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If you are not located in the United States, you +will have to check the laws of the country where you are located before +using this eBook. + +Title: La Vénus d’Ille + +Author: Prosper Mérimée + +Release Date: July 7, 2005 [eBook #16240] +[Most recently updated: October 30, 2023] + +Language: French + + +*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LA VÉNUS D’ILLE *** + + + + +Prosper Mérimée + +LA VÉNUS D’ILLE + + + + +Ἰλεως ἦν δ' ἐγώ, ἔστω ὁ ἀνδριὰς +καὶ ἤπιος, οὔτως ἀνδρεῖος ὢν. + +ΛΟΥΚΙΑΝΟΥ ΦΙΛΟΨΕΥΔΗΣ. + + + + +Je descendais le dernier coteau du Canigou, et, bien que le soleil fût +déjà couché, je distinguais dans la plaine les maisons de la petite +ville d’Ille, vers laquelle je me dirigeais. + +«Vous savez, dis-je au Catalan qui me servait de guide depuis la +veille, vous savez sans doute où demeure M. de Peyrehorade? + +— Si je le sais! s’écria-t-il, je connais sa maison comme la mienne; et +s’il ne faisait pas si noir, je vous la montrerais. C’est la plus belle +d’Ille. Il a de l’argent, oui, M. de Peyrehorade; et il marie son fils +à plus riche que lui encore. + +— Et ce mariage se fera-t-il bientôt? lui demandai-je. + +— Bientôt! il se peut que déjà les violons soient commandés pour la +noce. Ce soir, peut-être, demain, après-demain, que sais-je! C’est à +Puygarrig que ça se fera; car c’est mademoiselle de Puygarrig que +monsieur le fils épouse. Ce sera beau, oui!» + +J’étais recommandé à M. de Peyrehorade par mon ami M. de P. C’était, +m’avait-il dit, un antiquaire fort instruit et d’une complaisance à +toute épreuve. Il se ferait un plaisir de me montrer toutes les ruines +à dix lieues à la ronde. Or je comptais sur lui pour visiter les +environs d’Ille, que je savais riches en monuments antiques et du Moyen +Âge. Ce mariage, dont on me parlait alors pour la première fois, +dérangeait tous mes plans. + +Je vais être un trouble-fête, me dis-je. Mais j’étais attendu; annoncé +par M. de P., il fallait bien me présenter. + +«Gageons, monsieur, me dit mon guide, comme nous étions déjà dans la +plaine, gageons un cigare que je devine ce que vous allez faire chez M. +de Peyrehorade? + +— Mais, répondis-je en lui tendant un cigare, cela n’est pas bien +difficile à deviner. À l’heure qu’il est, quand on a fait six lieues +dans le Canigou, la grande affaire, c’est de souper. + +— Oui, mais demain?… Tenez, je parierais que vous venez à Ille pour +voir l’idole? j’ai deviné cela à vous voir tirer en portrait les saints +de Serrabona. + +— L’idole! quelle idole?» Ce mot avait excité ma curiosité. + +«Comment! on ne vous a pas conté, à Perpignan, comment M. de +Peyrehorade avait trouvé une idole en terre? + +— Vous voulez dire une statue en terre cuite, en argile? + +— Non pas. Oui, bien en cuivre, et il y en a de quoi faire des gros +sous. Elle vous pèse autant qu’une cloche d’église. C’est bien avant +dans la terre, au pied d’un olivier, que nous l’avons eue. + +— Vous étiez donc présent à la découverte? + +— Oui, monsieur. M. de Peyrehorade nous dit, il y a quinze jours, à +Jean Coll et à moi, de déraciner un vieil olivier qui était gelé de +l’année dernière, car elle a été bien mauvaise, comme vous savez. Voilà +donc qu’en travaillant Jean Coll qui y allait de tout cœur, il donne un +coup de pioche, et j’entends bimm… comme s’il avait tapé sur une +cloche. Qu’est-ce que c’est? que je dis. Nous piochons toujours, nous +piochons, et voilà qu’il paraît une main noire, qui semblait la main +d’un mort qui sortait de terre. Moi, la peur me prend. Je m’en vais à +monsieur, et je lui dis: — Des morts, notre maître, qui sont sous +l’olivier! Faut appeler le curé. — Quels morts? qu’il me dit. Il vient, +et il n’a pas plutôt vu la main qu’il s’écrie: — Un antique! un +antique! — Vous auriez cru qu’il avait trouvé un trésor. Et le voilà, +avec la pioche, avec les mains, qui se démène et qui faisait quasiment +autant d’ouvrage que nous deux. + +— Et enfin que trouvâtes-vous? + +— Une grande femme noire plus qu’à moitié nue, révérence parler, +monsieur, toute en cuivre, et M. de Peyrehorade nous a dit que c’était +une idole du temps des païens… du temps de Charlemagne, quoi! + +— Je vois ce que c’est… Quelque bonne Vierge en bronze d’un couvent +détruit. + +— Une bonne Vierge! ah bien oui!… Je l’aurais bien reconnue, si ç’avait +été une bonne Vierge. C’est une idole, vous dis-je; on le voit bien à +son air. Elle vous fixe avec ses grands yeux blancs… On dirait qu’elle +vous dévisage. On baisse les yeux, oui, en la regardant. + +— Des yeux blancs? Sans doute ils sont incrustés dans le bronze. Ce +sera peut-être quelque statue romaine. + +— Romaine! c’est cela. M. de Peyrehorade dit que c’est une Romaine. Ah! +je vois bien que vous êtes un savant comme lui. + +— Est-elle entière, bien conservée? + +— Oh! monsieur, il ne lui manque rien. C’est encore plus beau et mieux +fini que le buste de Louis-Philippe, qui est à la mairie, en plâtre +peint. Mais avec tout cela, la figure de cette idole ne me revient pas. +Elle a l’air méchante… et elle l’est aussi. + +— Méchante! Quelle méchanceté vous a-t-elle faite? + +— Pas à moi précisément; mais vous allez voir. Nous nous étions mis à +quatre pour la dresser debout, et M. de Peyrehorade, qui lui aussi +tirait à la corde, bien qu’il n’ait guère plus de force qu’un poulet, +le digne homme! Avec bien de la peine nous la mettons droite. +J’amassais un tuileau pour la caler, quand, patatras! la voilà qui +tombe à la renverse tout d’une masse. Je dis: Gare dessous! Pas assez +vite pourtant, car Jean Coll n’a pas eu le temps de tirer sa jambe… + +— Et il a été blessé? + +— Cassée net comme un échalas, sa pauvre jambe! Pécaïre! quand j’ai vu +cela, moi, j’étais furieux. Je voulais défoncer l’idole à coups de +pioche, mais M. de Peyrehorade m’a retenu. Il a donné de l’argent à +Jean Coll, qui tout de même est encore au lit depuis quinze jours que +cela lui est arrivé, et le médecin dit qu’il ne marchera jamais de +cette jambe-là comme de l’autre. C’est dommage, lui qui était notre +meilleur coureur et, après monsieur le fils, le plus malin joueur de +paume. C’est que M. Alphonse de Peyrehorade en a été triste, car c’est +Coll qui faisait sa partie. Voilà qui était beau à voir comme ils se +renvoyaient les balles. Paf! paf! Jamais elles ne touchaient terre.» + +Devisant de la sorte, nous entrâmes à Ille, et je me trouvai bientôt en +présence de M. de Peyrehorade. C’était un petit vieillard vert encore +et dispos, poudré, le nez rouge, l’air jovial et goguenard. Avant +d’avoir ouvert la lettre de M. de P., il m’avait installé devant une +table bien servie, et m’avait présenté à sa femme et à son fils comme +un archéologue illustre, qui devait tirer le Roussillon de l’oubli où +le laissait l’indifférence des savants. + +Tout en mangeant de bon appétit, car rien ne dispose mieux que l’air +vif des montagnes, j’examinais mes hôtes. J’ai dit un mot de M. de +Peyrehorade; je dois ajouter que c’était la vivacité même. Il parlait, +mangeait, se levait, courait à sa bibliothèque, m’apportait des livres, +me montrait des estampes, me versait à boire; il n’était jamais deux +minutes en repos. Sa femme, un peu trop grasse, comme la plupart des +Catalanes lorsqu’elles ont passé quarante ans, me parut une provinciale +renforcée, uniquement occupée des soins de son ménage. Bien que le +souper fût suffisant pour six personnes au moins, elle courut à la +cuisine, fit tuer des pigeons, frire des miliasses, ouvrit je ne sais +combien de pots de confitures. En un instant la table fut encombrée de +plats et de bouteilles, et je serais certainement mort d’indigestion si +j’avais goûté seulement à tout ce qu’on m’offrait. Cependant, à chaque +plat que je refusais, c’étaient de nouvelles excuses. On craignait que +je ne me trouvasse bien mal à Ille. Dans la province on a peu de +ressources, et les Parisiens sont si difficiles! + +Au milieu des allées et venues de ses parents, M. Alphonse de +Peyrehorade ne bougeait pas plus qu’un Terme. C’était un grand jeune +homme de vingt-six ans, d’une physionomie belle et régulière, mais +manquant d’expression. Sa taille et ses formes athlétiques justifiaient +bien la réputation d’infatigable joueur de paume qu’on lui faisait dans +le pays. Il était ce soir-là habillé avec élégance, exactement d’après +la gravure du dernier numéro du _Journal des modes_. Mais il me +semblait gêné dans ses vêtements; il était roide comme un piquet dans +son col de velours, et ne se tournait que tout d’une pièce. Ses mains +grosses et hâlées, ses ongles courts, contrastaient singulièrement avec +son costume. C’étaient des mains de laboureur sortant des manches d’un +dandy. D’ailleurs, bien qu’il me considérât de la tête aux pieds fort +curieusement, en ma qualité de Parisien, il ne m’adressa qu’une seule +fois la parole dans toute la soirée, ce fut pour me demander où j’avais +acheté la chaîne de ma montre. + +«Ah çà! mon cher hôte, me dit M. de Peyrehorade, le souper tirant à sa +fin, vous m’appartenez, vous êtes chez moi. Je ne vous lâche plus, +sinon quand vous aurez vu tout ce que nous avons de curieux dans nos +montagnes. Il faut que vous appreniez à connaître notre Roussillon, et +que vous lui rendiez justice. Vous ne vous doutez pas de tout ce que +nous allons vous montrer. Monuments phéniciens, celtiques, romains, +arabes, byzantins, vous verrez tout, depuis le cèdre jusqu’à l’hysope. +Je vous mènerai partout et ne vous ferai pas grâce d’une brique.» + +Un accès de toux l’obligea de s’arrêter. J’en profitai pour lui dire +que je serais désolé de le déranger dans une circonstance aussi +intéressante pour sa famille. S’il voulait bien me donner ses +excellents conseils sur les excursions que j’aurais à faire, je +pourrais, sans qu’il prît la peine de m’accompagner… + +«Ah! vous voulez parler du mariage de ce garçon-là, s’écria-t-il en +m’interrompant. Bagatelle! ce sera fait après-demain. Vous ferez la +noce avec nous, en famille, car la future est en deuil d’une tante dont +elle hérite. Ainsi point de fête, point de bal… C’est dommage… vous +auriez vu danser nos Catalanes… Elles sont jolies, et peut-être l’envie +vous aurait-elle pris d’imiter mon Alphonse. Un mariage, dit-on, en +amène d’autres… Samedi, les jeunes gens mariés, je suis libre, et nous +nous mettons en course. Je vous demande pardon de vous donner l’ennui +d’une noce de province. Pour un Parisien blasé sur les fêtes… et une +noce sans bal encore! Pourtant, vous verrez une mariée… une mariée… +vous m’en direz des nouvelles… Mais vous êtes un homme grave et vous ne +regardez plus les femmes. J’ai mieux que cela à vous montrer. Je vous +ferai voir quelque chose!… Je vous réserve une fière surprise pour +demain. + +— Mon Dieu! lui dis-je, il est difficile d’avoir un trésor dans sa +maison sans que le public en soit instruit. Je crois deviner la +surprise que vous me préparez. Mais si c’est de votre statue qu’il +s’agit, la description que mon guide m’en a faite n’a servi qu’à +exciter ma curiosité et à me disposer à l’admiration. + +— Ah! il vous a parlé de l’idole, car c’est ainsi qu’ils appellent ma +belle Vénus Tur… mais je ne veux rien vous dire. Demain, au grand jour, +vous la verrez, et vous me direz si j’ai raison de la croire un +chef-d’œuvre. Parbleu! vous ne pouviez arriver plus à propos! Il y a +des inscriptions que moi, pauvre ignorant, j’explique à ma manière… +mais un savant de Paris!… Vous vous moquerez peut-être de mon +interprétation… car j’ai fait un mémoire… moi qui vous parle… vieil +antiquaire de province, je me suis lancé… Je veux faire gémir la +presse… Si vous vouliez bien me lire et me corriger, je pourrais +espérer… Par exemple, je suis bien curieux de savoir comment vous +traduirez cette inscription sur le socle: CAVE… Mais je ne veux rien +vous demander encore! À demain, à demain! Pas un mot sur la Vénus +aujourd’hui! + +— Tu as raison, Peyrehorade, dit sa femme, de laisser là ton idole. Tu +devrais voir que tu empêches monsieur de manger. Va, monsieur a vu à +Paris de bien plus belles statues que la tienne. Aux Tuileries, il y en +a des douzaines, et en bronze aussi. + +— Voilà bien l’ignorance, la sainte ignorance de la province! +interrompit M. de Peyrehorade. Comparer un antique admirable aux plates +figures de Coustou! + +Comme avec irrévérence +Parle des dieux ma ménagère! + + +Savez-vous que ma femme voulait que je fondisse ma statue pour en faire +une cloche à notre église. C’est qu’elle en eût été la marraine. Un +chef-d’œuvre de Myron, monsieur! + +— Chef-d’œuvre! chef-d’œuvre! un beau chef-d’œuvre qu’elle a fait! +casser la jambe d’un homme! + +— Ma femme, vois-tu? dit M. de Peyrehorade d’un ton résolu, et tendant +vers elle sa jambe droite dans un bas de soie chinée, si ma Vénus +m’avait cassé cette jambe-là, je ne la regretterais pas. + +— Bon Dieu! Peyrehorade, comment peux-tu dire cela! Heureusement que +l’homme va mieux… Et encore je ne peux pas prendre sur moi de regarder +la statue qui fait des malheurs comme celui-là. Pauvre Jean Coll! + +— Blessé par Vénus, monsieur, dit M. de Peyrehorade riant d’un gros +rire, blessé par Vénus, le maraud se plaint. + +_Veneris nec præmia noris._ + + +Qui n’a été blessé par Vénus?» + +M. Alphonse, qui comprenait le français mieux que le latin, cligna de +l’œil d’un air d’intelligence, et me regarda comme pour me demander: Et +vous, Parisien, comprenez-vous? + +Le souper finit. Il y avait une heure que je ne mangeais plus. J’étais +fatigué, et je ne pouvais parvenir à cacher les fréquents bâillements +qui m’échappaient. Madame de Peyrehorade s’en aperçut la première, et +remarqua qu’il était temps d’aller dormir. Alors commencèrent de +nouvelles excuses sur le mauvais gîte que j’allais avoir. Je ne serais +pas comme à Paris. En province on est si mal! Il fallait de +l’indulgence pour les Roussillonnais. J’avais beau protester qu’après +une course dans les montagnes une botte de paille me serait un coucher +délicieux, on me priait toujours de pardonner à de pauvres campagnards +s’ils ne me traitaient aussi bien qu’ils l’eussent désiré. Je montai +enfin à la chambre qui m’était destinée, accompagné de M. de +Peyrehorade. L’escalier, dont les marches supérieures étaient en bois, +aboutissait au milieu d’un corridor, sur lequel donnaient plusieurs +chambres. + +«À droite, me dit mon hôte, c’est l’appartement que je destine à la +future madame Alphonse. Votre chambre est au bout du corridor opposé. +Vous sentez bien, ajouta-t-il d’un air qu’il voulait rendre fin, vous +sentez bien qu’il faut isoler de nouveaux mariés. Vous êtes à un bout +de la maison, eux à l’autre.» + +Nous entrâmes dans une chambre bien meublée, où le premier objet sur +lequel je portai la vue fut un lit long de sept pieds, large de six, et +si haut qu’il fallait un escabeau pour s’y guinder. Mon hôte m’ayant +indiqué la position de la sonnette, et s’étant assuré par lui-même que +le sucrier était plein, les flacons d’eau de Cologne dûment placés sur +la toilette, après m’avoir demandé plusieurs fois si rien ne me +manquait, me souhaita une bonne nuit et me laissa seul. + +Les fenêtres étaient fermées. Avant de me déshabiller, j’en ouvris une +pour respirer l’air frais de la nuit, délicieux après un long souper. +En face était le Canigou, d’un aspect admirable en tout temps, mais qui +me parut ce soir-là la plus belle montagne du monde, éclairé qu’il +était par une lune resplendissante. Je demeurai quelques minutes à +contempler sa silhouette merveilleuse, et j’allais fermer ma fenêtre, +lorsque, baissant les yeux, j’aperçus la statue sur un piédestal à une +vingtaine de toises de la maison. Elle était placée à l’angle d’une +haie vive qui séparait un petit jardin d’un vaste carré parfaitement +uni, qui, je l’appris plus tard, était le jeu de paume de la ville. Ce +terrain, propriété de M. de Peyrehorade, avait été cédé par lui à la +commune, sur les pressantes sollicitations de son fils. + +À la distance où j’étais, il m’était difficile de distinguer l’attitude +de la statue; je ne pouvais juger que de sa hauteur, qui me parut de +six pieds environ. En ce moment, deux polissons de la ville passaient +sur le jeu de paume, assez près de la haie, sifflant le joli air du +Roussillon: _Montagnes régalades_. Ils s’arrêtèrent pour regarder la +statue; un d’eux l’apostropha même à haute voix. Il parlait catalan; +mais j’étais dans le Roussillon depuis assez longtemps pour pouvoir +comprendre à peu près ce qu’il disait. + +«Te voilà donc, coquine! (Le terme catalan était plus énergique.) Te +voilà! disait-il. C’est donc toi qui as cassé la jambe à Jean Coll! Si +tu étais à moi, je te casserais le cou. + +— Bah! avec quoi? dit l’autre. Elle est de cuivre, et si dure +qu’Étienne a cassé sa lime dessus, essayant de l’entamer. C’est du +cuivre du temps des païens; c’est plus dur que je ne sais quoi. + +— Si j’avais mon ciseau à froid (il paraît que c’était un apprenti +serrurier), je lui ferais bientôt sauter ses grands yeux blancs, comme +je tirerais une amande de sa coquille. Il y a pour plus de cent sous +d’argent.» + +Ils firent quelques pas en s’éloignant. + +«Il faut que je souhaite le bonsoir à l’idole», dit le plus grand des +apprentis, s’arrêtant tout à coup. + +Il se baissa, et probablement ramassa une pierre. Je le vis déployer le +bras, lancer quelque chose, et aussitôt un coup sonore retentit sur le +bronze. Au même instant l’apprenti porta la main à sa tête en poussant +un cri de douleur. + +«Elle me l’a rejetée!» s’écria-t-il. + +Et mes deux polissons prirent la fuite à toutes jambes. Il était +évident que la pierre avait rebondi sur le métal, et avait puni ce +drôle de l’outrage qu’il faisait à la déesse. + +Je fermai la fenêtre en riant de bon cœur. + +«Encore un Vandale puni par Vénus! Puissent tous les destructeurs de +nos vieux monuments avoir ainsi la tête cassée!» Sur ce souhait +charitable, je m’endormis. + +Il était grand jour quand je me réveillai. Auprès de mon lit étaient +d’un côté, M. de Peyrehorade, en robe de chambre; de l’autre, un +domestique envoyé par sa femme, une tasse de chocolat à la main. + +«Allons, debout, Parisien! Voilà bien mes paresseux de la capitale! +disait mon hôte pendant que je m’habillais à la hâte. Il est huit +heures, et encore au lit! je suis levé, moi, depuis six heures. Voilà +trois fois que je monte; je me suis approché de votre porte sur la +pointe du pied: personne, nul signe de vie. Cela vous fera mal de trop +dormir à votre âge. Et ma Vénus que vous n’avez pas encore vue! Allons, +prenez-moi vite cette tasse de chocolat de Barcelone… Vraie +contrebande… Du chocolat comme on n’en a pas à Paris. Prenez des +forces, car lorsque vous serez devant ma Vénus, on ne pourra plus vous +en arracher.» + +En cinq minutes je fus prêt, c’est-à-dire à moitié rasé, mal boutonné, +et brûlé par le chocolat que j’avalai bouillant. Je descendis dans le +jardin, et me trouvai devant une admirable statue. + +C’était bien une Vénus, et d’une merveilleuse beauté. Elle avait le +haut du corps nu, comme les Anciens représentaient d’ordinaire les +grandes divinités; la main droite, levée à la hauteur du sein, était +tournée, la paume en dedans, le pouce et les deux premiers doigts +étendus, les deux autres légèrement ployés. L’autre main, rapprochée de +la hanche, soutenait la draperie qui couvrait la partie inférieure du +corps. L’attitude de cette statue rappelait celle du Joueur de mourre +qu’on désigne, je ne sais trop pourquoi, sous le nom de Germanicus. +Peut-être avait-on voulu représenter la déesse jouant au jeu de mourre. + +Quoi qu’il en soit, il est impossible de voir quelque chose de plus +parfait que le corps de cette Vénus; rien de plus suave, de plus +voluptueux que ses contours; rien de plus élégant et de plus noble que +sa draperie. Je m’attendais à quelque ouvrage du Bas- Empire; je voyais +un chef-d’œuvre du meilleur temps de la statuaire. Ce qui me frappait +surtout, c’était l’exquise vérité des formes, en sorte qu’on aurait pu +les croire moulées sur nature, si la nature produisait d’aussi parfaits +modèles. + +La chevelure, relevée sur le front, paraissait avoir été dorée +autrefois. La tête, petite comme celle de presque toutes les statues +grecques, était légèrement inclinée en avant. Quant à la figure, jamais +je ne parviendrai à exprimer son caractère étrange, et dont le type ne +se rapprochait de celui d’aucune statue antique dont il me souvienne. +Ce n’était point cette beauté calme et sévère des sculpteurs grecs, +qui, par système, donnaient à tous les traits une majestueuse +immobilité. Ici, au contraire, j’observais avec surprise l’intention +marquée de l’artiste de rendre la malice arrivant jusqu’à la +méchanceté. Tous les traits étaient contractés légèrement: les yeux un +peu obliques, la bouche relevée des coins, les narines quelque peu +gonflées. Dédain, ironie, cruauté, se lisaient sur ce visage d’une +incroyable beauté cependant. En vérité, plus on regardait cette +admirable statue, et plus on éprouvait le sentiment pénible qu’une si +merveilleuse beauté pût s’allier à l’absence de toute sensibilité. + +«Si le modèle a jamais existé, dis-je à M. de Peyrehorade, et je doute +que le ciel ait jamais produit une telle femme, que je plains ses +amants! Elle a dû se complaire à les faire mourir de désespoir. Il y a +dans son expression quelque chose de féroce, et pourtant je n’ai jamais +vu rien de si beau. + +— C’est Vénus tout entière à sa proie attachée!» s’écria M. de +Peyrehorade, satisfait de mon enthousiasme. + +Cette expression d’ironie infernale était augmentée peut-être par le +contraste de ses yeux incrustés d’argent et très brillants avec la +patine d’un vert noirâtre que le temps avait donnée à toute la statue. +Ces yeux brillants produisaient une certaine illusion qui rappelait la +réalité, la vie. Je me souvins de ce que m’avait dit mon guide, qu’elle +faisait baisser les yeux à ceux qui la regardaient. Cela était presque +vrai, et je ne pus me défendre d’un mouvement de colère contre moi-même +en me sentant un peu mal à mon aise devant cette figure de bronze. + +«Maintenant que vous avez tout admiré en détail, mon cher collègue en +antiquaillerie, dit mon hôte, ouvrons, s’il vous plaît, une conférence +scientifique. Que dites-vous de cette inscription, à laquelle vous +n’avez point pris garde encore?» + +Il me montrait le socle de la statue, et j’y lus ces mots: + +CAVE AMANTEM. + + +«_Quid dicis, doctissime?_ me demanda-t-il en se frottant les mains. +Voyons si nous nous rencontrerons sur le sens de ce _cave amantem!_ + +— Mais, répondis-je, il y a deux sens. On peut traduire: «Prends garde +à celui qui t’aime, défie-toi des amants.» Mais, dans ce sens, je ne +sais si _cave amantem_ serait d’une bonne latinité. En voyant +l’expression diabolique de la dame, je croirais plutôt que l’artiste a +voulu mettre en garde le spectateur contre cette terrible beauté. Je +traduirais donc: «Prends garde à toi si _elle_ t’aime.» + +— Humph! dit M. de Peyrehorade, oui, c’est un sens admirable; mais, ne +vous en déplaise, je préfère la première traduction, que je +développerai pourtant. Vous connaissez l’amant de Vénus? + +— Il y en a plusieurs. + +— Oui; mais le premier, c’est Vulcain. N’a-t-on pas voulu dire: «Malgré +toute ta beauté, ton air dédaigneux, tu auras un forgeron, un vilain +boiteux pour amant!» Leçon profonde, monsieur, pour les coquettes!» + +Je ne pus m’empêcher de sourire, tant l’explication me parut tirée par +les cheveux. + +«C’est une terrible langue que le latin avec sa concision, observai-je +pour éviter de contredire formellement mon antiquaire, et je reculai de +quelques pas afin de mieux contempler la statue. + +— Un instant, collègue! dit M. de Peyrehorade en m’arrêtant par le +bras, vous n’avez pas tout vu. Il y a encore une autre inscription. +Montez sur le socle et regardez au bras droit.» + +En parlant ainsi il m’aidait à monter. + +Je m’accrochai sans trop de façons au cou de la Vénus, avec laquelle je +commençais à me familiariser. Je la regardai même un instant _sous le +nez_, et la trouvai de près encore plus méchante et encore plus belle. +Puis je reconnus qu’il y avait, gravés sur le bras, quelques caractères +d’écriture cursive antique, à ce qu’il me sembla. À grand renfort de +besicles j’épelai ce qui suit, et cependant M. de Peyrehorade répétait +chaque mot à mesure que je le prononçais, approuvant du geste et de la +voix. Je lus donc: + +VENERI TVRBVL… +EVTYCHES MYRO +IMPERIO FECIT. + + +Après ce mot TVRBVL de la première ligne, il me sembla qu’il y avait +quelques lettres effacées; mais TVRBVL était parfaitement lisible. + +«Ce qui veut dire?…» me demanda mon hôte radieux et souriant avec +malice, car il pensait bien que je ne me tirerais pas facilement de ce +TVRBVL. + +«Il y a un mot que je ne m’explique pas encore, lui dis-je; tout le +reste est facile. Eutychès Myron a fait cette offrande à Vénus par son +ordre. + +— À merveille. Mais TVRBVL, qu’en faites-vous? Qu’est-ce que TVRBVL? + +— TVRBVL m’embarrasse fort. Je cherche en vain quelque épithète connue +de Vénus qui puisse m’aider. Voyons, que diriez-vous de TVRBVLENTA? +Vénus qui trouble, qui agite… Vous vous apercevez que je suis toujours +préoccupé de son expression méchante. TVRBVLENTA, ce n’est point une +trop mauvaise épithète pour Vénus», ajoutai-je d’un ton modeste, car je +n’étais pas moi-même fort satisfait de mon explication. + +«Vénus turbulente! Vénus la tapageuse! Ah! vous croyez donc que ma +Vénus est une Vénus de cabaret? Point du tout, monsieur; c’est une +Vénus de bonne compagnie. Mais je vais vous expliquer ce TVRBVL… Au +moins vous me promettez de ne point divulguer ma découverte avant +l’impression de mon mémoire. C’est que, voyez-vous, je m’en fais +gloire, de cette trouvaille-là… Il faut bien que vous nous laissiez +quelques épis à glaner, à nous autres pauvres diables de provinciaux. +Vous êtes si riches, messieurs les savants de Paris!» + +Du haut du piédestal, où j’étais toujours perché, je lui promis +solennellement que je n’aurais jamais l’indignité de lui voler sa +découverte. + +«TVRBVL…, monsieur, dit-il en se rapprochant et baissant la voix de +peur qu’un autre que moi ne pût l’entendre, lisez TVRBVLNERÆ. + +— Je ne comprends pas davantage. + +— Écoutez bien. À une lieue d’ici, au pied de la montagne, il y a un +village qui s’appelle Boulternère. C’est une corruption du mot latin +TVRBVLNERA. Rien de plus commun que ces inversions. Boulternère, +monsieur, a été une ville romaine. Je m’en étais toujours douté, mais +jamais je n’en avais eu la preuve. La preuve, la voilà. Cette Vénus +était la divinité topique de la cité de Boulternère; et ce mot de +Boulternère, que je viens de démontrer d’origine antique, prouve une +chose bien plus curieuse, c’est que Boulternère, avant d’être une ville +romaine, a été une ville phénicienne!» + +Il s’arrêta un moment pour respirer et jouir de ma surprise. Je parvins +à réprimer une forte envie de rire. + +«En effet, poursuivit-il, TVRBVLNERA est pur phénicien, TVR, prononcez +TOUR… TOUR et SOUR, même mot, n’est-ce pas? SOUR est le nom phénicien +de Tyr; je n’ai pas besoin de vous en rappeler le sens. BVL, c’est +Baal; Bâl, Bel, Bul, légères différences de prononciation. Quant à +NERA, cela me donne un peu de peine. Je suis tenté de croire, faute de +trouver un mot phénicien, que cela vient du grec νηρός, humide, +marécageux. Ce serait donc un mot hybride. Pour justifier νηρός, je +vous montrerai à Boulternère comment les ruisseaux de la montagne y +forment des mares infectes. D’autre part, la terminaison NERA aurait pu +être ajoutée beaucoup plus tard en l’honneur de Nera Pivesuvia, femme +de Tétricus, laquelle aurait fait quelque bien à la cité de Turbul. +Mais, à cause des mares, je préfère l’étymologie de νηρός.» + +Il prit une prise de tabac d’un air satisfait. + +«Mais laissons les Phéniciens, et revenons à l’inscription. Je traduis +donc: “À Vénus de Boulternère Myron dédie par son ordre cette statue, +son ouvrage.”« + +Je me gardai bien de critiquer son étymologie, mais je voulus à mon +tour faire preuve de pénétration, et je lui dis: + +«Halte-là, monsieur. Myron a consacré quelque chose, mais je ne vois +nullement que ce soit cette statue. + +— Comment! s’écria-t-il, Myron n’était-il pas un fameux sculpteur grec? +Le talent se sera perpétué dans sa famille: c’est un de ses descendants +qui aura fait cette statue. Il n’y a rien de plus sûr. + +— Mais, répliquai-je, je vois sur le bras un petit trou. Je pense qu’il +a servi à fixer quelque chose, un bracelet, par exemple, que ce Myron +donna à Vénus en offrande expiatoire. Myron était un amant malheureux. +Vénus était irritée contre lui: il l’apaisa en lui consacrant un +bracelet d’or. Remarquez que fecit se prend fort souvent pour +_consecravit_. Ce sont termes synonymes. Je vous en montrerais plus +d’un exemple si j’avais sous la main Gruter ou bien Orelli. Il est +naturel qu’un amoureux voie Vénus en rêve, qu’il s’imagine qu’elle lui +commande de donner un bracelet d’or à sa statue. Myron lui consacra un +bracelet… Puis les barbares ou bien quelque voleur sacrilège… + +— Ah! qu’on voit bien que vous avez fait des romans! s’écria mon hôte +en me donnant la main pour descendre. Non, monsieur, c’est un ouvrage +de l’école de Myron. Regardez seulement le travail, et vous en +conviendrez.» + +M’étant fait une loi de ne jamais contredire à outrance les antiquaires +entêtés, je baissai la tête d’un air convaincu en disant: + +«C’est un admirable morceau. + +— Ah! mon Dieu, s’écria M. de Peyrehorade, encore un trait de +vandalisme! On aura jeté une pierre à ma statue!» + +Il venait d’apercevoir une marque blanche un peu au-dessus du sein de +la Vénus. Je remarquai une trace semblable sur les doigts de la main +droite, qui, je le supposai alors, avaient été touchés dans le trajet +de la pierre, ou bien un fragment s’en était détaché par le choc et +avait ricoché sur la main. Je contai à mon hôte l’insulte dont j’avais +été témoin et la prompte punition qui s’en était suivie. Il en rit +beaucoup, et, comparant l’apprenti à Diomède, il lui souhaita de voir, +comme le héros grec, tous ses compagnons changés en oiseaux blancs. + +La cloche du déjeuner interrompit cet entretien classique, et, de même +que la veille, je fus obligé de manger comme quatre. Puis vinrent des +fermiers de M. de Peyrehorade; et pendant qu’il leur donnait audience, +son fils me mena voir une calèche qu’il avait achetée à Toulouse pour +sa fiancée, et que j’admirai, cela va sans dire. Ensuite j’entrai avec +lui dans l’écurie, où il me tint une demi-heure à me vanter ses +chevaux, à me faire leur généalogie, à me conter les prix qu’ils +avaient gagnés aux courses du département. Enfin il en vint à me parler +de sa future, par la transition d’une jument grise qu’il lui destinait. + +«Nous la verrons aujourd’hui, dit-il. Je ne sais si vous la trouverez +jolie. Vous êtes difficiles, à Paris; mais tout le monde, ici et à +Perpignan, la trouve charmante. Le bon, c’est qu’elle est fort riche. +Sa tante de Prades lui a laissé son bien. Oh! je vais être fort +heureux.» + +Je fus profondément choqué de voir un jeune homme paraître plus touché +de la dot que des beaux yeux de sa future. + +«Vous vous connaissez en bijoux, poursuivit M. Alphonse, comment +trouvez-vous ceci? Voici l’anneau que je lui donnerai demain.» + +En parlant ainsi, il tirait de la première phalange de son petit doigt +une grosse bague enrichie de diamants, et formée de deux mains +entrelacées; allusion qui me parut infiniment poétique. Le travail en +était ancien, mais je jugeai qu’on l’avait retouchée pour enchâsser les +diamants. Dans l’intérieur de la bague se lisaient ces mots en lettres +gothiques: _Sempr’ ab ti_, c’est-à-dire, toujours avec toi. + +«C’est une jolie bague, lui dis-je; mais ces diamants ajoutés lui ont +fait perdre un peu de son caractère. + +— Oh! elle est bien plus belle comme cela, répondit-il en souriant. Il +y a là pour douze cents francs de diamants. C’est ma mère qui me l’a +donnée. C’était une bague de famille, très ancienne… du temps de la +chevalerie. Elle avait servi à ma grand-mère, qui la tenait de la +sienne. Dieu sait quand cela a été fait. + +— L’usage à Paris, lui dis-je, est de donner un anneau tout simple, +ordinairement composé de deux métaux différents, comme de l’or et du +platine. Tenez, cette autre bague, que vous avez à ce doigt, serait +fort convenable. Celle-ci, avec ses diamants et ses mains en relief, +est si grosse, qu’on ne pourrait mettre un gant par-dessus. + +— Oh! madame Alphonse s’arrangera comme elle voudra. Je crois qu’elle +sera toujours bien contente de l’avoir. Douze cents francs au doigt, +c’est agréable. Cette petite bague-là, ajouta-t-il en regardant d’un +air de satisfaction l’anneau tout uni qu’il portait à la main, +celle-là, c’est une femme à Paris qui me l’a donnée un jour de mardi +gras. Ah! comme je m’en suis donné quand j’étais à Paris, il y a deux +ans! C’est là qu’on s’amuse!…» Et il soupira de regret. + +Nous devions dîner ce jour-là à Puygarrig, chez les parents de la +future; nous montâmes en calèche, et nous nous rendîmes au château +éloigné d’Ille d’environ une lieue et demie. Je fus présenté et +accueilli comme l’ami de la famille. Je ne parlerai pas du dîner ni de +la conversation qui s’ensuivit, et à laquelle je pris peu de part. M. +Alphonse, placé à côté de sa future, lui disait un mot à l’oreille tous +les quarts d’heure. Pour elle, elle ne levait guère les yeux, et, +chaque fois que son prétendu lui parlait, elle rougissait avec +modestie, mais lui répondait sans embarras. + +Mademoiselle de Puygarrig avait dix-huit ans; sa taille souple et +délicate contrastait avec les formes osseuses de son robuste fiancé. +Elle était non seulement belle, mais séduisante. J’admirais le naturel +parfait de toutes ses réponses; et son air de bonté, qui pourtant +n’était pas exempt d’une légère teinte de malice, me rappela, malgré +moi, la Vénus de mon hôte. Dans cette comparaison que je fis en +moi-même, je me demandais si la supériorité de beauté qu’il fallait +bien accorder à la statue ne tenait pas, en grande partie, à son +expression de tigresse; car l’énergie, même dans les mauvaises +passions, excite toujours en nous un étonnement et une espèce +d’admiration involontaire. + +«Quel dommage, me dis-je en quittant Puygarrig, qu’une si aimable +personne soit riche, et que sa dot la fasse rechercher par un homme +indigne d’elle!» + +En revenant à Ille, et ne sachant trop que dire à madame de +Peyrehorade, à qui je croyais convenable d’adresser quelquefois la +parole: + +«Vous êtes bien esprits forts en Roussillon! m’écriai-je; comment, +madame, vous faites un mariage un vendredi! À Paris nous aurions plus +de superstition; personne n’oserait prendre femme un tel jour. + +— Mon Dieu! ne m’en parlez pas, me dit-elle, si cela n’avait dépendu +que de moi, certes on eût choisi un autre jour. Mais Peyrehorade l’a +voulu, et il a fallu lui céder. Cela me fait de la peine pourtant. S’il +arrivait quelque malheur? Il faut bien qu’il y ait une raison, car +enfin pourquoi tout le monde a-t-il peur du vendredi? + +— Vendredi! s’écria son mari, c’est le jour de Vénus! Bon jour pour un +mariage! Vous le voyez, mon cher collègue, je ne pense qu’à ma Vénus. +D’honneur! c’est à cause d’elle que j’ai choisi le vendredi. Demain, si +vous voulez, avant la noce, nous lui ferons un petit sacrifice; nous +sacrifierons deux palombes, et si je savais où trouver de l’encens… + +— Fi donc, Peyrehorade! interrompit sa femme scandalisée au dernier +point. Encenser une idole! Ce serait une abomination! Que dirait-on de +nous dans le pays? + +— Au moins, dit M. de Peyrehorade, tu me permettras de lui mettre sur +la tête une couronne de roses et de lis: + +_Manibus date lilia plenis._ + + +Vous le voyez, monsieur, la charte est un vain mot. Nous n’avons pas la +liberté des cultes!» + +Les arrangements du lendemain furent réglés de la manière suivante. +Tout le monde devait être prêt et en toilette à dix heures précises. Le +chocolat pris, on se rendrait en voiture à Puygarrig. Le mariage civil +devait se faire à la mairie du village, et la cérémonie religieuse dans +la chapelle du château. Viendrait ensuite un déjeuner. Après le +déjeuner on passerait le temps comme l’on pourrait jusqu’à sept heures. +À sept heures, on retournerait à Ille, chez M. de Peyrehorade, où +devaient souper les deux familles réunies. Le reste s’ensuit +naturellement. Ne pouvant danser, on avait voulu manger le plus +possible. + +Dès huit heures j’étais assis devant la Vénus, un crayon à la main, +recommençant pour la vingtième fois la tête de la statue, sans pouvoir +parvenir à en saisir l’expression. M. de Peyrehorade allait et venait +autour de moi, me donnait des conseils, me répétait ses étymologies +phéniciennes; puis disposait des roses du Bengale sur le piédestal de +la statue, et d’un ton tragi-comique lui adressait des vœux pour le +couple qui allait vivre sous son toit. Vers neuf heures il rentra pour +songer à sa toilette, et en même temps parut M. Alphonse, bien serré +dans un habit neuf, en gants blancs, souliers vernis, boutons ciselés, +une rose à la boutonnière. + +«Vous ferez le portrait de ma femme? me dit-il en se penchant sur mon +dessin. Elle est jolie aussi.» + +En ce moment commençait, sur le jeu de paume dont j’ai parlé, une +partie qui, sur-le-champ, attira l’attention de M. Alphonse. Et moi, +fatigué, et désespérant de rendre cette diabolique figure, je quittai +bientôt mon dessin pour regarder les joueurs. Il y avait parmi eux +quelques muletiers espagnols arrivés de la veille. C’étaient des +Aragonais et des Navarrois, presque tous d’une adresse merveilleuse. +Aussi les Illois, bien qu’encouragés par la présence et les conseils de +M. Alphonse, furent-ils assez promptement battus par ces nouveaux +champions. Les spectateurs nationaux étaient consternés. M. Alphonse +regarda à sa montre. Il n’était encore que neuf heures et demie. Sa +mère n’était pas coiffée. Il n’hésita plus: il ôta son habit, demanda +une veste, et défia les Espagnols. Je le regardais faire en souriant, +et un peu surpris. + +«Il faut soutenir l’honneur du pays», dit-il. + +Alors je le trouvai vraiment beau. Il était passionné. Sa toilette, qui +l’occupait si fort tout à l’heure, n’était plus rien pour lui. Quelques +minutes avant il eût craint de tourner la tête de peur de déranger sa +cravate. Maintenant il ne pensait plus à ses cheveux frisés ni à son +jabot si bien plissé. Et sa fiancée?… Ma foi, si cela eût été +nécessaire, il aurait, je crois, fait ajourner le mariage. Je le vis +chausser à la hâte une paire de sandales, retrousser ses manches, et, +d’un air assuré, se mettre à la tête du parti vaincu, comme César +ralliant ses soldats à Dyrrachium. Je sautai la haie, et me plaçai +commodément à l’ombre d’un micocoulier, de façon à bien voir les deux +camps. + +Contre l’attente générale, M. Alphonse manqua la première balle; il est +vrai qu’elle vint rasant la terre et lancée avec une force surprenante +par un Aragonais qui paraissait être le chef des Espagnols. + +C’était un homme d’une quarantaine d’années, sec et nerveux, haut de +six pieds, et sa peau olivâtre avait une teinte presque aussi foncée +que le bronze de la Vénus. + +M. Alphonse jeta sa raquette à terre avec fureur. «C’est cette maudite +bague, s’écria-t-il, qui me serre le doigt, et me fait manquer une +balle sûre!» + +Il ôta, non sans peine, sa bague de diamants: je m’approchais pour la +recevoir; mais il me prévint, courut à la Vénus, lui passa la bague au +doigt annulaire, et reprit son poste à la tête des Illois. Il était +pâle, mais calme et résolu. Dès lors il ne fit plus une seule faute, et +les Espagnols furent battus complètement. Ce fut un beau spectacle que +l’enthousiasme des spectateurs: les uns poussaient mille cris de joie +en jetant leurs bonnets en l’air; d’autres lui serraient les mains, +l’appelant l’honneur du pays. S’il eût repoussé une invasion, je doute +qu’il eût reçu des félicitations plus vives et plus sincères. Le +chagrin des vaincus ajoutait encore à l’éclat de sa victoire. + +«Nous ferons d’autres parties, mon brave, dit-il à l’Aragonais d’un ton +de supériorité; mais je vous rendrai des points.» + +J’aurais désiré que M. Alphonse fût plus modeste, et je fus presque +peiné de l’humiliation de son rival. + +Le géant espagnol ressentit profondément cette insulte. Je le vis pâlir +sous sa peau basanée. Il regardait d’un air morne sa raquette en +serrant les dents; puis, d’une voix étouffée, il dit tout bas: _Me lo +pagarás_. + +La voix de M. de Peyrehorade troubla le triomphe de son fils; mon hôte, +fort étonné de ne point le trouver présidant aux apprêts de la calèche +neuve, le fut bien plus encore en le voyant tout en sueur, la raquette +à la main. M. Alphonse courut à la maison, se lava la figure et les +mains, remit son habit neuf et ses souliers vernis, et cinq minutes +après nous étions au grand trot sur la route de Puygarrig. Tous les +joueurs de paume de la ville et grand nombre de spectateurs nous +suivirent avec des cris de joie. À peine les chevaux vigoureux qui nous +traînaient pouvaient-ils maintenir leur avance sur ces intrépides +Catalans. + +Nous étions à Puygarrig, et le cortège allait se mettre en marche pour +la mairie, lorsque M. Alphonse, se frappant le front, me dit tout bas: + +«Quelle brioche! J’ai oublié la bague! Elle est au doigt de la Vénus, +que le diable puisse emporter! Ne le dites pas à ma mère au moins. +Peut-être qu’elle ne s’apercevra de rien. + +— Vous pourriez envoyer quelqu’un, lui dis-je. + +— Bah! mon domestique est resté à Ille. Ceux-ci, je ne m’y fie guère. +Douze cents francs de diamants! cela pourrait en tenter plus d’un. +D’ailleurs que penserait-on ici de ma distraction? Ils se moqueraient +trop de moi. Ils m’appelleraient le mari de la statue… Pourvu qu’on ne +me la vole pas! Heureusement que l’idole fait peur à mes coquins. Ils +n’osent l’approcher à longueur de bras. Bah! ce n’est rien; j’ai une +autre bague.» + +Les deux cérémonies civile et religieuse s’accomplirent avec la pompe +convenable; et mademoiselle de Puygarrig reçut l’anneau d’une modiste +de Paris, sans se douter que son fiancé lui faisait le sacrifice d’un +gage amoureux. Puis on se mit à table, où l’on but, mangea, chanta +même, le tout fort longuement. Je souffrais pour la mariée de la grosse +joie qui éclatait autour d’elle; pourtant elle faisait meilleure +contenance que je ne l’aurais espéré, et son embarras n’était ni de la +gaucherie ni de l’affectation. + +Peut-être le courage vient-il avec les situations difficiles. + +Le déjeuner terminé quand il plut à Dieu, il était quatre heures; les +hommes allèrent se promener dans le parc, qui était magnifique, ou +regardèrent danser sur la pelouse du château les paysannes de +Puygarrig, parées de leurs habits de fête. De la sorte, nous employâmes +quelques heures. Cependant les femmes étaient fort empressées autour de +la mariée, qui leur faisait admirer sa corbeille. Puis elle changea de +toilette, et je remarquai qu’elle couvrit ses beaux cheveux d’un bonnet +et d’un chapeau à plumes, car les femmes n’ont rien de plus pressé que +de prendre, aussitôt qu’elles le peuvent, les parures que l’usage leur +défend de porter quand elles sont encore demoiselles. + +Il était près de huit heures quand on se disposa à partir pour Ille. +Mais d’abord eut lieu une scène pathétique. La tante de mademoiselle de +Puygarrig, qui lui servait de mère, femme très âgée et fort dévote, ne +devait point aller avec nous à la ville. Au départ, elle fit à sa nièce +un sermon touchant sur ses devoirs d’épouse, duquel sermon résulta un +torrent de larmes et des embrassements sans fin. M. de Peyrehorade +comparait cette séparation à l’enlèvement des Sabines. Nous partîmes +pourtant, et, pendant la route, chacun s’évertua pour distraire la +mariée et la faire rire; mais ce fut en vain. + +À Ille, le souper nous attendait, et quel souper! Si la grosse joie du +matin m’avait choqué, je le fus bien davantage des équivoques et des +plaisanteries dont le marié et la mariée surtout furent l’objet. Le +marié, qui avait disparu un instant avant de se mettre à table, était +pâle et d’un sérieux de glace. Il buvait à chaque instant du vieux vin +de Collioure presque aussi fort que de l’eau-de-vie. J’étais à côté de +lui, et me crus obligé de l’avertir: + +«Prenez garde! on dit que le vin…» + +Je ne sais quelle sottise je lui dis pour me mettre à l’unisson des +convives. + +Il me poussa le genou, et très bas il me dit: + +«Quand on se lèvera de table…, que je puisse vous dire deux mots.» + +Son ton solennel me surprit. Je le regardai plus attentivement, et je +remarquai l’étrange altération de ses traits. + +«Vous sentez-vous indisposé? lui demandai-je. + +— Non.» + +Et il se remit à boire. + +Cependant, au milieu des cris et des battements de mains, un enfant de +onze ans, qui s’était glissé sous la table, montrait aux assistants un +joli ruban blanc et rose qu’il venait de détacher de la cheville de la +mariée. On appelle cela sa jarretière. Elle fut aussitôt coupée par +morceaux et distribuée aux jeunes gens, qui en ornèrent leur +boutonnière, suivant un antique usage qui se conserve encore dans +quelques familles patriarcales. Ce fut pour la mariée une occasion de +rougir jusqu’au blanc des yeux. Mais son trouble fut au comble lorsque +M. de Peyrehorade, ayant réclamé le silence, lui chanta quelques vers +catalans, impromptus, disait-il. En voici le sens, si je l’ai bien +compris: + +«Qu’est-ce donc, mes amis? Le vin que j’ai bu me fait-il voir double? +Il y a deux Vénus ici…» + +Le marié tourna brusquement la tête d’un air effaré, qui fit rire tout +le monde. + +«Oui, poursuivit M. de Peyrehorade, il y a deux Vénus sous mon toit. +L’une, je l’ai trouvée dans la terre comme une truffe; l’autre, +descendue des cieux, vient de nous partager sa ceinture.» + +Il voulait dire sa jarretière. + +«Mon fils, choisis de la Vénus romaine ou de la catalane celle que tu +préfères. Le maraud prend la catalane, et sa part est la meilleure. La +romaine est noire, la catalane est blanche. La romaine est froide, la +catalane enflamme tout ce qui l’approche.» + +Cette chute excita un tel hourra, des applaudissements si bruyants et +des rires si sonores, que je crus que le plafond allait nous tomber sur +la tête. Autour de la table il n’y avait que trois visages sérieux, +ceux des mariés et le mien. J’avais un grand mal de tête; et puis, je +ne sais pourquoi, un mariage m’attriste toujours. Celui-là, en outre, +me dégoûtait un peu. + +Les derniers couplets ayant été chantés par l’adjoint du maire, et ils +étaient fort lestes, je dois le dire, on passa dans le salon pour jouir +du départ de la mariée, qui devait être bientôt conduite à sa chambre, +car il était près de minuit. + +M. Alphonse me tira dans l’embrasure d’une fenêtre, et me dit en +détournant les yeux: «Vous allez vous moquer de moi… Mais je ne sais ce +que j’ai… je suis ensorcelé! le diable m’emporte!» + +La première pensée qui me vint fut qu’il se croyait menacé de quelque +malheur du genre de ceux dont parlent Montaigne et madame de Sévigné: + +«Tout l’empire amoureux est plein d’histoires tragiques», etc. Je +croyais que ces sortes d’accidents n’arrivaient qu’aux gens d’esprit, +me dis-je à moi-même. + +«Vous avez trop bu de vin de Collioure, mon cher monsieur Alphonse, lui +dis-je. Je vous avais prévenu. + +— Oui, peut-être. Mais c’est quelque chose de bien plus terrible.» + +Il avait la voix entrecoupée. Je le crus tout à fait ivre. + +«Vous savez bien mon anneau? poursuivit-il après un silence. + +— Eh bien! on l’a pris? + +— Non. + +— En ce cas, vous l’avez? + +— Non… je… Je ne puis l’ôter du doigt de cette diable de Vénus. + +— Bon! vous n’avez pas tiré assez fort. + +— Si fait… Mais la Vénus… elle a serré le doigt.» + +Il me regardait fixement d’un air hagard, s’appuyant à l’espagnolette +pour ne pas tomber. + +«Quel conte! lui dis-je. Vous avez trop enfoncé l’anneau. Demain vous +l’aurez avec des tenailles. Mais prenez garde de gâter la statue. + +— Non, vous dis-je. Le doigt de la Vénus est retiré, reployé; elle +serre la main, m’entendez-vous?… C’est ma femme, apparemment, puisque +je lui ai donné mon anneau… Elle ne veut plus le rendre.» + +J’éprouvai un frisson subit, et j’eus un instant la chair de poule. +Puis, un grand soupir qu’il fit m’envoya une bouffée de vin, et toute +émotion disparut. + +Le misérable, pensai-je, est complètement ivre. + +«Vous êtes antiquaire, monsieur, ajouta le marié d’un ton lamentable; +vous connaissez ces statues-là… il y a peut-être quelque ressort, +quelque diablerie, que je ne connais point… Si vous alliez voir? + +— Volontiers, dis-je. Venez avec moi. + +— Non, j’aime mieux que vous y alliez seul.» + +Je sortis du salon. + +Le temps avait changé pendant le souper, et la pluie commençait à +tomber avec force. J’allais demander un parapluie, lorsqu’une réflexion +m’arrêta. Je serais un bien grand sot, me dis-je, d’aller vérifier ce +que m’a dit un homme ivre! Peut-être, d’ailleurs, a-t-il voulu me faire +quelque méchante plaisanterie pour apprêter à rire à ces honnêtes +provinciaux; et le moins qu’il puisse m’en arriver, c’est d’être trempé +jusqu’aux os et d’attraper un bon rhume. + +De la porte je jetai un coup d’œil sur la statue ruisselante d’eau, et +je montai dans ma chambre sans rentrer dans le salon. Je me couchai; +mais le sommeil fut long à venir. Toutes les scènes de la journée se +représentaient à mon esprit. Je pensais à cette jeune fille si belle et +si pure abandonnée à un ivrogne brutal. Quelle odieuse chose, me +disais-je, qu’un mariage de convenance! Un maire revêt une écharpe +tricolore, un curé une étole, et voilà la plus honnête fille du monde +livrée au Minotaure! Deux êtres qui ne s’aiment pas, que peuvent-ils se +dire dans un pareil moment, que deux amants achèteraient au prix de +leur existence? Une femme peut-elle jamais aimer un homme qu’elle aura +vu grossier une fois? Les premières impressions ne s’effacent pas, et +j’en suis sûr ce M. Alphonse méritera bien d’être haï… + +Durant mon monologue, que j’abrège beaucoup, j’avais entendu force +allées et venues dans la maison, les portes s’ouvrir et se fermer, des +voitures partir; puis il me semblait avoir entendu sur l’escalier les +pas légers de plusieurs femmes se dirigeant vers l’extrémité du +corridor opposé à ma chambre. C’était probablement le cortège de la +mariée qu’on menait au lit. Ensuite on avait redescendu l’escalier. La +porte de madame de Peyrehorade s’était fermée. Que cette pauvre fille, +me dis-je, doit être troublée et mal à son aise! Je me tournais dans +mon lit de mauvaise humeur. Un garçon joue un sot rôle dans une maison +où s’accomplit un mariage. + +Le silence régnait depuis quelque temps lorsqu’il fut troublé par des +pas lourds qui montaient l’escalier. Les marches de bois craquèrent +fortement. + +«Quel butor! m’écriai-je. Je parie qu’il va tomber dans l’escalier.» + +Tout redevint tranquille. Je pris un livre pour changer le cours de mes +idées. C’était une statistique du département, ornée d’un mémoire de M. +de Peyrehorade sur les monuments druidiques de l’arrondissement de +Prades. Je m’assoupis à la troisième page. + +Je dormis mal et me réveillai plusieurs fois. Il pouvait être cinq +heures du matin, et j’étais éveillé depuis plus de vingt minutes +lorsque le coq chanta. Le jour allait se lever. Alors j’entendis +distinctement les mêmes pas lourds, le même craquement de l’escalier +que j’avais entendus avant de m’endormir. Cela me parut singulier. +J’essayai, en bâillant, de deviner pourquoi M. Alphonse se levait si +matin. Je n’imaginais rien de vraisemblable. J’allais refermer les yeux +lorsque mon attention fut de nouveau excitée par des trépignements +étranges auxquels se mêlèrent bientôt le tintement des sonnettes et le +bruit de portes qui s’ouvraient avec fracas, puis je distinguai des +cris confus. + +Mon ivrogne aura mis le feu quelque part! pensais-je en sautant à bas +de mon lit. + +Je m’habillai rapidement et j’entrai dans le corridor. De l’extrémité +opposée partaient des cris et des lamentations, et une voix déchirante +dominait toutes les autres: «Mon fils! mon fils!» Il était évident +qu’un malheur était arrivé à M. Alphonse. Je courus à la chambre +nuptiale: elle était pleine de monde. Le premier spectacle qui frappa +ma vue fut le jeune homme à demi-vêtu, étendu en travers sur le lit +dont le bois était brisé. Il était livide, sans mouvement. Sa mère +pleurait et criait à côté de lui. M. de Peyrehorade s’agitait, lui +frottait les tempes avec de l’eau de Cologne, ou lui mettait des sels +sous le nez. Hélas! depuis longtemps son fils était mort. Sur un +canapé, à l’autre bout de la chambre, était la mariée, en proie à +d’horribles convulsions. Elle poussait des cris inarticulés, et deux +robustes servantes avaient toutes les peines du monde à la contenir. + +«Mon Dieu! m’écriai-je, qu’est-il donc arrivé?» + +Je m’approchai du lit et soulevai le corps du malheureux jeune homme; +il était déjà roide et froid. Ses dents serrées et sa figure noircie +exprimaient les plus affreuses angoisses. Il paraissait assez que sa +mort avait été violente et son agonie terrible. Nulle trace de sang +cependant sur ses habits. J’écartai sa chemise et vis sur sa poitrine +une empreinte livide qui se prolongeait sur les côtes et le dos. On eût +dit qu’il avait été étreint dans un cercle de fer. Mon pied posa sur +quelque chose de dur qui se trouvait sur le tapis; je me baissai et vis +la bague de diamants. + +J’entraînai M. de Peyrehorade et sa femme dans leur chambre; puis j’y +fis porter la mariée. «Vous avez encore une fille, leur dis-je, vous +lui devez vos soins.» Alors je les laissai seuls. + +Il ne me paraissait pas douteux que M. Alphonse n’eût été victime d’un +assassinat dont les auteurs avaient trouvé moyen de s’introduire la +nuit dans la chambre de la mariée. Ces meurtrissures à la poitrine, +leur direction circulaire m’embarrassaient beaucoup pourtant, car un +bâton ou une barre de fer n’aurait pu les produire. Tout d’un coup je +me souvins d’avoir entendu dire qu’à Valence des braves se servaient de +longs sacs de cuir remplis de sable fin pour assommer les gens dont on +leur avait payé la mort. Aussitôt je me rappelai le muletier aragonais +et sa menace; toutefois j’osais à peine penser qu’il eût tiré une si +terrible vengeance d’une plaisanterie légère. + +J’allais dans la maison, cherchant partout des traces d’effraction, et +n’en trouvant nulle part. Je descendis dans le jardin pour voir si les +assassins avaient pu s’introduire de ce côté; mais je ne trouvai aucun +indice certain. La pluie de la veille avait d’ailleurs tellement +détrempé le sol, qu’il n’aurait pu garder d’empreinte bien nette. +J’observai pourtant quelques pas profondément imprimés dans la terre: +il y en avait dans deux directions contraires, mais sur une même ligne, +partant de l’angle de la haie contiguë au jeu de paume et aboutissant à +la porte de la maison. Ce pouvaient être les pas de M. Alphonse +lorsqu’il était allé chercher son anneau au doigt de la statue. D’un +autre côté, la haie, en cet endroit, étant moins fourrée qu’ailleurs, +ce devait être sur ce point que les meurtriers l’auraient franchie. +Passant et repassant devant la statue, je m’arrêtai un instant pour la +considérer. Cette fois, je l’avouerai, je ne pus contempler sans effroi +son expression de méchanceté ironique; et, la tête toute pleine des +scènes horribles dont je venais d’être le témoin, il me sembla voir une +divinité infernale applaudissant au malheur qui frappait cette maison. + +Je regagnai ma chambre et j’y restai jusqu’à midi. Alors je sortis et +demandai des nouvelles de mes hôtes. Ils étaient un peu plus calmes. +Mademoiselle de Puygarrig, je devrais dire la veuve de M. Alphonse, +avait repris connaissance. Elle avait même parlé au procureur du roi de +Perpignan, alors en tournée à Ille, et ce magistrat avait reçu sa +déposition. Il me demanda la mienne. Je lui dis ce que je savais, et ne +lui cachai pas mes soupçons contre le muletier aragonais. Il ordonna +qu’il fût arrêté sur-le-champ. + +«Avez-vous appris quelque chose de madame Alphonse?» demandai-je au +procureur du roi, lorsque ma déposition fut écrite et signée. + +«Cette malheureuse jeune personne est devenue folle, me dit-il en +souriant tristement. Folle! tout à fait folle. Voici ce qu’elle conte: + +«Elle était couchée, dit-elle, depuis quelques minutes, les rideaux +tirés, lorsque la porte de sa chambre s’ouvrit, et quelqu’un entra. +Alors madame Alphonse était dans la ruelle du lit, la figure tournée +vers la muraille. Elle ne fit pas un mouvement, persuadée que c’était +son mari. Au bout d’un instant le lit cria comme s’il était chargé d’un +poids énorme. Elle eut grand’peur, mais n’osa pas tourner la tête. Cinq +minutes, dix minutes peut-être… elle ne peut se rendre compte du temps, +se passèrent de la sorte. Puis elle fit un mouvement involontaire, ou +bien la personne qui était dans le lit en fit un, et elle sentit le +contact de quelque chose de froid comme la glace, ce sont ses +expressions. Elle s’enfonça dans la ruelle tremblant de tous ses +membres. Peu après, la porte s’ouvrit une seconde fois, et quelqu’un +entra, qui dit: Bonsoir, ma petite femme. Bientôt après on tira les +rideaux. Elle entendit un cri étouffé. La personne qui était dans le +lit, à côté d’elle, se leva sur son séant et parut étendre les bras en +avant. Elle tourna la tête alors… et vit, dit-elle, son mari à genoux +auprès du lit, la tête à la hauteur de l’oreiller, entre les bras d’une +espèce de géant verdâtre qui l’étreignait avec force. Elle dit, et m’a +répété vingt fois, pauvre femme!… elle dit qu’elle a reconnu… +devinez-vous? la Vénus de bronze, la statue de M. de Peyrehorade… +Depuis qu’elle est dans le pays, tout le monde en rêve. Mais je +reprends le récit de la malheureuse folle. À ce spectacle, elle perdit +connaissance, et probablement depuis quelques instants elle avait perdu +la raison. Elle ne peut en aucune façon dire combien de temps elle +demeura évanouie. Revenue à elle, elle revit le fantôme, ou la statue, +comme elle dit toujours, immobile, les jambes et le bas du corps dans +le lit, le buste et les bras étendus en avant, et entre ses bras son +mari, sans mouvement. Un coq chanta. Alors la statue sortit du lit, +laissa tomber le cadavre et sortit. Mme Alphonse se pendit à la +sonnette, et vous savez le reste.» + +On amena l’Espagnol; il était calme, et se défendit avec beaucoup de +sang-froid et de présence d’esprit. Du reste, il ne nia pas le propos +que j’avais entendu; mais il l’expliquait, prétendant qu’il n’avait +voulu dire autre chose, sinon que le lendemain, reposé qu’il serait, il +aurait gagné une partie de paume à son vainqueur. Je me rappelle qu’il +ajouta: + +«Un Aragonais, lorsqu’il est outragé, n’attend pas au lendemain pour se +venger. Si j’avais cru que M. Alphonse eût voulu m’insulter, je lui +aurais sur-le-champ donné de mon couteau dans le ventre.» + +On compara ses souliers avec les empreintes de pas dans le jardin; ses +souliers étaient beaucoup plus grands. + +Enfin l’hôtelier chez qui cet homme était logé assura qu’il avait passé +toute la nuit à frotter et à médicamenter un de ses mulets qui était +malade. + +D’ailleurs cet Aragonais était un homme bien famé, fort connu dans le +pays, où il venait tous les ans pour son commerce. On le relâcha donc +en lui faisant des excuses. + +J’oubliais la déposition d’un domestique qui le dernier avait vu M. +Alphonse vivant. C’était au moment qu’il allait monter chez sa femme, +et, appelant cet homme, il lui demanda d’un air d’inquiétude s’il +savait où j’étais. Le domestique répondit qu’il ne m’avait point vu. +Alors M. Alphonse fit un soupir et resta plus d’une minute sans parler, +puis il dit: _Allons! le diable l’aura emporté aussi!_ + +Je demandai à cet homme si M. Alphonse avait sa bague de diamants, +lorsqu’il lui parla. Le domestique hésita pour répondre; enfin il dit +qu’il ne le croyait pas, qu’il n’y avait fait au reste aucune +attention. «S’il avait eu cette bague au doigt, ajouta-t-il en se +reprenant, je l’aurais sans doute remarquée, car je croyais qu’il +l’avait donnée à madame Alphonse.» + +En questionnant cet homme je ressentais un peu de la terreur +superstitieuse que la déposition de Mme Alphonse avait répandue dans +toute la maison. Le procureur du roi me regarda en souriant, et je me +gardai bien d’insister. + +Quelques heures après les funérailles de M. Alphonse, je me disposai à +quitter Ille. La voiture de M. de Peyrehorade devait me conduire à +Perpignan. Malgré son état de faiblesse, le pauvre vieillard voulut +m’accompagner jusqu’à la porte de son jardin. Nous le traversâmes en +silence, lui se traînant à peine, appuyé sur mon bras. Au moment de +nous séparer, je jetai un dernier regard sur la Vénus. Je prévoyais +bien que mon hôte, quoiqu’il ne partageât point les terreurs et les +haines qu’elle inspirait à une partie de sa famille, voudrait se +défaire d’un objet qui lui rappellerait sans cesse un malheur affreux. +Mon intention était de l’engager à la placer dans un musée. J’hésitais +pour entrer en matière, quand M. de Peyrehorade tourna machinalement la +tête du côté où il me voyait regarder fixement. Il aperçut la statue et +aussitôt fondit en larmes. Je l’embrassai, et, sans oser lui dire un +seul mot, je montai dans la voiture. + +Depuis mon départ je n’ai point appris que quelque jour nouveau soit +venu éclairer cette mystérieuse catastrophe. + +M. de Peyrehorade mourut quelques mois après son fils. Par son +testament il m’a légué ses manuscrits, que je publierai peut-être un +jour. Je n’y ai point trouvé le mémoire relatif aux inscriptions de la +Vénus. + +_P. S._ Mon ami M. de P. vient de m’écrire que la statue n’existe plus. +Après la mort de son mari, le premier soin de Madame de Peyrehorade fut +de la faire fondre en cloche, et sous cette nouvelle forme elle sert à +l’église d’Ille. Mais, ajoute M. de P., il semble qu’un mauvais sort +poursuive ceux qui possèdent ce bronze. Depuis que cette cloche sonne à +l’Ille, les vignes ont gelé deux fois. + +1837. + + + + +*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LA VÉNUS D’ILLE *** + +Updated editions will replace the previous one--the old editions will +be renamed. + +Creating the works from print editions not protected by U.S. copyright +law means that no one owns a United States copyright in these works, +so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the +United States without permission and without paying copyright +royalties. 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C’est la plus belle d’Ille. Il a de +l’argent, oui, M. de Peyrehorade; et il marie son fils à plus riche que lui +encore. +</p> + +<p> +— Et ce mariage se fera-t-il bientôt? lui demandai-je. +</p> + +<p> +— Bientôt! il se peut que déjà les violons soient commandés pour la noce. Ce +soir, peut-être, demain, après-demain, que sais-je! C’est à Puygarrig que ça se +fera; car c’est mademoiselle de Puygarrig que monsieur le fils épouse. Ce sera +beau, oui!» +</p> + +<p> +J’étais recommandé à M. de Peyrehorade par mon ami M. de P. C’était, m’avait-il +dit, un antiquaire fort instruit et d’une complaisance à toute épreuve. Il se +ferait un plaisir de me montrer toutes les ruines à dix lieues à la ronde. Or +je comptais sur lui pour visiter les environs d’Ille, que je savais riches en +monuments antiques et du Moyen Âge. Ce mariage, dont on me parlait alors pour +la première fois, dérangeait tous mes plans. +</p> + +<p> +Je vais être un trouble-fête, me dis-je. Mais j’étais attendu; annoncé par M. +de P., il fallait bien me présenter. +</p> + +<p> +«Gageons, monsieur, me dit mon guide, comme nous étions déjà dans la plaine, +gageons un cigare que je devine ce que vous allez faire chez M. de Peyrehorade? +</p> + +<p> +— Mais, répondis-je en lui tendant un cigare, cela n’est pas bien difficile à +deviner. À l’heure qu’il est, quand on a fait six lieues dans le Canigou, la +grande affaire, c’est de souper. +</p> + +<p> +— Oui, mais demain?… Tenez, je parierais que vous venez à Ille pour voir +l’idole? j’ai deviné cela à vous voir tirer en portrait les saints de +Serrabona. +</p> + +<p> +— L’idole! quelle idole?» Ce mot avait excité ma curiosité. +</p> + +<p> +«Comment! on ne vous a pas conté, à Perpignan, comment M. de Peyrehorade avait +trouvé une idole en terre? +</p> + +<p> +— Vous voulez dire une statue en terre cuite, en argile? +</p> + +<p> +— Non pas. Oui, bien en cuivre, et il y en a de quoi faire des gros sous. Elle +vous pèse autant qu’une cloche d’église. C’est bien avant dans la terre, au +pied d’un olivier, que nous l’avons eue. +</p> + +<p> +— Vous étiez donc présent à la découverte? +</p> + +<p> +— Oui, monsieur. M. de Peyrehorade nous dit, il y a quinze jours, à Jean Coll +et à moi, de déraciner un vieil olivier qui était gelé de l’année dernière, car +elle a été bien mauvaise, comme vous savez. Voilà donc qu’en travaillant Jean +Coll qui y allait de tout cœur, il donne un coup de pioche, et j’entends bimm… +comme s’il avait tapé sur une cloche. Qu’est-ce que c’est? que je dis. Nous +piochons toujours, nous piochons, et voilà qu’il paraît une main noire, qui +semblait la main d’un mort qui sortait de terre. Moi, la peur me prend. Je m’en +vais à monsieur, et je lui dis: — Des morts, notre maître, qui sont sous +l’olivier! Faut appeler le curé. — Quels morts? qu’il me dit. Il vient, et il +n’a pas plutôt vu la main qu’il s’écrie: — Un antique! un antique! — Vous +auriez cru qu’il avait trouvé un trésor. Et le voilà, avec la pioche, avec les +mains, qui se démène et qui faisait quasiment autant d’ouvrage que nous deux. +</p> + +<p> +— Et enfin que trouvâtes-vous? +</p> + +<p> +— Une grande femme noire plus qu’à moitié nue, révérence parler, monsieur, +toute en cuivre, et M. de Peyrehorade nous a dit que c’était une idole du temps +des païens… du temps de Charlemagne, quoi! +</p> + +<p> +— Je vois ce que c’est… Quelque bonne Vierge en bronze d’un couvent détruit. +</p> + +<p> +— Une bonne Vierge! ah bien oui!… Je l’aurais bien reconnue, si ç’avait été une +bonne Vierge. C’est une idole, vous dis-je; on le voit bien à son air. Elle +vous fixe avec ses grands yeux blancs… On dirait qu’elle vous dévisage. On +baisse les yeux, oui, en la regardant. +</p> + +<p> +— Des yeux blancs? Sans doute ils sont incrustés dans le bronze. Ce sera +peut-être quelque statue romaine. +</p> + +<p> +— Romaine! c’est cela. M. de Peyrehorade dit que c’est une Romaine. Ah! je vois +bien que vous êtes un savant comme lui. +</p> + +<p> +— Est-elle entière, bien conservée? +</p> + +<p> +— Oh! monsieur, il ne lui manque rien. C’est encore plus beau et mieux fini que +le buste de Louis-Philippe, qui est à la mairie, en plâtre peint. Mais avec +tout cela, la figure de cette idole ne me revient pas. Elle a l’air méchante… +et elle l’est aussi. +</p> + +<p> +— Méchante! Quelle méchanceté vous a-t-elle faite? +</p> + +<p> +— Pas à moi précisément; mais vous allez voir. Nous nous étions mis à quatre +pour la dresser debout, et M. de Peyrehorade, qui lui aussi tirait à la corde, +bien qu’il n’ait guère plus de force qu’un poulet, le digne homme! Avec bien de +la peine nous la mettons droite. J’amassais un tuileau pour la caler, quand, +patatras! la voilà qui tombe à la renverse tout d’une masse. Je dis: Gare +dessous! Pas assez vite pourtant, car Jean Coll n’a pas eu le temps de tirer sa +jambe… +</p> + +<p> +— Et il a été blessé? +</p> + +<p> +— Cassée net comme un échalas, sa pauvre jambe! Pécaïre! quand j’ai vu cela, +moi, j’étais furieux. Je voulais défoncer l’idole à coups de pioche, mais M. de +Peyrehorade m’a retenu. Il a donné de l’argent à Jean Coll, qui tout de même +est encore au lit depuis quinze jours que cela lui est arrivé, et le médecin +dit qu’il ne marchera jamais de cette jambe-là comme de l’autre. C’est dommage, +lui qui était notre meilleur coureur et, après monsieur le fils, le plus malin +joueur de paume. C’est que M. Alphonse de Peyrehorade en a été triste, car +c’est Coll qui faisait sa partie. Voilà qui était beau à voir comme ils se +renvoyaient les balles. Paf! paf! Jamais elles ne touchaient terre.» +</p> + +<p> +Devisant de la sorte, nous entrâmes à Ille, et je me trouvai bientôt en +présence de M. de Peyrehorade. C’était un petit vieillard vert encore et +dispos, poudré, le nez rouge, l’air jovial et goguenard. Avant d’avoir ouvert +la lettre de M. de P., il m’avait installé devant une table bien servie, et +m’avait présenté à sa femme et à son fils comme un archéologue illustre, qui +devait tirer le Roussillon de l’oubli où le laissait l’indifférence des +savants. +</p> + +<p> +Tout en mangeant de bon appétit, car rien ne dispose mieux que l’air vif des +montagnes, j’examinais mes hôtes. J’ai dit un mot de M. de Peyrehorade; je dois +ajouter que c’était la vivacité même. Il parlait, mangeait, se levait, courait +à sa bibliothèque, m’apportait des livres, me montrait des estampes, me versait +à boire; il n’était jamais deux minutes en repos. Sa femme, un peu trop grasse, +comme la plupart des Catalanes lorsqu’elles ont passé quarante ans, me parut +une provinciale renforcée, uniquement occupée des soins de son ménage. Bien que +le souper fût suffisant pour six personnes au moins, elle courut à la cuisine, +fit tuer des pigeons, frire des miliasses, ouvrit je ne sais combien de pots de +confitures. En un instant la table fut encombrée de plats et de bouteilles, et +je serais certainement mort d’indigestion si j’avais goûté seulement à tout ce +qu’on m’offrait. Cependant, à chaque plat que je refusais, c’étaient de +nouvelles excuses. On craignait que je ne me trouvasse bien mal à Ille. Dans la +province on a peu de ressources, et les Parisiens sont si difficiles! +</p> + +<p> +Au milieu des allées et venues de ses parents, M. Alphonse de Peyrehorade ne +bougeait pas plus qu’un Terme. C’était un grand jeune homme de vingt-six ans, +d’une physionomie belle et régulière, mais manquant d’expression. Sa taille et +ses formes athlétiques justifiaient bien la réputation d’infatigable joueur de +paume qu’on lui faisait dans le pays. Il était ce soir-là habillé avec +élégance, exactement d’après la gravure du dernier numéro du <i>Journal des +modes</i>. Mais il me semblait gêné dans ses vêtements; il était roide comme un +piquet dans son col de velours, et ne se tournait que tout d’une pièce. Ses +mains grosses et hâlées, ses ongles courts, contrastaient singulièrement avec +son costume. C’étaient des mains de laboureur sortant des manches d’un dandy. +D’ailleurs, bien qu’il me considérât de la tête aux pieds fort curieusement, en +ma qualité de Parisien, il ne m’adressa qu’une seule fois la parole dans toute +la soirée, ce fut pour me demander où j’avais acheté la chaîne de ma montre. +</p> + +<p> +«Ah çà! mon cher hôte, me dit M. de Peyrehorade, le souper tirant à sa fin, +vous m’appartenez, vous êtes chez moi. Je ne vous lâche plus, sinon quand vous +aurez vu tout ce que nous avons de curieux dans nos montagnes. Il faut que vous +appreniez à connaître notre Roussillon, et que vous lui rendiez justice. Vous +ne vous doutez pas de tout ce que nous allons vous montrer. Monuments +phéniciens, celtiques, romains, arabes, byzantins, vous verrez tout, depuis le +cèdre jusqu’à l’hysope. Je vous mènerai partout et ne vous ferai pas grâce +d’une brique.» +</p> + +<p> +Un accès de toux l’obligea de s’arrêter. J’en profitai pour lui dire que je +serais désolé de le déranger dans une circonstance aussi intéressante pour sa +famille. S’il voulait bien me donner ses excellents conseils sur les excursions +que j’aurais à faire, je pourrais, sans qu’il prît la peine de m’accompagner… +</p> + +<p> +«Ah! vous voulez parler du mariage de ce garçon-là, s’écria-t-il en +m’interrompant. Bagatelle! ce sera fait après-demain. Vous ferez la noce avec +nous, en famille, car la future est en deuil d’une tante dont elle hérite. +Ainsi point de fête, point de bal… C’est dommage… vous auriez vu danser nos +Catalanes… Elles sont jolies, et peut-être l’envie vous aurait-elle pris +d’imiter mon Alphonse. Un mariage, dit-on, en amène d’autres… Samedi, les +jeunes gens mariés, je suis libre, et nous nous mettons en course. Je vous +demande pardon de vous donner l’ennui d’une noce de province. Pour un Parisien +blasé sur les fêtes… et une noce sans bal encore! Pourtant, vous verrez une +mariée… une mariée… vous m’en direz des nouvelles… Mais vous êtes un homme +grave et vous ne regardez plus les femmes. J’ai mieux que cela à vous montrer. +Je vous ferai voir quelque chose!… Je vous réserve une fière surprise pour +demain. +</p> + +<p> +— Mon Dieu! lui dis-je, il est difficile d’avoir un trésor dans sa maison sans +que le public en soit instruit. Je crois deviner la surprise que vous me +préparez. Mais si c’est de votre statue qu’il s’agit, la description que mon +guide m’en a faite n’a servi qu’à exciter ma curiosité et à me disposer à +l’admiration. +</p> + +<p> +— Ah! il vous a parlé de l’idole, car c’est ainsi qu’ils appellent ma belle +Vénus Tur… mais je ne veux rien vous dire. Demain, au grand jour, vous la +verrez, et vous me direz si j’ai raison de la croire un chef-d’œuvre. Parbleu! +vous ne pouviez arriver plus à propos! Il y a des inscriptions que moi, pauvre +ignorant, j’explique à ma manière… mais un savant de Paris!… Vous vous moquerez +peut-être de mon interprétation… car j’ai fait un mémoire… moi qui vous parle… +vieil antiquaire de province, je me suis lancé… Je veux faire gémir la presse… +Si vous vouliez bien me lire et me corriger, je pourrais espérer… Par exemple, +je suis bien curieux de savoir comment vous traduirez cette inscription sur le +socle: CAVE… Mais je ne veux rien vous demander encore! À demain, à demain! Pas +un mot sur la Vénus aujourd’hui! +</p> + +<p> +— Tu as raison, Peyrehorade, dit sa femme, de laisser là ton idole. Tu devrais +voir que tu empêches monsieur de manger. Va, monsieur a vu à Paris de bien plus +belles statues que la tienne. Aux Tuileries, il y en a des douzaines, et en +bronze aussi. +</p> + +<p> +— Voilà bien l’ignorance, la sainte ignorance de la province! interrompit M. de +Peyrehorade. Comparer un antique admirable aux plates figures de Coustou! +</p> + +<p class="center"> +Comme avec irrévérence<br/> +Parle des dieux ma ménagère! +</p> + +<p> +Savez-vous que ma femme voulait que je fondisse ma statue pour en faire une +cloche à notre église. C’est qu’elle en eût été la marraine. Un chef-d’œuvre de +Myron, monsieur! +</p> + +<p> +— Chef-d’œuvre! chef-d’œuvre! un beau chef-d’œuvre qu’elle a fait! casser la +jambe d’un homme! +</p> + +<p> +— Ma femme, vois-tu? dit M. de Peyrehorade d’un ton résolu, et tendant vers +elle sa jambe droite dans un bas de soie chinée, si ma Vénus m’avait cassé +cette jambe-là, je ne la regretterais pas. +</p> + +<p> +— Bon Dieu! Peyrehorade, comment peux-tu dire cela! Heureusement que l’homme va +mieux… Et encore je ne peux pas prendre sur moi de regarder la statue qui fait +des malheurs comme celui-là. Pauvre Jean Coll! +</p> + +<p> +— Blessé par Vénus, monsieur, dit M. de Peyrehorade riant d’un gros rire, +blessé par Vénus, le maraud se plaint. +</p> + +<p class="center"> +<i>Veneris nec præmia noris.</i> +</p> + +<p> +Qui n’a été blessé par Vénus?» +</p> + +<p> +M. Alphonse, qui comprenait le français mieux que le latin, cligna de l’œil +d’un air d’intelligence, et me regarda comme pour me demander: Et vous, +Parisien, comprenez-vous? +</p> + +<p> +Le souper finit. Il y avait une heure que je ne mangeais plus. J’étais fatigué, +et je ne pouvais parvenir à cacher les fréquents bâillements qui m’échappaient. +Madame de Peyrehorade s’en aperçut la première, et remarqua qu’il était temps +d’aller dormir. Alors commencèrent de nouvelles excuses sur le mauvais gîte que +j’allais avoir. Je ne serais pas comme à Paris. En province on est si mal! Il +fallait de l’indulgence pour les Roussillonnais. J’avais beau protester +qu’après une course dans les montagnes une botte de paille me serait un coucher +délicieux, on me priait toujours de pardonner à de pauvres campagnards s’ils ne +me traitaient aussi bien qu’ils l’eussent désiré. Je montai enfin à la chambre +qui m’était destinée, accompagné de M. de Peyrehorade. L’escalier, dont les +marches supérieures étaient en bois, aboutissait au milieu d’un corridor, sur +lequel donnaient plusieurs chambres. +</p> + +<p> +«À droite, me dit mon hôte, c’est l’appartement que je destine à la future +madame Alphonse. Votre chambre est au bout du corridor opposé. Vous sentez +bien, ajouta-t-il d’un air qu’il voulait rendre fin, vous sentez bien qu’il +faut isoler de nouveaux mariés. Vous êtes à un bout de la maison, eux à +l’autre.» +</p> + +<p> +Nous entrâmes dans une chambre bien meublée, où le premier objet sur lequel je +portai la vue fut un lit long de sept pieds, large de six, et si haut qu’il +fallait un escabeau pour s’y guinder. Mon hôte m’ayant indiqué la position de +la sonnette, et s’étant assuré par lui-même que le sucrier était plein, les +flacons d’eau de Cologne dûment placés sur la toilette, après m’avoir demandé +plusieurs fois si rien ne me manquait, me souhaita une bonne nuit et me laissa +seul. +</p> + +<p> +Les fenêtres étaient fermées. Avant de me déshabiller, j’en ouvris une pour +respirer l’air frais de la nuit, délicieux après un long souper. En face était +le Canigou, d’un aspect admirable en tout temps, mais qui me parut ce soir-là +la plus belle montagne du monde, éclairé qu’il était par une lune +resplendissante. Je demeurai quelques minutes à contempler sa silhouette +merveilleuse, et j’allais fermer ma fenêtre, lorsque, baissant les yeux, +j’aperçus la statue sur un piédestal à une vingtaine de toises de la maison. +Elle était placée à l’angle d’une haie vive qui séparait un petit jardin d’un +vaste carré parfaitement uni, qui, je l’appris plus tard, était le jeu de paume +de la ville. Ce terrain, propriété de M. de Peyrehorade, avait été cédé par lui +à la commune, sur les pressantes sollicitations de son fils. +</p> + +<p> +À la distance où j’étais, il m’était difficile de distinguer l’attitude de la +statue; je ne pouvais juger que de sa hauteur, qui me parut de six pieds +environ. En ce moment, deux polissons de la ville passaient sur le jeu de +paume, assez près de la haie, sifflant le joli air du Roussillon: <i>Montagnes +régalades</i>. Ils s’arrêtèrent pour regarder la statue; un d’eux l’apostropha +même à haute voix. Il parlait catalan; mais j’étais dans le Roussillon depuis +assez longtemps pour pouvoir comprendre à peu près ce qu’il disait. +</p> + +<p> +«Te voilà donc, coquine! (Le terme catalan était plus énergique.) Te voilà! +disait-il. C’est donc toi qui as cassé la jambe à Jean Coll! Si tu étais à moi, +je te casserais le cou. +</p> + +<p> +— Bah! avec quoi? dit l’autre. Elle est de cuivre, et si dure qu’Étienne a +cassé sa lime dessus, essayant de l’entamer. C’est du cuivre du temps des +païens; c’est plus dur que je ne sais quoi. +</p> + +<p> +— Si j’avais mon ciseau à froid (il paraît que c’était un apprenti serrurier), +je lui ferais bientôt sauter ses grands yeux blancs, comme je tirerais une +amande de sa coquille. Il y a pour plus de cent sous d’argent.» +</p> + +<p> +Ils firent quelques pas en s’éloignant. +</p> + +<p> +«Il faut que je souhaite le bonsoir à l’idole», dit le plus grand des +apprentis, s’arrêtant tout à coup. +</p> + +<p> +Il se baissa, et probablement ramassa une pierre. Je le vis déployer le bras, +lancer quelque chose, et aussitôt un coup sonore retentit sur le bronze. Au +même instant l’apprenti porta la main à sa tête en poussant un cri de douleur. +</p> + +<p> +«Elle me l’a rejetée!» s’écria-t-il. +</p> + +<p> +Et mes deux polissons prirent la fuite à toutes jambes. Il était évident que la +pierre avait rebondi sur le métal, et avait puni ce drôle de l’outrage qu’il +faisait à la déesse. +</p> + +<p> +Je fermai la fenêtre en riant de bon cœur. +</p> + +<p> +«Encore un Vandale puni par Vénus! Puissent tous les destructeurs de nos vieux +monuments avoir ainsi la tête cassée!» Sur ce souhait charitable, je +m’endormis. +</p> + +<p> +Il était grand jour quand je me réveillai. Auprès de mon lit étaient d’un côté, +M. de Peyrehorade, en robe de chambre; de l’autre, un domestique envoyé par sa +femme, une tasse de chocolat à la main. +</p> + +<p> +«Allons, debout, Parisien! Voilà bien mes paresseux de la capitale! disait mon +hôte pendant que je m’habillais à la hâte. Il est huit heures, et encore au +lit! je suis levé, moi, depuis six heures. Voilà trois fois que je monte; je me +suis approché de votre porte sur la pointe du pied: personne, nul signe de vie. +Cela vous fera mal de trop dormir à votre âge. Et ma Vénus que vous n’avez pas +encore vue! Allons, prenez-moi vite cette tasse de chocolat de Barcelone… Vraie +contrebande… Du chocolat comme on n’en a pas à Paris. Prenez des forces, car +lorsque vous serez devant ma Vénus, on ne pourra plus vous en arracher.» +</p> + +<p> +En cinq minutes je fus prêt, c’est-à-dire à moitié rasé, mal boutonné, et brûlé +par le chocolat que j’avalai bouillant. Je descendis dans le jardin, et me +trouvai devant une admirable statue. +</p> + +<p> +C’était bien une Vénus, et d’une merveilleuse beauté. Elle avait le haut du +corps nu, comme les Anciens représentaient d’ordinaire les grandes divinités; +la main droite, levée à la hauteur du sein, était tournée, la paume en dedans, +le pouce et les deux premiers doigts étendus, les deux autres légèrement +ployés. L’autre main, rapprochée de la hanche, soutenait la draperie qui +couvrait la partie inférieure du corps. L’attitude de cette statue rappelait +celle du Joueur de mourre qu’on désigne, je ne sais trop pourquoi, sous le nom +de Germanicus. Peut-être avait-on voulu représenter la déesse jouant au jeu de +mourre. +</p> + +<p> +Quoi qu’il en soit, il est impossible de voir quelque chose de plus parfait que +le corps de cette Vénus; rien de plus suave, de plus voluptueux que ses +contours; rien de plus élégant et de plus noble que sa draperie. Je m’attendais +à quelque ouvrage du Bas- Empire; je voyais un chef-d’œuvre du meilleur temps +de la statuaire. Ce qui me frappait surtout, c’était l’exquise vérité des +formes, en sorte qu’on aurait pu les croire moulées sur nature, si la nature +produisait d’aussi parfaits modèles. +</p> + +<p> +La chevelure, relevée sur le front, paraissait avoir été dorée autrefois. La +tête, petite comme celle de presque toutes les statues grecques, était +légèrement inclinée en avant. Quant à la figure, jamais je ne parviendrai à +exprimer son caractère étrange, et dont le type ne se rapprochait de celui +d’aucune statue antique dont il me souvienne. Ce n’était point cette beauté +calme et sévère des sculpteurs grecs, qui, par système, donnaient à tous les +traits une majestueuse immobilité. Ici, au contraire, j’observais avec surprise +l’intention marquée de l’artiste de rendre la malice arrivant jusqu’à la +méchanceté. Tous les traits étaient contractés légèrement: les yeux un peu +obliques, la bouche relevée des coins, les narines quelque peu gonflées. +Dédain, ironie, cruauté, se lisaient sur ce visage d’une incroyable beauté +cependant. En vérité, plus on regardait cette admirable statue, et plus on +éprouvait le sentiment pénible qu’une si merveilleuse beauté pût s’allier à +l’absence de toute sensibilité. +</p> + +<p> +«Si le modèle a jamais existé, dis-je à M. de Peyrehorade, et je doute que le +ciel ait jamais produit une telle femme, que je plains ses amants! Elle a dû se +complaire à les faire mourir de désespoir. Il y a dans son expression quelque +chose de féroce, et pourtant je n’ai jamais vu rien de si beau. +</p> + +<p> +— C’est Vénus tout entière à sa proie attachée!» s’écria M. de Peyrehorade, +satisfait de mon enthousiasme. +</p> + +<p> +Cette expression d’ironie infernale était augmentée peut-être par le contraste +de ses yeux incrustés d’argent et très brillants avec la patine d’un vert +noirâtre que le temps avait donnée à toute la statue. Ces yeux brillants +produisaient une certaine illusion qui rappelait la réalité, la vie. Je me +souvins de ce que m’avait dit mon guide, qu’elle faisait baisser les yeux à +ceux qui la regardaient. Cela était presque vrai, et je ne pus me défendre d’un +mouvement de colère contre moi-même en me sentant un peu mal à mon aise devant +cette figure de bronze. +</p> + +<p> +«Maintenant que vous avez tout admiré en détail, mon cher collègue en +antiquaillerie, dit mon hôte, ouvrons, s’il vous plaît, une conférence +scientifique. Que dites-vous de cette inscription, à laquelle vous n’avez point +pris garde encore?» +</p> + +<p> +Il me montrait le socle de la statue, et j’y lus ces mots: +</p> + +<p class="center"> +CAVE AMANTEM. +</p> + +<p> +«<i>Quid dicis, doctissime?</i> me demanda-t-il en se frottant les mains. +Voyons si nous nous rencontrerons sur le sens de ce <i>cave amantem!</i> +</p> + +<p> +— Mais, répondis-je, il y a deux sens. On peut traduire: «Prends garde à celui +qui t’aime, défie-toi des amants.» Mais, dans ce sens, je ne sais si <i>cave +amantem</i> serait d’une bonne latinité. En voyant l’expression diabolique de +la dame, je croirais plutôt que l’artiste a voulu mettre en garde le spectateur +contre cette terrible beauté. Je traduirais donc: «Prends garde à toi si +<i>elle</i> t’aime.» +</p> + +<p> +— Humph! dit M. de Peyrehorade, oui, c’est un sens admirable; mais, ne vous en +déplaise, je préfère la première traduction, que je développerai pourtant. Vous +connaissez l’amant de Vénus? +</p> + +<p> +— Il y en a plusieurs. +</p> + +<p> +— Oui; mais le premier, c’est Vulcain. N’a-t-on pas voulu dire: «Malgré toute +ta beauté, ton air dédaigneux, tu auras un forgeron, un vilain boiteux pour +amant!» Leçon profonde, monsieur, pour les coquettes!» +</p> + +<p> +Je ne pus m’empêcher de sourire, tant l’explication me parut tirée par les +cheveux. +</p> + +<p> +«C’est une terrible langue que le latin avec sa concision, observai-je pour +éviter de contredire formellement mon antiquaire, et je reculai de quelques pas +afin de mieux contempler la statue. +</p> + +<p> +— Un instant, collègue! dit M. de Peyrehorade en m’arrêtant par le bras, vous +n’avez pas tout vu. Il y a encore une autre inscription. Montez sur le socle et +regardez au bras droit.» +</p> + +<p> +En parlant ainsi il m’aidait à monter. +</p> + +<p> +Je m’accrochai sans trop de façons au cou de la Vénus, avec laquelle je +commençais à me familiariser. Je la regardai même un instant <i>sous le +nez</i>, et la trouvai de près encore plus méchante et encore plus belle. Puis +je reconnus qu’il y avait, gravés sur le bras, quelques caractères d’écriture +cursive antique, à ce qu’il me sembla. À grand renfort de besicles j’épelai ce +qui suit, et cependant M. de Peyrehorade répétait chaque mot à mesure que je le +prononçais, approuvant du geste et de la voix. Je lus donc: +</p> + +<p class="center"> +VENERI TVRBVL…<br/> +EVTYCHES MYRO<br/> +IMPERIO FECIT. +</p> + +<p> +Après ce mot TVRBVL de la première ligne, il me sembla qu’il y avait quelques +lettres effacées; mais TVRBVL était parfaitement lisible. +</p> + +<p> +«Ce qui veut dire?…» me demanda mon hôte radieux et souriant avec malice, car +il pensait bien que je ne me tirerais pas facilement de ce TVRBVL. +</p> + +<p> +«Il y a un mot que je ne m’explique pas encore, lui dis-je; tout le reste est +facile. Eutychès Myron a fait cette offrande à Vénus par son ordre. +</p> + +<p> +— À merveille. Mais TVRBVL, qu’en faites-vous? Qu’est-ce que TVRBVL? +</p> + +<p> +— TVRBVL m’embarrasse fort. Je cherche en vain quelque épithète connue de Vénus +qui puisse m’aider. Voyons, que diriez-vous de TVRBVLENTA? Vénus qui trouble, +qui agite… Vous vous apercevez que je suis toujours préoccupé de son expression +méchante. TVRBVLENTA, ce n’est point une trop mauvaise épithète pour Vénus», +ajoutai-je d’un ton modeste, car je n’étais pas moi-même fort satisfait de mon +explication. +</p> + +<p> +«Vénus turbulente! Vénus la tapageuse! Ah! vous croyez donc que ma Vénus est +une Vénus de cabaret? Point du tout, monsieur; c’est une Vénus de bonne +compagnie. Mais je vais vous expliquer ce TVRBVL… Au moins vous me promettez de +ne point divulguer ma découverte avant l’impression de mon mémoire. C’est que, +voyez-vous, je m’en fais gloire, de cette trouvaille-là… Il faut bien que vous +nous laissiez quelques épis à glaner, à nous autres pauvres diables de +provinciaux. Vous êtes si riches, messieurs les savants de Paris!» +</p> + +<p> +Du haut du piédestal, où j’étais toujours perché, je lui promis solennellement +que je n’aurais jamais l’indignité de lui voler sa découverte. +</p> + +<p> +«TVRBVL…, monsieur, dit-il en se rapprochant et baissant la voix de peur qu’un +autre que moi ne pût l’entendre, lisez TVRBVLNERÆ. +</p> + +<p> +— Je ne comprends pas davantage. +</p> + +<p> +— Écoutez bien. À une lieue d’ici, au pied de la montagne, il y a un village +qui s’appelle Boulternère. C’est une corruption du mot latin TVRBVLNERA. Rien +de plus commun que ces inversions. Boulternère, monsieur, a été une ville +romaine. Je m’en étais toujours douté, mais jamais je n’en avais eu la preuve. +La preuve, la voilà. Cette Vénus était la divinité topique de la cité de +Boulternère; et ce mot de Boulternère, que je viens de démontrer d’origine +antique, prouve une chose bien plus curieuse, c’est que Boulternère, avant +d’être une ville romaine, a été une ville phénicienne!» +</p> + +<p> +Il s’arrêta un moment pour respirer et jouir de ma surprise. Je parvins à +réprimer une forte envie de rire. +</p> + +<p> +«En effet, poursuivit-il, TVRBVLNERA est pur phénicien, TVR, prononcez TOUR… +TOUR et SOUR, même mot, n’est-ce pas? SOUR est le nom phénicien de Tyr; je n’ai +pas besoin de vous en rappeler le sens. BVL, c’est Baal; Bâl, Bel, Bul, légères +différences de prononciation. Quant à NERA, cela me donne un peu de peine. Je +suis tenté de croire, faute de trouver un mot phénicien, que cela vient du grec +νηρός, humide, marécageux. Ce serait donc un mot hybride. Pour justifier νηρός, +je vous montrerai à Boulternère comment les ruisseaux de la montagne y forment +des mares infectes. D’autre part, la terminaison NERA aurait pu être ajoutée +beaucoup plus tard en l’honneur de Nera Pivesuvia, femme de Tétricus, laquelle +aurait fait quelque bien à la cité de Turbul. Mais, à cause des mares, je +préfère l’étymologie de νηρός.» +</p> + +<p> +Il prit une prise de tabac d’un air satisfait. +</p> + +<p> +«Mais laissons les Phéniciens, et revenons à l’inscription. Je traduis donc: “À +Vénus de Boulternère Myron dédie par son ordre cette statue, son ouvrage.”« +</p> + +<p> +Je me gardai bien de critiquer son étymologie, mais je voulus à mon tour faire +preuve de pénétration, et je lui dis: +</p> + +<p> +«Halte-là, monsieur. Myron a consacré quelque chose, mais je ne vois nullement +que ce soit cette statue. +</p> + +<p> +— Comment! s’écria-t-il, Myron n’était-il pas un fameux sculpteur grec? Le +talent se sera perpétué dans sa famille: c’est un de ses descendants qui aura +fait cette statue. Il n’y a rien de plus sûr. +</p> + +<p> +— Mais, répliquai-je, je vois sur le bras un petit trou. Je pense qu’il a servi +à fixer quelque chose, un bracelet, par exemple, que ce Myron donna à Vénus en +offrande expiatoire. Myron était un amant malheureux. Vénus était irritée +contre lui: il l’apaisa en lui consacrant un bracelet d’or. Remarquez que fecit +se prend fort souvent pour <i>consecravit</i>. Ce sont termes synonymes. Je +vous en montrerais plus d’un exemple si j’avais sous la main Gruter ou bien +Orelli. Il est naturel qu’un amoureux voie Vénus en rêve, qu’il s’imagine +qu’elle lui commande de donner un bracelet d’or à sa statue. Myron lui consacra +un bracelet… Puis les barbares ou bien quelque voleur sacrilège… +</p> + +<p> +— Ah! qu’on voit bien que vous avez fait des romans! s’écria mon hôte en me +donnant la main pour descendre. Non, monsieur, c’est un ouvrage de l’école de +Myron. Regardez seulement le travail, et vous en conviendrez.» +</p> + +<p> +M’étant fait une loi de ne jamais contredire à outrance les antiquaires +entêtés, je baissai la tête d’un air convaincu en disant: +</p> + +<p> +«C’est un admirable morceau. +</p> + +<p> +— Ah! mon Dieu, s’écria M. de Peyrehorade, encore un trait de vandalisme! On +aura jeté une pierre à ma statue!» +</p> + +<p> +Il venait d’apercevoir une marque blanche un peu au-dessus du sein de la Vénus. +Je remarquai une trace semblable sur les doigts de la main droite, qui, je le +supposai alors, avaient été touchés dans le trajet de la pierre, ou bien un +fragment s’en était détaché par le choc et avait ricoché sur la main. Je contai +à mon hôte l’insulte dont j’avais été témoin et la prompte punition qui s’en +était suivie. Il en rit beaucoup, et, comparant l’apprenti à Diomède, il lui +souhaita de voir, comme le héros grec, tous ses compagnons changés en oiseaux +blancs. +</p> + +<p> +La cloche du déjeuner interrompit cet entretien classique, et, de même que la +veille, je fus obligé de manger comme quatre. Puis vinrent des fermiers de M. +de Peyrehorade; et pendant qu’il leur donnait audience, son fils me mena voir +une calèche qu’il avait achetée à Toulouse pour sa fiancée, et que j’admirai, +cela va sans dire. Ensuite j’entrai avec lui dans l’écurie, où il me tint une +demi-heure à me vanter ses chevaux, à me faire leur généalogie, à me conter les +prix qu’ils avaient gagnés aux courses du département. Enfin il en vint à me +parler de sa future, par la transition d’une jument grise qu’il lui destinait. +</p> + +<p> +«Nous la verrons aujourd’hui, dit-il. Je ne sais si vous la trouverez jolie. +Vous êtes difficiles, à Paris; mais tout le monde, ici et à Perpignan, la +trouve charmante. Le bon, c’est qu’elle est fort riche. Sa tante de Prades lui +a laissé son bien. Oh! je vais être fort heureux.» +</p> + +<p> +Je fus profondément choqué de voir un jeune homme paraître plus touché de la +dot que des beaux yeux de sa future. +</p> + +<p> +«Vous vous connaissez en bijoux, poursuivit M. Alphonse, comment trouvez-vous +ceci? Voici l’anneau que je lui donnerai demain.» +</p> + +<p> +En parlant ainsi, il tirait de la première phalange de son petit doigt une +grosse bague enrichie de diamants, et formée de deux mains entrelacées; +allusion qui me parut infiniment poétique. Le travail en était ancien, mais je +jugeai qu’on l’avait retouchée pour enchâsser les diamants. Dans l’intérieur de +la bague se lisaient ces mots en lettres gothiques: <i>Sempr’ ab ti</i>, +c’est-à-dire, toujours avec toi. +</p> + +<p> +«C’est une jolie bague, lui dis-je; mais ces diamants ajoutés lui ont fait +perdre un peu de son caractère. +</p> + +<p> +— Oh! elle est bien plus belle comme cela, répondit-il en souriant. Il y a là +pour douze cents francs de diamants. C’est ma mère qui me l’a donnée. C’était +une bague de famille, très ancienne… du temps de la chevalerie. Elle avait +servi à ma grand-mère, qui la tenait de la sienne. Dieu sait quand cela a été +fait. +</p> + +<p> +— L’usage à Paris, lui dis-je, est de donner un anneau tout simple, +ordinairement composé de deux métaux différents, comme de l’or et du platine. +Tenez, cette autre bague, que vous avez à ce doigt, serait fort convenable. +Celle-ci, avec ses diamants et ses mains en relief, est si grosse, qu’on ne +pourrait mettre un gant par-dessus. +</p> + +<p> +— Oh! madame Alphonse s’arrangera comme elle voudra. Je crois qu’elle sera +toujours bien contente de l’avoir. Douze cents francs au doigt, c’est agréable. +Cette petite bague-là, ajouta-t-il en regardant d’un air de satisfaction +l’anneau tout uni qu’il portait à la main, celle-là, c’est une femme à Paris +qui me l’a donnée un jour de mardi gras. Ah! comme je m’en suis donné quand +j’étais à Paris, il y a deux ans! C’est là qu’on s’amuse!…» Et il soupira de +regret. +</p> + +<p> +Nous devions dîner ce jour-là à Puygarrig, chez les parents de la future; nous +montâmes en calèche, et nous nous rendîmes au château éloigné d’Ille d’environ +une lieue et demie. Je fus présenté et accueilli comme l’ami de la famille. Je +ne parlerai pas du dîner ni de la conversation qui s’ensuivit, et à laquelle je +pris peu de part. M. Alphonse, placé à côté de sa future, lui disait un mot à +l’oreille tous les quarts d’heure. Pour elle, elle ne levait guère les yeux, +et, chaque fois que son prétendu lui parlait, elle rougissait avec modestie, +mais lui répondait sans embarras. +</p> + +<p> +Mademoiselle de Puygarrig avait dix-huit ans; sa taille souple et délicate +contrastait avec les formes osseuses de son robuste fiancé. Elle était non +seulement belle, mais séduisante. J’admirais le naturel parfait de toutes ses +réponses; et son air de bonté, qui pourtant n’était pas exempt d’une légère +teinte de malice, me rappela, malgré moi, la Vénus de mon hôte. Dans cette +comparaison que je fis en moi-même, je me demandais si la supériorité de beauté +qu’il fallait bien accorder à la statue ne tenait pas, en grande partie, à son +expression de tigresse; car l’énergie, même dans les mauvaises passions, excite +toujours en nous un étonnement et une espèce d’admiration involontaire. +</p> + +<p> +«Quel dommage, me dis-je en quittant Puygarrig, qu’une si aimable personne soit +riche, et que sa dot la fasse rechercher par un homme indigne d’elle!» +</p> + +<p> +En revenant à Ille, et ne sachant trop que dire à madame de Peyrehorade, à qui +je croyais convenable d’adresser quelquefois la parole: +</p> + +<p> +«Vous êtes bien esprits forts en Roussillon! m’écriai-je; comment, madame, vous +faites un mariage un vendredi! À Paris nous aurions plus de superstition; +personne n’oserait prendre femme un tel jour. +</p> + +<p> +— Mon Dieu! ne m’en parlez pas, me dit-elle, si cela n’avait dépendu que de +moi, certes on eût choisi un autre jour. Mais Peyrehorade l’a voulu, et il a +fallu lui céder. Cela me fait de la peine pourtant. S’il arrivait quelque +malheur? Il faut bien qu’il y ait une raison, car enfin pourquoi tout le monde +a-t-il peur du vendredi? +</p> + +<p> +— Vendredi! s’écria son mari, c’est le jour de Vénus! Bon jour pour un mariage! +Vous le voyez, mon cher collègue, je ne pense qu’à ma Vénus. D’honneur! c’est à +cause d’elle que j’ai choisi le vendredi. Demain, si vous voulez, avant la +noce, nous lui ferons un petit sacrifice; nous sacrifierons deux palombes, et +si je savais où trouver de l’encens… +</p> + +<p> +— Fi donc, Peyrehorade! interrompit sa femme scandalisée au dernier point. +Encenser une idole! Ce serait une abomination! Que dirait-on de nous dans le +pays? +</p> + +<p> +— Au moins, dit M. de Peyrehorade, tu me permettras de lui mettre sur la tête +une couronne de roses et de lis: +</p> + +<p class="center"> +<i>Manibus date lilia plenis.</i> +</p> + +<p> +Vous le voyez, monsieur, la charte est un vain mot. Nous n’avons pas la liberté +des cultes!» +</p> + +<p> +Les arrangements du lendemain furent réglés de la manière suivante. Tout le +monde devait être prêt et en toilette à dix heures précises. Le chocolat pris, +on se rendrait en voiture à Puygarrig. Le mariage civil devait se faire à la +mairie du village, et la cérémonie religieuse dans la chapelle du château. +Viendrait ensuite un déjeuner. Après le déjeuner on passerait le temps comme +l’on pourrait jusqu’à sept heures. À sept heures, on retournerait à Ille, chez +M. de Peyrehorade, où devaient souper les deux familles réunies. Le reste +s’ensuit naturellement. Ne pouvant danser, on avait voulu manger le plus +possible. +</p> + +<p> +Dès huit heures j’étais assis devant la Vénus, un crayon à la main, +recommençant pour la vingtième fois la tête de la statue, sans pouvoir parvenir +à en saisir l’expression. M. de Peyrehorade allait et venait autour de moi, me +donnait des conseils, me répétait ses étymologies phéniciennes; puis disposait +des roses du Bengale sur le piédestal de la statue, et d’un ton tragi-comique +lui adressait des vœux pour le couple qui allait vivre sous son toit. Vers neuf +heures il rentra pour songer à sa toilette, et en même temps parut M. Alphonse, +bien serré dans un habit neuf, en gants blancs, souliers vernis, boutons +ciselés, une rose à la boutonnière. +</p> + +<p> +«Vous ferez le portrait de ma femme? me dit-il en se penchant sur mon dessin. +Elle est jolie aussi.» +</p> + +<p> +En ce moment commençait, sur le jeu de paume dont j’ai parlé, une partie qui, +sur-le-champ, attira l’attention de M. Alphonse. Et moi, fatigué, et +désespérant de rendre cette diabolique figure, je quittai bientôt mon dessin +pour regarder les joueurs. Il y avait parmi eux quelques muletiers espagnols +arrivés de la veille. C’étaient des Aragonais et des Navarrois, presque tous +d’une adresse merveilleuse. Aussi les Illois, bien qu’encouragés par la +présence et les conseils de M. Alphonse, furent-ils assez promptement battus +par ces nouveaux champions. Les spectateurs nationaux étaient consternés. M. +Alphonse regarda à sa montre. Il n’était encore que neuf heures et demie. Sa +mère n’était pas coiffée. Il n’hésita plus: il ôta son habit, demanda une +veste, et défia les Espagnols. Je le regardais faire en souriant, et un peu +surpris. +</p> + +<p> +«Il faut soutenir l’honneur du pays», dit-il. +</p> + +<p> +Alors je le trouvai vraiment beau. Il était passionné. Sa toilette, qui +l’occupait si fort tout à l’heure, n’était plus rien pour lui. Quelques minutes +avant il eût craint de tourner la tête de peur de déranger sa cravate. +Maintenant il ne pensait plus à ses cheveux frisés ni à son jabot si bien +plissé. Et sa fiancée?… Ma foi, si cela eût été nécessaire, il aurait, je +crois, fait ajourner le mariage. Je le vis chausser à la hâte une paire de +sandales, retrousser ses manches, et, d’un air assuré, se mettre à la tête du +parti vaincu, comme César ralliant ses soldats à Dyrrachium. Je sautai la haie, +et me plaçai commodément à l’ombre d’un micocoulier, de façon à bien voir les +deux camps. +</p> + +<p> +Contre l’attente générale, M. Alphonse manqua la première balle; il est vrai +qu’elle vint rasant la terre et lancée avec une force surprenante par un +Aragonais qui paraissait être le chef des Espagnols. +</p> + +<p> +C’était un homme d’une quarantaine d’années, sec et nerveux, haut de six pieds, +et sa peau olivâtre avait une teinte presque aussi foncée que le bronze de la +Vénus. +</p> + +<p> +M. Alphonse jeta sa raquette à terre avec fureur. «C’est cette maudite bague, +s’écria-t-il, qui me serre le doigt, et me fait manquer une balle sûre!» +</p> + +<p> +Il ôta, non sans peine, sa bague de diamants: je m’approchais pour la recevoir; +mais il me prévint, courut à la Vénus, lui passa la bague au doigt annulaire, +et reprit son poste à la tête des Illois. Il était pâle, mais calme et résolu. +Dès lors il ne fit plus une seule faute, et les Espagnols furent battus +complètement. Ce fut un beau spectacle que l’enthousiasme des spectateurs: les +uns poussaient mille cris de joie en jetant leurs bonnets en l’air; d’autres +lui serraient les mains, l’appelant l’honneur du pays. S’il eût repoussé une +invasion, je doute qu’il eût reçu des félicitations plus vives et plus +sincères. Le chagrin des vaincus ajoutait encore à l’éclat de sa victoire. +</p> + +<p> +«Nous ferons d’autres parties, mon brave, dit-il à l’Aragonais d’un ton de +supériorité; mais je vous rendrai des points.» +</p> + +<p> +J’aurais désiré que M. Alphonse fût plus modeste, et je fus presque peiné de +l’humiliation de son rival. +</p> + +<p> +Le géant espagnol ressentit profondément cette insulte. Je le vis pâlir sous sa +peau basanée. Il regardait d’un air morne sa raquette en serrant les dents; +puis, d’une voix étouffée, il dit tout bas: <i>Me lo pagarás</i>. +</p> + +<p> +La voix de M. de Peyrehorade troubla le triomphe de son fils; mon hôte, fort +étonné de ne point le trouver présidant aux apprêts de la calèche neuve, le fut +bien plus encore en le voyant tout en sueur, la raquette à la main. M. Alphonse +courut à la maison, se lava la figure et les mains, remit son habit neuf et ses +souliers vernis, et cinq minutes après nous étions au grand trot sur la route +de Puygarrig. Tous les joueurs de paume de la ville et grand nombre de +spectateurs nous suivirent avec des cris de joie. À peine les chevaux vigoureux +qui nous traînaient pouvaient-ils maintenir leur avance sur ces intrépides +Catalans. +</p> + +<p> +Nous étions à Puygarrig, et le cortège allait se mettre en marche pour la +mairie, lorsque M. Alphonse, se frappant le front, me dit tout bas: +</p> + +<p> +«Quelle brioche! J’ai oublié la bague! Elle est au doigt de la Vénus, que le +diable puisse emporter! Ne le dites pas à ma mère au moins. Peut-être qu’elle +ne s’apercevra de rien. +</p> + +<p> +— Vous pourriez envoyer quelqu’un, lui dis-je. +</p> + +<p> +— Bah! mon domestique est resté à Ille. Ceux-ci, je ne m’y fie guère. Douze +cents francs de diamants! cela pourrait en tenter plus d’un. D’ailleurs que +penserait-on ici de ma distraction? Ils se moqueraient trop de moi. Ils +m’appelleraient le mari de la statue… Pourvu qu’on ne me la vole pas! +Heureusement que l’idole fait peur à mes coquins. Ils n’osent l’approcher à +longueur de bras. Bah! ce n’est rien; j’ai une autre bague.» +</p> + +<p> +Les deux cérémonies civile et religieuse s’accomplirent avec la pompe +convenable; et mademoiselle de Puygarrig reçut l’anneau d’une modiste de Paris, +sans se douter que son fiancé lui faisait le sacrifice d’un gage amoureux. Puis +on se mit à table, où l’on but, mangea, chanta même, le tout fort longuement. +Je souffrais pour la mariée de la grosse joie qui éclatait autour d’elle; +pourtant elle faisait meilleure contenance que je ne l’aurais espéré, et son +embarras n’était ni de la gaucherie ni de l’affectation. +</p> + +<p> +Peut-être le courage vient-il avec les situations difficiles. +</p> + +<p> +Le déjeuner terminé quand il plut à Dieu, il était quatre heures; les hommes +allèrent se promener dans le parc, qui était magnifique, ou regardèrent danser +sur la pelouse du château les paysannes de Puygarrig, parées de leurs habits de +fête. De la sorte, nous employâmes quelques heures. Cependant les femmes +étaient fort empressées autour de la mariée, qui leur faisait admirer sa +corbeille. Puis elle changea de toilette, et je remarquai qu’elle couvrit ses +beaux cheveux d’un bonnet et d’un chapeau à plumes, car les femmes n’ont rien +de plus pressé que de prendre, aussitôt qu’elles le peuvent, les parures que +l’usage leur défend de porter quand elles sont encore demoiselles. +</p> + +<p> +Il était près de huit heures quand on se disposa à partir pour Ille. Mais +d’abord eut lieu une scène pathétique. La tante de mademoiselle de Puygarrig, +qui lui servait de mère, femme très âgée et fort dévote, ne devait point aller +avec nous à la ville. Au départ, elle fit à sa nièce un sermon touchant sur ses +devoirs d’épouse, duquel sermon résulta un torrent de larmes et des +embrassements sans fin. M. de Peyrehorade comparait cette séparation à +l’enlèvement des Sabines. Nous partîmes pourtant, et, pendant la route, chacun +s’évertua pour distraire la mariée et la faire rire; mais ce fut en vain. +</p> + +<p> +À Ille, le souper nous attendait, et quel souper! Si la grosse joie du matin +m’avait choqué, je le fus bien davantage des équivoques et des plaisanteries +dont le marié et la mariée surtout furent l’objet. Le marié, qui avait disparu +un instant avant de se mettre à table, était pâle et d’un sérieux de glace. Il +buvait à chaque instant du vieux vin de Collioure presque aussi fort que de +l’eau-de-vie. J’étais à côté de lui, et me crus obligé de l’avertir: +</p> + +<p> +«Prenez garde! on dit que le vin…» +</p> + +<p> +Je ne sais quelle sottise je lui dis pour me mettre à l’unisson des convives. +</p> + +<p> +Il me poussa le genou, et très bas il me dit: +</p> + +<p> +«Quand on se lèvera de table…, que je puisse vous dire deux mots.» +</p> + +<p> +Son ton solennel me surprit. Je le regardai plus attentivement, et je remarquai +l’étrange altération de ses traits. +</p> + +<p> +«Vous sentez-vous indisposé? lui demandai-je. +</p> + +<p> +— Non.» +</p> + +<p> +Et il se remit à boire. +</p> + +<p> +Cependant, au milieu des cris et des battements de mains, un enfant de onze +ans, qui s’était glissé sous la table, montrait aux assistants un joli ruban +blanc et rose qu’il venait de détacher de la cheville de la mariée. On appelle +cela sa jarretière. Elle fut aussitôt coupée par morceaux et distribuée aux +jeunes gens, qui en ornèrent leur boutonnière, suivant un antique usage qui se +conserve encore dans quelques familles patriarcales. Ce fut pour la mariée une +occasion de rougir jusqu’au blanc des yeux. Mais son trouble fut au comble +lorsque M. de Peyrehorade, ayant réclamé le silence, lui chanta quelques vers +catalans, impromptus, disait-il. En voici le sens, si je l’ai bien compris: +</p> + +<p> +«Qu’est-ce donc, mes amis? Le vin que j’ai bu me fait-il voir double? Il y a +deux Vénus ici…» +</p> + +<p> +Le marié tourna brusquement la tête d’un air effaré, qui fit rire tout le +monde. +</p> + +<p> +«Oui, poursuivit M. de Peyrehorade, il y a deux Vénus sous mon toit. L’une, je +l’ai trouvée dans la terre comme une truffe; l’autre, descendue des cieux, +vient de nous partager sa ceinture.» +</p> + +<p> +Il voulait dire sa jarretière. +</p> + +<p> +«Mon fils, choisis de la Vénus romaine ou de la catalane celle que tu préfères. +Le maraud prend la catalane, et sa part est la meilleure. La romaine est noire, +la catalane est blanche. La romaine est froide, la catalane enflamme tout ce +qui l’approche.» +</p> + +<p> +Cette chute excita un tel hourra, des applaudissements si bruyants et des rires +si sonores, que je crus que le plafond allait nous tomber sur la tête. Autour +de la table il n’y avait que trois visages sérieux, ceux des mariés et le mien. +J’avais un grand mal de tête; et puis, je ne sais pourquoi, un mariage +m’attriste toujours. Celui-là, en outre, me dégoûtait un peu. +</p> + +<p> +Les derniers couplets ayant été chantés par l’adjoint du maire, et ils étaient +fort lestes, je dois le dire, on passa dans le salon pour jouir du départ de la +mariée, qui devait être bientôt conduite à sa chambre, car il était près de +minuit. +</p> + +<p> +M. Alphonse me tira dans l’embrasure d’une fenêtre, et me dit en détournant les +yeux: «Vous allez vous moquer de moi… Mais je ne sais ce que j’ai… je suis +ensorcelé! le diable m’emporte!» +</p> + +<p> +La première pensée qui me vint fut qu’il se croyait menacé de quelque malheur +du genre de ceux dont parlent Montaigne et madame de Sévigné: +</p> + +<p> +«Tout l’empire amoureux est plein d’histoires tragiques», etc. Je croyais que +ces sortes d’accidents n’arrivaient qu’aux gens d’esprit, me dis-je à moi-même. +</p> + +<p> +«Vous avez trop bu de vin de Collioure, mon cher monsieur Alphonse, lui dis-je. +Je vous avais prévenu. +</p> + +<p> +— Oui, peut-être. Mais c’est quelque chose de bien plus terrible.» +</p> + +<p> +Il avait la voix entrecoupée. Je le crus tout à fait ivre. +</p> + +<p> +«Vous savez bien mon anneau? poursuivit-il après un silence. +</p> + +<p> +— Eh bien! on l’a pris? +</p> + +<p> +— Non. +</p> + +<p> +— En ce cas, vous l’avez? +</p> + +<p> +— Non… je… Je ne puis l’ôter du doigt de cette diable de Vénus. +</p> + +<p> +— Bon! vous n’avez pas tiré assez fort. +</p> + +<p> +— Si fait… Mais la Vénus… elle a serré le doigt.» +</p> + +<p> +Il me regardait fixement d’un air hagard, s’appuyant à l’espagnolette pour ne +pas tomber. +</p> + +<p> +«Quel conte! lui dis-je. Vous avez trop enfoncé l’anneau. Demain vous l’aurez +avec des tenailles. Mais prenez garde de gâter la statue. +</p> + +<p> +— Non, vous dis-je. Le doigt de la Vénus est retiré, reployé; elle serre la +main, m’entendez-vous?… C’est ma femme, apparemment, puisque je lui ai donné +mon anneau… Elle ne veut plus le rendre.» +</p> + +<p> +J’éprouvai un frisson subit, et j’eus un instant la chair de poule. Puis, un +grand soupir qu’il fit m’envoya une bouffée de vin, et toute émotion disparut. +</p> + +<p> +Le misérable, pensai-je, est complètement ivre. +</p> + +<p> +«Vous êtes antiquaire, monsieur, ajouta le marié d’un ton lamentable; vous +connaissez ces statues-là… il y a peut-être quelque ressort, quelque diablerie, +que je ne connais point… Si vous alliez voir? +</p> + +<p> +— Volontiers, dis-je. Venez avec moi. +</p> + +<p> +— Non, j’aime mieux que vous y alliez seul.» +</p> + +<p> +Je sortis du salon. +</p> + +<p> +Le temps avait changé pendant le souper, et la pluie commençait à tomber avec +force. J’allais demander un parapluie, lorsqu’une réflexion m’arrêta. Je serais +un bien grand sot, me dis-je, d’aller vérifier ce que m’a dit un homme ivre! +Peut-être, d’ailleurs, a-t-il voulu me faire quelque méchante plaisanterie pour +apprêter à rire à ces honnêtes provinciaux; et le moins qu’il puisse m’en +arriver, c’est d’être trempé jusqu’aux os et d’attraper un bon rhume. +</p> + +<p> +De la porte je jetai un coup d’œil sur la statue ruisselante d’eau, et je +montai dans ma chambre sans rentrer dans le salon. Je me couchai; mais le +sommeil fut long à venir. Toutes les scènes de la journée se représentaient à +mon esprit. Je pensais à cette jeune fille si belle et si pure abandonnée à un +ivrogne brutal. Quelle odieuse chose, me disais-je, qu’un mariage de +convenance! Un maire revêt une écharpe tricolore, un curé une étole, et voilà +la plus honnête fille du monde livrée au Minotaure! Deux êtres qui ne s’aiment +pas, que peuvent-ils se dire dans un pareil moment, que deux amants +achèteraient au prix de leur existence? Une femme peut-elle jamais aimer un +homme qu’elle aura vu grossier une fois? Les premières impressions ne +s’effacent pas, et j’en suis sûr ce M. Alphonse méritera bien d’être haï… +</p> + +<p> +Durant mon monologue, que j’abrège beaucoup, j’avais entendu force allées et +venues dans la maison, les portes s’ouvrir et se fermer, des voitures partir; +puis il me semblait avoir entendu sur l’escalier les pas légers de plusieurs +femmes se dirigeant vers l’extrémité du corridor opposé à ma chambre. C’était +probablement le cortège de la mariée qu’on menait au lit. Ensuite on avait +redescendu l’escalier. La porte de madame de Peyrehorade s’était fermée. Que +cette pauvre fille, me dis-je, doit être troublée et mal à son aise! Je me +tournais dans mon lit de mauvaise humeur. Un garçon joue un sot rôle dans une +maison où s’accomplit un mariage. +</p> + +<p> +Le silence régnait depuis quelque temps lorsqu’il fut troublé par des pas +lourds qui montaient l’escalier. Les marches de bois craquèrent fortement. +</p> + +<p> +«Quel butor! m’écriai-je. Je parie qu’il va tomber dans l’escalier.» +</p> + +<p> +Tout redevint tranquille. Je pris un livre pour changer le cours de mes idées. +C’était une statistique du département, ornée d’un mémoire de M. de Peyrehorade +sur les monuments druidiques de l’arrondissement de Prades. Je m’assoupis à la +troisième page. +</p> + +<p> +Je dormis mal et me réveillai plusieurs fois. Il pouvait être cinq heures du +matin, et j’étais éveillé depuis plus de vingt minutes lorsque le coq chanta. +Le jour allait se lever. Alors j’entendis distinctement les mêmes pas lourds, +le même craquement de l’escalier que j’avais entendus avant de m’endormir. Cela +me parut singulier. J’essayai, en bâillant, de deviner pourquoi M. Alphonse se +levait si matin. Je n’imaginais rien de vraisemblable. J’allais refermer les +yeux lorsque mon attention fut de nouveau excitée par des trépignements +étranges auxquels se mêlèrent bientôt le tintement des sonnettes et le bruit de +portes qui s’ouvraient avec fracas, puis je distinguai des cris confus. +</p> + +<p> +Mon ivrogne aura mis le feu quelque part! pensais-je en sautant à bas de mon +lit. +</p> + +<p> +Je m’habillai rapidement et j’entrai dans le corridor. De l’extrémité opposée +partaient des cris et des lamentations, et une voix déchirante dominait toutes +les autres: «Mon fils! mon fils!» Il était évident qu’un malheur était arrivé à +M. Alphonse. Je courus à la chambre nuptiale: elle était pleine de monde. Le +premier spectacle qui frappa ma vue fut le jeune homme à demi-vêtu, étendu en +travers sur le lit dont le bois était brisé. Il était livide, sans mouvement. +Sa mère pleurait et criait à côté de lui. M. de Peyrehorade s’agitait, lui +frottait les tempes avec de l’eau de Cologne, ou lui mettait des sels sous le +nez. Hélas! depuis longtemps son fils était mort. Sur un canapé, à l’autre bout +de la chambre, était la mariée, en proie à d’horribles convulsions. Elle +poussait des cris inarticulés, et deux robustes servantes avaient toutes les +peines du monde à la contenir. +</p> + +<p> +«Mon Dieu! m’écriai-je, qu’est-il donc arrivé?» +</p> + +<p> +Je m’approchai du lit et soulevai le corps du malheureux jeune homme; il était +déjà roide et froid. Ses dents serrées et sa figure noircie exprimaient les +plus affreuses angoisses. Il paraissait assez que sa mort avait été violente et +son agonie terrible. Nulle trace de sang cependant sur ses habits. J’écartai sa +chemise et vis sur sa poitrine une empreinte livide qui se prolongeait sur les +côtes et le dos. On eût dit qu’il avait été étreint dans un cercle de fer. Mon +pied posa sur quelque chose de dur qui se trouvait sur le tapis; je me baissai +et vis la bague de diamants. +</p> + +<p> +J’entraînai M. de Peyrehorade et sa femme dans leur chambre; puis j’y fis +porter la mariée. «Vous avez encore une fille, leur dis-je, vous lui devez vos +soins.» Alors je les laissai seuls. +</p> + +<p> +Il ne me paraissait pas douteux que M. Alphonse n’eût été victime d’un +assassinat dont les auteurs avaient trouvé moyen de s’introduire la nuit dans +la chambre de la mariée. Ces meurtrissures à la poitrine, leur direction +circulaire m’embarrassaient beaucoup pourtant, car un bâton ou une barre de fer +n’aurait pu les produire. Tout d’un coup je me souvins d’avoir entendu dire +qu’à Valence des braves se servaient de longs sacs de cuir remplis de sable fin +pour assommer les gens dont on leur avait payé la mort. Aussitôt je me rappelai +le muletier aragonais et sa menace; toutefois j’osais à peine penser qu’il eût +tiré une si terrible vengeance d’une plaisanterie légère. +</p> + +<p> +J’allais dans la maison, cherchant partout des traces d’effraction, et n’en +trouvant nulle part. Je descendis dans le jardin pour voir si les assassins +avaient pu s’introduire de ce côté; mais je ne trouvai aucun indice certain. La +pluie de la veille avait d’ailleurs tellement détrempé le sol, qu’il n’aurait +pu garder d’empreinte bien nette. J’observai pourtant quelques pas profondément +imprimés dans la terre: il y en avait dans deux directions contraires, mais sur +une même ligne, partant de l’angle de la haie contiguë au jeu de paume et +aboutissant à la porte de la maison. Ce pouvaient être les pas de M. Alphonse +lorsqu’il était allé chercher son anneau au doigt de la statue. D’un autre +côté, la haie, en cet endroit, étant moins fourrée qu’ailleurs, ce devait être +sur ce point que les meurtriers l’auraient franchie. Passant et repassant +devant la statue, je m’arrêtai un instant pour la considérer. Cette fois, je +l’avouerai, je ne pus contempler sans effroi son expression de méchanceté +ironique; et, la tête toute pleine des scènes horribles dont je venais d’être +le témoin, il me sembla voir une divinité infernale applaudissant au malheur +qui frappait cette maison. +</p> + +<p> +Je regagnai ma chambre et j’y restai jusqu’à midi. Alors je sortis et demandai +des nouvelles de mes hôtes. Ils étaient un peu plus calmes. Mademoiselle de +Puygarrig, je devrais dire la veuve de M. Alphonse, avait repris connaissance. +Elle avait même parlé au procureur du roi de Perpignan, alors en tournée à +Ille, et ce magistrat avait reçu sa déposition. Il me demanda la mienne. Je lui +dis ce que je savais, et ne lui cachai pas mes soupçons contre le muletier +aragonais. Il ordonna qu’il fût arrêté sur-le-champ. +</p> + +<p> +«Avez-vous appris quelque chose de madame Alphonse?» demandai-je au procureur +du roi, lorsque ma déposition fut écrite et signée. +</p> + +<p> +«Cette malheureuse jeune personne est devenue folle, me dit-il en souriant +tristement. Folle! tout à fait folle. Voici ce qu’elle conte: +</p> + +<p> +«Elle était couchée, dit-elle, depuis quelques minutes, les rideaux tirés, +lorsque la porte de sa chambre s’ouvrit, et quelqu’un entra. Alors madame +Alphonse était dans la ruelle du lit, la figure tournée vers la muraille. Elle +ne fit pas un mouvement, persuadée que c’était son mari. Au bout d’un instant +le lit cria comme s’il était chargé d’un poids énorme. Elle eut grand’peur, +mais n’osa pas tourner la tête. Cinq minutes, dix minutes peut-être… elle ne +peut se rendre compte du temps, se passèrent de la sorte. Puis elle fit un +mouvement involontaire, ou bien la personne qui était dans le lit en fit un, et +elle sentit le contact de quelque chose de froid comme la glace, ce sont ses +expressions. Elle s’enfonça dans la ruelle tremblant de tous ses membres. Peu +après, la porte s’ouvrit une seconde fois, et quelqu’un entra, qui dit: +Bonsoir, ma petite femme. Bientôt après on tira les rideaux. Elle entendit un +cri étouffé. La personne qui était dans le lit, à côté d’elle, se leva sur son +séant et parut étendre les bras en avant. Elle tourna la tête alors… et vit, +dit-elle, son mari à genoux auprès du lit, la tête à la hauteur de l’oreiller, +entre les bras d’une espèce de géant verdâtre qui l’étreignait avec force. Elle +dit, et m’a répété vingt fois, pauvre femme!… elle dit qu’elle a reconnu… +devinez-vous? la Vénus de bronze, la statue de M. de Peyrehorade… Depuis +qu’elle est dans le pays, tout le monde en rêve. Mais je reprends le récit de +la malheureuse folle. À ce spectacle, elle perdit connaissance, et probablement +depuis quelques instants elle avait perdu la raison. Elle ne peut en aucune +façon dire combien de temps elle demeura évanouie. Revenue à elle, elle revit +le fantôme, ou la statue, comme elle dit toujours, immobile, les jambes et le +bas du corps dans le lit, le buste et les bras étendus en avant, et entre ses +bras son mari, sans mouvement. Un coq chanta. Alors la statue sortit du lit, +laissa tomber le cadavre et sortit. Mme Alphonse se pendit à la sonnette, et +vous savez le reste.» +</p> + +<p> +On amena l’Espagnol; il était calme, et se défendit avec beaucoup de sang-froid +et de présence d’esprit. Du reste, il ne nia pas le propos que j’avais entendu; +mais il l’expliquait, prétendant qu’il n’avait voulu dire autre chose, sinon +que le lendemain, reposé qu’il serait, il aurait gagné une partie de paume à +son vainqueur. Je me rappelle qu’il ajouta: +</p> + +<p> +«Un Aragonais, lorsqu’il est outragé, n’attend pas au lendemain pour se venger. +Si j’avais cru que M. Alphonse eût voulu m’insulter, je lui aurais sur-le-champ +donné de mon couteau dans le ventre.» +</p> + +<p> +On compara ses souliers avec les empreintes de pas dans le jardin; ses souliers +étaient beaucoup plus grands. +</p> + +<p> +Enfin l’hôtelier chez qui cet homme était logé assura qu’il avait passé toute +la nuit à frotter et à médicamenter un de ses mulets qui était malade. +</p> + +<p> +D’ailleurs cet Aragonais était un homme bien famé, fort connu dans le pays, où +il venait tous les ans pour son commerce. On le relâcha donc en lui faisant des +excuses. +</p> + +<p> +J’oubliais la déposition d’un domestique qui le dernier avait vu M. Alphonse +vivant. C’était au moment qu’il allait monter chez sa femme, et, appelant cet +homme, il lui demanda d’un air d’inquiétude s’il savait où j’étais. Le +domestique répondit qu’il ne m’avait point vu. Alors M. Alphonse fit un soupir +et resta plus d’une minute sans parler, puis il dit: <i>Allons! le diable +l’aura emporté aussi!</i> +</p> + +<p> +Je demandai à cet homme si M. Alphonse avait sa bague de diamants, lorsqu’il +lui parla. Le domestique hésita pour répondre; enfin il dit qu’il ne le croyait +pas, qu’il n’y avait fait au reste aucune attention. «S’il avait eu cette bague +au doigt, ajouta-t-il en se reprenant, je l’aurais sans doute remarquée, car je +croyais qu’il l’avait donnée à madame Alphonse.» +</p> + +<p> +En questionnant cet homme je ressentais un peu de la terreur superstitieuse que +la déposition de Mme Alphonse avait répandue dans toute la maison. Le procureur +du roi me regarda en souriant, et je me gardai bien d’insister. +</p> + +<p> +Quelques heures après les funérailles de M. Alphonse, je me disposai à quitter +Ille. La voiture de M. de Peyrehorade devait me conduire à Perpignan. Malgré +son état de faiblesse, le pauvre vieillard voulut m’accompagner jusqu’à la +porte de son jardin. Nous le traversâmes en silence, lui se traînant à peine, +appuyé sur mon bras. Au moment de nous séparer, je jetai un dernier regard sur +la Vénus. Je prévoyais bien que mon hôte, quoiqu’il ne partageât point les +terreurs et les haines qu’elle inspirait à une partie de sa famille, voudrait +se défaire d’un objet qui lui rappellerait sans cesse un malheur affreux. Mon +intention était de l’engager à la placer dans un musée. J’hésitais pour entrer +en matière, quand M. de Peyrehorade tourna machinalement la tête du côté où il +me voyait regarder fixement. Il aperçut la statue et aussitôt fondit en larmes. +Je l’embrassai, et, sans oser lui dire un seul mot, je montai dans la voiture. +</p> + +<p> +Depuis mon départ je n’ai point appris que quelque jour nouveau soit venu +éclairer cette mystérieuse catastrophe. +</p> + +<p> +M. de Peyrehorade mourut quelques mois après son fils. Par son testament il m’a +légué ses manuscrits, que je publierai peut-être un jour. Je n’y ai point +trouvé le mémoire relatif aux inscriptions de la Vénus. +</p> + +<p> +<i>P. S.</i> Mon ami M. de P. vient de m’écrire que la statue n’existe plus. +Après la mort de son mari, le premier soin de Madame de Peyrehorade fut de la +faire fondre en cloche, et sous cette nouvelle forme elle sert à l’église +d’Ille. Mais, ajoute M. de P., il semble qu’un mauvais sort poursuive ceux qui +possèdent ce bronze. Depuis que cette cloche sonne à l’Ille, les vignes ont +gelé deux fois. +</p> + +<p> +1837. +</p> + +</div><!--end chapter--> + +<div style='display:block; margin-top:4em'>*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LA VÉNUS D’ILLE ***</div> +<div style='text-align:left'> + +<div style='display:block; margin:1em 0'> +Updated editions will replace the previous one—the old editions will +be renamed. +</div> + +<div style='display:block; margin:1em 0'> +Creating the works from print editions not protected by U.S. copyright +law means that no one owns a United States copyright in these works, +so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the United +States without permission and without paying copyright +royalties. Special rules, set forth in the General Terms of Use part +of this license, apply to copying and distributing Project +Gutenberg™ electronic works to protect the PROJECT GUTENBERG™ +concept and trademark. 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You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org + + +Title: La Vnus d'Ille + +Author: Prosper Mrime + +Release Date: July 7, 2005 [EBook #16240] + +Language: French + +Character set encoding: ISO-8859-1 + +*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LA VNUS D'ILLE *** + + + + +Produced by Ebooks libres et gratuits; this text is also +available at http://www.ebooksgratuits.com + + + + + + + +Prosper Mrime + + + +LA VNUS D'ILLE + + + +(1837) + + + + +Je descendais le dernier coteau du Canigou, et, bien que le soleil +ft dj couch, je distinguais dans la plaine les maisons de la +petite ville d'Ille, vers laquelle je me dirigeais. + +Vous savez, dis-je au Catalan qui me servait de guide depuis la +veille, vous savez sans doute o demeure M. de Peyrehorade? + +-- Si je le sais! s'cria-t-il, je connais sa maison comme la +mienne; et s'il ne faisait pas si noir, je vous la montrerais. +C'est la plus belle d'Ille. Il a de l'argent, oui, +M. de Peyrehorade; et il marie son fils plus riche que lui +encore. + +-- Et ce mariage se fera-t-il bientt? lui demandai-je. + +-- Bientt! il se peut que dj les violons soient commands pour +la noce. Ce soir, peut-tre, demain, aprs-demain, que sais-je! +C'est Puygarrig que a se fera; car c'est mademoiselle de +Puygarrig que monsieur le fils pouse. Ce sera beau, oui! + +J'tais recommand M. de Peyrehorade par mon ami M. de P. +C'tait, m'avait-il dit, un antiquaire fort instruit et d'une +complaisance toute preuve. Il se ferait un plaisir de me +montrer toutes les ruines dix lieues la ronde. Or je comptais +sur lui pour visiter les environs d'Ille, que je savais riches en +monuments antiques et du Moyen ge. Ce mariage, dont on me parlait +alors pour la premire fois, drangeait tous mes plans. + +Je vais tre un trouble-fte, me dis-je. Mais j'tais attendu; +annonc par M. de P., il fallait bien me prsenter. + +Gageons, monsieur, me dit mon guide, comme nous tions dj dans +la plaine, gageons un cigare que je devine ce que vous allez faire +chez M. de Peyrehorade? + +-- Mais, rpondis-je en lui tendant un cigare, cela n'est pas bien +difficile deviner. l'heure qu'il est, quand on a fait six +lieues dans le Canigou, la grande affaire, c'est de souper. + +-- Oui, mais demain?... Tenez, je parierais que vous venez Ille +pour voir l'idole? j'ai devin cela vous voir tirer en portrait +les saints de Serrabona. + +-- L'idole! quelle idole? Ce mot avait excit ma curiosit. + +Comment! on ne vous a pas cont, Perpignan, comment +M. de Peyrehorade avait trouv une idole en terre? + +-- Vous voulez dire une statue en terre cuite, en argile? + +-- Non pas. Oui, bien en cuivre, et il y en a de quoi faire des +gros sous. Elle vous pse autant qu'une cloche d'glise. C'est +bien avant dans la terre, au pied d'un olivier, que nous l'avons +eue. + +-- Vous tiez donc prsent la dcouverte? + +-- Oui, monsieur. M. de Peyrehorade nous dit, il y a quinze jours, + Jean Coll et moi, de draciner un vieil olivier qui tait gel +de l'anne dernire, car elle a t bien mauvaise, comme vous +savez. Voil donc qu'en travaillant Jean Coll qui y allait de tout +coeur, il donne un coup de pioche, et j'entends bimm... comme s'il +avait tap sur une cloche. Qu'est-ce que c'est? que je dis. Nous +piochons toujours, nous piochons, et voil qu'il parat une main +noire, qui semblait la main d'un mort qui sortait de terre. Moi, +la peur me prend. Je m'en vais monsieur, et je lui dis: -- Des +morts, notre matre, qui sont sous l'olivier! Faut appeler le +cur. -- Quels morts? qu'il me dit. Il vient, et il n'a pas plutt +vu la main qu'il s'crie: -- Un antique! un antique! -- Vous +auriez cru qu'il avait trouv un trsor. Et le voil, avec la +pioche, avec les mains, qui se dmne et qui faisait quasiment +autant d'ouvrage que nous deux. + +-- Et enfin que trouvtes-vous? + +-- Une grande femme noire plus qu' moiti nue, rvrence parler, +monsieur, toute en cuivre, et M. de Peyrehorade nous a dit que +c'tait une idole du temps des paens... du temps de Charlemagne, +quoi! + +-- Je vois ce que c'est... Quelque bonne Vierge en bronze d'un +couvent dtruit. + +-- Une bonne Vierge! ah bien oui!... Je l'aurais bien reconnue, si +'avait t une bonne Vierge. C'est une idole, vous dis-je; on le +voit bien son air. Elle vous fixe avec ses grands yeux blancs... +On dirait qu'elle vous dvisage. On baisse les yeux, oui, en la +regardant. + +-- Des yeux blancs? Sans doute ils sont incrusts dans le bronze. +Ce sera peut-tre quelque statue romaine. + +-- Romaine! c'est cela. M. de Peyrehorade dit que c'est une +Romaine. Ah! je vois bien que vous tes un savant comme lui. + +-- Est-elle entire, bien conserve? + +-- Oh! monsieur, il ne lui manque rien. C'est encore plus beau et +mieux fini que le buste de Louis-Philippe, qui est la mairie, en +pltre peint. Mais avec tout cela, la figure de cette idole ne me +revient pas. Elle a l'air mchante... et elle l'est aussi. + +-- Mchante! Quelle mchancet vous a-t-elle faite? + +-- Pas moi prcisment; mais vous allez voir. Nous nous tions +mis quatre pour la dresser debout, et M. de Peyrehorade, qui lui +aussi tirait la corde, bien qu'il n'ait gure plus de force +qu'un poulet, le digne homme! Avec bien de la peine nous la +mettons droite. J'amassais un tuileau pour la caler, quand, +patatras! la voil qui tombe la renverse tout d'une masse. Je +dis: Gare dessous! Pas assez vite pourtant, car Jean Coll n'a pas +eu le temps de tirer sa jambe... + +-- Et il a t bless? + +-- Casse net comme un chalas, sa pauvre jambe! Pcare! quand +j'ai vu cela, moi, j'tais furieux. Je voulais dfoncer l'idole +coups de pioche, mais M. de Peyrehorade m'a retenu. Il a donn de +l'argent Jean Coll, qui tout de mme est encore au lit depuis +quinze jours que cela lui est arriv, et le mdecin dit qu'il ne +marchera jamais de cette jambe-l comme de l'autre. C'est dommage, +lui qui tait notre meilleur coureur et, aprs monsieur le fils, +le plus malin joueur de paume. C'est que M. Alphonse de +Peyrehorade en a t triste, car c'est Coll qui faisait sa partie. +Voil qui tait beau voir comme ils se renvoyaient les balles. +Paf! paf! Jamais elles ne touchaient terre. + +Devisant de la sorte, nous entrmes Ille, et je me trouvai +bientt en prsence de M. de Peyrehorade. C'tait un petit +vieillard vert encore et dispos, poudr, le nez rouge, l'air +jovial et goguenard. Avant d'avoir ouvert la lettre de M. de P., +il m'avait install devant une table bien servie, et m'avait +prsent sa femme et son fils comme un archologue illustre, +qui devait tirer le Roussillon de l'oubli o le laissait +l'indiffrence des savants. + +Tout en mangeant de bon apptit, car rien ne dispose mieux que +l'air vif des montagnes, j'examinais mes htes. J'ai dit un mot de +M. de Peyrehorade; je dois ajouter que c'tait la vivacit mme. +Il parlait, mangeait, se levait, courait sa bibliothque, +m'apportait des livres, me montrait des estampes, me versait +boire; il n'tait jamais deux minutes en repos. Sa femme, un peu +trop grasse, comme la plupart des Catalanes lorsqu'elles ont pass +quarante ans, me parut une provinciale renforce, uniquement oc- +cupe des soins de son mnage. Bien que le souper ft suffisant +pour six personnes au moins, elle courut la cuisine, fit tuer +des pigeons, frire des miliasses, ouvrit je ne sais combien de +pots de confitures. En un instant la table fut encombre de plats +et de bouteilles, et je serais certainement mort d'indigestion si +j'avais got seulement tout ce qu'on m'offrait. Cependant, +chaque plat que je refusais, c'taient de nouvelles excuses. On +craignait que je ne me trouvasse bien mal Ille. Dans la province +on a peu de ressources, et les Parisiens sont si difficiles! + +Au milieu des alles et venues de ses parents, M. Alphonse de +Peyrehorade ne bougeait pas plus qu'un Terme. C'tait un grand +jeune homme de vingt-six ans, d'une physionomie belle et +rgulire, mais manquant d'expression. Sa taille et ses formes +athltiques justifiaient bien la rputation d'infatigable joueur +de paume qu'on lui faisait dans le pays. Il tait ce soir-l +habill avec lgance, exactement d'aprs la gravure du dernier +numro du Journal des modes. Mais il me semblait gn dans ses +vtements; il tait roide comme un piquet dans son col de velours, +et ne se tournait que tout d'une pice. Ses mains grosses et +hles, ses ongles courts, contrastaient singulirement avec son +costume. C'taient des mains de laboureur sortant des manches d'un +dandy. D'ailleurs, bien qu'il me considrt de la tte aux pieds +fort curieusement, en ma qualit de Parisien, il ne m'adressa +qu'une seule fois la parole dans toute la soire, ce fut pour me +demander o j'avais achet la chane de ma montre. + +Ah ! mon cher hte, me dit M. de Peyrehorade, le souper tirant + sa fin, vous m'appartenez, vous tes chez moi. Je ne vous lche +plus, sinon quand vous aurez vu tout ce que nous avons de curieux +dans nos montagnes. Il faut que vous appreniez connatre notre +Roussillon, et que vous lui rendiez justice. Vous ne vous doutez +pas de tout ce que nous allons vous montrer. Monuments phniciens, +celtiques, romains, arabes, byzantins, vous verrez tout, depuis le +cdre jusqu' l'hysope. Je vous mnerai partout et ne vous ferai +pas grce d'une brique. + +Un accs de toux l'obligea de s'arrter. J'en profitai pour lui +dire que je serais dsol de le dranger dans une circonstance +aussi intressante pour sa famille. S'il voulait bien me donner +ses excellents conseils sur les excursions que j'aurais faire, +je pourrais, sans qu'il prt la peine de m'accompagner... + +Ah! vous voulez parler du mariage de ce garon-l, s'cria-t-il +en m'interrompant. Bagatelle! ce sera fait aprs-demain. Vous +ferez la noce avec nous, en famille, car la future est en deuil +d'une tante dont elle hrite. Ainsi point de fte, point de bal... +C'est dommage... vous auriez vu danser nos Catalanes... Elles sont +jolies, et peut-tre l'envie vous aurait-elle pris d'imiter mon +Alphonse. Un mariage, dit-on, en amne d'autres... Samedi, les +jeunes gens maris, je suis libre, et nous nous mettons en course. +Je vous demande pardon de vous donner l'ennui d'une noce de +province. Pour un Parisien blas sur les ftes... et une noce sans +bal encore! Pourtant, vous verrez une marie... une marie... vous +m'en direz des nouvelles... Mais vous tes un homme grave et vous +ne regardez plus les femmes. J'ai mieux que cela vous montrer. +Je vous ferai voir quelque chose!... Je vous rserve une fire +surprise pour demain. + +-- Mon Dieu! lui dis-je, il est difficile d'avoir un trsor dans +sa maison sans que le public en soit instruit. Je crois deviner la +surprise que vous me prparez. Mais si c'est de votre statue qu'il +s'agit, la description que mon guide m'en a faite n'a servi qu' +exciter ma curiosit et me disposer l'admiration. + +-- Ah! il vous a parl de l'idole, car c'est ainsi qu'ils +appellent ma belle Vnus Tur... mais je ne veux rien vous dire. +Demain, au grand jour, vous la verrez, et vous me direz si j'ai +raison de la croire un chef-d'oeuvre. Parbleu! vous ne pouviez +arriver plus propos! Il y a des inscriptions que moi, pauvre +ignorant, j'explique ma manire... mais un savant de Paris!... +Vous vous moquerez peut-tre de mon interprtation... car j'ai +fait un mmoire... moi qui vous parle... vieil antiquaire de +province, je me suis lanc... Je veux faire gmir la presse... Si +vous vouliez bien me lire et me corriger, je pourrais esprer... +Par exemple, je suis bien curieux de savoir comment vous traduirez +cette inscription sur le socle: CAVE... Mais je ne veux rien vous +demander encore! demain, demain! Pas un mot sur la Vnus +aujourd'hui! + +-- Tu as raison, Peyrehorade, dit sa femme, de laisser l ton +idole. Tu devrais voir que tu empches monsieur de manger. Va, +monsieur a vu Paris de bien plus belles statues que la tienne. +Aux Tuileries, il y en a des douzaines, et en bronze aussi. + +-- Voil bien l'ignorance, la sainte ignorance de la province! +interrompit M. de Peyrehorade. Comparer un antique admirable aux +plates figures de Coustou! + +Comme avec irrvrence +Parle des dieux ma mnagre! + +Savez-vous que ma femme voulait que je fondisse ma statue pour en +faire une cloche notre glise. C'est qu'elle en et t la +marraine. Un chef-d'oeuvre de Myron, monsieur! + +-- Chef-d'oeuvre! chef-d'oeuvre! un beau chef-d'oeuvre qu'elle a +fait! casser la jambe d'un homme! + +-- Ma femme, vois-tu? dit M. de Peyrehorade d'un ton rsolu, et +tendant vers elle sa jambe droite dans un bas de soie chine, si +ma Vnus m'avait cass cette jambe-l, je ne la regretterais pas. + +-- Bon Dieu! Peyrehorade, comment peux-tu dire cela! Heureusement +que l'homme va mieux... Et encore je ne peux pas prendre sur moi +de regarder la statue qui fait des malheurs comme celui-l. Pauvre +Jean Coll! + +-- Bless par Vnus, monsieur, dit M. de Peyrehorade riant d'un +gros rire, bless par Vnus, le maraud se plaint. + +Veneris nec praemia noris. + +Qui n'a t bless par Vnus? + +M. Alphonse, qui comprenait le franais mieux que le latin, cligna +de l'oeil d'un air d'intelligence, et me regarda comme pour me +demander: Et vous, Parisien, comprenez-vous? + +Le souper finit. Il y avait une heure que je ne mangeais plus. +J'tais fatigu, et je ne pouvais parvenir cacher les frquents +billements qui m'chappaient. Madame de Peyrehorade s'en aperut +la premire, et remarqua qu'il tait temps d'aller dormir. Alors +commencrent de nouvelles excuses sur le mauvais gte que j'allais +avoir. Je ne serais pas comme Paris. En province on est si mal! +Il fallait de l'indulgence pour les Roussillonnais. J'avais beau +protester qu'aprs une course dans les montagnes une botte de +paille me serait un coucher dlicieux, on me priait toujours de +pardonner de pauvres campagnards s'ils ne me traitaient aussi +bien qu'ils l'eussent dsir. Je montai enfin la chambre qui +m'tait destine, accompagn de M. de Peyrehorade. L'escalier, +dont les marches suprieures taient en bois, aboutissait au +milieu d'un corridor, sur lequel donnaient plusieurs chambres. + + droite, me dit mon hte, c'est l'appartement que je destine +la future madame Alphonse. Votre chambre est au bout du corridor +oppos. Vous sentez bien, ajouta-t-il d'un air qu'il voulait +rendre fin, vous sentez bien qu'il faut isoler de nouveaux maris. +Vous tes un bout de la maison, eux l'autre. + +Nous entrmes dans une chambre bien meuble, o le premier objet +sur lequel je portai la vue fut un lit long de sept pieds, large +de six, et si haut qu'il fallait un escabeau pour s'y guinder. Mon +hte m'ayant indiqu la position de la sonnette, et s'tant assur +par lui-mme que le sucrier tait plein, les flacons d'eau de +Cologne dment placs sur la toilette, aprs m'avoir demand +plusieurs fois si rien ne me manquait, me souhaita une bonne nuit +et me laissa seul. + +Les fentres taient fermes. Avant de me dshabiller, j'en ouvris +une pour respirer l'air frais de la nuit, dlicieux aprs un long +souper. En face tait le Canigou, d'un aspect admirable en tout +temps, mais qui me parut ce soir-l la plus belle montagne du +monde, clair qu'il tait par une lune resplendissante. Je +demeurai quelques minutes contempler sa silhouette merveilleuse, +et j'allais fermer ma fentre, lorsque, baissant les yeux, +j'aperus la statue sur un pidestal une vingtaine de toises de +la maison. Elle tait place l'angle d'une haie vive qui +sparait un petit jardin d'un vaste carr parfaitement uni, qui, +je l'appris plus tard, tait le jeu de paume de la ville. Ce +terrain, proprit de M. de Peyrehorade, avait t cd par lui +la commune, sur les pressantes sollicitations de son fils. + + la distance o j'tais, il m'tait difficile de distinguer +l'attitude de la statue; je ne pouvais juger que de sa hauteur, +qui me parut de six pieds environ. En ce moment, deux polissons de +la ville passaient sur le jeu de paume, assez prs de la haie, +sifflant le joli air du Roussillon: Montagnes rgalades. Ils +s'arrtrent pour regarder la statue; un d'eux l'apostropha mme +haute voix. Il parlait catalan; mais j'tais dans le Roussillon +depuis assez longtemps pour pouvoir comprendre peu prs ce qu'il +disait. + +Te voil donc, coquine! (Le terme catalan tait plus nergique.) +Te voil! disait-il. C'est donc toi qui as cass la jambe Jean +Coll! Si tu tais moi, je te casserais le cou. + +-- Bah! avec quoi? dit l'autre. Elle est de cuivre, et si dure +qu'tienne a cass sa lime dessus, essayant de l'entamer. C'est du +cuivre du temps des paens; c'est plus dur que je ne sais quoi. + +-- Si j'avais mon ciseau froid (il parat que c'tait un +apprenti serrurier), je lui ferais bientt sauter ses grands yeux +blancs, comme je tirerais une amande de sa coquille. Il y a pour +plus de cent sous d'argent. + +Ils firent quelques pas en s'loignant. + +Il faut que je souhaite le bonsoir l'idole, dit le plus grand +des apprentis, s'arrtant tout coup. + +Il se baissa, et probablement ramassa une pierre. Je le vis +dployer le bras, lancer quelque chose, et aussitt un coup sonore +retentit sur le bronze. Au mme instant l'apprenti porta la main +sa tte en poussant un cri de douleur. + +Elle me l'a rejete! s'cria-t-il. + +Et mes deux polissons prirent la fuite toutes jambes. Il tait +vident que la pierre avait rebondi sur le mtal, et avait puni ce +drle de l'outrage qu'il faisait la desse. + +Je fermai la fentre en riant de bon coeur. + +Encore un Vandale puni par Vnus! Puissent tous les destructeurs +de nos vieux monuments avoir ainsi la tte casse! Sur ce souhait +charitable, je m'endormis. + +Il tait grand jour quand je me rveillai. Auprs de mon lit +taient d'un ct, M. de Peyrehorade, en robe de chambre; de +l'autre, un domestique envoy par sa femme, une tasse de chocolat + la main. + +Allons, debout, Parisien! Voil bien mes paresseux de la +capitale! disait mon hte pendant que je m'habillais la hte. Il +est huit heures, et encore au lit! je suis lev, moi, depuis six +heures. Voil trois fois que je monte; je me suis approch de +votre porte sur la pointe du pied: personne, nul signe de vie. +Cela vous fera mal de trop dormir votre ge. Et ma Vnus que +vous n'avez pas encore vue! Allons, prenez-moi vite cette tasse de +chocolat de Barcelone... Vraie contrebande... Du chocolat comme on +n'en a pas Paris. Prenez des forces, car lorsque vous serez +devant ma Vnus, on ne pourra plus vous en arracher. + +En cinq minutes je fus prt, c'est--dire moiti ras, mal +boutonn, et brl par le chocolat que j'avalai bouillant. Je +descendis dans le jardin, et me trouvai devant une admirable +statue. + +C'tait bien une Vnus, et d'une merveilleuse beaut. Elle avait +le haut du corps nu, comme les Anciens reprsentaient d'ordinaire +les grandes divinits; la main droite, leve la hauteur du sein, +tait tourne, la paume en dedans, le pouce et les deux premiers +doigts tendus, les deux autres lgrement ploys. L'autre main, +rapproche de la hanche, soutenait la draperie qui couvrait la +partie infrieure du corps. L'attitude de cette statue rappelait +celle du Joueur de mourre qu'on dsigne, je ne sais trop pourquoi, +sous le nom de Germanicus. Peut-tre avait-on voulu reprsenter la +desse jouant au jeu de mourre. + +Quoi qu'il en soit, il est impossible de voir quelque chose de +plus parfait que le corps de cette Vnus; rien de plus suave, de +plus voluptueux que ses contours; rien de plus lgant et de plus +noble que sa draperie. Je m'attendais quelque ouvrage du Bas- +Empire; je voyais un chef-d'oeuvre du meilleur temps de la +statuaire. Ce qui me frappait surtout, c'tait l'exquise vrit +des formes, en sorte qu'on aurait pu les croire moules sur +nature, si la nature produisait d'aussi parfaits modles. + +La chevelure, releve sur le front, paraissait avoir t dore +autrefois. La tte, petite comme celle de presque toutes les +statues grecques, tait lgrement incline en avant. Quant la +figure, jamais je ne parviendrai exprimer son caractre trange, +et dont le type ne se rapprochait de celui d'aucune statue antique +dont il me souvienne. Ce n'tait point cette beaut calme et +svre des sculpteurs grecs, qui, par systme, donnaient tous +les traits une majestueuse immobilit. Ici, au contraire, +j'observais avec surprise l'intention marque de l'artiste de +rendre la malice arrivant jusqu' la mchancet. Tous les traits +taient contracts lgrement: les yeux un peu obliques, la bouche +releve des coins, les narines quelque peu gonfles. Ddain, +ironie, cruaut, se lisaient sur ce visage d'une incroyable beaut +cependant. En vrit, plus on regardait cette admirable statue, et +plus on prouvait le sentiment pnible qu'une si merveilleuse +beaut pt s'allier l'absence de toute sensibilit. + +Si le modle a jamais exist, dis-je M. de Peyrehorade, et je +doute que le ciel ait jamais produit une telle femme, que je +plains ses amants! Elle a d se complaire les faire mourir de +dsespoir. Il y a dans son expression quelque chose de froce, et +pourtant je n'ai jamais vu rien de si beau. + +-- C'est Vnus tout entire sa proie attache! +s'cria M. de Peyrehorade, satisfait de mon enthousiasme. + +Cette expression d'ironie infernale tait augmente peut-tre par +le contraste de ses yeux incrusts d'argent et trs brillants avec +la patine d'un vert noirtre que le temps avait donne toute la +statue. Ces yeux brillants produisaient une certaine illusion qui +rappelait la ralit, la vie. Je me souvins de ce que m'avait dit +mon guide, qu'elle faisait baisser les yeux ceux qui la +regardaient. Cela tait presque vrai, et je ne pus me dfendre +d'un mouvement de colre contre moi-mme en me sentant un peu mal + mon aise devant cette figure de bronze. + +Maintenant que vous avez tout admir en dtail, mon cher collgue +en antiquaillerie, dit mon hte, ouvrons, s'il vous plat, une +confrence scientifique. Que dites-vous de cette inscription, +laquelle vous n'avez point pris garde encore? + +Il me montrait le socle de la statue, et j'y lus ces mots: + +CAVE AMANTEM. + +Quid dicis, doctissime? me demanda-t-il en se frottant les mains. +Voyons si nous nous rencontrerons sur le sens de ce cave amantem! + +-- Mais, rpondis-je, il y a deux sens. On peut traduire: Prends +garde celui qui t'aime, dfie-toi des amants. Mais, dans ce +sens, je ne sais si cave amantem serait d'une bonne latinit. En +voyant l'expression diabolique de la dame, je croirais plutt que +l'artiste a voulu mettre en garde le spectateur contre cette +terrible beaut. Je traduirais donc: Prends garde toi si elle +t'aime. + +-- Humph! dit M. de Peyrehorade, oui, c'est un sens admirable; +mais, ne vous en dplaise, je prfre la premire traduction, que +je dvelopperai pourtant. Vous connaissez l'amant de Vnus? + +-- Il y en a plusieurs. + +-- Oui; mais le premier, c'est Vulcain. N'a-t-on pas voulu dire: +Malgr toute ta beaut, ton air ddaigneux, tu auras un forgeron, +un vilain boiteux pour amant! Leon profonde, monsieur, pour les +coquettes! + +Je ne pus m'empcher de sourire, tant l'explication me parut tire +par les cheveux. + +C'est une terrible langue que le latin avec sa concision, +observai-je pour viter de contredire formellement mon antiquaire, +et je reculai de quelques pas afin de mieux contempler la statue. + +-- Un instant, collgue! dit M. de Peyrehorade en m'arrtant par +le bras, vous n'avez pas tout vu. Il y a encore une autre inscrip- +tion. Montez sur le socle et regardez au bras droit. + +En parlant ainsi il m'aidait monter. + +Je m'accrochai sans trop de faons au cou de la Vnus, avec +laquelle je commenais me familiariser. Je la regardai mme un +instant sous le nez, et la trouvai de prs encore plus mchante et +encore plus belle. Puis je reconnus qu'il y avait, gravs sur le +bras, quelques caractres d'criture cursive antique, ce qu'il +me sembla. grand renfort de besicles j'pelai ce qui suit, et +cependant M. de Peyrehorade rptait chaque mot mesure que je le +prononais, approuvant du geste et de la voix. Je lus donc: + +VENERI TVRBVL... EVTYCHES MYRO IMPERIO FECIT. + +Aprs ce mot TVRBVL de la premire ligne, il me sembla qu'il y +avait quelques lettres effaces; mais TVRBVL tait parfaitement +lisible. + +Ce qui veut dire?... me demanda mon hte radieux et souriant +avec malice, car il pensait bien que je ne me tirerais pas faci- +lement de ce TVRBVL. + +Il y a un mot que je ne m'explique pas encore, lui dis-je; tout +le reste est facile. Eutychs Myron a fait cette offrande Vnus +par son ordre. + +-- merveille. Mais TVRBVL, qu'en faites-vous? Qu'est-ce que +TVRBVL? + +-- TVRBVL m'embarrasse fort. Je cherche en vain quelque pithte +connue de Vnus qui puisse m'aider. Voyons, que diriez-vous de +TVRBVLENTA? Vnus qui trouble, qui agite... Vous vous apercevez +que je suis toujours proccup de son expression mchante. +TVRBVLENTA, ce n'est point une trop mauvaise pithte pour Vnus, +ajoutai-je d'un ton modeste, car je n'tais pas moi-mme fort +satisfait de mon explication. + +Vnus turbulente! Vnus la tapageuse! Ah! vous croyez donc que ma +Vnus est une Vnus de cabaret? Point du tout, monsieur; c'est une +Vnus de bonne compagnie. Mais je vais vous expliquer ce TVRBVL... +Au moins vous me promettez de ne point divulguer ma dcouverte +avant l'impression de mon mmoire. C'est que, voyez-vous, je m'en +fais gloire, de cette trouvaille-l... Il faut bien que vous nous +laissiez quelques pis glaner, nous autres pauvres diables de +provinciaux. Vous tes si riches, messieurs les savants de Paris! + +Du haut du pidestal, o j'tais toujours perch, je lui promis +solennellement que je n'aurais jamais l'indignit de lui voler sa +dcouverte. + +TVRBVL..., monsieur, dit-il en se rapprochant et baissant la voix +de peur qu'un autre que moi ne pt l'entendre, lisez TVRBVLNERAE. + +-- Je ne comprends pas davantage. + +-- coutez bien. une lieue d'ici, au pied de la montagne, il y a +un village qui s'appelle Boulternre. C'est une corruption du mot +latin TVRBVLNERA. Rien de plus commun que ces inversions. +Boulternre, monsieur, a t une ville romaine. Je m'en tais +toujours dout, mais jamais je n'en avais eu la preuve. La preuve, +la voil. Cette Vnus tait la divinit topique de la cit de +Boulternre; et ce mot de Boulternre, que je viens de dmontrer +d'origine antique, prouve une chose bien plus curieuse, c'est que +Boulternre, avant d'tre une ville romaine, a t une ville +phnicienne! + +Il s'arrta un moment pour respirer et jouir de ma surprise. Je +parvins rprimer une forte envie de rire. + +En effet, poursuivit-il, TVRBVLNERA est pur phnicien, TVR, +prononcez TOUR... TOUR et SOUR, mme mot, n'est-ce pas? SOUR est +le nom phnicien de Tyr; je n'ai pas besoin de vous en rappeler le +sens. BVL, c'est Baal; Bl, Bel, Bul, lgres diffrences de +prononciation. Quant NERA, cela me donne un peu de peine. Je +suis tent de croire, faute de trouver un mot phnicien, que cela +vient du grec ?????, humide, marcageux. Ce serait donc un mot +hybride. Pour justifier ?????, je vous montrerai Boulternre +comment les ruisseaux de la montagne y forment des mares infectes. +D'autre part, la terminaison NERA aurait pu tre ajoute beaucoup +plus tard en l'honneur de Nera Pivesuvia, femme de Ttricus, +laquelle aurait fait quelque bien la cit de Turbul. Mais, +cause des mares, je prfre l'tymologie de ?????. + +Il prit une prise de tabac d'un air satisfait. + +Mais laissons les Phniciens, et revenons l'inscription. Je +traduis donc: " Vnus de Boulternre Myron ddie par son ordre +cette statue, son ouvrage." + +Je me gardai bien de critiquer son tymologie, mais je voulus +mon tour faire preuve de pntration, et je lui dis: + +Halte-l, monsieur. Myron a consacr quelque chose, mais je ne +vois nullement que ce soit cette statue. + +-- Comment! s'cria-t-il, Myron n'tait-il pas un fameux sculpteur +grec? Le talent se sera perptu dans sa famille: c'est un de ses +descendants qui aura fait cette statue. Il n'y a rien de plus sr. + +-- Mais, rpliquai-je, je vois sur le bras un petit trou. Je pense +qu'il a servi fixer quelque chose, un bracelet, par exemple, que +ce Myron donna Vnus en offrande expiatoire. Myron tait un +amant malheureux. Vnus tait irrite contre lui: il l'apaisa en +lui consacrant un bracelet d'or. Remarquez que fecit se prend fort +souvent pour consecravit. Cc sont termes synonymes. Je vous en +montrerais plus d'un exemple si j'avais sous la main Gruter ou +bien Orelli. Il est naturel qu'un amoureux voie Vnus en rve, +qu'il s'imagine qu'elle lui commande de donner un bracelet d'or +sa statue. Myron lui consacra un bracelet... Puis les barbares ou +bien quelque voleur sacrilge... + +-- Ah! qu'on voit bien que vous avez fait des romans! s'cria mon +hte en me donnant la main pour descendre. Non, monsieur, c'est un +ouvrage de l'cole de Myron. Regardez seulement le travail, et +vous en conviendrez. + +M'tant fait une loi de ne jamais contredire outrance les +antiquaires entts, je baissai la tte d'un air convaincu en +disant: + +C'est un admirable morceau. + +-- Ah! mon Dieu, s'cria M. de Peyrehorade, encore un trait de +vandalisme! On aura jet une pierre ma statue! + +Il venait d'apercevoir une marque blanche un peu au-dessus du sein +de la Vnus. Je remarquai une trace semblable sur les doigts de la +main droite, qui, je le supposai alors, avaient t touchs dans +le trajet de la pierre, ou bien un fragment s'en tait dtach par +le choc et avait ricoch sur la main. Je contai mon hte +l'insulte dont j'avais t tmoin et la prompte punition qui s'en +tait suivie. Il en rit beaucoup, et, comparant l'apprenti Dio- +mde, il lui souhaita de voir, comme le hros grec, tous ses +compagnons changs en oiseaux blancs. + +La cloche du djeuner interrompit cet entretien classique, et, de +mme que la veille, je fus oblig de manger comme quatre. Puis +vinrent des fermiers de M. de Peyrehorade; et pendant qu'il leur +donnait audience, son fils me mena voir une calche qu'il avait +achete Toulouse pour sa fiance, et que j'admirai, cela va sans +dire. Ensuite j'entrai avec lui dans l'curie, o il me tint une +demi-heure me vanter ses chevaux, me faire leur gnalogie, +me conter les prix qu'ils avaient gagns aux courses du +dpartement. Enfin il en vint me parler de sa future, par la +transition d'une jument grise qu'il lui destinait. + +Nous la verrons aujourd'hui, dit-il. Je ne sais si vous la +trouverez jolie. Vous tes difficiles, Paris; mais tout le +monde, ici et Perpignan, la trouve charmante. Le bon, c'est +qu'elle est fort riche. Sa tante de Prades lui a laiss son bien. +Oh! je vais tre fort heureux. + +Je fus profondment choqu de voir un jeune homme paratre plus +touch de la dot que des beaux yeux de sa future. + +Vous vous connaissez en bijoux, poursuivit M. Alphonse, comment +trouvez-vous ceci? Voici l'anneau que je lui donnerai demain. + +En parlant ainsi, il tirait de la premire phalange de son petit +doigt une grosse bague enrichie de diamants, et forme de deux +mains entrelaces; allusion qui me parut infiniment potique. Le +travail en tait ancien, mais je jugeai qu'on l'avait retouche +pour enchsser les diamants. Dans l'intrieur de la bague se +lisaient ces mots en lettres gothiques: Sempr'ab ti, c'est--dire, +toujours avec toi. + +C'est une jolie bague, lui dis-je; mais ces diamants ajouts lui +ont fait perdre un peu de son caractre. + +-- Oh! elle est bien plus belle comme cela, rpondit-il en +souriant. Il y a l pour douze cents francs de diamants. C'est ma +mre qui me l'a donne. C'tait une bague de famille, trs +ancienne... du temps de la chevalerie. Elle avait servi ma +grand-mre, qui la tenait de la sienne. Dieu sait quand cela a t +fait. + +-- L'usage Paris, lui dis-je, est de donner un anneau tout +simple, ordinairement compos de deux mtaux diffrents, comme de +l'or et du platine. Tenez, cette autre bague, que vous avez ce +doigt, serait fort convenable. Celle-ci, avec ses diamants et ses +mains en relief, est si grosse, qu'on ne pourrait mettre un gant +par-dessus. + +-- Oh! madame Alphonse s'arrangera comme elle voudra. Je crois +qu'elle sera toujours bien contente de l'avoir. Douze cents francs +au doigt, c'est agrable. Cette petite bague-l, ajouta-t-il en +regardant d'un air de satisfaction l'anneau tout uni qu'il portait + la main, celle-l, c'est une femme Paris qui me l'a donne un +jour de mardi gras. Ah! comme je m'en suis donn quand j'tais +Paris, il y a deux ans! C'est l qu'on s'amuse!... Et il soupira +de regret. + +Nous devions dner ce jour-l Puygarrig, chez les parents de la +future; nous montmes en calche, et nous nous rendmes au chteau +loign d'Ille d'environ une lieue et demie. Je fus prsent et +accueilli comme l'ami de la famille. Je ne parlerai pas du dner +ni de la conversation qui s'ensuivit, et laquelle je pris peu de +part. M. Alphonse, plac ct de sa future, lui disait un mot +l'oreille tous les quarts d'heure. Pour elle, elle ne levait gure +les yeux, et, chaque fois que son prtendu lui parlait, elle +rougissait avec modestie, mais lui rpondait sans embarras. + +Mademoiselle de Puygarrig avait dix-huit ans; sa taille souple et +dlicate contrastait avec les formes osseuses de son robuste +fianc. Elle tait non seulement belle, mais sduisante. +J'admirais le naturel parfait de toutes ses rponses; et son air +de bont, qui pourtant n'tait pas exempt d'une lgre teinte de +malice, me rappela, malgr moi, la Vnus de mon hte. Dans cette +comparaison que je fis en moi-mme, je me demandais si la +supriorit de beaut qu'il fallait bien accorder la statue ne +tenait pas, en grande partie, son expression de tigresse; car +l'nergie, mme dans les mauvaises passions, excite toujours en +nous un tonnement et une espce d'admiration involontaire. + +Quel dommage, me dis-je en quittant Puygarrig, qu'une si aimable +personne soit riche, et que sa dot la fasse rechercher par un +homme indigne d'elle! + +En revenant Ille, et ne sachant trop que dire madame de +Peyrehorade, qui je croyais convenable d'adresser quelquefois la +parole: + +Vous tes bien esprits forts en Roussillon! m'criai-je; comment, +madame, vous faites un mariage un vendredi! Paris nous aurions +plus de superstition; personne n'oserait prendre femme un tel +jour. + +-- Mon Dieu! ne m'en parlez pas, me dit-elle, si cela n'avait +dpendu que de moi, certes on et choisi un autre jour. Mais +Peyrehorade l'a voulu, et il a fallu lui cder. Cela me fait de la +peine pourtant. S'il arrivait quelque malheur? Il faut bien qu'il +y ait une raison, car enfin pourquoi tout le monde a-t-il peur du +vendredi? + +-- Vendredi! s'cria son mari, c'est le jour de Vnus! Bon jour +pour un mariage! Vous le voyez, mon cher collgue, je ne pense +qu' ma Vnus. D'honneur! c'est cause d'elle que j'ai choisi le +vendredi. Demain, si vous voulez, avant la noce, nous lui ferons +un petit sacrifice; nous sacrifierons deux palombes, et si je +savais o trouver de l'encens... + +-- Fi donc, Peyrehorade! interrompit sa femme scandalise au +dernier point. Encenser une idole! Ce serait une abomination! Que +dirait-on de nous dans le pays? + +-- Au moins, dit M. de Peyrehorade, tu me permettras de lui mettre +sur la tte une couronne de roses et de lis: + +Manibus date lilia plenis. + +Vous le voyez, monsieur, la charte est un vain mot. Nous n'avons +pas la libert des cultes! + +Les arrangements du lendemain furent rgls de la manire +suivante. Tout le monde devait tre prt et en toilette dix +heures prcises. Le chocolat pris, on se rendrait en voiture +Puygarrig. Le mariage civil devait se faire la mairie du +village, et la crmonie religieuse dans la chapelle du chteau. +Viendrait ensuite un djeuner. Aprs le djeuner on passerait le +temps comme l'on pourrait jusqu' sept heures. sept heures, on +retournerait Ille, chez M. de Peyrehorade, o devaient souper +les deux familles runies. Le reste s'ensuit naturellement. Ne +pouvant danser, on avait voulu manger le plus possible. + +Ds huit heures j'tais assis devant la Vnus, un crayon la +main, recommenant pour la vingtime fois la tte de la statue, +sans pouvoir parvenir en saisir l'expression. M. de Peyrehorade +allait et venait autour de moi, me donnait des conseils, me +rptait ses tymologies phniciennes; puis disposait des roses du +Bengale sur le pidestal de la statue, et d'un ton tragi-comique +lui adressait des voeux pour le couple qui allait vivre sous son +toit. Vers neuf heures il rentra pour songer sa toilette, et en +mme temps parut M. Alphonse, bien serr dans un habit neuf, en +gants blancs, souliers vernis, boutons cisels, une rose la +boutonnire. + +Vous ferez le portrait de ma femme? me dit-il en se penchant sur +mon dessin. Elle est jolie aussi. + +En ce moment commenait, sur le jeu de paume dont j'ai parl, une +partie qui, sur-le-champ, attira l'attention de M. Alphonse. Et +moi, fatigu, et dsesprant de rendre cette diabolique figure, je +quittai bientt mon dessin pour regarder les joueurs. Il y avait +parmi eux quelques muletiers espagnols arrivs de la veille. +C'taient des Aragonais et des Navarrois, presque tous d'une +adresse merveilleuse. Aussi les Illois, bien qu'encourags par la +prsence et les conseils de M. Alphonse, furent-ils assez +promptement battus par ces nouveaux champions. Les spectateurs +nationaux taient consterns. M. Alphonse regarda sa montre. Il +n'tait encore que neuf heures et demie. Sa mre n'tait pas +coiffe. Il n'hsita plus: il ta son habit, demanda une veste, et +dfia les Espagnols. Je le regardais faire en souriant, et un peu +surpris. + +Il faut soutenir l'honneur du pays, dit-il. + +Alors je le trouvai vraiment beau. Il tait passionn. Sa +toilette, qui l'occupait si fort tout l'heure, n'tait plus rien +pour lui. Quelques minutes avant il et craint de tourner la tte +de peur de dranger sa cravate. Maintenant il ne pensait plus +ses cheveux friss ni son jabot si bien pliss. Et sa +fiance?... Ma foi, si cela et t ncessaire, il aurait, je +crois, fait ajourner le mariage. Je le vis chausser la hte une +paire de sandales, retrousser ses manches, et, d'un air assur, se +mettre la tte du parti vaincu, comme Csar ralliant ses soldats + Dyrrachium. Je sautai la haie, et me plaai commodment +l'ombre d'un micocoulier, de faon bien voir les deux camps. + +Contre l'attente gnrale, M. Alphonse manqua la premire balle; +il est vrai qu'elle vint rasant la terre et lance avec une force +surprenante par un Aragonais qui paraissait tre le chef des +Espagnols. + +C'tait un homme d'une quarantaine d'annes, sec et nerveux, haut +de six pieds, et sa peau olivtre avait une teinte presque aussi +fonce que le bronze de la Vnus. + +M. Alphonse jeta sa raquette terre avec fureur. C'est cette +maudite bague, s'cria-t-il, qui me serre le doigt, et me fait +manquer une balle sre! + +Il ta, non sans peine, sa bague de diamants: je m'approchais pour +la recevoir; mais il me prvint, courut la Vnus, lui passa la +bague au doigt annulaire, et reprit son poste la tte des +Illois. Il tait ple, mais calme et rsolu. Ds lors il ne fit +plus une seule faute, et les Espagnols furent battus compltement. +Ce fut un beau spectacle que l'enthousiasme des spectateurs: les +uns poussaient mille cris de joie en jetant leurs bonnets en +l'air; d'autres lui serraient les mains, l'appelant l'honneur du +pays. S'il et repouss une invasion, je doute qu'il et reu des +flicitations plus vives et plus sincres. Le chagrin des vaincus +ajoutait encore l'clat de sa victoire. + +Nous ferons d'autres parties, mon brave, dit-il l'Aragonais +d'un ton de supriorit; mais je vous rendrai des points. + +J'aurais dsir que M. Alphonse ft plus modeste, et je fus +presque pein de l'humiliation de son rival. + +Le gant espagnol ressentit profondment cette insulte. Je le vis +plir sous sa peau basane. Il regardait d'un air morne sa ra- +quette en serrant les dents; puis, d'une voix touffe, il dit +tout bas: Me lo pagars. + +La voix de M. de Peyrehorade troubla le triomphe de son fils; mon +hte, fort tonn de ne point le trouver prsidant aux apprts de +la calche neuve, le fut bien plus encore en le voyant tout en +sueur, la raquette la main. M. Alphonse courut la maison, se +lava la figure et les mains, remit son habit neuf et ses souliers +vernis, et cinq minutes aprs nous tions au grand trot sur la +route de Puygarrig. Tous les joueurs de paume de la ville et grand +nombre de spectateurs nous suivirent avec des cris de joie. +peine les chevaux vigoureux qui nous tranaient pouvaient-ils +maintenir leur avance sur ces intrpides Catalans. + +Nous tions Puygarrig, et le cortge allait se mettre en marche +pour la mairie, lorsque M. Alphonse, se frappant le front, me dit +tout bas: + +Quelle brioche! J'ai oubli la bague! Elle est au doigt de la +Vnus, que le diable puisse emporter! Ne le dites pas ma mre au +moins. Peut-tre qu'elle ne s'apercevra de rien. + +-- Vous pourriez envoyer quelqu'un, lui dis-je. + +-- Bah! mon domestique est rest Ille. Ceux-ci, je ne m'y fie +gure. Douze cents francs de diamants! cela pourrait en tenter +plus d'un. D'ailleurs que penserait-on ici de ma distraction? Ils +se moqueraient trop de moi. Ils m'appelleraient le mari de la +statue... Pourvu qu'on ne me la vole pas! Heureusement que l'idole +fait peur mes coquins. Ils n'osent l'approcher longueur de +bras. Bah! ce n'est rien; j'ai une autre bague. + +Les deux crmonies civile et religieuse s'accomplirent avec la +pompe convenable; et mademoiselle de Puygarrig reut l'anneau +d'une modiste de Paris, sans se douter que son fianc lui faisait +le sacrifice d'un gage amoureux. Puis on se mit table, o l'on +but, mangea, chanta mme, le tout fort longuement. Je souffrais +pour la marie de la grosse joie qui clatait autour d'elle; +pourtant elle faisait meilleure contenance que je ne l'aurais +espr, et son embarras n'tait ni de la gaucherie ni de +l'affectation. + +Peut-tre le courage vient-il avec les situations difficiles. + +Le djeuner termin quand il plut Dieu, il tait quatre heures; +les hommes allrent se promener dans le parc, qui tait +magnifique, ou regardrent danser sur la pelouse du chteau les +paysannes de Puygarrig, pares de leurs habits de fte. De la +sorte, nous employmes quelques heures. Cependant les femmes +taient fort empresses autour de la marie, qui leur faisait +admirer sa corbeille. Puis elle changea de toilette, et je +remarquai qu'elle couvrit ses beaux cheveux d'un bonnet et d'un +chapeau plumes, car les femmes n'ont rien de plus press que de +prendre, aussitt qu'elles le peuvent, les parures que l'usage +leur dfend de porter quand elles sont encore demoiselles. + +Il tait prs de huit heures quand on se disposa partir pour +Ille. Mais d'abord eut lieu une scne pathtique. La tante de +mademoiselle de Puygarrig, qui lui servait de mre, femme trs +ge et fort dvote, ne devait point aller avec nous la ville. +Au dpart, elle fit sa nice un sermon touchant sur ses devoirs +d'pouse, duquel sermon rsulta un torrent de larmes et des +embrassements sans fin. M. de Peyrehorade comparait cette +sparation l'enlvement des Sabines. Nous partmes pourtant, et, +pendant la route, chacun s'vertua pour distraire la marie et la +faire rire; mais ce fut en vain. + + Ille, le souper nous attendait, et quel souper! Si la grosse +joie du matin m'avait choqu, je le fus bien davantage des quivo- +ques et des plaisanteries dont le mari et la marie surtout +furent l'objet. Le mari, qui avait disparu un instant avant de se +mettre table, tait ple et d'un srieux de glace. Il buvait +chaque instant du vieux vin de Collioure presque aussi fort que de +l'eau-de-vie. J'tais ct de lui, et me crus oblig de +l'avertir: + +Prenez garde! on dit que le vin... + +Je ne sais quelle sottise je lui dis pour me mettre l'unisson +des convives. + +Il me poussa le genou, et trs bas il me dit: + +Quand on se lvera de table..., que je puisse vous dire deux +mots. + +Son ton solennel me surprit. Je le regardai plus attentivement, et +je remarquai l'trange altration de ses traits. + +Vous sentez-vous indispos? lui demandai-je. + +-- Non. + +Et il se remit boire. + +Cependant, au milieu des cris et des battements de mains, un +enfant de onze ans, qui s'tait gliss sous la table, montrait aux +assistants un joli ruban blanc et rose qu'il venait de dtacher de +la cheville de la marie. On appelle cela sa jarretire. Elle fut +aussitt coupe par morceaux et distribue aux jeunes gens, qui en +ornrent leur boutonnire, suivant un antique usage qui se +conserve encore dans quelques familles patriarcales. Ce fut pour +la marie une occasion de rougir jusqu'au blanc des yeux. Mais son +trouble fut au comble lorsque M. de Peyrehorade, ayant rclam le +silence, lui chanta quelques vers catalans, impromptus, disait-il. +En voici le sens, si je l'ai bien compris: + +Qu'est-ce donc, mes amis? Le vin que j'ai bu me fait-il voir +double? Il y a deux Vnus ici... + +Le mari tourna brusquement la tte d'un air effar, qui fit rire +tout le monde. + +Oui, poursuivit M. de Peyrehorade, il y a deux Vnus sous mon +toit. L'une, je l'ai trouve dans la terre comme une truffe; +l'autre, descendue des cieux, vient de nous partager sa ceinture. + +Il voulait dire sa jarretire. + +Mon fils, choisis de la Vnus romaine ou de la catalane celle que +tu prfres. Le maraud prend la catalane, et sa part est la +meilleure. La romaine est noire, la catalane est blanche. La +romaine est froide, la catalane enflamme tout ce qui l'approche. + +Cette chute excita un tel hourra, des applaudissements si bruyants +et des rires si sonores, que je crus que le plafond allait nous +tomber sur la tte. Autour de la table il n'y avait que trois +visages srieux, ceux des maris et le mien. J'avais un grand mal +de tte; et puis, je ne sais pourquoi, un mariage m'attriste +toujours. Celui-l, en outre, me dgotait un peu. + +Les derniers couplets ayant t chants par l'adjoint du maire, et +ils taient fort lestes, je dois le dire, on passa dans le salon +pour jouir du dpart de la marie, qui devait tre bientt +conduite sa chambre, car il tait prs de minuit. + +M. Alphonse me tira dans l'embrasure d'une fentre, et me dit en +dtournant les yeux: Vous allez vous moquer de moi... Mais je ne +sais ce que j'ai... je suis ensorcel! le diable m'emporte! + +La premire pense qui me vint fut qu'il se croyait menac de +quelque malheur du genre de ceux dont parlent Montaigne et madame +de Svign: + +Tout l'empire amoureux est plein d'histoires tragiques, etc. Je +croyais que ces sortes d'accidents n'arrivaient qu'aux gens +d'esprit, me dis-je moi-mme. + +Vous avez trop bu de vin de Collioure, mon cher monsieur +Alphonse, lui dis-je. Je vous avais prvenu. + +-- Oui, peut-tre. Mais c'est quelque chose de bien plus +terrible. + +Il avait la voix entrecoupe. Je le crus tout fait ivre. + +Vous savez bien mon anneau? poursuivit-il aprs un silence. + +-- Eh bien! on l'a pris? + +-- Non. + +-- En ce cas, vous l'avez? + +-- Non... je... Je ne puis l'ter du doigt de cette diable de +Vnus. + +-- Bon! vous n'avez pas tir assez fort. + +-- Si fait... Mais la Vnus... elle a serr le doigt. + +Il me regardait fixement d'un air hagard, s'appuyant +l'espagnolette pour ne pas tomber. + +Quel conte! lui dis-je. Vous avez trop enfonc l'anneau. Demain +vous l'aurez avec des tenailles. Mais prenez garde de gter la +statue. + +-- Non, vous dis-je. Le doigt de la Vnus est retir, reploy; +elle serre la main, m'entendez-vous?... C'est ma femme, apparem- +ment, puisque je lui ai donn mon anneau... Elle ne veut plus le +rendre. + +J'prouvai un frisson subit, et j'eus un instant la chair de +poule. Puis, un grand soupir qu'il fit m'envoya une bouffe de +vin, et toute motion disparut. + +Le misrable, pensai-je, est compltement ivre. + +Vous tes antiquaire, monsieur, ajouta le mari d'un ton +lamentable; vous connaissez ces statues-l... il y a peut-tre +quelque ressort, quelque diablerie, que je ne connais point... Si +vous alliez voir? + +-- Volontiers, dis-je. Venez avec moi. + +-- Non, j'aime mieux que vous y alliez seul. + +Je sortis du salon. + +Le temps avait chang pendant le souper, et la pluie commenait +tomber avec force. J'allais demander un parapluie, lorsqu'une +rflexion m'arrta. Je serais un bien grand sot, me dis-je, +d'aller vrifier ce que m'a dit un homme ivre! Peut-tre, +d'ailleurs, a-t-il voulu me faire quelque mchante plaisanterie +pour apprter rire ces honntes provinciaux; et le moins qu'il +puisse m'en arriver, c'est d'tre tremp jusqu'aux os et +d'attraper un bon rhume. + +De la porte je jetai un coup d'oeil sur la statue ruisselante +d'eau, et je montai dans ma chambre sans rentrer dans le salon. Je +me couchai; mais le sommeil fut long venir. Toutes les scnes de +la journe se reprsentaient mon esprit. Je pensais cette +jeune fille si belle et si pure abandonne un ivrogne brutal. +Quelle odieuse chose, me disais-je, qu'un mariage de convenance! +Un maire revt une charpe tricolore, un cur une tole, et voil +la plus honnte fille du monde livre au Minotaure! Deux tres qui +ne s'aiment pas, que peuvent-ils se dire dans un pareil moment, +que deux amants achteraient au prix de leur existence? Une femme +peut-elle jamais aimer un homme qu'elle aura vu grossier une fois? +Les premires impressions ne s'effacent pas, et j'en suis sr ce +M. Alphonse mritera bien d'tre ha... + +Durant mon monologue, que j'abrge beaucoup, j'avais entendu force +alles et venues dans la maison, les portes s'ouvrir et se fermer, +des voitures partir; puis il me semblait avoir entendu sur +l'escalier les pas lgers de plusieurs femmes se dirigeant vers +l'extrmit du corridor oppos ma chambre. C'tait probablement +le cortge de la marie qu'on menait au lit. Ensuite on avait +redescendu l'escalier. La porte de madame de Peyrehorade s'tait +ferme. Que cette pauvre fille, me dis-je, doit tre trouble et +mal son aise! Je me tournais dans mon lit de mauvaise humeur. Un +garon joue un sot rle dans une maison o s'accomplit un mariage. + +Le silence rgnait depuis quelque temps lorsqu'il fut troubl par +des pas lourds qui montaient l'escalier. Les marches de bois +craqurent fortement. + +Quel butor! m'criai-je. Je parie qu'il va tomber dans +l'escalier. + +Tout redevint tranquille. Je pris un livre pour changer le cours +de mes ides. C'tait une statistique du dpartement, orne d'un +mmoire de M. de Peyrehorade sur les monuments druidiques de +l'arrondissement de Prades. Je m'assoupis la troisime page. + +Je dormis mal et me rveillai plusieurs fois. Il pouvait tre cinq +heures du matin, et j'tais veill depuis plus de vingt minutes +lorsque le coq chanta. Le jour allait se lever. Alors j'entendis +distinctement les mmes pas lourds, le mme craquement de +l'escalier que j'avais entendus avant de m'endormir. Cela me parut +singulier. J'essayai, en billant, de deviner pourquoi M. Alphonse +se levait si matin. Je n'imaginais rien de vraisemblable. J'allais +refermer les yeux lorsque mon attention fut de nouveau excite par +des trpignements tranges auxquels se mlrent bientt le +tintement des sonnettes et le bruit de portes qui s'ouvraient avec +fracas, puis je distinguai des cris confus. + +Mon ivrogne aura mis le feu quelque part! pensais-je en sautant +bas de mon lit. + +Je m'habillai rapidement et j'entrai dans le corridor. De +l'extrmit oppose partaient des cris et des lamentations, et une +voix dchirante dominait toutes les autres: Mon fils! mon fils! +Il tait vident qu'un malheur tait arriv M. Alphonse. Je +courus la chambre nuptiale: elle tait pleine de monde. Le +premier spectacle qui frappa ma vue fut le jeune homme demi- +vtu, tendu en travers sur le lit dont le bois tait bris. Il +tait livide, sans mouvement. Sa mre pleurait et criait ct de +lui. M. de Peyrehorade s'agitait, lui frottait les tempes avec de +l'eau de Cologne, ou lui mettait des sels sous le nez. Hlas! +depuis longtemps son fils tait mort. Sur un canap, l'autre +bout de la chambre, tait la marie, en proie d'horribles +convulsions. Elle poussait des cris inarticuls, et deux robustes +servantes avaient toutes les peines du monde la contenir. + +Mon Dieu! m'criai-je, qu'est-il donc arriv? + +Je m'approchai du lit et soulevai le corps du malheureux jeune +homme; il tait dj roide et froid. Ses dents serres et sa +figure noircie exprimaient les plus affreuses angoisses. Il +paraissait assez que sa mort avait t violente et son agonie +terrible. Nulle trace de sang cependant sur ses habits. J'cartai +sa chemise et vis sur sa poitrine une empreinte livide qui se +prolongeait sur les ctes et le dos. On et dit qu'il avait t +treint dans un cercle de fer. Mon pied posa sur quelque chose de +dur qui se trouvait sur le tapis; je me baissai et vis la bague de +diamants. + +J'entranai M. de Peyrehorade et sa femme dans leur chambre; puis +j'y fis porter la marie. Vous avez encore une fille, leur dis- +je, vous lui devez vos soins. Alors je les laissai seuls. + +Il ne me paraissait pas douteux que M. Alphonse n'et t victime +d'un assassinat dont les auteurs avaient trouv moyen de +s'introduire la nuit dans la chambre de la marie. Ces +meurtrissures la poitrine, leur direction circulaire +m'embarrassaient beaucoup pourtant, car un bton ou une barre de +fer n'aurait pu les produire. Tout d'un coup je me souvins d'avoir +entendu dire qu' Valence des braves se servaient de longs sacs de +cuir remplis de sable fin pour assommer les gens dont on leur +avait pay la mort. Aussitt je me rappelai le muletier aragonais +et sa menace; toutefois j'osais peine penser qu'il et tir une +si terrible vengeance d'une plaisanterie lgre. + +J'allais dans la maison, cherchant partout des traces +d'effraction, et n'en trouvant nulle part. Je descendis dans le +jardin pour voir si les assassins avaient pu s'introduire de ce +ct; mais je ne trouvai aucun indice certain. La pluie de la +veille avait d'ailleurs tellement dtremp le sol, qu'il n'aurait +pu garder d'empreinte bien nette. J'observai pourtant quelques pas +profondment imprims dans la terre: il y en avait dans deux +directions contraires, mais sur une mme ligne, partant de l'angle +de la haie contigu au jeu de paume et aboutissant la porte de +la maison. Ce pouvaient tre les pas de M. Alphonse lorsqu'il +tait all chercher son anneau au doigt de la statue. D'un autre +ct, la haie, en cet endroit, tant moins fourre qu'ailleurs, ce +devait tre sur ce point que les meurtriers l'auraient franchie. +Passant et repassant devant la statue, je m'arrtai un instant +pour la considrer. Cette fois, je l'avouerai, je ne pus +contempler sans effroi son expression de mchancet ironique; et, +la tte toute pleine des scnes horribles dont je venais d'tre le +tmoin, il me sembla voir une divinit infernale applaudissant au +malheur qui frappait cette maison. + +Je regagnai ma chambre et j'y restai jusqu' midi. Alors je sortis +et demandai des nouvelles de mes htes. Ils taient un peu plus +calmes. Mademoiselle de Puygarrig, je devrais dire la veuve de +M. Alphonse, avait repris connaissance. Elle avait mme parl au +procureur du roi de Perpignan, alors en tourne Ille, et ce +magistrat avait reu sa dposition. Il me demanda la mienne. Je +lui dis ce que je savais, et ne lui cachai pas mes soupons contre +le muletier aragonais. Il ordonna qu'il ft arrt sur-le-champ. + +Avez-vous appris quelque chose de madame Alphonse? demandai-je +au procureur du roi, lorsque ma dposition fut crite et signe. + +Cette malheureuse jeune personne est devenue folle, me dit-il en +souriant tristement. Folle! tout fait folle. Voici ce qu'elle +conte: + +Elle tait couche, dit-elle, depuis quelques minutes, les +rideaux tirs, lorsque la porte de sa chambre s'ouvrit, et +quelqu'un entra. Alors madame Alphonse tait dans la ruelle du +lit, la figure tourne vers la muraille. Elle ne fit pas un +mouvement, persuade que c'tait son mari. Au bout d'un instant le +lit cria comme s'il tait charg d'un poids norme. Elle eut +grand'peur, mais n'osa pas tourner la tte. Cinq minutes, dix +minutes peut-tre... elle ne peut se rendre compte du temps, se +passrent de la sorte. Puis elle fit un mouvement involontaire, ou +bien la personne qui tait dans le lit en fit un, et elle sentit +le contact de quelque chose de froid comme la glace, ce sont ses +expressions. Elle s'enfona dans la ruelle tremblant de tous ses +membres. Peu aprs, la porte s'ouvrit une seconde fois, et +quelqu'un entra, qui dit: Bonsoir, ma petite femme. Bientt aprs +on tira les rideaux. Elle entendit un cri touff. La personne qui +tait dans le lit, ct d'elle, se leva sur son sant et parut +tendre les bras en avant. Elle tourna la tte alors... et vit, +dit-elle, son mari genoux auprs du lit, la tte la hauteur de +l'oreiller, entre les bras d'une espce de gant verdtre qui +l'treignait avec force. Elle dit, et m'a rpt vingt fois, +pauvre femme!... elle dit qu'elle a reconnu... devinez-vous? la +Vnus de bronze, la statue de M. de Peyrehorade... Depuis qu'elle +est dans le pays, tout le monde en rve. Mais je reprends le rcit +de la malheureuse folle. ce spectacle, elle perdit connaissance, +et probablement depuis quelques instants elle avait perdu la +raison. Elle ne peut en aucune faon dire combien de temps elle +demeura vanouie. Revenue elle, elle revit le fantme, ou la +statue, comme elle dit toujours, immobile, les jambes et le bas du +corps dans le lit, le buste et les bras tendus en avant, et entre +ses bras son mari, sans mouvement. Un coq chanta. Alors la statue +sortit du lit, laissa tomber le cadavre et sortit. Mme Alphonse se +pendit la sonnette, et vous savez le reste. + +On amena l'Espagnol; il tait calme, et se dfendit avec beaucoup +de sang-froid et de prsence d'esprit. Du reste, il ne nia pas le +propos que j'avais entendu; mais il l'expliquait, prtendant qu'il +n'avait voulu dire autre chose, sinon que le lendemain, repos +qu'il serait, il aurait gagn une partie de paume son vainqueur. +Je me rappelle qu'il ajouta: + +Un Aragonais, lorsqu'il est outrag, n'attend pas au lendemain +pour se venger. Si j'avais cru que M. Alphonse et voulu +m'insulter, je lui aurais sur-le-champ donn de mon couteau dans +le ventre. + +On compara ses souliers avec les empreintes de pas dans le jardin; +ses souliers taient beaucoup plus grands. + +Enfin l'htelier chez qui cet homme tait log assura qu'il avait +pass toute la nuit frotter et mdicamenter un de ses mulets +qui tait malade. + +D'ailleurs cet Aragonais tait un homme bien fam, fort connu dans +le pays, o il venait tous les ans pour son commerce. On le +relcha donc en lui faisant des excuses. + +J'oubliais la dposition d'un domestique qui le dernier avait vu +M. Alphonse vivant. C'tait au moment qu'il allait monter chez sa +femme, et, appelant cet homme, il lui demanda d'un air +d'inquitude s'il savait o j'tais. Le domestique rpondit qu'il +ne m'avait point vu. Alors M. Alphonse fit un soupir et resta plus +d'une minute sans parler, puis il dit: Allons! le diable l'aura +emport aussi! + +Je demandai cet homme si M. Alphonse avait sa bague de diamants, +lorsqu'il lui parla. Le domestique hsita pour rpondre; enfin il +dit qu'il ne le croyait pas, qu'il n'y avait fait au reste aucune +attention. S'il avait eu cette bague au doigt, ajouta-t-il en se +reprenant, je l'aurais sans doute remarque, car je croyais qu'il +l'avait donne madame Alphonse. + +En questionnant cet homme je ressentais un peu de la terreur +superstitieuse que la dposition de Mme Alphonse avait rpandue +dans toute la maison. Le procureur du roi me regarda en souriant, +et je me gardai bien d'insister. + +Quelques heures aprs les funrailles de M. Alphonse, je me +disposai quitter Ille. La voiture de M. de Peyrehorade devait me +conduire Perpignan. Malgr son tat de faiblesse, le pauvre +vieillard voulut m'accompagner jusqu' la porte de son jardin. +Nous le traversmes en silence, lui se tranant peine, appuy +sur mon bras. Au moment de nous sparer, je jetai un dernier +regard sur la Vnus. Je prvoyais bien que mon hte, quoiqu'il ne +partaget point les terreurs et les haines qu'elle inspirait une +partie de sa famille, voudrait se dfaire d'un objet qui lui +rappellerait sans cesse un malheur affreux. Mon intention tait de +l'engager la placer dans un muse. J'hsitais pour entrer en +matire, quand M. de Peyrehorade tourna machinalement la tte du +ct o il me voyait regarder fixement. Il aperut la statue et +aussitt fondit en larmes. Je l'embrassai, et, sans oser lui dire +un seul mot, je montai dans la voiture. + +Depuis mon dpart je n'ai point appris que quelque jour nouveau +soit venu clairer cette mystrieuse catastrophe. + +M. de Peyrehorade mourut quelques mois aprs son fils. Par son +testament il m'a lgu ses manuscrits, que je publierai peut-tre +un jour. Je n'y ai point trouv le mmoire relatif aux +inscriptions de la Vnus. + +P. S. Mon ami M. de P. vient de m'crire que la statue n'existe +plus. Aprs la mort de son mari, le premier soin de Madame de +Peyrehorade fut de la faire fondre en cloche, et sous cette +nouvelle forme elle sert l'glise d'Ille. Mais, ajoute M. de P., +il semble qu'un mauvais sort poursuive ceux qui possdent ce +bronze. Depuis que cette cloche sonne l'Ille, les vignes ont +gel deux fois. + +1837. + + + + + +End of the Project Gutenberg EBook of La Vnus d'Ille, by Prosper Mrime + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LA VNUS D'ILLE *** + +***** This file should be named 16240-8.txt or 16240-8.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + https://www.gutenberg.org/1/6/2/4/16240/ + +Produced by Ebooks libres et gratuits; this text is also +available at http://www.ebooksgratuits.com + + +Updated editions will replace the previous one--the old editions +will be renamed. + +Creating the works from public domain print editions means that no +one owns a United States copyright in these works, so the Foundation +(and you!) can copy and distribute it in the United States without +permission and without paying copyright royalties. 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