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+The Project Gutenberg eBook of La Vénus d’Ille, by Prosper Mérimée
+
+This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and
+most other parts of the world at no cost and with almost no restrictions
+whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms
+of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at
+www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you
+will have to check the laws of the country where you are located before
+using this eBook.
+
+Title: La Vénus d’Ille
+
+Author: Prosper Mérimée
+
+Release Date: July 7, 2005 [eBook #16240]
+[Most recently updated: October 30, 2023]
+
+Language: French
+
+
+*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LA VÉNUS D’ILLE ***
+
+
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+
+Prosper Mérimée
+
+LA VÉNUS D’ILLE
+
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+Ἰλεως ἦν δ' ἐγώ, ἔστω ὁ ἀνδριὰς
+καὶ ἤπιος, οὔτως ἀνδρεῖος ὢν.
+
+ΛΟΥΚΙΑΝΟΥ ΦΙΛΟΨΕΥΔΗΣ.
+
+
+
+
+Je descendais le dernier coteau du Canigou, et, bien que le soleil fût
+déjà couché, je distinguais dans la plaine les maisons de la petite
+ville d’Ille, vers laquelle je me dirigeais.
+
+«Vous savez, dis-je au Catalan qui me servait de guide depuis la
+veille, vous savez sans doute où demeure M. de Peyrehorade?
+
+— Si je le sais! s’écria-t-il, je connais sa maison comme la mienne; et
+s’il ne faisait pas si noir, je vous la montrerais. C’est la plus belle
+d’Ille. Il a de l’argent, oui, M. de Peyrehorade; et il marie son fils
+à plus riche que lui encore.
+
+— Et ce mariage se fera-t-il bientôt? lui demandai-je.
+
+— Bientôt! il se peut que déjà les violons soient commandés pour la
+noce. Ce soir, peut-être, demain, après-demain, que sais-je! C’est à
+Puygarrig que ça se fera; car c’est mademoiselle de Puygarrig que
+monsieur le fils épouse. Ce sera beau, oui!»
+
+J’étais recommandé à M. de Peyrehorade par mon ami M. de P. C’était,
+m’avait-il dit, un antiquaire fort instruit et d’une complaisance à
+toute épreuve. Il se ferait un plaisir de me montrer toutes les ruines
+à dix lieues à la ronde. Or je comptais sur lui pour visiter les
+environs d’Ille, que je savais riches en monuments antiques et du Moyen
+Âge. Ce mariage, dont on me parlait alors pour la première fois,
+dérangeait tous mes plans.
+
+Je vais être un trouble-fête, me dis-je. Mais j’étais attendu; annoncé
+par M. de P., il fallait bien me présenter.
+
+«Gageons, monsieur, me dit mon guide, comme nous étions déjà dans la
+plaine, gageons un cigare que je devine ce que vous allez faire chez M.
+de Peyrehorade?
+
+— Mais, répondis-je en lui tendant un cigare, cela n’est pas bien
+difficile à deviner. À l’heure qu’il est, quand on a fait six lieues
+dans le Canigou, la grande affaire, c’est de souper.
+
+— Oui, mais demain?… Tenez, je parierais que vous venez à Ille pour
+voir l’idole? j’ai deviné cela à vous voir tirer en portrait les saints
+de Serrabona.
+
+— L’idole! quelle idole?» Ce mot avait excité ma curiosité.
+
+«Comment! on ne vous a pas conté, à Perpignan, comment M. de
+Peyrehorade avait trouvé une idole en terre?
+
+— Vous voulez dire une statue en terre cuite, en argile?
+
+— Non pas. Oui, bien en cuivre, et il y en a de quoi faire des gros
+sous. Elle vous pèse autant qu’une cloche d’église. C’est bien avant
+dans la terre, au pied d’un olivier, que nous l’avons eue.
+
+— Vous étiez donc présent à la découverte?
+
+— Oui, monsieur. M. de Peyrehorade nous dit, il y a quinze jours, à
+Jean Coll et à moi, de déraciner un vieil olivier qui était gelé de
+l’année dernière, car elle a été bien mauvaise, comme vous savez. Voilà
+donc qu’en travaillant Jean Coll qui y allait de tout cœur, il donne un
+coup de pioche, et j’entends bimm… comme s’il avait tapé sur une
+cloche. Qu’est-ce que c’est? que je dis. Nous piochons toujours, nous
+piochons, et voilà qu’il paraît une main noire, qui semblait la main
+d’un mort qui sortait de terre. Moi, la peur me prend. Je m’en vais à
+monsieur, et je lui dis: — Des morts, notre maître, qui sont sous
+l’olivier! Faut appeler le curé. — Quels morts? qu’il me dit. Il vient,
+et il n’a pas plutôt vu la main qu’il s’écrie: — Un antique! un
+antique! — Vous auriez cru qu’il avait trouvé un trésor. Et le voilà,
+avec la pioche, avec les mains, qui se démène et qui faisait quasiment
+autant d’ouvrage que nous deux.
+
+— Et enfin que trouvâtes-vous?
+
+— Une grande femme noire plus qu’à moitié nue, révérence parler,
+monsieur, toute en cuivre, et M. de Peyrehorade nous a dit que c’était
+une idole du temps des païens… du temps de Charlemagne, quoi!
+
+— Je vois ce que c’est… Quelque bonne Vierge en bronze d’un couvent
+détruit.
+
+— Une bonne Vierge! ah bien oui!… Je l’aurais bien reconnue, si ç’avait
+été une bonne Vierge. C’est une idole, vous dis-je; on le voit bien à
+son air. Elle vous fixe avec ses grands yeux blancs… On dirait qu’elle
+vous dévisage. On baisse les yeux, oui, en la regardant.
+
+— Des yeux blancs? Sans doute ils sont incrustés dans le bronze. Ce
+sera peut-être quelque statue romaine.
+
+— Romaine! c’est cela. M. de Peyrehorade dit que c’est une Romaine. Ah!
+je vois bien que vous êtes un savant comme lui.
+
+— Est-elle entière, bien conservée?
+
+— Oh! monsieur, il ne lui manque rien. C’est encore plus beau et mieux
+fini que le buste de Louis-Philippe, qui est à la mairie, en plâtre
+peint. Mais avec tout cela, la figure de cette idole ne me revient pas.
+Elle a l’air méchante… et elle l’est aussi.
+
+— Méchante! Quelle méchanceté vous a-t-elle faite?
+
+— Pas à moi précisément; mais vous allez voir. Nous nous étions mis à
+quatre pour la dresser debout, et M. de Peyrehorade, qui lui aussi
+tirait à la corde, bien qu’il n’ait guère plus de force qu’un poulet,
+le digne homme! Avec bien de la peine nous la mettons droite.
+J’amassais un tuileau pour la caler, quand, patatras! la voilà qui
+tombe à la renverse tout d’une masse. Je dis: Gare dessous! Pas assez
+vite pourtant, car Jean Coll n’a pas eu le temps de tirer sa jambe…
+
+— Et il a été blessé?
+
+— Cassée net comme un échalas, sa pauvre jambe! Pécaïre! quand j’ai vu
+cela, moi, j’étais furieux. Je voulais défoncer l’idole à coups de
+pioche, mais M. de Peyrehorade m’a retenu. Il a donné de l’argent à
+Jean Coll, qui tout de même est encore au lit depuis quinze jours que
+cela lui est arrivé, et le médecin dit qu’il ne marchera jamais de
+cette jambe-là comme de l’autre. C’est dommage, lui qui était notre
+meilleur coureur et, après monsieur le fils, le plus malin joueur de
+paume. C’est que M. Alphonse de Peyrehorade en a été triste, car c’est
+Coll qui faisait sa partie. Voilà qui était beau à voir comme ils se
+renvoyaient les balles. Paf! paf! Jamais elles ne touchaient terre.»
+
+Devisant de la sorte, nous entrâmes à Ille, et je me trouvai bientôt en
+présence de M. de Peyrehorade. C’était un petit vieillard vert encore
+et dispos, poudré, le nez rouge, l’air jovial et goguenard. Avant
+d’avoir ouvert la lettre de M. de P., il m’avait installé devant une
+table bien servie, et m’avait présenté à sa femme et à son fils comme
+un archéologue illustre, qui devait tirer le Roussillon de l’oubli où
+le laissait l’indifférence des savants.
+
+Tout en mangeant de bon appétit, car rien ne dispose mieux que l’air
+vif des montagnes, j’examinais mes hôtes. J’ai dit un mot de M. de
+Peyrehorade; je dois ajouter que c’était la vivacité même. Il parlait,
+mangeait, se levait, courait à sa bibliothèque, m’apportait des livres,
+me montrait des estampes, me versait à boire; il n’était jamais deux
+minutes en repos. Sa femme, un peu trop grasse, comme la plupart des
+Catalanes lorsqu’elles ont passé quarante ans, me parut une provinciale
+renforcée, uniquement occupée des soins de son ménage. Bien que le
+souper fût suffisant pour six personnes au moins, elle courut à la
+cuisine, fit tuer des pigeons, frire des miliasses, ouvrit je ne sais
+combien de pots de confitures. En un instant la table fut encombrée de
+plats et de bouteilles, et je serais certainement mort d’indigestion si
+j’avais goûté seulement à tout ce qu’on m’offrait. Cependant, à chaque
+plat que je refusais, c’étaient de nouvelles excuses. On craignait que
+je ne me trouvasse bien mal à Ille. Dans la province on a peu de
+ressources, et les Parisiens sont si difficiles!
+
+Au milieu des allées et venues de ses parents, M. Alphonse de
+Peyrehorade ne bougeait pas plus qu’un Terme. C’était un grand jeune
+homme de vingt-six ans, d’une physionomie belle et régulière, mais
+manquant d’expression. Sa taille et ses formes athlétiques justifiaient
+bien la réputation d’infatigable joueur de paume qu’on lui faisait dans
+le pays. Il était ce soir-là habillé avec élégance, exactement d’après
+la gravure du dernier numéro du _Journal des modes_. Mais il me
+semblait gêné dans ses vêtements; il était roide comme un piquet dans
+son col de velours, et ne se tournait que tout d’une pièce. Ses mains
+grosses et hâlées, ses ongles courts, contrastaient singulièrement avec
+son costume. C’étaient des mains de laboureur sortant des manches d’un
+dandy. D’ailleurs, bien qu’il me considérât de la tête aux pieds fort
+curieusement, en ma qualité de Parisien, il ne m’adressa qu’une seule
+fois la parole dans toute la soirée, ce fut pour me demander où j’avais
+acheté la chaîne de ma montre.
+
+«Ah çà! mon cher hôte, me dit M. de Peyrehorade, le souper tirant à sa
+fin, vous m’appartenez, vous êtes chez moi. Je ne vous lâche plus,
+sinon quand vous aurez vu tout ce que nous avons de curieux dans nos
+montagnes. Il faut que vous appreniez à connaître notre Roussillon, et
+que vous lui rendiez justice. Vous ne vous doutez pas de tout ce que
+nous allons vous montrer. Monuments phéniciens, celtiques, romains,
+arabes, byzantins, vous verrez tout, depuis le cèdre jusqu’à l’hysope.
+Je vous mènerai partout et ne vous ferai pas grâce d’une brique.»
+
+Un accès de toux l’obligea de s’arrêter. J’en profitai pour lui dire
+que je serais désolé de le déranger dans une circonstance aussi
+intéressante pour sa famille. S’il voulait bien me donner ses
+excellents conseils sur les excursions que j’aurais à faire, je
+pourrais, sans qu’il prît la peine de m’accompagner…
+
+«Ah! vous voulez parler du mariage de ce garçon-là, s’écria-t-il en
+m’interrompant. Bagatelle! ce sera fait après-demain. Vous ferez la
+noce avec nous, en famille, car la future est en deuil d’une tante dont
+elle hérite. Ainsi point de fête, point de bal… C’est dommage… vous
+auriez vu danser nos Catalanes… Elles sont jolies, et peut-être l’envie
+vous aurait-elle pris d’imiter mon Alphonse. Un mariage, dit-on, en
+amène d’autres… Samedi, les jeunes gens mariés, je suis libre, et nous
+nous mettons en course. Je vous demande pardon de vous donner l’ennui
+d’une noce de province. Pour un Parisien blasé sur les fêtes… et une
+noce sans bal encore! Pourtant, vous verrez une mariée… une mariée…
+vous m’en direz des nouvelles… Mais vous êtes un homme grave et vous ne
+regardez plus les femmes. J’ai mieux que cela à vous montrer. Je vous
+ferai voir quelque chose!… Je vous réserve une fière surprise pour
+demain.
+
+— Mon Dieu! lui dis-je, il est difficile d’avoir un trésor dans sa
+maison sans que le public en soit instruit. Je crois deviner la
+surprise que vous me préparez. Mais si c’est de votre statue qu’il
+s’agit, la description que mon guide m’en a faite n’a servi qu’à
+exciter ma curiosité et à me disposer à l’admiration.
+
+— Ah! il vous a parlé de l’idole, car c’est ainsi qu’ils appellent ma
+belle Vénus Tur… mais je ne veux rien vous dire. Demain, au grand jour,
+vous la verrez, et vous me direz si j’ai raison de la croire un
+chef-d’œuvre. Parbleu! vous ne pouviez arriver plus à propos! Il y a
+des inscriptions que moi, pauvre ignorant, j’explique à ma manière…
+mais un savant de Paris!… Vous vous moquerez peut-être de mon
+interprétation… car j’ai fait un mémoire… moi qui vous parle… vieil
+antiquaire de province, je me suis lancé… Je veux faire gémir la
+presse… Si vous vouliez bien me lire et me corriger, je pourrais
+espérer… Par exemple, je suis bien curieux de savoir comment vous
+traduirez cette inscription sur le socle: CAVE… Mais je ne veux rien
+vous demander encore! À demain, à demain! Pas un mot sur la Vénus
+aujourd’hui!
+
+— Tu as raison, Peyrehorade, dit sa femme, de laisser là ton idole. Tu
+devrais voir que tu empêches monsieur de manger. Va, monsieur a vu à
+Paris de bien plus belles statues que la tienne. Aux Tuileries, il y en
+a des douzaines, et en bronze aussi.
+
+— Voilà bien l’ignorance, la sainte ignorance de la province!
+interrompit M. de Peyrehorade. Comparer un antique admirable aux plates
+figures de Coustou!
+
+Comme avec irrévérence
+Parle des dieux ma ménagère!
+
+
+Savez-vous que ma femme voulait que je fondisse ma statue pour en faire
+une cloche à notre église. C’est qu’elle en eût été la marraine. Un
+chef-d’œuvre de Myron, monsieur!
+
+— Chef-d’œuvre! chef-d’œuvre! un beau chef-d’œuvre qu’elle a fait!
+casser la jambe d’un homme!
+
+— Ma femme, vois-tu? dit M. de Peyrehorade d’un ton résolu, et tendant
+vers elle sa jambe droite dans un bas de soie chinée, si ma Vénus
+m’avait cassé cette jambe-là, je ne la regretterais pas.
+
+— Bon Dieu! Peyrehorade, comment peux-tu dire cela! Heureusement que
+l’homme va mieux… Et encore je ne peux pas prendre sur moi de regarder
+la statue qui fait des malheurs comme celui-là. Pauvre Jean Coll!
+
+— Blessé par Vénus, monsieur, dit M. de Peyrehorade riant d’un gros
+rire, blessé par Vénus, le maraud se plaint.
+
+_Veneris nec præmia noris._
+
+
+Qui n’a été blessé par Vénus?»
+
+M. Alphonse, qui comprenait le français mieux que le latin, cligna de
+l’œil d’un air d’intelligence, et me regarda comme pour me demander: Et
+vous, Parisien, comprenez-vous?
+
+Le souper finit. Il y avait une heure que je ne mangeais plus. J’étais
+fatigué, et je ne pouvais parvenir à cacher les fréquents bâillements
+qui m’échappaient. Madame de Peyrehorade s’en aperçut la première, et
+remarqua qu’il était temps d’aller dormir. Alors commencèrent de
+nouvelles excuses sur le mauvais gîte que j’allais avoir. Je ne serais
+pas comme à Paris. En province on est si mal! Il fallait de
+l’indulgence pour les Roussillonnais. J’avais beau protester qu’après
+une course dans les montagnes une botte de paille me serait un coucher
+délicieux, on me priait toujours de pardonner à de pauvres campagnards
+s’ils ne me traitaient aussi bien qu’ils l’eussent désiré. Je montai
+enfin à la chambre qui m’était destinée, accompagné de M. de
+Peyrehorade. L’escalier, dont les marches supérieures étaient en bois,
+aboutissait au milieu d’un corridor, sur lequel donnaient plusieurs
+chambres.
+
+«À droite, me dit mon hôte, c’est l’appartement que je destine à la
+future madame Alphonse. Votre chambre est au bout du corridor opposé.
+Vous sentez bien, ajouta-t-il d’un air qu’il voulait rendre fin, vous
+sentez bien qu’il faut isoler de nouveaux mariés. Vous êtes à un bout
+de la maison, eux à l’autre.»
+
+Nous entrâmes dans une chambre bien meublée, où le premier objet sur
+lequel je portai la vue fut un lit long de sept pieds, large de six, et
+si haut qu’il fallait un escabeau pour s’y guinder. Mon hôte m’ayant
+indiqué la position de la sonnette, et s’étant assuré par lui-même que
+le sucrier était plein, les flacons d’eau de Cologne dûment placés sur
+la toilette, après m’avoir demandé plusieurs fois si rien ne me
+manquait, me souhaita une bonne nuit et me laissa seul.
+
+Les fenêtres étaient fermées. Avant de me déshabiller, j’en ouvris une
+pour respirer l’air frais de la nuit, délicieux après un long souper.
+En face était le Canigou, d’un aspect admirable en tout temps, mais qui
+me parut ce soir-là la plus belle montagne du monde, éclairé qu’il
+était par une lune resplendissante. Je demeurai quelques minutes à
+contempler sa silhouette merveilleuse, et j’allais fermer ma fenêtre,
+lorsque, baissant les yeux, j’aperçus la statue sur un piédestal à une
+vingtaine de toises de la maison. Elle était placée à l’angle d’une
+haie vive qui séparait un petit jardin d’un vaste carré parfaitement
+uni, qui, je l’appris plus tard, était le jeu de paume de la ville. Ce
+terrain, propriété de M. de Peyrehorade, avait été cédé par lui à la
+commune, sur les pressantes sollicitations de son fils.
+
+À la distance où j’étais, il m’était difficile de distinguer l’attitude
+de la statue; je ne pouvais juger que de sa hauteur, qui me parut de
+six pieds environ. En ce moment, deux polissons de la ville passaient
+sur le jeu de paume, assez près de la haie, sifflant le joli air du
+Roussillon: _Montagnes régalades_. Ils s’arrêtèrent pour regarder la
+statue; un d’eux l’apostropha même à haute voix. Il parlait catalan;
+mais j’étais dans le Roussillon depuis assez longtemps pour pouvoir
+comprendre à peu près ce qu’il disait.
+
+«Te voilà donc, coquine! (Le terme catalan était plus énergique.) Te
+voilà! disait-il. C’est donc toi qui as cassé la jambe à Jean Coll! Si
+tu étais à moi, je te casserais le cou.
+
+— Bah! avec quoi? dit l’autre. Elle est de cuivre, et si dure
+qu’Étienne a cassé sa lime dessus, essayant de l’entamer. C’est du
+cuivre du temps des païens; c’est plus dur que je ne sais quoi.
+
+— Si j’avais mon ciseau à froid (il paraît que c’était un apprenti
+serrurier), je lui ferais bientôt sauter ses grands yeux blancs, comme
+je tirerais une amande de sa coquille. Il y a pour plus de cent sous
+d’argent.»
+
+Ils firent quelques pas en s’éloignant.
+
+«Il faut que je souhaite le bonsoir à l’idole», dit le plus grand des
+apprentis, s’arrêtant tout à coup.
+
+Il se baissa, et probablement ramassa une pierre. Je le vis déployer le
+bras, lancer quelque chose, et aussitôt un coup sonore retentit sur le
+bronze. Au même instant l’apprenti porta la main à sa tête en poussant
+un cri de douleur.
+
+«Elle me l’a rejetée!» s’écria-t-il.
+
+Et mes deux polissons prirent la fuite à toutes jambes. Il était
+évident que la pierre avait rebondi sur le métal, et avait puni ce
+drôle de l’outrage qu’il faisait à la déesse.
+
+Je fermai la fenêtre en riant de bon cœur.
+
+«Encore un Vandale puni par Vénus! Puissent tous les destructeurs de
+nos vieux monuments avoir ainsi la tête cassée!» Sur ce souhait
+charitable, je m’endormis.
+
+Il était grand jour quand je me réveillai. Auprès de mon lit étaient
+d’un côté, M. de Peyrehorade, en robe de chambre; de l’autre, un
+domestique envoyé par sa femme, une tasse de chocolat à la main.
+
+«Allons, debout, Parisien! Voilà bien mes paresseux de la capitale!
+disait mon hôte pendant que je m’habillais à la hâte. Il est huit
+heures, et encore au lit! je suis levé, moi, depuis six heures. Voilà
+trois fois que je monte; je me suis approché de votre porte sur la
+pointe du pied: personne, nul signe de vie. Cela vous fera mal de trop
+dormir à votre âge. Et ma Vénus que vous n’avez pas encore vue! Allons,
+prenez-moi vite cette tasse de chocolat de Barcelone… Vraie
+contrebande… Du chocolat comme on n’en a pas à Paris. Prenez des
+forces, car lorsque vous serez devant ma Vénus, on ne pourra plus vous
+en arracher.»
+
+En cinq minutes je fus prêt, c’est-à-dire à moitié rasé, mal boutonné,
+et brûlé par le chocolat que j’avalai bouillant. Je descendis dans le
+jardin, et me trouvai devant une admirable statue.
+
+C’était bien une Vénus, et d’une merveilleuse beauté. Elle avait le
+haut du corps nu, comme les Anciens représentaient d’ordinaire les
+grandes divinités; la main droite, levée à la hauteur du sein, était
+tournée, la paume en dedans, le pouce et les deux premiers doigts
+étendus, les deux autres légèrement ployés. L’autre main, rapprochée de
+la hanche, soutenait la draperie qui couvrait la partie inférieure du
+corps. L’attitude de cette statue rappelait celle du Joueur de mourre
+qu’on désigne, je ne sais trop pourquoi, sous le nom de Germanicus.
+Peut-être avait-on voulu représenter la déesse jouant au jeu de mourre.
+
+Quoi qu’il en soit, il est impossible de voir quelque chose de plus
+parfait que le corps de cette Vénus; rien de plus suave, de plus
+voluptueux que ses contours; rien de plus élégant et de plus noble que
+sa draperie. Je m’attendais à quelque ouvrage du Bas- Empire; je voyais
+un chef-d’œuvre du meilleur temps de la statuaire. Ce qui me frappait
+surtout, c’était l’exquise vérité des formes, en sorte qu’on aurait pu
+les croire moulées sur nature, si la nature produisait d’aussi parfaits
+modèles.
+
+La chevelure, relevée sur le front, paraissait avoir été dorée
+autrefois. La tête, petite comme celle de presque toutes les statues
+grecques, était légèrement inclinée en avant. Quant à la figure, jamais
+je ne parviendrai à exprimer son caractère étrange, et dont le type ne
+se rapprochait de celui d’aucune statue antique dont il me souvienne.
+Ce n’était point cette beauté calme et sévère des sculpteurs grecs,
+qui, par système, donnaient à tous les traits une majestueuse
+immobilité. Ici, au contraire, j’observais avec surprise l’intention
+marquée de l’artiste de rendre la malice arrivant jusqu’à la
+méchanceté. Tous les traits étaient contractés légèrement: les yeux un
+peu obliques, la bouche relevée des coins, les narines quelque peu
+gonflées. Dédain, ironie, cruauté, se lisaient sur ce visage d’une
+incroyable beauté cependant. En vérité, plus on regardait cette
+admirable statue, et plus on éprouvait le sentiment pénible qu’une si
+merveilleuse beauté pût s’allier à l’absence de toute sensibilité.
+
+«Si le modèle a jamais existé, dis-je à M. de Peyrehorade, et je doute
+que le ciel ait jamais produit une telle femme, que je plains ses
+amants! Elle a dû se complaire à les faire mourir de désespoir. Il y a
+dans son expression quelque chose de féroce, et pourtant je n’ai jamais
+vu rien de si beau.
+
+— C’est Vénus tout entière à sa proie attachée!» s’écria M. de
+Peyrehorade, satisfait de mon enthousiasme.
+
+Cette expression d’ironie infernale était augmentée peut-être par le
+contraste de ses yeux incrustés d’argent et très brillants avec la
+patine d’un vert noirâtre que le temps avait donnée à toute la statue.
+Ces yeux brillants produisaient une certaine illusion qui rappelait la
+réalité, la vie. Je me souvins de ce que m’avait dit mon guide, qu’elle
+faisait baisser les yeux à ceux qui la regardaient. Cela était presque
+vrai, et je ne pus me défendre d’un mouvement de colère contre moi-même
+en me sentant un peu mal à mon aise devant cette figure de bronze.
+
+«Maintenant que vous avez tout admiré en détail, mon cher collègue en
+antiquaillerie, dit mon hôte, ouvrons, s’il vous plaît, une conférence
+scientifique. Que dites-vous de cette inscription, à laquelle vous
+n’avez point pris garde encore?»
+
+Il me montrait le socle de la statue, et j’y lus ces mots:
+
+CAVE AMANTEM.
+
+
+«_Quid dicis, doctissime?_ me demanda-t-il en se frottant les mains.
+Voyons si nous nous rencontrerons sur le sens de ce _cave amantem!_
+
+— Mais, répondis-je, il y a deux sens. On peut traduire: «Prends garde
+à celui qui t’aime, défie-toi des amants.» Mais, dans ce sens, je ne
+sais si _cave amantem_ serait d’une bonne latinité. En voyant
+l’expression diabolique de la dame, je croirais plutôt que l’artiste a
+voulu mettre en garde le spectateur contre cette terrible beauté. Je
+traduirais donc: «Prends garde à toi si _elle_ t’aime.»
+
+— Humph! dit M. de Peyrehorade, oui, c’est un sens admirable; mais, ne
+vous en déplaise, je préfère la première traduction, que je
+développerai pourtant. Vous connaissez l’amant de Vénus?
+
+— Il y en a plusieurs.
+
+— Oui; mais le premier, c’est Vulcain. N’a-t-on pas voulu dire: «Malgré
+toute ta beauté, ton air dédaigneux, tu auras un forgeron, un vilain
+boiteux pour amant!» Leçon profonde, monsieur, pour les coquettes!»
+
+Je ne pus m’empêcher de sourire, tant l’explication me parut tirée par
+les cheveux.
+
+«C’est une terrible langue que le latin avec sa concision, observai-je
+pour éviter de contredire formellement mon antiquaire, et je reculai de
+quelques pas afin de mieux contempler la statue.
+
+— Un instant, collègue! dit M. de Peyrehorade en m’arrêtant par le
+bras, vous n’avez pas tout vu. Il y a encore une autre inscription.
+Montez sur le socle et regardez au bras droit.»
+
+En parlant ainsi il m’aidait à monter.
+
+Je m’accrochai sans trop de façons au cou de la Vénus, avec laquelle je
+commençais à me familiariser. Je la regardai même un instant _sous le
+nez_, et la trouvai de près encore plus méchante et encore plus belle.
+Puis je reconnus qu’il y avait, gravés sur le bras, quelques caractères
+d’écriture cursive antique, à ce qu’il me sembla. À grand renfort de
+besicles j’épelai ce qui suit, et cependant M. de Peyrehorade répétait
+chaque mot à mesure que je le prononçais, approuvant du geste et de la
+voix. Je lus donc:
+
+VENERI TVRBVL…
+EVTYCHES MYRO
+IMPERIO FECIT.
+
+
+Après ce mot TVRBVL de la première ligne, il me sembla qu’il y avait
+quelques lettres effacées; mais TVRBVL était parfaitement lisible.
+
+«Ce qui veut dire?…» me demanda mon hôte radieux et souriant avec
+malice, car il pensait bien que je ne me tirerais pas facilement de ce
+TVRBVL.
+
+«Il y a un mot que je ne m’explique pas encore, lui dis-je; tout le
+reste est facile. Eutychès Myron a fait cette offrande à Vénus par son
+ordre.
+
+— À merveille. Mais TVRBVL, qu’en faites-vous? Qu’est-ce que TVRBVL?
+
+— TVRBVL m’embarrasse fort. Je cherche en vain quelque épithète connue
+de Vénus qui puisse m’aider. Voyons, que diriez-vous de TVRBVLENTA?
+Vénus qui trouble, qui agite… Vous vous apercevez que je suis toujours
+préoccupé de son expression méchante. TVRBVLENTA, ce n’est point une
+trop mauvaise épithète pour Vénus», ajoutai-je d’un ton modeste, car je
+n’étais pas moi-même fort satisfait de mon explication.
+
+«Vénus turbulente! Vénus la tapageuse! Ah! vous croyez donc que ma
+Vénus est une Vénus de cabaret? Point du tout, monsieur; c’est une
+Vénus de bonne compagnie. Mais je vais vous expliquer ce TVRBVL… Au
+moins vous me promettez de ne point divulguer ma découverte avant
+l’impression de mon mémoire. C’est que, voyez-vous, je m’en fais
+gloire, de cette trouvaille-là… Il faut bien que vous nous laissiez
+quelques épis à glaner, à nous autres pauvres diables de provinciaux.
+Vous êtes si riches, messieurs les savants de Paris!»
+
+Du haut du piédestal, où j’étais toujours perché, je lui promis
+solennellement que je n’aurais jamais l’indignité de lui voler sa
+découverte.
+
+«TVRBVL…, monsieur, dit-il en se rapprochant et baissant la voix de
+peur qu’un autre que moi ne pût l’entendre, lisez TVRBVLNERÆ.
+
+— Je ne comprends pas davantage.
+
+— Écoutez bien. À une lieue d’ici, au pied de la montagne, il y a un
+village qui s’appelle Boulternère. C’est une corruption du mot latin
+TVRBVLNERA. Rien de plus commun que ces inversions. Boulternère,
+monsieur, a été une ville romaine. Je m’en étais toujours douté, mais
+jamais je n’en avais eu la preuve. La preuve, la voilà. Cette Vénus
+était la divinité topique de la cité de Boulternère; et ce mot de
+Boulternère, que je viens de démontrer d’origine antique, prouve une
+chose bien plus curieuse, c’est que Boulternère, avant d’être une ville
+romaine, a été une ville phénicienne!»
+
+Il s’arrêta un moment pour respirer et jouir de ma surprise. Je parvins
+à réprimer une forte envie de rire.
+
+«En effet, poursuivit-il, TVRBVLNERA est pur phénicien, TVR, prononcez
+TOUR… TOUR et SOUR, même mot, n’est-ce pas? SOUR est le nom phénicien
+de Tyr; je n’ai pas besoin de vous en rappeler le sens. BVL, c’est
+Baal; Bâl, Bel, Bul, légères différences de prononciation. Quant à
+NERA, cela me donne un peu de peine. Je suis tenté de croire, faute de
+trouver un mot phénicien, que cela vient du grec νηρός, humide,
+marécageux. Ce serait donc un mot hybride. Pour justifier νηρός, je
+vous montrerai à Boulternère comment les ruisseaux de la montagne y
+forment des mares infectes. D’autre part, la terminaison NERA aurait pu
+être ajoutée beaucoup plus tard en l’honneur de Nera Pivesuvia, femme
+de Tétricus, laquelle aurait fait quelque bien à la cité de Turbul.
+Mais, à cause des mares, je préfère l’étymologie de νηρός.»
+
+Il prit une prise de tabac d’un air satisfait.
+
+«Mais laissons les Phéniciens, et revenons à l’inscription. Je traduis
+donc: “À Vénus de Boulternère Myron dédie par son ordre cette statue,
+son ouvrage.”«
+
+Je me gardai bien de critiquer son étymologie, mais je voulus à mon
+tour faire preuve de pénétration, et je lui dis:
+
+«Halte-là, monsieur. Myron a consacré quelque chose, mais je ne vois
+nullement que ce soit cette statue.
+
+— Comment! s’écria-t-il, Myron n’était-il pas un fameux sculpteur grec?
+Le talent se sera perpétué dans sa famille: c’est un de ses descendants
+qui aura fait cette statue. Il n’y a rien de plus sûr.
+
+— Mais, répliquai-je, je vois sur le bras un petit trou. Je pense qu’il
+a servi à fixer quelque chose, un bracelet, par exemple, que ce Myron
+donna à Vénus en offrande expiatoire. Myron était un amant malheureux.
+Vénus était irritée contre lui: il l’apaisa en lui consacrant un
+bracelet d’or. Remarquez que fecit se prend fort souvent pour
+_consecravit_. Ce sont termes synonymes. Je vous en montrerais plus
+d’un exemple si j’avais sous la main Gruter ou bien Orelli. Il est
+naturel qu’un amoureux voie Vénus en rêve, qu’il s’imagine qu’elle lui
+commande de donner un bracelet d’or à sa statue. Myron lui consacra un
+bracelet… Puis les barbares ou bien quelque voleur sacrilège…
+
+— Ah! qu’on voit bien que vous avez fait des romans! s’écria mon hôte
+en me donnant la main pour descendre. Non, monsieur, c’est un ouvrage
+de l’école de Myron. Regardez seulement le travail, et vous en
+conviendrez.»
+
+M’étant fait une loi de ne jamais contredire à outrance les antiquaires
+entêtés, je baissai la tête d’un air convaincu en disant:
+
+«C’est un admirable morceau.
+
+— Ah! mon Dieu, s’écria M. de Peyrehorade, encore un trait de
+vandalisme! On aura jeté une pierre à ma statue!»
+
+Il venait d’apercevoir une marque blanche un peu au-dessus du sein de
+la Vénus. Je remarquai une trace semblable sur les doigts de la main
+droite, qui, je le supposai alors, avaient été touchés dans le trajet
+de la pierre, ou bien un fragment s’en était détaché par le choc et
+avait ricoché sur la main. Je contai à mon hôte l’insulte dont j’avais
+été témoin et la prompte punition qui s’en était suivie. Il en rit
+beaucoup, et, comparant l’apprenti à Diomède, il lui souhaita de voir,
+comme le héros grec, tous ses compagnons changés en oiseaux blancs.
+
+La cloche du déjeuner interrompit cet entretien classique, et, de même
+que la veille, je fus obligé de manger comme quatre. Puis vinrent des
+fermiers de M. de Peyrehorade; et pendant qu’il leur donnait audience,
+son fils me mena voir une calèche qu’il avait achetée à Toulouse pour
+sa fiancée, et que j’admirai, cela va sans dire. Ensuite j’entrai avec
+lui dans l’écurie, où il me tint une demi-heure à me vanter ses
+chevaux, à me faire leur généalogie, à me conter les prix qu’ils
+avaient gagnés aux courses du département. Enfin il en vint à me parler
+de sa future, par la transition d’une jument grise qu’il lui destinait.
+
+«Nous la verrons aujourd’hui, dit-il. Je ne sais si vous la trouverez
+jolie. Vous êtes difficiles, à Paris; mais tout le monde, ici et à
+Perpignan, la trouve charmante. Le bon, c’est qu’elle est fort riche.
+Sa tante de Prades lui a laissé son bien. Oh! je vais être fort
+heureux.»
+
+Je fus profondément choqué de voir un jeune homme paraître plus touché
+de la dot que des beaux yeux de sa future.
+
+«Vous vous connaissez en bijoux, poursuivit M. Alphonse, comment
+trouvez-vous ceci? Voici l’anneau que je lui donnerai demain.»
+
+En parlant ainsi, il tirait de la première phalange de son petit doigt
+une grosse bague enrichie de diamants, et formée de deux mains
+entrelacées; allusion qui me parut infiniment poétique. Le travail en
+était ancien, mais je jugeai qu’on l’avait retouchée pour enchâsser les
+diamants. Dans l’intérieur de la bague se lisaient ces mots en lettres
+gothiques: _Sempr’ ab ti_, c’est-à-dire, toujours avec toi.
+
+«C’est une jolie bague, lui dis-je; mais ces diamants ajoutés lui ont
+fait perdre un peu de son caractère.
+
+— Oh! elle est bien plus belle comme cela, répondit-il en souriant. Il
+y a là pour douze cents francs de diamants. C’est ma mère qui me l’a
+donnée. C’était une bague de famille, très ancienne… du temps de la
+chevalerie. Elle avait servi à ma grand-mère, qui la tenait de la
+sienne. Dieu sait quand cela a été fait.
+
+— L’usage à Paris, lui dis-je, est de donner un anneau tout simple,
+ordinairement composé de deux métaux différents, comme de l’or et du
+platine. Tenez, cette autre bague, que vous avez à ce doigt, serait
+fort convenable. Celle-ci, avec ses diamants et ses mains en relief,
+est si grosse, qu’on ne pourrait mettre un gant par-dessus.
+
+— Oh! madame Alphonse s’arrangera comme elle voudra. Je crois qu’elle
+sera toujours bien contente de l’avoir. Douze cents francs au doigt,
+c’est agréable. Cette petite bague-là, ajouta-t-il en regardant d’un
+air de satisfaction l’anneau tout uni qu’il portait à la main,
+celle-là, c’est une femme à Paris qui me l’a donnée un jour de mardi
+gras. Ah! comme je m’en suis donné quand j’étais à Paris, il y a deux
+ans! C’est là qu’on s’amuse!…» Et il soupira de regret.
+
+Nous devions dîner ce jour-là à Puygarrig, chez les parents de la
+future; nous montâmes en calèche, et nous nous rendîmes au château
+éloigné d’Ille d’environ une lieue et demie. Je fus présenté et
+accueilli comme l’ami de la famille. Je ne parlerai pas du dîner ni de
+la conversation qui s’ensuivit, et à laquelle je pris peu de part. M.
+Alphonse, placé à côté de sa future, lui disait un mot à l’oreille tous
+les quarts d’heure. Pour elle, elle ne levait guère les yeux, et,
+chaque fois que son prétendu lui parlait, elle rougissait avec
+modestie, mais lui répondait sans embarras.
+
+Mademoiselle de Puygarrig avait dix-huit ans; sa taille souple et
+délicate contrastait avec les formes osseuses de son robuste fiancé.
+Elle était non seulement belle, mais séduisante. J’admirais le naturel
+parfait de toutes ses réponses; et son air de bonté, qui pourtant
+n’était pas exempt d’une légère teinte de malice, me rappela, malgré
+moi, la Vénus de mon hôte. Dans cette comparaison que je fis en
+moi-même, je me demandais si la supériorité de beauté qu’il fallait
+bien accorder à la statue ne tenait pas, en grande partie, à son
+expression de tigresse; car l’énergie, même dans les mauvaises
+passions, excite toujours en nous un étonnement et une espèce
+d’admiration involontaire.
+
+«Quel dommage, me dis-je en quittant Puygarrig, qu’une si aimable
+personne soit riche, et que sa dot la fasse rechercher par un homme
+indigne d’elle!»
+
+En revenant à Ille, et ne sachant trop que dire à madame de
+Peyrehorade, à qui je croyais convenable d’adresser quelquefois la
+parole:
+
+«Vous êtes bien esprits forts en Roussillon! m’écriai-je; comment,
+madame, vous faites un mariage un vendredi! À Paris nous aurions plus
+de superstition; personne n’oserait prendre femme un tel jour.
+
+— Mon Dieu! ne m’en parlez pas, me dit-elle, si cela n’avait dépendu
+que de moi, certes on eût choisi un autre jour. Mais Peyrehorade l’a
+voulu, et il a fallu lui céder. Cela me fait de la peine pourtant. S’il
+arrivait quelque malheur? Il faut bien qu’il y ait une raison, car
+enfin pourquoi tout le monde a-t-il peur du vendredi?
+
+— Vendredi! s’écria son mari, c’est le jour de Vénus! Bon jour pour un
+mariage! Vous le voyez, mon cher collègue, je ne pense qu’à ma Vénus.
+D’honneur! c’est à cause d’elle que j’ai choisi le vendredi. Demain, si
+vous voulez, avant la noce, nous lui ferons un petit sacrifice; nous
+sacrifierons deux palombes, et si je savais où trouver de l’encens…
+
+— Fi donc, Peyrehorade! interrompit sa femme scandalisée au dernier
+point. Encenser une idole! Ce serait une abomination! Que dirait-on de
+nous dans le pays?
+
+— Au moins, dit M. de Peyrehorade, tu me permettras de lui mettre sur
+la tête une couronne de roses et de lis:
+
+_Manibus date lilia plenis._
+
+
+Vous le voyez, monsieur, la charte est un vain mot. Nous n’avons pas la
+liberté des cultes!»
+
+Les arrangements du lendemain furent réglés de la manière suivante.
+Tout le monde devait être prêt et en toilette à dix heures précises. Le
+chocolat pris, on se rendrait en voiture à Puygarrig. Le mariage civil
+devait se faire à la mairie du village, et la cérémonie religieuse dans
+la chapelle du château. Viendrait ensuite un déjeuner. Après le
+déjeuner on passerait le temps comme l’on pourrait jusqu’à sept heures.
+À sept heures, on retournerait à Ille, chez M. de Peyrehorade, où
+devaient souper les deux familles réunies. Le reste s’ensuit
+naturellement. Ne pouvant danser, on avait voulu manger le plus
+possible.
+
+Dès huit heures j’étais assis devant la Vénus, un crayon à la main,
+recommençant pour la vingtième fois la tête de la statue, sans pouvoir
+parvenir à en saisir l’expression. M. de Peyrehorade allait et venait
+autour de moi, me donnait des conseils, me répétait ses étymologies
+phéniciennes; puis disposait des roses du Bengale sur le piédestal de
+la statue, et d’un ton tragi-comique lui adressait des vœux pour le
+couple qui allait vivre sous son toit. Vers neuf heures il rentra pour
+songer à sa toilette, et en même temps parut M. Alphonse, bien serré
+dans un habit neuf, en gants blancs, souliers vernis, boutons ciselés,
+une rose à la boutonnière.
+
+«Vous ferez le portrait de ma femme? me dit-il en se penchant sur mon
+dessin. Elle est jolie aussi.»
+
+En ce moment commençait, sur le jeu de paume dont j’ai parlé, une
+partie qui, sur-le-champ, attira l’attention de M. Alphonse. Et moi,
+fatigué, et désespérant de rendre cette diabolique figure, je quittai
+bientôt mon dessin pour regarder les joueurs. Il y avait parmi eux
+quelques muletiers espagnols arrivés de la veille. C’étaient des
+Aragonais et des Navarrois, presque tous d’une adresse merveilleuse.
+Aussi les Illois, bien qu’encouragés par la présence et les conseils de
+M. Alphonse, furent-ils assez promptement battus par ces nouveaux
+champions. Les spectateurs nationaux étaient consternés. M. Alphonse
+regarda à sa montre. Il n’était encore que neuf heures et demie. Sa
+mère n’était pas coiffée. Il n’hésita plus: il ôta son habit, demanda
+une veste, et défia les Espagnols. Je le regardais faire en souriant,
+et un peu surpris.
+
+«Il faut soutenir l’honneur du pays», dit-il.
+
+Alors je le trouvai vraiment beau. Il était passionné. Sa toilette, qui
+l’occupait si fort tout à l’heure, n’était plus rien pour lui. Quelques
+minutes avant il eût craint de tourner la tête de peur de déranger sa
+cravate. Maintenant il ne pensait plus à ses cheveux frisés ni à son
+jabot si bien plissé. Et sa fiancée?… Ma foi, si cela eût été
+nécessaire, il aurait, je crois, fait ajourner le mariage. Je le vis
+chausser à la hâte une paire de sandales, retrousser ses manches, et,
+d’un air assuré, se mettre à la tête du parti vaincu, comme César
+ralliant ses soldats à Dyrrachium. Je sautai la haie, et me plaçai
+commodément à l’ombre d’un micocoulier, de façon à bien voir les deux
+camps.
+
+Contre l’attente générale, M. Alphonse manqua la première balle; il est
+vrai qu’elle vint rasant la terre et lancée avec une force surprenante
+par un Aragonais qui paraissait être le chef des Espagnols.
+
+C’était un homme d’une quarantaine d’années, sec et nerveux, haut de
+six pieds, et sa peau olivâtre avait une teinte presque aussi foncée
+que le bronze de la Vénus.
+
+M. Alphonse jeta sa raquette à terre avec fureur. «C’est cette maudite
+bague, s’écria-t-il, qui me serre le doigt, et me fait manquer une
+balle sûre!»
+
+Il ôta, non sans peine, sa bague de diamants: je m’approchais pour la
+recevoir; mais il me prévint, courut à la Vénus, lui passa la bague au
+doigt annulaire, et reprit son poste à la tête des Illois. Il était
+pâle, mais calme et résolu. Dès lors il ne fit plus une seule faute, et
+les Espagnols furent battus complètement. Ce fut un beau spectacle que
+l’enthousiasme des spectateurs: les uns poussaient mille cris de joie
+en jetant leurs bonnets en l’air; d’autres lui serraient les mains,
+l’appelant l’honneur du pays. S’il eût repoussé une invasion, je doute
+qu’il eût reçu des félicitations plus vives et plus sincères. Le
+chagrin des vaincus ajoutait encore à l’éclat de sa victoire.
+
+«Nous ferons d’autres parties, mon brave, dit-il à l’Aragonais d’un ton
+de supériorité; mais je vous rendrai des points.»
+
+J’aurais désiré que M. Alphonse fût plus modeste, et je fus presque
+peiné de l’humiliation de son rival.
+
+Le géant espagnol ressentit profondément cette insulte. Je le vis pâlir
+sous sa peau basanée. Il regardait d’un air morne sa raquette en
+serrant les dents; puis, d’une voix étouffée, il dit tout bas: _Me lo
+pagarás_.
+
+La voix de M. de Peyrehorade troubla le triomphe de son fils; mon hôte,
+fort étonné de ne point le trouver présidant aux apprêts de la calèche
+neuve, le fut bien plus encore en le voyant tout en sueur, la raquette
+à la main. M. Alphonse courut à la maison, se lava la figure et les
+mains, remit son habit neuf et ses souliers vernis, et cinq minutes
+après nous étions au grand trot sur la route de Puygarrig. Tous les
+joueurs de paume de la ville et grand nombre de spectateurs nous
+suivirent avec des cris de joie. À peine les chevaux vigoureux qui nous
+traînaient pouvaient-ils maintenir leur avance sur ces intrépides
+Catalans.
+
+Nous étions à Puygarrig, et le cortège allait se mettre en marche pour
+la mairie, lorsque M. Alphonse, se frappant le front, me dit tout bas:
+
+«Quelle brioche! J’ai oublié la bague! Elle est au doigt de la Vénus,
+que le diable puisse emporter! Ne le dites pas à ma mère au moins.
+Peut-être qu’elle ne s’apercevra de rien.
+
+— Vous pourriez envoyer quelqu’un, lui dis-je.
+
+— Bah! mon domestique est resté à Ille. Ceux-ci, je ne m’y fie guère.
+Douze cents francs de diamants! cela pourrait en tenter plus d’un.
+D’ailleurs que penserait-on ici de ma distraction? Ils se moqueraient
+trop de moi. Ils m’appelleraient le mari de la statue… Pourvu qu’on ne
+me la vole pas! Heureusement que l’idole fait peur à mes coquins. Ils
+n’osent l’approcher à longueur de bras. Bah! ce n’est rien; j’ai une
+autre bague.»
+
+Les deux cérémonies civile et religieuse s’accomplirent avec la pompe
+convenable; et mademoiselle de Puygarrig reçut l’anneau d’une modiste
+de Paris, sans se douter que son fiancé lui faisait le sacrifice d’un
+gage amoureux. Puis on se mit à table, où l’on but, mangea, chanta
+même, le tout fort longuement. Je souffrais pour la mariée de la grosse
+joie qui éclatait autour d’elle; pourtant elle faisait meilleure
+contenance que je ne l’aurais espéré, et son embarras n’était ni de la
+gaucherie ni de l’affectation.
+
+Peut-être le courage vient-il avec les situations difficiles.
+
+Le déjeuner terminé quand il plut à Dieu, il était quatre heures; les
+hommes allèrent se promener dans le parc, qui était magnifique, ou
+regardèrent danser sur la pelouse du château les paysannes de
+Puygarrig, parées de leurs habits de fête. De la sorte, nous employâmes
+quelques heures. Cependant les femmes étaient fort empressées autour de
+la mariée, qui leur faisait admirer sa corbeille. Puis elle changea de
+toilette, et je remarquai qu’elle couvrit ses beaux cheveux d’un bonnet
+et d’un chapeau à plumes, car les femmes n’ont rien de plus pressé que
+de prendre, aussitôt qu’elles le peuvent, les parures que l’usage leur
+défend de porter quand elles sont encore demoiselles.
+
+Il était près de huit heures quand on se disposa à partir pour Ille.
+Mais d’abord eut lieu une scène pathétique. La tante de mademoiselle de
+Puygarrig, qui lui servait de mère, femme très âgée et fort dévote, ne
+devait point aller avec nous à la ville. Au départ, elle fit à sa nièce
+un sermon touchant sur ses devoirs d’épouse, duquel sermon résulta un
+torrent de larmes et des embrassements sans fin. M. de Peyrehorade
+comparait cette séparation à l’enlèvement des Sabines. Nous partîmes
+pourtant, et, pendant la route, chacun s’évertua pour distraire la
+mariée et la faire rire; mais ce fut en vain.
+
+À Ille, le souper nous attendait, et quel souper! Si la grosse joie du
+matin m’avait choqué, je le fus bien davantage des équivoques et des
+plaisanteries dont le marié et la mariée surtout furent l’objet. Le
+marié, qui avait disparu un instant avant de se mettre à table, était
+pâle et d’un sérieux de glace. Il buvait à chaque instant du vieux vin
+de Collioure presque aussi fort que de l’eau-de-vie. J’étais à côté de
+lui, et me crus obligé de l’avertir:
+
+«Prenez garde! on dit que le vin…»
+
+Je ne sais quelle sottise je lui dis pour me mettre à l’unisson des
+convives.
+
+Il me poussa le genou, et très bas il me dit:
+
+«Quand on se lèvera de table…, que je puisse vous dire deux mots.»
+
+Son ton solennel me surprit. Je le regardai plus attentivement, et je
+remarquai l’étrange altération de ses traits.
+
+«Vous sentez-vous indisposé? lui demandai-je.
+
+— Non.»
+
+Et il se remit à boire.
+
+Cependant, au milieu des cris et des battements de mains, un enfant de
+onze ans, qui s’était glissé sous la table, montrait aux assistants un
+joli ruban blanc et rose qu’il venait de détacher de la cheville de la
+mariée. On appelle cela sa jarretière. Elle fut aussitôt coupée par
+morceaux et distribuée aux jeunes gens, qui en ornèrent leur
+boutonnière, suivant un antique usage qui se conserve encore dans
+quelques familles patriarcales. Ce fut pour la mariée une occasion de
+rougir jusqu’au blanc des yeux. Mais son trouble fut au comble lorsque
+M. de Peyrehorade, ayant réclamé le silence, lui chanta quelques vers
+catalans, impromptus, disait-il. En voici le sens, si je l’ai bien
+compris:
+
+«Qu’est-ce donc, mes amis? Le vin que j’ai bu me fait-il voir double?
+Il y a deux Vénus ici…»
+
+Le marié tourna brusquement la tête d’un air effaré, qui fit rire tout
+le monde.
+
+«Oui, poursuivit M. de Peyrehorade, il y a deux Vénus sous mon toit.
+L’une, je l’ai trouvée dans la terre comme une truffe; l’autre,
+descendue des cieux, vient de nous partager sa ceinture.»
+
+Il voulait dire sa jarretière.
+
+«Mon fils, choisis de la Vénus romaine ou de la catalane celle que tu
+préfères. Le maraud prend la catalane, et sa part est la meilleure. La
+romaine est noire, la catalane est blanche. La romaine est froide, la
+catalane enflamme tout ce qui l’approche.»
+
+Cette chute excita un tel hourra, des applaudissements si bruyants et
+des rires si sonores, que je crus que le plafond allait nous tomber sur
+la tête. Autour de la table il n’y avait que trois visages sérieux,
+ceux des mariés et le mien. J’avais un grand mal de tête; et puis, je
+ne sais pourquoi, un mariage m’attriste toujours. Celui-là, en outre,
+me dégoûtait un peu.
+
+Les derniers couplets ayant été chantés par l’adjoint du maire, et ils
+étaient fort lestes, je dois le dire, on passa dans le salon pour jouir
+du départ de la mariée, qui devait être bientôt conduite à sa chambre,
+car il était près de minuit.
+
+M. Alphonse me tira dans l’embrasure d’une fenêtre, et me dit en
+détournant les yeux: «Vous allez vous moquer de moi… Mais je ne sais ce
+que j’ai… je suis ensorcelé! le diable m’emporte!»
+
+La première pensée qui me vint fut qu’il se croyait menacé de quelque
+malheur du genre de ceux dont parlent Montaigne et madame de Sévigné:
+
+«Tout l’empire amoureux est plein d’histoires tragiques», etc. Je
+croyais que ces sortes d’accidents n’arrivaient qu’aux gens d’esprit,
+me dis-je à moi-même.
+
+«Vous avez trop bu de vin de Collioure, mon cher monsieur Alphonse, lui
+dis-je. Je vous avais prévenu.
+
+— Oui, peut-être. Mais c’est quelque chose de bien plus terrible.»
+
+Il avait la voix entrecoupée. Je le crus tout à fait ivre.
+
+«Vous savez bien mon anneau? poursuivit-il après un silence.
+
+— Eh bien! on l’a pris?
+
+— Non.
+
+— En ce cas, vous l’avez?
+
+— Non… je… Je ne puis l’ôter du doigt de cette diable de Vénus.
+
+— Bon! vous n’avez pas tiré assez fort.
+
+— Si fait… Mais la Vénus… elle a serré le doigt.»
+
+Il me regardait fixement d’un air hagard, s’appuyant à l’espagnolette
+pour ne pas tomber.
+
+«Quel conte! lui dis-je. Vous avez trop enfoncé l’anneau. Demain vous
+l’aurez avec des tenailles. Mais prenez garde de gâter la statue.
+
+— Non, vous dis-je. Le doigt de la Vénus est retiré, reployé; elle
+serre la main, m’entendez-vous?… C’est ma femme, apparemment, puisque
+je lui ai donné mon anneau… Elle ne veut plus le rendre.»
+
+J’éprouvai un frisson subit, et j’eus un instant la chair de poule.
+Puis, un grand soupir qu’il fit m’envoya une bouffée de vin, et toute
+émotion disparut.
+
+Le misérable, pensai-je, est complètement ivre.
+
+«Vous êtes antiquaire, monsieur, ajouta le marié d’un ton lamentable;
+vous connaissez ces statues-là… il y a peut-être quelque ressort,
+quelque diablerie, que je ne connais point… Si vous alliez voir?
+
+— Volontiers, dis-je. Venez avec moi.
+
+— Non, j’aime mieux que vous y alliez seul.»
+
+Je sortis du salon.
+
+Le temps avait changé pendant le souper, et la pluie commençait à
+tomber avec force. J’allais demander un parapluie, lorsqu’une réflexion
+m’arrêta. Je serais un bien grand sot, me dis-je, d’aller vérifier ce
+que m’a dit un homme ivre! Peut-être, d’ailleurs, a-t-il voulu me faire
+quelque méchante plaisanterie pour apprêter à rire à ces honnêtes
+provinciaux; et le moins qu’il puisse m’en arriver, c’est d’être trempé
+jusqu’aux os et d’attraper un bon rhume.
+
+De la porte je jetai un coup d’œil sur la statue ruisselante d’eau, et
+je montai dans ma chambre sans rentrer dans le salon. Je me couchai;
+mais le sommeil fut long à venir. Toutes les scènes de la journée se
+représentaient à mon esprit. Je pensais à cette jeune fille si belle et
+si pure abandonnée à un ivrogne brutal. Quelle odieuse chose, me
+disais-je, qu’un mariage de convenance! Un maire revêt une écharpe
+tricolore, un curé une étole, et voilà la plus honnête fille du monde
+livrée au Minotaure! Deux êtres qui ne s’aiment pas, que peuvent-ils se
+dire dans un pareil moment, que deux amants achèteraient au prix de
+leur existence? Une femme peut-elle jamais aimer un homme qu’elle aura
+vu grossier une fois? Les premières impressions ne s’effacent pas, et
+j’en suis sûr ce M. Alphonse méritera bien d’être haï…
+
+Durant mon monologue, que j’abrège beaucoup, j’avais entendu force
+allées et venues dans la maison, les portes s’ouvrir et se fermer, des
+voitures partir; puis il me semblait avoir entendu sur l’escalier les
+pas légers de plusieurs femmes se dirigeant vers l’extrémité du
+corridor opposé à ma chambre. C’était probablement le cortège de la
+mariée qu’on menait au lit. Ensuite on avait redescendu l’escalier. La
+porte de madame de Peyrehorade s’était fermée. Que cette pauvre fille,
+me dis-je, doit être troublée et mal à son aise! Je me tournais dans
+mon lit de mauvaise humeur. Un garçon joue un sot rôle dans une maison
+où s’accomplit un mariage.
+
+Le silence régnait depuis quelque temps lorsqu’il fut troublé par des
+pas lourds qui montaient l’escalier. Les marches de bois craquèrent
+fortement.
+
+«Quel butor! m’écriai-je. Je parie qu’il va tomber dans l’escalier.»
+
+Tout redevint tranquille. Je pris un livre pour changer le cours de mes
+idées. C’était une statistique du département, ornée d’un mémoire de M.
+de Peyrehorade sur les monuments druidiques de l’arrondissement de
+Prades. Je m’assoupis à la troisième page.
+
+Je dormis mal et me réveillai plusieurs fois. Il pouvait être cinq
+heures du matin, et j’étais éveillé depuis plus de vingt minutes
+lorsque le coq chanta. Le jour allait se lever. Alors j’entendis
+distinctement les mêmes pas lourds, le même craquement de l’escalier
+que j’avais entendus avant de m’endormir. Cela me parut singulier.
+J’essayai, en bâillant, de deviner pourquoi M. Alphonse se levait si
+matin. Je n’imaginais rien de vraisemblable. J’allais refermer les yeux
+lorsque mon attention fut de nouveau excitée par des trépignements
+étranges auxquels se mêlèrent bientôt le tintement des sonnettes et le
+bruit de portes qui s’ouvraient avec fracas, puis je distinguai des
+cris confus.
+
+Mon ivrogne aura mis le feu quelque part! pensais-je en sautant à bas
+de mon lit.
+
+Je m’habillai rapidement et j’entrai dans le corridor. De l’extrémité
+opposée partaient des cris et des lamentations, et une voix déchirante
+dominait toutes les autres: «Mon fils! mon fils!» Il était évident
+qu’un malheur était arrivé à M. Alphonse. Je courus à la chambre
+nuptiale: elle était pleine de monde. Le premier spectacle qui frappa
+ma vue fut le jeune homme à demi-vêtu, étendu en travers sur le lit
+dont le bois était brisé. Il était livide, sans mouvement. Sa mère
+pleurait et criait à côté de lui. M. de Peyrehorade s’agitait, lui
+frottait les tempes avec de l’eau de Cologne, ou lui mettait des sels
+sous le nez. Hélas! depuis longtemps son fils était mort. Sur un
+canapé, à l’autre bout de la chambre, était la mariée, en proie à
+d’horribles convulsions. Elle poussait des cris inarticulés, et deux
+robustes servantes avaient toutes les peines du monde à la contenir.
+
+«Mon Dieu! m’écriai-je, qu’est-il donc arrivé?»
+
+Je m’approchai du lit et soulevai le corps du malheureux jeune homme;
+il était déjà roide et froid. Ses dents serrées et sa figure noircie
+exprimaient les plus affreuses angoisses. Il paraissait assez que sa
+mort avait été violente et son agonie terrible. Nulle trace de sang
+cependant sur ses habits. J’écartai sa chemise et vis sur sa poitrine
+une empreinte livide qui se prolongeait sur les côtes et le dos. On eût
+dit qu’il avait été étreint dans un cercle de fer. Mon pied posa sur
+quelque chose de dur qui se trouvait sur le tapis; je me baissai et vis
+la bague de diamants.
+
+J’entraînai M. de Peyrehorade et sa femme dans leur chambre; puis j’y
+fis porter la mariée. «Vous avez encore une fille, leur dis-je, vous
+lui devez vos soins.» Alors je les laissai seuls.
+
+Il ne me paraissait pas douteux que M. Alphonse n’eût été victime d’un
+assassinat dont les auteurs avaient trouvé moyen de s’introduire la
+nuit dans la chambre de la mariée. Ces meurtrissures à la poitrine,
+leur direction circulaire m’embarrassaient beaucoup pourtant, car un
+bâton ou une barre de fer n’aurait pu les produire. Tout d’un coup je
+me souvins d’avoir entendu dire qu’à Valence des braves se servaient de
+longs sacs de cuir remplis de sable fin pour assommer les gens dont on
+leur avait payé la mort. Aussitôt je me rappelai le muletier aragonais
+et sa menace; toutefois j’osais à peine penser qu’il eût tiré une si
+terrible vengeance d’une plaisanterie légère.
+
+J’allais dans la maison, cherchant partout des traces d’effraction, et
+n’en trouvant nulle part. Je descendis dans le jardin pour voir si les
+assassins avaient pu s’introduire de ce côté; mais je ne trouvai aucun
+indice certain. La pluie de la veille avait d’ailleurs tellement
+détrempé le sol, qu’il n’aurait pu garder d’empreinte bien nette.
+J’observai pourtant quelques pas profondément imprimés dans la terre:
+il y en avait dans deux directions contraires, mais sur une même ligne,
+partant de l’angle de la haie contiguë au jeu de paume et aboutissant à
+la porte de la maison. Ce pouvaient être les pas de M. Alphonse
+lorsqu’il était allé chercher son anneau au doigt de la statue. D’un
+autre côté, la haie, en cet endroit, étant moins fourrée qu’ailleurs,
+ce devait être sur ce point que les meurtriers l’auraient franchie.
+Passant et repassant devant la statue, je m’arrêtai un instant pour la
+considérer. Cette fois, je l’avouerai, je ne pus contempler sans effroi
+son expression de méchanceté ironique; et, la tête toute pleine des
+scènes horribles dont je venais d’être le témoin, il me sembla voir une
+divinité infernale applaudissant au malheur qui frappait cette maison.
+
+Je regagnai ma chambre et j’y restai jusqu’à midi. Alors je sortis et
+demandai des nouvelles de mes hôtes. Ils étaient un peu plus calmes.
+Mademoiselle de Puygarrig, je devrais dire la veuve de M. Alphonse,
+avait repris connaissance. Elle avait même parlé au procureur du roi de
+Perpignan, alors en tournée à Ille, et ce magistrat avait reçu sa
+déposition. Il me demanda la mienne. Je lui dis ce que je savais, et ne
+lui cachai pas mes soupçons contre le muletier aragonais. Il ordonna
+qu’il fût arrêté sur-le-champ.
+
+«Avez-vous appris quelque chose de madame Alphonse?» demandai-je au
+procureur du roi, lorsque ma déposition fut écrite et signée.
+
+«Cette malheureuse jeune personne est devenue folle, me dit-il en
+souriant tristement. Folle! tout à fait folle. Voici ce qu’elle conte:
+
+«Elle était couchée, dit-elle, depuis quelques minutes, les rideaux
+tirés, lorsque la porte de sa chambre s’ouvrit, et quelqu’un entra.
+Alors madame Alphonse était dans la ruelle du lit, la figure tournée
+vers la muraille. Elle ne fit pas un mouvement, persuadée que c’était
+son mari. Au bout d’un instant le lit cria comme s’il était chargé d’un
+poids énorme. Elle eut grand’peur, mais n’osa pas tourner la tête. Cinq
+minutes, dix minutes peut-être… elle ne peut se rendre compte du temps,
+se passèrent de la sorte. Puis elle fit un mouvement involontaire, ou
+bien la personne qui était dans le lit en fit un, et elle sentit le
+contact de quelque chose de froid comme la glace, ce sont ses
+expressions. Elle s’enfonça dans la ruelle tremblant de tous ses
+membres. Peu après, la porte s’ouvrit une seconde fois, et quelqu’un
+entra, qui dit: Bonsoir, ma petite femme. Bientôt après on tira les
+rideaux. Elle entendit un cri étouffé. La personne qui était dans le
+lit, à côté d’elle, se leva sur son séant et parut étendre les bras en
+avant. Elle tourna la tête alors… et vit, dit-elle, son mari à genoux
+auprès du lit, la tête à la hauteur de l’oreiller, entre les bras d’une
+espèce de géant verdâtre qui l’étreignait avec force. Elle dit, et m’a
+répété vingt fois, pauvre femme!… elle dit qu’elle a reconnu…
+devinez-vous? la Vénus de bronze, la statue de M. de Peyrehorade…
+Depuis qu’elle est dans le pays, tout le monde en rêve. Mais je
+reprends le récit de la malheureuse folle. À ce spectacle, elle perdit
+connaissance, et probablement depuis quelques instants elle avait perdu
+la raison. Elle ne peut en aucune façon dire combien de temps elle
+demeura évanouie. Revenue à elle, elle revit le fantôme, ou la statue,
+comme elle dit toujours, immobile, les jambes et le bas du corps dans
+le lit, le buste et les bras étendus en avant, et entre ses bras son
+mari, sans mouvement. Un coq chanta. Alors la statue sortit du lit,
+laissa tomber le cadavre et sortit. Mme Alphonse se pendit à la
+sonnette, et vous savez le reste.»
+
+On amena l’Espagnol; il était calme, et se défendit avec beaucoup de
+sang-froid et de présence d’esprit. Du reste, il ne nia pas le propos
+que j’avais entendu; mais il l’expliquait, prétendant qu’il n’avait
+voulu dire autre chose, sinon que le lendemain, reposé qu’il serait, il
+aurait gagné une partie de paume à son vainqueur. Je me rappelle qu’il
+ajouta:
+
+«Un Aragonais, lorsqu’il est outragé, n’attend pas au lendemain pour se
+venger. Si j’avais cru que M. Alphonse eût voulu m’insulter, je lui
+aurais sur-le-champ donné de mon couteau dans le ventre.»
+
+On compara ses souliers avec les empreintes de pas dans le jardin; ses
+souliers étaient beaucoup plus grands.
+
+Enfin l’hôtelier chez qui cet homme était logé assura qu’il avait passé
+toute la nuit à frotter et à médicamenter un de ses mulets qui était
+malade.
+
+D’ailleurs cet Aragonais était un homme bien famé, fort connu dans le
+pays, où il venait tous les ans pour son commerce. On le relâcha donc
+en lui faisant des excuses.
+
+J’oubliais la déposition d’un domestique qui le dernier avait vu M.
+Alphonse vivant. C’était au moment qu’il allait monter chez sa femme,
+et, appelant cet homme, il lui demanda d’un air d’inquiétude s’il
+savait où j’étais. Le domestique répondit qu’il ne m’avait point vu.
+Alors M. Alphonse fit un soupir et resta plus d’une minute sans parler,
+puis il dit: _Allons! le diable l’aura emporté aussi!_
+
+Je demandai à cet homme si M. Alphonse avait sa bague de diamants,
+lorsqu’il lui parla. Le domestique hésita pour répondre; enfin il dit
+qu’il ne le croyait pas, qu’il n’y avait fait au reste aucune
+attention. «S’il avait eu cette bague au doigt, ajouta-t-il en se
+reprenant, je l’aurais sans doute remarquée, car je croyais qu’il
+l’avait donnée à madame Alphonse.»
+
+En questionnant cet homme je ressentais un peu de la terreur
+superstitieuse que la déposition de Mme Alphonse avait répandue dans
+toute la maison. Le procureur du roi me regarda en souriant, et je me
+gardai bien d’insister.
+
+Quelques heures après les funérailles de M. Alphonse, je me disposai à
+quitter Ille. La voiture de M. de Peyrehorade devait me conduire à
+Perpignan. Malgré son état de faiblesse, le pauvre vieillard voulut
+m’accompagner jusqu’à la porte de son jardin. Nous le traversâmes en
+silence, lui se traînant à peine, appuyé sur mon bras. Au moment de
+nous séparer, je jetai un dernier regard sur la Vénus. Je prévoyais
+bien que mon hôte, quoiqu’il ne partageât point les terreurs et les
+haines qu’elle inspirait à une partie de sa famille, voudrait se
+défaire d’un objet qui lui rappellerait sans cesse un malheur affreux.
+Mon intention était de l’engager à la placer dans un musée. J’hésitais
+pour entrer en matière, quand M. de Peyrehorade tourna machinalement la
+tête du côté où il me voyait regarder fixement. Il aperçut la statue et
+aussitôt fondit en larmes. Je l’embrassai, et, sans oser lui dire un
+seul mot, je montai dans la voiture.
+
+Depuis mon départ je n’ai point appris que quelque jour nouveau soit
+venu éclairer cette mystérieuse catastrophe.
+
+M. de Peyrehorade mourut quelques mois après son fils. Par son
+testament il m’a légué ses manuscrits, que je publierai peut-être un
+jour. Je n’y ai point trouvé le mémoire relatif aux inscriptions de la
+Vénus.
+
+_P. S._ Mon ami M. de P. vient de m’écrire que la statue n’existe plus.
+Après la mort de son mari, le premier soin de Madame de Peyrehorade fut
+de la faire fondre en cloche, et sous cette nouvelle forme elle sert à
+l’église d’Ille. Mais, ajoute M. de P., il semble qu’un mauvais sort
+poursuive ceux qui possèdent ce bronze. Depuis que cette cloche sonne à
+l’Ille, les vignes ont gelé deux fois.
+
+1837.
+
+
+
+
+*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LA VÉNUS D’ILLE ***
+
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+<div style='display:block; margin:1em 0'>
+This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and
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+whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms
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+<div style='display:block; margin-top:1em; margin-bottom:1em; margin-left:2em; text-indent:-2em'>Title: La Vénus d’Ille</div>
+<div style='display:block; margin-top:1em; margin-bottom:1em; margin-left:2em; text-indent:-2em'>Author: Prosper Mérimée</div>
+<div style='display:block; margin:1em 0'>Release Date: July 7, 2005 [eBook #16240]<br />
+[Most recently updated: October 30, 2023]</div>
+<div style='display:block; margin:1em 0'>Language: French</div>
+<div style='margin-top:2em; margin-bottom:4em'>*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LA VÉNUS D’ILLE ***</div>
+
+<h2 class="no-break">Prosper Mérimée</h2>
+
+<h1>LA VÉNUS D’ILLE</h1>
+
+<p class="letter">
+Ἰλεως ἦν δ' ἐγώ, ἔστω ὁ ἀνδριὰς<br/>
+καὶ ἤπιος, οὔτως ἀνδρεῖος ὢν.<br/>
+<br/>
+ΛΟΥΚΙΑΝΟΥ ΦΙΛΟΨΕΥΔΗΣ.
+</p>
+
+<div class="chapter">
+
+<p>
+Je descendais le dernier coteau du Canigou, et, bien que le soleil fût déjà
+couché, je distinguais dans la plaine les maisons de la petite ville d’Ille,
+vers laquelle je me dirigeais.
+</p>
+
+<p>
+«Vous savez, dis-je au Catalan qui me servait de guide depuis la veille, vous
+savez sans doute où demeure M. de Peyrehorade?
+</p>
+
+<p>
+— Si je le sais! s’écria-t-il, je connais sa maison comme la mienne; et s’il ne
+faisait pas si noir, je vous la montrerais. C’est la plus belle d’Ille. Il a de
+l’argent, oui, M. de Peyrehorade; et il marie son fils à plus riche que lui
+encore.
+</p>
+
+<p>
+— Et ce mariage se fera-t-il bientôt? lui demandai-je.
+</p>
+
+<p>
+— Bientôt! il se peut que déjà les violons soient commandés pour la noce. Ce
+soir, peut-être, demain, après-demain, que sais-je! C’est à Puygarrig que ça se
+fera; car c’est mademoiselle de Puygarrig que monsieur le fils épouse. Ce sera
+beau, oui!»
+</p>
+
+<p>
+J’étais recommandé à M. de Peyrehorade par mon ami M. de P. C’était, m’avait-il
+dit, un antiquaire fort instruit et d’une complaisance à toute épreuve. Il se
+ferait un plaisir de me montrer toutes les ruines à dix lieues à la ronde. Or
+je comptais sur lui pour visiter les environs d’Ille, que je savais riches en
+monuments antiques et du Moyen Âge. Ce mariage, dont on me parlait alors pour
+la première fois, dérangeait tous mes plans.
+</p>
+
+<p>
+Je vais être un trouble-fête, me dis-je. Mais j’étais attendu; annoncé par M.
+de P., il fallait bien me présenter.
+</p>
+
+<p>
+«Gageons, monsieur, me dit mon guide, comme nous étions déjà dans la plaine,
+gageons un cigare que je devine ce que vous allez faire chez M. de Peyrehorade?
+</p>
+
+<p>
+— Mais, répondis-je en lui tendant un cigare, cela n’est pas bien difficile à
+deviner. À l’heure qu’il est, quand on a fait six lieues dans le Canigou, la
+grande affaire, c’est de souper.
+</p>
+
+<p>
+— Oui, mais demain?… Tenez, je parierais que vous venez à Ille pour voir
+l’idole? j’ai deviné cela à vous voir tirer en portrait les saints de
+Serrabona.
+</p>
+
+<p>
+— L’idole! quelle idole?» Ce mot avait excité ma curiosité.
+</p>
+
+<p>
+«Comment! on ne vous a pas conté, à Perpignan, comment M. de Peyrehorade avait
+trouvé une idole en terre?
+</p>
+
+<p>
+— Vous voulez dire une statue en terre cuite, en argile?
+</p>
+
+<p>
+— Non pas. Oui, bien en cuivre, et il y en a de quoi faire des gros sous. Elle
+vous pèse autant qu’une cloche d’église. C’est bien avant dans la terre, au
+pied d’un olivier, que nous l’avons eue.
+</p>
+
+<p>
+— Vous étiez donc présent à la découverte?
+</p>
+
+<p>
+— Oui, monsieur. M. de Peyrehorade nous dit, il y a quinze jours, à Jean Coll
+et à moi, de déraciner un vieil olivier qui était gelé de l’année dernière, car
+elle a été bien mauvaise, comme vous savez. Voilà donc qu’en travaillant Jean
+Coll qui y allait de tout cœur, il donne un coup de pioche, et j’entends bimm…
+comme s’il avait tapé sur une cloche. Qu’est-ce que c’est? que je dis. Nous
+piochons toujours, nous piochons, et voilà qu’il paraît une main noire, qui
+semblait la main d’un mort qui sortait de terre. Moi, la peur me prend. Je m’en
+vais à monsieur, et je lui dis: — Des morts, notre maître, qui sont sous
+l’olivier! Faut appeler le curé. — Quels morts? qu’il me dit. Il vient, et il
+n’a pas plutôt vu la main qu’il s’écrie: — Un antique! un antique! — Vous
+auriez cru qu’il avait trouvé un trésor. Et le voilà, avec la pioche, avec les
+mains, qui se démène et qui faisait quasiment autant d’ouvrage que nous deux.
+</p>
+
+<p>
+— Et enfin que trouvâtes-vous?
+</p>
+
+<p>
+— Une grande femme noire plus qu’à moitié nue, révérence parler, monsieur,
+toute en cuivre, et M. de Peyrehorade nous a dit que c’était une idole du temps
+des païens… du temps de Charlemagne, quoi!
+</p>
+
+<p>
+— Je vois ce que c’est… Quelque bonne Vierge en bronze d’un couvent détruit.
+</p>
+
+<p>
+— Une bonne Vierge! ah bien oui!… Je l’aurais bien reconnue, si ç’avait été une
+bonne Vierge. C’est une idole, vous dis-je; on le voit bien à son air. Elle
+vous fixe avec ses grands yeux blancs… On dirait qu’elle vous dévisage. On
+baisse les yeux, oui, en la regardant.
+</p>
+
+<p>
+— Des yeux blancs? Sans doute ils sont incrustés dans le bronze. Ce sera
+peut-être quelque statue romaine.
+</p>
+
+<p>
+— Romaine! c’est cela. M. de Peyrehorade dit que c’est une Romaine. Ah! je vois
+bien que vous êtes un savant comme lui.
+</p>
+
+<p>
+— Est-elle entière, bien conservée?
+</p>
+
+<p>
+— Oh! monsieur, il ne lui manque rien. C’est encore plus beau et mieux fini que
+le buste de Louis-Philippe, qui est à la mairie, en plâtre peint. Mais avec
+tout cela, la figure de cette idole ne me revient pas. Elle a l’air méchante…
+et elle l’est aussi.
+</p>
+
+<p>
+— Méchante! Quelle méchanceté vous a-t-elle faite?
+</p>
+
+<p>
+— Pas à moi précisément; mais vous allez voir. Nous nous étions mis à quatre
+pour la dresser debout, et M. de Peyrehorade, qui lui aussi tirait à la corde,
+bien qu’il n’ait guère plus de force qu’un poulet, le digne homme! Avec bien de
+la peine nous la mettons droite. J’amassais un tuileau pour la caler, quand,
+patatras! la voilà qui tombe à la renverse tout d’une masse. Je dis: Gare
+dessous! Pas assez vite pourtant, car Jean Coll n’a pas eu le temps de tirer sa
+jambe…
+</p>
+
+<p>
+— Et il a été blessé?
+</p>
+
+<p>
+— Cassée net comme un échalas, sa pauvre jambe! Pécaïre! quand j’ai vu cela,
+moi, j’étais furieux. Je voulais défoncer l’idole à coups de pioche, mais M. de
+Peyrehorade m’a retenu. Il a donné de l’argent à Jean Coll, qui tout de même
+est encore au lit depuis quinze jours que cela lui est arrivé, et le médecin
+dit qu’il ne marchera jamais de cette jambe-là comme de l’autre. C’est dommage,
+lui qui était notre meilleur coureur et, après monsieur le fils, le plus malin
+joueur de paume. C’est que M. Alphonse de Peyrehorade en a été triste, car
+c’est Coll qui faisait sa partie. Voilà qui était beau à voir comme ils se
+renvoyaient les balles. Paf! paf! Jamais elles ne touchaient terre.»
+</p>
+
+<p>
+Devisant de la sorte, nous entrâmes à Ille, et je me trouvai bientôt en
+présence de M. de Peyrehorade. C’était un petit vieillard vert encore et
+dispos, poudré, le nez rouge, l’air jovial et goguenard. Avant d’avoir ouvert
+la lettre de M. de P., il m’avait installé devant une table bien servie, et
+m’avait présenté à sa femme et à son fils comme un archéologue illustre, qui
+devait tirer le Roussillon de l’oubli où le laissait l’indifférence des
+savants.
+</p>
+
+<p>
+Tout en mangeant de bon appétit, car rien ne dispose mieux que l’air vif des
+montagnes, j’examinais mes hôtes. J’ai dit un mot de M. de Peyrehorade; je dois
+ajouter que c’était la vivacité même. Il parlait, mangeait, se levait, courait
+à sa bibliothèque, m’apportait des livres, me montrait des estampes, me versait
+à boire; il n’était jamais deux minutes en repos. Sa femme, un peu trop grasse,
+comme la plupart des Catalanes lorsqu’elles ont passé quarante ans, me parut
+une provinciale renforcée, uniquement occupée des soins de son ménage. Bien que
+le souper fût suffisant pour six personnes au moins, elle courut à la cuisine,
+fit tuer des pigeons, frire des miliasses, ouvrit je ne sais combien de pots de
+confitures. En un instant la table fut encombrée de plats et de bouteilles, et
+je serais certainement mort d’indigestion si j’avais goûté seulement à tout ce
+qu’on m’offrait. Cependant, à chaque plat que je refusais, c’étaient de
+nouvelles excuses. On craignait que je ne me trouvasse bien mal à Ille. Dans la
+province on a peu de ressources, et les Parisiens sont si difficiles!
+</p>
+
+<p>
+Au milieu des allées et venues de ses parents, M. Alphonse de Peyrehorade ne
+bougeait pas plus qu’un Terme. C’était un grand jeune homme de vingt-six ans,
+d’une physionomie belle et régulière, mais manquant d’expression. Sa taille et
+ses formes athlétiques justifiaient bien la réputation d’infatigable joueur de
+paume qu’on lui faisait dans le pays. Il était ce soir-là habillé avec
+élégance, exactement d’après la gravure du dernier numéro du <i>Journal des
+modes</i>. Mais il me semblait gêné dans ses vêtements; il était roide comme un
+piquet dans son col de velours, et ne se tournait que tout d’une pièce. Ses
+mains grosses et hâlées, ses ongles courts, contrastaient singulièrement avec
+son costume. C’étaient des mains de laboureur sortant des manches d’un dandy.
+D’ailleurs, bien qu’il me considérât de la tête aux pieds fort curieusement, en
+ma qualité de Parisien, il ne m’adressa qu’une seule fois la parole dans toute
+la soirée, ce fut pour me demander où j’avais acheté la chaîne de ma montre.
+</p>
+
+<p>
+«Ah çà! mon cher hôte, me dit M. de Peyrehorade, le souper tirant à sa fin,
+vous m’appartenez, vous êtes chez moi. Je ne vous lâche plus, sinon quand vous
+aurez vu tout ce que nous avons de curieux dans nos montagnes. Il faut que vous
+appreniez à connaître notre Roussillon, et que vous lui rendiez justice. Vous
+ne vous doutez pas de tout ce que nous allons vous montrer. Monuments
+phéniciens, celtiques, romains, arabes, byzantins, vous verrez tout, depuis le
+cèdre jusqu’à l’hysope. Je vous mènerai partout et ne vous ferai pas grâce
+d’une brique.»
+</p>
+
+<p>
+Un accès de toux l’obligea de s’arrêter. J’en profitai pour lui dire que je
+serais désolé de le déranger dans une circonstance aussi intéressante pour sa
+famille. S’il voulait bien me donner ses excellents conseils sur les excursions
+que j’aurais à faire, je pourrais, sans qu’il prît la peine de m’accompagner…
+</p>
+
+<p>
+«Ah! vous voulez parler du mariage de ce garçon-là, s’écria-t-il en
+m’interrompant. Bagatelle! ce sera fait après-demain. Vous ferez la noce avec
+nous, en famille, car la future est en deuil d’une tante dont elle hérite.
+Ainsi point de fête, point de bal… C’est dommage… vous auriez vu danser nos
+Catalanes… Elles sont jolies, et peut-être l’envie vous aurait-elle pris
+d’imiter mon Alphonse. Un mariage, dit-on, en amène d’autres… Samedi, les
+jeunes gens mariés, je suis libre, et nous nous mettons en course. Je vous
+demande pardon de vous donner l’ennui d’une noce de province. Pour un Parisien
+blasé sur les fêtes… et une noce sans bal encore! Pourtant, vous verrez une
+mariée… une mariée… vous m’en direz des nouvelles… Mais vous êtes un homme
+grave et vous ne regardez plus les femmes. J’ai mieux que cela à vous montrer.
+Je vous ferai voir quelque chose!… Je vous réserve une fière surprise pour
+demain.
+</p>
+
+<p>
+— Mon Dieu! lui dis-je, il est difficile d’avoir un trésor dans sa maison sans
+que le public en soit instruit. Je crois deviner la surprise que vous me
+préparez. Mais si c’est de votre statue qu’il s’agit, la description que mon
+guide m’en a faite n’a servi qu’à exciter ma curiosité et à me disposer à
+l’admiration.
+</p>
+
+<p>
+— Ah! il vous a parlé de l’idole, car c’est ainsi qu’ils appellent ma belle
+Vénus Tur… mais je ne veux rien vous dire. Demain, au grand jour, vous la
+verrez, et vous me direz si j’ai raison de la croire un chef-d’œuvre. Parbleu!
+vous ne pouviez arriver plus à propos! Il y a des inscriptions que moi, pauvre
+ignorant, j’explique à ma manière… mais un savant de Paris!… Vous vous moquerez
+peut-être de mon interprétation… car j’ai fait un mémoire… moi qui vous parle…
+vieil antiquaire de province, je me suis lancé… Je veux faire gémir la presse…
+Si vous vouliez bien me lire et me corriger, je pourrais espérer… Par exemple,
+je suis bien curieux de savoir comment vous traduirez cette inscription sur le
+socle: CAVE… Mais je ne veux rien vous demander encore! À demain, à demain! Pas
+un mot sur la Vénus aujourd’hui!
+</p>
+
+<p>
+— Tu as raison, Peyrehorade, dit sa femme, de laisser là ton idole. Tu devrais
+voir que tu empêches monsieur de manger. Va, monsieur a vu à Paris de bien plus
+belles statues que la tienne. Aux Tuileries, il y en a des douzaines, et en
+bronze aussi.
+</p>
+
+<p>
+— Voilà bien l’ignorance, la sainte ignorance de la province! interrompit M. de
+Peyrehorade. Comparer un antique admirable aux plates figures de Coustou!
+</p>
+
+<p class="center">
+Comme avec irrévérence<br/>
+Parle des dieux ma ménagère!
+</p>
+
+<p>
+Savez-vous que ma femme voulait que je fondisse ma statue pour en faire une
+cloche à notre église. C’est qu’elle en eût été la marraine. Un chef-d’œuvre de
+Myron, monsieur!
+</p>
+
+<p>
+— Chef-d’œuvre! chef-d’œuvre! un beau chef-d’œuvre qu’elle a fait! casser la
+jambe d’un homme!
+</p>
+
+<p>
+— Ma femme, vois-tu? dit M. de Peyrehorade d’un ton résolu, et tendant vers
+elle sa jambe droite dans un bas de soie chinée, si ma Vénus m’avait cassé
+cette jambe-là, je ne la regretterais pas.
+</p>
+
+<p>
+— Bon Dieu! Peyrehorade, comment peux-tu dire cela! Heureusement que l’homme va
+mieux… Et encore je ne peux pas prendre sur moi de regarder la statue qui fait
+des malheurs comme celui-là. Pauvre Jean Coll!
+</p>
+
+<p>
+— Blessé par Vénus, monsieur, dit M. de Peyrehorade riant d’un gros rire,
+blessé par Vénus, le maraud se plaint.
+</p>
+
+<p class="center">
+<i>Veneris nec præmia noris.</i>
+</p>
+
+<p>
+Qui n’a été blessé par Vénus?»
+</p>
+
+<p>
+M. Alphonse, qui comprenait le français mieux que le latin, cligna de l’œil
+d’un air d’intelligence, et me regarda comme pour me demander: Et vous,
+Parisien, comprenez-vous?
+</p>
+
+<p>
+Le souper finit. Il y avait une heure que je ne mangeais plus. J’étais fatigué,
+et je ne pouvais parvenir à cacher les fréquents bâillements qui m’échappaient.
+Madame de Peyrehorade s’en aperçut la première, et remarqua qu’il était temps
+d’aller dormir. Alors commencèrent de nouvelles excuses sur le mauvais gîte que
+j’allais avoir. Je ne serais pas comme à Paris. En province on est si mal! Il
+fallait de l’indulgence pour les Roussillonnais. J’avais beau protester
+qu’après une course dans les montagnes une botte de paille me serait un coucher
+délicieux, on me priait toujours de pardonner à de pauvres campagnards s’ils ne
+me traitaient aussi bien qu’ils l’eussent désiré. Je montai enfin à la chambre
+qui m’était destinée, accompagné de M. de Peyrehorade. L’escalier, dont les
+marches supérieures étaient en bois, aboutissait au milieu d’un corridor, sur
+lequel donnaient plusieurs chambres.
+</p>
+
+<p>
+«À droite, me dit mon hôte, c’est l’appartement que je destine à la future
+madame Alphonse. Votre chambre est au bout du corridor opposé. Vous sentez
+bien, ajouta-t-il d’un air qu’il voulait rendre fin, vous sentez bien qu’il
+faut isoler de nouveaux mariés. Vous êtes à un bout de la maison, eux à
+l’autre.»
+</p>
+
+<p>
+Nous entrâmes dans une chambre bien meublée, où le premier objet sur lequel je
+portai la vue fut un lit long de sept pieds, large de six, et si haut qu’il
+fallait un escabeau pour s’y guinder. Mon hôte m’ayant indiqué la position de
+la sonnette, et s’étant assuré par lui-même que le sucrier était plein, les
+flacons d’eau de Cologne dûment placés sur la toilette, après m’avoir demandé
+plusieurs fois si rien ne me manquait, me souhaita une bonne nuit et me laissa
+seul.
+</p>
+
+<p>
+Les fenêtres étaient fermées. Avant de me déshabiller, j’en ouvris une pour
+respirer l’air frais de la nuit, délicieux après un long souper. En face était
+le Canigou, d’un aspect admirable en tout temps, mais qui me parut ce soir-là
+la plus belle montagne du monde, éclairé qu’il était par une lune
+resplendissante. Je demeurai quelques minutes à contempler sa silhouette
+merveilleuse, et j’allais fermer ma fenêtre, lorsque, baissant les yeux,
+j’aperçus la statue sur un piédestal à une vingtaine de toises de la maison.
+Elle était placée à l’angle d’une haie vive qui séparait un petit jardin d’un
+vaste carré parfaitement uni, qui, je l’appris plus tard, était le jeu de paume
+de la ville. Ce terrain, propriété de M. de Peyrehorade, avait été cédé par lui
+à la commune, sur les pressantes sollicitations de son fils.
+</p>
+
+<p>
+À la distance où j’étais, il m’était difficile de distinguer l’attitude de la
+statue; je ne pouvais juger que de sa hauteur, qui me parut de six pieds
+environ. En ce moment, deux polissons de la ville passaient sur le jeu de
+paume, assez près de la haie, sifflant le joli air du Roussillon: <i>Montagnes
+régalades</i>. Ils s’arrêtèrent pour regarder la statue; un d’eux l’apostropha
+même à haute voix. Il parlait catalan; mais j’étais dans le Roussillon depuis
+assez longtemps pour pouvoir comprendre à peu près ce qu’il disait.
+</p>
+
+<p>
+«Te voilà donc, coquine! (Le terme catalan était plus énergique.) Te voilà!
+disait-il. C’est donc toi qui as cassé la jambe à Jean Coll! Si tu étais à moi,
+je te casserais le cou.
+</p>
+
+<p>
+— Bah! avec quoi? dit l’autre. Elle est de cuivre, et si dure qu’Étienne a
+cassé sa lime dessus, essayant de l’entamer. C’est du cuivre du temps des
+païens; c’est plus dur que je ne sais quoi.
+</p>
+
+<p>
+— Si j’avais mon ciseau à froid (il paraît que c’était un apprenti serrurier),
+je lui ferais bientôt sauter ses grands yeux blancs, comme je tirerais une
+amande de sa coquille. Il y a pour plus de cent sous d’argent.»
+</p>
+
+<p>
+Ils firent quelques pas en s’éloignant.
+</p>
+
+<p>
+«Il faut que je souhaite le bonsoir à l’idole», dit le plus grand des
+apprentis, s’arrêtant tout à coup.
+</p>
+
+<p>
+Il se baissa, et probablement ramassa une pierre. Je le vis déployer le bras,
+lancer quelque chose, et aussitôt un coup sonore retentit sur le bronze. Au
+même instant l’apprenti porta la main à sa tête en poussant un cri de douleur.
+</p>
+
+<p>
+«Elle me l’a rejetée!» s’écria-t-il.
+</p>
+
+<p>
+Et mes deux polissons prirent la fuite à toutes jambes. Il était évident que la
+pierre avait rebondi sur le métal, et avait puni ce drôle de l’outrage qu’il
+faisait à la déesse.
+</p>
+
+<p>
+Je fermai la fenêtre en riant de bon cœur.
+</p>
+
+<p>
+«Encore un Vandale puni par Vénus! Puissent tous les destructeurs de nos vieux
+monuments avoir ainsi la tête cassée!» Sur ce souhait charitable, je
+m’endormis.
+</p>
+
+<p>
+Il était grand jour quand je me réveillai. Auprès de mon lit étaient d’un côté,
+M. de Peyrehorade, en robe de chambre; de l’autre, un domestique envoyé par sa
+femme, une tasse de chocolat à la main.
+</p>
+
+<p>
+«Allons, debout, Parisien! Voilà bien mes paresseux de la capitale! disait mon
+hôte pendant que je m’habillais à la hâte. Il est huit heures, et encore au
+lit! je suis levé, moi, depuis six heures. Voilà trois fois que je monte; je me
+suis approché de votre porte sur la pointe du pied: personne, nul signe de vie.
+Cela vous fera mal de trop dormir à votre âge. Et ma Vénus que vous n’avez pas
+encore vue! Allons, prenez-moi vite cette tasse de chocolat de Barcelone… Vraie
+contrebande… Du chocolat comme on n’en a pas à Paris. Prenez des forces, car
+lorsque vous serez devant ma Vénus, on ne pourra plus vous en arracher.»
+</p>
+
+<p>
+En cinq minutes je fus prêt, c’est-à-dire à moitié rasé, mal boutonné, et brûlé
+par le chocolat que j’avalai bouillant. Je descendis dans le jardin, et me
+trouvai devant une admirable statue.
+</p>
+
+<p>
+C’était bien une Vénus, et d’une merveilleuse beauté. Elle avait le haut du
+corps nu, comme les Anciens représentaient d’ordinaire les grandes divinités;
+la main droite, levée à la hauteur du sein, était tournée, la paume en dedans,
+le pouce et les deux premiers doigts étendus, les deux autres légèrement
+ployés. L’autre main, rapprochée de la hanche, soutenait la draperie qui
+couvrait la partie inférieure du corps. L’attitude de cette statue rappelait
+celle du Joueur de mourre qu’on désigne, je ne sais trop pourquoi, sous le nom
+de Germanicus. Peut-être avait-on voulu représenter la déesse jouant au jeu de
+mourre.
+</p>
+
+<p>
+Quoi qu’il en soit, il est impossible de voir quelque chose de plus parfait que
+le corps de cette Vénus; rien de plus suave, de plus voluptueux que ses
+contours; rien de plus élégant et de plus noble que sa draperie. Je m’attendais
+à quelque ouvrage du Bas- Empire; je voyais un chef-d’œuvre du meilleur temps
+de la statuaire. Ce qui me frappait surtout, c’était l’exquise vérité des
+formes, en sorte qu’on aurait pu les croire moulées sur nature, si la nature
+produisait d’aussi parfaits modèles.
+</p>
+
+<p>
+La chevelure, relevée sur le front, paraissait avoir été dorée autrefois. La
+tête, petite comme celle de presque toutes les statues grecques, était
+légèrement inclinée en avant. Quant à la figure, jamais je ne parviendrai à
+exprimer son caractère étrange, et dont le type ne se rapprochait de celui
+d’aucune statue antique dont il me souvienne. Ce n’était point cette beauté
+calme et sévère des sculpteurs grecs, qui, par système, donnaient à tous les
+traits une majestueuse immobilité. Ici, au contraire, j’observais avec surprise
+l’intention marquée de l’artiste de rendre la malice arrivant jusqu’à la
+méchanceté. Tous les traits étaient contractés légèrement: les yeux un peu
+obliques, la bouche relevée des coins, les narines quelque peu gonflées.
+Dédain, ironie, cruauté, se lisaient sur ce visage d’une incroyable beauté
+cependant. En vérité, plus on regardait cette admirable statue, et plus on
+éprouvait le sentiment pénible qu’une si merveilleuse beauté pût s’allier à
+l’absence de toute sensibilité.
+</p>
+
+<p>
+«Si le modèle a jamais existé, dis-je à M. de Peyrehorade, et je doute que le
+ciel ait jamais produit une telle femme, que je plains ses amants! Elle a dû se
+complaire à les faire mourir de désespoir. Il y a dans son expression quelque
+chose de féroce, et pourtant je n’ai jamais vu rien de si beau.
+</p>
+
+<p>
+— C’est Vénus tout entière à sa proie attachée!» s’écria M. de Peyrehorade,
+satisfait de mon enthousiasme.
+</p>
+
+<p>
+Cette expression d’ironie infernale était augmentée peut-être par le contraste
+de ses yeux incrustés d’argent et très brillants avec la patine d’un vert
+noirâtre que le temps avait donnée à toute la statue. Ces yeux brillants
+produisaient une certaine illusion qui rappelait la réalité, la vie. Je me
+souvins de ce que m’avait dit mon guide, qu’elle faisait baisser les yeux à
+ceux qui la regardaient. Cela était presque vrai, et je ne pus me défendre d’un
+mouvement de colère contre moi-même en me sentant un peu mal à mon aise devant
+cette figure de bronze.
+</p>
+
+<p>
+«Maintenant que vous avez tout admiré en détail, mon cher collègue en
+antiquaillerie, dit mon hôte, ouvrons, s’il vous plaît, une conférence
+scientifique. Que dites-vous de cette inscription, à laquelle vous n’avez point
+pris garde encore?»
+</p>
+
+<p>
+Il me montrait le socle de la statue, et j’y lus ces mots:
+</p>
+
+<p class="center">
+CAVE AMANTEM.
+</p>
+
+<p>
+«<i>Quid dicis, doctissime?</i> me demanda-t-il en se frottant les mains.
+Voyons si nous nous rencontrerons sur le sens de ce <i>cave amantem!</i>
+</p>
+
+<p>
+— Mais, répondis-je, il y a deux sens. On peut traduire: «Prends garde à celui
+qui t’aime, défie-toi des amants.» Mais, dans ce sens, je ne sais si <i>cave
+amantem</i> serait d’une bonne latinité. En voyant l’expression diabolique de
+la dame, je croirais plutôt que l’artiste a voulu mettre en garde le spectateur
+contre cette terrible beauté. Je traduirais donc: «Prends garde à toi si
+<i>elle</i> t’aime.»
+</p>
+
+<p>
+— Humph! dit M. de Peyrehorade, oui, c’est un sens admirable; mais, ne vous en
+déplaise, je préfère la première traduction, que je développerai pourtant. Vous
+connaissez l’amant de Vénus?
+</p>
+
+<p>
+— Il y en a plusieurs.
+</p>
+
+<p>
+— Oui; mais le premier, c’est Vulcain. N’a-t-on pas voulu dire: «Malgré toute
+ta beauté, ton air dédaigneux, tu auras un forgeron, un vilain boiteux pour
+amant!» Leçon profonde, monsieur, pour les coquettes!»
+</p>
+
+<p>
+Je ne pus m’empêcher de sourire, tant l’explication me parut tirée par les
+cheveux.
+</p>
+
+<p>
+«C’est une terrible langue que le latin avec sa concision, observai-je pour
+éviter de contredire formellement mon antiquaire, et je reculai de quelques pas
+afin de mieux contempler la statue.
+</p>
+
+<p>
+— Un instant, collègue! dit M. de Peyrehorade en m’arrêtant par le bras, vous
+n’avez pas tout vu. Il y a encore une autre inscription. Montez sur le socle et
+regardez au bras droit.»
+</p>
+
+<p>
+En parlant ainsi il m’aidait à monter.
+</p>
+
+<p>
+Je m’accrochai sans trop de façons au cou de la Vénus, avec laquelle je
+commençais à me familiariser. Je la regardai même un instant <i>sous le
+nez</i>, et la trouvai de près encore plus méchante et encore plus belle. Puis
+je reconnus qu’il y avait, gravés sur le bras, quelques caractères d’écriture
+cursive antique, à ce qu’il me sembla. À grand renfort de besicles j’épelai ce
+qui suit, et cependant M. de Peyrehorade répétait chaque mot à mesure que je le
+prononçais, approuvant du geste et de la voix. Je lus donc:
+</p>
+
+<p class="center">
+VENERI TVRBVL…<br/>
+EVTYCHES MYRO<br/>
+IMPERIO FECIT.
+</p>
+
+<p>
+Après ce mot TVRBVL de la première ligne, il me sembla qu’il y avait quelques
+lettres effacées; mais TVRBVL était parfaitement lisible.
+</p>
+
+<p>
+«Ce qui veut dire?…» me demanda mon hôte radieux et souriant avec malice, car
+il pensait bien que je ne me tirerais pas facilement de ce TVRBVL.
+</p>
+
+<p>
+«Il y a un mot que je ne m’explique pas encore, lui dis-je; tout le reste est
+facile. Eutychès Myron a fait cette offrande à Vénus par son ordre.
+</p>
+
+<p>
+— À merveille. Mais TVRBVL, qu’en faites-vous? Qu’est-ce que TVRBVL?
+</p>
+
+<p>
+— TVRBVL m’embarrasse fort. Je cherche en vain quelque épithète connue de Vénus
+qui puisse m’aider. Voyons, que diriez-vous de TVRBVLENTA? Vénus qui trouble,
+qui agite… Vous vous apercevez que je suis toujours préoccupé de son expression
+méchante. TVRBVLENTA, ce n’est point une trop mauvaise épithète pour Vénus»,
+ajoutai-je d’un ton modeste, car je n’étais pas moi-même fort satisfait de mon
+explication.
+</p>
+
+<p>
+«Vénus turbulente! Vénus la tapageuse! Ah! vous croyez donc que ma Vénus est
+une Vénus de cabaret? Point du tout, monsieur; c’est une Vénus de bonne
+compagnie. Mais je vais vous expliquer ce TVRBVL… Au moins vous me promettez de
+ne point divulguer ma découverte avant l’impression de mon mémoire. C’est que,
+voyez-vous, je m’en fais gloire, de cette trouvaille-là… Il faut bien que vous
+nous laissiez quelques épis à glaner, à nous autres pauvres diables de
+provinciaux. Vous êtes si riches, messieurs les savants de Paris!»
+</p>
+
+<p>
+Du haut du piédestal, où j’étais toujours perché, je lui promis solennellement
+que je n’aurais jamais l’indignité de lui voler sa découverte.
+</p>
+
+<p>
+«TVRBVL…, monsieur, dit-il en se rapprochant et baissant la voix de peur qu’un
+autre que moi ne pût l’entendre, lisez TVRBVLNERÆ.
+</p>
+
+<p>
+— Je ne comprends pas davantage.
+</p>
+
+<p>
+— Écoutez bien. À une lieue d’ici, au pied de la montagne, il y a un village
+qui s’appelle Boulternère. C’est une corruption du mot latin TVRBVLNERA. Rien
+de plus commun que ces inversions. Boulternère, monsieur, a été une ville
+romaine. Je m’en étais toujours douté, mais jamais je n’en avais eu la preuve.
+La preuve, la voilà. Cette Vénus était la divinité topique de la cité de
+Boulternère; et ce mot de Boulternère, que je viens de démontrer d’origine
+antique, prouve une chose bien plus curieuse, c’est que Boulternère, avant
+d’être une ville romaine, a été une ville phénicienne!»
+</p>
+
+<p>
+Il s’arrêta un moment pour respirer et jouir de ma surprise. Je parvins à
+réprimer une forte envie de rire.
+</p>
+
+<p>
+«En effet, poursuivit-il, TVRBVLNERA est pur phénicien, TVR, prononcez TOUR…
+TOUR et SOUR, même mot, n’est-ce pas? SOUR est le nom phénicien de Tyr; je n’ai
+pas besoin de vous en rappeler le sens. BVL, c’est Baal; Bâl, Bel, Bul, légères
+différences de prononciation. Quant à NERA, cela me donne un peu de peine. Je
+suis tenté de croire, faute de trouver un mot phénicien, que cela vient du grec
+νηρός, humide, marécageux. Ce serait donc un mot hybride. Pour justifier νηρός,
+je vous montrerai à Boulternère comment les ruisseaux de la montagne y forment
+des mares infectes. D’autre part, la terminaison NERA aurait pu être ajoutée
+beaucoup plus tard en l’honneur de Nera Pivesuvia, femme de Tétricus, laquelle
+aurait fait quelque bien à la cité de Turbul. Mais, à cause des mares, je
+préfère l’étymologie de νηρός.»
+</p>
+
+<p>
+Il prit une prise de tabac d’un air satisfait.
+</p>
+
+<p>
+«Mais laissons les Phéniciens, et revenons à l’inscription. Je traduis donc: “À
+Vénus de Boulternère Myron dédie par son ordre cette statue, son ouvrage.”«
+</p>
+
+<p>
+Je me gardai bien de critiquer son étymologie, mais je voulus à mon tour faire
+preuve de pénétration, et je lui dis:
+</p>
+
+<p>
+«Halte-là, monsieur. Myron a consacré quelque chose, mais je ne vois nullement
+que ce soit cette statue.
+</p>
+
+<p>
+— Comment! s’écria-t-il, Myron n’était-il pas un fameux sculpteur grec? Le
+talent se sera perpétué dans sa famille: c’est un de ses descendants qui aura
+fait cette statue. Il n’y a rien de plus sûr.
+</p>
+
+<p>
+— Mais, répliquai-je, je vois sur le bras un petit trou. Je pense qu’il a servi
+à fixer quelque chose, un bracelet, par exemple, que ce Myron donna à Vénus en
+offrande expiatoire. Myron était un amant malheureux. Vénus était irritée
+contre lui: il l’apaisa en lui consacrant un bracelet d’or. Remarquez que fecit
+se prend fort souvent pour <i>consecravit</i>. Ce sont termes synonymes. Je
+vous en montrerais plus d’un exemple si j’avais sous la main Gruter ou bien
+Orelli. Il est naturel qu’un amoureux voie Vénus en rêve, qu’il s’imagine
+qu’elle lui commande de donner un bracelet d’or à sa statue. Myron lui consacra
+un bracelet… Puis les barbares ou bien quelque voleur sacrilège…
+</p>
+
+<p>
+— Ah! qu’on voit bien que vous avez fait des romans! s’écria mon hôte en me
+donnant la main pour descendre. Non, monsieur, c’est un ouvrage de l’école de
+Myron. Regardez seulement le travail, et vous en conviendrez.»
+</p>
+
+<p>
+M’étant fait une loi de ne jamais contredire à outrance les antiquaires
+entêtés, je baissai la tête d’un air convaincu en disant:
+</p>
+
+<p>
+«C’est un admirable morceau.
+</p>
+
+<p>
+— Ah! mon Dieu, s’écria M. de Peyrehorade, encore un trait de vandalisme! On
+aura jeté une pierre à ma statue!»
+</p>
+
+<p>
+Il venait d’apercevoir une marque blanche un peu au-dessus du sein de la Vénus.
+Je remarquai une trace semblable sur les doigts de la main droite, qui, je le
+supposai alors, avaient été touchés dans le trajet de la pierre, ou bien un
+fragment s’en était détaché par le choc et avait ricoché sur la main. Je contai
+à mon hôte l’insulte dont j’avais été témoin et la prompte punition qui s’en
+était suivie. Il en rit beaucoup, et, comparant l’apprenti à Diomède, il lui
+souhaita de voir, comme le héros grec, tous ses compagnons changés en oiseaux
+blancs.
+</p>
+
+<p>
+La cloche du déjeuner interrompit cet entretien classique, et, de même que la
+veille, je fus obligé de manger comme quatre. Puis vinrent des fermiers de M.
+de Peyrehorade; et pendant qu’il leur donnait audience, son fils me mena voir
+une calèche qu’il avait achetée à Toulouse pour sa fiancée, et que j’admirai,
+cela va sans dire. Ensuite j’entrai avec lui dans l’écurie, où il me tint une
+demi-heure à me vanter ses chevaux, à me faire leur généalogie, à me conter les
+prix qu’ils avaient gagnés aux courses du département. Enfin il en vint à me
+parler de sa future, par la transition d’une jument grise qu’il lui destinait.
+</p>
+
+<p>
+«Nous la verrons aujourd’hui, dit-il. Je ne sais si vous la trouverez jolie.
+Vous êtes difficiles, à Paris; mais tout le monde, ici et à Perpignan, la
+trouve charmante. Le bon, c’est qu’elle est fort riche. Sa tante de Prades lui
+a laissé son bien. Oh! je vais être fort heureux.»
+</p>
+
+<p>
+Je fus profondément choqué de voir un jeune homme paraître plus touché de la
+dot que des beaux yeux de sa future.
+</p>
+
+<p>
+«Vous vous connaissez en bijoux, poursuivit M. Alphonse, comment trouvez-vous
+ceci? Voici l’anneau que je lui donnerai demain.»
+</p>
+
+<p>
+En parlant ainsi, il tirait de la première phalange de son petit doigt une
+grosse bague enrichie de diamants, et formée de deux mains entrelacées;
+allusion qui me parut infiniment poétique. Le travail en était ancien, mais je
+jugeai qu’on l’avait retouchée pour enchâsser les diamants. Dans l’intérieur de
+la bague se lisaient ces mots en lettres gothiques: <i>Sempr’ ab ti</i>,
+c’est-à-dire, toujours avec toi.
+</p>
+
+<p>
+«C’est une jolie bague, lui dis-je; mais ces diamants ajoutés lui ont fait
+perdre un peu de son caractère.
+</p>
+
+<p>
+— Oh! elle est bien plus belle comme cela, répondit-il en souriant. Il y a là
+pour douze cents francs de diamants. C’est ma mère qui me l’a donnée. C’était
+une bague de famille, très ancienne… du temps de la chevalerie. Elle avait
+servi à ma grand-mère, qui la tenait de la sienne. Dieu sait quand cela a été
+fait.
+</p>
+
+<p>
+— L’usage à Paris, lui dis-je, est de donner un anneau tout simple,
+ordinairement composé de deux métaux différents, comme de l’or et du platine.
+Tenez, cette autre bague, que vous avez à ce doigt, serait fort convenable.
+Celle-ci, avec ses diamants et ses mains en relief, est si grosse, qu’on ne
+pourrait mettre un gant par-dessus.
+</p>
+
+<p>
+— Oh! madame Alphonse s’arrangera comme elle voudra. Je crois qu’elle sera
+toujours bien contente de l’avoir. Douze cents francs au doigt, c’est agréable.
+Cette petite bague-là, ajouta-t-il en regardant d’un air de satisfaction
+l’anneau tout uni qu’il portait à la main, celle-là, c’est une femme à Paris
+qui me l’a donnée un jour de mardi gras. Ah! comme je m’en suis donné quand
+j’étais à Paris, il y a deux ans! C’est là qu’on s’amuse!…» Et il soupira de
+regret.
+</p>
+
+<p>
+Nous devions dîner ce jour-là à Puygarrig, chez les parents de la future; nous
+montâmes en calèche, et nous nous rendîmes au château éloigné d’Ille d’environ
+une lieue et demie. Je fus présenté et accueilli comme l’ami de la famille. Je
+ne parlerai pas du dîner ni de la conversation qui s’ensuivit, et à laquelle je
+pris peu de part. M. Alphonse, placé à côté de sa future, lui disait un mot à
+l’oreille tous les quarts d’heure. Pour elle, elle ne levait guère les yeux,
+et, chaque fois que son prétendu lui parlait, elle rougissait avec modestie,
+mais lui répondait sans embarras.
+</p>
+
+<p>
+Mademoiselle de Puygarrig avait dix-huit ans; sa taille souple et délicate
+contrastait avec les formes osseuses de son robuste fiancé. Elle était non
+seulement belle, mais séduisante. J’admirais le naturel parfait de toutes ses
+réponses; et son air de bonté, qui pourtant n’était pas exempt d’une légère
+teinte de malice, me rappela, malgré moi, la Vénus de mon hôte. Dans cette
+comparaison que je fis en moi-même, je me demandais si la supériorité de beauté
+qu’il fallait bien accorder à la statue ne tenait pas, en grande partie, à son
+expression de tigresse; car l’énergie, même dans les mauvaises passions, excite
+toujours en nous un étonnement et une espèce d’admiration involontaire.
+</p>
+
+<p>
+«Quel dommage, me dis-je en quittant Puygarrig, qu’une si aimable personne soit
+riche, et que sa dot la fasse rechercher par un homme indigne d’elle!»
+</p>
+
+<p>
+En revenant à Ille, et ne sachant trop que dire à madame de Peyrehorade, à qui
+je croyais convenable d’adresser quelquefois la parole:
+</p>
+
+<p>
+«Vous êtes bien esprits forts en Roussillon! m’écriai-je; comment, madame, vous
+faites un mariage un vendredi! À Paris nous aurions plus de superstition;
+personne n’oserait prendre femme un tel jour.
+</p>
+
+<p>
+— Mon Dieu! ne m’en parlez pas, me dit-elle, si cela n’avait dépendu que de
+moi, certes on eût choisi un autre jour. Mais Peyrehorade l’a voulu, et il a
+fallu lui céder. Cela me fait de la peine pourtant. S’il arrivait quelque
+malheur? Il faut bien qu’il y ait une raison, car enfin pourquoi tout le monde
+a-t-il peur du vendredi?
+</p>
+
+<p>
+— Vendredi! s’écria son mari, c’est le jour de Vénus! Bon jour pour un mariage!
+Vous le voyez, mon cher collègue, je ne pense qu’à ma Vénus. D’honneur! c’est à
+cause d’elle que j’ai choisi le vendredi. Demain, si vous voulez, avant la
+noce, nous lui ferons un petit sacrifice; nous sacrifierons deux palombes, et
+si je savais où trouver de l’encens…
+</p>
+
+<p>
+— Fi donc, Peyrehorade! interrompit sa femme scandalisée au dernier point.
+Encenser une idole! Ce serait une abomination! Que dirait-on de nous dans le
+pays?
+</p>
+
+<p>
+— Au moins, dit M. de Peyrehorade, tu me permettras de lui mettre sur la tête
+une couronne de roses et de lis:
+</p>
+
+<p class="center">
+<i>Manibus date lilia plenis.</i>
+</p>
+
+<p>
+Vous le voyez, monsieur, la charte est un vain mot. Nous n’avons pas la liberté
+des cultes!»
+</p>
+
+<p>
+Les arrangements du lendemain furent réglés de la manière suivante. Tout le
+monde devait être prêt et en toilette à dix heures précises. Le chocolat pris,
+on se rendrait en voiture à Puygarrig. Le mariage civil devait se faire à la
+mairie du village, et la cérémonie religieuse dans la chapelle du château.
+Viendrait ensuite un déjeuner. Après le déjeuner on passerait le temps comme
+l’on pourrait jusqu’à sept heures. À sept heures, on retournerait à Ille, chez
+M. de Peyrehorade, où devaient souper les deux familles réunies. Le reste
+s’ensuit naturellement. Ne pouvant danser, on avait voulu manger le plus
+possible.
+</p>
+
+<p>
+Dès huit heures j’étais assis devant la Vénus, un crayon à la main,
+recommençant pour la vingtième fois la tête de la statue, sans pouvoir parvenir
+à en saisir l’expression. M. de Peyrehorade allait et venait autour de moi, me
+donnait des conseils, me répétait ses étymologies phéniciennes; puis disposait
+des roses du Bengale sur le piédestal de la statue, et d’un ton tragi-comique
+lui adressait des vœux pour le couple qui allait vivre sous son toit. Vers neuf
+heures il rentra pour songer à sa toilette, et en même temps parut M. Alphonse,
+bien serré dans un habit neuf, en gants blancs, souliers vernis, boutons
+ciselés, une rose à la boutonnière.
+</p>
+
+<p>
+«Vous ferez le portrait de ma femme? me dit-il en se penchant sur mon dessin.
+Elle est jolie aussi.»
+</p>
+
+<p>
+En ce moment commençait, sur le jeu de paume dont j’ai parlé, une partie qui,
+sur-le-champ, attira l’attention de M. Alphonse. Et moi, fatigué, et
+désespérant de rendre cette diabolique figure, je quittai bientôt mon dessin
+pour regarder les joueurs. Il y avait parmi eux quelques muletiers espagnols
+arrivés de la veille. C’étaient des Aragonais et des Navarrois, presque tous
+d’une adresse merveilleuse. Aussi les Illois, bien qu’encouragés par la
+présence et les conseils de M. Alphonse, furent-ils assez promptement battus
+par ces nouveaux champions. Les spectateurs nationaux étaient consternés. M.
+Alphonse regarda à sa montre. Il n’était encore que neuf heures et demie. Sa
+mère n’était pas coiffée. Il n’hésita plus: il ôta son habit, demanda une
+veste, et défia les Espagnols. Je le regardais faire en souriant, et un peu
+surpris.
+</p>
+
+<p>
+«Il faut soutenir l’honneur du pays», dit-il.
+</p>
+
+<p>
+Alors je le trouvai vraiment beau. Il était passionné. Sa toilette, qui
+l’occupait si fort tout à l’heure, n’était plus rien pour lui. Quelques minutes
+avant il eût craint de tourner la tête de peur de déranger sa cravate.
+Maintenant il ne pensait plus à ses cheveux frisés ni à son jabot si bien
+plissé. Et sa fiancée?… Ma foi, si cela eût été nécessaire, il aurait, je
+crois, fait ajourner le mariage. Je le vis chausser à la hâte une paire de
+sandales, retrousser ses manches, et, d’un air assuré, se mettre à la tête du
+parti vaincu, comme César ralliant ses soldats à Dyrrachium. Je sautai la haie,
+et me plaçai commodément à l’ombre d’un micocoulier, de façon à bien voir les
+deux camps.
+</p>
+
+<p>
+Contre l’attente générale, M. Alphonse manqua la première balle; il est vrai
+qu’elle vint rasant la terre et lancée avec une force surprenante par un
+Aragonais qui paraissait être le chef des Espagnols.
+</p>
+
+<p>
+C’était un homme d’une quarantaine d’années, sec et nerveux, haut de six pieds,
+et sa peau olivâtre avait une teinte presque aussi foncée que le bronze de la
+Vénus.
+</p>
+
+<p>
+M. Alphonse jeta sa raquette à terre avec fureur. «C’est cette maudite bague,
+s’écria-t-il, qui me serre le doigt, et me fait manquer une balle sûre!»
+</p>
+
+<p>
+Il ôta, non sans peine, sa bague de diamants: je m’approchais pour la recevoir;
+mais il me prévint, courut à la Vénus, lui passa la bague au doigt annulaire,
+et reprit son poste à la tête des Illois. Il était pâle, mais calme et résolu.
+Dès lors il ne fit plus une seule faute, et les Espagnols furent battus
+complètement. Ce fut un beau spectacle que l’enthousiasme des spectateurs: les
+uns poussaient mille cris de joie en jetant leurs bonnets en l’air; d’autres
+lui serraient les mains, l’appelant l’honneur du pays. S’il eût repoussé une
+invasion, je doute qu’il eût reçu des félicitations plus vives et plus
+sincères. Le chagrin des vaincus ajoutait encore à l’éclat de sa victoire.
+</p>
+
+<p>
+«Nous ferons d’autres parties, mon brave, dit-il à l’Aragonais d’un ton de
+supériorité; mais je vous rendrai des points.»
+</p>
+
+<p>
+J’aurais désiré que M. Alphonse fût plus modeste, et je fus presque peiné de
+l’humiliation de son rival.
+</p>
+
+<p>
+Le géant espagnol ressentit profondément cette insulte. Je le vis pâlir sous sa
+peau basanée. Il regardait d’un air morne sa raquette en serrant les dents;
+puis, d’une voix étouffée, il dit tout bas: <i>Me lo pagarás</i>.
+</p>
+
+<p>
+La voix de M. de Peyrehorade troubla le triomphe de son fils; mon hôte, fort
+étonné de ne point le trouver présidant aux apprêts de la calèche neuve, le fut
+bien plus encore en le voyant tout en sueur, la raquette à la main. M. Alphonse
+courut à la maison, se lava la figure et les mains, remit son habit neuf et ses
+souliers vernis, et cinq minutes après nous étions au grand trot sur la route
+de Puygarrig. Tous les joueurs de paume de la ville et grand nombre de
+spectateurs nous suivirent avec des cris de joie. À peine les chevaux vigoureux
+qui nous traînaient pouvaient-ils maintenir leur avance sur ces intrépides
+Catalans.
+</p>
+
+<p>
+Nous étions à Puygarrig, et le cortège allait se mettre en marche pour la
+mairie, lorsque M. Alphonse, se frappant le front, me dit tout bas:
+</p>
+
+<p>
+«Quelle brioche! J’ai oublié la bague! Elle est au doigt de la Vénus, que le
+diable puisse emporter! Ne le dites pas à ma mère au moins. Peut-être qu’elle
+ne s’apercevra de rien.
+</p>
+
+<p>
+— Vous pourriez envoyer quelqu’un, lui dis-je.
+</p>
+
+<p>
+— Bah! mon domestique est resté à Ille. Ceux-ci, je ne m’y fie guère. Douze
+cents francs de diamants! cela pourrait en tenter plus d’un. D’ailleurs que
+penserait-on ici de ma distraction? Ils se moqueraient trop de moi. Ils
+m’appelleraient le mari de la statue… Pourvu qu’on ne me la vole pas!
+Heureusement que l’idole fait peur à mes coquins. Ils n’osent l’approcher à
+longueur de bras. Bah! ce n’est rien; j’ai une autre bague.»
+</p>
+
+<p>
+Les deux cérémonies civile et religieuse s’accomplirent avec la pompe
+convenable; et mademoiselle de Puygarrig reçut l’anneau d’une modiste de Paris,
+sans se douter que son fiancé lui faisait le sacrifice d’un gage amoureux. Puis
+on se mit à table, où l’on but, mangea, chanta même, le tout fort longuement.
+Je souffrais pour la mariée de la grosse joie qui éclatait autour d’elle;
+pourtant elle faisait meilleure contenance que je ne l’aurais espéré, et son
+embarras n’était ni de la gaucherie ni de l’affectation.
+</p>
+
+<p>
+Peut-être le courage vient-il avec les situations difficiles.
+</p>
+
+<p>
+Le déjeuner terminé quand il plut à Dieu, il était quatre heures; les hommes
+allèrent se promener dans le parc, qui était magnifique, ou regardèrent danser
+sur la pelouse du château les paysannes de Puygarrig, parées de leurs habits de
+fête. De la sorte, nous employâmes quelques heures. Cependant les femmes
+étaient fort empressées autour de la mariée, qui leur faisait admirer sa
+corbeille. Puis elle changea de toilette, et je remarquai qu’elle couvrit ses
+beaux cheveux d’un bonnet et d’un chapeau à plumes, car les femmes n’ont rien
+de plus pressé que de prendre, aussitôt qu’elles le peuvent, les parures que
+l’usage leur défend de porter quand elles sont encore demoiselles.
+</p>
+
+<p>
+Il était près de huit heures quand on se disposa à partir pour Ille. Mais
+d’abord eut lieu une scène pathétique. La tante de mademoiselle de Puygarrig,
+qui lui servait de mère, femme très âgée et fort dévote, ne devait point aller
+avec nous à la ville. Au départ, elle fit à sa nièce un sermon touchant sur ses
+devoirs d’épouse, duquel sermon résulta un torrent de larmes et des
+embrassements sans fin. M. de Peyrehorade comparait cette séparation à
+l’enlèvement des Sabines. Nous partîmes pourtant, et, pendant la route, chacun
+s’évertua pour distraire la mariée et la faire rire; mais ce fut en vain.
+</p>
+
+<p>
+À Ille, le souper nous attendait, et quel souper! Si la grosse joie du matin
+m’avait choqué, je le fus bien davantage des équivoques et des plaisanteries
+dont le marié et la mariée surtout furent l’objet. Le marié, qui avait disparu
+un instant avant de se mettre à table, était pâle et d’un sérieux de glace. Il
+buvait à chaque instant du vieux vin de Collioure presque aussi fort que de
+l’eau-de-vie. J’étais à côté de lui, et me crus obligé de l’avertir:
+</p>
+
+<p>
+«Prenez garde! on dit que le vin…»
+</p>
+
+<p>
+Je ne sais quelle sottise je lui dis pour me mettre à l’unisson des convives.
+</p>
+
+<p>
+Il me poussa le genou, et très bas il me dit:
+</p>
+
+<p>
+«Quand on se lèvera de table…, que je puisse vous dire deux mots.»
+</p>
+
+<p>
+Son ton solennel me surprit. Je le regardai plus attentivement, et je remarquai
+l’étrange altération de ses traits.
+</p>
+
+<p>
+«Vous sentez-vous indisposé? lui demandai-je.
+</p>
+
+<p>
+— Non.»
+</p>
+
+<p>
+Et il se remit à boire.
+</p>
+
+<p>
+Cependant, au milieu des cris et des battements de mains, un enfant de onze
+ans, qui s’était glissé sous la table, montrait aux assistants un joli ruban
+blanc et rose qu’il venait de détacher de la cheville de la mariée. On appelle
+cela sa jarretière. Elle fut aussitôt coupée par morceaux et distribuée aux
+jeunes gens, qui en ornèrent leur boutonnière, suivant un antique usage qui se
+conserve encore dans quelques familles patriarcales. Ce fut pour la mariée une
+occasion de rougir jusqu’au blanc des yeux. Mais son trouble fut au comble
+lorsque M. de Peyrehorade, ayant réclamé le silence, lui chanta quelques vers
+catalans, impromptus, disait-il. En voici le sens, si je l’ai bien compris:
+</p>
+
+<p>
+«Qu’est-ce donc, mes amis? Le vin que j’ai bu me fait-il voir double? Il y a
+deux Vénus ici…»
+</p>
+
+<p>
+Le marié tourna brusquement la tête d’un air effaré, qui fit rire tout le
+monde.
+</p>
+
+<p>
+«Oui, poursuivit M. de Peyrehorade, il y a deux Vénus sous mon toit. L’une, je
+l’ai trouvée dans la terre comme une truffe; l’autre, descendue des cieux,
+vient de nous partager sa ceinture.»
+</p>
+
+<p>
+Il voulait dire sa jarretière.
+</p>
+
+<p>
+«Mon fils, choisis de la Vénus romaine ou de la catalane celle que tu préfères.
+Le maraud prend la catalane, et sa part est la meilleure. La romaine est noire,
+la catalane est blanche. La romaine est froide, la catalane enflamme tout ce
+qui l’approche.»
+</p>
+
+<p>
+Cette chute excita un tel hourra, des applaudissements si bruyants et des rires
+si sonores, que je crus que le plafond allait nous tomber sur la tête. Autour
+de la table il n’y avait que trois visages sérieux, ceux des mariés et le mien.
+J’avais un grand mal de tête; et puis, je ne sais pourquoi, un mariage
+m’attriste toujours. Celui-là, en outre, me dégoûtait un peu.
+</p>
+
+<p>
+Les derniers couplets ayant été chantés par l’adjoint du maire, et ils étaient
+fort lestes, je dois le dire, on passa dans le salon pour jouir du départ de la
+mariée, qui devait être bientôt conduite à sa chambre, car il était près de
+minuit.
+</p>
+
+<p>
+M. Alphonse me tira dans l’embrasure d’une fenêtre, et me dit en détournant les
+yeux: «Vous allez vous moquer de moi… Mais je ne sais ce que j’ai… je suis
+ensorcelé! le diable m’emporte!»
+</p>
+
+<p>
+La première pensée qui me vint fut qu’il se croyait menacé de quelque malheur
+du genre de ceux dont parlent Montaigne et madame de Sévigné:
+</p>
+
+<p>
+«Tout l’empire amoureux est plein d’histoires tragiques», etc. Je croyais que
+ces sortes d’accidents n’arrivaient qu’aux gens d’esprit, me dis-je à moi-même.
+</p>
+
+<p>
+«Vous avez trop bu de vin de Collioure, mon cher monsieur Alphonse, lui dis-je.
+Je vous avais prévenu.
+</p>
+
+<p>
+— Oui, peut-être. Mais c’est quelque chose de bien plus terrible.»
+</p>
+
+<p>
+Il avait la voix entrecoupée. Je le crus tout à fait ivre.
+</p>
+
+<p>
+«Vous savez bien mon anneau? poursuivit-il après un silence.
+</p>
+
+<p>
+— Eh bien! on l’a pris?
+</p>
+
+<p>
+— Non.
+</p>
+
+<p>
+— En ce cas, vous l’avez?
+</p>
+
+<p>
+— Non… je… Je ne puis l’ôter du doigt de cette diable de Vénus.
+</p>
+
+<p>
+— Bon! vous n’avez pas tiré assez fort.
+</p>
+
+<p>
+— Si fait… Mais la Vénus… elle a serré le doigt.»
+</p>
+
+<p>
+Il me regardait fixement d’un air hagard, s’appuyant à l’espagnolette pour ne
+pas tomber.
+</p>
+
+<p>
+«Quel conte! lui dis-je. Vous avez trop enfoncé l’anneau. Demain vous l’aurez
+avec des tenailles. Mais prenez garde de gâter la statue.
+</p>
+
+<p>
+— Non, vous dis-je. Le doigt de la Vénus est retiré, reployé; elle serre la
+main, m’entendez-vous?… C’est ma femme, apparemment, puisque je lui ai donné
+mon anneau… Elle ne veut plus le rendre.»
+</p>
+
+<p>
+J’éprouvai un frisson subit, et j’eus un instant la chair de poule. Puis, un
+grand soupir qu’il fit m’envoya une bouffée de vin, et toute émotion disparut.
+</p>
+
+<p>
+Le misérable, pensai-je, est complètement ivre.
+</p>
+
+<p>
+«Vous êtes antiquaire, monsieur, ajouta le marié d’un ton lamentable; vous
+connaissez ces statues-là… il y a peut-être quelque ressort, quelque diablerie,
+que je ne connais point… Si vous alliez voir?
+</p>
+
+<p>
+— Volontiers, dis-je. Venez avec moi.
+</p>
+
+<p>
+— Non, j’aime mieux que vous y alliez seul.»
+</p>
+
+<p>
+Je sortis du salon.
+</p>
+
+<p>
+Le temps avait changé pendant le souper, et la pluie commençait à tomber avec
+force. J’allais demander un parapluie, lorsqu’une réflexion m’arrêta. Je serais
+un bien grand sot, me dis-je, d’aller vérifier ce que m’a dit un homme ivre!
+Peut-être, d’ailleurs, a-t-il voulu me faire quelque méchante plaisanterie pour
+apprêter à rire à ces honnêtes provinciaux; et le moins qu’il puisse m’en
+arriver, c’est d’être trempé jusqu’aux os et d’attraper un bon rhume.
+</p>
+
+<p>
+De la porte je jetai un coup d’œil sur la statue ruisselante d’eau, et je
+montai dans ma chambre sans rentrer dans le salon. Je me couchai; mais le
+sommeil fut long à venir. Toutes les scènes de la journée se représentaient à
+mon esprit. Je pensais à cette jeune fille si belle et si pure abandonnée à un
+ivrogne brutal. Quelle odieuse chose, me disais-je, qu’un mariage de
+convenance! Un maire revêt une écharpe tricolore, un curé une étole, et voilà
+la plus honnête fille du monde livrée au Minotaure! Deux êtres qui ne s’aiment
+pas, que peuvent-ils se dire dans un pareil moment, que deux amants
+achèteraient au prix de leur existence? Une femme peut-elle jamais aimer un
+homme qu’elle aura vu grossier une fois? Les premières impressions ne
+s’effacent pas, et j’en suis sûr ce M. Alphonse méritera bien d’être haï…
+</p>
+
+<p>
+Durant mon monologue, que j’abrège beaucoup, j’avais entendu force allées et
+venues dans la maison, les portes s’ouvrir et se fermer, des voitures partir;
+puis il me semblait avoir entendu sur l’escalier les pas légers de plusieurs
+femmes se dirigeant vers l’extrémité du corridor opposé à ma chambre. C’était
+probablement le cortège de la mariée qu’on menait au lit. Ensuite on avait
+redescendu l’escalier. La porte de madame de Peyrehorade s’était fermée. Que
+cette pauvre fille, me dis-je, doit être troublée et mal à son aise! Je me
+tournais dans mon lit de mauvaise humeur. Un garçon joue un sot rôle dans une
+maison où s’accomplit un mariage.
+</p>
+
+<p>
+Le silence régnait depuis quelque temps lorsqu’il fut troublé par des pas
+lourds qui montaient l’escalier. Les marches de bois craquèrent fortement.
+</p>
+
+<p>
+«Quel butor! m’écriai-je. Je parie qu’il va tomber dans l’escalier.»
+</p>
+
+<p>
+Tout redevint tranquille. Je pris un livre pour changer le cours de mes idées.
+C’était une statistique du département, ornée d’un mémoire de M. de Peyrehorade
+sur les monuments druidiques de l’arrondissement de Prades. Je m’assoupis à la
+troisième page.
+</p>
+
+<p>
+Je dormis mal et me réveillai plusieurs fois. Il pouvait être cinq heures du
+matin, et j’étais éveillé depuis plus de vingt minutes lorsque le coq chanta.
+Le jour allait se lever. Alors j’entendis distinctement les mêmes pas lourds,
+le même craquement de l’escalier que j’avais entendus avant de m’endormir. Cela
+me parut singulier. J’essayai, en bâillant, de deviner pourquoi M. Alphonse se
+levait si matin. Je n’imaginais rien de vraisemblable. J’allais refermer les
+yeux lorsque mon attention fut de nouveau excitée par des trépignements
+étranges auxquels se mêlèrent bientôt le tintement des sonnettes et le bruit de
+portes qui s’ouvraient avec fracas, puis je distinguai des cris confus.
+</p>
+
+<p>
+Mon ivrogne aura mis le feu quelque part! pensais-je en sautant à bas de mon
+lit.
+</p>
+
+<p>
+Je m’habillai rapidement et j’entrai dans le corridor. De l’extrémité opposée
+partaient des cris et des lamentations, et une voix déchirante dominait toutes
+les autres: «Mon fils! mon fils!» Il était évident qu’un malheur était arrivé à
+M. Alphonse. Je courus à la chambre nuptiale: elle était pleine de monde. Le
+premier spectacle qui frappa ma vue fut le jeune homme à demi-vêtu, étendu en
+travers sur le lit dont le bois était brisé. Il était livide, sans mouvement.
+Sa mère pleurait et criait à côté de lui. M. de Peyrehorade s’agitait, lui
+frottait les tempes avec de l’eau de Cologne, ou lui mettait des sels sous le
+nez. Hélas! depuis longtemps son fils était mort. Sur un canapé, à l’autre bout
+de la chambre, était la mariée, en proie à d’horribles convulsions. Elle
+poussait des cris inarticulés, et deux robustes servantes avaient toutes les
+peines du monde à la contenir.
+</p>
+
+<p>
+«Mon Dieu! m’écriai-je, qu’est-il donc arrivé?»
+</p>
+
+<p>
+Je m’approchai du lit et soulevai le corps du malheureux jeune homme; il était
+déjà roide et froid. Ses dents serrées et sa figure noircie exprimaient les
+plus affreuses angoisses. Il paraissait assez que sa mort avait été violente et
+son agonie terrible. Nulle trace de sang cependant sur ses habits. J’écartai sa
+chemise et vis sur sa poitrine une empreinte livide qui se prolongeait sur les
+côtes et le dos. On eût dit qu’il avait été étreint dans un cercle de fer. Mon
+pied posa sur quelque chose de dur qui se trouvait sur le tapis; je me baissai
+et vis la bague de diamants.
+</p>
+
+<p>
+J’entraînai M. de Peyrehorade et sa femme dans leur chambre; puis j’y fis
+porter la mariée. «Vous avez encore une fille, leur dis-je, vous lui devez vos
+soins.» Alors je les laissai seuls.
+</p>
+
+<p>
+Il ne me paraissait pas douteux que M. Alphonse n’eût été victime d’un
+assassinat dont les auteurs avaient trouvé moyen de s’introduire la nuit dans
+la chambre de la mariée. Ces meurtrissures à la poitrine, leur direction
+circulaire m’embarrassaient beaucoup pourtant, car un bâton ou une barre de fer
+n’aurait pu les produire. Tout d’un coup je me souvins d’avoir entendu dire
+qu’à Valence des braves se servaient de longs sacs de cuir remplis de sable fin
+pour assommer les gens dont on leur avait payé la mort. Aussitôt je me rappelai
+le muletier aragonais et sa menace; toutefois j’osais à peine penser qu’il eût
+tiré une si terrible vengeance d’une plaisanterie légère.
+</p>
+
+<p>
+J’allais dans la maison, cherchant partout des traces d’effraction, et n’en
+trouvant nulle part. Je descendis dans le jardin pour voir si les assassins
+avaient pu s’introduire de ce côté; mais je ne trouvai aucun indice certain. La
+pluie de la veille avait d’ailleurs tellement détrempé le sol, qu’il n’aurait
+pu garder d’empreinte bien nette. J’observai pourtant quelques pas profondément
+imprimés dans la terre: il y en avait dans deux directions contraires, mais sur
+une même ligne, partant de l’angle de la haie contiguë au jeu de paume et
+aboutissant à la porte de la maison. Ce pouvaient être les pas de M. Alphonse
+lorsqu’il était allé chercher son anneau au doigt de la statue. D’un autre
+côté, la haie, en cet endroit, étant moins fourrée qu’ailleurs, ce devait être
+sur ce point que les meurtriers l’auraient franchie. Passant et repassant
+devant la statue, je m’arrêtai un instant pour la considérer. Cette fois, je
+l’avouerai, je ne pus contempler sans effroi son expression de méchanceté
+ironique; et, la tête toute pleine des scènes horribles dont je venais d’être
+le témoin, il me sembla voir une divinité infernale applaudissant au malheur
+qui frappait cette maison.
+</p>
+
+<p>
+Je regagnai ma chambre et j’y restai jusqu’à midi. Alors je sortis et demandai
+des nouvelles de mes hôtes. Ils étaient un peu plus calmes. Mademoiselle de
+Puygarrig, je devrais dire la veuve de M. Alphonse, avait repris connaissance.
+Elle avait même parlé au procureur du roi de Perpignan, alors en tournée à
+Ille, et ce magistrat avait reçu sa déposition. Il me demanda la mienne. Je lui
+dis ce que je savais, et ne lui cachai pas mes soupçons contre le muletier
+aragonais. Il ordonna qu’il fût arrêté sur-le-champ.
+</p>
+
+<p>
+«Avez-vous appris quelque chose de madame Alphonse?» demandai-je au procureur
+du roi, lorsque ma déposition fut écrite et signée.
+</p>
+
+<p>
+«Cette malheureuse jeune personne est devenue folle, me dit-il en souriant
+tristement. Folle! tout à fait folle. Voici ce qu’elle conte:
+</p>
+
+<p>
+«Elle était couchée, dit-elle, depuis quelques minutes, les rideaux tirés,
+lorsque la porte de sa chambre s’ouvrit, et quelqu’un entra. Alors madame
+Alphonse était dans la ruelle du lit, la figure tournée vers la muraille. Elle
+ne fit pas un mouvement, persuadée que c’était son mari. Au bout d’un instant
+le lit cria comme s’il était chargé d’un poids énorme. Elle eut grand’peur,
+mais n’osa pas tourner la tête. Cinq minutes, dix minutes peut-être… elle ne
+peut se rendre compte du temps, se passèrent de la sorte. Puis elle fit un
+mouvement involontaire, ou bien la personne qui était dans le lit en fit un, et
+elle sentit le contact de quelque chose de froid comme la glace, ce sont ses
+expressions. Elle s’enfonça dans la ruelle tremblant de tous ses membres. Peu
+après, la porte s’ouvrit une seconde fois, et quelqu’un entra, qui dit:
+Bonsoir, ma petite femme. Bientôt après on tira les rideaux. Elle entendit un
+cri étouffé. La personne qui était dans le lit, à côté d’elle, se leva sur son
+séant et parut étendre les bras en avant. Elle tourna la tête alors… et vit,
+dit-elle, son mari à genoux auprès du lit, la tête à la hauteur de l’oreiller,
+entre les bras d’une espèce de géant verdâtre qui l’étreignait avec force. Elle
+dit, et m’a répété vingt fois, pauvre femme!… elle dit qu’elle a reconnu…
+devinez-vous? la Vénus de bronze, la statue de M. de Peyrehorade… Depuis
+qu’elle est dans le pays, tout le monde en rêve. Mais je reprends le récit de
+la malheureuse folle. À ce spectacle, elle perdit connaissance, et probablement
+depuis quelques instants elle avait perdu la raison. Elle ne peut en aucune
+façon dire combien de temps elle demeura évanouie. Revenue à elle, elle revit
+le fantôme, ou la statue, comme elle dit toujours, immobile, les jambes et le
+bas du corps dans le lit, le buste et les bras étendus en avant, et entre ses
+bras son mari, sans mouvement. Un coq chanta. Alors la statue sortit du lit,
+laissa tomber le cadavre et sortit. Mme Alphonse se pendit à la sonnette, et
+vous savez le reste.»
+</p>
+
+<p>
+On amena l’Espagnol; il était calme, et se défendit avec beaucoup de sang-froid
+et de présence d’esprit. Du reste, il ne nia pas le propos que j’avais entendu;
+mais il l’expliquait, prétendant qu’il n’avait voulu dire autre chose, sinon
+que le lendemain, reposé qu’il serait, il aurait gagné une partie de paume à
+son vainqueur. Je me rappelle qu’il ajouta:
+</p>
+
+<p>
+«Un Aragonais, lorsqu’il est outragé, n’attend pas au lendemain pour se venger.
+Si j’avais cru que M. Alphonse eût voulu m’insulter, je lui aurais sur-le-champ
+donné de mon couteau dans le ventre.»
+</p>
+
+<p>
+On compara ses souliers avec les empreintes de pas dans le jardin; ses souliers
+étaient beaucoup plus grands.
+</p>
+
+<p>
+Enfin l’hôtelier chez qui cet homme était logé assura qu’il avait passé toute
+la nuit à frotter et à médicamenter un de ses mulets qui était malade.
+</p>
+
+<p>
+D’ailleurs cet Aragonais était un homme bien famé, fort connu dans le pays, où
+il venait tous les ans pour son commerce. On le relâcha donc en lui faisant des
+excuses.
+</p>
+
+<p>
+J’oubliais la déposition d’un domestique qui le dernier avait vu M. Alphonse
+vivant. C’était au moment qu’il allait monter chez sa femme, et, appelant cet
+homme, il lui demanda d’un air d’inquiétude s’il savait où j’étais. Le
+domestique répondit qu’il ne m’avait point vu. Alors M. Alphonse fit un soupir
+et resta plus d’une minute sans parler, puis il dit: <i>Allons! le diable
+l’aura emporté aussi!</i>
+</p>
+
+<p>
+Je demandai à cet homme si M. Alphonse avait sa bague de diamants, lorsqu’il
+lui parla. Le domestique hésita pour répondre; enfin il dit qu’il ne le croyait
+pas, qu’il n’y avait fait au reste aucune attention. «S’il avait eu cette bague
+au doigt, ajouta-t-il en se reprenant, je l’aurais sans doute remarquée, car je
+croyais qu’il l’avait donnée à madame Alphonse.»
+</p>
+
+<p>
+En questionnant cet homme je ressentais un peu de la terreur superstitieuse que
+la déposition de Mme Alphonse avait répandue dans toute la maison. Le procureur
+du roi me regarda en souriant, et je me gardai bien d’insister.
+</p>
+
+<p>
+Quelques heures après les funérailles de M. Alphonse, je me disposai à quitter
+Ille. La voiture de M. de Peyrehorade devait me conduire à Perpignan. Malgré
+son état de faiblesse, le pauvre vieillard voulut m’accompagner jusqu’à la
+porte de son jardin. Nous le traversâmes en silence, lui se traînant à peine,
+appuyé sur mon bras. Au moment de nous séparer, je jetai un dernier regard sur
+la Vénus. Je prévoyais bien que mon hôte, quoiqu’il ne partageât point les
+terreurs et les haines qu’elle inspirait à une partie de sa famille, voudrait
+se défaire d’un objet qui lui rappellerait sans cesse un malheur affreux. Mon
+intention était de l’engager à la placer dans un musée. J’hésitais pour entrer
+en matière, quand M. de Peyrehorade tourna machinalement la tête du côté où il
+me voyait regarder fixement. Il aperçut la statue et aussitôt fondit en larmes.
+Je l’embrassai, et, sans oser lui dire un seul mot, je montai dans la voiture.
+</p>
+
+<p>
+Depuis mon départ je n’ai point appris que quelque jour nouveau soit venu
+éclairer cette mystérieuse catastrophe.
+</p>
+
+<p>
+M. de Peyrehorade mourut quelques mois après son fils. Par son testament il m’a
+légué ses manuscrits, que je publierai peut-être un jour. Je n’y ai point
+trouvé le mémoire relatif aux inscriptions de la Vénus.
+</p>
+
+<p>
+<i>P. S.</i> Mon ami M. de P. vient de m’écrire que la statue n’existe plus.
+Après la mort de son mari, le premier soin de Madame de Peyrehorade fut de la
+faire fondre en cloche, et sous cette nouvelle forme elle sert à l’église
+d’Ille. Mais, ajoute M. de P., il semble qu’un mauvais sort poursuive ceux qui
+possèdent ce bronze. Depuis que cette cloche sonne à l’Ille, les vignes ont
+gelé deux fois.
+</p>
+
+<p>
+1837.
+</p>
+
+</div><!--end chapter-->
+
+<div style='display:block; margin-top:4em'>*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LA VÉNUS D’ILLE ***</div>
+<div style='text-align:left'>
+
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+Updated editions will replace the previous one&#8212;the old editions will
+be renamed.
+</div>
+
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+Creating the works from print editions not protected by U.S. copyright
+law means that no one owns a United States copyright in these works,
+so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the United
+States without permission and without paying copyright
+royalties. Special rules, set forth in the General Terms of Use part
+of this license, apply to copying and distributing Project
+Gutenberg&#8482; electronic works to protect the PROJECT GUTENBERG&#8482;
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+Gutenberg eBooks may be modified and printed and given away&#8212;you may
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+by U.S. copyright law. Redistribution is subject to the trademark
+license, especially commercial redistribution.
+</div>
+
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+<div style='text-align:center;font-size:0.9em'>THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE</div>
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+
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+(or any other work associated in any way with the phrase &#8220;Project
+Gutenberg&#8221;), you agree to comply with all the terms of the Full
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+www.gutenberg.org/license.
+</div>
+
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+Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project Gutenberg&#8482; electronic works
+</div>
+
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+1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg&#8482;
+electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to
+and accept all the terms of this license and intellectual property
+(trademark/copyright) agreement. If you do not agree to abide by all
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+possession. If you paid a fee for obtaining a copy of or access to a
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+by the terms of this agreement, you may obtain a refund from the person
+or entity to whom you paid the fee as set forth in paragraph 1.E.8.
+</div>
+
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+1.B. &#8220;Project Gutenberg&#8221; is a registered trademark. It may only be
+used on or associated in any way with an electronic work by people who
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+things that you can do with most Project Gutenberg&#8482; electronic works
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+electronic works. See paragraph 1.E below.
+</div>
+
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+1.C. The Project Gutenberg Literary Archive Foundation (&#8220;the
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+ </div>
+
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+ &#8226; You provide, in accordance with paragraph 1.F.3, a full refund of
+ any money paid for a work or a replacement copy, if a defect in the
+ electronic work is discovered and reported to you within 90 days of
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+ </div>
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+</div>
+
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+</div>
+
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+</div>
+
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+without further opportunities to fix the problem.
+</div>
+
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+1.F.4. Except for the limited right of replacement or refund set forth
+in paragraph 1.F.3, this work is provided to you &#8216;AS-IS&#8217;, WITH NO
+OTHER WARRANTIES OF ANY KIND, EXPRESS OR IMPLIED, INCLUDING BUT NOT
+LIMITED TO WARRANTIES OF MERCHANTABILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE.
+</div>
+
+<div style='display:block; margin:1em 0'>
+1.F.5. Some states do not allow disclaimers of certain implied
+warranties or the exclusion or limitation of certain types of
+damages. If any disclaimer or limitation set forth in this agreement
+violates the law of the state applicable to this agreement, the
+agreement shall be interpreted to make the maximum disclaimer or
+limitation permitted by the applicable state law. The invalidity or
+unenforceability of any provision of this agreement shall not void the
+remaining provisions.
+</div>
+
+<div style='display:block; margin:1em 0'>
+1.F.6. INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the
+trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone
+providing copies of Project Gutenberg&#8482; electronic works in
+accordance with this agreement, and any volunteers associated with the
+production, promotion and distribution of Project Gutenberg&#8482;
+electronic works, harmless from all liability, costs and expenses,
+including legal fees, that arise directly or indirectly from any of
+the following which you do or cause to occur: (a) distribution of this
+or any Project Gutenberg&#8482; work, (b) alteration, modification, or
+additions or deletions to any Project Gutenberg&#8482; work, and (c) any
+Defect you cause.
+</div>
+
+<div style='display:block; font-size:1.1em; margin:1em 0; font-weight:bold'>
+Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg&#8482;
+</div>
+
+<div style='display:block; margin:1em 0'>
+Project Gutenberg&#8482; is synonymous with the free distribution of
+electronic works in formats readable by the widest variety of
+computers including obsolete, old, middle-aged and new computers. It
+exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations
+from people in all walks of life.
+</div>
+
+<div style='display:block; margin:1em 0'>
+Volunteers and financial support to provide volunteers with the
+assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg&#8482;&#8217;s
+goals and ensuring that the Project Gutenberg&#8482; collection will
+remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
+Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
+and permanent future for Project Gutenberg&#8482; and future
+generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary
+Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see
+Sections 3 and 4 and the Foundation information page at www.gutenberg.org.
+</div>
+
+<div style='display:block; font-size:1.1em; margin:1em 0; font-weight:bold'>
+Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+</div>
+
+<div style='display:block; margin:1em 0'>
+The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non-profit
+501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
+state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
+Revenue Service. The Foundation&#8217;s EIN or federal tax identification
+number is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg Literary
+Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by
+U.S. federal laws and your state&#8217;s laws.
+</div>
+
+<div style='display:block; margin:1em 0'>
+The Foundation&#8217;s business office is located at 809 North 1500 West,
+Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email contact links and up
+to date contact information can be found at the Foundation&#8217;s website
+and official page at www.gutenberg.org/contact.
+</div>
+
+<div style='display:block; font-size:1.1em; margin:1em 0; font-weight:bold'>
+Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+</div>
+
+<div style='display:block; margin:1em 0'>
+Project Gutenberg&#8482; depends upon and cannot survive without widespread
+public support and donations to carry out its mission of
+increasing the number of public domain and licensed works that can be
+freely distributed in machine-readable form accessible by the widest
+array of equipment including outdated equipment. Many small donations
+($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
+status with the IRS.
+</div>
+
+<div style='display:block; margin:1em 0'>
+The Foundation is committed to complying with the laws regulating
+charities and charitable donations in all 50 states of the United
+States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
+considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
+with these requirements. We do not solicit donations in locations
+where we have not received written confirmation of compliance. To SEND
+DONATIONS or determine the status of compliance for any particular state
+visit <a href="https://www.gutenberg.org/donate/">www.gutenberg.org/donate</a>.
+</div>
+
+<div style='display:block; margin:1em 0'>
+While we cannot and do not solicit contributions from states where we
+have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
+against accepting unsolicited donations from donors in such states who
+approach us with offers to donate.
+</div>
+
+<div style='display:block; margin:1em 0'>
+International donations are gratefully accepted, but we cannot make
+any statements concerning tax treatment of donations received from
+outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
+</div>
+
+<div style='display:block; margin:1em 0'>
+Please check the Project Gutenberg web pages for current donation
+methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
+ways including checks, online payments and credit card donations. To
+donate, please visit: www.gutenberg.org/donate.
+</div>
+
+<div style='display:block; font-size:1.1em; margin:1em 0; font-weight:bold'>
+Section 5. General Information About Project Gutenberg&#8482; electronic works
+</div>
+
+<div style='display:block; margin:1em 0'>
+Professor Michael S. Hart was the originator of the Project
+Gutenberg&#8482; concept of a library of electronic works that could be
+freely shared with anyone. For forty years, he produced and
+distributed Project Gutenberg&#8482; eBooks with only a loose network of
+volunteer support.
+</div>
+
+<div style='display:block; margin:1em 0'>
+Project Gutenberg&#8482; eBooks are often created from several printed
+editions, all of which are confirmed as not protected by copyright in
+the U.S. unless a copyright notice is included. Thus, we do not
+necessarily keep eBooks in compliance with any particular paper
+edition.
+</div>
+
+<div style='display:block; margin:1em 0'>
+Most people start at our website which has the main PG search
+facility: <a href="https://www.gutenberg.org">www.gutenberg.org</a>.
+</div>
+
+<div style='display:block; margin:1em 0'>
+This website includes information about Project Gutenberg&#8482;,
+including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
+Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
+subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.
+</div>
+
+</div>
+
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+This eBook, including all associated images, markup, improvements,
+metadata, and any other content or labor, has been confirmed to be
+in the PUBLIC DOMAIN IN THE UNITED STATES.
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+Procedures for determining public domain status are described in
+the "Copyright How-To" at https://www.gutenberg.org.
+
+No investigation has been made concerning possible copyrights in
+jurisdictions other than the United States. Anyone seeking to utilize
+this eBook outside of the United States should confirm copyright
+status under the laws that apply to them.
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@@ -0,0 +1,2 @@
+Project Gutenberg (https://www.gutenberg.org) public repository for
+eBook #16240 (https://www.gutenberg.org/ebooks/16240)
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--- /dev/null
+++ b/old/16240-8.txt
@@ -0,0 +1,1674 @@
+The Project Gutenberg EBook of La Vnus d'Ille, by Prosper Mrime
+
+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
+re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
+with this eBook or online at www.gutenberg.org
+
+
+Title: La Vnus d'Ille
+
+Author: Prosper Mrime
+
+Release Date: July 7, 2005 [EBook #16240]
+
+Language: French
+
+Character set encoding: ISO-8859-1
+
+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LA VNUS D'ILLE ***
+
+
+
+
+Produced by Ebooks libres et gratuits; this text is also
+available at http://www.ebooksgratuits.com
+
+
+
+
+
+
+
+Prosper Mrime
+
+
+
+LA VNUS D'ILLE
+
+
+
+(1837)
+
+
+
+
+Je descendais le dernier coteau du Canigou, et, bien que le soleil
+ft dj couch, je distinguais dans la plaine les maisons de la
+petite ville d'Ille, vers laquelle je me dirigeais.
+
+Vous savez, dis-je au Catalan qui me servait de guide depuis la
+veille, vous savez sans doute o demeure M. de Peyrehorade?
+
+-- Si je le sais! s'cria-t-il, je connais sa maison comme la
+mienne; et s'il ne faisait pas si noir, je vous la montrerais.
+C'est la plus belle d'Ille. Il a de l'argent, oui,
+M. de Peyrehorade; et il marie son fils plus riche que lui
+encore.
+
+-- Et ce mariage se fera-t-il bientt? lui demandai-je.
+
+-- Bientt! il se peut que dj les violons soient commands pour
+la noce. Ce soir, peut-tre, demain, aprs-demain, que sais-je!
+C'est Puygarrig que a se fera; car c'est mademoiselle de
+Puygarrig que monsieur le fils pouse. Ce sera beau, oui!
+
+J'tais recommand M. de Peyrehorade par mon ami M. de P.
+C'tait, m'avait-il dit, un antiquaire fort instruit et d'une
+complaisance toute preuve. Il se ferait un plaisir de me
+montrer toutes les ruines dix lieues la ronde. Or je comptais
+sur lui pour visiter les environs d'Ille, que je savais riches en
+monuments antiques et du Moyen ge. Ce mariage, dont on me parlait
+alors pour la premire fois, drangeait tous mes plans.
+
+Je vais tre un trouble-fte, me dis-je. Mais j'tais attendu;
+annonc par M. de P., il fallait bien me prsenter.
+
+Gageons, monsieur, me dit mon guide, comme nous tions dj dans
+la plaine, gageons un cigare que je devine ce que vous allez faire
+chez M. de Peyrehorade?
+
+-- Mais, rpondis-je en lui tendant un cigare, cela n'est pas bien
+difficile deviner. l'heure qu'il est, quand on a fait six
+lieues dans le Canigou, la grande affaire, c'est de souper.
+
+-- Oui, mais demain?... Tenez, je parierais que vous venez Ille
+pour voir l'idole? j'ai devin cela vous voir tirer en portrait
+les saints de Serrabona.
+
+-- L'idole! quelle idole? Ce mot avait excit ma curiosit.
+
+Comment! on ne vous a pas cont, Perpignan, comment
+M. de Peyrehorade avait trouv une idole en terre?
+
+-- Vous voulez dire une statue en terre cuite, en argile?
+
+-- Non pas. Oui, bien en cuivre, et il y en a de quoi faire des
+gros sous. Elle vous pse autant qu'une cloche d'glise. C'est
+bien avant dans la terre, au pied d'un olivier, que nous l'avons
+eue.
+
+-- Vous tiez donc prsent la dcouverte?
+
+-- Oui, monsieur. M. de Peyrehorade nous dit, il y a quinze jours,
+ Jean Coll et moi, de draciner un vieil olivier qui tait gel
+de l'anne dernire, car elle a t bien mauvaise, comme vous
+savez. Voil donc qu'en travaillant Jean Coll qui y allait de tout
+coeur, il donne un coup de pioche, et j'entends bimm... comme s'il
+avait tap sur une cloche. Qu'est-ce que c'est? que je dis. Nous
+piochons toujours, nous piochons, et voil qu'il parat une main
+noire, qui semblait la main d'un mort qui sortait de terre. Moi,
+la peur me prend. Je m'en vais monsieur, et je lui dis: -- Des
+morts, notre matre, qui sont sous l'olivier! Faut appeler le
+cur. -- Quels morts? qu'il me dit. Il vient, et il n'a pas plutt
+vu la main qu'il s'crie: -- Un antique! un antique! -- Vous
+auriez cru qu'il avait trouv un trsor. Et le voil, avec la
+pioche, avec les mains, qui se dmne et qui faisait quasiment
+autant d'ouvrage que nous deux.
+
+-- Et enfin que trouvtes-vous?
+
+-- Une grande femme noire plus qu' moiti nue, rvrence parler,
+monsieur, toute en cuivre, et M. de Peyrehorade nous a dit que
+c'tait une idole du temps des paens... du temps de Charlemagne,
+quoi!
+
+-- Je vois ce que c'est... Quelque bonne Vierge en bronze d'un
+couvent dtruit.
+
+-- Une bonne Vierge! ah bien oui!... Je l'aurais bien reconnue, si
+'avait t une bonne Vierge. C'est une idole, vous dis-je; on le
+voit bien son air. Elle vous fixe avec ses grands yeux blancs...
+On dirait qu'elle vous dvisage. On baisse les yeux, oui, en la
+regardant.
+
+-- Des yeux blancs? Sans doute ils sont incrusts dans le bronze.
+Ce sera peut-tre quelque statue romaine.
+
+-- Romaine! c'est cela. M. de Peyrehorade dit que c'est une
+Romaine. Ah! je vois bien que vous tes un savant comme lui.
+
+-- Est-elle entire, bien conserve?
+
+-- Oh! monsieur, il ne lui manque rien. C'est encore plus beau et
+mieux fini que le buste de Louis-Philippe, qui est la mairie, en
+pltre peint. Mais avec tout cela, la figure de cette idole ne me
+revient pas. Elle a l'air mchante... et elle l'est aussi.
+
+-- Mchante! Quelle mchancet vous a-t-elle faite?
+
+-- Pas moi prcisment; mais vous allez voir. Nous nous tions
+mis quatre pour la dresser debout, et M. de Peyrehorade, qui lui
+aussi tirait la corde, bien qu'il n'ait gure plus de force
+qu'un poulet, le digne homme! Avec bien de la peine nous la
+mettons droite. J'amassais un tuileau pour la caler, quand,
+patatras! la voil qui tombe la renverse tout d'une masse. Je
+dis: Gare dessous! Pas assez vite pourtant, car Jean Coll n'a pas
+eu le temps de tirer sa jambe...
+
+-- Et il a t bless?
+
+-- Casse net comme un chalas, sa pauvre jambe! Pcare! quand
+j'ai vu cela, moi, j'tais furieux. Je voulais dfoncer l'idole
+coups de pioche, mais M. de Peyrehorade m'a retenu. Il a donn de
+l'argent Jean Coll, qui tout de mme est encore au lit depuis
+quinze jours que cela lui est arriv, et le mdecin dit qu'il ne
+marchera jamais de cette jambe-l comme de l'autre. C'est dommage,
+lui qui tait notre meilleur coureur et, aprs monsieur le fils,
+le plus malin joueur de paume. C'est que M. Alphonse de
+Peyrehorade en a t triste, car c'est Coll qui faisait sa partie.
+Voil qui tait beau voir comme ils se renvoyaient les balles.
+Paf! paf! Jamais elles ne touchaient terre.
+
+Devisant de la sorte, nous entrmes Ille, et je me trouvai
+bientt en prsence de M. de Peyrehorade. C'tait un petit
+vieillard vert encore et dispos, poudr, le nez rouge, l'air
+jovial et goguenard. Avant d'avoir ouvert la lettre de M. de P.,
+il m'avait install devant une table bien servie, et m'avait
+prsent sa femme et son fils comme un archologue illustre,
+qui devait tirer le Roussillon de l'oubli o le laissait
+l'indiffrence des savants.
+
+Tout en mangeant de bon apptit, car rien ne dispose mieux que
+l'air vif des montagnes, j'examinais mes htes. J'ai dit un mot de
+M. de Peyrehorade; je dois ajouter que c'tait la vivacit mme.
+Il parlait, mangeait, se levait, courait sa bibliothque,
+m'apportait des livres, me montrait des estampes, me versait
+boire; il n'tait jamais deux minutes en repos. Sa femme, un peu
+trop grasse, comme la plupart des Catalanes lorsqu'elles ont pass
+quarante ans, me parut une provinciale renforce, uniquement oc-
+cupe des soins de son mnage. Bien que le souper ft suffisant
+pour six personnes au moins, elle courut la cuisine, fit tuer
+des pigeons, frire des miliasses, ouvrit je ne sais combien de
+pots de confitures. En un instant la table fut encombre de plats
+et de bouteilles, et je serais certainement mort d'indigestion si
+j'avais got seulement tout ce qu'on m'offrait. Cependant,
+chaque plat que je refusais, c'taient de nouvelles excuses. On
+craignait que je ne me trouvasse bien mal Ille. Dans la province
+on a peu de ressources, et les Parisiens sont si difficiles!
+
+Au milieu des alles et venues de ses parents, M. Alphonse de
+Peyrehorade ne bougeait pas plus qu'un Terme. C'tait un grand
+jeune homme de vingt-six ans, d'une physionomie belle et
+rgulire, mais manquant d'expression. Sa taille et ses formes
+athltiques justifiaient bien la rputation d'infatigable joueur
+de paume qu'on lui faisait dans le pays. Il tait ce soir-l
+habill avec lgance, exactement d'aprs la gravure du dernier
+numro du Journal des modes. Mais il me semblait gn dans ses
+vtements; il tait roide comme un piquet dans son col de velours,
+et ne se tournait que tout d'une pice. Ses mains grosses et
+hles, ses ongles courts, contrastaient singulirement avec son
+costume. C'taient des mains de laboureur sortant des manches d'un
+dandy. D'ailleurs, bien qu'il me considrt de la tte aux pieds
+fort curieusement, en ma qualit de Parisien, il ne m'adressa
+qu'une seule fois la parole dans toute la soire, ce fut pour me
+demander o j'avais achet la chane de ma montre.
+
+Ah ! mon cher hte, me dit M. de Peyrehorade, le souper tirant
+ sa fin, vous m'appartenez, vous tes chez moi. Je ne vous lche
+plus, sinon quand vous aurez vu tout ce que nous avons de curieux
+dans nos montagnes. Il faut que vous appreniez connatre notre
+Roussillon, et que vous lui rendiez justice. Vous ne vous doutez
+pas de tout ce que nous allons vous montrer. Monuments phniciens,
+celtiques, romains, arabes, byzantins, vous verrez tout, depuis le
+cdre jusqu' l'hysope. Je vous mnerai partout et ne vous ferai
+pas grce d'une brique.
+
+Un accs de toux l'obligea de s'arrter. J'en profitai pour lui
+dire que je serais dsol de le dranger dans une circonstance
+aussi intressante pour sa famille. S'il voulait bien me donner
+ses excellents conseils sur les excursions que j'aurais faire,
+je pourrais, sans qu'il prt la peine de m'accompagner...
+
+Ah! vous voulez parler du mariage de ce garon-l, s'cria-t-il
+en m'interrompant. Bagatelle! ce sera fait aprs-demain. Vous
+ferez la noce avec nous, en famille, car la future est en deuil
+d'une tante dont elle hrite. Ainsi point de fte, point de bal...
+C'est dommage... vous auriez vu danser nos Catalanes... Elles sont
+jolies, et peut-tre l'envie vous aurait-elle pris d'imiter mon
+Alphonse. Un mariage, dit-on, en amne d'autres... Samedi, les
+jeunes gens maris, je suis libre, et nous nous mettons en course.
+Je vous demande pardon de vous donner l'ennui d'une noce de
+province. Pour un Parisien blas sur les ftes... et une noce sans
+bal encore! Pourtant, vous verrez une marie... une marie... vous
+m'en direz des nouvelles... Mais vous tes un homme grave et vous
+ne regardez plus les femmes. J'ai mieux que cela vous montrer.
+Je vous ferai voir quelque chose!... Je vous rserve une fire
+surprise pour demain.
+
+-- Mon Dieu! lui dis-je, il est difficile d'avoir un trsor dans
+sa maison sans que le public en soit instruit. Je crois deviner la
+surprise que vous me prparez. Mais si c'est de votre statue qu'il
+s'agit, la description que mon guide m'en a faite n'a servi qu'
+exciter ma curiosit et me disposer l'admiration.
+
+-- Ah! il vous a parl de l'idole, car c'est ainsi qu'ils
+appellent ma belle Vnus Tur... mais je ne veux rien vous dire.
+Demain, au grand jour, vous la verrez, et vous me direz si j'ai
+raison de la croire un chef-d'oeuvre. Parbleu! vous ne pouviez
+arriver plus propos! Il y a des inscriptions que moi, pauvre
+ignorant, j'explique ma manire... mais un savant de Paris!...
+Vous vous moquerez peut-tre de mon interprtation... car j'ai
+fait un mmoire... moi qui vous parle... vieil antiquaire de
+province, je me suis lanc... Je veux faire gmir la presse... Si
+vous vouliez bien me lire et me corriger, je pourrais esprer...
+Par exemple, je suis bien curieux de savoir comment vous traduirez
+cette inscription sur le socle: CAVE... Mais je ne veux rien vous
+demander encore! demain, demain! Pas un mot sur la Vnus
+aujourd'hui!
+
+-- Tu as raison, Peyrehorade, dit sa femme, de laisser l ton
+idole. Tu devrais voir que tu empches monsieur de manger. Va,
+monsieur a vu Paris de bien plus belles statues que la tienne.
+Aux Tuileries, il y en a des douzaines, et en bronze aussi.
+
+-- Voil bien l'ignorance, la sainte ignorance de la province!
+interrompit M. de Peyrehorade. Comparer un antique admirable aux
+plates figures de Coustou!
+
+Comme avec irrvrence
+Parle des dieux ma mnagre!
+
+Savez-vous que ma femme voulait que je fondisse ma statue pour en
+faire une cloche notre glise. C'est qu'elle en et t la
+marraine. Un chef-d'oeuvre de Myron, monsieur!
+
+-- Chef-d'oeuvre! chef-d'oeuvre! un beau chef-d'oeuvre qu'elle a
+fait! casser la jambe d'un homme!
+
+-- Ma femme, vois-tu? dit M. de Peyrehorade d'un ton rsolu, et
+tendant vers elle sa jambe droite dans un bas de soie chine, si
+ma Vnus m'avait cass cette jambe-l, je ne la regretterais pas.
+
+-- Bon Dieu! Peyrehorade, comment peux-tu dire cela! Heureusement
+que l'homme va mieux... Et encore je ne peux pas prendre sur moi
+de regarder la statue qui fait des malheurs comme celui-l. Pauvre
+Jean Coll!
+
+-- Bless par Vnus, monsieur, dit M. de Peyrehorade riant d'un
+gros rire, bless par Vnus, le maraud se plaint.
+
+Veneris nec praemia noris.
+
+Qui n'a t bless par Vnus?
+
+M. Alphonse, qui comprenait le franais mieux que le latin, cligna
+de l'oeil d'un air d'intelligence, et me regarda comme pour me
+demander: Et vous, Parisien, comprenez-vous?
+
+Le souper finit. Il y avait une heure que je ne mangeais plus.
+J'tais fatigu, et je ne pouvais parvenir cacher les frquents
+billements qui m'chappaient. Madame de Peyrehorade s'en aperut
+la premire, et remarqua qu'il tait temps d'aller dormir. Alors
+commencrent de nouvelles excuses sur le mauvais gte que j'allais
+avoir. Je ne serais pas comme Paris. En province on est si mal!
+Il fallait de l'indulgence pour les Roussillonnais. J'avais beau
+protester qu'aprs une course dans les montagnes une botte de
+paille me serait un coucher dlicieux, on me priait toujours de
+pardonner de pauvres campagnards s'ils ne me traitaient aussi
+bien qu'ils l'eussent dsir. Je montai enfin la chambre qui
+m'tait destine, accompagn de M. de Peyrehorade. L'escalier,
+dont les marches suprieures taient en bois, aboutissait au
+milieu d'un corridor, sur lequel donnaient plusieurs chambres.
+
+ droite, me dit mon hte, c'est l'appartement que je destine
+la future madame Alphonse. Votre chambre est au bout du corridor
+oppos. Vous sentez bien, ajouta-t-il d'un air qu'il voulait
+rendre fin, vous sentez bien qu'il faut isoler de nouveaux maris.
+Vous tes un bout de la maison, eux l'autre.
+
+Nous entrmes dans une chambre bien meuble, o le premier objet
+sur lequel je portai la vue fut un lit long de sept pieds, large
+de six, et si haut qu'il fallait un escabeau pour s'y guinder. Mon
+hte m'ayant indiqu la position de la sonnette, et s'tant assur
+par lui-mme que le sucrier tait plein, les flacons d'eau de
+Cologne dment placs sur la toilette, aprs m'avoir demand
+plusieurs fois si rien ne me manquait, me souhaita une bonne nuit
+et me laissa seul.
+
+Les fentres taient fermes. Avant de me dshabiller, j'en ouvris
+une pour respirer l'air frais de la nuit, dlicieux aprs un long
+souper. En face tait le Canigou, d'un aspect admirable en tout
+temps, mais qui me parut ce soir-l la plus belle montagne du
+monde, clair qu'il tait par une lune resplendissante. Je
+demeurai quelques minutes contempler sa silhouette merveilleuse,
+et j'allais fermer ma fentre, lorsque, baissant les yeux,
+j'aperus la statue sur un pidestal une vingtaine de toises de
+la maison. Elle tait place l'angle d'une haie vive qui
+sparait un petit jardin d'un vaste carr parfaitement uni, qui,
+je l'appris plus tard, tait le jeu de paume de la ville. Ce
+terrain, proprit de M. de Peyrehorade, avait t cd par lui
+la commune, sur les pressantes sollicitations de son fils.
+
+ la distance o j'tais, il m'tait difficile de distinguer
+l'attitude de la statue; je ne pouvais juger que de sa hauteur,
+qui me parut de six pieds environ. En ce moment, deux polissons de
+la ville passaient sur le jeu de paume, assez prs de la haie,
+sifflant le joli air du Roussillon: Montagnes rgalades. Ils
+s'arrtrent pour regarder la statue; un d'eux l'apostropha mme
+haute voix. Il parlait catalan; mais j'tais dans le Roussillon
+depuis assez longtemps pour pouvoir comprendre peu prs ce qu'il
+disait.
+
+Te voil donc, coquine! (Le terme catalan tait plus nergique.)
+Te voil! disait-il. C'est donc toi qui as cass la jambe Jean
+Coll! Si tu tais moi, je te casserais le cou.
+
+-- Bah! avec quoi? dit l'autre. Elle est de cuivre, et si dure
+qu'tienne a cass sa lime dessus, essayant de l'entamer. C'est du
+cuivre du temps des paens; c'est plus dur que je ne sais quoi.
+
+-- Si j'avais mon ciseau froid (il parat que c'tait un
+apprenti serrurier), je lui ferais bientt sauter ses grands yeux
+blancs, comme je tirerais une amande de sa coquille. Il y a pour
+plus de cent sous d'argent.
+
+Ils firent quelques pas en s'loignant.
+
+Il faut que je souhaite le bonsoir l'idole, dit le plus grand
+des apprentis, s'arrtant tout coup.
+
+Il se baissa, et probablement ramassa une pierre. Je le vis
+dployer le bras, lancer quelque chose, et aussitt un coup sonore
+retentit sur le bronze. Au mme instant l'apprenti porta la main
+sa tte en poussant un cri de douleur.
+
+Elle me l'a rejete! s'cria-t-il.
+
+Et mes deux polissons prirent la fuite toutes jambes. Il tait
+vident que la pierre avait rebondi sur le mtal, et avait puni ce
+drle de l'outrage qu'il faisait la desse.
+
+Je fermai la fentre en riant de bon coeur.
+
+Encore un Vandale puni par Vnus! Puissent tous les destructeurs
+de nos vieux monuments avoir ainsi la tte casse! Sur ce souhait
+charitable, je m'endormis.
+
+Il tait grand jour quand je me rveillai. Auprs de mon lit
+taient d'un ct, M. de Peyrehorade, en robe de chambre; de
+l'autre, un domestique envoy par sa femme, une tasse de chocolat
+ la main.
+
+Allons, debout, Parisien! Voil bien mes paresseux de la
+capitale! disait mon hte pendant que je m'habillais la hte. Il
+est huit heures, et encore au lit! je suis lev, moi, depuis six
+heures. Voil trois fois que je monte; je me suis approch de
+votre porte sur la pointe du pied: personne, nul signe de vie.
+Cela vous fera mal de trop dormir votre ge. Et ma Vnus que
+vous n'avez pas encore vue! Allons, prenez-moi vite cette tasse de
+chocolat de Barcelone... Vraie contrebande... Du chocolat comme on
+n'en a pas Paris. Prenez des forces, car lorsque vous serez
+devant ma Vnus, on ne pourra plus vous en arracher.
+
+En cinq minutes je fus prt, c'est--dire moiti ras, mal
+boutonn, et brl par le chocolat que j'avalai bouillant. Je
+descendis dans le jardin, et me trouvai devant une admirable
+statue.
+
+C'tait bien une Vnus, et d'une merveilleuse beaut. Elle avait
+le haut du corps nu, comme les Anciens reprsentaient d'ordinaire
+les grandes divinits; la main droite, leve la hauteur du sein,
+tait tourne, la paume en dedans, le pouce et les deux premiers
+doigts tendus, les deux autres lgrement ploys. L'autre main,
+rapproche de la hanche, soutenait la draperie qui couvrait la
+partie infrieure du corps. L'attitude de cette statue rappelait
+celle du Joueur de mourre qu'on dsigne, je ne sais trop pourquoi,
+sous le nom de Germanicus. Peut-tre avait-on voulu reprsenter la
+desse jouant au jeu de mourre.
+
+Quoi qu'il en soit, il est impossible de voir quelque chose de
+plus parfait que le corps de cette Vnus; rien de plus suave, de
+plus voluptueux que ses contours; rien de plus lgant et de plus
+noble que sa draperie. Je m'attendais quelque ouvrage du Bas-
+Empire; je voyais un chef-d'oeuvre du meilleur temps de la
+statuaire. Ce qui me frappait surtout, c'tait l'exquise vrit
+des formes, en sorte qu'on aurait pu les croire moules sur
+nature, si la nature produisait d'aussi parfaits modles.
+
+La chevelure, releve sur le front, paraissait avoir t dore
+autrefois. La tte, petite comme celle de presque toutes les
+statues grecques, tait lgrement incline en avant. Quant la
+figure, jamais je ne parviendrai exprimer son caractre trange,
+et dont le type ne se rapprochait de celui d'aucune statue antique
+dont il me souvienne. Ce n'tait point cette beaut calme et
+svre des sculpteurs grecs, qui, par systme, donnaient tous
+les traits une majestueuse immobilit. Ici, au contraire,
+j'observais avec surprise l'intention marque de l'artiste de
+rendre la malice arrivant jusqu' la mchancet. Tous les traits
+taient contracts lgrement: les yeux un peu obliques, la bouche
+releve des coins, les narines quelque peu gonfles. Ddain,
+ironie, cruaut, se lisaient sur ce visage d'une incroyable beaut
+cependant. En vrit, plus on regardait cette admirable statue, et
+plus on prouvait le sentiment pnible qu'une si merveilleuse
+beaut pt s'allier l'absence de toute sensibilit.
+
+Si le modle a jamais exist, dis-je M. de Peyrehorade, et je
+doute que le ciel ait jamais produit une telle femme, que je
+plains ses amants! Elle a d se complaire les faire mourir de
+dsespoir. Il y a dans son expression quelque chose de froce, et
+pourtant je n'ai jamais vu rien de si beau.
+
+-- C'est Vnus tout entire sa proie attache!
+s'cria M. de Peyrehorade, satisfait de mon enthousiasme.
+
+Cette expression d'ironie infernale tait augmente peut-tre par
+le contraste de ses yeux incrusts d'argent et trs brillants avec
+la patine d'un vert noirtre que le temps avait donne toute la
+statue. Ces yeux brillants produisaient une certaine illusion qui
+rappelait la ralit, la vie. Je me souvins de ce que m'avait dit
+mon guide, qu'elle faisait baisser les yeux ceux qui la
+regardaient. Cela tait presque vrai, et je ne pus me dfendre
+d'un mouvement de colre contre moi-mme en me sentant un peu mal
+ mon aise devant cette figure de bronze.
+
+Maintenant que vous avez tout admir en dtail, mon cher collgue
+en antiquaillerie, dit mon hte, ouvrons, s'il vous plat, une
+confrence scientifique. Que dites-vous de cette inscription,
+laquelle vous n'avez point pris garde encore?
+
+Il me montrait le socle de la statue, et j'y lus ces mots:
+
+CAVE AMANTEM.
+
+Quid dicis, doctissime? me demanda-t-il en se frottant les mains.
+Voyons si nous nous rencontrerons sur le sens de ce cave amantem!
+
+-- Mais, rpondis-je, il y a deux sens. On peut traduire: Prends
+garde celui qui t'aime, dfie-toi des amants. Mais, dans ce
+sens, je ne sais si cave amantem serait d'une bonne latinit. En
+voyant l'expression diabolique de la dame, je croirais plutt que
+l'artiste a voulu mettre en garde le spectateur contre cette
+terrible beaut. Je traduirais donc: Prends garde toi si elle
+t'aime.
+
+-- Humph! dit M. de Peyrehorade, oui, c'est un sens admirable;
+mais, ne vous en dplaise, je prfre la premire traduction, que
+je dvelopperai pourtant. Vous connaissez l'amant de Vnus?
+
+-- Il y en a plusieurs.
+
+-- Oui; mais le premier, c'est Vulcain. N'a-t-on pas voulu dire:
+Malgr toute ta beaut, ton air ddaigneux, tu auras un forgeron,
+un vilain boiteux pour amant! Leon profonde, monsieur, pour les
+coquettes!
+
+Je ne pus m'empcher de sourire, tant l'explication me parut tire
+par les cheveux.
+
+C'est une terrible langue que le latin avec sa concision,
+observai-je pour viter de contredire formellement mon antiquaire,
+et je reculai de quelques pas afin de mieux contempler la statue.
+
+-- Un instant, collgue! dit M. de Peyrehorade en m'arrtant par
+le bras, vous n'avez pas tout vu. Il y a encore une autre inscrip-
+tion. Montez sur le socle et regardez au bras droit.
+
+En parlant ainsi il m'aidait monter.
+
+Je m'accrochai sans trop de faons au cou de la Vnus, avec
+laquelle je commenais me familiariser. Je la regardai mme un
+instant sous le nez, et la trouvai de prs encore plus mchante et
+encore plus belle. Puis je reconnus qu'il y avait, gravs sur le
+bras, quelques caractres d'criture cursive antique, ce qu'il
+me sembla. grand renfort de besicles j'pelai ce qui suit, et
+cependant M. de Peyrehorade rptait chaque mot mesure que je le
+prononais, approuvant du geste et de la voix. Je lus donc:
+
+VENERI TVRBVL... EVTYCHES MYRO IMPERIO FECIT.
+
+Aprs ce mot TVRBVL de la premire ligne, il me sembla qu'il y
+avait quelques lettres effaces; mais TVRBVL tait parfaitement
+lisible.
+
+Ce qui veut dire?... me demanda mon hte radieux et souriant
+avec malice, car il pensait bien que je ne me tirerais pas faci-
+lement de ce TVRBVL.
+
+Il y a un mot que je ne m'explique pas encore, lui dis-je; tout
+le reste est facile. Eutychs Myron a fait cette offrande Vnus
+par son ordre.
+
+-- merveille. Mais TVRBVL, qu'en faites-vous? Qu'est-ce que
+TVRBVL?
+
+-- TVRBVL m'embarrasse fort. Je cherche en vain quelque pithte
+connue de Vnus qui puisse m'aider. Voyons, que diriez-vous de
+TVRBVLENTA? Vnus qui trouble, qui agite... Vous vous apercevez
+que je suis toujours proccup de son expression mchante.
+TVRBVLENTA, ce n'est point une trop mauvaise pithte pour Vnus,
+ajoutai-je d'un ton modeste, car je n'tais pas moi-mme fort
+satisfait de mon explication.
+
+Vnus turbulente! Vnus la tapageuse! Ah! vous croyez donc que ma
+Vnus est une Vnus de cabaret? Point du tout, monsieur; c'est une
+Vnus de bonne compagnie. Mais je vais vous expliquer ce TVRBVL...
+Au moins vous me promettez de ne point divulguer ma dcouverte
+avant l'impression de mon mmoire. C'est que, voyez-vous, je m'en
+fais gloire, de cette trouvaille-l... Il faut bien que vous nous
+laissiez quelques pis glaner, nous autres pauvres diables de
+provinciaux. Vous tes si riches, messieurs les savants de Paris!
+
+Du haut du pidestal, o j'tais toujours perch, je lui promis
+solennellement que je n'aurais jamais l'indignit de lui voler sa
+dcouverte.
+
+TVRBVL..., monsieur, dit-il en se rapprochant et baissant la voix
+de peur qu'un autre que moi ne pt l'entendre, lisez TVRBVLNERAE.
+
+-- Je ne comprends pas davantage.
+
+-- coutez bien. une lieue d'ici, au pied de la montagne, il y a
+un village qui s'appelle Boulternre. C'est une corruption du mot
+latin TVRBVLNERA. Rien de plus commun que ces inversions.
+Boulternre, monsieur, a t une ville romaine. Je m'en tais
+toujours dout, mais jamais je n'en avais eu la preuve. La preuve,
+la voil. Cette Vnus tait la divinit topique de la cit de
+Boulternre; et ce mot de Boulternre, que je viens de dmontrer
+d'origine antique, prouve une chose bien plus curieuse, c'est que
+Boulternre, avant d'tre une ville romaine, a t une ville
+phnicienne!
+
+Il s'arrta un moment pour respirer et jouir de ma surprise. Je
+parvins rprimer une forte envie de rire.
+
+En effet, poursuivit-il, TVRBVLNERA est pur phnicien, TVR,
+prononcez TOUR... TOUR et SOUR, mme mot, n'est-ce pas? SOUR est
+le nom phnicien de Tyr; je n'ai pas besoin de vous en rappeler le
+sens. BVL, c'est Baal; Bl, Bel, Bul, lgres diffrences de
+prononciation. Quant NERA, cela me donne un peu de peine. Je
+suis tent de croire, faute de trouver un mot phnicien, que cela
+vient du grec ?????, humide, marcageux. Ce serait donc un mot
+hybride. Pour justifier ?????, je vous montrerai Boulternre
+comment les ruisseaux de la montagne y forment des mares infectes.
+D'autre part, la terminaison NERA aurait pu tre ajoute beaucoup
+plus tard en l'honneur de Nera Pivesuvia, femme de Ttricus,
+laquelle aurait fait quelque bien la cit de Turbul. Mais,
+cause des mares, je prfre l'tymologie de ?????.
+
+Il prit une prise de tabac d'un air satisfait.
+
+Mais laissons les Phniciens, et revenons l'inscription. Je
+traduis donc: " Vnus de Boulternre Myron ddie par son ordre
+cette statue, son ouvrage."
+
+Je me gardai bien de critiquer son tymologie, mais je voulus
+mon tour faire preuve de pntration, et je lui dis:
+
+Halte-l, monsieur. Myron a consacr quelque chose, mais je ne
+vois nullement que ce soit cette statue.
+
+-- Comment! s'cria-t-il, Myron n'tait-il pas un fameux sculpteur
+grec? Le talent se sera perptu dans sa famille: c'est un de ses
+descendants qui aura fait cette statue. Il n'y a rien de plus sr.
+
+-- Mais, rpliquai-je, je vois sur le bras un petit trou. Je pense
+qu'il a servi fixer quelque chose, un bracelet, par exemple, que
+ce Myron donna Vnus en offrande expiatoire. Myron tait un
+amant malheureux. Vnus tait irrite contre lui: il l'apaisa en
+lui consacrant un bracelet d'or. Remarquez que fecit se prend fort
+souvent pour consecravit. Cc sont termes synonymes. Je vous en
+montrerais plus d'un exemple si j'avais sous la main Gruter ou
+bien Orelli. Il est naturel qu'un amoureux voie Vnus en rve,
+qu'il s'imagine qu'elle lui commande de donner un bracelet d'or
+sa statue. Myron lui consacra un bracelet... Puis les barbares ou
+bien quelque voleur sacrilge...
+
+-- Ah! qu'on voit bien que vous avez fait des romans! s'cria mon
+hte en me donnant la main pour descendre. Non, monsieur, c'est un
+ouvrage de l'cole de Myron. Regardez seulement le travail, et
+vous en conviendrez.
+
+M'tant fait une loi de ne jamais contredire outrance les
+antiquaires entts, je baissai la tte d'un air convaincu en
+disant:
+
+C'est un admirable morceau.
+
+-- Ah! mon Dieu, s'cria M. de Peyrehorade, encore un trait de
+vandalisme! On aura jet une pierre ma statue!
+
+Il venait d'apercevoir une marque blanche un peu au-dessus du sein
+de la Vnus. Je remarquai une trace semblable sur les doigts de la
+main droite, qui, je le supposai alors, avaient t touchs dans
+le trajet de la pierre, ou bien un fragment s'en tait dtach par
+le choc et avait ricoch sur la main. Je contai mon hte
+l'insulte dont j'avais t tmoin et la prompte punition qui s'en
+tait suivie. Il en rit beaucoup, et, comparant l'apprenti Dio-
+mde, il lui souhaita de voir, comme le hros grec, tous ses
+compagnons changs en oiseaux blancs.
+
+La cloche du djeuner interrompit cet entretien classique, et, de
+mme que la veille, je fus oblig de manger comme quatre. Puis
+vinrent des fermiers de M. de Peyrehorade; et pendant qu'il leur
+donnait audience, son fils me mena voir une calche qu'il avait
+achete Toulouse pour sa fiance, et que j'admirai, cela va sans
+dire. Ensuite j'entrai avec lui dans l'curie, o il me tint une
+demi-heure me vanter ses chevaux, me faire leur gnalogie,
+me conter les prix qu'ils avaient gagns aux courses du
+dpartement. Enfin il en vint me parler de sa future, par la
+transition d'une jument grise qu'il lui destinait.
+
+Nous la verrons aujourd'hui, dit-il. Je ne sais si vous la
+trouverez jolie. Vous tes difficiles, Paris; mais tout le
+monde, ici et Perpignan, la trouve charmante. Le bon, c'est
+qu'elle est fort riche. Sa tante de Prades lui a laiss son bien.
+Oh! je vais tre fort heureux.
+
+Je fus profondment choqu de voir un jeune homme paratre plus
+touch de la dot que des beaux yeux de sa future.
+
+Vous vous connaissez en bijoux, poursuivit M. Alphonse, comment
+trouvez-vous ceci? Voici l'anneau que je lui donnerai demain.
+
+En parlant ainsi, il tirait de la premire phalange de son petit
+doigt une grosse bague enrichie de diamants, et forme de deux
+mains entrelaces; allusion qui me parut infiniment potique. Le
+travail en tait ancien, mais je jugeai qu'on l'avait retouche
+pour enchsser les diamants. Dans l'intrieur de la bague se
+lisaient ces mots en lettres gothiques: Sempr'ab ti, c'est--dire,
+toujours avec toi.
+
+C'est une jolie bague, lui dis-je; mais ces diamants ajouts lui
+ont fait perdre un peu de son caractre.
+
+-- Oh! elle est bien plus belle comme cela, rpondit-il en
+souriant. Il y a l pour douze cents francs de diamants. C'est ma
+mre qui me l'a donne. C'tait une bague de famille, trs
+ancienne... du temps de la chevalerie. Elle avait servi ma
+grand-mre, qui la tenait de la sienne. Dieu sait quand cela a t
+fait.
+
+-- L'usage Paris, lui dis-je, est de donner un anneau tout
+simple, ordinairement compos de deux mtaux diffrents, comme de
+l'or et du platine. Tenez, cette autre bague, que vous avez ce
+doigt, serait fort convenable. Celle-ci, avec ses diamants et ses
+mains en relief, est si grosse, qu'on ne pourrait mettre un gant
+par-dessus.
+
+-- Oh! madame Alphonse s'arrangera comme elle voudra. Je crois
+qu'elle sera toujours bien contente de l'avoir. Douze cents francs
+au doigt, c'est agrable. Cette petite bague-l, ajouta-t-il en
+regardant d'un air de satisfaction l'anneau tout uni qu'il portait
+ la main, celle-l, c'est une femme Paris qui me l'a donne un
+jour de mardi gras. Ah! comme je m'en suis donn quand j'tais
+Paris, il y a deux ans! C'est l qu'on s'amuse!... Et il soupira
+de regret.
+
+Nous devions dner ce jour-l Puygarrig, chez les parents de la
+future; nous montmes en calche, et nous nous rendmes au chteau
+loign d'Ille d'environ une lieue et demie. Je fus prsent et
+accueilli comme l'ami de la famille. Je ne parlerai pas du dner
+ni de la conversation qui s'ensuivit, et laquelle je pris peu de
+part. M. Alphonse, plac ct de sa future, lui disait un mot
+l'oreille tous les quarts d'heure. Pour elle, elle ne levait gure
+les yeux, et, chaque fois que son prtendu lui parlait, elle
+rougissait avec modestie, mais lui rpondait sans embarras.
+
+Mademoiselle de Puygarrig avait dix-huit ans; sa taille souple et
+dlicate contrastait avec les formes osseuses de son robuste
+fianc. Elle tait non seulement belle, mais sduisante.
+J'admirais le naturel parfait de toutes ses rponses; et son air
+de bont, qui pourtant n'tait pas exempt d'une lgre teinte de
+malice, me rappela, malgr moi, la Vnus de mon hte. Dans cette
+comparaison que je fis en moi-mme, je me demandais si la
+supriorit de beaut qu'il fallait bien accorder la statue ne
+tenait pas, en grande partie, son expression de tigresse; car
+l'nergie, mme dans les mauvaises passions, excite toujours en
+nous un tonnement et une espce d'admiration involontaire.
+
+Quel dommage, me dis-je en quittant Puygarrig, qu'une si aimable
+personne soit riche, et que sa dot la fasse rechercher par un
+homme indigne d'elle!
+
+En revenant Ille, et ne sachant trop que dire madame de
+Peyrehorade, qui je croyais convenable d'adresser quelquefois la
+parole:
+
+Vous tes bien esprits forts en Roussillon! m'criai-je; comment,
+madame, vous faites un mariage un vendredi! Paris nous aurions
+plus de superstition; personne n'oserait prendre femme un tel
+jour.
+
+-- Mon Dieu! ne m'en parlez pas, me dit-elle, si cela n'avait
+dpendu que de moi, certes on et choisi un autre jour. Mais
+Peyrehorade l'a voulu, et il a fallu lui cder. Cela me fait de la
+peine pourtant. S'il arrivait quelque malheur? Il faut bien qu'il
+y ait une raison, car enfin pourquoi tout le monde a-t-il peur du
+vendredi?
+
+-- Vendredi! s'cria son mari, c'est le jour de Vnus! Bon jour
+pour un mariage! Vous le voyez, mon cher collgue, je ne pense
+qu' ma Vnus. D'honneur! c'est cause d'elle que j'ai choisi le
+vendredi. Demain, si vous voulez, avant la noce, nous lui ferons
+un petit sacrifice; nous sacrifierons deux palombes, et si je
+savais o trouver de l'encens...
+
+-- Fi donc, Peyrehorade! interrompit sa femme scandalise au
+dernier point. Encenser une idole! Ce serait une abomination! Que
+dirait-on de nous dans le pays?
+
+-- Au moins, dit M. de Peyrehorade, tu me permettras de lui mettre
+sur la tte une couronne de roses et de lis:
+
+Manibus date lilia plenis.
+
+Vous le voyez, monsieur, la charte est un vain mot. Nous n'avons
+pas la libert des cultes!
+
+Les arrangements du lendemain furent rgls de la manire
+suivante. Tout le monde devait tre prt et en toilette dix
+heures prcises. Le chocolat pris, on se rendrait en voiture
+Puygarrig. Le mariage civil devait se faire la mairie du
+village, et la crmonie religieuse dans la chapelle du chteau.
+Viendrait ensuite un djeuner. Aprs le djeuner on passerait le
+temps comme l'on pourrait jusqu' sept heures. sept heures, on
+retournerait Ille, chez M. de Peyrehorade, o devaient souper
+les deux familles runies. Le reste s'ensuit naturellement. Ne
+pouvant danser, on avait voulu manger le plus possible.
+
+Ds huit heures j'tais assis devant la Vnus, un crayon la
+main, recommenant pour la vingtime fois la tte de la statue,
+sans pouvoir parvenir en saisir l'expression. M. de Peyrehorade
+allait et venait autour de moi, me donnait des conseils, me
+rptait ses tymologies phniciennes; puis disposait des roses du
+Bengale sur le pidestal de la statue, et d'un ton tragi-comique
+lui adressait des voeux pour le couple qui allait vivre sous son
+toit. Vers neuf heures il rentra pour songer sa toilette, et en
+mme temps parut M. Alphonse, bien serr dans un habit neuf, en
+gants blancs, souliers vernis, boutons cisels, une rose la
+boutonnire.
+
+Vous ferez le portrait de ma femme? me dit-il en se penchant sur
+mon dessin. Elle est jolie aussi.
+
+En ce moment commenait, sur le jeu de paume dont j'ai parl, une
+partie qui, sur-le-champ, attira l'attention de M. Alphonse. Et
+moi, fatigu, et dsesprant de rendre cette diabolique figure, je
+quittai bientt mon dessin pour regarder les joueurs. Il y avait
+parmi eux quelques muletiers espagnols arrivs de la veille.
+C'taient des Aragonais et des Navarrois, presque tous d'une
+adresse merveilleuse. Aussi les Illois, bien qu'encourags par la
+prsence et les conseils de M. Alphonse, furent-ils assez
+promptement battus par ces nouveaux champions. Les spectateurs
+nationaux taient consterns. M. Alphonse regarda sa montre. Il
+n'tait encore que neuf heures et demie. Sa mre n'tait pas
+coiffe. Il n'hsita plus: il ta son habit, demanda une veste, et
+dfia les Espagnols. Je le regardais faire en souriant, et un peu
+surpris.
+
+Il faut soutenir l'honneur du pays, dit-il.
+
+Alors je le trouvai vraiment beau. Il tait passionn. Sa
+toilette, qui l'occupait si fort tout l'heure, n'tait plus rien
+pour lui. Quelques minutes avant il et craint de tourner la tte
+de peur de dranger sa cravate. Maintenant il ne pensait plus
+ses cheveux friss ni son jabot si bien pliss. Et sa
+fiance?... Ma foi, si cela et t ncessaire, il aurait, je
+crois, fait ajourner le mariage. Je le vis chausser la hte une
+paire de sandales, retrousser ses manches, et, d'un air assur, se
+mettre la tte du parti vaincu, comme Csar ralliant ses soldats
+ Dyrrachium. Je sautai la haie, et me plaai commodment
+l'ombre d'un micocoulier, de faon bien voir les deux camps.
+
+Contre l'attente gnrale, M. Alphonse manqua la premire balle;
+il est vrai qu'elle vint rasant la terre et lance avec une force
+surprenante par un Aragonais qui paraissait tre le chef des
+Espagnols.
+
+C'tait un homme d'une quarantaine d'annes, sec et nerveux, haut
+de six pieds, et sa peau olivtre avait une teinte presque aussi
+fonce que le bronze de la Vnus.
+
+M. Alphonse jeta sa raquette terre avec fureur. C'est cette
+maudite bague, s'cria-t-il, qui me serre le doigt, et me fait
+manquer une balle sre!
+
+Il ta, non sans peine, sa bague de diamants: je m'approchais pour
+la recevoir; mais il me prvint, courut la Vnus, lui passa la
+bague au doigt annulaire, et reprit son poste la tte des
+Illois. Il tait ple, mais calme et rsolu. Ds lors il ne fit
+plus une seule faute, et les Espagnols furent battus compltement.
+Ce fut un beau spectacle que l'enthousiasme des spectateurs: les
+uns poussaient mille cris de joie en jetant leurs bonnets en
+l'air; d'autres lui serraient les mains, l'appelant l'honneur du
+pays. S'il et repouss une invasion, je doute qu'il et reu des
+flicitations plus vives et plus sincres. Le chagrin des vaincus
+ajoutait encore l'clat de sa victoire.
+
+Nous ferons d'autres parties, mon brave, dit-il l'Aragonais
+d'un ton de supriorit; mais je vous rendrai des points.
+
+J'aurais dsir que M. Alphonse ft plus modeste, et je fus
+presque pein de l'humiliation de son rival.
+
+Le gant espagnol ressentit profondment cette insulte. Je le vis
+plir sous sa peau basane. Il regardait d'un air morne sa ra-
+quette en serrant les dents; puis, d'une voix touffe, il dit
+tout bas: Me lo pagars.
+
+La voix de M. de Peyrehorade troubla le triomphe de son fils; mon
+hte, fort tonn de ne point le trouver prsidant aux apprts de
+la calche neuve, le fut bien plus encore en le voyant tout en
+sueur, la raquette la main. M. Alphonse courut la maison, se
+lava la figure et les mains, remit son habit neuf et ses souliers
+vernis, et cinq minutes aprs nous tions au grand trot sur la
+route de Puygarrig. Tous les joueurs de paume de la ville et grand
+nombre de spectateurs nous suivirent avec des cris de joie.
+peine les chevaux vigoureux qui nous tranaient pouvaient-ils
+maintenir leur avance sur ces intrpides Catalans.
+
+Nous tions Puygarrig, et le cortge allait se mettre en marche
+pour la mairie, lorsque M. Alphonse, se frappant le front, me dit
+tout bas:
+
+Quelle brioche! J'ai oubli la bague! Elle est au doigt de la
+Vnus, que le diable puisse emporter! Ne le dites pas ma mre au
+moins. Peut-tre qu'elle ne s'apercevra de rien.
+
+-- Vous pourriez envoyer quelqu'un, lui dis-je.
+
+-- Bah! mon domestique est rest Ille. Ceux-ci, je ne m'y fie
+gure. Douze cents francs de diamants! cela pourrait en tenter
+plus d'un. D'ailleurs que penserait-on ici de ma distraction? Ils
+se moqueraient trop de moi. Ils m'appelleraient le mari de la
+statue... Pourvu qu'on ne me la vole pas! Heureusement que l'idole
+fait peur mes coquins. Ils n'osent l'approcher longueur de
+bras. Bah! ce n'est rien; j'ai une autre bague.
+
+Les deux crmonies civile et religieuse s'accomplirent avec la
+pompe convenable; et mademoiselle de Puygarrig reut l'anneau
+d'une modiste de Paris, sans se douter que son fianc lui faisait
+le sacrifice d'un gage amoureux. Puis on se mit table, o l'on
+but, mangea, chanta mme, le tout fort longuement. Je souffrais
+pour la marie de la grosse joie qui clatait autour d'elle;
+pourtant elle faisait meilleure contenance que je ne l'aurais
+espr, et son embarras n'tait ni de la gaucherie ni de
+l'affectation.
+
+Peut-tre le courage vient-il avec les situations difficiles.
+
+Le djeuner termin quand il plut Dieu, il tait quatre heures;
+les hommes allrent se promener dans le parc, qui tait
+magnifique, ou regardrent danser sur la pelouse du chteau les
+paysannes de Puygarrig, pares de leurs habits de fte. De la
+sorte, nous employmes quelques heures. Cependant les femmes
+taient fort empresses autour de la marie, qui leur faisait
+admirer sa corbeille. Puis elle changea de toilette, et je
+remarquai qu'elle couvrit ses beaux cheveux d'un bonnet et d'un
+chapeau plumes, car les femmes n'ont rien de plus press que de
+prendre, aussitt qu'elles le peuvent, les parures que l'usage
+leur dfend de porter quand elles sont encore demoiselles.
+
+Il tait prs de huit heures quand on se disposa partir pour
+Ille. Mais d'abord eut lieu une scne pathtique. La tante de
+mademoiselle de Puygarrig, qui lui servait de mre, femme trs
+ge et fort dvote, ne devait point aller avec nous la ville.
+Au dpart, elle fit sa nice un sermon touchant sur ses devoirs
+d'pouse, duquel sermon rsulta un torrent de larmes et des
+embrassements sans fin. M. de Peyrehorade comparait cette
+sparation l'enlvement des Sabines. Nous partmes pourtant, et,
+pendant la route, chacun s'vertua pour distraire la marie et la
+faire rire; mais ce fut en vain.
+
+ Ille, le souper nous attendait, et quel souper! Si la grosse
+joie du matin m'avait choqu, je le fus bien davantage des quivo-
+ques et des plaisanteries dont le mari et la marie surtout
+furent l'objet. Le mari, qui avait disparu un instant avant de se
+mettre table, tait ple et d'un srieux de glace. Il buvait
+chaque instant du vieux vin de Collioure presque aussi fort que de
+l'eau-de-vie. J'tais ct de lui, et me crus oblig de
+l'avertir:
+
+Prenez garde! on dit que le vin...
+
+Je ne sais quelle sottise je lui dis pour me mettre l'unisson
+des convives.
+
+Il me poussa le genou, et trs bas il me dit:
+
+Quand on se lvera de table..., que je puisse vous dire deux
+mots.
+
+Son ton solennel me surprit. Je le regardai plus attentivement, et
+je remarquai l'trange altration de ses traits.
+
+Vous sentez-vous indispos? lui demandai-je.
+
+-- Non.
+
+Et il se remit boire.
+
+Cependant, au milieu des cris et des battements de mains, un
+enfant de onze ans, qui s'tait gliss sous la table, montrait aux
+assistants un joli ruban blanc et rose qu'il venait de dtacher de
+la cheville de la marie. On appelle cela sa jarretire. Elle fut
+aussitt coupe par morceaux et distribue aux jeunes gens, qui en
+ornrent leur boutonnire, suivant un antique usage qui se
+conserve encore dans quelques familles patriarcales. Ce fut pour
+la marie une occasion de rougir jusqu'au blanc des yeux. Mais son
+trouble fut au comble lorsque M. de Peyrehorade, ayant rclam le
+silence, lui chanta quelques vers catalans, impromptus, disait-il.
+En voici le sens, si je l'ai bien compris:
+
+Qu'est-ce donc, mes amis? Le vin que j'ai bu me fait-il voir
+double? Il y a deux Vnus ici...
+
+Le mari tourna brusquement la tte d'un air effar, qui fit rire
+tout le monde.
+
+Oui, poursuivit M. de Peyrehorade, il y a deux Vnus sous mon
+toit. L'une, je l'ai trouve dans la terre comme une truffe;
+l'autre, descendue des cieux, vient de nous partager sa ceinture.
+
+Il voulait dire sa jarretire.
+
+Mon fils, choisis de la Vnus romaine ou de la catalane celle que
+tu prfres. Le maraud prend la catalane, et sa part est la
+meilleure. La romaine est noire, la catalane est blanche. La
+romaine est froide, la catalane enflamme tout ce qui l'approche.
+
+Cette chute excita un tel hourra, des applaudissements si bruyants
+et des rires si sonores, que je crus que le plafond allait nous
+tomber sur la tte. Autour de la table il n'y avait que trois
+visages srieux, ceux des maris et le mien. J'avais un grand mal
+de tte; et puis, je ne sais pourquoi, un mariage m'attriste
+toujours. Celui-l, en outre, me dgotait un peu.
+
+Les derniers couplets ayant t chants par l'adjoint du maire, et
+ils taient fort lestes, je dois le dire, on passa dans le salon
+pour jouir du dpart de la marie, qui devait tre bientt
+conduite sa chambre, car il tait prs de minuit.
+
+M. Alphonse me tira dans l'embrasure d'une fentre, et me dit en
+dtournant les yeux: Vous allez vous moquer de moi... Mais je ne
+sais ce que j'ai... je suis ensorcel! le diable m'emporte!
+
+La premire pense qui me vint fut qu'il se croyait menac de
+quelque malheur du genre de ceux dont parlent Montaigne et madame
+de Svign:
+
+Tout l'empire amoureux est plein d'histoires tragiques, etc. Je
+croyais que ces sortes d'accidents n'arrivaient qu'aux gens
+d'esprit, me dis-je moi-mme.
+
+Vous avez trop bu de vin de Collioure, mon cher monsieur
+Alphonse, lui dis-je. Je vous avais prvenu.
+
+-- Oui, peut-tre. Mais c'est quelque chose de bien plus
+terrible.
+
+Il avait la voix entrecoupe. Je le crus tout fait ivre.
+
+Vous savez bien mon anneau? poursuivit-il aprs un silence.
+
+-- Eh bien! on l'a pris?
+
+-- Non.
+
+-- En ce cas, vous l'avez?
+
+-- Non... je... Je ne puis l'ter du doigt de cette diable de
+Vnus.
+
+-- Bon! vous n'avez pas tir assez fort.
+
+-- Si fait... Mais la Vnus... elle a serr le doigt.
+
+Il me regardait fixement d'un air hagard, s'appuyant
+l'espagnolette pour ne pas tomber.
+
+Quel conte! lui dis-je. Vous avez trop enfonc l'anneau. Demain
+vous l'aurez avec des tenailles. Mais prenez garde de gter la
+statue.
+
+-- Non, vous dis-je. Le doigt de la Vnus est retir, reploy;
+elle serre la main, m'entendez-vous?... C'est ma femme, apparem-
+ment, puisque je lui ai donn mon anneau... Elle ne veut plus le
+rendre.
+
+J'prouvai un frisson subit, et j'eus un instant la chair de
+poule. Puis, un grand soupir qu'il fit m'envoya une bouffe de
+vin, et toute motion disparut.
+
+Le misrable, pensai-je, est compltement ivre.
+
+Vous tes antiquaire, monsieur, ajouta le mari d'un ton
+lamentable; vous connaissez ces statues-l... il y a peut-tre
+quelque ressort, quelque diablerie, que je ne connais point... Si
+vous alliez voir?
+
+-- Volontiers, dis-je. Venez avec moi.
+
+-- Non, j'aime mieux que vous y alliez seul.
+
+Je sortis du salon.
+
+Le temps avait chang pendant le souper, et la pluie commenait
+tomber avec force. J'allais demander un parapluie, lorsqu'une
+rflexion m'arrta. Je serais un bien grand sot, me dis-je,
+d'aller vrifier ce que m'a dit un homme ivre! Peut-tre,
+d'ailleurs, a-t-il voulu me faire quelque mchante plaisanterie
+pour apprter rire ces honntes provinciaux; et le moins qu'il
+puisse m'en arriver, c'est d'tre tremp jusqu'aux os et
+d'attraper un bon rhume.
+
+De la porte je jetai un coup d'oeil sur la statue ruisselante
+d'eau, et je montai dans ma chambre sans rentrer dans le salon. Je
+me couchai; mais le sommeil fut long venir. Toutes les scnes de
+la journe se reprsentaient mon esprit. Je pensais cette
+jeune fille si belle et si pure abandonne un ivrogne brutal.
+Quelle odieuse chose, me disais-je, qu'un mariage de convenance!
+Un maire revt une charpe tricolore, un cur une tole, et voil
+la plus honnte fille du monde livre au Minotaure! Deux tres qui
+ne s'aiment pas, que peuvent-ils se dire dans un pareil moment,
+que deux amants achteraient au prix de leur existence? Une femme
+peut-elle jamais aimer un homme qu'elle aura vu grossier une fois?
+Les premires impressions ne s'effacent pas, et j'en suis sr ce
+M. Alphonse mritera bien d'tre ha...
+
+Durant mon monologue, que j'abrge beaucoup, j'avais entendu force
+alles et venues dans la maison, les portes s'ouvrir et se fermer,
+des voitures partir; puis il me semblait avoir entendu sur
+l'escalier les pas lgers de plusieurs femmes se dirigeant vers
+l'extrmit du corridor oppos ma chambre. C'tait probablement
+le cortge de la marie qu'on menait au lit. Ensuite on avait
+redescendu l'escalier. La porte de madame de Peyrehorade s'tait
+ferme. Que cette pauvre fille, me dis-je, doit tre trouble et
+mal son aise! Je me tournais dans mon lit de mauvaise humeur. Un
+garon joue un sot rle dans une maison o s'accomplit un mariage.
+
+Le silence rgnait depuis quelque temps lorsqu'il fut troubl par
+des pas lourds qui montaient l'escalier. Les marches de bois
+craqurent fortement.
+
+Quel butor! m'criai-je. Je parie qu'il va tomber dans
+l'escalier.
+
+Tout redevint tranquille. Je pris un livre pour changer le cours
+de mes ides. C'tait une statistique du dpartement, orne d'un
+mmoire de M. de Peyrehorade sur les monuments druidiques de
+l'arrondissement de Prades. Je m'assoupis la troisime page.
+
+Je dormis mal et me rveillai plusieurs fois. Il pouvait tre cinq
+heures du matin, et j'tais veill depuis plus de vingt minutes
+lorsque le coq chanta. Le jour allait se lever. Alors j'entendis
+distinctement les mmes pas lourds, le mme craquement de
+l'escalier que j'avais entendus avant de m'endormir. Cela me parut
+singulier. J'essayai, en billant, de deviner pourquoi M. Alphonse
+se levait si matin. Je n'imaginais rien de vraisemblable. J'allais
+refermer les yeux lorsque mon attention fut de nouveau excite par
+des trpignements tranges auxquels se mlrent bientt le
+tintement des sonnettes et le bruit de portes qui s'ouvraient avec
+fracas, puis je distinguai des cris confus.
+
+Mon ivrogne aura mis le feu quelque part! pensais-je en sautant
+bas de mon lit.
+
+Je m'habillai rapidement et j'entrai dans le corridor. De
+l'extrmit oppose partaient des cris et des lamentations, et une
+voix dchirante dominait toutes les autres: Mon fils! mon fils!
+Il tait vident qu'un malheur tait arriv M. Alphonse. Je
+courus la chambre nuptiale: elle tait pleine de monde. Le
+premier spectacle qui frappa ma vue fut le jeune homme demi-
+vtu, tendu en travers sur le lit dont le bois tait bris. Il
+tait livide, sans mouvement. Sa mre pleurait et criait ct de
+lui. M. de Peyrehorade s'agitait, lui frottait les tempes avec de
+l'eau de Cologne, ou lui mettait des sels sous le nez. Hlas!
+depuis longtemps son fils tait mort. Sur un canap, l'autre
+bout de la chambre, tait la marie, en proie d'horribles
+convulsions. Elle poussait des cris inarticuls, et deux robustes
+servantes avaient toutes les peines du monde la contenir.
+
+Mon Dieu! m'criai-je, qu'est-il donc arriv?
+
+Je m'approchai du lit et soulevai le corps du malheureux jeune
+homme; il tait dj roide et froid. Ses dents serres et sa
+figure noircie exprimaient les plus affreuses angoisses. Il
+paraissait assez que sa mort avait t violente et son agonie
+terrible. Nulle trace de sang cependant sur ses habits. J'cartai
+sa chemise et vis sur sa poitrine une empreinte livide qui se
+prolongeait sur les ctes et le dos. On et dit qu'il avait t
+treint dans un cercle de fer. Mon pied posa sur quelque chose de
+dur qui se trouvait sur le tapis; je me baissai et vis la bague de
+diamants.
+
+J'entranai M. de Peyrehorade et sa femme dans leur chambre; puis
+j'y fis porter la marie. Vous avez encore une fille, leur dis-
+je, vous lui devez vos soins. Alors je les laissai seuls.
+
+Il ne me paraissait pas douteux que M. Alphonse n'et t victime
+d'un assassinat dont les auteurs avaient trouv moyen de
+s'introduire la nuit dans la chambre de la marie. Ces
+meurtrissures la poitrine, leur direction circulaire
+m'embarrassaient beaucoup pourtant, car un bton ou une barre de
+fer n'aurait pu les produire. Tout d'un coup je me souvins d'avoir
+entendu dire qu' Valence des braves se servaient de longs sacs de
+cuir remplis de sable fin pour assommer les gens dont on leur
+avait pay la mort. Aussitt je me rappelai le muletier aragonais
+et sa menace; toutefois j'osais peine penser qu'il et tir une
+si terrible vengeance d'une plaisanterie lgre.
+
+J'allais dans la maison, cherchant partout des traces
+d'effraction, et n'en trouvant nulle part. Je descendis dans le
+jardin pour voir si les assassins avaient pu s'introduire de ce
+ct; mais je ne trouvai aucun indice certain. La pluie de la
+veille avait d'ailleurs tellement dtremp le sol, qu'il n'aurait
+pu garder d'empreinte bien nette. J'observai pourtant quelques pas
+profondment imprims dans la terre: il y en avait dans deux
+directions contraires, mais sur une mme ligne, partant de l'angle
+de la haie contigu au jeu de paume et aboutissant la porte de
+la maison. Ce pouvaient tre les pas de M. Alphonse lorsqu'il
+tait all chercher son anneau au doigt de la statue. D'un autre
+ct, la haie, en cet endroit, tant moins fourre qu'ailleurs, ce
+devait tre sur ce point que les meurtriers l'auraient franchie.
+Passant et repassant devant la statue, je m'arrtai un instant
+pour la considrer. Cette fois, je l'avouerai, je ne pus
+contempler sans effroi son expression de mchancet ironique; et,
+la tte toute pleine des scnes horribles dont je venais d'tre le
+tmoin, il me sembla voir une divinit infernale applaudissant au
+malheur qui frappait cette maison.
+
+Je regagnai ma chambre et j'y restai jusqu' midi. Alors je sortis
+et demandai des nouvelles de mes htes. Ils taient un peu plus
+calmes. Mademoiselle de Puygarrig, je devrais dire la veuve de
+M. Alphonse, avait repris connaissance. Elle avait mme parl au
+procureur du roi de Perpignan, alors en tourne Ille, et ce
+magistrat avait reu sa dposition. Il me demanda la mienne. Je
+lui dis ce que je savais, et ne lui cachai pas mes soupons contre
+le muletier aragonais. Il ordonna qu'il ft arrt sur-le-champ.
+
+Avez-vous appris quelque chose de madame Alphonse? demandai-je
+au procureur du roi, lorsque ma dposition fut crite et signe.
+
+Cette malheureuse jeune personne est devenue folle, me dit-il en
+souriant tristement. Folle! tout fait folle. Voici ce qu'elle
+conte:
+
+Elle tait couche, dit-elle, depuis quelques minutes, les
+rideaux tirs, lorsque la porte de sa chambre s'ouvrit, et
+quelqu'un entra. Alors madame Alphonse tait dans la ruelle du
+lit, la figure tourne vers la muraille. Elle ne fit pas un
+mouvement, persuade que c'tait son mari. Au bout d'un instant le
+lit cria comme s'il tait charg d'un poids norme. Elle eut
+grand'peur, mais n'osa pas tourner la tte. Cinq minutes, dix
+minutes peut-tre... elle ne peut se rendre compte du temps, se
+passrent de la sorte. Puis elle fit un mouvement involontaire, ou
+bien la personne qui tait dans le lit en fit un, et elle sentit
+le contact de quelque chose de froid comme la glace, ce sont ses
+expressions. Elle s'enfona dans la ruelle tremblant de tous ses
+membres. Peu aprs, la porte s'ouvrit une seconde fois, et
+quelqu'un entra, qui dit: Bonsoir, ma petite femme. Bientt aprs
+on tira les rideaux. Elle entendit un cri touff. La personne qui
+tait dans le lit, ct d'elle, se leva sur son sant et parut
+tendre les bras en avant. Elle tourna la tte alors... et vit,
+dit-elle, son mari genoux auprs du lit, la tte la hauteur de
+l'oreiller, entre les bras d'une espce de gant verdtre qui
+l'treignait avec force. Elle dit, et m'a rpt vingt fois,
+pauvre femme!... elle dit qu'elle a reconnu... devinez-vous? la
+Vnus de bronze, la statue de M. de Peyrehorade... Depuis qu'elle
+est dans le pays, tout le monde en rve. Mais je reprends le rcit
+de la malheureuse folle. ce spectacle, elle perdit connaissance,
+et probablement depuis quelques instants elle avait perdu la
+raison. Elle ne peut en aucune faon dire combien de temps elle
+demeura vanouie. Revenue elle, elle revit le fantme, ou la
+statue, comme elle dit toujours, immobile, les jambes et le bas du
+corps dans le lit, le buste et les bras tendus en avant, et entre
+ses bras son mari, sans mouvement. Un coq chanta. Alors la statue
+sortit du lit, laissa tomber le cadavre et sortit. Mme Alphonse se
+pendit la sonnette, et vous savez le reste.
+
+On amena l'Espagnol; il tait calme, et se dfendit avec beaucoup
+de sang-froid et de prsence d'esprit. Du reste, il ne nia pas le
+propos que j'avais entendu; mais il l'expliquait, prtendant qu'il
+n'avait voulu dire autre chose, sinon que le lendemain, repos
+qu'il serait, il aurait gagn une partie de paume son vainqueur.
+Je me rappelle qu'il ajouta:
+
+Un Aragonais, lorsqu'il est outrag, n'attend pas au lendemain
+pour se venger. Si j'avais cru que M. Alphonse et voulu
+m'insulter, je lui aurais sur-le-champ donn de mon couteau dans
+le ventre.
+
+On compara ses souliers avec les empreintes de pas dans le jardin;
+ses souliers taient beaucoup plus grands.
+
+Enfin l'htelier chez qui cet homme tait log assura qu'il avait
+pass toute la nuit frotter et mdicamenter un de ses mulets
+qui tait malade.
+
+D'ailleurs cet Aragonais tait un homme bien fam, fort connu dans
+le pays, o il venait tous les ans pour son commerce. On le
+relcha donc en lui faisant des excuses.
+
+J'oubliais la dposition d'un domestique qui le dernier avait vu
+M. Alphonse vivant. C'tait au moment qu'il allait monter chez sa
+femme, et, appelant cet homme, il lui demanda d'un air
+d'inquitude s'il savait o j'tais. Le domestique rpondit qu'il
+ne m'avait point vu. Alors M. Alphonse fit un soupir et resta plus
+d'une minute sans parler, puis il dit: Allons! le diable l'aura
+emport aussi!
+
+Je demandai cet homme si M. Alphonse avait sa bague de diamants,
+lorsqu'il lui parla. Le domestique hsita pour rpondre; enfin il
+dit qu'il ne le croyait pas, qu'il n'y avait fait au reste aucune
+attention. S'il avait eu cette bague au doigt, ajouta-t-il en se
+reprenant, je l'aurais sans doute remarque, car je croyais qu'il
+l'avait donne madame Alphonse.
+
+En questionnant cet homme je ressentais un peu de la terreur
+superstitieuse que la dposition de Mme Alphonse avait rpandue
+dans toute la maison. Le procureur du roi me regarda en souriant,
+et je me gardai bien d'insister.
+
+Quelques heures aprs les funrailles de M. Alphonse, je me
+disposai quitter Ille. La voiture de M. de Peyrehorade devait me
+conduire Perpignan. Malgr son tat de faiblesse, le pauvre
+vieillard voulut m'accompagner jusqu' la porte de son jardin.
+Nous le traversmes en silence, lui se tranant peine, appuy
+sur mon bras. Au moment de nous sparer, je jetai un dernier
+regard sur la Vnus. Je prvoyais bien que mon hte, quoiqu'il ne
+partaget point les terreurs et les haines qu'elle inspirait une
+partie de sa famille, voudrait se dfaire d'un objet qui lui
+rappellerait sans cesse un malheur affreux. Mon intention tait de
+l'engager la placer dans un muse. J'hsitais pour entrer en
+matire, quand M. de Peyrehorade tourna machinalement la tte du
+ct o il me voyait regarder fixement. Il aperut la statue et
+aussitt fondit en larmes. Je l'embrassai, et, sans oser lui dire
+un seul mot, je montai dans la voiture.
+
+Depuis mon dpart je n'ai point appris que quelque jour nouveau
+soit venu clairer cette mystrieuse catastrophe.
+
+M. de Peyrehorade mourut quelques mois aprs son fils. Par son
+testament il m'a lgu ses manuscrits, que je publierai peut-tre
+un jour. Je n'y ai point trouv le mmoire relatif aux
+inscriptions de la Vnus.
+
+P. S. Mon ami M. de P. vient de m'crire que la statue n'existe
+plus. Aprs la mort de son mari, le premier soin de Madame de
+Peyrehorade fut de la faire fondre en cloche, et sous cette
+nouvelle forme elle sert l'glise d'Ille. Mais, ajoute M. de P.,
+il semble qu'un mauvais sort poursuive ceux qui possdent ce
+bronze. Depuis que cette cloche sonne l'Ille, les vignes ont
+gel deux fois.
+
+1837.
+
+
+
+
+
+End of the Project Gutenberg EBook of La Vnus d'Ille, by Prosper Mrime
+
+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LA VNUS D'ILLE ***
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+Gutenberg-tm electronic works if you follow the terms of this agreement
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+works. See paragraph 1.E below.
+
+1.C. The Project Gutenberg Literary Archive Foundation ("the Foundation"
+or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection of Project
+Gutenberg-tm electronic works. Nearly all the individual works in the
+collection are in the public domain in the United States. If an
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+To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
+and the Foundation web page at https://www.pglaf.org.
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+
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+Foundation
+
+The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
+501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
+state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
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+concept of a library of electronic works that could be freely shared
+with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project
+Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.
+
+Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
+editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
+unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily
+keep eBooks in compliance with any particular paper edition.
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+Most people start at our Web site which has the main PG search facility:
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+ https://www.gutenberg.org
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+This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
+including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
+Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
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