'enrichir le domaine +de la science. Son livre sur la multiplication, adressé à son ami +Constantin, moine de Fleury, et son livre sur la division paraissent de +même n'être que des combinaisons imaginées pour être exécutées +mécaniquement. + + * * * * * + +Le premier essai de machine à calculer que nous trouvons après celui de +Gerbert est ce qu'on a appelé _la tête parlante_ d'Albert surnommé le +Grand. + +On avait trouvé dans quelques manuscrits que ce laborieux dominicain +avait fait une tête d'airain qui répondait sans hésiter à toutes les +questions qu'on pouvait lui adresser, et les critiques ont dit avec +raison que c'était là un conte absurde, attendu qu'une tête artificielle +ne peut pas avoir de raisonnement suivi. S'ils avaient eu un peu plus +d'érudition, ces critiques auraient su que le fait de la tête d'airain +est vrai; seulement, au lieu de répondre à toutes les questions, elle se +bornait à répondre à des questions sur les nombres; seulement encore, au +lieu de prononcer ses réponses, elle les présentait écrites entre ses +lèvres entr'ouvertes, à l'aide de rubans mus par un mécanisme intérieur. +En d'autres termes, la tête d'airain, construite par Albert le Grand, +était tout simplement une machine à calculer, exécutant quelques +additions et quelques multiplications composées d'un petit nombre de +chiffres. + +Roger Bacon, contemporain d'Albert le Grand, construisit, lui aussi, une +tête d'airain qui répondait à certaines questions. Elle a été +ridiculisée comme celle du religieux allemand. C'est avec aussi peu de +fondement; car cette tête de Roger Bacon n'était qu'une machine à +calculer, faite en rivalité de celle d'Albert le Grand. + +Il est presque inutile de dire qu'en enfermant dans une tête le +mécanisme à l'aide duquel se déroulaient les rubans numérateurs, on +avait pour unique but de faire paraître plus extraordinaires les +réponses arithmétiques qui venaient apparaître entre les lèvres de la +tête d'airain, dont le mécanisme était mû par quelque pédale cachée sans +doute. + +Si nous mentionnons ces essais de machines à calculer, c'est qu'il +importe de montrer que, dans tous les âges, le désir de faire +mécaniquement les opérations de l'arithmétique a été l'une des ambitions +des savants les plus éminents. + + * * * * * + +Ayant hâte d'arriver à nos temps modernes, nous ne raconterons pas les +tentatives que firent, pour découvrir une machine calculatrice, des +savants d'un ordre élevé, à Pise, à Milan, à Lisbonne, à Constantinople, +à Ollmütz, à Erfurt, à Halle, à Bergame, à Tubingen, à Zurich, à +Stralsund, à Odensée, à Leyde, à Aberdeen, etc., etc. + +Insuccès partout et toujours, et espérance d'arriver à la découverte +sans cesse vivante: voilà le résumé de l'histoire dont nous esquissons +les principaux traits. + +Vers l'an 1460, un célèbre mathématicien allemand, Jean Muller, plus +connu sous le nom de Régiomontan, avait découvert l'art de substituer +aux fractions ordinaires la division des nombres par 10e, 100e, 1000e et +donné à sa méthode le nom d'arithmétique décimale. + +Cette heureuse simplification ne fit pas disparaître l'ancienne manière +d'opérer avec les parties de l'unité; mais elle resta dans la mémoire +des savants, et quelques-uns en comprirent les avantages. + +De ce nombre fut le baron Néper, seigneur écossais. Comprenant tout le +parti que l'on pouvait tirer du calcul décimal, ce savant entreprit d'en +faire la base d'une machine à l'aide de laquelle il espérait pouvoir +exécuter sans effort d'esprit toutes les opérations de l'arithmétique. +Le mécanisme de cette machine est inconnu. On sait seulement que +l'appareil avait la forme d'une caisse carrée; que cette caisse +contenait dix rangées de petits cylindres, et que, sur chacun de ces +cylindres était enroulé un ruban sur lequel étaient tracés les neuf +chiffres significatifs et le zéro. + +Le fonctionnement de cette machine ne répondit pas aux espérances de +l'inventeur; mais celui-ci ne fut nullement découragé par cet échec. Il +chercha des combinaisons mécaniques nouvelles, et arriva à la découverte +de la méthode qu'il nomma _rabdologie_ (du grec _rabdos_, baguette, +planchette). Elle consiste à faire des calculs avec de petites baguettes +en forme de pyramides rectangulaires, dont chaque face contient une +partie de l'abaque ou table ordinaire de la multiplication. Cette table +est divisée en neuf petites lames, dont chacune a neuf cellules. La +première de ces cellules contient l'un des caractères simples, depuis 1 +jusqu'à 9. Les autres cellules renferment les produits des +multiplications du chiffre qu'elles portent en tête par chacun des +nombres simples; en combinant ensemble ces baguettes, on fait les +principales règles de l'arithmétique. + +Cette combinaison n'est pas difficile à faire. Ce qu'il y a +d'embarrassant, c'est la recherche de la baguette dont on a besoin pour +l'opération que l'on veut faire. + +C'est cet inconvénient qui fit regarder la _rabdologie_ de Néper comme +une chose purement ingénieuse. + + * * * * * + +Le savant écossais avait fait exécuter tous les plans de ses machines à +calculer par un très-habile constructeur d'instruments de mathématiques, +Juste Byrge, qui était en même temps un très-savant géomètre, et qui fut +l'inventeur du compas de proportion. + +Ce Juste Byrge était un homme simple, et d'une si grande modestie, qu'il +ne jugeait pas que ses productions fussent dignes de voir le jour. Ce +fut bien timidement qu'il avoua au baron écossais qu'il attachait un +certain prix à une découverte qu'il avait faite depuis quelque temps. +Quelle était cette découverte? C'était celle des logarithmes. + +On ne dit pas si Néper félicita Byrge de son bonheur; mais on sait du +moins qu'il sut apprécier la valeur d'une semblable invention, puisque, +quelque temps après, il en fit sa propriété, et publia sous son propre +nom le livre intitulé: _Mirifici logarithmorum canonis descriptio_. + +La priorité de Juste Byrge comme inventeur des logarithmes étant un fait +depuis longtemps constaté par les témoignages les plus puissants et les +plus irrécusables, il est vraiment étrange que tant d'écrivains modernes +continuent d'attribuer au grand seigneur écossais la découverte de +l'humble constructeur d'instruments de mathématiques allemand. Pour +notre part, nous n'avons pas cru, puisque nous avions à parler de Néper, +pouvoir nous dispenser de rappeler les circonstances, malheureusement +trop peu connues, qui lui ont valu sa gloire imméritée. + +Un honneur que nous ne refuserons pas à Néper, c'est celui d'avoir eu +l'idée du point de départ, assez éloigné, il est vrai, de la célèbre +machine à calculer de Pascal. Voici comment: + + * * * * * + +Nous avons dit que le système rabdologique du baron écossais avait été +abandonné, à cause de la difficulté de trouver promptement la baguette +qui est nécessaire pour l'opération que l'on veut faire. Un homme de +mérite, Petit, intendant des fortifications, qui avait étudié avec +beaucoup d'attention la méthode de Néper, vit avec peine que l'on +abandonnât cette invention et chercha à la ramener à une pratique plus +facile. + +Quelques années auparavant, un savant jésuite allemand, Gaspard Schott, +avait eu l'idée de coller les bâtons de Néper sur plusieurs cylindres +oblongs, et mobiles autour de leur axe. Le principe qui avait présidé à +la construction de la machine de Schott n'était peut-être pas mauvais; +mais les cylindres, qui fonctionnaient bien isolément, donnaient des +résultats inexacts lorsqu'ils devaient marcher ensemble; l'inventeur +désespéra de pouvoir perfectionner sa machine et l'abandonna. + +Petit se contenta d'un seul cylindre et le fit semblable à celui des +orgues de Barbarie. Ayant ensuite tracé sur des lames de carton les +tables de Pythagore, il ajouta ces lames sur le tambour, de manière +qu'elles pussent glisser parallèlement à son axe, au moyen d'un bouton +que chacune d'elles portait; mais cette machine, enfermée dans une +petite boîte, exigeait un véritable apprentissage pour la manoeuvre des +boutons et présentait d'autres inconvénients qui empêchèrent qu'elle ne +fût accueillie. + +Cependant Pascal fut curieux de la voir. Il trouva que les éléments en +étaient utilisables et promit à Petit de chercher s'il serait possible +de perfectionner les organes de cet appareil. + +Petit était déjà l'ami de Descartes, il devint bientôt celui de Pascal. +On sait qu'à la suite de la découverte de Torricelli, ce fut Petit qui +fit les premières expériences sur le vide. Ce que l'on sait moins, c'est +que ce fut sur la prière de Petit que Pascal étudia la question de la +pesanteur de l'air et fit faire par son beau-frère Perrier les fameuses +expériences du Puy-de-Dôme. Il est bien entendu que si l'idée +d'expériences à faire, pour démontrer la pesanteur de l'air, appartient +à l'intendant des fortifications de France, au géographe du roi, la +méthode d'après laquelle ces expériences furent faites fut créée par le +génie seul de Pascal. + +N'ayant pu corriger les vices organiques de la rabdologie de Petit, +Pascal entreprit de construire une machine arithmétique d'après un +système qui lui serait propre. + +La machine à calculer de Pascal, que compliquent tant de rouages, tant +de poids, qui a besoin d'un si grand nombre d'organes pour produire des +résultats si limités, a été décrite dans trop de livres pour que nous +jugions utile d'en donner une description nouvelle. Nous nous +contenterons de dire que cette machine fut, entre toutes les créations +du grand homme, celle qui fatigua le plus son génie, qui lui fit +prodiguer les veilles les plus longues, qui lui fit faire, voulons-nous +dire, une plus rapide dépense de vie. + + * * * * * + +La machine de Pascal fut regardée comme une conception merveilleuse; +mais elle était trop incomplète et trop compliquée pour pouvoir prendre +rang parmi les instruments de mathématiques usuels. + +L'un des plus ingénieux mécaniciens de l'époque, Grillet, horloger de +Louis XIV, eut l'ambition de la simplifier. Il travailla dans ce but, +pendant de longues années, aidé par les conseils de plusieurs membres de +l'Académie des Sciences, et parvint enfin, après avoir supprimé le +tambour et les poids de Pascal, à disposer sur les roues les lames +porte-chiffres, de telle sorte qu'en tournant ces roues d'un côté il +opérait l'addition, et qu'en les tournant du côté opposé il faisait la +soustraction. + +Cette machine aurait eu une véritable valeur si elle avait pu servir +pour des additions et des soustractions composées de chiffres indéfinis; +mais elle ne pouvait opérer qu'avec un nombre de chiffres très-limité, +et dès lors elle n'était plus qu'un simple objet de curiosité. + +L'auteur lui-même la jugea telle, puisqu'il n'en construisit qu'une +seule, qu'il montrait fonctionnant au public, et à prix d'argent. + +Le mécanisme de cette machine est inconnu. Grillet, dans ses _Curiosités +mathématiques_, a bien décrit l'extérieur de sa machine; mais il n'a +rien dit de sa construction intérieure. Le _Journal des Savants_ de +l'année 1678 suppose que tout le secret de la machine de Grillet +consistait dans une ingénieuse disposition, sur de petits cylindres, des +lames de la table de Pythagore. + + * * * * * + +L'abbé Conti, célèbre mathématicien, a dit de Leibnitz: «Il voulut +surpasser tous les mathématiciens. Il n'est presque point d'objet dans +la vie civile pour lequel il n'eût inventé quelque machine, mais aucune +ne réussit.» + +L'admiration qu'avait excitée, en Europe, la machine de Pascal, regardée +comme un effort de génie qui ne pouvait que très-difficilement être +égalé, excita l'envie de Leibnitz. Ce savant était alors à l'apogée de +sa gloire. L'empereur d'Allemagne, le czar de Russie, l'électeur de +Brandebourg, tous les princes d'Allemagne lui avaient prodigué les +dignités et les pensions; toutes les Académies de l'Europe se faisaient +gloire de le compter au nombre de leurs membres associés, et cependant +il ne se trouvait pas heureux; au milieu de toutes ces glorifications, +la machine de Pascal lui donnait des insomnies; il résolut de créer une +machine rivale de celle du savant français. + + * * * * * + +Philosophie, physique, chimie, mathématiques, correspondances savantes, +relations avec les souverains, il mit tout de côté pour recueillir ses +forces, pour mettre tout son temps et tout son génie au service de son +ambition nouvelle. Pendant près de quatre ans il ne vécut guère que pour +cette ambition, c'est-à-dire que pour la machine à calculer qu'il +voulait opposer à celle de Pascal. + +Dès qu'il eut imaginé la première combinaison de cette machine, il en +envoya, pour prendre date, les plans à la Société royale de Londres. +D'après ces plans, la machine devait exécuter les quatre règles de +l'arithmétique. Quelque temps après, il présenta cette même machine à +l'Académie des Sciences de Paris. Il avait dépensé pour la construire +environ 100,000 francs, somme qui indique bien quel prix il attachait à +une oeuvre de ce genre, quand on sait que l'avarice est le plus grand +vice que l'histoire ait eu à lui reprocher. + +Sa machine fut trouvée très-imparfaite dans son exécution, d'un jeu peu +sûr et n'allant pas au delà d'une addition et d'une soustraction +composées de quatre chiffres. + +Pour comble de malheur, comme Grillet s'était défait de sa machine, sans +que l'on sût comment, on supposa que Leibnitz en était devenu +l'acquéreur indirect, et l'avait copiée d'une manière presque servile. + +Cette accusation, très-timidement énoncée d'abord, fut formulée +très-explicitement, lorsque Keill l'accusa à la face de l'Europe de se +dire à tort l'inventeur du calcul différentiel et se fit fort de prouver +qu'il avait dérobé cette invention à Newton. + +On sait que, Leibnitz ayant dénoncé cette accusation à la Société royale +de Londres et l'ayant prise pour juge, la Société royale décerna +l'honneur de la découverte du calcul différentiel à Newton. + +Ce procès de priorité, malgré le jugement de la Société royale, est +toujours pendant devant l'histoire; mais un fait est très-certain: c'est +que la machine à calculer de Leibnitz ne valait pas même celle de +l'horloger Grillet. + +L'_instrumentum mathematicum universale_ de Riler n'est pas, à +proprement parler, une machine. C'est tout simplement une modification +de la règle à calculer d'Edmond Günther. Günther avait transporté les +logarithmes sur une échelle linéaire, au moyen de laquelle on pouvait, +par une ouverture de compas, obtenir le résultat d'une multiplication ou +d'une division. La règle de Riler ne diffère de celle de Günther que par +sa forme, qui est semi-circulaire. + +En 1673, Samuel Moreland publia à Londres un petit livre intitulé: +_Description et usage de deux instruments d'arithmétique_. Ces deux +machines n'ont probablement jamais été construites et ne méritent pas de +l'être. + +L'auteur de la colonnade du Louvre et de l'Observatoire, qui était plus +qu'un maçon, n'en déplaise à Boileau, Perrault, qui était aussi habile +mécanicien que grand architecte, composa avec de petites règles, portant +chacune des séries de chiffres placées l'une à la suite de l'autre, une +machine à calculer fort ingénieuse, mais qui ne pouvait être qu'un +simple objet de curiosité. Le dessin et la description s'en trouvent +dans le premier volume des _Machines approuvées par l'Académie des +Sciences_. + +Le marquis Giovanni Poleni, le célèbre professeur d'astronomie et de +mathématiques de Padoue, le restaurateur, pour ne pas dire le créateur +de l'architecture hydraulique, Poleni, qui, grâce à sa connaissance de +tous les secrets de la mécanique, eut la gloire de consolider la +basilique de Saint-Pierre de Rome, sans rien changer à sa valeur +artistique, et après que tous les architectes consultés par Benoît XIV +eurent déclaré que le chef-d'oeuvre du génie de Michel-Ange ne pouvait +être consolidé qu'à la condition d'être réédifié sur des fondements +nouveaux; Poleni, que les rois faisaient consulter pour tous leurs +grands travaux; Poleni, le correspondant aimé de Newton, de Leibnitz, de +Bernouilli, de Wolf, de Mairan, de Cassini, de Manfredi, de +S'Gravesande, de Muschenbroëck, etc., qui lui donnaient généralement le +nom de maître, Poleni entreprit, lui aussi, de construire une machine à +calculer. + +Wolf, à qui il avait fait part de son projet, lui écrivit de Halle: «Je +fais des voeux d'autant plus ardents pour votre succès, que votre échec +détournerait éternellement tous les savants de rentrer dans une voie que +vous n'auriez pu parcourir jusqu'au bout.» + +Poleni suivit jusqu'au bout la voie dans laquelle il était entré, +c'est-à-dire exécuta sa machine; mais les plans et la description qu'il +nous en a laissés, dans ses _Miscellanea_, nous montrent qu'il ne fut +pas plus heureux que ses devanciers. + +Les craintes de Wolf ne se réalisèrent pas; l'insuccès de Poleni ne +découragea personne, ainsi qu'on le verra par la suite de cette liste +des chercheurs de l'introuvable machine. + +Leupold, le grand ingénieur des mines du roi de Pologne, l'auteur de la +précieuse collection intitulée _Theatrum machinarum_, l'inventeur +heureux de tant d'instruments de mathématiques, ayant échoué dans ses +premières tentatives pour créer une machine à calculer qui n'empruntât +rien aux machines antérieures, finit par recourir au tambour de Petit. +Il le rendit plus commode en le faisant décagonal, de cylindrique qu'il +était, puisqu'il supprima par là les rainures pour le glissement des +baguettes; mais ce travail n'ajouta rien à sa gloire, et la machine à +calculer restait toujours à trouver. + +Sera-ce Clairaut, grand géomètre dès l'âge de douze ans, et membre de +l'Académie des Sciences à dix-huit, qui fera la merveilleuse découverte? + +Non. Il mettra dans cette recherche toute sa science, toute son ardeur, +tout son génie; mais tous ses efforts seront impuissants et il brisera +toutes les poulies, tous les rouages, tous les ressorts de sa machine, +en disant: «Délivrons-nous de la présence de ces témoins, qui me +rappelleraient sans cesse que j'ai travaillé pendant dix-huit mois à +faire des arithméticiens de ces morceaux de bois et de cuivre.» + +Il nous est cependant resté l'une des combinaisons qui s'étaient +présentées à l'esprit de Clairaut, pendant qu'il travaillait à sa +machine à calculer. Nous voulons parler de sa planchette +trigonométrique, figurée et décrite dans le 5e volume des _Machines de +l'Académie des Sciences_, et destinée à remplacer les tables des +logarithmes et à résoudre les triangles sans calcul. + +Michaël Poetius a décrit un instrument composé de cercles concentriques +mobiles, qui semble n'être qu'une modification de la rabdologie de Néper +et ne peut pas rendre plus de services que la table de Pythagore. Aussi +l'appelle-t-on _Mensula pythagorica_. + +La nouvelle disposition de la table de Pythagore par de Méan est décrite +dans les _Machines de l'Académie des Sciences_ et facilite plusieurs +calculs; mais ce n'est pas là, à proprement parler, une machine. Nous +dirons la même chose de l'échelle à coulisse de Ch. Leadbetter, dont +Jones s'attribua ou se laissa attribuer plus tard l'invention. + +La machine de Lépine, le célèbre horloger français, attira un instant +l'attention des savants; mais on reconnut bientôt que Lépine n'avait +fait que simplifier dans sa construction la machine de Pascal et lui +avait laissé tous les inconvénients qui la rendent impropre à toute +espèce de service. Cette machine est décrite dans le 4e volume des +_Machines de l'Académie_. + +Hillerin de Boistissandeau fut moins imitateur que Lépine. Il modifia +profondément les organes de la machine de Pascal, en retrancha +quelques-uns, en ajouta d'autres, se montra fort ingénieux dans ses +combinaisons; mais, au résumé, il resta, comme tous ses devanciers, à +une distance énorme en deçà du but qu'il s'était proposé d'atteindre. + +Et pourtant ce ne fut pas le courage qui lui fit défaut, ainsi que nous +en avons la preuve dans le 5e volume des _Machines de l'Académie des +Sciences_, puisque, sa première machine n'ayant pas réussi, il en +construisit une seconde, d'après un système nouveau. + +Vers le même temps, de Salamanque, de Palerme, de Mantoue, de Berlin, de +Leipsick, etc., on annonçait la découverte de machines à calculer, qui +tombèrent immédiatement dans l'oubli. + +Celle qui fut présentée en 1735 à la Société royale de Londres, par +Gorsten, occupa l'attention de l'Europe un peu plus longtemps. Elle +n'opérait que l'addition et la soustraction, fonction remplie par +plusieurs machines antérieures, mais d'une manière plus compliquée. Elle +était composée d'une suite de crics dont chacun était mû par une étoile +ou pignon, et poussait l'étoile suivante d'un dixième. Le dessin et la +description de cette machine se trouvent dans le 9e volume des +_Philosophical Transactions_. + +La machine arithmétique que Pereire présenta à l'Académie des Sciences +de Paris, en 1750, et dont le _Journal des Savants_ nous a conservé la +description, se composait de petites roues de buis ou cylindres +très-courts enfilés par un même axe. Les chiffres étaient écrits sur le +pourtour de chacune de ces roues, qui étaient enfermées dans une boîte. +Sur le dessus de cette boîte étaient pratiquées autant de rainures qu'il +y avait de roues. Chaque rainure avait en longueur le tiers de la roue +qui lui correspondait. Une aiguille passée dans la rainure servait pour +faire tourner la roue, etc. + +Avec cette machine on pouvait faire un certain nombre d'opérations, mais +moins rapidement qu'avec la plume. + +Les deux machines qu'inventa lord Mahon, comte de Stanhope, ont eu une +assez grande réputation en Angleterre. L'une servait pour faire +l'addition et la soustraction, l'autre pour la multiplication et la +division. + +Le comte de Stanhope, qui conquit au profit de l'Angleterre l'île +Minorque et dut son titre de lord Mahon à la prise de Port-Mahon; lord +Stanhope, le généralissime des années anglaises en Espagne, qui n'avait +remporté que des victoires, jusqu'au jour où il se trouva en face du duc +de Vendôme, qui le vainquit et le fit prisonnier avec 5,000 Anglais; +lord Stanhope, dis-je, n'était pas seulement un grand capitaine, il +était encore un savant d'un ordre élevé. + +Ayant d'abord eu la passion des langues, il avait appris en trois années +toutes celles qui se parlent en Europe. L'ambition de devenir un nouvel +Archimède s'étant ensuite emparée de lui, il s'était mis à étudier +l'ancienne balistique et la mécanique avec une ardeur incroyable. Cette +étude n'aurait été qu'un plaisir pour lui, si elle avait exigé moins de +calculs; mais les incessantes colonnes de chiffres qu'elle consomme +fatiguaient, épuisaient sa patience. Il chercha donc à savoir si, parmi +les nombreuses machines arithmétiques qui avaient été imaginées, il ne +s'en trouverait pas une qui fût propre à lui épargner le fatigant +travail du calcul numérique. + +Aucune de ces machines ne l'ayant satisfait, il entreprit d'en +construire une lui-même. Il essaya un nombre de combinaisons infini, +garda pendant plusieurs années à son service des mécaniciens qui +travaillaient uniquement à l'exécution de ses plans, sans cesse changés +ou modifiés, et ne s'arrêta, en fin de compte, qu'aux deux machines +compliquées, incomplètes, inutilisables, que nous avons mentionnées. + +Vers le même temps, Matthieu Hann, pasteur de Kornswestheim, près de +Ludwigsbourg (Wurtemberg), après de longues années de travail et de +grandes dépenses, montra une machine arithmétique avec laquelle il +exécutait des opérations fort difficiles. Cette machine commença par +exciter un étonnement général; mais bientôt on reconnut que les calculs +exécutés avec cet instrument étaient très-limités, très-inexacts; +l'invention de Hann fut abandonnée. On n'en connaît pas la structure +intérieure, le _Mercure_ de Wieland n'en ayant décrit que la forme +extérieure. + +La machine que construisit, bientôt après, le capitaine du génie Müller +était plus exacte que celle de Hann, mais était aussi incomplète. +L'auteur donne la description de la forme extérieure de sa machine et +les indications sur la manière de s'en servir, dans sa brochure +intitulée: _Description d'une nouvelle machine_. + +La machine arithmétique dite de Diderot étant longuement décrite dans la +grande Encyclopédie, nous n'en dirons rien. Nous nous contenterons de +rappeler que presque tous les savants de l'Encyclopédie sont aujourd'hui +réputés avoir contribué de toute leur science, de tout leur génie, à la +création de cette lourde machine, dont la mémoire de Diderot a seule +longtemps supporté la responsabilité. + +L'instrument inventé par Prahl et connu sous le nom d'_Arithmetica +portabilis_, n'est qu'une sorte de reproduction de la _Mensula +pythagorica_ de Michaël Poetius. Il n'en diffère qu'en ceci: les cercles +mobiles sont beaucoup plus grands et portent des chiffres qui vont de 1 +à 100, de sorte qu'au moyen de cette machine on peut additionner et +soustraire jusqu'au nombre 100. + +La machine à calculer dont Gruson donne la description dans une brochure +qu'il publia en 1790, à Hagdebourg, n'est également qu'une imitation de +la _Mensula pythagorica_ et consiste dans un disque de carton, avec +index au milieu. + +En 1797, Jordans publia à Stuttgart une brochure portant pour titre: +_Description de plusieurs machines à calcul, inventées par Jordans_. +Cette brochure ne fait guère que reproduire, sous des formes modifiées, +le _promptuarium_ de Néper. + +En 1795, Leblond avait transporté sur un cadran les divisions +logarithmiques de Günther; mais cette modification ne constitue pas une +machine proprement dite. + +Il faut en dire autant de l'arithmographe que Gottey construisit en +1810, qui n'est également qu'une forme nouvelle, la forme circulaire, +donnée à l'instrument de Günther. + +Il faut en dire autant des règles logarithmiques de Mountain et de +celles de Makay; autant des règles de Scheflelt et de la double règle de +Lambert; autant de la règle à coulisse de Lenoir, qui n'est que la +reproduction de celle, non pas de Jones, qui n'était lui-même qu'un +reproducteur, mais de Ch. Leadbetter. + +La Société royale des Sciences, de Varsovie, fut appelée, en 1814, à +examiner une véritable machine arithmétique, c'est-à-dire propre à +exécuter les quatre règles. L'auteur de cette invention, Abraham Stern, +s'était montré très-ingénieux dans la conception et la construction de +sa machine; cependant, malgré ses savantes combinaisons, il n'avait pu +réussir à lui donner les qualités exigées des créations de cette espèce. +Sa machine était très-compliquée, très-difficile à manoeuvrer et +exigeait une attention plus fatigante que celle des calculs faits à la +plume. Elle fut abandonnée. + +La fameuse machine de Babbage n'est pas, à proprement parler, une +machine arithmétique, puisqu'elle n'exécute pas les quatre règles de +l'arithmétique. Cet appareil, infiniment compliqué et excessivement +volumineux, n'est destiné qu'à donner les différents termes d'une série +qui procède par différences. Babbage l'a construite ou plutôt a commencé +à la construire en 1821, sur l'invitation du gouvernement anglais. +Celui-ci voulait qu'elle pût calculer les tables mathématiques et +astronomiques. + +L'ingénieur anglais, après avoir travaillé à cette machine pendant plus +de douze ans, et y avoir dépensé 17,000 livres sterling (425,000 +francs), dues, en partie, à la munificence du roi Georges III, n'était +arrivé en 1833 qu'à l'exécuter pour trois colonnes. + +Depuis ce temps, Babbage a paru ne plus s'en occuper. Est-ce parce que +les mouvements excessivement lents de cette machine ne permettaient pas +d'en attendre ultérieurement des résultats utiles? Est-ce parce que le +demi-million qu'il faudrait encore dépenser pour l'exécuter sur une +grande échelle effraie le gouvernement anglais? L'inventeur, enfin, se +trouve-t-il arrêté dans l'exécution de son oeuvre par des difficultés +dont ne peuvent triompher ni sa science ni son génie? + +Sans chercher une réponse à ces questions, contentons-nous de dire que +depuis 1833 la machine de Babbage est restée à l'état de promesse, et +que rien n'en annonce la réalisation ultérieure. + +Quelque temps après que Babbage eut fait connaître que sa machine avait +reçu un commencement d'exécution, un Suédois, M. Schentz, annonça qu'il +avait, de son côté, inventé une machine pour la formation des séries. +Cette machine n'a pas été exécutée, et l'auteur n'en a pas fait +connaître le mécanisme. + +Après que le brevet d'invention que M. Thomas de Colmar avait pris en +1822 fut expiré et eut été publié, les annonces d'inventions de +nouvelles machines à calculer se multiplièrent d'une manière inouïe +jusque-là. Il y eut telle année où il fut pris jusqu'à quatre brevets +d'invention pour machines de cet ordre. + +Tous ces brevets montrent que les inventeurs qui vont réchauffer leurs +inspirations dans le recueil des inventions tombées dans le domaine +public, et qui, quelquefois même, n'attendent pas si longtemps pour se +procurer le secours du génie d'autrui, ne s'étaient pas fait faute de +faire à l'arithmomètre des emprunts plus ou moins habilement déguisés. + +Parmi ces inventions de seconde main, les unes sont à peu près restées à +l'état de projet; les autres n'ont profité qu'aux mécaniciens par qui +les inventeurs les ont fait construire, et sont allées aux mains du +ferrailleur. + +Cependant, depuis l'invention de l'arithmomètre, trois autres machines à +calculer, recommandables par d'autres qualités que celles de +l'imitation, ont été exécutées. + +La première, c'est l'additionneur de M. le docteur Roth. Cette machine +est fondée sur le même principe que celle de Pascal; mais ses roues ne +marchent pas de la même manière. Dans la machine de Pascal, les roues se +commandent, comme on dit en mécanique, elles marchent ensemble. Dans la +machine de M. Roth, elles sont indépendantes; l'une ne marche qu'après +que celle qui la précède a accompli son mouvement. Le mécanisme de +Pascal est fondé sur la transmission simultanée; celui de M. Roth, sur +la transmission successive. Le premier exige d'autant plus de force pour +être manoeuvré, que les roues sont plus nombreuses; le second n'exige +jamais que la même force, quel que soit le nombre des roues. + +En somme, la machine de M. Roth est une bonne machine pratique; +malheureusement, elle ne peut servir que pour faire les additions. + +À l'Exposition de l'industrie de 1849, une nouvelle machine à calculer: +l'arithmaurel, fut présenté par MM. Maurel et Jayet. Cette machine, +ainsi que l'a reconnu l'Académie des sciences, en la jugeant digne du +prix de mécanique de la fondation Monthyon, exécute très-bien les quatre +principales opérations de l'arithmétique; mais, comme l'a dit M. +Mathieu, il est à craindre que les combinaisons mécaniques +très-ingénieuses, mais très-délicates, sur lesquelles elle repose, +n'entraînent dans des frais de construction trop élevés pour que +l'arithmaurel devienne jamais bien usuel. + +Cependant cette machine, quoique la délicatesse de ses organes et le +prix énorme qu'elle coûterait, si elle devait opérer avec un nombre de +chiffres un peu considérable, semblent la condamner à n'être guère qu'un +simple objet de curiosité, n'en fait pas moins beaucoup d'honneur à +l'imagination et à l'habileté mécanique de MM. Maurel et Jayet. + +C'est une véritable gloire que l'arithmaurel aurait procurée à ses +constructeurs, s'il pouvait se faire que l'année 1822 ne fût pas +antérieure à l'année 1849, c'est-à-dire que l'arithmomètre n'eût pas +précédé l'arithmaurel de plus de vingt-cinq ans. + +Nous voulons dire par ce qui précède que MM. Maurel et Jayet ont +certainement mis dans la construction de leur machine des combinaisons +très-ingénieuses et dont personne ne songe à leur contester la priorité; +mais ils ont donné pour principal organe à cette machine de 1849 le même +organe principal que M. Thomas de Colmar avait donné à son arithmomètre +de 1822. + +En d'autres termes, la machine de MM. Maurel et Jayet a été construite +sur le principe de celle de M. Thomas de Colmar. + +Le Jury central de l'Exposition de 1849 s'est exprimé ainsi par l'organe +de son rapporteur: + +«MM. Maurel et Jayet ont présenté, sous le nom d'arithmaurel, une +machine à calculer, dans laquelle on retrouve le principal organe de +l'arithmomètre de M. Thomas, à savoir: des cylindres cannelés et des +arbres parallèles sur lesquels glissent des pignons destinés à +représenter des nombres.» + +Le Comité des arts mécaniques de la Société d'encouragement pour +l'industrie nationale disait, dans sa séance du 12 mars 1851, dans un +rapport à la suite duquel une médaille d'or fut décernée à M. Thomas de +Colmar: + +«Ces organes de la machine de MM. Maurel et Jayet sont réellement les +organes des machines de M. Thomas, leurs organes caractéristiques.» + +Dans la séance de l'Académie des Sciences du 11 décembre 1854, une +commission composée de MM. Cauchy, Piobert et Mathieu, à l'examen de +laquelle avait été renvoyée la machine perfectionnée, ou plutôt la +nouvelle machine de M. Thomas de Colmar, reconnaissait également dans +des termes explicites que le principal organe de l'arithmaurel existait +dès 1822 dans la machine primitive de M. Thomas. + +Nous disons dans la Machine primitive, parce que M. Thomas, ayant +reconnu les inconvénients des cannelures, les a remplacées, dans sa +nouvelle machine, par un système de denture infiniment plus simple et +plus doux à mouvoir. + +Voici les termes dont se servit M. Mathieu, rapporteur de la commission +académique dont nous venons de parler, pour rappeler les titres de +priorité de M. Thomas: + +«M. Thomas, en employant des cylindres cannelés, était parvenu dès 1822 +à construire une machine simple avec laquelle on pouvait exécuter, sans +tâtonnement, les opérations ordinaires de l'arithmétique. + +»L'idée du cylindre cannelé se retrouve dans une machine nommée +arithmaurel, construite _postérieurement_ par MM. Maurel et Jayet, et +pour laquelle ils ont obtenu le prix de mécanique de la fondation +Monthyon.» + +Il n'est pas absolument impossible que l'idée des cylindres cannelés et +des arbres parallèles sur lesquels glissent les pignons destinés à +représenter les nombres, se soit présentée en 1849 à l'esprit de MM. +Maurel et Jayet, comme elle s'était présentée à celui de M. Thomas de +Colmar plus de vingt-cinq ans auparavant; mais nos règles de justice, +dans les matières de ce genre, n'admettent pas des rencontres +semblables, et attribuent tout l'honneur que peut valoir une idée +scientifique ou industrielle à celui qui l'a authentiquement émise le +premier. + +La troisième machine à calculer remarquable qui a paru depuis la +publication des plans de celle de M. Thomas de Colmar, est celle qu'un +savant constructeur russe, M. Staffel, présenta à l'Exposition +universelle de Londres. Cette machine exécute d'une manière fort +satisfaisante les principales opérations de l'arithmétique; mais +l'extrême délicatesse de son mécanisme et son prix excessif, si elle +devait servir pour des calculs à chiffres nombreux, ne permettent pas de +la regarder comme un instrument susceptible d'entrer dans le commerce. + +Quant au principe de cette machine, il est effectivement le même que +celui de la machine de M. Thomas de Colmar, quoiqu'il soit appliqué +d'une manière différente, c'est-à-dire quoique les cylindres soient +verticaux, au lieu d'être horizontaux. + +La machine de M. Staffel se trouve donc vis-à-vis de celle de M. Thomas +de Colmar frappée, comme l'arithmaurel, du cachet de la postériorité, +pour nous servir d'un mot qui réserve tous les droits de l'inventeur de +l'arithmomètre, sans préciser d'autre fait que le malheur qu'ont eu MM. +Staffel, Maurel et Jayet d'avoir été devancés dans la découverte du +principe qui nous a valu la solution du problème qu'avait stérilement +cherché le génie des siècles. + +Il n'a été présenté à notre Exposition universelle que deux machines à +calculer: l'arithmaurel et l'arithmomètre perfectionné, ou plutôt le +nouvel arithmomètre. + +Les deux machines à calcul de l'Autriche: l'une, exposée par M. +Rettembacher, d'Isch, et l'autre, par M. Stach, de Trieste, +appartiennent à la catégorie des règles à coulisses. + +Une revue scientifique de Paris avait annoncé qu'une véritable machine à +calculer devait être exposée par un Suédois; mais nous croyons savoir +que la commission suédoise n'a pas même entendu parler d'une machine de +ce genre. + +Il a été certainement construit bien plus de machines arithmétiques que +nous n'en avons mentionné. Chez combien de savants, en effet, n'a pas dû +naître l'ambition de résoudre un problème qui avait véritablement été +posé devant le génie de l'homme dès l'origine de la société! Dès +l'origine de la société, disons-nous, puisque, chez les peuples qui ne +sont pas encore nés à la civilisation, nous trouvons un commencement de +lutte contre ce problème, c'est-à-dire, l'emploi, pour calculer plus +facilement, de cordes à noeuds, de tablettes percées de petits trous, +dans lesquels on fait manoeuvrer des chevillettes; d'espèces de damiers +calculateurs; de chapelets de coquillages ou de graines de fruits, +d'abaques plus ou moins élémentaires, etc. + +De toutes les tentatives infructueuses qui ont été faites pour arriver à +la découverte d'une véritable machine arithmétique, nous n'avons pu +connaître que celles qui étaient regardées comme heureuses par leurs +auteurs, car il n'est pas naturel que l'homme publie des insuccès qui +constatent sa faiblesse; et cependant combien est longue la liste des +chercheurs connus de la rebelle machine! + +Quelle était donc, au fond, la grande difficulté qu'il s'agissait de +vaincre?--Francoeur va répondre à cette question: + +Dans la séance de 20 février 1822, ce savant s'exprimait ainsi devant la +Société d'encouragement, dans son rapport sur la machine de M. Thomas: + +«Le défaut de toutes les machines arithmétiques est de ne se prêter qu'a +des calculs très-simples. Dès qu'il s'agit de multiplier, il faut +convertir l'opération en une suite d'additions; ainsi, pour obtenir 7 +fois 648, on est obligé d'ajouter d'abord 648 à lui-même, puis la somme +à 648, celle-ci encore à 648, etc., jusqu'à ce que 648 ait été pris 7 +fois. À quelles longueurs ne faut-il pas se soumettre lorsque le +multiplicateur a deux ou trois chiffres! Celle de M. Thomas donne de +suite les résultats du calcul. + +»La plus grande difficulté à vaincre donc, difficulté contre laquelle le +génie même de Pascal a échoué, c'était de faire porter les retenues sur +le chiffre à gauche. Dans la multiplication de 8 par 7, on ne pose pas +le produit 56, mais seulement le chiffre 6, parce qu'on reporte les cinq +dizaines sur le produit prochain. Le mécanisme par lequel M. Thomas +opère ce passage est extrêmement ingénieux; ce report se fait de +lui-même, sans qu'on y songe. Pour multiplier 648 par 7, par exemple, +l'opérateur tire le cordon sans s'embarrasser s'il y a ou non des +chiffres à retenir, sans même savoir ce que c'est, et il lit de suite le +produit 4,536.» + +La gloire de M. Thomas de Colmar consiste donc essentiellement dans la +découverte du principe ou, si l'on veut, du procédé mécanique qui a +permis de triompher de la difficulté qui avait arrêté jusqu'à lui tous +les chercheurs d'une véritable machine à calculer. + +Le principe, le procédé mécanique à l'aide duquel se résout la grande +difficulté qu'il s'agissait de vaincre ayant été trouvé par M. Thomas, +est modifiable comme toutes les choses matérielles. Il est, par +conséquent, facile de construire des machines arithmétiques dont les +organes diffèrent par la forme, par le mode de fonctionnement, de la +machine de M. Thomas. Ce qui ne serait pas facile, ce serait de pouvoir +raisonnablement prétendre que le principe fondamental de l'arithmomètre +n'a pas été le point de départ des machines arithmétiques construites +dans ces dernières années. + +Une pareille prétention, si elle était émise, paraîtrait probablement +tout aussi singulière que celle du photographe qui, ne se servant ni des +plaques, ni des substances, ni des objectifs employés par Daguerre et +Niepce, dénierait à ces deux noms une part dans le mérite de ses +oeuvres. + + * * * * * + +Le triomphe obtenu par M. Thomas de Colmar sur les difficultés que la +science avait en dernier lieu déclarées invincibles, ne serait pas +apprécié comme il mérite de l'être, si on oubliait que ses devanciers, +dans la recherche de la machine à calculer, n'avaient pas craint de +multiplier les organes de leurs machines, et qu'il s'était interdit, +lui, l'emploi de tout mécanisme compliqué. + +Avec un peu d'imagination et de patience, on peut, pour ainsi dire, tout +faire en mécanique, quand on ne se limite pas dans l'emploi des roues, +des pignons, des échappements, etc.; mais il faut autre chose que de +l'imagination et de la patience pour produire des effets d'une +complication et d'une variété infinies avec des moyens simplifiés +jusqu'à l'unité. + +C'est cette simplicité absolue qui caractérise éminemment l'arithmomètre +et empêche qu'on ne le confonde avec les conceptions qui ne viennent pas +en droite ligne du génie. + +Dans son mémoire officiel sur l'arithmomètre, un savant ingénieur en +chef des ponts et chaussées, M. Lemoyne, a dit: + +«Les premières locomotives ont excité une surprise qu'on a exprimée en +les appelant des chevaux de fer, des _machines vivantes_. La machine à +calcul doit exciter une surprise d'une autre sorte, mais non moins +grande, car c'est un appareil qu'on pourrait appeler _machine +intelligente_... Néper appréciait bien l'invention qui a immortalisé son +nom, lorsqu'il intitulait son ouvrage: _Mirifici logarithmorum canonis +descriptio_. L'invention de M. Thomas de Colmar mérite tout autant le +titre de _mirifique_, ou merveilleuse, en français de notre époque. Il a +fallu autant d'efforts de génie et de persévérance pour concevoir et +perfectionner dans ses nombreux détails le mécanisme de l'arithmomètre, +que de génie pour concevoir les propriétés des deux progressions par +différences et par puissances qui forment les logarithmes et de +persévérance pour calculer la première table de logarithmes publiée par +Néper... On apprécie d'autant plus le mérite de M. Thomas, que l'on voit +combien d'esprits éminents ont tenté sans succès de résoudre avant lui +le problème qu'il a glorieusement résolu.» + +Ayant, par l'exposé des faits qui précèdent, donné une idée suffisante +de l'étendue des difficultés qu'il a fallu vaincre pour arriver à la +découverte de l'arithmomètre, nous allons, non pas énumérer, mais +chercher à concevoir quels services ce merveilleux instrument est appelé +à rendre. + +Pour atteindre ce dernier but, il nous suffira certainement de citer +quelques-uns des résultats mentionnés dans le rapport fait le 12 mars +1851 à la Société d'encouragement de l'industrie. + +Soit, par exemple, à multiplier le nombre 2,749 par 3,957. En moins de +18 secondes, l'arithmomètre donne le produit 10,877,793. 17 secondes +suffisent pour trouver 1,111,111,088,888,889, produit de 99,999,999 par +11,111,111. + +Qu'il s'agisse de soustraire 69,839,989 de 75,639,468: un tour de +manivelle qui ne dure pas une demi-seconde fait apparaître dans les +lucarnes le nombre 5,799,479, excès du premier nombre sur le second. + +Voici une énorme division: + +Dividende: 9,182,736,456,483,022; diviseur: 69,889,989. En 75 secondes, +l'arithmomètre donne pour quotient 131,482,501, et pour reste +32,950,533. + +La réduction d'une fraction ordinaire en fraction décimale se fait +instantanément, et on obtient autant de chiffres décimaux qu'on en +désire. + +La somme ou la différence d'une suite de produits simples, telle que A × +B ± C × D ± E × F ± etc., s'obtient aussi très-rapidement avec +l'arithmomètre. + +Même facilité et même rapidité pour l'extraction des racines carrées et +des racines cubiques, pour l'obtention du quatrième terme d'une +proportion; pour le calcul, d'après la propriété du carré de +l'hypothénuse, du troisième côté d'un triangle rectangle dont deux côtés +sont donnés; pour la résolution générale des triangles, avec le concours +des tables des lignes trigonométriques naturelles. + +Avec l'arithmomètre, on peut également calculer de la même manière les +formules, telles que + + _sin a cos b ± sin b cos a_ et _cos a cos b ± sin a sin b_ + + sin a + f cos a tang. a + f + et celles _--------------- Q_ et _------------- Q_, + cos b ± f sin b 1 ± f tang. a + +et autres expressions de forme analogue, qui se présentent dans les +applications mécaniques. + +Mais c'est surtout dans l'obtention de la plupart des tables numériques +et de tous les barèmes que l'on trouve dans le commerce de la librairie +que l'arithmomètre de M. Thomas eût pu rendre de précieux services. Par +exemple, la table de multiplication dressée par ordre du ministre de la +marine et des colonies, imprimée par Didot jeune, en l'an VIII, aurait +été dictée avec cette machine infiniment plus vite qu'on eût pu +l'écrire, puisque chaque tour de manivelle en eût fourni un des nombres. +Il en serait de même de tous les tarifs que l'on aurait à calculer ou à +vérifier. + +La table des carrés des nombres 1, 2, 3, 4, 5, etc., eût pu aussi être +dictée avec une vitesse extrême, puisqu'en _moins de trois minutes_ M. +Benoît, l'un des savants fondateurs de l'École centrale des arts et des +manufactures, a fait écrire dans les lucarnes de la machine les +_cinquante carrés_ 240281001, 240312004, 240343009, 240374016, etc., à +241803500, des nombres 15501, 15502, 15503, 15504, etc., à 15550. + +La table des cubes aurait pu être dictée avec la même facilité. + +L'arithmomètre n'est pas seulement applicable à certaines interpolations +numériques, il l'est encore à la solution de beaucoup de problèmes par +des tâtonnements ou essais successifs qui conduisent assez rapidement à +un résultat aussi approché qu'on le désire. L'extraction des racines 4e, +5e, 6e, etc., d'un nombre donné est dans ce cas. + +M. Benoît l'a appliqué au calcul de la formule d'Arago et Dulong, + + _p = 1,033 (0,2847 + 0,007155 t)^5_, + +donnant la pression _p_ de vapeur sur une surface de 1 centimètre carré, +en fonction de sa température _t_. + +Pour _t_ = 128°,8, il l'a conduit, en _cinq minutes_, à _p_ = 2 kil. +6382267345, et pour _t_ = 265°,89 à _p_ = 51 kil. 690472436. Au lieu de +ces valeurs _exactes_, on lit respectivement dans les tables ordinaires, +les nombres 2 kil. 582 et 51 kil. 650 qui en diffèrent sensiblement. + +«L'arithmomètre coûte 300 fr., a dit, dans _les Annales des ponts et +chaussées_, le savant ingénieur en chef dont nous avons déjà parlé, M. +Lemoyne; c'est trente fois plus que ne coûte une table des logarithmes. +Cette proportion considérable est cependant dépassée de beaucoup, si on +évalue l'utilité pratique des deux choses. J'ai à ma disposition des +tables de logarithmes et un arithmomètre. C'est tout au plus si trois ou +quatre fois par an je me sers des tables, tandis que c'est trois ou +quatre fois par semaine que j'emploie l'arithmomètre. Le rapport +d'utilité serait, d'après cette expérience personnelle, d'environ 1 à +50.» + +Le même savant, refusant de mettre en doute l'avenir réservé à la grande +découverte de M. Thomas de Colmar, s'exprime à ce sujet dans les termes +que voici: + +«Il y a des milliers d'ignorants pour qui la machine à calcul vaut mieux +que les logarithmes destinés aux savants. On ne peut donc pas douter, +même en réduisant beaucoup, que la popularité de l'arithmomètre, s'il +était connu, serait dix fois celle des tables. Or, il y a bien +actuellement en France 100,000 exemplaires des tables de logarithmes. Il +pourrait donc y avoir à ce compte un million d'arithmomètres. Ce nombre, +si colossal qu'il soit, n'a rien d'extraordinaire, lorsque l'on examine +l'étonnante propagation des montres et horloges; c'est à peu près 10 +millions qui sont actuellement en service en France, et si l'on remonte +à quatre siècles, une horloge était un appareil cher et rare, qu'on ne +ne voyait que dans les palais des souverains. + +»Quittons ces nombres, réels pour l'avenir, mais fantastiques pour le +présent; disons que si l'arithmomètre pouvait parvenir seulement à se +répandre à 10,000 exemplaires, on pourrait le construire pour moins de +100 fr. au lieu de 300 qu'il coûte actuellement. Réciproquement, dès +qu'on pourrait le livrer au prix de 100 fr., on aurait bientôt des +commandes pour en exécuter au moins 10,000. + +»De la rareté actuelle de l'arithmomètre, nous ne concluons rien de +défavorable à sa propagation future. On trouvera peut-être que ma +comparaison de l'arithmomètre aux horloges manque d'exactitude, parce +que le besoin d'une machine à montrer l'heure est d'un autre ordre que +celui d'une machine à calculer. Je crois que celui qui aurait parlé +d'horloges avant leur grande vulgarisation, se serait fait dire que l'on +s'en passait fort bien, que c'était un petit besoin; enfin que, comme +cette mécanique devait coûter cher, elle ne se répandrait pas. Nos +perfectionnements de sociabilité ne tendent-ils pas, d'ailleurs, sans +pour cela nuire à l'idéal et au poétique de l'existence, à introduire de +plus en plus le calcul précis dans les habitudes de tous. Peut-être +qu'avant un siècle chacun tiendra des livres de comptabilité.» + +Les exemples et les témoignages que nous venons de citer nous dispensent +évidemment d'énumérer les services que l'arithmomètre est appelé à +rendre au monde commercial, industriel et financier, aux grandes +administrations, etc. Qui peut plus peut moins; si l'arithmomètre +exécute avec une infaillibilité absolue les calculs les plus compliqués +de la science, à plus forte raison exécute-t-il toutes les opérations +arithmétiques usitées dans le commerce, la banque, etc. + +L'arithmomètre considéré comme difficulté vaincue n'humilie point la +science, car M. Thomas de Colmar est un savant d'un ordre élevé et s'est +servi de la science pour résoudre le grand problème qui jusqu'ici avait +résisté aux recherches de la science; mais l'arithmomètre est l'oeuvre +d'un homme qui n'appartient pas à la science constituée en corps, à la +science officielle, et, par cette raison, la science officielle n'est +pas directement intéressée à user de tout son crédit et de tous ses +moyens pour mettre en relief la valeur scientifique de la découverte de +M. Thomas de Colmar. + +L'arithmomètre, considéré au point de vue de l'utilité pratique, se +trouve en présence de deux inerties, de deux résistances à vaincre. + +Ces deux inerties, ces deux résistances sont: l'incrédulité d'abord, la +routine ensuite. + +Les nombreuses machines qui peuplent nos ateliers et nos manufactures +sont, à la vérité, animées; elles ont des bras, des mains, des doigts, à +l'aide desquels elles exécutent des travaux plus ou moins compliqués; +mais ces travaux ne sont que le résultat de l'intelligence directe; ils +sont suivis, prévus; ils ont eu le même point de départ, ils suivent +constamment la même voie, ils arrivent toujours au même but. + +Les machines existantes, voulons-nous dire, ne font qu'exécuter le +travail qui leur a été tracé; elles ont des membres qui obéissent +docilement aux ordres précis que l'homme leur a donnés; mais elles ne +font que cela, elles ne raisonnent pas, elles n'ont pas de cerveau qui +leur soit propre, en un mot. + +L'arithmomètre, lui, semble avoir reçu plus que des membres, plus que +des organes dociles à une inspiration extérieure; l'arithmomètre est, si +nous pouvons nous exprimer ainsi, comme doué d'une véritable +intelligence, car ses opérations sont de l'ordre de celles qu'on appelle +réfléchies. + +On nous pardonnera l'exagération des termes dont nous nous servons, si +l'on veut bien remarquer qu'il s'agit ici d'une machine d'un ordre tout +nouveau, c'est-à-dire d'une machine qui, au lieu de reproduire tout +simplement les opérations de l'intelligence de l'homme, épargne à cette +intelligence le soin de faire ces opérations; d'une machine qui, au lieu +de répéter des réponses qui lui ont été dictées; dicte, au contraire, +elle-même, instantanément, à l'homme qui l'interroge, les réponses qu'il +doit se faire. + +La découverte d'une simple machine, d'une machine intelligente, comme M. +Lemoyne qualifie l'arithmomètre, est un événement d'une nature trop +exceptionnelle, pour que le public puisse ajouter foi de prime abord à +la réalité des merveilleux résultats produits par le petit coffret de M. +Thomas de Colmar. + +Cette incrédulité sera cependant plutôt vaincue que la routine, parce +que celle-ci sera nécessairement fortifiée dans son inertie et son +indifférence par les intérêts que l'emploi de l'arithmomètre devra +froisser. + +Toutes les améliorations, en effet, tous les progrès ne se réalisent +malheureusement qu'à ce prix: blesser quelques hommes dans leurs +intérêts. L'arithmomètre causera sans doute énormément moins de +préjudice aux personnes qui, dans le commerce, dans la banque, dans les +administrations publiques, ont pour occupation spéciale le travail des +chiffres, que n'en causèrent l'invention de l'imprimerie aux écrivains +copistes, l'invention du métier à bas aux tricoteuses, l'invention des +mull-jenny aux fileuses, etc.; cependant il est évident que la rapidité +et l'infaillibilité avec lesquelles l'arithmomètre permet à chacun de +faire les calculs les plus longs et les plus difficiles, amoindriront +sensiblement l'importance des calculateurs de profession. + +Nous avons dit, vers le commencement de ce travail, que M. Thomas de +Colmar avait compris dès 1822, aussitôt qu'il eut inventé +l'arithmomètre, que sa découverte était de la nature de celles qui ne +laissent guère espérer à leurs auteurs qu'une gloire posthume, si ces +auteurs ne disposent pas de moyens qui leur permettent de mettre ces +découvertes en relief et de les populariser. + +De longues années de travail ont mis ces moyens dans les mains de M. +Thomas de Colmar, en même temps qu'elles lui ont permis de donner à son +arithmomètre primitif des perfectionnements tels qu'il semble +aujourd'hui impossible soit d'en rien retrancher, soit d'y ajouter +quelque chose. + +L'exemplaire qu'il a mis à l'Exposition universelle de l'industrie, +permettant de calculer avec 32 chiffres à la fois pour additionner, +soustraire, multiplier, diviser, etc., et pouvant opérer avec une +vitesse telle que plusieurs écrivains se partageant les chiffres ne +pourraient le suivre, donne une sorte de vertige à la raison quand on le +voit fonctionner. + +Pour la gloire attachée aux machines de toutes les sortes, des noms plus +ou moins nombreux se présentent et en revendiquent des parts plus ou +moins considérables. L'un a inventé le principe, un autre en a fait la +première application, un troisième a introduit tel ou tel +perfectionnement, etc. Il en est ainsi pour la machine à vapeur, ainsi +pour les machines de filature et de tissage, ainsi pour la locomotive et +le bateau à vapeur, ainsi pour les presses d'imprimerie, ainsi pour tous +les outils de travail: machines pour percer, pour aléser, pour raboter +les métaux, etc.; ainsi pour les machines agricoles, ainsi pour la +télégraphie privée, ainsi pour l'électro-chimie, l'électro-plastie, etc. + +M. Thomas de Colmar n'a à partager avec personne la gloire d'avoir conçu +et exécuté l'arithmomètre. + +Parmi les créations dont le génie de l'homme s'enorgueillit le plus, +n'en est-il pas quelques-unes, n'en est-il pas plusieurs dont le +principe a été trouvé sans être cherché, et dont, par conséquent, le +hasard a été l'auteur bien plus que le génie de l'homme? + +Les anciens savaient que la vapeur est une force. Est-ce qu'ils +s'avisèrent jamais de rechercher quel homme avait le premier remarqué +que l'eau, à l'état d'ébullition, chasse violemment l'obstacle qui ferme +le vase dans lequel elle est contenue ou fait éclater ce vase lui-même? +Non, sans doute, parce que cette découverte de la puissance de la vapeur +dut être faite presque aussitôt que l'homme se servit d'un vase pour +faire bouillir un liquide. + +Ces mêmes anciens regardèrent-ils comme une conception venant du génie +l'éolipyle de Héron? Non, parce que le hasard, c'est-à-dire la vue d'un +vase rempli d'eau bouillante s'échappant en partie par une fente +existant sur le côté de ce vase et le faisant tourner sur la chaîne qui +le tenait suspendu, avait suggéré à Héron l'idée de son éolipyle. Des +observations analogues et tout aussi incontestablement justes pourraient +être faites sur l'électricité. Il est hors de doute, en effet, que ni +l'électricité par pression, ni l'électricité par frottement, ni +l'électricité par la chaleur, ni l'électricité par contact n'ont été +cherchées; car on ne cherche évidemment pas une chose dont on n'a pas +l'idée. Il suffit, d'ailleurs, de savoir comment se produisent ces +diverses électricités, pour être forcé de reconnaître que les phénomènes +électriques ont dû se présenter à l'attention de l'homme, pour ainsi +dire, dès l'origine de la société. + +Le mérite des modernes, en ce qui concerne ces phénomènes, c'est de les +avoir pris au sérieux et d'avoir cherché à les étendre et à en faire des +applications utiles, au lieu de les ranger, comme avaient fait les +anciens, au nombre des faits curieux, à la vérité, mais n'ayant ni +portée scientifique, ni valeur utilisable. + +En parlant comme nous allons le faire, nous irons peut-être nous choquer +contre des opinions contraires à notre manière de reconnaître les signes +par lesquels se manifestent les oeuvres du génie; mais ce n'est pas +notre faute si de trop grandes complaisances ont tellement perverti +notre langue, qu'elle semble avoir besoin d'un nouveau tenue pour +exprimer ce qu'on entendait autrefois par le mot génie. + +Le génie est tout autre chose que la raison réfléchie, que +l'imagination, que l'esprit d'observation, que le talent, que la science +acquise. Le génie se sert, selon les circonstances, de ces facultés et +de ces forces; mais il s'en sert comme d'autant d'instruments +auxiliaires, et rien de plus, tant il est vrai de dire qu'il les domine +et leur est supérieur par sa nature. + +À quels signes donc distinguer les oeuvres qui appartiennent au génie de +celles qui ne lui appartiennent pas? + +La réponse la plus juste que l'on puisse, selon nous, faire à cette +question, c'est de dire: + +Le génie ne revendique comme siennes que les oeuvres que lui seul peut +faire; ne sont, par conséquent, pas des oeuvres de génie celles qui +peuvent être faites par la raison, par l'imagination et par la science, +agissant isolément ou se prêtant un mutuel appui. + +Sans doute la raison, l'imagination et la science arrivent quelquefois à +faire des oeuvres telles que l'on est tenté de se demander s'il faut les +leur attribuer ou en faire honneur au génie; mais ces oeuvres mixtes, si +nous pouvons appeler ainsi celles sur lesquelles le génie a laissé +tomber quelques-uns de ses rayons, forment précisément la ligne de +séparation qui nous facilite la comparaison des travaux de la raison, de +l'imagination et de la science avec les créations du génie. + +Comme la puissance mystérieuse d'où naissent les éclairs et la foudre, +le génie a ses moments de calme et de repos; mais, de même que le +merveilleux fluide n'abandonne jamais l'atmosphère, de même aussi le +génie ne cesse jamais, soit sous une forme, soit sous l'autre, de +manifester sa présence chez celui à qui le ciel l'a donné. + +Nous cherchons la différence qui existe entre les inspirations de +l'homme de génie et celles des intelligences ordinaires. Eh bien, nous +venons d'indiquer implicitement cette différence, en disant que le génie +n'abandonne pas plus celui qui l'a reçu que l'électricité n'abandonne +l'atmosphère. Les inspirations, parfois heureuses, des intelligences +ordinaires, sont passagères, fugitives, épuisent leur source en +naissant; celles de l'homme de génie, au contraire, se succèdent et se +multiplient au gré de celui qui les dirige, parce que le réservoir d'où +elles sortent est inépuisable. + +La durée, la succession, la variété dans la force des inspirations, +voilà, disons-nous, ce qui distingue le génie de ce qu'on appelle les +éclairs de génie. + +C'est parce que le génie possède seul une force de cette nature qu'il +peut seul produire des oeuvres qui soient à la fois dignes d'exciter +l'admiration et propres à la conserver. + +Mais les hommes doués de génie ne possèdent pas à un égal degré cette +rare faculté. Il y a des génies d'un ordre plus ou moins élevé, des +génies qui sont plus ou moins puissants. Comment les classer? + +Comment les classer! Voyez leurs oeuvres; cherchez à savoir combien +d'hommes se sont efforcés d'en faire de semblables, sans pouvoir y +réussir; étudiez la valeur intellectuelle de ces chercheurs ou de ces +imitateurs malheureux, et vous aurez la mesure du génie de l'homme à qui +vous voulez assigner le rang qui lui est dû. + +Voulez-vous, par exemple, avoir la mesure du génie d'Homère? Mettez en +présence de l'_Iliade_, l'_Énéide_ de Virgile, la _Pharsale_ de Lucain, +la _Jérusalem délivrée_ du Tasse, le _Paradis perdu_ de Milton, la +_Lusiade_ de Camoëns, la _Messiade_ de Klopstock, la _Henriade_ de +Voltaire, et tous les découragements dont se sont sentis frappés devant +le chef-d'oeuvre du chantre d'Ilion des milliers de poëtes dont le poëme +épique fut toujours la suprême ambition; faites cette comparaison, +disons-nous, et vous saurez ce que vaut le génie d'Homère. + +Si nous voulons de même savoir de quelle sorte de génie il a fallu être +doué, et quelle somme de génie il a fallu dépenser pour créer +l'arithmomètre, nous n'avons qu'à faire une comparaison analogue à celle +qui précède, c'est-à-dire, passer la revue de tous les grands hommes qui +ont vainement tenté de résoudre le problème dont la solution a été si +magnifiquement trouvée par M. Thomas de Colmar. + +Lorsque, dans cette revue de chercheurs malheureux, viennent se +présenter des noms tels que ceux de Thalès, de Pythagore, d'Archimède, +de Gerbert, d'Albert le Grand, de Roger Bacon, de Blaise Pascal, de +Poleni, de Leupold, de Leibnitz, de Clairaut, etc., on n'ose plus dire, +de peur de paraître flatteur, quelle place mérite l'auteur de +l'arithmomètre parmi les intelligences d'un ordre supérieur, surtout +quand on songe que les récompenses qu'il a reçues dans son pays semblent +le classer parmi les inventeurs d'un ordre ordinaire. + +Voici, en effet, quelles ont été jusqu'à présent les récompenses qu'a +values à M. Thomas de Colmar la merveilleuse création sur laquelle nous +n'avons plus rien à dire. + +En 1822, la Société d'encouragement pour l'industrie nationale approuva +sa machine à calculer, et accompagna son approbation des compliments les +plus expressifs. + +À l'Exposition de l'industrie nationale de 1849, l'arithmomètre valut à +son auteur une médaille d'argent. + +En 1851, l'arithmomètre fut récompensé d'une médaille d'or par la +Société d'encouragement pour l'industrie nationale. + +En 1851 encore, à l'Exposition universelle de Londres, le jury français +fit décerner une médaille de prix à M. Thomas de Colmar. + +En avril 1852, le président de la république, aujourd'hui empereur des +Français, lui fit présent d'une magnifique tabatière en or, ornée de son +chiffre. + +En 1854, l'Académie des Sciences a donné sa haute approbation à +l'arithmomètre, et l'a admis pour le concours de mécanique de 1855. + +En 1854 encore, le directeur de l'Observatoire a officiellement adressé +des félicitations à M. Thomas de Colmar. + +Voilà tout ce qu'a valu, en France, l'arithmomètre à son auteur. + + * * * * * + +La croix d'honneur dont est décoré M. Thomas ne lui vient point, en +effet, de son arithmomètre, qui n'avait pas encore été inventé +lorsqu'elle lui fut décernée, mais de ses services comme employé +supérieur de l'administration des armées sous l'empire. + +Des récompenses telles que celles dont nous avons fait l'énumération +sont très-honorables par elles-mêmes, sans doute; mais, qu'on nous +permette cette expression, elles ont été préjudiciables à M. Thomas de +Colmar. + +Qu'est-ce, au fond, qu'une récompense donnée à un inventeur par +l'Académie des sciences, par la Société d'encouragement, par un jury +d'exposition, par le chef de l'État? Est-ce que le public ne regarde pas +les récompenses venues de ces sources comme étant la mesure +approximative de l'importance des découvertes auxquelles ces récompenses +s'appliquent? + +Il est donc vrai de dire qu'aux yeux du public l'arithmomètre ne peut +aujourd'hui valoir que ce que valent les récompenses accordées à +l'inventeur de cette machine. + +Or, que valent ces récompenses, ou plutôt quelle idée donnent-elles de +l'invention de M. Thomas? + +L'idée naturelle, logique, qu'elles en donnent, c'est que l'arithmomètre +a tout simplement une valeur analogue à celle des inventions et des +oeuvres dont les auteurs sont récompensés comme l'a été M. Thomas de +Colmar. + +Il suffit de savoir combien sont nombreux les travaux dont les auteurs +ont été récompensés comme l'a été M. Thomas de Colmar, pour pouvoir +comprendre que nous avons eu raison de dire que les récompenses reçues +par l'inventeur de l'arithmomètre lui sont véritablement préjudiciables. + +Insister sur ce point serait inutile. Il est de toute évidence, en +effet, que des récompenses d'un ordre commun, lorsqu'elles sont +décernées à des travaux d'un ordre élevé, déprécient ces travaux, les +font descendre à un niveau qui n'est pas le leur, leur assignent dans +l'opinion publique un rang inférieur à celui qui leur est dû. + +Ici se présente une question délicate: Pourquoi l'arithmomètre, passant +devant quatre jurys officiels: Exposition de l'industrie de 1849, +Société d'encouragement pour l'industrie nationale en 1851, Exposition +universelle de Londres, Académie des sciences en 1854, n'a-t-il obtenu +la plus haute récompense dont disposaient ces jurys qu'à la Société +d'encouragement? + +Ne pouvant répondre catégoriquement à cette question, sans aborder un +ordre de faits qu'il nous convient de laisser à l'écart, nous nous +contenterons de dire que M. Thomas ne doit, en grande partie, attribuer +qu'à lui-même les erreurs de jugement qui l'ont privé, jusqu'ici, de +jouir de la gloire à laquelle lui donne de si légitimes droits la +création de son admirable machine. + +Après avoir travaillé près de trente ans à perfectionner l'intelligence, +si nous pouvons parler ainsi, de cette fille de son génie, M. Thomas +crut tout naïvement qu'il suffisait que l'arithmomètre fonctionnât +quelques minutes devant une commission, devant le rapporteur d'une +commission, pour que la valeur scientifique de cet instrument pût être +appréciée par cette commission, par ce rapporteur. + +M. Thomas de Colmar, en présentant son arithmomètre à l'Exposition de +l'industrie de 1849, oublia que, pour être compris et apprécié, cet +instrument avait besoin d'être expliqué; il oublia surtout de faire +entendre à la commission d'examen, ou plutôt au rapporteur de cette +commission, que l'arithmomètre est encore plus un principe qu'il n'est +une machine, c'est-à-dire que la découverte du principe de l'instrument +représente seule la grande difficulté vaincue, et que la machine +elle-même ne représente que le côté secondaire de l'arithmomètre. + +À l'Exposition universelle de Londres, les membres du jury français qui +demandèrent au jury international une récompense pour l'auteur de +l'arithmomètre étaient les mêmes qui lui avaient fait décerner une +médaille d'argent à l'Exposition française de 1849. Ils ne pouvaient +naturellement pas solliciter pour M. Thomas de Colmar une récompense +plus élevée que celle qu'ils lui avaient accordée eux-mêmes. M. Thomas +ne reçut donc du jury international qu'une médaille de prix. + +Présenté en 1854 à l'Académie des sciences, l'arithmomètre fut renvoyé à +l'examen d'une commission qui choisit pour rapporteur l'auteur du +rapport de l'Exposition de l'industrie de 1849, auteur également du +rapport à la suite duquel l'arithmaurel avait obtenu le prix de +mécanique de la fondation Montyon. + +L'auteur de tous ces rapports se trouvait vis-à-vis de lui-même et +vis-à-vis de l'Académie dans une position qui n'était pas exempte +d'embarras. Sur son rapport, l'Académie avait, quelque temps auparavant, +accordé le prix de mécanique à une machine dont l'organe principal était +le même que celui de l'arithmomètre, inventé, publié depuis de longues +années. + +S'il ne s'était agi que de son propre jugement, l'honorable M. Mathieu +aurait certainement proclamé les droits de priorité de M. Thomas d'une +manière plus claire et plus expressive; mais il s'agissait aussi d'un +jugement de l'Académie, et le savant rapporteur ne crut pas pouvoir, en +parlant de l'arithmomètre, aller au delà des expressions qui suivent: + +«L'idée du cylindre cannelé se retrouve dans cette machine nommée +arithmaurel, construite POSTÉRIEUREMENT par MM. Maurel et Jayet, et pour +laquelle ils ont obtenu le prix de mécanique de la fondation Montyon.» + +_Postérieurement!_ Si ce mot, dont M. Mathieu et ses savants collègues +ont bien connu la portée, n'était pas aux yeux de M. Thomas un hommage +assez explicitement rendu à ses droits de priorité, M. Thomas serait, en +vérité, trop exigeant. + +La priorité du principe, l'antériorité dans l'invention de l'organe +principal, voilà la gloire de M. Thomas de Colmar; il serait puéril de +sa part de vouloir disputer aux mécaniciens et aux industriels à qui il +conviendra de construire des machines arithmétiques d'après son +principe, leurs succès dans les modifications qu'ils pourront faire aux +organes fondamentaux de l'arithmomètre. Ainsi que l'a dit lui-même M. +Thomas, le principe des retenues et l'organe fondamental étant trouvés, +la machine à calculer peut être construite de vingt, de cent manières +par le premier mécanicien venu. + +Le premier mécanicien venu pourra tout aussi facilement faire écrire par +l'arithmomètre tous les chiffres, tous les calculs qu'il faut +aujourd'hui copier sur la tablette de l'instrument. + +L'arithmomètre, à peu près inconnu en France, et n'y ayant valu à son +auteur que des récompenses d'un ordre ordinaire, a déjà obtenu au dehors +des succès qui ne surprennent nullement ceux qui connaissent l'admirable +instrument, mais qui étonneront grandement, nous en sommes sûrs, les +lecteurs de cet écrit. + +Au mois de décembre 1851, S. A. le bey de Tunis envoya à M. Thomas de +Colmar son Nichan en diamants de deuxième classe, qui correspond au +grade de commandeur. + +En mai 1852, S. M. le roi des Deux-Siciles le nomma chevalier de son +ordre de François Ier. + +En août 1852, S. M. le roi des Pays-Bas lui envoya le brevet de +chevalier de la Couronne de Chêne. + +En décembre 1852, S. A. R. le duc de Nassau lui fit remettre une bague +en diamants avec le chiffre du prince. + +En mai 1853, S. S. le pape Pie IX l'éleva au grade de commandeur de son +ordre de Saint-Grégoire le Grand. + +En décembre 1853, il fut anobli à perpétuité de mâle en mâle, par +lettres-patentes de S. A. I. le grand-duc de Toscane. + +En juillet 1854, S. M. le roi de Sardaigne le nomma chevalier de son +ordre royal des SS. Maurice et Lazare. + +Cette liste et les dates de ces distinctions disent quel empressement +l'étranger a mis à donner au créateur de l'arithmomètre de glorieuses +compensations de l'oubli de ses concitoyens; mais il ne faut pas croire +que l'arithmomètre n'ait été apprécié que dans les pays dont les +souverains ont honoré M. Thomas des distinctions que nous venons +d'indiquer. Les chaleureuses félicitations qui lui arrivaient de toutes +les parties de l'Allemagne et du Nord, avant les graves événements qui +sont venus en 1854 troubler le repos de l'Europe, nous autorisent à +supposer, à dire que M. Thomas de Colmar ferait aujourd'hui partie de +presque toutes les chevaleries de l'Europe, si la marche de ces +événements n'était pas venue détourner l'attention des souverains des +choses qui appartiennent aux arts de la paix. + +M. Thomas de Colmar sait à quoi l'obligent les hautes récompenses que +nous avons énumérées ci-dessus, et celles qui l'attendent, aussitôt que +la pacification de l'Europe sera accomplie. + +Les ateliers où se construisent ses arithmomètres n'ont guère travaillé +jusqu'à ce jour que pour les grandes académies d'Europe et les grandes +maisons de banque de Paris ou de quelques autres capitales. Ils +travailleront désormais pour les facultés, pour les colléges, pour les +séminaires, pour les écoles, pour les commerçants, pour les industriels, +pour les ingénieurs de tous les ordres, pour quiconque, en un mot, veut +enseigner la science des nombres sans fatigue, ou faire pour ses propres +besoins, et pour ainsi dire en s'amusant, tous les calculs qui se font +avec tension d'esprit et perte énorme de temps. Assez riche pour payer +sa gloire, M. Thomas de Colmar, qui a déjà dépensé des sommes si +considérables pour perfectionner son arithmomètre, a résolu d'en +sacrifier de plus considérables encore pour le propager, pour le +populariser, pour le mettre, en un mot, à la portée des bourses les plus +modestes. + + * * * * * + +Ne voulant pas préjuger l'avenir réservé à l'arithmomètre, nous +terminons ici ce travail; mais, n'ayant encore rien dit des motifs qui +nous ont porté à l'entreprendre, le lecteur trouvera bon sans doute que +nous réparions en quelques mots notre omission. + +Nous nous sommes assurément proposé de mettre en relief la grande +découverte de M. Thomas de Colmar, et de bien constater les droits +exclusifs de notre pays à une gloire que tous les peuples et tous les +siècles ont vainement ambitionnée; mais nous n'aurions atteint notre but +que par ses points secondaires, si cet écrit devait avoir pour unique +résultat de démontrer qu'en s'immortalisant par une création de l'ordre +le plus élevé, M. Thomas de Colmar a ajouté à la couronne de nos gloires +l'un de ses rayons les plus brillants. + +La grande démonstration que nous désirerions avoir faite, c'est celle de +la nécessité de l'institution d'un grand jury, ayant pour mission +unique, incessante, de rechercher dans les lettres, dans les sciences, +dans les arts et dans l'industrie, les conceptions, les inspirations, +les oeuvres marquées du sceau du génie, propres à donner à notre pays +gloire ou profit. + +Ce n'est pas ici que nous pouvons dire comment devrait être organisé ce +grand jury pour pouvoir fonctionner utilement; mais nous affirmons avec +assurance que, s'il eût existé tel que nous le concevons, il y a trente +ans seulement, Philippe de Girard ne serait pas allé manger le pain de +l'exil, Sauvage ne serait pas devenu fou de misère, M. Thomas de Colmar +ne serait pas resté inconnu depuis 1822. + +Le jury dont nous parlons est une chose nouvelle! Mais n'est-ce donc pas +une chose nouvelle aussi que de voir la célébrité, la gloire, s'acheter +à prix d'argent, se tarifer comme la plus vile des marchandises? + +Un jury tel que celui que nous avons en vue était inutile dans le temps +où la Renommée avait un temple et parcourait les airs la trompette +sacrée à la main. Il est devenu une nécessité depuis que la noble +déesse, métamorphosée en marchande vulgaire, s'est assise à un comptoir +d'annonceur et y vend la célébrité et la gloire à tant la ligne. + + +FIN. + + + + + + +End of the Project Gutenberg EBook of Histoire des nombres et de la +numération mécanique, by Jacomy-Régnier + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK HISTOIRE DES NOMBRES *** + +***** This file should be named 27936-8.txt or 27936-8.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + https://www.gutenberg.org/2/7/9/3/27936/ + +Produced by Laurent Vogel and the Online Distributed +Proofreading Team at https://www.pgdp.net (This book was +produced from scanned images of public domain material +from the Google Print project.) + + +Updated editions will replace the previous one--the old editions +will be renamed. + +Creating the works from public domain print editions means that no +one owns a United States copyright in these works, so the Foundation +(and you!) can copy and distribute it in the United States without +permission and without paying copyright royalties. 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Thus, we do not necessarily +keep eBooks in compliance with any particular paper edition. + + +Most people start at our Web site which has the main PG search facility: + + https://www.gutenberg.org + +This Web site includes information about Project Gutenberg-tm, +including how to make donations to the Project Gutenberg Literary +Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to +subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks. diff --git a/27936-8.zip b/27936-8.zip Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..db2b29f --- /dev/null +++ b/27936-8.zip diff --git a/27936-h.zip b/27936-h.zip Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..a556035 --- /dev/null +++ b/27936-h.zip diff --git a/27936-h/27936-h.htm b/27936-h/27936-h.htm new file mode 100644 index 0000000..a9f66b1 --- /dev/null +++ b/27936-h/27936-h.htm @@ -0,0 +1,3899 @@ +<!DOCTYPE html PUBLIC "-//W3C//DTD XHTML 1.0 Strict//EN" + "http://www.w3.org/TR/xhtml1/DTD/xhtml1-strict.dtd"> + +<html xmlns="http://www.w3.org/1999/xhtml" lang="fr" xml:lang="fr"> +<head> + <meta http-equiv="content-type" content="text/html; charset=ISO-8859-1" /> + <title>The Project Gutenberg ebook of Histoire des nombres et de la numération mécanique, by Jacomy-Régnier.</title> + <link rel="coverpage" href="images/cover.jpg" /> +<style type="text/css"> + +h1 { text-align: center; line-height: 2em; margin-top: 2em; } +h2 { text-align: center; line-height: 1.5em; margin: 4em 0 2em 0; } +.c { text-indent: 0; text-align: center; line-height: 1.5em; } +.noindent { text-indent: 0; } +p { text-align: justify; text-indent: 1.5em; margin: .4em 0; line-height: 1.2em; } + +.sc { font-variant: small-caps; } +.small { font-size: 80%; } +.large { font-size: 140%; } + +hr { width: 30%; margin: 1em 35%; } + +.t1 { border-top: 1px solid black; } +.t8 { border-bottom: 1px solid black; } +table, td { border-collapse: collapse; margin: .5em auto; } +td { vertical-align: middle; } +.pagenum { + position: absolute; + left: 94%; + font-size: smaller; font-style: normal; + text-align: right; +} +.hidden { display: none; } +.figc { text-align: center; margin: 2em 0; } + +@media screen { + body { margin: 0 auto; width: 80%; max-width: 40em; } +} + +@media handheld { + body { margin: 0 0; width: 100%; } + .chapter { page-break-before: always; } + .nobreak { page-break-before: avoid; } +} + +</style> +</head> +<body> + + +<pre> + +The Project Gutenberg EBook of Histoire des nombres et de la numération +mécanique, by Jacomy-Régnier + +This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with +almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org + + +Title: Histoire des nombres et de la numération mécanique + +Author: Jacomy-Régnier + +Release Date: January 30, 2009 [EBook #27936] + +Language: French + +Character set encoding: ISO-8859-1 + +*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK HISTOIRE DES NOMBRES *** + + + + +Produced by Laurent Vogel and the Online Distributed +Proofreading Team at https://www.pgdp.net (This book was +produced from scanned images of public domain material +from the Google Print project.) + + + + + + +</pre> + +<h1>HISTOIRE<br /> +<span class="large">DES NOMBRES</span><br /> +<span class="small">ET</span><br /> +DE LA NUMÉRATION MÉCANIQUE</h1> + +<p class="c large"><span class="sc">Par</span> JACOMY-RÉGNIER.</p> + +<div class="figc"><img src="images/a.png" alt="" /></div> +<p class="c large">PARIS</p> + +<p class="c">IMPRIMERIE ET LIBRAIRIE CENTRALES DE NAPOLÉON CHAIX ET C<sup>e</sup>.<br /> +<span class="small">RUE BERGÈRE, 20.</span></p> + +<p class="c">1855</p> + +<div class="chapter"></div> + + +<h2 class="nobreak">I</h2> + + +<p>Nés au sein d'une civilisation héritière de toutes les +richesses morales, intellectuelles et matérielles dont les +siècles se sont transmis le dépôt, dépôt incessamment +accru par le travail de chacun d'eux, nous jouissons de +tout ce qui nous entoure avec une insouciance qui est +une véritable ingratitude, ou avec un orgueil qui est +une injustice flagrante. Qui de nous, en lisant l'histoire +des Gaulois et des Francs, ne s'est cru doué d'une intelligence +supérieure à celle de ces vieux aïeux? Qui +<span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p6" id="p6">6</a></span><span class="hidden">)</span> +de nous, en lisant les récits des voyageurs qui ont visité +des peuples restés étrangers à la marche du progrès +humain à travers les âges, n'a pris en pitié la faiblesse +d'esprit de ces peuples et ne les a supposés d'une nature +inférieure à la nôtre?</p> + +<hr /> + + +<p>Nous estimons, avec raison, que l'homme qui est +quelque chose par lui-même est infiniment plus digne +de considération que celui qui a reçu tout faits et son +nom et sa fortune. Si nous étions conséquents avec +nous-mêmes, nous tiendrions compte, avant de nous +placer au-dessus de nos pères et des peuples encore +barbares, nous tiendrions compte, disons-nous, des +matériaux, des instruments, des forces que nous avons +reçus gratuitement, qui ne sont pas notre œuvre, et qui +ont manqué à nos pères, comme ils manquent aux peuples +pour lesquels nous avons de si superbes dédains.</p> + +<p>Ces matériaux, ces instruments, ces forces, nous +paraissent les choses les plus simples du monde; les +ayant trouvées toutes faites nous ne nous sommes jamais +demandé si leur découverte n'a pas dû exiger des efforts +de génie dignes d'être admirés; ayant ainsi toujours +joui des travaux exécutés par nos devanciers dans le +cours des siècles, sans chercher à en apprécier la valeur, +nous semblons croire que tout ce que nous voyons +a toujours été tel que nous l'avons trouvé en naissant.</p> + +<p>Combien nous serions plus justes envers le passé, si, +faisant un instant, par la pensée, table rase de tout ce +qui nous entoure, et nous efforçant d'oublier les mille +<span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p7" id="p7">7</a></span><span class="hidden">)</span> +notions et connaissances que nous avons puisées au +sein de notre civilisation, nous nous supposions ramenés +au point de départ des premières sociétés! Combien +nous parlerions avec plus de modestie des conquêtes +que notre intelligence ajoute chaque jour à celles que +les siècles nous ont léguées, si nous nous rendions bien +compte de la nature de ces conquêtes, et si surtout nous +voulions bien nous dire que nous ne les faisons qu'avec +le secours d'armes qui ne sont pas notre ouvrage!</p> + +<hr /> + + +<p>Ayant trouvé existants et portés au plus haut degré +de perfection tous les arts nécessaires, l'art de nous +nourrir, l'art de nous vêtir, l'art de nous loger, l'art +de nous défendre, etc., et n'ayant plus d'autre souci +que celui de multiplier nos jouissances, est-il donc bien +étonnant que nous ayons eu, nous aussi, quelques heureuses +inspirations, et que nos luttes, soit contre la +matière, soit contre l'inconnu, n'aient pas été moins +fécondes que celles des siècles pour lesquels le travail +de l'esprit était, comme pour le nôtre, un besoin?</p> + +<p>Une seule chose serait étonnante: c'est que, rien ne +nous manquant, ni la matière, ni les instruments, ni +la science, nous eussions remué tout cela pendant un +demi-siècle, sans pouvoir en faire sortir quelques +créations dignes de recommander notre mémoire à nos +neveux.</p> + +<p>Nous sommes fiers de tout ce qui nous entoure, et +quand nous avons comparé, non pas précisément notre +littérature et nos sciences, mais nos arts divers avec +<span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p8" id="p8">8</a></span><span class="hidden">)</span> +ceux des âges antérieurs, nous croyons avoir, en effet, +le droit de placer notre siècle au-dessus de ceux qui +l'ont précédé. Orgueil illégitime, prétention usurpatrice! +Les seules choses dont il nous soit permis de nous +glorifier sont celles que nous avons ajoutées aux richesses +qui nous viennent du passé.</p> + +<p>Ce sont sans doute de merveilleuses manifestations +de nos forces intellectuelles que les nombreuses applications +que nous avons faites de la vapeur, de la lumière, +de l'électricité; mais l'ardeur avec laquelle nous +nous sommes précipités vers les travaux qui ont pour +principal objet le bien-être matériel mérite-t-elle bien +d'être louée sans restriction, et n'est-il pas permis de +craindre que nous ne payions d'un prix trop élevé nos +rapides triomphes sur le temps et sur l'espace? Enivrés +de ces triomphes, n'épuisons-nous pas, pour les multiplier +et les rendre plus brillants, des forces que réclament +des besoins d'un autre ordre?</p> + +<p>Il faudrait être aveugle pour ne pas voir que, dans +une société qui ne semble plus avoir d'admiration que +pour des conquêtes toutes matérielles, le goût des +études qui fortifient les esprits et élèvent les âmes doit +nécessairement s'affaiblir.</p> + +<p>À d'autres que nous donc de ne voir que par son +beau côté le gigantesque tournoi des Champs-Élysées; +les merveilles industrielles et artistiques de notre Exposition +universelle ne nous feront point oublier que la +société a d'autres besoins que ceux qui peuvent être +<span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p9" id="p9">9</a></span><span class="hidden">)</span> +satisfaits par les créations étalées dans le palais de +l'Industrie.</p> + +<hr /> + + +<p>Si l'homme ne vivait que par les sens, si le bien-être +humain, si le bien-être social ne consistaient que dans +la possession des objets propres à charmer les yeux, +à flatter l'odorat, à procurer des jouissances au palais +et à l'oreille, la vue des galeries de l'Exposition universelle +nous apprendrait que tous les secrets, que tous les +raffinements du bien-être sont aujourd'hui trouvés. +Mais l'homme a une autre vie que celle des sens: il +vit par l'esprit, il vit par le cœur, il vit par l'âme; +toutes ces vies ont leurs besoins, leurs exigences, et +nous ne voyons au palais de l'Industrie rien qui puisse +les satisfaire. Bien loin de là: c'est aux dépens de toutes +ces vies, c'est aux dépens de ce qui est dû à ces vies +qu'ont été créées toutes ces merveilles de l'industrie et +de l'art matérialiste.</p> + +<p>Nous tromperions-nous par hasard?... Non, nous ne +nous trompons point; notre plainte n'est qu'une constatation +de l'évidence. Interrogeons, en effet, une à une +toutes les nations qui sont venues là pour se disputer les +palmes du génie industriel et de l'art sensualiste; demandons-leur +quelle est aujourd'hui leur ambition, vers +quelle direction elles cherchent à pousser les esprits, +quels efforts, quels travaux elles encouragent de préférence, +de quels progrès elles se montrent le plus +fières, quels hommes elles placent au premier rang +dans leur estime?</p> + +<p><span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p10" id="p10">10</a></span><span class="hidden">)</span> +De bonne foi, entre toutes les nations représentées +au palais de l'Industrie, s'en trouve-t-il une seule qui +oserait nier ses tendances matérialistes? En est-il une +seule qui oserait nous dire qu'elle aimerait mieux avoir +les premiers poëtes, les premiers philosophes, les premiers +moralistes du monde, que de tenir le premier rang +dans notre palais de l'Industrie? En est-il une seule qui +oserait prétendre que chez elle, l'homme qui se sert de +son intelligence pour faire pénétrer dans les cœurs les +sentiments nobles et généreux reçoit autant d'encouragements +que celui qui se dévoue au perfectionnement +des choses matérielles? Non, aucune de ces nations n'a +le droit de dire qu'elle fait pour les idées qui sont les +bases de la civilisation autant que pour les choses qui +n'en sont que l'ornement; non, disons-nous, aucune de +ces nations ne paraît comprendre que toutes ces magnifiques +œuvres de leurs mains sont le résultat d'inspirations +puisées à des sources qui ont besoin d'être +alimentées et que leur insouciance laisse tarir.</p> + +<p>Ce sujet nous mènerait trop loin: revenons à un +ordre d'idées qui se rapproche davantage du sujet que +nous avons à traiter.</p> + +<hr /> + + +<p>Les seules choses dont nous ayons le droit d'être +fiers, disions-nous, avant de protester comme nous +venons de le faire contre les tendances antispiritualistes +auxquelles nous nous abandonnons, ce sont +celles que nous avons ajoutées aux richesses qui nous +viennent du passé. Nous nous glorifierions au delà de +<span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p11" id="p11">11</a></span><span class="hidden">)</span> +nos mérites, si nous prenions pour terme de comparaison +de nos œuvres, soit celles des âges pendant lesquels +l'homme travaillait avec les seules forces de sa +raison individuelle, soit celles des âges qui, quoique +déjà riches des trésors de science et d'expérience laissés +par leurs prédécesseurs, n'ont cependant pas marqué +leur passage dans le temps par des créations aussi +heureuses que les nôtres.</p> + +<p>Nous trouverons des limites à notre orgueil dans +notre propre raison, si nous voulons bien remarquer, +d'abord, que, pour accomplir nos œuvres, nous avons +eu à notre disposition toutes les forces d'un passé plus +long et, par conséquent, plus riche en science et en expérience +que celui de nos aînés, et ensuite que les relations +qui se sont établies entre les différents peuples +de la terre ont presque complétement changé les conditions +des progrès matériels dans le monde. Autrefois, +il y a à peine quarante à cinquante ans, chaque frontière +était un voile qui dérobait à une nation ce qui se faisait +chez sa voisine, chaque mer, chaque bras de mer était +un abîme à travers lequel ne passaient que bien rarement +quelques lambeaux des mystères que l'on gardait +anxieusement d'un côté comme de l'autre de ces abîmes. +Alors chaque peuple ne travaillait qu'à l'aide de +ses propres forces; l'intelligence humaine était encore +mutilée, agissait encore isolément, voulons-nous dire.</p> + +<hr /> + + +<p>Cette mutilation, cet isolement ont cessé d'exister. +Il y a toujours des frontières qui séparent les peuples, +<span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p12" id="p12">12</a></span><span class="hidden">)</span> +mais il n'y a plus de voiles dressés le long de ces frontières; +il y a toujours des mers et des bras de mer dont +les flots se brisent sur des rivages habités par des peuples +dont les intérêts n'ont pas cessé d'être en lutte; +mais ces mers et ces bras de mer ne servent plus à +protéger les secrets du génie industriel des nations. +Le génie industriel, depuis que les peuples civilisés se +sont entendus pour reconnaître ses droits, s'est fait cosmopolite +et parcourt le monde, travaillant au grand +jour, ses brevets à la main.</p> + +<p>Encore une fois donc, si nous voulons comparer +nos œuvres avec celles de nos devanciers, commençons +par comparer les ressources dont ils disposaient +avec celles qui sont dans nos mains. L'équité la +plus vulgaire l'exige; notre glorification serait ridicule, +si elle se fondait sur un principe qui ne comprendrait +pas la réserve que nous venons d'indiquer.</p> + +<hr /> + + +<p>Il est incontestable que, depuis l'existence des lois +qui, presque partout, protégent la propriété industrielle +des étrangers autant que celle des nationaux, le génie +humain, appliqué aux choses matérielles, travaille avec +toutes ses forces réunies en faisceau, pour ainsi dire, +et il est évident, par conséquent, que ces forces ainsi +coalisées doivent être plus puissantes, plus fécondes en +résultats que ne pouvaient l'être les forces isolées des +individus et des peuples, lorsque chacun, peuples et +individus, était contraint, pour sauvegarder ses droits +d'inventeur et de perfectionneur, d'envelopper ses procédés +<span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p13" id="p13">13</a></span><span class="hidden">)</span> +et ses moyens de travail dans les ombres du +mystère.</p> + +<p>L'équité nous indique une autre réserve à faire en +faveur de nos aînés, réserve essentielle, que nous avons +à peine fait entrevoir un peu plus haut. Avant notre +âge, les travaux industriels furent assurément bien plus +encouragés, bien plus honorés, qu'on ne le suppose +généralement; cependant il est vrai de dire que, pendant +tous les siècles antérieurs et même pendant les +premières années de ce siècle, l'industrie n'était pas +regardée comme la bienfaitrice par excellence de l'humanité +et comme la manifestation la plus glorieuse du +génie des peuples. Les hautes sciences, la grande littérature, +la poésie, les beaux-arts, tenaient alors dans +l'estime des nations la place que leur avaient accordée +sans difficulté toutes les civilisations antiques.</p> + +<p>Il résultait de cette prééminence obtenue par les +hautes sciences, par la haute littérature, par la poésie, +par les beaux-arts, que généralement tout homme qui +aspirait à se faire une place d'honneur dans la société, +et qui se sentait animé d'une force intellectuelle capable +de répondre à ses aspirations, appliquait ses facultés +aux choses qui devaient le faire arriver à la +gloire, bien plus qu'à celles qui ne conduisent ordinairement +qu'à la fortune; aux choses qui ont fait les +grands siècles bien plus qu'à celles qui ont produit les +grandes décadences.</p> + +<p>Que celui qui douterait que les grandes décadences +des civilisations soient sorties de l'étouffement des travaux +<span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p14" id="p14">14</a></span><span class="hidden">)</span> +spiritualistes par les arts industriels encouragés +d'une manière exclusive, veuille bien se souvenir que +la vieille Asie tomba des splendides sommets d'où elle +dominait le monde antique, aussitôt que les arts industriels +furent devenus sa principale passion; que la vieille +Grèce ne commença à fléchir sous le poids de son grand +nom et ne le laissa tomber sous les pieds des conquérants +qu'après qu'elle eut transporté aux industries +asiatiques les encouragements qu'elle réservait auparavant +pour ses sages, ses savants, ses poëtes et ses +guerriers; que le colosse romain ne commença à vaciller +sur ses bases qu'après que les Asiatiques et les +Grecs furent parvenus à rendre les descendants des +Cincinnatus et des Scipion amoureux de leurs arts et +rivaux de leur habileté.</p> + +<p>Les forces intellectuelles de notre société étant attirées +vers les arts industriels ainsi qu'elles le sont, ces +arts ont une marche magnifique; cette marche est plus +rapide, plus vigoureuse qu'on ne la vit jamais; mais +encore une fois, jamais on ne vit un siècle faire, pour +favoriser leurs progrès, des sacrifices pareils à ceux +que nous faisons. Ces sacrifices sont tels, que le passé +ne présentant rien de pareil, nous ne savons véritablement +si nous devons admirer nos succès industriels ou +les trouver tout simplement naturels.</p> + +<p>Autre réserve: Est-ce que nous ne regardons pas +un peu trop comme entièrement nôtres des quantités +de choses qui ne nous appartiennent pas entièrement? +Est-ce qu'il n'est pas, tant dans l'ordre scientifique +<span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p15" id="p15">15</a></span><span class="hidden">)</span> +que dans l'ordre matériel, certains principes vus ou +entrevus par le passé et que nous avons seulement développés +et appliqués; certaines créations matérielles +indiquées ou ébauchées par le passé et que nous n'avons +eu qu'à réaliser plus hardiment, qu'à perfectionner?</p> + +<p>Invoquons un dernier fait contre nos prétentions orgueilleuses. +N'est-il pas vrai que, sans nous inquiéter +de savoir d'où sont sorties toutes les créations nouvelles +qui nous entourent, nous en sommes aussi fiers que si +elles appartenaient à nous seuls? N'est-il pas vrai que +nous nous admirons dans toutes ces créations, absolument +comme si elles étaient l'œuvre exclusive de notre +génie?</p> + +<p>Oui, tout cela est vrai, et ce qui ne l'est pas moins, +c'est que ces créations ne nous appartiennent pas toutes; +c'est que tous les peuples civilisés en revendiquent leur +part, et n'admettent nullement que nous ayons le droit +de dire: «Le siècle, c'est nous.»</p> + +<p>Étrange inconséquence! en même temps que nous +voudrions ainsi usurper au profit de notre pays des +gloires qui ne lui appartiennent pas, nous faisons des +efforts déplorables pour obscurcir presque toutes celles +qui lui appartiennent.</p> + +<p>Nous nous qualifions parfois du titre d'Athéniens +de la civilisation moderne. Comme les citoyens +d'Athènes, en effet, nous avons une répulsion innée +pour les gloires vivantes et ne tolérons que les gloires +posthumes; comme eux, nous ne voulons pas des +gloires qui portent un nom; nous n'admettons que les +<span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p16" id="p16">16</a></span><span class="hidden">)</span> +gloires anonymes, que les gloires qui portent le nom +collectif du pays, comme si nous espérions, les auteurs +des grandes et belles choses qui l'honorent étant inconnus, +être soupçonnés nous-mêmes de les avoir faites; +mais notre ressemblance avec les Athéniens s'arrête là.</p> + +<p>Les Athéniens, quand ils envoyaient en exil les +hommes qui avaient élevé trop haut leurs noms au milieu +d'eux, ne faisaient que proclamer la supériorité de +ces hommes. L'ostracisme était un hommage rendu au +mérite, au génie, et non une négation du mérite et du +génie: l'ostracisme était de l'envie; mais c'était une +envie qui s'avouait et non de l'envie hypocrite et lâche. +L'envie hypocrite et lâche, c'est la nôtre, la nôtre qui +procède par l'étouffement dans l'ombre, contre quiconque +s'annonce comme devant dépasser notre mesure; +la nôtre qui a trouvé le secret de rendre le silence plus +puissant que la négation, plus cruel que la proscription.</p> + +<hr /> + + +<p>Autant nous paraissons portés à empêcher les choses +véritablement grandes ou belles de se produire au milieu +de nous, autant nous nous montrons favorables +aux créations d'un ordre secondaire et dont la durée +doit être passagère. La différence de ces deux accueils +explique nos merveilleux succès dans les productions +futiles et nous apprend pourquoi nous sommes comparativement +moins heureux sous le rapport des grandes +initiatives.</p> + +<p>Que nous fait la gloire revêtue du manteau qui brave +l'usure du temps, quand nous avons pour nous la gloire +<span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p17" id="p17">17</a></span><span class="hidden">)</span> +qui dédaignerait de porter le soir la robe dont elle était +toute fière le matin? Va donc demander ton pain à +l'exil, Philippe de Girard; deviens donc fou de misère, +Sauvage; subissez donc le sort que vous vous faites +sciemment, chercheurs des grandes pensées et des +grandes choses! Est-ce que vous n'avez pas vu, est-ce +que vous ne voyez pas quelle destinée peut faire aux +hommes de génie une société qui dore si splendidement +l'existence de ses amuseurs de toutes les sortes?</p> + +<p>Ils le voient, ils le savent, et cependant la vue des +souffrances qui les attendent n'a rien qui les effraie, les +sublimes fous à qui le génie a dit: «Suis-moi contre +ces difficultés qui ont stérilement fatigué les siècles; +suis-moi dans le combat que je vais livrer contre l'inconnu.»</p> + +<p>En vain la raison leur dit: «Avant d'obéir aux appels +du génie, commencez par vous assurer le pain de +chaque jour;» ils n'entendent que la voix qui leur dit: +«Je vous conduirai vers la gloire, suivez-moi.»</p> + +<p>Perfidie et mensonge! Non, ô génie, tu ne conduis +pas à la gloire celui qui te suit sans avoir les mains +chargées d'or. Sous ton inspiration j'écrirai un bon +livre; est-ce toi qui me l'imprimeras et qui paieras les +annonces qui m'en procureront le débit? J'inventerai +une merveilleuse machine, grâce à toi, souffle sacré; +mais que ferai-je des plans de ma machine? Est-ce +toi qui me la construiras et en mettras la valeur en +évidence?</p> + +<p><span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p18" id="p18">18</a></span><span class="hidden">)</span> +Qu'ils sont nombreux les pauvres fous qui, s'abandonnant +aux entraînements mystérieux qui les portent +vers les créations grandes et belles, ne comprennent +pas qu'en négligeant d'assurer avant tout leur existence +matérielle, ils se condamnent presque infailliblement +à travailler d'une manière stérile et pour eux-mêmes +et pour la société!</p> + +<p>La fortune ne donne pas le génie, sans doute; mais +elle permet à celui qui en est doué de le mettre en évidence +et de forcer l'insouciance comme l'envie à rendre +hommage à ses œuvres.</p> + +<p>Est-ce là ce que se dit, il y environ trente-quatre ans, +un ancien employé supérieur de l'administration des armées +sous l'Empire, M. Thomas, de Colmar, en voyant +le froid accueil que trouvait auprès des dispensateurs +de la gloire la grande découverte qu'il venait de faire? +Nous l'ignorons; mais nous voyons du moins qu'il a +agi comme s'il s'était tenu ce langage.</p> + + +<div class="chapter"></div> + +<h2 class="nobreak">II</h2> + + +<p>C'était vers 1821. Ayant toujours vécu au milieu +des chiffres, nul ne savait mieux que lui combien les +chiffres fatiguent les forces de l'intelligence. La grande +ère de la mécanique s'ouvrait; dans chaque industrie, +on commençait à demander à des bras de fer ou de +bois d'exécuter les travaux qui avaient été faits jusque-là +par les mains intelligentes de l'homme.—Pourquoi, +se demanda M. Thomas, de Colmar, n'essaierais-je pas +de construire une machine qui exécute toutes les opérations +de l'arithmétique, comme d'autres ont imaginé +des engins qui scient et rabotent, qui filent et tissent, +etc.? Et aussitôt, voilà l'imagination du hardi +Alsacien en travail. L'œuvre n'était pas aussi facile à +faire qu'il l'avait pensé. Il s'adressa pour avoir des conseils +à un très-savant académicien.</p> + +<hr /> + + +<p>—Mon cher ami, lui dit celui-ci, cherchez la quadrature +du cercle ou le mouvement perpétuel, si vous +avez du temps à perdre; mais ne dites à personne que +vous voulez construire une machine qui puisse exécuter +<span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p20" id="p20">20</a></span><span class="hidden">)</span> +tous les calculs de l'arithmétique, si vous ne voulez pas +que l'on rie de vous.</p> + +<p>—Pourquoi rirait-on de moi? demanda M. Thomas.</p> + +<p>—Pourquoi l'on rirait de vous, mon ami? L'on rirait +de vous, parce que la recherche d'une machine comme +celle dont vous me parlez... que dis-je? bien moins ambitieuse +que celle que vous voulez inventer, a fatigué +un nombre infini de génies dans tous les temps et chez +tous les peuples, et n'a jamais abouti qu'à des échecs +éclatants. Et vous voudriez que l'on ne trouvât pas +excessivement présomptueuse votre tentative contre +des difficultés qu'ont vainement essayé de vaincre, +dans les temps anciens, Thalès, Pythagore, Archimède; +plus tard, les grands mathématiciens arabes; et, dans +les derniers âges, Pascal, Perrault, Leibnitz, d'Alembert +et un nombre considérable d'autres puissants esprits? +Croyez-moi donc: appliquez votre intelligence +à des travaux moins chimériques que celui qui a commencé +à tourmenter votre imagination.</p> + +<p>—Eh quoi, répondit M. Thomas au savant académicien, +après avoir mis en relief, comme vous venez de +le faire, l'honneur que me vaudrait ma machine, vous +voudriez que j'eusse une autre ambition que celle de le +mériter?</p> + +<p>Le ton résolu sur lequel fut faite cette réponse rendait +toute observation inutile. L'académicien se contenta +d'adresser un sourire d'affectueuse pitié à M. Thomas, +qui trois mois après avait exécuté son arithmomètre, +s'était assuré, par la prise d'un brevet d'invention, la +<span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p21" id="p21">21</a></span><span class="hidden">)</span> +propriété de sa découverte, et presque en même temps +présentait à la Société d'encouragement sa machine +véritablement merveilleuse.</p> + +<hr /> + + +<p>Elle fut renvoyée à l'examen d'une commission composée +de Francœur et Bréguet. Le rapport fut fait au +nom du comité des arts mécaniques par Francœur, qui, +après avoir fait mention des machines à calculer antérieurement +construites, s'exprimait ainsi: «Le défaut +de toutes ces inventions est de ne se prêter qu'à des +calculs très-simples; dès qu'il s'agit de multiplier, il +faut convertir l'opération en une suite d'additions: +ainsi pour obtenir 7 fois 648, on est obligé d'ajouter +d'abord 648 à lui-même, puis la somme à 648, +celle-ci encore à 648, etc., jusqu'à ce que 648 ait été +pris 7 fois. À quelle longueur ne faut-il pas se soumettre +lorsque le multiplicateur a deux ou trois chiffres! +Toutes ces machines sont donc aujourd'hui +tombées dans l'oubli, et on ne les regarde que comme +des conceptions plus ou moins ingénieuses.</p> + +<p>»Celle de M. Thomas ne ressemble nullement aux +autres, elle donne de suite les résultats du calcul, +sans tâtonnement, et n'est faite à l'imitation d'aucune +des premières. Il est certain que M. Thomas +n'avait pas connaissance de celles-ci lorsqu'il imagina +la sienne, et qu'il n'a pu s'aider des travaux de +ses prédécesseurs. Il a même employé et abandonné +plusieurs mécanismes qui ne remplissaient pas assez +bien leur objet, avant de s'arrêter à celui qu'on voit +<span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p22" id="p22">22</a></span><span class="hidden">)</span> +dans la machine pour laquelle il sollicite le suffrage +de la Société d'encouragement.</p> + +<p>»La machine de M. Thomas sert à faire non-seulement +toutes les additions et soustractions, mais +encore les multiplications et divisions des nombres +entiers ou affectés de fractions décimales. Lorsque, +par exemple, on veut multiplier 648 par 7, on place +les indicateurs du multiplicande sur les chiffres 6, 4 +et 8, et celui du multiplicateur sur 7, on tire un cordon +et on lit le produit 4,536 sur la tablette de l'instrument.</p> + +<p>»La division n'étant que l'inverse de la multiplication, +on conçoit qu'elle s'exécute avec la même +aisance et par le même moyen.</p> + +<p>»La plus grande difficulté qu'on rencontre dans +l'invention de ces instruments, difficulté contre laquelle +le génie même de Pascal a échoué et qui jusqu'ici +a si fort restreint l'usage de ces machines à +calculer, c'est de faire porter les retenues sur les chiffres +à gauche. Le mécanisme par lequel M. Thomas +opère ce passage des retenues est extrêmement ingénieux; +ce report se fait de lui-même, sans qu'on +y songe. Pour multiplier 648 par 7, l'opérateur tire +le cordon, sans s'embarrasser s'il y a ou non des chiffres +à retenir, sans même savoir ce que c'est, et il +lit de suite 4,536.</p> + +<p>»Il est impossible de combiner mieux les agents de +l'instrument qui vous est présenté et de surmonter +plus heureusement les embarras de l'instrument.</p> + +<p><span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p23" id="p23">23</a></span><span class="hidden">)</span> +»Ainsi, à considérer cette machine sous le rapport +du mérite d'invention, et sous celui de la difficulté +vaincue, vous ne balancerez pas à lui accorder votre +suffrage.</p> + +<p>»Il n'y a aucune comparaison à faire entre cette +invention et les règles à calculer. Comme ces dernières +sont basées sur le système des logarithmes, +les additions et soustractions sont impossibles avec +ces règles; et comme ces deux opérations se mêlent +à chaque instant aux autres dans les affaires de commerce, +les tables de logarithmes n'y peuvent servir +avec avantage. En outre, ces règles à calculer n'ont +une précision que de trois chiffres, tandis que la +machine de M. Thomas opère sur un nombre de +chiffres indéfini, avec une exactitude parfaite.»</p> + +<p>Conformément aux conclusions du rapport, la Société +d'encouragement approuva la machine de M. Thomas, +en fit graver le mécanisme pour son <i>Bulletin</i>, où fut +aussi inséré le rapport de M. Francœur; mais ce fut là +la seule récompense qu'obtint alors l'inventeur de +l'arithmomètre, pour une découverte qui semblait +devoir placer immédiatement son nom au nombre de +ceux que le monde entier connaît.</p> + +<hr /> + + +<p>La Société d'encouragement, en voyant que l'arithmomètre +n'avait pas produit dans l'opinion publique +l'étonnement, la sensation qui d'ordinaire accueille les +découvertes de la nature de celle de M. Thomas, comprit +bientôt qu'elle n'avait pas été elle-même assez +<span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p24" id="p24">24</a></span><span class="hidden">)</span> +juste, en se contentant de donner sa complète approbation +à l'arithmomètre. Aussi, lorsque, quelques mois +après, la belle planche dessinée et gravée par Leblanc +et reproduisant la machine de M. Thomas dans tous +ses détails, parut dans le <i>Bulletin</i>, fut-elle accompagnée +par M. Hoyau d'un commentaire où se trouvent des +passages qui valent des médailles d'or:</p> + +<p>«Si l'on pouvait, disait M. Hoyau, assigner des +bornes à nos facultés intellectuelles, il semblerait +que tant de moyens déjà découverts pour calculer +mécaniquement ont épuisé les recherches de ce +genre et qu'il ne reste plus rien à faire après les +savants célèbres de tous les pays qui se sont occupés +de cet objet.</p> + +<p>»Cependant M. le chevalier Thomas, de Colmar, +est parvenu à vaincre toutes les difficultés et à +composer une machine au moyen de laquelle on +peut faire les quatre opérations de l'arithmétique.</p> + +<p>»Cette invention nous paraît devoir être rangée au +nombre de ces découvertes qui font honneur à +ceux qui les conçoivent et sont glorieuses pour +l'époque qui les produit.»</p> + +<hr /> + + +<p>Ces éloges, les félicitations de quelques visiteurs, +voilà tout ce que valut à M. Thomas, de Colmar, l'invention +de l'arithmomètre. Il en attendait mieux: +une semblable découverte valait de la gloire, de la +célébrité, du moins; car qui dira que le bonheur +d'avoir aussi complétement triomphé que venait de le +<span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p25" id="p25">25</a></span><span class="hidden">)</span> +faire M. Thomas des difficultés qui avaient tenu en +arrêt le génie de tous les siècles, fût suffisamment +récompensé par l'approbation de la Société d'encouragement?</p> + +<p>La plupart des inventeurs, lorsque le public ne fait +pas à leurs découvertes l'accueil sur lequel ils avaient +compté, ne savent ordinairement faire que deux +choses: d'abord accuser leur siècle d'injustice ou +d'ignorance; et ensuite se livrer au découragement +et regretter le temps qu'ils ont perdu à vouloir être +utiles à leur pays.</p> + +<hr /> + + +<p>M. Thomas, de Colmar, supporta très-philosophiquement +la déception qu'il venait d'éprouver. Se souvenant +sans doute de la lenteur que la machine à +vapeur avait mise à faire son chemin, il trouva tout +simple que le public ne se montrât pas plus prompt +à comprendre la valeur de son arithmomètre qu'il ne +l'avait été à comprendre celle de la machine qui a si +profondément modifié toutes les lois du travail matériel.</p> + +<p>Et pourquoi, au surplus, le public mériterait-il +d'être accusé d'injustice, lorsqu'il ne fait pas à toutes +les inventions l'accueil que quelques-unes méritent +véritablement? Pourquoi, dès qu'il entend parler +de découvertes qui étonnent son intelligence, devrait-il +battre des mains et échanger son argent +contre la merveilleuse machine, contre l'admirable +recette, contre le prodige de la chimie ou de la mécanique +<span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p26" id="p26">26</a></span><span class="hidden">)</span> +qu'on lui annonce, au nom des sociétés +savantes? Est-ce que ces sociétés sont infaillibles et +n'ont jamais préconisé que des inventions dignes +de l'être? Est-ce que, sur la parole de ces sociétés, +le public n'a pas souvent fait des expériences ruineuses, +des achats qui lui ont laissé des regrets?</p> + +<p>Le public est défiant; mais est-il injuste? non, il ne +l'est pas. Les déceptions que de nombreuses nouveautés +lui ont fait éprouver légitiment surabondamment +sa défiance. Il lui en a trop coûté d'avoir tant +de fois cru sans voir; ne nous étonnons pas qu'il +veuille quelquefois voir avant de croire.</p> + +<hr /> + + +<p>C'est en se faisant ces réflexions à lui-même que +M. Thomas arriva à se dire: «Pour populariser une +machine comme la mienne, il faut de l'argent, beaucoup +d'argent; je dois donc commencer par devenir +riche, si je veux que mon arithmomètre devienne +un instrument usuel dans le monde savant et financier, +dans le monde commerçant et industriel.»</p> + +<p>C'est à partir de ce moment que M. Thomas, de +Colmar, qui, jusque-là, n'avait eu qu'une grande +passion véritable, l'étude des sciences exactes, et +qu'un délassement de prédilection, la mécanique, +replia son intelligence vers les combinaisons financières, +dont il ne s'était déjà occupé que pour se +distraire, pour ainsi dire, mais qui lui avaient pourtant +valu de beaux succès, puisque, dès ce moment +(1822), il avait déjà été nommé président honoraire +<span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p27" id="p27">27</a></span><span class="hidden">)</span> +de la Société d'assurance contre l'incendie <i>le Phénix</i>, +qu'il avait fondée en 1819.</p> + +<p>Nous ne suivrons pas ici M. Thomas, de Colmar, +dans les travaux financiers qui lui ont si bien réussi. +Qu'il nous suffise de dire que la haute fortune à +laquelle il a élevé la Compagnie du <i>Soleil</i>, l'une de +ses fondations les plus connues, suppose de sa part +une force de volonté incroyable, aux yeux de quiconque +connaît les phases qu'a traversées cette Compagnie, +aujourd'hui l'une des plus puissantes et des +plus justement accréditées de la France.</p> + +<hr /> + + +<p>M. Thomas paraissait tellement absorbé par les +soins administratifs que réclamait sa grande Société +d'abord, et par ceux qu'il lui fallut, plus tard, donner +à la Compagnie <i>l'Aigle</i>, qu'il avait fondée pour l'un +de ses fils, que personne, assurément, ne soupçonnait +qu'il songeât encore à son arithmomètre.</p> + +<p>Et pourtant l'arithmomètre était la passion bien-aimée +de sa pensée, le rêve favori de ses veilles. Cette +passion, ce rêve, le suivaient partout, au milieu des +affaires, comme au milieu des fêtes; et jamais, pendant +trente ans, pas une journée, pour ainsi dire, +ne se passa sans qu'il visitât, de corps ou d'esprit, le +recoin mystérieux où la chère machine était cachée +aux regards les plus amis. Aujourd'hui il fallait ajouter +ceci, demain retrancher cela, et le surlendemain +défaire tout ce qui avait été fait la veille et l'avant-veille, +pour chercher une simplification plus grande.</p> + +<p><span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p28" id="p28">28</a></span><span class="hidden">)</span> +Pour obtenir cette simplification, l'inventeur de +l'arithmomètre a dépensé plus de 300,000 francs.—«C'est, +de toutes les jouissances, celle qui m'a coûté +le moins, dit-il, si je compare ses douceurs à celles de +tous les autres plaisirs que je me suis donnés.»</p> + +<p>Trente années de travail, plus de 300,000 francs +dépensés pour retrancher cinq à six petites pièces +d'une machine qu'un enfant de quatre ans porterait +dans ses mains comme un jouet! Est-ce que l'arithmomètre +de 1822 ne remplissait pas les mêmes fonctions +que l'arithmomètre de 1855?</p> + +<p>Les deux arithmomètres remplissent les mêmes +fonctions; mais le premier avait des complications +que le second n'a pas; le premier est l'œuvre d'un +mécanicien extraordinairement ingénieux; le second +est l'œuvre d'un homme de génie.</p> + +<p>Avec de l'imagination et de la persévérance, il est +facile d'exécuter, à l'aide de machines compliquées, +quelques effets qui semblent ne pouvoir être produits +que par l'intelligence réfléchie; mais il n'appartient +qu'au génie de produire, par des moyens simples, des +effets d'une complication et d'une variété infinies.</p> + +<hr /> + + +<p>Tel est l'arithmomètre de 1855.</p> + +<p>Notre Exposition universelle a beau être riche en +œuvres empreintes du sceau du génie; nous n'en +voyons pas une seule, nous défions qu'on nous en +indique une seule qui porte ce sceau d'une manière +<span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p29" id="p29">29</a></span><span class="hidden">)</span> +plus éclatante, d'une manière aussi éclatante que +l'arithmomètre.</p> + +<p>Ce n'est plus ici de la matière qui produit des +effets matériels; c'est de la matière qui pense, pour +ainsi dire, qui réfléchit, qui combine, qui calcule, +qui fait toutes les opérations les plus difficiles, les plus +compliquées de l'arithmétique, avec une infaillibilité, +avec une rapidité, avec une science qui défient tous +les calculateurs, tous les académiciens du monde +entier.</p> + +<p>Mais, avant d'aller plus loin, voyons si l'invention +de M. Thomas, de Colmar, n'est pas, sous le rapport +de la difficulté vaincue, l'une des œuvres les plus +étonnantes que nous connaissions.</p> + +<hr /> + + +<p>Le matérialisme ne veut pas de la difficulté vaincue; +il ne tient compte que de la valeur utilitaire des +inventions. Nous procédons tout autrement, nous. En +présence d'une découverte quelconque, nous nous +sentons plutôt porté à chercher quels efforts d'intelligence +elle a dû coûter, qu'à nous demander quels +services elle peut rendre. Pourquoi agissons-nous +ainsi? Nous agissons ainsi, parce que c'est la difficulté +vaincue qui glorifie l'esprit humain; parce que +c'est la difficulté vaincue qui nous apprend ce que +vaut et ce que peut l'intelligence humaine, et quelle +est, par conséquent, notre grandeur et notre noblesse +dans la création. Matérialistes qui refusez de tenir +compte des difficultés vaincues, apprenez-moi donc, +<span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p30" id="p30">30</a></span><span class="hidden">)</span> +je vous prie, quelle est l'utilité matérielle de la découverte +de Galilée: «la terre tourne;» l'utilité matérielle +de la loi de la pesanteur, trouvée par Newton; +l'utilité matérielle de la méthode de Leverrier pour +aller au-devant d'un astre caché dans les profondeurs +du ciel. Difficultés vaincues que tout cela, et rien de +plus: rien de plus, excepté plus d'honneur pour l'esprit +humain.</p> + +<p>Nous verrons plus loin que l'invention de M. Thomas +est autre chose qu'une difficulté vaincue. En +attendant, ne la considérons que sous ce dernier point +de vue; et, pour cela, remontons à l'origine historique +de l'arithmétique.</p> + +<hr /> + + +<p>L'origine de l'arithmétique, base de toutes les +autres sciences, comme tout le monde en convient, +se perd dans la nuit des temps, ainsi que celle de +tous les arts nécessaires. Attribuer l'invention de ses +principales règles aux Indiens, comme le font quelques +écrivains, ou aux Chaldéens, comme d'autres le +font, parce que ce peuple en avait besoin pour ses +études astronomiques, ou aux Égyptiens, qui ne +pouvaient s'en passer pour leurs travaux géométriques, +ou bien aux Phéniciens, parce que leur +commerce les exigeait, c'est ne rien dire de sérieux.</p> + +<p>Le besoin et l'intérêt, ces deux grands mobiles de +l'industrie humaine, durent, dès l'origine des sociétés, +donner naissance à l'arithmétique, qui ne s'est assurément +pas formée d'un premier jet, mais pièce à +<span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p31" id="p31">31</a></span><span class="hidden">)</span> +pièce, règle à règle, etc. Les historiens, qui nous ont +raconté si longuement l'histoire de la géométrie, de +l'astronomie et de plusieurs autres parties de la +science, ne nous ont presque rien dit de l'arithmétique +des anciens. Leur silence, sous ce rapport, est +si grand que l'on est obligé de recourir à des déductions +à demi hypothétiques pour affirmer que Platon +et Euclide connaissaient les quatre règles et savaient +extraire les racines carrées et cubiques. Procédaient-ils, +dans leurs calculs, comme nous, ou bien prenaient-ils +des voies plus longues? Rien de précis +n'existe sur ce sujet.</p> + +<p>Il est tout naturel que les doigts aient été les premiers +auxiliaires de la mémoire dans l'enfance de +l'art de calculer. La raison ne nous le dirait pas, que +nous en trouverions encore la preuve dans l'habitude +qu'ont eue tous les peuples, moins les anciens Chinois +et une peuplade obscure dont parle Aristote, de distribuer +leurs nombres en périodes composées chacune +de dix unités. En principe, le calcul décimal est donc +aussi vieux que le monde, et notre honneur se borne à +l'avoir appliqué à tout ce que nous appelons poids, +étendue, etc.</p> + +<p>De même que l'homme se servit d'abord de ses +doigts pour retenir, assembler et combiner les nombres, +de même aussi il trouva en lui-même ses premières +unités de mesures. C'est ainsi que chez tous +les peuples nous trouvons, sous divers noms, le pas, +<span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p32" id="p32">32</a></span><span class="hidden">)</span> +la coudée, le pied, le pouce, le doigt, la main, l'empan, +la brasse, etc.</p> + +<hr /> + + +<p>Les premiers signes de la numération ont partout +précédé ceux de l'écriture. Les Latins, comme les +Grecs, nous ont appris d'une manière formelle quels +furent ces premiers signes de la numération, quels +furent ces aînés de nos chiffres. Ces signes furent +de petits cailloux. Chez les Grecs, comme chez les +Latins, comme chez nous, faire une opération de +nombres s'appelle calculer, c'est-à-dire compter des +cailloux. Les Latins disaient: «<i lang="la">Calculos ponere</i>, <i lang="la">calculos +subducere</i>, etc.» Les Grecs disaient: «<i>Pséphizein</i>,» +compter avec des cailloux. (<i>Pséphos</i>, qui veut +dire petite pierre, caillou, signifiait aussi, par extension, +suffrage.) Les suffrages se donnaient en Grèce +avec des cailloux ou des petits coquillages, comme on +le sait par l'histoire de l'ostracisme et par la racine +de ce dernier mot lui-même.</p> + +<p>Comme, chez les Grecs, on avait réuni des petits +coquillages d'un poids égal pour servir dans les +assemblées où le peuple avait voix délibérative, on +pesait quelquefois ces signes de suffrages, au lieu de +les compter. Chez les Romains, on avait songé un +instant à faire fabriquer par les potiers de terre de +petites billes en terre cuite pour servir à l'expression +des suffrages. À l'exemple des Grecs, on pesait ces +billes au lieu de les compter; mais ce système ayant +<span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p33" id="p33">33</a></span><span class="hidden">)</span> +donné lieu à quelques abus, on renonça au pesage +pour reprendre l'addition.</p> + +<hr /> + + +<p>Tout le monde connaît les tailles des boulangers; +ces petits morceaux de bois furent les premiers livres +de commerce de nos premiers parents, leurs premiers +livres généalogiques et historiques peut-être. Nous +voyons ces petits bâtons arithmétiques chez les Assyriens, +chez les Égyptiens, chez les Scythes, chez les +Thraces, dans l'Inde, dans la Chine; on les a retrouvés, +au moment de la découverte de l'Amérique, +chez les Péruviens comme chez les Mexicains; dans +les découvertes plus récentes, on les a rencontrés encore +chez plusieurs peuples sauvages.</p> + +<p>N'allons pas si loin dans le temps et abstenons-nous +de traverser les mers pour retrouver ces tailles numériques. +Dans presque toutes nos provinces, quel est le +livre-mémoire du paysan illettré, de l'artisan illettré? +C'est le bâton assyrien, égyptien, mexicain, etc., +entaillé d'un côté pour le doit et de l'autre pour l'avoir, +ayant une partie réservée pour les dates et une +autre pour les signes rappelant les noms propres, etc.</p> + +<p>L'emploi du bâton à signes numériques ne vint +évidemment qu'après celui des cailloux numérateurs; +car les petits cailloux se trouvaient partout naturellement +sous la main des premiers hommes, tandis que +les entailles faites sur un bâton annoncent la possession +d'un instrument tranchant, qui suppose lui-même +<span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p34" id="p34">34</a></span><span class="hidden">)</span> +l'existence d'une civilisation en marche depuis assez +longtemps.</p> + +<p>Les Assyriens et les Égyptiens, après s'être d'abord +servis des bâtons entaillés comme aide-mémoire, +essayèrent de s'en faire des machines à calcul. Nous +ignorons comment ils disposaient les petites baguettes +arithmétiques dont les anciens historiens nous parlent; +mais nous savons que la manœuvre de ces baguettes +leur permettait de faire leurs calculs avec une rapidité +qui fit toujours le désespoir des Grecs, qui ne purent +réussir à surprendre leur secret.</p> + +<hr /> + + +<p>Rectifions, en passant, la signification du mot <i>sage</i>, +<i>philosophe</i>, noms par lesquels on désigne les premiers +savants de la Grèce, les Grecs qui allaient étudier en +Égypte et en Asie les sciences et les arts qui florissaient +dans ces contrées. On croit généralement, d'après +le sens que nous attachons aujourd'hui à ces +mots, d'après le sens que la Grèce elle-même y +attacha vers sa période la plus florissante, que les +sages, que les philosophes grecs, qui allaient se faire +les disciples des prêtres de Memphis et des mages de +la Chaldée, avaient surtout pour but d'étudier les +sciences morales et législatives de l'Égypte et de +l'Asie. Cette croyance est une grande erreur: ces +Grecs voyageurs ne négligeaient sans doute pas entièrement +l'étude des lois et de la philosophie des +pays qu'ils visitaient; mais ce qu'ils allaient chercher +surtout, et sur les rives du Nil et sur celles du +<span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p35" id="p35">35</a></span><span class="hidden">)</span> +Tigre et de l'Euphrate, et jusque sur celles de l'Indus +et du Gange, c'étaient les sciences mathématiques et +physiques.</p> + +<p class="c"><i lang="la">Felix qui potuit rerum cognoscere causas!</i></p> + +<hr /> + + +<p>Les choses et leurs causes, voilà ce qu'ils ambitionnaient +de connaître. Que l'on scrute, par exemple, les +livres, la vie de tous ces vieux Grecs que nous appelons +des philosophes: Phérécyde, Thalès, Pythagore, +Callisthène, Anaxagore, Anaximandre, Parménide, +Héraclite, Empédocle, Épicure, Leucippe, Dioclès, +Démocrite, Alcméon, Chrysippe, Anaximène, +Cléanthe, Aristote lui-même, etc. (et nous avons +pris ces noms au hasard, selon qu'ils nous sont venus +à la mémoire); que, disons-nous, l'on scrute la valeur +scientifique de ces noms, et l'on verra que tous ces +hommes ont brillé comme physiciens, comme naturalistes, +comme astronomes, comme mathématiciens, +bien plus que comme philosophes, dans le sens que +nous attachons à ce mot. Platon, le divin Platon lui-même, +montre dans tous ses écrits qu'il avait au +moins autant profité des leçons du physicien Héraclite +que de celles de Socrate. On sait, au surplus, qu'il +avait donné la géométrie pour base à sa doctrine et +mis sur la porte de son école, l'Académie, une +inscription par laquelle il en refusait l'entrée à ceux +qui ignoraient cette science. Il l'avait en si haute +estime qu'il pensait que Dieu s'en occupait sans +<span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p36" id="p36">36</a></span><span class="hidden">)</span> +cesse, et c'est pour cela qu'il l'appelait l'éternel +géomètre.</p> + +<hr /> + + +<p>S'il est donc vrai de dire que les premières périodes +dites philosophiques de la Grèce furent principalement +remplies par l'étude des sciences qui exigent +l'emploi continuel du calcul, il est indubitable que les +Grecs durent faire des efforts incessants pour perfectionner +leur arithmétique. Des commentateurs des +mathématiciens grecs ont prétendu, non sans quelque +vraisemblance, que le jeu dont on attribue l'invention +à Palamède, le jeu des échecs, selon les uns, du +trictrac, selon d'autres, n'était qu'une machine à +calcul. Thalès, qui avait appris aux Égyptiens à mesurer +la hauteur des pyramides par la longueur de +leur ombre, et qui avait inventé plusieurs combinaisons +de règles en bois, soit pour prendre la distance +des astres, soit pour faire des opérations géodésiques, +paraît aussi avoir été l'inventeur d'un casier arithmétique +dont les combinaisons nous sont inconnues. Le +perfectionnement de ce casier arithmétique préoccupa +d'une manière toute particulière l'intelligence de +Pythagore, dont on connaît la prédilection pour les +nombres. Nous ignorons quels résultats obtinrent les +tentatives de ce grand homme. Nous savons seulement +que l'abaque, ou table de multiplication qui +porte son nom, est un débris, ou, si l'on veut, une +réminiscence de son casier. Nous ne mentionnerons +ici que pour mémoire le fameux crible d'Ératosthène, +<span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p37" id="p37">37</a></span><span class="hidden">)</span> +bibliothécaire d'Alexandrie, qui permet de trouver +si commodément les nombres premiers, dont la recherche +est curieuse en elle-même, indépendamment +de son utilité dans la théorie des solutions.</p> + +<p>Les anciens comme les modernes ont traité avec +une railleuse pitié l'opinion de Pythagore sur les +vertus mystérieuses de certains nombres. Des commentateurs +plus sages pensent que, ce philosophe et +ses premiers disciples n'ayant rien écrit, on a pris +dans un sens trop littéral un langage allégorique dont +le sens était perdu.</p> + +<p>Quoi qu'il en soit, les mathématiciens grecs se +trouvaient humiliés de ne pouvoir retrouver, à l'aide +de son abaque, le casier arithmétique qu'il avait imaginé, +et faisaient, pour le reconstruire, des efforts que +l'histoire nous montre toujours incessants, mais toujours +stériles aussi.</p> + +<hr /> + + +<p>C'est en se livrant à ce travail de réinvention que +Nicomaque arriva à trouver une étonnante propriété +des nombres qu'il ne cherchait pas: nous voulons +parler des progressions arithmétiques.</p> + +<p>Ce Nicomaque vivait 250 ans avant notre ère. En +cherchant à combiner des nombres sur des tablettes, +de manière à pouvoir abréger mécaniquement les opérations +de l'arithmétique, il trouva le nombre polygone. +(On appelle ainsi la somme d'une progression +arithmétique qui commence par 1, et dont les unités +peuvent être rangées en figures géométriques.) Il ne +<span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p38" id="p38">38</a></span><span class="hidden">)</span> +connut pas les avantages de sa découverte, qui fut +prise pour une remarque stérile.</p> + +<hr /> + + +<p>Un siècle après, Archimède vint. Les nombres +furent sa première étude; ses tentatives pour simplifier +l'arithmétique, pour en faire un art mécanique, +furent les travaux qui lui révélèrent la nature de son +génie. C'est en cherchant à construire une machine +devant atteindre le même but que celles dont Pythagore +et Nicomaque avaient eu l'idée, qu'il se sentit +entraîné vers l'étude des sciences mécaniques, qu'il +devait enrichir de découvertes si magnifiques.</p> + +<p>Les tablettes sur lesquelles Nicomaque avait déposé +le principe dont il n'avait pas su apprécier la valeur +féconde, furent pour Archimède un trait de lumière. +Le calcul polygonal lui révéla l'art de la progression +des nombres, et cette découverte le consola de n'avoir +pas réussi dans sa recherche d'une machine arithmétique.</p> + +<p>L'enthousiasme avec lequel il parla à ses amis de la +magnifique loi qu'il venait de trouver ne fit sur eux +qu'une faible impression; ils lui dirent qu'ils ne +croyaient pas à l'existence d'une méthode arithmétique +qui permît d'exprimer en nombres une quantité +composée d'une infinité de parties. L'un d'eux crut +même le mettre dans un grand embarras en lui demandant +s'il évaluerait le nombre des grains de sable +qui sont au bord de la mer. Archimède lui répondit +que non-seulement il exprimerait le nombre des grains +<span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p39" id="p39">39</a></span><span class="hidden">)</span> +de sable qui sont au bord de la mer, mais encore celui +des grains dont on pourrait remplir tout l'espace compris +entre la terre et les étoiles fixes; et il prouva ce +qu'il avançait, en faisant voir que le cinquantième +terme d'une progression décuple croissante satisfaisait +à son engagement.</p> + +<p>Il fit plus: afin de ne laisser sur ce sujet aucune +ressource à l'imagination la plus féconde, il imagina +un corpuscule dix mille fois plus petit qu'un grain de +sable; il l'appela grain de pavot, et en forma sa première +mesure. Le grain de pavot pris cinq fois fit un +grain d'orge, ou sa seconde mesure, et avec ces +mesures, le grand homme établit une suite de nombres +qui se perdent dans l'infini.</p> + +<hr /> + + +<p>On connaît la petite historiette racontée par Alsephadi, +auteur arabe, d'un roi indien qui, voulant +récompenser magnifiquement Sessa, qui avait inventé, +pour le distraire, le jeu que d'autres attribuent à +Palamède, le jeu des échecs, l'invita à demander tout +ce qu'il pourrait désirer. Sessa demanda seulement +autant de grains de blé qu'il y a de cases dans l'échiquier, +en doublant à chaque case, c'est-à-dire 64 fois.</p> + +<p>Le roi se scandalisa d'une demande qui semblait si +peu digne de sa munificence. Sessa insista, et le roi +ordonna qu'on le satisfît. On n'était pas arrivé au +quart du nombre des cases, qu'on fut effrayé de la +quantité de blé qu'on avait déjà; un peu plus loin, on +<span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p40" id="p40">40</a></span><span class="hidden">)</span> +trouva que le blé du monde entier n'aurait pas suffi +pour répondre à l'exigence de Sessa.</p> + +<p>Cette singulière demande a suffi pour rendre +immortel le nom de Sessa, et l'on trouvera sans doute +que c'est là de l'immortalité obtenue à bon marché, si +l'on sait que ce même Sessa avait longtemps enseigné +les mathématiques à Alexandrie, où l'ouvrage d'Archimède, +<i lang="la">De numero arenæ</i>, était certes bien connu.</p> + +<hr /> + + +<p>Le génie des anciens, qui fut si heureux dans +presque toutes les autres sciences, comme nous le +voyons par la grandeur de leurs monuments, qui +supposent une connaissance profonde de la plupart de +celles que nous possédons nous-mêmes, ce génie ne se +révéla que d'une manière extrêmement modeste pour +ce qui regarde l'arithmétique.</p> + +<hr /> + + +<p>Nous ne savons pas assez comprendre combien +l'invention de l'alphabet est au-dessus de toutes les +découvertes que l'homme a pu faire. Cette invention +est fort ancienne chez la plupart des peuples; et ce +qu'il y a de plus remarquable, c'est qu'elle se fit de +prime-abord avec de tels caractères de simplicité, de +perfection, que tous les siècles se la sont successivement +transmise sans y rien ajouter, sans en rien +retrancher.</p> + +<p>Mais si les civilisations historiques possédaient, pour +la langue proprement dite, des alphabets aussi parfaits +que les nôtres, elles étaient loin d'avoir, pour +<span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p41" id="p41">41</a></span><span class="hidden">)</span> +exprimer les nombres, des caractères aussi simples +que ceux que nous possédons. Les Orientaux, les +Assyriens, les Hébreux, les Grecs, n'avaient pour +signes de numération que les lettres de leur alphabet; +les neuf premières marquaient les unités, les neuf +suivantes les dizaines, et les autres, enfin, les centaines. +Les signes exclusivement numériques étaient +à peu près nuls; un point ou petit trait à la suite des +lettres leur donnait seul leur valeur numérique. Dès +que le nombre s'élevait dans des proportions un peu +considérables, il fallait employer une quantité de +lettres dont la lecture elle-même exigeait un calcul.</p> + +<p>On dit que les Romains imitèrent les Grecs et se +servirent aussi de leur alphabet pour exprimer les +nombres. Telle n'est pas notre opinion. Les signes +numériques romains I, V, X, L, C, D, M ne ressemblent +aux caractères alphabétiques que par hasard; +ils ne viennent pas de l'alphabet, ils sont nés des +petites lignes que l'homme primitif dut tracer sur la +pierre, sur le bois, quand il commença à soulager sa +mémoire par des signes matériels.</p> + +<p>Dans le principe, les Romains n'eurent que trois +chiffres: I, pour exprimer les unités; X, pour exprimer +les dizaines; [, qui devint plus tard C, pour +exprimer les centaines. V, ou cinq, n'exprima ce +nombre que comme étant une moitié de dix, X, et fut +employé assez tard. De même, plus tard, on se servit +de L pour exprimer cinquante ou moitié de cent, +[ ou C. Avant de se servir de M pour exprimer mille, +<span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p42" id="p42">42</a></span><span class="hidden">)</span> +on employait le signe (I) ou ( I ); pour exprimer cinq +cents, on prit la moitié du signe (I), mille, c'est-à-dire +CI, qui devint bientôt D.</p> + +<p>Les caractères romains, qui étaient encore plus +compliqués que les caractères grecs, rendaient les +opérations de l'arithmétique très-difficiles, ainsi que +l'on peut s'en rendre compte en essayant la plus +simple opération avec ces caractères. Aussi les +Romains ne se distinguèrent-ils nullement comme +mathématiciens. Lorsque l'administration des finances +de l'État eut pris de larges développements, ainsi que +le commerce, on fut obligé de recourir à des calculateurs +grecs, qui devinrent, pour ainsi dire, les maîtres +de la fortune publique et des fortunes privées, Rome +manquant d'hommes capables pour contrôler leurs +chiffres.</p> + +<p>Les abus que quelques-uns d'entre eux commirent +furent cause que l'on força ces étrangers à enseigner +leur science aux citoyens romains. Le trésor se chargea +du traitement de ces professeurs, qui furent installés +dans un vaste édifice dont l'unique ameublement +se composait de longues tables, couvertes de +sable, et munies de petites baguettes pour écrire les +chiffres, et de rouleaux pour niveler le sable, à mesure +que les opérations numériques se renouvelaient. Cet +emploi économique du sable, pour enseigner l'arithmétique, +avait fait donner aux professeurs grecs le +nom d'<i lang="la">arenarii</i>, nom qui fut en si grand honneur +pendant toute la durée de l'empire. C'est parmi ces +<span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p43" id="p43">43</a></span><span class="hidden">)</span> +<i lang="la">arénaires</i> qu'étaient ordinairement choisis les hauts +fonctionnaires du département des finances.</p> + +<hr /> + + +<p>Mais ce n'est pas à Rome que la vraie science s'était +réfugiée en abandonnant la Grèce. C'est dans quelques +villes de l'Asie centrale et de l'Égypte qu'elle s'était +choisi des asiles. Alexandrie fut le plus célèbre. C'est +là que Diophante, en cherchant à simplifier, à rendre +mécaniques les opérations arithmétiques, trouva la +méthode qui l'a fait regarder par plusieurs comme le +vrai inventeur de l'algèbre. Cette méthode, c'est celle +de l'analyse indéterminée, dont nous avons fait des +applications si curieuses et si utiles, soit dans l'arithmétique +pure, soit dans l'algèbre et dans la géométrie +transcendante. On sait que cette arithmétique universelle +de Diophante fut commentée par la célèbre Hypathia, +et fut la source où l'Arabe Mohammed-ben-Musa +puisa son algèbre.</p> + +<p>Les mathématiques étaient dans l'état le plus florissant, +depuis l'Égypte jusqu'aux Indes, lorsque Mahomet +et ses successeurs commencèrent à exercer dans tout +l'Orient les immenses dévastations qui ont voué leurs +noms à l'éternelle exécration des siècles.</p> + +<hr /> + + +<p>On suppose généralement que les fanatiques compagnons +des califes n'étaient qu'un misérable assemblage +de tribus barbares, complétement étrangères +aux sciences et aux arts civilisateurs. C'est là une erreur +contre laquelle la saine critique a depuis longtemps +<span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p44" id="p44">44</a></span><span class="hidden">)</span> +protesté. Les sciences mathématiques, entre autres, +étaient aussi familières aux Arabes qu'aux Égyptiens +et aux habitants de l'Asie occidentale. L'incendie de +la grande bibliothèque d'Alexandrie, eût-il véritablement +été ordonné par Omar, au lieu d'être un simple +accident de guerre, puisque cet événement eut lieu au +moment où la ville fut emportée d'assaut, il faudrait +voir dans cet ordre, non la volonté d'anéantir les monuments +des sciences proprement dites, mais celle de +faire disparaître les livres des philosophes, des théologiens, +les livres, en un mot, qui pouvaient contenir +des principes contraires à ceux de l'absurde Coran.</p> + +<p>Lorsque les diverses nations que les premiers califes +avaient réunies sous un étendard commun se furent +fatiguées à ravager l'Asie et l'Afrique, et ne virent plus +devant elles de but matériel digne de leur activité +immédiate, elles se ressouvinrent des sciences et des +arts, dont elles n'avaient oublié ni les principes ni la +langue pendant les longs travaux de la guerre.</p> + +<p>Il est à peine besoin de rappeler que c'est à ces +compagnons des califes, qui ne méritent le nom d'Arabes +que parce que l'Arabie fournit le noyau de l'agglomération +guerrière qui se fit en quelques années +une si large place dans le monde, il est à peine besoin +de rappeler, disons-nous, que c'est aux Arabes que +nous devons la connaissance et peut-être la conservation +des ouvrages d'Aristote, d'Euclide, de Ptolémée, +de Galien, d'Apollonius, de l'ouvrage d'Archimède, +<i lang="la">De humido insidentibus</i>, etc., etc.</p> + +<p><span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p45" id="p45">45</a></span><span class="hidden">)</span> +L'astronomie fut d'abord la science que les Arabes +s'efforcèrent de faire refleurir; le besoin d'avoir des +mesures exactes du temps dirigea ensuite leurs études +vers la mécanique. Pour se faire une idée des succès +qu'ils avaient obtenus dans cette dernière science, il +suffit de dire un mot de la fameuse clepsydre que le +savant calife Haroun, petit-fils du non moins savant +calife Almanzor, envoya en présent à notre roi Charlemagne +en 799. Cette clepsydre ou horloge d'eau était +d'un mécanisme véritablement merveilleux, s'il faut +s'en rapporter à la description qu'en ont donnée plusieurs +auteurs.</p> + +<p>Sur le cadran de cette horloge étaient pratiquées +douze portes, qui marquaient la division des heures; +chacune d'elles s'ouvrait à l'heure qu'elle indiquait +pour donner passage à de petites boules tombant sur +un timbre d'airain frappant les heures. Elles demeuraient +ouvertes jusqu'à la douzième heure, et alors +douze petits cavaliers sortaient ensemble, faisaient le +tour du cadran, refermaient les portes, etc., etc.</p> + +<p>Les Arabes ne se servirent longtemps que de caractères +grecs pour exprimer les nombres, et ils comprenaient, +comme l'avaient compris tous les anciens +mathématiciens, qu'un bon alphabet manquait encore +à la science des nombres. On suppose qu'ils n'inventèrent +les chiffres que vers la fin du <small>VIII</small><sup>e</sup> siècle.</p> + +<p>Après avoir réduit la langue des nombres à dix signes, +ils essayèrent, à l'aide de diverses combinaisons, +de faire mécaniquement les principales opérations de +<span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p46" id="p46">46</a></span><span class="hidden">)</span> +l'arithmétique; mais ils paraissent avoir échoué dans +ces tentatives. On suppose cependant que le célèbre +Alfraganus, qui écrivit des éléments d'astronomie +autrefois classiques, même dans l'Occident, et est auteur +des <i>Traités sur les horloges solaires et sur l'astrolabe</i>, +conservés en manuscrits dans quelques bibliothèques, +avait réussi à composer une machine à calcul. +L'emploi d'une machine de ce genre, en effet, paraît +seule pouvoir expliquer la rapidité avec laquelle il +faisait les calculs les plus longs et les plus compliqués. +C'est cette rapidité à faire les calculs qui l'avait fait +surnommer <i>le calculateur</i>.</p> + +<p>Quoi qu'il en soit, ce furent les récits merveilleux +que l'on faisait de la science des Arabes dans l'art de +combiner les nombres qui nous valurent l'inestimable +importation des chiffres.</p> + +<hr /> + + +<p>Gerbert, avant d'être moine, archevêque de Reims, +chancelier de France et pape sous le nom de Silvestre II, +avait gardé, sur les montagnes d'Auvergne, les +troupeaux de son père. Le jeune pâtre, qui dépassa le +génie de son siècle, au point que la masse de ses contemporains +lui donna le nom de nécromancien, ne +songeait qu'à se livrer aux distractions de son âge, +lorsque lui vinrent tour à tour l'idée de son horloge à +poids et l'idée de son orgue hydraulique, inventions +qui seules auraient suffi pour immortaliser son nom.</p> + +<p>Pendant que ses compagnons se contentaient de +souffler dans leurs chalumeaux, formés de l'écorce des +<span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p47" id="p47">47</a></span><span class="hidden">)</span> +jeunes rameaux, il avait, lui, trouvé le moyen de se +servir de l'eau d'une fontaine pour produire le vent +qui devait faire rendre des sons variés aux siens.</p> + +<p>Le soleil était son horloge, lorsqu'il brillait sur l'horizon; +mais quand le jour était sombre, il arrivait +parfois au jeune pâtre de se tromper sur l'heure où il +devait conduire son troupeau à l'abreuvoir et sur celle +où il devait le ramener à l'étable.</p> + +<p>Les réprimandes paternelles que lui attiraient ces +erreurs mirent en travail l'imagination de l'enfant des +montagnes, et quelques jours après il avait fabriqué +avec son petit couteau une ingénieuse combinaison de +cordelettes, d'axes et de poids qui lui mesurait le +temps avec une exactitude satisfaisante, et devenait le +point de départ de la savante horloge qu'il devait construire +plus tard à Magdebourg.</p> + +<p>Géraud de Saint-Céré, prieur des bénédictins d'Aurillac, +entendit parler des merveilleux jouets, fut curieux +de les connaître, et pressentit en les voyant, la +haute destinée à laquelle était réservé leur jeune auteur.</p> + +<p>Accueilli dans la célèbre abbaye fondée par saint +Géraud, Gerbert fit de si rapides progrès dans toutes +les sciences, que, quelques années après, ses supérieurs, +jugeant qu'ils ne pourraient plus rien lui apprendre, +lui permirent d'aller suivre en Espagne les leçons de +quelques professeurs dont la célébrité était alors universelle.</p> + +<p>Recommandé à Borel, comte de Barcelone, il +étudia dans cette ville les mathématiques pendant +<span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p48" id="p48">48</a></span><span class="hidden">)</span> +quinze ou dix-huit mois. Là, comme à Aurillac, le +disciple était bientôt devenu plus savant que ses maîtres, +et pourtant sa soif de tout connaître était aussi +ardente que jamais.</p> + +<p>On ne parlait en Espagne qu'avec une admiration +profonde de la science des docteurs musulmans, qui +donnaient des leçons publiques à Cordoue et à Séville. +Malheureusement, le séjour de ces villes était alors +interdit aux étrangers. Le jeune bénédictin français ne +tint aucun compte des dangers dont on le menaçait. Il +quitta momentanément son habit de religieux, couvrit +sa tête d'un turban, et suivit tour à tour les cours des +universités de Séville et de Cordoue avec tant d'ardeur +qu'au bout d'une année, en 968, il revint à Barcelone, +l'esprit rempli de toute la science des docteurs +arabes.</p> + +<p>On nous pardonnera ces détails si l'on songe que +c'est de ce dangereux voyage que Gerbert rapporta les +chiffres.</p> + +<p>On ne commente pas de semblables conquêtes.</p> + +<hr /> + + +<p>Gerbert, non content d'avoir fait à l'Europe un +aussi magnifique présent, se livra aux plus incessantes +recherches pour rendre ce présent plus précieux encore. +Il avait donné les chiffres et révélé l'art de les +combiner, une plume à la main, le travail de l'esprit +aidant; il eut l'ambition d'épargner à l'esprit le soin +de faire ces combinaisons, et voulut confier à une machine +le soin de les faire. Il savait que les Arabes +<span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p49" id="p49">49</a></span><span class="hidden">)</span> +avaient échoué dans toutes les tentatives qu'ils avaient +faites pour créer une machine à calcul; mais les insuccès +de ses maîtres stimulaient son ardeur, bien loin de +le rendre timide dans ses efforts.</p> + +<p>Le désir impatient d'arriver à la découverte de l'introuvable +machine le porta, pendant son séjour à +Rome, à devenir apprenti tourneur. Il lui semblait +que tout lui deviendrait possible, lorsqu'il pourrait façonner +de ses propres mains ses cylindres, ses poulies, +ses roues à dents, etc., etc.</p> + +<p>Espérances vaines! Son habileté dans l'art du tourneur +ne lui servit que pour la construction de ses +sphères, de son horloge, et pour le percement des tubes +dont il avait besoin pour ses observations astronomiques +et pour ses orgues hydrauliques.</p> + +<p>Nous ignorons comment étaient combinées les diverses +machines à calcul que Gerbert essaya de +construire. Cependant il est très-supposable que sa +<i>rhytmomachie</i> et son <i lang="la">abacus</i> étaient des éléments qui +devaient intervenir dans les machines dont il avait à +cœur d'enrichir le domaine de la science. Son livre +sur la multiplication, adressé à son ami Constantin, +moine de Fleury, et son livre sur la division paraissent +de même n'être que des combinaisons imaginées +pour être exécutées mécaniquement.</p> + +<hr /> + + +<p>Le premier essai de machine à calculer que nous +trouvons après celui de Gerbert est ce qu'on a appelé +<i>la tête parlante</i> d'Albert surnommé le Grand.</p> + +<p><span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p50" id="p50">50</a></span><span class="hidden">)</span> +On avait trouvé dans quelques manuscrits que ce +laborieux dominicain avait fait une tête d'airain qui +répondait sans hésiter à toutes les questions qu'on +pouvait lui adresser, et les critiques ont dit avec +raison que c'était là un conte absurde, attendu qu'une +tête artificielle ne peut pas avoir de raisonnement +suivi. S'ils avaient eu un peu plus d'érudition, ces critiques +auraient su que le fait de la tête d'airain est +vrai; seulement, au lieu de répondre à toutes les +questions, elle se bornait à répondre à des questions +sur les nombres; seulement encore, au lieu de prononcer +ses réponses, elle les présentait écrites entre ses +lèvres entr'ouvertes, à l'aide de rubans mus par un +mécanisme intérieur. En d'autres termes, la tête d'airain, +construite par Albert le Grand, était tout simplement +une machine à calculer, exécutant quelques +additions et quelques multiplications composées d'un +petit nombre de chiffres.</p> + +<p>Roger Bacon, contemporain d'Albert le Grand, +construisit, lui aussi, une tête d'airain qui répondait à +certaines questions. Elle a été ridiculisée comme celle +du religieux allemand. C'est avec aussi peu de fondement; +car cette tête de Roger Bacon n'était qu'une +machine à calculer, faite en rivalité de celle d'Albert +le Grand.</p> + +<p>Il est presque inutile de dire qu'en enfermant dans +une tête le mécanisme à l'aide duquel se déroulaient +les rubans numérateurs, on avait pour unique but de +faire paraître plus extraordinaires les réponses arithmétiques +<span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p51" id="p51">51</a></span><span class="hidden">)</span> +qui venaient apparaître entre les lèvres de la +tête d'airain, dont le mécanisme était mû par quelque +pédale cachée sans doute.</p> + +<p>Si nous mentionnons ces essais de machines à calculer, +c'est qu'il importe de montrer que, dans tous les +âges, le désir de faire mécaniquement les opérations +de l'arithmétique a été l'une des ambitions des savants +les plus éminents.</p> + +<hr /> + + +<p>Ayant hâte d'arriver à nos temps modernes, nous +ne raconterons pas les tentatives que firent, pour découvrir +une machine calculatrice, des savants d'un +ordre élevé, à Pise, à Milan, à Lisbonne, à Constantinople, +à Ollmütz, à Erfurt, à Halle, à Bergame, à +Tubingen, à Zurich, à Stralsund, à Odensée, à Leyde, +à Aberdeen, etc., etc.</p> + +<p>Insuccès partout et toujours, et espérance d'arriver +à la découverte sans cesse vivante: voilà le résumé +de l'histoire dont nous esquissons les principaux traits.</p> + +<p>Vers l'an 1460, un célèbre mathématicien allemand, +Jean Muller, plus connu sous le nom de Régiomontan, +avait découvert l'art de substituer aux fractions +ordinaires la division des nombres par 10<sup>e</sup>, 100<sup>e</sup>, +1000<sup>e</sup> et donné à sa méthode le nom d'arithmétique +décimale.</p> + +<p>Cette heureuse simplification ne fit pas disparaître +l'ancienne manière d'opérer avec les parties de l'unité; +mais elle resta dans la mémoire des savants, et quelques-uns +en comprirent les avantages.</p> + +<p><span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p52" id="p52">52</a></span><span class="hidden">)</span> +De ce nombre fut le baron Néper, seigneur écossais. +Comprenant tout le parti que l'on pouvait tirer du calcul +décimal, ce savant entreprit d'en faire la base +d'une machine à l'aide de laquelle il espérait pouvoir +exécuter sans effort d'esprit toutes les opérations de +l'arithmétique. Le mécanisme de cette machine est +inconnu. On sait seulement que l'appareil avait la +forme d'une caisse carrée; que cette caisse contenait +dix rangées de petits cylindres, et que, sur chacun de +ces cylindres était enroulé un ruban sur lequel étaient +tracés les neuf chiffres significatifs et le zéro.</p> + +<p>Le fonctionnement de cette machine ne répondit +pas aux espérances de l'inventeur; mais celui-ci ne fut +nullement découragé par cet échec. Il chercha des +combinaisons mécaniques nouvelles, et arriva à la découverte +de la méthode qu'il nomma <i>rabdologie</i> (du +grec <i>rabdos</i>, baguette, planchette). Elle consiste à +faire des calculs avec de petites baguettes en forme de +pyramides rectangulaires, dont chaque face contient +une partie de l'abaque ou table ordinaire de la multiplication. +Cette table est divisée en neuf petites lames, +dont chacune a neuf cellules. La première de ces cellules +contient l'un des caractères simples, depuis 1 +jusqu'à 9. Les autres cellules renferment les produits +des multiplications du chiffre qu'elles portent en tête +par chacun des nombres simples; en combinant ensemble +ces baguettes, on fait les principales règles de +l'arithmétique.</p> + +<p>Cette combinaison n'est pas difficile à faire. Ce qu'il +<span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p53" id="p53">53</a></span><span class="hidden">)</span> +y a d'embarrassant, c'est la recherche de la baguette +dont on a besoin pour l'opération que l'on veut faire.</p> + +<p>C'est cet inconvénient qui fit regarder la <i>rabdologie</i> +de Néper comme une chose purement ingénieuse.</p> + +<hr /> + + +<p>Le savant écossais avait fait exécuter tous les plans +de ses machines à calculer par un très-habile constructeur +d'instruments de mathématiques, Juste +Byrge, qui était en même temps un très-savant géomètre, +et qui fut l'inventeur du compas de proportion.</p> + +<p>Ce Juste Byrge était un homme simple, et d'une si +grande modestie, qu'il ne jugeait pas que ses productions +fussent dignes de voir le jour. Ce fut bien timidement +qu'il avoua au baron écossais qu'il attachait +un certain prix à une découverte qu'il avait faite depuis +quelque temps. Quelle était cette découverte? +C'était celle des logarithmes.</p> + +<p>On ne dit pas si Néper félicita Byrge de son +bonheur; mais on sait du moins qu'il sut apprécier la +valeur d'une semblable invention, puisque, quelque +temps après, il en fit sa propriété, et publia sous son +propre nom le livre intitulé: <i lang="la">Mirifici logarithmorum +canonis descriptio</i>.</p> + +<p>La priorité de Juste Byrge comme inventeur des +logarithmes étant un fait depuis longtemps constaté +par les témoignages les plus puissants et les plus irrécusables, +il est vraiment étrange que tant d'écrivains +modernes continuent d'attribuer au grand seigneur +écossais la découverte de l'humble constructeur d'instruments +<span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p54" id="p54">54</a></span><span class="hidden">)</span> +de mathématiques allemand. Pour notre +part, nous n'avons pas cru, puisque nous avions à +parler de Néper, pouvoir nous dispenser de rappeler +les circonstances, malheureusement trop peu connues, +qui lui ont valu sa gloire imméritée.</p> + +<p>Un honneur que nous ne refuserons pas à Néper, +c'est celui d'avoir eu l'idée du point de départ, assez +éloigné, il est vrai, de la célèbre machine à calculer +de Pascal. Voici comment:</p> + +<hr /> + + +<p>Nous avons dit que le système rabdologique du baron +écossais avait été abandonné, à cause de la difficulté +de trouver promptement la baguette qui est nécessaire +pour l'opération que l'on veut faire. Un homme +de mérite, Petit, intendant des fortifications, qui avait +étudié avec beaucoup d'attention la méthode de Néper, +vit avec peine que l'on abandonnât cette invention +et chercha à la ramener à une pratique plus facile.</p> + +<p>Quelques années auparavant, un savant jésuite +allemand, Gaspard Schott, avait eu l'idée de coller +les bâtons de Néper sur plusieurs cylindres oblongs, +et mobiles autour de leur axe. Le principe qui avait +présidé à la construction de la machine de Schott +n'était peut-être pas mauvais; mais les cylindres, +qui fonctionnaient bien isolément, donnaient des résultats +inexacts lorsqu'ils devaient marcher ensemble; +l'inventeur désespéra de pouvoir perfectionner +sa machine et l'abandonna.</p> + +<p>Petit se contenta d'un seul cylindre et le fit semblable +<span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p55" id="p55">55</a></span><span class="hidden">)</span> +à celui des orgues de Barbarie. Ayant ensuite +tracé sur des lames de carton les tables de Pythagore, +il ajouta ces lames sur le tambour, de manière +qu'elles pussent glisser parallèlement à son axe, au +moyen d'un bouton que chacune d'elles portait; +mais cette machine, enfermée dans une petite boîte, +exigeait un véritable apprentissage pour la manœuvre +des boutons et présentait d'autres inconvénients +qui empêchèrent qu'elle ne fût accueillie.</p> + +<p>Cependant Pascal fut curieux de la voir. Il trouva +que les éléments en étaient utilisables et promit à +Petit de chercher s'il serait possible de perfectionner +les organes de cet appareil.</p> + +<p>Petit était déjà l'ami de Descartes, il devint bientôt +celui de Pascal. On sait qu'à la suite de la découverte +de Torricelli, ce fut Petit qui fit les premières +expériences sur le vide. Ce que l'on sait moins, +c'est que ce fut sur la prière de Petit que Pascal +étudia la question de la pesanteur de l'air et fit faire +par son beau-frère Perrier les fameuses expériences +du Puy-de-Dôme. Il est bien entendu que si l'idée +d'expériences à faire, pour démontrer la pesanteur +de l'air, appartient à l'intendant des fortifications +de France, au géographe du roi, la méthode d'après +laquelle ces expériences furent faites fut créée par le +génie seul de Pascal.</p> + +<p>N'ayant pu corriger les vices organiques de la +rabdologie de Petit, Pascal entreprit de construire +<span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p56" id="p56">56</a></span><span class="hidden">)</span> +une machine arithmétique d'après un système qui +lui serait propre.</p> + +<p>La machine à calculer de Pascal, que compliquent +tant de rouages, tant de poids, qui a besoin d'un si +grand nombre d'organes pour produire des résultats +si limités, a été décrite dans trop de livres pour que +nous jugions utile d'en donner une description nouvelle. +Nous nous contenterons de dire que cette machine +fut, entre toutes les créations du grand +homme, celle qui fatigua le plus son génie, qui lui +fit prodiguer les veilles les plus longues, qui lui fit +faire, voulons-nous dire, une plus rapide dépense +de vie.</p> + +<hr /> + + +<p>La machine de Pascal fut regardée comme une +conception merveilleuse; mais elle était trop incomplète +et trop compliquée pour pouvoir prendre rang +parmi les instruments de mathématiques usuels.</p> + +<p>L'un des plus ingénieux mécaniciens de l'époque, +Grillet, horloger de Louis XIV, eut l'ambition de la +simplifier. Il travailla dans ce but, pendant de longues +années, aidé par les conseils de plusieurs membres +de l'Académie des Sciences, et parvint enfin, +après avoir supprimé le tambour et les poids de +Pascal, à disposer sur les roues les lames porte-chiffres, +de telle sorte qu'en tournant ces roues d'un côté +il opérait l'addition, et qu'en les tournant du côté +opposé il faisait la soustraction.</p> + +<p>Cette machine aurait eu une véritable valeur si +<span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p57" id="p57">57</a></span><span class="hidden">)</span> +elle avait pu servir pour des additions et des soustractions +composées de chiffres indéfinis; mais elle +ne pouvait opérer qu'avec un nombre de chiffres +très-limité, et dès lors elle n'était plus qu'un simple +objet de curiosité.</p> + +<p>L'auteur lui-même la jugea telle, puisqu'il n'en +construisit qu'une seule, qu'il montrait fonctionnant +au public, et à prix d'argent.</p> + +<p>Le mécanisme de cette machine est inconnu. +Grillet, dans ses <i>Curiosités mathématiques</i>, a bien décrit +l'extérieur de sa machine; mais il n'a rien dit de +sa construction intérieure. Le <i>Journal des Savants</i> de +l'année 1678 suppose que tout le secret de la machine +de Grillet consistait dans une ingénieuse disposition, +sur de petits cylindres, des lames de la table +de Pythagore.</p> + +<hr /> + + +<p>L'abbé Conti, célèbre mathématicien, a dit de +Leibnitz: «Il voulut surpasser tous les mathématiciens. +Il n'est presque point d'objet dans la vie +civile pour lequel il n'eût inventé quelque machine, +mais aucune ne réussit.»</p> + +<p>L'admiration qu'avait excitée, en Europe, la machine +de Pascal, regardée comme un effort de génie +qui ne pouvait que très-difficilement être égalé, excita +l'envie de Leibnitz. Ce savant était alors à l'apogée de +sa gloire. L'empereur d'Allemagne, le czar de Russie, +l'électeur de Brandebourg, tous les princes d'Allemagne +lui avaient prodigué les dignités et les pensions; +<span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p58" id="p58">58</a></span><span class="hidden">)</span> +toutes les Académies de l'Europe se faisaient +gloire de le compter au nombre de leurs membres +associés, et cependant il ne se trouvait pas heureux; +au milieu de toutes ces glorifications, la machine de +Pascal lui donnait des insomnies; il résolut de +créer une machine rivale de celle du savant français.</p> + +<hr /> + + +<p>Philosophie, physique, chimie, mathématiques, +correspondances savantes, relations avec les souverains, +il mit tout de côté pour recueillir ses forces, +pour mettre tout son temps et tout son génie au service +de son ambition nouvelle. Pendant près de +quatre ans il ne vécut guère que pour cette ambition, +c'est-à-dire que pour la machine à calculer qu'il voulait +opposer à celle de Pascal.</p> + +<p>Dès qu'il eut imaginé la première combinaison de +cette machine, il en envoya, pour prendre date, les +plans à la Société royale de Londres. D'après ces +plans, la machine devait exécuter les quatre règles de +l'arithmétique. Quelque temps après, il présenta cette +même machine à l'Académie des Sciences de Paris. +Il avait dépensé pour la construire environ 100,000 +francs, somme qui indique bien quel prix il attachait +à une œuvre de ce genre, quand on sait que l'avarice +est le plus grand vice que l'histoire ait eu à lui reprocher.</p> + +<p>Sa machine fut trouvée très-imparfaite dans son +exécution, d'un jeu peu sûr et n'allant pas au delà +<span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p59" id="p59">59</a></span><span class="hidden">)</span> +d'une addition et d'une soustraction composées de +quatre chiffres.</p> + +<p>Pour comble de malheur, comme Grillet s'était +défait de sa machine, sans que l'on sût comment, on +supposa que Leibnitz en était devenu l'acquéreur +indirect, et l'avait copiée d'une manière presque +servile.</p> + +<p>Cette accusation, très-timidement énoncée d'abord, +fut formulée très-explicitement, lorsque Keill l'accusa +à la face de l'Europe de se dire à tort l'inventeur du +calcul différentiel et se fit fort de prouver qu'il avait +dérobé cette invention à Newton.</p> + +<p>On sait que, Leibnitz ayant dénoncé cette accusation +à la Société royale de Londres et l'ayant prise +pour juge, la Société royale décerna l'honneur de la +découverte du calcul différentiel à Newton.</p> + +<p>Ce procès de priorité, malgré le jugement de la +Société royale, est toujours pendant devant l'histoire; +mais un fait est très-certain: c'est que la machine à +calculer de Leibnitz ne valait pas même celle de l'horloger +Grillet.</p> + +<p>L'<i lang="la">instrumentum mathematicum universale</i> de Riler +n'est pas, à proprement parler, une machine. C'est +tout simplement une modification de la règle à calculer +d'Edmond Günther. Günther avait transporté les logarithmes +sur une échelle linéaire, au moyen de laquelle +on pouvait, par une ouverture de compas, obtenir le +résultat d'une multiplication ou d'une division. La règle +<span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p60" id="p60">60</a></span><span class="hidden">)</span> +de Riler ne diffère de celle de Günther que par sa +forme, qui est semi-circulaire.</p> + +<p>En 1673, Samuel Moreland publia à Londres un +petit livre intitulé: <i>Description et usage de deux instruments +d'arithmétique</i>. Ces deux machines n'ont probablement +jamais été construites et ne méritent pas de +l'être.</p> + +<p>L'auteur de la colonnade du Louvre et de l'Observatoire, +qui était plus qu'un maçon, n'en déplaise à Boileau, +Perrault, qui était aussi habile mécanicien que +grand architecte, composa avec de petites règles, portant +chacune des séries de chiffres placées l'une à la +suite de l'autre, une machine à calculer fort ingénieuse, +mais qui ne pouvait être qu'un simple objet de curiosité. +Le dessin et la description s'en trouvent dans le +premier volume des <i>Machines approuvées par l'Académie +des Sciences</i>.</p> + +<p>Le marquis Giovanni Poleni, le célèbre professeur +d'astronomie et de mathématiques de Padoue, le restaurateur, +pour ne pas dire le créateur de l'architecture +hydraulique, Poleni, qui, grâce à sa connaissance de +tous les secrets de la mécanique, eut la gloire de consolider +la basilique de Saint-Pierre de Rome, sans rien +changer à sa valeur artistique, et après que tous les +architectes consultés par Benoît XIV eurent déclaré +que le chef-d'œuvre du génie de Michel-Ange ne pouvait +être consolidé qu'à la condition d'être réédifié sur +des fondements nouveaux; Poleni, que les rois faisaient +consulter pour tous leurs grands travaux; Poleni, le +<span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p61" id="p61">61</a></span><span class="hidden">)</span> +correspondant aimé de Newton, de Leibnitz, de Bernouilli, +de Wolf, de Mairan, de Cassini, de Manfredi, +de S'Gravesande, de Muschenbroëck, etc., qui lui +donnaient généralement le nom de maître, Poleni entreprit, +lui aussi, de construire une machine à +calculer.</p> + +<p>Wolf, à qui il avait fait part de son projet, lui écrivit +de Halle: «Je fais des vœux d'autant plus ardents +pour votre succès, que votre échec détournerait +éternellement tous les savants de rentrer dans une +voie que vous n'auriez pu parcourir jusqu'au bout.»</p> + +<p>Poleni suivit jusqu'au bout la voie dans laquelle il +était entré, c'est-à-dire exécuta sa machine; mais les +plans et la description qu'il nous en a laissés, dans ses +<i lang="la">Miscellanea</i>, nous montrent qu'il ne fut pas plus heureux +que ses devanciers.</p> + +<p>Les craintes de Wolf ne se réalisèrent pas; l'insuccès +de Poleni ne découragea personne, ainsi qu'on le +verra par la suite de cette liste des chercheurs de l'introuvable +machine.</p> + +<p>Leupold, le grand ingénieur des mines du roi de +Pologne, l'auteur de la précieuse collection intitulée +<i lang="la">Theatrum machinarum</i>, l'inventeur heureux de tant +d'instruments de mathématiques, ayant échoué dans +ses premières tentatives pour créer une machine à calculer +qui n'empruntât rien aux machines antérieures, +finit par recourir au tambour de Petit. Il le rendit plus +commode en le faisant décagonal, de cylindrique qu'il +était, puisqu'il supprima par là les rainures pour le +<span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p62" id="p62">62</a></span><span class="hidden">)</span> +glissement des baguettes; mais ce travail n'ajouta rien +à sa gloire, et la machine à calculer restait toujours à +trouver.</p> + +<p>Sera-ce Clairaut, grand géomètre dès l'âge de +douze ans, et membre de l'Académie des Sciences à +dix-huit, qui fera la merveilleuse découverte?</p> + +<p>Non. Il mettra dans cette recherche toute sa science, +toute son ardeur, tout son génie; mais tous ses efforts +seront impuissants et il brisera toutes les poulies, tous +les rouages, tous les ressorts de sa machine, en disant: +«Délivrons-nous de la présence de ces témoins, +qui me rappelleraient sans cesse que j'ai travaillé +pendant dix-huit mois à faire des arithméticiens de +ces morceaux de bois et de cuivre.»</p> + +<p>Il nous est cependant resté l'une des combinaisons +qui s'étaient présentées à l'esprit de Clairaut, pendant +qu'il travaillait à sa machine à calculer. Nous voulons +parler de sa planchette trigonométrique, figurée et décrite +dans le 5<sup>e</sup> volume des <i>Machines de l'Académie +des Sciences</i>, et destinée à remplacer les tables des logarithmes +et à résoudre les triangles sans calcul.</p> + +<p>Michaël Poetius a décrit un instrument composé de +cercles concentriques mobiles, qui semble n'être +qu'une modification de la rabdologie de Néper et ne +peut pas rendre plus de services que la table de Pythagore. +Aussi l'appelle-t-on <i lang="la">Mensula pythagorica</i>.</p> + +<p>La nouvelle disposition de la table de Pythagore +par de Méan est décrite dans les <i>Machines de l'Académie +des Sciences</i> et facilite plusieurs calculs; mais ce +<span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p63" id="p63">63</a></span><span class="hidden">)</span> +n'est pas là, à proprement parler, une machine. Nous +dirons la même chose de l'échelle à coulisse de +Ch. Leadbetter, dont Jones s'attribua ou se laissa attribuer +plus tard l'invention.</p> + +<p>La machine de Lépine, le célèbre horloger français, +attira un instant l'attention des savants; mais on reconnut +bientôt que Lépine n'avait fait que simplifier +dans sa construction la machine de Pascal et lui avait +laissé tous les inconvénients qui la rendent impropre +à toute espèce de service. Cette machine est décrite +dans le 4<sup>e</sup> volume des <i>Machines de l'Académie</i>.</p> + +<p>Hillerin de Boistissandeau fut moins imitateur que +Lépine. Il modifia profondément les organes de la machine +de Pascal, en retrancha quelques-uns, en ajouta +d'autres, se montra fort ingénieux dans ses combinaisons; +mais, au résumé, il resta, comme tous ses devanciers, +à une distance énorme en deçà du but qu'il +s'était proposé d'atteindre.</p> + +<p>Et pourtant ce ne fut pas le courage qui lui fit défaut, +ainsi que nous en avons la preuve dans le 5<sup>e</sup> volume +des <i>Machines de l'Académie des Sciences</i>, puisque, +sa première machine n'ayant pas réussi, il en construisit +une seconde, d'après un système nouveau.</p> + +<p>Vers le même temps, de Salamanque, de Palerme, +de Mantoue, de Berlin, de Leipsick, etc., on annonçait +la découverte de machines à calculer, qui tombèrent +immédiatement dans l'oubli.</p> + +<p>Celle qui fut présentée en 1735 à la Société royale +de Londres, par Gorsten, occupa l'attention de l'Europe +<span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p64" id="p64">64</a></span><span class="hidden">)</span> +un peu plus longtemps. Elle n'opérait que l'addition +et la soustraction, fonction remplie par plusieurs +machines antérieures, mais d'une manière plus compliquée. +Elle était composée d'une suite de crics dont +chacun était mû par une étoile ou pignon, et poussait +l'étoile suivante d'un dixième. Le dessin et la description +de cette machine se trouvent dans le 9<sup>e</sup> volume +des <i lang="en">Philosophical Transactions</i>.</p> + +<p>La machine arithmétique que Pereire présenta à +l'Académie des Sciences de Paris, en 1750, et dont le +<i>Journal des Savants</i> nous a conservé la description, se +composait de petites roues de buis ou cylindres très-courts +enfilés par un même axe. Les chiffres étaient +écrits sur le pourtour de chacune de ces roues, qui +étaient enfermées dans une boîte. Sur le dessus de cette +boîte étaient pratiquées autant de rainures qu'il y avait +de roues. Chaque rainure avait en longueur le tiers +de la roue qui lui correspondait. Une aiguille passée +dans la rainure servait pour faire tourner la roue, etc.</p> + +<p>Avec cette machine on pouvait faire un certain +nombre d'opérations, mais moins rapidement qu'avec +la plume.</p> + +<p>Les deux machines qu'inventa lord Mahon, comte de +Stanhope, ont eu une assez grande réputation en Angleterre. +L'une servait pour faire l'addition et la soustraction, +l'autre pour la multiplication et la division.</p> + +<p>Le comte de Stanhope, qui conquit au profit de l'Angleterre +l'île Minorque et dut son titre de lord Mahon +à la prise de Port-Mahon; lord Stanhope, le généralissime +<span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p65" id="p65">65</a></span><span class="hidden">)</span> +des années anglaises en Espagne, qui n'avait remporté +que des victoires, jusqu'au jour où il se trouva en +face du duc de Vendôme, qui le vainquit et le fit prisonnier +avec 5,000 Anglais; lord Stanhope, dis-je, n'était +pas seulement un grand capitaine, il était encore un +savant d'un ordre élevé.</p> + +<p>Ayant d'abord eu la passion des langues, il avait +appris en trois années toutes celles qui se parlent en +Europe. L'ambition de devenir un nouvel Archimède +s'étant ensuite emparée de lui, il s'était mis à étudier +l'ancienne balistique et la mécanique avec une ardeur +incroyable. Cette étude n'aurait été qu'un plaisir pour +lui, si elle avait exigé moins de calculs; mais les incessantes +colonnes de chiffres qu'elle consomme fatiguaient, +épuisaient sa patience. Il chercha donc à +savoir si, parmi les nombreuses machines arithmétiques +qui avaient été imaginées, il ne s'en trouverait pas une +qui fût propre à lui épargner le fatigant travail du calcul +numérique.</p> + +<p>Aucune de ces machines ne l'ayant satisfait, il entreprit +d'en construire une lui-même. Il essaya un nombre +de combinaisons infini, garda pendant plusieurs années +à son service des mécaniciens qui travaillaient uniquement +à l'exécution de ses plans, sans cesse changés ou +modifiés, et ne s'arrêta, en fin de compte, qu'aux deux +machines compliquées, incomplètes, inutilisables, que +nous avons mentionnées.</p> + +<p>Vers le même temps, Matthieu Hann, pasteur de +Kornswestheim, près de Ludwigsbourg (Wurtemberg), +<span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p66" id="p66">66</a></span><span class="hidden">)</span> +après de longues années de travail et de grandes dépenses, +montra une machine arithmétique avec laquelle +il exécutait des opérations fort difficiles. Cette machine +commença par exciter un étonnement général; mais +bientôt on reconnut que les calculs exécutés avec cet +instrument étaient très-limités, très-inexacts; l'invention +de Hann fut abandonnée. On n'en connaît pas la +structure intérieure, le <i>Mercure</i> de Wieland n'en ayant +décrit que la forme extérieure.</p> + +<p>La machine que construisit, bientôt après, le capitaine +du génie Müller était plus exacte que celle de Hann, +mais était aussi incomplète. L'auteur donne la description +de la forme extérieure de sa machine et les indications +sur la manière de s'en servir, dans sa brochure +intitulée: <i>Description d'une nouvelle machine</i>.</p> + +<p>La machine arithmétique dite de Diderot étant +longuement décrite dans la grande Encyclopédie, nous +n'en dirons rien. Nous nous contenterons de rappeler +que presque tous les savants de l'Encyclopédie sont +aujourd'hui réputés avoir contribué de toute leur +science, de tout leur génie, à la création de cette lourde +machine, dont la mémoire de Diderot a seule longtemps +supporté la responsabilité.</p> + +<p>L'instrument inventé par Prahl et connu sous le +nom d'<i lang="la">Arithmetica portabilis</i>, n'est qu'une sorte de +reproduction de la <i lang="la">Mensula pythagorica</i> de Michaël +Poetius. Il n'en diffère qu'en ceci: les cercles mobiles +sont beaucoup plus grands et portent des chiffres qui +vont de 1 à 100, de sorte qu'au moyen de cette machine +<span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p67" id="p67">67</a></span><span class="hidden">)</span> +on peut additionner et soustraire jusqu'au nombre 100.</p> + +<p>La machine à calculer dont Gruson donne la description +dans une brochure qu'il publia en 1790, à +Hagdebourg, n'est également qu'une imitation de la +<i lang="la">Mensula pythagorica</i> et consiste dans un disque de +carton, avec index au milieu.</p> + +<p>En 1797, Jordans publia à Stuttgart une brochure +portant pour titre: <i>Description de plusieurs machines +à calcul, inventées par Jordans</i>. Cette brochure ne +fait guère que reproduire, sous des formes modifiées, +le <i lang="la">promptuarium</i> de Néper.</p> + +<p>En 1795, Leblond avait transporté sur un cadran +les divisions logarithmiques de Günther; mais cette +modification ne constitue pas une machine proprement +dite.</p> + +<p>Il faut en dire autant de l'arithmographe que Gottey +construisit en 1810, qui n'est également qu'une +forme nouvelle, la forme circulaire, donnée à l'instrument +de Günther.</p> + +<p>Il faut en dire autant des règles logarithmiques de +Mountain et de celles de Makay; autant des règles de +Scheflelt et de la double règle de Lambert; autant de +la règle à coulisse de Lenoir, qui n'est que la reproduction +de celle, non pas de Jones, qui n'était lui-même +qu'un reproducteur, mais de Ch. Leadbetter.</p> + +<p>La Société royale des Sciences, de Varsovie, fut appelée, +en 1814, à examiner une véritable machine +arithmétique, c'est-à-dire propre à exécuter les quatre +règles. L'auteur de cette invention, Abraham Stern, +<span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p68" id="p68">68</a></span><span class="hidden">)</span> +s'était montré très-ingénieux dans la conception et la +construction de sa machine; cependant, malgré ses +savantes combinaisons, il n'avait pu réussir à lui +donner les qualités exigées des créations de cette +espèce. Sa machine était très-compliquée, très-difficile +à manœuvrer et exigeait une attention plus fatigante +que celle des calculs faits à la plume. Elle fut abandonnée.</p> + +<p>La fameuse machine de Babbage n'est pas, à proprement +parler, une machine arithmétique, puisqu'elle +n'exécute pas les quatre règles de l'arithmétique. +Cet appareil, infiniment compliqué et excessivement +volumineux, n'est destiné qu'à donner les +différents termes d'une série qui procède par différences. +Babbage l'a construite ou plutôt a commencé +à la construire en 1821, sur l'invitation du gouvernement +anglais. Celui-ci voulait qu'elle pût calculer +les tables mathématiques et astronomiques.</p> + +<p>L'ingénieur anglais, après avoir travaillé à cette +machine pendant plus de douze ans, et y avoir dépensé +17,000 livres sterling (425,000 francs), dues, +en partie, à la munificence du roi Georges III, n'était +arrivé en 1833 qu'à l'exécuter pour trois colonnes.</p> + +<p>Depuis ce temps, Babbage a paru ne plus s'en occuper. +Est-ce parce que les mouvements excessivement +lents de cette machine ne permettaient pas d'en attendre +ultérieurement des résultats utiles? Est-ce parce que +le demi-million qu'il faudrait encore dépenser pour +l'exécuter sur une grande échelle effraie le gouvernement +<span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p69" id="p69">69</a></span><span class="hidden">)</span> +anglais? L'inventeur, enfin, se trouve-t-il +arrêté dans l'exécution de son œuvre par des difficultés +dont ne peuvent triompher ni sa science ni son génie?</p> + +<p>Sans chercher une réponse à ces questions, contentons-nous +de dire que depuis 1833 la machine de +Babbage est restée à l'état de promesse, et que rien +n'en annonce la réalisation ultérieure.</p> + +<p>Quelque temps après que Babbage eut fait connaître +que sa machine avait reçu un commencement +d'exécution, un Suédois, M. Schentz, annonça qu'il +avait, de son côté, inventé une machine pour la formation +des séries. Cette machine n'a pas été exécutée, +et l'auteur n'en a pas fait connaître le mécanisme.</p> + +<p>Après que le brevet d'invention que M. Thomas +de Colmar avait pris en 1822 fut expiré et eut été +publié, les annonces d'inventions de nouvelles machines +à calculer se multiplièrent d'une manière inouïe +jusque-là. Il y eut telle année où il fut pris jusqu'à +quatre brevets d'invention pour machines de cet ordre.</p> + +<p>Tous ces brevets montrent que les inventeurs qui +vont réchauffer leurs inspirations dans le recueil des +inventions tombées dans le domaine public, et qui, +quelquefois même, n'attendent pas si longtemps pour +se procurer le secours du génie d'autrui, ne s'étaient +pas fait faute de faire à l'arithmomètre des emprunts +plus ou moins habilement déguisés.</p> + +<p>Parmi ces inventions de seconde main, les unes sont +à peu près restées à l'état de projet; les autres n'ont +profité qu'aux mécaniciens par qui les inventeurs les +<span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p70" id="p70">70</a></span><span class="hidden">)</span> +ont fait construire, et sont allées aux mains du ferrailleur.</p> + +<p>Cependant, depuis l'invention de l'arithmomètre, +trois autres machines à calculer, recommandables +par d'autres qualités que celles de l'imitation, ont été +exécutées.</p> + +<p>La première, c'est l'additionneur de M. le docteur +Roth. Cette machine est fondée sur le même principe +que celle de Pascal; mais ses roues ne marchent pas +de la même manière. Dans la machine de Pascal, les +roues se commandent, comme on dit en mécanique, +elles marchent ensemble. Dans la machine de M. Roth, +elles sont indépendantes; l'une ne marche qu'après +que celle qui la précède a accompli son mouvement. +Le mécanisme de Pascal est fondé sur la transmission +simultanée; celui de M. Roth, sur la transmission successive. +Le premier exige d'autant plus de force pour +être manœuvré, que les roues sont plus nombreuses; +le second n'exige jamais que la même force, quel que +soit le nombre des roues.</p> + +<p>En somme, la machine de M. Roth est une bonne +machine pratique; malheureusement, elle ne peut servir +que pour faire les additions.</p> + +<p>À l'Exposition de l'industrie de 1849, une nouvelle +machine à calculer: l'arithmaurel, fut présenté par +MM. Maurel et Jayet. Cette machine, ainsi que l'a +reconnu l'Académie des sciences, en la jugeant digne +du prix de mécanique de la fondation Monthyon, exécute +très-bien les quatre principales opérations de +<span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p71" id="p71">71</a></span><span class="hidden">)</span> +l'arithmétique; mais, comme l'a dit M. Mathieu, il +est à craindre que les combinaisons mécaniques très-ingénieuses, +mais très-délicates, sur lesquelles elle +repose, n'entraînent dans des frais de construction +trop élevés pour que l'arithmaurel devienne jamais +bien usuel.</p> + +<p>Cependant cette machine, quoique la délicatesse de +ses organes et le prix énorme qu'elle coûterait, si elle +devait opérer avec un nombre de chiffres un peu considérable, +semblent la condamner à n'être guère +qu'un simple objet de curiosité, n'en fait pas moins +beaucoup d'honneur à l'imagination et à l'habileté +mécanique de MM. Maurel et Jayet.</p> + +<p>C'est une véritable gloire que l'arithmaurel aurait +procurée à ses constructeurs, s'il pouvait se faire que +l'année 1822 ne fût pas antérieure à l'année 1849, +c'est-à-dire que l'arithmomètre n'eût pas précédé +l'arithmaurel de plus de vingt-cinq ans.</p> + +<p>Nous voulons dire par ce qui précède que MM. Maurel +et Jayet ont certainement mis dans la construction +de leur machine des combinaisons très-ingénieuses et +dont personne ne songe à leur contester la priorité; +mais ils ont donné pour principal organe à cette machine +de 1849 le même organe principal que M. Thomas +de Colmar avait donné à son arithmomètre de 1822.</p> + +<p>En d'autres termes, la machine de MM. Maurel et +Jayet a été construite sur le principe de celle de +M. Thomas de Colmar.</p> + +<p><span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p72" id="p72">72</a></span><span class="hidden">)</span> +Le Jury central de l'Exposition de 1849 s'est +exprimé ainsi par l'organe de son rapporteur:</p> + +<p>«MM. Maurel et Jayet ont présenté, sous le nom +d'arithmaurel, une machine à calculer, dans laquelle +on retrouve le principal organe de l'arithmomètre +de M. Thomas, à savoir: des cylindres cannelés et +des arbres parallèles sur lesquels glissent des pignons +destinés à représenter des nombres.»</p> + +<p>Le Comité des arts mécaniques de la Société d'encouragement +pour l'industrie nationale disait, dans sa +séance du 12 mars 1851, dans un rapport à la suite +duquel une médaille d'or fut décernée à M. Thomas +de Colmar:</p> + +<p>«Ces organes de la machine de MM. Maurel et +Jayet sont réellement les organes des machines de +M. Thomas, leurs organes caractéristiques.»</p> + +<p>Dans la séance de l'Académie des Sciences du +11 décembre 1854, une commission composée de +MM. Cauchy, Piobert et Mathieu, à l'examen de +laquelle avait été renvoyée la machine perfectionnée, +ou plutôt la nouvelle machine de M. Thomas de Colmar, +reconnaissait également dans des termes explicites +que le principal organe de l'arithmaurel existait +dès 1822 dans la machine primitive de M. Thomas.</p> + +<p>Nous disons dans la Machine primitive, parce que +M. Thomas, ayant reconnu les inconvénients des cannelures, +les a remplacées, dans sa nouvelle machine, +par un système de denture infiniment plus simple et +plus doux à mouvoir.</p> + +<p><span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p73" id="p73">73</a></span><span class="hidden">)</span> +Voici les termes dont se servit M. Mathieu, rapporteur +de la commission académique dont nous venons +de parler, pour rappeler les titres de priorité de +M. Thomas:</p> + +<p>«M. Thomas, en employant des cylindres cannelés, +était parvenu dès 1822 à construire une machine +simple avec laquelle on pouvait exécuter, sans +tâtonnement, les opérations ordinaires de l'arithmétique.</p> + +<p>»L'idée du cylindre cannelé se retrouve dans une +machine nommée arithmaurel, construite <i>postérieurement</i> +par MM. Maurel et Jayet, et pour laquelle +ils ont obtenu le prix de mécanique de la fondation +Monthyon.»</p> + +<p>Il n'est pas absolument impossible que l'idée des +cylindres cannelés et des arbres parallèles sur lesquels +glissent les pignons destinés à représenter les nombres, +se soit présentée en 1849 à l'esprit de MM. Maurel +et Jayet, comme elle s'était présentée à celui de +M. Thomas de Colmar plus de vingt-cinq ans auparavant; +mais nos règles de justice, dans les matières de ce +genre, n'admettent pas des rencontres semblables, et +attribuent tout l'honneur que peut valoir une idée +scientifique ou industrielle à celui qui l'a authentiquement +émise le premier.</p> + +<p>La troisième machine à calculer remarquable qui +a paru depuis la publication des plans de celle de +M. Thomas de Colmar, est celle qu'un savant constructeur +russe, M. Staffel, présenta à l'Exposition +<span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p74" id="p74">74</a></span><span class="hidden">)</span> +universelle de Londres. Cette machine exécute d'une +manière fort satisfaisante les principales opérations +de l'arithmétique; mais l'extrême délicatesse de son +mécanisme et son prix excessif, si elle devait servir +pour des calculs à chiffres nombreux, ne permettent +pas de la regarder comme un instrument susceptible +d'entrer dans le commerce.</p> + +<p>Quant au principe de cette machine, il est effectivement +le même que celui de la machine de M. Thomas +de Colmar, quoiqu'il soit appliqué d'une manière +différente, c'est-à-dire quoique les cylindres soient +verticaux, au lieu d'être horizontaux.</p> + +<p>La machine de M. Staffel se trouve donc vis-à-vis +de celle de M. Thomas de Colmar frappée, comme +l'arithmaurel, du cachet de la postériorité, pour nous +servir d'un mot qui réserve tous les droits de l'inventeur +de l'arithmomètre, sans préciser d'autre fait que +le malheur qu'ont eu MM. Staffel, Maurel et Jayet +d'avoir été devancés dans la découverte du principe +qui nous a valu la solution du problème qu'avait stérilement +cherché le génie des siècles.</p> + +<p>Il n'a été présenté à notre Exposition universelle +que deux machines à calculer: l'arithmaurel et l'arithmomètre +perfectionné, ou plutôt le nouvel arithmomètre.</p> + +<p>Les deux machines à calcul de l'Autriche: l'une, +exposée par M. Rettembacher, d'Isch, et l'autre, par +M. Stach, de Trieste, appartiennent à la catégorie des +règles à coulisses.</p> + +<p><span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p75" id="p75">75</a></span><span class="hidden">)</span> +Une revue scientifique de Paris avait annoncé qu'une +véritable machine à calculer devait être exposée par +un Suédois; mais nous croyons savoir que la commission +suédoise n'a pas même entendu parler d'une +machine de ce genre.</p> + +<p>Il a été certainement construit bien plus de machines +arithmétiques que nous n'en avons mentionné. +Chez combien de savants, en effet, n'a pas dû naître +l'ambition de résoudre un problème qui avait véritablement +été posé devant le génie de l'homme dès +l'origine de la société! Dès l'origine de la société, +disons-nous, puisque, chez les peuples qui ne sont pas +encore nés à la civilisation, nous trouvons un commencement +de lutte contre ce problème, c'est-à-dire, +l'emploi, pour calculer plus facilement, de cordes à +nœuds, de tablettes percées de petits trous, dans +lesquels on fait manœuvrer des chevillettes; d'espèces +de damiers calculateurs; de chapelets de coquillages +ou de graines de fruits, d'abaques plus ou moins élémentaires, +etc.</p> + +<p>De toutes les tentatives infructueuses qui ont été +faites pour arriver à la découverte d'une véritable +machine arithmétique, nous n'avons pu connaître que +celles qui étaient regardées comme heureuses par leurs +auteurs, car il n'est pas naturel que l'homme publie +des insuccès qui constatent sa faiblesse; et cependant +combien est longue la liste des chercheurs connus de +la rebelle machine!</p> + +<p>Quelle était donc, au fond, la grande difficulté qu'il +<span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p76" id="p76">76</a></span><span class="hidden">)</span> +s'agissait de vaincre?—Francœur va répondre à +cette question:</p> + +<p>Dans la séance de 20 février 1822, ce savant s'exprimait +ainsi devant la Société d'encouragement, dans +son rapport sur la machine de M. Thomas:</p> + +<p>«Le défaut de toutes les machines arithmétiques +est de ne se prêter qu'a des calculs très-simples. +Dès qu'il s'agit de multiplier, il faut convertir l'opération +en une suite d'additions; ainsi, pour obtenir +7 fois 648, on est obligé d'ajouter d'abord 648 à +lui-même, puis la somme à 648, celle-ci encore à +648, etc., jusqu'à ce que 648 ait été pris 7 fois. À +quelles longueurs ne faut-il pas se soumettre lorsque +le multiplicateur a deux ou trois chiffres! Celle de +M. Thomas donne de suite les résultats du calcul.</p> + +<p>»La plus grande difficulté à vaincre donc, difficulté +contre laquelle le génie même de Pascal a +échoué, c'était de faire porter les retenues sur le +chiffre à gauche. Dans la multiplication de 8 par 7, +on ne pose pas le produit 56, mais seulement le +chiffre 6, parce qu'on reporte les cinq dizaines sur +le produit prochain. Le mécanisme par lequel +M. Thomas opère ce passage est extrêmement ingénieux; +ce report se fait de lui-même, sans qu'on y +songe. Pour multiplier 648 par 7, par exemple, +l'opérateur tire le cordon sans s'embarrasser s'il y a +ou non des chiffres à retenir, sans même savoir ce +que c'est, et il lit de suite le produit 4,536.»</p> + +<p>La gloire de M. Thomas de Colmar consiste donc +<span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p77" id="p77">77</a></span><span class="hidden">)</span> +essentiellement dans la découverte du principe ou, si +l'on veut, du procédé mécanique qui a permis de +triompher de la difficulté qui avait arrêté jusqu'à lui +tous les chercheurs d'une véritable machine à calculer.</p> + +<p>Le principe, le procédé mécanique à l'aide duquel +se résout la grande difficulté qu'il s'agissait de vaincre +ayant été trouvé par M. Thomas, est modifiable comme +toutes les choses matérielles. Il est, par conséquent, +facile de construire des machines arithmétiques dont +les organes diffèrent par la forme, par le mode de +fonctionnement, de la machine de M. Thomas. Ce qui +ne serait pas facile, ce serait de pouvoir raisonnablement +prétendre que le principe fondamental de l'arithmomètre +n'a pas été le point de départ des machines +arithmétiques construites dans ces dernières années.</p> + +<p>Une pareille prétention, si elle était émise, paraîtrait +probablement tout aussi singulière que celle du +photographe qui, ne se servant ni des plaques, ni des +substances, ni des objectifs employés par Daguerre et +Niepce, dénierait à ces deux noms une part dans le +mérite de ses œuvres.</p> + +<hr /> + + +<p>Le triomphe obtenu par M. Thomas de Colmar +sur les difficultés que la science avait en dernier lieu +déclarées invincibles, ne serait pas apprécié comme il +mérite de l'être, si on oubliait que ses devanciers, dans +la recherche de la machine à calculer, n'avaient pas +craint de multiplier les organes de leurs machines, et +<span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p78" id="p78">78</a></span><span class="hidden">)</span> +qu'il s'était interdit, lui, l'emploi de tout mécanisme +compliqué.</p> + +<p>Avec un peu d'imagination et de patience, on peut, +pour ainsi dire, tout faire en mécanique, quand on ne +se limite pas dans l'emploi des roues, des pignons, +des échappements, etc.; mais il faut autre chose que +de l'imagination et de la patience pour produire des +effets d'une complication et d'une variété infinies avec +des moyens simplifiés jusqu'à l'unité.</p> + +<p>C'est cette simplicité absolue qui caractérise éminemment +l'arithmomètre et empêche qu'on ne le confonde +avec les conceptions qui ne viennent pas en +droite ligne du génie.</p> + +<p>Dans son mémoire officiel sur l'arithmomètre, un +savant ingénieur en chef des ponts et chaussées, +M. Lemoyne, a dit:</p> + +<p>«Les premières locomotives ont excité une surprise +qu'on a exprimée en les appelant des chevaux +de fer, des <i>machines vivantes</i>. La machine à calcul +doit exciter une surprise d'une autre sorte, mais non +moins grande, car c'est un appareil qu'on pourrait +appeler <i>machine intelligente</i>... Néper appréciait bien +l'invention qui a immortalisé son nom, lorsqu'il intitulait +son ouvrage: <i lang="la">Mirifici logarithmorum canonis +descriptio</i>. L'invention de M. Thomas de Colmar +mérite tout autant le titre de <i>mirifique</i>, ou merveilleuse, +en français de notre époque. Il a fallu autant +d'efforts de génie et de persévérance pour concevoir +et perfectionner dans ses nombreux détails le mécanisme +<span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p79" id="p79">79</a></span><span class="hidden">)</span> +de l'arithmomètre, que de génie pour concevoir +les propriétés des deux progressions par différences +et par puissances qui forment les logarithmes +et de persévérance pour calculer la première table +de logarithmes publiée par Néper... On apprécie +d'autant plus le mérite de M. Thomas, que l'on voit +combien d'esprits éminents ont tenté sans succès +de résoudre avant lui le problème qu'il a glorieusement +résolu.»</p> + +<p>Ayant, par l'exposé des faits qui précèdent, donné +une idée suffisante de l'étendue des difficultés qu'il a +fallu vaincre pour arriver à la découverte de l'arithmomètre, +nous allons, non pas énumérer, mais chercher +à concevoir quels services ce merveilleux instrument +est appelé à rendre.</p> + +<p>Pour atteindre ce dernier but, il nous suffira certainement +de citer quelques-uns des résultats mentionnés +dans le rapport fait le 12 mars 1851 à la Société +d'encouragement de l'industrie.</p> + +<p>Soit, par exemple, à multiplier le nombre 2,749 +par 3,957. En moins de 18 secondes, l'arithmomètre +donne le produit 10,877,793. 17 secondes suffisent +pour trouver 1,111,111,088,888,889, produit de +99,999,999 par 11,111,111.</p> + +<p>Qu'il s'agisse de soustraire 69,839,989 de +75,639,468: un tour de manivelle qui ne dure pas +une demi-seconde fait apparaître dans les lucarnes le +nombre 5,799,479, excès du premier nombre sur le +second.</p> + +<p><span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p80" id="p80">80</a></span><span class="hidden">)</span> +Voici une énorme division:</p> + +<p>Dividende: 9,182,736,456,483,022; diviseur: +69,889,989. En 75 secondes, l'arithmomètre donne +pour quotient 131,482,501, et pour reste 32,950,533.</p> + +<p>La réduction d'une fraction ordinaire en fraction +décimale se fait instantanément, et on obtient autant +de chiffres décimaux qu'on en désire.</p> + +<p>La somme ou la différence d'une suite de produits +simples, telle que A × B ± C × D ± E × F ± etc., s'obtient +aussi très-rapidement avec l'arithmomètre.</p> + +<p>Même facilité et même rapidité pour l'extraction +des racines carrées et des racines cubiques, pour l'obtention +du quatrième terme d'une proportion; pour +le calcul, d'après la propriété du carré de l'hypothénuse, +du troisième côté d'un triangle rectangle dont +deux côtés sont donnés; pour la résolution générale +des triangles, avec le concours des tables des lignes +trigonométriques naturelles.</p> + +<p>Avec l'arithmomètre, on peut également calculer +de la même manière les formules, telles que</p> + +<p class="c">sin <i>a</i> cos <i>b</i> ± sin <i>b</i> cos <i>a</i> et cos <i>a</i> cos <i>b</i> ± sin <i>a</i> sin <i>b</i></p> + +<table summary="formule"> +<tr> + <td rowspan="2">et celles </td> + <td class="t8 c">sin <i>a</i> + <i>f</i> cos <i>a</i></td> + <td rowspan="2"> Q et </td> + <td class="t8 c">tang. <i>a</i> + <i>f</i></td> + <td rowspan="2"> Q,</td> +</tr> +<tr> + <td class="t1 c">cos <i>b</i> ± <i>f</i> sin <i>b</i></td> + <td class="t1 c">1 ± <i>f</i> tang. <i>a</i></td> +</tr> +</table> + +<p class="noindent">et autres expressions de forme analogue, qui se présentent +dans les applications mécaniques.</p> + +<p>Mais c'est surtout dans l'obtention de la plupart +des tables numériques et de tous les barèmes que l'on +trouve dans le commerce de la librairie que l'arithmomètre +de M. Thomas eût pu rendre de précieux services. +<span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p81" id="p81">81</a></span><span class="hidden">)</span> +Par exemple, la table de multiplication dressée +par ordre du ministre de la marine et des colonies, +imprimée par Didot jeune, en l'an VIII, aurait été +dictée avec cette machine infiniment plus vite qu'on +eût pu l'écrire, puisque chaque tour de manivelle en +eût fourni un des nombres. Il en serait de même de +tous les tarifs que l'on aurait à calculer ou à vérifier.</p> + +<p>La table des carrés des nombres 1, 2, 3, 4, 5, etc., +eût pu aussi être dictée avec une vitesse extrême, +puisqu'en <i>moins de trois minutes</i> M. Benoît, l'un des +savants fondateurs de l'École centrale des arts et des +manufactures, a fait écrire dans les lucarnes de la +machine les <i>cinquante carrés</i> 240281001, 240312004, +240343009, 240374016, etc., à 241803500, des +nombres 15501, 15502, 15503, 15504, etc., à 15550.</p> + +<p>La table des cubes aurait pu être dictée avec la +même facilité.</p> + +<p>L'arithmomètre n'est pas seulement applicable à +certaines interpolations numériques, il l'est encore à +la solution de beaucoup de problèmes par des tâtonnements +ou essais successifs qui conduisent assez rapidement +à un résultat aussi approché qu'on le désire. +L'extraction des racines 4<sup>e</sup>, 5<sup>e</sup>, 6<sup>e</sup>, etc., d'un nombre +donné est dans ce cas.</p> + +<p>M. Benoît l'a appliqué au calcul de la formule +d'Arago et Dulong,</p> + +<p class="c"><i>p</i> = 1,033 (0,2847 + 0,007155 <i>t</i>)<sup>5</sup>,</p> + +<p class="noindent">donnant la pression <i>p</i> de vapeur sur une surface de +1 centimètre carré, en fonction de sa température <i>t</i>. +</p> +<p><span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p82" id="p82">82</a></span><span class="hidden">)</span> +Pour <i>t</i> = 128°,8, il l'a conduit, en <i>cinq minutes</i>, +à <i>p</i> = 2 kil. 6382267345, et pour <i>t</i> = 265°,89 à +<i>p</i> = 51 kil. 690472436. Au lieu de ces valeurs <i>exactes</i>, +on lit respectivement dans les tables ordinaires, les +nombres 2 kil. 582 et 51 kil. 650 qui en diffèrent +sensiblement.</p> + +<p>«L'arithmomètre coûte 300 fr., a dit, dans <i>les +Annales des ponts et chaussées</i>, le savant ingénieur +en chef dont nous avons déjà parlé, M. Lemoyne; +c'est trente fois plus que ne coûte une table des logarithmes. +Cette proportion considérable est cependant +dépassée de beaucoup, si on évalue l'utilité pratique +des deux choses. J'ai à ma disposition des tables de +logarithmes et un arithmomètre. C'est tout au plus si +trois ou quatre fois par an je me sers des tables, +tandis que c'est trois ou quatre fois par semaine que +j'emploie l'arithmomètre. Le rapport d'utilité serait, +d'après cette expérience personnelle, d'environ 1 +à 50.»</p> + +<p>Le même savant, refusant de mettre en doute l'avenir +réservé à la grande découverte de M. Thomas de +Colmar, s'exprime à ce sujet dans les termes que +voici:</p> + +<p>«Il y a des milliers d'ignorants pour qui la machine +à calcul vaut mieux que les logarithmes destinés +aux savants. On ne peut donc pas douter, même en +réduisant beaucoup, que la popularité de l'arithmomètre, +s'il était connu, serait dix fois celle des tables. +Or, il y a bien actuellement en France 100,000 exemplaires +<span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p83" id="p83">83</a></span><span class="hidden">)</span> +des tables de logarithmes. Il pourrait donc y +avoir à ce compte un million d'arithmomètres. Ce +nombre, si colossal qu'il soit, n'a rien d'extraordinaire, +lorsque l'on examine l'étonnante propagation +des montres et horloges; c'est à peu près 10 millions +qui sont actuellement en service en France, et si l'on +remonte à quatre siècles, une horloge était un appareil +cher et rare, qu'on ne ne voyait que dans les +palais des souverains.</p> + +<p>»Quittons ces nombres, réels pour l'avenir, mais +fantastiques pour le présent; disons que si l'arithmomètre +pouvait parvenir seulement à se répandre à +10,000 exemplaires, on pourrait le construire pour +moins de 100 fr. au lieu de 300 qu'il coûte actuellement. +Réciproquement, dès qu'on pourrait le livrer +au prix de 100 fr., on aurait bientôt des commandes +pour en exécuter au moins 10,000.</p> + +<p>»De la rareté actuelle de l'arithmomètre, nous ne +concluons rien de défavorable à sa propagation future. +On trouvera peut-être que ma comparaison de l'arithmomètre +aux horloges manque d'exactitude, parce +que le besoin d'une machine à montrer l'heure est d'un +autre ordre que celui d'une machine à calculer. Je +crois que celui qui aurait parlé d'horloges avant leur +grande vulgarisation, se serait fait dire que l'on s'en +passait fort bien, que c'était un petit besoin; enfin +que, comme cette mécanique devait coûter cher, elle +ne se répandrait pas. Nos perfectionnements de sociabilité +ne tendent-ils pas, d'ailleurs, sans pour cela +<span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p84" id="p84">84</a></span><span class="hidden">)</span> +nuire à l'idéal et au poétique de l'existence, à introduire +de plus en plus le calcul précis dans les habitudes +de tous. Peut-être qu'avant un siècle chacun +tiendra des livres de comptabilité.»</p> + +<p>Les exemples et les témoignages que nous venons +de citer nous dispensent évidemment d'énumérer les +services que l'arithmomètre est appelé à rendre au +monde commercial, industriel et financier, aux grandes +administrations, etc. Qui peut plus peut moins; si +l'arithmomètre exécute avec une infaillibilité absolue +les calculs les plus compliqués de la science, à plus +forte raison exécute-t-il toutes les opérations arithmétiques +usitées dans le commerce, la banque, etc.</p> + +<p>L'arithmomètre considéré comme difficulté vaincue +n'humilie point la science, car M. Thomas de Colmar +est un savant d'un ordre élevé et s'est servi de la +science pour résoudre le grand problème qui jusqu'ici +avait résisté aux recherches de la science; +mais l'arithmomètre est l'œuvre d'un homme qui n'appartient +pas à la science constituée en corps, à la +science officielle, et, par cette raison, la science officielle +n'est pas directement intéressée à user de tout +son crédit et de tous ses moyens pour mettre en relief +la valeur scientifique de la découverte de M. Thomas +de Colmar.</p> + +<p>L'arithmomètre, considéré au point de vue de l'utilité +pratique, se trouve en présence de deux inerties, +de deux résistances à vaincre.</p> + +<p><span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p85" id="p85">85</a></span><span class="hidden">)</span> +Ces deux inerties, ces deux résistances sont: l'incrédulité +d'abord, la routine ensuite.</p> + +<p>Les nombreuses machines qui peuplent nos ateliers +et nos manufactures sont, à la vérité, animées; elles +ont des bras, des mains, des doigts, à l'aide desquels +elles exécutent des travaux plus ou moins compliqués; +mais ces travaux ne sont que le résultat de l'intelligence +directe; ils sont suivis, prévus; ils ont eu +le même point de départ, ils suivent constamment la +même voie, ils arrivent toujours au même but.</p> + +<p>Les machines existantes, voulons-nous dire, ne +font qu'exécuter le travail qui leur a été tracé; elles +ont des membres qui obéissent docilement aux ordres +précis que l'homme leur a donnés; mais elles ne font +que cela, elles ne raisonnent pas, elles n'ont pas de +cerveau qui leur soit propre, en un mot.</p> + +<p>L'arithmomètre, lui, semble avoir reçu plus que +des membres, plus que des organes dociles à une +inspiration extérieure; l'arithmomètre est, si nous +pouvons nous exprimer ainsi, comme doué d'une véritable +intelligence, car ses opérations sont de l'ordre +de celles qu'on appelle réfléchies.</p> + +<p>On nous pardonnera l'exagération des termes dont +nous nous servons, si l'on veut bien remarquer qu'il +s'agit ici d'une machine d'un ordre tout nouveau, +c'est-à-dire d'une machine qui, au lieu de reproduire +tout simplement les opérations de l'intelligence de +l'homme, épargne à cette intelligence le soin de faire +ces opérations; d'une machine qui, au lieu de répéter +<span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p86" id="p86">86</a></span><span class="hidden">)</span> +des réponses qui lui ont été dictées; dicte, au +contraire, elle-même, instantanément, à l'homme qui +l'interroge, les réponses qu'il doit se faire.</p> + +<p>La découverte d'une simple machine, d'une machine +intelligente, comme M. Lemoyne qualifie l'arithmomètre, +est un événement d'une nature trop exceptionnelle, +pour que le public puisse ajouter foi de +prime abord à la réalité des merveilleux résultats produits +par le petit coffret de M. Thomas de Colmar.</p> + +<p>Cette incrédulité sera cependant plutôt vaincue que +la routine, parce que celle-ci sera nécessairement fortifiée +dans son inertie et son indifférence par les intérêts +que l'emploi de l'arithmomètre devra froisser.</p> + +<p>Toutes les améliorations, en effet, tous les progrès +ne se réalisent malheureusement qu'à ce prix: blesser +quelques hommes dans leurs intérêts. L'arithmomètre +causera sans doute énormément moins de préjudice +aux personnes qui, dans le commerce, dans la banque, +dans les administrations publiques, ont pour occupation +spéciale le travail des chiffres, que n'en causèrent +l'invention de l'imprimerie aux écrivains copistes, +l'invention du métier à bas aux tricoteuses, l'invention +des mull-jenny aux fileuses, etc.; cependant il est +évident que la rapidité et l'infaillibilité avec lesquelles +l'arithmomètre permet à chacun de faire les calculs +les plus longs et les plus difficiles, amoindriront sensiblement +l'importance des calculateurs de profession.</p> + +<p>Nous avons dit, vers le commencement de ce travail, +que M. Thomas de Colmar avait compris +<span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p87" id="p87">87</a></span><span class="hidden">)</span> +dès 1822, aussitôt qu'il eut inventé l'arithmomètre, +que sa découverte était de la nature de celles qui ne +laissent guère espérer à leurs auteurs qu'une gloire +posthume, si ces auteurs ne disposent pas de moyens +qui leur permettent de mettre ces découvertes en +relief et de les populariser.</p> + +<p>De longues années de travail ont mis ces moyens +dans les mains de M. Thomas de Colmar, en même +temps qu'elles lui ont permis de donner à son arithmomètre +primitif des perfectionnements tels qu'il +semble aujourd'hui impossible soit d'en rien retrancher, +soit d'y ajouter quelque chose.</p> + +<p>L'exemplaire qu'il a mis à l'Exposition universelle +de l'industrie, permettant de calculer avec 32 chiffres +à la fois pour additionner, soustraire, multiplier, +diviser, etc., et pouvant opérer avec une vitesse telle +que plusieurs écrivains se partageant les chiffres ne +pourraient le suivre, donne une sorte de vertige à la +raison quand on le voit fonctionner.</p> + +<p>Pour la gloire attachée aux machines de toutes les +sortes, des noms plus ou moins nombreux se présentent +et en revendiquent des parts plus ou moins considérables. +L'un a inventé le principe, un autre en a +fait la première application, un troisième a introduit +tel ou tel perfectionnement, etc. Il en est ainsi pour +la machine à vapeur, ainsi pour les machines de filature +et de tissage, ainsi pour la locomotive et le bateau +à vapeur, ainsi pour les presses d'imprimerie, +ainsi pour tous les outils de travail: machines pour +<span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p88" id="p88">88</a></span><span class="hidden">)</span> +percer, pour aléser, pour raboter les métaux, etc.; +ainsi pour les machines agricoles, ainsi pour la télégraphie +privée, ainsi pour l'électro-chimie, l'électro-plastie, +etc.</p> + +<p>M. Thomas de Colmar n'a à partager avec personne +la gloire d'avoir conçu et exécuté l'arithmomètre.</p> + +<p>Parmi les créations dont le génie de l'homme s'enorgueillit +le plus, n'en est-il pas quelques-unes, n'en +est-il pas plusieurs dont le principe a été trouvé sans +être cherché, et dont, par conséquent, le hasard a été +l'auteur bien plus que le génie de l'homme?</p> + +<p>Les anciens savaient que la vapeur est une force. +Est-ce qu'ils s'avisèrent jamais de rechercher quel +homme avait le premier remarqué que l'eau, à l'état +d'ébullition, chasse violemment l'obstacle qui ferme +le vase dans lequel elle est contenue ou fait éclater ce +vase lui-même? Non, sans doute, parce que cette découverte +de la puissance de la vapeur dut être faite +presque aussitôt que l'homme se servit d'un vase pour +faire bouillir un liquide.</p> + +<p>Ces mêmes anciens regardèrent-ils comme une conception +venant du génie l'éolipyle de Héron? Non, +parce que le hasard, c'est-à-dire la vue d'un vase +rempli d'eau bouillante s'échappant en partie par une +fente existant sur le côté de ce vase et le faisant tourner +sur la chaîne qui le tenait suspendu, avait suggéré +à Héron l'idée de son éolipyle. Des observations analogues +et tout aussi incontestablement justes pourraient +<span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p89" id="p89">89</a></span><span class="hidden">)</span> +être faites sur l'électricité. Il est hors de doute, +en effet, que ni l'électricité par pression, ni l'électricité +par frottement, ni l'électricité par la chaleur, ni l'électricité +par contact n'ont été cherchées; car on ne +cherche évidemment pas une chose dont on n'a pas +l'idée. Il suffit, d'ailleurs, de savoir comment se produisent +ces diverses électricités, pour être forcé de +reconnaître que les phénomènes électriques ont dû se +présenter à l'attention de l'homme, pour ainsi dire, +dès l'origine de la société.</p> + +<p>Le mérite des modernes, en ce qui concerne ces +phénomènes, c'est de les avoir pris au sérieux et +d'avoir cherché à les étendre et à en faire des applications +utiles, au lieu de les ranger, comme avaient +fait les anciens, au nombre des faits curieux, à la +vérité, mais n'ayant ni portée scientifique, ni valeur +utilisable.</p> + +<p>En parlant comme nous allons le faire, nous irons +peut-être nous choquer contre des opinions contraires +à notre manière de reconnaître les signes par lesquels +se manifestent les œuvres du génie; mais ce n'est pas +notre faute si de trop grandes complaisances ont tellement +perverti notre langue, qu'elle semble avoir +besoin d'un nouveau tenue pour exprimer ce qu'on +entendait autrefois par le mot génie.</p> + +<p>Le génie est tout autre chose que la raison réfléchie, +que l'imagination, que l'esprit d'observation, que le +talent, que la science acquise. Le génie se sert, selon +les circonstances, de ces facultés et de ces forces; +<span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p90" id="p90">90</a></span><span class="hidden">)</span> +mais il s'en sert comme d'autant d'instruments auxiliaires, +et rien de plus, tant il est vrai de dire qu'il les +domine et leur est supérieur par sa nature.</p> + +<p>À quels signes donc distinguer les œuvres qui appartiennent +au génie de celles qui ne lui appartiennent +pas?</p> + +<p>La réponse la plus juste que l'on puisse, selon nous, +faire à cette question, c'est de dire:</p> + +<p>Le génie ne revendique comme siennes que les +œuvres que lui seul peut faire; ne sont, par conséquent, +pas des œuvres de génie celles qui peuvent +être faites par la raison, par l'imagination et par la +science, agissant isolément ou se prêtant un mutuel +appui.</p> + +<p>Sans doute la raison, l'imagination et la science +arrivent quelquefois à faire des œuvres telles que l'on +est tenté de se demander s'il faut les leur attribuer ou +en faire honneur au génie; mais ces œuvres mixtes, si +nous pouvons appeler ainsi celles sur lesquelles le génie +a laissé tomber quelques-uns de ses rayons, forment +précisément la ligne de séparation qui nous facilite +la comparaison des travaux de la raison, de +l'imagination et de la science avec les créations du +génie.</p> + +<p>Comme la puissance mystérieuse d'où naissent les +éclairs et la foudre, le génie a ses moments de calme +et de repos; mais, de même que le merveilleux fluide +n'abandonne jamais l'atmosphère, de même aussi le +génie ne cesse jamais, soit sous une forme, soit sous +<span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p91" id="p91">91</a></span><span class="hidden">)</span> +l'autre, de manifester sa présence chez celui à qui le +ciel l'a donné.</p> + +<p>Nous cherchons la différence qui existe entre les inspirations +de l'homme de génie et celles des intelligences +ordinaires. Eh bien, nous venons d'indiquer +implicitement cette différence, en disant que le génie +n'abandonne pas plus celui qui l'a reçu que l'électricité +n'abandonne l'atmosphère. Les inspirations, parfois +heureuses, des intelligences ordinaires, sont passagères, +fugitives, épuisent leur source en naissant; +celles de l'homme de génie, au contraire, se succèdent +et se multiplient au gré de celui qui les dirige, +parce que le réservoir d'où elles sortent est inépuisable.</p> + +<p>La durée, la succession, la variété dans la force +des inspirations, voilà, disons-nous, ce qui distingue +le génie de ce qu'on appelle les éclairs de génie.</p> + +<p>C'est parce que le génie possède seul une force de +cette nature qu'il peut seul produire des œuvres qui +soient à la fois dignes d'exciter l'admiration et propres +à la conserver.</p> + +<p>Mais les hommes doués de génie ne possèdent pas à +un égal degré cette rare faculté. Il y a des génies d'un +ordre plus ou moins élevé, des génies qui sont plus +ou moins puissants. Comment les classer?</p> + +<p>Comment les classer! Voyez leurs œuvres; cherchez +à savoir combien d'hommes se sont efforcés d'en +faire de semblables, sans pouvoir y réussir; étudiez +la valeur intellectuelle de ces chercheurs ou de ces +<span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p92" id="p92">92</a></span><span class="hidden">)</span> +imitateurs malheureux, et vous aurez la mesure du +génie de l'homme à qui vous voulez assigner le rang +qui lui est dû.</p> + +<p>Voulez-vous, par exemple, avoir la mesure du génie +d'Homère? Mettez en présence de l'<i>Iliade</i>, l'<i>Énéide</i> +de Virgile, la <i>Pharsale</i> de Lucain, la <i>Jérusalem délivrée</i> +du Tasse, le <i>Paradis perdu</i> de Milton, la <i>Lusiade</i> +de Camoëns, la <i>Messiade</i> de Klopstock, la <i>Henriade</i> +de Voltaire, et tous les découragements dont se sont +sentis frappés devant le chef-d'œuvre du chantre d'Ilion +des milliers de poëtes dont le poëme épique fut +toujours la suprême ambition; faites cette comparaison, +disons-nous, et vous saurez ce que vaut le génie +d'Homère.</p> + +<p>Si nous voulons de même savoir de quelle sorte de +génie il a fallu être doué, et quelle somme de génie il +a fallu dépenser pour créer l'arithmomètre, nous n'avons +qu'à faire une comparaison analogue à celle qui +précède, c'est-à-dire, passer la revue de tous les +grands hommes qui ont vainement tenté de résoudre +le problème dont la solution a été si magnifiquement +trouvée par M. Thomas de Colmar.</p> + +<p>Lorsque, dans cette revue de chercheurs malheureux, +viennent se présenter des noms tels que ceux de +Thalès, de Pythagore, d'Archimède, de Gerbert, d'Albert +le Grand, de Roger Bacon, de Blaise Pascal, de +Poleni, de Leupold, de Leibnitz, de Clairaut, etc., +on n'ose plus dire, de peur de paraître flatteur, quelle +place mérite l'auteur de l'arithmomètre parmi les intelligences +<span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p93" id="p93">93</a></span><span class="hidden">)</span> +d'un ordre supérieur, surtout quand on +songe que les récompenses qu'il a reçues dans son +pays semblent le classer parmi les inventeurs d'un ordre +ordinaire.</p> + +<p>Voici, en effet, quelles ont été jusqu'à présent les +récompenses qu'a values à M. Thomas de Colmar la +merveilleuse création sur laquelle nous n'avons plus +rien à dire.</p> + +<p>En 1822, la Société d'encouragement pour l'industrie +nationale approuva sa machine à calculer, et accompagna +son approbation des compliments les plus +expressifs.</p> + +<p>À l'Exposition de l'industrie nationale de 1849, l'arithmomètre +valut à son auteur une médaille d'argent.</p> + +<p>En 1851, l'arithmomètre fut récompensé d'une médaille +d'or par la Société d'encouragement pour l'industrie +nationale.</p> + +<p>En 1851 encore, à l'Exposition universelle de Londres, +le jury français fit décerner une médaille de prix +à M. Thomas de Colmar.</p> + +<p>En avril 1852, le président de la république, aujourd'hui +empereur des Français, lui fit présent d'une +magnifique tabatière en or, ornée de son chiffre.</p> + +<p>En 1854, l'Académie des Sciences a donné sa haute +approbation à l'arithmomètre, et l'a admis pour le concours +de mécanique de 1855.</p> + +<p>En 1854 encore, le directeur de l'Observatoire a +officiellement adressé des félicitations à M. Thomas +de Colmar.</p> + +<p><span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p94" id="p94">94</a></span><span class="hidden">)</span> +Voilà tout ce qu'a valu, en France, l'arithmomètre +à son auteur.</p> + +<hr /> + + +<p>La croix d'honneur dont est décoré M. Thomas ne +lui vient point, en effet, de son arithmomètre, qui +n'avait pas encore été inventé lorsqu'elle lui fut décernée, +mais de ses services comme employé supérieur +de l'administration des armées sous l'empire.</p> + +<p>Des récompenses telles que celles dont nous avons +fait l'énumération sont très-honorables par elles-mêmes, +sans doute; mais, qu'on nous permette cette +expression, elles ont été préjudiciables à M. Thomas +de Colmar.</p> + +<p>Qu'est-ce, au fond, qu'une récompense donnée à +un inventeur par l'Académie des sciences, par la Société +d'encouragement, par un jury d'exposition, par +le chef de l'État? Est-ce que le public ne regarde pas +les récompenses venues de ces sources comme étant la +mesure approximative de l'importance des découvertes +auxquelles ces récompenses s'appliquent?</p> + +<p>Il est donc vrai de dire qu'aux yeux du public l'arithmomètre +ne peut aujourd'hui valoir que ce que +valent les récompenses accordées à l'inventeur de cette +machine.</p> + +<p>Or, que valent ces récompenses, ou plutôt quelle +idée donnent-elles de l'invention de M. Thomas?</p> + +<p>L'idée naturelle, logique, qu'elles en donnent, c'est +que l'arithmomètre a tout simplement une valeur analogue +à celle des inventions et des œuvres dont les +<span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p95" id="p95">95</a></span><span class="hidden">)</span> +auteurs sont récompensés comme l'a été M. Thomas +de Colmar.</p> + +<p>Il suffit de savoir combien sont nombreux les travaux +dont les auteurs ont été récompensés comme l'a +été M. Thomas de Colmar, pour pouvoir comprendre +que nous avons eu raison de dire que les récompenses +reçues par l'inventeur de l'arithmomètre lui sont véritablement +préjudiciables.</p> + +<p>Insister sur ce point serait inutile. Il est de toute +évidence, en effet, que des récompenses d'un ordre +commun, lorsqu'elles sont décernées à des travaux +d'un ordre élevé, déprécient ces travaux, les font +descendre à un niveau qui n'est pas le leur, leur assignent +dans l'opinion publique un rang inférieur à celui +qui leur est dû.</p> + +<p>Ici se présente une question délicate: Pourquoi l'arithmomètre, +passant devant quatre jurys officiels: +Exposition de l'industrie de 1849, Société d'encouragement +pour l'industrie nationale en 1851, Exposition +universelle de Londres, Académie des sciences en +1854, n'a-t-il obtenu la plus haute récompense dont +disposaient ces jurys qu'à la Société d'encouragement?</p> + +<p>Ne pouvant répondre catégoriquement à cette +question, sans aborder un ordre de faits qu'il nous +convient de laisser à l'écart, nous nous contenterons +de dire que M. Thomas ne doit, en grande partie, attribuer +qu'à lui-même les erreurs de jugement qui +l'ont privé, jusqu'ici, de jouir de la gloire à laquelle +<span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p96" id="p96">96</a></span><span class="hidden">)</span> +lui donne de si légitimes droits la création de son +admirable machine.</p> + +<p>Après avoir travaillé près de trente ans à perfectionner +l'intelligence, si nous pouvons parler ainsi, de +cette fille de son génie, M. Thomas crut tout naïvement +qu'il suffisait que l'arithmomètre fonctionnât +quelques minutes devant une commission, devant le +rapporteur d'une commission, pour que la valeur +scientifique de cet instrument pût être appréciée par +cette commission, par ce rapporteur.</p> + +<p>M. Thomas de Colmar, en présentant son arithmomètre +à l'Exposition de l'industrie de 1849, oublia +que, pour être compris et apprécié, cet instrument avait +besoin d'être expliqué; il oublia surtout de faire entendre +à la commission d'examen, ou plutôt au rapporteur +de cette commission, que l'arithmomètre est +encore plus un principe qu'il n'est une machine, +c'est-à-dire que la découverte du principe de l'instrument +représente seule la grande difficulté vaincue, et +que la machine elle-même ne représente que le côté +secondaire de l'arithmomètre.</p> + +<p>À l'Exposition universelle de Londres, les membres +du jury français qui demandèrent au jury international +une récompense pour l'auteur de l'arithmomètre +étaient les mêmes qui lui avaient fait décerner une médaille +d'argent à l'Exposition française de 1849. Ils ne +pouvaient naturellement pas solliciter pour M. Thomas +de Colmar une récompense plus élevée que +celle qu'ils lui avaient accordée eux-mêmes. M. Thomas +<span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p97" id="p97">97</a></span><span class="hidden">)</span> +ne reçut donc du jury international qu'une médaille +de prix.</p> + +<p>Présenté en 1854 à l'Académie des sciences, l'arithmomètre +fut renvoyé à l'examen d'une commission +qui choisit pour rapporteur l'auteur du rapport de +l'Exposition de l'industrie de 1849, auteur également +du rapport à la suite duquel l'arithmaurel avait obtenu +le prix de mécanique de la fondation Montyon.</p> + +<p>L'auteur de tous ces rapports se trouvait vis-à-vis +de lui-même et vis-à-vis de l'Académie dans une position +qui n'était pas exempte d'embarras. Sur son +rapport, l'Académie avait, quelque temps auparavant, +accordé le prix de mécanique à une machine dont l'organe +principal était le même que celui de l'arithmomètre, +inventé, publié depuis de longues années.</p> + +<p>S'il ne s'était agi que de son propre jugement, l'honorable +M. Mathieu aurait certainement proclamé les +droits de priorité de M. Thomas d'une manière plus +claire et plus expressive; mais il s'agissait aussi d'un +jugement de l'Académie, et le savant rapporteur ne +crut pas pouvoir, en parlant de l'arithmomètre, aller +au delà des expressions qui suivent:</p> + +<p>«L'idée du cylindre cannelé se retrouve dans cette +machine nommée arithmaurel, construite POSTÉRIEUREMENT +par MM. Maurel et Jayet, et pour +laquelle ils ont obtenu le prix de mécanique de la +fondation Montyon.»</p> + +<p><i>Postérieurement!</i> Si ce mot, dont M. Mathieu et ses +savants collègues ont bien connu la portée, n'était pas +<span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p98" id="p98">98</a></span><span class="hidden">)</span> +aux yeux de M. Thomas un hommage assez explicitement +rendu à ses droits de priorité, M. Thomas serait, +en vérité, trop exigeant.</p> + +<p>La priorité du principe, l'antériorité dans l'invention +de l'organe principal, voilà la gloire de M. Thomas +de Colmar; il serait puéril de sa part de vouloir +disputer aux mécaniciens et aux industriels à qui il +conviendra de construire des machines arithmétiques +d'après son principe, leurs succès dans les modifications +qu'ils pourront faire aux organes fondamentaux +de l'arithmomètre. Ainsi que l'a dit lui-même M. Thomas, +le principe des retenues et l'organe fondamental +étant trouvés, la machine à calculer peut être construite +de vingt, de cent manières par le premier mécanicien +venu.</p> + +<p>Le premier mécanicien venu pourra tout aussi facilement +faire écrire par l'arithmomètre tous les chiffres, +tous les calculs qu'il faut aujourd'hui copier sur la tablette +de l'instrument.</p> + +<p>L'arithmomètre, à peu près inconnu en France, et +n'y ayant valu à son auteur que des récompenses d'un +ordre ordinaire, a déjà obtenu au dehors des succès +qui ne surprennent nullement ceux qui connaissent +l'admirable instrument, mais qui étonneront grandement, +nous en sommes sûrs, les lecteurs de cet écrit.</p> + +<p>Au mois de décembre 1851, S. A. le bey de Tunis +envoya à M. Thomas de Colmar son Nichan en diamants +de deuxième classe, qui correspond au grade +de commandeur.</p> + +<p><span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p99" id="p99">99</a></span><span class="hidden">)</span> +En mai 1852, S. M. le roi des Deux-Siciles le nomma +chevalier de son ordre de François I<sup>er</sup>.</p> + +<p>En août 1852, S. M. le roi des Pays-Bas lui envoya +le brevet de chevalier de la Couronne de Chêne.</p> + +<p>En décembre 1852, S. A. R. le duc de Nassau lui +fit remettre une bague en diamants avec le chiffre du +prince.</p> + +<p>En mai 1853, S. S. le pape Pie IX l'éleva au grade +de commandeur de son ordre de Saint-Grégoire le +Grand.</p> + +<p>En décembre 1853, il fut anobli à perpétuité de +mâle en mâle, par lettres-patentes de S. A. I. le grand-duc +de Toscane.</p> + +<p>En juillet 1854, S. M. le roi de Sardaigne le nomma +chevalier de son ordre royal des SS. Maurice et +Lazare.</p> + +<p>Cette liste et les dates de ces distinctions disent +quel empressement l'étranger a mis à donner au +créateur de l'arithmomètre de glorieuses compensations +de l'oubli de ses concitoyens; mais il ne faut pas croire +que l'arithmomètre n'ait été apprécié que dans les pays +dont les souverains ont honoré M. Thomas des distinctions +que nous venons d'indiquer. Les chaleureuses félicitations +qui lui arrivaient de toutes les parties de +l'Allemagne et du Nord, avant les graves événements +qui sont venus en 1854 troubler le repos de l'Europe, +nous autorisent à supposer, à dire que M. Thomas de +Colmar ferait aujourd'hui partie de presque toutes les +chevaleries de l'Europe, si la marche de ces événements +<span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p100" id="p100">100</a></span><span class="hidden">)</span> +n'était pas venue détourner l'attention des +souverains des choses qui appartiennent aux arts de la +paix.</p> + +<p>M. Thomas de Colmar sait à quoi l'obligent les hautes +récompenses que nous avons énumérées ci-dessus, +et celles qui l'attendent, aussitôt que la pacification de +l'Europe sera accomplie.</p> + +<p>Les ateliers où se construisent ses arithmomètres +n'ont guère travaillé jusqu'à ce jour que pour les grandes +académies d'Europe et les grandes maisons de banque +de Paris ou de quelques autres capitales. Ils travailleront +désormais pour les facultés, pour les colléges, +pour les séminaires, pour les écoles, pour les commerçants, +pour les industriels, pour les ingénieurs de tous +les ordres, pour quiconque, en un mot, veut enseigner +la science des nombres sans fatigue, ou faire pour ses +propres besoins, et pour ainsi dire en s'amusant, +tous les calculs qui se font avec tension d'esprit et +perte énorme de temps. Assez riche pour payer sa +gloire, M. Thomas de Colmar, qui a déjà dépensé des +sommes si considérables pour perfectionner son arithmomètre, +a résolu d'en sacrifier de plus considérables +encore pour le propager, pour le populariser, pour le +mettre, en un mot, à la portée des bourses les plus modestes.</p> + +<hr /> + + +<p>Ne voulant pas préjuger l'avenir réservé à l'arithmomètre, +nous terminons ici ce travail; mais, n'ayant +encore rien dit des motifs qui nous ont porté à l'entreprendre, +<span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p101" id="p101">101</a></span><span class="hidden">)</span> +le lecteur trouvera bon sans doute que nous +réparions en quelques mots notre omission.</p> + +<p>Nous nous sommes assurément proposé de mettre en +relief la grande découverte de M. Thomas de Colmar, +et de bien constater les droits exclusifs de notre pays +à une gloire que tous les peuples et tous les siècles ont +vainement ambitionnée; mais nous n'aurions atteint +notre but que par ses points secondaires, si cet écrit +devait avoir pour unique résultat de démontrer qu'en +s'immortalisant par une création de l'ordre le plus +élevé, M. Thomas de Colmar a ajouté à la couronne +de nos gloires l'un de ses rayons les plus brillants.</p> + +<p>La grande démonstration que nous désirerions avoir +faite, c'est celle de la nécessité de l'institution d'un +grand jury, ayant pour mission unique, incessante, de +rechercher dans les lettres, dans les sciences, dans les +arts et dans l'industrie, les conceptions, les inspirations, +les œuvres marquées du sceau du génie, propres à +donner à notre pays gloire ou profit.</p> + +<p>Ce n'est pas ici que nous pouvons dire comment +devrait être organisé ce grand jury pour pouvoir fonctionner +utilement; mais nous affirmons avec assurance +que, s'il eût existé tel que nous le concevons, il y a +trente ans seulement, Philippe de Girard ne serait pas +allé manger le pain de l'exil, Sauvage ne serait pas +devenu fou de misère, M. Thomas de Colmar ne serait +pas resté inconnu depuis 1822.</p> + +<p>Le jury dont nous parlons est une chose nouvelle! +Mais n'est-ce donc pas une chose nouvelle aussi que +<span class="hidden">(Page +</span><span class="pagenum"><a name="p102" id="p102">102</a></span><span class="hidden">)</span> +de voir la célébrité, la gloire, s'acheter à prix d'argent, +se tarifer comme la plus vile des marchandises?</p> + +<p>Un jury tel que celui que nous avons en vue était +inutile dans le temps où la Renommée avait un temple +et parcourait les airs la trompette sacrée à la main. Il +est devenu une nécessité depuis que la noble déesse, +métamorphosée en marchande vulgaire, s'est assise à +un comptoir d'annonceur et y vend la célébrité et la +gloire à tant la ligne.</p> + + +<p class="c" style="margin-top: 2em"><small>FIN.</small></p> + + + + + + + + +<pre> + + + + + +End of the Project Gutenberg EBook of Histoire des nombres et de la +numération mécanique, by Jacomy-Régnier + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK HISTOIRE DES NOMBRES *** + +***** This file should be named 27936-h.htm or 27936-h.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + https://www.gutenberg.org/2/7/9/3/27936/ + +Produced by Laurent Vogel and the Online Distributed +Proofreading Team at https://www.pgdp.net (This book was +produced from scanned images of public domain material +from the Google Print project.) + + +Updated editions will replace the previous one--the old editions +will be renamed. + +Creating the works from public domain print editions means that no +one owns a United States copyright in these works, so the Foundation +(and you!) can copy and distribute it in the United States without +permission and without paying copyright royalties. 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